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LA PRATIQUE DES MALHEURS [Sous-titre]
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Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]
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MEL ESPELLE
LA PRATIQUE DES MALHEURS
Polymnie ‘Script
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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.
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[Dédicace]
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[PrĂŠface]
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Chapitre 1 Le soleil dardait ; un soleil chaud, gros, brûlant, le symbole même de la vie ; plus que jamais dardait ses rayons. Il brûle ce soleil et il fait mal et fait pleurer vos yeux. Vous devriez le voir, le sentir pénétrer votre chair, vos os ; il est là et on ne pouvait pas l’éviter. La main de Cescapi se posa sur les yeux d’Acton. Elle lui dit de ne pas regarder le soleil et la petite rit, laissant dévoiler son sourire édenté. Acton veut voir le soleil et ne comprend pas pourquoi sa sœur l’en prive. Acton a les cheveux rasés, on les lui a coupé parce que c’est la guerre ; les Perses de Xerxès ont frappé tel un essaim de guêpes furieuses dont on aurait pris le précieux nectar ; ils ont attaqués les villages, les villes fortifiées de la Laconie et contraints les réfugiés à se diriger vers le sud, là où la Méditerranée vient lécher le pourtour du Péloponnèse et pour eux, l’espoir d’un jour meilleur où la guerre ne serait plus qu’un vaste souvenir. Cescapi rit. Qu’il est plaisant de la voir rire ! Les deux sœurs n’ont pas ri depuis longtemps, depuis des
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jours ; elles ont oubliés l’effet apaisant que le rire procure sur les corps épuisés, privés de réconfort ; Acton entre les jambes de sa sœur tend sa main vers l’horizon ; elle veut toucher la Mer Egée car sa sœur lui a dit que se trouvait là-bas Troie. La petite Acton connait les récits d’Achille, de Patrocle, de cette Hélène à la grande beauté et de Paris, cet amant un peu fou ; Cescapi le lui raconte souvent, pour l’aider à s’endormir. Les deux sœurs enlacent leurs mains ; la petite rejoint la grande et la grande est en fusion avec cette petite main d’enfant, douce et si précieuse. Les mains d’enfants le sont toujours et Cescapi posa son menton dans le creux de son bras, perdue dans ses contemplations : sa petite sœur au crâne rasé et à l’allure un peu masculine. Elle ferait tout pour sa sœur, peut-être même tuer, et elle tuerait ; de ses mains elle tuerait qui oserait la lui prendre. Devant la berge, Xénon la hampe dans la main pêche. Il est à l’affût, l’œil fixant la mer léchant ses jambes. De longs cheveux blonds tombent sur ses frêles épaules ; plus tard il sera un philosophe comme son père le fut. Il irait étudier à Athènes et se ferait un nom, c’est ce qu’il dit quand on lui parle d’avenir. Sa main se crispe sur le gourdin et se prépare à agir ; il ne peut manquer le poisson et risquer de voir sa petite sœur mourir de faim. Il sait qu’il l’aura, il ne peut le manquer, pas en ce jour où Acton se plaint de la faim. Depuis
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douze jours ils errent sur ces terres et enterrés leurs premiers morts, des vieillards épuisés par la marche et vidés de toutes leurs ressources, morts dans leur sommeil. Qu’espérer de mieux ? Les Laconiens du village portuaire dont le nom nous échappa voyaient d’un mauvais œil ces réfugiés ; ils auraient voulu qu’ils se trouvent loin d’eux. N’allaient-ils pas faire venir le malheur par leur présence ? Là, assis ou allongés, la tête entre les jambes, la tête contre l’épaule d’un autre, tous attendaient le salut ; on en pouvait les prendre en pitié, ces bougres-là ! Des mouches venaient les taquiner, ils les chassaient mais elles revenaient plus acharnées que jamais et avec les mouches, les chiens errants, des plus faméliques, mendiants des restes de nourriture aussi minimes soient-ils ; les enfants pleuraient sous l’attitude lassée des mères de famille privées de leur époux et les plus vigoureux se disputaient avec les chiens la nourriture lancée par les Laconiens. « Cespi…prends du poisson ! » Jappa Acton sur la digue, agenouillée là où sa sœur l’avait posée. Les coquillages à la main, Acton les étudiait tour-à-tour appréciant tout particulièrement les nacres. C’est jolies les nacres, pensa-t-elle le sourire aux lèvres ; elle pourrait s’en faire un beau collier, un collier qu’elle offrirait à Cescapi. Elle valait bien cette petite attention Puis elle se vit à chanter une chanson sur Pontos, la personnification de la mer, de ses
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flots et de ses abîmes apprises par son aînée. « Gaia, mère des hommes et de Océan, Nérée, Phorcys, Céto… Lala,lala. Gaia…grande et forte Gaia ». Acton fredonnait ainsi quand Cescapi se tenait loin d’elle. Cela la rassurait. Les enfants ont besoin de se rassurer quand ils se trouvent être loin des adultes. Notre jeune citoyenne laconienne progressait dans l’eau, le harpon de fortune à la main et laissait le soleil brûler ses épaules, son dos dénudés et ses cuisses ; le dos surtout semblait se consumer à chaque seconde et elle se faisait violence pour ne pas sortir de l’eau en courant. Une goutte de sueur glissa le long de son front pour atterrir dans son œil gauche. Xénon lui aussi patientait, la bouche entrouverte et les lèvres sèches. Boire et manger, voilà tout ce qui lui importait en cet instant. Son ventre grognait, répondant à celui de Cescapi qui depuis deux jours n’avait rien avalé de très digeste. Elle voudrait se laisser tomber dans l’eau et se laisser dériver. Elle n’en pouvait plus. Si je renonce, personne ne me jugera, convint cette dernière, la gorge sèche et le cœur battant furieusement dans sa cage thoracique ; jusque une fois abandonnée, se laisser aller au sommeil et ne plus penser à rien qu’à soigner ses pieds après avoir nourri Acton et son cadet Xénon. La chaleur l’oppressa, l’étouffa et son souffle se fit plus court.et sa vue, l’espace d’une seconde se brouilla.
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Elle se vit dans un champ de blé, caressant les épis avant de s’y jeter et fixer les nuages au-dessus de sa tête. Piquant et à la fois doux ; et puis l’odeur de cette terre l’apaisait plus certainement qu’un verre de vin de Corinthe « Cespi ! Cespi ! » Alors elle leva la tête comme sortant d’une éprouvante torpeur. « Cespi ! Il y a des hommes là-bas ! » Et la petite pointa la direction Ouest de son index. Plus tard ! Elle reviendrait plus tard aux terres fertiles de la Corinthe, des grands champs d’oliviers et des vignes s’étendant à perte de vue. Xénon fut le premier sur la digue et aida Cescapi à se hisser sur les pierres brûlantes, rugueuses et tranchantes pour qui n’y prenaient pas garde et ce qu’ils virent stimula leur imagination, galvanisa leur enthousiaste et leur permis de croire en un quelconque espoir : des guerriers Spartes arrivèrent en deux colonnes ; des casques captant la lumière pour mieux la réfléchir, leur long manteau cramoisie maculé du sang de leur ennemi et leur bouclier cliquetant contre leur cuirasse figée sur leurs tibias ; des guerriers marchant au pas de charge, tenant fermement leur lance longue de trois mètres et ils marchaient avec de la vigueur dans les jambes. « Notre salut ! Déclara Cescapi en serrant la main d’Acton pour y percevoir les battements de son cœur, là, juste sur son poignet. Ils vont nous venir en aide ! »
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Ces Spartes s’en retournaient à leur première position (on parlait du Mont Cythère) guidés Pausanias, le neveu du Roi Léonidas 1er mort lors de la bataille des Thermophiles ; tandis que le Général Perse, Mardonios installait son camp fortifié sur l’autre rive du fleuve Asopus. Les Perses venaient d’échouer contre les Spartes et en riposte les Perses coupèrent les lignes de ravitaillent et les points d’eau des Spartes ; ce qui conduisit Pausanias à s’installer dans la plaine où un petit massif de collines protégea son armée d’une attaque frontale jusqu’à ce qu’on le rappelle à l’arrière. « Nous sommes originaires de l’Attique ! Nos pères, nos frères et nos époux sont restés sur place pour se battre contre les Perses. Ditesnous s’il reste des survivants ? » Comme personne ne répondit Cescapi poursuivit, essayant de régler son allure sur la leur. « Nous mourrons de faim. Peut-être la population locale se montrerait plus généreuse pour ses héros si vous la sollicitez ! S’il vous plaît… » Et Pausanias ralentit. « Comment êtes-vous ? Je ne vois que les ombres de ce qui pourrait être des humains. —Vingt- sept dont trois vieillards, onze enfants et treize femmes. Certains n’ont pas survécu, trop faibles pour nous suivre…on a du se résigner à les laisser sur place. Ils sont à quatorze kilomètres d’ici et jouissent de la protection du clergé local. Puissiez-vous faire quelque
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chose pour nous ? Nous avons fait notre possible pour tenir notre place forte, mais face à la supériorité numérique de l’avant-garde de l’ennemi nous avons du battre en retraite. Soyez fiers des exploits de ces femmes et ayez pitié de leurs enfants ! » Pausanias dévisagea son interlocutrice ; la tunique tressée de Cescapi découvrait ses jambes et ses côtes flottantes d’où on percevait la maigreur et ses longs bras fins pendaient de chaque côté de son corps sculpté comme des branches à un arbre ; et il pensa que si on la secouait suffisamment fort ses membres s’arracheraient du tronc et laisserait échapper un mince filet de sang d’un sang rouge clair qui coagulerait directement sur la pierre et le sable à ses pieds. Joues creuses et lèvres pleines ; yeux vides, occupés d’une faible lueur tel l’éclat lointain d’une étoile dans le firmament et qu’un seul repas suffirait à ranimer, à rapporter cette lumière insondable qui pourtant brûlait bel et bien au fond de son âme. Il leva le nez vers le soleil toujours aussi dardant, cette grosse sphère incandescente qui jamais ne cesse de réchauffer les corps ; il pensa de nouveau à la bataille et ce qu’il en restait quand la mort passe après que vous ayez expié vos fautes et combattu pour vos Dieux, votre Roi, votre Empereur ; des formes hideuses aux traits déformés par la souffrance, et puis ces corps
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démembrés baignant dans le sang, les excréments, les viscères ; ils les laissèrent pourrir au soleil sans la moindre sépulture à leur offrir et leur linceul furent les mouches avides de sang, tapissant par dizaine le ventre ouvert de ce guerrier Perse. Elles se régalaient de ce festin quand d’autres plus loin tendaient la main vers les Spartes appliqués à les occire de la pointe acérée de leur lance. Pitié ! Pitié ! Mais nulle pitié pour les adversaires de Sparte ! Et le glorieux Pausanias défilait triomphant à l’avant de ces hommes tel Achille et ses Mirmillons. Glorieux Pausanias. Il s’immobilisa ; de longues heures durant il guida ses hommes à travers la région, empruntant des passages difficiles, grimpant des crêtes, nues, privées de végétation. « Quels sont les ordres ? Questionna le fidèle Astos portant une large balafre sur sa joue creuse, couverte d’un fin duvet. Faisons-nous une halte ? —Cela va s’en dire. Nous nous reposerons ici une heure ou deux. Vos hommes ont besoin de boire, capitaine. Dépêche des hommes pour le ravitaillement et que ces femmes aient à manger, tu en as la responsabilité ». Manger. Cette idée fit saliver Cescapi. « Tu entends ça Acton ? » Avec quelle vigueur baisa-t-elle le front de sa benjamine ? Les villageois contraints et forcés par le Régent apportèrent des victuailles en grande quantité : pain, vin, viandes en tout genre, cuite, brochée, garnies de fèves et sucrées par la saveur du
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raisin cuits dans son jus ; du mouton dont des gigots d’agneau fondant en bouches et du poulet cuit à l’étouffé dont la douceur de la chair molle et parfumée de safran, d’épices vous faisait croire à la bonté des Dieux de l’Olympe ; on servit également des poissons, petits et gros baignant dans de l’huile d’olive ou du citron frais et dont l’acidité vous chatouillait le palais ; un savoureux mélange de parfum, de saveur et de texture. Les fruits et légumes accompagnèrent les plats et bien que repus, les réfugiés n’en refusèrent aucun ; bien vite Cescapi montra des signes d’épuisement et la bouche pleine glissa son regard vers Pausanias, là, à l’ombre de cette demeure à colonnes. Elle pensa à devoir le remercier. « Sais-tu qu’il est le régent de Sparte, le fameux Pausanias, le neveu de Léonidas ». Agénor, s’assit près d’Acton et lui caressa la tête comme le ferait une mère pour rassurer un enfant en proie à la crainte. La belle Agénor. Quel homme n’avait jamais ressenti de désir pour cette beauté d’où droit venue de l’imaginaire pour défier les Dieux ? Et Pausanias de la regarder, le sourcil froncé ; pensant que sa vision le trompait il se concentra sur cette divine apparition. Issue de l’aristocratie grecque, Agénor n’était autre que la fille du vénérable Métope d’Olympie et comptait parmi les familles les plus influentes de cette péninsule ; riche, puissante, respectée, sa présence ici tenait du
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fait qu’elle séjournais en Laconie quatre à six mois dans l’année dans le seul but de rendre visite à sa cousine et à son bien-aimé cousin Hippocrate d’Athènes vouant lui, un amour sans borne à son oncle, le philosophe et père de Cescapi. Là à l’ombre du muret Agénor savait que son destin ne connaîtrait pas d’hasard funeste et ses grands yeux de chat, ses grands yeux verts d’eau fixèrent le régent de Sparte et ses grands yeux brillèrent comme mille soleils ardents. Lui tourna la tête face à cette troublante apparition, quitta son promontoire pour aller fixer la mer et s’y perdre. A l’ombre du muret Cescapi laissa divaguer son esprit ; le vent chaud de la Méditerranée caressait les hautes herbes gorgés des rayons du soleil ; ces caresses la faisaient renaître et l’impression de poser la tête dans l’herbe lui fut plus que réelle, une sensation comme nulle autre et le désir de s’étendre là, de n’y plus bouger la poussa à fermer les yeux. La demeure familiale nichée à flanc de colline recevait toujours une quantité indénombrable d’invités, de questeurs et philosophes ; et dans le vestibule, Cescapi se vit donner la main à Agénor et l’entraîner avec elle à l’extérieur. Toutes deux riaient à gorge déployée, leur longue chevelure ondoyant à chacune de leur foulée, accompagnant le mouvement soyeux de leur tunique, simple voile serrée à la taille par des lanières de cuir et elles riaient encore quand elles plongèrent dans l’eau
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fraîche de la rivière, les genoux sous le menton. Le lit les accueillit en son sein et flottant dans ce liquide, cette matrice de toute animale comme végétale, Cescapi chercha des yeux Agénor mais ce fut sa sœur qu’elle vit flotter près d’elle, le corps transpercé par une lance. D’un bond elle se réveilla. Le cœur battait furieusement. Les larmes bordèrent ses yeux. « Où est Acton ? Où est ma sœur ? » Acton appréciait un tour de magie offert par Ilogène, l’un des Spartes, celui au sourire carnassier et au regard perçant. Fallait-il en avoir confiance ? « Je crois que ta sœur te cherche. Alors tu devrais filer petite fille et me faire la promesse de rester en vie ». Il lui ébouriffa ses cheveux rêches, courts et blonds sortant de son crâne rond et il la laissa partir, amusé par la sagacité de l’enfant virevoltant d’un amas de réfugiés à l’autre pour tomber dans les bras aimants de son ainée. « On dirait qu’elle te plait ? — Laisses- on la grandir un peu, répondit Ilogène à Démétrius, le bel éphèbe aux joues hautes et longs cheveux noirs comme le jais. —Je ne te parle pas d’elle, mais de sa sœur. Depuis toute à l’heure tu n’arrêtes pas de la regarder. Elle a une belle croupe, hein ! Une jolie pouliche comme ça devrait vouloir d’un étalon comme toi, ricana-il en enserrant son cou de son bras. Il faut reconnaître qu’elle est… —Nous partons, coupa Apsos, alors mettez un terme à vos
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fantasmes ». Les deux comparses se séparèrent et Apsos de lorgner dans la direction pris par le regard de Démétrius. On ne pouvait blâmer les hommes d’avoir ce comportement face à la gente féminine annonciatrice de quelques récréations bien méritées ; plaisirs charnels qui ne leur étaient pas défendus tant que le régent se donnait lui-même à pareille démonstration de virilité et son choix concernait Agénor. « En toute ! » Cria Apsos comme pour mieux chasser de son esprit ses propres pensées libidineuses. Il est vrai qu’il la regardait un peu trop. Il se délectait, savourant chaque action de la belle comme s’il eut été au théâtre, la trouvant tour-à-tour fragile et herculéenne, sauvage et raffinée. En la voyant il la prit pour une nymphe, cadeau des Dieux pour les mortels, un cadeau qui se voulait rassurant telle la caresse d’une mère dispensée tout au long de l’enfance et dont les Spartes en étaient euxmêmes privés de bonne heure en raison de leur programma éducatif nommé l’Agogée ; cadeau pour Ilogène suite à ses longues années de service rendus à Sparte. Oui, une nymphe sortit de l’eau ; une nymphe aux lèvres pleines et au regard de biche ; une nymphe qui faudrait aborder avec la plus grande des délicatesses afin de ne point l’effrayer. Il la trouva à négocier avec un villageois au sujet d’une vache laitière au pis imposant dont elle
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voulait faire l’acquisition. Pour les enfants, déclara Cescapi ; à défaut de nourriture saine, les enfants auraient au moins du lait. « Donnes-moi une pièce d’or et elle est à toi ! C’est la meilleure offre que je puisse te faire alors estimes-toi heureuse car ma vache vaut bien le double ! » N’ayant pas d’argent Cescapi lui proposa un bijou ayant appartenu à sa mère et lui de refusa : sa vache ne valait pas un vulgaire colifichet. Qu’elle se considère chanceuse s’il ne prévenait pas les autres villageois pour tentative de vol ! « Rencontrez-vous des ennuis citoyenne ? On nous enjoint de regagner les rangs, le danger cette fois-ci vient du Nord, plus précisément d’Arcadie. Nous avons perdus le contact avec les Athéniens et Pausanias veut rebrousser chemin, mais peut-être aurons-nous l’occasion de nous revoir à Sparte ou ailleurs. —Ilogène ! Pausanias, les lèvres pincées interrompit son subordonné. Tu prends une dizaine d’hommes avec toi afin d’escorter ces réfugiés jusqu’à notre Cité et par la même fait savoir à l’Assemblée que nous gérerons la situation si on daigne nous envoyer plus d’hommes. —Pourquoi moi ? Je n’ai jamais failli à ma mission et… —Il ne s’agit pas de vous punir mais de faire de vous mon allié en toute circonstance, mon ambassadeur en quelque sorte. Vous irez et me reviendrez bien vite car j’ai besoin de vous en première ligne ».
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Contrarié Ilogène le suivit du regard avant de croiser celui d’Agénor fixant le régent de Sparte et il comprit ; il comprit où se portaient les intérêts de notre Agénor et il en rit, souriant d’une oreille à l’autre, affichant son carnassier sourire comme en réponse à la sollicitation de Pausanias. Puisqu’il devait les conduire à Sparte, il aurait tout le loisir de ruiner les plans de la belle Athénienne et quand la colonne se mit en marche, il ne masqua en rien ses signes de nervosité et elle fut si palpable que Démétrius n’osa se frotter aux poils hérissés de son compagnon d’infortune ; il se contenta de chanter des Odes à l’amour, remerciant Aphrodite de se montrer si démonstrative et il avait hâte d’entendre l’opinion de son frère resté à Sparte et membre de l’Assemblée. « Chaque homme a ses vertus jeune Cescapi, même le pire des monstres et vous seriez surprise de l’imagination de ces hommes sur un champ de bataille, vous pauvre Laconienne ! Regretterez-vous ce village de pêcheurs ? —Démétrius, c’est ça ? Je ne regretterai ce village de pêcheurs, tout y était si petit par l’étroitesse des esprits de ces gens. Ils nous voyaient comme des parvenus, des renégats alors que nous ne faisions que mendier un peu de pain. Pour un peu ils nous auraient laissé mourir de faim. —Est-ce aussi son avis ? —Quoi donc ?
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—Votre cousine partage-t-elle toutes vos opinions ? —A quel sujet ? » Il ne répondit pas, pressa le pas et sans se retourner avança à grands pas, ce qui eut pour effet de surprendre notre Cescapi ; bouche-bée elle le suivit du regard ne comprenant pas le sens de sa question On connaissait les Spartes pour être de bons guerriers et on les connaissait aussi pour être énigmatiques, refusant de se plier aux exigences et caprices d’Athènes, ils avançaient selon leurs propres lois et nul ne pouvait les détourner de leur détermination. Sparte se trouvait être à six jours de marche mais Iclem allait avoir son bébé et la vieille Cléo disait ne plus pouvoir mettre un pied devant l’autre. Il fallut se mettre à l’évidence : gagner la Cité-état leur prendrait plus de temps que prévu. « Iclem vient d’avoir un beau petit garçon mais elle a besoin de se reposer ». Ilogène ne répondit pas, accroupi au-dessus du ravin il étudiait la colline, chaque saillie, chaque escarpement, point d’eau, taillis ne pouvait être négligé ; il ramassa une poignée de terre sableuse qu’il laissa couler entre ses doigts. « Non ! Si nous restons une heure de plus ici, selon quoi la guerre sera terminée avant même que nous ayons rejoint Sparte. Dites à la mère de se mettre debout et de suivre en prenant sur elle. —Elle vient d’accoucher ! La laisseriez-vous succomber des suites
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de son accouchement ? Ilogène ? Non, ne me tournez pas le dos ! Il en va de la survie d’une mère et de son enfant. —Ne cherches pas à me corrompre, femme ! Invectiva-t-il en pointant son index sur Cescapi. Ici c’est moi qui donne des ordres et je ne laisserais pas une Laconienne dicter ma conduite, ni aujourd’hui, ni jamais ! » Tous entendirent et tous baissèrent la tête. Personne ne contredisait un Sparte et le regard si glacial d’Ilogène terrifia la messagère d’Aphrodite ; dans un autre contexte, elle aurait répliqué face à ce manque de pragmatisme mais là trop de vie en dépendait. Ne pas partir, rester auprès de la mère épuisée et du nourrisson, les aider à se refaire une santé ; Cescapi ne partirait pas, refusant de les laisser loin de tout soutien et de protection appropriée. Ilogène refusa. A Sparte, jamais une esclave n’aurait osé ouvrir la bouche. Alors il la suivit, tel un furieux prédateur derrière sa proie et il la colla contre la paroi rocheuse ; la prendre de force, la violenter, l’obliger à le regarder la posséder ; de toutes ses forces rentrer en elle, l’empêcher de respirer, s’abreuver à la source de vie et il la déchira, laissant Cescapi le griffer, se débattre dans un dernier souffle ; il ne respirait plus, il haletait et à chaque nouvel élan s’enfonçait plus en elle et Cescapi la tête couchée sur l’épaule d’Ilogène se laissait mourir et le claquement furieux de sa peau
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contre la sienne, de ce pénis trop fort, cette lame déchirant sa chair lui laissant entrevoir les Enfers. Et il entrava son visage de ses mains robustes pour la briser contre le mur, son dos frappant la pierre pour mieux l’effriter, lui lacérer le dos ; Cescapi aurait voulu pleurer mais la douleur l’empêcha d’extérioriser tout sentiment et il l’étrangla pour s’assurer qu’elle ne protesterait plus contre cet abus de pouvoir ; il l’étranglait, appuyait sa jugulaire contre sa veine et par à-coups se finissait ; les coups de béliers remplacés par des va-et-vient parfaitement rythmés, cette même sinistre mélodie, semblables à des battements de cœur résonnèrent dans ses oreilles ; Cescapi allait s’évanouir à défaut de mourir quand le phallus d’Ilogène devint plus gros, plus lourd et il joui, un brusque jet allant napper le vagin ensanglanté d’Ilogène. Il ne se retira pas de juste, la main posée sur la nuque de Cescapi et l’autre lui caressant les cheveux. « On est quitte maintenant. Je vous donne deux jours et pas un de plus. Quant à toi…tu es à moi, ce ventre et l’intérieur de tes cuisses, sourit-il en maintenant son visage entre sa main. Tu vas te plaire à Sparte ». Il la laissa là, dans l’herbe à l’endroit même où il la fit sienne. La tête dans l’herbe drue, Cescapi suivit la progression lente et hésitante d’une fourmi ; un autre petit coléoptère passa, s’arrêta sur le long d’une tige avant de se laisser tomber.
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Agénor, la ravissante Agénor la trouva et remit sa jeune cousine sur pieds, d’abord lui nettoyer le dos et ensuite l’entrejambe d’où apparaitront des ecchymoses grosses comme un poing. Le sort des femmes en temps de guerre et Cescapi bien que de Haute naissance ne put échapper à cette violence La réconforter fut bien vain ; plus encore quand l’accouchée et l’enfant moururent des suites de la délivrance ; vain et stérile face à l’indicible deuil et comme pour se fustiger d’être encore en vie, Cescapi refusa de s’alimenter pendant deux jours. « Mange, ce n’est pas en t’affamant que tu ne seras pas moins désirable, murmura Ilogène et au moment où il tendit la main pour la caresser, elle se déroba, les yeux perdus dans l’immensité du néant, là où meurent les étoiles, acceptant de ne plus briller pour s’éteindre à jamais. J’ai besoin que tu restes en vie, cela sera notre petit accord ; tu restes en vie et je m’occuperai de toi comme personne avant moi et ensemble nous accéderons au pouvoir. Faisons un pacte…ta vie contre l’infortune et l’insécurité ». Cescapi fixa l’horizon. Souvent Acton arrivait pour lui faire voir un insecte, du moins ce qu’il en restait ; mais aucun mot ne sortait des lèvres de son aîné, à jamais closes ; Agénor lui tendait à manger, à boire ; ces lèvres restèrent closes, scellées à jamais ; Xénon lui-même s’essaya mais face au mur de chair qu’était
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devenue sa sœur tourna talon en culpabilisant : lui aurait pu protéger à l’instar de tout mâle de Laconie, il avait failli à sa tâche quand il ne lui restait plus que ses deux sœurs en ce monde. « Honte à moi, pensait-il en se mordant l’intérieur de la bouche, que la honte me tue pour ne pas avoir un jour de plus supporté la détresse de Cessy ». Le vent gonfla la chevelure dorée de Cescapi, un vent chaud provenant de la Mer Egée ; il charriait les odeurs du littoral, cette iode mélangé à la terre meule sur laquelle paissaient quelques chèvres. Et avec ces odeurs si caractéristiques de la Grèce et de son pourtour clairsemé d’oliviers et d’orangers, de champs d’orge et de raisins ; celle des femmes poussant les brebis sur les collines verdoyantes et cette image des plus épinales renvoya Agénor dans sa région d’origine. Le poisson fumant à l’ombre des maisons vous transportait autour d’une bonne table remplie de victuaille et dont les amphitryons mangeraient jusqu’à satiété. Un Spartiate arriva, la lance à la main, les muscles saillants : « Une cohorte de Thraces, une quarantaine avec ce qui pourraient être des esclaves ! Que fait-on Ilogène ? » Ce pour lequel les Spartiates excellaient : se battre. Ils n’eurent pas à le faire, les Thraces en les voyant fondre sur eux, jetèrent leurs armes. « Qui vous commande ? » Et apparut un grand Athénien portant barbe sous un long nez droit.
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« C’est moi, mon nom est Ovide et je viens d’Athènes après un long séjour chez les Thraces dont voici la pointe de la lance. Des mercenaires qui n’ont nulle envie de plier sous le joug des Perses que l’on aimerait voir mort jusqu’au dernier ». Aucun Spartiate ne broncha, raides et impériaux sous leur cape et rutilantes casque. Ilogène, accompagné de son sourire carnassier apparut pour toiser le géant Ovide et jauger son ennemi Athénien. « Tu es loin de ta base, Athénien. —Des esclaves, de belles pièces pour servir votre Cité. Des Romains, quelques Thraces et des Numidiens ». Ilogène passa à l’étude des captifs et son regard d’aigle s’arrêta sur l’un d’eux, le dénommé Aramis, aux beaux yeux verts et à la fossette d’ange. Il ferait un bon ilote à la condition d’être maté. Ilogène resta longtemps à le fixer. « Celui-ci a combattu dans les arènes de Rome. Un gladiateur ayant racheté sa liberté et qui vaut bien cent comme lui. Il montre un peu trop de zèle et nous devons entraver tous ces mouvements au risque de le voir rejoindre ces chiens de Perse. Il est à toi Spartiate si tu y mets le prix ». Plus tard les femmes, réfugiée de Laconie apportèrent à boire et à manger aux captifs et Aramis concentra son attention sur Cescapi en retrait des autres. Enchaîné comme il l’était, il ne pouvait
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l’approcher excepté par la pensé et il pensait bien qu’elle finirait par le regarder ; elle resta sourde à ses invocations. Agénor lui tendit sa gourde d’eau fraîche puisée dans une fontaine à l’eau limpide et froide comme les neiges éternelles des Pyrénées. « Donnes-moi à boire, femme, tu vois bien que je suis condamnée à vivre de la pitié de vous autres ! Tu es bien jolie, toi. D’où est-ce que tu viens ? Quoi ? T’aurait-on coupé la langue et ainsi priver les hommes des plaisirs de ta langue s’activant autour de leur sexe. Me priverais-tu de ce plaisir ? —Toi, ta bouche se tient trop près de ton trou de balle. Il n’en sort que de la merde. Ma cousine et moi venons de Laconie et Sparte semble être notre refuge commun. A bien réfléchir, je doute que nous ne soyons à jamais libre. —Pourquoi se tient-elle en retrait ? —Ilogène a jeté son dévolu sur ma cousine. Elle est sienne à présent et nul ne peut se dresser contre Sparte et ses illustres représentants, pas même toi, grand guerrier des arènes ! —Et a-t-elle un nom ? » Agénor ne put répondre, repoussé par Démétrius soucieux de préserver l’intégrité morale de la belle Athénienne. Une nuit pleine d’étoiles, toute constellation confondue, là, flottant dans leur nébuleuse contemplant le système solaire avec leur sœur tout aussi flamboyante autour de laquelle gravitaient neuf planètes et leurs
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astres ; les Dieux étudiaient les hommes sur le Mont Olympe : riaient-ils des Hommes, ces mortels assoiffés de sang voués à leur propre destruction. Cescapi les observait, scintillantes et fidèles aux hommes depuis la création du monde et la gorge nouée se dit qu’elle pourrait attenter à ses jours, abréger ses souffrances et par sa mort rejoindre l’infini cosmos ; fermer les yeux et se laisser au trépas. Ces macabres pensés furent interrompues par le sommeil agité d’Acton. Dans son sommeil, l’enfant pleurait, la grimace déformant ses traits ; Cescapi la laissa se calmer ellemême sans même intervenir, elle qui jadis l’aurait prise tout contre elle pour l’apaiser de ses caresses. Acton ouvrit les yeux inexpressifs avant de serrer le pan de la tunique de Cescapi entre son petit poing. Et quel avenir aurait sa sœur entre les murs de la Cité ? Elle les tuerait tous les deux, Acton et Xénon avant de se donner la mort ; ainsi ils ne connaîtront pas la servitude, l’humiliation et les brimades ; ainsi ils seraient libres. A jamais libres ! Ilogène croquait dans une pomme, s’approcha de Cescapi animé par le désir de lui plaire mais la belle détourna violemment la tête, refusant sa caresse ; lui loin de s’en vexer s’en amusait ; de son ventre naîtrait de beaux garçons robustes et intrépides, sauvage et beaux comme leur génitrice. Comme tous Spartiates qui se respectent il ne lui laissera pas l’élever, une nourrice en
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prendrait soin jusqu’aux huit ans de l’enfant. « Tu es toujours contrariée femme ? Songes que cette mère et son enfant sont à présents en paix. Les faibles n’ont pas leur place ici, en ce monde et à Sparte. Ilogène s’accroupit près d’elle et lui dénuda l’épaule. Quand tu seras baignée dans du lait, soignée et parfumée, tu ne songeras plus à cela. Je ne laisserais pas ta beauté souillée par la fange et tes mains ne s’abaisseront pas à de basses besognes. Tu es à moi aussi longtemps que je me tiendrai dans la lumière de Sparte ». La troupe avança sur douze kilomètre quand Agénor attrapa sa cousine par le bras. « Sparte est audelà de cette montagne et nous pouvons encore partir…Cescapi ? Nous ne sommes pas obligées d’avancer avec eux, pas après ce qu’il t’a fait…il n’y a pas d’avenir pour nous là-bas ». Cescapi ne l’écoutait pas. Fuir ? Le soleil brulant mordrait sa chair et après ce mortel baiser il ne resterait plus rien de son âme, pas même un endroit reclus, à l’abri de tout désordre, alors la mort semblait être la seule solution ; appliquer une arme contre la poitrine et presser jusqu’à voir poindre des gouttes de sang ; elle souffrirait sur le moment ; une blessure bien légère en songeant à celle infligée par Ilogène et cette pensée la soulagea au point de laisser apparaître un sourire sur ses lèvres pleines et rondes. Plus en avant Aramis marchait sous le fouet de
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leurs tortionnaires, le fouet cinglant l’air pour s’abattre sur la chair découverte, offerte à la morsure des lanières de cuir, les mêmes utilisés pour les bœufs conduits aux champs afin de motiver leur avancée et ainsi rendre plus douce la pénibilité des travaux. « Cescapi ? M’as-tu entendu ? Nous sommes perdues si nous restons avec eux et tu le sais. Les Dieux nous punissent d’avoir fui nos terres car notre devoir était de rester veiller sur la mémoire de nos ancêtres et tout ce qui sont tombés pour la liberté ! Je ne veux pas être esclave de ces hommes sans cœur et toi non plus tu n’aurais pas souhaité cela ! » Les lèvres de Cescapi restèrent closes comme scellées à jamais ; Agénor pourrait se contenter de ce silence, respectant ainsi le mutisme de la belle Athénienne privée de raison or la raison seule les avait conduits ici, loin des conflits armés et la culpabilité rongeait Cescapi de l’intérieur, un poison incurable s’attaquant aux fondations même de son esprit. Agénor ne pouvait lui venir en aide. Un vent chaud souleva le pan de la tunique d’Agénor mettant les hommes en émoi, une telle créature ne pouvait rester loin l’égo des Spartes ; elle les flatterait jusqu’à ce que son aspect ne représente plus aucun attrait et alors ils la chasseront de leur cité puisqu’hilote devenu inutile. Une cuisse découverte, un téton durci par l’excitation de la langue de
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Démétrius suçant, mordillant, gobant ce sein chaud et rond ; ce dernier fouilla le sexe d’Agénor de ses doigts et s’enfonça prestement en elle pour lui faire voire sa virilité et son endurance, les même qui l’accompagnait sur un champ de bataille et les muscles bandant, le souffle court et la bouche entrouverte il glissait en elle, les mains sur les épaules de l’Athénienne ; glissant, virant à gauche, puis à droite, tournoyant en décrivant de petits cercles ; et Agénor prenait du plaisir, se tordant sous les violents coups de son amant, redressant son bassin pour mieux apprécier le sexe de Démétrius en elle.
« Mon frère et moi avons conduits ces vagabonds jusqu’ici avant de devoir nous séparer. Rien ne nous obligeait à le faire mais nous n’aurions pu les voir se faire massacrer. Mon prénom est Agénor et je ferai ce qui est en mon pouvoir pour vous aider ». Sparte ne leur serait visible qu’après quatre jours de marche. Les femmes progressaient à leur rythme, empruntant les passages caillouteux
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sans jamais se plaindre. Une force mentale connue de leur adversaire. L’armée des grecs comptait dix mille hoplites, trente cinq mille supplétifs, huit mille athéniens et mille grecs venant de Corinthe, d’Epidaure, de Mégare, Trézène, Chalcis, Phlionte, Egine, etc. Ils alignaient au total environ cent dix mille soldats soit trois fois moins que du côté des Perses. Cela considérait la troupe grecque la plus considérable jamais réunie. Alors détacher une dizaine d’hommes de ce bataillon ne constituait en rien une gêne. Agénor pouvait remercier les Dieux. Son Démétrius faisait partie du détachement ainsi que son suppléant Ilogène, jeune éphèbe brun à la langue prolifique. Depuis le début il avait remarqué Cescapi à l’époustouflante beauté, à la fois sauvage et délicate. Il eut l’image de la rose à peine éclose réclamant des soins les plus attentifs. Il marchait souvent près d’elle cherchant à engager la conversation. « Alors comme ça vous venez de l’Arcadie ? Une fois que nous aurons écrasé les Perses, je compte m’installer là-bas pour y élever des chevaux. Des chevaux provenant de la Perse. Ils sont réputés être les meilleurs, alors mon négoce risque d’être florissant. Il faudra que tu m’en dises plus sur le commerce équestre. —Je ne connais rien aux chevaux mais je suppose que cela n’est pas
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plus difficile que d’élever des moutons ». Il éclata de rire sans comprendre pour autant le sens de l’humour de la jeune provinciale. « Je n’ai pas saisi ton prénom. Quel est-il ? — Cescapi. » Répondit-elle à voix basse afin de n’être entendue que de son interlocuteur. Il la dévisagea, ses cheveux bruns tombant sur ses joues rondes. Puis il arbora un sourire ravi, s’effaçant pour la laisser passer dans un étroit passage. A ce moment précis, il sut que la jeune Cescapi venait d’entrer dans sa vie. Il avait assez d’argent pour l’entretenir. Son père, capitaine du régent Pausanias ne s’y opposerait pas, bien au contraire. Car jusqu’à maintenant aucune femme Sparte n’avait trouvé grâce aux yeux d’Ilogène, le bellâtre. Ainsi il tuerait la rumeur selon laquelle il préférait la compagnie d’hommes mûrs, d’Athéniens aux pratiques sexuelles sodomites. « Ce prénom n’est pas commun. Tu n’es pas commune Cescapi et Pausanias dirait de toi que tu es originaire d’ailleurs, là où les créatures divines prennent naissance. Nous pouvons être Spartes et sentimentaux. A force de fréquenter les Grecs nous finissons par l’être, mais c’est toujours à la guerre que l’on nous distingue le mieux ». Il poursuivit son chemin à grandes enjambées. Agénor ayant assisté à la scène se dépêcha de donner son point de vue sur la chose. « Je crois que tu lui plais. Il n’arrête pas de te dévorer des yeux.
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— Tu viens une fois de plus faire ton rapport ». Elle attrapa le bras de Cescapi, puis se pencha à son oreille. — Je veille sur tes intérêts ma chérie. Tu es une femme à présent et les hommes n’ont pas fini de te regarder. Lui avant les autres mais je peux te prédire un glorieux avenir à Sparte. — On dirait que tu ne me connais pas ou bien tu t’amuses à feindre une perte de mémoire. Je t’ai dit ne pas vouloir m’installer à Sparte. — Et puis j’ai une information de la plus haute importance. — Du genre ? —Sais- tu qu’Ilogène est le fils de son plus fidèle capitaine. Oui je sais, tu ne pouvais pas le savoir, c’est pourquoi j’interviens. Si tu approches le Sparte, tu seras certaine de faire partie de l’élite de la cité. N’est-ce pas formidable ? Et avec un peu de chance, tu deviendrais la favorite du régent. — Comment peux- tu être aussi calculatrice ? Les gens ne sont pas tous comme toi, fort heureusement. Si je dois épouser quelqu’un je le ferai par amour et non pas par nécessité ou intérêt. — La belle histoire. Cela me contrarie énormément que tu n’aies pas plus d’ambition. Ton père éprouverait de la honte en sachant que sa fille chérie conduit si mal sa barque. — Désolée de ne pas être aussi talentueuse que toi. Et à ce propos, où en es- tu avec ton Démétrius ?
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— Chut, parles moins fort, elle la fit sortir de la colonne de réfugiés, Démétrius est comment dire….très préoccupé par le combat et son seul soucis est d’être loyal envers Pausanias. On apprend beaucoup sur les hommes au détour d’une conversation. C’est un guerrier et rien de plus. — Je suis heureuse de l’apprendre. Chacun sur terre a une tâche à accomplir et les Spartes ne dérogent en rien à cette règle. Il fait ce qu’il sait faire de mieux : la guerre quand toi ne cesses de chanter des louanges sur les Athéniens. Tu es née au mauvais endroit ma chérie. — Ne joue pas les philosophes avec moi. Tu sais aussi bien que moi ce qui fait avancer les choses dans ce monde. On a vu les nôtres se faire tuer sous nos yeux et je ferai tout pour que cette tragédie ne se reproduise plus. Pas tant que je serais en vie ». Cescapi s’arrêta immédiatement. L’herbe lui caressa les cuisses et le vent s’engouffra sous sa tunique. Les deux femmes se dévisagèrent, respectivement perdues dans leurs souvenirs. « Que serions nous devenues Cescapi si je ne t’avais pas empêchée de te battre ? Regardes toi, elle lui attrapa les mains, tu n’es plus que l’ombre de toi même et je m’en veux de ne pas avoir su te protéger. — Toi ? Mais tu n’y es pour rien. — Oh si et tu le sais. J’ai choisi la fuite, préférant la facilité à la prise de risques.
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— Mais il possible que sans toi, nous ne soyons pas en vie Xénon, Acton et moi. C’est tout ce que je retiendrai de ces événements. J’ai une dette envers toi et je tiens à l’honorer. — Ne te tracasse pas. Tu es comme une sœur pour moi, celle que j’aurai tant aimé avoir. Restons-en là et je ne me fais pas de soucis pour toi. Xénon et Acton n’auraient pas espérés meilleure sœur ». Agénor embrassa sa cousine, la serrant fortement contre sa poitrine. Démétrius sur l’arête du rocher observait le couple de femmes en contrebas. Coiffé d’un demi-queue, il avait les traits du visage fins et des lèvres fines dévoilant un sourire carnassier. Le fait que le général Pausanias l’eut chargé de cette mission le contrariait. Il ne voulait pas retourner à Sparte avant d’avoir obtenu une victoire sur l’ennemi et il restait persuadé que le général l’écartait du reste suite à sa mésaventure à l’Isthme de Corinthe. Le général perse Mardonios avait attendu les Grecs près de Thèbes près de Platées, dans un emplacement de choix qui devait favoriser sa cavalerie. En face, les Spartiates tenaient l’aile droite et les Athéniens l’aile gauche. Dans un premier temps, les deux généraux cherchaient à amener l’adversaire à se lancer contre leurs propres positions. Pausanias installa ses troupes sur les contreforts du mont Cythère tandis que l’ennemi choisi la rive du fleuve Asopus. La cavalerie
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perse lança une attaque sur les positions grecques mais échoua dans son entreprise, alors Mardonios fit harceler les lignes de ravitaillement et les points d’eau. C’est là que Démétrius commit une erreur d’estimation. Il favorisa le succès des perses en limitant les hoplites sur les postes d’avant -garde. Trop orgueilleux, il pensait pouvoir s’en tirer avec une poignée d’hommes et quand Pausanias lui envoya des citoyens Athéniens, il crut en une farce. Les grecs furent massacrés et permirent la brèche sur tous les sites de ravitaillement. Les deux femmes passèrent sous son nez. A bien choisir Agénor était une très jolie femme, sensuelle et fatale. Une bouche pleine. Un regard malicieux. Il avait envie d’elle, sachant pertinemment qu’elle ne serait pas femme à rester fidèle. C’était une croqueuse d’hommes qui savait user de tous ses charmes pour obtenir tout ce qu’elle voulait. Une courtisane que tous s’arracheraient à Sparte si elle décidait de faire carrière dans cette discipline. L’autre femme était plus ordinaire, bien que sa beauté fût plus sauvage, plus atypique, plus farouche mais tout aussi sensuelle. Cette candeur à mi -chemin entre l’enfance et l’âge adulte. Cette petite femme que tous voulaient protéger pour qui ne lui arriva rien. A choisir entre les deux femmes, c’était Agénor qui obtint toute son attention car elle seule lui donnerait de robustes fils, prêts à protéger Sparte de toute attaque.
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Agénor tomba des nues. Sparte se dressait dans la plaine de Laconie, sur l’Eurotas. Elle était l’une des cités -états les plus puissantes de la Grèce antique avec Athènes et Thèbes. Elle apparaît comme la championne de la Grèce face aux Perses, devenant la rivale d’Athènes. L’intervention du roi Léonidas dans les Thermopyles, au cours de laquelle il perdit la vie le 11 août 480, rendit les spartiates célèbres dans leur rôle héroïque face aux armées de Xerxès. Agénor rêvait de voir Sparte et ce depuis sa tendre enfance. La cité se dressait fière et imposante entre les flancs des collines, telle une corne d’abondance, la promesse de bonnes fortunes. « On y est arrivé Cescapi, en souriant à pleines dents, on y est et c’est merveilleux ! Une larme ruissela sur sa joue. Sache qu’on n’aura plus de soucis à se faire. Cette cité nous protégera, tu vas voir ». Impressionnée par les hautes murailles Cescapi accrocha Acton et Xénon de toutes ses forces ; de somptueux édifices en marbre et les frises des temples et des institutions représentaient divers Dieux grecs, mais pas de couleurs vives sur les bas-reliefs et les frises comme à Athènes, les Spartes appréciaient avant tout l’absence d’ornement, de couleur, d’émotion. La petite colonne emprunta la voie sacrée conduisant vers les temples de Zeus, d’Apollon, Athéna et consœurs ; les lieux sacrés se tenaient à chaque coin
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de rue et les prêtresses interprétaient les messages divins dans chaque bruissement de feuilles de chênes ; au loin de jeunes femmes couronnaient la tête d’Hermès de couronne de fleurs et ce spectacle séduit Agénor. Les Spartes ne pouvant recevoir les réfugies, les ilotes firent le nécessaire pour apporter leur soutien à ces nécessiteux en leur donnant du miel, des olives et du pain. « Est-ce tout ? » S’interrogea Agénor en les voyant repartir en silence et prestement. « Nos ventres sont vides Cescapi, crois-tu que nous nous contenterons que de cela ? Cescapi, je te parle… » Cette dernière fixait le spectacle de cet homme crucifié au mur d’une maison et dont l’épaule éplorée lui tenait les pieds. « Qu’a fait cet homme pour mériter pareil châtiment ? —Il a offensé un citoyen Sparte, répondit Ilogène, et il avait une dette envers notre homme. L’Assemblée a tranché et il a été condamné. Je ne vois pas en quoi ce spectacle puisse émouvoir une Laconienne de ton genre ? —Je ne suis pas née ici, par conséquent vos méthodes peuvent me paraître barbares ». Cette réponde contraria Ilogène qui aussitôt lui tourna le dos. Derrière les autres membres de la petite cohorte reçurent des mains des ilotes des cruches de vin de Corinthe, du raisin en grappes, de la viande séchée, des figues, de la volaille et
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des dattes ; tant de bonnes choses qui accentua cette impression de torture dont souffraient les réfugiés. « Démétrius, que ferez-vous de nous ? —Et bien nous vous avons conduit ici comme l’eut demandé Pausanias. La suite ne nous concerne pas. Nous autres Spartes repartons en guerre sur le champ ». Le voyage aurait du se faire en quatre jours mais Démétrius les poussa à réduire l’écart en deux jours seulement. Aucun des guerriers ne se plaignaient, au contraire, une certaine liesse rehaussait sur leur superbe. Agénor allait être déçue. « Tu es certaine de ce que tu avances ? Ils ne savent pas que faire de nous ? Pourquoi nous avoir conduits ici alors ? » Elles eurent leur réponse quand quelques membres de l’Assemblée arrivèrent au milieu de jeunes Spartes et d’ilotes noirs pour la plupart. Sparte ne voulait pas d’eux et on allait les parquer comme du bétail avant de décider de leur sort. Ces pauvres femmes ayant tout perdu ne seraient pas intégrées au corps civique et leurs enfants mâles ne bénéficieraient d’aucun droit politique au sein de l’Etat lacédémonien. Pourtant elles étaient libres et citoyennes de leurs propres villes. Avec eux, on dénombrait des ilotes et des paysans qui offraient leurs services aux privilégiés et dont le nombre grandissait au même titre que l’avancée Perse.
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Sparte possédait de nombreuses catégories intermédiaires : citoyens déchus par pauvreté ou par lâcheté au combat, Hoplites affranchis, Spirites, etc. Les éphores et l’Assemblée décideraient du sort des réfugiées. Agénor trouvait cela injuste, ne comprenant rien à la politique exercée dans la Cité. Allongée sur une couche de lattes, Cescapi pour tuer le temps dessinait des formes géométriques sur les pavés recouvert d’une fine couche de sable. « Pour qui nous prennent-ils ? Avoir tout plaqué pour se retrouver là, sans le moindre espoir ! Ne trouves tu rien à dire, Cescapi ? A croire que cette situation te convienne, toi qui disais ne jamais rien devoir aux Spartes ! L’ironie du sort hein ? —Il n’y a rien d’ironique à partager le sort des vaincus, répondit la blonde femme. En temps normal, Cescapi se serait défendue mais la fatigue eut raison d’elle. A son réveil Acton disputait une partie de dés improvisée avec Xénon.
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Agénor se redressa, venant d’apercevoir Démétrius au milieu de citoyens à toge blanche. Elle avait eu raison de croire en cet homme. Il allait la sortir de cette impasse et elle y crut si fort qu’un frêle sourire se dessina sur ses lèvres. Démétrius avança vers elles, enjambant quelques corps affaiblis par la marche et les dernières épreuves. Dans le coin de la cour, un enfant pleura aussi vite rassuré par sa mère. La poitrine d’Agénor se souleva au fur et à mesure que ses pas progressaient vers elle. « Toi, il pointa son doigt sur la femme, suis moi ». Cescapi crut mal comprendre et interrogea sa cousine du regard. Agénor ne comprit pas. C’est sa cousine qu’il voulait et non elle. Il savait que par ce choix, il diviserait les deux femmes dans leur amour. Mais il ne voulait pas la laisser à Ilogène qui ne serait pas quoi en faire. Il voulait un fils et Cescapi serait une parfaite mère.
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« Tu viens avec moi et ne discute pas. — Où l’emmènes- tu ? » La gorge nouée et les lèvres tremblantes, Agénor tourna la tête vers sa cousine. « Cescapi….quelque soit l’endroit où il t’emmène, n’aies pas peur. Je m’occuperai des petits, la main se posa sur son avant- bras, il ne t’arrivera rien. Faismoi confiance ». On la conduisit devant Alcinoos debout dans cet atrium parmi ses lecteurs. Lui parlait fort, il parlait politique et de Pausanias ; à la vue de Cescapi ses rides d’expressions s’estompèrent. « On dit que tu viens de la Laconie et que tu as conduit ces réfugiés jusqu’ici. Quel exploit ! Si tous se mettaient à penser comme vous, il n’y aura bientôt plus de Sparte telle qu’on la connait ». Cette remarque fut suivit par des éclats de rire. « De Sparte, il ne restera plus que des ilotes puisque tous les citoyens iront bientôt en guerre. Elle est ravissante, murmura-t-il à l’oreille de Démétrius, dommage qu’elle ne soit pas Sparte. On parle alors de treize femmes, onze enfants et…parmi les enfants, sept sont des garçons de quatre à onze ans. Cescapi se leva déterminée à suivre Démétrius. Au passage, elle baisa la joue d’Agénor pour se donner plus de confiance encore.
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Elle essaya de la retenir, puis la laissa partir. Il lui lava les pieds agenouillés devant elle afin d’en ôter la poussière. Ses gestes étaient sensuels et d’une infinie douceur, au point que Cescapi se détendit. Il remonta sur ses fines chevilles avec la même délicatesse. Là dans l’atrium de sa demeure, il sécha les pieds lavés puis se releva, imité par la jeune beauté. « Je veux que tu deviennes ma femme. Les yeux de Cescapi s’embuèrent de larmes et son cœur battait férocement dans ses tempes. — je n’ai pas d’enfants et je sais que tu seras une excellente mère ». Il caressa avec légèreté la tempe de la belle qui menaçait de s’évanouir. Elle pensait à Agénor restée seule là -bas, privée de cette opportunité de faire partie de cette cité. Ses doigts descendirent sur sa joue et ses lèvres qu’il caressa avec concupiscence. « Cette nouvelle ne semble pas te réjouir. — Tu mérites mieux. Agénor est…. Il posa son index sur ses lèvres ourlées. — C’est toi que j’ai choisi. Et je comprends que tu penses à elle dans ce moment - là, mais je ne veux pas d’une femme qui me trahira à la première occasion ». Il recula pour mieux la jauger et versa du vin dans deux tasses de bois. Quand il revint vers elle, Cescapi avait cessé de trembler. Elle porta la tasse à ses lèvres. Du vin de
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Corinthe qui lui monta à la tête à vive allure. L’homme lui reprit la coupe, avant de lui attraper les poignets pour la glisser sous la lumière de la torche. — Je ne te ferai pas de mal. Personne ici ne te fera du mal tant que tu appartiendras à cette maison – il sourit à pleines dents en émettant un léger gloussement et je m’arrangerai pour que le reste de ta famille ne manque de rien. Agénor y comprit. — Laisses moi partir….tu ne sais pas de quoi je suis capable. — Non mais j’apprendrai bien vite à le savoir –il recula sans la lâcher des yeux - la porte est encore ouverte. Je ne te retiens pas. Alors tu es libre de partir. Vas- y, personne ne t’en empêchera. Une semaine s’écoula, puis une autre jusqu’à ce que Sparte apprit la mort de Mardonios. Le 27 août 479 avant JC, le général perse certain de sa victoire sur les grecs suite à leur désorganisation, tenta une manœuvre mais l’attaque perse se heurta à une farouche résistance surtout de la part des Spartiates qui bien que coupés du reste de l’armée, occupaient une position de surplomb les protégeant de la cavalerie adverse. La mort de leur chef, puis l’assaut donné contre leur camp retranché et l’arrivée des autres unités grecques qui venaient de vaincre les Béotiens, alliés aux Perses, entraînèrent la défaite des troupes de Xerxès 1er. Bien peu parvinrent à s’enfuir et à rejoindre un autre corps de l’armée perse dont le
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chef, Artabaze en conflit avec Mardonios, avait fait demi - tour vers l’Hellespont avec environ 40 000 hommes. Quant à Thèbes, la cité qui avait collaboré avec les Perses fut rapidement prise et ses chefs exécutés. Les pertes grecques furent estimées à environ 3 000 morts et un énorme butin fut pris dans le camp de Mardonios. Sparte était en ébullition, prête à fêter le retour des héros. Cescapi puisa l’eau à la fontaine et alourdie par la charge cherchant son équilibre sous le regard conquis des citoyens. Agénor avait les bonnes grâces de le magistrat Elefthérios ayant été élu comme archonte (pour les fonctions civiles). Il appartenait à l’élite, l’aristocratie de Sparte et avait servi Cléomène 1er, le demi -frère de Léonidas dont la fille Gorgô était la veuve. A présent, il veillait sur les intérêts de Pleistarchos, le successeur du trône régenté par Pausanias qui ne pouvait souffrir Elefthérios. Agénor le distrayait, même s’il cherchait à n’en rien laisser paraître. Il la trouvait futée et pleine d’esprit. Il la voulait dans son lit et pour cela il devait accepter d’être manipulée par cette femme. Elle ne voulait pas vivre avec les autres métèques, enfermés comme des animaux de basse -cour. Et puis, elle n’avait pas oublié la défaite cuisante infligée par Démétrius. Rancunière elle ne parvenait à parler de lui sans en monter dans l’antipathie. L’innocente Cescapi devint une rivale dont il fallait se
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méfier et à présent, sa cousine devait faire cavalier seul. Quand Cescapi passa près de lui, le seau rempli d’eau, il éprouva un désir cuisant pour cette femme parfaite, à l’image d’Aphrodite. Il n’avait qu’à se baisser pour la ramasser et faire d’elle la sienne. Il la suivit jusqu’aux cuisines collectives et férocement la plaque contre le mur, la main sur sa gorge. Le seau se déversa à ses pieds et Elefthérios l’étrangla. — Ce n’est pas la première fois que je te remarque par ici. Chut, ne te débats pas….ça se passera entre toi et moi. Ne bouges pas –entre ses dents - j’ai envie de ton petite cul. Il la retourna précipitamment, une main sur sa bouche et l’autre soulevant sa tunique. Elle se débattait tandis qu’il défaisait les liens de sa culotte. Les hoplites affectés aux cuisines se dépêchèrent de faire demi - tour, ne voulant point être témoin de ce méfait. La bouche contre son cou, il la renifla et il s’apprêta à s’introduire en elle quand le cou de coude le déstabilisa. Il n’avait pas pensé qu’elle pourrait se défendre. Un filet de sang s’échappa de son nez. Elle le menaçait d’avancer, tenant un petit couteau dans sa main. — à ta place je ne prendrai pas de risques inutiles. — Si tu avances je te tues. — Tu me tues ? –il fronça les sourcils, puis prit une moue dubitative en se détendant - alors tu ignores qui je suis. Menaces moi et
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je te fais mettre en cellule jusqu’à la fin de tes jours. — N’approche pas ! Il la dévisagea froidement. La plaisanterie avait assez duré. Il cria à la garde qui ne fut pas longue à se rendre sur place. Il leur mentit. Cescapi l’avait menacée de mort, lui un si respecté citoyen ! D’autre part, elle lui avait cassé le nez quand il lui demanda de l’eau. Les gardes ne cherchèrent pas à connaître la vérité et ils embarquèrent la pauvre malheureuse. Le soir quand Agénor apprit le bien cruel nouveau, elle courut trouver Elefthérios pour le salut de sa cousine. Mais il resta sourd et pour ne point être importunée par Agénor donna des consignes à ses hommes de main. Jetée dans un cachot puant, grouillant de rats, Cescapi ne pensait jamais revoir la lumière du jour. Combien de temps resta- t-elle dans cette fosse ? Ayant perdu la notion du temps, elle priait les Dieux de lui venir en aide. Elle pria tant et si bien que la porte de la cellule s’ouvrit au moment où la raison la fuyait. On la traîna vers l’extérieur et aveuglée par le dardant soleil, elle s’écroula dans la poussière refusant de se lever. Une fois par mois, sur l’Agora, à la nouvelle lune avait lieu le marché aux esclaves. Les citoyens massés autour de l’estrade cherchaient des yeux, celui ou celle qui travaillerait pour eux. Un mois passé au cachot avait suffi pour rendre Cescapi aussi docile qu’un animal. En tout plus de
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600 esclaves dont parmi eux un arrivage massif de Perses, faits prisonniers par Pausanias en personne. Le marchand passait d’une tête à l’autre en recommandant l’un plus que l’autre, mais le général victorieux voulait de robustes guerriers pour sa garde personnelle. Il focalisa son réflexion sur Cescapi. — Où avez- vous trouvé cette femme ? Le marchand certain du succès de sa prisonnière sourit laissant entrevoir trois dents en or. — C’est une criminelle. Il est possible qu’elle sache égayer tes soirées –au creux de son oreille - je te ferai un bon prix l’ami. — Combien ? — 200 drachmes. — 200 ? –lança le général complètement estomaqué. A ce prix là il pouvait refaire le toit de sa demeure - et tu appelles ça me faire un prix ? — Mais elle les vaut. Elios ! Un colossale noir arriva et comprenant le geste de son maître attrapa la femme par le licol pour la présenter au général. Il ne la regarda pas, détournant son regard d’elle. — Regardes comme elle est appétissante…. Il attrapa le menton de la jeune prisonnière pour l’obliger à relever la tête. Pausanias la dévisagea rapidement, puis hocha la tête la mâchoire serrée. Le marchand d’esclaves ravi de lancer l’enchère, frappa des mains pour attirer l’attention. Elefthérios adossé contre
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la colonne du temple mangeait une pomme qu’il jeta au loin en voyant la fille. — Citoyens ! L’enchère suivante est –il tira le licol pour faire monter Cescapi sur le haut des marches cette femme. Approchez ! Laissezvous tenter par cette créature descendue sur terre pour notre plus grand plaisir et assouvir ainsi tous vos fantasmes non réalisés. Approchez citoyens de Sparte ! Approchez et commençons les enchères à 150 drachmes…. Un brouhaha dans la foule. Personne ne sortirait autant d’argent pour une esclave. Les moins fortunés reculèrent déçus pour l’affaire qui leur passait sous le nez. Elefthérios se rapprocha, certain de son succès. — 160 ! Tous les regards convergèrent vers lui. Le général se mordit la langue. Ce traître d’Elefthérios allait contre évaluer par vanité. Démétrius averti dès le matin par Agénor allait levait les enchères jusqu’à n’en plus pouvoir. Il voulait la femme plus que ces deux hommes et il se jurait de la libérer de ce joug. — 175 ! — 175 pour cet homme ! Pausanias savait que Démétrius ne tiendrait pas aussi longtemps qu’eux. Sa fortune était moindre et il n’était pas suicidaire au point d’aller aussi loin dans l’enchère. Tout se jouait entre les deux aristocrates et l’affaire serait à qui se défendrait le mieux. — 185.
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Démétrius se rapprocha de son général pour renchérir, sachant néanmoins qu’il n’irait pas aussi loin que ces derniers. — 190 ! — Ne te fais pas remarquer Démétrius. C’est entre Elefthérios et moi. Son adversaire ricana sournoisement laissant le marchand faire son discours sur la prise de risque. La foule était suspendue sur ses lèvres. Le suspense battait son plein et les citoyens qui n’achetaient pas, discutaient entre eux sur la fortune des protagonistes. — Alors c’est avec le vainqueur que je négocierai cette femme. La liberté vaut bien tous les sacrifices. — 200. — 200 pour le citoyen Elefthérios ! 200, qui proposent mieux ? 200 pour obtenir les charmes de cette beauté et la garantie d’une vie épicurienne, faite de plaisirs charnels…. -il attrapa Cescapi pour la serrer contre lui elle sera à vous si vous y mettez le prix. Un type dans la foule sortit une blague salace qui fit rire un bon nombre des curieux massés là en quête de loisirs. Pausanias ne riait pas, lançant des éclairs en direction de son rival de toujours. Le rictus au coin des lèvres, le magistrat jubilait à l’idée de fiche une raclée au régent et oncle de son protégé. Mais Elefthérios savait que le général avait le soutien de la foule grâce à ses exploits contre les perses. On
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l’acclamait partout en héro et les critiques tomberaient s’il se mettait en travers de son chemin. Cependant il ne pensait qu’à la jolie prisonnière qu’il mettrait bientôt dans son lit. Le bras de fer dura plusieurs minutes encore. Pausanias remporta la fille pour 400 drachmes. La foule applaudit, heureuse de son nouveau succès et fou de rage Elefthérios fila, bousculant Agénor qui remerciait les Dieux d’avoir été favorables à ces enchères. Pourtant son soulagement fut de courte durée. La jolie femme éprouva une indescriptible jalousie au moment où le général traversa la foule en compagnie de sa cousine que tous s’empressaient d’admirer. On parlerait d’elle dans tous les foyers et Sparte aurait sa nouvelle favorite. Le banquet battait son plein et les invités de Pausanias venaient pour admirer les biens confisqués aux ennemis. Le régent se réjouissait de susciter autant de convoitise et il profitait plus encore pour faire étalage de sa fortune. Dans l’office, Cescapi s’appliquait à extraire les noyaux des pruneaux, tandis que les autres esclaves s’activaient de part et d’autre de l’imposante maison. Son arrivée était male perçue par Bytia, la nubienne qui régissait le logis et qui voyait en cette grecque une potentielle et rivale de choix. La superbe femme noire, aussi gracieuse qu’une panthère aboyait ses ordres sans lâcher du regard Cescapi. Tant qu’elle régnerait sur la maison, jamais son maître ne
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mettrait cette petite anarchiste dans son lit. On ne parlait que d’elle en ville et déjà on disait qu’elle aurait tenu tête au très célèbre Elefthérios. Mais personne ne parla de tentative de viol car aucun présumé témoin ne parlerait au risque de se voir frapper d’ostracisme. Bytia sortit de l’office en emportant des plats sur son épaule et joua les minaudes auprès de son maître. — Les perses allaient se replier, privés de leur tête pensante. Des milliers d’hommes en proie à une débâcle sans précédent. Cette horde de barbares, pourtant constituée de gens d’élite, soient deux cent milles hommes de pied et vingt mille cavaliers. C’était sans compter sur nos hommes, certes moins nombreux mais plus déterminés à se tailler la part du lion. Il nous a seulement fallu nous abattre sur leur première ligne pour les prendre en étau –il mimait parfaitement bien toutes les actions sous une assemblée des plus attentive - je crois que Mardonios aurait donné chère de sa vie pour assister à cette bataille. Nous avons honoré la mémoire de ce grand général en lui offrant un grandiose dénouement. Nous les prîmes de revers au moment où ils s’y attendaient le moins. Puis de face en les obligeant à nous affronter en plein soleil –il porta le vin à ses lèvres - un magnifique combat que nous ne sommes pas prêts d’oublier. — Tu as sauvé la Grèce. Athènes devrait se montrer généreuse envers toi. Plus encore maintenant que la
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corruption est éradiquée. Quelle récompense obtiendras- tu pour ce triomphe ? Tu as déjà plus qu’un homme ne peut désirer. Le flatta un politicien entre deux âges, avachi sur une méridienne se régalant de cailles sur le lit de raisin. — Je le crois bien Darios. Si on me laissait faire, je marcherai sur ce qu’il reste d’invaincus. Mes hommes en étaient qu’à l’entrée. Un plus gros festin reste à venir. Les perses de Mardonios nous ont mis en appétit. Et quand j’ai faim….je dévore jusqu’à épuisement. Démétrius approuva les dires de son général dont le succès lui était monté à la tête. Le voilà à présent qui élucubrait sur les combats à venir dont il en connaissait l’issue. Des rumeurs disaient qu’il serait tout destiné à conduire la flotte grecque sur les îles de Chypre et de l’Hellespont. Cette rumeur gonfla d’orgueil les hommes du général, devenus des héros à acclamer dans toute la cité de Sparte, la glorieuse. Les invités de Pausanias parlèrent avec entrain des victoires du grand homme, comparant ses exploits au courage du roi Léonidas mort sur le champ de bataille pour défendre la liberté. Ce soir - là Cescapi pleurait son infortune. Elle avait échappé aux troupes de Xerxès pour tomber dans les griffes d’un ennemi plus sournois. La pauvre esclave pensa à son frère et à sa sœur, laissés auprès d’Agénor bien plus chanceuse qu’elle. Les nuages voilèrent les étoiles scintillantes et un vent chaud
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poussa le sable à l’intérieur de la cour où attendait Agénor. Quand elle vit sa cousine, elle ne put retenir ses larmes. — Je suis désolée pour toi Cescapi et toute la communauté te soutient –elle serra les mains de la sensuelle femme, épuisée par toutes cette agitation chargée en fortes émotions - j’ai essayé de passé te voir lorsque tu étais en captivité, mais les gardiens ne m’ont pas laissé passer. Tout ce temps m’a paru interminable. Tu dois tenir le coup car ton sort est plus enviable que le mien. — De quoi parles- tu ? J’en crève de honte et je préfère me donner la mort plutôt que de subir la servitude. Cet homme a tenté d’abuser de moi et je n’ai fait que me défendre. Et voilà où j’en suis. Seuls les citoyens de Sparte ont droit à un avocat et un jugement en bonne et due forme. — Relativise ma chérie. Ils auraient pu te laisser flétrir dans ta geôle. La dépendance ne durera qu’un temps tu verras et tu gagneras ta liberté. Cette situation n’est pas plus mal qu’une autre. Pausanias n’est pas un mauvais homme. C’est une place privilégiée, crois moi et auprès de lui, aucun mal ne t’arrivera. Agénor sut qu’elle était allée trop loin. Sa susceptible cousine n’avait pas la même conception des choses. L’emploi d’audacieuses méthodes lui permettrait de satisfaire ses attentes. La sensuelle Agénor ne voulait pas vivre dans la pauvreté et mettrait ses
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attractifs atours sur le devant de la scène. Ce que Cescapi ignorait était la perfide relation qu’entretenait Agénor pour Elefthérios. Peu de temps après l’arrestation de sa cousine, elle s’était rendue dans sa demeure pour le supplier de libérer la belle captive. Ce riche patricien avait été sourd à ses appels.il voulait faire payer à Cescapi son manque d’obéissance. Aucune femme encore ne lui avait résisté, Elefthérios obtenait toujours ce qu’il voulait et plus encore auprès des femmes. Agénor dut se mettre à l’évidence qu’elle n’était pas à la hauteur face à cet homme autoritaire, félon et manipulateur. Mais elle savait qu’elle avait besoin de lui pour se faire une place dans la haute société de Sparte. « Dis - moi ce que je dois faire pour t’aider. — M’aider ? Je doute que tu puisses m’être utile. Je ne m’appartiens plus. Mon sort est identique à celui des hoplites. Veilles sur mon frère et ma sœur et dis leur que je ne les ai pas laissé tomber. Agénor prit sa cousine entre ses bras, les yeux bordés de larmes. Elle lui manquait terriblement. Brusquement Cescapi se dégagea de cette étreinte, refusant que l’on s’apitoie sur son sort. — Rends moi ce service et emmènes- les moi le plus souvent possible. — Tu peux compter sur moi et si tu…. Elle se tut en apercevant Démétrius dans l’embrasure d’une
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porte. Ils s’étudièrent minutieusement jusqu’à ce qu’Agénor explose. — Je vous jure que s’il arrive quoi que se soit à ma cousine, je vous tuerai de mes propres mains. Est-ce clair ? Je ne vous laisserai pas lui faire du mal. — Agénor, laisses nous un instant. Vas- y, ne t’inquiètes pas pour moi – un rapide baiser sur sa joue pour l’encourager à la laisser seule avec ce guerrier - on se voit plus tard. La jeune femme au caractère affable s’en alla en lançant des éclairs de colère à Démétrius dont la grande cape recouvrait ses épaules carrées et son athlétique corps sculpté par les dieux eux - même. — Comment te portes- tu ? — A vous de me le dire. Je suis la propriété de Pausanias à présent. Ne voyez- vous donc pas à quel point je saute de joie ? Votre question me laisse dans l’embarras le plus total. Elle détourna la tête quand l’homme lui prit les mains pour les serrer dans les siennes. — Je vais racheter ta liberté –il attrapa son menton pour l’obliger à le regarder - pièce par pièce. Tout cela ne sera plus qu’un vilain souvenir. Tu seras à nouveau une femme libre et je t’épouserai pour faire de toi un citoyen sparte. Comme elle se débattit, Démétrius crut bon la laisser encaisser le contre - coup. Demain, elle ferait plus claire dans son esprit. Il la déshabilla du regard persuadée qu’elle triompherait de la servitude pour
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devenir une femme indépendante. La lune fut cachée par des nuages sombres et épisodiques. Cescapi frissonna, croisant ses bras sur sa poitrine. « Ce n’est pas vous qui me sortirez de là. Vous avez déjà échoué une première fois, alors ne venez plus m’importuner, moins pénible sera ma peine ». Cescapi s’allongea sur sa latte et perdue dans ses pensées, ne parvenait à dormir sans penser à son destin d’esclaves. Au moment précis où elle ferma les yeux, les hommes de Pausanias vinrent la tirer de ses songes. Le maître la réclamait. Elle suivit les hommes jusqu’aux appartements du général. Les pièces étaient sobres, austères et reflétaient peu la personnalité de leur locataire. Le vent s’engouffra par les rideaux et les toits de Sparte lui parurent plus accessibles. La hauteur du balcon était suffisamment conséquente pour se briser le cou. Il lui suffisait de l’enjamber et de se laisser tomber dans le vide. Il l’observait derrière la colonne. Cescapi lui avait coûté énormément d’argent. Elle pouvait en avoir conscience. A présent à ses yeux, elle n’était plus qu’une esclave achetée pour son bon plaisir. La jeune laconienne n’était rien d’autre que cela. Il réfléchissait à ce qu’il allait faire de cette nouvelle acquisition quand il la vit enjamber le parapet. « Trois mètres vingt. Vous n’aurez que de vilaines contusions et
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probablement un léger traumatisme crânien. Rien de plus. — Ne m’approchez pas ! Je vous jure que je vais sauter…ne m’approchez pas ! — D’accord….ce n’était pas mon intention. Je ne tiens pas à vous remettre les os en place une fois que vous aurez sauté –il prit un air désolé - sans compter que la douleur risque d’être insupportable. — Je vais sauter. — Et bien allez- y. Mais je vous aurai prévenu en tous les cas ». Cescapi se pencha légèrement pour étudier le terrain et sut que le général se trompait. On pouvait aisément compter six mètres sans compter les quelques pierres qui indubitablement abrégeraient son calvaire. Les arêtes des pierres pouvaient la trancher dans sa chute. Son agonie risquerait d’être longue et douloureuse. Elle se tourna vers lui et lut dans son regard qu’il la suppliait de ne pas se montrer stupide. Il retenait sa respiration, n’osant déglutir. « Vous devez mourir de faim. A votre âge on a un solide appétit – sournoisement il se rapprocha d’elle - de quel coin de la Laconie disiez vous venir ? — De Diogène. — Bel endroit –il posa ses mains sur la balustrade en fixant droit devant lui - je m’y suis arrêté plusieurs fois, notamment pour rallier la cité d’Athènes. Il y a- t-il toujours ce grand chêne à l’entrée des fortifications ? »
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Elle se surprit à lui répondre à nouveau, oubliant son objectif premier. Jamais elle n’avait vu Pausanias d’aussi près et contrairement à l’idée qu’elle se faisait de lui, elle remarqua qu’il paraissait plus vieux que l’image qu’elle s’était faite de lui. Des pattes d’oie encadraient son regard sévère, vide d’expression et si lointain. A quel genre d’homme appartenait-il ? La barbe qu’il avait en pointe lui apportait plus d’autorité encore qu’il pouvait en dégager. « Votre père était un érudit je crois. Un philosophe d’après ce que l’on raconte ». Les yeux de Cescapi s’illuminèrent à l’évocation de l’homme qu’elle avait tant admirée en ce monde. Il avait un grand homme qui avait apporté à Diogène son élite et une certaine conception de la démocratie. Diogène par son éclectisme ressemblait davantage à Athènes qu’à Sparte, gouvernée par deux rois. « Qui vous a parlé de mon père ? — Votre cousine. Une sacrée personnalité je dois dire. Plusieurs de mes hommes ne sont pas insensibles à ses charmes. Diogène a la réputation de fournir la plus jolie femme de Grèce et certains paieraient chers pour avoir la compagnie d’une telle femme ». Cette réflexion contraria la pauvre malheureuse adossée contre le parapet. Agénor pouvait devenir une courtisane dont on s’arracherait la présence dans tout Sparte. Les
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hétaïres avaient bien souvent le statut de concubines, elles étaient des citoyennes à l’éducation soignée capable de prendre la conversation parmi les notables et érudits de la Grèce. Ces courtisanes étaient indépendantes et géraient leurs biens, dont des cadeaux et des dons de ses compagnons ou amis par qui elles se faisaient entretenir. « Mon père était un philosophe qui dispensait ses leçons et ses conférences dans toute la Grèce. Beaucoup de ses disciples continueront à honorer son savoir bien au -delà de sa mort. — Je n’en doute pas. Si le cœur vous en dit, nous pourrions débattre de son enseignement devant du vin de Corinthe et des cailles aux raisins. Soyez sage de me donner votre main que vous puissiez me dévoiler les pensées de ce sage homme ». Elle le dévisagea hâtivement, ne sachant si elle devait se fier à ce général auréolé de succès, bien loin de l’idée de rustre qu’elle s’était faite. Prudemment, elle lui tendit la main et avec la grâce qui lui était connue, Cescapi enjamba le parapet pour se retrouver dans les bras de Pausanias. Les yeux plongés dans les siens, il sut qu’il accepterait de lui ouvrir son cœur. Elle baissa le regard devant l’expression si dure de cet homme. « Vous avez fait le bon choix et moi vivant, rien ne vous arrivera. Allons- nous repaitre de ces cailles et nous abrutir de ce vin ».
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Démétrius se réveilla aux aurores et toutes ces intentions se tournèrent vers Cescapi. Il aspergea son visage à grande eau pour chasser les méandres de la nuit. Il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour récupérer la fille. Pausanias ne pouvait la garder pour soi. Il avait déjà pour épouse la plus jolie femme de Sparte, la sage Grisélidis dont on vantait la beauté et le jugement dans toute la Grèce d’Athènes à Sparte. De plus l’idée que son général puisse la posséder avant lui, le rendait ivre de colère. C’est à lui que Cescapi donnerait des fils. Les plus beaux de Sparte. Dès lors le roi était devenu un rival qui contrecarrait ses plans. Les Dieux interférèrent en sa faveur. Il n’eut nul besoin de s’ériger contre son général. Cescapi avait choisi l’évasion. La demeure austère de Pausanias fut son dernier refuge avant de choisir une vie de proscrite. Rusée comme un renard et aussi agile qu’un jeune chat, elle fila à la façon des vipères certaines de leur destination. Elle se colla contre le mur et attendit de voir apparaître sa cousine, la belle Agénor. Cette dernière avait choisi une existence facile auprès d’Elefthérios. « Mais que fais- tu là ? Elle l’entraîna dans l’obscurité d’un passage couvert. — Je vais m’enfuir. Je vais quitter la demeure de Pausanias pour regagner les montagnes de la Laconie. — Partir ? Mais tu n’y penses pas une seule seconde, j’espère ?
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Cescapi, tu ne peux pas –intervintelle en le secouant comme un poirier - tu sais ce qu’il en coûte de fuir ? Pausanias sera bon avec toi, ne le vois- tu pas ? Si tu fuis, ils te retrouveront et te tueront. Penses à ta sœur et à ton frère….ils sont encore jeunes et ils n’ont pas besoin de cela. — Je vais partir avec eux. Ils sont ma seule famille. — Mais tu as perdu la tête ! » Des passants s’arrêtèrent pour les observer. Des jeunes spartiates intéressés par ces deux gracieuses femmes. Agénor baissa la tête et attendit qu’ils fussent partie pour reprendre. « Et comment feras- tu pour vivre dans les montagnes ? De quoi vous nourrirez- vous, y as- tu songé ? Tu les condamnes à une mort certaine Cescapi. Est -ce que tu m’écoutes ? Je t’ai dit que je ne te laisserais pas tomber, alors il faut que tu aies confiance en moi. Elle éclata nerveusement de rire. — Comment avoir confiance en une femme qui couche avec un homme qui a cherché à porter atteinte à ma réputation ? — Je le fais pour nous ma chérie. Alors je t’interdis de me juger. — Personne ne t’a forcé à le faire Agénor ! — Oh c’est facile pour toi ! Tu as ton petit général et Démétrius – lança- t-elle sans reprendre son souffle, les larmes bordant son magnifique regard - Les hommes te dévorent tes yeux et toi tu ne penses qu’à fuir ! Je n’ai que toi ici et si tu
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t’en vas, je vais mourir, crevée par la honte et la culpabilité. Je veux donner un fils à Elefthérios. Une fois satisfait de cette maternité, il me remettra à un autre homme et je n’aurai plus à me soucier de mon avenir. — Alors c’est ce que tu veux ? Devenir une poule pondeuse ? — Nous sommes des femmes et par conséquent notre existence n’a aucune valeur aux yeux de ceux qui attendent de nous bien plus que de la coquetterie ! Je ne veux pas que l’on me prenne de force…je veux seulement avoir le choix. Au moins une fois dans ma vie. — Et bien viens avec moi Agénor. Ensemble nous serons plus fortes et nous veillerons chacune l’une sur l’autre. La brunette secoua vigoureusement la tête, déterminée à camper sur sa position. — Non ! Il est hors de question que je fuis comme une lâche et risquer la vie des autres par mon égoïsme. Quand tu seras partie, Pausanias enverra des mercenaires pour te rattraper mais avant cela il aura pris soin de m’interroger. Tu comprends ? Il me tranchera la jugulaire pour me punir de trahison et Acton et Xénon vivront dans l’horreur avant que la mort ne vienne les chercher ». Cescapi, le visage couvert de larmes entra dans le logis du général et alla se réfugier loin de l’agitation régnant à l’intérieur.
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Livre 2 Dans la grande cité de Sparte, Agénor était plus que jamais décidée à assurer ses arrières. Les spartes les regardèrent passer avec curiosité. Les hommes ne se lassaient jamais des jolies femmes, surtout lorsque leur beauté égalait celle de Agénor ou de Cescapi. On les dévorait des yeux, s’empressant d’en savoir plus sur elles. Quand un vieillard édenté fendit la foule pour se prosterner aux pieds de Cescapi. « Ma reine ais pitié de nous ! Elle serra sa sœur contre elle face à la démence de ce vieil homme, face contre terre. Aussitôt les guerriers spartes s’empressèrent de le raisonner. — Pauvre vieux, tu délires. Passe ton chemin. Lança Démétrius en aidant le pauvre fou à se redresser. — C’est pourtant elle…. - la bave s’échappait de ses lèvres sèches c’est notre reine. Ne le voyez vous pas ? Elle est seule que Sparte attend. Le fruit de l’union parfaite d’Héraclès et d’Aphrodite. Agenouillez vous devant celle qui nous sauvera de la mort. — Tu délires pauvre vieux. Éloignez- le de la cité ! Sa place n’est plus ici.
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Il s’accrochait désespéramment au bras de Démétrius qui le jugeait un peu bien vite. — Qu’est-ce qu’il voulait ? – demanda Acton en le suivant du regard - il m’a fait peur. — Ne t’inquiète pas. Tu n’as rien à craindre tant que je suis auprès de toi ». La nuit tombée, Cescapi coucha son frère et sa sœur à l’abri sous un patio. Les autres réfugiés s’étaient éparpillés comme des feuilles d’érable. Elle savait que dans cet endroit, il ne risquerait rien. Assise sur la margelle de la fontaine, elle nettoyait ses pieds quand Démétrius sortit de l’obscurité. Ils restèrent un moment à s’étudier minutieusement, puis la jeune femme fixa le sol et ses pieds meurtris par la marche. Il mit ses mains en écuelle afin de boire, néanmoins très intrigué par Cescapi. « Pour quelles raisons n’es- tu pas avec ta cousine ? — Je préfère dormir à l’extérieur. Il posa un pied sur la margelle et pris appui sur sa cuisse. — N’es- tu pas aussi ambitieuse qu’elle ? — Non. Nous sommes différentes sur ce point - là. Elle est futée et débrouillarde. Je ne me fais pas de soucis pour elle. — La mendicité n’est pas tolérer dans la cité. — Je ne compte pas rester ici. Je ne suis pas taillée pour la vie à Sparte. — Quel âge as- tu ? — 15 ans.
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Il se gratta le nez puis expira. — J’ai comprendre que tu plais à Ilogène. Il a à peu près ton âge. Mais contrairement à toi, il est de nationalité sparte. Les enfants que tu feras ici seront des bâtards, qui plus tard ne seront pas reconnus comme des citoyens à part entière. — Je ne compte pas m’installer ici. — Mais lui semble vouloir te voir rester là pour un petit moment. Sa famille est influente et en l’épousant tu ne manqueras de rien. — Dites le à Agénor. Ma cousine cherche un époux -elle eut honte d’elle et se frappa le front - je n’ai pas d’argent et à part épouser un berger, je ne vois pas meilleur avenir pour moi. — Qu’est-il arrivé à ton père ? — Mon père ? — Oui. — Il s’est sacrifié pour nous. — Bien avant cela, qu’est-ce qui l’a poussé à être ce qu’il est devenu ? N’était-il pas un sparte ? D’après Agénor, il aurait été frappé d’ostracisme en pleine gloire. D’où sa fuite pour l’Arcadie. — Ma cousine est une affabulatrice. Elle nous invente un passé afin d’attirer l’attention. Mon père n’a jamais rien fait d’autres que d’entretenir des vignes. Il n’est même jamais allé à Sparte. — Alors comment se fait-il que tu connaisses la route pour te rendre ici ? Le cœur battant à rompre, Cescapi contre -attaqua prestement sentant
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que tôt ou tard, il apprendrait la vérité sur l’identité de la jeune femme. Les enfants bougèrent dans leur sommeil. — Mon père était trop occupé pour voyager mais moi j’ai….j’ai eu l’occasion de m’y rendre. — Le fou de toute à l’heure était persuadé de vous connaître à un détail près. — Je ne vois pas où tu veux en venir ? — Pausanias t’a- t-il déjà rencontré dans le passé ? — Non ! Il ne m’a jamais été possible de l’approcher. Nous ne venons pas du même monde
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[Epilogue]
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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France
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