(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)
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LA PUISSANCE DES FLAMMES [Sous-titre]
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Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]
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MEL ESPELLE
LA PUISSANCE DES FLAMMES
Polymnie ‘Script
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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.
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[Dédicace]
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[PrĂŠface]
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Chapitre 1 Peste soit ! Aaron parle de la peste bubonique. Il voit des choses que personne autre ne voit. Il dit qu’elle viendrait de là-bas ; il parle de l’Orient, de la route de la soie, audelà&o des empires mongol et chinois. Comment le sait-il ? Il emportera ce secret dans sa tombe. Parce que je lui ai posé la question il a répondu : les Tatats de la Horde d’Or ont attaqué la ville de Caffa, comptoi génois sur les bords de la mer Noire en Crimée ; les Mongols catapultaient leurs cadavres par-dessus les murs à moins que cela ne soient les rats, eut-il déclaré en se frottant le dessus du crâne, puis après une trêve signée entre les Gênois et les Tartares, les navires purent quitter le port disséminant la peste dans tous les ports où ils firent halte pour atteindre Messine en septembre 1347. Comment savait-il tout cela ? « Jack Solens dit qu’Aaron est un érudit. Lui essayait de me distraire quand Aaron partait chercher à manger. On vit cloitrer ici depuis cinq jours. Bien que le Pape Clément VI dise protéger les juifs persécutés or la veille, on a pendu deux femmes et un enfant suspectés d’avoir empoissonné un puits. Impossible
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de fermer l’œil de la nuit, le moindre bruit nous fait sursauter. L’endroit est singulier : la sacristie d’une chapelle abandonnée dans le vieux bourg. Ici personne ne passe jamais, excepté un chien errant et quelques gros rats couinant. Assise sur le coffre je fixai Jack, lui-même perdu dans ses pensées. On ne sait rien de Jack, il ne parle jamais de lui. Toujours est-il qu’il sait se battre ; ce qui lui a sauvé la vie, à plusieurs reprises dit-il en affutant la lame de son épée. Et puis Aaron sait des choses sur lui qu’il refuse de me révéler. « Il ne vaut mieux pas que tu saches, cela t’empêcherait de dormir ! » On frappa à la porte : le code convenu pour se reconnaître entre nous et Aaron apparut et son regard laissa entrevoir la folie régnant dans ce village ; les lèvres pincées il déposa une miche de pain rassis et quelques haricots. « C’est tout ce que nous avons ? » Il s’écroula sur la chaise pour délasser ses bottes et ainsi les tenir à distance de nous. « Ouais, le reste est la propriété des plus riches. Contester servirait à rien. Les geôles sont pleines de cadavres. Les geôles et les rues où l’on ne peut progresser sans risquer d’écraser un abdomen éventré et…il faut que la petite mange ». La petite c’était moi. Il ne m’appelait jamais par mon prénom, c’était toujours la petite ou fillette ou encore l’enfant ; or je n’en n’étais plus une. Combien de jours encore se priveraient-ils pour moi ? Leur ventre criait famine et je pouvais lire leur souffrance au fond de leur regard. Alors que je fredonnais allongée tout contre Aaron, je voyais son œil briller se rappelant nos jours heureux ; endormie tout contre lui les rêves de banquet revenaient me hanter, de grands festins où
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aucun plat ne manquait. On s’en déchirait la panse tout en riant aux éclats. La faim me faisait me réveiller et Aaron de me rassurer de ses caresses. Ce soir-là je les entendis parler. « On parler au Nord, proposa Jack, longer le cours d’eau et remonter en évitant les villages », « Il n’y a rien au Nord. Ni au nord, ni au sud, ni ailleurs. La petite est très faible pour marcher ». Le froid et la faim conduisaient à la fatigue et tremblante sous ce ridicule drap, je finis par ouvrir les yeux. « Mais toi tu peux t’en aller Jack. Nous t’avons retenu suffisamment de temps. Si tu pars nous ne t’en blâmerons pas ». Avoir Jack près de nous était une sécurité de plus. Il savait parler aux gens et se faire entendre ; il en imposait par son regard et son dégoût du genre humain. La pluie tomba à versa dans la rue. Un cri strident nous fit dresser les cheveux sur la tête. Pas très loin de notre retraite. Des bruits de course et plus rien. Mes tremblements redoublèrent et j’interrogeai Aaron du regard. « Oui je pourrais partir. J’ai bien pensé le faire…plusieurs fois à vrai dire. Il n’y a rien qui me retienne ici ». Aaron sourit, laissant dévoiler toutes ses rides d’expressions, du front, aux pates d’oie et joues. « Je crois qu’on s’en sortira ». Mon cœur battait si fort, l’évanouissement n’était jamais bien loin ; à tout moment la mort pouvait nous frapper et si Aaron venait à mourir…je mettrais immédiatement fin à mes jours pour ne pas avoir à lui survivre un jour de plus. « Si on reste un jour de plus…elle mourra ». Mes doigts se refermèrent lentement sur la main de mon protecteur de toujours.
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Si elle reste ici elle mourra. Des corps décharnés gisent dans les ruelles grouillantes de boyaux, d’enfants morts que la décence voudrait que l’on recouvre ; pas le temps, la mort frappe si vite. L’odeur de chair que l’on brûle me colla la nausée. Ah, ah, ah ! Demain elle mourra ! D’un bond je me levai et mon regard croisa celui de Frank. Le lit est encore chaud. Dehors un chien aboya, probablement le même habitué à traîner par ici. On s’observa en silence. Parler c’est gaspiller un peu de notre énergie. La lumière pénétrait notre repère et à la fenêtre, je dégageai un panneau pour jeter un œil dans la rue. « C’est comment dans le nord ? » Il me dévisagea de la tête aux pieds, les lèvres serrées et la main gantée posée sur le fil de son épée. « Cela ne doit pas être pire qu’ici ». Et moi de hausser un sourcil. « Alors pourquoi comptes-tu y aller ? » Un rictus s’afficha à la commissure de ses lèvres. « Pour les mêmes raisons qui poussent Aaron à vouloir rester ici ». Un rayon de soleil éclaira la pièce et je constatai les traits fatigués de Frank : barbe de trois jours et cernes, teint blafard et cheveux gras ; il aurait besoin de prendre un bain. Il me rejoignait à la fenêtre en ogive condamnée par des grilles. « D’où est-ce que tu viens ? » Le sourcil froncé il plongea son regard dubitatif dans le mien. « Pourquoi veux-tu savoir ? Ne sois pas trop curieuse Nyra. La vérité pourrait ne pas te satisfaire ». « Pourquoi tiens-tu à rester avec nous ? » Et lui de détourner la tête. « J’ai mes raisons ». Je retournais sur l’immonde couche qui nous sert de lit et je défis ma tresse afin de peigner cette chevelure pleine de poux. Une calamité.
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Les peigner me soulage et je passe et repasse le peigne en ivoire inlassablement sur mes cheveux noirs aux reflets bleus. Avant Aaron s’en occupait ; il les lavait, les brossait et les tressait. Il prenait soin de moi autrement qu’en cette année 1349 et il n’y a pas si longtemps que cela, il me lavait dans une grande bassine d’eau chaude ; il me disait qu’il fallait être propre, il me disait que je devais prendre soin de moi. « Depuis quand est-il partit ? » Jack releva la tête de sa poitrine et décroisa les bras. Il dormait ainsi, assis sans remuer un seul membre. Il dormait comme un cheval, prompt à détaler au galop au moindre danger. Au vu des ombres dans la ruelle déserte, il ne devait pas être loin de midi. « Il a du lui arriver quelque chose…je vais sortir ». En tremblant je jetai ma cape sur mes épaules quand Jack me barra la route et dos à la porte, me fixai, décidé à m’assommer si je tentai de sortir. « Il devrait être revenu… » Un bruit attira notre attention à la fenêtre et Jack me contraignit à rester derrière lui. « Qu’est-ce que c’est ? » Pas de réponse de sa part. Mon cœur battait si fort. En tremblant je posai ma main sur son bras, comme cherchant à m’accrocher à un semblant d’espoir. Ma tête tournait et bien vite je manquais d’air. Tout vacillait, le sol se dérobait sous mon poids et les meubles semblaient animés… Jack me fit boire un peu de vinaigre et je revins à moi en toussant jusqu’à en vomir. « Tu dois rester allongée. Je vais revenir. Dors un peu ». Des corbeaux se firent entendre au-dessus de la vieille chapelle. Eux mangeaient à leur faim. Je vins à me gratter l’entrejambe et en
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soulevant ma robe découvrit une énorme pustule suintante. « Oh mon Dieu ! Mon Dieu ! » Je savais ce que c’était pour l’avoir vu sur des cadavres. Les cloches sonnèrent à toute volée, celle de l’église annonçant un incendie ; intérieurement je brûle et une quinte de toux me saisit. Les heures passent et aucun des deux n’est rentré. Puis le soleil décline ; je vois des Anges danser devant moi. « Non, ne rentre pas ! Il est trop tard ! » Jack se tenait derrière la porte. « Qu’est-ce que tu racontes ? » j’ouvris les yeux et une larme ruissela le long de ma joue. « Elle est contaminée Aaron. Elle ne survivra pas ». La porte s’ouvrit avec fracas et il se retint d’avancer vers le lit. « Des aromates, un grand feu et de l’eau bouillante. Elle survivra si tu n’as pas peur d’affronter la mort ! ». Tous deux revinrent plus tard ; les aromates brûlaient en piquant le nez et ils me déshabillèrent pour me laisser nue sur le carrelage froid de l’autel. On me coupa les cheveux et badigeonna mon corps avec un affreux mélange puant censé repousser les poux et les puces, d’après Aaron. On brûla mes vêtements et les leurs ; puis on distilla l’eau que je bus à pleines goulées. Cette cérémonie de purification dura des heures et des jours ; peut-être deux ou trois. Aaron me faisait boire du vin, du lait de chèvre un peu caillé, me laissait en haut du clocher à l’air pur selon son expression et je sentais les forces me revenir. « Comment te sens-tu ? » Chaudement vêtue de haute chausse, de chemise de bure et de cache col, je tentai un sourire ; Aaron s’assit près de moi et contempla le village en contrebas. « Nous avons vaincu cette damnée peste et tu peux t’en féliciter. Il faudra qu’on s’habitue à ta nouvelle
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frimousse. Moi qui me suis donné tant de mal pour que tu ressembles à quelque chose. Tiens, je t’apporte du vin et de quoi grignoter. Il s’avère que notre Jack sache où trouver de la nourriture de qualité. Il te faudra le remercier de t’avoir remplumée et de t’avoir trouvé ce cuir de bonne qualité. Ce dernier te prémunira des piqures de puces. Tu devras te badigeonner d’huile, celle-ci est particulièrement efficace (en me tendant une fiole) et je l’ai conçue pour l’occasion. Je ne tiens pas à manquer de te perdre à nouveau ». Front contre front on resta un moment ainsi ; les yeux fermés, il enserra ma nuque entre ses doigts et caressa mon crâne rasé. Encore du chou, de l’oignon et du mouton. En bas les aromates brûlaient continuellement et Jack torse nu en était à ses soins. En me voyant il s’interrompit. « Il est sortit. Pourquoi n’as-tu pas touché à ton assiette ? »
« Ils sont nombreux à nier leur existence. Pourtant ils sont là, reclus, vivants en dessus de la terre ; là où n’existent que les ténèbres et là où la folie dévastatrice de l’homme ne peut trouver écho. Ecoutez
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bien et vous les entendrez vous murmurer ceci :‌ 
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[Epilogue]
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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France
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