Taverne du Passé

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(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

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LA TAVERNE DU PASSE [Sous-titre]

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Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]

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MEL ESPELLE

LA TAVERNE DU PASSE

Polymnie ‘Script

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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

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[Dédicace]

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[PrĂŠface]

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Chapitre 1

Il y avait du monde ce soir au Banjo et quand je ne reçois pas d’invitation je m’y rends avant d’autant plus de zèle que je n’y suis pas attendue. Une vieille fabrique de tabac laissée à l’abandon et repris par les boucaniers ; plus de cent âmes y vivent à l’année et le double y transitent peu avant les ouragans. Une chaleur accablante qui vous coule la chemise à la peau et mon barda sur le dos, je marchais vers le Banjo, les os brisés par le transport sur une mer déchainée et notre embarcation cernée de requins. J’ai besoin d’un remontant. Au baudrier de ma ceinture pendait ma lourde épée, souvenir de mon père officier dans la Royal Navy ; deux pistolets se croisent sur ma poitrine et dans le dos une dague capable de trancher une tête sans le moindre effort ; et à l’intérieur de mes cuisses deux coutelas de chasse dans leur petit fourreau ; un autre dans ma cuissarde et un sous mon gantelet de cuir. Et dans ma besace assez de poudre pour faire sauter deux fois Antigua ou tout autre port occupé par les Britanniques. Un chien m’accompagna jusqu’à la bâtisse. Deux homme se suivirent et changèrent de cap en me reconnaissant et ceux postés devant l’entrée, assis sur leur barrique et caisse se levèrent pour m’escorter jusqu’au Banjo et là, grand silence quand j’entrai dans ce temple de la débauche.

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« Hey, regardez qui voilà ! Une pouliche et lourdement harnachée qui plus est ! Railla un type en s’épongea la bouche de sa manche aussi sale que son trou de balle. Et elle veut quoi notre pouliche ? —J’crois bien qu’elle soit là pour nous soulager, répondit mon escorte de toute à l’heure, appuyée contre le comptoir du bar et m’étudiant de la tête aux pieds. Ça doit valoir combien sur le continent une belle pouliche comme ça ? —Renonces, tu n’aurais pas assez pour me payer. —C’est qu’elle répond en plus ! Tonna un autre qui eut l’erreur de vouloir me toucher. Là ma dague s’enfonça dans sa main et du coude je lui fracassai le nez si fort qu’il s’écroula en hurlant ; par solidarité les hommes s’approchèrent mais j’en désarçonnais deux en les délestant de leur pistolet. « Le premier qui approche ne reverra pas le soleil se lever demain ! » L’un des types assis près de la fenêtre devant un jeu de cartes et un bock de rhum renifla bruyamment et cracha au sol, puis il claqua des doigts et cinq des hommes abandonnèrent la partie. « Offre-lui de quoi boire, sur ma note Molino ; on ne pourrait la laisser mourir de soif. » Et le tenancier fit glisser une chopine de bière, infecte et dans laquelle flottait une mouche tentant désespérément de survivre. « Tu as certainement mieux Molino, je n’ai rien contre du rhum. —Alors il faudra l’acheter. La maison ne fait pas de crédit. La consigne est la même pour tout le monde que tu sois en robe ou en culotte ! Paies moi d’avance ! » Et ses yeux s’écarquillèrent en voyant la pièce briller sur son comptoir ; j’en déduisis qu’aucun de ses clients ne payaient comptant, pas le genre à honorer des dettes et force de constater que tous me fixer de leur regard noir, la main posée sur leur pistolet prêt à me descendre si je continuai à faire la maline. « Je cherche Horatio. » Il me dévisagea froidement en étudiant la pièce avec attention. « Il n’y a pas d’Horatio ici.

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—C’est pourtant bien son navire qui mouille en rade ! —J’viens de te dire, il n’y a pas d’Horatio Il a perdu son navire comme tu dis. Une dette de jeu qu’il a enfin honoré et si j’étais toi je ferai comme si je ne le connaissais pas. —Et qui est donc l’heureux propriétaire de ce rafiot ? Murmurai-je en sortant une autre pièce de l’intérieur de ma veste que je glissai vers Molino. Il sourit en coin, dévoilant ses canines noires. —L’homme que tu cherches est là-bas, ce barbu. Un Espagnol de la Havane, un Créole qui a un peu la dent dure. Son nom est Fuertes, Rodrigo Luis Fuertes appelé El Barillo. Il sait se faire respecter parce qu’il n’a pas le moindre état d’âme. » On me dévisageait sur la droite. Un bel homme, probablement Espagnol lui aussi avec sa moustache à la mousquetaire et son ténébreux regard. Il fronça les sourcils et se rapprocha sournoisement sans lâcher sa chopine de tafia. « Salut ! » Il fixait mes lèvres avec concupiscence ; ce soir je ne dormirai pas seule. « Bonsoir. —Ton entrée fut très remarquée. Je conçois que le Crabe soit un peu rustre mais cela ne justifie pas le fait qu’il eut failli le planter. Il s’agit de l’un de mes gabiers et…tu viens de le rendre invalide. J’attends donc de toi une indemnisation journalière à hauteur de six cens par jour travaillé et sur une période d’un mois. Si tu refuses et bien…il nous faudra trouver un autre arrangement. Après quoi tu continueras notre compagnie en ayant de bons souvenirs à rapporter aux Anglais. —Mes compétences en navigation sont limitées, mais je peux être utile à la barre et dans les grès. Mon dernier maître d’équipage n’a jamais trouvé à se plaindre de mon travail et quelque soit votre coque j’accepte d’y faire quelques corvées et s’il est contre indiqué que ton matelot travaille sur le pont, je me verrai donc honorer de faire partie de ton équipage à moindre coût.

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—Nous n’acceptons pas de femmes à bord de notre brick. Je parlais d’un autre arrangement. » J’avalai mon rhum cul sec et l’alcool me brûla la gorge. Avais-je donc perdue l’habitude de boire ? Les yeux de l’étranger se posèrent sur ma gorge où pendaient mes médaillons sous mon foulard noir. Il fit signe à Molino qui me resservit un verre. Ma vision s’embrouilla. Les discussions reprirent autour de nous. Un brouhaha dense me rappelant l’ambiance des bouges dans lesquels j’avais l’habitude de descendre. « De quel arrangement parles-tu ? —Cette île est étroitement surveillée par les Anglais qui eux sont ennuyés par les Espagnols. Ils font donc avoir des couilles pour venir les narguer en sachant qu’on risque tous la potence si nos navires se voient être saisis. Si tu n’as pas une bonne raison d’être ici, alors je ne vois vraiment pas pourquoi prendre autant de risque ? C’est l’appât du gain qui t’intéresse. Alors dis-moi ce que tu es venu chercher ici. —L’aventure comme tout le monde. —Et cette aventure aurait-elle un nom ? Il n’est pas habituel de voir une créole, jolie de surcroit, trainée dans les parages. » Sa main glissa vers la mienne ; j’avais le choix entre la dégager prestement ou la laisser sur le bois dépoli. J’optai pour le premier choix. « Parles-moi un peu de toi. Quelles sont tes motivations ma belle ? » On se rapprocha de nous et les oreilles indiscrètes s’ouvrirent bien grandes. L’étranger ne me lâcherait pas, voyant en moi une proie facile à baiser dans un coin et à oublier après m’avoir fait les poches. L lorgnait sur mes médaillons et ce qu’il y avait en dessous : cet espace de chair rebondie où bien des regards se pose avec plus ou moins d’appétit. « A-t-elle un nom notre belle créole ? —Et toi, Hidalgo ? —Ah, ah ! Alors pour toi je suis un renégat espagnol ? » Des éclats de rire survinrent et l’un des marins, un foulard sur la tête s’installa sur ma gauche, l’œil veiron et les épaules larges, celles d’un taureau. Adossé au comptoir, il croisa ses bras musclé sur sa vaste poitrine ; une barbe de trois jours recouvrait

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son menton en pointe et il reprit en riant : « Un Espagnol qui aurait manqué par deux fois la corde. » Railla-t-il de sa voix caverneuse. « Je suis Gallois mais cette partie du monde doitêtre inconnu ! » Sa remarque fut suivit par des gloussements. « Un Gallois qui n’a plus rien d’un sujet du Roi George si l’on juge cette égratignure, et il arbora la cicatrice placée sous sa jugulaire. Mais la mort n’a pas voulu de moi, je suis donc en sursis. Et toi, d’où est-ce que tu viens ? —Elle a appareillé sur le Skull avec Humphrey ! Répondit-on derrière moi. Port de départ Nassau. Cargaison de tafia. Humphrey n’est pas regardant sur la qualité de son équipage, ce petit mousse a probablement d’autres qualités qui lui ait fait valoir cet embarquement. Répondit le second du Veloce, un dénommé Pickwick portant des favoris descendant jusqu’à ses lèvres émaciées. Œil de faucon et nez aquilin, il portait une tenue d’officier défraichie certes mais qu’on eut deviné élégante en son temps ; et il enchaina avec la même vergue : « Une belle pouliche créole que le vent nous apporte ! On dirait qu’elle te plait, cap’tain ! On n’en trouve pas des comme ça de part et d’autre du globe. Molino ! La prochaine est pour moi ! Pousses-toi un peu Bull ! » Le large d’épaule s’exécuta en maugréant dans sa barbe quelques obscénités. Et il eut suffit d’en parler pour qu’Humphrey apparaisse suivit de ses sbires. Son pas lourd résonna contre le parquet aux lattes défoncées et il prit immédiatement place entre Pickwick et moi, toisant l’assistance de deux bonnes têtes. Immédiatement Molino lui servit à boire. Notre homme la tête penchée fixa la timbale de bois. « Des soucis avec ma passagère Hutchinson ? —Pas que je sache nous faisions connaissance, répondit le Gallois prit de cours. Humphrey estimait qu’il était dans son devoir de voler à mon secours. « Elle ne croit peut-être pas bon de discuter avec toi. Tu pues le marécage et tes manières sont celles d’un négrier arrogant, de ceux qui ont le toupet de venir

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mouiller dans ces eaux après avoir pactisé avec le Diable. Je te croyais du côté du Brésil. —Possible que je sois là pour trouver un commerce plus fructifiant ? J’ai appris qu’on te traquait d’une mer à une autre avec une forte prime sur ta tête. Tu aurais coulé deux vaisseaux de l’Amiral Kingstree. Cela s’arrose non ? Molino ! » La bouteille glissa sur le comptoir. « Je préfère célébrer cette victoire seul. » Ses grandes mèches blondes caressaient son visage ovale et si parfait ; malgré ses airs paisibles et doux sommeillait un lion prêt à tailler ses ennemis en morceaux. « Alors ta petite passagère boira en ton nom ! » Sa main large et gantée de cuir se referma sur la ridicule timbale. Je le sentais agacé, contrarié par ce Gallois aux joues saillantes et aux lèvres bien dessinées ; on lui faisait concurrence et comme tout mâle qui se respecte, Humphrey ne supportait pas la rivalité. « Et qu’est-ce qui t’emmène ici Humphrey ? Surement pas ces rachitiques indiennes », à l’aide de ses dents il déboucha le brandy et m’en servit un verre posté sur ses gardes ; à tout moment le bel ange pouvait se réveiller et devenir un démon assoiffé de sang et de chair humaine. « Oui je cherche un peu de calme. Est-il possible d’en trouver ici ? —A moins que tu ne provoque une bagarre, l’endroit est connu pour être paisible. » L’Espagnol avait disparu avec ses hommes et entrèrent deux négresses qui aussitôt se mirent en chasse, la robe soulevée sur leurs cuisses fermes. L’un des hommes en empoigna une par la taille, lui glissa quelques mots à l’oreille et la baisa là contre le mur. L’autre résista de son côté avant d’écarter les jambes et se laisser monter sur la table, le sein découvert et malaxé brutalement par la main du flibustier. Les doigts de Hutchinson m’effleurèrent. Le message fut on ne peut plus clair : il voulait me baiser. « Alors Humphrey ? —Je ne sais pas si l’information vaut ce qu’elle vaut mais la petite créole disait chercher Horatio, lança

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Molino appuyé sur un coude et reniflant pour cracher un liquide assez important pour remplir le port de Kingston. —Horatio ? Sourit Hutchinson affichant un rictus au coin des lèvres. Et qu’est-ce que tu lui veux à Horatio ? —Il a quelque chose qui m’appartient, répondit Humphrey sans lever le nez du pilier, faisant tournoyer la timbale entre ses doigts. On dit que Fuertes lui aurait fait sa fête…vous commencez les festivités sans moi ? —On peut parler d’un différend entre Fuertes et lui. Je ne me mêle pas de leurs histoires. Que dis-tu être venu chercher à part la tranquillité ? Avec ce mulâtre on ne s’attire que les pires ennuis. L’exemple de la Havane aurait du te servir de leçon. Si tu as des ennuis avec lui, il faut maintenant passer par Fuertes. Il possède ses biens par voie de faits. Une dette reste toujours une dette. —Je te crois oui. Et où peut-on le trouver ? » Silence autour de nous ; seules couinaient les négresses et leurs amants s’encourageant à donner le meilleur d’eux-mêmes dans ce bestial coït. D’un signe de tête notre Gallois intima un ordre à Bull qui disparut subrepticement suivit par deux autres. « Il ne sera pas en état de parler ; l’alcool a eu raison de notre mulâtre. » L’alcool ou autre chose de plus expéditif. Humphrey retourna alors son verre et se tourna de trois-quarts vers son interlocuteur ; une mince cicatrice barrait son œil gauche et malgré cela il restait beau comme un Dieu. Je lui donnais des affiliations au dieu Neptune ; barbe de trois jours sur sa peau tannée et yeux tendres vert d’eau contrastant tant avec son teint. Près de cet homme je me sentais renaître. Accoudé il fixait la Gallois sans sourciller. « Expliques-moi. Horatio est le seul forban de toute cette flotte à ne pas boire. » ils se toisèrent du regard et en moins de deux, Humphrey sortit le sabre de son épée pour le braquer sous le menton du Gallois et derrière lui j’orientais mes pistolet sur les cibles les plus exposées à mes balles. « Tu sais que c’est une mauvaise idée.

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—Nah ! Dis à tes hommes de poser leurs armes. On va discuter toi et moi. A l’extérieur comme de vieux amis qui auraient des choses à se dire après une longue absence. —Baissez vos armes ! » Tous s’exécutèrent et Humphrey lui indiqua la sortie. On fit quelques pas au milieu des cases éclairées par quelques lanternes ; là discutaient quelques marins sur les genoux desquels des jeunes négresses gloussaient. Et là devant un petit estuaire, Hutchinson s’arrêta ; Humphrey rengaina son arme et le pied sur une caisse posa son coude sur sa cuisse. « Tu sais que je t’aime comme un frère, jack et j’aimerai que nos relations restent inchangées. Il y a eu des tensions entre nous comme dans n’importe quelle famille mais je sais que tu ne m’abandonneras pas. C’est toi qui es venu me chercher à Kingston alors qu’on s’apprêtait à m’exécuter. Par conséquent j’ai une dette envers toi —J’ignore si j’ai eu raison ce jour-ci. —Horatio est venu en disant avoir mis la main sur un objet. Ceci a attisé la convoitise et la curiosité de l’Espagnol tout à la fois. Comme il ne voulait pas l’ouvrir, les hommes de Fuertes l’ont un peu molesté. Tu connais les méthodes de l’Espagnol n’est-ce pas ? Il pourrait faire parler un crustacé à force d’acharnement et… —Où est-il ? —Que ta petite créole me dise son nom et ensuite je te dirai tout ce que tu veux savoir à ce sujet » Humphrey se tourna vers moi et acculée je pris une profonde inspiration sans ouvrir la bouche pour autant. « Demande-le lui gentiment et elle te le donnera. —Comment t’appelles-tu joli cœur ? —En quoi mon nom t’importe-t-il ? Nous ne serons pas appelé à nous revoir. Le pays de Galle est assez loin pour que je m’en soucie ; je n’ai aucune raison de m’y rendre et de t’y croiser. Par conséquent oubliesmoi.

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—Ah, ah ! Elle est piquante. Tu sais qu’elle me plait Humphrey. Si tu l’avais vu dompter mes hommes…une sacrée dextérité qui nous a tous laissé sans voix. On n’est pas prêt de t’oublier ma jolie. Ton nom me servira seulement à illustrer les souvenirs de cette mémorable soirée. Tu connais le mien par conséquent la bienséance voudrait que tu me donnes le tien. —Dessaye, dit Petit Pas. Maintenant dis-nous où est Horatio ! —Et ton prénom ? » Et soudain perçant la végétation retentit un tonitruant : HUMPHREY ! Apparut Fuertes et cinq de ses hommes parmi les plus costauds. « Tu ne crois tout de même pas faire la loi ici, hombre ! On a accepté ta catin sans faire d’histoires mais toi ! TOI ! Tu repars ce soir avec ce qui te sert d’équipage ou l’on saisit ton navire par la force des choses ! —Ravi de te revoir, hombre ! Je me disais bien que tu finirais par sortir de ton trou à rats. Pour moi ce n’était qu’une question de temps, fustigea ce dernier en dévissant son adversaire du haut de son imposante stature. Tu empiètes sur mes affaires et…tu sais que je sus un peu susceptible quand les escrocs de ton genre chatouillent mon égo. —Toi et ta putain vous quitter l’île. Il n’y aura pas d’autres sommations. » Il leva le poing mais il fut intercepté par Humphrey qui contraignit ce dernier à se faire tout petit. « Je ne veux pas que tu saccages cet endroit comme tu l’as fait pour tous les autres que tu as visité! —Je me fous de ce que tu penses. Nous sommes venus ici pour faire l’avitaillement en eau et en vivres, payé rubis sur ongle. Qui pourrait m’en blâmer ? Mais si les lois de l’hospitalité sont bafouées, alors nous repartirons comme nous sommes venus : en préservant cette île de tout désordre. » Dans la cabine d’Humphrey j’étudiais un sextant posé sur la tête, perdue dans mes pensées. Humphrey, lui consultait ses cartes cherchant un plan de route pour son brick faisant route sud-sud-est depuis une heure. L’ambiance ici restait pesante, la faute à cette

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excursion sur cette ile ; un fâcheux contretemps puisque sans nouvelles d’Horatio. Faute à ce bâtard de Gallois, cela va sans dire. A la lueur d’une lampe, notre capitaine ruminait son cuisant échec. Nous pouvions rester de longues minutes sans parler, chacun respectant le silence des autres. Je posai l’instrument de navigation et m’assis sur le rebord de la table, les bras croisés sur la poitrine. « Comme convenu avec ou sans ton Horatio je te dépose à la Havane, je te rembourserai de moitié à destination. —J’y compte bien. Ce Fuertes a ouvert les hostilités et tant qu’Horation ne m’est pas revenu, je vivrai dans la tourmente de voir sa tête au bout d’un piquet s’il n’est pas abandonné sur une île déserte pour avoir bravé toutes les chartes du bon pirate des Antilles. Et toi ? Que feras-tu ensuite ? Sur quelle partie de la carte jetteras-tu l’ancre du Skull ? —Je le garde pour moi si tu le veux bien. » Grande déception ; après des semaines de navigation en sa compagnie, il ne pensait pas valable de partager certaines informations avec moi. Son second dit La Mouche dirait que : Je ne suis qu’une femme et que nul homme censé en ce monde ne devrait faire confiance à une chatte ! J’attrapais un compas et le fit tournoyer au bout de mes doigts. Plongé dans l’étude de ses cartes, il n’entendit pas frapper à la porte du Skull. « Cap’tain ! Une voile à bâbord. Un clipper qui sait qui va plutôt vite, déclara le gabier Paddle dans l’encorbellement de la porte, la moue dédaigneuse. Les hommes attendent tes ordres ! » On quitta donc la fraicheur de la cabine pour joindre le pont. Le Skull anciennement brick anglais de 27 canons filait toutes voiles debout ; une belle prise permettant de parcourir de longue distances en peu de temps et pour le manœuvrer pas moins de quarante hommes parmi la fripouille grimaçante des ports de la flibuste. « On fait quoi capitaine ? Questionna La Mouche en lui tendant sa longue vue. Dans peu de temps il sera sur nous et pour l’heure nous ne connaissons pas ses

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intentions ni son pavillon. Quelles couleurs capitaine ? » L’œil braqué dans la lentille de sa lunette, Humphrey laissa apparaître des pattes d’oie à son œil plissé. D’un claquement sec il le referma et se lécha les lèvres. —Dans moins de quarante minutes. Au changement de quart, je veux tous les hommes à leur poste ! Mettez les couleurs de l’Espagne s’il s’agit d’un Anglais et inversement. Laissons-les croire qu’ils auront l’avantage sur nous. » Quarante minutes plus tard la vigie annonça un clipper. Le vent tomba et ce ne fut qu’aux aurores qu’il apparut dans notre sillage. Le clipper de Hutchinson qui à sept heures cracha ses boulets ; une façon bien sournoise de rentrer en contact avec Humphrey. Les boulets frôlèrent la galerie soulevant des geysers d’eau dans ce fond clair. Sur le parapet, dans les vergues et dans les grés, les hommes du Skull maudissaient la hardiesse du clipper passant d’un bord à bord pour mieux ajuster les tirs et nous démâter. Sur le pont l’agitation était à son comble, les ordres succédaient aux ordres ; toujours maître de lui Humphrey les jambes écartées devant la galerie, les bras croisés dans le dos, fixait le clipper en cogitant sur les intentions du Gallois. On vira sur tribord ce qui nous permis d’éviter de justesse un boulet de 23 livres et le sang palpitant furieusement dans mes veines je serrai le fourreau de mon épée tout en touchant mon médaillon. Nouvelle salve. Pas de ripostes de notre côté. Humphrey n’avait pas l’intention de gaspiller l’énergie de son équipage pour satisfaire aux exigences du Gallois. Et puis le Skull réduisit sa vitesse. Allons bon ! « Tous sur le qui-vive ! Brailla La Mouche de sa voix cassée. Il se caressa la barbiche, grimaçant en voyant le Veloce prendre de la gite pour glisser sur notre tribord. Montrez à ces chiens que nous savons de l’honneur ! Poursuivit le second pestant intérieurement comme tout homme manquant l’occasion de se distinguer dans ce qu’ils disent de l’exercice en haute mer.

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Quand le Gallois monta à bord, tous l’accueillirent par un cinglant silence. Dans son costume noir et gilet à brocard, Hutchinson afficha un sourire ravi. « Que faut-il faire sur cet océan pour obtenir une invitation à bord du Skull ? Tes hommes sont toujours aussi prompts au combat. Nous aurions pu vous couler, corps et biens. Une tragédie de plus à ajouter à l’anthologie des pertes les plus tragiques de l’histoire maritime. Allons discuter mon ami ! » Une heure plus tard on me réclama en cabine. En plein jour la cabine du capitaine du Skull ressemblait à s’y méprendre à la caverne d’Ali baba avec ses breloques : épées accrochées au mur, les cartes maritimes roulées ici et là, ses sphère représentant le globe et ses instruments de navigation ; on y trouvait également des coffres de maroquin vert, des plantes dans leur pot, des livres ; un luth et une mandoline, un crâne posé sur la petite table, une carapace de tortue, un singe empaillé, des plumes d’aras, un portrait de ce qui devait être un aïeul de ce dernier dans son costume de la Royal Navy. Une bannette servant de lit à coucher dissimulé sous une toile, du mobilier de style élisabéthain et un tapis d’Iran. Là vautré sur son fauteuil Humphrey la jambe repliée sur l’autre trônait au milieu de son bric-à-brac. « Hutchinson dit que tu connais le capitaine Clark Borough. Comment ne suis-je pas surpris ? » Mon attention se porta sur la Gallois appuyé contre le rebord de la table, les bras croisés. Clark Borough. Une longue histoire. « Possible oui. Le globe n’est pas si vaste qu’on le prétend, répondis-je in-petto en dissimulant mon sarcastique sourire. Tout le monde connait Borough. C’est une légende de ce coin ci du monde. La West Indies semble être son terrain de prédilection. C’est un busard revenant toujours au même endroit pour chasser. » Humphrey quitta sa chaise, l’épée pendant sur sa jambe épaisse. De sa haute taille il me toisa, remarquant à quel point je savais rester calme.

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« Nies-tu avoir servi cet homme d’une façon ou d’une autre ? —Il a bien valu que je gagne ma vie et Borough me permit d’accéder à un certain statut. J’étais sans le sou, livrée à moi-même et décidée à ne pas mourir de faim. Il fut mon salut. —Avant ou après avoir rejoint la Confrérie, lança Hutchinson. L’un de mes hommes dit t’avoir vu avec lui à Kingston il y a trois mois de cela. Un tel visage ne s’oublia pas qu’il m’a dit et je n’ai pas de mal à le croire. Comment peux-tu alors te pointer auprès de nos frères et revendiquer cette appartenance à notre Confrérie ? » Silence navré. Humphrey l’est d’autant plus qu’il m’a engagée. La tête baissée et adossé contre le chambranle de la porte, il devait se sentir trahi. « J’avais des informations à échanger. Cela ne vous concerne pas. —Mais peut-être Horatio ? Poursuivit Humphrey. Tu devais me conduire à lui et ensuite ? Quel était le plan ? Je suppose qu’une flotte nous aurait interceptés à la Havane ? —Horatio est…un membre de ma famille. Quand j’ai su qu’il était en vie j’ai tout mis en œuvre pour le retrouver. J’ai grandi avec la certitude qu’il était toujours en vie. —Tu vas quitter le Skull pour des questions d’ordre éthique tôt ou tard mes hommes l’apprendront et je tiens à conserver l’unité sur ce brick. Tu auras de l’eau et du pain pour trois jours. Advienne de toi qui pourra, je ne suis pas responsable de ta destinée. » Docilement je me laissais conduire sur un petit ilot d’à peine six acres. Du pain et de l’eau, mes effets personnels et rien d’autre. Comment pouvais-je accepter ce sort ? Etais-je résignée à mourir ? Le canot s’éloigna ainsi que le Skull et le Veloce et puis plus rien que ce soleil de plomb. Etrange non ! Je ne devais pas plus que cela tenir à la vie. Une luxuriante végétation et des oiseaux exotiques plein les palétuviers et palmiers ; pour survivre trouver un plan d’eau et une source d’alimentation capable de me

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sustenter le plus longtemps possible. Il ne fallait pas se leurrer : aucun navire ne passerait jamais par ici… J’y trouvai de l’eau de source mais point de nourriture que ces pousses, baies et coco immangeables. Trouver le point culminant de l’île pour y installer un observatoire et y faire brûler un feu pour signaler ma position. Quand le soleil déclina j’en étais encore à dresser un abri de fortune sur ce que je définis être mon camp de base. La nuit fut terrible, froide, paralysante et angoissante au plus haut point. Je n’ai pas trouvé à dormir, veillant au coin du feu, frissonnante dans mon manteau, persécutée par des moustiques, des araignées grosses comme un poing et des cloportes s’introduisant partout. Au petit matin je dormis sur la plage à l’abri d’une feuille de palmier. Le temps sembla durer une éternité et assise là, face à la mer je maudissais mon sort, celui d’une octavonne de la Nouvelle Orléans. Je me revis dans le bordel de Madame Lamarque connue sous le nom de Chante-Muraille soit disant pour son éclatant timbre de voix identique à du cristal. Tout le monde la connaissait à la Nouvelle Orléans. On venait de loin pour se payer les filles de Lamarque, saines aux grâces exotiques. Du haut de mes huit ans je travaillais dur : repasser le linge, laver les parties communes, lessiver le linge et le faire bouillir, lustrer l’argenterie, polir le cristal, éplucher les légumes, vider la volaille et courir servir les filles pour serrer leur corset, tresser leurs cheveux, les farder et s’assurer qu’elles ne manquent jamais de rien. Du lever au coucher du soleil jamais je ne cessais. Les hommes parfois me prenaient sur leurs genoux dont un dénommé M. Ulysse, un grand barbu aux yeux cristallin appliqué à éduquer les filles dont l’ignorance le désolait. « On ne leur demande pas de penser ni de se comporter en femmes du monde mais un minimum serait tolérer. N’es-tu pas de mon avis petite Gabrielle ? » Il avait avec lui des tas de livres, des noms inconnus pour des idées inconnues d’une simple esclave comme moi. Je trouvais cela extraordinaire que l’on puisse détenir un tel savoir en étudiant les

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caractères d’un livre. « Tu aimes les secrets ma petite femme ? » Il m’appelait Ma petite femme ; il m’offrait des sucreries et me caressait tendrement les cheveux. « Tu sais ce que j’entends par secret ? —Oui c’est quelque chose que l’on ne dit à personne. » Il fumait beaucoup, un affreux tabac qui lui jaunissait les dents et alourdissait son haleine. Joues creuses et traits fins, Ulysse passait pour un singulier avec ses anneaux d’or aux oreilles, ses longs cheveux noirs lâchés sur un mouchoir de cou rapiécé ; on lui donnait des airs de vagabonds mais il payait chichement, des louis d’or, de la monnaie espagnole et par la livre anglaise. «Veux-tu entendre le mien ma mignonne ? Alors approches et tends l’oreille. Approches, te dis-je ! » Et dans la chambre où nous parvenait les gémissements des locataires des chambres avoisinantes, je tendis bien grand mes oreilles. « Je vais te raconter une histoire ma douce petite femme. Es-tu prête à l’entendre ? Il y a longtemps de cela, sur l’ile de la Tortue que tu connais également sous le nom d’Tortuga vivait un groupe d’indigènes, un ramassis de païens parmi eux des Indiens et des sangs-mêlés. Tous sont issus pour la même chose, fuir la misère de ce monde ; soit l’esclavage, le joug des puissances d’Europe et la mauvaise fortune. Tu saisis ? Ce n’était pas de la mauvaise graine emportée par le vent seulement des proscrits cherchant à fuir leur condition. Ils formèrent une sorte de communauté à part pleine de remous et d’exploits. On ne donne pas le fouet tous les jours à la mule pour la faire avancer ou cette dernière finira par succomber sous les coups et le désespoir ; il faut l’encourager à courber l’échine en lui faisant accepter que chaque peine mérite salaire et le salaire appartient à la vérité divine. Je fus l’une de ces mules attachée par la gorge et contrainte à peiner sous les fouets jusqu’au jour où la Lumière m’a pénétré : Tortuga. Que dis-tu de cela, hein ? Tu auras beau crier de toutes tes forces, pester contre tes tortionnaires, personne ne viendra te sortir de ta geôle. Ah, ah ! Il faut s’en donner les moyens, briser

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soi même ses chaines et fuir. A Tortuga, il y avait un vieux marin ayant perdu la vue lors d’un combat naval. Il se disait possédé par une force cosmique, empreint d’un message divin ; il avait toujours sa besace serrée contre lui et il fut impossible de la lui prendre. Gare à celui qui eut tenté de la saisir ! Un soir…oui je m’en souviens comme si c’était hier, il brûlait d’envie de parler. N’importe qui aurait fait l’affaire alors je me suis rapproché pour l’entendre il était du genre à marmonner dans sa barbe, psalmodier des choses dénuées de sens ; il passait pour fou mais on le respectait à Tortuga. Alors il a ouvert sa besace en cuir et me tendit ceci… » Je me baissai pour observer ce qu’il tenait dans sa main. Du haut de mes neufs ans je ne connaissais rien du monde depuis tout temps habitué à vivre dans l’ombre. « Tu dois certainement te demander de quoi il s’agit d’un rubis de Burma et tu n’en verras jamais de plus gros… ». Je soupesai la pierre rouge en me demandant quel usage on pouvait bien en faire. « Une fois taillée et dépolie, on le monte sur des parures pour orner le cou des plus belles femmes. Il te plait ? » Je hochai la tête et il poursuivit. « Le vieillard aveugle voulait me voir hériter de sa fortune avant de s’éteindre à jamais. Voilà comment je m’offris un navire, le plus beau navire qu’il puisse être donné de voir : la Sylphide, une belle et harmonieuse frégate. Oui…la Sylphide… » Mes réserves d’eau s’amenuisèrent et la faim me priva de raison. Le chant des oiseaux au-dessus de ma tête fut propice à la sérénité de mon âme ; allongée sur ma couchette de fortune je pensais au mystérieux Ulysse…A douze ans je m’enfuis du bordel après maints passage en établissement de correction. Cheveux courts, mine défroquée et maigreur extrême, on me prenait pour un petit rat d’égout ; le tricorne enfoncé sur la tête j’appris vite à me faire respecter dans la rue. Puis Clark Borough croisa mon chemin. Je venais de me battre pour un morceau de pain et lui mit le voleur en déroute.

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« Tout va bien petit ? Non ! N’aies pas peur ! Je ne te ferai aucun mal… » Il avança vers moi en tendant le bras, dans cette semi-pénombre je ne distinguais que le mouvement de ses maxillaires et ses cheveux bruns serrés dans son catogan. « Si je ne m’étais pas présenté là à cet instant précis, ce bougre aurait eu raison de toi mon garçon ! » Oui j’étais mal fichue, vêtements en lambeaux et visage recouvert de suie, de graisse et de boue ; l’odeur de mon corps suffisait à faire tourner les talons aux chiens errants du quartier avec qui je me battais les restes de repas. Il me lava et soigna mes plaies ; il le fit avec tant d’attention que j’en fus troublée. Jamais encore on n’avait pris le temps de s’occuper de moi. Il me donna à manger et à boire ; je me remplumais et après une semaine de ce traitement j’ouvris enfin la bouche pour le remercier. « Dis-moi d’où tu viens. Pourquoi n’y-at’il donc personne à s’occuper de toi ? » Le lendemain de notre rencontre j’eus mes menstrues, le sang tant décrier par les filles de Lamarque. Je fus en panique à l’idée que cet étranger puisse savoir dans quelle cruelle situation je me trouvais passait pour insupportable. Il s’occupa de moi pendant trois jours ; il devait reprendre la mer à bord de la frégate le HMS Behaviour. « J’ignore si on se reverra un jour mais tâches de rester en vie, d’accord ? » Sur cette plage je m’économisais mais l’insoutenable faim me rendait folle. Cinq jours déjà. J’ai essayé de manger un crabe, même cuit il fut impossible à avaler. J’en fus malade de longues minutes durant et allongée sur le dos, je vis de lourds nuages passer dans le ciel azuré. Et si n’avais-je fait que cauchemarder ? Vivre une vie qui n’était pas la sienne. Avant le bordel de Madame Lamarque il y eut une mère, blanche de peau appelée Marion venue d’un village français inconnu de tous. Un accent à couper au couteau et un franc parlé. M’avait-elle seulement aimée ? « Ecoute, je ne peux pas m’occuper de toi aujourd’hui alors tu resteras avec Célestine. » Mais cette Célestine ne s’occupait jamais de moi ; elle me

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prenait par le coude et me posait sur le banc de la cour où j’y restais des heures, serrant contre moi ma petite poupée de cire. Ma mère avait des dettes qu’elle pouvait honorer et elle me vendit au bordel pour une bouchée de pain. Cela n’avait aucun sens. Pourquoi m’avait-on abandonné ? Pourquoi ce vide dans mon cœur et l’impossibilité de me rendre utile à quiconque ? En ouvrant l’œil je vis le décor glisser de gauche à droite et de droite à gauche ; le cercueil craquait et sursautait. Un gout métallique remontait dans ma bouche et je me souvenais de cette histoire de gars enterré vivant et ayant mis plusieurs heures avant de crever. Sur le pont ! Carguez le cacatois ! Hissez les drisses ! Mes oreilles bourdonnèrent et ma vue s’adapta à mon environnement. Le cercueil paraissait plus grand qu’une canette ordinaire et contrairement aux idées reçues je ne manquais pas d’oxygène ; j’eus crainte de souffrir asphyxiée. La pendaison aurait été préférable ; il n’y a aucune honte à finir au bout d’une corde. Au moins ce mode d’exécution se veut être rapide. Là je discernais des détails comme une lampe, une minuscule ridicule et remplie de cartes roulées sur elles même. Clark Borough viendrait me chercher. A Cuba, c’était là notre lieu de rendez-vous. Le hamac se balançait lentement et je pris conscience du poids de la fatalité : la mort refuserait de me prendre. Borough disait que j’avais de la chance. « Plus vite bande de larves ! On ne vous paie pas pour bayer aux corneilles ! Activez-vous ou vous aurez du fouet ! » Mes couteaux ! Mes pistolets ! D’un bond je me redressai pour m’apercevoir que j’avais été dépossédée de tous mes biens. Mes médaillons ? Il me restait mes médaillons. Sur la table je trouvais de quoi manger et je m’en éclatai la panse en mangeant sans mâcher, le tout arrosé d’un délicieux vin. Je mangeai à pleines mains sans prendre le temps de respirer et bien vite il ne resta plus rien. Mes effets personnels se trouvaient être par terre près d’un foot locker.

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J’allais sortir quand Hutchinson arriva et me barra la route. « Je dois te remercier pour m’avoir sortir de cette île je suppose ? Je peux m’acquitter de cette dette si vous faites cap vers la Havane. » Ce dernier me fixait intensément sans vouloir quitter la porte et ce corsaire devenu pirate par la force des choses m’attrapa par le cou pour me coller contre la paroi étroite de sa cabine. « Il n’est pas question de la Havane pas plus qu’il n’est question de ton magot. Tu vas travailler ici en reconnaissance de dettes et une fois que tu seras libre…si toutefois tu parviens à racheter ta liberté tu regagneras Cuba et Borough, ton mandataire et le plus fieffé des coureurs de Pirates. —Tu m’enchaineras à fond de cale comme un nègre ? C’est ça l’idée ? » Il fixait mes lèvres avec concupiscence appuyant fermement contre ma gorge. Il me voulait, il voulait me prendre ; ses yeux le trahissaient ainsi que son souffle qu’il ne parvenait à réguler. « Je m’appelle Gabrielle et mon prix est élevé. Je doute que tu puisses t’accorder de telles dépenses. —Oui, que ferais-je d’une putain comme toi ? —A toi de me le dire ! Tu sembles étonnement inoffensif mais on m’a toujours appris à me méfier des tournes-savates de ton genre. (Il serra si fort que je ne pus bientôt plus respirer) Arggh —Je te fais une fleur en te laissant en vie, murmura-t-il à mon oreille, mais à tout moment je pourrais te faire passer par-dessus bord. Saches que tu ne m’es pas indispensable et…. » Je le saisis par les couilles qu’il avait pleine et grosse ; son visage se crispa tandis que je serrai du peu de force qu’il me restait. Il me lâcha en décochant un puissant revers de main. Face contre terre, je passais ma main sur mes lèvres pour m’apercevoir que je saignais. Allons-nous en rester là ? je le fis tomber d’un violent coup de pied et avant qu’il ne comprenne ce qui lui arrive il se retrouva son propre couteau pointé au-dessus de son cœur. J’allais le tuer quand il chercha à enfoncer ses doigts dans mes orbites. Je lui assenai un coup de boule mais il trouva

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le moyen de me déposséder de son arme. Revers de fortune. Avec agilité je fis une roulade arrière à la façon d’un acrobate des rues, saisit ma dague pour la pointer vers lui. Il me fit signe d’avancer, une invitation à mourir là sans témoin. C’était lui ou moi. Je pris alors la cabine comme un terrain de jeu ; je m’accrochais au poutre, la dague dans la bouche, sautai autour de son cou, une jambe de chaque côté de sa tête et là je l’étalais dos à terre. Il ne me restait plus qu’à serrer sa tête entre mes cuisses et attendre. Son visage devint cramoisi. Une veine barra son front. Il allait crever et son navire serait à moi. Ce fut sous-estimé son envie de me ficher une raclée car déjà il prit appui sur ses jambes pour foncer contre la paroi du sloop. J’entendis une de mes côtes se brser. Il me martela encre et encore contre le mur pour me faire lâcher prise. Véloce et prompte à me battre je l’étais mais le Gallois avait décidé de ne pas mourir ce jour-là. « Tu es à moi maintenant. Avoue ta défaite. —Jamais de la vie ! Je préfère encre me tuer ! » Et sur ses bonnes paroles saisit la dague que je collais point contre la poitrine. « Approches et je n’hésiterais pas à le faire ! » Il me dévisagea, sourcils froncés, leva les mains en l’air en signe de réédition ; il savait que je ne blaguais pas. Mes forces me lâchèrent et son erreur fut de relâcher la pression ; cet imbécile tenait plus à moi qu’il ne le laissait penser. Cet imbécile voulait une partie du butin et mon cul. Allongée entre ses jambes, il glissa sa main sur mon sein qu’il pétrit, titillant mon téton et nos lèvres se rejoignirent. Il me ferait un bon amant. On roula sur le côté et à présent sur lui colla mon couteau sur sa trachée. « Te voilà être en bien mauvaise posture Tu ignore à quel point je suis cupide et décidée à prendre la place du calife. Ton clipper est rapide et je pourrais acheter la loyauté de tes hommes pour trois fois rien. Qu’adviendra-t-il de toi ? —La mort ne veut pas de moi. » Je poussais un couinement effarouché quand il me retourna et

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appliqua mon arme contre sa poitrine. « Tues moi et tu ne sauras rien de ce qu’il est advenu de ton Horatio. —Sois sûre que je saurais faire parler tes hommes. Depuis le début tu nous mènes où bon te semble. Tu veux une chose que je ne peux te donner. —Oui et quelle est-elle ? » Il me sonda du regard. A force de me dévorer des yeux, je sentais battre son cœur au fond de son iris et je pouvais le rendre borgne ; ce pouvoir m’appartenait et contre le mur il s’enfonça en moi, sa langue tournoyant autour de la mienne. Chaque coup de rein me fit pousser des gémissements d’aise. Moins brutal que Borough il prenait son temps de me limer et les yeux dans les siens, j’entrevis le paradis. Il encadra mon visage entre ses mains et s’activait à me faire oublier le capitaine Clark Borough. De nouveau il prit ma bouche tandis que l’orgasme perturbait mes sens. Le serrant dans mes bras, je me sentis vaincue. J’ai tué un homme quand j’avais treize ans. Mon premier. Ce dernier avait tenté de me violer. Rachitique et pas très bavarde on me prenait pour ces malheureux morveux du quartier le plus pauvre de cette ville. Le type buvait comme un trou et rotait vous attrapant par le cou de son épaisse main pour vous botter le cul. « Toi mon mignon ! J’ai besoin d’un mousse et tu feras parfaitement l’affaire pour 3 shillings par mois ! » Puis il commença à hurler, déclarant à qui voulait l’entendre que je l’avais volé, délester de son argent et il se pencha sur moi. « Si tu tiens à rester en vie, donnes moi ce que je veux, mon mignon ! » Je le mordis pour me défaire de son étreinte et plus tard il me retrouva, me gifla et baissa ma culotte pour constater l’absence de pénis entre mes jambes. « Ah, ah, ah ! Une fille ! C’est une petite femelle que nous avons là ! Et bien soit je m’en contenterai ! » Il allait me sodomiser quand la lame de mon couteau s’enfonça dans son bas-ventre. Il agonisait et je lui tranchai la jugulaire. Le sang et la mort ne m’effrayait pas. « Terre ! Terre en vue ! » Criait-on sur le pont. La porte s’ouvrit avec fracas sur le dénomme Dent-noire

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en raison de ses dents noires causées par le tabac à chiquer. « Doit-on accoster ? Quels sont tes ordres ? On dirait que tu n’as pas perdu de temps, railla ce dernier en constatant mon état, je croyais que tu n’y toucherais pas. —Hum…Joli cœur est notre passager. A ce titre qu’il soit traité avec égards. Mettez le cap sur cette ile nous y verrons le plein de vivres et d’eau fraîche !

A la lueur de la lampe, Hutchinson à l’autre bout de la table me fixait me voyant manger avec avidité et boire jusqu’à plus soif. « Alors ? » Derrière mon verre, je l’interrogeai du regard. « Alors quoi ? —Quelle est donc cette chose que tu ne peux me donner ? Questionna-t-il en laissant apparaitre ses rides d’expressions. Il me prenait de haut, ravi d’avoir pu s’adonner à des plaisirs charnels. Pourquoi avoir fait tant de mystère sur ton prénom ? Il n’eut pas été difficile de me le donner dans ce tripot. De qui te méfiais-tu ? Fuertes est un peu lent d’esprit et actuellement il poursuit le mauvais navire. Il figure que tu te trouves être sur le Skull avec la fortune de Frey. —J’aime beaucoup Humphrey ! Lançai-je en me tapotant les lèvres. Il est si méthodique que cela frise l’indécence. A ma connaissance il n’y a aucun homme qui lui arrive à la cheville et maintenant que nous avons baisé comme des amants je suis en mesure de te faire quelques confidences sur l’oreiller : je me suis entichée de cet homme. » Il se redressa sur son séant et fronça les sourcils. « Combien d’argent as-tu engagé dans la partie ? Quel navire as-tu hypothéqué ? L’amiral Kingstree recherche trois de ses frégates et Humphrey contrairement à moi ne négocie aucune lettre de change avec les Espagnols.

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—Cela ne fait pas de toi le Maitre Absolu des Océans ! Tu n’as rien du Dieu Neptune excepté peutêtre l’aura, mais tu ne restes pas moins un mortel. —Horatio est dans les cales du Veloce. J’ai tiré profits de cette diversion offerte par votre présence chez Molino pour le déplacer et avoir de quoi marchander. C’est bien de cet arrangement auquel je faisais allusion et d’aucun autre ; l’appât du gain te caractérise et aujourd’hui plus que jamais te voilà être à quémander mon soutien. —Quelle noirceur d’âme ! J’en suis toute…surprise. Me serais-je donc fourvoyée en m’accoquinant avec toi Hutchinson ? Tu pactises avec le diable et les marins sont assez superstitieux pour ne pas voir en moi la réincarnation du mal. Je recherche un dénommé Solomon Wald. Ce dernier m’a volé ; c’est un corsaire, grand amateur de frissons dans les mers des Caraïbes après un rapide passage dans les eaux chaudes de l’océan indien. —Je connais Wald. Il est de mèche avec ce Borough, l’ignores-tu ? Pendant que tu bossais dans ce bordel à soulager les clients, nous avions tous deux un ennemi en commun : les Français. il nous arrivait de poursuivre des pirates pour ne pas perdre la main. J’ai appris beaucoup en fréquentant cet homme que l’on dit être possédée par quelques mauvais esprits. » Des tas de légendes circulaient sur cet homme : il aurait tué sa femme, dévoré son corps et brûlé ses enfants. La raison l’aurait abandonnée quand il surprit son épouse dans les bras d’un autre ; il passa du côté obscur après avoir fait sauter un vaisseau du Roi. Une lettre de l’Amiral exhortait toute la flotte à l’arrêter pour qu’il soit jugé. Or sa devise restait : Nulle patrie pour les criminels ! Sanguin, calculateur et cruel Wald contribuait à faire régner le chaos sous ces latitudes. « Il traque les pirates sans répit pour s’éviter la corde. Il m’a vendu deux fois à ces cupides britanniques. On peut parler d’entente cordial entre nous. Possible qu’à notre prochaine entrevue nous soyons tous deux dépourvus d’humour. »

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On me descendit auprès d’Horatio qui enchainé au fond de ce navire dormait la tête penchée sur sa poitrine. Le mulâtre grogna dans son sommeil ; un foulard rouge recouvrait la moitié de son œil rendu inutile par le tir d’un mousquet. Son unique œil vert cerclé de gris me dévisagea et accroupit devant lui braquais mon pistolet sur sa poitrine. « Charmant accueil Gabrielle ! A moi aussi tu as manqué. » Une voix grave et monocorde. Il passait pour un sorcier avec cette allure spectrale soulignée par des pommettes hautes et saillantes, son œil grisvert, sa bouche large à la moue contrariée et ses créoles pendant à ses oreilles. « On dit que tu me cherches et je n’en suis pas surpris. Il n’y aura jamais assez de distance entre nous. Il te faudra assumer seule tes propres erreurs mon enfant ; j’ai pour l’heure fait mon devoir de repenti. —En parlant un peu trop à ce Fuertes à quelques jours de mon arrivée sur cette île des Bahamas. Tu savais que Fuertes te presserait de questions au sujet de cette possession. On raconte qu’ils t’auraient fait boire. Je ne suis pas impressionné par leurs méthodes basses et viles comme celles de la pire des catins muée par un exaltant désir de liberté. Qu’en as-tu fait ? Où l’as-tu enterré ? —Ah, ah ! Et ensuite tu me tueras comme tu l’as fait pour Briggs et Labaff. A moins que tu me donnes à ce Borough ! Quel genre de contrat as-tu passé avec ce chien d’Anglais ? —Ce chien d’Anglas comme tu dis m’assure des laissez-passer et l’affranchissement de taxes douanières. En somme rien qui ne puisse enrichir la Compagnie des Indes orientales. Jusqu’à maintenant l’Empire britannique ne porte aucun grief contre moi. Seulement dit-on mes fréquentations laissent à désirer et il y a longtemps que j’ai tiré une croix sur le bal du gouverneur de Kingston où se presse la bonne société.

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—N’est-ce pas ce que tu voulais ? T’affranchir de toutes commisérations pour gagner le respect des hommes ? —Pas tout à fait ! » Le clipper gita et je me retrouvais projetée contre le bois. Mon brick mouillait à Antigua où mon fidèle Pollux attendait le moment d’appareiller vers la Havane. Mon brick Medusa prouverait une fois de plus qu’on pouvait être une femme, bon capitaine et maître de manœuvre. Mon deux mats grées en carré à faible tonnage me plus au premier regard ; il me fallait un premier navire et après avoir fait le tour des barques, bisquin, brigantin, clipper, flûte et goélette je jetai mon dévolu sur cette rapide embarcation que je baptisais Medusa en référence à cette créature de la mythologie, pétrifiant d’un regard quiconque le fixait. « J’avoue vouloir bien plus que leur respect. Il me faudrait toute une éternité pour faire le feuil de cette vie si l’on m’en suggère une autre. Non je n’attends rien de personne ! Rodriguo Lui Fuertes poursuit le Skull voile au sud quand nous poursuivons plein ouest vert Cuba. Il leur faudra plusieurs semaines pour se rendre compte de la supercherie et plusieurs mois pour s’en remettre tout à fait. Ce qui nous laisse assez de temps pour accomplir ce que nous avons à accomplir, Horatio. —Et ensuite ? —Ensuite quoi ? Chacun reprendra sa vie où il l’a laissée ! je retournerai sur Medusa et je continuerais à convoiter le bien des autres. Je suis devenue douée à ce jeu-là et tend à exceller dans ce domaine. Plaise à toi de collaborer ou non ! » Deux navires anglais ouvrirent le feu, de prétentieuses frégates escortant une goélette ; derrière la longue-vue je vis la fumée noyer leur coque, les boulets sifflèrent autour de nous et à la proue de Véloce, Hutchinson donna l’ordre de se mettre au plus près d’eux et rapide, le navire glissa entre les frégates pour ouvrir le feu afin de les saborder. L’action me fallut de perdre un peu de mon audition et l’épée à la main j’attendis le signal pour passer à l’abordage. On jeta les grappins sur le

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bastingage de la goélette et les Anglais ouvrirent le feu, ayant attendu l’ordre d’être à portés de mousquets. Passer à l’attaque occasionne des tensions nerveuses ; face aux attaques des pirates, les ennemis préféraient se rendre plutôt que se voir assassinés par ces hors-la-loi. Les marins tombèrent sur le pont du HMS Lively et bien qu’en minorité numéraire on se battit comme des lions. Sortit de cale Horatio pressé de se dégourdir les jambes en tuant à lui seul une vingtaine. Ambidextre je suis à l’aise aussi bien aux sabres qu’à l’épée, mon arme de prédilection étant cependant le couteau que je manipule plutôt bien. Jamais je ne manque ma cible et cela depuis que je sais marcher. Après une heure de combats acharnés, la Lively fut neutralisée et son état-major tenu en joue par les hommes d’Hutchinson. « Tu voulais un vaisseau, celui ci est à toi, Dessaye ! » Il m’offrait ce navire comme d’autre aurait offert un bijou à sa dulcinée. « Que ferai-je de ce rafiot quand je peux m’en offrir une dizaine plus remarquables ? Et qui plus est, que feraisje de cette cargaison humaine ? Ces hommes sont tout juste bon à hisser les couleurs pas pour démâter un pirate aussi prévoyant que le Veloce ! » Horatio gloussa derrière moi et me suivit sur le Veloce. Des plus séduits Bull lança un mousquet à Penny Rose, un mousse à qui l’on offrait de belles perspectives dans la flibuste. « Il y aura toujours à boire et à manger sur le Veloce tant que ses prises sont de belles réjouissances. J’ai pensé que ceci t’intéresserait, persifla Bull en me lança un cylindre, ici on ne fait pas la fine bouche et on a pour l’habitude de prendre tout ce que la mer nous offre y compris les femelles de ton genre. » Francs éclats de rire derrière moi. J’avais tué plus d’hommes qu’eux et assez proprement je dois dire mais aucun ne l’admettrait ; une question d’habitude. Le pont fut recouvert de débris de voile, de grées et des éclats de bois ; Mailley et Berret s’en

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occuperaient, commençant par le misaine montrant des signes de faiblesse. « Nous pourrions accepter la Lively et en tirer un bon prix. —Un bon prix ? Je ne me préoccupe pas de la valeur des choses, cela me laisse indifférent, répondis-je en débouchant le rhum de mes dents pour cracher au loin le bouchon de liège. Ainsi j’ai décidé de ne pas sauver ces Anglais. Un message fort pour le reste de la flotte de l’Amiral Kingstree démentant ici tout délicieux rapport que j’entretiendrais avec le dit-capitaine Borough qui selon mes sources finirait avec le titre ronflant de Commodore. » On entendit la chute des corps dans l’eau, ceux des Anglais que l’on venait d’égorger et jeter par-dessus bord. J’étalai la carte devant moi sans rien y comprendre. Cette dernière représentait SaintDomingue et ses principaux ports. « La SaintDomingue. Pourquoi les Anglais convoiteraient SaintDomingue ? » La porte s’ouvrit avec fracas sur Hutchinson. « Toi dehors ! Ou je te mets au fer ! Quant à toi… mes hommes auraient intérêt à se bouche les oreilles avec du miel pour ne pas t’entendre chanter, maudite sirène ! Hutchinson m’arracha la bouteille des mains pour y boire à son tour. Nous avons étudié le manifeste du Lively et nous allons faire route vers les Petites Antilles. —Tu veux dire la Saint-Domingue ! Alors il s’agit des Grandes Antilles et tu as donc l’intention de me laisser sur place. Je ne te suis donc plus d’aucune utilité… capitaine… et tu as raison de m’éloigner de ton arche. Cependant si tu me tiens à l’écart de ta route… » Volontairement je me tus et joua avec mon médaillon et lui de suivre la courbe de mes seins. Il me remit la bouteille sous le nez et ôta mon mouchoir gorgé de sueur pour me caresser le cou et je ne pus réprimer un cri de surprise quand ses mains se refermèrent là. Il me souleva hors de ma chaise pour me coller contre la paroi.

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« Je ne veux pas perdre de temps avec toi. Alors dis-moi ce qu’Horatio t’a dérobé ! Ce n’est sûrement pas ta vertu. (Il me délesta d’un couteau pour me caresser la jouer de la lame.) Tu te résignes toujours à mourir. Tu as donc confiance en ton avenir à ce point ? A quoi pensais-tu sur cette île ? Je suis curieux de savoir si tu as une âme pieuse. Pries-tu avant de te mettre au lit ? » Je cherchais à prendre ses lèvres mais il se déroba. « Toi et Horatio n’êtes pas très bavards J’étais corsaire avant de m’octroyer cette liberté, somme toute bien méritée. » Je finis par attraper sa bouche et je mordis ses lèvres avec avidité pour le faire lâcher prise ; il m’arracha un cri ; il venait de me déposséder de mon médaillon. « Ce médaillon…je le connais. Il appartenait à un homme que j’ai autrefois connu. Un officier de la Royal Navy, un dénommé Madden un peu trop bercé dans les histoires de piraterie. Il fréquentait une fille à la Nouvelle Orléans qui aurait pondu quelques bâtards qui aujourd’hui doivent écumer tous les tripots et bordel de la Louisiane. —Etait-ce pendant la guerre d’Indépendance ou bien au moment de l’intervention de Cortez dans le Yucatan ? Ce médaillon fait partie de mon patrimoine familial depuis Nabuchodonosor et tu n’es pas autorisé à te comporter comme le pire des amateurs ! (Je récupérai mon médaillon.) J’ai du mal à t’imaginer un corsaire du roi. Tu pourras me dire ce que tu veux tant que je n’ai pas à opiner du chef sitôt que tu te mettras à causer de la Nouvelle Orléans et de quiconque ayant pu avoir un rapport affectif avec moi de près ou de loin. —Humphrey marche dans toutes tes combines. —Il a plus de bon sens que nul autre bien que cela ne fut pas simple. J’ai du œuvrer de longs mois, un violent corps-à-corps ; cela en valait le coup ! Nous n’aurions pas su nous apprécier autrement. Borough quant à lui est un peu trop pressé, c’est un amant fougueux qui multiple ses assauts mais il lui manquerait le discernement et le flair. Il passe trop de

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mer sur mer et pas assez dans les bouges des Indes Orientales à se frotter à la vermine pour étudier l’ennemi de près. —Tiens-tu des comptes quelque part ? Sur la Medusa par exemple ? Je n’ai pas de mal à imaginer une comptabilité précise de ton fond de commerce : le nombre de clients que tu te fais au mois, ajouter à cela le prix de ta passe subissant les variations du marché ; à quoi il faille tenir compte de tes jours de menstrues qui te font perdre le rythme. Une femme comme toi doit valoir un bon prix à Kingston et le double dans la jeune république américaine. —Je te plains de n’avoir baisé qu’avec des putains. —les femmes ordinaires ne s’inscrivent pas dans la même lignée. Toutes veulent se marier, faire un bon mariage et sont loin d’avoir le sens des réalités.

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[Epilogue]

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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

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