Terres sous les Limbes

Page 1

(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)

1


2


LA TERRE SOUS LES LIMBES [Sous-titre]

3


Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]

4


MEL ESPELLE

LA TERRE SOUS LES LIMBES

Polymnie ‘Script

5


© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.

6


[Dédicace]

7


[PrĂŠface]

8


Chapitre 1 Le 14 septembre Louis XVI prêta serment sur la Constitution. Est-ce assez pour modérer le flot vagissant des Sansculottes ? Partout on dit que le Roi est peride et qu’il cherche à perdurer son régime. Honnêtement au Club on ne peut rien d’attendre d’un Roi qui a cherché à fuir le royaume pour se réconcilier avec ces autres despotes régnant sur l’Europe ? On craint la guerre bien que l’on sache les Anglais fort occupés avec leurs propres problèmes intérieurs ; quant aux autres : l’Empire de Prusse, la Pologne et la Russie, tous restent en dehors de notre politique, reléguant au second plan nos conflits. Le 1er octobre, la Constituante devint la Législative mais c’est une sorte d’échec à la démocratie selon les termes de Camille Desmoulins. On s’interroge encore de l’écho de cette Assemblée gouvernée par un monarque avili par son propre lignage ; ensuite il convient d’envisager une réelle séparation entre les divers protagonistes œuvrant dans cet hémistiche. Pour l’heure j’appartiens au camp de Brissot ; le seul qui selon moi ait du bon sens. N’a-t-il pas participé à la Société des Amis des Noirs ? Nous avons tous selon l’avocat vergniaud les chances

9


de nous faire entendre face aux Jacobins et ceux de la droite, « les Feuillants ». Ce fut toute crottée que je distribuais des tracts publié par le journal de notre circonscription, or Paris en comptait 48 et chacune d’entre elles possédent un comité, un commissaire de police, un secrétairegreffier, un juge de paix et ses assesseurs. Dans le local de notre section, les 50 citoyens s’y réunissent pour délibérer sur les élections par des assemblées primaires ; c’est le cœur-même de notre politique. Il est toutefois hardi de gagner le cœur des Contre-révolutionnaires guidés par la soif de paix. Pour ces derniers le concept de République est une utopie ; un terme bien difficile à décrire et encore plus à envisager. Il me faut jouer du coude parmi les riverains du quartier du Marais où pullulent ces réactionnaires. A peine si l’on me regarde. On me bousculait sans même trouver le temps de s’excuser. Je serais bien mieux au chaud à l’intérieur de notre Club. Naturellement ma voix résonne dans cette tribune ; je n’y vais pas pour tricoter ou siffler les frasques de Danton et de Robespierre ; huer le discours de Lazare Carnot ou bien celui de Marat ; ‘j’y vais pour demander la parole, réagir sur tel ou tel autre décret de l’Assemblée. Le Club est devenu mon second foyer. A peine poussais-je la grille que la voix de Dimmon traversa la cour. Ce jour-là se tenait un monde fou, plus que d’accoutumée ; femmes et enfants, notables et sans-le sou. Il fut difficile d’avancer sans lever un voile de contestation parmi le public des plus attentifs. Sur les murs se tenaient les drapeaux enlacés sous laquelle trônait notre texte saint des Droits de l’Homme ;

10


des inscriptions sur les victimes parmi les patriotes ; depuis le massacre du Champ de Mars, les noms succédaient aux noms. Il règne ici un tel brouhaha qu’il faille parfois attendre de longues minutes avant que l’orateur ne puisse poursuivre. On parla fort et avec empressement —ce qui ne parlaient pas tonnaient ou bien applaudissaient à tout-va à qui mieuxmieux, on se serait dit au théâtre—, et en tournant la tête j’aperçus notre député Marceau reconnaissable par sa haute taille et sa belle prestance. Des plus charismatiques, il ne laissait personne indifférent et sitôt qu’il gagnait la tribune tous immédiatement se taisaient pour l’entendre discourir pendant de longues minutes. Un frisson parcourut mon dos au moment où se sentant observé, il tourna la tête vers ma position. Cet autre député, Brissot- marec adossé contre le mur me salua d’un courtois signe de tête, les bras croisés sur sa poitrine. Il n’y a guère si longtemps que cela je l’eusse trouvée froid et distant ; son regard translucide ne laissait filtrer aucune expression et aussi haut en taille que marceau il demeurait dans l’esprit de tous pour un précurseur de cette Révolution au même titre que Mirabeau, Bailly et tous les défenseurs de nos libertés individuelles. Il n’avait jamais adressé la parole bien que nous ayons eu diverses occasions de nous croiser dans le district ; on le savait discret, modéré parmi les plus modérés des Girondins et grand ami de brissot avec qui il échangeait des souvenirs d’Amérique et d’Angleterre ; souvenirs qu’ils partageaient en commun à des périodes différentes de leur existence. Un rictus apparut à la commissure de ses lèvres sitôt que je répondis à son salut. La

11


redingote ouverte sur mon gilet rayé, je sentis ma respiration se confondre aux applaudissements émis par l’auditoire ; toute cette exaltation vint à me troubler plus encore que le regard de Brissot-Marec sur moi. Il en aurait fallu bien plus pour me faire rougir et pourtant je rougissais assurément. Ce rassemblement prit fin quatre heures plus tard et comme je me décidais à partir quand marceau me coupa la route suivit par Montillac et ArmandTully. Une voiture les attendait devant la grille. Force de constater qu’il pleuvait ; un fin crachat prémisse d’une soirée pluvieuse et froide. .

Planquée dans son coin, Juliette bailla, la tête posée contre le lambris de l’escalier. D’où elle se tenait elle pouvait surveiller les allées et venues des uns et des autres ; Le Comité de Surêté publique organisait des sortes de rencontres pour financer des travaux d’envergure dans les quartiers les plus lourdement touchés. La cocarde tricolore épinglée sur sa redingote élimée, Juliette croqua dans un morceau de gâteau ; elle avait fait une réserve de tout ce que l’on avait pu trouver sur les tables. Elle se frotta la nez ayant perdu son foulard de poche depuis la veille. Au rezde-chaussée de cet hôtel particulier on échangeait à l’oreille de son voisin ; l’époque n’était pas aux grands discours et aux déclarations hautes-perchées.

12


Eugene en ouvrant les volets cogna contre quelque chose. Il pensa à un chien avant de voir filer cette forme humaine ; ficher le camp tel un spectre. Peste soient les mioches du quartier ! Son valet Damien lui avait dit avoir trouvé une fillette tapie dans l’obscurité. Il avait tenté de l’effrayer mais la forme n’avait pas bougé. C’est autre fois, Damien du carrément lui courir après car la forme s’était introduite dans l’hôtel du Quartier Latin pour y dérober certainement quelque chose à revendre ensuite ! Damien en avait averti le voisinage. Et puis Eugene comprit que ce n’était pas une fillette mais un petit garçon d’environ sept ans accompagnant une vagabonde d’une quinzaine d’années, peut-être plus selon lui ! Tous deux s’étaient mis à mendier dans le quartier, sans pour autant s’arrêter à cela. Souvent Isabelle visitait l’hôtel sans que Damien ne s’en aperçoive. Elle se rendait partout et en sortait sans en être inquiétée ; c’est ainsi qu’elle sut quel genre d’homme était Eugene ; il pratiquait toute sorte d’opérations sur des animaux, des restes humains. Elle avait d’abord pensé à un taxidermiste avant de réfuter cette idée. Puis après maintes réflexions elle se dit qu’il devait bien gagner sa vie pour ainsi s’installer ici et se payer le luxe d’entretenir un valet. Il y avait tous ses bocaux contenant des restes de corps humains ou d’une toute autre espèce connue ou inconnue ; des végétaux suspendus partout, des insectes su un plan oblique attendant d’être épinglés sur une planche ; Isabelle se dit que sa vie était

13


bien moins ordonnée que cet atelier de dissection. Parfois elle s’asseyait pour feuilleter des planches anatomiques et se mettait à rêver à tout ce savoir éparpillé autour d’elle. Et puis à force de monter sur les barricades, Thomas finit par y tomber. Il avait perdu connaissance et quand la nuit tomba sur Paris, elle partit frapper à la porte de l’hôtel particulier. « Professeur ! Il y a une jeune femme à la porte qui….qui dit avec un corps à vendre…c’est celui de son petit frère mort. » Eugene écarquilla les yeux face à cette funeste annonce. Il abandonna son repas pour se rendre au vestibule. « On ne fait pas ce genre de commerce ici ! C’est illégal. On vous a très mal renseigné Mademoiselle ! —Il est tombé sur la tête et….ils le jetteront à la fosse commune. Je sais que vous pourriez….il aurait consenti à cela. » A quel genre de personne avait-il à faire ? Interloqué il dévisagea Isabelle. Elle était maigrichonne, pâle comme la mort mais elle n’était pas vilaine, bien au contraire ; elle avait cette sorte d’aura telle une déité mythologique. « Si cela vous terrifie, je paierais pour qu’il puisse être enterré décemment. Comment s’appelle-t-il ? —Thomas. —S’il est tombé sur la tête il s’agit d’un traumatisme crânien et dans ce cas-là on n’aurait rien pu faire. Je suis profondément navré pour ton frère. Damien ! Prends le petit et installe-le dans une chambre. Nous ferons une veillée funèbre ce soir et nous prions pour lui si tu le veux bien. En attendant….j’étais à souper. Alors si tu veux te joindre à moi ! »

14


Isabelle se rua sur tout ce qu’elle trouva sur la table. Elle n’avait pas mangé depuis trois jours ; si elle ne se calmait pas elle risquerait de tout revomir.

Cachée dans mon coin j’épiais les allées et venues des résidents du Quartier Latin. C’était ma première fois….il me fallait manger. Allez ma chérie ! Fais-le ! Un homme approcha ; propre sur lui et plus grand que la moyenne. « Vous voulez de moi ? » Comme je le stoppai net dans son élan ; il me dévisagea avant de passer son chemin. « S’il vous plait ! » De nouveau il s’arrêta. « J’ai besoin de manger… ; s’il vous plait ! Je ne suis pas chère ! » Il arriva droit sur moi ; alors j’ai pris peur. Pour moi que cela on vous conduisait à l’échafaud pour une danse macabre avec la guillotine. Il me désigna la porte cochère de la tête. Le sol se déroba sous mes pieds. Il allait s’agir de mon premier client. C’était un élégant homme de la cité, tout de noir vêtu portant des cheveux longs ondoyant autour de son noble visage aux yeux translucides. « C’est combien ? » Et moi de répondre prestement : « Trois sous ! —Trois sous ? Répéta-t-il en gloussant, et après ça tu dis n’être pas chère ? Il tâta ses poches et finit par trouver un Louis d’or. Je suppose que tu as

15


un endroit décent pour qu’on le fasse ? » Grand silence embarrassé. « C’est ta première fois c’est ça ? Tu n’as donc aucun sens des pratiques ? Si tu racoles, on peut t’arrêter pour troubles de l’ordre public et tu sais ce que tu encoures ? N’y a-t-il pas de façon plus honorable de gagner ta vie ? » Pour qui me prenait-il ? Non je choisis de tapiner pour le plaisir ! « Comment t’appelles-tu ? Tu peux me le dire, je ne te balancerais pas aux autorités ! Moi c’est Eugène…Eugène B.

Depuis deux heures, Isabelle attendait dans l’appartement du Quartier Latin. L’’attente était des plus épouvantables. Des hurlements dans la rue lui firent dresser les cheveux sur la tête. Des coups de feu claquèrent. Avant ce soir je serrais morte. En bas Mme Le Dors se mit à crier quelques paroles inaudibles. Son cœur battait à rompre lorsqu’une porte claqua ; des pas précipités montèrent l’escalier. On tambourina à la porte. Trois longs coups suivit d’un petit et encore suivit d’un long. Prestement elle alla ouvrir, déplaçant la chaise positionnée le dossier sous la butée de la poignée ; la clef tourna dans la serrure d’un bruit sec. Eugene se tenait à la porte. Du sang recouvrait ses manches et son gilet. Il en avait jusque dans les cheveux. « Prends un sac ! Et tu n’emportes que le strict minimum ! » Abasourdie elle le

16


suivait, marchant prestement derrière chacun de ses pas. Lui se rendit dans la chambre qu’il occupait depuis trois ans maintenant ; il ouvrit une sacoche en cuir pour y glisser uniquement des livres ; à peine s’il avait remarqué qu’Isabelle le fixait de ses grands yeux bleus améthystes. « Où allons-nous ? Questionna cette dernière de sa voix rauque, que s’est-il passé Eugène ? Et où est M. Pratt ? » Il ne répondit pas ; le geste suspendu il la fixait sans la moindre expression au fond du regard. « Vas préparer tes affaires ! » A quoi bon insister, je n’en saurais pas davantage. Déjà Isabelle gagna sa chambre pour y rassembler ses effets personnels. Il lui restait un peu d’argent, certes pas grand-chose mais de quoi acheter un peu de pain pour un jour ou deux. Elle attrapa son manuscrit, des mines de crayon graphite et des fusains. Dehors on hurlait de nouveau. Pétrifiée de peur, Isabelle ne put faire plus ; c’était audessus de ses forces. Elle partit s’assoir à la table. « Isabelle ? —Je….je ne pourrais pas…y arriver….C’est trop difficile. » Il comprit qu’il ne pouvait insister ; il ne pourrait l’obliger à sortir de cet endroit. Elle se disait qu’ici au moins personne ne viendrait la chercher.

Le froid a envahit Paris. Comme si nous avions besoin de cela. Pas moyen de chauffer convenablement. Le prix du bois

17


a triplé depuis l’hiver dernier. La faute aux sans-culottes, dirait-on pour se trouver une raison de plus d’haïr quelqu’un. Les persiennes fermées ne laissaient passer aucune lumière et le feu éteint depuis longtemps ne diffusait aucune lumière. On dort à trois dans le lit pour se réchauffer ; que voulez-vous, c’est pour tout le monde pareil. On est tous logé à la même enseigne. Les pieds d’Hector sont froids comme le marbre, s’il se met à remuer un courant d’air froid viendra s’immiscer entre nous. Antoine dormait quant à lui profondément. En apparence du moins car depuis les événements du Champs de Mars, il ne dort plus que d’une oreille. On est à l’étroit c’est certain, mais c’est cela ou geler sur place. Hier on a retrouvé trois cadavres dans le Quartier Latin. Les gosses que plus rien ne surprend on jouait à leur faire prendre la pause. Morbide et pathétique spectacle. Comment font-ils pour dormir en chemise ? Si peu couvert ne craint-on pas la mort. Quand je ne dors plus j’imagine ce que serait ma vie sans les frères Dessaignes ; ils m’ont recueilli chez eux il y a maintenant plus de quatre ans. Antoine est l’ainé et du haut de ses 27 ans il en impose par sa grande taille, sa bonhommie et son visage d’ange. Il se lève toujours le premier. Hector est plus lent, plus imprévisible aussi ; il est toujours là où on ne l’attend pas. J’ouvris un œil pour contempler Antoine ; même endormi il parait serein, austère et impérial comme un Caesar. Hector remua dans son sommeil. Sitôt qu’il se lève, je m’empresse de le suivre tel un petit chien en quête de caresses et de friandises.

18


Ma main glissa vers l’abdomen d’Antoine. Il ouvrit un œil puis un autre. « Tu as froid ? » On s’est marié l’année dernière

19


[Epilogue]

20


Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France

21


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.