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LA TRISTESSE D’UN VOLCAN [Sous-titre]
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Du même auteur Aux éditions Polymnie’ Script Antichambre de la Révolution Aventure de Noms Cave des Exclus Chagrin de la Lune Désespoir des Illusions Dialectique du Boudoir Disciple des Orphelins Erotisme d’un Bandit Eté des furies Exaltant chaos chez les Fous Festin des Crocodiles Harmonie des Idiots Loi des Sages Mécanique des Pèlerins Nuée des Hommes Nus Obscénité dans le Salon Œil de la Nuit Quai des Dunes Sacrifice des Etoiles Sanctuaire de l’Ennemi Science des Pyramides Solitude du nouveau monde Ventre du Loup
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Vices du Ciel Villes des Revenants
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MEL ESPELLE
LA TRISTESSE D’UN VOLCAN
Polymnie ‘Script
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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.
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[Dédicace]
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[PrĂŠface]
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Chapitre 1
« Acta fabula est » COMMUNIQUE DE PRESSE- 15 mai 2007 Washington D.C MCGRATH Timothy, Cpt de la 2 ND BTN 503 Infantry Regiment. (Non publié) Leur premier rendez-vous eu lieu au Check point américain, un barrage dans le no- man’s- land au cœur de l’Afghanistan, la zone la plus importante de conflits entre les insurgés et les différents protagonistes chargés de rétablir la paix. En passant devant les arbres déchiquetés, la terre brûlée, on oublie de sourire, le cœur battant à rompre. Après sept ans de guerre entre l’Otan et les talibans, ce pays est tout sauf pacifié. La situation semble s’être empirée devant l’incapacité à éviter les nombreuses victimes parmi les civiles et militaires. Alors que les médias focalisent l’attention collective sur l’Irak et les élections présidentielles, les soldats de la coalition n’attendent plus rien de leur
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gouvernement. Dans la province de Kunar, près du Pakistan, l’attention est plus vive et le combat à son paroxysme. C’est une zone ultra-risquée où Ben Laden dit-on, pourrait s’y cacher. Ben Laden. Ce nom qui jadis avait fait trembler le monde entier se terrait dans les noires montagnes, infranchissables et repères du maquis impénétrables. On a promis de gonfler l’effectif de 24 000 personnes. Pathétique situation quand on sait que l’Amérique avait proclamé ne plus connaître pareille situation que la traumatisante expérience du Viet- Nam. Qui parlera le dernier ? Face à un effectif insuffisant, les américains ne voient plus le bout du tunnel. L’Oncle Sam ne semble plus se soucier des siens. Le check point reste le dernier sas de décompression, l’antichambre avant la mort, le campement de tous les espoirs. Véhicules, matériels et hommes. C’est là une représentation bien réelle de ce monde sans repères. La 173rd Airborne Brigade Combat Team est l’unique unité à vocation aéroportée à la disposition de l’United States Army Southern European Task Force. La force de réaction rapide américaine ne dépende que de l’USASETAF. Positionnée en Europe méridionale, elle a vocation à intervenir en 24 heures n’importe où dans le monde, mais son pré-déploiement stratégique la dispose aux missions européennes et africaines. Elle participa à la guerre en Irak à partir du 26 mars 2003 en se parachutant en masse au Kurdistan pour fixer les forces irakiennes en créant un deuxième front. L’opération se fit en deux vagues, 954 militaires sautèrent le 26 mars sur Harir Airfl puis 200 autres le 27 mars sur Harsr. La zone était sous contrôle
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des Kurdes, alliés des Etats-Unis. Elle resta à Kirkouk jusqu’en février 2004. Les pertes furent de 9 hommes lors de cette opération. En 2004-2005, elle effectua un séjour en Afghanistan pour combattre les talibans où elle perdit 17 soldats. Elle prit son nom actuel lors d’une cérémonie, le 15 septembre 2006 suite à une grande restructuration.
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** JOUR 1 SARAWBI (Base) 07: 10:30 AM KEATON Cpt Daniel 509-34-5342 AF A Group Protestant. J’ouvris la tente pour tomber sur trois mes soldats réunis là avant le briefing et les derniers ordres de mission. Tous les regards convergeaient vers une nana, portant un foulard autour du cou. Qu’estce qu’une meuf vient faire ici ? Ce n’est pas un endroit pour une pépée. Elle posa son appareil photo sur la table pour venir me saluer. Elle se présente en tant que photo reporté de guerre. C’est elle qui va couvrir notre mission jusqu’à la province de Kunar. On n’a pas besoin de ses emmerdeurs de photographes et journaliste ! Tous ces trous-de- cul ne sont que des cibles vivantes pour les « fantômes ». En même temps, elle n’est pas laide et me parait être futée. Oui je prends le temps de l’observer pendant qu’elle me parle de ce qu’elle a croisé depuis son arrivée à Kaboul. Elle a de grands yeux de chat et une bouche parfaitement bien ourlée. Elle doit bien faire du 95B. Cause toujours….ici c’est mon unité et je ne vais pas permettre à une étrangère de semer la zizanie et compromettre mes ordres de mission. J’autorise sa présence parmi nous, à condition qu’elle sache se tenir tranquille. « Capitaine, Dan Keaton ». Elle relit lentement ma plaque pour s’imprégné de
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mon patronyme. Quant à moi, son nom m’est sorti de la tête. En même temps, je sais parfaitement qu’elle ne restera pas longtemps avec les hommes des 173 brigades aéroportées. WILKES Alex, ASSOCIATED PRESS 050-58-5649 Quel enfoiré ! Il me tourne le dos comme si je n’étais qu’une….bullshit ! Je ne vais pas me démonter pour autant. On m’avait prévenu de l’attitude qu’adopteraient ces soldats à mon égard. Il me demande de faire mon boulot. Que croit-il que je vienne faire ici ? Quitter l’Irak pour quelques clichés sur la terre des talibans révèle un certain professionnalisme. J’ai pris assez de pellicule pour couvrir au moins deux années de conflits. Mon sac croule sous le matériel : en argentique, un appareil reflex semi-automatique NIKON F801 et F90 sans compter mon inséparable F100 ; en numérique, un optique grand angle type 24 mn à ouverture fixe. En plus de ça mes télés (focale fixe) et zoom à ouverture fixe, un flash NIKON SB 25. Mon sac photo porté en bandoulière, pratique lors des transports et qui me permet un accès facile à mon matériel. Enfin, mon pied photo (tripode) stable qui ne me quitte pas. Quand je décide de travailler en numérique, j’embarque toujours mon i Book ou mon Apple Powerbook G5 (qui permet le déchargement des cartes CF avec un adaptateur de type PCMCIA). Avec tout ce matériel informatique, j’embarque mes carnets et mes gri- gris. Dans l’avion qui m’a conduit ici, je me suis posée la question de savoir dans quelle galère je me
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mettais. Mais le journal voulait des clichés. Alors que les hommes étaient entraînés à mitraillé l’ennemi, je mitraillé les scènes d’action sans jamais me censurer. On me demandait de photographier, alors je photographe. Ces trois GI m’observent sans pudeur. Ils n’ont pas du voir de femmes depuis de très longs mois. Je suis plus qu’une attraction dans ce campement où flotte la bannière étoilée. Il y a ce grand blond à la mâchoire carrée et au nez cassé, les avant-bras posés sur ses robustes cuisses. Il cherche à capter mon attention mais je ne suis pas là pour ses beaux yeux. Un autre, les pieds sur la table suit sournoisement des yeux un match sur le poste de TV, mâchonnant une brindille le crane aussi reluisant qu’un miroir. Le dernier, tirait nerveusement sur sa cigarette, les sourcils froncés se demandant bien ce que je pouvais ficher parmi eux. Puis arriva Scott Reynards, le journaliste croisé à Kaboul. Grand barbu aux yeux verts, il n’est pas très bavard et ne témoigne d’aucune attention à mon égard. La cigarette au coin des lèvres, il se sert un café puis se diriger à son tour vers la TV. RUBENS Cpt Keith 505-44-3457 AF B Group Protestant Je savais que je la retrouverai ici. Les hommes sont hagards, au bord de la crise de nerfs, certains d’entre eux parlent tous seuls et cette petite photographe tire leur portrait comme s’il eut s’agit de vedettes. Dans leur regard se lit angoisse et épuisement, victimes de la guerre
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psychologique. Cet ennemi invisible, baptisé « fantômes » a eu raison du moral des troupes venues au nom de la liberté. Les insurgés cherchent à montrer au monde entier qu’ils sont capable de tenir tête aux « gendarmes du monde », à la suprématie américaine à tous ces équipements high-tech financé par le contribuable, qui de l’autre côté du globe attend le retour de leur fils. Point d’accalmie. Les soldats rentrent au pays les pieds en avant, avec tous les honneurs qui sont dus aux héros. Aux héros. …je suis autant épuisé que ces hommes, ayant atteint mon point de rupture. Après Kunar, je rentrerai, ne supportant plus ces corps mutilés, ces pauvres gosses qui supplient qu’on abrège leurs souffrances, ces morts que l’on entasse….comme eux, j’ai cessé d’y croire. Où va-t-elle encore ? N’est-elle point rassasiée? ADLER Sgt Chris 530-43-5353 AF B Group Catholic Ca y est, je viens de l’apercevoir la cocotte dont tout le monde parle. Elle passa à ma hauteur avant de revenir sur ses pas. Chris Jr. Adler ? Le sergent-chef Chris Adler ? Oui c’était bien moi. Selon ses propos j’étais déjà une légende. Le mois dernier j’avais monté une attaque contre un nid d’insurgés. Total de la mission : 5 talibans arrêtés. Maigre prise mais importante tout de même en pensant au mal de chiens qu’on s’était donné à les débusquer. Elle demanda à prendre une photo de moi. Je n’y tenais pas. Mes potes étaient tombés là-bas. J’étais à présent un vétéran, une
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personnalité qui avait obtenu légitimement mon avancement pour faits d’armes. Mais je restais persuadé que je serai le prochain à rentrer au pays. J’aurai alors mon emplacement au cimetière au milieu de mes frères d’armes tombés au cours de différentes actions. Elle parut comprendre ma décision et n’insista pas. En rentrant dans le baraquement, les autres troufions me questionnèrent sur le photo reporter. Tous me pressaient de questions. Ils voulaient savoir si on pouvait la classer parmi les –bonnes- et pour certains, je savais qu’ils auraient été capable de forniquer avec une lépreuse. KEATON Dan, Cpt. Le briefing a lieu à 1100 AM. En tant que capitaine de la 2-section, 503 d’infanterie dans la 173 brigade aéroportée, je le préside en sachant pertinemment que mes hommes sont au bout du rouleau. Bien que faisant partie d’une unité d’élite, la plupart d’entre eux utilisent des psychotropes pour tenir le coup. La peur est un mal qui se répand comme une traînée de poudre et devient par ailleurs une redoutable arme de destruction. Ces soldats m’écoutaient à peine, perdus dans leurs pensées. Tous ont déjà craqué. Des types ayant perdu de leur efficacité au bout d’une semaine à peine. Des types super-entraînés, livrés à euxmême dans une guerre sans merci. L’armée les oblige à rester au-delà de la durée stipulée dans le contrat qu’ils ont signé. A l’arrière, les plus fragiles se rebiffent refusant d’obéir aux ordres de leur sergent. La cour martiale ne changerait rien à ce problème. On taisait ce mal comme on pouvait, en galvanisant au mieux le peu d’enthousiasme des plus téméraires. Les
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soldats des autres unités s’auto- mutilent, quand nos hommes refusent de tenir un poste avancé. Demain, on part appuyé par les gars de la 506. Le premier rang du briefing soupirait. Ce n’est pas leur secteur. Pour quelle raison iraient-ils trouer leur peau là-bas ? Les ordres sont les ordres. On ne peut contester la décision du haut commandement. Ils ont besoin de renfort pour sécuriser la zone. Comme nos soldats sont les moins esquintés du régiment, c’est ces petits gars qu’on envoie. WILKES Alex On m’aide à me hisser dans le camion bâché. Mon barda pèse aussi lourd que leur équipement. Tous les hommes me déshabillèrent du regard, le rictus aux lèvres. Je n’ai droit à aucun traitement de faveur, devant marcher dans les pas des soldats. Au moindre de mes faux pas, Dan Keaton m’a gentiment fait comprendre qu’il me renverrait là d’où je viens. Comment peut-il mettre en doute mon professionnalisme ? On me tendit un paquet de cigarette, mais je ne fume pas. Les hommes veulent savoir comment s’était l’Irak. Ils ont pris connaissance de mon curriculum vitae en peu de temps. Ils savent exactement d’où je suis originaire, mon régime alimentaire, les écoles que j’ai fréquentées et les derniers livres que j’ai lu. Ils viennent des quatre coins des EtatUnis, certains sont réservistes, d’autres sont de carrière. Ils ont laissé femmes et enfants au pays. De fragiles souvenirs d’un monde délaissé pour ce qui avait pu être une noble cause. Mais leur combat était devenu un véritable fiasco. Le camion s’est ébranlé sur le sentier. N’en quittant le
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check point le silence remplaça les dernières discussions. Tous savaient qu’ils étaient exposés à la folie meurtrière des insurgés. On roula plusieurs heures durant, sans s’arrêter. C’est la déflagration qui me réveilla. ADLER Chris, Sergent-chef. Le souffle de l’explosion atteignit le camion. Le véhicule s’immobilisa en plein milieu du chemin. Je pensai immédiatement à une embuscade. Je hurlai les ordres en me précipitant vers le reste de la colonne. Alex Wilkes était à protégée. Les civils restent des proies vulnérables. Le deuxième camion avait sauté, probablement le fruit d’un lance-roquette. Les fils-de-pute ! C’était un premier avertissement. Nous étions en territoire ennemi, loin de notre base et au milieu de rebelles. La sueur coula dans mes yeux. Les hommes de mon escouade devaient être prêts à une éventuelle riposte de notre part. Autour de nous de la végétation propice à un guet-apens. Le cœur battant à rompre, j’attendais les ordres de Keith Rubens ou de Keaton. Les deux officiers agenouillés derrière le troisième camion échangeaient puis se séparèrent. L’ordre était le suivant : l’escouade du sergent Pat Horowitz marcherait en reconnaissance. Encore une opération-suicide. Nos officiers préféraient sacrifier quelques uns des leurs plutôt que l’unité entière. Les décisions qu’ils prenaient pouvaient nous conduire à la mort ou à un nouveau sursis. Ce lieutenant Rubens était un con. Un enfoiré de fils- de- pute qui ne supportait pas la moindre contrariété. Horowitz n’y arriverait pas tout seul. Keaton devait me laissait partir avec eux. Ce dernier susurra
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ma folie en me serrant le bras de sa pince. Je suis l’un des meilleurs et ils avaient besoin de moi pour gagner la frontière. Alors je poursuivis : « -capitaine, ils ignorent complètement sur quoi ils font tomber. Vous envoyez ces dix hommes à une mort certaine ». Le regard de Keaton se durcit. Ici c’était lui qui donnait des ordres et non un sous-off. Il descendit la colonne. Mon regard croisa celui de Wilkes. Pourquoi me fixait-elle ainsi ? Bienvenue dans notre quotidienne mademoiselle. OSMONT Keith 468-67-9087 AF AB Group Catholic (Renseignements) Merde, quelle folie ! Mes oreilles sifflent et bourdonnent toujours. J’ai bien cru que c’était nous qui sautions. Je tremble de tous mes membres et cela n’est pas prêt de s’arrêter. Le convoi s’est arrêté à hauteur d’un village hostile. La belle histoire….les boys ont tenté de nouer le contact avec les anciens. L’interprète fait son rapport au commandant, surveillant les mouvements de ses jumelles. Une fois la nuit tombée, ils traqueront les rebelles. Ceux-là même qui nous ont attaqués au pied de la colline. Depuis maintenant six heures, nous sommes là à guetter le moindre signe. Les tireurs d’élite sont postés dans des points stratégiques et les mitrailleuses se préparent à faire feu à la moindre complication. Il s’agirait là d’un fief taliban. Les soldats sont ainsi détournés de leur objectif premier. Beaucoup ne voient pas d’un bon œil cette attaque vindicative.
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Keaton a reçu les ordres par radio. Pacification de la vallée. Situation aberrante car ces hommes sont mal renseignés. Ils doivent rendre accessible ce passage vers le Pakistan à n’importe quel prix. Au-dessus de notre tête, on perçoit le son plaintif d’un drome, un appareil sans pilote qui transmet des vidéos infrarouges au QG, du camp Blessing qui les reçoit sur grand écran. Postés à flanc de montagnes, tous attendaient d’en savoir plus. REYNARDS Scott, CBS CORPORATION 004-76-3985 Je vois bien qu’elle est terrifiée. On peut avoir traversé des milliers d’épreuves sans pour autant se familiariser à l’imprévu, au corps- à- corps, à la violence des hommes. Je me fais violence pour aller lui parler. Alors elle leva le nez de son appareil photo pour m’étudier du regard. Elle m’avoua ne pas être rassurée. Je m’accroupis près d’elle. Si elle voulait avoir de l’action, elle allait être servie. Mais Wilkes n’a pas envie de rire. J’ai merdé avec mon humour de bas-étage. Aussitôt j’enchaînai sur mes précédentes couvertures. L’une à Karengal et l’autre non loin de Kaboul. Et toujours la même histoire : guérilla contre les « infidèles », les « singes » et contre tous ces « bâtards ». Rien ne me retenait en Afghanistan. J’en avais assez vu ou trop vu, dirai-je. On risquait la mort tout autant que les soldats que nous immortalisions. C’est l’adrénaline qui nous pousse à vouloir plus. La photo qui verra le tour du monde. La photo que chaque reporter attend. Celle qui nous révélera au monde entier. Ce n’est pas un métier sans risques. Des journalistes sont arrêtés, kidnappés,
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torturés ou deviennent des monnaies d’échange entre gouvernement. Depuis l’année 2001, j’ai perdu trois de mes collègues et amis. Des passionnés pour qui je me lève chaque matin en ayant toujours la même pensée. Alex Wilkes me donne l’impression d’être une petite femme vulnérable et sensible, cependant sa présence parmi ces guerriers me laisse penser le contraire. C’est une battante qui a cette capacité à extérioriser l’abject. Comme elle m’interrogeait froidement du regard, je me levai pour la laisser se préparer à photographier l’action. ADLER Chris, First Sgt Kevin Osmont, notre jeune officier des renseignements et son interprète interceptent un message radio des insurgés. Ils disent nous avoir repérés. Ils sont en contre- bas ! Deux personnes se dirigeaient vers le sud, à moins de 400 mètres de nous. Equipé d’un système de vision nocturne, Cole est notre JTAC (Joint Terminal Attack Controller) pour les forces aériennes : c’est celui qui aide les pilotes à trouver leur cible. D’autres insurgés sont repérés. J’aurai à conduire mon escouade après l’intervention du bombardier AC130. C’est une putain de guerre. Nos officiers s’interrogent-ils des dommages collatéraux ? C’est à pisser de rire. Je suis accroupi près des servants de mortiers. Jackson, Lewis et Anderson venant respectueusement de l’Alabama, de l’Oregon et du Nebraska. Je pouvais compter sur eux, m’ayant prouvé à plusieurs reprises leur détermination. Des braves types qui ne devraient pas être là. Tous nous tous d’ailleurs. Un hurlement strident déchirait la nuit. Le bombardier
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prévu à cet effet tire des munitions de la taille d’une bouteille de Coca. Tout autour du village apparaisse des flammes. Des soldats de base appellent par radio pour annoncer la présence de 10 hommes près d’une rangée d’arbres. Le capitaine Keaton reçoit l’ordre d’abattre quiconque sortirait des bâtiments. Je n’aimerai pas être à sa place. Des missiles enflammés traversent le ciel. Un roulement de tonnerre parcourut la vallée. Cette nuit parait interminable, voire incompréhensible. J’ordonnai à mes hommes de tirer. L’un deux, loin d’être une tête brûlée conteste cette décision. Il ne perçoit pas d’attitude hostile côté ennemi. Je réitérai cet ordre, secoué par des spasmes nerveux. C’est O’meara qui est venu à mon secours, mitraillant quelques silhouettes. On ne discute pas les ordres du sergent-chef ! Fin de la discussion. Juste avant l’aube, un bombardier B1 lâcha sur le village deux bombes d’une tonne chacune. Un des membres de mon escouade sourit à pleines dents en faisant le signe de la victoire. J’ôtai mon casque, allongé parmi mes frères d’armes. Fin du premier round. Notre récompense serait celle de compter les morts et d’aligner les victimes contre les murs. Nous sommes des paratroopers et non pas des assassins.
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** JOUR 2 CENAR 08 : 23 :13 AM WILKES Alex, journaliste Inutile de vous dire que je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Suis aussi nerveuse que tous ces boys. L’interprète me talonnait de près. C’est un afghan au visage longiligne, aux joues creuses et au nez aquilin. Il ne m’inspire pas confiance, parce qu’il s’adresse en moins dans une langue que je ne connais pas. Il porte une tunique kaki sur un pantalon de camouflage. Je crois qu’il cherche à me dire quelque chose. Au milieu des parachutistes, on progresse à travers le village aux murs calcinés, où plus rien ne subsiste. Les hommes sont sur le qui-vive, contaminés par une certaine appréhension. Faire partie de la patrouille permet de me faire accepter par ses soldats. Il y a des corps noircis par l’explosion des bombes, tous ont une raideur cadavérique, la bouche grande ouverte dans une expression de torture indescriptible. Et puis, il y a cette odeur….de la chair brûlée. Un des boys vomit. On ne peut s’habituer à cette odeur. Les hommes se mettent aussitôt au travail. Ils ratissent les dernières habitations encore sur pied, cherchent les corps, etc. L’œil dans le viseur de mon Canon je saisis un corps atrocement mutilé suspendu au squelette d’un arbre calciné. Un trooper m’observait, le doigt sur la gâchette et la cigarette entre les lèvres. Certains ne me voient que comme un parasite. Une photo reportée ennuyeuse susceptible de traîner son nez partout. Puis je pris les boys au travail. Quelques commentaires me
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parvinrent aux oreilles. Ces hommes en avaient assez de voir défiler ces journalistes censés influencer l’opinion publique sur leur sort. Cinq ans de guerre contre le terrorisme mais rien d’inchangé. Le capitaine Keaton passa derrière moi à vive allure. Comme il ne me répondit pas, je le suivis. Là, loin de l’attention de ses hommes, il ôta son casque complètement sourd à mes appels. Il se mit à pleurer la main en visière sur son front. Face à la pression, il n’est pas rare de voir certains s’isoler pour évacuer toutes ces tensions. « Qu’est-ce que tu veux Wilkes ? » Alors je l’ai serré dans mes bras comme un tout petit garçon et baiser son front. Après les Accords de Bonn en décembre 2001, les talibans furent chassés du pouvoir et à Kaboul j’ai immortalisé l’évènement. Il y eut une attaque suicide. Justin Calil mitraillait et je l’aurai également fait si un homme ne s’était jeté sur moi en tenant la dépouille de son enfant mort. Keaton me fit penser à cet homme. « On s’en va et… vos clichés devront passés par McGrath, puis par Jennings. L’Armée impose un contrôle strict vis-à-vis des reporters de guerre et tu n’en ais pas exclue ». Il allait mieux. OK. Si on me demande de m’y soumettre, alors… KEATON DAN, Cpt. On croit se connaître mais là je…Le rapport est rédigé par O’Meara, c’est lui qui s’y colle. On a deux morts : les 2ND Sullivan E. Stuart et Morris Elis Jr. De jeunes recrues. Rodgers caresse son crâne rasé puis son bouc, ne sachant comment exprimer la chose. « Capitaine, je crois que vous devriez aller parler au gars ». Vraiment ? Et lui O’Meara, qu’est-ce qu’il
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pense de tout cela ? « Tu sais très bien ce que je pense de tout cela. A toi de faire le bon choix ». REYNARDS Scott, CBS Bilan terrible : 10 morts et quinze blessés. Tous des femmes et des enfants. L’assistance sanitaire répare les dégâts causés par l’artillerie lourde. Les officiers se tiraient les cheveux, contrariés par tant d’inaptitude. Les paratroopers tempêtent. Leurs camarades tombés hier ne seront pas vengés. Je me retrouve avec le sergentchef Adler et son équipe. Le petit gosse âgé de 27 ans refuse de répondre à mes questions. Il me remet à ma place, s’adressant à moi comme à un gosse. Face à mon embarras, le soldat Oliver m’attrapa par l’épaule. Je ne devais pas faire attention au caractère tranchant de Chris Adler, originaire de la Californie. Ce beau gosse à la beauté ténébreuse ne tient pas à dénigrer les siens. C’est un militaire juste, respectueux de la discipline qui va où le vent le pousse. Soudain, fin de la récré. Des balles ricochent à travers la forêt. Tout le monde se met précipitamment à l’abri. Où est Alex Wilkes ? Je la vois enfin à l’abri d’un tronc rachitique, l’appareil photo autour du cou. Le silence se brisa. D’où ça vient ? Les hommes s’interrogeaient du regard. Les balles sifflaient à nouveau. Des claquements secs sur les troncs des arbres. On est une fois de plus tombé dans une embuscade. RUBENS Keith, Cpt Je bondis sur la radio de Boyce. Ce petit merdeux ne va pas assez vite. J’aboie mes directives, couché à plat ventre. Où sont ces fils- de- pute ? Le sergent Carter est
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débordé sur la colline, il demande du renfort. Qui envoyer ? Adler et mes hommes ? Non, plutôt Brewer. Ce dernier accourt vers moi en soulevant un nuage de poussière. Il en a jusque dans les narines et les cils. Je l’envoie sur la colline pour prêter main forte à Carter. Le regard écarquillé, il semble ne pas comprendre l’ordre. Je le poussai avec brutalité. Ce dernier était apparemment en état de choc. Avec ses hommes, il grimpa le versant de la colline alourdi par son équipement. Au bout de dix minutes, nous n’avons pas la moindre réponse. Je sais que les hommes ont essuyé des feux nourris. Je dois réfléchir vite. L’un de mes boys vient d’hurler. Une balle perdue vient de lui perforer l’épaule. Le toubib quitta son abri suivit par son aide de camp. DELANEY. SGT Carl 318-33-5345 AF C Group Protestant Je m’appelle Carl Delaney et suis là depuis le depuis 2001. Satanée guerre. J’en ai vu passer des petits gars. Le congrès m’a félicité pour mes –brillants- états de service. Une dizaine de Purple heart, trois silver stars et autant de médailles à épingler sur la poitrine. J’ai refusé les avancements au sein de l’armée, parce que je sais que les héros sont des hommes morts. Avant d’intégrer mon régiment, j’étais un type ordinaire et sans histoires. J’entraînai les jeunes dans l’équipe de football américain quand je ne travaillais pas à temps plein pour une firme nationale d’envois postaux. J’ai traîné ma carcasse vers la Wilkes. La première fois que je l’ai
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vue, c’était à la cantine mais elle m’a parfaitement snobée. Mais je ne peux pas lui en vouloir, je dois lui être repoussant avec mes dents en moins et mon nez cassé et puis un bout de mon oreille a été arrachée par un morceau de métal, résultant d’une explosion d’une mine antipersonnelle. Brusquement elle détourna la tête, me reconnaissant come étant le monstre de foire. Elle est différente des autres photos reporters qu’on a croisé et qui se faisaient rapatrier au bout de quelques heures. Wilkes est plus fraîche, plus jeune et plus jolie. Une vraie femme. J’allais entamer la conversation avec elle, quand le capitaine Keaton me fit demander. Bullshit ! On me demande de monter pour ensuite descendre les hommes blessés. Une façon détournée de m’envoyer en première ligne. Ce Keaton ne connaît rien à la stratégie militaire. Il a perdu en efficacité et il finit par regretter toutes les décisions qu’il prend. Il devrait être relevé un court moment. ADLER Chris, First Sgt Finalement Keaton m’envoie en renfort avec le soldat Delaney, ce grand gaillard impressionnant par son physique et son caractère. Il se porte toujours volontaire et je n’ai jamais connu de soldat plus audacieux que lui. On court comme des dératés, se couvrant réciproquement. Nous traversons le maquis et derrière un bouquet d’arbres, nous tombons sur Becker. Il est à genoux. Deux de ses hommes bénéficient des premiers soins. Delaney n’a pas le temps de les réconforter. Il attrape les armes chargées pour monter seul sur la colline et sauver ceux qui étaient encore à sauver. Becker n’est pas apte à poursuivre.
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Je rattrape Delaney avant de distinguer des silhouettes familières accroupies sur le terrain. Jones nous fait un rapide rapport. Des insurgés se seraient précipités dans une maison. Jones se dit prêt à tenir, refusant de perdre à nouveau la colline. Il propose un bombardement immédiat. Un peu plus loin Duinn hurle que des femmes sont entrain de prier dans cette même maison. Il me faut une nouvelle radio. Duinn se propose de redescendre en avertir le capitaine. Soudain les tirs reprirent sur notre flanc droit. Allongé à plat ventre, j’attendis une accalmie pour organiser une riposte. Je finis par en voir un, se déplaçant de pierres en pierres. Brusquement il disparaît dans ce qui pourrait être une grotte. Alors j’explique à Delaney la situation par signes. Il faut nous séparer en trois groupes avec des grenades. J’attaque le flanc droit et lui, le gauche. Le reste nous couvrira si nécessaire. Le caporal acquiesça. O’MEARA Ned, LT. On parle de stratégie là. C’est tout simplement le bordel ! Que fait Keaton ? Et où sont les autres ? Keaton est au bout du rouleau, je le sais. Il prend toutes les mauvaises décisions et ne voyant pas revenir Adler de la Section1 et Delaney de notre section, il m’envoie là-bas au pied de cette putain de colline pour aller buter quelques chèvres. Fait chier ! Merde ! On nous rapporte que des femmes prient dans une maison. On ne touche pas aux civils. Et nos blessés, qu’est-ce qu’on branle pour aller les évacuer ? « Becker est là-bas, nous on reste ici ! » Jones hurle que notre Adler vient de nettoyer une grotte en prenant le flanc gauche et droite ; déjà ça
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canardait par le flanc droit. « O’Meara, tu y vas. Je veux être sûr que le flanc droit est dégagé ». Comment il ne pourrait pas l’être ? Adler sait ce qu’il fait. Et comme je vois que Rodgers s’impatiente de rentrer en action, on y va avec les autres. Les insurgés tiennent une forme olympique et quand on arrive sur place on est réduit à couvrir le travail d’Adler. Le reste c’est Duinn qui s’en charge. On peut faire confiance à son M40A1 et à son flair imparable. Je m’octroie une cigarette et en tend une à Rodgers. Quand à quelques mètres de là j’aperçois Wilkes en pleine action. Son pare-balle semble être à l’épreuve des balles, mais si elle persiste à vouloir tester le matériel elle finira dans un joli sac mortuaire. DUINN Paul 221-43-2443 AF B Group Catholic Paul Duinn c’est moi et je n’ai pas l’intention de crever dans cette vallée. Adler a raison, on doit pouvoir tenter une attaque contre ces « fantômes ». Chris Adler est un excellent soldat. Il a ça dans le sang et j’ai plus confiance en lui qu’en certains officiers de la 173rd. Adler me fait signe de me tenir prêt à arroser quiconque sortirait des grottes. Le sergent- chef dévalait la vallée en balançant des grenades dans les grottes. L’action est nette. La terre trembla sous nos pieds et des gerbes de cailloux tombèrent ça et là. L’œil dans mon viseur, je me préparai à dégommer ses insurgés. En tant que tireur d’élite, je n’ai pas le droit à l’erreur. De ma précision de tir dépend la survie de mes
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camarades. Parker est en bas, talonnant Adler. Les corps tombent. Je fais un joli carton. Un de plus…deux de plus….je jubile. La vallée semble avoir retrouvé son calme. Delaney fait signe que la place forte est sécurisée. Ils ont fait deux prisonniers. Voilà enfin notre récompense. WILKES Alex, journaliste Ils vont interroger les deux prisonniers. Des talibans d’une trentaine d’années. L’hélicoptère sanitaire a évacué les blessés et les morts. L’interprète Zawar Khan sait que ces hommes ne parleront pas. Keaton ne voulait pas se charger de l’interrogatoire, sachant que cela risquerait de déborder entre ses boys et les insurgés. Les esprits s’échauffaient. Tous voulaient venger leurs camarades morts. Il fallait que cela cesse. Ces hommes étaient à cran. Tous avaient besoin de repos et je n’étais pas la seule à le penser. Je pris de nombreux clichés de cette attaque et de la reprise du village par la 173rd. L’émotion est à son comble. Je détiens là l’âpreté d’un combat. Mais cet autre journaliste me fait de l’hombre. Ce grand reporter bosse pour un quotidien international. Il a travaillé aussi bien pour la presse écrite, la radio et la télévision. Quant à moi je dois monnayer mes reportages et multiplier mes employeurs pour vivre, tandis que lui bénéficie du confort de l’envoyé spécial. Putain ! J’ai l’impression d’avoir chié dans mon froc. Mon gilet pare-balle « PRESS » me permet de ne pas me trouer la peau en zone de conflit. Mais la réalité est toute autre : je m’estime être heureuse d’être encore en vie. J’ai pourtant frôlé la mort à plusieurs reprises et j’en suis ressortie vivante, forte de témoignages
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exceptionnels. J’ai côtoyé l’horreur la plus totale, les souffrances les plus atroces avec toujours le même objectif : le devoir de mémoire. NIELSON Aron, journaliste 387-99-1096 On dit que la zone est sécurisée par la 173rd. J’aimerai le croire mais depuis que je suis dans le coin les échanges de tir ne cessent de se croiser. Mon nom est Aron Nielson et j’ai cessé ma carrière d’envoyé spécial pour me consacrer uniquement aux reportages de guerre. Ici ne travaillent que les meilleurs. Ceux qui ont des couilles et j’en fais partie. Mon précédent employeur CNN n’a pas compris ma démission, ni mon désir de partir couvrir les évènements du Proche-Orient. Je gagnais correctement ma vie auprès d’eux alors que là, je dois me battre pour vendre mes clichés pris en amateur. J’ai appris le métier sur le terrain. Aucune école ne forme à ce genre de métier, on apprend à se former sur place, à force d’audace et de persévérance. Deux parutions m’ont hissée parmi les plus crédibles. L’un pris en Irak et l’autre en Afghanistan, au milieu des talibans. Là, je suis sur un coup fumant que je prépare depuis des semaines. Un des insurgés, fidèle adepte du Mollah a accepté une interview au nom de leur guerre sainte. L’interprète qui m’accompagne dans mon périple a tenté de me raisonner, mais je veux ces clichés et je ne reculerai devant rien. Le rendez-vous a lieu dans deux jours et il n’est pas question pour moi de fermer l’œil. J’ai trop à penser. HOLMES Allison, CNN 540-22-9786
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Les conflits en Afghanistan, je les suis à la TV, mais suis terrifiée en pensant à Scott, de nouveau parti là-bas. Il n’a pas besoin de ça ! Jouer les baroudeurs….il ne m’a pas écouté et je reste sans nouvelles de lui. Pour quelles raisons est-il retourné dans ce merdier ? Mon nom est Allison Holmes et mon boulot consiste à présenter les informations sur une chaîne nationale. Je connais Scott depuis trois ans maintenant et je dois dire que c’est un acharné, un forcené de travail et un passionné. On s’est rencontré lors d’une soirée branchée à Londres. Le lendemain, il devait être mon invité et sur le plateau nous avons sympathisé de nouveau. C’est un homme très cultivé pour ne pas un érudit. Il parle cinq langues couramment dont le yiddish et le mandarin. Ce grand écossais, natif d’Edimbourg m’a immédiatement fait bonne impression, sachant rester modeste, humble et intéressant. Sa famille est l’une des plus riches du Royaume- Uni mais cela ne lui donne aucun crédit dans un métier où seul le talent prime. Dans le studio d’enregistrement j'harcèle nos envoyés spéciaux de Kaboul, mais personne ne semble avoir de ses nouvelles. On reste optimiste. Il faut que je conserve ma bonne humeur car dans peu de temps l’antenne est à moi. On me maquille. On règle une dernière fois l’éclairage. Les fiches à la main, je suis prête à faire mon job en pensant à ceux qui partent chercher l’information sur le terrain. Des types comme Reynards de 12 ans mon cadet. Un mec qui en a….
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** JOUR 3 ALAY GHAR/HASANKHEL 17 : 30 :10 PM REYNARDS Scott, journaliste La petite Wilkes me demanda comment est Allison Holmes dans la vraie vie. Etait-elle une femme de caractère comme elle le laissait croire, ou était-elle abordable ? Je fronçai les sourcils. Comment savait-elle pour nous deux ? Ma vie privée ne devait pas corrompre mon travail. Al était une femme de caractère certes, une redoutable femme d’affaires qui m’apprit à aller audelà de mes limites. Grande, mince aux cheveux courts façon garçonne, elle avait bu à la source de Jouvence tant sa beauté n’avait point été altéré par les années. Elle avait fréquenté les stars de Hollywood, les personnalités du monde financier et bien d’autres encore. Elle avait oublié d’être stupide et jamais je n’ai connu femme plus brillante que cette dernière. La question de Wilkes m’embarrassa et comme je ne répondis pas, elle passa son chemin, le NIKON suspendu à son cou. Le contact risquerait d’être difficile tant Alex restait sur ses gardes. Ce n’était pas une femme à se dévoiler, se confortant dans sa solitude et son travail. Alex Wilkes semblait ne pas avoir confiance en moi sans rien que je n’y fasse. Il est connu que les reporters se tirent dans les pattes. Tous craignant qu’un seul « élu » couvre et transmette rapidement ses photos qu’il voit ensuite paraître dans une trentaine de titre, ce qui enlève le boulot de 29 autres. La course à la rentabilité, le gain d’un profit rapide ont changé la donne de ce métier. De moins en moins de magazines ne peuvent
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aujourd’hui se payer le luxe de salarier un staff de photographes, comme se fut le cas il y a quelques années. Pour éviter les charges salariales, elles préfèrent désormais faire travailler des pigistes, des auteurs qu’elles rémunèrent de façon aléatoires au détriment même des droits essentiels de ces photographes. Ce genre de compétition pousse les reporters à s’ignorer complètement sur le terrain. C’est bien dommage croyez moi. WILKES Alex, Press On a quitté Hasankehl la veille. On est dans la région du Laghmân et progresser dans les montagnes arides cela vous forge un homme. Il faut marcher vite avec plus de 30Kg sur soi ; on a soif et l’ordre est d’avancer. Et puis j’ai envie de pisser… Delaney me colle au train depuis que les HH 609 Pave Hawk nous ont déposés dans ces montagnes. L’objectif d’après le paratrooper des renseignements est de prendre un village à environ 13Km vers l’ouest. On est à 1687m pour 13KM14 d’altitude. Lui me voit comme une OVNI ou un truc dans ce genre non pas qu’il se passionne pour l’urologie mais bien parce que tous sont convaincus de mon appartenance à un groupe étranger au leur. Ce genre de déplacement selon Delaney mobilise beaucoup trop de moyens pour un faible pourcentage de réussite et il parle de 86% de perte. Delaney m’a immédiatement accepté balançant un tas de truc sur les autres troopers ; pour moi il suffit d’aller le trouver et de lui balancer un truc comme : Hey Buddy ! Quelle info tu as sur les consommateurs de psychotropes dans cette unité ? Sûr qu’on s’amuse ensemble,
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tout cela reste professionnel ceci dit Delaney, originaire de l’Illinois parle des gosses qu’il entraîne dans ce petit patelin à trois heures de Chicago. Il est Quater back et quand il ne joue pas, il est agent de sécurité dans une société concurrence d’IBM. Aucune difficulté à l’imaginer sur le terrain, par contre dans un costume noir, chemise et cravate cela pourrait s’apparenter à une description de Terry au sujet des E.T. Là j’ai vraiment envie de pisser. Il surveille mes 30kg de barda pendant que je me soulage. « Agent de sécurité hein ? » S’il rentre au pays il obtiendra de l’avancement, c’est sûr mais lui ne pense qu’à ces gosses en réinsertion et il sait que les responsabilités conduisent irrémédiablement à la réduction de ses hobbies. A peine ai-je bouclé la ceinture de mon battle dress que les balles se mettent à crépiter et Delaney de me plaquer au sol. « Tous à couvert ! Tireurs embusqués ! » Delaney a presque failli me faire oublier où je me trouvais. DELANAY Carl, 2ND Le ciel nous tombe sur la tête et ces petits cons continuent à jouer du clairon comme si nous étions à l’une de ces putains de parade ; un air de fête nationale. The DDay, par exemple ! « Tireurs embusqués ! Sur le flanc droit ! » Le Sgt Rodgers me tape sur l’épaule et je le suis, talonné par Wilkes. On se sent couper du reste dans ces montagnes. Les insurgés nous ont divisés en deux groupes et avant qu’on ne puisse élaborer une stratégie, les lances roquettes rentrent en action suivis par l’aboiement furieux des mitrailleuses. « Ok en bas ? » Silence oppressant. « Ok en bas ? » Rodgers sait que ces montagnes
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peuvent être notre linceul et à son regard je comprends qu’il craint le pire. « Ok en bas ? » Et Harris finit par répondre : « On a trois blessés ici ! Négatif pour tout déplacement, mon sergent ! Il nous faut une évacuation immédiate ! » Pour Rodgers c’est négatif. La cavalerie ne reviendra pas pour trois troopers à terre. Entendant cela Wilkes abandonna son barda et courut prêter main forte à Harris. « Non ! Ne la suis pas ou tu seras le prochain immobilisé ! Ils attendent que l’un de nous sorte pour vider leurs chargeurs. Il nous faut établir le contact avec les autres…Tu vois cette crête à deux heures ? Je te couvre vas-y ! » Et j’ai couru comme un dératé sans éveiller l’intérêt des insurgés ; eux ont un autre stratagème en tête quand Dante Welling de la S3 me fait comprendre par signes qu’une attaque se prépare. Il nous faut attendre le signal. Je reporte les signes à Rodgers et lui de s’évanouir dans ce décor. Wilkes pourrait avoir besoin de moi. Welling sourit. Ce petit intellectuel du Minnesota a fait l’objet d’une enquête pour avoir insulté Brewer, Grâce à ses amis sénateurs il s’en est bien sorti. Depuis il endosse le rôle tant convoité de souffredouleur de son capitaine adoré. Le divorce pourrait être prononcé dès maintenant, cela éviterait au reste de la 173e d’être témoin de leurs incessants conflits conjugaux. RODGERS Mat, First Sgt. Creuser soi-même sa tombe. On est passé maître dans ce domaine. Ce calme précédant la tempête nous colle à tous des sueurs froides même après des mois passés dans ce nauséabond pays. « Si tu pars, tu pars avec Keaton ! » Ma petite femme
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n’est pas plus rassurée aujourd’hui et elle serait effondrée à l’idée de me voir tenir si fermement cette semi-automatique dans la main. Derrière l’un des gars blessés agonisent et si on ne le fait fermer sa grande gueule toute la section va y passer. L’autre Wilkes remonta et me fit une peur bleue en se jetant littéralement à mes pieds. « L’un des types est mort. J’ai sa plaque… » Il me faut du temps pour la lui arracher de ses mains. Qui est-ce ? Oh non, merde ! Le petit Rodriguez. « Et les autres ? » Wilkes dégagea sa frange maculant son front de sang. Le rictus au coin des lèvres, elle fixa l’horizon. « Harris a stoppé certaines de leurs hémorragies et il insiste pour une…pour une évacuation. Ils sont vraiment…en piteux état ». Je connais ce regard. Il s’agit des SND class Martin et Kiesinger. Putain de merde ! « On fait quoi pour eux ? » Wilkes tremble. La pression, la chaleur… la mort. Pour une fois je la vois autrement que cachée derrière son Nikon. Une série de grenades ébranle la terre, les mitrailleuses crachent en direction des insurgés. Le signal est donné. On monte à l’assaut. DUINN Paul, 2ND Sniper L’œil collé au viseur. J’en dégomme un maximum de ces fils de pute. Il n’y aura pas de paradis pour eux. Pas de vierges pour leur sucer la queue. J’ai fait de la taule de 2001 à 2005. « On ne veut pas des petites salopes de ton genre ! » Les négros je ne peux pas les encaisser, c’est comme ça et ils le savent. Et les autres tapettes du Delaware se sont trouvées au mauvais endroit et au mauvais moment. Rejoindre les paras. Je n’y avais jamais songé. Je
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voulais rejoindre l’armée mais avec mon casier judiciaire ça a posé quelques problèmes. Je tire bien. C’est comme ça qu’on m’a recruté. Sur cette crête ce n’est dur différent que dans mon quartier. Si tu ne tire pas le premier, tu claques dans la rue et c’est une règle qu’on t’enseigne sitôt que tu sais tenir debout. Aucun de ces fils de pute ne s’y attendait. Je fais signe à Adler : il peut ramener son cul. Et puis cela canarde. Là d’où je vois Rubens prend des initiatives qu’il n’aurait jamais prises si Keaton ne le poussait pas à jouer les héros/ D’où je suis, je pourrais l’abattre lui aussi. Il a le regard pervers de ceux de sa race qui veulent de la mettre bien profond et s’il n’était pas capitaine, il y a bien longtemps que je lui aurai cassé toutes ses dents. Applaudissons alors le grand Keith Rubens sortit de son terrier pour aller foutre une raclée ces Ben Laden ! Après cette guerre, j’irai le défoncer. ADLER Chris, First Sgt Mon corps est secoué de spasmes et la tête entre les jambes, je m’efforce de recouvrir la raison. Fais chier ! Putains de talibans ! Keaton nous a félicités pour notre bravoure. Oui on peut en parler. Suis K.O et ne parviens plus à respirer correctement. Delaney est dans un état plus présentable, la clope à la bouche, il blague sur les talibans qu’il a délogés de leur perchoir. Si ça continue, je vais crever la gueule ouverte. J’attrapai mon barda pour rejoindre la section 3 qui a pour objectif de tenir la position. Notre force reste notre niveau d’instruction et notre puissance aérienne. Quant aux talibans ils semblent tirer leur courage du nombre, de leur aptitude à entourer une unité ennemie de
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taille moindre. Cependant une section US peut fixer l’ennemi dans sa position suffisamment longtemps pour que des avions ou d’autres unités d’infanterie arrivent. Nous avons beaucoup de succès avec les tactiques tirées des manuels et les talibans sont davantage enclins à nous attaquer lorsque nous sommes en petit nombre. A chaque fois que les talibans nous affrontent, ils sont décimés. Keaton est un excellent tacticien, et un leader hors- pair. Il sait comment tirer le meilleur de ses hommes. Pourtant ces derniers temps, il n’est pas dans son assiette. Je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué. Par radio, il demande un appui aérien tandis que les blessés sont évacués. L’équipe Bravo attendait les ordres à couvert dans la végétation. Les hommes sont sur le quivive. Tant que la zone n’est pas bombarder, on craint les balles des kalachnikovs. J’utilise des psychotropes pour tenir le coup si Keaton me voyait, il m’enverrait à l’arrière. O’MEARA Lt Ned 408-24-3454 AF A Group Catholic Le bombardement aura lieu dans moins de 5 minutes. Je vais signe à l’équipe Alpha de se mettre en formation. On plie bagages. A la fin de journée, 17 cadavres de talibans seront dénombrés et 9 combattants supplémentaires seront capturés. A quoi ces fils de putes pensaient ? Une action suicide probablement ? Pensaient-ils vraiment nous combattre ? Ils savaient pourtant que nous allions venir, alors pourquoi n’ont-ils
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pas décampé ? Mon nom est O’meara, Ned O’meara, sous-officier de la 2 section. Les ordres de Keaton sont les suivants : progresser en petites unités, pour affaiblie les talibans et réduire leur efficacité. C’est une stratégie à haut risque dans une région durement touchée par les combats, une région tellement instable que les commandants l’appellent le « Falloujah de l’Afghanistan ». Mes hommes deviennent des cibles faciles et les talibans ont l’avantage de la hauteur. Mais Keaton sait tout ça. Les insurgés alors s’imaginent que nous sommes en surnombre et ouvrent le feu. Une fois à couvert, le reste de l’unité intervient en les prenant par surprise. Les hélicoptères Apaches crachent leurs projectiles qui s’enflamment en contrebas. Joli spectacle. Le rôle de l’infanterie reste de s’approcher au plus de l’ennemi et d’en finir avec lui. Les soldats de l’armée nationale afghane (ANA) est prévenue de ce nettoyage. Ceux de la section Delta seront peinards à l’arrière. On est soldat et on n’est pas là pour se tourner les pouces. Je fais signe à mes hommes de se positionner en alerte. Les routes sont de véritables coupe-gorges, il me faut des éclaireurs. En fin de journée, nous aurons à peine progressé de quelques kilomètres vers la frontière pakistanaise. RUBENS Keith, Cpt. Le 2nd Class Paul Duinn se pavane d’avoir abattu à lui seul autant de Talibans que peut contenir un bus scolaire. Je l’ai remis à sa place. Ici c’est la guerre et pas une putain de kermesse pour les Sons of Anarchy de son espèce ! Ce néo-nazis trouve toujours des combines pour détourner un ordre, voler l’Armée et
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ensuite pleure pour obtenir sa Purple Hearth pour une égratignure qu’il dit valoir 100.000$ ; on nous colle des plaies comme Duinn et on s’étonne de l’inefficacité des opérations. Ma gorge est plus sèche qu’un erg du Sahara. Cette journée ne semble pas vouloir s’interrompre ; on fait le décompte de nos blessés, de nos morts, de nos munitions et je reste convaincu qu’il n’était pas nécessaire de bombarder cette partie de la montagne. Notre Escort-girl arrive en gueulant : « Prendre la décision d’un support aérien pour une évacuation est une chose ! Mais tout ce merdier n’était pas nécessaire pour avancer de trois kilomètres ! » A qui s’adresse-t-elle ? Flynn poliment lui tourne le dos quant à O’Meara…il me remarque et sans plus attendre fonce droit sur moi. « Ce n’était pas gagné d’avance. Et maintenant quels sont les ordres ? » Les ordres ? On maintient la position et on contrôle nos arrières. Possible qu’ils reviennent avec plus de moyens. « Je ne comprends pas. Vous voulez qu’on attende dans ce merdier ? » Derrière Scott Reynards tente de canaliser l’énergie e de sa collègue. Sa présence parmi la 173 est problématique ; or Keaton est censé la gérer. Il ramollit un peu en ce moment. KEATON Daniel, Cpt Mes hommes aujourd’hui on fait de l’excellent travail. L’était major nous avertit par radio que nous resterons postés quelques heures dans un camp sécurisé et ravitaillé par l’ONU. Nous sommes escortés par leurs blindés blancs portant l’insigne sur leur flanc. Les casques bleus nous saluent, prenant soin de fermer la
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route à l’aide de barbelés. Nos camions roulent à tombeau ouvert, se sachant être protégé par le droit international. Ici flotte le drapeau bleu, point de convergence du regard des hommes assis près de moi. Quelques heures de répit avant d’y retourner. Alors que mes hommes se reposeront, j’aurai à rédiger le rapport de la mission qui signalera la perte d’un homme, le chauffeur du camion qui a explosé sous la roquette de l’ennemi. L’état major me félicitera. La tête dans la main, j’ai du mal à me concentrer. Le vent s’engouffrait à l’intérieur de ma tente, faisant claquer la bâche qui servait de porte. Le sous-lieutenant Bradley Flynn vint me chercher. « Mon Capitaine, je crois que vous devriez intervenir…. ». Un de mes rangers avait perdu la raison. Il sanglotait après avoir tenté de mettre fin à ses jours. Il carburait aux anti- dépresseurs et à présent en payait les conséquences. Flynn ne lâchait pas ses gars. Il connaissait l’impact psychologique qu’avait ce genre de guerre sur les nerfs des GI. Il allait être pris en charge par l’ONU qui le transférerait vers l’hôpital militaire le plus proche. C’était la seule solution pour éviter que la gangrène ne gagne du terrain. Flynn se chargera de la paperasse : la 1ère classe Russel More évacué pour cause de troubles sensorielles. Inutile de rentrer dans les détails pour ce genre d’évacuation. Je lui témoignai mon soutien et mon affection les plus profonds sans être dupe. Le 1-class More ne reviendrait pas parmi la 173rd. ADLER Chris, First Sgt
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Après avoir attendu mon tour à la cabine téléphonique, j’ai composé le numéro de la maison pour contacter ma femme Jenny. Elle me manquait terriblement. D’entendre sa douce voix me rassura. L’Amour existait encore dans ce monde. Je posai des questions sur notre fille Alice quand mon épouse changea le combiné de main. « Allo !....allo papa…. » Je fondis en larmes, la main en visière sur mes yeux. Elles me manquaient toutes les deux. Terriblement. Je voulais savoir si elle était gentille avec sa mère en lui promettant de la revoir bientôt. Je les saluai toutes deux et je pris congé des femmes de ma vie. Au même moment le capitaine Keaton passa à ma hauteur suivit de Flynn. Puis il revint sur ses pas pour m’annoncer le départ imminent du soldat Russel More. Il allait rentrer chez lui. Le rêve de tous ici. Keaton me demanda de me montrer prudent avec les rangers de ma section. Jenny et Alice devaient rester là-bas, en dehors de cette zone de conflit et pour tenir je ne devais plus penser à elles. « Oh Adler avant que je n’oublie, j’ai besoin de l’inventaire de toutes les munitions qu’il nous reste ». Mon repos n’aura été que de courte durée. HAUSER Shaun, 318.00.7745 B Group Protestant De quoi a-t-on parlé au briefing ? Plus certain de m’en souvenir. Tout ce que je sais c’est que l’état-major nous laisse respirer un peu. un repos bien mérité. Je pourris vous en dire plus sur moi mais je n’y tiens pas à vrai dire. Engagé depuis
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trois ans et pas la certitude d’être le fer de lance de cette armée, aussi détermine soitelle pour éradiquer toute forme de terrorisme dans cette partie du monde. Ennemi public n°1 : Ben laden ! Pas possible de trouver pus haïssable, pas mêmes dans les prions fédéraux de notre Etat démocratique. En fait il y a tellement à comprendre qu’on ne sait plus vraiment où orienter nos missiles ; quand on ne parle pas du Hamas, on hésite à évoquer les troubles djihadistes au Proche-Orient et Al-Qaïda devient alors un organisme en plus pour semer le trouble dans le Haut conseil de l’ONU. Qui devient alors une priorité sur nos priorités ? Depuis un certain moment déjà je ne prends plus le temps d’appeler dans l’Illinois. Je ne veux inquiéter personne, pas même ma petite amie qui ignore l’endroit même où l’on campe quand nous ne sommes pas à nous battre pour une cause qui nous échappe quelque peu. Avec tout ce déchainement de violence il devient difficile de peser le pour et le contre de nos missions sur le terrain. Aucune réconciliation possible et la situation devient des plus critiques. On a perdu des hommes aujourd’hui, peut-être pas les plus braves ni les plus couards mais il faut comprendre que perdre nos frères ici c’est….incompréhensible. je vis Adler sortir de la cabine téléphonique, le regard vide et les membres tressautant. Pas un regard dans ma direction. Il devrait peutêtre arrêté de s’envoyer des amphètes dans le sang ; qui a dit que cela le rendrait plus lucide ? Assis là je fumais ma clope en immergeant lentement. Je voulais me taper une meuf avant de passer l’arme à gauche. La première venue fera l’affaire, pourvue qu’elle sache me faire planer à cent mille
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miles d’ici. On me surnomme Bloody, soidisant parce que ma spécialité serait de trancher la jugulaire des talibans. « Hey, Chef ! On fait quoi maintenant ? » Adler stoppa net. « C’est toi qui demande ça Hauser ? Et buen….tu vas te coller à l’inventaire de nos munitions avec jackson et Carter ! Maintenant ne m’embarrasse plus avec tes questions ! » Le petit malin. Il me collait à l’inventaire comme s’il n’y avait pas assez de bleusaille pour se taper cette corvée ! Je partis donc à la recherche de ces deux gâchettes de la section pour les retrouver dans leur dortoir. « Et tu as appris la nouvelle Bloody ? Rubens colle Carter aux corvées pour insubordination ! » Déclara jackson vautré sur sa couchette. « Ah, ouais ! Et après qu’est-ce que tu veux que cela me fasse ? » Je pourrais exprimer plus de compassion mais pas pour Duinn. Ce type me sort par les trous de nez et s’il ‘n’était pas un sniper hors-pair il y a bien longtemps que je lui aurais demandé d’aller se faire foutre. Qu’il soit protégé par ses petits amis du Dénat, j’en ai rien à carrer ! Il est de ces petits merdeux qui ne respecte ni père, ni mère et ses problèmes ne sont pas les miens. Seth jackson me suivit à contrecœur. Il pensait avoir mérité ses heures de repos, mais il a oublié qu’ici rien n’est jamais acquis. JACKSON, Mortier Seth 424.43.5646 O Group Catholic Je ne peux pax croire qu’on me colle aux corvées avec loody et Angel head (tête d’ange), c’est comme assister à un combat
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opposant le frêle David à ce titanesque Goliath. Carter a visiblement perdu la tête ; hauser passe son temps libre à cogner tout le monde et il en tire une certaine jouissance. On l’a mis deux fois aux arrêts et parce qu’il a ouvertement insulté Rubens, un avertissement pour la court martiale. Je suis originaire d’Alabama, un catholique à moitié cajun de part ma mère et l’autre partie, d’origine inconnue. Lui Hauser c’est un OVNI, personne ne sait vraiment qui il est et ce à quoi il aspire. On sait seulement qu’il vient de l’Illinois et qu’il se tape une amérindienne. Il est du genre à vivre dans la forêt, une sorte de coureur de bois…On voit dans son regard qu’il est issu de la lignée des tueurs. J’ai essayé d’établir le contact avec lui ; il m’a demandé d’aller me faire foutre. Ironie du sort c’est avec moi qu’il fait le plus souvent équipe quand Anderson et son M249 SAW me font défaut. C’est un bib soldat ceci-dit, on ne peut pas le nier ; d’aucun ne dirait qu’il attend l’arrivée de la cavalerie. Aujourd’hui il a prit d’assaut à lui seul un trou rempli d’insurgés des plus nerveux, cela lui faudra peut-être une distinction ? Carter et moi on veut être tranquille ce soir. Alors on fait notre job et comme d’habitude sans rien échanger avec Hauser« Tu as appris la nouvelle Jack ? rubens ne veut plus de reporters de guerre pour nous coller au train et Mcgrath et Keaton lui donne raison. D’après lui Wilkes a failli tous nous tuer en jouant les nurses ! » Energiquement je mâchouillais ma gomme antitabac amusé par les dires de Carter. « Et cela te fait quoi de savoir que cette vierge effarouchée ne fera plus partie de notre section ? Alors pour toi on est vraiment dans la merde ? » Il se mit à
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glousser en me tendant des munitions pour les rifles, les machine guns et les heavy weapons ; on a assez de grenades pour déclencher une troisième guerre mondiale. Si un petit malin décidait de tout faire pèter, on aurait un beau feu d’artifice visible depuis le sol lunaire. « Tu crois vraiment ce qu’on raconte sur elle ? » J’interrogeai Carter du regard, l’invitant à se montrer plus explicite ; à part le fait qu’elle ait un cul à tomber par terre et une jolie paire de miches, je reste tout à fait ouvert à ce que l’on peut raconter d’elle. « Quoi ? Qu’elle s’est faite tirée par l’autre empaffé de Steven Dietz, sénateur peu scrupuleux et consultant tacticien au Pentagone ? Ouais je sais tout ça et c’est plutôt cool, non ? C’est courageux de sa part, Carter, risquer sa vie pour quelques clichés commandés par le Pentagone….cela ajoute un peu plus de piment à son putain de caractère. Je me demande si elle porte des strings sous son pantalon bien serré sur son petit boule. Sûr qu’elle va nous manquer ! On commençait sérieusement à l’apprécier, ah, ah ! » je fis signe à Carter de mater du côté de l’autre beau gosse de Shaun Hauser ; lui aussi la regretterait à coup sûr. Il fallait le voir s’agiter quand elle passait près de lui, agitant de la troupe prête à se faire limer par le premier mâle Alpha capable de faire mouiller sa ravissante culotte de dentelle…. Il n’y a pas à chier, elle va nous manquer ! CARTER, Evan 232.56.6575 B Group Protestant
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Ce type est un malade ! C’est Jackson quoi. Je l’adore ce mec. C’est une espèce de taré qui conjugue le mot fraternité à tous les temps et à tous les modes. Avec lui on ne s’ennuie jamais ; quand il s’agit de lancer des paris c’est le premier à miser et quand il faut organiser des jeux il est assez tordu pour nous faire passer un bon moment. Je ne crois pas connaitre une personne aussi détachée que Seth Jackson : toujours optimiste, toujours amical, il ne se prend jamais au sérieux, excepté quand il faille faire feu sur les insurgés. L’inventaire nous prit deux bonnes heures, le temps pour nous de dresser l’état des munitions, celles des M16A3, les A2, les M40A1 et les M14 EBR, les M15A4, les Bromning M2HB, les M203, les M249 SAW, les Norinco type 56-1 et les carabines M4A1, etc. c’est un travail minutieux dont il faille rendre le compte précis au LT Bradley chargé du ravitaillement. On doit passer à 11 :00 pour l’enregistrement des armes. Le bureau chargé de valider la sortie des munitions contrôle tous nos mouvements pour leur statistique ; tout ici est question de statistique : le nombre de PQ que l’on consomme, le steak que l’on fait griller, la pate à dentifrice, les préservatifs….seulement voilà on est tous un peu claqué. Les marges d’erreur sont approximativement de 25% et quand on travaille avec Hauser, cette marge se réduit considérablement. « Si vous ne faites pas votre travail correctement ne m’obligez pas vous ôter l’envie de me faire perdre mon temps ! » Quel enfoiré celui-là. Un dénommé Stroz relit nos bilans avant de nous laisser partir. Il est 11 :24 quand on trouva enfin Bradley. C’est la procédure
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quoi avant une bonne nuit de sommeil bien méritée. En regagnant mon baraquement je vins à croiser Cortez de la 2SEC à qui je propose une clope. « Il se passe quoi là ? Je ne suis pas convaincu que tu veuille trouver un peu de réconfort auprès des autres, je me trompe là ? » Howard Lui Cortez est un texan comme on les aime : un peu roublard, amateur de cigare et de bière blonde ; son accent j’ignore d’où il le sort mais c’est ce qui fait tout son charme. C’est un génie dans son domaine, il est diplômé en informatique et avec son Browning M2HB il fait des merveilles. Ses frappes sont pour aussi dires chirurgicales. Lentement il se caressa le dessus de son crâne aux boucles noires et soyeuses. « C’était une putain de journée non ? On s’en est ben sorti. Enfin…si on peut dire ça. Demain on y verra plus clair. » Il jeta sa cigarette au loin ; il n’avait à peine tiré dessus. « On essaye de s’adapter mais seuls les plus forts survivent. Alors on ne peut pas vraiment parler de loterie. Curtis était si paniqué à l’idée de mourir qu’il a fini par s’épuiser et se vider de tout son sang. Wilkes essayait de le calmer mais….il était mort de trouille. On aurait pu le sauver s’il avait cru en lui. » La lumière des réverbères projetaient nos ombres sur le sol, trois ombres à la place d’une seule unique comme si nous étions déjà assailli par des spectres. « Tu te poses trop de questions Cortez, Tu aurais peutêtre besoin d’un câlin. Quelqu’un pour te serrer dans ses bras, hein. » Il ricana laissant apparaitre des pates d’oies de chaque côté de son regard bridé. Sur ces bonnes paroles je partis à la recherche de Johnson pour lui annoncer qu’il venait de perdre son pari.
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CORTEZ, Howard Luis 213.31.0342 AB Group Protestant Impossible de trouver un coin à soi pour méditer sur son propre sort. Je suis de la 2SEC sous les ordres du CPT Dan Keaton. C’est un bon Keaton. Toujours prêt à aider son prochain. Dans le civil il est détective privé pour une agence la « Spy Noce » dans l’Etat du Kansas. Il a du flair et sait tout de tout le monde, c’est incroyable de le voir faire. Il lui suffit seulement de tenir e sa possession une chose qui vous appartienne pour qu’aussitôt il sache tout voir de vous. Ce don de précognition lui permet de deviner l’issue de tel combat avant même que celui-ci soit engagé. C’est lui qui a deviné pour Wilhes et le sénateur Dietz. On ne peut rien lui cacher, absolument rien ; Il sait également qu’Adler se shooet d’amphétamines, que Lorin Wilson cherche à se taper une queue et pourquoi pas celle de Carter ; il se méfit de Graham Scherer en pleine addiction aux jeux de casino (il aurait empoché l’année dernière pas moins de 100.000$ en ligne selon ses investigations) ; rien ne lui échappe. Après le briefing du CDT Jennings, il est venu me voir. « Tu devrais renoncer, lança ce dernier, les bras croisé sur sa poitrine, ce n’est pas une bonne idée. » Quoi donc ? « Rankin est une tête brulée qui veut te pousser à prendre le chemin de la guerre ; or en ce jour nous combattons un ennemi commun et ce qui maintient cette compagnie sur le qui-vive c’est l’union ! Alors si j’étais toi….je ne porterais pas le moindre crédit à ses attaques aussi perfides soient-elles. » Il est
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vrai que je ne peux pas le sentir ce néonazi ; personne à vrai dire ne peut composer avec Rankin. On me dit pacifiste, d’un bon tempérament, alors le fait que Keaton puisse penser que je lui en veuille personnellement est tout simplement frappant. Je suis impartiale, du moins pensais-je l’être ; cependant, il pète un câble quand il doit faire front avec les AA de notre compagnie (AA pour AfroAméricains) et il devient dès lors incontrôlable. « J’ai du mal avec les négros et les latiinos, tu devrais le savoir Cortez ! » Déclara-t-il lorsque je vins le voir au sujet de ses sauts d’humeur concernant ces personnes. Je n’ai rien trouvé à lui répondre, pourtant au fond de moi je bouillonne. S’il n’y avait que rankin cela pouvait passer, mais il y a également McGrath, Brewer, Duinn, Mather et Brennan, tous fermement convaincue d’appartenir à l’2lite raciale de ce pays. J’ignorais que la 173ème puisse être un vivier pour ces mouvements extrémistes. Si Wilkes pouvait écrire une feuille làdessus je serais le premier à lui apporter mon témoignage. Le SGT Matt Rodgers minimise les faits. Pour lui il s’agit seulement de position de force. « Ils ne font qu’aboyer mais ils ne mordent pas ! On te demande seulement de faire ton travail et en aucun cas de vouloir faire de cette compagnie une tribune pour le droit des latinos et des négros ! Je ne tiens pas à ce que tu te donne en spectacle, ni Keaton, ni O’Meara ne le supporterait pas ! » Donc à l’écouter, pas de domination blanche, pas de groupuscule raciste, seulement de la bonne entente et des sourires complaisants ! De la part d’un type né sur le sol Hawaïen cela me surprend. Alors je
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ne ferais pas de zèle. Après le passage de Carter, je retournais dans le dortoir pour me vautrer sur ma couchette et hauser de me fixer de son ténébreux regard. « Russel More a été évacué. Il semblerait que tu sois le prochain sur la liste. Tu as intérêt de te ressaisir !’ » Becker Scott se redressa sur son séant pour écouter notre conversation. Qu’il pense ce qu’il veut de moi, je suis trop las pour me prendre la tête avec quiconque. Une fois allongé, Becker me tendit une flasque de Bourbon. « Ne nous lâches pas vieux ! » JONHSON Cullen 121.31.0342 AB Group Protestant Evan Carter vint me trouver. « Tu as perdu ton pari Johnson ! File-moi le fric ! »On avait parié sur Wilkes ; pour Carter d’après Keaton, elle se tapait un gros bonnet du Pentagone, pour moi elle se tapait Nielsen qui la suivait comme son ombre. Cet ancien marine, belle gueule, il faut se l’avouer causait pas mal lui aussi, ses sous-entendus et ses allusions en surprenait plus d’un. Pour les autres, il s’agissait d’intox. Un type aussi manipulateur que lui s’en sortait toujours à bon compte et bien souvent, plus l’histoire était grosse et plus celle-ci passait. « Elle se tape un dénommé Dietz, un consultant tacticien pour le Pentagone. Quand je te disais qu’on avait cette fois des vedettes de la Presse avec nous ! Reynards et maintenant Wilkes ! » Il tirait des conclusions unpeu trop hâtives. Je suis de la 3SEC, celle de McGrath et tous les gars ont parié qu’elle se tapait Nielsen. Quand on vient du Maryland comme moi le
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moindre divertissement devient alors une foire d’empoigne. Carter pouvait bien aller se faire foutre. Je lui tendis les 40$ convenus, les yeux plongés dans les siens. Cela m’apprendra à relativiser les infos transmises par Upton, cette petite fouine de la 2SEC qui passe le plus clair de son temps à fouiller dans le passé de chacun. Peu après l’arrivée de Wilkes il vint me trouver la bouche en fleur. « Elle vient de l’Etat de New York et je sais que son journal est financé par le sénateur Dietz. Par directement non, mais ils auraient reçu une subvention il y a deux ans de cela, à des fins politiques. J’en connais un rayon sur Dietz. Il aime fréquenter les journalistes pleins de ressources comme cette Wilkes. Elle est très engagée en politique, pas du genre à attendre que les événements se passent sans qu’elle n’oppose sa signature à ce qu’elle juge comme étant des faits historique. Son petit papa est dans le milieu aussi. Il a couvert l’irak avant de prendre sa retraite dans les hautes sphères. J’ignore ce qu’elel fout là mais à mon avis, elle n’est pas seulement ici pour prendre des photos si tu vois ce que je veux dire ! » Dépossédé de mes 40$ je voyais rouge. Scherer m’avait pourtant dit de faire marche arrière et de miser plus gros, non pas avec Carter mais avec Braunstein qui lui n’hésite pas à y laisser son fric. Ok je m’étais fait plumer, je n’en resterais pas là ! Welling ricanait près de moi, fixant le plafond de la tente en jouant avec sa balle de baseball. « Pourquoi vous pariez tous sur cette putain ? Elle a quoi de spéciale ? Mais si tu tiens à récupérer ton fric….elle va se faire Upton. Il faut voir comment elle le relooke et Upton a également envie de se la faire, aussi sûr
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que deux et deux font quatre. Il y aurait du fric à se faire de ce côté-là. » Le môme a raison. Notre sniper adoré a un sixième sens et pas seulement pour débusquer les talibans cachés dans des endroits insolites, il a le flair pour anticiper les actions de chacun. J’ai envie de le croire. Il a parié sur un tas de trucs qui se sont avérés être exacts. Il s’assit sur sa couchette et me tendit un billet. « Mise de départ : un dollar ! Avant la fin de la semaine, on sera riche et on se partage les gains. » Je pris son billet pour notre pot commun. Je m’allongeai sur ma couche pour immédiatement sombrer dans un sommeil que je voulais récupérateur. WELLING, dante 478.44.3243 A Group Protestant Tous les petits gars dormaient. De mon côté pas moyen de trouver le sommeil. Je revoyais tous les types que j’avais descendus. Ils sont morts en me laissant sur le bras le souvenir de leur visage. A travers le viseur de mon M4A1 je revoyais leur sale tête barbue, la tête prise dans un sordide drap de laine. Ma respiration s’accéléra. Il me fallait prendre l’air. Je sortis de la tente kaki à pas furtif pour aller m’en griller une. Je vis Justin Calail sortir de dessous la tente de briefing. Il n’était pas loin de 00 : 25. Que faisit-il encore làbas ? En me voyant sous le lampadaire, il revint sur ses pas, le sourire aux lèvres. « Je pensais être le seul à ne pas dormir ici. Pourtant le toubib m’a prescrit des somnifères à fortes dises pour lutter contre mes insomnies. Je pourrais te les remettre si tu veux ! » Je ne touche pas à ces
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merdes. L’assistant de Reynards jouait sur deux tableaux à la fois. C’était un caméraman de compétition, choisissant toujours les angles les plus périlleux pour filmer et l’autre journaliste de CBS de glorifier ses exploits. C’est un grand malade dont aucun avant lui n’a fait l’exploit de monter une crête abrupte pour tenir un plan serré des talibans venus pour nous ficher la raclée. Et c’est moi qui doit le couvrir, son badge « Press » ne suffit pas ; ces chiens Afghans ne font pas la différence entre un Américain et un Américain. Tous sont des proies à abattre. McGrath pète les plombs quand il sait les reporters de guerre sur notre flanc. Le mois dernier on a failli perdre des reporters italiens et espagnols alors pour limiter la casse, Jenning n’en accepte que très peu et ces derniers sont soumis à une sélection draconienne pour être certain que les agences de presse fasse correctement leur travail en amont en triant leurs reporters afin de payer le moins possible des frais de rapatriement. Certains à peine sortis des C12 Hurons cargo ou des C-31, C-37 ou Gustreams C-26 se font descendre avant même avoir pu prendre un cliché. « Tu faisais quoi avant de signer pour l’aéroportée ? Tu t’entrainais au tir sur des boites de conserves ? » Pas certain de vouloir lui répondre. C’est un arrogant filsde-pute comme dirait Wyatt à son sujet. Je venais de l’Iowa et je cuisinais des sandwiches dans un snack. J’étais payé une misère. Ma petite amie s’était tirée en apprenant que je m’engageai dans l’US Army. Elle disait ne pas vouloir me voir finir dans un sac mortuaire et encore moins estropié. Oui j’ai fait le choix de partir. Dans ma conception de l’avenir, il n’avait
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pas de place pour moi dans l’Iowa. Si je regrette ce choix ? Bien souvent je me dis qu’il n’y a pad d’avenir également ici pour moi non plus, mais bien souvent je me dis que notre destin à tous sur cette terre serait de clapser dans l’indifférence générale. Il n’y aurait pas de funérailles nationales, pas de places portant mon nom, pas de pèlerinage sur mon lieu de naissance ; alors d’une façon ou d’une autre mieux valait mourir en tentant de faire quelque chose, essayer de se rendre utile quelque part.
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** JOUR 4 ALISANG 11 : 32 :20 AM WILKES Alex, journaliste Je visionnai mes photos quand le grand Scott Reynards pointa son nez. Il s’assit sur le banc face au mien et me demanda si je tenais le coup. Furieusement je le dévisageai. Nul besoin d’avoir une thérapie en plein milieu de l’Afghanistan. Personne n’ignorait qu’il avait été psychologue avant de se tourner vers le journalisme international. Inutile de préciser que je n’éprouvai aucun désir de communiquer avec lui. J’étais là pour faire mon boulot. Le reste ne m’importait peu et surtout ne m’apportait rien. Il vint à m’étudier minutieusement et je sentis le poids de son regard sur mon visage. Il me sondait comme en pleine analyse thérapeutique. Qu’est-ce qu’un homme aussi médiatique et brillant pouvait trouver de bien sur ma personne ? Il avoua ne pas continuer plus loin et proposa de me revoir aux Etat- Unis. Alors ce grand héro de la presse rentrerait chez lui, pour retrouver la chaleur d’un foyer, les soirées mondaines avec cette….Allison Holmes et son bureau à New York ! Il avait écrit des tas de bouquins sur les conflits à travers le monde. De la Colombie au Tibet. De l’Afrique jusqu’à l’Europe- Balkan. Des récits tous plus réalistes les uns que les autres. Talentueux littéraire, homme de plume dont on faisait l’étude de ses œuvres dans les écoles de journalisme. Il prit mon NIKON entre ses mains, tournant dans tous les sens et je le regardai contrariée
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qu’il touche ainsi à mon matériel. Alors je lui demandai dans quel but il souhaitait me revoir. Je ne ressemblai en rien au type d’assistant Press avec lequel il a l’habitude de se ballader. Quand je ne travaille pas, je vis récluse dans une caravane au milieu des bois du New Hampshire. « J’aimerai mieux vous connaître….en savoir plus sur vous et….imaginez une éventuelle collaboration. Vous êtes une redoutable chasseuse d’images et jouissez d’une grande expérience sur le terrain. Vos clichés pourraient….illustrer mes écrits ». Ainsi, il me proposait du travail. Perdue dans mes pensées, je savais que ce genre de partenariat mettrait du beurre dans mes épinards. Cela changerait considérablement mon quotidien. Finalement j’acceptai sa proposition. Il parut être d’abord sceptique, puis un discret sourire éclaira son visage. Il se leva en me tendant une poignée de main, ses yeux plongés dans les miens. NIELSON Aron, journaliste Les rangers de la 173rd acceptèrent de répondre à mes questions. L’air hirsute, brisés et complètement tourmentés, ils me donnaient l’impression d’avoir combattus seuls, la lie du monde entier. Attentif je les écoutai résumé leur 48 heures d’offensive. Des braves types. Oui ils méritaient leur renommée. Quand soudain une silhouette familière m’interpella. Je quittai ce groupe de rangers pour suivre cette femme. Alex ? Était-ce mon Alex ? Elle se retourna aussi surprise que je puisse l’être. Oui c’était bien elle et elle était toujours aussi bandante. Je plongeai la main dans mes longs cheveux, éprouvant quelques
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difficultés à m’en remettre. La dernière fois que je l’ai vue c’était en Irak dans une chambre d’hôtel. Divine et si impénétrable Alex. Mais bien vite, elle me recadre se persuadant que je la suis depuis l’ambassade des Etats-Unis. Ce que je démens. Alors je lui parle de l’interview que j’aurais à donner. Mais elle me dit que c’est de la folie. Personne n’arrive à convaincre les terroristes à donner une entrevue à la presse C’est en quelque sorte les rendre intéressant, glorifier leurs actions et les rendre plus humains qu’ils ne le sont. Elle me dit être culotté et se fait plus pressante sur les questions d’ordres relationnels, cherchant à savoir qui étaient mes contacts. Là-dessus je reste secret. Une seule fuite risquerait de compromettre ma tâche. Puis je surprends son regard sur mes lèvres. Elle a envie de moi. La dernière fois encore, jamais cette forte impression et ces libidineuses pensées excitèrent ma concupiscence. La raison me pousse à l’abstinence bien qu’au fond de moi, je l’ai dans la peau. « C’est cool…. » Le sourire aux lèvres, elle répondit du même ton : « C’est cool oui» comme une invitation à prendre du plaisir. Sournoisement il me fallait glisser ma nouvelle adresse sur le site, quand je finis par l’entendre décliner mon invitation. Je la regardais partir en me disant qu’ici ou à l’autre bout du monde, Alex résistait à mes avances. O’MEARA Ned, Lt En traversant la cour pour me rendre au briefing je percutai le petit reporter. « Rien de casser miss ? ». Elle me répondit que tout était OK et mes mains serrées sur ses bras, je plongeai mon regard dans le sien
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en hochant la tête. Cela fait un bail que je n’ai pas tenu une femme dans mes bras. La dernière remonte à plusieurs mois. Une relation sans lendemain. Je la laissai partir sans me retourner, en me demanda si un jour j’allais pouvoir en tenir une à nouveau ou si cette putain de guerre allait m’emporter vers un sommeil éternel. En ouvrant la bâche de la tente Keaton fronça les sourcils ne m’attendant pas à me voir traîner par là. Le briefing a été annulé. Pauvre con que je suis ! Keaton dit pourtant avoir fait passer l’info. Il déclara que tout le monde avait besoin de repos et en particulier les officiers, continuellement sur les chapeaux de roue. « Oh O’meara, avant que je n’oublie….Adler s’est chargé de l’inventaire de toutes les munitions qu’il nous reste. Comme il est chargé du ravitaillement, j’ai pensé à juste titre que vous pourriez lui filer un coup de main. Je sais que ce n’est pas ta prérogative, mais il faut absolument que vous vous réconciliez ». Alors la colère m’envahit. Pour moi Adler était un petit con qui allait tous nous faire tuer à vouloir continuellement jouer les héros. Keaton partage mon avis mais ne veut pas l’admettre ouvertement. Il a des ordres à donner et se réconforte de trouver en face un type qui ne se pose pas de questions. A ce rythme-là, il ne tiendra pas, parce que s’exposant trop au danger. Je crois qu’il est pressé de voir la fin des hostilités. Tout comme Keaton. Il est au bout du rouleau et un combat de plus risquera de l’anéantir pour de bon. Mais s’il s’en va, qui pendra la tête du régiment ? Plusieurs pensent que je suis capable de le remplacer, ayant le savoir d’un tacticien et étant fin stratagème. Beaucoup me craignent, peut-
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être parce que nombreuses rumeurs circulent dans mon dos. On me dit être sans cœur, sanguinaires et dénoué du moindre scrupule. Je n’ai jamais démenti ces délires non-fondés. C’est tellement jouissif de passer parfois pour une ordure. REYNARDS Scott, Press Wilkes a accepté le job. Il m’a fallu peu de temps pour la convaincre. Je l’aime bien cette Wilkes, elle en a dans le ventre. Nielson me rejoint, notre Playmate à l’électrisant regard. Une carrière à Hollywood l’attend, pourtant il continue à sillonner le Proche, le Moyen et l’Extrême Orient pour quelques clichés et infos. « Suis content que tu sois là Reynards. On m’a parlé d’un journaliste d’investigation mais j’ignorais qu’il puisse s’agir de toi. Tu couvres uniquement la 173e et où est le reste de ton équipe ? » A Téhéran. Aucun ne m’a suivit jusqu’ici. Ils prendront la route pour me rejoindre à Dehmazang. Son sourire irradie. « C’est également là que je m’arrêter. Tu es sur un coup ? Une info que tu pourrais partager si elle n’est pas exclusive ». Pas l’intention de m’en faire un copain. Nielson est un enfoiré de première et si je lui fais confiance, cela se retournera contre moi aussi sûr que deux et deux font quatre. « Tu sais que je finirai par le savoir alors fais moi gagner du temps. NIXON Lou-Ann, CNN 526-77-3571 Je suis journaliste pour une chaîne câblée, dont la vocation première est le sensationnalisme. Notre but est de passer pour des journalistes citoyens, mais on infiltre tous les réseaux en quêtes de
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croustillantes révélations. Face à cette guerre de l’information, j’ai du me créer ma propre déontologie du journalisme. Au début de ma carrière, on me demandait ce que j’attendais de la profession. Or la mission du journaliste est un devoir d’informer, le respect du lecteur ou du téléspectateur, l’intérêt public et le droit de savoir. « Lou-Ann, que tu es naïve » me disait-on. Pour me vendre et faire vendre, seul l’intérêt du public comptait. En plus de mes études journalistes, j’ai peaufiné mes notions de droits afin de ne pas perdre à l’esprit notre indépendance à l’égard des pouvoirs politiques et économiques, le respect de la vie privée et la protection des sources. La moindre distance pouvait me couter cher et en même temps m’apporter la gloire. Je suis Lou- Ann Nixon et jamais je n’aurai pensé arriver aussi loin en si peu de temps. J’ai vendu du sensationnel en caméra cachée, en micro- trottoirs, en enquêtes sans jamais remettre en cause la véracité de mes informations. Il est certain que je n’aurai pas la carrière de Allison Holmes, mais je m’accorde à croire que cela peut être possible. Elle était à la bonne place au bon moment et le reste n’est qu’acharnement et confiance en soi. Aujourd’hui c’est moi qui suis à la bonne place et au bon moment. On me demande de faire une émission sur les conséquences de la guerre au Proche-Orient sur les familles américaines. Sujet délicat quand on sait que nos troupes sont encore sur place. Avec mon caméraman Nicholas et ses assistants-stagiaires, on se rend à Denver dans le Colorado. Un soleil de plomb. Point d’échappatoire. On doit rencontrer Meredith Bennett veuve de Robert Stein dont le fils s’était engagé il y
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a deux ans de cela. Il revint au pays sans jambes et souffrant du fameux PTSD (Post Traumatic Stress Disorder). J’ai envie de vomir. Le type en question n’a que 23 ans et parait maintenant en faire le double de mon paternel 40 de plus. Assise face à eux, j’essayais de me détendre, rejetant ma blonde chevelure en arrière, déterminée à prendre ses confessions jusqu’au bout. Il me parla sans filets de sa douloureuse histoire et ce sentiment d’abandon qui revenait constamment. Je ne suis pas psychologue et lorsque j’évoquai le PTSD, la 1 classe Stein se braqua. Il avait été jugé apte à retourner à la vie civile et cela voulait dire ce que ça voulait dire : APTE et puis c’est tout. Des cauchemars, tout le monde en fait et personne n’est épargné. D’accord ! D’accord ! Mieux valait changer de sujet, mais sournoisement je revenais à la charge, lui demandant d’étayer ses propos sur ses blessures de guerre, celles que personne ne voient en apparence mais qui restent néanmoins les plus douloureuses. C’est sa mère qui répondit : « on le suit, plus sérieusement que s’il avait chopé un cancer. Les docteurs de l’hôpital militaire lui ont prescrit des dizaines de pilules, bien que je doute que tout cela soit nécessaire ». Il acquiesça. Elles ne servaient à rien, si ce n’est que le rendre plus dépendant chaque jour et le priver de raison. Laissons tomber la thérapeutique pour revenir à cette guerre, si chère à nos dirigeants politiques. Grand silence entrecoupé par la respiration sifflotant de Meredith Bennett. Elle a quelque chose à dire et Nicholas zoome sur son visage terne, épuisé par des nuits d’insomnie, « il reste encore des soldats làbas, c’est eux qu’il faut sauver maintenant
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et avant qu’il ne soit trop tard. Mon fils a servi son pays, mais pensez une seule seconde à ses mères, ses épouses, ses sœurs qui attendent et qui souffrent dans l’obscurité. Ce jeu de dupes ne mènera nulle part. Le véritable problème n’est pas là. En tout cas….pas chez moi, mais audelà de l’océan ». Et puis j’ai eu un appel du Grand Scott Reynards. Il veut que je balance une note d’information sur l’Afghanistan. En ce moment nous sommes sous pression. Nous avons des directives émanant directement de la Maison Blanche et concernant le MoyenOrient ; depuis le marasme du Koweït, de la Syrie et de la Cisjordanie la presse internationale marche sur des œufs. A mon échelle mon implication dans cette guerre me semble bien limitée. Il me faudrait des moyens plus conséquents. DELANEY Carl, SGT Je vins à croiser Scott Reynards, ce grand manitou de la Press et j’ai parié 69$ avec Rodgers selon quoi avant la fin de la mission il baisera avec la petite Wilkes. En fait la cagnotte s’élève déjà à 257 dollars depuis que Brewer et Upton se sont joints à ces pronostics. On parie sur à peu près tout et n’importe quoi, cela nous aide à tenir le coup. Upton je l’aime bien, il est réglo, le seul type ici qui s’y connait un peu pour ce qui est investigations ; il est flic dans l’Arkansas et quand on lui demande pour quelle raison il a rejoint la 173, il répond : « Cette guerre vaut bien celle des gangs ». Il ne court par derrière les distinctions, il se contente seulement d’être là et de faire son job. Une vraie gueule d’ange avec sa petite fossette sur le menton et ses petits cheveux bouclés.
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Personne ne l’attend dans l’Arkansas, pas de femme, pas de gosses alors il se donne corps et âme à cette putain de guerre. Quant à Brewer c’est autre chose. Il n’écoute personne, assez cynique et tête brulée ce qui lui vaut les foudres de Mc Grath. Il lui arrive de discuter les ordres et pisse froid quand il s’agit de monter à l’assaut d’un nid de talibans. Tous deux sont dans la S3 (section 3) et Brewer veut Upton à ses côtés comme conscience pour les fois où la raison lui manque. Et Dieu sait qu’elle lui manque souvent. Oui, on a besoin d’un bon flic surtout quand dans cette partie du monde. C’est également ce que pense Keaton ; j’ai causé avec lui et il tient à ce que nous restons éveillés à chaque instant même dans cette base de transit où les douches sont chaudes et la graille à point.. Au déjeuner : hamburgers et frites, Coca-cola et ice-cream à volonté. A 0200, aura lieu le briefing et à 1217 passèrent des chasseurs F15A EAGLE et F15E STRIKE EAGLE qui font du rase mate pour mieux jouer avec nos nerfs et surtout ceux de Chris Adler. « Delaney, j’ai besoin de toi pour l’inventaire de nos munitions et prends avec toi Becker, ton chouchou ! » Rodgers ne perd pas son humour, il sait que Becker Scott me sort par les trous de nez, un bleu assez fébrile pour tous nous nous perdre. Quel âge a-til ? Vingt ans ? Vingt-deux ? « Vingt-trois et qu’est-ce que cela change ? » la bleusaille est nerveuse et elle a intérêt de filer droit. RODGERS Matt, Firt Sgt. Delaney me remet l’inventaire en bonne et due forme. Du reste pas grand-chose : nos lances grenadesMK19 MOD manquent
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ainsi que les AT 4, nos antichars ; pour les armes de poing, Keaton dit qu’on devrait pouvoir s’en passer tant que nos armes d’infanteries assurent notre survie. Pour le transport de nos troupes, on nous prévoit des M813 Truck de la General United States et je ne comprends pas pourquoi cette chienne de l’United States Army refuse de nous laisser nos Humvees. Sans blindage c’est la mort assurée. Keaton s’en va s’en me répondre, il a d’autres préoccupations et je ne crois pas que… «Hey Duinn ! Qu’est-ce qu’on a là ? » Lui de lorgner vers cet amas de bleusaille : les nouvelles recrues. « Oh, rien de transcendant, nos remplaçants pensent tout connaître de cette région et donnent des conseils de survie aux anciens ». Il est 0145 et le briefing va commencer dans peu de temps et Adler veut causer. Les bras croisés je l’écoutais me parler de ses ennuis propres aux gonzesses, la mienne ne ferait pas moins d’histoires pour une tarte trop cuite. Rubens voulait le voir rester ici quelques jours, lui se disait apte à repartir ave les gars. « Interfère en ma faveur, je ne peux pas rester ici quand vous aurez besoin de moi là-bas…tout le monde connait des moments durs…je vais bien et… ». Ouais je l’observais sur cette caisse et je vins à la même conclusion que cet empaffé de Keith Rubens : Adler a besoin de rester à l’arrière. Il fallait qu’il accepte cette fatalité. Il s’en tirera bien, je ne me fais pas de soucis pour lui. ADLER, Chris, Sergent Des ennuis. J’en ai jusqu’au cou. D’abord Keith Rubens Il me cherche des poux dans la tête. Nos différends ne remontent pas
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d’aujourd’hui. Il me reproche d’être trop peu service-service. Depuis Kaboul il ne me lâche pas sur ce sujet ; or Bradley et moi redoublions d’efforts pour maintenir cette section en état. Une chance que Bradley soit des nôtres, au moins avec lui on est sûr de mourir dans le feu de l’action et non pas planqué à l’arrière à attendre Keaton et McGrath fassent tout le sale boulot à sa place —beaucoup le pense et tous ignorent que Rubens est un putain de leader capable de traquer son ennemi sans le laisser le moindre répit—, pour Flynn, Rubens mérite tous nos égards et pas seulement parce qu’il porte le grade de CPT. Le journaliste de Press Equality, Nielson me pose beaucoup de questions sur la mission. Il veut connaître les points de ravitaillement de là jusqu’à la base. /
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** JOUR 5 MEHTER LAM (Base)/BAGH-e MIRZA 07 : 22 :20 AM WILKES Alex, Associated Press Les camions roulaient vers la frontière pakistanaise, soulevant un voluptueux nuage de poussière et de paille. Kandahar est derrière nous, à quelques kilomètres à l’Est. Un vieux berger attendait derrière le passage des véhicules américains, sans être plus inquiétés que cela. Sur cette route, les autochtones sont assurés d’y voir passer les forces de l’Otan. Tout le monde se souvient de l’offensive en août 2006 de l’Otan, baptisée Opération Méduse, à l’ouest de Kandahar. Après la perte d’un avion de surveillance avec 14 militaires et plusieurs morts au sol, notamment par feu ami, il réclama des renforts. Sur les dix premiers mois de 2006, la guérilla et les combats ont fait plus de 3 000 morts, alors que la production d’opium augmenta de 60% la même année. J’ai eu le temps de le prendre en photo. Les soldats avec qui je suis montée me regardaient, pas certain de comprendre le but de mes clichés. Je mitraille sans arrêt, constamment à l’affût du souvenir dans l’objectif d’entretenir la mémoire collective. Le para Carl Delaney a un sourire en coin qui en dit long sur ses pensées. La cigarette se consumait entre ses lèvres et je fis mon possible pour ne pas le regarder et lui donner de faux espoir. Tous se cassent les dents et beaucoup ont renoncé à me plaire. Je suis là ni pour flirter ni pour les distraire. Ils ont Reynard pour ça…Je ne peux pas croire qu’il s’acharne à suivre les hommes de la 173
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brigade aéroportée. Il était censé repartir avec les fantassins et les blindés de la 83ème division d’infanterie. A la place de cela, il remet le couvert. J’ignorai que le Pakistan l’intéressait. Keaton n’a émis aucun commentaires, flatté qu’un grand reporter s’intéressa à ces hommes. Le Pakistan. Dans ce pays Alexandre le Grand avait perdu une division entière en l’espace d’un hiver et les Russes, y avaient combattus et perdus contre les moudjahidin afghans. A présent, les efforts étaient vains pour retrouver Ben Laden malgré toute la technologie de pointe fournies par les forces spéciales américaines. Pas un seul satellite, ni drome, ni radar, ni Predator ne put en venir à bout de cette traque dans un environnement si hostile dont les conditions climatiques restaient abominables. Nous en étions là et les choses n’étaient pas prêtes de s’arranger. HARRIS Lauren, 232-22-2134 AF B Group Protestant (Infirmier) Une question me brûlait les lèvres : qu’estce que pouvait bien faire une aussi jolie femme en Afghanistan ? Pour cela, il fallait que je l’approche. Alors je le fis, basculant ma trousse de secours sur les côtés afin de ne pas passer pour quelqu’un de trop brutal. Juste l’aborder. Instaurer un climat de confiance. Mon nom est Harris. Lauren Harris et je suis infirmier, le « doc » comme il est usage d’appeler les membres du corps médical. Pas moyen de savoir d’où elle vient, c’est elle qui mène
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la barque sous le rire non dissimulé de mes comparses. Elle s’interroge de me voir avec une arme. « Ouais, c’est comme ça. Ordre du commandant. On doit être menaçant afin de repousser l’ennemi ». La belle incrédule fronça les sourcils, mifigue mi-raisin. Elle me questionna sur mes origines. Kentucky. Je n’en dirai pas plus. Le camion fait une embardée qui la projette contre moi. Les M1038Cargos viennent de nous doubler. Et puis c’est drôle quand j’y pense. Je suis là à tailler le bout de gras avec une ravissante inconnue et puis dans quelques heures, ça sera le feu, le crachat ininterrompu des munitions. Il me faudrait courir ramasser les blessés sans me mettre en danger. Cette conversation n’aura jamais eu lieu. Les soldats ne gardent en mémoire que le pire de leurs souvenirs. RUBENS Keith, Cpt Nous traversons un village récemment bombardé par l’artillerie. La chaleur se dégageait encore de ce bourbier. Quelques corps étendus sur la chaussée nous révélaient la force de frappe envoyée sur ce refuge de talibans. On ne s’attarde pas sur cette zone de bombardement. Les yeux rivés dans mes goggles, je quadrillai la désertique région. Derrière moi Adler étudiait la carte parlant de ce qu’il ferait quand il retournerait à la civilisation. La frontière n’était plus très loin, mais n’importe quoi pouvait arriver, surgir en pleine nuit et nous ôter nos projets d’avenir. C’était cela la guerre… O’MEARA Ned, Lt Nous marchons depuis de longues heures. Notre prochaine étape est Dehmazang où
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les petits gars pourront se reposer. En attendant la progression est difficile pour tout le monde. La grande destination reste Jalalabad, point important avant d’atteindre la frontière. L’A1 nous fera gagner du temps ; nous aurions pu la prendre au départ de Kaboul mais les ordres restent les ordres : difficiles à contester. Ici c’est le bordel. La petite Kahn occupe mon flanc gauche. On l’appelle Baby doll et je n’arrive toujours pas à comprendre ce qu’elle fiche ici, la guerre se devrait d’être uniquement réservé aux soldats. Allez expliquer cela au Sénat. « Allez on fonce ! » Elles sont deux ici à faire du zèle : la 2ND Tilda Orenski, nom de jeune fille Lewis et je ne le connais que comme étant la 2 ND Tilda Lewis puisque mariée récemment et cette 2ND class Ada Kahn, qu’on a chopé à Kabul et qui semble sortir de la High School. Au loin le SGT Matt Rodgers aboie ses ordres au reste de l’escouade. Un ancien champion de catch originaire d’Hawaï et probablement le plus grand fouteur de merde que je connaisse. Les balles pleuvent autour de nous, arrachant les branches des arbres. Foutu pays. On n’est pas prêt d’en sortir vivant. Les avions de reconnaissance RQ-4A Global Hawk et les MQ-9 Reaper ont salopé leur travail. Pas fichu de quadriller correctement le secteur et c’est toute la compagnie qui déguste. « Plus vite ! A couvert ! » Le SGT Rodgers fait ce qu’il faut pour rester en vie. Nos M69EA rentrent en action imitées par les M4A1 hanchant menus toute la végétation alentour et nos lance-grenades MK19MOD font du bon travail. Nos ennemis sortent des talus contre leur gré, baragouinant dans un langage connu d’eux
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seuls. Rodgers monte à l’assaut/ Putain de Rodgers ! Qui lui en a donné l’ordre ? Au loin je distingue le sourire carnassier et les dents blanches du CPT Keaton ; ces deux là s’adorent et cela va au-delà de cette guerre contre le terrorisme. Je crois que dans le civil ils fréquentaient la même femme. En tout cas, c’est ce que l’on raconte. Suis un peu sceptique. Nous faisons trois prisonniers et une dizaine de morts. McGrath veut les interroger. Personnellement. Si l’interrogation n’est pas chapeautée par Keaton, cela risque encore de dégénérer. Cela dégénère toujours quand McGrath décide de jouer les investigateurs. MC GRATH. CPT Timothy 003.21.8723 AB Group Catholic Le rapport dit : pas de transmission possible (…).renfort sur place aux cordonnées suivantes (….) si résistance rencontrée, forcer le passage (…) Et quand on nous balance ça par écrit et signé de CDT Jenning alors on se met au boulot. On a une expression à la New Hampshire : cocufier par le boucher. Notre escouade va y passer. Depuis Kaboul on traine de sacrés lascars, des types shootés à l’adrénaline et il faut les chouchouter. Avec moi Brewer Greyson et Brennant Tobias ; des enfants de chœur en apparence mais de vrais tueurs aux dents qui raient le parquet. Je pense savoir que Brennan ira loin ; il a cette espèce d’armure à la Captain America. Les petits gars l’aiment bien mais lui ne supporte personne. Il est misogyne, raciste et n’a
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pas peur d’ouvrir sa grande gueule sans jamais craindre de finir en cour martiale. De cela il s’en bat les couilles. Brewer n’est pas mal dans son genre. Un ancien des forces spéciales ; quelque part il me fait penser à Delaney de la 2SECT, en moins costaud certes mais tout aussi cynique. Les talibans nous tombent dans les bras, il ne nous reste plus qu’à les cueillir : une sorte de patriarche et deux gosses d’une vingtaine d’années qui portent des PKM, des RPG-7 launchers et une M2012 avec un très bon viseur ; de quoi satisfaire les exigences de Welling dante mon sniper, un môme qui a l’âge de nos terroristes ; même tronche, même insolence dans ce regard. Quand mon môme m’a dit : « Papa je m’engage pour l’Afghanistan ! » je lui ai répondu : « Hors de question fils ! » Bien évidemment il ne m’a pas écouté et il s’est fait sauté le caisson quelque part dans ce trou du cul du monde. Welling c’est un peu comme mon gosse : il sait qu’un jour il ne sera pas assez malin pour y échapper. Les talibans se mettent à vociférer, à brayer et malik notre interprète et spécialiste du Proche, Moyen et Extrême Orient dit qu’on devrait peut-être les ménager. Quand mes petits gars ne veulent rien entendre….Après cet exercice inscrit dans le programme comme étant une ballade de santé organisée par le joyeux comité de l’U.S Army, je saisis Rubens par les couilles et j’aimerai les lui faire bouffer. Cette fois-ci keaton ne couvrira pas ses bévues. Les ordres étaient plutôt simples : cette ballade pédestre devait nous conduire au village rebaptisé One Shot, nos AN/TWQ-1 devaient bombarder cette cible. Ok pour leur précision de frappe mais on ne devait pas
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s’attendre à la résistance massée dans les collines. Ces salauds nous sont tombés dessus. Ma 1SEC fut attaquée sur son flanc droit. Impossible de riposter car aucune visibilité. La 2SEC nous a appuyés. Les balles sifflaient en tout sens. Il nous fallait ramper ou crever là, la gueule ouverte. La Brownig M2HB de Grime rentra en action, suivit par la M240G de Braunstein ; et Welling qui s’impatientait cherchant un point de frappe. On ne pouvait lui en fournir un au risque de l’exposer au feu des mitrailles. Le SGT Rodgers arriva à moi en se traînant tel un bébé à la recherche de son hochet. « Keaton dit qu’il faut maintenir cette position coute que coute, ou bien ils nous couperons définitivement la route. —Ben, tu diras à Leaton que c’était bien mon intention. A moins qu’on nous invite à prendre le thé ? » Il répondit par un sourire, bien vite effacé quand il vit Boyce, Anderson et Osmont remonter vers nous à vive allure. Si la 1SEC Bougeait qui assurerait nos arrières ? « Hey, merde ! » Rodgers venait de résumer la situation. Anderson se prit une balle, tout comme Wickware. Keaton devait pester sur notre flanc droit ; seul Rubens pouvait nous soutenir en prenant les ennemis sur notre flanc gauche, remontant au pas de charge et canarder partout du sud-sud-ouest jusqu’au nord-sud-est. Il en avait décidé autrement mettant les vies de l’escouade en danger. Je fis signe à welling de se positionner sur la crête où peut de temps auparavant se tenait le sniper Duinn Paul de la 1SEC ; Il allait s’exécuter quand un mortier entra en action, nous obligeant à détaler comme des lapins hors de leur terrier. Deux de mes hommes furent
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touchés : Furey et Curtis. « Nom de Di…! » tonnais-je en relevant MacKenzie par le colbac. On tenta un contact par radio mais Wyatt ne m’apportait que de décevantes nouvelles. Hors de question de rester ici ! Welling fit un carnage et il me contacta par la radio portative posée sur son casque pour la note du boucher : six talibans rayés de la carte des vedettes du Mehter Lam. Pour lui un tir au canard, pour nous la certitude d’appartenir à l’élite de la nation pris dans un cortège de joyeux trublions dont l’histoire ne retiendra pas grand-chose. UPTON, JTAC Cole 040.22.5435 A GROUP Protestant. Marche de manœuvre : nulle. Les infos nous tombent dessus au compte-goutte. Pas moyen de faire autrement et les balles sifflaient autour de nous ; le sniper de la 3SEC marqua des points. Il devait tout faire tout seul, notre Ada kahn —p’tite bouille—, fine gâchette de notre section ne se distinguerait pas avec son M4A1 et pour une fois elle resterait en « observation » sur ce lit de rivière. Autant dire à un chien de ne pas aboyer quand passe un chat à cent mètres de lui. « Je ne peux plus supporter ses conneries ! Lança P’tite Bouille en armant ses cartouches dans son long rifle. P’tite Bouille c’est notre petite sœur à tous, celle qui rembarre, envoie des vannes et taille à volonté. Ils sont vachement nerveux en haut. Nous ici, on ne voit rien, on ne fait qu’entendre ce boucan digne d’une foire. Personne n’a
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vraiment de solution pour nous tirer du pétrin, pas même Keaton. Nos armes crachent leurs munitions, à l’aveuglette ou pas sur ces révoltés-talibans du village en contrebas qu’on a réduit leur en cendres, alors ils veulent nous faire la peau ou bien espérer finir en martyrs. « Contact sur la gauche Upton ! » me braya Becket Scott également de la JAC lui aussi. Il vient de l’Utah mais il sait beaucoup de choses comme fabriquer une bombe artisanale avec trois fois rien, survivre avec seulement 3$ en poches dans une ville comme vegas. On le surnomme Mall tout simplement parqu’à lui seul il ferait grimper le PIB des Etats Unis de 85% seulement avec ses idées et c’est probablement pour cela qu’on la fourré à la JTAC C’est un peu notre agent de change ici. « Ne le loupe pas Upton….On vient déjà de Burn et Morris ! » la bleusaille se ramassaient toujours les pruneaux pour les autres. Pas moyen d’empêcher ne cela. Et O’Meara qui me crie des ordres comme pour mieux me galvaniser. Vas-y Cole ! Tu peux y arriver ! Ne fléchis pas ! Mon doigt appuya sur la gâchette et TCHAK ! La balle partie, filant doit à travers la végétation. J’ai toujours chéri mon M240G, avec elle j’irai au bout du monde. Il nous faut couvrir les autres, ceux de la 3SEC beaucoup trop à découvert, ce qui nous oblige à remonter à vive allure sans nous préoccuper de ceux de la 1SEC ayant traversé à guet pour s’assurer une position stratégique —à savoir sauver leur peau devant le carnage à venir—, et sans lâcher Mall des talons, je déboule au cœur de la mêlée. Second tir de mortier et plus rien. O’meara glissa vers moi. « C’est affirmatif Upton, on a cinq
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blessés et deux morts. On a intérêt à bien vite se tirer de là où bien dire adieu à nos chances de fonder un jour une famille ». Putain ! Cinq blessés ! Merde ! O’meara roula sur le côté et disparut et je sifflais pour attirer l’attention de Cortez, cet enfoiré de latino affiche son habituel rictus, l’œil vif et des plus hilares. « Tu veux qu’on fonde une famille toi et moi Upton ? Ne me dis pas que cette idée ne t’a jamais effleuré l’esprit ! » On pourrait être tranquillement dans un troquet du Connecticut à siffler une bière ou deux avec les vieux du quartier mais à la place de cela, on se fait canarder pour ne rien changer à la musique. Cette ballade de santé vire au cauchemar quand Jonas Rankin, ce néo-nazi blond aryen vient nous avertir que la 1SEC remonte ème la rivière desséchée sans appuyer la 3 . Nous voilà séparer du reste de la compagnie et Keaton d’insister pour économiser nos munitions. Ce n’est pas pour bientôt les douches chaudes et la graille à la carte. BECKER Scott 528.88.3442 O Group Protestant On parle d’une perfusion de sang pour Curtis qui est en très mauvais état. Une perfusion là, maintenant ou c’est le perdre, ce qui raménerait à 3 le nombre de nos morts. Upton reste optimiste. Il est toujours optimiste. Je suis du groupe O tout comme Jackson, Rodgers, Brennan, Holmes, Reynards et Wilkes. A bien réfléchir je donnerai sans hésiter mon sang à Wilkes s’il était possible de le faire.
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Notre Empressed est véritablement bandante. On ne peut pas faire mieux en matière de chatte dans toute cette partie du monde et d’ailleurs si l’on compte toutes celles qu’on s’est envoyées. Il me tarde de retourner à la civilisation. C’est étrange à dire mais…mon Utah natal me manque… ; »Tu vois ce que je vois Upton ? A dix heures ? » Et je lui désignais du menton Jones Mather reconnaissable par son mohawk et son nez épaté ; il s’était trouvé un taliban. Economiser les balles pour reprendre les conseils de Keaton ; il se servait de la crosse de son Norinco Type 56-1pour achever ce dernier. Il continuait à tout prendre au pied de la lettre et dans le genre provocation on ne pouvait pas faire mieux. « J’encule Keaton ! » Disait-il du lever au coucher du soleil ; or tous savaient qu’il serait prêt à lui sucer la queue sans même qu’on lui en donna l’ordre ; le crâne du Taliban fut réduit à l’état de bouillie. Cet acharnement prouvait qu’il avait encore les pieds sur terre. Il avait fait bien pire dans son middle west comme trucider une truie, incendier des bâtiments et provoquer à lui seul une bagarre avec des negros et ce dernier acte lui valait le respect à vie de McGrath et de Brennan. Cette guerre on l’a fait pour de vrai et ici, tous l’ont bien compris. Je m’interroge au sujet de Wilkes. Qu’est-ce qui la pousse à faire cela ? Associated Press l’envoie au casse-pipe et contrairement aux autres fêlés qui se disent être reporters de guerre, Wilkes assure vraiment. L’idée de Keaton : faire diversion pour tenter une sortie au niveau de l’intersection. Ce fut chose faite et à 05 :15 :34 PM on put souffler. Une fois de plus l’Etat-major nous faisait nettoyer leur
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merde. « Si cela te déplait tant Becker, tu n’aurais jamais du rempiler pour trois ! Maintenant il ne te reste plus qu’à assumer ! » Argua Keaton tout en armant son M16A3 ; les taures du régiment sont logés à la même enseigne ; on ne pouvait s’attendre à mieux de la part de l’Armée. Pouvait-on espérer un quelconque renfort de la part des nôtres ? J’ai une furieuse envie de tout envoyer chier. A 05 :30 :12 on annonce le décès de Curtis. Pas de chance pour lui. McGrath qu’on a fini par rejoindre pour signaler notre position à l’Etat-major. Il est furax comme le reste de nos sections. « Merde Keaton ! Ne me chie pas dans les bottes ! Tu sais comme moi que Ruben s’est barré et pas seulement parce que son trouilleaumètre était à zéro mais… » Ce dernier se tut en me voyant écouter la conversation. Ils ne parleront plus jamais de Rubens, convaincus que ni l’un ni l’autre ne pourront de toute façon, rien changer. WYATT Everet 408.21.4454 AB Group Protestant Attaché à la 3SEC. Transmission. Quand j’ai dit à mes frérots que j’embarquais pour l’Afghanistan aucun ne m’a cru. Maintenant je suis là, à fond dans cette merde visqueuse et puante. L’autre me fait de grands dignes là-bas. Je ne pige pas un traître mot. Il va bientôt faire nuit et si on ne parvient pas au point de ralliement à l’heure, alors possible qu’on se mette à faire sur nous. Pas de soutien aérien, pas de soutien de la part des autres de l’U .S Army. La débandade quoi ! Pour résumer :
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un putain de merdier ! Wilkes revint vers moi, son NIKON F90 à la main. Et moi de lui demander si tout va bien de son côté. Delaney m’a chargé de veiller son petit cul et il est sérieux en me mettant sur l’affaire qu’il juge très colorée. Toutefois le fait qu’elle sache tenir un long rifle me rassure, tout comme le fait qu’elle soit à l’aide dans l’art de dégoupiller une M203 et MK19 ; finalement elle peut nous être utile si on venait à manquer de chaire à canon. Les femmes d’aujourd’hui savent tout faire dirait ma mère en voyant celle-ci jouer les G.I Jane sans s’inquiéter de savoir si elle rentrera son charmant patron de l’Associated Press. Et je la taquine : « On dirait que tu en as marre Wilkes ! Bientôt il faudra qu’on te tracte ! », Raillai-je marchant sur les talons de Brewer. Il n’aime pas que je cause avec les reporters aussi talentueux et suicidaires soient-ils. « C’est la cinquième qu’on se coltine ce mois-ci et c’est une chance pour elle qu’ils soient à ce jour en effectif réduit ! » Il est vrai que nous avions l’habitude de taper CBS, CNN et les autres de la presse U.S et internationale. Le mois dernier on a eu pas moins de 6 Français, 10 britanniques, 3 Italiens, 5 Espagnols….ils ont leur carte de PRESS qu’ils brandissent sous nos yeux et on les embarque. Par rare qu’ils se fassent prendre comme otages, qu’ils se trouent le caisson par les pruneaux des talibans ; ils sautent sur des mines ou bien rentrent bien vite chez eux avec tout un tas de syndrome du genre paranoïaque. On sait quand ils font craquer, parfois deux jours suffisent, pour certains quelques heures ; les plus aguerris : une semaine. Wilkes n’y coupera pas. Elle a beau marcher vite et suivre nos
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indications, elle ne reste pas moins une civile avec un gilet pare-balle et une carte SD dans la poche. J’entendis battre son cœur et sur mes talons, elle ne parvenait à respirer calmement. A 07 :20 :11 il fallut régler nos viseurs en mode nuit et surtout ne pas perdre le contact avec la 2SEC en amont de notre position. En tête de colonne notre éclaireur Johnson Cullen et sa M249 SAW paratrooper. Où étaient planqués les Talibans ? Ça nous n’en savons rien et c’est bien ce qui nous met mal à l’aise. A n’importe quel moment ils peuvent ouvrir le feu et nous réduire à néant. Alors on maintient le silence et en avance sans même plus se capter ; c’est ça les consignes et personne ici plus qu’ailleurs ne veut s’attirer des ennuis. Personne, pas même Carl Delaney. DELANEY Carl, Sgt On fait une halte à 09 :23 :16 quand on est certain d’avoir laissé les Talibans sont partis se piauter sagement dans leurs grottes ; faut pas se leurrer, on aurait pu y rester toute à l’heure. One Shot est loin derrière nous mais certains villageois parmi les survivants ont donné l’alerte de notre passage. P’tite bouille posa son barda non loin du mien, talonnée par O’meara. Kahn est remontée depuis un certain temps ; l’U.S. Army accepte les femmes mais n’a aucune considération pour ces dernières. Elle est révoltée : l’Afghanistan n’est pas une destination de villégiature, elle aurait du se renseigner avant de monter à bord de ce foutu C-31 troopship cargo. « Je ne parle pas de cela et tu le sais très bien ! Pas d’apaches, pas de marines pour sécuriser la zone et comble de l’horreur….on est condamné à rester ici à
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douze miles de la drop zone, en espérant que nos CH-47 soient sur place ! » Nos CH-47 seront au rendez-vous. Ne serait-ce pour évacuer nos blessés et nos tués que l’on traine depuis un certain temps. A la liste des défunts, il faut ajouter Furey. Il perdait trop de sang et on n’a rien pu faire pour le tirer de là lui non plus. Cette mission n’a pas de nom ; on est ici pour faire la reconnaissance : permettre au Navy seals de prendre l’air. Meara vint s’accroupir pour son débriefe. « On est tombé sur une putain d’avant-garde ! On était trop exposé et Rubens a eu raison d’établir un premier poste plus haut. Là d’où il est, il nous couvre. Tout le monde sait qu’il courre aux ennuis si McGrath maintient sa version. Les petits gars de la 3SEC sont particulièrement zélés. L’’intérêt pour nous est de rester soudé, alors….il ne s’est rien passé d’incongru à One Shot. Est-ce que c’est jouable pour toi Delaney ? Alors tu briefe les autres. » Evidemment ! Quand il s’agit de sauver l’honneur de notre compagnie….Et Kahn est écœurée. Impossible de la raisonner. Elle qui d’habitude ne pipe mot. Je mets ça sur le compte du stress —à ce stade-là de la compétition les nerfs lâchent et il faut une évacuation médicalisée pour ne pas donner envie aux autres de laisser court à leur rage—, et je lui parle de sa vie d’avant. Mais ma petite Kahn n’a pas envie de parler ; elle se contente de me regarder de ses yeux verts à l’expression écœurée, franchement déçue la gosse, on ne peut pas la lui faire à l’envers ; elle connait tous les tenants et les aboutissements d’une telle entreprise et on ne peut la blâmer d’être lucide. P’tite bouille, elle déchire et combien de fois
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l’ai-je vu remettre les gars à leur place ? Elle sait qu’on ne lui fera pas de cadeaux, alors elle n’en fait à personne et surtout pas à la hiérarchie qu’elle continue à snober pour ne pas passer pour faible, quitte à passer ses heures de loisir à faire toute sorte de corvées. Elle ne veut pas être en reste et quand on l’interroge sur ses intentions, elle avoue spontanément vouloir un poste dans l’état-major en tant que lieutenant de renseignements afin de défier l’autorité mieux que quiconque ne le ferait. Enfin une qui n’a pas froid aux yeux et il est de mon devoir de la protéger quand les balles se mettent à siffler autour de nous. L’Armée il faut s’en accommoder ou bien réviser son plan d’action. Et Wyatt de me demander : « A quoi penses-tu Coach là tout seul dans ton coin ? Ne me dis pas que tu absorbes toutes ces bullshit sur Mr Wrong (surnim donné à Rubens pour les mauvais choix qu’il prend) Cela serait plus facile pour nous tous, si nous avions un soutien de la part de nos sergents, tu ne crois pas ; juste un appui supplémentaire pour le cas où es choses tourneraient mal. Tu vois ce que je veux dire ? » Et moi de ne rien répondre. L’atmosphère va se rafraichir dans ce coin du pays et O’Meara sait ce qu’il faut faire pour nous garder éveiller. La politique de l’autruche, c’est un peu ce qu’ils font tous. Personne n’est vraiment dupe à ce jeu du chat et de la souris. J’allais répondre par la négation, une sentence bien tranchée quand surgit Keaton en mauvais état, mais toujours présent au plus sombre de la tempête. KEATON, Dan, Cpt.
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Les petits gars semblent avoir morflés. J’essaye d’établir un périmètre de sécurité entre la 2EME et la 3EME section afin de permettre un enlèvement possible programmé dans les minutes à venir. Nous sommes sur notre Green Zone et ces talibans continuent à nous canarder. Fort à penser qu’ils ont le matos adéquat pour mettre notre mission d’extraction en péril ; or nous n’avons pas le choix. Pas de support aérien si la zone n’est pas dégagée. On ne peut faire plus, au risque de signaler notre position. Cette première unité est efficace en amont, appuyée par O’Meara, Rodgers et les autres je ne peux malgré tout songer à l’issue de cette bataille contre un ennemi affaibli mais pas à terre pour autant. O’Meara me colle son compterendu de situation : on ne peut rester là au risque de devoir récupérer plus de sacs mortuaires que prévu sans parler de brancards pour évacuer nos hommes. « Je peux tenter une diversion avec nos mortiers et Delaney pourrait s’y coller quand on sera certain de l’arriver des Black Hawks. Si tu me laisses le feu vert, on pourrait… » C’est courageux de sa part mais il serait risqué de se disperser. Et puis arrive la 3SEC à 10 :07, tous les hommes de McGrath ont pu établir le contact. Qui de ces cow-boys sont les plus excités ? Brennan s’agite en tous sens et parle des Navy Seals postés à quelques miles de là, ayant pris en charge le reste de notre compagnie. Rodgers m’interroge du regard, les sourcils froncés ; il ne le sent pas trop et moi non plus d’ailleurs. Il nous faut annuler l’ordre d’enlèvement et continuer à pied en maintenant une bonne distance entre eux et nous. Sans plus attendre, on se mit en marche, vision
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nocturne et prêts à faire feu quelque soit le mouvement de nos assaillants. Rien à signaler jusqu’à trouver un abri pour s’y reposer quelques heures avant d’en découdre avec l’ennemi. A 06 : 13, on se remit en route pour longer une rivière asséchée. Toujours pas de contact avec la 1SEC et à nous de nous faire une raison : les navy Seals ont trouvé à faire du babysitting et à 06 : 45, enfin on perçoit un premier signe de vie au-delà de la colline boisée. Les navy Seals sont là et tous sont soulagés de les voir. Ils ont pris un village qui ne figure pas sur notre objectif de mission. Les civils sont rassemblés sur la place publique et mis en joue par les vedettes de cette unité. On nous invite à venir discuter à l’intérieur d’un logis et Malik, notre interprète se joignit à notre discussion. Les moujahids sont dispersés ici et là —on nous indiqua des cibles sur une carte et Pratt, le capitaine des Seals restait des plus sceptiques—, ces nids de terroristes auraient été nettoyés auparavant par l’US Army. Lui de me citer les marines morts pour la patrie. De ce côté-là on peut leur faire confiance : ils savent apprécier le sacrifice plus que nos unités déployés et McGrath ne compte pas se laisser impressionner par ce déballage d’orgueil. « Les Seals ont l’intention de nous apprendre à nous battre ? Si vous aviez fait correctement votre travail, nous n’en serions pas là ! » McGrath n’a jamais appris à faire dans la mesure. Difficile de le trouver plus vindicatif qu’à cet instant. Bientôt il nous faudra les séparer et c’est toujours ce qu’il se produit quand McGrath se trouve être en présence de plus fort que lui, bien qu’il ne veuille pas se l’avouer. Un rapport de force s’installe et
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s’il dit nettoyer son linge sale en famille, il est incapable de faire preuve d’ouverture d’esprit. « Combien de marines faudra-t-il engager pour détruire ces parasites puants ? » Malik ne traduisit pas les commentaires exaltés de McGrath ; il est d’une loyauté sans faille pour ce qui est du protocole international et il l’est plus encore quand un CPT comme McGrath provoque ouvertement ses pairs et concitoyens. On en restera là. Les villageois sont pour ainsi dire de notre côté jusqu’à ce que les talibans viennent leur fournir une nouvelle raison de tourner leur veste. « On ne peut pas leur faire confiance Keaton ! Tu attends ce Pratt beugler des insanités sur leurs interventions dans cette région ? Ils n’ont rien nettoyé et se sont tenus planqués alors que nous faisions tous leur seul boulot ! donnes-moi seulement une bonne raison pour ne pas lui foutre mon poing en pleine gueule ! » Ainsi parla McGrath ! On a récupérer le reste de notre compagnie, alors à quoi bon vouloir redessiner les cartes ? ADLER, CHRIS ? sgt Nous étions dans ce village à attendre les ordres. A quoi rimait tout ce bordel ? Sommes-nous du bon côté dans cette histoire ? A montrer qu’on a le sens du devoir ? Le fait qu’on ait laissé les autres derrière nous collait ce sentiment d’impuissance comme si l’on vous annonçait que l’un de vous souffrait d’une maladie incurable. On se bat pour la personne qui se trouve être à côté de nous, pour l’homme qui ne peut plus prendre les armes et j’avoue ne plus saisir ce que l’on attend de moi. Cependant le LT Brewer est là pour me le rappeler. « Contentes-toi de
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faire ton job et ne te place pas en tant qu’objecteur de conscience, sergent ! Ce n’est pas le bon endroit pour réfléchir ! » J’aimerai ne plus avoir à m’interroger sur les faits d’armes de mes supérieurs mais ici plus qu’ailleurs, il y a matière à réfléchir. Je viens à envier le sort de ces hommes comme Reynards ou Nielsen ; eux savent pour quelle raison ils se lèvent le matin. Ils savent que sans leurs clichés ils n’existent pas. J’avoue avoir créé une relation amicale avec Aron Nielsen qui n’a rien d’un amateur. Derrière son Olympus EPL5, son Panasonic G3, il fait de l’excellent travail, arrivant à capter l’essence même de notre travail. Il sait saisir insaisissable et il ne craint pas de risquer sa vie pour une seule et malheureuse photo. Il se démène comme un beau diable cet animal et notre S-LT Fynn le compare à un monstre sacré de la prise de risques en tout genre. Plaise au ciel d’avoir un type comme Fynn pour dissocier le bien du mal, l’abscons du beau. « C’était un marine tu sais ! Il a servi en Irak avant d’être démobilisé après de loyaux services rendus à la patrie, nota ce dernier en relookant du côté de Nielsen occupé à mitrailler les villageois rendus conciliant après la belle branlée causée par les Seals. Et il ajoura ceci : « Tu sais que lui et la petite Wilkes ont eu une relation…. » J’ouvris bien grand mes oreilles. « C’est ce qu’il se dit, Addy mais….je ne suis pas certain que cela soit vrai. D’autres rumeurs disent qu’elle est fiancée à un type du Pentagone, ce qui lui faudrait de couvrir certaines manœuvres classées secrètes ; Avec elle, on ne sera pas au bout de nos surprises ! » Je voulais bien le croire, ouais ! Pour revenir à Nielsen et
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comme dit précédemment je le trouvais certes plus abordable que ce Reynards ; du fait qu’il pisser debout sans un tas de fioritures et de relations hautes placées et, il faut noter également son aptitude à se fondre dans la masse sans chercher à risquer la vie de nous autres. Respectable et discret. Se sachant observer, il vint à moi et me tendit son paquet de cigarettes. « Il a quo ce Pratt qui dérange ce McGrath ? Il ne digère pas le fait qu’on marche sur ses pieds de bande ? Ses dernières heures n’ont pas été cools et je peux comprendre que ceux de la 2 ème et la 3ème section soient perçus comme des brebis galeuses mais est-ce là une raisons suffisante pour pester comme une chienne en chaleur qui vient de se faire enculer à sec par le premier gros bâtard des Seals croisés sur la route de Jalalabad ? » Comme j’éclatai de rire, mon regard vint à croiser celui de Wilkes. Tous deux échangèrent un regard et Nielsen me planta pour cette paire de miches. Alors oui, aucune difficulté à penser que tous deux échangent des infos de taille pour leurs respectifs journaux. A moins que, comme le sous-entend Fynn, il puisse s’agir d’autres choses. NIELSEN, Aron, Press Equality. Wilkes me prit à part. Elle était fébrile, rien de plus normal au vue des derniers événements. Elle ne l’entendait pas ainsi et dans cette ruelle à l’abri des oreilles indiscrètes elle accusait le coup et les bras croisés sur la poitrine, elle lorgnait du côté de Becker Scott de la JTAC. « Je ne peux pas croire que tu aies balancé sur mon compte Aron ! Tu as un sérieux problème mon grand ! » J’accueilli cette remarque
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par un sourire. Causer avec nos gentils paratroopers ne constituait en rien un crime fédéral et je ne voyais pas pour quelle raison elle s’emballait ainsi pour quelques informations diluées ici et là. Il fallait être aveugle pour ne pas voir que la plupart rêvait de se la taper et quand certains n’ont plus d’espoir…. »Oh, la FERME ! Je ne fais pas ce boulot là pour cajoler tes nouveaux amis ! Je ne suis pas à un pique-nique ! Et je couvre encore moins une country party avec… » Elle se tut d’elle-même en apercevant Delaney patrouillant le secteur, l’arme sur le flanc. « Ce job, c’est mon gagne-pain et Justin et moi avons accordé nos violons quant à notre objectif de mission ! » elle se mettait à causer maintenant comme une recrue. Objectif de mission. Le sourire que j’affichais ne lui plut pas ; cette tigresse allait certainement me sectionner la jugulaire de ses canines et me laisser me vider de mon sang sous le regard indifférent de mes potentiels rivaux. « Je travaille très dur pour mon agence et je ne suis pas là pour agrandir mon carnet d’adresse, si tu vois ce que je veux dire ? Alors je ne veux plus de ce Delaney pour me coller au train et encore moins cet Upton qui une fois le dos tourné se met à pérorer sur mon compte ! » Je l’adore mon Alex. Elle a du cran qui mieux que mon Alex sait vous tenir à distances de ses objectifs ? Elle et moi, ce n’est qu’une question de temps ; elle savait pourtant que je la collais au train et elle aimait ça la garce ; elle aime que je lui fasse du rentrededans. Elle a ce je ne sais quoi qui me plait d’admirer chez une femme. Etait-ce la présence de Reynards qui la rendait si nerveuse ? « Qu’est-ce que reynards vient
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faire là-dedans ? Dis-le-moi ! Nous avons pris des chemins opposés, dans nos respectives carrières j’entends bien et si cela ne te dérange pas, j’aimerai ne pas m’éloigner du sujet principal ! » Oui, enfin, je n’allais pas avaler toutes ces sornettes au sujet de ce Dieu de Reynards. Elle en pinçait pour ce type même si elle ne voulait pas se l’avouer. Et il suffisait de parler du loup pour en voir la queue. REYNARDS, Scott, CBS ? Les revoir en vie procura à tous un de ces élans patriotiques ; il fallait reconnaitre là leur solide entrainement qui ne laissait personne indifférent à leur situation. Avec Nielsen nous avons attendus les nouvelles de ceux restés à l’arrière. A kaboul il n’était pas rare d’attendre plusieurs heures des nouvelles de divisions entières opérant contre les forces ennemies. En ProcheOrient, dans les pays du Golfe, les actions préventives se soldaient par des échecs de tactique. Une erreur de stratégie pouvait couter la vie d’une dizaine de militaires parmi les plus aguerris. Je me souviens du discours de George W. Bush en 2002 disant : les forces extrémistes et terroristes essayent de tuer tout progrès, toute paix, en tuant les innocents. Pour une fois qu’il disait vrai. Après l’Irak j’ai couvert la Palestine et là, pareil désordre que pas même l’ONU et l’Union européenne, les Etats-Unis, la Russie n’auraient pas pu prévoir. Enfin, bref, ils s’en étaient tirés ces petits gars ! J’ai interrogé Rodgers sur les différentes actions qu’ils ont menées depuis le village One Shot. « Je t’engage à consulter O’meara, je ne peux discuter de cela avec toi sans qu’on me parle de crédibilité vis-à-vis de nos lieutenants ! »
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Lui est tenace, fermement convaincu que les journalistes d’investigation sont tous à la solde de la CIA. Ils sont toujours sur le qui-vive. Nielsen me dit d’aller fouiner du côté de Jonas Rankin de la 3SEC, lui aurait des informations à vendre. J’allais le faire quand je vis Nielsen discuter avec Wilkes. Dans ce métier on ne peut se fier qu’à son flair et ce dernier m’indique un changement de feuille de route. Je veux pouvoir me coucher ce soir avec la certitude d’avoir quelque chose à pondre. Fort possible qu’elle prenne son pied ici ; quand on commence, on ne peut malheureusement plus s’arrêter. Il y a cette petite voix dans votre tête qui vous dit : continue vieux ! Encore une autre ! On reçoit une telle dose d’adrénaline qu’une fois qu’on vous diminue, et bien votre système, votre carte-mère refuse une nouvelle programmation. Wilkes est tombée dedans malgré elle et à ce rythme je doute qu’elle s’en sorte psychiquement indemne. « Nielsen, on peut discuter ? » mon assistant Calil s’est fait cogné dessus il y a deux jours par Jones Mather de la 2SEC et depuis il se met à causer de coalition, de processus de paix, de compromis, de traités et de consensus national. Cet intellectuel n’a aucune volonté de se plier aux règlements intérieurs des camps de base dans lesquels on transite et encore moins, de fraterniser avec les autres reporters de guerre assignés à se montrer discrets. Pourtant il discute avec Wilkes mais ne parvient pas à encaisser les recommandations de Nielsen qui se la joue trop individualiste, selon mes propres critères. Je pourrais m’entretenir directement avec Wilkes mais je sais que Nielsen est un excellent
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intermédiaire auprès des soldats dont il connait le langage, les manières, les codes pour se faire accepter d’eux sans éveiller les moindres soupçons. « Que sais-tu de la mission à venir Nieslen ? Peut-être que le sergent Adler s’est montré loquace avec toi ? » Il m’étudia en silence avant de sourire. « Non, il n’a rien laissé entendre sur le prochain objectif. Mais si j’ai quelque chose, je t’en ferai part. » Vraiment ? Difficile de penser qu’il puisse être si généreux sans rien attendre en retour. Chacun pour soi et Dieu pour tous ! Alors on navigue en eaux troubles et à l’aveugle, voilà qui est rassurant.
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** JOUR 6 DEHMAZANG 09:15: 13 JENNINGS. CDT Arthur 362-54-6576 AF C Group Protestant J’attends le rapport des 1er LT Flynn Bradley, Ned O’Meara et de Greyson Brewer ; ce dernier à ce sujet fait preuve d’insubordination. Quant à leur chef de section je suis fier de leur résultat. C’est partie-là n’est pas facile à aborder. D’Expérience je sais qu’on peut très vite perdre ses repères et par la même occasion la foi en leur mission. Briefing à 09 :00. Sous la tente Keaton discute avec Rubens. Il semble avoir repris du poil de la bête et c’est tant mieux. McGrath quant à lui est nerveux et lorgne du côté de Wilkes, notre journaliste d’investigation. Il était le premier à protester contre la présence de la Press auprès de la 173 et naturellement c’est lui qui supervise les clichés de nos agents de l’Associated Press. Autant vous dire qu’ils ne sont pas toujours d’accord avec cette forme de censure. Mais revenons au briefing. Nous allons rouler jusqu’à Chaharbagh sans nous arrêter. Le ravitaillement se fera en cours de route. Objectif : gagner au plus vite eJalalabad appuyé par les bataillons de la 10 Division de Montagne américaine connues sous le nom des Royal Marines Commandos et aux sociétés militaires privées (SMP) qui déploient de nombreux mercenaires et agents de sécurité tout au long de la route.
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De plus on pourra compter sur l’armée afghane. A ces dires un tumulte se fait entendre. Tout le monde sait qu’elle est inefficace car susceptible de lutter sur plusieurs fronts. Restons sérieux, aucune aide ne peut être négligée. Eux restent plus efficaces que nos dromes. De nouveaux éclats de rire dans l’assemblée. Le SGT Delaney veut des explications sur le ditravitaillement jusqu’à notre objectif. Il craint les embuscades de la guérilla car les talibans multiplient les contacts avec les seigneurs de guerre afghans et noue une alliance contre le gouvernement. Les mouvements présents sont le Hezb-eIslami, de Guldudinn et de Khalis, les talibans et Al-Qaïda. Pour mes hommes la crainte est réelle et bien fondée. Si aucun ravitaillement effectué c’est la mort assuré. Et Nielson lève la main. Les journalistes ont toujours des tas de question à poser et toujours des plus embarrassantes. Bien souvent des questions que seul le Congrès pourrait être à même de répondre. Celle-ci me laisse, comment dire, indifférent à leur méthode d’investigation. Travaille-t-il pour la CIA ? KAHN 2ND Class Ada 008.56.3245 B Group Juive L’Afghanistan c’est…un merdier sans fond. Quand je me suis engagée j’étais à dix mille de penser que la folie n’est jamais bien loin. En fait elle est tapie derrière votre tête prête à bondir. Wilkes est là et elle écrit des milliers de notes à la seconde. C’est une intellectuelle. J’avais une prof comme elle à l’université.
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J’aimerai avoir sa force d’esprit. Elle parait si invulnérable. « J’au couvert l’Irak après que George Bush ait reçu l’aval de la Chambre des représentants des Etats Unis par 296 voix contre 133 pour recourir à la force contre ce pays. J’ai écrit un chiffon là-dessus et j’ai publié des photos pour renseigner le Conseil de Sécurité des Nations Unies. La Maison Blanche a bien évidement fermé les yeux sur les dérives de son armée. Et aujourd’hui je suis là à couvrir l’Afghanistan et ce n’est surement pas pour la culture du pavot. Je laisse ça aux économistes à la solde de Joe Biden. Tu crois qu’il y a encore espoir pour nous ici ? » Et McGrath bondit sur Wilkes. Je le salue mais lui ne répond pas. « C’est quoi le problème avec vous autres de la Press ? » Putain, il va encore lui passer un savon parce qu’elle a failli mettre en danger la section du CPT McGrath. Elle a du répondant, un sens de la répartie qui le laisse sans voix. Je me retourne pour remarquer que Rodgers glousse derrière, imité par Delaney, Adler et Keaton ; d’ailleurs c’est lui qui intervient pour le calmer. On a tous les nerfs à fleur de peau et pour certains une étincelle suffit à mettre le feu aux poudres. Les deux hommes s’invectivent jusqu’à ce que notre O’Meara s’invite à la discussion. Alex est déjà loin. Je crois qu’elle a besoin d’être seule pour extérioriser toute la violence dont elle est témoin. KEATON Daniel, Cpt. Je finis par coincer Wilkes. Elle est bien l’inconscience réincarnée. Bilan de ses exploits : deux blessés et en prime tout le mépris du régiment pour un acte que tout le monde juge égoïste et digne d’une
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suicidaire. « Faut qu’on discute… » Déjà elle me tourne le dos. Si elle avait été sous mon commandement les choses se seraient passées autrement. McGrath a malheureusement raison et… « Tu viens du Kansas, Keaton ? J’ai interviewé le Sénateur en poste en 2005. Un coup de Trafalgar au sujet de sa politique d’aménagement. Le rendez-vous eu lieu à Wichita et j’ai apprécié m’y rendre pour l’Histoire de cet état et l’accueil chaleureuse que l’on me réserve à chacune de mes visites. S’il n’y a pas de Mrs Keaton je pourrais vous inviter à déjeuner à Topeka ou Overland Park. Qu’en distu ? » Je la trouvais canon certes mais…le Kansas me parait bien loin comme à jamais inaccessible et puis, je n’apprécie pas quand les femmes cherchent à vous donner de l’importance. En général ça sent la manipulation à plein nez. En guise de réponse je me contente de soupirer sans la lâcher des yeux. « Qu’est-ce que tu veux Wilkes ? » Et elle éclate de rire, un bon rire franc comme impossible à éteindre. « Je te faisais seulement une proposition. Tu étais libre de la refuser ce que tu as fait et à présent je suis persuadée que nous n’avons plus à espérer l’un de l’autre. Oh et la prochaine fois ne te sens pas obligé de prendre ma défense ! Selon toi comment ai-je survécu à toutes ces campagnes ? » Je l’ignore encore. En proposant des rencards à des types comme moi ? Et elle m’abandonne en gloussant. Son attitude excita la curiosité de Ned O’Meara. Cela aurait pu se produire sur la Lune ou sur un autre astre de la très éloignée Saturne pour que O’Meara le remarque sans avoir besoin de lunette astronomique. Pourtant il démarre directement sur les rapports de
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nos sergents avant d’embrayer sur l’inventaire et sournoisement conduire le sujet à Alex Wilkes. Il veut savoir ce qui se trame entre la journaliste et moi. « Ah oui ? Le Kansas ? Et tu as accepté ? Fort possible que j’aille m’installe à Wichita pour y payer mes impôts. Pour vrai que le Tennessee ne m’a jamais vraiment plu et si l’on est certain de trouver des Alex Wilkes, alors il ne me reste plus qu’à trouver un mobil-home avec vue sur le Missouri ». Le cynisme de notre O’Meara est légendaire tout comme son aptitude à débusquer les talibans dans leur tanière. Ce type est un génie et dans le civil il plie sa bosse comme ingénieur après un diplôme à l’université Rensselaer.il est le seul dans la 173 Airborne à savoir faire un feu sans allumettes. Et sans hésiter je lui confirais le reste de ma vie et celle de mes hommes. WILKES Alex, Press On part dans trente minutes. Et voilà qu’arrive Justin Calil avec le reste des mercenaires. L’on ne devait se voir qu’à Jalalabad et il tient un scoop pour moi : Aron Nielson doit interviewer l’un des leaders d’Al-Qaïda, un proche d’Ayman al-Zawahiri, le médecin personnel d’Oussama ben Laden. A moins que cela ne soit lui en personne car Calil parle bien d’un Abou Fatima, l’un des noms empruntés par ce champion du cachecache. Toujours d’après Calil il est possible qu’il soit au Pakistan. Dans mes notes des indications géographiques comme les dernières positions du commandant Haqqani. Le mollah Dadûllah reprend petit à petit les districts dans les provinces du sud comme Kandahar, Helmand, Zabul et Ouruzgan ; divers
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territoires comme Paktia et de Nangarhar. L’armée craint de nombreuses contreoffensives et les opérations anti-Talibans poussent la 173 à avancer à découvert. Où Nielson compte-t-il quitter la 173e ? « A 12km de Chaharbagh. Le rendez-vous a lieu sous les coordonnées suivantes. Notes…34° 32’16.43N par longitude 70°16’30.68E et j’ai immédiatement soudoyé ces mercenaires pour gagner au plus vite ces potentiels lieux de rendezvous. Nielson croit que tu savais quelque chose sur cette rencontre et il va chercher à te tromper. On ne peut laisser Reynards et Nielson se tailler la part du lion. Parmi les mercenaires, trois acceptent de nous couvrir ». Les mercenaires ont quitté l’Irak, on peut parler d’un flux migratoire, ils ont signé des contrats auprès de la Blackwater, codirigée par Cofer Black, ancien directeur de l’antiterrorisme à Langley et également auprès de la DynCorp dont le QG se situe à Falls Church, en Virginie. A les étudier de près ils font figure d’humanoïde, tout le nec plus-ultra de la technologie sur le dos et ils ne parlent entre eux que par des codes, des messages cryptés dont la clef se trouve à Washington sur le bureau ovale de Bush. Le gouvernement gaspille des milliards de dollars pour équiper ses mercenaires et « oublie » d’envoyer des munitions à leurs soldats postés à Badakhchan. Une erreur économique plus que stratégique qui leur couta cher. REYNARDS Scott, CBS. Nielson parle trop et pas toujours aux bonnes personnes. Nous étions ensemble en Irak. Des foutaises cet uranium nigérien sensé avoir servi à Saddam Hussein pour
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son programme nucléaire ; toujours est-il que les Etats-Unis ont bombardé Bagdad et plus tard mon agence, bien que le porteparole de la Maison-Blanche, Scott McClellan annonça en 2005 la fin de la mission américaine suite à son insuccès face aux armes prohibées, on partit de nouveau retrouver les Marines, les bataillons de la nouvelle armée irakienne et tout ce merdier ; on voulait des infos sur les enlèvements de nos confrères par les salafistes. Les otages faisaient l’objet d’échange entre les anciens baasistes des services de Saddam Hussein, des djihadistes étrangers, des islamistes radicaux et des salafistes. Retrouver une aiguille dans une botte de foin et la certitude de ne pas rentrer vivant. Calil et moi fûmes dans la même galère et on est resté 34 jours enfermés dans une geôle sans voir la lumière du jour le temps que nos ravisseurs vérifient notre nonappartenance à la CIA. Les kurdes irakiens ont fini par nous faire sortir pour nous escorter jusqu’à Tikrit à l’opposé de notre destination. Ils voulaient s’assurer que nous quittions bien le pays. Peu de chose impressionnait Calil. Un mois après il était de nouveau à Sâmarrâ à discuter avec les leaders des mouvements indépendantistes islamiques. Un putain d’acharné ! Il ne lâche jamais prise. Wilkes et lui s’entendent bien ; tous deux se comprennent si bien au-delà des mots. Adler me demande si je me remets de ma blessure à l’épaule. La balle n’a fait qu’effleurer la peau sans endommager le muscle rien à voir avec les deux blessés de l’embuscade de la veille. Le SGT Adler m’interroge du regard. « Je vous ai entendu parler avec Duinn. Vous projetez
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de nous quitter ? » Oui, pour moi l’aventure avec la 173e s’arrêtera à Chaharbagh. ADLER Chris, First Sgt. Les camions démarrent et on roule vers les emmerdes. Dans environ dix heures on arrivera à destination ; en attendant les camions déplacent des nuages de poussières quand ils ne sont pas à cahoter sur les sentiers caillouteux. Flynn depuis ce matin fait ce qu’il faut pour garder le rester de la section éveillée. Il s’est pris la tête avec Brewer Greyson, le S.LT de la SEC3 au sujet des renseignements fournis par l’OTAN et concernant le ravitaillement : 80% du matériel nécessaire aux troupes déployées en Afghanistan transite par la passe de Kyper et la province de Nangarhar. Flynn n’y est absolument pour rien mais il prend pour l’ensemble de l’US Army. Brewer affirme que l’approvisionnement continuera à se faire par le nord et la Russie. Il craint une forte contre-offensive de la guérilla et cela le rend nerveux. « On ne m’a pas envoyé ici pour que mon fion serve de portedrapeau à leur mouvement. Je suis militaire de carrière et pas l’une de ces nerveuses petites recrues et je veux être certain qu’on ne confondra pas mon troude-balle avec celui d’un Ben Laden ou un autre prédicateur du Mollah-suceur-debite. Oui j’aspire à une mort digne ». La discussion aurait pu s’arrêter là mais Flynn dégaina avec la rapidité d’un desperado : « Pourtant tu n’avais pas l’air de te plaindre hier. Il y a plus de chèvres ici que nulle part ailleurs » ; Alex Wilkes se retourna pour rire entrainant dans son fou rire Delaney et O’Meara. Aucun homme
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n’aime être pris en dérision surtout quand il s’applique à être sérieux. Brewer vient du Maryland et il prend son travail très au sérieux. Je crois qu’à sa naissance, il savait déjàe ce qu’il ferait de sa vie. Il a rejoint la 173 en 2000 à la Caserma Elderme, Vicence située dans le nord de l’Italie. Il intervint en Irak en 2003 en sautant sur le Kurdistan pour créer un deuxième front. Il est caractériel et il ne comprend pas qu’on puisse lui dire merde et si vous le faites une fois, il arrivera à vous le faire regretter. On est tous à penser comme Brewer : les M1038Cargos ne nous protègent pas des tirs de RPG et d’AKM. Si la bleusaille s’en accommode, nous autres les vétérans de la 173e recherchons des véhicules plus fonctionnels équipés de mitrailleuses lourdes et de lance-roquettes. Le jour où ils comprendront nous aurons gagné la guerre.
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[Epilogue]
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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France
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