(Page reste vierge image seulement pour finaliser le choix de la couverture)
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LES VERTIGES DES DÉSESPÉRÉS [Sous-titre]
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Du même auteur Aux éditions Polymnie’Script [La cave des Exclus]
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MEL ESPELLE
LES VERTIGES DES DÉSESPÉRÉS
Polymnie ‘Script
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© 2014 – Mel Espelle. Tous droits réservés – Reproduction interdite sans autorisation de l’auteur.
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[Dédicace]
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[PrĂŠface]
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Chapitre 1 Ils disent que je suis folle, qu’ils veulent me pendre. Depuis combien de temps on me fera courir ? Et puis la faim me tenaillait. Le jour déclinait lentement. Un vol d’oies sauvages passa au-dessus de ma tête, j’avançais dans les marécages ralentis par le poids de ma robe. Au loin un animal plongea dans les hautes herbes. Un oiseau possible. Pour tromper le flair des chiens il faut progresser le long des berges, des cours d’eau, marécages et fleuve. Avec difficulté mes pieds se posèrent sur le sol gluant et pour me hisser sur le remblai je devais m’accrocher aux plantes de la mangrove. Les moustiques tournoyaient inlassablement au-dessus de ma tête. La faim me tenaillait. La veille après avoir absorbé une sorte de baie je vomis. Semer les hommes. Il faut que je survivre. La fuite est préférable à l’esclavage. Si l’on me reprend… Un claquement d’aile me fit sursauter. Tout se confond dans ma tête. Je voudrais pouvoir me reposer. Quelques minutes seulement. Mes paupières se faisaient lourdes. Ma marche devenait plus compliquée. Une odeur familière excita mes sens. Celle d’un cheval dont le hennissement me parvint. Puis l’odeur du feu. Un coureur des bois assez stupide pour tout laisser en plan. Ici de la nourriture. Un lapin cuisant sur une broche et je me risquais à aller le voler. Le cliquetis d’une arme me pétrifia. « Ne fais pas le moindre geste et tournes-toi lentement ». En tremblant je m’exécutais, la sueur ruisselant dans mon
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dos. Son pistolet me faisait face, le canon droit entre mes deux yeux ; une simple pression et ma cervelle se trouverait être pulvérisée. Mes yeux louchèrent, se refusant à lâcher le mouvement de l’arme à feu. Lentement le trappeur baissa son pistolet tandis que prise de spasmes, je crus bien mourir de peur. Il me tuerait, même s’il n’en avait pas l’idée sur le coup il le ferait après m’avoir prise de force. « N’aies pas peur d’accord ! Regardes…je pose mon arme (en le remettant dans sa sacoche) Tu peux te détendre tout va bien, hein ». Mon cœur menaçait d’éclater dans ma poitrine. Un simple coup de feu et les chasseurs de nègres me localiseraient pour ensuite constater mon corps froid gisant non loin de cette vaste étendue marécageuse. « Mon nom est Graham. Thomas Graham. J’allais souper vois-tu. Mais je n’ai rien contre un peu de compagnie.» Puis ses yeux glissèrent vers l’étendue boisée devant nos yeux ; les oies sauvages, les corbeaux et les grives volèrent de concert, le soleil déclinait rougissant les feuilles des arbres nus, les hautes herbes jaunies et lui semblait heureux, plongé dans une sorte de béatitude proche de l’extase. Mes yeux fixèrent le lapin. Une véritable torture. Possible de pouvoir l’assommer, le voler et m’en aller me restaurer au loin. Il se leva l’écueil à la main et partit la remplir. Oui je pouvais le voler et partir le plus rapidement possible. Cependant mes jambes ne répondaient plus, alors je m’assis et de passer de la station debout à assise me fit tirer des cris de douleur ; tous mes os craquèrent et mes muscles réveillés comme après une longue léthargie se mirent à hurler. Comment parviendrai-je à me relever après cela ? Pour éviter les piqures d’insectes j’avais badigeonné ma peau d’argile ainsi que mes avant bras et ma nuque. A quel genre de monstre des marais devais-je ressembler ? Voutée et tassée, je ne m’exprimais plus qu’en grognant ayant oublié depuis des semaines comment formuler une phrase. Je pensais avoir eu un tympan crevé mais il en fut rien,
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grâce à Dieu ; l’œil tuméfié et les lèvres gercées je devais aspirer la pitié et la peur chez quelqu’un de censé. Et mes mains. Naguère si jolies ne ressemblaient plus à rien qu’à des brindilles de quelque arbre vieux et sur le point de mourir. Je me réveillai d’un bond alerté par le bruit de pas autour de moi. Il avait noué ses cheveux et cela lui dégageait le visage anguleux au nez à l’arête prononcé, lèvres minces et petits yeux recouverts par des sourcils des plus expressifs. Il découpa une cuisse qu’il me tendit dans une assiette en bois et sans plus attendre je chargeais ma bouche, bourrant mes joues comme un canon. J’avalai sans mâcher. Mal m’en prit car prestement je me levai pour aller restituer ce diner dans l’herbe. Et je m’endormis face contre terre à l’endroit même où mon corps manifesta quelques troubles digestifs. Il allait me tuer. Comme tous les autres, cette idée devait l’accompagner jusque dans son sommeil. Aux premières heures du jour je me levai pour tenter de manger, prenant cette fois-ci soin de mâcher. Or je fus surprise par mon hôte dans ce que je pouvais qualifier ma rapine, il se retourna vers moi, le sourire aux lèvres. « Je vais faire route vers le nord. Libre à toi de me suivre ou pas. » Le soir je le surpris de nouveau. Il s’attendait à ce que je revienne puisque mon assiette fut posée près de la senne. Il sourit, dressant le menton et gonflant le torse. Ses yeux sont bleus et les cheveux tombaient sur son front et caressaient ses sourcils broussailleux.la chaleur remontait du sol et l’horizon recouverte de moucherons et de moustiques paraissait s’effaçait par endroit. Là-bas un héron marchait le long de la berge à la recherche de poissons pour son festin et le vent chaud balaya les grandes graminées poussant en touffes compactes dans ces eaux nauséabondes. Alors l’étranger sortit de sa sacoche un carnet et un crayon pour y griffonner une note ou deux. Je
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l’avais pris pour un coureur des bois, solitaire et sauvage ; lui cependant portait une culotte et un gilet de laine vert à gros boutons de bois et une sorte de veste grossière et rapiécée à divers envers. Grand et un peu sec, il marchait la tête dans les épaules et semblait être toujours dans l’attente d’un événement. Il suivait la progression du soleil et béat d’admiration on eut dit qu’il cherchait à catalyser les derniers rayons afin de pouvoir éclairer sa nuit. Là les mains sur les hanches, il souriait pour luimême, humant l’air, ramassant une herbe pour en étudier sa composition, plus loin se fut une branche qu’il rompit pour y renifler sa sève. Il s’oubliait complètement, ne faisant plus qu’un avec la nature et je le vis caresser le fût d’un saule comme il le ferait avec le dos d’une femme. Sa caresse fut sensuelle et délicate. Il resta un moment immobile près de l’arbre et je le perdis de vue, absorbé par la végétation alentour. Qui était donc cet homme ? Il s’accroupit devant moi et entrepris de me laver les pieds. Il tomba d’effroi devant ce qu’il vit : des plaies béantes causées par les écorces des racines immergées et il devait certainement se demander comment je parvenais encore à mettre un pied devant l’autre. Ses doigts se posèrent sur ma peau rougie, craquelée aux chevilles gonflées par un œdème et il vit l’empreinte des fers qui pendant les jours sombres entravèrent mes mouvements. Honteuse je recouvris mes pieds du peu de tissu qu’il me restait, utile pour dissimuler mon corps objet de bien des fantasmes, ce corps dont j’étais à jamais prisonnière. Il me regarda comme il regardait le paysage autour de lui, cherchant à percer le mystère de ce vaste monde si beau et si cruel dont il n’était que le spectateur. Son regard me sonda. Il ne me tuerait pas. Il me vit comme la créature de Dieu, de son Dieu différent de celui des autres Blancs. Silencieux il s’assit près de moi et regarda droit devant lui. Il respectait mes silences, mes blessures. Il ne serait pas le juge de ce que je fus et de celle que je suis.
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Le jour suivant il me leva de la tête aux pieds et dégagea mes cheveux de mon cou, mèches après mèches, cheveux après cheveux et il s’arrêta un instant médusé et heurté par ce qu’il vit. Les ramifications étalées sur mon dos. On essaya de me briser. Plusieurs fois on essaya. Le blanc caressa mon visage. Je ne voulais pas qu’il me voit. Ces cicatrices m’appartenaient. Il effleura mon dos et je le laissais faire. Ses doigts suivaient les courbes du fouet et mon corps tressaillit à chacun de ces contacts. Une larme ruissela sur ma joue. Il me donna une de ses chemises et une culotte qu’il raccourcit à la taille par une ficelle. Puis il peigna mes longs cheveux pour ensuite les tresser et les attacher autour de ma tête. Je le laissais faire et il recula pour juger du résultat. Il me tendit alors un petit miroir et alors je retins ma respiration. Il y a bien longtemps que je n’avais observé mon visage et courageusement je brandis l’objet devant mes yeux. La créature que je vis me surprit au point de baisser les yeux. « Regardes-toi, cette image t’appartient ». Alors je récidivais. Oui ce reflet m’appartenait. Maintenant j’étais Taylor Graham et non plus l’esclave attachée à la maison du maître. On m’avait acheté très cher pour disposer de ma peau laiteuse, de mes grands yeux verts d’eau et de ma bouche ronde et bien dessinée. « Tu vois, tu es très bien ». Et force de constater que mon œil n’était plus gonflé et aveuglé par le pus. Keynes prit soin de moi en posant des cataplasmes et en incisant toutes les plaies pour éviter la septicémie et la gangrène comme il disait. Les ecchymoses sur mon visage, mon torse et mes jambes n’étaient plus. Et je fis la connaissance de Bucéphale, un alezan à la robe marron aux reflets noirs et aux naseaux frémissants. Une lourde bête envoyant de violents coups de tête, refusant les caresses de son maître. Terrifiée je reculai quand Graham prit ma main pour la poser sur le puissant cou de ce dernier. Ce fut magique. Ce touché et les sensations que ce contact procurait. Lâcher prise et accepter qu’un tiers
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vous oriente dans quelque endroit inconnu. Les tressautements de la peau de Bucéphale se prolongèrent dans ma main et mon bras pour aller se noyer dans le reste de mon corps. Ma main passa sur le chanfrein du cheval, sur ses oreilles, son nez et ses joues ; son encolure, son flanc, sa croupe. Graham avançait rapidement devant moi, le bâton à la main sans se soucier de savoir si je suivais. Une espèce de fièvre l’avait gagné et il s’arrêtait pour mieux repartir. Il fouilla dans sa sacoche à la recherche d’une carte de la région sur laquelle il avait marqué sa progression. La tête baissée j’étudiais mes pieds nus. Depuis six jours il prenait soin de moi sachant que je l’abandonnerai un jour ou l’autre n’ayant pas dans l’idée de rester en Virginie après avoir fui la Caroline du Nord. Je voulais gagner le Massachussetts et fuir à jamais les Etats du sud que l’on savait esclavagistes. Il me fallait partir et avancer seule. Et puis je pleurais la nuit. Il me serrait dans ses bras
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[Epilogue]
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Dépôt légal : [octobre 2015] Imprimé en France
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