Le magazine du monde 17 juin 2017 (french)

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M Le magazine du Monde no 300. Supplément au Monde no 22528/2000 C 81975 — SaMedi 17 juin 2017. ne peut être vendu séparément. disponible en France métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

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no Portraits de France

300

L’hexagone vu Par cinq PhotograPhes


D I O R.C O M - 0 1 4 0 7 3 7 3 7 3








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carte blanche à

Wolfgang Tillmans.

Courtesy of Wolfgang Tillmans et Galerie Chantal Crousel, Paris

Le photographe aLLemand, figure de L’art contemporain, exprime sa Liberté de ton avec des images qui mêLent abstraction et réaLisme documentaire. un univers intime et engagé qu’iL présente Jusqu’à L’été.

Shahin, summer rain, 2017.

17 juin 2017 — M Le magazine du Monde


UN NOUVEAU FILM DE NATASHA LYONNE À DÉCOUVRIR EN SEPTEMBRE SUR KENZO.COM


Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

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Des images et Des mots. Des images autant que des mots. Des images comme des mots. C’est ce qui est au programme de M Le magazine du Monde, toutes les semaines, depuis l’origine. Ce numéro 300 ne fait pas exception. Ou plutôt si. Il est exceptionnel. Dès que nous avons commencé à en imaginer le menu (de fête), nous avons choisi de mettre la photo en majesté. C’est un parti pris. Dans une époque qui raffole des images jusqu’à la saturation, il arrive souvent qu’elles perdent leur sens, leur singularité, leur hiérarchie. Dans le flux, une vidéo de chat peut passer aussi vite que le portrait d’un enfant dans les ruines d’Alep. Quand il n’est pas empêché, le travail des photographes a parfois moins d’impact qu’un GIF animé qui amuse la galerie. Pour ce numéro 300, nous avons donc invité des photographes de différentes générations et de différentes nationalités. La star Brigitte Lacombe, Française installée aux États-Unis depuis plus de trente ans. L’Italien Massimo Vitali, dont les photos de plage hyperréalistes sont devenues des références. Il y a aussi la Néerlandaise Viviane Sassen qui, influencée par une enfance au Kenya, s’attache à battre en brèche les clichés de l’exotisme. Le jeune Anglais surdoué Jack Davison, 27 ans. Et le Français Alexandre Guirkinger, même pas 40 ans, habitué des pages de M, où il promène son œil curieux sur la société, les hommes politiques, le monde de la culture… ou encore la ligne Maginot. À tous, nous avons confié la même feuille de route : portraiturer la France. Cette France dont on avait coutume de dire qu’elle était coupée en deux et qui, au terme d’un an de campagnes électorales, se révèle éclatée en trois, quatre… dix morceaux. Cette France où tout existe, le pire comme le meilleur, le plus rétrograde comme le plus novateur. Cette France qui s’est lancée, entre enthousiasme et inconscience, dans une valse de nouveautés qu’on appelle « dégagisme ». Cette France travaillée par les questions identitaires et les problèmes sociaux, où les repères se brouillent en attendant que de nouvelles grilles de lecture se précisent. Cette France qui a échappé au populisme et désigné un jeune et photogénique président de la République, sans que l’on sache si c’est par défaut ou par choix. Cette France qui, pour toutes les raisons précédentes, semble enthousiasmer le monde entier. La France, la nôtre, est au programme de ce numéro. Marie-Pierre LanneLongue

17 juin 2017 — M Le magazine du Monde


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17 juin 2017

Le magazine 36

Marseille vue par Massimo Vitali. Des plages du centre aux clubs de nageurs sélects, le photographe italien a longé le littoral marseillais. Ces lieux de détente n’échappent pas aux lignes de fracture qui séparent la ville.

48

Les Français de Brigitte Lacombe. Cinéastes, créateurs de mode, cuisiniers… Qui sont ces stars que le monde nous envie? La photographe française installée à New York depuis trente ans a dressé leur portrait. 66

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Massimo Vitali pour M Le magazine du Monde

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La politique d’Alexandre Guirkinger. Alors que le premier tour des législatives a marqué un renouvellement de la classe politique, le jeune photographe a suivi quatre primo-candidats dans leur drôle de parcours.

76

La diversité selon Viviane Sassen La Néerlandaise, qui a grandi au Kenya, porte son regard dénué d’exotisme sur ces jeunes Françaises qui assument leur double culture. 86

La Ville Lumière par Jack Davison. Se jouant des clichés, le Britannique livre ses « cartes postales » poétiques de la capitale française.


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La culture

Le style 103

112

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Fétiche Collections privées.

Ligne de mire Vive la frange!

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Série. Laverne Cox, star de Orange is the New Black. Et aussi: danse, arts plastiques…

1 07

119

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Le Nouveau Monde du design. 106

Des posts et des postures #yogagram. 108

Un peu de tenues Noir et blanc.

Garden-party Parcs de loisirs. 120

Le DVD de Samuel Blumenfeld “L’Empereur du Nord”, de Robert Aldrich.

Librement inspiré Philtre d’amour.

Fil conducteur Biarritz, côté rue.

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122

Les jeux

1 24

Le totem Le briquet de Fishbach.

Variations Roulement habile. 110

Ceci n’est pas… un tableau.

Une affaire de goût Havre de paix. Dessous de table L’art de l’oisiveté.

La photographie de couverture a été réalisée par Jack Davison pour M Le magazine du Monde.

136 138

125

131

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

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Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Benjamin Favrat

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80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 —Tél. : 01-57-28-20-00/25-61 Courriel de la rédaction : Mlemagazine@lemonde.fr — Courriel des lecteurs : courrier-Mlemagazine@lemonde.fr — Courriel des abonnements : abojournalpapier@lemonde.fr président du directoire, directeur de la publication — Louis Dreyfus directeur du monde, directeur délégué de la publication, membre du directoire — Jérôme Fenoglio directeur de la rédaction — Luc Bronner directrice déléguée à l’organisation des rédactions — Françoise Tovo directeur de l’innovation éditoriale — Nabil Wakim directeurs adjoints de la rédaction — Benoît Hopquin, Virginie Malingre, Cécile Prieur secrétaire générale du groupe — Catherine Joly secrétaire générale de la rédaction — Christine Laget

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

fabrication Éric Carle (directeur industriel) Jean-Marc Moreau (chef de fabrication) Alex Monnet directeur développement produits le monde interactif Édouard Andrieu directeur informatique groupe José Bolufer responsable informatique éditoriale Emmanuel Griveau informatique éditoriale Samy Chérifi, Christian Clerc, Emmanuel De Matos, Igor Flamain, Pascal Riguel — diffusion et promotion — responsable des ventes france international Christophe Chantrel responsable commercial international Saveria Colosimo Morin directrice des abonnements Pascale Latour abonnements abojournalpapier@lemonde.fr De France, 32-89 (0,30 €/min + prix appel) ; de l’étranger (33) 1-76-26-32-89 promotion et communication Brigitte Billiard, Marianne Bredard, Marlène Godet et Élisabeth Tretiack directeur des produits dérivés Hervé Lavergne responsable de la logistique Philippe Basmaison Modification de service, réassorts pour marchands de journaux : 0 805 05 01 47

— m publicité — présidente Laurence Bonicalzi Bridier directrices déléguées Michaëlle Goffaux, Tél. 01-57-28-38-98 (michaëlle.goffaux @mpublicite.fr) et Valérie Lafont, Tél.01-57-28-39-21 (valerie.lafont@mpublicite.fr) directeur délégué - activités digitales opérations spéciales Vincent Salini M Le magazine du Monde est édité par la Société éditrice du Monde (SA). Imprimé en France: Maury imprimeur SA, 45330 Malesherbes. Origine du papier : Italie. Taux de fibres recyclées : 0%. Ce magazine est imprimé chez Maury certifié PEFC. Eutrophisation : PTot = 0.018kg/tonne de papier. Dépôt légal à parution. ISSN 0395-2037 Commission paritaire 0712C81975. Agrément CPPAP : 2000 C 81975. Distribution Presstalis. Routage France routage. Dans ce numéro, un encart « Relance abonnement » destiné à la vente au numéro France métropolitaine; un encart « Sélection hebdomadaire » destiné aux abonnés France métropolitaine.

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

directrice adjointe de la rédaction Marie-Pierre Lannelongue rédactrice en chef du magazine Camille Seeuws direction de la création Jean-Baptiste Talbourdet-Napoleone rédaction en chef adjointe Agnès Gautheron, Pierre Jaxel-Truer directrice de la mode Suzanne Koller, assistée de Ray Tetauira assistante Christine Doreau rédaction Carine Bizet, Samuel Blumenfeld, Philippe Ridet, Laurent Telo, Vanessa Schneider style-mode Chloé Aeberhardt (chef adjointe Style), Vicky Chahine (chef adjointe Mode), Fiona Khalifa (coordinatrice Mode). culture Clément Ghys (chef adjoint), Émilie Grangeray chroniqueurs Marc Beaugé, Guillemette Faure, Jean-Michel Normand, François Simon graphisme Audrey Ravelli (chef de studio), Marielle Vandamme (adjointe). photo Lucy Conticello (directrice), Laurence Lagrange (adjointe), Hélène Bénard-Chizari, Federica Rossi. Avec Virginia Power assistante Françoise Dutech édition Anne Hazard (chef d’édition), avec Stéphanie Grin, Frédéric Migeon (adjoints) et Paula Ravaux (adjointe numérique). Et Béatrice Boisserie, Agnès Rastouil. Avec Karine Benhamou, Geneviève Caux, Charlotte de l’Escale et Thomas Richet. Thouria Adouani, Valérie Lépine-Henarejos, Maud Obels (édition numérique). Avec Alexandra Bogaert révision Ninon Rosell et Adélaïde Ducreux-Picon. Avec Jean-Luc Favreau et Vanessa François rédaction numérique Marlène Duretz, François Bostnavaron, Thomas Doustaly, Pascale Krémer, Véronique Lorelle, Jean-Michel Normand, Catherine Rollot assistante Marie-France Willaume photogravure Fadi Fayed, Philippe Laure. documentation Sébastien Carganico (chef de service), Muriel Godeau et Vincent Nouvet infographie Le Monde directeur de la diffusion et de la production Hervé Bonnaud



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Les M de la semaine.

Pour envoyer vos photo­ graphies de M : lemdelasemaine @lemonde.fr (sans oublier de télécharger l’autorisation de publication sur www.lemonde. fr/m­le­mag, la galerie). Pour nous écrire : mediateur@ lemonde.fr ou M Le maga­ zine du Monde, courrier des lecteurs, 80, boulevard Auguste­Blanqui, 75707 Paris Cedex 13.

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

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M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Pierre Delaitre. Georges Michaut. Alain Jouve. Odile Guerin. Wladimir Pierre. Gabrielle Huber. Vincent Gatin. Thierry Gattacceca. Corentin CanĂŠvet

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Ils ont participé à ce numéro.

Marie-France etchegoin, journaliste et écrivaine, revient sur les lieux de son Marseille, le roman vrai (Stock). « L’eau, et la manière dont on en profite ou dont on se la partage dans cette ville, est l’un des fils conducteurs de mon livre. Sans que nous nous soyons concertés, Massimo Vitali a photographié nombre d’endroits que j’avais explorés il y a un an. J’y suis retournée. Le temps a fait son œuvre, mais l’eau des piscines et de la mer raconte toujours la beauté et les fractures de Marseille. » (p. 36)

cLéMentine goLdSzaL, journaliste, a réuni pour ce 300e numéro autour de Brigitte Lacombe dix-sept représentants du «génie» français – dont Juliette Binoche, Riad Sattouf, Azzedine Alaïa, Paul Otchakovsky-Laurens, Annette Messager… Tous ont regardé droit dans l’objectif de cette légende de la photo, installée à New York. La photographe, proche de Spielberg, Scorsese et Meryl Streep, a renoué, le temps d’un portfolio exceptionnel, avec ses racines. (p. 48)

pierre Sorgue, journaliste, rencontrait ces jeunes femmes noires qui, à Paris, font des réseaux sociaux ou des blogs des outils importants d’expression, au moment où se déclenchait la polémique autour de la « non-mixité » du festival afroféministe Nyansapo. « Certaines se revendiquent de l’afroféminisme, d’autres croient en une identité plus ouverte. Mais aucune ne souhaite attendre le bon vouloir des cénacles médiatiques ou politiques, trop blancs et peu diversifiés, pour se raconter et se rendre visibles. » (p. 76)

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Laurent teLo, journaliste à M Le magazine du Monde, est parti à la rencontre d’une nouvelle espèce de politiques: les primo-candidats aux législatives, ceux qui se présentent sans aucune expérience en la matière. « Ce qui n’est pas toujours une partie de plaisir. » (p. 66)

cLaire guiLLot, chef adjointe au service culture du Monde et spécialiste de photographie, a pour ce numéro spécial interrogé le jeune Jack Davison sur sa façon de photographier Paris, ville sillonnée par tant d’auteurs. « Je ne voulais ni imiter ni éviter les images du passé. Je les avais en tête, mais j’ai avant tout réagi à ce qui m’entourait », lui a-t-il répondu. La journaliste a traduit un recueil de poésie de l’Américain Ron Padgett, Comment devenir parfait, (Joca Seria) à paraître en juillet. (p. 86)

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Marie-France Etchegoin. Clémentine Goldszal. Le Monde. S. Deplanche. Le Monde

Journaliste — Photographe — Illustrateur Styliste — Chroniqueur — Grand reporter



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Massimo Vitali. Roxana azimi

MassiMo Vitali se Voit confier un appareil

L’Italien, né en 1944, ne le lâchera plus. « Dans ces années-là, quand on prenait un appareil, c’était un engagement à vie. Ce n’était pas comme aujourd’hui, où tout se jette », raconte cet homme affable, dans un anglais chan­ tant. Sable chauffé à blanc par le soleil, foule compacte photographiée en grand angle du haut d’un échafaudage, formats géants, plages encom­ brées et piscines engorgées forment sa griffe, recon­ naissable entre mille. Quand, voilà deux décennies, Vitali se focalise sur les stations balnéaires, ils étaient à peine trois ou quatre photographes à se passionner pour le sujet. « Je ne sais pas si c’est à cause de l’eau ou bien du sable qui entre dans les appareils », se demande encore le sexagénaire, pour qui la pho­ photo à l’âge de 12 ans.

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tographie permet à la fois une lecture immédiate et une autre, plus lente, qui s’efforce de percer la surface des images. Derrière le blanc aveuglant de ses photos se dessine une critique plus grise de la société des loisirs, du conformisme, voire de l’hédo­ nisme bling­bling. À Marseille, pour M, c’est donc tout naturellement vers les plages qu’il a dirigé son objectif. « C’est un bon poste d’observation de l’humanité. Les gens sur la plage sont comme ces papillons piqués sous verre. C’est comme ça qu’on les voit le mieux, estime Vitali. Et puis, aujourd’hui, les plages ont un autre sens. Ce ne sont pas juste des lieux où l’on se relaxe, mais le théâtre de la tragédie des réfugiés. On ne peut pas regarder une plage de la même façon qu’il y a vingt ans. » (p. 36)

Massimo Vitali

par


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Brigitte Lacombe. Clémentine Goldszal

EllE Est l’unE dEs plus grandEs portraitistEs

Installée aux États-Unis depuis trente-cinq ans, c’est surtout là-bas que Brigitte Lacombe exerce son talent. Des photos en noir et blanc, saisies à la lumière du nord. Elle photographie des personnalités célèbres, mais on a presque le sentiment de les découvrir pour la première fois. Pour M, Brigitte Lacombe a immortalisé le « génie français », toutes générations confondues. Trois jours à Paris, un jour à New York. Quand elle est en séance, elle ne sourit pas souvent – mais ses sourires n’en ont que plus de valeur. Elle ne parle pas beaucoup non plus, mais pose les questions qu’il faut et transperce tout de son regard concentré et malicieux. Derrière l’appareil, elle est contEmporainEs.

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

seule. Deux assistants disposent selon ses indications des panneaux de polystyrène pour diriger la lumière. De loin (personne n’est autorisé sur le plateau), on l’entend discuter, poser des questions, puis dire et répéter : « Inspirez… Expirez… » Elle n’aime pas quand ça s’arrête, il faut « garder l’énergie ». Elle mangera plus tard,boira si elle a le temps.Ce mélange de concentration totale, de maîtrise du détail et de complète ouverture à l’autre crée à coup sûr une alchimie particulière. Pendant la séance, Juliette Binoche, qu’elle connaît bien, s’est mise à pleurer. Certains ont ri, d’autres se sont dévoilés comme ils ne s’en seraient pas crus capables. Une question d’intensité, sans doute. Intensité qui fait naître les portraits saisissants qu’on lui connaît. (p. 48)

Brigitte Lacombe

par



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Alexandre Guirkinger. Roxana azimi

C’est presque par hasard que le Français

est tombé dans le chaudron de la photographie. Il a alors 23 ans et voyage en Asie centrale. « C’est plus l’appétit de vie que le médium lui-même qui m’a conduit vers la photographie. Cette façon d’être au monde, en observateur-poète, en retrait… », raconte l’ancien étudiant de Sciences Po. L’intuition est son maître mot: on avance en marchant, on prend des photos et on conceptualise après. Outre les grands documentaristes comme Walker Evans, ses référents sont des photographes conceptuels tels Jeff Wall ou Wolfgang Tillmans (à qui M ouvre actuellement sa « Carte blanche»). Sans oublier Jean-Luc Moulène, dont il retient la notion de « disjonction », autrement dit sortir une fraction d’un temps continu. alexandre GuirkinGer, 37 ans,

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Guirkinger manie exclusivement l’argentique, composant avec son régime de contrainte, la rareté de la pellicule, le risque de l’échec. Mais ce « raconteur d’histoires » croit aussi au hasard miraculeux, à l’attention portée au tirage et, surtout, à la confrontation d’une image avec d’autres. Son sens de la narration, il l’a déployé dans une série autour de la ligne Maginot, révélée en 2016 aux Rencontres d’Arles. Pendant dix ans, le photographe a arpenté ce rempart de milliers de bunkers, monstres de béton et symboles de la défaite française lors de la seconde guerre mondiale. Pour ce numéro 300 de M, il a suivi quatre candidats aux élections législatives françaises novices en politique. « Ils sont tout sauf spectaculaires et peuvent se retrouver seuls dans un marché, sans médias. » (p. 66)

Alexandre Guirkinger

par


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Viviane Sassen. Roxana azimi

La NéerLaNdaise ViViaNe sasseN est pLus

Sa petite enfance au Kenya lui a laissé une marque indélébile, un sens des couleurs et des juxtapositions audacieuses. Après une brève expérience comme mannequin, cette grande blonde élancée décide de prendre le contrôle de son image. Puis de l’image tout court. « J’étais une exhibitionniste timide et, d’une certaine façon, cela ne m’a jamais quittée, raconte-telle. Je suis toujours timide : c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles mes sujets ne regardent pas ma caméra, ou s’en détournent. » Ses références, elle les puise dans les avant-gardes du xxe siècle, De Stijl ou le suprématisme – le Carré noir de Malevitch est son œuvre préférée. Sur le médium, simple et complexe à la fois, elle est intarissable. « Être photographe me permet d’être un peu une magicienne », sourit-elle. Plus que ses photos de mode, c’est son travail autour de l’Afrique qui lui valut le plébiscite du qu’uNe photographe de mode.

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monde de l’art et son entrée en 2013 à la Biennale de Venise. Dépourvue de tout exotisme, pas vraiment documentaire non plus, sa série africaine offre un nouveau regard sur un continent trop souvent synthétisé à coups de stéréotypes. « Je veux que les images parlent à l’inconscient, je veux qu’elles agissent en miroirs réfléchissants, qu’elles questionnent ce qu’on voit, qu’elles renvoient à nos préjugés envers l’autre », confie-t-elle. La commande de M autour des afroféministes l’a conduite à rencontrer des jeunes femmes engagées et à se reposer la question du combat. « Quand j’étais jeune, je croyais que ma génération était post-féministe mais, en grandissant, je réalise qu’on doit encore se battre, déclare la photographe de presque 45 ans. À la maison, mon mari s’occupe de notre fils quand je suis en déplacement. Mais dans beaucoup d’endroits dans le monde, ce n’est pas le cas. Je suis heureuse de voir ces femmes donner une voix à toutes les filles qu’on n’entend pas. » (p. 76).

Viviane Sassen

par


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Jack Davison. par

Roxana azimi

publiée en 2014. S’il répond aujourd’hui aux plus prestigieuses commandes, il fait aussi partie de la « Je n’étais pas bon en peinture. » Et quand on s’en- génération qui poste ses images sur les réseaux quiert de ses références, il nous sort un bréviaire à la sociaux. C’est là que l’autodidacte s’est fait l’œil. Là Prévert: « Irving Penn, Dalí, Picasso, Internet, des où il a toujours des fans, qui le « likent » à tour de gens que je rencontre par Flickr, Vivian Maier, bras. Pour M, Jack Davison a sillonné la capitale à la Walker Evans… et mon chien Radish. » À tout recherche du vieux Paris, celui de Cartier-Bresson juste 27 ans, le Britannique est devenu la coque- et d’Elliott Erwitt. « J’ai cherché à découvrir si ces luche des magazines de mode. Sa patte? Le portrait stéréotypes existaient encore dans le Paris moderne. spontané, instinctif, pris au débotté dans la rue, C’était un projet compliqué, car il s’agissait de réaselon des angles insolites, et toujours avec le consen- liser des images puissantes en deux jours, plutôt que tement des gens. Une méthode qu’il a appliquée sur dix ou vingt ans. » Résultat : une magnifique dès sa première série sur l’Amérique, 26 States, série de cartes postales du Paris d’aujourd’hui. (p. 86) Si vouS demandez à Jack daviSon pourquoi il

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

Jack Davison

eSt devenu photographe, il répond par une pirouette:


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massimo vitali

texte

De la France, on ne montre souvent que Paris, lieu de pouvoir et épicentre intellectuel. Mais la France se raconte aussi bien à Marseille. Depuis quelques années, la cité phocéenne s’est engagée à marche forcée dans la modernité, se rêvant capitale culturelle ou perle de la Côte d’Azur, tout en restant profondément elle-même: une ville sale et sublime, violente et bonne vivante, une ville où l’on métisse plus volontiers qu’ailleurs, où l’on ségrègue aussi. L’accès à la mer en est le meilleur exemple. Du très sélect Cercle des nageurs à la populaire plage de l’Estaque, Massimo Vitali, « le » photographe des stations balnéaires, a écumé son littoral. marie-France etchegoin

La ligne de partage des eaux.

marseille vue par

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17 juin 2017 — M Le magazine du Monde


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es villes du sud sont laides sous la

À Marseille, le 1er avril, il tombait des cordes. La plupart des chauffeurs de taxi étaient en grève et d’humeur encore plus chagrine que d’habitude. Le mien roulait sans desserrer les dents depuis la gare SaintCharles en direction de la Corniche. Il avait l’air accablé par la fatigue et le poids des années. Nous avons traversé le VieuxPort ; même les bateaux étaient sinistres. Après avoir roulé sur le boulevard Charles-Livon, où la grisaille exacerbait tout ce que d’ordinaire le soleil magnifie – les immeubles défraîchis, les papiers gras, les graffitis –, nous avons tourné à gauche, dans la rue des Catalans qui longe l’anse du même nom, un quartier emblématique que j’avais arpenté pour mon livre, Marseille, le roman vrai (Stock, 2016). Cela faisait des mois que je n’y étais pas revenue. La mer avait la couleur du plomb. Soudain, devant des restes de palissades évoquant des travaux récents en surplomb de la plage, le chauffeur est sorti de son mutisme : « Ils ont démoli le Vamping. » Il se parlait à lui-même, perdu dans ses souvenirs. « Oui, c’est triste », ai-je lancé, avant qu’il ne jette un coup d’œil surpris dans son rétroviseur : « Vous avez connu le pluie.

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

Vamping ?, m’a-t-il demandé. – Je n’y ai jamais dansé, mais il faisait partie de la plage », ai-je répondu, encouragée par l’éclair d’intérêt que je voyais dans ses yeux. Ce dancing avait été l’un des plus mythiques de la ville – « Un incroyable décor à la Scorsese. La chanteuse et l’orchestre derrière des pupitres pailletés », écrivait en 1995, dans Total Khéops, Jean-Claude Izzo, le maître du polar marseillais. De toute évidence, mon chauffeur y avait déjà guinché mais il ne m’a pas laissé le temps de lui poser la question. «Ils ont démoli le Calypso», a-t-il enchaîné sur le même ton lugubre. Nous venions de dépasser l’endroit où s’élevait, il y a encore quelque temps, la fameuse discothèque. La pluie tambourinait sur le capot de la voiture, Le Havre en janvier aurait été plus gai. «Ah, le Calypso ! J’y ai déjeuné plusieurs fois, ai-je dit, histoire d’alléger l’atmosphère. On avait l’impression de manger sur l’eau. » La circulation, toujours imprévisible à l’entrée de la Corniche, nous a obligés à nous arrêter. Le chauffeur fixait un gros bateau blanc à l’horizon. De fait, le Calypso ne bouchait plus la vue. « Dommage, leurs poissons étaient bons… », ai-je à nouveau tenté. Le chauffeur n’a pas relevé et a continué sa triste litanie: «Ils ont démoli la pizzeria.» Nous étions maintenant au niveau du troisième établissement construit jadis les pieds dans le sable, tout aussi célèbre que les deux autres, la Pizzeria des Catalans. Rasée elle aussi. Adieu ses insipides salades «italiennes » et sa mozzarella en caoutchouc. Je m’en étais souvent délectée après avoir piqué une tête. Cela aussi j’aurais pu le dire au chauffeur, mais je n’en ai pas eu l’occasion. Profitant d’une brusque amélioration du trafic, il a appuyé sur l’accélérateur et mis fin à la conversation par un tonitruant : « Ils ont démoli Marseille. » Puis il a allumé la radio, pile à l’heure des «Grandes Gueules» sur RMC. Ainsi donc, c’était arrivé. Les pouvoirs publics étaient passés à l’action. Ils avaient fini par éradiquer, après de délicats travaux démarrés début 2015 et tout juste achevés, les trois « verrues », comme

les appelaient certains membres de ses services, qui « dénaturaient » la plage des Catalans, la plus proche du centre-ville, à moins d’un quart d’heure à pied du Vieux-Port. Empiétement sur le domaine maritime. Infractions à la loi littoral. Nettoyez-moi tout ça ! Plus loin, quelques estaminets ou cabanons avaient subi le même sort. Pas tous, Dieu merci. Ou Dieu sait pourquoi. La loi littoral est en vigueur depuis 1986. Pendant trente ans, ni la mairie ni la préfecture n’ont rien trouvé à redire à cette prolifération de cahutes ou de demeures rococo qui, depuis que Marseille est Marseille, ont essaimé dans chaque crique, vallon ou anfractuosité de rocher, tout au long de la Corniche et jusqu’aux calanques de Marseilleveyre et de Sormiou. Désormais, les autorités rêvent de domestiquer ce désordre pour: 1/« Rendre la mer aux Marseillais », 2/ : « Développer le tourisme », le second et principal argument se cachant souvent derrière le premier. Il ne faut pas jeter la pierre aux édiles et promoteurs qui se soucient de croissance économique. Mais est-il raisonnable de vouloir transformer Marseille en une ville de la Côte d’Azur ? Est-ce seulement possible? Marseille ne sera jamais Nice, même ripolinée ou karchérisée, dirait sans doute mon vieux chauffeur de taxi. En descendant de sa Mercedes, j’ai repensé à cette rumeur qui a couru avant qu’Emmanuel Macron ne quitte le gouvernement : dégoûtés par leur personnel politique, beaucoup de Marseillais imaginaient un parachutage du ministre lors des prochaines municipales. Comment se serait débrouillé cet homme jeune, souriant et propre sur lui, dans le marigot phocéen ? J’aurais adoré le savoir. Peut-être qu’il se serait fait manger tout cru. Peut-être qu’il aurait donné un nouveau souffle à l’antique capitale du Sud, en alliant « modernisation et tradition » . Après tout, rien n’est plus adapté à Marseille que la devise macronienne: «En même temps». Marseille est violente, en même temps, il y fait bon vivre. Marseille a des poussées xénophobes, en même temps, on y

accueille, brasse, métisse plus qu’ailleurs. Marseille est souvent sale, en même temps, elle est sublime… La liste pourrait se rallonger à l’infini, inutilement. Emmanuel Macron est à l’élysée. Et c’est son rival malheureux de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, qui a sauté sur la Canebière, ou plus exactement sur la circonscription du socialiste Patrick Mennucci… Combat de titans. Pendant ce temps, les concepteurs de la « réappropriation du littoral » ont poursuivi leur œuvre. Oh ! leurs ambitions ne sont pas pharaoniques. Ils se contentent de « réaménager » des bouts de « territoires », des « espaces », des « lieux ». Le problème, c’est que Marseille est justement une ville où la géographie est de la plus haute importance. La plupart de ses monuments (Marseille en a peu érigé ou alors elle n’a pas su les conserver) ne valent que par leur emplacement. La cathédrale La Major? Une pièce montée, sauvée par la lumière qui se reflète sur le bassin de la Joliette. La basilique Notre-Dame de la Garde ? Une grosse choucroute qu’il vaut mieux voir de loin. La Vieille Charité, jadis asile des indigents et des pestiférés ? Parfaitement restaurée, mais au cœur du Panier, l’ancien repaire des prostituées, des nervis, des bandits, des affamés venus d’Italie, de Corse ou d’Afrique. Le chancre de l’Europe, disait Hitler qui voulut éradiquer ce quartier de la surface de la terre… Des «lieux», donc, c’est d’abord ça, Marseille. Des morceaux de ville qui s’imbriquent les uns dans les autres, défiant les calculs urbanistiques mais qui, dans une secrète alchimie, ont fabriqué une «âme» parce qu’ils sont chargés d’histoire, avec un petit ou un grand H. Voilà pourquoi je compatis à la tristesse du chauffeur de taxi. Après-guerre, au Vamping, on dansait « la valse à petits pas », immortalisée par Vincent Scotto, dans une kyrielle d’opérettes : « C’est la valse marseillaise/ Qu’on fait bien à l’aise/ Un, deux, trois, comm’ça/ À petits pas ». L’exercice consistait à s’adonner au paso, à la polka ou à la java en glissant sur le sol, sans lever les


pieds. Les derniers pratiquants, j’en ai rencontré, voudraient que cette discipline soit classée au patrimoine. Dans les années 1960, les zazous ont chassé le bal musette. Pour certains, ce furent les plus belles années du dancing de la plage. « Ah ! madame, vous auriez dû connaître le Vamping, avec Marcel Zanini…», lança un jour de 2004 Jacky Imbert, surnommé « le Mat » (le fou, le fondu) à la présidente du tribunal de Marseille. Jacky aussi appartient au patrimoine. Catégorie « parrains à l’ancienne » – selon les spécialistes du grand banditisme –, l’un des derniers de la ville encore en vie. À 87 ans, il coule une retraite tranquille. Aux dernières nouvelles, il avait encore un pied-à-terre sur l’île du Frioul – en face des Catalans. Jeune, il a aimé Alain Delon, les chevaux de courses, l’opéra. Et Le Vamping! Quand Marcel Zanini – né en Turquie et initié au jazz à New York – y faisait résonner sa clarinette, avant de connaître la gloire et le succès avec Tu veux ou tu veux pas. Puis la «blue note» a cédé la place, elle aussi, à d’autres musiques et à d’autres styles. Dans les eighties, les clients du Vamping les plus zélés garent devant la porte leur BX GTI « avec pare-soleil Carrera », spécifie un témoin de l’époque. Les plus distanciés y vont pour le plaisir de se frotter aux «cagoles et aux cacous, aux flics et aux voyous » (dont ceux de la bande dite «des Catalans», impliquée dans l’assassinat du juge Michel). Ce n’est qu’au début des années 2000 que le Vamping a définitivement tiré le rideau. Depuis, c’était un bâtiment fantôme, occupant 800 mètres carrés de plage. Et au prix où est le sable… Juste à côté, le restaurant le Calypso, lui, n’avait jamais baissé pavillon. Jusqu’à l’ordre fatal de la direction départementale des territoires et de la mer, enfin décidée à appliquer la loi littoral. Même le maire n’a rien pu faire. « JeanClaude Gaudin vient ici au moins une fois par semaine », m’avait dit le patron, Pascal Visciano, quelques mois avant la démolition, en janvier 2016. L’exprésident du conseil général, Jean-Noël Guérini, y avait aussi

son rond de serviette, comme pas mal d’huiles marseillaises. La famille Visciano, propriétaire du Calypso depuis 1962, les régalait de poissons pêchés dans la nuit. Pascal toujours, avant la fermeture, l’œil humide : « Il m’est arrivé d’avoir, dans la même journée, Johnny, Sarko et Shimon Pérès. » J’avoue ne pas avoir vérifié si ces trois-là avaient pu passer dans la région à la même date. Peut-être s’agit-il de l’une de ces exagérations, de ces «marseilleries» qui font la réputation de la ville ? Quoiqu’il en soit, Pascal est le frère de Paul, qui tient une autre institution ouverte en 1946 par leur grand-père, Chez Michel, la Mecque du supion et de la bouillabaisse. Aujourd’hui, en venant de ce qui reste du restaurant de Paul, c’est-à-dire rien, il suffit de traverser la rue pour s’y attabler. La Pizzeria des Catalans, mitoyenne de l’ex-Calypso et détruite en même temps, n’avait aucune prétention gastrono-

Matelas et parasols payants. Au grand dam de certains habitués – « baigneurs d’hiver », mamies caramel, papys en maillot «moulax » – qui considèrent que « le bord de mer appartient à tout le monde » et en particulier à eux. Quelques-uns, qui se sont regroupés en associations, protestent contre la « privatisation rampante engagée par Jean-Claude Gaudin » . Ce à quoi la mairie répond que Marseille doit se montrer plus aimable pour « devenir l’une des premières destinations touristiques de France, voire du monde ». Que les estivants apprécient « le confort ». Que de nombreux Marseillais préfèrent eux aussi s’allonger sur les transats de Bandol, Saint-Cyr ou La Ciotat, et « y dépenser leur argent » (60 euros par jour en moyenne – boissons et petite restauration comprises – selon les calculs de l’adjoint au maire « délégué à la mer »). En revanche, aucun responsable municipal ne dira jamais

pourtant, les bourgeois marseillais allaient peu à la plage. Ils la laissaient aux pauvres, se retirant aux premières chaleurs, dans leurs terres, leurs mas, leurs bastides, plus tard leurs piscines. Aujourd’hui, ils ont en plus le Cercle des nageurs. L’opération « reconquête du littoral » lancée par la municipalité n’a pas fait bouger d’un iota le club le plus fameux de Marseille. Le Cercle, dominant depuis son piton rocheux l’anse des Catalans et la plèbe qui s’y précipite dès les beaux jours, reste réservé à ses abonnés, dûment cooptés et parrainés, et à l’élite de la natation française. Je n’avais pas revu son inamovible président, Paul Leccia, depuis la parution de mon livre, en avril 2016. L’ouvrage lui avait fortement déplu, m’avait-on dit, parce que j’y détaillais les petits arrangements et les guerres intestines du club, miroirs grossissants de certaines réalités locales. Mais Paul Leccia est un homme

Désormais, les autorités ont décidé de domestiquer le désordre. Mais est-il raisonnable de vouloir transformer Marseille en une ville de la Côte d’Azur? Est-ce seulement possible? Marseille ne sera jamais Nice, même ripolinée. mique, mais des générations de Marseillais ont accepté d’y mal manger avec vue sur le château d’If, en se souvenant, peut-être, que ses murs servirent de décor pour le tournage du film culte de John Frankenheimer, French Connection 2 (1975). Depuis que les trois « verrues » ont sauté, la municipalité a loué 20 % de la plage au privé (et s’apprête à faire de même sur le sable du Prado ou de la Pointe Rouge).

ouvertement que ces Marseillais veulent surtout fuir la populace et que cette populace a souvent, pour eux, l’allure d’un jeune bruyant, mal élevé, venu des quartiers paupérisés et se déplaçant généralement en bande. Chaque été, une cinquantaine de « médiateurs sociaux » sont déployés dans les zones de baignade. C’est ainsi. À Marseille, les frontières sociales sont moins étanches qu’ailleurs. Autrefois,

d’une exquise courtoisie. Pour M, il m’a reçue. « Je suis presque né sur la plage des Catalans, m’a-t-il dit. À l’époque, toutes les couches sociales s’y mélangeaient, même les frères Zampa y jouaient au volley. On payait quelques francs pour se baigner. Et puis, la plage est devenue gratuite. Et il y a eu un afflux, il a fallu reprivatiser un peu. » Une esplanade de ciment idéalement située au-dessus du (Suite page 42) •••


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Sur le toit de l’Unité d’habitation de Marseille (également appelée Cité radieuse), signée Le Corbusier, boulevard Michelet.

Photos Massimo Vitali pour M Le magazine du Monde


F.L.C./ADAGP, Paris 2017


sable, et attenante au Cercle, n’a pas encore été attribuée. L’immuable président, réélu récemment par les adhérents (« Je suis au moins là jusqu’en 2022 »), a le temps de voir venir.

région, voire de France, mais on pouvait y nager au pied de ses immeubles. Une rareté dans cette ville où de nombreuses piscines publiques ont des horaires fluctuants, soumis aux disponibilités ou aux congés maladie de son personnel. Plusieurs, vieillise jour-là, le soleil était santes et mal entretenues, ont radieux, le Cercle paradimis la clé sous la porte. Leur rénosiaque et Marseille vation coûterait un bras, dit toumagnifique. J’ai poussé jusqu’à la jours la mairie (qui pourtant, Castellane, dans les quartiers comme les autres collectivités Nord, en suivant, si l’on peut dire, locales, subventionne le club le fil de l’eau. Je voulais savoir si le privé du Cercle des nageurs). Le petit bassin municipal de cette bassin de la Castellane allait-il à cité était toujours ouvert et si son tour disparaître ? Il a résisté. Madjid en assurait encore la Et cette année, m’ont assuré les garde. Il y a un an, ce dernier maîtres-nageurs, il fermera « seum’avait confié son envie de partir. lement »… en août. La Castellane abritait alors l’un Quant à Madjid, il veille toujours des plus importants trafics de la sur les installations, avec le même ••• (Suite de la page 39)

C

Photos Massimo Vitali pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

air gentil et un peu effrayé qu’il y a un an. Il faut être du quartier pour connaître sa prestigieuse parentèle. Madjid est l’un des trois frères aînés de Zinedine Zidane et le seul membre de la famille à n’avoir pas quitté la Castellane pour aller vivre dans des contrées plus tranquilles. Immuable, lui aussi, tandis que des bulldozers s’activent dans la cité dans le cadre d’un programme de «désenclavement » – en clair, la construction d’une route permettant à la police de traverser les barres de béton et de pourchasser les dealers. La tour K, l’une de leurs platesformes commerciales promises au dynamitage, est cependant encore debout, avec ses éternels guetteurs, certains vêtus de noir jusqu’au bout des doigts. En face,

en revanche, le bâtiment G, où Zinedine Zidane a passé son adolescence, a été réduit en poussière. La grande place où il a tapé pour la première fois dans un ballon n’est plus qu’un tas de terre (c’est là qu’on construira la route). Mohamed, le pharmacien dont la boutique longe le chantier, a proposé, lors de la dernière « réunion de concertation », qu’une statue soit élevée en l’honneur du champion de foot. Son idée n’a pas été retenue. « Encore la preuve que Marseille préfère les lieux aux monuments », ai-je laissé échapper quand il m’a fait part de sa déception. Le pharmacien m’a regardée comme une extraterrestre. À juste titre, il a ajouté : « Oui, mais quand les lieux disparaissent ? »


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Page de gauche : le vallon des Auffes. Ci-contre, à droite : l’une des trois plages de l’Estaque, à Marseille.

Assistant photo : Giovanni Battista Romboni. Production : Luigi Filotico/Caminante

Ci-contre, en bas : les Terrasses du port, centre commercial inauguré en 2014, non loin du Mucem.



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Le stade Di Giovanni, en contrebas de Notre-Dame de la Garde.

17 juin 2017 — Photos Massimo Vitali pour M Le magazine du Monde



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La plage des Catalans et le Cercle des nageurs.

Photos Massimo Vitali pour M Le magazine du Monde


texte

clémentine goldszal —

stylisme

charlotte collet

Le génie français appartient-il au passé? C’est par cette interrogation qu’a débuté notre collaboration avec Brigitte Lacombe. Pour cette célèbre portraitiste française installée aux États-Unis depuis près de quarante ans et habituée à photographier des stars, le rayonnement hexagonal est intact – et c’est très français que de le nier. La preuve en images avec des cinéastes, des créateurs de mode, des musiciens, des chefs… saisis dans un face-à-face intime.

Juliette, Riad, Iñaki et les autres.

brigitte lacombe les français de

Photos Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

Manteau Chloé

Juliette Binoche, actrice

Elle a débuté avec Jean-Luc Godard,André Téchiné, et Leos Carax bien sûr. Mais dès les années 1990, Juliette Binoche s’est attelée à devenir la plus internationale des actrices françaises. Krysztof Kieslowski, Michael Haneke, John Boorman, Abel Ferrara, Hou Hsiao-hsien, Amos Gitaï, Abbas Kiarostami, David Cronenberg… Elle a tourné avec les plus grands metteurs en scène européens, asiatiques ou américains, remportant, entre autres, un César, un Oscar, un Bafta ou un Ours d’argent. Un palmarès inégalé. Un destin indissociable de l’histoire du cinéma contemporain.



AlexAndre desplAt, compositeur

Il est le musicien le plus prisé du cinéma, en France mais surtout à Hollywood. Wes Anderson, Stephen Frears, Wim Wenders, Terrence Malick, mais aussi Jacques Audiard, Anne Fontaine, Xavier Giannoli, Raymond Depardon… Tous font appel à lui pour ses compositions symphoniques, romantiques ou exotiques. En 2015, il a remporté l’Oscar de la meilleure musique de film pour The Grand Budapest Hotel. Pas de quoi se croire arrivé, ou avoir envie de ralentir. Dans les prochains mois, on verra son nom au générique de Valérian et la cité des mille planètes, de Luc Besson, Suburbicon, de George Clooney, D’après une histoire vraie, de Roman Polanski, ou encore Isle of Dogs, de Wes Anderson.


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ais enfin, c’est sidérant de se plaindre tout le temps. Vous ne vous rendez pas

compte de la chance que vous avez! » Il y a dans la voix un peu d’agacement. Pas grand-chose, juste une pointe, mais très perceptible. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas le genre de la photographe française Brigitte Lacombe de s’emporter. Son registre est plutôt celui de la délicatesse. Quelque chose de doux mais de ferme auquel il serait illusoire de vouloir résister. On n’arrive sans doute pas là où elle est par hasard… Là où elle est, c’est New York. Elle s’y est installée, il y a près de quarante ans. Là où elle est, c’est dans le – très – haut du panier des photographes américains. Brigitte Lacombe est aujourd’hui l’une des plus grandes portraitistes de la vie intellectuelle et cinématographique outre-Atlantique. Mais elle n’a oublié ni l’Europe ni, surtout, la France où elle revient souvent pour travailler ou voir ses proches. Sur son pays natal, elle porte le regard de ceux qui sont allés voir ailleurs. Et c’est précisément cela que nous attendions lorsque nous lui avons proposé de faire des portraits de Français célèbres pour ce numéro 300 de M. L’idée était de montrer le « génie » français, tel qu’il s’est affirmé au siècle des Lumières. Pour établir la liste des sujets photographiés il n’a jamais été question de critères scientifiques ou objectifs. Juste de rencontres entre Brigitte Lacombe et ces Français. Elle était très curieuse de la jeune génération dont souvent elle ignore tout. Ce qui lui semblait représenter absolument la France, le meilleur de la France, c’était France Culture, qu’elle écoute dès qu’elle le peut, quand elle est à Paris ou depuis les États-Unis sur son ordinateur. « Il n’existe nulle part ailleurs une radio qui propose des programmes de ce niveau. Nulle part ! », affirme-t-elle. Non, vraiment, nous ne nous rendons pas compte, donc, de notre chance, de cette singularité de la France, de cette forme de « génie » qui prend plus d’éclat quand on s’en éloigne. Cela ne fait pas de mal à entendre. Quelques semaines après cette première rencontre avec Brigitte Lacombe, la revoilà, au travail, dans un studio de l’Est parisien. Délicate et ferme, Lacombe s’attelle à ses rencontres. Cheveux mi-longs, blanc argenté, sans maquillage, une paire de lunettes de vue cerclées de noir à portée de main, tunique et pantalon noirs souples, sandales ouvertes, Brigitte Lacombe a son uniforme. Comme ces architectes, ces artistes, ces couturiers qui se débarrassent des détails et des fioritures pour se concentrer sur l’essentiel et font de leur allure une signature. Au cours des trois jours de prises de vues qui ont vu se succéder le dessinateur Sempé rendu fragile par l’âge, la délicate réalisatrice Mia Hansen-LØve, la coquine artiste contemporaine Annette Messager ou les incroyables sœurs Ibeyi, pas un instant Brigitte Lacombe n’a relâché son attention. « Je suis si “désapointée” », se lamente-t-elle dans son élégant franglais lorsque la collaboratrice du couturier Azzedine Alaïa appelle pour prévenir que le maître ne pourra participer. Il vient de se blesser au doigt. Opération, bandage… Le lendemain, pourtant, Alaïa est là. « Pour Brigitte », avec qui il a démarré dans les folles années 1970. « Pour Brigitte », Juliette Binoche a traversé Paris à la fin d’une déjà très longue journée. « Pour Brigitte », les sœurs Labèque, pianistes dont la renommée est aujourd’hui plus grande à l’étranger qu’en France, ont annulé interviews et rendez-vous, pris l’avion de Düsseldorf où elles jouaient la veille au soir avant de repartir l’après-midi même pour Rome, où elles résident et travaillent. Certains de ces artistes sont aussi ses amis. Elle les photographie depuis des années, la plupart du temps en noir et blanc, toujours à la lumière du nord (« c’est ainsi que je travaille », explique-t-elle simplement). Ici, ailleurs, sur les tournages, mais de préférence dans son petit studio du Lower East Side, à New York, où elle peut leur offrir l’intimité dont elle a besoin. Si on établissait une galerie imaginaire du travail de Brigitte Lacombe, on croiserait le sourire de Nelson Mandela,

l’œil de lynx de Bob Dylan, celui, pétillant, de Robert De Niro, la fragilité de l’écrivain Joan Didion, la folle sensualité de Johnny Depp, l’air blasé d’Andy Warhol, la malice de Dustin Hoffman… Et, très souvent, son amie Meryl Streep ou Martin Scorsese, dont elle est devenue une compagne de route, seule photographe accréditée sur les tournages. Et puis aussi Glenn Close, les Obama, Melinda Gates, Isabelle Huppert… Curieusement, avec un tel tableau de chasse, et alors qu’elle a, au fil des ans, aligné les collaborations avec la fine fleur des magazines américains, de Vanity Fair à Interview en passant par The New Yorker, et des titres pointus comme Acne Paper, System ou ZEITmagazin, il y a peu de littérature sur Brigitte Lacombe. Peu importe. Plus que sa gloire, ce qui l’intéresse, c’est de déchirer le voile et de percer le mystère de ceux qui sont face à elle. Mais sans forcer, sans même avoir à demander. Cette attention est au cœur de son travail. Ce qui frappe, toujours, c’est le dépouillement de ses portraits. Dans un livre regroupant son travail Lacombe: Cinema/Theater (éd. Schirmer/ Mosel), le dramaturge David Mamet, pour lequel elle a souvent travaillé, a écrit: « Je regarde ces photos et je me dis “Bon Dieu, ces gens ressemblent vraiment à des personnes… C’est tellement humain”. » Une façon de dire que, même si ses sujets sont des stars, même s’ils appartiennent au show-business, au système du divertissement, c’est leur vérité qu’elle recherche. « Son travail dépouille les personnes de leur dimension commerciale », analyse, avec justesse, Frank Rich dans un autre ouvrage, Lacombe Anima/Personna (retrospective 19752008, éd. Steidl/Dangin). « À chaque portrait, j’apprends quelque chose, sur moi et sur les autres. C’est pour ça que ça reste passionnant », observe la photographe. D’elle, elle parle peu, sans pour autant sembler cultiver de mystérieux secrets. Née à Metz, d’un père secrétaire général des coopératives ouvrières de France et d’une mère anesthésiste (l’une des premières), mais qui arrêta de travailler à la naissance de son premier enfant, Brigitte Lacombe grandit à Paris. Mauvaise élève, elle arrête l’école à 16 ans. Son père connaît le directeur du labo photo du magazine Elle. Il lui offre un appareil (lui qui a toujours rêvé de devenir photographe), et lui dégote un stage. Au bout d’un an d’apprentissage, on lui donne le choix: devenir l’assistante de Patrick Demarchelier, un grand photographe de mode, ou bien suivre la fantasque Jeannette Leroy, protégée d’Hélène Lazareff (la fondatrice du magazine). « Elle vivait seule, retrouvait l’homme qu’elle aimait pour des soirées… Elle m’a ouvert les yeux sur un monde très différent du mien. Elle ne m’a rien enseigné sur la technique mais avec elle, j’ai appris à regarder. » Au bout de deux ans, Leroy la confie au légendaire directeur artistique de Elle, Peter Knapp. Lacombe fait des portraits, des reportages, et signe ses premières couvertures. « Comme tout le monde », elle aime le cinéma, et parce que sa famille a une maison au Canet, le magazine décide de l’envoyer au Festival de Cannes. En ce mois de mai 1975, elle est l’une des seules femmes photographes et a accès aux vedettes. Dustin Hoffman, venu défendre Lenny, lui propose à la volée de prendre des photos sur le tournage de son prochain film, Les Hommes du président. Elle part peu après pour Washington, où se tournent les scènes en extérieur, avant de suivre l’équipe à Los Angeles. Là, sans réaliser sa chance, elle photographie Roman Polanski,Donald Sutherland,et rencontre Steven Spielberg,qui vient de terminer Les Dents de la mer. « J’étais alors la seule Française qu’il connaissait. Il était en train d’écrire le scénario de Rencontres du troisième type et a donné mon nom au personnage de François Truffaut, le Professeur Lacombe! »Sa carrière est lancée, elle s’installe à New York, qui devient sa base arrière. Depuis, Brigitte Lacombe vit pour son métier. « Mon travail est devenu ma vie entière, dit-elle. Presque à l’exclusion de tout le reste. » Pas de mari, pas d’enfant mais des amis fidèles, une sœur à Paris. Pas de regrets, non plus. « Une vie réussie, c’est quand on sait que l’on n’a pas tout, mais que l’on a fait des choix et qu’on n’en regrette aucun. » 17 juin 2017 — Photos Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde


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Des dizaines d’albums du Petit Nicolas, des rétrospectives, des films, plus de cent couvertures du mythique New Yorker, des publications dans plus de quarante pays… Sempé, 84 ans, est le maître incontesté du dessin français. Son trait, reconnaissable entre mille, est à la fois virtuose et poétique. Son regard sur le monde, douxamer et tendre, a tant pénétré notre inconscient qu’il se surimprime sur les vues de Paris et de New York, sur les grands moments intimes et les petits événements collectifs. L’humanité dessinée dans une œuvre immense, drôle et mélancolique, philosophique. Photos Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

Chemise J.W. Anderson

Sempé, deSSinateur


Mia Hansen-Løve, réaLisatrice

Depuis son premier film, Tout est pardonné, en 2007, cette Parisienne à la silhouette adolescente trace une route qui contredit son apparente fragilité. Mia Hansen-Løve a la détermination d’acier des grands timides, et son cinéma est à son image: sous la sagesse gronde et frémit un courant puissant. Celle qui a remporté l’Ours d’argent à la Berlinale 2016 (pour son film L’Avenir, avec Isabelle Huppert) tournera son septième film en Inde au mois de septembre, et un huitième en Suède début 2018 (avec Greta Gerwig et John Turturro).


IbeyI, musIcIennes

Lisa et Naomi Díaz, 22 ans, sont jumelles. Leur père était cubain, leur mère est franco-vénézuélienne. Les deux sœurs, elles, ont grandi à Paris. Leur premier album, Ibeyi, sorti en 2015, chanté en anglais et en yoruba, a fait d’elles un duo incontournable. Signées sur le label anglais XL (Radiohead, Adele, The xx…), sollicitées par Beyoncé pour participer à son dernier film-album Lemonade, saluées en personne par Prince lors de leur concert à Milwaukee en 2016…, Lisa et Naomi s’émerveillent encore de leur histoire. Leur deuxième album, Ash, sortira le 29 septembre et continuera de célébrer leur héritage métis.


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Phoenix, musiciens

Il aura suffi de quatre chevelus d’une vingtaine d’années, au début de la décennie 2000, pour placer Versailles, leur ville, comme un épicentre de la pop mondiale, quelques années après la vague de la French Touch. En 2009, leur quatrième album, Wolfgang Amadeus Phoenix, les porte aux sommets des charts mondiaux et leur vaut un Grammy Award. Le cinquième, Bankrupt !, enfonce le clou en 2013. Leur dernier-né, Ti Amo, sorti ces jours-ci, a des airs de dolce vita et promet de les maintenir au sommet. La preuve du succès? Ils sont sans doute au moins aussi connus à l’étranger qu’en France. 17 juin 2017 — Photos Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde


Azzedine AlAïA, créAteur de mode

M.Alaïa est haut comme trois pommes, mais a la stature d’un géant. Débarqué à Paris de sa Tunisie natale à la fin des années 1950, il habille depuis cinquante ans les plus belles et les plus élégantes femmes du monde, qui se bousculent dans l’intimité de son atelier parisien. Naomi Campbell, Scarlett Johansson, Michelle Obama,Tina Turner… Toutes ont contribué à la renommée de ce grand discret qui protège son indépendance comme un trésor en se tenant à l’écart du système du luxe. Imperméable aux tendances, son style n’a pas changé. Sans prendre une ride. Il s’intéresse à tout (sauf à la mode!), dort quatre heures par nuit et continue d’être vénéré par toutes les générations.


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iñaki aizPitarte, chef

Voici onze ans qu’il a pris les commandes du Chateaubriand, faisant de ce vieil établissement parisien un bistrot palpitant. Carnivore, inventif, touche-à-tout, le chef basque a également pris la tête de la brigade du Dauphin, son second restaurant, où il sert une cuisine fraîche et acidulée, réveillée par les herbes aromatiques. Chef de file de la spectaculaire réinvention de la gastronomie française, décontractée et exigeante, enracinée et libre, il attire à sa table touristes du monde entier, vedettes affamées, et Parisiens peu sensibles au faste parfois chichiteux des grandes institutions hors de prix.

Gilles Peress, PhotoGraPhe

Il est né à Neuilly-sur-Seine, est passé par Sciences Po Paris, vit à New York mais n’a pas vraiment d’adresse. Depuis 1971, Gilles Peress arpente le monde pour témoigner, objectif en main, des pires moments de brutalité contemporaine. Publiées dans le New York Times, Life ou Stern, exposées au MoMA de New York, au Getty de Los Angeles, au Musée d’art moderne à Paris, ses images de guerre en provenance de Bosnie, du Rwanda, d’Irlande du Nord ou d’Iran sont restées dans les mémoires. Des documents en noir et blanc souvent bouleversants. 17 juin 2017 — Photos Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde


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Simon Porte JacquemuS, créateur de mode

« Je m’appelle Simon, j’aime le bleu et le blanc, les rayures, le soleil, les fruits, les ronds, Marseille et les années 1980 », annonce le jeune prodige de 27 ans sur son site Internet. En quelques années, sa mode joyeuse et colorée a conquis le monde. Un exploit pour un créateur indépendant, qui a monté sa marque à 20 ans, et s’est fait remarquer lors de défilés happening en marge des Fashion Weeks parisiennes. Sa liberté, elle, s’exporte bien: la marque Jacquemus affiche une santé insolente (5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016, et une trentaine de salariés), et est disponible dans 90 points de vente à travers le monde. Une success story à la française. Photos Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017


Paul OtchakOvsky-laurens, éditeur

À la tête de P.O.L, la maison qui porte ses initiales et qu’il a créée il y a trente-quatre ans, ce limier littéraire a su déceler le génie dans les plumes d’Emmanuel Carrère, Marie Darrieussecq, Camille Laurens ou Guillaume Dustan. Comme armes de choix, Paul Otchakovsky-Laurens, 72 ans, a l’esprit d’aventure et de découverte, favorisant, chez ses auteurs, l’expérimentation, la liberté et le courage. Le courage, c’est aussi celui de publier des textes qui bousculent, dérangent, résistent ou interpellent. Parce que les arts dialoguent, POL préside également le Festival international de cinéma de Marseille, dont la prochaine édition, en juillet, mettra à l’honneur le cinéaste américain Roger Corman.


Riad Sattouf, deSSinateuR et RéaliSateuR

Traduit en vingt langues, portraituré dans le New Yorker en 2015, ce Français d’origine syrienne dessine comme il pense: vite et de manière incisive. Dans ses récits de bagarres de cour de récré et d’errements adolescents, il convoque l’enfant qu’il fut, y injectant une conscience du monde dont il semble refuser de croire qu’elle est politique, mais qui encapsule le cœur battant de notre époque.À suivre : une nouvelle étape pour Les Cahiers d’Esther (« 12 ans ») et, bien sûr, le quatrième volume de sa saga L’Arabe du futur, à l’automne. Et peut-être, qui sait, un nouveau film, après Les Beaux Gosses et Jacky au royaume des filles.


vêtements Givenchy par Riccardo Tisci

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katia et Marielle labèque, pianistes

« Petites, nous avons commencé à jouer à quatre mains parce que nous n’avions pas la place d’avoir deux pianos à la maison », racontent-elles. Elles sont menues, également brunes, pétillantes, et avancent professionnellement en paire depuis près de quarante ans. Katia a les yeux gris-vert et prend plus facilement la parole que Marielle, aux yeux bruns. Les sœurs Labèque restent les reines inégalées du répertoire à deux pianos, classique, jazz, baroque ou rock expérimental. Elles ont joué dans les plus grandes salles et festivals du monde, collaboré avec Philip Glass, John Cage ou Steve Reich, fondé un label et une fondation à Rome, où elles vivent avec leurs époux. 17 juin 2017 — Photos Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde


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Pierre Hermé, Pâtissier

Son nom évoque des sucreries lustrées, belles comme des bonbons de dessins animés. Fils, petit-fils, arrièrepetits-fils d’artisans pâtissiers, Pierre Hermé a porté le savoir-faire familial au niveau de l’excellence, concevant des délices que ses chefs répliquent au milligramme près dans ses dizaines de boutiques, de Paris à Strasbourg, et de Tokyo à Macao. L’Ispahan, la série phare des Infiniment… Les noms de ses créations pourraient presque être des titres de romans.

Photos Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017


Christian Boltanski, artiste

Fringant, du haut de ses 72 ans, Christian Boltanski se dit « arrivé à l’âge des rétrospectives ». L’œil qui frise, le sourire enfantin, cet « artiste peintre »,comme il se définit lui-même,essaime depuis plus de cinquante ans ses œuvres physiques et métaphysiques aux quatre coins de la planète. Les Archives du cœur sur l’île de Naoshima, la gigantesque installation parisienne Personnes, au Grand Palais, à Paris, en 2010, Les Dernières années de CB en Australie… Il faut bouger vite pour le suivre. Dans les mois qui viennent, il s’envolera pour la Patagonie, où sa prochaine œuvre dialoguera avec les baleines de l’océan Pacifique. Jusqu’au 30 juin, la péniche La Pop, amarrée au quai de Loire à Paris, accueille son installation sonore Le Cœur.


Olivier AssAyAs, réAlisAteur

Bien qu’ancré en France, son cinéma est voyageur. Qu’il s’incarne avec Juliette Binoche (qu’il retrouvera à l’automne sur le tournage de son prochain film, eBook), avec la jeune star Kristen Stewart (dont il a fait sa muse le temps de deux films, Sils Maria et Personal Shopper), ou dans des aventures transcontinentales (Clean en 2004, Carlos en 2010), Olivier Assayas est liberté de geste, de parole, de fabrication. Photos Brigitte Lacombe pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

Pull et veste Hermès

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Assistants photo : David Coventry, Henri De Carvalho. Assistante styliste Rouquet Salomé. Coiffure : Anais Lucas Sebagh, Ramona Eschbach. Maquillage : Isabelle Lefebvre.

Annette MessAger, Artiste

Elle a reçu le Lion d’or à la Biennale de Venise en 2005, a exposé à New York, Los Angeles, Tokyo ou Buenos Aires. Formée à l’École des arts décoratifs dans les années 1960, Annette Messager a pris la tangente dans le sillage de Mai 68 et est devenue, dans les années 1970, l’un des seuls éléments féminins d’une nouvelle famille d’artistes contemporains français, libres sinon libertaires. Dans une pulsion d’autofiction artistique, Messager se met en scène, se diffracte, use et abuse du « je », se fait couturière, vidéaste, photographe, dessinatrice, sculptrice, questionnant les techniques qu’elle utilise ou la féminité pour mieux les renverser. Un coup de pied dans la garçonnière.


l a p o l i t i q u e d ’ alexandre

guirkinger

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

texte

Toute première fois. La prime aux sortants, c’est terminé. Dans la France d’Emmanuel Macron, il n’est

question que de renouvellement. La fraîcheur est une vertu, l’expérience un handicap. Pour ces législatives, tous les partis se sont d’ailleurs évertués à présenter des candidats tout beaux tout neufs, comme ceux qu’Alexandre Guirkinger a suivi pour “M”. Et si certains de ces débutants ont été recalés dès le premier tour, tous racontent une nouvelle façon d’envisager la politique. laurent télo

D

66 epuis ce matin, cédric Villani a un lacet défait

Mais plus la force de se baisser, il est claqué. Il est habillé, comme toujours, en Hibernatus – costume trois-pièces, lavallière, montre à gousset, etc., impact visuel maximal en campagne et ailleurs – mais porte quand même des chaussettes de sport confortables de marque Puma, parce que, dans des conditions extrêmes, la modernité vestimentaire peut avoir son efficacité. Il a des cernes jusqu’aux chevilles, même sa grosse broche araignée arty tire la tronche. Et pourtant, tout baigne ! Le médiatique mathématicien médaillé Fields, 43 ans, candidat pour la première fois à une élection, est appelé à régner dans la 5e circonscription de l’Essonne pour La République en marche (LREM). « J’attendais quelqu’un comme Emmanuel Macron pour me lancer en politique », dit-il. Mais les voies du Seigneur sont interminables.Agenda qui déborde, nuits trop courtes, vingt jours de campagne : on est le 30 mai, il est à mi-chemin de la grande traversée. Pour se donner du courage, il fait « Okayyyy » dès qu’il biffe une nouvelle ligne sur sa liste de tâches, ce qui fait beaucoup de « Okayyyy » dans une seule journée. Désignation du mandataire financier, dépôt de sa candidature à la commission de propagande de l’affiche, site Web officiel enfin prêt… Okayyyy. Dans un dernier souffle, il délivre cette vérité axiomatique : « Je découvre qu’une campagne électorale, c’est une grande expérience physique. » Probabilité d’accéder au second tour au doigt mouillé : 99 % (réponse en fin d’article). Deux jours avant son premier discours de sa première campagne, Marine Rosset, 31 ans, candidate PS à Paris et prof d’histoire-géo en banlieue, militante depuis 2002 et candidate depuis 2017, a le cœur tremblant, ça ne va pas très fort. Elle se débat dans une circonscription – la deuxième – emblématique, comme on dit, chaudron d’affrontement entre Nathalie Kosciusko-Morizet (LR) et Gilles Le Gendre (LREM), qui pourrait faire campagne depuis sa baignoire tant il est sûr d’être élu. Marine se sent un peu vide. « Mais qu’est-ce que je fous là? Je ne vais jamais y arriver. » Solférino ne répondait plus, alors elle a appelé un ami qui, lui, a rappelé : « Tu es la meilleure, tu es la plus belle. Et puis, qu’est-ce que tu as à perdre? » Ce n’était pas suffisant. Elle est allée voir son toubib « qui (lui) a prescrit des plantes contre le stress ». A priori, une campagne électorale n’est pas remboursée par la Sécu. Deux jours plus tard donc, le 12 mai, elle a déroulé son discours avec assurance sur les quais de Seine. Il y avait cinquante personnes, une pluie battante et une sono pourrave. « Je crois que j’ai vécu ce qu’on peut appeler un dépucelage. » Elle n’avait pas idée que, au regard des événements futurs, ce fut un début plutôt encourageant. Probabilité d’accéder au second tour : 0,5 %. qui pendouille.

Si elle est élue, Léa Boyer, étudiante en commerce-apprentie-candidate LR dans le Gard, deviendrait, à 23 ans, l’une des plus jeunes députées de l’histoire. Les notables Républicains du coin et de l’âge de pierre ont ricané quand elle a reçu l’investiture. Ce qui donnait à peu près ceci : « Hé bé, té, elle est gentille mais elle n’ira jamais au bout, la pitchoune. » Les mêmes ont bien rigolé quand Léa a annoncé que Luc Chatel viendrait inaugurer sa campagne le 5 avril à Saint-Christol-lezAlès (pas super-direct en TGV depuis Paris). Quand l’ancien ministre a confirmé qu’il n’avait pas raté le train, les crocodiles gardois ont ouvert un œil. Quand, un peu plus tard, Luc Chatel a articulé, devant 400 personnes, « Elle est forte la petite, hein ? ! », en levant le bras droit de Léa Boyer comme si Mike Tyson avait gagné le championnat, tous les crocos ont grimpé sur l’estrade chanter la Marseillaise alors que ce n’était pas prévu. France 3 Régions assurait un duplex. Il fallait bien s’y résoudre, la jeunesse était ébouriffante et peut-être même l’avenir de l’homme. Depuis, Léa Boyer est tellement high qu’elle a déjà visité l’Assemblée et déniché sa future attachée parlementaire. Probabilité d’accéder au second tour : 20 %. Un soir d’octobre 2016 – il ne se souvient pas du jour exact, car c’était alors un événement sans importance –, après avoir trait ses quatrevingts vaches, Aurélien Marion, 28 ans, s’est rendu à Saint-Lô, dans la Manche, à une réunion de la France insoumise. « Comme ça, pour voir. » Six mois plus tard, l’éleveur laitier bio était investi. « Si personne ne veut, je veux bien. Mais je n’ai même jamais été militant. » De simple électeur à candidat, le chemin vicinal est court. Il avait plutôt prévu d’acheter une ruche. En tout cas, après quinze jours de campagne, ça y est, il a découvert LA supercherie qui mine la gouvernance du monde occidental : « C’est le personnel politique qui fait en sorte que son monde soit inaccessible. En fait, n’importe qui peut se lancer en politique. » Sans doute. Mais il faisait moins le malin lors du grand débat local organisé avant le premier tour. Il avait la figure toute rouge et le cerveau passablement sec quand il a dû détailler, devant cent personnes, sa conception de la laïcité. Surtout que le candidat du Parti de la France, qui le taquinait, avait des idées très arrêtées sur le sujet… Probabilité d’accéder au second tour : 10 %. Voilà notre expérience d’ethnologie électorale : plonger quatre bizuts issus de la société civile et du néant politique dans le marigot des législatives. C’est toute une aventure, entre Mai 68 et « Koh Lanta ». Mais il faut bien en passer par là, depuis que le plus célèbre représentant de cette espèce dépolitisée en voie d’apparition, notre président de la République himself, a assuré, dans un grand souffle libertaire et subversif, partir à la chasse aux mammouths et aux baratins avachis. Dorénavant, pour se distinguer de la •••


Le mathématicien Cédric Villani est issu de la société civile mais pas un inconnu. « J’attendais quelqu’un comme Emmanuel Macron pour me lancer en politique », explique le scientifique,

qui aspire à remporter la 5 e circonscription de l’Essonne pour la République en Marche (ci-contre, dans une pizzeria et ci-dessous, chez un fleuriste, à Verrières-leBuisson, le 27 mai).


Cédric Villani a multiplié les déplacements (ici et en haut à droite, à Verrières-le-Buisson, le 27 mai ; en haut à gauche, au stade des Ulis, le 27 mai ; ci-contre, le 5 juin, lors d’un voyage en Moselle pour soutenir Christophe Arend, le candidat LREM dans la 6 e circonscription) « Je découvre qu’une campagne électorale, c’est une grande expérience physique », explique le lauréat de la médaille Fields.


69 ••• masse flasque des vieux routiers de l’Assemblée, mieux vaut être un hurluberlu frais comme un torrent de montagne qui érige l’inexpérience et le non-calcul politique en vertus cardinales. C’est la mode, tous les partis s’y sont mis. L’objectif primordial de nos primo-candidats est le suivant : que l’électeur mette un nom sur son visage ou un visage sur son nom, ou même les deux. Atteindre un degré de notoriété minimale qui permette 1) de se faire rembourser les frais de campagne – Marine Rosset a emprunté 27 000 euros ; le budget de Léa Boyer oscille autour de 30 000 euros ; celui d’Aurélien Marion autour de 3 000 euros ; et Cédric Villani rappelle que le plafond de dépenses est fixé à 66 000 euros dans sa circonscription et qu’il faut faire au moins 5 % pour être remboursé, 2) de maintenir ses militants bénévoles en haleine, en marche, en ce que vous voulez, mais le plus longtemps possible, 3) de se présenter de nouveau à une prochaine élection (seulement si la campagne n’a pas emporté ses dernières illusions). Enfin, même s’il n’a pas un Jacques Séguéla planqué dans sa permanence de campagne, notre primo-candidat a une obligation impérieuse : multiplier les actes de bravoure aussi novateurs qu’insoupçonnés pour déclencher le buzz inaltérable. Si c’est pour recycler les vieilles ficelles – porte-à-porte humiliant dans des immeubles à dix étages avec ascenseur en panne, réunions publiques pour payer un coup à trois militants déjà convaincus… –, tout le monde sera très déçu. C’est ce que notre graine de championne des LR, Léa Boyer, a tout de suite pigé. Des qualités inopinées – elle a une paire d’yeux qui embroche le quidam – lui autorisent toutes les audaces. Elle sait ce qu’elle ne veut pas. Une permanence ? Ringard. Un slogan ? Ringard. Non, ce qu’on va faire les copains, c’est aller rendre visite à toutes les communes de la circo, même celles acquises aux communistes. Hum… Y a 140 communes quand même… T’es sûre? Léa Boyer a roulé environ 5000 km sur les routes cévenoles, pas un centimètre d’autoroute, un championnat du monde des rallyes bouclé en trois semaines chrono. Même les communistes l’ont reçue, parce que cette abnégation, c’était vraiment méritoire. Avec Léa, jamais rien d’ordinaire. Quand elle décide de distribuer des tracts, c’est avec sa petite armée, des cartes d’état-major et une technique militaire enveloppante. « Les habitants m’engueulent maintenant : “Bien sûr qu’on vous connaît ! Vous êtes partout !” » Quand

elle décide de ratisser un marché, c’est encore avec sa petite armée, deux grands étendards sur pied, et une prise de parole sauvage avec sono-micro au max. Bon. L’autre jour, elle a parlé longtemps, mais on ne va pas vous dire que tout le marché s’est arrêté de vivre. Il a plutôt pensé à un lancement promotionnel d’une nouvelle marque de rillettes au foie gras.

sien et Libération avaient publié chacun un gros article sur la circo sans citer son nom,ce qui est assez épouvantable. Il faut dire aussi que ça faisait une petite heure qu’elles essayaient vaille que vaille de distribuer leurs tracts au marché de Maubert avec un succès pas forcément international. Même Jean-Pierre Bacri, riverain et socialiste historique, ne lui a parlé que de Macron. Les passants étaient quand même sympas, ils s’enquéraient de la santé de Marine et de celle de sa famille : « Ah mais vous existez encore ? » ; « Toutes mes condoléances. » C’était un peu triste mais franchement, Eva Perón n’aurait pas fait mieux. Une campagne impossible : depuis quelques semaines, le PS est escorté par l’empathie qu’on accorde au malade en phase terminale.Alors, à sa directrice de campagne un peu accablée, Marine a répondu avec une petite voix de hérisson enrhumé : « Changer quelque chose ? Tu penses à quoi ? » Changer de prénom? Mettre du détergeant dans le shampoing de NKM? Introduire du poil à gratter dans le col déjà bien agité d’Henri Guaino, autre candidat de la circonscription ? « On a décidé de faire davantage de porte-à-porte. » Non… Sérieusement? En tout cas, « il ne faut rien regretter », soupirent en chœur nos primo-candidats. Pour Aurélien Marion, pari gagné : zéro crevaison, une seule chute à l’arrière. « On a fait une bonne campagne. On a parlé de nous dans la presse. Et aujourd’hui, on a convaincu une personne. Peut-être même deux. » Léa Boyer a eu droit à son miniportrait dans Valeurs actuelles. Son suppléant a connu en trois mois ce qu’il n’avait jamais rêvé en deux législatives : « À mon époque, on était trois militants et je me faisais jeter du marché d’Alès. C’est une terre coco ici. Je pensais qu’elle allait se faire huer. Rien. Elle a une de ces pêches ! On n’a rien à lui apprendre. Et puis, elle avait tout prévu : une pause après la primaire de droite, puis on relance, une pause après la présidentielle puis on relance. » De retour à Paris, on n’a rien raconté à Marine, elle aurait été écœurée. Parce que dix jours avant le premier tour, elle a passé une sale journée, un vrai jeudi noir. Le matin, elle avait organisé une conférence de presse. Mais visiblement, les quarante journalistes invités avaient tous piscine et aussi un mot du médecin. Personne n’est venu. Du coup, elle en a profité pour préparer le débat qui devait avoir lieu le soir à l’École normale supérieure. Mais à l’heure dite, alors qu’elle était assise à côté de NKM – qui portait le même ensemble qu’elle, c’était sûrement (Suite page 72) •••

Pour se distinguer des vieux routiers de l’Assemblée, mieux vaut être un hurluberlu frais comme un torrent de montagne qui érige l’inexpérience et le non-calcul politique en vertus cardinales. Mais cette façon pas banale de défendre son carré de macadam, c’était vraiment méritoire. Dans le même genre mais pas forcément à la même vitesse,Aurélien Marion a décidé de fomenter un blitzkrieg dans la Manche. Un doux débarquement sur « Les bécanes insoumises ». Quatre étapes à vélo en quinze jours. Une dizaine de militants sur les petites routes manchoises, une logistique pas simple pour acheminer les vélos, des mollets et un cœur gros comme ça, et une voiture-balai qui n’a pas beaucoup servi. « On voulait faire un truc différent pour tenter un bon coup de com’. À la campagne, ça marche par bouche-à-oreille. On parle de nous. “Ah ! C’est les vélos.” Ça a été du boulot, mais ça valait le coup. » Au début, question slogan, Marine Rosset, notre socialiste parisienne, a eu une idée terrible. C’était inscrit en gros sur sa première affiche de campagne : « Je crois aux forces de l’esprit. » Elle était contente : « Les gens ont su qui j’étais! » C’est vrai. C’est juste que la référence à François Mitterrand est passée assez inaperçue tandis que les gens n’arrêtaient pas de lui demander si elle était à l’article de la mort ou si elle faisait souvent tourner les tables. Du coup, elle a changé les affiches. Et puis : « J’ai changé de lunettes, je me suis acheté des robes, je me suis détaché les cheveux. » Mais rien à faire. Sa directrice de campagne, qui en a vu d’autres, des campagnes, a même fini par lui avouer : « Écoute Marine, faut trouver un truc qui dynamise. Si on continue sur ce rythme de croisière, on est fichus. » Il faut dire que Le Pari-

17 juin 2017 — Photos Alexandre Guirkinger pour M Le magazine du Monde


La jeune Léa Boyer, 23 ans, candidate LR dans le Gard, a effectué un véritable marathon dans les communes de sa circonscription

pour se faire connaître (ci-dessus et page de droite, le 4 juin, dans le quartier Prés SaintJean, ancré à gauche, d’Alès).

Photos Alexandre Guirkinger pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017


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un signe –, des étudiants, très irrités par la présence du Front national, ont mis un tel bazar dans l’amphi que l’événement a été annulé. La directrice de campagne de Marine n’a « jamais connue une campagne aussi merdique ».

affaires sérieuses – répondre au courrier, superviser les événements… – sous les ordres de son directeur de campagne, conseiller à la Banque de France. Le jour du lacet défait, il a reçu une association pour les handicapés, une autre d’aide aux réfugiés, une orthodontiste du syndicat des dentistes pour parler mutuelles, un collectif de…. Désolé, on ne ais où est passé CédriC Villani ? sait plus, on était épuisé ; lui n’avait pas un Présentement, il semble seul neurone de cramé. « Okayyy. » Il planer au-dessus de la porte consigne tous ses entretiens dans un cahier céleste. C’est-à-dire qu’il qui ne le quitte jamais, comme Aimé Jacquet réfléchit très fort. Il réfléchit au moyen de lors de la Coupe du monde 1998. mettre sa campagne en équation. Une idée de Ensuite, il a déjeuné avec le Medef local. Une l’Obs.fr qui s’est déplacé avec deux caméras brochette de dix-sept sémillants entrepreneurs, rien que pour une interview d’une minute. dont le PDG des Cars Marie qui,durant le petit Une performance car Villani est le héros d’au laïus de Villani, ne s’exprimait plus que par moins trois reportages hebdomadaires. « Il y a onomatopées : « Ouh la! Ah ouais! Rrroohh! une grosse attente, vous savez. La presse hon- Ben dis donc… » Il est vrai que Villani raconte groise, coréenne, américaine… » Villani, c’est les histoires comme Pierre Bellemare et qu’il la Rolls du primo-candidat. Société civile caté- sait y faire pour épater la galerie : « Mes livres gorie plus plus plus. C’est comme s’il était ont été traduits en douze langues. J’ai donné des déjà député : il donne audience en sa cours dans 70 pays. On va faire de grandes permanence d’Orsay, le matin. Un bataillon choses… » Comme s’extasie son suppléant, qui de petites mains s’y agite pour gérer les est très fier de suppléer dans ces conditions :

••• (Suite de la page 69)

M

Photos Alexandre Guirkinger pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

« Au marché, tu as l’impression de te trimballer avec Keith Richards. » Bien sûr, tout le monde n’aime pas le rock. Ses adversaires, qui étaient plutôt tranquilles avant qu’En marche ! ne vienne leur casser les pieds, sont furax. Sur le marché de Verrières-le-Buisson, les militants LR l’ont un peu bousculé : « Alors ?! Pas moyen de se payer le coiffeur ?!?! » Et des militants PS se sont collés de grandes araignées farces et attrapes sur le torse. Villani, surmoi impassible, préparerait plutôt un livre sur son odyssée électorale, en collaboration avec son photographe attitré, embauché pour sa campagne. « Je perçois leur stratégie : dire que je suis un people déconnecté. Il faut apprendre à être résilient. » Dimanche 11 juin, c’était le grand soir. Surtout pour Cédric Villani. Il a tout emporté : 47,46 %. Pour le reste… Léa Boyer : 10,41 %. Aurélien Marion : 8,33 %. Quant à Marine Rosset, elle a fini sur les chapeaux de roue. Il y avait du monde à son dernier meeting. Robert Badinter et Jacques Delors lui ont apporté un chaleureux soutien épistolaire. You-ou ! Score final : 6,11 %.


« Je crois que j’ai vécu ce qu’on peut appeler un dépucelage », confie Marine Rosset, 31 ans, après son premier discours de candidate PS de la deuxième circonscription de Paris (page de gauche, le 25 mai, aux abords du

marché PortRoyal). Cette prof d’histoiregéo s’est retrouvée prise en tenaille entre Nathalie KosciuskoMorizet de LR et Gilles Le Gendre d’En marche ! (ci-contre, le 25 mai, la candidate avec Jean-Pierre Bacri, au

marché de MaubertMutualité ; ci-dessous, à gauche, le le 1 er juin, pour un débat à Normale Sup’ ; à droite, sa permanence de la rue SaintJacques).


Aurélien Marion, 28 ans, est éleveur laitier bio (ci-dessus, son exploitation). Ce candidat de la France insoumise dans la Manche a sillonné sa circonscription à vélo avec une poignée

de militants (ci-contre, et page de gauche, le 7 juin, pendant leur périple). « On voulait faire un truc différent pour tenter un bon coup de com’ », explique-t-il. Mais l’apprenti-

candidat a été à la peine lorsqu’il a dû expliquer, lors d’un débat au théâtre de Carentan, le 7 juin, le concept de laïcité (page de droite, en haut à gauche).


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17 juin 2017 — Photos Alexandre Guirkinger pour M Le magazine du Monde


viviane sassen

par

Elles sont jeunes, elles sont noires et revendiquent leurs racines et leur féminité. Celles qu’on qualifie d’afroféministes sont l’un des nouveaux visages de cette France travaillée par les questions d’identité. Brocardant une société qu’elles jugent blanche et machiste, elles n’hésitent pas à assumer une forme de communautarisme, prenant à rebours les principes universalistes sur lesquels le pays s’est construit. Autant de questions qui ne pouvaient laisser indifférente l’artiste néerlandaise Viviane Sassen dont l’œuvre est habitée par l’Afrique. pierre sorgue

“Ne nous libérez pas, on s’en charge.”

la diversité selon

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Christelle Oyiri, 24 ans, est journaliste et DJ. Elle est notamment membre du site Atoubaa, qui prĂŠsente art, culture et bien-ĂŞtre vus par des femmes noires.


La styliste Catia Mota da Cruz (à gauche) et la photographe PrisCa Munkeni Monnier ont créé le site BlackAttitude, devenu un magazine en version papier.


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subissent l’assignation à une supposée race), des tables rondes, expositions et DJ sets seront bien ouverts à tous.Après avoir déclenché une tornade sur Internet, la maire battait en retrait le lendemain, affirmant avoir obtenu que les ateliers non mixtes se tiennent dans un lieu privé, ce qui, dit-on à Mwasi, était prévu depuis le début. Entre-temps, la presse mondiale avait relayé l’affaire, le hashtag #JeSoutiensMwasi s’était hissé en tête des sujets les plus tweetés. Surtout, les réseaux sociaux avaient hystérisé les débats : pendant que les unes et les autres s’insultaient (Audrey Pulvar, opposée à cette non-mixité, « emmerde » celles ou ceux qui la traitent de « nègre de maison », l’association Osez le féminisme! soutient le collectif et juge « ridicule » la position d’Anne Hidalgo), Mwasi, accusé de communautarisme, répliquait en reproduisant le trombinoscope de la Licra, furieusement blanc, et rappelait que la municipalité a financé le festival du film lesbien et féministe, non mixte, sans barguigner. Les sociologues et féministes Christine Delphy ou Sylvie Tissot expliquaient bien que la non-mixité est depuis longtemps un dispositif de discussion apprécié des « discriminés », y compris des pionnières du MLF, en 1970. Mais en 2017, à Paris, supposée ville-monde, la réunion de quelques jeunes femmes noires entre elles devenait affaire d’État, comme si elles mettaient en danger la République et son universalisme proclamé. Mwasi, « collectif féministe, antiraciste, anticapitaliste, anticolonialiste », qui a refusé de parler à la presse à l’exception de Paris Match, n sacré buzz. Les militantes du collectif Mwasi n’en espérait pas tant. Quelques heures avant (« fille » ou « femme », en lingala, une langue la tempête,dans un café du quartier Stalingrad, parlée en République démocratique du Sharone Omankoy, 31 ans, qui fut à l’origine Congo), qui organisent le festival afrofémi- du collectif qu’elle a cofondé en 2014 avec des niste Nyansapo, du 28 au 30 juillet à Paris, femmes afrodescendantes, racontait justepeuvent remercier Anne Hidalgo: le 28 mai, la ment comment elle avait imaginé un mouvemaire de la capitale leur a offert une publicité ment « en phase avec son temps : Facebook, inespérée. Bien malgré elle. Reprenant un peu Twitter, Instagram et autres offraient la possivite une affirmation de la Licra (Ligue inter- bilité d’une cybermilitance efficace. Mwasi a nationale contre le racisme et l’antisémitisme), compté une quinzaine de membres et de nomqui l’avait elle-même piochée dans un com- breuses sympathisantes entre 2015 et 2016, je muniqué deWallerand de Saint-Just,conseiller l’ai d’abord pensé comme un espace d’échanges régional FN d’Île-de-France, l’élue socialiste où les femmes noires pouvaient collectivement a condamné sur Twitter « cet événement “inter- porter des revendications sur les réalités qu’elles dit aux Blancs” », avant de menacer de subissent en France, quitte à bousculer le fémidemander au préfet d’en empêcher la tenue nisme traditionnel lorsqu’il fait l’impasse sur et d’envisager de porter plainte pour discrimi- la question raciale ». Les réseaux sociaux nation contre les initiatrices. Sauf que c’était aidaient aussi à la mobilisation. Et, le un tout petit peu plus compliqué que cela : si 8 mars 2015 à Paris, des femmes noires défila majorité des « ateliers » est effectivement laient en masse et entre elles, en brandissant réservée aux femmes noires, d’autres aux per- des banderoles spécifiques proclamant « Ta sonnes noires et aux femmes « racisées » (qui main dans mon afro, mon poing dans ta ••• 17 juin 2017 — Photos Viviane Sassen pour M Le magazine du Monde


80 ••• gueule ». Ce jour-là, dit Sharone Omankoy

en souriant, « nous étions enfin visibles ». Depuis trois ans, elles sont de plus en plus nombreuses à s’afficher sur les réseaux sociaux, ces jeunes femmes noires qui nourrissent un blog, alimentent un site ou créent un magazine en ligne. Elles se disent afroféministes ou pas, militantes ou non, tenantes d’un discours radical ou plus œcuménique, mais elles ont en commun la volonté de s’exprimer et de se montrer sans attendre l’adoubement de cénacles politiques ou médiatiques trop blancs et trop peu ouverts à la diversité : « Ne nous libérez pas, on s’en charge », proclament les afroféministes. Désormais hors de Mwasi (« c’est bien aussi de se réapproprier sa parole individuellement »), Sharone Omankoy tient un blog, Le Kitambala agité, du nom du turban qu’elle porte noué autour de ses tresses et qui hausse encore sa grande taille (« il fait partie de moi, je trouve qu’il me donne de la prestance »). Sur Twitter, Tumblr,YouTube et une webradio, elle partage anecdotes, « lubies », réflexions. Parfois sur des sujets personnels, parfois sur des thèmes plus politiques, comme l’accueil des femmes noires séropositives qu’elle accompagne au quotidien dans une association. Mais elle livre aussi régulièrement des chroniques musicales aux choix plutôt éclectiques: « Afroféministe, c’est pas juste un besoin de gueuler, c’est l’envie d’être heureuse… », dit-elle. Depuis 2013, Laura Nsafou, 24 ans, est Mrs Roots sur les réseaux sociaux. Fille d’une mère martiniquaise et d’un père congolais, élevée à Orléans avant de rejoindre la Sorbonne-Nouvelle pour des études d’édition, elle semble aussi posée que déterminée : « J’avais besoin de mettre à plat mon identité multiple, de nommer les choses dans ce pays où les mots sont tabous quand il s’agit de parler des Noirs. évidemment, on m’a taxée de radicalisme. Mais ma génération n’a plus le temps d’attendre, elle a fait le choix de ne plus se taire. » Kiyémis, son amie connue pour ses « bavardages », le nom qu’elle a donné à son blog, étudiante en master d’histoire et de sciences politiques à Paris-VIII, dit elle aussi la nécessité de ne « plus être dépendantes du bon vouloir des médias », surtout pour aborder « les questions liées à la race, très “touchy” dans une France toujours à la traîne dans l’étude de son histoire coloniale ». Et c’est également avec Internet que Nawale, née il y a vingt-trois ans de parents comoriens et désormais active sur Twitter ou YouTube sous l’appellation Miss Elawan, a étoffé ses convictions afroféministes : « J’en ai appris plus qu’à la bibliothèque, seule dans mon coin. Même si c’est virtuel, on échange avec de vraies personnes : Mrs Roots ou Kiyémis ont pris le temps de me répondre et de m’éclairer. » Elles l’ont aidée à définir le concept-clé de l’afroféminisme, celui d’« intersectionnalité », que formula la juriste américaine Kimberlé Crenshaw pour définir la conjonction de

Kiyémis écrit ses « bavardages » sur le blog auquel elle a donné ce titre.

discriminations (genre, couleur de peau, classe sociale) que peuvent subir les femmes noires. Elles l’ont éclairée sur tous ces mots-valises qu’elles affectionnent : blantriarcat (la domination masculine et blanche), la mysoginoire (corrélation du sexisme et de la négrophobie), afropéenne (européennes d’ascendance africaine). Verbiage ? Il suffit d’entendre Laura raconter comment sa prof de lycée la suspecta de ne pas être l’auteure d’une dissertation à cause de mots trop savants pour « une fille noire supposée mal connaître la langue ». Ou écouter Sharone, qui fut une excellente basketteuse, se souvenir qu’elle était censée sauter plus haut ou être plus adroite parce que les « Blacks sont doués pour le sport ». Ou Kiyémis dire comment des « mecs blancs » l’ont envisagée comme une « expérience » en lui précisant « mais t’inquiète pas, je suis bien monté », ajoutant le cliché sur l’anatomie des

Photos Viviane Sassen pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

hommes noirs. Il y eut aussi la honte d’une fillette de 12 ans quand ses parents, forcément suspects, furent suivis à la trace par les vigiles d’un centre commercial. Ou la rage d’une adolescente quand son frère jumeau fut contrôlé sept fois dans la même journée : « Avec le sentiment que c’est dans notre tête, que l’on voit le mal partout », dit Laura. Toutes ces micro-agressions quotidiennes auxquelles s’ajoutent celles que charrie l’actualité : les contrôles policiers qui tournent mal, les commentaires sur l’aliénation des femmes musulmanes voilées, la nécessité de manifester – en février – contre la réouverture d’une salle parisienne sous le nom de Bal nègre, le mot « bamboula » jugé « à peu près convenable » par un policier ou la dernière plaisanterie du chef de l’État sur le « kwassa-kwassa qui pêche peu mais amène du Comorien » qui n’a pas fait rire Miss Elawan.


d’Americanah, cette obsession à lisser ses cheveux, ne serait-ce que pour éviter les réflexions comparant ses frisures à de la moquette. Mais cela fait plusieurs années que des stars américaines sont revenues au nappy (crépu). Désormais, Kemi Adekoya arbore une coupe courte qui rappelle celle de Grace Jones. Étudiante en dernière année de Sciences Po, elle y a créé avec des amis l’association SciencesCurls. Une manière de se réapproprier des critères de beauté qui ne correspondent pas forcément à la « norme blanche ». Et,quand une coupe afro ou des dreadlocks peuvent encore représenter un handicap à l’embauche, les cheveux deviennent une question politique, que les filles de SciencesCurls aborderont au Festival Nyansapo. Elles aussi ont été accusées de communautarisme. Ce que Réjane Pacquit, la jeune Antillaise qui préside l’association, assume avec douceur: « Ce n’est pas un gros mot : l’entre-soi n’est pas toujours problématique. Et à l’universalisme qui suppose le un, voire le même, je préfère la fraternité ou l’égalité qui peuvent rassembler sans nier les identités. »

Sharone omankoy (de face), 31 ans, cofondatrice du collectif afroféministe Mwasi, tient aujourd’hui un blog, Le Kitambala agité.

C Mais les mots des blogs et des Tweet, les paroles de YouTube ne font pas que nommer les raisons de la colère. Ils exhument les figures passées de l’afroféminisme en France – les sœurs martiniquaises Nardal dès les années 1920, la Coordination des femmes noires à la fin des années 1970, fondée par la Sénégalaise Awa Thiam qui avait publié La Parole aux négresses… Ils puisent dans le Black feminism des États-Unis, celui d’Angela Davis,Audre Lorde ou bell hooks.Ils s’enthousiasment pour le roman de la FrancoCamerounaise Léonora Miano, Blues pour Élise (Plon, 2010), « le premier roman afropéen », dit Laura Nsafou, qui se souvient du choc que fut, à 20 ans, la lecture de Tar Baby, de Toni Morrison : « La première héroïne à laquelle je pouvais m’identifier, un livre qui enfin parlait de moi. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire. » Elle vient de publier

un roman (À mains nues, éd. S[y]napse) et un éditeur lui a commandé un livre pour enfants. Les afroféministes se donnent du « sistah » (sœurs), elles se réjouissent de la fierté pop qu’apportent Nicki Minaj, Solange quand elle chante Don’t Touch my Hair ou sa sœur Beyoncé quand,dans Flawless, elle reprend les mots de Chimamanda NgoziAdichie,l’auteure nigériane devenue icône féministe avec le formidable Americanah (Gallimard, 2013) dont l’héroïne est tiraillée entre Afrique et EtatsUnis. « Il y a des passages où je me suis dit: mais c’est moi qui parle, elle m’a suivie? Le blog que tient l’héroïne, le sentiment d’avoir le cul entre deux chaises, les rapports à l’homme blanc, y compris intimes: tous les pans de la vie d’une femme noire de ma génération sont abordés », s’enthousiasme Kemi Adekoya, 23 ans. Née à Paris d’un père nigérian et d’une mère ivoirienne, elle a aussi partagé, avec l’héroïne

hristelle Oyiri, 24 ans, sera

elle aussi au festival pour y mener conversation avec Casey, la rappeuse d’ascendance martiniquaise qui eut les honneurs d’un séminaire à l’École normale supérieure il y a un an. Christelle, la volubile, revendique un féminisme « punk » tendance Virginie Despentes, en laquelle elle se « retrouve presque totalement ». Elle est DJ sous le nom de crystallmess, écrit pour le site musical Noisey, a collaboré à la chaîne télé de Vice, est membre du site Atoubaa, fondé par son amie Rhoda Tchokokam, où les femmes noires se racontent à travers des photos, des textes, des poèmes ou des podcasts sur le bienêtre. Comme presque toutes les jeunes femmes rencontrées, elle évoque l’inquiétude de ses parents face aux affirmations identitaires de leur fille. Eux qui furent souvent discrets jusqu’à l’effacement, qui encourageaient à ne pas faire de vagues et à travailler deux fois plus pour suivre les voies royales de l’éducation, craignent qu’elles ne pâtissent de leur exposition: « Mon père, lui-même anti-impérialiste, comprend mon engagement, mais il aurait préféré que je sois politisée genre bien, au PS, et pas de manière communautaire, par crainte que je ne me ferme des portes. Mes frères et sœurs sont de la génération qui avait 20 ans en 1998, celle de la France black-blanc-beur: ils ont peur du communautarisme. » Axelle Jah Njiké le craint aussi. Auteure et militante féministe, engagée dans la lutte contre les mutilations sexuelles et les mariages forcés, cette Camerounaise qui a grandi et vécu à Paris désapprouve la non-mixité de Nyansapo, qu’elle qualifie d’assignation. « Je refuse d’être déterminée (Suite page 85) •••


Auteure et militante féministe, Axelle JAh NJiké est engagée dans la lutte contre les mutilations sexuelles et les mariages forcés. Elle a créé les sites Me My-sexAnd I puis Parlons plaisir féminin.

Photos Viviane Sassen pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017


Miss Elawan défend ses convictions afroféministes sur Twitter et YouTube.


Assistante photo : Hanneke van Leeuwen

La journaliste Chayet Chiénin est fondatrice et rédactrice en chef de Nothing But the Wax qui, de blog personnel, est devenu un élégant magazine en ligne qui parle des « millennials noirs ».


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par ma communauté, tout comme je refuse d’être définie par les oppressions que j’ai pu subir », soutient celle dont la jeunesse fut parfois difficile à cause d’un grand frère à la main leste. Les sites qu’elle a créés reflètent sa manière d’envisager l’émancipa­ tion,à la première personne:ce fut Me My­sex­ And I dès 2011, puis Parlons plaisir féminin : « Parce que tout commence par notre épanouissement et que le sexe est politique. Pourquoi ces jeunes filles si promptes à dénoncer la mysoginoire abordent si peu les questions de l’intime et les conditions parfois faites aux femmes dans leurs communautés? » Celle qui anima le projet Si Paris était une femme sur la plateforme Tumblr pour en louer le métissage à travers entretiens et photos d’une centaine de Parisiennes regrette que « certaines entendent la quête d’identité surtout en termes de race et n’envisagent le monde que sous ce prisme. » « Évidemment que l’on est noires, mais on ne va quand même pas se définir uniquement par ça », affirme, comme en écho, Prisca Munkeni Monnier, à l’origine de BlackAttitude Magazine, avec Catia Mota Da Cruz. Ce fut ••• (Suite de la page 81)

d’abord un site Web, puis un magazine dont la première version papier est parue il y a deux ans. L’une est photographe, originaire du Congo­Kinshasa, l’autre, directrice artistique, est née de parents capverdiens. Prisca est photographe et rédactrice en chef, Catia sty­ liste et directrice artistique.À la fois voyageuse, arty, très mode, faite de rencontres et de coups de cœur, leur revue souhaite « explorer les cultures noires et les faire dialoguer avec d’autres » en échappant aux clichés – noires, femmes, artistes – dans lesquels on veut les enfermer. C’est aussi le désir de Chayet Chiénin, 31 ans, qui a créé et anime Nothing But the Wax, du nom du tissu hollandais qui a envahi les marchés africains et déferle cette saison dans le prêt­à­porter occidental, un blog qu’elle vient de transformer en un très élégant média en ligne. Pas plus que Prisca et Catia, la jeune femme, née de parents ivoiriens, ne veut se « définir par des cases ». Un peu à l’image de son magazine qui, au­delà de la mode et des créateurs afrodescendants, célèbre un héritage mais de manière très ouverte, « avec des images qui permettent de sortir des assignations

Laura Nsafou, 24 ans, blogueuse sous le nom de Mrs Roots, vient de publier un roman.

traditionnelles », par exemple en explorant l’influence que peut avoir Frida Kahlo sur des artistes d’origine africaine : « C’est tout un monde que l’on ne voit pas dans les médias et que l’on veut mettre en lumière. Parler de beauté noire, c’est déjà politique. » Mais on y lit aussi l’histoire de Maddy, qui a dû fuir l’Ouganda et les menaces de prison à vie parce qu’elle est lesbienne : « Évoquer l’homosexualité ou la dépression, ces choses dont, en général, la communauté noire ne parle pas parce que culturellement taboues et vues comme des “trucs de blancs”, c’est aussi faire de la pédagogie. » Et c’est d’une autre forme de pédagogie, mais du même enthousiasme dont il s’agit lors­ qu’elle guide des visiteurs dans les rues autour de la station Château­Rouge, cœur africain de Paris. Elle leur montre la réalité d’un quartier objet de bien des fantasmes, mais que les nouvelles boutiques de jeunes créateurs ou les galeries conduisent doucement sur le chemin de la gentrification: « Une génération se réapproprie ce qui avait été dénigré ou “exotisé” avec une volonté: se définir et s’affirmer par elle-même. »

à Sciences Po, où elle est étudiante, Kemi adeKoya a cofondé l’association SciencesCurls, qui défend le cheveu « texturé » (crépu, frisé ou bouclé).

17 juin 2017 — Photos Viviane Sassen pour M Le magazine du Monde



texte

Robert Doisneau, Elliott Erwitt, Henri Cartier-Bresson, Brassaï… Les maîtres de la photographie semblent avoir épuisé le sujet. Au point que rares sont ceux qui osent encore s’attaquer à la capitale. Trop de pavés mouillés, trop de serveurs de café, trop de clichés. Pour “M”, le jeune Britannique Jack Davison s’y est confronté, livrant une collection de cartes postales poétiques et inspirées. claire Guillot

jack davison

Paris, légende urbaine.

la ville lumière par

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D

entre les colonnes monumentales du ministère de la culture. Le photographe s’est aussi amusé à relier ses photos par paires, pour faire porte lesquelles : les siennes. Imprimant les surgir des correspondances inattendues : une grille urbaine pleine de fichiers numériques de son reportage pour M pics agressifs devient sourire machiavélique, les lignes géométriques sur du papier, il en a fait « des objets, pas juste piochées dans la rue répondent aux coiffures stylées des passants… des images ». Puis il a laissé vivre ces cartes On a parfois du mal à reconnaître la capitale française dans ces images en les rayant et en les abîmant comme si elles éclatées, accidentées, pleine d’éclats et de mouvement : il y a peu avaient été envoyées par La Poste ou trimballées pendant des d’immeubles haussmanniens, de ponts sur la Seine ou de pavés luisemaines dans un portefeuille, près du cœur… « C’est ma petite amie sants à la lueur des réverbères. Jack Davison a préféré quitter le centre qui m’a rappelé qu’on envoie les cartes postales aux gens qu’on aime. touristique et aller près de la gare du Nord, où vit un ami, pour croiser Ce sont des images qui nous sont proches. » une population diverse. Son expérience dans la photo de mode, paraUne façon, pour ce photographe autodidacte de 27 ans, qui est arrivé doxalement, le rend imperméable aux marques trop visibles et trop comme une comète dans les pages des magazines de mode, de rendre identifiables : « J’aime justement les habits impossibles à dater, les plus intimes et personnelles les images glanées pendant quelques silhouettes qui auraient pu être photographiées il y a aussi bien vingt jours dans la capitale française. Et de jouer joliment sur les clichés que cinquante ans. » Ainsi de cet homme noir en complet chic, associés à Paris, ville de carte postale par excellence… « Il est impos- silhouette floue surgie du New York des années 1950… sible de ne pas avoir en tête, ici, les lieux connus, les stéréotypes comme La photo de rue, à Paris, est réputée difficile, voire impossible le papy qui se promène avec une baguette. Il y a toutes les images de aujourd’hui, en raison des questions de droit à l’image. Jack Davison Paris qu’ont pu faire des gens comme Elliott Erwitt ou Henri Car- a traité la question de façon pragmatique. « Il y a des endroits où les tier-Bresson. Je ne les ai pas évacuées, mais j’ai fait à ma manière, gens vous font très vite comprendre qu’ils ne tiennent pas à être en photographiant à l’instinct tout ce qui me fait réagir dans la rue : photographiés – y compris en donnant un coup dans l’appareil ! Là c’est très simple. » Pour tous les autres, le photographe a tantôt des visages, des détails, des formes. » Les figures imposées et habituelles de Paris sont bien là, mais traitées demandé la permission, tantôt misé sur les signes de tête ou des par Jack Davison avec distance et un brin d’humour : on voit plus de regards qui tiennent lieu d’assentiment. « Je suis discret et rapide, et fausses tours Eiffel, sur des sacs et des tee-shirts, en figurines et en je ne fais pas de la photo une confrontation », remarque-t-il. Avant porte-clés, que la vraie. La Pyramide du Louvre inspire surtout des d’ajouter : « Surtout, mes images sont respectueuses des gens. Je crois poses de yoga, et un chien semble chercher un coin discret pour uriner que c’est le principal, à Paris ou ailleurs. » e son séjour à Paris, le Britannique jack Davison

a raPPorté Des cartes Postales. Mais pas n’im-

Photos Jack Davison pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017



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Au pays de

CRIN BLANC en Camargue Un couple de jeunes papas et leurs enfants découvrent avec ravissement la Camargue et la légende du cheval blanc. Ouverts d’esprit, ils aiment découvrir de nouvelles cultures.

M

agie d’un pays aux espaces naturels préservés, sanctuaire fragile d’une faune et d’une flore exceptionnelles, la Camargue est un paysage unique, dans

le delta du Rhône, où les hommes vivent avec les chevaux, les taureaux, les oiseaux, le ciel et l’eau. Quel meilleur endroit à découvrir pour une famille de Citoyens du monde, ouverte sur de nouvelles expériences ? C’est ce qu’ont testé avec enthousiasme, Emmanuel et Sylvain, papas de jumeaux adorables, Rose et Come, le temps d’un week-end, sur les traces de la légende de Crin blanc. Pour vivre le voyage le plus authentique possible, le couple a choisi de réserver une belle demeure, aux allures de mas provençal, sur Airbnb, aux abords d’Arles. La meilleure façon pour apprécier au plus près la culture locale. Lors de douces soirées, ils ont notamment profité du jardin et des conseils de Michèle, la propriétaire. A partir d’Arles, ils ont pu rayonner et rencontrer des personnes profondément attachées à la Camargue, comme Nathalie, la manadière (éleveuse) du Marais du Vigueirat. Cette cavalière émérite leur a expliqué l’importance du cheval, puis elle a initié les jumeaux, Rose et Come, au poney. Un voyage authentique, dépaysant, revigorant, gravé dans leur mémoire.


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VOUS AUSSI, PARTEZ AU PAYS DE CRIN BLANC La légende de Crin blanc vient du film hollywoodien de 1953 qui a popularisé le mythe du cheval blanc libre. Cela reste une légende. En Camargue, les chevaux ne sont pas tout à fait sauvages : ils vivent en semi-liberté, du printemps à l’automne. Une centaine de manades se consacrent à l’élevage de chevaux et de taureaux. Pour vivre les mêmes sensations que notre famille de Citoyens du monde, il faut commencer par réserver son logement, via Airbnb. Quasiment tous les villages de la Camargue proposent des locations. Arles est une bonne base pour rayonner dans la région, et l’offre de logements est variée. Pour la visite de la cité antique, riche en histoire, la meilleure solution consiste à prendre un guide professionnel de l’office de tourisme d’Arles. Enfin, l’endroit idéal en famille pour une journée nature est sans conteste le Marais du Vigueirat. La réserve naturelle, propriété du Conservatoire du littoral, est gérée par une association très active. Balades à cheval, visite en calèche, observation des oiseaux, pique-nique…

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La Contour Wall Lamp en laiton et verre soufflé du studio new-yorkais Allied Maker.

Allied Maker

Le Nouveau Monde du design.

Longtemps snobés, Les designers américains ont aujourd’hui La cote en europe. Leurs créations mêLant artisanat et high-tech, et Leur façon de gérer seuLs toute La chaîne, du dessin à La commerciaLisation, pourraient donner des idées à Leurs confrères du vieux continent. par

Marie Godfrain

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La manifestation Wanted Design (1), qui s’est tenue en mai, a notamment exposé des nouveautés made in Brooklyn. Les créations des designers new-yorkais se caractérisent par l’association de matériaux bruts et de finitions raffinées (2, la Pink Heavy Light de Lindsey Adelman ; 3, la Segment Coffee Table d’Apparatus). 3

L

orsque L’architecte charLes Zana s’est vu confier La réno-

d’une vaste maison Art déco au cœur de Paris, il a séché sur l’éclairage. « Je cherchais une lampe sur mesure, novatrice et intemporelle qui puisse s’adapter à l’asymétrie du vestibule. Autant dire le mouton à cinq pattes ! » Il a fini par trouver son bonheur dans le catalogue d’Apparatus, un studio de la jeune scène de designers de Brooklyn. Composé de gélules lumineuses en verre sablé cerclées de laiton, le lustre Circuit n’a rien à voir avec les références du style américain traditionnel – rideaux fleuris, lampes de bois blanc et fauteuils surdimensionnés en velours pastel, prisés des propriétaires des grosses demeures du centre et de l’ouest des États-Unis. Cette découverte, Charles Zana la doit à Jacques Barret, vation

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inlassable promoteur du design américain dans l’Hexagone. « Le design new-yorkais a émergé il y a neuf ans, à la fin de la crise des subprimes, se souvient le galeriste. J’ai importé certaines pièces, car elles étaient fabriquées dans des matériaux originaux comme le laiton, que l’on voyait très peu en France. Les NewYorkais ont été les premiers à mêler artisanat et high-tech, notamment dans le luminaire. » Dans sa galerie Triode, à SaintGermain-des-Prés, à Paris, il présente le travail des nouvelles stars de la scène new-yorkaise (Lindsey Adelman, Juniper, Fort Standard, Allied Maker). « Notre style est propre à New York, explique Ian Collings, du duo Fort Standard, qui dessine et fabrique du mobilier et des objets minimalistes en bois et en aluminium. Nos influences sont l’art contemporain, le modernisme, le mouvement

Arts & Crafts [l’artisanat américain du début du xxe siècle]. » Lindsey Adelman dessine des lampes en verre opaque rosé adossées à un socle en parpaing. Apparatus, des tables dont le piétement en résine polie est maintenu par d’énormes vis en laiton. Une association de matériaux bruts et de finitions raffinées qui correspond au goût des Européens. Aujourd’hui, les acteurs français sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à ce Nouveau Monde du design. L’année dernière, Roche Bobois a fait appel à Stephen Burks pour dessiner le fauteuil Traveler, devenu en quelques mois son meuble de jardin le plus vendu. En septembre, la marque lancera à New York la prochaine édition de son concours de jeunes talents. Dans le cadre de la manifestation Wanted Design, qui s’est tenue en mai, les Ateliers

Pinton ont imaginé une tapisserie avec David Weeks ; la Manufacture Cogolin, des tapis bicolores d’inspiration navajo avec Jason Miller. Ces projets ont été exposés à Industry City, d’anciens entrepôts du sud de Brooklyn, qui abritent depuis 2013 un immense complexe consacré à l’objet. Agences de designers, ateliers de menuiserie, verrier, restaurants, salles d’exposition… En expansion permanente, ce campus veut accueillir le nouveau made in Brooklyn. Le partage d’espaces et de savoirfaire est au cœur de cette nouveLLe activité. En

Europe, le designer vend ses prototypes à des éditeurs, qui les développent et lui cèdent des royalties. Aux États-Unis, il a intérêt à se constituer un solide réseau d’artisans, car il gère seul l’ensemble de la chaîne, du dessin à la commercialisation. « La nouvelle génération a étudié dans des écoles où l’on apprend à dessiner, mais aussi à fabriquer et à être entrepreneur », précisent Claire Pijoulat et Odile Hainaut, les fondatrices de Wanted Design. À développer sa marque, en somme. Leurs principaux clients sont les décorateurs, un métier très répandu aux États-Unis. « Les Américains achètent peu de meubles en magasin. Le plus souvent, les New-Yorkais confient l’aménagement de leur logement à un décorateur qui, après en avoir dessiné les plans, chine du mobilier réalisé sur mesure et sur place, à Brooklyn », ajoutent-elles. À l’heure du développement des ateliers de fabrication, et alors que les designers européens se plaignent du mode de rémunération en royalties (trop faible, estiment-ils), ce mode de fonctionnement est une piste intéressante à explorer.

Industry City. Lindsey Adelman Studio/Lauren Coleman. Apparatus

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Je souhaite recevoir la brochure sur les transmissions de patrimoine (legs, donations et assurances-vie) Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . e-mail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pour plus d’informations, contactez-nous au 01 44 39 77 52 ou retrouvez-nous sur le site unicef.fr/legs Les données personnelles recueillies à partir de ce formulaire font l’objet d’un traitement informatique destiné à l’enregistrement de votre don, le cas échéant, d’un reçu fiscal, ainsi qu’à l’envoi d’offres commerciales. Vous pouvez également, pour des motifs légitimes, vous opposer au traitement des données vous concernant en nous écrivant à : UNICEF France - 3 rue Duguay-Trouin - 75006 PARIS. Conformément à la Loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification ou de suppression des données personnelles vous concernant.

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106

fétiche

Collections privées. Pour personnaliser leurs boutiques, la plupart des musées se contentent de faire reproduire leurs œuvres phares sur des mugs ou des magnets. D’autres, plus rares, font appel à des artistes pour créer des produits dérivés originaux. Ainsi, à l’occasion de l’exposition « Jardins », présentée jusqu’au 25 juillet, le Grand Palais a demandé à l’illustrateur Marin Montagut d’imaginer une série d’objets inspirés de trois jardins parisiens : les Tuileries, le Luxembourg et le jardin des Plantes. Les carrés de soie et les planches murales sont réalisés dans l’esprit des gravures botaniques et animalières du xviiie siècle. Les assiettes, gobelets, tasses et coupelles en porcelaine se parent de motifs propres à chaque jardin, comme le colvert (les Tuileries), le flamant rose (le jardin des Plantes) ou le palmier (le Luxembourg). F. Kh. Grande assiette en porcelaine palmier, marin montaGut pour le Grand palais, 66 €. en vente à la boutique du Grand palais pendant l’exposition « Jardins ». tél. : 01-44-13-17-42.

Photo François Coquerel pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa — 17 juin 2017


des posts et des postures

#yogagram.

Les accros des réseaux sociaux ne cessent de mettre en scène Leur vie à coups de hashtags et de seLfies, Lançant La tendance (ou pas). cette semaine, Les obsédés du bien-être. par

Carine Bizet —

illustration

entendons-nous bien : La

fait partie des occupations humaines les plus légitimes et bénéfiques. En revanche, son exposition sur les réseaux sociaux est inutile voire néfaste. Tout en paix intérieure, les adeptes du #yogagram laissent ainsi, pour l’extérieur, l’impression tenace de contempler un film d’horreur emballé dans du Lycra multicolore. Cela commence avec des citations sur le thème de la positivité, de la beauté, de la sérénité postée sur des fonds de couleurs apaisantes ou écœurantes (tout dépend de notre état d’esprit). On est plongé dans un monde idyllique, dans le genre des banlieues paradisiaques d’où démarrent les pires films gore. Là où tout le monde sourit,est propre, bien coiffé et guilleret. Les non-adeptes du #yogagram, eux, sont enfermés dans un wagon de métro avec des gens qui croient

quête du bien-être

aline zalko

que l’usage de la douche et du déodorant est optionnel. À la quatorzième citation, ils commencent à envisager la vie du point de vue de Chucky, la poupée sanglante et meurtrière en série. Dans le pire des cas,ils sont pris d’un syndrome de Tourette et marmonnent tout seul (« Ta g…! Ta g…! Ta g…! »). La situation empire avec les photos de pratique du yoga. Bras, jambes, têtes, pieds, genoux, tout semble articulé dans le désordre, on finit par ne plus savoir combien de personnes sont présentes sur le cliché de cette orgie sportive : un ou trois ? Impossible à dire, il y a trop de chakras ouverts dans tous les sens. Ces créatures du #yogagram sont partout: elles posent et « posturent » dans des lieux ultraclichés (une plage au coucher du soleil, un champ verdoyant) mais aussi dans des endroits incongrus (la cuisine de mamie, un Airbnb décoré par un daltonien, une sta-

tion Vélib’). C’est une fusion bizarre et improbable : La Nuit des morts-vivants, The Human Centipede, L’Exorciste, The Ring… Une vraie compilation Snapchat des films les plus sanguinolents. Évidemment, cela fait peur, dégoûte un peu. Et quand on croise, dans la vraie vie,

des adeptes de cette secte #yogagram, ils vous regardent avec un sourire de marionnette Disney et tentent de vous convaincre de les rejoindre. Il vous faut alors résister à l’envie de leur écraser votre Sundae à la pâte à cookie crue sur la tête. Ce serait du gâchis.

le théorème

Ai Weiwei Studio. Vincent Losson/Skateroom. Skateroom

Sur les planches.

the skateroom

ai WeiWei

roues de secours

Fondé en 2013, le label belge, qui soutient l’ONG allemande Skateistan, développe des planches à roulettes taillées dans du robuste érable canadien et ornées d’œuvres d’art (chaise électrique de Warhol, dessins de Basquiat, orchidées d’Araki).

Né à Pékin en 1957, l’artiste a étudié le cinéma, avant de partir à New York suivre les cours de la Parsons School of Design. Installations, photos, sculptures, films… Son œuvre protéiforme se caractérise par un militantisme en faveur des droits de l’homme.

Study of Perspective-White House (1999), un cliché d’Ai Weiwei, s’invite en sérigraphie sur trois skateboards. Les bénéfices de cette collaboration seront reversés à des associations. V. Pe. Lot de 3 skateboards The Skateroom × Ai Weiwei, à partir de 550 €. www.theskateroom.com


LIBREMENT INSPIRÉ

POUR SON DEUXIÈME OPUS CONSACRÉ AUX VOYAGES EN TERRES INCONNUES, LE PARFUMEUR PHILIPPE DI MÉO A DÉPLIÉ LA CARTE DU TENDRE, CHÈRE À L’AUTEURE DU XVIIE SIÈCLE, MADELEINE DE SCUDÉRY. PAR

CLAIRE DHOUIALLY

Mer Dangereuse, Lac d’Indifférence, villages de Billet Doux et Grand Cœur… Imaginée au XVIIe siècle par Madeleine de Scudéry dans son roman Clélie, histoire romaine, la Carte du Tendre est une allégorie des périples de la vie amoureuse. « C’est moins le côté précieux du roman que la carte ellemême qui a nourri mon imagination, confie Philippe Di Méo. Dans l’histoire telle que je l’ai réinventée, l’un des trois fleuves, que j’ai

rebaptisé Tendre, guide les amants vers une grotte abritant leurs amours secrètes. » Le côté enflammé de la rencontre, la hâte d’arriver à destination inspirent un départ olfactif fusant d’épices et de poivre noir. Une ardeur qui se pique de romantisme avec, en cœur, de l’eau de rose et du géranium. « J’ai illustré la fusion des corps en alliant ces notes florales féminines à d’autres plus masculines et animales, comme le patchouli, l’encens, la civette ou le daim. » Sans oublier la synthétique Aldron et son odeur à la fois sensuelle et acide, proche des phéromones mâles. « Pour autant, Fleuve Tendre n’est jamais provocant ou bestial », précise Philippe Di Méo. Juste « poétique », à l’image de l’inoubliable baiser dans Le Parc, d’Angelin Preljocaj, un ballet également inspiré par cette cartographie amoureuse. Fleuve Tendre, Liquides Imaginaires, 175 € les 100 ml. www.liquidesimaginaires.com

ESPRIT DES LIEUX

Un dimanche en campagne.

Le 18 juin, en route pour le bureau de vote pour le second tour des législatives. PAR

FIONA KHALIFA

LE TEE-SHIRT. Brigitte, en coton, Weekday, 15 €. Tél. : 01-76-75-82-30.

LA JUPE. Sally, en viscose imprimée, Balzac Paris, 115 €. www.balzac-paris.fr

LE PORTE-PASSEPORT. En toile enduite, motif cubes, Pierre Hardy, 120 €. www.pierrehardy.com

LE PANIER. Fruits et légumes, Les paniers de la semaine, Bio c’ Bon, 10 €. www.bio-c-bon.eu

HORLOGERIE

Titanesque. La Freak (« monstre », en anglais) est une bizarrerie horlogère. Initialement, cette montre était un outil de démonstration du savoir-faire technologique de la marque Ulysse Nardin. Son mouvement entier tourne sur lui-même – c’est lui, et non une aiguille classique, qui indique la minute. Elle n’a pas non plus d’aiguille des heures, ni de couronne. Lors de son lancement, en 2001, la fusion des composants mécaniques, d’ordinaire cachés, et composants esthétiques marquait une rupture. Depuis, la Freak n’a cessé de changer de visage. La dernière version est en titane et fibre de carbone, et son aiguille des minutes prend la forme d’une voile, le symbole de la marque. D. Ch. Ulysse Nardin FreakLab Boutique. Boîtier en titane noir et fibre de carbone de 45 mm. Mouvement à remontage manuel, heures, minutes, date, 8 jours de réserve de marche. Prix sur demande. www.ulysse-nardin.com

Illustration Satoshi Hashimoto pour M le magazine du Monde. Von Heuduck. akg-images

Philtre d’amour.


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variations

Roulement habile. Les dessertes évoquent d’abord un son, celui des verres qui s’entrechoquent, et une époque, l’après-guerre. En tournant le dos à l’austérité, les « trente glorieuses » ont popularisé l’hédoniste chariot. Jugé trop volumineux et statutaire, il a ensuite été ringardisé, avant d’être exfiltré des greniers et des archives des designers (Matégot/Gubi) à la faveur de la mode vintage. L’époque a trouvé d’autres usages à ce rangement d’appoint. Versatile, multifonction, mobile, il sert désormais à poser une platine vinyle ou à accueillir le bazar d’un studio, comme un vide-poche géant. Sophistiqué, avec son cylindre qui remplace ses quatre roues (Rollingin/ Mingardo) ou ses courbes inspirées du graphisme exubérant de l’Art déco (Come as You Are/Dante), le trolley revient aussi aux basiques avec sa large planche en bois et ses grands casiers en métal (Bessie/Maisons du Monde). M. Go. de gauche à droite, rollingin, de gio tirotto, Mingardo, 1 100 €. www.gallerybensiMon.coM trolley, de Mathieu Matégot, gubi, chez hoMe autour du Monde, 720 €. www.bensiMon.coM bessie, Maisons du Monde, 160 €. MaisonsduMonde.coM coMe as you are, de christophe de la Fontaine, dante design, 1 380 €. www.lebonMarche.Fr

17 juin 2017 — Photo François Coquerel pour M Le magazine du Monde. Stylisme Fiona Khalifa


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ceci n’est pas...

un tableau.

Après avoir sollicité les frères Bouroullec (pour le téléviseur Sérif TV), Samsung a demandé à Yves Béhar de dessiner son écran plat idéal. Passionné d’art, le designer suisse installé dans la Silicon Valley a imaginé un téléviseur capable de se fondre dans un mur de tableaux. Pour réaliser cette prouesse, éléments connectiques et électroniques ont été regroupés dans un boîtier séparé, relié à l’écran par un fil très fin. Yves Béhar a conçu un encadrement composé de différents types de baguettes (bois clair ou sombre, laque noire ou blanche…) et a soigné les détails. Par exemple, un capteur de luminosité ajuste la qualité de l’image de façon à ce que la télévision, une fois éteinte, affiche un fond d’écran (tableau, photographie) en harmonie avec les éventuelles autres œuvres accrochées au mur. Samsung a même accepté de retirer son logo. Le temps où l’on exhibait sa nouvelle télé est définitivement révolu. M. Go.

courtesy Fuseproject

The Frame, d’Yves Béhar pour samsung. À parTir de 2 000 €. www.samsung.com/Fr

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017



112 Poncho en laine, Woolrich. Robe en coton, isabel Marant.

Noir et blanc. un peu de tenues

Combishort en soie, robe en Coton, ponCho en laine… l’été s’affiChe Contre vents et marées. par

Marine chauMien —

photos

Quentin De briey

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017




115

Page de gauche, ToP, Lacoste. PanTalon, chLoé. ci-dessus, de gauche à droiTe, Pull en coTon, IsabeL Marant. PanTalon en coTon, WooLrIch. combishorT en soie, IKKs.

17 juin 2017 — M Le magazine du Monde


116 Ci-DessOus, Chemise en COtOn, Lemaire. pantaLOn façOn JOgging en VisCOse, Zadig & VoLtaire. page De DrOite, rObe en COtOn, ChLoé.

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

mannequin : Kim Van Der Laan @Oui assistante styListe : maeVa Danezan COiffure : JOseph puJaLte @artList maquiLLage : tiina rOiVainen @airpOrt prODuCtiOn : White DOt remerCiements à La ViLLe D’Étretat pOur sOn aCCueiL.



118

ligne de mire

Vive la frange! jean-michel tixier

Illustration Jean-Michel Tixier/Talkie Walkie pour M Le magazine du Monde

par

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017


garden-party

Parcs de loisirs. par

John Tebbs,

On pense sOuvent que seules les persOnnes âgées cOnsacrent leurs vacances à visiter les

réalité est tout autre. Le jardinage et la botanique ont atteint des sommets de popularité inégalés auprès de toutes les générations. Bien sûr, les réseaux sociaux y sont pour beaucoup. De nombreux sites, longtemps connus des seuls passionnés, sont devenus des coups de cœur sur Instagram. Plusieurs jardins sont désormais considérés comme des étapes incontour­ nables. Parmi elles, le jardin de cactus de l’artiste César Manrique à Lanzarote, que j’ai visité récemment. C’est un endroit que je voulais voir depuis des années, et il s’est révélé à la hauteur de mes attentes.

Traduction : Agnès Rastouil

jardins. La

jardinier anglais.

Créé dans une ancienne carrière, ce jardin contient plus de mille espèces et près de dix mille plantes, une vision impression­ nante. J’avais organisé mon voyage autour de cette visite car les jardins sont souvent pour moi une source d’inspiration. Sur Internet, de nombreuses agences spécia­ lisées proposent des parcours pour les amateurs. Il existe des tours de l’Italie de la Renaissance pour les férus d’histoire ; une tournée des pépinières de fleurs vivaces en Hollande… Il est temps de vous mettre au tourisme horticole et d’ajouter des étapes jardins à votre prochain périple. Ou, devrais­ je dire, d’improviser des vacances autour des jardins que vous souhaitez visiter.

Mille espèces et près de 10 000 plantes vivent dans le parc de cactus créé par César Manrique, artiste qui a permis la préservation de l’île de Lanzarote, aux Canaries.

Photo Jo Metson Scott pour M Le magazine du Monde


fil conducteur

Biarritz, côté rue.

Longtemps, La rue gambetta n’a bruissé qu’en matinée, au niveau du marché. aujourd’hui, L’animation gagne Le haut de L’artère, devenu Le nouveL épicentre biarrot du beau et du savoureux. par

Chloé AeberhArdt

1

2

1 — cocktaiLs sur mer

2 — hamburger LocaL

au transat sky bar

au comptoir à burgers

Nul besoin de séjourner à l’hôtel pour profiter de son toit-terrasse. Il suffit de traverser le hall, et de prendre l’ascenseur… Au sommet, un bar à cocktails immense, dont la vue, à 360 °, embrasse toute la ville,les maisonsArt déco,les frontons.À l’ouest, l’Océan, le défilé des plages et le massif de la Rhune qui se découpe dans le ciel, à la frontière espagnole.

1, carrefour d’Hélianthe. www.radissonblu.com/fr/hotel-biarritz/bars

Lorsque la marée est basse à l’heure du dîner, rien ne vaut un burger englouti sur le sable de la côte des Basques. Reste à faire son choix parmi les propositions locales (le Lomo, le Bayonne) garnies d’ossau-iraty et de piment d’Espelette, ou régionales (le Savoie, le Landais). Et à se dépêcher de descendre à la plage avant que ça ne refroidisse.(De 10 à 14 €). 62, rue Gambetta. Ouvert midi et soir du mardi au samedi (tous les jours en été). Tél.: 05-59-51-07-10.

3

3 — ceviche exotique au saLine

Pour changer des filets à la plancha-fruits de mer (excellents à La Cabane à huîtres voisine), les amateurs réservent dans ce microrestaurant de ceviche aux influences sud-américaines, asiatiques et caribéennes. La carte est réduite – un tataki de thon et quatre ceviches, dont un plat de saumon mariné au citron vert et à la sauce soja avec des miettes d’algues nori (18 €).

62, rue Gambetta. Ouvert midi et soir du mardi au samedi. Tous les jours en été. Tél.: 05-59-43-65-98.


121

y aller En train : a/r Paris-Biarritz à Partir dE 50 € En BillEts PrEm’s. www.voyagEs-sncf.com En avion : a/r roissy-Biarritz à Partir dE 74 € avEc EasyjEt www.EasyjEt.com

4

5

6

4 — sHopping inspiré

5 — apéritif dans le jardin

6 — pause gourmande

au jazz tHe glass

à l’Hôtel de silHouette

au stand maquirriain

Dans ce bric-à-brac mêlant déco, mode, accessoires et œuvres d’art originales, on trouve les best-sellers du moment (mobilier industriel, trophées muraux…), mais aussi des découvertes comme les kimonos et les robes en viscose végétale de la marque danoise Rabens Saloner, ou les céramiques acidulées faites à la main dans l’Atelier 1627, à Aubagne. 44,rue Gambetta. Du mardi au samedi (tous les jours l’été, sauf dimanche après-midi). www.jazztheglass.fr

Aménagé dans l’ancien hôtel particulier d’Étienne de Silhouette, ministre des finances de Louis XV,cet établissement 4-étoiles ouvert en 2011 propose vingt chambres au design graphique et enveloppant. Jusque fin août, des apéros concerts sont organisés deux fois par semaine dans le jardin, dont les arbres et les bosquets feraient presque oublier la ville. 30, rue Gambetta. À partir de 139 € la chambre double. 295 € en été. www.hotel-silhouette-biarritz.com

Cette recette toute simple, pâte sablée et crème pâtissière, est si populaire que chaque boulangerie en propose sa version, souvent surchargée en beurre, en rhum ou en arôme de vanille. Présente chaque matin aux Halles, la maison Maquirriain vend des gâteaux cuisinés dans la nuit. Frais, nature, légers, pas trop cuits ni trop chers (10 € pour 8 personnes). Rue des Halles. Tous les matins en été. Du mercredi au dimanche le reste de l’année.

17 juin 2017 — Illustration L’Atelier Cartographik pour M Le magazine du Monde


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la recette le veggie burger Pour 2 burgers pickles de rhubarbe Couper très finement deux tiges de rhubarbe. Porter à ébullition dans une petite casserole 200 ml d’eau, 120 g de sucre et 50 g de vinaigre blanc. Ajouter la rhubarbe hors du feu et laisser reposer au moins 3 h. s a u c e ta r at o r Mélanger 150 g de yaourt grec, 30 g de tahini, le jus d’1/2 citron, 1 pincée de cumin, et ajuster en sel fin. réserver au frais.

une affaire de goût

Havre de paix. nous nous sommes rencontrées il y a quelques années, lorsque nous animions des ateliers de cuisine en entreprise. Ensemble, nous avons monté un premier foodtruck, une sorte d’installation culinaroartistique ambulante que nous avons fait circuler quelques mois. La fibre associative et humanitaire, nous l’avons toujours eue, mais le déclic s’est produit quand la sœur de Vanessa a raconté l’histoire de ce réfugié syrien : médecin, il mendiait pour pouvoir faire dormir sa famille ailleurs que dans un centre d’accueil sinistre, où on leur servait de la soupe au porc, un plat contraire à leur religion. L’idée qu’on n’était même pas foutus de réconforter des migrants avec un repas adapté nous a mises dans une colère noire. En Afrique ou en Asie, même dans les communautés les plus pauvres, on vous accueille avec un thé, un gâteau, un plat de lentilles... Mais dans nos pays aisés d’Europe, la notion d’hospitalité est réduite au strict minimum. Il nous a semblé évident de cuisiner pour eux, leur offrir un repas qui leur corresponde, réparer à travers la nourriture. Nous avons réuni une dizaine d’amies cuisinières,

à bord de leur foodtruck, elodie Hué et Vanessa krycèVe, les fondatrices de l’association le recHo, font le trait d’union entre réfugiés et locaux. l’occasion pour les deux cHeffes d’écHanger des recettes et de concocter des plats uniVersels, tel ce burger Végétarien. par

Camille labro

comédiennes et communicantes pour monter Le Recho, un foodtruck solidaire apportant « Refuge, Chaleur et Optimisme » aux migrants. Notre objectif est de préparer à manger, bien sûr, mais aussi de créer des liens, de proposer des animations, des ateliers, des moments d’échange entre les différentes populations et nationalités, entre réfugiés et accueillants. Quand on a tout perdu, la cuisine est l’une des seules choses qui reste. Les recettes, la mémoire des goûts et des odeurs, on les garde en soi, on peut les transmettre. Nous voulons cuisiner pour eux et avec eux, mais aussi apprendre de leurs techniques et histoires – voire former certains d’entre eux, pour qu’ils puissent trouver du travail dans la restauration.

gourmande, vivante, nutritive, avec des inspirations d’ici et d’ailleurs. Le veggie burger est l’un de nos plus francs succès. On remplace la viande par un falafel – nourrissant et savoureux, cela plaît à tout le monde. On a découvert une myriade de recettes pour le falafel : les juifs le réalisent avec de la lentille jaune, les Syriens mettent beaucoup de persil, d’autres du sésame ou des raisins secs. Idem pour la sauce blanche tarator, qui peut être plus ou moins aillée ou épicée. Nous avons combiné nos interprétations favorites, réinventé le caviar d’aubergine avec du pain d’épices, les pickles avec de la rhubarbe. Et rassemblé tout cela dans un pain rond. Quoi de plus universel?

la cuisine Végétarienne s’est

Retrouver Le Recho à la péniche Petit Bain, à Paris, jusqu’à fin septembre. L’association sera en mission auprès des centres d’accueil Fedasil pour demandeurs d’asile en Belgique du 7 août au 2 septembre. www.lerecho.com

car c’est la plus économique, la plus facile à stocker, la plus consensuelle et la plus éthique. Elle est aussi imposée,

Photos Julie Balagué pour M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

c av i a r d ’a u b e r g i n e Cuire une grosse aubergine entière dans un four à 200 °C pendant 20 min. Laisser refroidir, récupérer la chair et presser pour extraire un maximum d’eau. Mélanger la chair d’aubergine avec 1 tranche de pain d’épices émietté, 1 c. à s. de sauce soja, 3 c. à s. d’huile d’olive, 10 g de tahini, 3 branches de basilic effeuillé et ciselé, 5 brins de ciboulette ciselée, 1 petite échalote finement ciselée, le zeste râpé et le jus d’1/2 citron. goûter et rectifier en sel et poivre. s t e a k fa l a f e l 150 g de pois chiches non cuits, trempés une nuit dans un grand volume d’eau, 4 branches de persil plat effeuillé, 4 branches de coriandre effeuillé, 1 gousse d’ail pelée, 1 petit oignon finement ciselé, 1 c. à s. d’épices mélangées (cumin, piment, paprika), 1 c. à s. de bicarbonate de soude. Huile de friture neutre, 2 pains buns, 2 belles feuilles de laitue, 1 tomate, 2 tranches de cheddar ou mimolette. bien sécher les pois chiches dans un linge. Les mixer très finement avec le persil, la coriandre et l’ail. Ajouter l’oignon, les épices et le bicarbonate de soude. Mélanger longuement jusqu’à obtenir une pâte uniforme. Former entre les paumes deux falafels de la taille du pain et de 2 cm d’épaisseur. Chauffer l’huile de cuisson (à 170 °C) et frire jusqu’à obtenir une belle couleur dorée (environ 4 min). Poser sur du papier absorbant. Couper les pains en deux, monter le burger avec les sauces, pickles de rhubarbe, fromage, salade, tranches de tomate. Déguster chaud.


La Langue des signes française Un geste change bien des choses

Crédit photo © Bernard Matussière - Visuels non contractuels

Une collection, parrainée par Érik Orsenna, pour mieux maîtriser et apprécier les règles, richesses et curiosités de la langue française, illustrées d'exemples empruntés aux plus grands auteurs. « Parce que la langue, c'est la vie ! »

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LE VOLUME 15

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124

dessous de table

par

françois simon

orsqu’on entre dans un restaurant, on a bien souvent

Dans les clés du parking, l’ordonnancement de sa mise, les lacets de la route. Pourtant, c’est à ce moment précis qu’il délivre tout son message. Un sourire, un bouquet de fleurs, une odeur cheminant depuis la cuisine. Logiquement, aux modulations de la voix, à la façon dont on glisse une chaise sous la table, on dépose une soucoupe, un verre, la tonalité est donnée. Plus encore, sa vérité. Ici, dans le Var, sur les hauts de Grimaud et son délicieux village se révèle Apopino, table ouverte depuis peu par Victoire Silvant, Jacopo Brunero et Dominique Calcerano – ces deux derniers ont trouvé leur complicité à l’Hôtel Terre Blanche, à Tourrettes (83). En début de service, les tables arrivent mollement, allongeant le moment de l’apéritif : l’oisiveté est tout un art. Mais dans l’énoncé des plats, le service avenant, tendre et fragile, la cuisine offre aussi sa nervure. Elle est comme à découvert, sans défense, presque offerte, à l’image de la tête ailleurs.

ces belles asperges vertes servies avec un chutney de coriandre. On sent une technique bien que, visiblement, l’inspiration ait pris le dessus. Avec le filet de canette rôti, là où d’autres chefs auraient botanisé l’assiette comme un jardin anglais, les deux cuisiniers sont allés droit à leur destination (fèves et gnocchis au curcuma) sans se soucier de rangement, ce qui donne une syntaxe presque pure, brute. Du coup, le corps, l’estomac (la future digestion, donc) est en confiance, comme si l’on avait dégagé les branchages de l’appréhension. Le repas peut partir comme un cerf-volant dans le ciel, suivre ses méandres, ses rythmes en fonction de l’air et de la chaleur. Le lieu est assez clair, pas trop encombré, l’espace respire, les conversations aussi. Un bébé peut même pleurer dans un coin, l’atmosphère moelleuse aspire son tourment.

Jacopo Brunero, Victoire Silvant et Dominique Calcerano (de gauche à droite) proposent à l’Apopino, dans le Var, une cuisine tout en délicatesse. Ci-dessus, filet de canette, fèves et gnocchis au curcuma. Ci-contre, asperges vertes au chutney de coriandre.

place de choix Le restaurant, assez vaste, dispose de nombreux recoins. Sans compter la terrasse.

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

dommage Que l’on ne puisse pas se garer devant. Finalement, en délaissant son tas de ferraille au loin, on découvre un village charmant, paisible comme au premier jour et le plaisir inégalable de la promenade apéritive.

à emporter Huiles d’olive pour bientôt.

p a s s a g e à l’a c t e Apopino, place des Pénitents, Grimaud (83). Tél. : 04-94-43-25-26. Fermé dimanche soir, lundi et mardi midi. Décibels 75 dB, tranquillité gourmande. Mercure Température ambiante. Addition À la carte, compter 50 euros. Minimum syndical Menu à 32 € et formule au déjeuner à 18 €. Verdict Ah oui !

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Getty images x2. Jacopo Brunero x5

L

L’art de l’oisiveté.


frais de bouche

Liberté non surveillée.

34,00

Cette semaine, “m” vous propose un dîner à moins de 40 euros. enfin un restaurant récent affirmant, presque désolé, qu’il n’y a pas de menu dégustation imposé le soir. du coup, on ressent comme un ruissellement de félicité. vraiment ? on n’est pas obligé de se farcir les quatre lunules d’avocat dénoyauté, le spumenta d’abricot et l’entrecôte de fourmi ? non, monsieur. un lieu bistrotant dans une pénombre inventive (volets rouillés), une carte simple et surtout des plats presque adolescents, frondeurs, écumants de fraîcheur. C’est délicieux, à l’image de cette jolie assiette d’asperges sauvages, d’encornets et de coriandre. Frais, iodé et toujours printanier, comme la dorade royale, concombre carosello (des pouilles) et shungiku (chrysanthèmes comestibles) ; ou le carpaccio de rumsteck façon tataki avec haricots verts et menthe. esprit japonisant au service et en cuisine (Keita Kitamura, ex-Gagnaire) avec de surcroît un bar en puissance. une petite merveille. Fr. S. Asperges sauvages, 14 € + dorade royale, 13 € + blanc-manger à la rose, 7 € = 34 €. Restaurant Margo, 9, rue Jean-Pierre-Timbaud, Paris 11e. Tél. : 01-43-38-52-19. Fermé lundi.

union libre

Vin de palmes. philippe paCalet

Château Calon séGur

Chénas 2015

saint-estèphe 2013

Il y a quelque chose d’enchanteur à associer un magret de canard grillé à ce chénas au jus de velours. L’ensemble prend une envolée de toute beauté grâce à la charpente de ce vin complet, entre fruit et minéralité gourmande.

Un bordeaux est rarement choisi pour accompagner un magret. Pourtant, le mariage est souvent réussi. Ce saintestèphe, par exemple, est d’une grande finesse, et déroule des saveurs juteuses et profondes sur le palais. L. G.

34 €. Tél. : 03-80-25-91-00.

70 €. Tél. : 05-56-59-30-08.

Pages réalisées par Chloé Aeberhardt, Vicky Chahine et Fiona Khalifa (stylisme). Et aussi Carine Bizet, Marine Chaumien, David Chokron, Claire Dhouailly, Laure Gasparotto, Marie Godfrain, Camille Labro, Valentin Pérez, François Simon, John Tebbs et Jean-Michel Tixier Illustrations Satoshi Hashimoto et Broll & Prascida/Karine Garnier pour M Le magazine du Monde


En 2014, Laverne Cox était la première transsexuelle à faire la « une » du magazine Time.


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C’est l’une des stars de la série “Orange Is the New Black”, dont la cinquième saison vient de débuter sur Netflix.

Laverne Cox mesure le chemin parcouru. Née dans un corps d’homme, l’actrice américaine a souffert de multiples discriminations avant de rencontrer le succès. Désormais, elle utilise sa notoriété pour défendre les minorités ethniques et sexuelles. Par Clémentine Goldszal — Photos Paul Lehr

17 juin 2017 — M Le magazine du Monde


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Depuis cinq ans, Laverne cox vit au rythme Des

Des premières fois pour elle, et des premières fois tout court. En 2014, l’actrice, qui tient l’un des rôles principaux de la série Orange Is the New Black, a été la première femme transsexuelle à faire la couverture du magazine Time, la première à être nommée aux Emmy Awards (les Oscars de la télévision américaine), la première à se faire portraiturer en cire pour le Musée Madame Tussauds de San Francisco, à être élue « Femme de l’année » par le magazine Glamour… Pourtant, jusqu’en 2012, date à laquelle elle a été embauchée pour interpréter Sophia Burset, une femme née dans un corps d’homme, incarcérée au pénitencier féminin de Litchfield, pour la série de Netflix, Laverne Cox était une transsexuelle new-yorkaise parmi d’autres. Son destin était réductible aux terribles statistiques qui scellent les vies des minorités américaines. Femme, noire, transsexuelle et pauvre, Laverne Cox (qui refuse de dire son âge) avait une espérance de vie inférieure à la moyenne nationale, et toutes les chances de gagner moins qu’un homme ou qu’une Blanche, de se retrouver en prison et de se faire tabasser – par un quidam ou par un policier. Et puis, en 2013, dès les premiers épisodes, la série a marché. Les saisons se sont enchaînées, la célébrité est arrivée et la chance a tourné. Dans le palace parisien où elle assure la promotion de la cinquième saison d’Orange Is the New Black (diffusée depuis le 9 juin), elle apparaît dans une robe courte, juchée

premières fois.

sur des talons vertigineux. Ongles rouges taillés en amande, faux-cils extralongs, bouche peinte d’un violet irisé, cheveux longs et lisses à la Beyoncé (elle les secoue régulièrement)… Laverne Cox est actrice mais elle le sait : si les journalistes se pressent pour la rencontrer, c’est qu’elle représente bien plus que son rôle de taularde coquette dans une des séries les plus regardées du moment. Et elle a beau répéter à chaque entretien qu’elle ne parle qu’en son nom, que chaque personne transsexuelle a sa propre histoire, elle est bien devenue la porte-parole d’une cause. D’ailleurs, quand elle n’est pas sur un plateau, elle sillonne les campus américains pour donner des conférences, militer pour plus de droits, de tolérance, de compréhension, dans un pays où le sceau du puritanisme jette encore souvent l’opprobre sur les minorités sexuelles. « Je veux encourager la pensée critique sur le genre, la race, et les problématiques de classe, explique-t-elle. Je crois que j’ai ça en moi. Ma mère est prof, et j’ai moi aussi ce désir d’enseigner, de transmettre. » Alors Laverne Cox bat le fer tant qu’il est chaud, profite à fond de son extraordinaire exposition pour lancer des projets, et parler, parler, parler. Comme l’animatrice télé et productrice Oprah Winfrey ou la réalisatrice Ava duVernay (la première femme noire à signer un film hollywoodien d’un budget supérieur à 100 millions de dollars, A Wrinkle in the Time, qui sortira en 2018), elle souhaiterait se lancer bientôt dans la production. Prendre le pouvoir en somme, dans une industrie hollywoodienne encore « so white » et cadenassée.

“Je veux encourager la pensée critique sur le genre, la race et les problématiques de classe. Je crois que j’ai ça en moi.”

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017


L’esprit de revanche qui l’anime est dénué d’amertume, même si sous les sourires et le discours ressassé, la misère et le désespoir affleurent. « Bien sûr, je ressens de la colère quand je pense à la façon dont les Noirs sont traités en Amérique, dit-elle. Comme l’écrivait la poétesse Maya Angelou, nous serions fous de ne pas être en colère. Mais la question est : qu’en faire? Et comment faire pour ne pas se laisser consumer par elle ? On m’a beaucoup accusée d’être une “femme noire en colère”. C’est un vieux ressort du patriarcat pour décrédibiliser les femmes en général, et les femmes noires en particulier. J’essaye donc de maîtriser ce sentiment, surtout quand je parle en public. » ÉlevÉe avec son frère jumeau en alabama par une mère

Laverne Cox a toujours su qu’elle était une femme, et une artiste. Pas facile quand on est un petit garçon noir dans le Sud conservateur. Mais Laverne est courageuse, volontaire et tenace. Au lycée, elle prend des cours de danse classique, puis s’inscrit à la fac. Après ses études, elle débarque à New York, enchaîne les petits boulots et entame le long processus médical qui va la rendre femme. Des petites victoires, mais la galère persiste. « Il y a exactement cinq ans, se souvient-elle, je vivais à Manhattan dans ce petit appartement à loyer contrôlé où j’habite encore. Je montais sur scène quelques soirs par semaine dans un restaurant de drag-queens, Lucky Cheng’s. Je décrochais parfois des petits rôles au théâtre, à la télévision ou au cinéma. J’avais été convoquée au tribunal après avoir reçu une lettre d’expulsion de mon propriétaire parce que je ne pouvais plus payer mon loyer… Chaque mois, je me demandais : estce que je paye la facture du téléphone ou d’Internet ? Du câble ou de ma carte de métro? J’avais trouvé un arrangement avec mon proprio pour ne payer que 300 dollars par mois, mais c’était encore trop. Voilà à quel point j’étais pauvre. » Et puis son agent lui parle d’une audition pour une obscure websérie. Ça se passe dans une prison pour femmes, et il y a un rôle pour elle. « Au moment où j’ai passé le casting, j’étais prête à laisser tomber mes ambitions de comédienne, j’envisageais de retourner à la fac. Je me disais qu’il était peut-être temps de grandir, de passer à autre chose. Et puis, ma vie a changé. » Pendant le tournage de la première saison, Cox se produit encore quelques soirs par semaine chez Lucky Cheng’s. Mais dès les premières semaines de diffusion, tout est clair : Orange Is the New Black est un succès, et Laverne Cox une star en puissance. En entretien, Cox a la politesse de ne pas verser dans le récit d’un conte de fées à la Cendrillon. Elle le dit sans ambages : toutes les paillettes du monde ne suffiront pas à effacer les maltraitances et les doutes. Au-dessus de son lit, elle a accroché la « une » de Time, pour se rappeler que tout ça, c’est « pour de vrai ». « En 2014, ces choses incroyables me sont arrivées, et moi je me répétais : “Pourquoi moi? Quand tout le monde va-t-il s’apercevoir que je suis une imposture ?” Toute ma vie, on m’a dit que je n’étais pas à la hauteur, que mon rêve était une utopie, et c’est vrai qu’il n’y avait pas de précédent, pas de chemin tracé. Le monde n’est pas construit pour qu’une transexuelle noire réussisse en tant qu’actrice. Il a fallu un changement systémique, une révolution culturelle pour rendre cela possible. Cette révolution, c’est Netflix, qui a créé une nouvelle manière de regarder la télévision, et un espace pour quelqu’un comme moi. » Dans cette porte entrouverte, Laverne Cox s’est engouffrée. Reste à espérer qu’elle ne se referme pas sur ses talons aiguilles, et que l’actrice ne soit pas la première et la dernière à réussir cet exploit.

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Orange is The New Black, saison 5, netflix.

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L’écrivain Benjamin Law s’est inspiré de ses propres souvenirs de famille sino-australienne pour sa série The Family Law.

vécue Benjamin Law. « Quand on rencontre ma mère, on ne l’oublie pas », plaisante-t-il. L’une des meilleures scènes de la deuxième saison concerne le futur mariage de Candy, l’aînée de la fratrie. Elle s’apprête à épouser un Australien « pure souche » dont les parents votent pour le parti raciste One Nation, qui annonçait en 1996 « une invasion de l’Australie par les Asiatiques ». Quand elle rencontre la future belle-famille de sa fille, Jenny surjoue maladroitement son identité australienne, avec force drapeaux nationaux. « Ce sont des scènes dans lesquelles peuvent se reconnaître différentes minorités, et pas seulement les Asiatiques », estime Benjamin Law. « Je veux divertir, émouvoir, toucher les téléspectateurs, quelle que soit leur origine. J’ai grandi à une époque où il y avait très peu d’Asiatiques à la télévision, ce qui ne m’empêchait pas de m’identifier aux personnages. Alors pourquoi un Blanc ne pourrait-il pas se reconnaître dans The Family Law ? », interroge l’auteur.

Par Caroline Taïx

L’AustrALie est, seLon Le premier ministre mALcoLm turnbuLL,

« la société multiculturelle qui réussit le mieux dans le monde ». Benjamin Law, auteur de The Family Law, livre paru en 2010 qu’il a lui-même adapté en série télévisée, sous le même nom, partage ce point de vue, lui qui est l’un de ceux qui incarnent et racontent le mieux ce multiculturalisme à l’australienne. Depuis le 15 juin, la deuxième saison de The Family Law, diffusée sur la chaîne publique SBS, connaît un franc succès, un an après la première saison. Benjamin Law, né en 1982 à Nambour, au nord de Brisbane, n’est pas allé très loin pour trouver son inspiration : il a observé sa propre famille, des Australiens d’origine chinoise. The Family Law est l’histoire d’une famille asiatique vivant en Australie. C’est le portrait d’un foyer comme les autres, dans un pays où plus d’un habitant sur quatre est né à l’étranger. Les parents ont eu cinq enfants, mais après vingt ans de vie commune, le couple ne fonctionne plus. Ils vivent dans une maison de brique, comme on en voit dans toutes les banlieues du pays. Les préoccupations des enfants sont celles de tous les adolescents : les premières relations amoureuses, comment être cool, décrocher un bon rôle dans la pièce de théâtre du lycée… Le père, Danny, travaille dur dans son restaurant chinois, puis dans son épicerie asiatique. Jenny, la mère, parle anglais en faisant des fautes, souvent à connotation sexuelle. Elle cumule les sorties totalement déplacées, couvrant de honte ses enfants. Comme le jour des 14 ans de Benjamin, son troisième enfant, où, au restaurant, elle raconte en détail son accouchement. Une scène qu’a bel et bien

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

“Un Australien sur dix a des origines asiatiques”, explique Benjamin Law. “C’est équivalent à la proportion des Noirs aux États-Unis. Or il y a beaucoup plus de Noirs sur les écrans américains que d’Asiatiques dans les shows australiens”, déplore-t-il. Grâce à The Family Law, la donne change un peu.

La série a rencontré beaucoup de succès au sein de la communauté asiatique. La chaîne SBS propose d’ailleurs des sous-titres en mandarin, coréen et vietnamien. La communauté libanaise a, elle aussi, inspiré une série, Here come the Habibs, dont la deuxième saison a démarré début juin sur la chaîne privée Channel Nine. Après avoir gagné au loto, des Australiens d’origine libanaise très frimeurs emménagent dans l’un des quartiers les plus chics de Sydney, au grand désespoir de leurs voisins bourgeois. C’est la comédie australienne « la plus osée depuis des décennies », vante la chaîne. Dans un tout autre style que The Family Law, elle a été très critiquée, accusée notamment d’enchaîner les clichés sur une communauté.

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. SBS

Le multiculturalisme en série.

Vu d’Australie.


Corps de balais.

Le sens du détail.

Benjamin Favrat

Par Rosita Boisseau

Sur le plateau de Littéral, pièce pour six danseurs, Daniel Larrieu s’est lancé un sacré défi. Soixante balais en paille tourbillonnent dans un feu d’artifice visuel, inspiré des souvenirs d’enfance, dans le sud de la France, du chorégraphe. « Le balai de paille s’utilisait pour la terrasse, raconte-t-il. Son usage était obliga­ toirement sonore et régulier pour ne rien laisser derrière, aucune feuille, fleur ou poussière ; il annonçait les beaux jours et les vacances. » Pour ce spectacle, le chorégraphe a passé commande à l’artisan Didier Dussere, qui travaille à Saint-Chaptes (Gard). « J’aime que ce soit un objet médi­ terranéen, organique, végétal, simple et accessible, poursuit Larrieu. Et qu’il soit dans l’imaginaire des sorcières et des jeunes héros au cinéma pour voyager dans les airs me plaît. » Ou comment des objets domestiques peuvent actionner la machine de l’imagination. Littéral, de Daniel Larrieu. Théâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie, Paris 12e, le 17 juin. www.atelierdeparis.org/fr/daniel-larrieu


“Foglie di pietra”, ramure romaine. Par Roxana Azimi

Making of.

Invité par la marque Fendi, l’artiste Giuseppe Penone a installé des arbres de bronze en plein cœur de la ville. Une prouesse technique. À R o m e , l e s to u R i st e s n ’ o n t q u e

devant les œuvres à photographier. Depuis fin avril, une petite nouvelle a fait son apparition : Foglie di pietra (« Feuilles de pierre ») de l’Italien Giuseppe Penone. Cet immense bloc de marbre enchâssé entre les branches de deux ormes en bronze est installé sur le Largo Goldoni, en face du Palazzo Fendi, le siège historique de la marque, qui comprend un hôtel et une boutique. Une œuvre qui plaît au public, mais dont la genèse a été complexe, posant à la fois des questions politiques et techniques. l’embaRRas du choix

Alerte à Malibu. Déchiffrage.

242 — Nombre d’épisodes de la série télé

diffusée entre 1989 et 1999 sous le nom de Baywatch aux États-Unis. Son adaptation au cinéma par Seth Gordon sort en salle mercredi.

10 — Le tournage

a eu lieu sur les plages de Los Angeles pendant une décennie. En 1999, la hausse des coûts de production en Californie a fait déménager le tournage à Hawaï, et la série a été rebaptisée Baywatch : Hawaii, qui n’a duré que deux ans.

148 — Nombre de pays dans lesquels la série a été diffusée. 40 — Quantité de bouteilles

de crème solaire utilisées chaque mois pendant les tournages au cours des années 1990.

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde

américaine consacrée à des sauveteurs en mer,


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Andrea Ferrari. Gionata Xerra

Avec ses dix-sept tonnes, Foglie di pietra a donné du fil à retordre aux ingénieurs de l’université de Berlin chargés de garantir sa stabilité.

Foglie di pietra est le fruit d’une négociation entamée fin 2013 par la marque Fendi, connue pour ses activités de mécénat artistique, avec la mairie de Rome et le ministère des biens culturels. « Tout le monde a trouvé l’idée bonne, mais il y a eu un long parcours d’approbation », explique Pietro Beccari, le PDG de la maison. Pas simple d’introduire de l’art contemporain dans une ville tout entière tournée vers le patrimoine et les vestiges archéologiques. Les édiles redoutent aussi les réactions des riverains. On se souvient du branle-bas qu’avait suscité en 2011 la

sculpture de Maurizio Cattelan, à Milan, un doigt d’honneur au capitalisme posé devant le siège de la Bourse. Le sarcasme graveleux, ce n’est pas vraiment l’esprit de Fendi. Les collectivités publiques finissent par accepter l’idée, à charge pour la marque de s’occuper de la production, de la manutention et, les premiers temps, d’un gardiennage nocturne pour éviter que l’œuvre ne soit vandalisée. Trois artistes sont alors pressentis par le curateur Massimiliano Gioni, mandaté par Fendi : Maurizio Cattelan, Roberto Cuoghi et Giuseppe Penone.

Un comité composé des représentants de la marque, de la Ville et de l’État se reporte finalement sur l’artiste turinois. Un choix qui ravit Pietro Beccari : « Il était mon préféré. Son œuvre est très liée aux matériaux, et on prête nous aussi attention aux matériaux naturels. » Penone est invité à Rome en décembre 2015. « Il m’a dit qu’il avait l’installation dans la tête, poursuit Pietro Beccari. On s’est posé dans une trattoria et, en deux coups de crayon, il a fait le dessin sur un bout de papier. » Le Largo Goldoni est petit, et une sculpture horizontale en gênerait la circulation. L’artiste imagine une structure tout en élévation, pour « se détacher d’un sol où, quel que soit l’endroit où l’on marche, se trouvent les ruines de Rome », expliquet-il. Son chapiteau en marbre, Penone l’a imaginé de style corinthien, « le moment le plus naturaliste de l’architecture, quand le rapport au végétal est le plus évident ». Il a fallu un an d’études, notamment avec les ingénieurs de l’université de Berlin, pour garantir la stabilité de cette sculpture de dix-sept tonnes. Pour solidifier les deux ormes moulés en bronze dans une fonderie de Pietrasanta, des attelles d’aciers masquées au sein des branches métalliques permettent de soutenir le marbre de Carrare. Le tour est joué, l’illusionnisme fonctionne à plein, les passants sont ravis.


Pinar&Viola, duo rêveur. Par Roxana Azimi

Jeunes pousses.

Jusqu’au 23 juin, les plasticiennes Pinar Demirdag et Viola Renate exposent leurs œuvres oniriques à l’espace Red Bull, à Paris.

« recharge station », de Pinar&Viola, galerie 12mail, red Bull space Paris, 12, rue du Mail, Paris 2e. Jusqu’au 23 juin. www.12mail.fr

Kelichi Sakakura. Valentin Le Cron/Red Bull Space

L’une est turco-canadienne. L’autre néerLandaise.

Respectivement 32 et 34 ans, Pinar Demirdag et Viola Renate, alias Pinar&Viola, forment l’un des duos les plus détonants du moment. Pourtant, difficile de les qualifier. Les deux plasticiennes sont à la fois peintres digitales, artistes numériques, conceptrices d’imprimés et d’hologrammes. Elles-mêmes se qualifient de « créatrices d’images ». Jusqu’au 23 juin, à l’espace Red Bull, à Paris, elles exposent entre autres des tipis bariolés. Les yeux grands ouverts, Pinar&Viola puisent leur inspiration dans les recoins de leur inconscient, du Web et de l’art, empruntant aussi bien aux surréalistes qu’à l’univers foutraque de l’artiste américain Ryan Trecartin. En parfaite adéquation avec l’époque, leurs images sont colorées, faites de copiés-collés ou de clins d’œil au mauvais goût qu’on trouve en ligne, sur les forums ou réseaux sociaux. Elles se sont rencontrées voilà huit ans à la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam. Toutes deux se sentent alors outsiders. « Je n’étais pas à l’aise dans un monde où tout est appliqué, masculin, rationnel, confie Viola. J’ai pensé aller dans la mode, la création de chaussures, mais je n’ai pas cette dimension “artisan”. J’avais le désir de faire des images puissantes, généreuses, aussi vivantes que l’est la mode. » À l’école, les deux « rêveuses » collaborent une première fois ensemble, puis une deuxième. Le début d’une jolie complicité. Quand on les interroge sur leur duo, chacune se renvoie la balle… et des fleurs. « Viola fait toujours le bon choix », observe Pinar. « Avec Pinar, j’ai senti que je n’avais pas à me brider, elle est si puissante qu’elle me pousse vers ce qu’il y a de mieux », renchérit Viola. Pinar&Viola conçoivent des images qu’en théorie tout le monde pourrait créer, grâce aux logiciels de mise en page. Mais, de ces photographies, logos ou gifs animés qu’on croise chaque jour ad nauseam sur Internet, elles font des instruments de critique sociale. « On ne veut pas qu’une image se réduise à un message mercantile, observe Viola. On cherche à changer quelque chose de l’intérieur, plutôt que critiquer de l’extérieur. » Chaque année, à la manière des grands couturiers, elles publient sur leur site une collection d’images, un condensé de l’air du temps. Certaines sont très abstraites, d’autres vantent des façons de vivre, comme le polyamour. Autant d’images et de messages subliminaux qui apaisent ou électrisent.


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Le DVD de Samuel Blumenfeld.

“L’Empereur du Nord”.

Illustration Satoshi Hashimoto pour M Le magazine du Monde. Twentieth Century Fox Film Corporation

À pARtiR De lA fin DeS AnnéeS 1960,

l’acteur Lee Marvin entre dans la deuxième partie de sa carrière, après avoir tenu, au cours de la décennie 1950, des seconds rôles inoubliables dans L’Équipée sauvage de Laszlo Benedek ou Règlement de comptes de Fritz Lang. Avec Le Point de non-retour de John Boorman (1967), et son rôle de truand réclamant son dû après un séjour prolongé en prison, ou Les Douze Salopards de Robert Aldrich (également en 1967), où il est un officier pendant la seconde guerre mondiale, le comédien ne semble incarner rien d’autre que lui-même. La fin des années 1960 fait de Lee Marvin un genre à lui tout seul. Pas seulement un acteur et une figure exceptionnelle, mais un îlot à Hollywood, une zone franche. L’Empereur du Nord définit encore davantage l’insularité de cet incroyable comédien. Tourné en 1973 par un réalisateur de 55 ans, Robert Aldrich, à une période où, après Easy Rider, French Connection et Le Parrain, le nouvel Hollywood a, en théorie, supplanté l’ancien, L’Empereur du Nord amène à considérer une autre hypothèse. Durant la décennie 1970, des réalisateurs américains d’âge mûr atteignent leur apogée. À l’image de Robert Aldrich, Robert Mulligan, Robert Altman, Robert Wise ou Richard Fleischer. Comme si tous ces hommes, la cinquantaine largement dépassée, étaient galvanisés par l’époque. L’Empereur du Nord est tiré d’une nouvelle de Jack London située dans les années 1890, et dont l’action est placée en 1933, pendant la Grande Dépression, par le scénariste Christopher Knopf. Lee Marvin incarne un « hobo », un de ces vagabonds se déplaçant de ville en ville, en se cachant dans les wagons des trains de marchandise. Son personnage n’a ni nom ni prénom, juste une appellation, « A No 1 », le désignant comme le rival de choix d’un gardien de train intraitable qui s’est imposé comme devoir absolu d’éliminer les intrus. La période des années 1930 est l’une des constantes du cinéma des années 1970. L’Amé-

rique du Vietnam, en plein doute, trouvait dans la Dépression un miroir idéal, une métaphore parfaite, que ce soit dans Bonnie et Clyde (1967) d’Arthur Penn, Boxcar Bertha (1972), le deuxième film de Scorsese, Nous sommes tous des voleurs (1974) de Robert Altman ou La Barbe à papa (1973) de Peter Bogdanovich.

“L’Empereur du Nord” met en scène la lutte entre un marginal et un représentant de l’ordre. Et le contexte de la Grande Dépression permet à Lee Marvin d’exceller.

Cette période était un sujet de prédilection pour l’acteur, qui se révélait un homme d’une exceptionnelle érudition, et apportait ici tout son bagage. Il incarne L’Empereur du Nord au point de devenir l’égal du metteur en scène. Car dans la lutte entre le gardien du train et le vagabond qui se cherche une place à bord, c’est bien de la prise de pouvoir de l’artiste sur l’ordre établi qu’il est question.

L’Empereur du Nord (1 h 56), de Robert Aldrich, est édité dans un coffret DVD/Blu-ray par Wild Side.

Pages coordonnées par Clément Ghys, avec émilie Grangeray

Dans ce film de Robert Aldrich, un vagabond (Lee Marvin, à droite) se retrouve aux prises avec un gardien de train (Ernest Borgnine), chasseur de passagers clandestins.

17 juin 2017 — M Le magazine du Monde


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Mots croisés

Sudoku

g r i l l e n o 300

1

2

3

4

n o 300

-

difficile

yan georget

PhiliPPe duPuis

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

Compléter toute la grille avec des chiffres allant de 1 à 9. Chacun ne doit être utilisé qu’une seule fois par ligne, par colonne et par carré de neuf cases.

I II III IV V VI

Solution de la grille

VII

précédente

VIII IX X XI XII XIII XIV XV

Horizontalement I Pour le plaisir des enfants et le repos des parents. II Bien plus graves pour le médecin que pour nous. Ne sait plus où aller. III Des dunes dans les sables. Points opposés. Ne mesurent plus rien sur le terrain. IV Passe-temps solitaires. Pourra être approuvé. Fait la liaison. V Briser totalement. Lourde dans les airs, encore plus sur terre. VI Dieu solaire. Mettent carottes et navets à nu. VII Rupture à l’anglaise. Grande du Frioul. Suivi par les porteurs d’actions. VIII Pose problème. Équipée pour prendre l’air. Entaille en surface. IX Attaqua au palais. Sûres et certaines. X Tendu à l’arrivée. Fis des longueurs. Réseau mondial. XI Puces, poux et autres bestioles.Auxiliaire. XII Éliminera.Tête d’œuf.A lutté contre l’apartheid.Alourdir à la fin. XIII Personnel. Rouge chez les amateurs de cru. À genoux pour l’éternité. XIV Courtes mais violentes. Se moquer et souvent blesser. XV Montrent le bout du nez. Foutu. Verticalement 1 Organisation échelonnée. 2 Sa décharge ne se contrôle pas. Dans l’avantbras. 3 Alliance de défense. Manifeste de l’énergie. Romains. 4 Cognais à quai. Très excités. 5 Fait la liaison. L’étain. Quand l’effort fait du bruit. Séparations au sommet. 6 Caractères chinois. Dans l’ensemble. Roi de Juda. 7 Beaucoup de vent et de mouvements. 8 Monnaie romaine. Dégrade lentement. N’a pas encore circulé. 9 D’un auxiliaire. Affluent de la Loire. Découpage historique. 10 Dix points pour finir. Il lui arrive de faire des réductions. Passa au plus près. Travaille à la chaîne. 11 Garniras les édredons. Désaccord catégorique. 12 Crie en bord de mer. Vient d’avoir. Protection rapprochée. 13 Met la France en cartes. Discernement pas toujours bon. Écrasante en plein cœur. 14 Des Folies Bergères à Hollywood, dans les décors. Thés des jésuites. 15 Deux as et demi à Rome. Éminence. Solution de la grille no 299

Horizontalement I Piston.Torgnole.II Émulsive.Exocet.III RPR.Akènes.Va.IV Quel.Industriel.V Ulmistes. Eu. One. VI Ispahan. Infant. VII Sel. Écot. Vs. VIII Omnium. Ibo. Or. IX Triâtes. Bronche. X Ia. Ténébreuse. XI Optera. Long. Pro. XII. Niera. Rectos. Ur. XIII Nana. Dodo. Nos. XIV Étoiles. La. Râpe. XV Rentabilisation. Verticalement 1 Perquisitionner. 2 Impulse. Rapiate. 3 Suremploi.Tenon. 4 Tl. Lia. Materait. 5 Osa. Shuntera. La. 6 Nikita. Iéna. DEB. 7 Vénéneuse. Rosi. 8 Tends. Cm. Bled. 9 Eu. Io. Brocoli. 10 Ressentirent. As. 11 Gx. Tuf. Bougon. 12 Noir. Avons. Sort. 13 Oc. Ions. Cep. Saï. 14 Lèvent. Oh. Ru. Pô. 15 Étalé. Grégorien.

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

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Ce bidon en métal brut est orné du célèbre motif du MOULIN DE VALDONNE, un sceau comme un gage de qualité pour les consommateurs les plus avertis qui y reconnaîtront la promesse d’un produit inoubliable. Le Sirop de Camille propose en effet des recettes simples et courtes, sans colorant et aux arômes naturels. Du pur sucre mais surtout une très généreuse part de fruits. Bidon 60cl, 3€10 en GMS

www.moulindevaldonne.com

Créé à Paris en 2014, la marque LEPANTALON propose intialement une gamme de Chinos. En supprimant la totalité des intermédiaires entre la fabrication et la vente, LePantalon se positionne comme spécialiste du pantalon au prix juste. Aujourd’hui, LePantalon propose 3 gammes de produits : Chino (15 coloris), Flannelle (2 coloris) et Jean (4 coloris) ainsi qu’une gamme de bermudas et d’accessoires, le tout confectionné en Europe.

www.lepantalon.fr

électrique & LUMINEUX SERGE LUTENS dévoile ce printemps deux nouvelles teintes de fards à lèvres, radicales et excessives, qui s’inspirent des nuances des bougainvilliers marocains : « Notre-Dame du rose », un intense rose électrique et « 360 volts », un violet lumineux, Présentés au sein de l’emblématique ligne de maquillage de la marque « Le nécessaire de beauté », ces fards, présentés dans leur iconique et élégant écrin, offrent une extraordinaire pigmentation. Des nuances exigeantes et sans compromis, à l’image de leur créateur.

fr.sergelutens.com

un nouveau SOUFFLE le nouvel aspirateur Blizzard CX1 de MIELE est doté de la technologie Vortex inédite. Il allie une haute performance de nettoyage à une hygiène exceptionnelle grâce à son système unique de séparation des poussières et de vidange qui limite le contact avec la poussière. Son sytème monocyclonique associé à 3 niveaux de filtres garantit une filtration à 99,999%. Et un confort d’utilisation signé Miele. À partir de 380,49 €

swimWEAR JOTT lance sa première ligne Swimwear cet été 2017! Tout comme les doudounes qui ont fait le succès de la marque, la ligne se veut intemporelle et indémodable grâce à des formes graphiques et sobres qui sauront traverser les époques. Du maillot classique aux pièces interchangeables à mixer au gré de ses envies, Jott propose également des robes de bains, des board short, ou des serviettes qui complèteront cette collection colorée. Brassière à coque 40 € - Culotte 25 €

www.miele.fr

Page réalisée par le service commercial du M Magazine 01 57 28 39 27


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Le briquet de Fishbach.

À 25 ans, la chanteuse électrise la variété française avec un premier album où sa voix rauque résonne en majesté. cette fumeuse ne se sépare jamais de son briquet violet À reflets.

Il y a quelques mois, j’ai tourné le clip de mon single Un autre que moi dans les environs de Barcelone. C’était mon troisième. Je ne suis pas toujours convaincue par les histoires que l’on me propose, mais les deux réalisateurs, Manfre et Iker Iturria, ont eu une idée qui m’a plu. Il fallait que je me démultiplie et que je me kidnappe moi-même, en m’enfermant dans le coffre d’une voiture, dans une ambiance de film noir un peu vaporeuse. Nous avons décidé de faire deux versions de la vidéo : une sans cigarette, pour la diffuser en France, et une dans laquelle je fume. La voiture était une vieille Jaguar. Pour contrebalancer cet aspect vintage, j’ai voulu trouver un briquet un peu futuriste. Ce modèle chromé était parfait. Il m’évoque aussi bien l’univers de David Lynch que le tuning, une activité à laquelle beaucoup de types s’adonnent dans mes Ardennes natales, des connaissances du village de ma grand-mère avec qui je bois des bières de temps en temps…

M Le magazine du Monde — 17 juin 2017

Valentin Pérez

Je fume environ un paquet par jour. J’ai commencé au lycée, il y a dix ans. J’aime le geste, le fait d’avoir la main occupée. Depuis le tournage, ce briquet est l’un des seuls objets que j’ai tout le temps sur moi. J’ai peu d’affaires, je suis souvent en tournée, je n’ai pas d’appartement à Paris : je vais de colocation en sous-location, un mois ici, trois mois là… Mais ce briquet reste avec moi. Je fais attention quand je prête du feu à quelqu’un : je préviens d’emblée qu’il est hors de question de l’embarquer ! Quelquefois, il me sert à allumer une cigarette sur scène, en interprétant un morceau inédit. Un concert d’une heure et demie sans en griller une, ce serait trop long. Et puis j’aime l’esthétique, les volutes de fumée dans la lumière... Bizarrement, la cigarette peut me donner une voix très éraillée quand je parle, mais dès que je commence à chanter, avec l’adrénaline, elle s’éclaircit et j’arrive à avoir de la puissance. Je sais qu’il faudra que j’arrête. Je me laisse cinq ans pour y arriver, d’ici à mes 30 ans.

à écouter à ta merci (entrePrise / sony)

à voir en tournée Partout en France, notamment à auxerre le 24 juin, aux eurockéennes de BelFort le 8 juillet, au midi FestiVal d’Hyères le 21 juillet et au Bataclan à Paris le 27 octoBre.

Valentin Pérez

propos recueillis par


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