La MERCERIE AMBULANTE de Marie-France Dubromel
Le fil rouge va où il veut. C'est un cabinet de curiosités composé du glanage de petits objets insignifiants (L'herbier des villes1), de chiffons, de collectages d'histoires de la vie ordinaire... recueillis depuis des années, au cours des déambulations urbaines et des voyages. Tous ces petits riens font partie de notre quotidien. On n'y prête pas attention, pourtant ils appartiennent à notre mémoire. L'exposition raconte tout cela. Tout y parle de ces choses et de ces histoires sans importance, qui sont les nôtres. Il y a des accumulations d'objets, des boîtes à reliques, des carnets d'échantillons, des inventaires, des listes de noms, des citations d'auteurs, des histoires de vécu, transcrites sur des pièces de linge usagées et sur des chiffons.... Les collectages sont appliqués sur des supports divers, à l'aide du Fil Rouge et de l'aiguille. Pour ordonner leur présentation, je me suis inspirée de l'idée du Penserclasser2 La démarche générale est « une tentative d'épuisement... de l'infra- ordinaire3 » et une rêverie sur la « petite mémoire4 » des destins ordinaires qui finissent toujours par s'engouffrer dans « l'Histoire avec une grande hache »5. Situés et datés, tous ces glanages sont aussi un rapport au temps qui passe et une façon de passer le temps. Tout ce qui a commencé d'être glané et classé, le serait – dans l'idéal - jusqu'à la fin de me jours valides et conscients. Une partie de l'exposition, intitulée Marabout, bout de fil rouge... réunit quelques amis artistes dont le travail entretient un lien particulier avec la Mercerie ambulante. Tous sont reliés entre eux par une idée de l'écriture : Jill GUILLAIS, Isabelle LAURENT, Virgile NOVARINA, Marc-Antoine ORELLANA, Gilles-Henri POLGE, Agnès TAISNE et le poète Bruno FERN. L'ouverture du baluchon de la mercière ambulante grâce à l'invitation de la Médiathèque d'Argentan, est pour le visiteur une invitation au voyage.
Marie-France Dubromel6 1 2 3 4 5 6
Georges PEREC Georges PEREC Georges PEREC Christian BOLTANSKI Georges PEREC
http://mercerieambulante.typepad.com/
Comptoirs de mercerie
Glanages. Accumulation chronologique, 1997-2017 (sélection)
« Je pense aussi que les petites choses laissées à l'abandon sont parfois les plus signifiantes. Ainsi, par exemple, un petit objet perdu dans un amas de matière sale peut amener à faire accepter la vie comme un exercice d'humilité ». Antoni Tapiès
Des bouts de fil, boutons trouvés, résidus textiles, petits objets et fragments divers, ramassés au hasard dans les rues des villes, sont fixés au fil et à l'aiguille, depuis 1997, sur des feuilles de croquis, rassemblés dans des sachets en plastique, rangés dans des boîtes à reliques ou inventoriés dans des carnets d'échantillons thématiques. Ils sont à la fois, journaux de bord, inventaires du dérisoire et de l'oubli, champ d'observation, source de rêverie, rapport au temps qui passe, Cabinet de curiosités, mais aussi, hommage rendu à l'infra-ordinaire* de l'écrivain Georges PEREC et aux Musées sentimentaux* de l'artiste Daniel SPOERRI. Pour ces glanages, je me suis imposé des contraintes. Par exemple : l'indication du lieu et de la date de la collecte, la photographie de l'objet -in situ- avant le ramassage, la fixation des éléments trouvés, au fil rouge et à l'aiguille, sur des feuilles de croquis, le jour même de la récolte... Pourquoi s'y intéresser ? Dans 30 ans, mes petits vestiges du quotidien, si ordinaires, si familiers, sans intérêt, seront-ils toujours identifiables ? Pourront-ils encore être nommés ? Etrangeté future de notre quotidien le plus ordinaire. « Interroger l'habituel. (…) Peut-être s'agit-il de fonder enfin notre propre anthropologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l'exotique, mais l'endotique (…) Questionnez vos petites cuillers. Qu'y a t-il derrière votre papier peint ? » proposait l'écrivain Georges Perec : « Peut-on faire de l'ailleurs avec de l'ici ? », se demandait l'ethnologue Jacques Meunier. Le collectage des textiles usagés, des petits débris de la vie ordinaire, contribuent par leur mise en forme, à l'exploration de la mémoire collective. Ils souhaiteraient participer, avec humilité, à l'élaboration d'une poétique du quotidien
*« Dans Les musées sentimentaux, les objets exposés ne fonctionnent pas par leur valeur esthétique ou documentaire. Ils n'existent que par leur charge émotive […]. Ce genre d'objets n'a aucune valeur scientifique. On ne peut rien en déduire. » Daniel SPOERRI Introduction à la collection de Mama W. Château d'OIRON
« Histoires de vécu » Installation (en cours depuis 1997)
Chineuse et glaneuse, j'accumule depuis des années des pièces de linge usagées, trouées, rapiécées, reprisées… et des chiffons divers portant la marque d'un vécu oublié. Je les trouve dans les brocantes, les vide greniers ou je les glane sur les trottoirs urbains et dans les caniveaux; quelquefois, ils me sont donnés. En contrepoint du collectage textile, je recueille des récits de mémoire ordinaire auprès d'hommes et de femmes, toutes générations confondues, et des citations d'auteurs, au hasard de mes lectures. Tous évoquent des histoires de linge liées aux trois âges de la vie. Du rire aux larmes, ce sont des récits de mémoire ordinaire. Tel un scribe, je les transcris au fil rouge et à l'aiguille, sur le linge récupéré, à l'aide de l'écriture du marquage, utilisée dans les blanchisseries jusqu'à la fin des années 1960. L'ensemble de ces textiles chargés de « mémoire sensible » (Alain Corbin), fait l'objet d'une installation. Outre le travail de mémoire collective, *l'installation Histoires de vécu tente de faire coïncider l'émotion éprouvée en récupérant une pièce de linge avec celle ressentie en recueillant un récit de vie. La mise en espace des pièces textiles « déshabitées », suspendues à des chaînes, se réfère aux« salles des pendus » des centres miniers.
L'installation Histoires de vécu est dédiée à l'ethnologue Yvonne VERDIER. La lecture de son livre « Façons de dire, Façons de faire. La lingère, la couturière, la cuisinière », Gallimard (Bibliothèque des Sciences Humaines, 1979) a déclenché le processus du collectage et la constitution de la mémoire du linge ainsi que l'élaboration du concept « Mercerie ambulante ».
« Manteaux de mémoire » * L'intitulé Manteaux de mémoire, m'a été généreusement prêté par l'écrivain Gérard Macé, pour la réalisation de pièces de trousseau imaginaires : tentative de relecture textile d'oeuvres de prédilection ou évocation d'histoires de vies anonymes. « Les travaux de la fée, que j'ai toujours vue baguée d'un dé à coudre : faire passer le manteau de la mémoire à travers le chas d'une aiguille. » Gérard Macé (Le Manteau de Fortuny)
Pour exemples : Le manteau de mémoire pour CASANOVA ou Casanova rhabillé des oripeaux de ses conquêtes, accompagné de la transcription au fil rouge de l'inventaire de leur nom, tel qu'il a été établi par Chantal THOMAS dans : Casanova ou le voyage libertin. Gallimard. Le Manteau de mémoire du 24 janvier 1943 : Liste des 230 noms des femmes du convoi du 24 janvier 1943, pour auschwitz. D'après Charlotte Delbo.
La Moi-jeuse, mfd Tentatives pour un autoportrait de la « mercière ambulante ».
« Et je ne suis pas ici pour raconter ma vie. Quoique ! »
Gérard GENETTE (Bardadrac)
Définition : Encyclopédie DIDEROT &D'ALEMBERT :
Un mercier est marchand de tout & faiseur de rien. Définition de La mercière ambulante, mfd :
Marchande de rien & faiseuse de rien
Autoportrait en baluchon
Tricot de vécu Tricoter la vie pour un « manteau de mémoire » personnel
C'est un tricot de fil. C'est un tricot « pur fil ». C'est un tricot du fil de la vie. C'est un tricot qui prend son temps. C'est un tricot au fil du temps. C'est un tricot qui prend le temps. C'est un tricot du fil du temps. Tricot du fil du tant. Tricot de temps. Temps de tricot. Tant de tricot. Tant de temps. Temps de Tant. Temps et tant. Tant et tant… Pour la petite histoire : La tante Armande était couturière. A sa mort, j'ai reçu en héritage quelques draps usés. Déchirés en bandelettes et parsemés -au crayon feutre rouge- des mots : vie, liens, oubli, ils sont devenus, au point mousse, la maille d'un Tricot de vécu En 2001, j'en avais tricoté environ 2,50 m pour accompagner l'installation Histoires de vécu, mise en espace sur le thème des 3 âges de la vie, dans la chapelle St Vigor de Mieux, près de FALAISE, en Basse -Normandie. En octobre 2006, je reprends le Tricot de vécu, laissé en l'état, depuis 2001 et décide d'y travailler au moins 5 minutes par jour, avec des séances de rattrapage pour les périodes d'absence. Les draps de la tante Armande étant épuisés, je continue le tricot à l'aide de bandes déchirées, dans les « draps du dessous » usés de mon trousseau. Les étapes de réalisation sont datées, sur le tricot, depuis le 17 octobre 2006. Il est possible que le Tricot de vécu soit mon dernier travail. Il est possible que je finisse par ne plus faire que tricoter inlassablement, les trois mots de la vie,
répétés à l'infini, jusqu'à la fin de mes jours valides et conscients. C'est un travail sans fin, jusqu'à la fin.
Réalisation d'un tricot de mémoire, à la Médiathèque d' ARGENTAN, 2017 A l'instar du Tricot de vécu, j'ai déchiré des bandes dans un vieux drap, puis j'ai noué les bandes entre elles. J'ai ensuite écrit une histoire personnelle avec la Médiathèque d'ARGENTAN, au feutre rouge, sur les bandes de draps et mon prénom dans le bout des nœuds. J'ai ensuite tricoté au point mousse, le texte que je venais d'écrire. Pendant toute la durée de l'exposition, chaque visiteur est invité à écrire à son tour, une histoire sur les bandes de drap blanches, à inscrire son prénom dans le bout des nœuds, puis à tricoter ou à faire tricoter par une personne de son choix, le texte qu'il vient d'écrire. Les histoires tricotées ensemble ne sont pas lisibles. Seuls les prénoms inscrits dans le bout des nœuds apparaisent, avec l'idée de nommer contre l'oubli. En fin d'exposition, on obtiendra le tricotage de la mémoire de l'expostion Mercerie ambulante. Le tricot collectif sera conservé dans le fonds local de la Médiathèque d'ARGENTAN mfd, juin 2017
« Manteau de mémoire » bibliographique Liste des livres qui ont accompagné la rêverie et la réflexion pour élaborer l'exposition
Le Fil rouge va où il veut... à la Médiathèque d'Argentan, en 2017
Marabout, bout de fil rouge Une partie de l'exposition réunit 7 amis, artistes ou poètes, en relation étroite avec un aspect particulier de la Mercerie ambulante. Tous sont reliés entre eux, par une certaine idée de l’écriture.
Agnès TAISNE Depuis quelques années, Agnès Taisne a entrepris un douloureux travail mémoriel personnel (dessins, encres colorées, peintures) inspiré de 18 lettres écrites – du 25 août au 18 septembre 1942 - par Juliette, sa tante, morte en déportation, à l'âge de 17 ans. « 18 lettres de Juliette » sont présentées pour la première fois à la Médiathèque d'Argentan, en écho au Manteau de mémoire pour « Le convoi du 24 janvier... » de Charlotte Delbo. mfd, mai 2017 agnes.taisne@wanadoo.fr
Marc-Antoine ORELLANA De l'introduction du rouge, par Marc-Antoine Orellana, sur une gravure en noir et blanc : Le calendrier, en 1997, aux interventions de l'aiguille et du fil dans le corps même des gravures en 2016 pour le livre d'artistes Recortes, par Marie-France Dubromel, une étrange étoffe des songes s'est tissée entre le graveur et la mercière ambulante. mfd, juin 2017
Gilles-Henri POLGE Photographe, promeneur, libraire, je ne pouvais que croiser un jour les chemins de MarieFrance Dubromel. « Mercière ambulante », Marie-France collecte de menus objets abandonnés sur la voie publique ; « Promeneur », je photographie sur les murs des rues des dessins et inscriptions, anonymes, spontanés, pour la plupart. Depuis des années, nous accumulons ces traces, indices, signes, peu ou pas remarqués par les passants. […] Mes idéogrammes imaginaires sont des photographies de branches de certains arbres, tout en angles et en courbes. Noirs d'encre sur fond gris du ciel, ils sont bien sûr inspirés par la calligraphie chinoise. Des images vivent seules, d'autres forment des écritures, assemblées en diptyques, triptyques. G-H P, mai 2017
http://www.ghpolge.typepad.com/
Virgile NOVARINA Depuis plus de 20 ans, Virgile NOVARINA explore les profondeurs du sommeil. Lors de performances en public, pendant de très courts moments d'éveil survenant dans le sommeil profond, il inscrit et trace sur du papier des Ecrits et dessins de nuit, pépites de Poésie. Fin 2011, le canevas fut le support des Ecrits et dessins de nuit. Virgile a ensuite brodé certains d'entre eux, au petit point. Ces trésors de mercerie - au nombre de 12 - sont présentés pour la première fois, dans leur intégralité, dans le cabinet de curiosités de la Mercerie ambulante, en écho au déroulé du fil de l'exposition. mfd, mai 2017
http://www.autourdusommeil-lefilm.com/Virgile_Novarina/Autour_du_sommeil.html
Bruno FERN tissus & textes* Marie-France Dubromel & Bruno Fern Dans leurs activités respectives, ils recourent à des contraintes formelles tout en accordant de l’importance au vécu, en particulier à la mémoire collective et au fait que la trame d’une vie est indéniablement faite de tout et de riens. *Les deux mots ont la même origine latine. Bruno FERN, avril 2017
Bruno FERN, accompagné par le guitariste Guillaume Anseaume, a fait une lecture publique de L'air de Rin, à la Médiathèque d'Argentan, dans le cadre de l'exposition, le 16 septembre 2017.
Isabelle LAURENT TENTATIVE D’EPUISEMENT D’UN LIEU JOYCIEN OU COMMENT DECRIRE CE QUI EST ECRIT
Quand Perec se poste au café de la Mairie, place Saint Sulpice et énumère toutce qu’il voit, Joyce parle d’une ville, Dublin, qu’il ne voit plus puisqu’il s’est exilé à Trieste. Même si la ville constitue la trame sur laquelle les personnages se nouent, les places, les ruelles, les maisons, les pubs, ne sont jamais décrits. Ne reste que l’énumération précise et constante des noms de lieux dans lesquels se déplient les parcours et actions des habitants. […] car depuis le cher Georges P. le lieu est à épuiser, entre effacement et révélation entre accumulation et énumération un entre tout, une antre, une entrée dans la poésie du monde. https://ulysses2018.com/
Isabelle LAURENT, mai 2017
Jill GUILLAIS Marie-France Dubromel classe pour offrir aux objets rebuts une place dans la collection. De mon côté je collecte surtout pour déclasser et réorganiser ensuite chaque fragment en un nouvel ensemble plastique et conceptuel ; ce qui donne naissance à des formes et supports artistiques parfois très différents : photographies, vidéos, installations, sculptures, dessins, collages, etc. […] Dans le cadre de cette exposition à la Médiathèque d’Argentan est présentée la sculpture « You left them all naked » : une structure faite d’épluchures depommes de terre. Dans ce travail le processus artistique a un rôle essentiel. À chaque exposition l’oeuvre est rehaussée d’une belle poignée d’épluchures pour retrouver sa digne légèreté. Jill GUILLAIS, juin 2017
www.jillguillais.com
Jill Guillais
Photo Gilles-Henri Polge
http://mercerieambulante.typepad.com/