MICKAËL LOOF – Révéler le Paysage

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- Révéler le paysage -

Mickaël Loof


Illustration 1ère de couverture Couleur à l'horizon, Lemps, 2018 © Mickaël Loof




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- Révéler le paysage Dialogue entre l’Homme, l’architecture et le lieu

Travail de fin d’étude présenté par Mickaël Loof, en vue de l’obtention du diplôme d’architecte. Enseignant référant Guilhem Chuilon Expert Vincent Furnelle Promoteurs d’atelier Pierre Accarain | Éric van Overstraeten

Année académique 2017/2018



Voyage en Drôme Provençale

Au lever du soleil, je me retrouve à marcher au beau milieu des massifs alpins. La fraicheur de l’air me fait savoir que la brume arrive et seuls quelques sons se perdent au loin. Les rayons du soleil ont peine à traverser cet épais brouillard, mais la lumière qui en ressort illumine les couleurs hivernales de la nature. Le sentier sur lequel je me suis embarqué me paraît interminable. Entouré d’arbres, il est instable, le rythme de mes pas est rythmé par celui du sol. Je cherche mes appuis, mon corps essaie tant bien que mal à s’adapter aux oscillations du sol. Ma vue accompagne mes pas, tous mes sens s’éveillent, ainsi mes yeux s’agrippent sur les arbres, mes mains regardent le sol. Je franchi cette crète et une ouverture fait enfin son apparition, tout mon corps se relâche, et dans la fraicheur, le paysage s’offre à moi. Je perçois l’horizon, mais la brume le rend trouble, rendant presque indissociable l’endroit où la terre et le ciel se rencontrent. Je me laisse envahir par ce paysage, j’accompagne ses passages, ses transitions, je distingue ses notes qui en font une charmante musique. La trajectoire de mon regard est guidée par les mouvements du vent, les courants du paysage jusqu’à se poser sur une étrange masse bâtie dont les tuiles émergent de la végétation. Le village me paraît proche mais la brume est venue dilater l’espace rendant confus mes perceptions cognitives. J’arrive dans le village de Lemps, inscrit dans le relief, un édifice souligne l’horizon. Mes yeux étudient, recherchent les singularités, tandis que mes mains s’approchent et caresse. Ma vue révèle ce que mon toucher sait déjà, telle une sensation tactile inconsciente. Mon corps est confronté au village : mes jambes mesurent la longueur des arcades et la largeur des marches ; inconsciemment mon regard projette mon corps sur la façade de cette chapelle, pour y ressentir les dimensions des creux et des reliefs. Je suis dans le village et il existe dans mon expérience corporelle. Le paysage construit et mon corps se complètent l’un l’autre et se définissent l’un par l’autre. Il y a comme une transcendance dans ce parcours labyrinthique qui m’attire ; l’alternance de zones d’obscurité et de lumière stimule mon imagination, ces ruelles sinueuses et complexes en sont d’autant plus mystérieuses. Il y a des paysages qui restent simplement des images visuelles lointaines, et des paysages dont on se souvient dans toute leur vivacité. Leurs bruits, leurs odeurs, leurs dilatations de lumières m’emportent dans leur danse.

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Excursion

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Table

VOYAGE EN DRÔME PROVENÇALE

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RÉVÉLER LE PAYSAGE

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1. ÉMOTION ET PAYSAGE

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2. EXPÉRIENCE DU LIEU

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3. VERS UNE ARCHITECTURE SENSIBLE

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4. L'ARCHITECTURE COMME PAYSAGE

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L’esthétique sensible du paysage Relation entre l’être et la nature Le corps face aux sens

Révéler l’espace à lui-même Rythmes et temporalités Communiquer avec le territoire

Composer avec la nature L’évidence du lieu L’harmonie des matériaux

23 27 32

43 47 51

63 71 75

Stratégie territoriale Principes réflectifs sur le lieu Éléments constitutifs du projet

87 101 109

HORIZONS

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RÉFÉRENCES

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Bibliographie Iconographie

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- Révéler le paysage -


Pointer l’horizon, la Vanige, 2017.


Révéler le paysage

« La première rencontre d’un paysage ne peut se dire que par des métaphores. Lieu des échos et des reflets, des transferts et des associations, entre nous et le monde, entre les différents éléments du monde. Instant des noces du ciel et de la terre, de l’ombre et de la lumière, des vides et des pleins, des silences et des sons, où s’unissent le minéral, le végétal, l’animal, l’humain…, où s’enchevêtrent le sauvage, le cultivé et le bâti… »1 Le paysage fait partie intégrante de notre vie. Qu’il soit réel, face à nous, ou même imaginaire, propre à chacun, il appelle nos sens à se déployer et nous incite à user de la métaphore. Cependant, comment cette union, entre les Hommes et les choses du paysage, peut-elle se réaliser ? Par quels moyens sommesnous capables de révéler les choses qui nous entourent ? Si les paysages peuvent nous émouvoir, c’est que leur langue est la même que la nôtre, ou, à l’inverse, que nous sommes faits pour les entendre. Aussitôt que nos sens s’éveillent, le paysage est là, nous effraie ou nous émerveille. La question du paysage est récurrente en architecture. Entre autres références, la distinction que fait Erwin Straus entre l’espace du paysage (celui de notre sentir) de l’espace de la géographie (celui de nos représentations) est particulièrement significative.2 Le paysage est indissociable du sentir. Au-delà du regard, il communique avec tous nos sens, donnant accès à une “transcendance”, à une “intériorité” sous la peau des choses. L’étude se portera sur notre rapport aux choses, notre “être à l’espace”, et donc notre rapport à l’architecture et au paysage qui est au centre de nos besoins existentiels. Comment la mise en scène de l’architecture est amenée à révéler le paysage qui l’entoure ? L’objectif est de comprendre la place de l’être humain dans le paysage, et de découvrir les moyens mis en place par l’Homme pour percevoir ces formes dans son environnement. Au fil du temps, le paysage a été transformé par un formidable travail de l’imagination. La nature et l’état originel de certains lieux ont été métamorphosés par un processus d’abstraction rythmé. L’aménagement de l’espace et l’exploitation des terres ont créé une multitude de lieux dont chacun possède des 1  FURNELLE (Vincent), La musique du paysage, 2015 | Les presses agronomiques de Gembloux, Gembloux, p. 11. 2  STRAUS, Erwin, Du sens des sens, trad. G. Thinès et J.-P. Legrand, Million, 2000, pp. 378-383.

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Double illusion, Salines de Trapani, 2014.


Révéler le paysage

caractéristiques et atmosphères individuelles, à l’exemple des champs, digues, fossés, vergers, avenues, parcs et jardins… Le paysage a profondément influencé la manière dont la société s’est développée et apprécie son environnement naturel. Mais notre perception des paysages a radicalement évolué au fil du temps. Tout se passe comme si nos sociétés avaient pris soudain conscience de la valeur des paysages. Nous éprouvons aujourd’hui le besoin d’en parler, de les montrer et de les réhabiliter. Plusieurs phénomènes récents n’ont fait que renforcer ce dynamisme. En premier lieu, une prise de conscience écologique, au sens large du terme, qui vise à préserver non seulement l’environnement mais le rapport à la nature comme condition d’une certaine qualité de vie. Ce qui fait la valeur du paysage, c’est qu’il est à la fois un patrimoine naturel et un bien social et culturel, où s’investissent des valeurs éthiques, esthétiques et symboliques. Le paysage apparaît ainsi comme une manifestation de la multi-dimensionnalité des phénomènes humains et sociaux, de l’interdépendance du temps et de l’espace, et de l’interaction de la nature et de la culture, de l’individu et de la société.3 Ce travail vise à découvrir, dans un premier temps, les ouvertures spatiales et émotionnelles du paysage d’un point de vue philosophique. Pour cela il est nécessaire de puiser dans les écrits de Maurice Merleau-Ponty, Michel Collot et de Erwin Strauss pour comprendre les fondements entre l’Homme et le Paysage. La réflexion sur le paysage n’est possible que par une ouverture à la nature, et par la mise en œuvre des émotions du corps. Ceci implique un questionnement sur l’idée de parcours architectural et le rapport aux différentes échelles que touche le paysage, pour terminer sur un élément important qui implique directement le paysage et l’architecture, la matérialité et son harmonie au sein d’un site. Dans un second temps, nous allons voir comment représenter une expérience du lieu par le biais d’expériences sculpturales, de Richard Serra et Georges Trakas notamment, et en quoi ces éléments construits interfèrent avec le paysage et nos émotions. Donner sens au lieu nous met au défi de définir la manière dont les configurations spatiales dans le paysage ont un sens temporel. Ainsi, ces éléments nous guiderons à savoir comment cette mise en scène du lieu nous amène-t-elle à communiquer avec le territoire. 3  COLLOT (Michel), La pensée-paysage, 2011 | Actes Sud, Arles, p. 11.

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Révéler le paysage

Nous développerons cette idée de prendre en compte l’incontrôlé de l’environnement proche et lointain. L’architecture comme paysage nécessite de pouvoir esquisser un sens spatial des formes à partir de la phénoménalité débordante du monde et de donner accès à cette expérience de l’espace du paysage dans un environnement de plus en plus artificiel. Cette étude se complétera par un questionnement sur les outils que possède l’architecte pour apporter la sensibilité, l’émotion nécessaire à la scénarisation des espaces et du paysage. Pour ce faire, ces recherches viendront apporter les éléments nécessaires à l’analyse d’œuvres architecturales de Tadao Andō, de Alvaro Siza et de Peter Zumthor afin d’établir des connexions sensibles et spatiales entre ces architectures de continents et de cultures différentes. Ceci pour essayer de trouver les éléments caractéristiques à la mise en scène de l’architecture pour révéler les éléments du paysage. Dans un élan plus concret, toutes ces étapes de réflexion engendreront une élaboration d’une stratégie de communication avec le territoire de la Drôme Provençale, s’appuyant sur un parcours en intéraction avec l’environnement présent. Ces interventions architecturales mettront au défi l’Homme en puisant dans son intérieur pour révéler l’intensité du paysage. Pour terminer, nous allons voir plus en détail dans le village de Lemps, comment les dispositifs architecturaux permettent la revalorisation d’un lieu par une autre approche du paysage. « Le travail philosophique, de même que le travail architectural, est à bien des égards et en réalité, plus un travail sur soi-même. Sur sa propre interprétation, sur la façon dont on voit les choses.»4

4  Cit. de WITTGENSTEIN (Ludwig) in PALLASMAA (Juhani), Le regard des sens, 2010 | Ed. du Linteau, Paris, p 12.

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- Émotion et paysage -


Construire le paysage par l'esprit, Segesta, 2014. pastel gras.


Émotion et paysage

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Paysage entre avec pensée dans un rapport d’apposition ouvert à plusieurs interprétations : il permet de suggérer à la fois que le paysage donne à penser, et que la pensée se déploie comme paysage. Cette exposition de la pensée tend à instaurer un rapport à sens multiples entre les composantes du paysage, alors que celuici semble plutôt le résultat de l’interaction entre un site, sa perception et sa représentation. Pour échapper à l’alternative entre le construit et le donné, nous considérons donc le paysage comme un phénomène, qui n’est ni une pure représentation ni une simple présence, mais le produit de la rencontre entre le monde et un point de vue.

L’esthétique sensible du paysage Dans sa première définition, telle que la donne le dictionnaire de langue de Paul Robert, un paysage est la « partie d’un pays que la nature présente à l’œil qui le regarde »5, plus généralement il est assimilé à une étendue de pays, un point de vue, un regard posé sur la nature ou une architecture qui nous entoure. Mais la notion de paysage est multiple, il se définit dans un premier lieu dans un rapport à l’horizon, dans une perception visuelle et un contact au ciel. De manière plus formelle, le paysage se définit d’après la Convention Européenne du Paysage comme une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action des facteurs naturels et/ ou humain de leurs interrelations. On peut aussi parler, de manière objective d’un ensemble de formes, du proche au lointain, qui fait sens spatialement par cette multiplicité. Et ceci concerne des sculptures, des installations des architectures, des environnements bâtis ou naturels, des territoires... Toutes ces définitions nous invitent à penser que le paysage naît d’une contemplation sentimentale de la nature dont nous tirons un héritage symbolique et mémoriel. Comme nous l’avons dit précédemment, le paysage est intrinsèquement lié au point de vue, à celui du géographe, du scientifique, du touriste ou de l’artiste. Le paysage serait donc construit et subjectif, propre à chacun de nous. Il nous invite à 5  https://www.universalis.fr/encyclopedie/histoire-du-paysage/2-qu-est-ce-qu-un-paysage/


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prendre la distance nécessaire à une vue d’ensemble, vis-à-vis de notre entourage et à l’ouverture d’un monde commun, qui déborde des limites du territoire.6 Cette ouverture est la condition de l’émergence du paysage. Nous portons notre regard en direction du ciel et ce, jusqu’au lointain, pour y tracer un horizon. C’est à l’intersection de ces deux traits, la ligne d’horizon et la verticale de l’Homme, que naît l’espace et l’orientation, désormais distribué entre le ciel et la terre, le proche et le lointain, le haut et le bas, l’avant et l’arrière, la droite et la gauche. « Partout où l’on va, la terre est séparée du ciel par un horizon qui, bien qu’il puisse être caché, est toujours là. […] L’horizon terrestre est un trait invariant de la vision […], quel que soit le point de vue. […] Il n’est ni subjectif ni objectif : il exprime la réciprocité entre l’observateur et l’environnement ; c’est un invariant de l’optique écologique. »7 Le paysage même, dans sa forme représentée par le dessin, la peinture ou la photographie, naît des règles de perspective régies par les peintres et les architectes européen de la Renaissance. Où Leonard de Vinci nous faisait part de sa vision de l’horizon : « Peu à peu la terre à l’approche du ciel perd de sa substance et de sa couleur en s’enfonçant dans le lointain. »8 Dès la Renaissance, l’intérêt pour le paysage se traduit par la création de jardins et d’espaces publics ouverts sur l’horizon. Cet horizon comprend une ouverture qui révèle déjà un intérêt pour l’ailleurs. Mais cet horizon est multiple, duquel Michel Corajoud en définit plusieurs interprétations – historiques, géographiques, géologiques – qu’il associe à la recherche du génie du lieu. “Le paysage, c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent.” Partout où nous allons, il y a toujours un horizon, Corajoud décrit même celui des cours, lieux clos par nature, sans horizon, où pourtant le dépassement des arbres en second plan, une façade de bâtiment plus basse laissant apercevoir le ciel, le reflet des rayons du soleil dans les vitrages constituent des échappées propices à un projet. 6  COLLOT (Michel), La pensée-paysage, 2011 | Actes Sud, Arles, p. 25. 7  GIBSON (James J.), The ecological approach to visual perception, 1986 | Lawrence Erlbaum Associates, Londres-Hillsdale, pp. 133 et 164. — Traduction de Michel COLLOT. 8  AUDOUY (Michel), Horizons in Les 101 mots du paysage, 2017 | Archibooks, Paris, p. 34.


Émotion et paysage

Nous appartenons tous au paysage, par notre corps, notre esprit ; l’esthétique sensible n’est que la mise à jour de cette appartenance. En chaque paysage, une multitude de lieux s’échangent par leur respiration, par leur lumière, condition du payage lui même. L’espace de l’expérience sensible n’existe pas comme une généralité uniforme ; sa représentation géométrique est une vue de l’esprit. «Les paysages ne sont pas dans l’espace : chaque paysage forme l’espace.»9 Ce qui donne vie à ces espaces, c’est la couleur, elle déploie le payage. Un même espace peut se transfigurer selon les couleurs du ciel, les saisons ou même la composition de l’air, ce qui en change non seulement son aspect, mais aussi sa forme. Les changements de lumière et la composition rythmique des couleurs métamorphosent les formes du monde, du réel jusqu’à la peinture. Cependant, la peinture n’est qu’un moyen de voir, de découvrir toute la complexité de chaque espace. Un tableau nous ouvre les yeux, nous initie à la vie des couleurs où « toute représentation artistique ne sera jamais qu’une réponse aux lumières du monde, qui la précèdent et la transcendent. »10 Dans la perception des paysages, la peinture tient un rôle majeur, dans une éducation esthétique du regard, la peinture a été la fenêtre par où le paysage s’est donné en Occident. Le paysage excède pourtant toute figuration où la peinture peut en être une traduction, une métaphore. C’en est de même pour la photographie, qui permet de capter un moment précis dans le temps, d’établir un cadrage précis du paysage mais elle peut figer le paysage pour n’en garder qu’une image statique. Le paysage est un espace-temps, en perpétuelle formation. La façon dont il se découvre définit la façon dont nous l’abordons, ces moyens de représentations nous aide à comprendre le point de vue de l’artiste, nous rentrons dans sa représentation du monde, dans son monde, dans son paysage en quelque sorte. Outre sa définition primaire, Edwin Strauss définit le paysage en employant la notion d’ “espace du paysage” ; c’est une plénitude enveloppante au milieu de laquelle nous sommes “ici”. Le paysage est spatialité primordiale qui ne comporte aucun système de référence, ni coordonnées, ni points d’origines. 9  FURNELLE (Vincent), La musique du paysage, 2015 | Les presses agronomiques de Gembloux, Gembloux, p. 64. 10  Ibid. p. 67.

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Caspar David Friedrich, Le voyageur au-dessus de la mer de nuages, 1818.


Émotion et paysage

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« Dans le paysage nous sommes entourés d’un horizon ; aussi loin que nous allions, l’horizon se déplace toujours avec nous. [...] Nous ne parvenons jamais qu’à nous déplacer d’un endroit à un autre et chaque endroit est déterminé uniquement par son rapport aux lieux adjacents à l’intérieur du cercle de la visibilité. Nous quittons une partie de l’espace pour atteindre une autre partie de l’espace, le lieu où nous nous trouvons n’embrasse jamais la totalité. »11 Straus veut nous dire ici que toutes les sensations, toutes les impressions que l’on perçoit à un moment donné et unique, constituent l’identité du lieu, et chaque lieu prend vie lors que nous y sommes plongés. On parle ici du lien qui unit l’humain à son environnement, qu’il soit naturel, culturel ou simplement physique. Il subsiste entre eux un rapport d’interdépendance où chaque action de l’un modifie les gestes de l’autre.

Relation entre l’être et la nature La relation qu’installe l’expérience du paysage entre un observateur et un milieu est quelque chose de spécifiquement humain, l’idée même de percevoir un paysage n’est du ressort que de l’être humain, c’est une composante inhérente de notre vie quotidienne. C’est pour cela qu’un environnement n’est susceptible de se transformer en un paysage qu’à partir du moment où il est perçu par un être. Le point de départ de ces recherches a été la peinture de Caspar David Friedrich, Le voyageur au-dessus de la mer de nuages (1818), nous plongeant ainsi dans cet atmosphère où le figurant domine complètement le paysage, jusqu’à l’écraser. On y voit en quelque sorte le reflet de notre société actuelle où l’Homme pense être au-dessus de tout sans vraiment s’ouvrir aux éléments qui l’entoure. Cette peinture m’a fait prendre conscience que le monde dans lequel nous vivons n’a pas besoin de l’être humain pour respirer mais qu’au contraire l’individu doit réussir à collaborer avec la nature pour exister. C’est pour cela que le paysage est au cœur des Hommes, il nous lie aux lieux de manière personnelle. Le fait de supposer qu’il existe autant de paysages possibles que de personnes qui le vivent, le voient l’écoutent, nous ouvre à un tout autre regard sur 11  STRAUSS (Edwin), Du sens des sens : contribution à l’étude des fondements de la psychologie, 2000 | Millon, p. 378.


DĂŠcomposer le paysage, Lemps.


Émotion et paysage

le monde, sur ses couleurs, ses lumières, ses bruits, ses formes. En constante mutation, « il met en exergue les temporalités progressives en même temps que l’unicité ponctuelle d’un lieu, vécu à un moment donné par une personne donnée. »12 C’est là toute son ambivalence : le paysage est à la fois universel et intime, multiple et personnel. L’environnement visuel de l’Homme n’est pas une addition de stimuli ponctuels, mais un ensemble structuré par le point de vue de l’observateur, qui met les choses en relation les unes avec les autres, Mais notre vision ne nous donne jamais tout à voir à la fois ; elle ne nous amène pas vers un panorama, mais vers un assemblage de perspectives partielles, se modifiant au fur et à mesure que nous nous déplaçons. La limite de notre champ visuel est mobile et réversible, et lorsqu’un aspect est dissimulé, il reste intégré à ce que nous percevons : « on ne voit pas seulement ce qui est présent à la vue à un certain moment d’un certain point de vue, mais un “monde visuel” qui continue au-delà jusqu’à l’horizon. »13 Cette expérience de l’espace du paysage est celle de la perception d’un paysage, qui oscille entre perte des repères et retour d’une perception des formes qui définissent un espace. Cet espace a comme caractéristique de se développer vers le lointain ou vers le proche, et peut éventuellement développer une conscience des zones cachées de l’environnement. Dans une démarche plus émotionnelle, l’architecture s’identifie comme un art de l’espace et du temps. Les questions du lieu et du temps renvoient à la place de l’être humain dans l’univers ainsi qu’à l’éphémère de sa présence. Deux notions fortes se détachent : celle du Topos, relatif à la forme et au lieu en architecture, et celle du Chronos, caractérisant le temps. Le Topos est défini sous trois approches : la dimensionnelle (un rapport d’échelle par rapport à l’Homme), la gravitationnelle (un effort de franchissement, défiant notre rapport au monde) et la structurelle (règle qui nous renvoie à un infini universel). Ces trois approches, quand elles sont radicales, sont indissociables du Chronos, et provoquent une forte réaction émotionnelle.14 12  N’TEPE (François), Personnel in Les 101 mots du paysage, 2017 | Archibooks, Paris, p.78. 13  GIBSON (James J.), The ecological approach to visual perception, 1986 | Lawrence Erlbaum Associates, Londres-Hillsdale p. 195. Traduction de Michel COLLOT. 14  Précisions données par Guilhem Chuilon dans Émotion et Architecture, 2013 | Université Catholique de Louvain, site de Tournai, p. 91.

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ThÊâtralisation de la nature, Segesta, 2014.



© Benjamin Marc

© Benjamin Marc

© Virginie Gruyelle

© Virginie Gruyelle

Dilatation du temps, Lemps, 2017- 2018.


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« Loin de tout formalisme, la dimension, l’équilibre et la statique combinés – la forme en somme – nous mesure au monde et établissent notre existence. »15 Ainsi, l’émotion issue de la confrontation avec l’architecture comme art de l’espace et du temps nous renvoie à des questionnements existentiels sur notre condition humaine. Chaque paysage a sa propre façon de donner forme à l’espace, ainsi chaque Homme a sa propre façon de l’aborder, de l’habiter, de s’y mouvoir. Nous vivons le paysage par tous nos sens et nos manières de vivre sont stimulées par les formes du paysage. Et vice versa, le paysage reflète nos modes de vie, dont l’intervention ne fait qu’affirmer et enrichir la dimension subjective des espaces, sentis et ressentis de multiples façons. Le paysage est classiquement perçu et pensé comme une apparence, comme un tableau ou comme une simple vue, tels que représentés dans les peintures ou la photographie. Il faut éviter de tomber dans cette représentation naïve pour élargir notre appréhension du paysage. Il n’est, de toute évidence, pas que l’apparence physique d’un lieu, mais bien l’identité du lieu et de ses apparences, ce qui le rend unique. Plus un paysage est silencieux, transparent, vidé, épuré, plus il est éprouvé dans son ouverture. C’est pour cela que le paysage « nous touche, s’imprègne en nous, nous habite et c’est en cela que nous faisons corps avec lui. »16

Le corps face aux sens Le corps n’est pas seulement un objet parmi d’autre dans le monde mais il est le lieu dans le monde où se trouve la conscience. C’est grâce au corps que le monde a un caractère perceptif. De ce fait, la perception a une dimension active en tant qu’ouverture primordiale au monde vécu. Un paysage, ça se regarde, mais aussi : s’entend, se sent, se touche, se respire, et par la marche, il incite le corps. Nous habitons le paysage, ainsi, une rencontre véritable s’engage. Toutefois, on ne 15  ROTBART (Judith) ; SALOMON (Laurent), « De l’émotion dans un art positif » in Cosa Mentale n°6 Émouvoir, 2011 | p. 29. 16  FURNELLE (Vincent), Profondeur de la peau, grain du paysage : Toucher le paysage, 2018 | p. 3.


Bruce Nauman, Corridor, 1969 | MusĂŠe Guggenheim, New York City, USA.


Émotion et paysage

sait fixer le moment d’une rencontre, elle est toujours imprévue comme l’indique Maldiney : « on ne peut pas calculer, préparer, organiser quelque chose qui soit vraiment une rencontre. »17 Cette rencontre se manifeste par des interactions permanentes entre le dedans et le dehors, entre le senti et le ressenti. Il serait bien trop faible de dire que le paysage s’offre à nos sens. Nos sens le présupposent, ne se déploient qu’en lui. Si le paysage peut apparaitre comme le lieu d’émergence d’une forme de pensée, c’est que l’expérience sensible est source de sens. Le sens demeure une énigme : qu’est ce qui fait sens ? Le paysage fait-il sens ? Notons que faire sens de l’un ne se superpose à celui de l’autre, le sens est mouvant, nous échappe… Toute recherche de paysage est déjà une recherche de sens, dans la mesure où « un paysage nous parle, s’exprime, il raconte quelque chose de lui, de nous qui le découvrons. […] Le paysage en lui-même n’a pas de sens, mais par l’écho qu’il provoque en nous et par notre disposition envers lui, il peut faire sens. »18 « La perception n’est pas la simple addition de données sensorielles auxquelles seraient conférées par association telle ou telle signification, mais une construction signifiante par ellemême. […] Le paysage est un bel exemple de cette constitution simultanée d’un ensemble et d’un sens, dans la mesure où il se présente comme une vue d’ensemble au sein de laquelle tous les objets auparavant dispersés se rassemblent sous un seul coup d’œil. »19 Cet expérience du corps se ressent dans les Corridors (1969) de Bruce Nauman où il construit des plans qui délimitent des espaces étroits. Ce qui est important c’est le mouvement du spectateur à l’intérieur de ces corridors, la manière dont ils deviennent un élément, voir même un objet de l’ensemble. L’artiste teste notre rapport aux limites, aux murs, le positionnement de notre corps dans l’espace. Le corps défini une figure dans l’espace, qui fait partie de la sculpture. L’appréhension des formes dans l’espace donne une grande importance à la phase la plus instantanée de la perception.

17  Cit. de MALDINEY (Henry) in GAUBERT (Jérémy), Rencontres in Les 101 mots du paysage, 2017 | Archibooks, Paris, p. 91. 18  Ibid. p. 101. 19  COLLOT (Michel), La pensée-paysage, 2011 | Actes Sud, Arles, p. 25.

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Pour avoir pleinement l’expérience d’un espace en développement, au lieu de le percevoir de manière rationnelle et descriptive, comme structures, ne devrions-nous pas considérer l’appréhension dans ce qu’elle a d’instantané, d’intuitif, qui vient frapper nos sens ? Car notre conscience elle-même a lieu dans l’espace, et ce lieu c’est le corps. Pour le philosophe Mahmoud Sami-Ali, « l’organisation du champ perceptif actuel quant à ses dimensions spatiales résulte de la projection hors des limites du corps des repères qui définissent l’espace corporel. Les différentes parties du corps aussi bien que leurs positions relatives deviennent des indices extérieurs. Haut et bas, gauche et droite, devant et derrière, face et dos contiennent des références tant au corps propre qu’à l’emplacement des objets dans le champ visuel, de même que bras, pied, tête, cou désignent des aspects du monde. Il se crée de la sorte des correspondances analogiques que toutes les langues fichent en une couche primitive de significations. »20 Fondamentalement, en ce qui concerne la perception, la notion de “coexistence” est selon Maurice Merleau-Ponty, le moyen de donner un sens aux liens entre les objets, par le fait qu’un objet est le “reflet” des autres qui coexistent avec lui dans notre expérience.21 Lorsqu’une coexistence se dévoile, on peut habiter (à distance ou à proximité) l’espace de ces objets. Les architectures sont habitables si le sens des formes se prête à la compréhension et répond à nos modes d’habiter. Par cette interaction entre sujet et objet, c’est une chorégraphie de formes et de contre-formes qui se met en place à l’image des Chambres Blanches réalisées par l’architecte québécois Pierre Thibault. L’idée ici est d’installer de manière éphémère des volumes en toile et d’y laisser s’approprier l’espace à des danseurs pour voir différemment les jeux d’ombres par leur mouvement, où leurs corps forment avec les volumes un système. Ces recherches ont mené par la suite à expérimenter cette composition spatiale directement dans le paysage. L’architecte et son équipe y ont développé une série d’éléments légers et purs qu’ils mettent en contact direct avec l’environnement. La perception du paysage en devient tout autre, où le regard est ainsi structuré, où les lignes des chambres blanches intensifient les courbes délicates des éléments naturels. 20  SAMI-ALI (Mahmoud), De la projection. Une étude psychanalytique, 1977 | Payot, Paris, p. 217. 21  MERLEAU-PONTY (Maurice), Phénoménologies de la perception, 1976 | Gallimard, Paris, p. 82.


Émotion et paysage

Ce rôle médiateur fait de l’esprit un moment de la réponse du corps au monde. Cela nous permet de « redécouvrir à travers des formes archétypales des espaces avec beaucoup de potentiel. »22 Une liberté formelle est donnée au langage architectural, qui n’a pas besoin de stricte rationalité pour maintenir son unité. L’architecture semble appliquer un principe de l’écriture chorégraphique fondé sur la perte de l’appui. L’ouverture de la figure de perception et la redéfinition constante de directions de profondeur permettent le déploiement d’un “monde”, le monde de l’architecte comme le monde du spectateur. Ce jeu sur la présence, le proche et le lointain, permet une activité de l’esprit, de la liberté, de la volonté, de la rencontre des inconnus, tout ce qui a lieu sur les confins, à l’horizon, tout ce qui exige le lointain. Cette expérience de l’entre-plans, par la fragilité des repères successifs ou coexistants, met le corps au défi de se situer, tout en étant ouvert au monde. Habiter l’espace par les repères, à partir d’un entre-repère, serait un moyen d’habiter le proche et le lointain, et de maîtriser ainsi la tension entre l’enveloppement par les formes et la distance au paysage. Et même si ce n’est pas un “monde commun” qui se dévoile, c’est “une promesse de monde commun” que l’on peut y entrevoir. C’est cet éveil de la sensibilité qui donne au paysage un sens. Mais le paysage a pourtant des limites : perméables et mobiles, enclins aux intrusions. L’une d’elle est l’horizon, c’est le seuil d’où le ciel émerge de terre, d’où les paysages surgissent les uns des autres. Ses mouvements forment des espaces, dessinent le temps : l’horizon est là où nous serons dans une heure, demain, là où nous pourrions aller un jour.23 Cependant, aucun horizon ne ferme l’espace. Même proche, il l’ouvre. Rendre sensible l’horizon rend sensible le ciel, élargit les lieux à l’échelle du cosmos.

22  THIBAULT (Pierre), Websérie S01E06 : Le laboratoire, 2016 | Prod. On est 10, 6’20’’. 23  FURNELLE (Vincent), La musique du paysage, 2015 | Les presses agronomiques de Gembloux, Gembloux, p. 28.

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Atelier Pierre Thibault, Atelier en mouvement, 2014. QuĂŠbec, Canada.




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Expérience du lieu

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Pour celui qui l’expérimente, le lieu est un site qui fait sens. Quand chaque être est en interaction, le lieu devient milieu. C’est en éprouvant un lieu dans toutes ses formes que sa substance est transmise : le regarder autant que le voir, l’écouter autant que l’entendre, le sentir autant que le respirer, le caresser autant que le toucher. L’exercice de l’œil et des autres sens a besoin d’horizons pour se perdre dans sa limite de résolution. Révéler un lieu, incite à le révéler dans toutes ses temporalités par ses rythmes, ses couleurs, ses matières, apportant une sorte d’harmonie entre l’usager et le paysage.

Révéler l’espace à lui-même « Les propositions les plus heureuses ne seront-elles pas toujours celles qui tiendront compte de l’identité d’un lieu ? »24 se demande Vincent Furnelle, en s’inscrivant dans ses rythmes, ses flux, ses lignes, ses horizons. Agir sur le paysage pour le rendre à lui-même. L’action sur le paysage n’est jamais qu’une intervention sur du déjà là. On ne peut produire un paysage, encore moins le créer. Nous agissons sur lui et avec lui. Depuis toujours les Hommes sont acteurs du paysage, agissent en modifiant leur environnement. « Ce qui nous domine, c’est la pensée du lieu »25 nous rappelle Michel Corajoud. Entre le naturel et le façonné existent des lignes d’horizon, des transitions parfois claires, parfois floues. Une sculpture en acier de Richard Serra, où plusieurs plaques rouillées sont implantées dans le désert du Qatar, nous donne à voir le paysage naturel ayant subi une idéalisation intellectuelle. La transition entre chaque plaque forme une nouvelle connaissance de la topographie, de la matière, de la dimension du lieu. En transgressant l’espace à la manière de la statue de Marcus Aurelius sur la place du Capitole à Rome, Serra nous guide pour comprendre l’univers en face de nous, pour révéler l’identité profonde du lieu. Réinterpréter l’écriture du paysage, le retravailler, le faire évoluer sans le sacrifier. Là est le travail de Richard Serra, révéler l’espace 24  FURNELLE (Vincent), La musique du paysage, 2015 | Les presses agronomiques de Gembloux, Gembloux, p. 21. 25  CORAJOUD (Michel), Le paysagiste et la ligne, exposé lors des Conversations paysagères 2006 : Ligne et Paysage | Gembloux, décembre 2006.


Richard Serra, East-West West-East, 2014 | RĂŠserve naturelle de Broucq, Qatar.


Expérience du lieu

à lui-même pour le rendre apparent et rester fidèle à la musique profonde du lieu, en y ajoutant de nouvelles notes, parfois en en ôtant. Le paysage n’est qu’un assemblage de vide structuré par le plein. L’espace s’engendre dans ce vide. « Il [le vide] forme et transforme l’espace, meut les éléments, découvre les pleins, noue entre eux les paysages, ouvre le chemin de l’un à l’autre. »26 Il nous est impossible de sortir d’un paysage, nous en vivons la transformation. Le paysage se meut avec nous et nous avec lui. Selon Merleau-Ponty, tout visible cache une part d’invisible, c’est également le cas pour le paysage, qui ne se dévoile jamais comme un panorama, mais plutôt comme une scène mouvante, dirigée par des jeux d’ombres et de lumières : « l’horizon intérieur d’un objet ne peut devenir objet sans que les objets environnants deviennent horizon. […] Voir, c’est entrer dans un univers d’êtres qui se montrent, et ils ne se montreraient pas s’ils ne pouvaient être cachés les uns derrières les autres. »27 Le moment où une sculpture ou une architecture nous amène à faire l’expérience du paysage est donné par des caractéristiques de taille et de forme (rapport au corps et à ses déplacements). Mais il nous faut encore distinguer deux types d’expériences. Quelle que soit l’échelle considérée : celle donnée par une architecture définissant une dynamique spatiale forte et celle donnée par une architecture-paysage. Dans la plupart de ses œuvres – notamment East-West/WestEast (2014) – Richard Serra a dans l’intention de scénographier le paysage de manière à modifier notre perception du lieu et de façon à ce que nous nous sentions mis en scène dans l’espace. Ces recherches formelles des sculptures contemporaines pourraient trouver leur origine avec Rodin. « [L’art de Rodin et de Brancusi représentaient déjà] un déplacement du point d’origine du sens du corps (de son centre vers la surface), un acte radical de décentration qui comprenait l’espace dans lequel le corps est apparu et la temporalité de son apparition. Je prétends ainsi que la sculpture de notre époque poursuit le projet de décentration à travers un vocabulaire dont la forme est radicalement abstraite. »28 26  Ibid. p. 34. 27  MERLEAU-PONTY (Maurice), Phénoménologies de la perception, 1976 | Gallimard, Paris, p. 82. 28  KRAUSS (Rosalind), Passages in Modern Sculpture, 1981 | cit. p. 279.

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FenĂŞtre sur le paysage, Lemps, 2017.


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Dans cette recherche artistique, on peut ainsi faire référence à la notion de cadre. Mais il ne s’agit jamais du simple cadre qui donne à voir, nous considérons un cadre qui lie non seulement l’architecture au paysage en créant un jeu entre au moins deux échelles, mais nous donne également à vivre les qualités de l’espace. C’est un cadre qui creuse la profondeur et développe l’espace que nous habitons. Nous pouvons le considérer comme une sorte de “prototype”, qu’il faut distinguer des configurations de formes qui ferment l’espace. On retrouve cette image de cadre à travers la sculpture The Gate in the gorge (1986) de Richard Serra au Louisiana Museum à Humlebæk, au Danemark. Suivant notre progression sur la pente de la partie boisée du parc du musée, les deux plans en acier corten de Serra ouvrent ou ferment différemment la vue. Le fait que les deux plans ne soient pas “sur le même plan” crée un jeu spatial entre le spectateur, la sculpture et l’espace du paysage. Le “cadre profond” scénographie l’espace de manière minimale et nous donne une place dans cette mise en scène. Un cadre peut permettre une appréhension spatiale d’ensemble, de ce qui est à la fois devant et derrière l’ouverture, emportant ainsi le spectateur à s’introduire dans le cadre pour vivre une expérience sensible du lieu. Dans l’image ci-contre, un rapport est effectué entre le contenant et le contenu du cadre. Le contenant nous emporte vers un paysage lointain, mouvant, alors que le contenu nous montre la réalité de l’instant par des éléments domestiques. Ce procédé accentue notre perception face à la profondeur du cadre et nous questionne sur les temporalités du paysage.

Rythmes et temporalités L’horizon évoque une projection dans l’avenir, un regard nécessaire à la préservation et l’élaboration des paysages de demain. Marqueur d’une vision prospective, il représente à la fois l’unicité et le mouvement et nous renvoie à un rapport entre ciel et terre. « Une ligne circulaire variable en chaque lieu, dont l’observateur est le centre, et où le ciel et la terre semble se joindre. »29 De l’horizon naît la perspective, mais aussi le mouvement, car il se 29  BOUGNOUX (Florence), Horizon in Les 101 mots du paysage, 2017 | Archibooks, Paris, p.36.


Reed Hildebrand, Berkshire Boardwalk, 2011 | Massachussetts, USA.


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renouvelle sans cesse, attaché au déplacement de l’observateur et défini par les conditions météorologiques, le relief, la lumière… La ligne d’horizon n’est en réalité pas une droite, ni une horizontale, mais plutôt un cercle centré sur le spectateur, elle est en mouvement continu et nous permet de percevoir les éléments proches et lointains. Ces derniers permettent l’articulation de l’espace préhensible avec la dimension de la grande échelle et des possibles. Le lointain, en particulier, « remet en cause les temporalités et la dimension des territoires. »30 Le projet du Berkshire Boardwalk conçu par l’agence de Reed Hilderbrand dans le Massachussetts (2011), fourni une lecture différente d’un banal marais de Nouvelle Angleterre grâce à un sentier aménagé pour la contemplation écologique. Le ponton, sinueux et frêle, évoque l’esprit de Walden Pond, sur les rives duquel vécut l’écrivain Henry David Thoreau. Il fait référence à une écologie locale enracinée dans 150 ans de culture “transcendantale”. Il n’y a pas de main courante le long du ponton serpentant à travers ce marais boisé, si bien que le promeneur est livré aux éléments sauvages et à lui-même. Dans ce cas l’écologie n’évoque pas tant une science de la préservation, qu’une source de méditation potentielle sur un éventuel retour à la nature.31 Chaque paysage se singularise par ses enchaînements de plan, par ses variations rythmiques. Vivre l’espace n’est pas qu’y occuper une place. Sans même en avoir conscience, les mouvements des paysages imposent les nôtres. Nous sommes en quelques sortes habités de l’intérieur. Parler de rythme d’un paysage présume une dimension temporelle. Les représentations graphiques et photographiques nous ont habitués à ne plus distinguer l’espace et le temps or le paysage est un espace indissociable du temps, il est en perpétuel mouvement. Et cette vision temporelle se différencie selon notre mode de déplacement : en voiture sur une autoroute, nous aurons tendance à ne percevoir ce qu’il se passe au lointain, alors que lorsque nous nous baladons sur une crête de montagne, notre rythme est ralenti et nous portons attention aux éléments proches, au sol. Chaque moyen de transport transfigure notre vision du monde. Plus nous nous déplaçons vite, plus notre regard est en quête de stabilité et se porte vers les lointains. Le rythme des lieux dicte le dessin et la vitesse de notre parcours. 30  MOSCA (Alessandro), Lointains in Les 101 mots du paysage, 2017 | Archibooks, Paris, p.57. 31  GIROT (Christophe), Le cours du paysage, 2016 | Les éditions Ulmer, Paris, p. 311.

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Georges Trakas, Source Route, 1979 | Emory University's Baker Woodland, Géorgie, USA.


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L’artiste québécois Georges Trakas a ressenti la nécessité d’intégrer les mouvements du spectateur avec les matériaux de l’œuvre qui pourraient coexister entièrement avec les matières et l’essence même du site. Il insiste sur le fait que « le corps complète l’œuvre, sans lui elle n’existe pas ; avec le corps elle existe dans le temps ; il y a du temps. »32 Dans ses œuvres, il prend en compte l’échelle humaine, et s’appuie sur le concept de Rodin où “le corps est une architecture qui marche ou qui bouge”. L’art et l’architecture, pour citer Catherine Grout, peuvent engager et harmoniser les sens au cours d’une expérience esthétique pouvant réordonner les sentiments immédiats et les pensées d’une personne vers une révélation.33 Nous découvrons d’une certaine façon son corps avec l’œuvre, pour faire l’expérience de soi-même, se mouvant et en contact avec le milieu. Trakas conçoit ses œuvres in situ et en lien intime avec le site, ses matériaux, son histoire, la faune et la flore. Ainsi l’interrelation de trois sujets – personne, œuvre et site – se réalise à la fois dans le mouvement et dans la durée. Trakas dessine « des routes pour le corps en mouvement ; et le temps crée un rapport entre les parties du corps et le cerveau qui pousse les limites comprises ainsi que l’émotion de nos pensées avec le site et son histoire humaine et géologique. »34 Pour accéder à une découverte totale de notre corps, Trakas calcule les dimensions de l’œuvre en tenant compte des proportions du corps humain, du mode de déplacement, des articulations, de la proprioception et des sens du corps humain. L’artiste souhaite que la relation avec le site soit harmonisée avec le mouvement du corps, tel qu’il l’a imaginé pour son projet Source Route (1979) situé près d’Atlanta. Sur un sol irrégulier, il faut faire un effort de concentration pour être stable, ainsi pour voir le paysage il faut s’arrêter. Notre perception du lieu se modifie au fur et à mesure de notre avancée, qui s’étend en lien avec l’horizon et qui correspond à l’histoire du site, à sa temporalité géologique et atmosphérique. L’intention de l’artiste est la volonté de faire percevoir quelque chose et non de faire partie du paysage à proprement parlé. 32  GROUT (Catherine), Le présent paysage in Les Cahiers Thématiques n°10 : Architecture et paysage, situations contemporaines. Dix ans de recherche, 2011 | Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, p. 149. 33  Ibid. p. 150. 34  Dans un courriel écrit en février 2006 et adressé à l’auteur.


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Quand le paysage est vu par un sujet qui se déplace, la perception de la forme n’aboutit pas à une image stable, détachée du contexte perceptif. L’expérience des œuvres de Trakas sollicite nos sens, le projet Source Route engage le corps, moment à moment, allant des pieds, jambes, bassin, colonne vertébrale, cœur, cou, bouche, nez, œil, oreille, cerveau, âme, de manière à mélanger les divers éléments en une symphonie. Trakas crée des accès, des contacts et des routes qui nous engagent avec le site et autrui. Nous sommes en dialogue direct avec le milieu. Après analyse, on en retient que le mouvement n’est pas défini par des déterminations de lieux (et de temps) dans l’espace, mais qu’à l’inverse c’est le mouvement organique qui engendre une configuration spatio-temporelle. Il ne se déroule pas dans l’espace et le temps, mais l’organisme meut l’espace avec le temps. Par nature, une architecture est comme un fleuve : elle dérive son existence de son mouvement et ne connaît pas d’arrêt de sa naissance à sa mort. Le rôle de l’architecte est de stimuler cette existence fluide et de lui assurer une énergie continue. Nous ne sommes pas en mouvement dans l’espace, mais nous nous déplaçons à travers l’espace. Il ne s’agit pas seulement d’un dialogue entre l’architecture et le paysage, mais bien d’une expérience en laquelle l’architecture est paysage parce que celleci, par sa présence et son apparaître, “relie la terre et le ciel”. Notre rapport au monde est double, autant perceptible qu’en mouvement. Quand ce double rapport au monde s’exprime dans la mémoire du corps, un projet se conçoit pour et avec des êtres vivants. Il y a ici une nécessité vitale de s’ouvrir au territoire, d’être en contact avec lui, avec son corps, avec les éléments, avec l’histoire des Hommes, avec les forces de la nature.

Communiquer avec le territoire L’action sur le paysage est multiple ; elle se doit d’incorporer une multitude de facteurs : qu’ils soient écologiques, culturels, historiques, physiques, économiques. L’approche sensible soustend néanmoins toutes autres approches du paysage : le souci du sensible est à la racine de toutes interventions sur lui. Les voies de l’esthétique sont celles de tout aménagement. L’action


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s’appuie sur l’observation, pour autant qu’observer ne soit pas que regarder du dehors. Il y a toujours lieu de s’immerger dans le lieu, d’en ressentir les phrases, les chants, les accords ou les déaccords… Alors peut-être, avec prudence, ajouter sa touche et, en chaque intervention ponctuelle, recomposer la dynamique du tout. Sentir comment les ouvertures peuvent être élargies ou restreintes, déplacées ou réorientées ; comment les rythmes peuvent être modifiés, rétablis, rendus plus manifestes ou plus complexes ; comment les grains peuvent être réunis, variés, fondus ou dissociés, comment les lumières et les couleurs peuvent trouver plus d’éclats, être plus estompées, davantage contrastées ou retravaillées en dégradé ; sentir comment l’apport ou le retrait de l’un des éléments pourrait transfigurer le site ; sentir comment plus de pureté, de silence, de vide, de transparence ou au contraire plus de parfum, de son, de densité, d’opacité pourrait relever le visage du lieu. A l’échelle de l’urbanisme, à titre de comparaison, Le Corbusier inscrit ses projets avec force dans le site. Dans ses dessins de projets des années 1930 pour Montevideo, São Paulo, Rio de Janeiro et Alger, les autoroutes, les lignes des ouvrages d’art et les bâtiments soulignent et façonnent le site. A cette grande échelle, l’action de l’architecte apparaît comme une extrême domination de la nature ne laissant aucunement place à une approche sensible du lieu. Il introduit, par l’exaltation du langage de la technique moderne et le jeu des formes organiques, les stimulations intellectuelles et sensorielles d’un paysage sublime parce que nous le voyons, l’ayant conquis, l’ayant construit. Mais le passage à grande échelle n’a pas comme conséquence de “faire le paysage” mais plutôt de “re-faire le paysage”. De manière plus utopique, cela nous amène à parler de la théorie du “vivre à l’oblique” du philosophe Paul Virilio, et de l’architecte Claude Parent. Elle évoque la forme d’une utopie architecturale, la manière de nous faire vivre une architecture comme paysage de plans abstraits, combinant le proche du plan et la grande échelle de l’ensemble de la configuration qu’ils mettent en place. Ils ont théorisé une manière de vivre l’architecture sur la base de paysages abstraits de grands plans pliés ou superposés. La fonction oblique a des conséquences esthétiques sur le rapport au sol et sur le rapport au territoire. L’habitation tend à se spatialiser, à s’ouvrir au monde extérieur, échappant ainsi à son caractère clos et limité. L’espace est défini par une enveloppe,

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Paul Virilio, Claude Parent, Vivre à l'oblique, 1969. Croquis utopique.


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une surface qui s’enroule et se déroule, se soulève et se rétracte. Le sol est un hybride entre la naturalité du site et l’artificialité architecturale. Les obliques obligent l’observateur à penser les plans limites et les changements d’orientation des plans comme autant de transitions dans une continuité spatiale générale. Le sol est défini comme un seuil de partage entre deux espaces spécifiques. Par conséquent, il n’y a plus réellement de murs, c’est un jeu sur les plans limites qui définit l’espace perçu et l’espace vécu. Dans cette liberté d’une appréhension du proche et du lointain, l’expérience de la vue horizontale est liée au sol en pente (définissant notre attitude et notre déplacement) et couplée à la vue des plans à la grande échelle. Ces espaces se développent comme autant de possibilités d’habiter les lieux, en couplant l’expérience de ces deux échelles. Ce concept devient une esthétique qui engage le corps du regardeur. Parent et Virilio maintiennent les habitants des plans obliques dans l’espace du paysage, en contrôlant l’architecture de la grande échelle, et donc en poussant à l’extrême utopie la notion d’architecture comme paysage. « Les formes données à travers ces limites sont non les frontières mais les coordonnées mouvantes du regard. »35 Constituant l’identité d’un territoire, Le paysage reflète ainsi un héritage, l’évolution physiologique et biologique des espèces vivantes. Elles s’y sont développées, acclimatées pour donner à l’Homme des repères multisensoriels : les odeurs, les résonnances, les chants des oiseaux… C’est ainsi que notre mémoire assimile le territoire que nous côtoyons à un sentiment d’appartenance, une émotion. Le paysage est une vision prise dans de permanents mouvements de lumière et de matière, et le parcours qui le traverse présente un langage singulier avant d’être toute forme de projet. « Déployer un peu mieux les paysages à habiter requiert de déployer plus largement ceux qui les regardent et inventent »36 parce que nous sommes dans un monde où tout va trop vite, les liens entre le paysage et l’être humain sont fragiles, prêts à se rompre si on n’y fait pas attention, si on vient à les négliger. 35  MALDINEY (Henri), Regard parole espace, 1973 | Ed. L’âge d’homme, Lausanne, Coll. Amers, p. 6. 36  DERMERLE-GOT (Anne), Ecriture in Les 101 mots du paysage, 2017 | Archibooks, Paris, p.30.

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« Habiter, c’est s’installer, rencontrer l’autre, se mouvoir et s’émouvoir dans les espaces et les temps de notre vie. »37 Audelà de résider dans un lieu, habiter un territoire expose un sentiment d’appartenance à l’espace, de manière consciente ou inconsciente, qui touche notre affect et notre pouvoir d’agir sur les choses. Ce sentiment d’appartenance se développe par une identification à un territoire, qu’il soit lié à un ancrage inné, subi ou choisi. Par cette appartenance territoriale, l’habitant s’investit en tissant des liens, issus des interactions sociales avec une communauté, qui contribuent au développement d’un sentiment du “local”. Pour Mathilde Cota, chef de projet de territoire à Montpellier, la relation habitante se transforme, par l’émotion et l’affectivité partagée, le territoire devenant une extension de lui-même. Ainsi, lorsqu’il ne réside plus dans le lieu qu’il habitait, il devient son ambassadeur, le territoire l’habitant. Ce qui l’habite est alors tout autre, le paysage devenant support de son identité et de ses racines.38 De ce fait, faire vivre le territoire, c’est l’habiter, en s’engageant dans et pour la vie de la communauté. Cet engagement commun participe à la création d’espaces d’implication, en admettant de prendre conscience de la valeur des ressources du territoire dont les paysages sont les principaux acteurs. Réceptacles spatiaux de pratiques sociales cultivées par un écosystème d’êtres vivants, habiter est une dynamique vivante, dont le mouvement est permanent. L’habitant construit et habite son territoire par ses choix, ses usages, ses pratiques issus de sa propre volonté. Paysage et environnement se trouvent associés pour recréer des espaces à vivre et c’est en interférant avec les éléments bâtis et naturels que le paysage peut jouer un rôle majeur. Le paysage ne concerne plus les espaces ouverts en tant que tels, mais les écarts et les tensions entre ces lieux de vide. Toutes ces situations d’interface (limites, entre-deux, écarts) figurent autant de dialogues potentiels entre des fragments d’urbanisation existante capables de reconstruire de nouvelles façons d’habiter le territoire. Ainsi pourraient se dessiner de nouvelles formes d’interactions donnant naissance à des dynamiques spécifiques, par croisement, démultiplication, mutations spatiales. Cela permet 37  COTA (Mathilde), Habiter in Les 101 mots du paysage, 2017 | Archibooks, Paris, p.33. 38  Ibid. p. 33.


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d’imaginer des échanges spécifiques à l’échelle locale, régionale et même au-delà. L’hypothèse proposée consiste à regarder le paysage comme une infrastructure capable de mettre en exergue des éléments fragmentés afin d’y obtenir un ensemble cohérent et rationnel. Il s’agit de construire cette culture de territoire par une totale immersion de la petite à la grande échelle, en toute réciprocité, pour éviter l’empilement et la prolifération de tout un environnement au profit de l’esprit du lieu. Le paysage est à la fois un territoire et un tracé. L’architecture est un art de l’espace qui permet de créer des lieux, de les construire à partir de leur dimension culturelle comme point de départ d’une vision. Le tracé est l’armature de cette vision qui lui permet de passer du monde rêvé au monde réel. Cet assemblage produit un paysage bâti ou planté dont la nature constitue l’âme.39 C’est ainsi qu’en améliorant la qualité d’un lieu, on y améliore la qualité de vie des occupants. Chaque lieu a sa propre identité ; ainsi les salines de Trapani (Sicile) nous offre un autre regard à travers le reflet des bassins et la plaine d’Anduran (Drôme Proveçale) nous étonne par ses cols abruptes et ses chemins escarpés, chaque intervention ne peut être que singulière, propice au lieu qu’elle occupe.

39  VIGUIER (Jean-Paul), Tracé in Les 101 mots du paysage, 2017 | Archibooks, Paris, p.116.

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- Vers une architecture sensible -


Tadao AndĹ?, Koshino House, 1984 | Kobe, Japon.


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Pour améliorer la qualité d’un lieu, l’utilisation des outils de l’architecte est indispensable. Alors, une intervention minime suffit pour transfigurer un lieu, pour poétiser un espace. Par leur sensibilité et leur ouverture, trois architectes ont retenu mon attention, le japonais Tadao Andō, le portugais Alvaro Siza et le suisse Peter Zumthor. Ces architectures de continents et de cultures différentes imposent des caractéristiques similaires par rapport à la construction d’une émotion par rapport au paysage. De leur ouverture à l’esprit que le lieu leur offre à leurs implications dans le choix des matériaux, ces architectes nous laisse imaginer un monde au-delà de leur architecture, un monde sensitif et vivant. Par ailleurs, ils utilisent des moyens différents pour arriver à leur fin, et c’est cette relation entre l’être et le monde à travers leurs architectures qui a retenu mon attention.

Composer avec la nature Pour agir sur le paysage comme sur un espace à vivre, il est important de pouvoir rapporter l’esthétique au sensible. Dans la culture japonaise, tout est réfléchi, tout est méticuleux. Le besoin de s’ouvrir sur des éléments de nature est primordial pour leur mode de vie. C’est alors que dans les années 1960, l’architecture traditionnelle se rapproche soudainement du Mouvement Moderne avec peu de cohérence, laissant des édifices sans aucune spiritualité. C’est sur ces observations que l’architecte nippon Tadao Andō pose les bases de son architecture pour « redonner une humanité à l’architecture, en créant des espaces sensibles et humains »40. Ando n’a jamais dérogé à ses principes de base qui forment sa pensée constructive tels que « l’utilisation d’un matériau unique, l’emploi de formes géométriques simples, le lien évident avec la nature, la matérialisation de la lumière et l’importance des murs. »41 Cela se traduit dans la Koshino House (1984), composée en premier lieu par une architecture fermée, incitant l’habitant à s’ouvrir sur lui-même, sublimant les espaces de la maison pour dialoguer avec les éléments naturels tels que la pluie, le vent et la lumière. Il en vient à confronter davantage l’architecture, basée sur des formes géométriques simples, à la nature. 40  ANCTIL (Barbara), BOYER (Karianne), MILETTE-MONIER (Audrey), Etude d’une pensée constructive d’archtiecte, 2014, Université de Laval, p. 1. 41  Ibid. p 1.


Giovanni Paolo Panini, PanthĂŠon de Rome, 1747.


Vers une architecture sensible

La lumière est un élément fondamental de la mise en scène de l’espace, elle attribue une existence aux objets en reliant l’espace et la forme. « Avec le passage du temps et la succession des saisons, l’objet, le mur ou l’espace se modifient, deviennent vivants et se donnent à voir autrement, de ce fait affinent notre conscience esthétique. Encore plus que la lumière, c’est donc son mouvement qui intéresse l’architecte. Corollaire de la lumière, l’ombre lui permet d’exister »42. L’architecture est le résultat du dialogue entre le corps et l’espace afin de « percevoir un objet dans toute sa diversité, il faut modifier d’une manière ou d’une autre la distance entre le moi et l’objet. La sensation d’espace naît des diverses orientations du regard à partir de points de vue multiples et non d’une vision absolue et unique du regard. »43 Mais, d’autre part, elle est également la somme des mouvements de la nature – à travers la lumière, le vent et la pluie – qui modifient la distance entre l’Homme et les choses. Ce n’est donc pas la nature en tant que telle qui intéresse Tadao Andō, mais la nature transformée par l’Homme dans l’architecture, c’est-à-dire abstraite. Si l’on ajoute les mouvements de la nature et ceux de l’être humain, les formes géométriques simples deviennent des espaces complexes, et c’est ainsi le rapport de l’individu à l’architecture que veut questionner Andō. A l’image du Panthéon de Rome, où les rayons du soleil subliment l’espace architectural et deviennent alors tangible par « un ensemble de formes conçues par l’esprit humain. »44 L’assemblage des formes géométriques du Panthéon offre un contraste fort avec l’architecture traditionnelle japonaise. D’après Andō, « une telle architecture génère des espaces qui se fondent dans la nature, faisant corps avec elle. »45 L’émotion que suscite les scènes de lumière dans le Panthéon sont rendues possible uniquement par l’architecture, personnification de la raison humaine. Un bel exemple serait le Chichū Art Museum (2004) à Naoshima traduisant ses recherches menées au cours des années 1960 et étant un aboutissement d’idées mûries pendant plusieurs années. Ici, le projet intègre l’ensemble des notions de base qui ont nourri la conception architecturale de Andō durant sa 42  VERNET (Catherine), Tadao Andō : Architecte de la lumière, 2 octobre 2014 | http:// interieurites.com/tadao-ando-architecte-de-la-lumiere/ | consulté le 5 août 2017. 43  Ibid. 44  NUSSAUME (Yann), Lieu – géométrie – nature in Tadao Andō et la question du milieu : réflexions sur l’architecture et le paysage, 1999 | Ed. Le Moniteur, Paris, p. 219. 45  Ibid. P 219.

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Tadao Andō, Chichū Art Museum, 2004 | Naoshima, Japon. Croquis de l'architecte.


Vers une architecture sensible

carrière, mais celle-ci a été enrichie par l’évolution de ses idées et l’expérience acquise d’un projet à l’autre. Dans ses écrits, il déclare que le rôle du territoire et de son environnement est comme préliminaire à toutes architectures. Le musée, intégré dans le paysage, est un lieu où les arts, la nature et les humains sont en lien direct, stimulés les uns par les autres. Situé sur une colline, le bâtiment est totalement enterré dans le sol, comme s’il souhaitait effacer le poids de son architecture, à l’écart du spectacle naturel de la mer en contre bas. En ce lieu, architecture et paysage sont indissociable. Voulant faire un lien avec la quête des origines de l’architecture, l’architecte a conçu un labyrinthe souterrain avec de subtils changements de niveaux et différents types de cours. Grâce à ces cours, qui favorisent l’apport de lumière, la relation entre l’intérieur et l’extérieur semble inversée. Le traitement des différentes cours, en roseaux pour l’une, en béton pour l’autre et en pierres pour la dernière, renforce la texture du lieu et vise à instaurer un lien d’ordre mystique. Cependant, il y a ici une remise en question importante de l’idée conceptuelle originale du projet alors que l’intention de base est de s’insérer dans le paysage, dans le respect du site existant, la construction du musée a totalement meurtri physiquement le site. Les manipulations importantes de la terre même agissent contre la nature et leurs conséquences dans le site sont irrévocables. L’appréhension du chantier dans le processus de réflexion d’un projet architectural est, pour moi, un élément notoire qu’il ne faut pas laisser de côté. Le lieu autour du chantier continue malgré tout de vivre et l’architecte a la responsabilité de respecter cet environnement dès le début du projet. Andō de propose ici un regard contemporain reposé sur une confrontation entre la nature, mouvante, et une architecture aux formes géométriques simples. Dans ces espaces, pensés comme une architecture du corps et de l’esprit, l’être est invité à ressentir le cycle des saisons, le passage du temps. Il serait question ici de “théâtralisation de la nature”, qu’il vient puiser dans la culture shinto. L’architecte souhaite donner une dimension spirituelle à l’architecture ; où les visiteurs sont amenés à s’interroger sur eux-mêmes, sur les œuvres et l’environnement. Il surpasse ainsi la simple nécessité fonctionnelle du lieu, l’architecture est révélatrice du lieu et fait corps avec le paysage. « Ainsi, la volonté d’Andō est de créer une architecture qui ne s’impose pas

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Tadao Andō, Chichū Art Museum, 2004 | Naoshima, Japon. en haut, Salle d'exposition Claude Monet | en bas, Jardin de Chichū.


Vers une architecture sensible

dans son environnement, référence à la conception japonaise d’ “habiter” qui fait coexister le lieu et l’environnement. »46 Ses œuvres se définissent à partir du lieu d’implantation qui devient un “champ de force” où il généralise et impose son propre système architectural et sa propre conception de la nature. Il vient confronter aussi les éléments de la nature (la lumière, le vent, la pluie...) aux formes géométriques qui servent de support au phénomène d’abstraction. Dans le Chichū Art Museum, seulement quatre artistes sont exposés, chacun proposant un dialogue unique entre nature, culture et lumière : Claude Monet, James Turell, Walter de Maria et Tadao Andō lui-même. Situé entre l’entrée et le bâtiment principal du musée, le jardin de Chichū est un espace d’environ 400 m² qui comporte environs 200 espèces de plantes qui apparaissent notamment dans les œuvres de Claude Monet. La raison d’être du jardin est de permettre d’approfondir la compréhension et l’appréciation de l’œuvre de Monet grâce à l’expérience physique. Les œuvres d’art viennent favoriser un renouvellement de l’appréhension des espaces et de la nature environnante par les visiteurs. Il est révélateur que l’architecte figure au titre d’artiste dans la présentation du musée. L’architecture est conçue comme une œuvre immersive, un espace à contempler au travers d’un parcours sensible, émotionnel et narratif. Les salles de bétons semblent ici aspirer l’énergie d’en haut pour la réintroduire dans la terre. Finalement, l’on pourrait dire que Tadao Andō, dans ses œuvres, cherche à approfondir notre regard sur l’architecture et le lieu aussi bien que sur nous-mêmes à travers la variété des émotions suscitées par la confrontation, dans une tension constante, de formes géométriques simples avec la nature, d’une part et la confrontation de notre corps à l’espace d’autre part. C’est grâce à l’association de ces trois éléments – le lieu, la géométrie, et la nature – que l’architecture acquiert puissance et rayonnement. « Le lieu est la prémisse essentielle qui soutient la force de l’architecture. »47 46  SCOTTO (Léa), SIGUIER (Marie), L’architecture comme paysage, Andō au Chichū Art Museum, 16 février 2016 | https://unpointculture.com/2016/02/16/larchitecture-comme-paysage-et-lieu-deloeuvre-tadao-ando-au-chichu-art-museum-de-naoshima/ | consulté le 25 mars 2017. 47  NUSSAUME (Yann), Lieu – géométrie – nature in Tadao Andō et la question du milieu : réflexions sur l’architecture et le paysage, 1999 | Ed. Le Moniteur, Paris, p. 219.

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Àlvaro Siza, Piscina das marés, 1966 | Leça de Palmeira, Portugal.


Vers une architecture sensible

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L’évidence du lieu Le lieu est l’essence de toute choses. Pour cela, l’architecte portugais Alvaro Siza use de simplicité et de minimalisme dans les formes architecturales, ce qui confère ainsi, par contraste, une grande importance aux matières du paysage. Cela produit ainsi un double mouvement allant du sujet vers l’objet. Le regardeur peut se situer dans l’espace, sans être submergé ou en retrait par rapport aux sensations de l’environnement. Comme ce double mouvement est maintenu et constamment redéfini, l’appréhension de la diversité du monde peut s’expérimenter par les mouvements de notre corps. Le corps ne se positionne plus par rapport à des repères « géographiques » définis, mais entre des repères multiples qui donnent un sens complexe à l’espace habité. L’histoire de la sculpture de Rodin nous laisse un héritage de la conception des formes comme cadrage du vide, une signification spatiale, même d’un infini spatial, contribue également à développer ce regard. C’est l’intégration des plans de l’entrée de la fondation Serralves (1999) de Siza dans le tissu environnant qui requiert notre attention. Les espaces sont connectés par la continuité des plans et les orientations du tracé par rapport aux formes de la ville existantes, à celles de l’ancienne maison Serralves et au tracé du potager. Les dessins d’Alvaro Siza présentent une résistance à la vision unitaire en entremêlant les traits de paysage et les traits de son architecture. Les éléments du premier plan coexistent avec ceux du second plan et du fond du paysage. Le sens temporel peut résulter d’un “collage” de cadre, du “montage” des séquences de paysage perçues. Dans l’expérience de l’entrée de la fondation Serralves de Siza, cette image temporelle du projet est construite par la succession des perceptions. Les tracés du site et de son histoire voient leur appréhension renouvelée par le dispositif des plans de l’entrée, et une nouvelle temporalité complexe est à imaginer. Ainsi il qualifie le jeu sur la perception des formes qui a lieu à l’entrée du musée de “point d’intrigue”. Contrairement à la fondation Serralves où l’architecte cherche à guider les mouvements des visiteurs, l’horizon participe à l’expérience de la promenade à la Piscina das Marés (1969) de Leça da Palmeira. La mise en scène n’est alors plus aussi


Àlvaro Siza, Piscina das marés, 1966 | Leça de Palmeira, Portugal. plan schématisé.


Vers une architecture sensible

contrôlée. Le paysage est davantage présent, et l’expérience de l’espace du paysage en est plus intense. « Ce qui entoure le lieu d’intervention de près ou de loin constitue un support très important. »48 Les murs du bâtiment de la piscine se situent dans un paysage de rochers, en contrebas de la route qui longe la plage. On descend donc entre ces murs lorsque l’on pénètre dans l’enceinte de la piscine. On a ici un agencement assez clos, associant des pièces où la lumière rentre uniquement par l’interstice entre les parois et la toiture, à des passages à ciel ouvert, nous laissant pressentir que le paysage n’est pas loin, au détour des murs parallèles à la route. Vue d’en haut, ces murs sont des lignes le long desquelles se déplacent le regard, se transforment à mesure que l’on descend vers les bassins et finissent par former une sorte d’enceinte qui nous relie étroitement au sol. Ressentit alors davantage comme limite que comme perspective, ces murs intensifient l’expérience de la localisation de notre corps. Dans cette zone le spectateur ne vit qu’une dualité entre un “ici” et un “là” assez proche. Ce n’est qu’au moment où nous contournons les plans parallèles à la route que nous pouvons vivre une expérience spatiale face au paysage alliant les murs en béton brut, les rochers et les bassins. Siza s’est basé sur ces éléments du paysage pour concevoir ce parcours, dans une chorégraphie mêlant architecture et paysage, avec peu de moyens formels. Ce sont de grands murs qui traversent le paysage et délimitent les espaces. Les plans lient l’architecture au site rocheux, ainsi que l’eau et la terre au ciel, et dans un même mouvement creusent la terre et cadrent le ciel. Les rapports entre spectateur et paysage dans ce lieu ouvert tissent un sens de notre expérience, en référence à l’espace de la côte, de la plage et de la mer. Le réseau linéaire et physique des murs articule à la fois une situation et une perspective. Nous vivons ainsi notre ”ici”, le “là” par les plans, bassins et rochers, et alors le “là-bas” de l’horizon, cadré par les plans et lignes des bassins. Cette présence de l’horizon représente un idéal de l’architecture dans le paysage. Malgré l’expression forte d’ancrage et de gravité des formes mises en œuvre par Siza, la perception des plans de la piscine a tendance à reposer sur des lignes et des plans créant une dynamique spatiale. L’aspect brut du béton est une résistance à la formation d’une image mentale 48  KIMMEL (Laurence), L’architecture comme paysage - Àlvaro Siza, 2010 | Ed. Petra, Paris, p. 36.

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Àlvaro Siza, Boa Nova Tea House, 1963 | Leça de Palmeira, Portugal. Croquis réalisés par l'architecte.


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d’éléments géométriques. Les lignes en particulier ne sont pas de pures lignes abstraites qui creusent la profondeur dans une architecture de flux. Pour compléter l’expérience d’une architecture au service du lieu, le chemin d’accès du salon de thé – Casa de chá de Boa Nova est fait uniquement d’emmarchements et de plans qui guident le cheminement et cadrent le paysage. Les plans scénarisent l’espace, mettent en scène l’architecture, le paysage et notre mouvement dans le site. Les plans se sédimentent au site et orientent également notre manière d’appréhender le bâtiment. Nous faisons l’expérience d’espaces à différentes distances. Si on étudie l’instant où l’on fait demi-tour, bordé par trois plans blancs, on ressent une fermeture momentanée, qui s’enchaine aussitôt avec une ouverture visuelle sur les rochers et la mer. On vit un entrelacement du “ici”, du “là” et du “là-bas”. L’expérience de ces plans est celle d’une ouverture de l’espace qui se développe par dépassement de limites temporaires et transitoires. Nous vivons l’espace du paysage grâce à cette architecture de plans qui renouvelle de manière à chaque fois différente notre appréhension du site.49

L’harmonie des matériaux Lorsqu’un espace est agréable à vivre, assez bien conçu pour que les êtres vivants s’y sentent bien, on parle de la notion d’atmosphère. L’atmosphère agit sur notre perception émotionnelle, il y a une “magie des faits”, une “magie du réel” comme le décrit l’architecte suisse Peter Zumthor. Ceci est traduit par la réunion de matériaux pour créer des espaces, une sorte d’anatomie où les corps peuvent se toucher. Il faut une « harmonie des matériaux »50, un ensemble où les matériaux s’accordent et cette composition matérielle donne naissance à quelque chose d’unique. L’architecte déclare qu’en architecture, les matériaux sont comme des “notes pour les compositeurs”. Ainsi pour la Bruder Klaus Kapelle (2007) à Wachendorf, l’idée était de pouvoir construire la chapelle avec des matériaux facilement disponibles sur le site mais aussi de travailler avec des éléments primaires, 49  KIMMEL (Laurence), L’architecture comme paysage - Àlvaro Siza, 2010 | Ed. Petra, Paris, p. 55. 50  ZUMTHOR (Peter), Atmosphères, 2008 | Ed. Birkhäuser, Bâle, p. 23.


Peter Zumthor, Bruder Klaus Kapelle, 2007 | Wachendorf, Allemagne.


Vers une architecture sensible

en phase avec l’austérité et la simplicité de la vie du client. L’espace est conçu dès le départ dans une relation indissociable du matériau destiné à le contenir. Les matériaux qui composent son espace par leur harmonie et leur mise en œuvre possède une température spécifique, créant une sensation déterminée par Zumthor pour le visiteur. L’intention de l’architecte est de travailler sur la matérialité du lieu, de créer une mise en scène totale, dédiée à la découverte d’une lumière et d’une ouverture sur le ciel. Les rainures du béton attirent d’autant plus le regard vers le ciel et joue sur la notion de verticalité et du rapport entre l’Homme et le cosmos. La température de l’espace est à la fois physique (chaud) et psychique (chaleureux). Avec les choix matériaux, l’architecte tempère les espaces. C’est ainsi que les couleurs comme les matériaux participent aussi à tempérer l’espace sur le plan psychique. Cela aurait tendance à nous rappeler les sculptures de Richard Serra dans le désert Qatari. Dans cette œuvre, l’impact du poids des plaques en acier sur l’environnement accentue notre positionnement dans l’espace tout comme la double confrontation intérieure-extérieure de la chapelle nous le rappelle. Considérée pour Zumthor comme un matériau, la lumière permet de mettre en valeur les espaces et de faire vibrer la matérialité de la chapelle. Ici, la lumière, provenant de l’ouverture zénithale, fait apparaître le relief du béton dans lequel on retrouve imprimés les bois de coffrage. La lumière naturelle changeante crée une atmosphère en mouvement constant selon les heures, les saisons et la météo. Le langage de l’architecture est physique : il met en jeu des accords de matières, comme dans la Bruder Klaus Kapelle, où l’empreinte laissée par les troncs d’épicéas calcinés sur les parois de béton crée une atmosphère de caverne. Ces accords, leur vibration, leur présence doivent se ressentir in situ. Peter Zumthor a su créer un véritable langage architectural, un savoir-faire qui se concentre autour d’une architecture autant anatomique et physique, que sensuelle. D’après Zumthor, il n’est en effet de qualité architecturale qu’à travers l’atmosphère que crée un bâtiment, qu’à travers la capacité d’un édifice à faire lieu. Par atmosphère, Zumthor

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Peter Zumthor, Zinc Mine Museum, 2016 | Allmannajuvet, Norvège.


Vers une architecture sensible

entend un rapport immédiat à notre environnement ; un rapport émotionnel – et non intellectuel – à l’espace comme à la matière, à la chaleur comme à la lumière, aux sons comme aux odeurs ; un rapport qui engage notre être tout entier et met à l’unisson notre état intérieur et ce qui nous entoure. Zumthor, à l’évidence, croit en notre présence au monde concret, à ce qu’Edmund Husserl nommait le « monde de la vie », ce « monde spatio-temporel des choses, telles que nous les éprouvons dans notre vie pré et extrascientifique. »51 Le Zinc Mine Museum (2016) est un ensemble de structures orthogonales et simples positionnées sur le terrain comme des tours de guet. Malgré leur esprit formel concis, rappelant les structures industrielles qui occupaient le site, la précision de leur fabrication se détache de la nature sauvage, soulignant la vie antérieure des mineurs de l’industrie du XIXe siècle. Les pavillons reposent sur des échasses en pin goudronné, en appui sur la roche ou en console dans le vide. « L’idée structurelle, simple, est celle d’un échafaudage archaïque qui supporte des boîtes contemporaines autonomes », explique Peter Zumthor. Suivant des emplacements soigneusement étudiés, d’élégants exosquelettes accueillent des blocs noirs mats. À l’intérieur se déclinent des obscurités sourdes, les textures intérieures et extérieures étant similaires. D’autre part, les petites dimensions des espaces sont dilatées par des panoramas plongeant dans le paysage, soit en bandeau à hauteur de tables, soit à l’extrémité de la galerie. En hiver, avec la neige qui obstrue les falaises de granit et les arbres squelettiques, le gouffre de la gorge d’Allmannajuvet semble être né de l’imagination mélancolique de Caspar David Friedrich. Ce paysage d’une beauté saisissante dans le sud-ouest de la Norvège est la toile de fond de la revitalisation d’un ancien site de mine de zinc. Le projet de Zumthor vient contribuer à la revalorisation des Routes touristiques nationales norvégiennes, une initiative lancée en 1994 pour construire des infrastructures et des installations le long d’itinéraires touristiques balisés. Cette partie fragmentée du pays comprend maintenant 18 itinéraires, rehaussés par un programme d’architecture modeste mais hautement considéré 51  HUSSERL (Edmund), La Crise des sciences européennes et la Phénoménologie transcendantale, 1989 | Gallimard (1ère éd. 1936), Paris, p. 157.

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Peter Zumthor, Zinc Mine Museum, 2016 | Allmannajuvet, Norvège.


Vers une architecture sensible

qui comprend des plates-formes d’observation, des arrêts piquenique et des ponts exécutés par différents concepteurs. « Le processus de projet repose sur une interaction constante entre le sentiment et la raison. […] Concevoir un projet, c’est en grande partie comprendre et ordonner. Mais je pense que c’est l’émotion et l’inspiration qui donnent naissance à la substance fondatrice propre de l’architecture. »52 Si une œuvre architecturale n‘est qu’un récit sur le cours du monde et l’expression d’une vision, qui ne parvient pas à faire resonner le lieu, il y manquerait l’ancrage sensoriel dans le lieu, le poids spécifique de ce qui est local. L’intégration d’une nouvelle architecture dans un site doit faire preuve de compréhension et de mesure selon l’architecte suisse. On a une perception des différents éléments qui composent un espace architectural. Comme le corps humain, l’architecture a son anatomie. Où les différents éléments d’un espace architectural doivent être perceptibles. Les matériaux ont une grande influence dans notre perception d’un lieu, ils sont très expressifs. Il faut les choisir judicieusement, que ce soit à l’extérieur comme à l’intérieur. L’harmonie repose à la fois entre le choix des matériaux et leur disposition. C’est ce dialogue de matières entre l’intérieur et l’extérieur qui crée une atmosphère. C’est une question de point de vue et de mise à distance. De l’intérieur, devons-nous regarder à l’extérieur ou du dehors nous regardons le dedans ? Ce rapport au contexte est très important, le bâtiment est-il là où il doit être ?

52  ZUMTHOR (Peter), extrait de publication d’une conférence Une Vision des choses, Southern California Institute of Architecture | Santa Monica, Los Angeles, nov. 1988.

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- L'architecture comme paysage -


XX photo territoire XX

Respiration, Lemps, 2017. Š Virginie Gruyelle


L'architecture comme paysage

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Après avoir vécu plusieurs expériences nomades lors de voyages d’études, j’ai décidé d’approfondir la relation entre le paysage et l’architecture dans la région de la Drôme Provençale, au sud de la France, avec son paysage montagnard et ses villages de pierres immuables.

Stratégie territoriale Parc naturel Régional des Baronnies Provençales Les Baronnies Provençales se situent aux confins de deux grands départements, pour les deux tiers sur le département de la Drôme, et pour un tiers en Hautes-Alpes. Ce territoire montagnard excentré reste à l’écart des grandes voies de communication et des agglomérations. A la différence des plissements du massif du Vercors, essentiellement orientés nord-sud, et des grandes barres des montagnes de Lure et du Ventoux, orientées est-ouest, le massif des Baronnies croise ces orientations et présente une plus grande complexité de structure. Ce contexte géographique contraignant a permis de conserver une richesse biologique particulièrement épargnée et des structures paysagères originales, associées à une grande diversité de productions traditionnelles qui font la typicité de ce territoire et justifient sa reconnaissance en Parc naturel régional.53 La première intention était ainsi de révéler la richesse de la biodiversité et du paysage de la région en continuant le dynamisme mis en place par le Plan du Parc Naturel Régional des Baronnies Provençales en s’appuyant sur ses principales actions.54 – Fonder l’évolution des Baronnies Provençales sur la préservation et la valorisation des différents atouts naturels et humains. – Relocaliser une économie fondée sur l’identité et la valorisation des ressources territoriales. – Concevoir un aménagement cohérent, solidaire et durable des Baronnies Provençales. – Sensibiliser et accompagner les collectivités locales de manière 53  SYNDICAT MIXTE DES BARONNIES PROVENÇALES, Plan du Parc Naturel Régional des Baronnies Provençales : Charte «Objectif 2027», mars 2015 | http://www.baronnies-provencales.fr/ | consulté le 25 janvier 2018, p. 6. 54  Ibid. pp. 28-29.


LEMPS

Plan du Parc Nautrel RÊgional des Baronnies Provençales.


L'architecture comme paysage

différenciée et adaptée aux enjeux locaux, afin de fonder un modèle d’aménagement et de développement sur la nécessaire préservation et mise en valeur des paysages, patrimoines culturels et naturels. Ces objectifs matérialisent les grandes dynamiques naturelles et humaines qui en font un carrefour d’enjeux paysagers. Nous envisagerons ainsi de donner naissance à un prolongement entre la nature et l’architecture en dépassant la simple superposition d’ouvrages artificiels dans un environnement précieux et délicat. Dialoguer avec le paysage La rencontre entre cette partie de territoire et l’être humain date du Néolithique, laissant derrière nous un passé riche d’expériences architecturales. L’architecture donne un “relief” au temps, creuse des perspectives temporelles. Elle exprime le temps lui-même comme perspective. Dans le rythme du paysage, le temps peut se contracter ou se dilater, comme le mouvement peut ralentir ou accélérer. Pour vivre ce développement de perspective dans la perception, modulant des rythmes et des temporalités différentes, la présence d’un repère à une fonction d’ancrage dans le présent. En poursuivant le projet du PPNRBP55 qui matérialise les grandes dynamiques naturelles et humaines, l’enjeu est de proposer le développement d’un aménagement dans le territoire suivant les sentiers de Grande Randonnée pour interagir avec les différents lieux que composent le territoire. Ce projet a pour but d’emmener l’Homme dans un état de réflexion face à ce qui l’entoure en créant un dialogue entre l’architecture, le paysage et la biodiversité dans le but d’apporter une sensibilisation au territoire Drômois. Ce dialogue pourra se faire par l’installation d’éléments capables d’évoluer dans le temps et avec le temps par les interventions des usagers et des visiteurs. L’appréhension de ces éléments donne une épaisseur au présent, comme moment de l’expérience spatiale qui entre en résonance avec différentes temporalités. La perception des formes dans le paysage initie un jeu sur le temps figé et le temps mouvant, un “sens du temps”.

55  Plan du Parc Naturel Régional des Baronnies Provençales.

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Site d’escalade COMBES OBSCURES

Jardin expérimental FERME DU COLLET Centre d’étude universitaire LEMPS Bergerie de transhumance

Observatoire des oiseaux migrateurs MONTAGNE DU GRÈLE

Laboratoire météorologique COMBES DES RUINES

COL DU ROCHER PERÇÉ Refuge pour randonneurs


L'architecture comme paysage

Habiter les lieux Bien que nous construisions en contexte paysager, nous nous interrogeons systématiquement sur les transitions entre naturel et bâti. Le paysage est-il censé pénétrer le bâtiment ou doit-il alors devenir lui-même paysage ? Devons-nous travailler en partant de la matérialité du paysage ou en appuyant les contrastes ? Construire est sans aucun doute l’une des interventions les plus radicales dans la nature et pourtant, dans le meilleur des cas, le naturel et le bâti réussissent à se compléter de manière harmonieuse, se nécessitant même l’un l’autre – sans la mer pas de côte, sans horizon pas de ciel. Le sens spatial est à définir dans une multiplicité de repères, à différentes distances. Cette sensibilité par rapport à ce territoire se traduirait par un élément à la fois fort et fragile pouvant ainsi faire ressortir toute l’intensité du paysage présent. A la manière des œuvres très franches de Richard Serra, ces éléments permettront de renvoyer l’image du paysage par leur puissance visuelle et émotionnelle. Ils pourront ainsi dialoguer directement et indirectement entre eux provoquant une résonnance à l’échelle du territoire mais aussi dans une dimension très personnelle de la sorte que quelques gestes suffisent pour qu’une vision tout autre du paysage soit dévoilée. A l’image de tours de guet moyenâgeuses perchées sur les flancs de montagnes, ces structures reprennent des géométries simples avec des matériaux primitifs. Elles ont été pensées de sorte à s’adapter à leur environnement, au relief présent grâce à leur modularité élémentaire. Pour mettre en valeur ce parcours interactif, des points précis du territoire ont été pointés dégageant un usage approprié pour chacun d’entre eux. C’est de la sorte que l’on pourra retrouver diverses fonctions réparties à travers le territoire : – Un observatoire de la migration des oiseaux sur la crète de la montagne du Grèle, – Un laboratoire météorologique situé à la croisée de plusieurs ruisseaux dans les Combes des Ruines, – Un refuge pour randonneurs sur le col du Rocher Percé – carrefour de sentiers «GR», – Un jardin expérimental près de la ferme du Collet afin de

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Emergence du paysage, Lemps. pastel.


L'architecture comme paysage

sensibiliser et de découvrir de nouvelles méthodes de cultures, – Un site d’escalade pour contempler la splendeur des Combes Obscures, – Une bergerie de transhumance à proximité du village de Lemps – à la grande du Pichouvet – pour relancer une activité économique locale. Dans l’idée de vivre dans le temps et avec le temps, chacune de ces interventions auront une utilisation précise dans l’année où l’ajout de volumes complémentaires permettront de vivre la structure plus intensément et d’être en adéquation avec le lieu. Si nous y prenons garde, n’importe quel phénomène peut donner lieu à une rencontre. Et la rencontre demande un double engagement de notre part : celui d’une attention émotionnelle envers le paysage et celui d’accueil envers nous. Pour répondre à ces engagements, la modularité de la structure offre des caractéristiques propres au lieu qu’elle intègre. De ce fait, la structure peut prendre des dimensions importantes, tels que le refuge pour randonneurs qui s’étend sur cent mètres afin de rejoindre deux chemins séparés d’un ravin, ou bien le projet comprenant la bergerie de transhumance qui prend des proportions quatre fois plus grande que le bâtiment existant. A l’opposé, l’observatoire à oiseaux répond de manière très minime au site, ce qui révèle encore plus le relief et l’immensité de la crète. Ces éléments dans le paysage, reliés par des chemins de randonnées, seraient annonciateurs d’un éventuel prolongement à l’échelle du Parc Naturel pour ainsi y construire une harmonie entre le paysage et les idées de développement de la région.

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COMBES DES RUINES

Laboratoire météorologique J

COL DU ROCHER PERCÉ Refuge pour randonneurs

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MONTAGNE DU GRÈLE Observatoire des oiseaux migrateurs

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FERME DU COLLET Jardin expérimental J

GRANGE DE PICHOUVET Bergerie de transhumance

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© Benjamin Marc

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Vivre les ruines, Lemps, 2017.


L'architecture comme paysage

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Principes réflectifs sur le lieu Histoire du village A fil d’un parcours composé d’éléments en interaction avec le paysage, le programme propose un édifice central en relation avec le village de Lemps de manière plus pérenne, dans le but de redynamiser le village en perte d’intérêt et d’activités. Auparavant, le village accueillait un château, accolé à la chapelle actuelle, de multiples commerces ainsi que des habitations situées à l’ouest du village. Depuis deux siècles, la population diminue laissant de ce fait de nombreux édifices en périls. La composition du village est telle que les bâtiments encore habités se développent auprès de la seule voie véhiculée en dépit des ruelles piétonnes menant à la chapelle située en amont du village. Le projet s’installera alors sur les traces des anciens bâtiments aux abords des ruelles piétonnes afin de redynamiser l’accès aux édifices en partie haute. Le but de s’implanter au cœur même du village est ainsi de proposer une structure ouverte au public et d’attirer les gens locaux et les randonneurs vers le projet afin qu’ils puissent apprécier le lieu différemment par la mise en valeur des ruines par la structure. Les vides sont définis par les pleins, et cet “univers recomposé” permettra d’offrir aux usagers une respiration régénérante et l’occasion de retisser un lien avec le vivant.



Tracés des anciennes habitations ayant totalement disparues.

La végétation a envahi les quelques traces restantes.

Les édifices sont inhabités ou dans l'état de ruines.

Plan de Lemps,

compositions spatiales, tracés anciens.



L'architecture comme paysage

Intentions architecturales L’objectif étant de faire ressortir les qualités des ruines du village, en travaillant avec la topographie existante. Ceci a permis d’avancer des hypothèses sur d’éventuelles mises en complémentarité avec une structure répétée et uniforme, offrant un contraste avec le tracé des ruines. Jouant avec le relief des tracés existants, les appuis de la structure se retrouvent sur le sol, sur les murs, sur les chemins, participant à l’organisation spatiale du lieu. Le but est d’ainsi pouvoir pratiquer les ruines tout au long de l’année et d’occuper la structure une certaine partie du temps. La première esquisse du projet consistait à proposer un édifice permettant de mettre en évidence à la fois l’environnement proche – le lieu, et les ouvertures au lointain – l’horizon. La volumétrie s’inscrit en réponse des éléments bâtis du village offrant des ouvertures changeant notre perception du lieu. Après plusieurs tentatives, entrainant une modification importante de la configuration spatiale du village, la structure sera composée de trois éléments. Un élément central, assez bas, servira de transition entre l’espace des ruines et les deux autres volumes. Tandis que deux autres éléments de part et d’autre s’érigerons pour communiquer de façon plus directe avec les édifices et le paysage. Afin d’augmenter l’expérience phénoménologique du lieu, des volumes « isolés » viendront s’intégrer dans la maille, ainsi que des terrasses ouvertes ou couvertes : il y a ici un travail sur la multiplicité de cadres ouverts sur les formes proches et l’horizon.

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Evolution du projet, travail sur la volumĂŠtrie.


Resonnance dans le village de Lemps.



L'architecture comme paysage

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Eléments constitutifs du projet Le temple des regards Dans la continuité de la stratégie développée sur le territoire, l’édifice prendra vie de plusieurs façons différentes, par l’addition de fonctions selon l’utilité et la période souhaitées. D’ordre plus pérenne sur le site, des fonctions viennent occuper les ruines telles qu’un espace de restauration et une cuisine collective encastrée dans le sol, un lieu d’exposition centré sur l’histoire du village et sur la compréhension du territoire, ainsi qu’un atelier de construction et de stockage situé en amont des ruines. Cet atelier a pour but d’accueillir la construction des éléments temporaires qui s’établiront à certaines périodes de l’année. La structure prendra donc vie par l’installation des passerelles, escaliers, terrasses, reliant les chambres de travail et offrant une multitude de perceptions sur l’environnement proche et lointain. Dans le projet présenté, les chambres isolées accueilleraient un laboratoire expérimental sur la biodiversité et la biologie pouvant nourrir par la suite l’espace d’exposition situé en contrebas. Viennent ensuite des bureaux d’étude individuels qui permettent à des étudiants doctorants ou des professeurs de venir s’isoler pour travailler dans un cadre différent de ce qu’ils côtoient habituellement. La séquence d’entrée dans les ruines est multiple. L’idée est de permettre aux visiteurs de traverser de diverses manières le site par la perforation de plusieurs murs. La déambulation au sol est totalement libre, reconnectant les divers espaces du village entre eux. A la différence de la séquence d’entrée de la structure, qui ne se fait que par un seul escalier. Ceci pour permettre une hiérarchisation des espaces et une meilleure compréhension des lieux. Cette expérience spatiale nous amène à définir plusieurs perceptions, et le jeu de passerelle définit un mouvement prépondérant du corps dans l’espace et du passage d’une ouverture à une autre. Ce sont des profondeurs spatiales qui se creusent dans l’appréhension de l’architecture. Même si la géométrie architecturale est complexe et crée de multiples échappées sur le paysage, certains éléments maintiennent une fonction de limitation des lieux et de cadrage vers des espaces


Entre ruine et paysage, recherche sur la spatialitĂŠ.


Le temple des regards, dialogue Ă plusieurs ĂŠchelles.


Plan niveau de l'observatoire

Plan niveau de la terrasse commune

Plan niveau des ruines


L'architecture comme paysage

à explorer. La scénographie de l’espace architectural n’est plus orientée dans une seule direction ; elle est mouvante. La structure permet de s’ouvrir de manière tridimensionnelle : vers le paysage, le ciel et le sol. Les repères que nous nous construisons dans la perception de l’architecture ne sont pas fixes, définis, mais en mouvements. Le parcours offert à travers la structure ménage des vues sur le paysage qui rappellent quelque peu l’expérience de la “promenade architecturale” chez Le Corbusier, jouant sur les continuités et les discontinuités visuelles. Ici dans le bâtiment, la “promenade architecturale” traverse la structure dans sa hauteur et sa largeur, nous donnant à vivre des espaces qui se développent et s’articulent autour de cette promenade. Les escaliers sont intégrés dans des chambres verticales, dont l’axe pointe vers le ciel, mettant en place une symbolique différente, et l’ouverture sur le paysage est plus constante et continue, assurée par le cadrage guidant cette expérience. La mise en présence dans l’espace architectural n’est pas établie sur un point fixe central. Le sujet n’est pas au centre du dispositif ; il est mouvant dans le paysage architectural. La poésie des ouvertures et des coexistences de l’architecture, par ses cadrages complexes, développe une poésie qui modifie notre regard sur le paysage. Toutes ces installations permettent de faire une expérience unique dans le village de Lemps apportant un souffle visant à continuer l’aventure vers les autres points d’intervention dans le territoire afin de découvrir la richesse qu’il renferme... Une disgression peut également être faite au sujet de l’architecture fermée ; à l’échelle du “ici” de l’architecture s’ajoute l’échelle symbolique ou imaginaire du “là-bas” défini par le paysage. L’architecture peut être perçue à la fois comme finie et infinie, à l’image des espaces ouverts dans la structure communiquant avec les mouvements du paysage, ainsi qu’aux volumes plutôt fermés, tournés sur eux-mêmes, offrant un unique cadre fixe, ouvert sur un univers, un imaginaire.

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Coupe longitudinale



Galerie des regards.


Recompostion structurelle, Lemps.


Matériau

Usage

Section

Entretien

Structure Principale Lamellé-collé Douglas Bois Brut Douglas Plat métalique en «T» Câbles en acier

Poutres doublées Colonnes Fixations des colonnes Contreventement

60x240 mm 120x120 mm 100x100 mm Ø 5 mm

Protection Thermohuilée Protection Thermohuilée

Chambres isolées Bois Brut Douglas Laine de Chanvre Fibre de bois OSB Recyclé Chêne

Structure murs Isolation thermique Panneau isolant Finitions intérieures Bardage

60x120 mm ep. 120 mm ep. 60 mm 20x600 mm 20x120 mm

Brûlé «Shou-Sugi-Ban»

Poutres + Gardes-corps Plancher

60x240 mm 20x120 mm

Brûlé «Shou-Sugi-Ban»

Passerelles Lamellé-collé Douglas Chêne Toiles Polyester biodégradable Câble en acier Bois Brut Pin Pare-pluie

Voile imperméable Fixation des voiles Chéneau en «U» Membrane imperméable

larg. 2500 mm Ø 5 mm 120x120 mm

Protection Thermohuilée


L'architecture comme paysage

Construction et assemblage Des éléments simples pour une construction simple, rapide et accessible. La technique de construction utilisée consiste à assembler des éléments par emboîtement à mi-bois avec le moins de fixation possible. La structure tridimensionnelle forme un cube de 2,80m de côté. Cette technique d’encastrement permet également d’avoir de meilleurs résultats statiques mais pour éviter la déformation, il est nécessaire de contreventer partiellement ces cubes par des croix de saint André câblées. Sur le montage des éléments annexes tels que les chambres et les passerelles, l’idée est d’utiliser le moins de sections différentes permettant une réutilisation des matériaux dans les futures constructions. Ainsi, les éléments de plancher peuvent être utilisé pour le bardage, ou les poutres se convertir en garde-corps, quel que soit l’édifice tributaire. Ce dispositif a été pensé dans l’optique de répondre aux enjeux actuels de réduction de la consommation de matières premières en proposant une stratégie de développement durable en mutation permanente et en interaction totale avec le paysage.

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- Horizons -



Horizons

« Si l’architecture renferme, comme je le pense, les espaces conduisant à l’épanouissement physique et spirituel du moi, alors je veux créer des bâtiments qui influent sur la vie de l’Homme. »56

56  NUSSAUME (Yann), Un concours de circonstance in Tadao Andō et la question du milieu : réflexions sur l’architecture et le paysage, 1999 | Ed. Le Moniteur, Paris, p. 174.

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Horizons

Le regard qui a été porté sur les architectures-paysage notamment chez Siza, Zumthor et Andō, montre qu’elles nous expriment une interprétation de sens spatial dans une multiplicité de repères, et aiguisent notre sensibilité aux signes et traces de cette spatialité, à différentes échelles, jusqu’à l’horizon. Un élément architectural joue un rôle de ponctuation et développe, en même temps, l’espace que l’on entrevoit au-delà de celui-ci. L’expression de ces architectures permettent de renvoyer l’image du paysage dans une intensité visuelle et émotionnelle. Chaque paysage a ses propres ouvertures, ses rythmes profonds, ses couleurs et ses lumières. Vivre l’espace n’est pas qu’y occuper une place. Sans même en avoir conscience, les mouvements des paysages commandent les nôtres. Nous sommes en quelques sortes habités de l’intérieur. Parler de rythme d’un paysage présume une dimension temporelle. L’objectif premier de cet écrit fut de comprendre comment agir avec le paysage plutôt que contre lui. Et ainsi d’interpréter les émotions que peuvent procurer un paysage façonné à l’image de l’être humain, résidant dans sa capacité à amplifier le “déjà-là”, voire le théâtraliser. Cette mise en abime procure une impression de plénitude, d’accord parfait avec ce qui nous entoure et du sentiment d’harmonie tant recherché. L’accès au réel des sensations des formes dans le paysage est, quant à lui, favorisé par un certain réalisme des formes et des matières, loin des figures monumentales qui focalisent l’attention par un excès de présence. La perception de l’architecture comme paysage se construit par interaction entre sujet et objets. Si le paysage n’est qu’une image – si le jardin n’est qu’une mise en scène – leur rôle est en effet mineur. Si par contre, nous entendons les paysages comme des figures du monde que nous vivons en chair et en os, comme notre présence au monde, nous y pressentons d’emblée quelque chose d’autrement décisif. Le paysage est un espace indissociable du temps, il est en perpétuel mouvement, mais au-delà de ça, n’est-il pas aussi un projet de vie et un projet de société ? Les architectures qui ont été développées construisent un rapport au corps du regardeur, et allient une approche conceptuelle à une approche sensible, sans dualité mais avec une cohésion constante de ces deux aspects. Elles cherchent à approfondir notre regard sur l’architecture et le lieu, aussi bien que sur nous-mêmes, à travers la variété des émotions suscitées par la

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Horizons

confrontation de formes géométriques simples avec la nature, de notre corps à l’espace. C’est en associant ces trois principes – l’identité forte du lieu, la finesse des éléments géométriques, et les courbures du paysage – que l’architecture procure puissance et rayonnement. L’émotion architecturale révèle des questions essentielles où l’architecture a un rôle à jouer pour élever la conscience, réveiller les émotions et les désirs de ses habitants. Les espaces deviennent des intermédiaires, créant un dialogue profond entre l’usager et l’architecte. Ainsi l’architecture donnera la sensation d’exister. L’expérience du paysage, qui unit le monde au corps et le corps à l’esprit, nous appelle à redéfinir les relations entre nature et culture. La réalisation du projet architectural joue sur la présence du proche et du lointain, permet une activité de l’esprit, de la liberté, de la volonté, de la rencontre des individus. Cette expérience de l’entre-plans, met le corps au défi de se situer, tout en étant ouvert au monde. Habiter l’espace par les repères, serait un moyen d’habiter le proche et le lointain, et de maîtriser ainsi la tension entre l’enveloppement par les formes et la distance au paysage. Ainsi pourraient se dessiner de nouvelles formes d’interactions donnant naissance à des dynamiques spécifiques, par croisement, démultiplication, mutations spatiales dans le paysage. Cela permet d’imaginer des échanges spécifiques à l’échelle locale, régionale et même au-delà. L’hypothèse proposée consiste à regarder le paysage comme une infrastructure capable de mettre en exergue des éléments fragmentés afin d’y obtenir un ensemble cohérent et rationnel. Il s’agit de construire cette culture de territoire par une totale immersion de la petite à la grande échelle, pour éviter l’empilement et la prolifération de tout un environnement au profit de l’esprit du lieu. Dans cette recherche architecturale, on peut ainsi retrouver la notion de cadre qui permet non seulement de relier l’architecture au paysage en créant un jeu dans une pluralité d’échelles, mais nous donne également à vivre les qualités de l’espace. Ces dispositifs permettent une appréhension spatiale d’ensemble, de ce qui est à la fois devant et derrière l’ouverture, emportant ainsi le spectateur à s’introduire dans le cadre pour vivre une expérience sensible du lieu. Ce procédé accentue notre perception face à la notion de profondeur et nous questionne sur les temporalités du


Horizons

paysage. Nous pouvons considérer cette architecture comme une sorte de “prototype”, qu’il faut distinguer des configurations de formes qui ont tendance à fermer l’espace. L’étalement et l’hétérogénéité des espaces urbains contemporains, la suppression des arrière-plans paysagers, l’emprise grandissante d’infrastructures hors d’échelle au regard des êtres vivants, ou encore la crise écologique, attestent en effet de la disparition de la spécificité des lieux. Aussi, à mesure que l’horizon métropolitain se rapproche, la possibilité de concevoir et d’aménager des atmosphères et des lieux semble de plus en plus laborieux. La région de la Drôme Provençale recouvre de multiples richesses inexplorées, là où peut encore s’inventer un système de croissance éco-responsable fondé sur l’association entre un environnement naturel de qualité, un investissement des acteurs de la construction, une utilisation optimale des savoirfaire locaux et une architecture innovante, dans la continuité du modèle de développement dans le Vorarlberg autrichien. Cependant, l’humain est un facteur changeant et imprévisible, il choisira seul l’usage du lieu, où il sera conduit à transformer ou détourner l’espace. Et en un sens, n’est-ce pas le but de l’architecture ? Permettre une appropriation des espaces par les utilisateurs locaux ? Ces espaces doivent répondre à un besoin, certes, mais dans une société où tout est rationnel, utilitaire, fonctionnel, l’imprévisible n’amène-t-il pas de l’innovation ? Le détournement de l’espace amène donc le questionnement et un enrichissement de notre vision. Ainsi cet écrit appel à redécouvrir les sens et l’essence de l’architecture, à renouer avec ses valeurs originelles, à créer des atmosphères en symbioses avec le lieu. Où l’idée d’habiter le paysage réside dans le concept même de l’expérience du lieu. La nature surgit souvent quand on ne l’attend pas. Elle déborde, recouvre, foisonne. La nature est l’ennemi du vide et elle tend à occuper l’espace ouvert. C’est ici que se positionne l’architecte, il se doit d’anticiper cette force naturelle du mieux possible, afin de la comprendre et de l’accepter pour qu’elle devienne une force positive. L’architecte doit penser sur le long terme afin de s’adapter aux possibles changements naturels, mais aussi

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Assemblage de regards, Lemps.


Horizons

humains. Puisque finalement, l’Homme n’est que de passage dans ce vaste monde, alors que le paysage, se renouvelle sans cesses. Nous nous devons de garder l’esprit ouvert et souple en offrant des espaces où l’imprévisible est possible mais surtout restera une force positive, en pensant l’architecture au-delà du moment présent pour essayer de vivre à travers le temps du paysage. Finalement, ce regain d’intérêt pour le paysage est indéniablement un fait de civilisation, qui correspond à une évolution profonde des mentalités. Nous ressentons aujourd’hui le besoin de renouer avec notre expérience sensible. Or cela suppose de changer non seulement nos façons de faire et de vivre, mais aussi notre manière de penser, c’est dans cette vision que le paysage est un enjeu stratégique. Il n’est pas seulement un terrain d’action ni un objet d’étude ; il donne à penser, et à penser autrement. Il nous propose, entre autres choses, un modèle pour l’invention d’un nouveau type de rationalité.

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- Références -


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Remerciements

Je voudrais tout d'abord remercier ma maman, Josiane, sans qui rien n'aurait été possible, et qui m'a permis d'étudier, entre Paris et Tournai, ma passion. Je tiens à exprimer ma reconnaissance à mon enseignant référent Guilhem Chuilon et à Vincent Furnelle, mon expert, pour leur patience, leur disponibilité et surtout leurs judicieux conseils, qui ont contribué à alimenter ma réflexion. J’adresse mes sincères remerciements à mes promoteurs d'atelier en et sur l'architecture, Pierre Accarain et Eric Vanoverstraeten qui par leurs paroles, leurs écrits, leurs conseils et leurs critiques ont guidé mes réflexions et mes recherches. Je remercie mon frère, David, et mes sœurs Sandrine et Séverine qui ont toujours été là pour moi, pour leur confiance et leur support inestimable. À mes tous mes amis qui ont contribué, de près ou de loin, à la réalisation de ce projet. Je leur présente mes remerciements, mon respect et ma gratitude. Enfin, à Virginie, pour sa patience et son soutien inconditionnel, nos débats intéressants et ses petites mains, et à qui j'accorde ma reconnaissance et mon attachement.

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Achevé d’imprimé le 28 mai 2018, Sur du papier 100% recyclé, 120 g/m² Couverture Ice White, 280 g/m² Université Catholique de Louvain LOCI Tournai rue de Glategnies, 6 - B-7500 Tournai




Année accadémique 2017/2018


“Il faut voir au delà du moment présent, au delà de soi.”


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