LIBÉRATION JEUDI 22 JUILLET 2010
TERRE
«C’
UN PAYS DE MÉGADIVERSITÉ En Equateur, on a recensé 1600 espèces d’oiseaux, 35000 d’insectes, 4000 d’orchidées, 405 de reptiles, 440 d’amphibiens, 382 de mammifères… Dans le parc Ysauni, on trouve plus de 1100 espèces d’arbres.
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C’est, en milliards, le nombre de barils de brut équatorien extraits depuis 1972, soit la moitié des réser ves de l’Equateur.
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L’écologue Olivier Dangles a étudié minutieusement la biodiversité du parc Yasuni:
Par DIANE CAMBON Correspondante à Quito
tation, développement social durable en Amazonie. Faire appel à la générosité des pays occidentaux sans avoir l’air de est certes une idée folle, quémander, tel est le difficile équilibre mais avec le temps, elle a auquel doit parvenir le gouvernement pris de la force et fait cha- équatorien. Une gageure diplomatique que fois plus d’adeptes.» loin d’être évidente pour l’impétueux L’économiste équatorien Alberto Acosta président socialiste Rafael Correa, célèest un fervent défenseur du projet éco- bre pour ses sorties explosives. logique Yasuni ITT (Ishpingo- Tambo- Si dès son arrivée au pouvoir en 2007, cocha-Tiputini). Un projet qui a été taxé Correa a fait de Yasuni le projet phare de d’utopie, émanant d’un pays où sa politique, cette initiative a connu 20% des ressources de l’Etat provient moult remous. Un premier accord fide l’exportation du pétrole. Car cette nancier avec la communauté interna«idée folle» consiste à laisser, dans le tionale a été annulé au dernier moment sous-sol de la jungle amazonienne, l’an passé. Le gouvernement n’aurait 850 millions de barils de brut, soit pas apprécié une forme d’ingérence, les 20% des hydrocarbures de pays occidentaux refusant l’Equateur. Objectif: ne pas que l’apport financier soit ENQUÊTE contaminer ce que l’Unesco entièrement géré par l’Etat considère comme la plus grande réserve équatorien. «Le pacte proposé par la de biosphère de la planète. Dans cet communauté internationale portait atéden tropical de 100000 hectares coha- teinte à la souveraineté de l’Equateur et il bitent 2274 espèces d’arbres recensées, était contraire à notre Constitution», as165 mammifères et 700 types d’oiseaux. sure Tarcisio Granizo. Mais les défenC’est aussi le refuge de deux peuples in- seurs du projet Yasuni ont une autre digènes qui vivent en isolement volon- lecture de ce coup de frein. «L’exécutif taire – les Tagaeri et les Taromenane – subit de fortes pressions des compagnies pétrolières. En outre, le pays a besoin de liquidités très rapiLa non-exploitation du pétrole dement», explique Alberto permettrait d’éviter l’émission de Acosta, qui fut ministre des 410 millions de tonnes de CO2, soit Energies et des Mines au dél’équivalent du gaz carbonique but du mandat de Rafael Correa. Et de poursuivre : émis par la France en un an. «Le Président doit lancer un et de plusieurs milliers d’indiens message clair s’il veut obtenir des gages Huaorani. des pays occidentaux. Dans tous les cas, Ce geste écologique n’est évidemment il est très difficile aujourd’hui de faire mapas gratuit. L’Equateur n’est pas disposé chine arrière.» à perdre la manne financière que lui rapporterait l’exploitation des trois PLAN B. Le gouvernement équatorien puits de pétrole de ce poumon vert (en- n’a jamais caché que le plan B, celui viron 7,5 milliards de dollars, soit d’exploiter les gisements de pétrole, 5,8 milliards d’euros). D’où la condition n’avait jamais été enterré. Une dragée posée en retour : que la communauté difficile à faire avaler aujourd’hui à internationale contribue financière- l’opinion publique équatorienne. Selon ment, à hauteur de 350 millions de dol- un sondage réalisé en février par l’instilars par an durant dix ans, soit la moitié tut «Perfiles de opinión», seul 23% de des gains qui seraient obtenus avec le la population est favorable à l’exploitapétrole. «Nous faisons appel à la cores- tion du pétrole. «Ce serait un tollé politiponsabilité des pays riches, qui ont pu se que si Correa donnait le feu vert aux comdévelopper en détruisant une grande par- pagnies pétrolières. Certes, il pourrait tie des ressources naturelles. Aujourd’hui, toujours s’en sortir en rejetant la faute sur nous leur demandons de participer à la les pays occidentaux qui ont refusé de préservation de la planète», commente sauver le parc Yasuni», commente AlTarcisio Granizo, sous-secrétaire d’Etat berto Acosta. Au sein de l’exécutif, on au ministère du Patrimoine équatorien. assure que le projet est toujours d’acCar la non-exploitation permettrait tualité. Le nouvel accord avec le Pnud d’éviter l’émission dans l’atmosphère devrait en effet être signé fin août, et les de 410 millions de tonnes de CO2, soit premiers financements (Allemagne, l’équivalent du gaz carbonique émis par Belgique, Espagne, et même la Turquie) la France en un an. devraient arriver cet automne. Longtemps à la traîne, la France accorde GÉNÉROSITÉ. Le principe est simple : désormais de l’intérêt à cette initiative. les pays occidentaux sont invités à dé- L’ambassadeur en charge des négociaposer une quantité d’argent sur un tions sur le changement climatique, compte bloqué, géré par le Programme Brice Lalonde, s’est rendu il y a dix des Nations unies pour le développe- jours en Equateur pour visiter le parc ment (Pnud). L’Equateur utilise les inté- national Yasuni. Il s’est montré très inrêts générés par le compte-capital et téressé par l’initiative et a assuré que s’engage à les investir dans quatre do- dans la mesure du possible, la France maines : énergies renouvelables, con- soutiendrait le projet. Sans plus de préservation des zones protégées, refores- cisions. •
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«644 espèces d’arbres par hectare» ans ce petit pays, on passe vite des sommets andins à la forêt amazonienne ou aux îles Galapagos. L’Equateur est l’épicentre de la biodiversité mondiale et Natura Maxima, le livre que vient de publier l’Institut de recherche pour le développement (IRD), en témoigne (1). En combinant d’étonnantes photos –telle cette abeille solitaire qui boit les larmes d’une tortue à taches jaunes (ci-contre) ou ces renards sur les flancs enneigés du Cotopaxi– avec de nombreuses données scientifiques, Olivier Dangles, écologue à l’IRD, et François Nowicki, chargé d’études au ministère français de l’Environnement, soulignent la singularité de ces écosystèmes. Convaincu par le projet Yasuni, Olivier Dangles défend l’idée d’attribuer une valeur économique aux écosystèmes pour les préserver. 1600 espèces d’oiseaux, plus de 4000 d’orchidées, 382 de mammifères, soit le record mondial au m2… Comment s’explique la mégadiversité équatorienne? Par une combinaison de facteurs biogéographiques et climatiques. Sous les tropiques, le climat qui associe pluie et soleil favorise la diversité des plantes qui engendre celle des animaux. Il y a aussi l’histoire géologique des Andes : un soulèvement qui s’est produit par étape, a fragmenté des populations d’espèces ancestrales et les a redistribuées entre le bassin amazonien et la côte Pacifique, contribuant à la diversification. Il faut ajouter le gradient altitudinal qui est de plus de 6000 mètres dans le pays, la forte variabilité climatique du nord au sud et l’isolement qui, sur les îles Galapagos par exemple, a abouti à un taux exceptionnel d’endémisme. Le parc Yasuni, situé dans la partie amazonienne du pays, est un concentré de cette diversité… On y recense 644 espèces d’arbres par hectare, soit plus que dans toute l’Amérique du Nord ! Mais aussi la plus grande diversité d’oiseaux du monde, d’amphibiens et de poissons d’eau douce. Si le pétrole est exploité, que se passera-t-il? Pollution, déforestation, destruction du tissu social. Le pétrole est mélangé à beaucoup d’eau : quatre barils d’eau pour un de pétrole. L’exploitation entraînera d’importants relargages d’eau polluée. Le principal impact viendra de la construction des routes. Arriveront alors des colons qui défricheront la forêt, chasseront le gibier… Déjà menacés par les trafiquants de bois –en Amérique du Sud, l’Equateur a le taux de déforestation le plus élevé -, les groupes indiens isolés n’y survivront sans doute pas. Et cela accentuera la décomposition sociale des indiens Huaoranis. Si l’exploitation pétrolière se fait, c’en est fini de Yasuni.
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Recueilli par ÉLIANE PATRIARCA
Une abeille solitaire boit les larmes d’une tortue à Yasuni. PHOTOS O. DANGLES ET F. NOWICKI. NATUREXPOSE
(1) Natura Maxima, Equateur, terre de biodiversité, Olivier Dangles, François Nowicki, IRD Editions.
«Nous sommes dans un pays divin… Quels arbres! Et quelles couleurs chez les oiseaux, les poissons et même les langoustes! Nous courions partout comme des fous.»
«Pour la première fois, un pays pétrolier, l’Equateur, […] renonce à ses richesses pour le bien-être de toute l’humanité et invite le monde à se joindre à cet effort.»
Alexander von Humboldt naturaliste et explorateur, découvrant l’Equateur en 1799
Rafael Correa président équatorien, devant les Nations unies, en septembre 2007