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mercredi 14 juillet 2010 LE FIGARO

8 international

L’Équateur veut renoncer à son pétrole Pour préserver la biodiversité amazonienne, Quito propose de faire payer la non-exploitation de son brut.

ENVIRONNEMENT Descendre le Rio Napo à partir de Coca, en Amazonie équatorienne, permet de pénétrer dans un lieu unique au monde : le parc de Yasuni qui abrite la plus importante réserve de biodiversité du globe. 2 274 espèces d’arbres, 596 d’oiseaux et 121 de reptiles vivent dans les 982 000 hectares de la réserve (lire ci-dessous). Un seul hectare abrite plus de 100 000 insectes. Cette partie de l’Amazonie est l’une des seules à n’avoir pas encore subi de conséquences des changements climatiques. Les températures sont restées stables et la pluviométrie s’est maintenue à des niveaux élevés. Deux tribus indiennes ont choisi d’y vivre sans contact avec l’extérieur : les Tagaeris et les Taromenanes. La moitié de la réserve est inaccessible pour leur

L’arche de Noé du pléistocène

permettre de maintenir leur mode de vie itinérant. Le parc a été classé en 1989 réserve mondiale de la biosphère par l’Unesco. Une menace pour ce joyau est apparue dans les années 2000. Des forages ont révélé la présence de 900 millions de barils de pétrole dans le sous-sol de l’est du parc, le champ d’exploration ITT pour Ishpingo, Tambococha, Tiputini. Cela représente 20 % des réserves de pétrole du pays qui est devenu depuis 1972 un important producteur, membre de l’Opep. Le brut fournit 60 % de ses recettes d’exportation pour un pays dont 40 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté.

« Pollution nette évitée » En 2007, à la tribune des Nations unies, le président, Rafael Correa, a proposé… de ne pas exploiter le pétrole de Yasuni-ITT : « L’Équateur présente un projet innovant pour contribuer à la réduction des émissions de CO2 et à la préservation de la biodiversité. » L’idée est simple : s’abstenir d’extraire les 900 millions de barils de Deux tribus indiennes habitant dans la réserve de Yasuni refusent pétrole économise l’équitout contact avec l’extérieur, les Tagaeris et les Taromenanes. ELDER BRAVO valent de plus d’une année d’émissions de CO2 de la France, contribue à « Nous espérons collecter préparer l’après-pétrole, explique Pade barils de pétrole la préservation de la bioau moins 3,6 milliards de blo Salgado, porte-parole du ministère se trouvent dans diversité exceptionnelle dollars, explique la minisdu Patrimoine. Notre proposition est un le sous-sol du parc tre du Patrimoine, Maria premier pas dans cette direction. » du parc et évite des hectade Yasuni res de déforestation. « Le préFernanda Espinosa. C’est un L’ONU, à travers le Pnud (Progamsident défend le concept de pollumécanisme de coresponsabilité me des Nations unies pour le déveloption nette évitée, explique le ministre internationale sur les émissions de CO2 pement), doit signer ce mois de juillet qui change les schémas classiques de des Affaires étrangères, Ricardo Paun accord pour la gestion du fonds qui coopération nord-sud. » Ces 3,6 miltino. Aujourd’hui, les organisations inrecueillera les contributions. Il ne sera liards de dollars sont calculés sur la ternationales financent la plantation pas géré directement par l’Équateur et base du prix de la tonne de CO2 sur le d’arbres pour absorber la pollution exissera utilisé pour financer des opéramarché européen (17 euros au cours tante. Nous allons plus loin : éviter de tions de reforestation et des investisde mai 2008). générer cette pollution en renonçant à sements dans les énergies renouvelaextraire notre pétrole. » bles. « Cela nous permettra de financer Participation de l’ONU L’Équateur se dit prêt à assumer la le passage du pays aux énergies renouFolle utopie ? Les premiers contacts moitié du coût de non-exploitation, velables », promet Maria Fernanda Esont déclenché le scepticisme, voire les soit 3,5 milliards. Pour l’autre moitié, pinoza. regards amusés et condescendants. l’État équatorien émettra des certifiL’enthousiasme des Équatoriens Mais la force de persuasion des équipes cats de non-exploitation Yasuni que semble sans bornes sur ce projet, ils équatoriennes a fini par payer. L’Alleles États, les ONG ou les entreprises espèrent exporter ce modèle et fixent magne s’est déjà engagée à verser anpourront acheter. À terme, il espère même les conditions : les pays devront nuellement 60 millions de dollars penque, rapidement, ces certificats être en voie de développement, abriter dant douze ans, soit 720 millions. pourront être échangés sur le marché une biodiversité exceptionnelle et posL’Espagne a assuré qu’elle participerait des émissions de CO2 ou « droits à séder de grandes réserves de combuspolluer ». au projet sans préciser, jusqu’à maintible fossile. Le Nigeria a exprimé son Les promoteurs du projet ont multitenant, à quelle hauteur. Les pays de intérêt. « La grande idée d’un petit plié les voyages dans le monde pour l’Opep ont exprimé leur intérêt. « La pays », résument les promoteurs du tenter de persuader les gouvernedernière catastrophe de BP dans le golfe projet. Une idée folle qui semble, finaments de s’engager dans le projet. du Mexique montre qu’il est temps de lement, faire son chemin. ■

900 millions

OCÉAN PACI FIQUE

PATRICK BÈLE

ENVOYÉ SPÉCIAL À QUITO ET COCA

COLOMBIE

Quito

ÉQUATEU R Guayaquil

Coca Rio Napo

Yasuni AMAZONIE PÉROU

Cuenca

150 km

Équateur Rafael Correa

Président

283 561 km2

Superficie Population (est. 2009)

14,8 millions d’hab. 7 400 $

PIB par hab. (est. 2009) Pétrole

33e producteur mondial (60 % des recettes d’exportation du pays)

Parc Yasuni 9 820 km2 Parc national depuis 1979, déclaré «Réserve de l’Homme et de la Biosphère» par l'UNESCO en 1989. Renfermerait 20 % des réserves de pétrole du pays.

« La biodiversité de Yasuni appartient au monde entier » Reptiles, oiseau et papillon du parc de Yasuni. ELDER BRAVO

LE FIGARO. – Comment un pays dont les exportations sont à 60 % constituées de pétrole peut-il renoncer à l’exploiter ? Maria Fernanda ESPINOZA, ministre équatorienne du Patrimoine en charge du projet Yasuni ITT. – Notre première préoccupation était de protéger l’espace naturel du parc de Yasuni. Pour cela, il faut renoncer à exploiter le pétrole de Yasuni ITT. Certains ont pensé à un moratoire pétrolier. Mais c’est une grande responsabilité de décider cela dans un pays qui dépend autant du pétrole. Nous ne pouvons pas être les seuls à payer la préserva-

LA REVUE SCIENTIFIQUE PLoS ONE, disponible gratuitement en ligne, a publié une étude qui conclut à l’extraordinaire diversité de la faune et de la flore du parc de Yasuni. Les scientifiques ont répertorié 2274 espèces d’arbres, 596 espèces d’oiseaux, 150 d’amphibiens et 121 de reptiles. «Cette étude démontre que Yasuní est le secteur le plus diversifié en Amérique du Sud, et peut-être au monde, estime le Dr Peter English de l’Université du Texas à Austin. Les amphibiens, les oiseaux, les mammifères et les plantes vasculaires atteignent tous une diversité maximale dans le Yasuní… Cette diversité incroyable que l’on trouve dans un seul secteur de la forêt amazonienne rivalise avec n’importe quel autre endroit de la planète.» Les scientifiques expliquent cette biodiversité par le fait que la zone est l’une des seules à avoir échappé aux glaciations du pléistocène et se soit ainsi transformée en refuge pour beaucoup d’espèces végétales et animales.

tion de cette richesse. Le parc de Yasuni abrite une biodiversité qui n’est pas la propriété de l’Équateur mais du monde entier. Tout le monde a intérêt à la préserver. Nous avons donc pensé à un mécanisme de coresponsabilité internationale. Cette proposition participe à la lutte contre le réchauffement climatique. L’exploitation du champ Yasuni ITT aurait provoqué de la déforestation. Or, contrairement aux pays européens, dans des pays comme le Brésil ou l’Équateur, c’est la déforestation qui provoque le plus d’émissions de CO2. À quoi servira le fonds créé avec les contributions au projet Yasuni ITT ? Je précise que le fonds sera géré par l’ONU et non par l’Équateur. Nous voulons investir massivement dans les énergies renouvelables pour changer notre matrice énergétique. Le capital servira à permettre l’abandon à terme de l’utilisation des énergies fossiles dans la production d’électricité. Les intérêts du capital seront utilisés à la protection des 44 réserves naturelles de notre pays. De grands espaces ont été fortement dé-

te programme de récupération et de reforestation de ces espaces naturels.

Maria Fernanda Espinoza, ministre équatorienne du Patrimoine en charge du projet Yasuni ITT. BUENDIA/AFP PHOTO gradés par l’exploitation pétrolière, notamment par les activités de Texaco dans le nord du pays. (Un procès est en cours contre la compagnie pétrolière pour lequel les dégâts évalués s’élèvent à 24 milliards de dollars.) Nous voulons lancer un vas-

Comment convaincre les pays de participer à ce projet ? Nous émettons des certificats de garantie de non-exploitation du pétrole. Nous avons bon espoir de faire entrer ces certificats dans le mécanisme de réduction des émissions de CO2 pour déforestation. Des négociations sont en cours pour les rendre négociables sur le marché des droits à polluer. Nous avons bon espoir d’obtenir un accord en Amérique du Nord où ce marché n’a pas la même régulation que le marché européen. En échange, nous nous engageons à ne pas exploiter le pétrole, à investir dans la préservation de la biodiversité de nos espaces naturels et de lancer des programmes de reforestation. Nous proposons une solution pour donner un nouvel élan à la lutte contre les gaz à effet de serre. L’Opep nous a appuyés lors de sa dernière assemblée par une résolution formelle. Ils préparent, eux aussi, l’après-pétrole. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR P. B.

© C. Abramowitz

C

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