L’enseignement de l’architecture au centre du débat au Conseil National de l’ordre des architectes

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L’enseignement de l’architecture au centre du débat au Conseil National de l’ordre des architectes du Maroc OMRANE CHAOUI , Architecte et Membre du Conseil National de l’Ordre des Architecte, a souhaité apporter sa contribution au débat de la conférence organisée par AMEA à la Fondation Mohamed VI :" Quelles formation et pratique de l’architecture pour un Maroc dans un contexte de mondialisation? " Le 10 Août 2012 s’est tenue à la Fondation Mohammed VI de Rabat, une conférence- débat sous le thème :" Quelles formation et pratique de l’architecture pour un Maroc dans un contexte de mondialisation? " . Cette rencontre , organisée par la jeune et dynamique Association des Marocains Étudiants en Architecture, (AMEA) a été animée par un panel d’intervenants composé de Mr Abdelouahed MOUNSTASSIR ( Architecte-Urbaniste) , Mme Salma ZEHOUNI ( Archi –média) , Mr Abdeljalil Cherkaoui ( Directeur d’architecture au Ministère de l’Habitat, l’Urbanisme et de la Politique de la Ville) , un représentant de la Direction des affaires générales au Secrétariat Général du Gouvernement et un étudiant en architecture. L’assistance était composée essentiellement d’étudiants en architecture, de jeunes lauréats architectes fraîchement diplômés et de quelques enseignants en architecture. L’objet de la conférence devait apporter un éclairage sur les divers systèmes d'habilitation à l'exercice du métier d’architecte dans les différents pays et des informations sur l’organisation des agences au Maroc, en particulier, suite à l’ouverture des marchés nationaux sur l’international. A cette question ont répondu les différents intervenants qui n’ont ménagé, aucun effort, chacun selon son style et à sa manière, pour de se prêter au jeu de questions- réponses avec la salle. Tout cela, s’est déroulé dans un climat marqué de convivialité et d’écoute aux questionnements des jeunes face à l’avenir de leur métier. La déclaration, par le Directeur d’architecture, de création de six nouvelles écoles d’architecture, dans un avenir proche, semble avoir rassuré beaucoup de jeunes qui s’inquiètent de l’inadéquation de la formation des architectes en fonction des besoins réels du pays. Le Maroc, (du dire d’un des intervenants, nommément. M. Soubat Ouadie , architecte), comptant 1 architecte pour 10.000 habitant est placé loin derrière des pays voisins du même niveau de développement, tels que la Tunisie et l’Algérie . Aussi, malgré la qualité des débats et l’esprit critique qui a porté sur la situation de la formation au Maroc, la rencontre n’a pas pu poser, de notre point de vue, la véritable problématique de la formation face à la pratique du métier de l’architecte dans un contexte de mondialisation. De même la question de système d'habilitation à l'exercice du métier d’architecte en France , connu sous le couvert d’Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre (HMONP), n’a pas pu être clarifiée davantage, pour en tirer les conséquences qui s’imposent, avant de l’appliquer à la lettre dans notre système d’enseignement dont le diplôme, sanctionnant une formation de six, est un diplôme protégé par l’état qui donne directement accès à la profession. A cette deux questions essentielles de la conférence, suite à plusieurs interrogations des étudiants, il m’a paru important j’apporter, en fonction de ma connaissance du dossier, les clarifications suivantes :

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1. L’Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre (HMONP) Pour comprendre les tenants et les aboutissants de la HMONP en France, il faut situer cette modalité de délivrance de diplôme d’architecte dans le contexte de la réforme du cursus des études d’architecture introduite en 2004, suite aux accord de Boulogne de 1998. Cette réforme inscrite désormais dans le schéma universitaire européen L.M.D a imposé la suppression de toute référence à un programme national, ainsi que la réduction de la formation obligatoire au projet d’architecture en fin de parcours en troisième cycle. La licence d’exercice rejetée par les étudiants, rebaptisée "capacité à exercer la maîtrise d'œuvre ", a été mise en place par ordonnance de la tutelle avec le soutien des institutions professionnelles. L’application de cette réforme a eu des conséquences radicales sur le contenu de la formation: Réductions drastiques des poids horaires de certaines disciplines comme les arts plastiques et les disciplines constructives, ou les sciences sociales qui sont non seulement amputées de leurs poids horaires respectifs mais transformées en disciplines optionnelles : par exemple, les arts plastiques - et le dessin - sont transformés en discipline optionnelle en 1ère année de premier cycle. Le 2ème cycle - dit master - se voit réduire de plus de moitié ses enseignements du projet par la suppression du projet annuel de 5ème année et la suppression du projet du diplôme précédemment placé en 6ème année. Le Master en Architecture est naturellement la sanction de ces études puisqu'il valide bien l'acquisition d'un savoir théorique. La volonté de la tutelle d'appeler le diplôme de fin de Master, "diplôme d'Etat en Architecture valant grade de Master", apparaît ainsi complètement incompréhensible dans le schéma mis en place. Elle a aussi pour conséquence de tout brouiller et en conséquence de se mettre en place un système qui externalise la dernière année de diplôme dans une structure d’agence. L’instauration de la HMONP comme forme déguisée à la licence d’exercice a pour effet de tout transformer. Dans ce dispositif, les agences deviennent des partenaires de formation en accueillant les étudiants au sein de leurs structures. Le but officiel est de conférer aux jeunes professionnels les compétences nécessaires pour pouvoir signer des permis de construire après un dernier examen de contrôle. Cela peut paraître normal, quand on sait que la formation n’est plus centrée sur le projet sur la totalité du cursus de l’étudiant. De manière totalement paradoxale, cette collaboration avec la structure privée des agences, présente le risque d être instrumentalisée par les agences agréées à participer à la HMONP. Les agences agréées pourront ainsi, à loisir rejeter les étudiants qui proviennent de telle ou telle école jugée trop faible et pas assez sensible à la rentabilisation des compétences. C’est ce qui passe pour bon nombre de nos étudiants marocains en architecture inscrits en France, qui ne trouvant pas d’agence à les accueillir finissent par débarquer au Maroc uniquement avec un Master, sans cependant trouver au Maroc, une structure similaire pouvant les accueillir. Il faut noter également que les écoles qui ne jouent pas le jeu des agences se voient souvent sanctionnées par une difficulté à faire accéder leurs étudiants à la licence d'exercice. Elles devront donc, soit se soumettre aux exigences de la profession pour attirer les étudiants, soit subir la sanction de la diminution des inscriptions, les étudiants préférant s'inscrire dans des écoles leur facilitant l'accès à la

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maîtrise d'œuvre. Voila donc un non dit, un risque majeur que fait courir la mise en œuvre de la HMONP aux étudiants. Ce fantasme de mise en situation professionnelle que présente la HMONP, sous couvert de professionnalisation, aurait cependant encore d'autres effets secondaires. Car en instituant une licence d'exercice et en conférant ainsi tout ou partie de la mission de formation des architectes aux instances de la profession, cette réforme dépossède l'enseignement public d'une partie de sa mission et faire perdre de facto à la formation sa raison d’être de former à la conception en dehors de tout mimétisme d’agence. On fait passer ainsi une réforme qui transforme de fait les écoles en "machines à former des infographistes", en remettant en cause de façon irrémédiable , les acquis de la formation généraliste qui permet à l’architecte, en tant que homme d’art, d’avoir une culture solide du projet qui l’habilite à confronter toutes les situations quelque soit l’échelle de leur conception. En dépossédant les écoles d’architecture d’une partie de la formation, la HMONP engage ainsi un double processus de dégradation de la formation des architectes et de la perte de l’autonomie pédagogiques des écoles. Ce ne sont là, que quelques points, qui résument de façon sommaire les effets de la HMONP en France sur la qualité de formation. Il va sans dire que cette modalité modifie de fait, le rôle de l’étudiant lui même dans la société. Elle le place assurément dans une situation d’adaptation conjoncturelle à une profession, en difficulté, plutôt que de permettre aux écoles de mettre en place une réflexion critique à même de transformer la vision de l’architecte. C’est là le fond du problème. Etre un bon professionnel s’acquiert en pratiquant la profession, l’étudiant doit, lui, être préparé à s’y confronter. Ne confondons-nous pas donc, aujourd’hui, études et profession, formation initiale et formation continue ? Pourquoi dès lors valider le dernier échelon d’un cursus universitaire par une évaluation professionnelle d’aptitudes purement techniques ? Et c’est pourquoi les étudiants en architecture engagent, aujourd’hui, me semble t-il, un débat sur leur avenir, celui de la profession mais aussi celui de l'enseignement de l’architecture. Ces questions fondamentales nous ramènent inéluctablement à la problématique de la formation et de son adéquation avec les mutations que connaît notre société. Ce qui nous ramène au deuxième volet de notre réflexion : la formation. 1. La Formation des architectes face aux mutations contemporaines Le Directeur d’architecture au Ministère de l’Habitat, l’Urbanisme et de la Politique de la Ville, vient de déclarer l’ouverture prochaine de six écoles d’architecture, sans expliquer toutefois, les moyens que la tutelle est censé déployer pour encadrer ces écoles et aux moyens de quel projet pédagogique, ces écoles vont pouvoir affronter les défis que confrontent les architectes face aux mutations contemporaines. On ne se sait pas, non plus, si toutes ces écoles seront totalement publiques et si cette décision est le fruit d’une politique murie adossée sur une quelconque doctrine ou tout simplement un vœu pieu empreint de flou artistique. Et c’est pourquoi un débat sur ces questions s’impose avant de se lancer sur un quelconque projet qui risquerait de ne pas répondre aux véritables enjeux que confronte la profession.

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Il est communément admis, qu’une école d'architecture à la différence d’autres écoles, n'a pas pour vocation l'apprentissage exclusif d'une discipline millénaire, mais doit sensibiliser à l'ouverture au monde extérieur, aux autres et à ceux qui ne sont pas nécessairement architectes. Elle doit donc intéresser tous les acteurs et partenaires concernés par la qualité de notre cadre de vie, afin de la mettre en adéquation avec les besoins et mutations que connait notre société. Notre société bouge, en connaissant des réformes importantes. Par conséquent, il me paraît tout à fait essentiel, que l'architecture et le système de son enseignement doit subir aussi, à son tour, des réformes de fond. Pour cela, la formation à l'architecture suppose, bien évidemment, que l'on ait des idées claires à la fois sur l'architecture et sur la pédagogie. Or ces deux domaines traversent aujourd'hui une zone de turbulence, tant au niveau des contenus qu'au niveau des compétences requises pour former des architectes marocains qui exigent une formation de haut niveau, de plus en plus adaptée aux mutations socio économiques, culturelle et politique que connait le Royaume . Le problème, n’en déplaise à certains, n’est pas un problème de gestion ou d’intendance des écoles et du messie qui est cessé de les conduire avec un bâton magique. La question touche surtout au contenu du projet pédagogique des écoles et à son portage par des enseignants qualifiés . La question fondamentale touche donc au contenu de la formation et du profil à former. De quel professionnel aura-t-on besoin dans les décennies à venir? Quel genre de compétences est-il amené à promouvoir dans notre société en mutation ? Quelle évolution peut-on attendre des formes de travail et des relations partenariales avec le monde dans ce secteur ? Cette question alimente un débat quasi permanent en Europe et dans le monde, la formation architecturale fait l'objet d'un certain nombre de réformes dans les universités et les écoles. Ces réformes répondent elles-mêmes à des enjeux de société. Mais qu’en t-il du Maroc ? Avions-nous mené un débat de fond sur ces questions ? Quand Sommes –nous, réellement posé la question du devenir de la profession face à mondialisation des compétences et les adaptations nécessaires que requiert notre système de formation des architectes marocains ? Dans quelle circonstance, en la présence de qui et à quelle destinée ? Voila donc une série de questions qui posent, de mon point de vue, réellement la problématique de la formation. C’est pour cela qu’un débat national sur ces questions s’impose. Une façon de se forger collectivement, l’instrument de réflexion qui permette à la fois d’interroger le projet de ces écoles et de construire sa légitimité sociopolitique et culturelle. Signé : PR.OMRANE CHAOUI

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