Les Nations Unies et le Canada (édition 2014)

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Ce que le Canada a apporté à l’ONU et ce qu’il devrait faire aujourd’hui Sous la direction de John E. Trent

Édition 2014


Édition 2014 Les Nations Unies et le Canada: Ce que le Canada a apporté à l’ONU et ce qu’il devrait faire aujourd’hui Sous la direction de John E. Trent Dédicace: Ce volume 2014 est dédié à Claude Campbell, d’Invermere C.B., dont l’engagement exemplaire envers l’état de droit, le progrès et les droits des personnes par l’entremise du système des Nations Unies a été constant et profond. Cet ouvrage a été préparé et publié en tant que projet du World Federalist Movement – Canada/Mouvement canadien pour une Fédération mondiale - worldfederalistscanada.org Les points de vue et opinions exprimés dans chacun des articles demeurent la seule responsabilité de leurs auteurs. On peut retrouver la publication en ligne dans les deux langues à UnitedNationsandCanada.org Cette œuvre, création, site ou texte est sous licence avec Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transposé. Pour accéder à une copie de cette licence, merci de vous rendre à l’adresse suivante creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0

ISBN: 978-0-9939268-0-8 Pour commander des exemplaires additionnels : Mouvement fédéraliste mondial (Canada) 110-323 rue Chapel Ottawa ON K1N 7Z2 Tel:(613) 232-0647 Courriel: unandcanada@worldfederalistscanada.org Prix: 12$ par exemplaire (expédition comprise)


Préface

Ce que le Canada a apporté à l’ONU et ce qu’il devrait faire aujourd’hui Carolyn McAskie L’objectif de cette publication est de démontrer que les Nations Unies, en tant qu’institution universelle, ou ensemble d’institutions fondées sur leurs membres, sont une composante vitale dès lors qu’il s’agit d’assurer l’avenir de notre planète. Il est donc impossible pour n’importe quel pays, particulièrement pour un pays de l’envergure du Canada, de se dégager de ses obligations d’état-membre. L’engagement est la condition sine qua non de l’appartenance. Si l’une des responsabilités premières d’un gouvernement est de protéger ses propres intérêts dans le monde, l’attitude méprisante du Canada envers les Nations Unies est incompréhensible. Dans un monde perturbé sur tous les plans – incertitudes économiques à l’échelle de la planète, crises politiques, menaces à la sécurité, problèmes liés à l’environnement et à la santé, crises humanitaires sans précédent et sous-développement – il est pratiquement impossible pour n’importe quel gouvernement se faire cavalier seul, du moins s’il a la moindre envie d’influencer le cours des événements et les décisions prises en conséquence. Travailler ensemble n’a rien à voir avec « faire chorus pour de faire des amis », le fameux ‘going along to get along’.

Avant l’avènement du gouvernement actuel, le Canada jouait un rôle majeur aux Nations Unies. Un Canadien, John Humphrey, fut l’un des principaux architectes de la déclaration universelle sur les droits de la personne en 1948. La diplomatie canadienne a encouragé l’élargissement du nombre de membres de l’ONU, la décolonisation, le dialogue nord-sud, le sommet de Rio sur l’environnement et le développement, les négociations en vue d’arrêter l’appauvrissement de la couche d'ozone et les pluies acides, ainsi que les efforts pour mettre fin au régime d’apartheid en Afrique du Sud. Les campagnes en vue de bannir les mines anti-personnel et de réduire le trafic des diamants de la guerre, la création de la Cour pénale internationale et la sensibilisation à la tragédie des enfants soldats font partie des initiatives plus récentes du Canada. Les Canadiens ont travaillé avec d’autres au cours des années pour améliorer et réformer l’ONU en réponse à des impératifs changeants. L’ancien Premier ministre, Lester B. Pearson a gagné le prix Nobel pour sa contribution à la création des opérations de maintien de la paix de l’ONU. Nous avons œuvré en faveur d’une plus grande transparence du Conseil de

BIOGRAPHIE Carolyn McAskie a fait carrière à L’Agence canadienne de développement international et y a été sous-ministre adjointe (SMA) pour les affaires multilatérales, et SMA pour les programmes en Afrique. Elle a passé presqu’une décennie complète aux Nations Unies en tant que Secrétaire générale adjointe pour les Affaires humanitaires, comme RSSG auprès de la mission de l’ONU au Burundi et SGA pour la Consolidation de la Paix (présidant au lancement de la Commission de Consolidation de la Paix nouvellement créée aux Nations Unies).

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Sécurité. Plus récemment, le Canada a financé la Commission qui a créé le concept de la « responsabilité de protéger », permettant de transcender les perspectives désuètes de la souveraineté nationale au service des droits de la personne. Le Canada a toujours été un acteur important aux Nations Unies et y a généralement obtenu beaucoup de succès. Les Nations Unies sont une sorte de hydre à multiples facettes, qui exécute une variété de fonctions par l’entremise de ses divers organes œuvrant dans les domaines réglementaires, humanitaires, développementaux, et des droits de la personne. À cela s’ajoutent les fonctions à forte résonnance dans les domaines politiques et de sécurité. Il s’y déroule chaque jour d’innombrables activités et événements qui nous touchent tous et qui sont règlementés ou supervisés par des agences onusiennes, allant de la sécurité aérienne (via l’Organisation de l’aviation civile internationale basée à Montréal), les systèmes postaux, les télécommunications, au droit du travail, les normes de santé et l’agriculture internationale. Les systèmes encadrant les droits de la personne à l’échelle mondiale, l’aide humanitaire, la coopération au développement, le droit international et la paix et la sécurité internationale fonctionnent tous par l’entremise d’organes appartenant à la famille des Nations Unies. Dans tous les aspects du travail et des décisions à l’ONU, que ce soit au Conseil de sécurité, le programme de l’ONU pour le développement, ou de tout autre organe ou programme membre des Nations Unies, ce sont les états membres qui jouent tous les rôles et qui paient leur écot en conséquence. L’ONU n’est pas une entité en soi qui enclenche unilatéralement des actions internationales. Quand « l’ONU ne peut convenir d’un programme d’action » c’est parce que les états membres ne peuvent ou ne veulent pas s’entendre. Le droit de veto désuet au

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Conseil de sécurité ne fait qu’empirer la situation mais les états membres ont été incapables d’amender la formule de vote. S’il y a des problèmes et des dysfonctionnalités, il appartient aux états membres de les régler. Quitter la table multilatérale par excellence n’est pas une option au 21ème siècle. C’est dans le domaine de la paix et la sécurité que la plus grande confusion règne, tant dans l’esprit du grand public que dans les sorties du gouvernement canadien actuel. Nous vivons à une époque de grandes perturbations politiques. La Syrie, l’Ukraine et le MoyenOrient sont les plus évidents mais d’autres crises qui font moins les manchettes tout en étant également graves abondent : la République centrafricaine, le Mali, la République démocratique du Congo. Si les solutions sont difficiles à identifier, ce n’est pas la faute de l’ONU; le blâme revient aux acteurs réfractaires responsables de la crise et aux acteurs extérieurs atteints de paralysie. De telles crises ne peuvent trouver de solutions que par un engagement constant et soigné. Il en va de même pour les défis à long terme. Par exemple, l’espèce de poudrière complexe qui réunit la pauvreté, la famine, la sécheresse, la dégradation de l’environnement, la mauvaise gouvernance et le terrorisme doit être traitée de façon globale; les gouvernements doivent mobiliser toute la gamme des agences des Nations Unies qui traitent des questions politiques, de sécurité, des droits de la personne, de l’environnement, de développement et de problèmes humanitaires. En matière de maintien de la paix, le Canada – encore imprégné du souvenir vieux de vingt ans des échecs de l’ONU en Bosnie et au Ruanda – refuse de reconnaître les réformes massives à l’ONU qui ont permis la création d’opérations onusiennes multidimensionnelles réussies à Timor Leste, au Kosovo, au Libéria, au Sierra Leone, en Côte d’Ivoire, au Burundi et en Somalie. Nous dénigrons l’absence de


succès de l’ONU dans les conflits au Soudan et en RDC, oubliant que l’opération en RDC n’a jamais mobilisé plus que 20,000 soldats de l’ONU. En comparaison, l’Afghanistan avait plus de 140,000 troupes américaines et onusiennes sans que l’on puisse qualifier l’opération de succès. Le Canada a 118 casques-bleus sur les 98,800 que l’ONU déploie sur le terrain. On parle d’anomalie statistique plutôt que de contribution. Le message est clair : engagez-vous et appuyez ou cessez de critiquer. Notre capacité d’influencer les discussions et les résultats est réduite encore davantage par notre comportement dans de nombreuses agences de l’ONU : le refus de signer le traité régissant le commerce des armes; l’abandon du Protocole de Kyoto; la réduction de notre programme d’aide dont les contributions volontaires à l’ONU; les coupures dans la diplomatie canadienne; le resserrement des restrictions envers les réfugiés. Notre soi-disant position de principe n’a aucune valeur dès lors que nous ne sommes pas un acteur sérieux. Les textes qui suivent ne veulent absolument pas faire croire que l’ONU est parfaite. C’est une organisation qui a toujours besoin de réformes et elle en entreprend régulièrement. La capacité de l’ONU à s’adapter à des conditions changeantes repose sur sa légitimité comme organisation universelle et sur ses principes fondateurs de règlement pacifique des différends, étayés par le développement économique et social et le respect des droits de la personne. Aux Nations Unies, la réforme est une constante. Bien des éléments que ses détracteurs accusent de faiblesse font en fait la force de l’ONU. Des abuseurs des droits de la personne siègent au Conseil des Droits de l’Homme où ils peuvent être mis en examen. Des ennemis, anciens et nouveaux, se font face au Conseil de Sécurité et leurs représentants se parlent entre eux dans les couloirs. C’est vrai

que la Commission de la consolidation de la paix n’a pas fait assez pour reconstruire les états sur sa liste qui se remettent de conflits mais il faut dire que les membres de la commission, dont le Canada, n’ont tout simplement pas livré leurs contributions promises. Alexis de Tocqueville évoquait en 1835 « l’intérêt personnel bien compris ». Le gouvernement canadien a adopté une vision étroite de l’intérêt personnel, axé uniquement sur « ce qui est bon pour le Canada ». Mais l’intérêt personnel bien compris exige une appréciation de l’intérêt des autres – le bien commun – qui est en fait une condition préalable à son propre bien-être à soi. Ce n’est pas un point de vue idéaliste; c’est au contraire une preuve de pragmatisme. Il y va de l’intérêt du Canada, dépendant comme il est du commerce et de la mobilité internationale, d’aider à créer un monde pacifique, démocratique, plus équitable et plus stable. Le concept actuel d’une politique étrangère « fondée sur des principes » se traduit par une vision à court terme étroite, axée principalement sur des questions commerciales ou de politique intérieure. Bien souvent, cette démarche joue à l’encontre des intérêts à long terme du Canada. Le Canada ne peut s’absoudre de ses responsabilités plus vastes en tant que membre des Nations Unies. Nous abandonnerions nos alliés, leur laissant porter le fardeau et perdrions l’occasion d’influencer le cours des événements dans le monde au service de nos propres intérêts à long terme. Nous espérons que nos lecteurs trouveront les contributions de nos auteurs – tous ayant écrit en leurs noms propres – éclairantes et informatives. Si nous pouvons aider les lecteurs à mieux comprendre le monde de l’ONU, nous aurons atteint notre objectif.

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table des matières

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Warren Allmand Un monde, une race humaine, des droits de la personne universels

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Lloyd Axworthy Quand le Canada va-t-il revenir aux Nations Unies ?

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Michael Byers L’ONU et le droit de la mer: de l’Arctique à la Mer de Chine méridionale

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Ferry de Kerckhove Le Canada: absent et invisible

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Walter Dorn Impréparés pour la Paix : Une décennie de déclin du maintien de la paix canadien

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Robert Fowler Pourquoi le Canada n’a pas été élu au Conseil de Sécurité il y a quatre ans et pourquoi nous ne serons jamais élus à moins d’un changement fondamental dans notre politique étrangère

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Louise Frechette Réformer l’ONU, une étape à la fois

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Christian Holz Le Canada, un paria dans l’univers du changement climatique

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Naomi Kikoler R2P – Revenir au jeu? Plus facile qu’on ne le croit!

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Shannon Kindornay Les objectifs de développement durable post-2015 de l’ONU et le Canada

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Peter Langille Revitaliser un Agenda pour la Paix

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Peggy Mason Pourquoi le maintien de la paix de l’ONU est indispensable

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Alex Neve Le Canada, les droits de la personne et l’ONU: tout commence à domicile

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Diana Rivington L’égalité des genres et les Nations Unies: est-ce que le Canada peut revenir dans la course?

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Douglas Roche Le Canada et le mouvement humanitaire pour abolir les armes nucléaires

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Allan Rock L’art de choisir le Secrétaire général: comment améliorer le processus

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Ian Smillie Les Nations Unies et l’aide humanitaire - un peu de respect

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John Trent Repenser les Nations Unies

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Kathryn White Perceptions canadiennes des Nations Unies

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Un monde, une race humaine, des droits de la personne universels Warren Allmand

SOMMAIRE Quand les Nations Unies ont été fondées en 1945, le monde était convaincu que le nouvel ordre international devait être bâti sur une assise de droits de la personne. La Charte comportait plusieurs dispositions importantes à cet égard. Très rapidement, un nombre significatif d’instruments sur les droits de l’homme ont été adoptés, dont la Déclaration universelle des Droits de l’Homme pour laquelle le Canadien John Humphrey a joué un rôle clé. Le dispositif des droits de l’homme à l’ONU a évolué et s’est amélioré au fil des ans bien qu’il soit encore loin d’être parfait. Mais la solution ne consiste pas à affaiblir ou à dissoudre l’ONU. Notre objectif doit être de renforcer la mise en œuvre des procédures et mécanismes d’observation. Dans le passé, le Canada a fait preuve de beaucoup de leadership à l’appui des programmes de maintien de la paix, de développement et de droits de la personne. C’est une fière tradition qui doit être poursuivie et renforcée.

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Le fondement de la doctrine des droits de la personne c’est leur universalité. Ces droits s’appliquent également à tous les êtres humains sans distinction de race, de langue, de religion, de sexe ou d’âge. Ils s’appliquent aux minorités comme aux majorités, à nos alliés comme à nos ennemis, aux Arabes, aux romanichels, aux handicapés, aux pauvres, aux peuples autochtones, et aux personnes souffrant de sous-développement.

rédaction de la Charte des Nations Unies et d’une convention internationale des droits de la personne. D’aucuns reconnaissaient que les autres objectifs de l’ONU (paix et sécurité internationale, plus le développement économique et social) étaient étroitement liés au respect des droits de la personne et devaient être poursuivis ensemble.

En 1945, les Nations Unies ont reconnu qu’il ne pouvait y avoir de paix dans le monde sans respect pour les droits universels de l’homme. La Charte de l’ONU contient plusieurs dispositions importantes à cet égard : le principe de la non-discrimination, le principe de l’auto-détermination des peuples, et l’engagement à la coopération internationale pour promouvoir les droits de la personne pour tous les peuples. La Charte de l’ONU appelait à la création d’une commission des droits de l’homme qui fut créée en 1946 et son premier mandat fut de rédiger la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Animée par les contributions d’Eleanor Roosevelt, René Cassin et du Canadien John Humphrey, la Commission des droits de l’homme a mis un point final à la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 et celle-ci a été adoptée par l’Assemblée générale par un vote de 48 à 0 avec 8 abstentions. C’était une réalisation exceptionnelle, une pierre de touche importante dans l’histoire de l’humanité. Eleanor Roosevelt a décrit la Déclaration universelle comme la « Magna Carta du genre humain ». Il est difficile à croire qu’un document aussi fondamental, avec des préceptes aussi élevés ait été adopté par tant de pays de cultures, religions, langues, races et systèmes politiques différents. Mais à cette époque, la volonté politique était au rendez-vous.

Il faut se souvenir que ces initiatives ont été prises au sortir de la deuxième guerre mondiale au cours de laquelle des abus horribles avaient été commis – le Holocauste, le bombardement indiscriminé d’innocents civils, l’épuration ethnique, des meurtres, des viols et de la torture. Tous ces abus étaient frais dans la mémoire de ceux qui poussaient pour la

Vint s’ajouter à ce dispositif la Convention contre le génocide adoptée par l’ONU la même semaine. Puis l’ONU adopta les quatre Conventions de Genève, définissant les crimes de guerre (1949), la Convention sur les réfugiés (1951), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels


(1967), plus les conventions contre la discrimination raciale (1969), contre l’Apartheid (1971) et contre la torture (1984). Il y eut aussi les conventions établissant les droits des femmes (1981) et les droits des enfants (1989). Tout cela pour dire que les Nations Unies ont connu des succès considérables pour ce qui est d’adopter des normes de droits de la personne applicables au monde entier, à tous les peuples, tous les continents et toutes les races et cultures. Mais il y a eu des problèmes sérieux au plan de leur mise en œuvre. On s’attendait à ce que le plus haut niveau de réalisation serait atteint par l’adoption de législations de mise en œuvre par les états ayant ratifié les conventions, adopté des chartes des droits de l’homme et mis sur pied des commissions de droits de la personne, le tout conformément aux Principes de Paris adoptés par l’ONU en 1993. Il faut noter que le Canada a ratifié toutes les grandes conventions des droits de la personne mentionnées ci-dessus, a adopté des lois en conséquence, mis sur pied des commissions des droits de la personne et adopté une Charte sur les Droits et Libertés. Bon nombre d’autres pays ont fait de même. Néanmoins, on ne cesse de constater un nombre considérable de violations des droits de la personne et des histoires d’horreur – Ruanda, Syrie, Afghanistan, Tchétchénie, Kosovo et Darfour, les romanichels en Europe, les autochtones dans les Amériques.

En fait, aucun état n’est sans faute. Mais la solution ne consiste pas à affaiblir ou à dissoudre l’ONU et les autres institutions internationales. Notre objectif doit être de renforcer les procédures de mise en œuvre et les mécanismes de vérification. L’adoption par les Nations Unies de nombreux instruments liés aux droits de la personne depuis 1945 a illustré la volonté de faire de ces droits une réalité vivante ainsi qu’une condition essentielle pour la paix. La Cour pénale internationale a été créée en 1998; l’examen périodique universel de tous les membres de l’ONU en 2006; et la Responsabilité de Protéger a été entérinée par l’ONU en 2005 tandis que des efforts sont consacrés de nos jours à peaufiner les procédures de mise en œuvre. La tâche qui incombe aux Canadiens et à tout le genre humain est de travailler ensemble à faire avancer la cause de la paix, de la justice et des droits de la personne. Ce ne peut être l’œuvre d’états individuels ou d’une petite coalition d’états. Pour qu’il aboutisse, l’effort doit être universel et entrepris par une Organisation des Nations Unies réformée et efficace. Le Canada dans le passé a fait preuve de beaucoup de leadership à l’appui des opérations de maintien de la paix, du développement et des droits de la personne aux Nations Unies. C’est une glorieuse tradition qui doit être poursuivie et accentuée.

BIOGRAPHIE L’honorable Warren Allmand – P.C., O.C., C.R. - est le président national du Mouvement fédéraliste mondial pour le Canada. Il a été président de Droits et Démocratie (le Centre international des droits de l’homme et du développement démocratique) de 1997 à 2002. Auparavant il a été membre du Parlement pendant 30 ans au cours desquels il a occupé plusieurs postes ministériels, dont ceux de Solliciteur général, ministre des Affaires indiennes et du Nord, et Ministre de la Consommation et des Affaires commerciales

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Quand le Canada va-t-il revenir aux Nations Unies ? Lloyd Axworthy SOMMAIRE Le gouvernement actuel refuse manifestement de s’engager envers les Nations Unies de quelque façon que ce soit. Les Canadiens qui veulent que notre pays soit un acteur pertinent sur la scène internationale peuvent faire plus que simplement se préparer pour les élections de 2015. Des groupes de la société civile, de centres de recherche, d’universités, d’associations de gens d’affaires et, tout particulièrement, les partis politiques doivent repenser et redéfinir la politique canadienne pour déterminer où et comment le Canada peut apporter une valeur ajoutée réelle à une Organisation des Nations Unies rajeunie. Cela ne signifie pas qu’il faille tout réinventer. Il existe déjà de nombreux champs d’action bien établis qui ont défini le Canada sur la scène internationale au cours des sept dernières décennies. Mais les nouvelles technologies peuvent jouer un rôle important, notamment pour renforcer les capacités dans les domaines du maintien de la paix, la diplomatie préventive, la protection des civils, les réponses aux crises humanitaires et aux changements climatiques, parmi d’autres défis qui confronteront indubitablement l’ONU de demain.

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Il peut paraître irréel de réfléchir à la contribution du Canada aux Nations Unies alors qu’en dehors du versement (réticent) de sa quote-part financière et de son rôle (constructif) sur la mortalité maternelle, il n’y a pas grand-chose à dire. Et bien qu’il soit tentant d’adopter un ton prescriptif, il est évident que la plupart des idées ou recommandations ne parviendront jamais dans le livre de breffage du ministre. La réalité, c’est que le gouvernement actuel refuse ouvertement et de façon délibérée de s’engager envers les Nations Unies de quelque façon que ce soit. En fait, il n’est pas intéressé par le travail multilatéral, collaboratif, internationaliste. Dès lors, que devraient faire les Canadiens qui estiment que notre pays devrait être un acteur engagé sur la scène internationale, autrement qu’en tant que pays au combat, jusqu’à ce qu’une échéance électorale puisse entraîner un changement? La question est pertinente. D’abord, il y aura une élection en 2015. Deuxièmement, certains prédisent que les affaires étrangères y constitueront une question importante. Cela ne serait pas si surprenant. Je me rappelle de plusieurs élections au cours desquelles fut débattue la question de notre position sur la scène internationale. Il suffit de penser aux missiles de croisière, au libre-échange, à la guerre en Irak et au traité d’Ottawa sur les mines antipersonnel. Et troisièmement, il est grand temps que l’on envisage sérieusement un changement de démarche pour faire en sorte que le Canada apporte une valeur ajoutée réelle au rajeunissement de l’ONU alors que le consensus international se fractionne, que les questions transnationales se multiplient et que les institutions

internationales survivent de peine et de misère. Cette réflexion renouvelée n’a pas besoin de participation ou d’appui gouvernemental. Il peut s’agir d’un effort public dans une perspective pré-électorale – un travail de groupes de la société civile, de centres de recherche, d’universités, d’associations de gens d’affaires et, tout particulièrement, des partis politiques. Il y a deux aspects importants à souligner ici. Le premier est un axiome dont ces diverses institutions doivent prendre acte: une politique étrangère axée sur des questions de sécurité, de développement et d’environnement doit passer par le prisme des Nations Unies. C’est fondamental pour le bienêtre, la présence et la puissance de notre pays. Par exemple, il est illusoire de se concentrer exclusivement sur le commerce sans prendre en compte le fait que le commerce ne prospère que dans le cadre d’un système global ordonné et basé sur des règles universelles. Deuxièmement, il faut un effort concerté pour que les partis politiques, surtout ceux dans l’opposition, se dégagent de leurs positions régentées par leurs services de communications, et se concentrent sur la façon dont ils gouverneraient dans un monde profondément perturbé par des conflits, des crises environnementales, des pénuries d’eau, avec en outre la concurrence de Vladimir Poutine et d’autres qui veulent recréer des empires. Avant l’élection de 1993, Jean Chrétien m’avait demandé d’organiser une série de forums sur la politique étrangères qui impliqueraient des gens de comtés, des experts et des intervenants de divers horizons, ainsi que des responsables d’institutions internationales. La session de


Vancouver sur les questions liées aux Nations Unies a été au cœur de la stratégie sur la sécurité humaine qui a inspiré la politique de notre gouvernement au cours des dix années subséquentes. Ce type d’entreprenariat politique est essentiel dans notre système politique. Cela ne signifie pas qu’il faille tout réinventer. Il y a déjà des champs d’action bien établis qui ont défini le Canada sur la scène internationale, à commencer par l’appui fondamental aux Nations Unies qui remonte à soixantedix ans, avec différentes interprétations en rapport aux changements dans l’environnement mondial. Nous arrivons à un de ces moments où les principes de la coopération et de l’engagement international demeurent valables mais où la façon de les articuler, de les exprimer et de les mettre en œuvre a besoin d’une révision et d’un recalibrage. Commençons par l’objectif fondamental de la protection des personnes innocentes contre les atrocités et les autres risques imposées à leur existence. C’était l’axe des efforts canadiens quand nous étions membres du Conseil de Sécurité et que fut créée la Commission menant au concept de la responsabilité de protéger (R2P). En 2015, on célèbre le dixième anniversaire de l’adoption de la R2P lors du Sommet mondiale de l’ONU; c’est un moment idéal pour revoir et revigorer le concept. Un rapport du Secrétaire général de 2014 souligne la nécessité de renforcer la capacité de mettre en œuvre des interventions préventives non militaires sous l’égide de la R2P. Il en va de même des autres fonctions de l’ONU, y compris le maintien de la paix. Et j’ajouterais qu’il faut élargir le concept de la R2P au-delà d’une interprétation étroite limitée aux atrocités. Les famines, les épidémies et

la dégradation du climat affectent de façon tout aussi grave des centaines de milliers de gens. Des discussions intéressantes ont lieu sur l’utilisation de nouvelles technologies comme les drones pour réduire les engagements militaires directs et les risques associés. Ces nouveaux outils peuvent être utilisés pour le rétablissement de la paix, l’alerte précoce, la surveillance et l’observation. La technologie numérique peut servir à partager l’information avec les états qui sont menacés autant par une famine que par des milices extrémistes. Certaines ONG font un travail fascinant (par exemple, le « Enough Project » à New York), par exemple en se servant de données économiques et financières pour retracer l’utilisation illégale de métaux par des seigneurs de la guerre pour financer leurs opérations. Cette information est ensuite transmise aux compagnies utilisatrices comme Apple ou Intel afin de mettre fin à ces transgressions. La montée de mouvements de protestation et de résistance non-violents pour renverser des gouvernements autoritaires ou despotiques a donné lieu à des recherches sur l’efficacité de telles tactiques par rapport à des révolutions armées (voir le numéro de juillet/août de Foreign Affairs). Tous ces éléments soulignent le potentiel d’une nouvelle « boite à outils » appliquée à des initiatives sur la R2P, le maintien de la paix, la protection des réfugiés, des sécheresses sur grandes échelles et des famines. Ce sont des questions qui méritent des discussions, un dialogue, des recherches et des partenariats entre Canadiens qui veulent que le Canada joue un rôle constructif comme membre des Nations Unies. Et il ne reste guère de temps pour le faire.

BIOGRAPHIE Jusqu’en juillet 2014, le Dr. Axworthy a été président et vice-chancelier de l’Université de Winnipeg. Sa carrière politique s’est étendue sur 27 ans dont six ans à l’Assemblée législative du Manitoba et vingt-deux au Parlement fédéral. Il a occupé plusieurs postes ministériels dont ministre de l’Emploi et de l’Immigration, ministre responsable pour le Statut de la Femme, ministre des Transports, ministre du Développement des ressources humaines, ministre de la Diversification économique de l’Ouest et ministre des Affaires étrangères de 1996 à 2000. En 1961, il a obtenu un BA du United College (maintenant l’Université de Winnipeg) et un MA et un Ph.D. de l’Université Princeton.

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L’ONU et le droit de la mer: de l’Arctique à la Mer de Chine méridionale Michael Byers

SOMMAIRE En 1969, le superpétrolier SS Manhattan, avec une capacité brise-glace et battant pavillon américain a navigué à travers le Passage du Nord-Ouest sans demander la permission du Canada. Les diplomates du Canada se sont mis au travail, définissant une stratégie pour protéger les intérêts du pays contre d’autres contestations de notre revendication sur le Passage du NordOuest. Un engagement en profondeur dans la négociation et la rédaction de la Convention de l’ONU sur le Droit de la Mer fut au cœur de la stratégie du Canada. En raison du leadership canadien, l’article 234 de la Convention permet aux États côtiers d’adopter des lois contre la pollution marine jusqu’à 200 milles marins des côtes dans l’arctique. Le leadership canadien s’est également retrouvé dans les dispositions de la Convention de l’ONU accordant aux États côtiers une juridiction étendue sur les ressources du sous-sol marin, question de grande importance pour le Canada qui a les plus longues côtes au monde. De l’Arctique à la Mer de Chine méridionale, des pays, partout dans le monde, ont accepté la validité de ces règles. Quand surgissent des divergences d’opinion, elles sont examinées dans un cadre juridique, ce qui réduit les risques de conflits armés.

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En 1969, le superpétrolier SS Manhattan, avec une capacité brise-glace et battant pavillon américain a navigué à travers le Passage du Nord-Ouest sans demander la permission du Canada. Les diplomates du Canada se sont mis immédiatement au travail, définissant une stratégie pour protéger les intérêts du pays contre d’autres contestations de notre revendication sur le Passage du Nord-Ouest. Leur réponse a été la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, que le Parlement a adoptée l’année suivante. La Loi imposait des normes de sécurité et de protection de l’environnement très rigoureuses sur toute la navigation à l’intérieur d’une zone de 100 milles marins au large de la côte de l’Arctique canadienne. Ce faisant, le Canada s’est trouvé à étirer les limites du droit international qui, à l’époque, ne reconnaissait pas le droit des états côtiers à plus de 12 milles marins de la côte. Les États-Unis ont déclaré que la Loi canadienne sur la prévention de la pollution des eaux arctiques était illégale mais les diplomates canadiens ont maintenu la pression. Ils ont consacré leurs efforts sur le processus de négociation qui commençait aux Nations Unies en vue de produire une Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer acceptable à l’échelle mondiale. Le Canadien Alan Beesley a été élu président du comité de rédaction ce qui le plaçait au cœur de la

diplomatie des grandes puissances. Lors d’une session à huis clos avec uniquement les délégations américaine et soviétique, Beesley a obtenu leur accord sur l’Article 234 de la Convention de l’ONU, intitulé « l’exception arctique » qui permet aux états côtiers d’adopter des lois contre la pollution maritime jusqu’à 200 milles marins de la côte quand la présence de glace à l’année longue crée des dangers exceptionnels pour la navigation. La Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques était légitimée à l’échelle internationale juste 12 ans après son adoption par le Canada. Tout aussi important, l’Article 234 a suscité le développement d’une règle parallèle de « droit international coutumier » qui est considérée de nos jours contraignante pour tous les pays – y compris ceux, comme les États-Unis, qui n’avaient pas encore ratifié la Convention de l’ONU. De fait, aujourd’hui, les États-Unis recommandent que les navires marchands battant pavillon américain respectent la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques quand ils naviguent près ou dans les eaux arctiques canadiennes. Beesley et ses collègues ont réussi à faire avancer les intérêts du Canada pour ce qui est des ressources océanes. Selon la Convention de l’ONU, chaque état côtier a droit à 12 milles marins de mer territoriale de même qu’une « zone économique exclusive » de 12 à 200 milles marins où, comme le nom l’indique, le


pays a des droits exclusifs sur les ressources de la colonne d’eau, des fonds marins et du sous-sol. Les diplomates canadiens ont aussi reconnu que les nouvelles technologies et les prix plus élevés mèneraient éventuellement à l’exploitation du pétrole, du gaz et des minerais à plus de 200 milles marins de la côte, y compris les eaux relativement moins profondes près des côtes atlantiques et arctiques du Canada. Ils ont aidé à rédiger l’article 76 de la Convention de l’ONU qui accorde aux états côtiers des droits sur un « plateau continental étendu » au-delà des 200 milles marins si la profondeur et la forme du sous-sol et l’épaisseur des sédiments sous-marins révèlent « un prolongement naturel » du plateau côtier. L’article 76 stipule que l’existence d’une prolongation naturelle est une question de science, non de compétence technique ou de puissance militaire, et il précise les règles détaillées sur les critères géographiques et géologiques qui doivent être remplis. Les pays qui veulent revendiquer une extension du plateau continental doivent présenter des éléments de preuve scientifique à l’appui à la Commission des limites du plateau continental de l’ONU, un organisme composé entièrement de scientifiques. La Norvège a présenté sa demande en 2006 et le Canada, le Danemark, et la Russie s’apprêtent à présenter leurs demandes respectives prochainement. Même les États-Unis, bien que n’ayant pas encore ratifié la Convention de l’ONU, ont coopéré avec le Canada

pour recueillir des données scientifiques du sous-sol marin au nord de l’Alaska pour étayer une revendication éventuelle. Tout le monde bénéficie de ces règles. Rien que la dimension de l’Océan Arctique et la longueur des côtes non contestées signifie que la Russie peut légitimement revendiquer une extension du sous-sol marin plus grand que l’Europe. Le Canada, qui possède la plus longue côte au monde, pourrait revendiquer une surface plus grande que l’Alberta et la Saskatchewan ensemble. Plus important, les pays qui n’ont pas de côte sur l’Océan Arctique acceptent la validité de ce processus parce que les règles ont une application mondiale. La Chine, par exemple, se sert de l’article 76 pour appuyer ses revendications sur le sous-sol marin dans la Mer de Chine Orientale. Elle a recours à d’autres dispositions de la Convention de l’ONU pour appuyer des revendications totalement différentes dans la Mer de Chine Méridionale et bien que ces revendications soient contestables, le fait que le différend est exprimé en termes juridiques réduit le risque de conflit armé.

BIOGRAPHIE Michael Byers est titulaire de la Chaire de Recherche du Canada en politique mondiale et droit international à l’Université de Colombie britannique. Le Dr. Byers est l’auteur de «International Law and the Arctic » (le droit international et l’Arctique) qui a gagné le prix Donner 2013 pour le meilleur ouvrage de politique publique au Canada.

Alors, la prochaine fois que quelqu’un dit que l’Arctique est accessible à tous, que le Canada se doit d’y aller ou de le perdre, ou que la Chine se comporte de façon débridée dans les mers de Chine orientale et septentrionale, parlez-leur de la Convention de l’ONU sur la Loi de la Mer – et du rôle central que le Canada a joué dans sa négociation.

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Le Canada: absent et invisible Ferry de Kerckhove Le gouvernement Haper ignore le monde des organisations internationales ou s’en sert à la carte tout en critiquant le menu. Il a été vociférant dans ses critiques des positions de l’ONU sur la crise au Moyen-Orient. Le ministre des Affaires étrangères Baird a rappelé à l’ordre Navi Pillay, la hautecommissaire sortante aux droits de la personne, l’accusant d’être profondément mal informée quand elle a évoqué la possibilité qu’Israël ait commis des crimes de guerre à Gaza.

SOMMAIRE Le gouvernement du Canada continue à avoir une relation difficile avec le monde multilatéral. Il est très dénigrant envers l’ONU, particulièrement en ce qui concerne le Moyen-Orient et la sécurité d’Israël. La réalisation que le Canada n’est plus considéré comme un partenaire impartial ou fiable, même de la part de ceux qui partagent nos valeurs, devrait inciter le gouvernement à s’ouvrir au monde multilatéral. Le Premier Ministre devrait annoncer à l’AGNU que le Canada « revient au jeu » mais alors des actes devraient suivre la parole.

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Le gouvernement se fiche de la réputation du Canada à l’étranger. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le Canada ne soit plus considéré comme un partenaire fiable et impartial dans les forums multilatéraux. Mais cela ne dérange visiblement pas un gouvernement dont le mot d’ordre en politique étrangères semble être « nous ne faisons pas chorus pour nous faire des amis », le fameux “we don’t go along to get along.” Certains diplomates étrangers ont rétorqué en privé qu’eux aussi pourraient ne pas « faire chorus » avec le Canada parce que les relations ne sont plus aussi amicales qu’auparavant. La compassion n’est guère à l’ordre du jour dans le gouvernement Harper. Il a fait preuve d’une compréhension limitée et de manque d’impartialité sur les crises au Moyen-Orient, restant muet face à l’expansion continue de la colonisation israélienne. Sa campagne agressive aux Nations Unies contre la demande palestinienne d’obtenir le statut

d’observateur à l’Assemblée générale des Nations Unies ne contribue nullement à la paix et à la stabilité dans la région. Le gouvernement actuel a tendance à adopter des positions systématiquement antagonistes face à presque toutes les questions internationales, déblatérant à tout propos, ignorant même les intérêts de son plus proche allié, notamment en n’offrant pas immédiatement son appui aux États-Unis alors que ceux-ci entamaient une négociation difficile avec l’Iran. Le gouvernement a beaucoup de mal à comprendre que la poursuite des intérêts nationaux du Canada sur la scène internationale exige une plus grande attention aux intérêts des autres. Cela explique sans doute pourquoi le Canada compte pour si peu aujourd’hui. Quand le Président des États-Unis a donné la liste des pays qu’il consultait sur l’Ukraine, le Canada n’était pratiquement pas mentionné. La coopération multilatérale ne semble plus être notre mode d’opération. Notre Premier Ministre fait cavalier seul, « True North, Strong and Free » avec peu d’égards pour ce que font les autres pays – même quand, par chance, les objectifs sont les mêmes. Bien que le gouvernement canadien est fier de ce qu’il pense avoir accompli dans le domaine de la mortalité maternelle et infantile – tout en imposant des politiques très restrictives sur les droits génésiques – sa démarche a été très Canada-centrique. Le Canada travaille avec l’Organisation mondiale de la Santé, le


Fonds des Nations Unies pour la Population et la Banque mondiale sur cette initiative mais il les considère comme de simples agences d’exécution et non comme des éléments vitaux du patrimoine mondial. Même le langage utilisé pour décrire l’initiative ne donne pas l’impression d’un partenariat étroit : « En collaboration avec des partenaires multilatéraux et mondiaux (comme des organismes des Nations Unies), le Canada travaille dans les pays où les besoins sont les plus grands… » Et John Baird est désinvolte au sujet de la réforme des Nations Unies : « Il est beaucoup plus important d’examiner ce que les Nations Unies réalisent, et non pas la façon dont elles mènent ses affaires. » L’année dernière, le Premier Ministre est allé une fois de plus à New York au moment de l’Assemblée générale de l’ONU mais il n’a pas voulu livrer le discours du Canada à l’ouverture de l’AGNU. M. Harper semblait plus à l’aise dans les réunions intergouvernementales comme le G-8. Mais il semble que plus récemment le PM tend à vouloir jouer cavalier seul, demeurant invisible à moins qu’il n’ait réussi à antagoniser ses alliés les plus proches comme dans le cas de l’initiative américaine avec l’Iran ou les négociations animées par John Kerry entre Israël et les Palestiniens. Devenir citoyen du monde n’est pas une motivation particulièrement forte. Il est difficile de modifier la perspective du gouvernement Harper sur les organisations

international parce qu’il estime n’avoir rien à apprendre du monde multilatéral. Étant donné les crises qui surviennent un peu partout dans le monde d’aujourd’hui, tôt ou tard, le Canada devra rejoindre la grande tente multilatérale parce que c’est dans les salles et les couloirs de l’ONU qu’un grand nombre de ces questions seront traitées. Le Canada devrait y être. S’il croit vraiment tenir le haut du pavé sur les questions de droit, d’éthique et de justice, le gouvernement Harper devrait être prêt à en discuter quand elles sont débattues multilatéralement plutôt que de se contenter de multiplier les expressions de déplaisir et les condamnations. Le Premier Ministre devrait annoncer à l’AGNU cette année que le Canada « revient au jeu » mais il faudra que la parole soit suivie d’actes. Sinon le monde devra simplement attendre la relève de la garde au Canada. Bien que les questions de politique étrangère ne jouent généralement pas un grand rôle dans les élections, la perception négative du Canada dans le monde multilatéral, la réalisation que le Canada n’est plus considéré comme un partenaire fiable, devrait néanmoins être un signal important. Le gouvernement a besoin de rassurer les Canadiens et le monde que la coopération multilatérale fait partie à nouveau du narratif de politique étrangère.

BIOGRAPHIE Ferry de Kerckhove est entré au ministère des Affaires étrangères en 1973. Il a été en poste en Iran, à l’OTAN, à Moscou, Haut-commissaire au Pakistan, ambassadeur en Indonésie, ambassadeur en Égypte. Il a pris sa retraite en 2011. Il est chercheur invité à l’École supérieure des affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, chercheur à l’Institut canadien de la défense et des affaires étrangères et Vice-président exécutif de l’Institut de la Conférence des Associations de Defence. Il siège au Conseil de WIND Mobile Canada et est président de Ferry de Kerckhove International Consultants Inc.

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Impréparés pour la Paix : Une décennie de déclin du maintien de la paix canadien A. Walter Dorn SOMMAIRE La réputation internationale du Canada comme contributeur prolifique et efficace au maintien de la paix est en déclin depuis plus d’une décennie en raison du désengagement du pays à l’égard des opérations de maintien de la paix. Cette perte d’expérience à l’étranger est aggravée par la perte d’entrainement à domicile, ce qui laisse le Canada impréparé à tout réengagement dans des opérations de maintien de la paix à un niveau comparable au sien dans le passé. À mesure que les vétérans du maintien de la paix des années 90 prennent leur retraite, et que les cours et exercices qui ont été élaborés pour préparer les officiers à faire face aux défis uniques des déploiements de maintien de la paix ont été coupés, les options futures de politique étrangères du Canada sont affectées et offrent moins d'avenues. Étant donné les demandes internationales dans l’ère postAfghanistan, il y a un certain nombre de mesures que les Forces canadiennes et le gouvernement peuvent prendre pour reprendre du service au maintien de la paix.

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Le maintien de la paix occupe une place de choix dans l’histoire et l’identité canadienne. Les Canadiens savent que Lester B. Pearson a proposé la création de la première force de maintien de la paix pour épargner au monde une guerre lors de la crise de Suez en 1956, ce qui lui valut le Prix Nobel de la Paix. Jusqu’au milieu des années 1990, le Canada était le plus grand contributeur de troupes de maintien de la paix pendant la Guerre Froide et le seul pays à avoir contribué à chaque mission de l’ONU. Du Cachemire au Congo, de la Bosnie à l’Éthiopie, les soldats canadiens ont été à l’avant plan de l’ordre mondial, ayant concouru à la paix dans des pays déchirés par la guerre. Cette contribution est toujours reconnue par la Médaille canadienne du maintien de la paix qu’ils ont le droit d’arborer. Le Monument national du maintien de la Paix (dénommé « Réconciliation ») à Ottawa est un autre témoignage de leurs contributions, de même que la silhouette d’une femme sur le billet de dix dollars arborant un béret bleu sous une bannière où l’on peut lire “Au Service de la Paix – In the Service of Peace.” Mais qu’est-il advenu de cet héritage ? Le Canada est-il le prolifique contributeur au maintien de la paix de naguère? Malheureusement, la réponse est non. Bien que le Canada ait jadis contribué jusqu’à 3000 troupes au maintien de la paix, il n’en fournit aujourd’hui que 34 – pas assez de quoi remplir un autobus scolaire. Bien que les Nations Unies maintiennent actuellement (juillet 2014) plus de 80,000 soldats sur le terrain, le niveau le plus élevé à ce jour, le Canada a maintenu son contingent au niveau le plus bas

depuis 2006. Deux mois après l’arrivée des Conservateurs au pouvoir, le Canada a retiré ses 200 logisticiens des hauteurs du Golan alors que cette mission de l’ONU continue à servir de tampon important entre Israël et la Syrie qui est en proie à une dangereuse guerre civile. Après 2001, au lieu du maintien de la paix, le Canada s’est mis à faire la guerre, dépensant des milliards de dollars en Afghanistan pour essayer sans succès de vaincre les Talibans et apporter la stabilité au pays. Les Forces canadiennes se sont transformées en une force militaire avec une seule mission et l’Afghanistan comme seul objet d’attention. En une décennie, opérant dans un seul pays, il y a eu plus de soldats canadiens tués qu’au cours de six décennies de maintien de la paix dans plus de 40 pays. Pire encore, au cours de la dernière décennie, les Forces canadiennes (FC) ont permis un déclin majeur dans la formation et l’éducation en maintien de la paix – ce que l’on appelle les opérations en appui à la paix (OAP) dans la terminologie et la doctrine militaire canadienne. Le retrait par le gouvernement de l’appui au Centre Pearson du Maintien de la Paix a entraîné la liquidation de cette institution unique, ce qui signifie que les soldats ne pouvaient plus suivre une formation sur les opérations de paix multidimensionnelles en même temps que des civils et des officiers étrangers. Plus globalement, les FC n’offrent que la moitié des activités de formation en maintien de la paix par rapport à il y a dix ans. Il est à noter que dans les exercices et simulations de formation, les officiers canadiens ne jouent plus les rôles des forces onusiennes comme par le passé. Dans le programme pour


le commandement conjoint et le personnel, les officiers planifient et modèlent les opérations d’une alliance, parfois explicitement identifiée comme étant l’OTAN mais on ne leur offre plus la possibilité de le faire du point de vue d’une mission de l’ONU ou de passer en revue les procédures et pratiques de l’ONU. La mission de combat à Kandahar, en Afghanistan de 2006 à 2011, a indubitablement donné au personnel des FC une expérience valable en termes d’opérations de contre-insurrection. Bien qu’il existe une certaine similitude entre ces types de mission et les opérations internationales de maintien de la paix, il y a aussi des différences fondamentales dans la formation, la préparation et la pratique. Le maintien de la paix exige une formation spécialisée dans la mesure où c’est une tâche plus complexe et conceptuellement plus difficile que la guerre. La guerre et la contre-insurrection appellent une stratégie centrée sur l’ennemi, ont un caractère nonconsensuel et sont essentiellement offensives, tandis que le maintien de la paix est fondé sur une trinité de principes : impartialité, consentement des parties au conflit et approche défensive dans le recours à la force même si des actions robustes d’imposition de la paix sont parfois nécessaires. Il faut donc un changement majeur de mentalité pour proprement préparer les FC postAfghanistan pour des opérations de paix futures. Des aptitudes spéciales, distinctes de celles apprises en Afghanistan, sont nécessaires, y compris l’art de la négociation, la gestion et la résolution de conflit de même qu’une compréhension des procédures de l’ONU et des missions de maintien de la paix antérieures.

Ainsi, un effort concerté est nécessaire pour revitaliser les aptitudes des forces canadiennes en maintien de la paix si elles doivent aider de façon constructive les Nations Unies dans un monde rempli de conflits. Comparativement au passé, dans les années à venir il y a peu de chances que l’on voie des coalitions armées dirigées par les États-Unis; les militaires canadiens n’ont donc guère d’alternatives pour rendre l’armée utile à l’avenir sur le terrain. Le maintien de la paix fait progresser aussi bien les valeurs que les intérêts du Canada pour l’instauration d’un ordre international stable, pacifique, fondé sur l’état de droit, qualités qui lui font cruellement défaut à l’heure actuelle. Il y a un besoin constant de forces de maintien de la paix bien entraînées et bien équipées. Le retour du Canada au maintien de la paix serait célébré par les Nations Unies et la communauté internationale. Un tel développement pourrait aider notre pays à acquérir plus d’influence et de notoriété, y compris pour un futur siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, tout en donnant aux Canadiens quelque chose d’encore plus important : un sens renouvelé de fierté dans la contribution de leur nation à un monde meilleur et plus pacifique. Autres textes de l’auteur sur le sujet:

BIOGRAPHIE A. Walter Dorn est professeur en études de défense au Collège royal militaire et au Collège des forces canadiennes. Il enseigne à des officiers supérieurs et intermédiaires du Canada et d’une vingtaine d’autres pays. Il siège actuellement au groupe d’experts de l’ONU sur la technologie et l’innovation dans le maintien de la paix à l’ONU. Adresse courriel : dorn@rmc.ca.

“Canadian Peacekeeping: Proud Tradition, Strong Future?” Canadian Foreign Policy, Vol. 12, No. 2 (Fall 2005), pp.7-32, available at http://walterdorn.org/pub/32. “Canadian Peacekeeping: No Myth But Not What It Once Was”, SITREP, Vol. 67, No. 2, Royal Canadian Military Institute, 2007, available at http://walterdorn.org/pdf/CanadianPeacekeepingNoMyth_Dorn_SitRep_April2007.pdf.

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Pourquoi le Canada n’a pas été élu au Conseil de Sécurité il y a quatre ans et pourquoi nous ne serons jamais élus à moins d’un changement fondamental dans notre politique étrangère SOMMAIRE Les politiques insensibles, du style “moi d’abord », du gouvernement actuel ont causé un tort irréparable à la réputation du Canada aux Nations Unies, notamment lors de notre campagne en 2010 pour un septième mandat au Conseil de Sécurité. La politique environnementale du Canada demeure un fiasco. Le Canada avait pris des positions fermes dans la lutte mondiale contre la dégradation de l’environnement, en commençant par Stockholm en 1972 et travaillant fort au fil des ans pour pousser à la mise en place d’un traité mondial sur le climat. Notre décision en décembre 2011 d’être le premier pays à nous retirer de Kyoto constitua un choc pour notre réputation internationale dont nous n’avons pas encore commencé à nous remettre. Mais il y a de nombreux autres exemples. De la politique pro-Israël envers et contre tout au Moyen-Orient à la contribution statistiquement insignifiante au maintien de la paix à l’ONU, on ne peut guère s’étonner de ce que le Canada ait perdu tant d’appuis et que notre réputation ne sera pas rétablie tant que le Canada n’adoptera pas des positions sur les questions internationales qui seront perçues comme étant bonnes pour le monde en plus d’être bonnes pour le Canada.

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Robert R. Fowler Qu’elle est méprisante, dédaigneuse et – j’insiste – non canadienne la béate simplicité de l’expression Harper-Baird « Le Canada ne se contente pas d’être accommodant pour éviter de faire des vagues » (le fameux “we won’t go along to get along”). Mais c’est cette attitude arrogante, du moi d’abord, du « c’est moi qui ai raison et allez-vous faire pendre » accompagnée d’un manque total de sensibilité, qui a démoli la candidature du Canada pour un septième mandat au Conseil de Sécurité il y a quatre ans. Tant qu’elles ne changeront pas, ces attitudes feront en sorte que le Canada sera exclu de tout rôle important au sein de la communauté des nations. De fait, ce que nous avons mis sur la table pour étayer notre candidature au Conseil de Sécurité à l’automne 2010 était insignifiant et les diplomates canadiens à New York et ailleurs dans le monde n’ont rien pu faire pour cacher ce fait en dépit de leur travail acharné. Les nations du monde, votant selon leurs intérêts, ne croyaient pas qu’elles avaient encore besoin du type de Canada qu’elles avaient eu au Conseil par le passé. Quelle sottise que de soutenir que notre défaite était un triomphe de nos valeurs sur les leurs ! La politique environnementale du Canada était – et

demeure – un fiasco. Le Canada avait pris des positions fermes dans la lutte mondiale contre la dégradation de l’environnement, en commençant par Stockholm en 1972 et travaillant fort au fil des ans pour pousser à la mise en place d’un traité mondial sur le climat. Le protocole de Montréal visant à l’élimination des matières endommageant la couche d’ozone fut un bon début. Aussi ardues qu’elles l’aient été, nos obligations comme signataire du protocole de Kyoto représentaient un engagement formel; aussi notre décision en décembre 2011 d’être le premier pays à nous retirer de Kyoto constitua un choc pour notre réputation internationale dont nous n’avons pas encore commencé à nous remettre. Par la suite, le Canada annonçait son intention de devenir le premier – et le seul – pays à se retirer de « la Convention de l’ONU pour combattre la désertification ». 194 états étaient devenus parties à la convention après son adoption en 1994. Imaginez pour un instant comment ces états désespérément appauvris, souffrant l’avancée quotidienne du Sahara, se sentent devant l’insistance de M. Harper à dire que de tels efforts sont un pur bavardage et que notre contribution annuelle de 350,000 $ est un gaspillage d’argent. Pour les 37 membres de l’Alliance des petits états insulaires, le changement climatique est une question


existentielle. Si on ne règle pas la question, ils seront sous l’eau. Quand on leur a offert l’occasion de voter sur le mépris du Canada pour leurs préoccupations, ils l’ont fait avec clarté. Notre refus de comprendre – voire, d’exprimer un peu de sympathie – face à des angoisses aussi profondes a solidement détruit la réputation de notre pays.

sécurité internationale plus difficile que jamais – dont la gestion incombe au Conseil de Sécurité. Le professionnalisme militaire canadien, son intégrité et sa détermination font beaucoup défaut à l’ONU. De fait, ces jours-ci, le Canada est tout simplement absent de la discussion sur la meilleure façon de gérer les affaires internationales.

J’ai mis l’accent sur la mesure dans laquelle la position du Canada sur les questions environnementales a conduit une grande partie de la communauté mondiale à perdre confiance en nous, à ne plus croire à ce que nous disons et à mésinterpréter nos motifs. Mais soyez rassurés, nous avons offert à la communauté mondiale de nombreuses raisons pour ne pas nous appuyer. Aux yeux des 57 membres de l’Organisation de la Conférence islamique à l’ONU, l’insistance du gouvernement Harper à donner raison à Israël envers et contre tout, rejetant toute critique et traitant les autres pays de la région avec un dédain à peine voilé, est simplement intolérable.

Tels sont les domaines dans lesquels au cours des 60 premières années de l’existence de l’ONU le Canada a exercé une influence démesurée. En étant un citoyen exemplaire de l’ONU, au cours de six décennies successives, nous avons été en mesure de gagner les élections au Conseil de Sécurité, en dépit du fait que le nombre de membres de l’Organisation a quadruplé pendant cette période. La campagne à la fin des années 90 a été dure mais je n’ai jamais douté que nous l’emporterions. Le Canada et les Canadiens bénéficiaient d’un énorme capital de sympathie et de respect au sein de l’Organisation. On nous jugeait justes mais fermes, équilibrés et fidèles aux principes, mais toujours sensibles aux angoisses et préoccupations des autres tout en étant très clairs quant à la promotion et la projection de nos valeurs et convictions en plus d’être commis envers l’excellence de l’Organisation.

Puis il y a eu la décision du gouvernement Harper de « quitter »l’Afrique - qui compte pour 70% des travaux du Conseil de Sécurité - le continent le plus vaste et le plus divers, un milliard de gens dans 54 pays différents – et autant de votes, pourtant une région que notre gouvernement juge sans intérêt. Au cours des dernières années, notre contribution au maintien de la paix de l’ONU est devenue statiquement insignifiante dans un environnement de

BIOGRAPHIE Bob Fowler a été conseiller de politique étrangère des Premiers ministres Trudeau, Turner et Mulroney, Sousministre de la Défense nationale, l’ambassadeur canadien ayant servi le plus longtemps à l’ONU, ambassadeur en Italie et représentant personnel pour l’Afrique des Premiers ministres Chrétien, Martin et Harper. Il a pris sa retraite en 2006 et est maintenant professionnel en résidence à l’École supérieure des Affaires publiques et internationales.

Nous avons gaspillé notre belle réputation et elle ne sera pas rétablie tant que le Canada n’adoptera pas des positions sur les questions internationales qui seront perçues comme étant bonnes pour le monde en plus d’être bonnes pour le Canada.

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Réformer l’ONU, une étape à la fois Louise Fréchette Il n’y a pas de discussion sur les Nations Unies qui n’aboutit pas à une semonce de réforme. Quelle réforme et à quelle fin ? Jamais très clair si ce n’est l’expression d’un espoir qu’émerge une organisation plus efficace et en meilleure posture pour mettre fin aux conflits, faire respecter les droits de la personne et éliminer la pauvreté.

SOMMAIRE Il n’y a pas de discussion sur les Nations Unies qui n’aboutit pas à une semonce de réforme. Les candidats-réformateurs feraient bien de commencer par prendre acte des nombreuses façons dont l’ONU a changé avec le temps, particulièrement depuis la fin de la Guerre froide. Des réformes majeures ont été mises en œuvre dans tous les champs d’action de l’ONU, y compris le maintien de la paix, les droits de la personne, la justice criminelle, de même que dans le travail humanitaire et le développement. Les politiques et pratiques du Conseil de sécurité ont également évolué de façon significative. Rebâtir l’ONU de A à Z, à la façon de Bretton Woods n’est pas un objectif réaliste mais une réforme étape par étape est tout-à-fait possible.

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Les candidats-réformateurs feraient bien de partir de l’ONU telle qu’elle est aujourd’hui plutôt que du fruit de leur imagination. Loin d’être une organisation sclérosée comme la dépeignent ses détracteurs, l’organisation mondiale ne cesse d’évoluer. La période post-guerre froide a été particulièrement fertile à cet égard. Le maintien de la paix est un exemple par excellence de la transformation considérable du rôle joué par l’ONU. Au début, les missions se limitaient à observer les cessez-le-feu. De nos jours, elles supervisent chaque aspect de la vie d’un pays après un conflit, y compris la protection des populations civiles, au besoin en ayant recours à des mesures militaires. Les missions de maintien de la paix modernes font appel à des officiers de police, des spécialistes électoraux, des experts judiciaires, et bien d’autres. Inutile de dire que les doctrines, règles d’engagements, systèmes administratifs, et bien d’autres volets ont dû être complètement refondus pour que l’ONU soit en mesure de déployer, maintenir et commander les

quelque 100,000 personnes qui sont actuellement sur le terrain au service de ces missions multi-facettes de maintien de la paix. Le début des années 1990 a aussi connu une expansion majeure du rôle de l’ONU dans le domaine des droits de la personne. La création en 1993 du poste de Haut-commissaire aux droits de l’homme a donné à l’ONU une nouvelle voix très puissante. L’architecture institutionnelle a été renforcée en 2006 par la transformation de la Commission des droits de l’homme en un Conseil à part entière avec des pouvoirs renforcés. Des ressources financières importantes ont été injectées dans le système, permettant ainsi le, ou la, Haut-commissaire de déployer des missions de droits de la personne aux points chauds du globe. La question de la justice criminelle a connu une progression dramatique avec la formation, en 1993, du tribunal ad hoc pour l’ancienne Yougoslavie, qui devait être suivi peu de temps après par une disposition similaire pour le Ruanda. C’est ainsi que fut ouverte la voie à la création de l’organe permanent de la Cour pénale internationale en 2002. Nous en sommes encore à une première phase mais la Cour pourrait devenir un puissant instrument pour rendre les leaders imputables pour leurs actions. En dépit d’années de discussions, la composition du Conseil de Sécurité demeure inchangée, mais ses politiques ont beaucoup évolué avec le temps. Il traite


maintenant de façon régulière de conflits se produisant à l’intérieur des pays. Les droits de la personne et les considérations humanitaires influencent beaucoup plus les décisions que par le passé. Le Conseil a innové en ayant recours à des sanctions ciblées et en établissant des objectifs et des normes sur des questions comme la protection des civils et les enfants soldats. Ses membres vont même jusqu’à voyager dans les zones de conflit pour se rendre compte eux-mêmes de la situation sur place. Le côté humanitaire du système onusien a aussi été renforcé grâce à une meilleure coordination, des arrangements prévisionnels et un fonds renouvelable de 450 millions de $ pour permettre des réponses immédiates à des désastres humanitaires. Les agences, fonds et programmes de l’ONU œuvrant dans le domaine du développement opèrent maintenant dans le cadre d’un programme par pays unique, sous la direction d’un coordonnateur de pays commun. Il s’agit là de quelques exemples de la façon dont l’ONU a évolué et s’est adaptée au cours des deux dernières décennies. Certains de ces changements ont été le fruit de propositions de réforme globales, souvent amorcées par le Secrétaire général. D’autres ont été le résultat de réponses au jour le jour à des circonstances évolutives. Rien de tout cela ne signifie que l’ONU dessert le monde comme elle devrait le faire. Ce n’est absolument pas le cas et il y a beaucoup de place pour

plus de réforme et davantage d’innovation. De fait, on serait tenté de suggérer que l’ONU soit rebâtie de A jusqu’à Z, en partant de la base. Mais les gens qui rêvent d’un nouveau moment de grâce à la Bretton Woods se retrouveront très seuls au réveil. À moins d’un cataclysme à l’échelle de la deuxième guerre mondiale, il est difficile d’imaginer que la communauté internationale puisse convenir d’une refonte aussi ambitieuse du système international. On réalisera beaucoup plus de progrès en y allant une étape à la fois. Au départ, tout succès exige une volonté d’investir du temps et de l’énergie pour promouvoir et expliquer les réformes proposées aux états membres. Les grandes déclarations péremptoires n’aident en rien. La bonne vieille diplomatie est une meilleure recette. Il faut aussi choisir son moment. L’expérience démontre qu’un consensus peut être atteint sur des réformes en profitant de conditions politiques favorables. Enfin, on ne peut attendre de réformes institutionnelles plus qu’elles ne peuvent livrer. Un « gouvernement mondial » libéré des intérêts nationaux n’est tout simplement pas à l’ordre du jour. Jusqu’à nouvel ordre, l’ONU continuera d’être un instrument aux mains des états membres. Et comme tout outil, elle ne fera pas le travail si les propriétaires ne veulent pas s’en servir.

BIOGRAPHIE Madame Louise Fréchette est présidente du Conseil de CARE Canada et est membre du Conseil de CARE International. De 1998 à 2006, Madame Fréchette a été ViceSecrétaire général des Nations Unies. Avant ce mandat, elle a poursuivi une carrière au sein de la fonction publique du Canada. Elle a été ambassadeure en Argentine et en Uruguay (1985-1988), ambassadeure et représentante permanente auprès des Nations Unies (1992-1988), sous-ministre associée des Finances (1995) et sous-ministre de la Défense (1995-1988). Madame Fréchette a fait ses études à l’Université de Montréal et au Collège de l’Europe à Bruges. Elle a reçu de nombreuses distinctions et diplômes honorifiques. Elle est Officier de l’Ordre du Canada.

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Le Canada, un paria dans l’univers du changement climatique Christian Holz

SOMMAIRE L’élaboration d’une politique international sur le changement climatique doit aboutir à un nouvel accord en 2015. Celui-ci doit être extrêmement ambitieux et susciter une vaste coopération internationale, fondée sur l’équité, la confiance, l’imputabilité et la transparence. Bien qu’il s’agisse là de valeurs canadiennes traditionnelles, le Canada n’est pas en mesure de nos jours de les promouvoir de façon efficace en raison de son statut de paria dans le dialogue international sur le climat, notamment à cause de nombreuses ruptures d’engagements. Pour regagner la confiance des pays du monde et redevenir un partenaire international respecté, le Canada doit commencer par mettre de l’ordre dans sa politique nationale sur le climat et assumer pleinement ses responsabilités et mettre sa capacité d’action au service d’une vision ambitieuse et urgente au sein des grandes coopérations internationales sur le changement climatique.

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La biennale actuelle (2014-2015) offre des occasions exceptionnelles pour faire avancer la coopération internationale face à la crise du changement climatique. Le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a invité les leaders du monde à New York en septembre 2014 pour participer à un Sommet de l’ONU sur climat. Les gouvernements sont également convenus de parvenir à un nouvel accord de longue durée sur le climat lors de la conférence de 2015 à Paris sur La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). Le changement climatique est évidemment un problème à l’échelle du monde puisque les effets de la pollution par les gaz à effet de serre affectent les populations partout sur la planète, pas simplement là où les émissions se produisent. Dès lors, le changement climatique ne peut être jugulé de façon efficace que par une coopération internationale, ce qui souligne l’importance du rôle joué par l’ONU. Nonobstant les arguments spécieux du gouvernement fédéral, le Canada, parmi d’autres pays, est un des grands contributeurs à la pollution climatique mondiale. Il appartient aux dix principaux pollueurs climatiques, quelles que soient la façon de classifier les émissions de gaz à effet de serre – total par pays, per capita ou cumulativement. Dès lors, le Canada doit fait partie de la solution et les Canadiens en sont bien conscients : un sondage établi par l’Université de Montréal et Canada2020 a montré qu’une vaste majorité voulait que le gouvernement fédéral prenne le défi climatique plus sérieusement en considération, notamment en s’associant aux traités internationaux. 76%

des Canadiens – un chiffre impressionnant – soutiennent la signature par le Canada d’un accord international sur le climat même si la Chine et les États-Unis n’en faisaient pas encore partie. Cependant, le Canada souffre d’une perception très négative dans l’univers des discussions sur le climat. L’absence de confiance envers le Canada découle d’une longue histoire d’engagements non tenus ou reniés, à commencer par l’échec du Canada face à ses engagements au titre de la réduction des gaz à effet de serre dans le cadre du Protocole de Kyoto de 1997, suivi de son retrait du Protocole – le seul pays au monde à l’avoir fait. En outre, il est pratiquement hors de tout doute que les engagements subséquents plus faibles adoptés en 2009 à Copenhague ne seront pas respectés à moins d’un changement total d’orientation de la part du gouvernement fédéral canadien. En outre, après une courte période, de 2010 à 2012 pendant laquelle le Canada a apporté une contribution honorable (400 millions de $ par an) à un fonds global pour aider les pays les plus pauvres à réduire leurs propres apports au changement climatique et à faire face à ses impacts, les contributions financières du Canada sont tombées à des niveaux très faibles. C’est particulièrement dommageable étant donné que le financement sur 2010-2013 avait pour objet de créer un climat de confiance dans la perspective de la ronde subséquente de négociations sur le climat, l’objectif étant de susciter une augmentation plutôt que l’interruption de cet appui après 2012. Si l’on ajoute à cela les stratégies et tactiques souvent retardatrices des délégations canadiennes dans le quotidien des négociations sur le climat à l’ONU, ces échecs ont conduit de nombreux gouvernements et organisations de la


société civile à considérer les Canada comme un paria cynique au sein du dialogue onusien sur le climat. Partant de ce constat, la contribution la plus importante que pourrait apporter le gouvernement canadien au succès des élaborations de politique en matière de climat à l’ONU serait de faire preuve de bonne foi en travaillant à restaurer la confiance dans notre pays. Pour commencer, il faut que nous fassions le ménage chez nous en faisant les efforts nécessaires pour atteindre les cibles de réduction des gaz à effet de serre endossées à Copenhague. Par exemple, le Canada devrait fournir un appui public important au secteur des énergies renouvelables et des efficacités énergétiques, élaborer et mettre en œuvre des politiques et mesures visant à réduire de façon massive les émissions provenant des sources principales au Canada: le transport, les hydrocarbures et le bâtiment. Il faudrait aussi amorcer un dialogue honnête et intègre sur la transformation inéluctable à réaliser pour s’écarter éventuellement des industries extractives du pétrole, du charbon et du gaz. Outre le travail à réaliser à l’intérieur du pays sur le changement climatique, le Canada doit regagner la confiance de ses partenaires internationaux. Le point de départ le plus évident consisterait à rétablir le financement de la lutte contre le changement climatique à ses niveaux de 2010-2012. Mais les discussions internationales actuelles portent également sur les réductions des émissions futures de chaque pays. Le Canada devrait se donner des cibles profondes et ambitieuses, qui acceptent plutôt que de nier le rôle du Canada en tant que grand contributeur au changement climatique. Cette responsabilité, compte tenu du haut niveau de capacité que donne à notre pays notre richesse, justifie de faire plus que les autres et d'agir avec urgence et vigueur.

Le nouvel accord qui doit être réalisé en 2015 ne peut porter fruit à long terme que s’il habilite et encourage le plus haut degré possible de coopération internationale sur le changement climatique, ce qui exige que l’accord soit fondé sur la confiance, l’équité, la transparence et l’imputabilité. Ces caractéristiques reflètent les valeurs canadiennes traditionnelles et donnent à penser que le Canada pourrait jouer un rôle important dans la réalisation d’un tel accord. Mais à l’heure actuelle, le Canada n’est pas un ambassadeur crédible de telles valeurs dans la politique internationale sur la changement climatique. En prenant une part vraiment équilibrée – fondée sur sa responsabilité et sa capacité à agir –et en faisant la preuve qu’il est véritablement décidé à respecter ses engagements et à aider les pays les plus pauvres à faire le plus qu’ils peuvent (par exemple en fournissant des fonds et des technologies vertes), le Canada pourrait rétablir la confiance gravement ébranlée sur la scène internationale et favoriser la conclusion d’un accord durable, équitable et ambitieux, indispensable pour éviter un changement climatique désastreux. Lectures additionnelles: Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)): Cinquième Rapport d’Evaluation (AR5) en anglais : http://www.ipcc.ch/report/ar5 World Resource Institute: Climate Analysis Indicator Tool (CAIT) 2.0 Climate Data Explorer. http://cait2.wri.org/ Canadian Coalition for Climate Change and Development (C4D): Protecting Our Common Future: An Assessment of Canada’s FastStart Climate Financing. http://c4d.ca/publications/policybriefs/protecting-our-common-future-report UN Sustainable Development Solutions Network (SDSN): Deep Decarbonization Pathways. http://deepdecarbonization.org (surtout le chapitre consacré au Canada)

BIOGRAPHIE Le Dr. Christian Holz est actuellement chercheur post-doctorant du CRSH à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Avant de se joindre à celle-ci, il a été directeur exécutif du Réseau Action Climat Canada, un réseau de près de 100 organismes consacrés à faire progresser l’action sur le changement climatique à tous les niveaux de gouvernement au Canada. Au cours de la dernière décennie, il a aussi œuvré au sein du Climate Action Network International, notamment dans le cadre de leurs activités de promotion auprès de l’ONU au sein des négociations sur le changement climatique. Ses principaux intérêts de recherche portent sur le rôle de l’équité et de l’intégrité comme facilitateurs d’une action ambitieuse en matière de politique nationale et internationale sur le changement climatique et sur le rôle de la société civile dans la politique internationale sur le changement climatique.

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R2P – Revenir au jeu? Plus facile qu’on ne le croit!

SOMMAIRE La transition d’un Canada champion ardent de la Responsabilité de Protéger à un supporter silencieux a laissé un vide dans les efforts internationaux en faveur de son renforcement – un vide qui a été remarqué par des diplomates des pays les plus petits aux plus grands du monde. Alors que les civils font face à des menaces croissantes d’atrocités massives en 2014, le Canada devrait se réengager et prendre la direction des efforts en vue de renforcer la R2P et de sauver des vies. Cet article souligne quatre étapes que le Canada peut adopter immédiatement et « revenir au jeu » de la R2P.

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Naomi Kikoler

tant est qu’elle le fait – pour prévenir et arrêter ces atrocités.

“Ils nous manquent beaucoup” de dire un diplomate latino-américain, faisant allusion au leadership réduit du Canada sur la Responsabilité de Protéger (R2P). Cette déclaration à la fois simple et poignante capte le sentiment de nombreux diplomates étrangers.

Suite aux échecs de la communauté internationale au Ruanda et à Srebrenica, le Canada a été à la tête des efforts en vue de trouver une façon d’empêcher les états de se servir de leur souveraineté comme d’un droit de tuer ou encore de rester indifférents face à des atrocités en train d’être perpétrées sous leurs yeux. En œuvrant de concert avec une coalition d’états décidés, le Canada est parvenu à dégager un appui unanime à la R2P lors du Sommet mondial des Nations Unies en 2005.

Le Canada, géniteur de la R2P et son champion des premiers jours, a abandonné ce rôle au cours des dernières années et aucun autre pays ne semble avoir été en mesure de remplir le vide créé par notre absence. Les Pays-Bas, le Danemark et le Ruanda ont apporté des contributions positives et durables à la promotion et à l’opérationnalisation de la R2P. Toutefois, aucun de ces gouvernements n’est parvenu à susciter une vision d’avenir pour la R2P, à élaborer une stratégie pour la mettre en œuvre, ou à diriger des efforts constants pour continuer à accréditer cette norme naissante. L’écart persiste alors que le besoin d’opérationnaliser la R2P est plus criant que jamais. Les Musulmans de la République centrafricaine ont été à toutes fins pratiques expulsés de leur pays tandis que les Yazidis en Irak sont menacés de génocide. Les populations en Syrie font face quotidiennement à des bombardements indiscriminés tandis que les Rohingya au Myanmar sont persécutés au nom de leur religion et de leur ethnicité. La promesse d’un Sud Soudan pacifique et indépendant s’est évaporée dans un conflit ethnique impliquant le ciblage violent de civils. Un peu partout dans le monde la menace d’atrocités massives ne cesse de croître et la communauté internationale continue à s’engager trop peu, trop tard – si

Alors que la R2P approche la deuxième décennie de son existence, la communauté internationale a besoin d’allouer les ressources nécessaires pour renforcer la machinerie légale et politique de prévention et de protection à l’échelle interne, régionale et internationale. Le Canada devrait diriger ces efforts. Bien que l’on nous manque, nous ne sommes pas oubliés. Sur cette question, le Canada continue à bénéficier d’un solide capital de bonne volonté et se réengager de façon robuste à la promotion de la R2P peut être plus facile que certains pourraient le croire. À quoi ressemblerait une stratégie pratique et immédiate de réengagement sur la R2P ?

4Pour commencer, en septembre, le Premier Ministre

Harper et le Ministre des Affaires étrangères Baird réaffirmeraient dans leur discours à l’ouverture de la session de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) l’engagement du gouvernement envers la R2P et annonceraient l’intention du Canada de donner la priorité à la prévention des atrocités de masse.


4Cette déclaration serait suivie d’une proclamation par le gouvernement que la prévention et l’arrêt des atrocités relèvent de l’intérêt national. Les États-Unis fournissent un bel exemple de la façon dont cela peut se faire. En 2011, le Président Obama a déclaré que la prévention des atrocités de masse allait de l’intérêt national des États-Unis et a ordonné aux agences et ministères pertinents d’entreprendre une évaluation de leurs capacités de prévention et de protection. Le Président Obama a souvent réitéré que la prévention des atrocités massives était un intérêt national américain.

4L’étape suivante dans le cadre de cet engagement serait de renforcer la structure institutionnelle du Canada en matière de prévention. Il faudrait notamment désigner un « point focal R2P » pour socialiser la R2P au Canada et formaliser un processus de prise de décision interne impliquant les agences et ministères pertinents du gouvernement. Trente-sept pays, allant des ÉtatsUnis et du Royaume-Uni au Ghana ont nommé des hauts-fonctionnaires pour servir de point focal R2P pour la prévention des atrocités. Ces points focaux et le réseau R2P mondial qu’ils constituent aident à faire en sorte que les gouvernements demeurent vigilants et que le « jamais plus » ne se transforme pas en « encore et encore ». Le Canada devrait se joindre à cette collectivité et nommer un point focal et ainsi systématiser l’alerte précoce et l’action conséquente.

4Ceci devrait être suivi d’un investissement sur cinq ans

opérations de maintien de la paix de l’ONU. De façon concrète cela se traduirait par un doublement de notre appui aux capacités de médiation onusiennes et régionales, par la création de forums de résolution de problèmes, l’élaboration de stratégies et l’établissement de coalitions pour sauver des vies dans les crises émergentes, par la promotion de Canadiens à des postes supérieurs à l’ONU, par la reprise du rôle du Canada dans la formation des casques bleus, et par le déploiement de plus de troupes, policiers et personnel civil dans les missions de maintien de la paix de l’ONU. Le Canada devrait jouer un rôle plus important dans le guidage de la R2P au cours de sa seconde décennie. Cela ne représente pas nécessairement un financement très élevé. Le vrai coût c’est la mobilisation de la volonté d’action et l’acceptation que le « jamais plus » est une entreprise commune. Ainsi, pour sauver des vies humaines, le gouvernement canadien doit accorder la priorité à l’engagement multilatéral par le truchement de l’ONU afin de trouver des solutions à certaines de crises les plus insolubles au monde. On nous regrette parce que nous avions montré qu’avec ténacité, vision et diplomatie astucieuse, nous étions parvenus à révolutionner les relations internationales. Aujourd’hui, on a de nouveau besoin de notre leadership audacieux pour assurer que notre noble idée de la Responsabilité de Protéger ne soit pas simplement un chapitre dans les manuels de relations internationales mais demeure un instrument qui sauve des vies.

BIOGRAPHIE Naomi Kikoler est une avocate canadienne des droits de la personne qui est directrice de la politique et de la promotion au Global Centre for the Responsibility to Protect à New York. Diplômée de l’Université de Toronto, d’Oxford et de la faculté de droit de McGill, elle a travaillé pour les Nations Unies, Amnistie internationale, Brookings Institution et est conseillère auprès d’organisations sur la prévention des conflits et les atrocités de masse ainsi qu’en droit international humanitaire et des droits de la personne.

consacré à renforcer nos capacités de diplomatie préventive et à accroitre notre participation à des

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Les objectifs de développement durable post-2015 de l’ONU et le Canada Shannon Kindornay

SOMMAIRE En 2015, les pays négocieront aux Nations Unies un ensemble d’objectifs de développement durable. Ces objectifs, qui remplaceront les objectifs de développement du millénaire, auront un caractère universel, s’appliquant à tous les pays, y compris le Canada. L’agenda post-2015 offre au Canada bon nombre d’occasions de se faire le champion d’objectifs progressifs, de supporter un cadre de suivi et d’évaluation robuste et d’engager l’ONU de façon différente. La surveillance des progrès sur une vaste gamme d’ODD offre la possibilité d’une démarche coordonnée et cohérente à l’engagement du Canada avec l’ONU tant sur différents secteurs qu’avec les différents ministères.

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En 2015, les gouvernements concluront des négociations sur un ensemble d’objectifs de développement durable (ODD) dans le cadre de leurs engagements issus de la Conférence Rio + 20 des Nations Unies (ONU) sur le développement durable de 2012. Remplaçant les Objectifs de développement du millénaire (ODM) qui expireront en 2015, les ODD prendront la forme d’un vaste agenda de développement durable, sous-tendu par un ensemble d’objectifs, cibles et indicateurs à l’horizon 2030.Contrairement aux ODM, l’agenda de développement durable post-2015 sera vraisemblablement universel, s’appliquant à tous les pays, pas seulement aux pays en développement. Le Canada a entamé un dialogue avec l’ONU en préparation des négociations de 2015. À ce stade, la participation a été surtout dirigée par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAECD). Le Canada se fait le champion d’un agenda fondé sur des cibles et indicateurs réalistes, précis et mesurables. Les déclarations des fonctionnaires ont mis l’accent sur les plus pauvres et les plus vulnérables comme point focal de l’agenda de développement durable. Le Canada met aussi l’accent sur des questions qui reflètent les priorités de développement actuel du gouvernement, dont la création d’emplois et la croissance économique (avec un rôle marqué pour le secteur privé), le renforcement de l’imputabilité et les résultats, et, peut-être l’élément le plus important, la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, ce qui est la plus haute priorité du gouvernement. Le gouvernement appuie également un processus de consultation post-2015 à l’ONU, notamment sur l’éducation, les données et l’imputabilité. Au Canada, un certain nombre de mesures ont été prises

pour établir la coordination entre MAECD et les autres ministères. Des groupes de travail thématiques à l’échelle de l’ensemble du MAECD se réunissent mensuellement et des groupes de travail interministériels ont été mis sur pied et se réunissent périodiquement. Un groupe de coordination Post-2015 a été créé en août 2014 pour coordonner les contributions des divers groupes de travail, consolider la position du gouvernement canadien sur l’agenda post-2015 et être en appui aux négociations en 2015. Bien que cet engagement constitue un signal positif quant à la participation du Canada à l’agenda post-2015, certains commentateurs ont remarqué une absence de leadership canadien et ont suggéré que le pays pourrait être plus activement engagé dans les discussions internationales. En outre, le gouvernement canadien a été ambivalent jusqu’à maintenant pour ce qui est d’endosser l’universalité de l’agenda post-2015. Les contributions du gouvernement démontrent une tendance à formuler les questions dans une perspective développementale, dans le mode des ODM, par exemple avec l’accent mis sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants de même que sur les plus pauvres et les plus vulnérables dans les pays en développement. Néanmoins, à l’échelle nationale, le MEACD est en prise avec les autres ministères et fournit de l’information aux gouvernements provinciaux et territoriaux – qui en théorie auront un rôle clé à jouer dans la mise en œuvre des ODD au Canada. Pourtant, on n’est pas trop certain dans quelle mesure les gouvernements infra-étatiques (et les autres ministères fédéraux) sont bien conscients du processus post-2015 et engagés en conséquence. Les consultations avec la société civile sur l’agenda post-2015 ont également été limitées et axées principalement sur la communauté du développement. Compte tenu de la dimension universelle


de l’agenda, le dialogue sur les engagements post-2015 doit s’étendre au-delà des ‘suspects habituels’ et certainement audelà du MAECD. L’agenda post-2015 offre une occasion intéressante au Canada de rengagement avec l’ONU de multiples façons. Premièrement, il est probable que les ODD post-2015 seront aussi influents que les ODM pour ce qui est de définir les priorités de développement durable. Des efforts considérables (ainsi que des fonds) ont été consacrés à faire en sorte que le nouveau programme soit conçu au sortir de consultations inclusives et qu’il reflète globalement les priorités de tous les états, contrairement aux ODM qui avaient été largement conçus comme un agenda dirigé par les pays donateurs dans une démarche descendante. Le Canda devrait maintenir son engagement à l’appui d’un agenda de développement durable progressif qui encadrera et définira les efforts de développement international du Canada au-delà de 2015 Deuxièmement, la portée de l’agenda ODD est vaste. La liste actuelle du « projet zéro » des ODD compte 17 secteurs prioritaires, y compris la réduction de la pauvreté, les inégalités, l’eau et la salubrité, l’industrialisation et l’infrastructure, la consommation et la production durable, et la paix et la sécurité. L’étendue des thèmes offre au Canada l’occasion de dialoguer avec l’ONU sur différents secteurs (et paliers de gouvernement) dans un vaste cadre de développement durable. L’inter connectivité des secteurs d’objectifs (par exemple, assurer une consommation et une production durables tout en supportant la croissance et la création d’emplois) pourrait exiger des niveaux de coordination plus élevés entre les ministères responsables et entre les différents paliers de gouvernement pour arriver à une démarche équilibrée dans la réalisation de résultats de développement durables. L’élaboration par le Canada d’un

plan national de mise en œuvre des ODD faciliterait cette démarche. En outre, des cadres de responsabilisation et de suivi associés à l’agenda international pourraient nécessiter un engagement coordonné avec les agences onusiennes principales de la part des différents ministères. Finalement, étant donné l’accent que met le gouvernement sur l’imputabilité et les résultats, le Canada pourrait se faire le champion d’un cadre de responsabilisation et de suivi robuste sous l’égide du nouveau Forum politique à haut niveau sur le développement durable. Comme rappelé plus haut, le Canada a déjà demandé des cibles réalistes, précises et mesurables et a appuyé la consultation globale à l’ONU sur les données et l’imputabilité. En allant plus loin, le Canada peut se prononcer en faveur de l’utilisation des mécanismes de suivi de l’ONU - comme ceux qui existent au titre des différentes conventions environnementales, sociales et liées aux droits de la personne de même que l’Examen périodique universel – pour appuyer le cadre de suivi des ODD. Cela permettrait d’enchâsser les ODD dans des mécanismes existants et d’éviter les double-emplois. Références Pour plus de renseignements sur le processus de préparation des négociations de 2015, voir (en anglais pour la plupart) http://sustainabledevelopment.un.org/owg.html Pour plus de renseignements sur les consultations Post-2015 à l’ONU (avec un peu de français) http://www.worldwewant2015.org/ CCCI (Conseil canadien pour la coopération internationale. 2014, à paraître : e Post-2015 Development Framework: International Process and Canadian Priorities. Ottawa: CCCI. Kindornay, Shannon. 2014. “Canada post-2015: Confronting our own development challenges.” Canadian Government Executive (20) 4. Rochon, Paul. 2014. “Millennium Development Goals: A sprint to 2015 and the way forward.” Canadian Government Executive 20 (4).

BIOGRAPHIE Shannon Kindornay est recherchiste à l’Institut Nord-Sud. Ses intérêts recouvrent la coopération au développement, la gouvernance de l’architecture de l’aide, l’efficacité de l’aide, et l’aide et le secteur privé. À l’heure actuelle elle travaille sur une étude d’envergure sur la façon dont les objectifs de développement durable peuvent être appliqués au Canada. Elle détient une maîtrise de la Norman Paterson School of International Affairs (NPSIA) de l’Université Carleton et un BA en études mondiales et science politique de l’Université Wilfrid Laurier.

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Revitaliser un Agenda pour la Paix SOMMAIRE

H. Peter Langille

Après la Guerre froide, le Secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali a présenté Un Agenda pour la Paix avec un appel pressant à de l’action préventive, dont de nouveaux mécanismes de maintien de la paix et de consolidation de la paix. L’idée d’un Service d’urgence pour la paix des Nations Unies (UNEPS) est issue principalement de la réponse du Canada à Un Agenda pour la Paix de même que de la demande du Secrétaire général de créer une force de réaction rapide de l’ONU. Plutôt que de dépendre d’arrangements relatifs aux forces et moyens en attente auprès de pays contributeurs de troupes, qui sont longs et conditionnels, un UNEPS fournirait à l’ONU son propre service permanent. La demande pour des opérations de maintien de la paix de l’ONU est à la hausse. La plupart des opérations récentes ont exigé des déploiements rapides mais les états contributeurs sont rarement en mesure de fournir les troupes nécessaires ou alors ils sont réticents à le faire. En comblant l’écart des six premiers mois d’urgences complexes, l’UNEPS aiderait à prévenir les conflits armés et les génocides, à protéger les civils faisant face à des dangers graves, à assurer un démarrage rapide d’opérations exigeantes, et de prendre en compte les besoins humains dans des secteurs où d’autres ne peuvent se rendre ou refusent de le faire.

Les perspectives actuelles en matière de sécurité dans le monde ne sont pas rassurantes. Bien que notre sécurité à tous dépende de la coopération entre les gouvernements, comment peut-on générer un sentiment de cause commune et susciter un indispensable mouvement correspondant? Avec une seule initiative, l’ONU pourrait améliorer sa capacité à prévenir des conflits armés et à protéger les civils. Après la Guerre froide, le Secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali a présenté Un Agenda pour la Paix avec un appel pressant à de l’action préventive, dont de nouveaux mécanismes de maintien de la paix et de consolidation de la paix. Dans sa préface, il a lancé un avertissement : « …il est essentiel que tous les états membres gardent à l’esprit que l’amélioration des mécanismes et des techniques ne saurait produire pleinement ses effets sans un nouvel esprit d’accommodement, en particulier sans la volonté de prendre les décisions difficiles qu’appellent les circonstances ». L’idée d’un Service d’urgence pour la paix des Nations Unies (UNEPS) est issue principalement de la réponse du Canada à Un Agenda pour la Paix de même que de la demande du Secrétaire général de créer une force de réaction rapide de l’ONU. Plutôt que de dépendre d’arrangements relatifs aux forces et moyens en attente auprès de pays contributeurs de troupes, qui sont longs et conditionnels, un UNEPS fournirait à l’ONU son propre service permanent pour remplir les tâches assignées – un premier intervenant rapide et fiable, capable de sauver du temps, des vies et des ressources. Et pourtant, aujourd’hui comme alors, les gouvernements ne sont pas prêts à

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adopter cette mesure pour rendre l’ONU plus efficace. Bien entendu, le maintien de la paix n’est pas mort; au contraire, la demande est à la hausse. Aujourd’hui, il y a plus de 117,000 casques bleus, civils et militaires, de 122 pays, déployés dans 17 opérations de l’ONU à l’échelle de la planète, une multiplication par 9 par rapport à 1999. On constate des progrès évidents dans les fondements du maintien de la paix à l’ONU avec de nouveaux contributeurs, une amélioration des procédures de commandement et contrôle, un système global d’approvisionnement et de soutien, une capacité policière permanente efficace, de même qu’une doctrine solide pour des opérations intégrées complexes. Le département des opérations de maintien de la paix (DPKO) et le département d’appui aux missions (DFS) sont devenus des organismes hautement professionnels. Et grâce, notamment, au travail de pionnier de notre Walter Dorn, l’utilisation de technologies de surveillance et d’observation améliore la connaissance de la situation et la sécurité de nombreuses opérations. Il est fini le temps où il fallait improviser et tout réinventer chaque fois. Pourtant, il reste trois problèmes qui remontent à longtemps. L’ONU n’a pas de capacité suffisante pour le déploiement rapide, la prévention et la protection. La plupart des opérations récentes ont exigé des déploiements rapides mais les états contributeurs sont rarement en mesure de fournir les troupes nécessaires ou alors ils sont réticents à le faire. En outre, dans le système actuel de l’ONU, la planification, le montage et le déploiement d’une nouvelle opération exige maintenant de six à douze mois, ce qui est loin d’être rapide ou adéquat pour des urgences.


La protection des civils en danger est un autre rocher de Sisyphe. Une vérification interne récente a montré que même si la protection des civils fait de plus en plus l’objet d’une priorité dans les mandats de l’ONU, les troupes nationales disponibles acceptent rarement de prendre les risques qu’elle comporte. Bien que sans être un remède à tout, un Service d’urgence pour la paix des Nations Unies pourrait aider. Il est conçu comme un « ONU 911 » multifonctionnel pour combler l’écart des six premiers mois d’urgences complexes. L’UNEPS a été conçu pour aider à prévenir les conflits armés et les génocides, à protéger les civils faisant face à des dangers graves, à assurer un démarrage rapide d’opérations exigeantes, et de prendre en compte les besoins humains dans des secteurs où d’autres ne peuvent se rendre ou refusent de le faire. Bien entendu, une telle idée soulève inévitablement des préoccupations de coût, de volonté politique et de gestion. Est-ce abordable? De fait, un UNEPS serait rentable! L’ONU souffre déjà de sous-financement; toutes ses opérations subissent des contraintes dues à l’austérité et à l’obligation de « faire plus avec moins ». Bientôt le budget du maintien de la paix dépassera ce qui a été considéré comme « le plafond sacré » de 8 milliards de $. L’UNEPS coûterait au départ environ 3 milliards de $ et les coûts récurrents annuels seraient de l’ordre de 1 milliard de $, à comparer aux dépenses militaires mondiales annuelles de près de 2 billions de $. Pire encore, l’Index mondial de la paix estime que les coûts annuels de la guerre ont atteint 9.8 billions de $. Quelle économie si l’ONU était capable d’empêcher des conflits armés ou au moins leur escalade et diffusion. Un UNEPS réduirait le recours à de nombreuses opérations nouvelles ainsi qu’à des opérations ultérieures plus longues et plus importantes.

Est-ce que l’ONU pourrait gérer un UNEPS ou fournir l’appui nécessaire ? Comme on l’a indiqué, le fondement des opérations de maintien de la paix de l’ONU s’est amélioré; DPKO et DFS gèrent déjà le déploiement de plus de 120,000 personnes dans des missions sur le terrain un peu partout dans le monde. Un UNEPS disposerait d’un quartier général opérationnel fixe et deux missions mobiles au QG pour aider à administrer, organiser et diriger les opérations. Son soutien logistique pourrait être soit fourni à l’interne ou par le nouveau système d’appui global de l’ONU. Peut-on faire confiance au Conseil de Sécurité de ne pas abuser de l’UNEPS? Les décisions du Conseil de Sécurité sont suivies, analysées et commentées dans le monde entier. Comme les membres du Conseil de Sécurité auraient été partie prenante dans l’investissement requis pour développer un UNEPS et fournir une direction stratégique, ils devraient être encore plus enclins à faire preuve de leadership responsable et contribuer à son succès. Pour le Conseil de Sécurité, la volonté de faire le travail dépend souvent de la disponibilité d’un instrument adéquat pour le faire, préférablement un outil déjà disponible, fiable et dont la légitimité est reconnue. Au moins, quand vous disposez d’un outil approprié, il y a moins d’excuses pour ne pas essayer d’accomplir une tâche. À l’heure actuelle, il n’y a pas de volonté politique à l’appui de la création d’UNEPS. Néanmoins, au cours des années passées, il y a eu sept occasions – après de vilaines guerres et de génocides – lors desquelles des gouvernements ont tenté de susciter un appui pour des propositions vaguement similaires (une force permanente de l’ONU). Dans un avenir proche, quelques efforts pour revitaliser Un Agenda pour la Paix pourraient ne plus sembler une décision si difficile.

BIOGRAPHIE Le Dr. H. Peter Langille est chercheur invité au Centre for Global Studies de l’Université de Victoria. Il a été un des premiers récipiendaires du Prix d’excellence à vie Hanna Newcombe du Mouvement fédéraliste mondial – Canada pour ses nombreuses contributions à l’appui d’opérations de la paix de l’ONU plus efficaces.

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Pourquoi le maintien de la paix de l’ONU est indispensable Peggy Mason

SOMMAIRE Des problèmes politiques complexes sont au cœur des conflits violents et exigent des solutions politiques négociées et agréées par les parties. La structure d’une mission intégrée de l’ONU – les composantes militaire, policière et civile relevant toutes du chef de mission civil – reflète la primauté du processus de paix et est à l’opposé de la situation où l’OTAN fournit des forces militaires dans une structure de commandement séparée de la mission de l’ONU. La demande de casques bleus de l’ONU n’a jamais été aussi forte mais de nombreuses insuffisances persistent au plan personnel et équipement. Il est temps pour le Canada de se réengager.

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L’ONU a beaucoup appris sur la résolution des conflits depuis le déploiement des premiers casques bleus de UNEF 1 en 1956 pour séparer les forces égyptiennes et israéliennes et fournir une supervision impartiale du cessez-le feu. L’ONU a appris combien la consolidation de la paix était un processus complexe, sur la durée, pour aider les parties au conflit à créer les conditions nécessaires – politiques, économiques, de sécurité – pour une paix durable. Au cœur de cet effort se situe le processus de paix. Des problèmes politiques complexes sont au cœur des conflits violents et exigent donc des solutions politiques, négociées et agrées par les parties. Une composante de sécurité robuste peut être essentielle aussi bien dans les phases de négociation que de mise en œuvre mais elle n’est qu’un élément d’appui. Comme la débâcle afghane l’a dramatiquement et tragiquement démontré, aucun niveau de ‘robustesse’ militaire de la part de forces armées internationales ne peut se substituer à l’absence de processus de paix crédible. Ainsi, des opérations de maintien de la paix onusiennes multidimensionnelles sont appelées de nos jours non seulement à aider à préserver la paix et la sécurité et de promouvoir l’état de droit, mais également à faciliter le processus politique et à appuyer l’établissement d’institutions légitimes et efficaces de bonne gouvernance. De plus en plus, des mandats comme celui de la MINUSMA au Mali,

comprennent un programme d’assistance en matière de sécurité pour aider le gouvernement de transition à rétablir son autorité dans le pays, de concert avec l’appui au dialogue politique national et des efforts de réconciliation. Pour qu’une entreprise de cette ampleur réussisse – ce que le maintien de la paix de l’ONU réalise plus souvent qu’autrement – il faut que l’effort international soit perçu comme étant légitime et impartial par toutes, ou presque toutes les parties au conflit. Et il faut que l’appui international soit aussi vaste que possible avec un cadre légal et opérationnel cohérent. Seul le Conseil de sécurité de l’ONU (CSNU) peut mandater une telle opération et seule l’Organisation des Nations Unies peut la diriger, fut-ce de façon conceptuelle, ne serait-ce que parce qu’il n’existe pas d’autre entité unique qui soit acceptable à l’ensemble de la communauté internationale. Sous l’égide d’un civil exerçant le rôle de Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU (RSSG), avec toutes les autres composantes, y compris les militaires et la police relevant de lui ou d’elle, la structure même d’une OMP de l’ONU reflète la centralité du processus de paix. C’est là toute la différence par rapport à des missions dirigées par l’OTAN, autorisées par le CSNU pour aider à stabiliser un conflit. Comment les forces armées peuvent effectivement appuyer le processus de paix dans le cadre d’un commandement séparé ? Mes dix années


d’exercices de formation avec des commandants supérieurs de l’OTAN m’ont maintes fois convaincue qu’une structure de commandement divisée au niveau opérationnel est la recette parfaite pour une structure de commandement inefficace. Il faut noter par ailleurs que même si une mission dirigée par l’OTAN reçoit pour mandat du CSNU de ‘coopérer’ avec la mission de l’ONU, ses directives politiques viennent du leadership politique de l’OTAN – le Conseil de l’Atlantique Nord qui doit ensuite coordonner avec le Secrétaire général de l’ONU. Ainsi, le leadership politique au niveau stratégique est également divisé. Il y a un autre problème aigu avec les opérations de stabilisation menées par l’OTAN – elles ne bénéficient pas de la perception de légitimité et d’impartialité des opérations menées par l’ONU parce que leur leadership politique et militaire représente un ensemble spécifique de pays et d’intérêts, même avec l’autorisation de l’ONU et la présence de certains pays non membres de l’OTAN au sein de la coalition. Cela non seulement mine la cohérence de l’effort international mais ouvre la porte aux détracteurs sur le terrain qui ont beau jeu de dénoncer ‘l’occupation étrangère’. Bien entendu, des intérêts nationaux étroits restent en jeu dans les capitales des pays de l’ONU contributeurs de troupes, mais la structure d’une mission de maintien de la paix de l’ONU permet au moins d’atténuer cette tendance tant au niveau des perceptions que de la réalité.

La demande de casques bleus de l’ONU n’a jamais été aussi grande. Mais le maintien de la paix de l’ONU ne peut pas commencer à répondre à la demande et aider les pays dans leurs transitions d’une guerre civile à une gouvernance stable à moins de disposer des ressources nécessaires pour faire le travail. Le retrait presque total des forces occidentales du maintien de la paix de l’ONU en faveur de missions menées par l’OTAN dans les Balkans d’abord puis en Afghanistan s’est produit au moment où les mandats d’OMP de l’ONU exigeaient des composantes militaires de plus en plus compétentes et bien équipées, opérant en vertu du chapitre VII de la Charte de l’ONU. Le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU sur les progrès de la mission au Mali fait état d’insuffisances notoires tant au plan personnel que d’équipement militaire dans une des opérations logistiquement les plus exigeantes que l’ONU ait jamais entreprises, étant donné les distances impliquées et l’absence d’infrastructure. Il est significatif de constater que certains pays de l’OTAN, dont les Pays-Bas et l’Italie, ont commencé à se réengager. Il est grand temps pour le Canada de faire de même.

BIOGRAPHIE Peggy Mason est présidente de l’Institut Rideau sur les Affaires internationales. Quand elle était Ambassadeure pour le Désarmement auprès de l’ONU, elle présida des études d’experts de l’ONU sur la vérification du désarmement et la réglementation des armes légères et de petit calibre. Depuis 1996, Peggy Mason s’est particulièrement concentrée sur la consolidation de la paix post conflit de l’ONU et sur le rôle des forces militaires à l’appui d’un processus de paix global. Elle travaille avec plusieurs organisations et initiatives de la société civile, y compris la promotion par la société civile de pourparlers de paix en Afghanistan. En 2003, Peggy Mason a été intronisée dans la Société d’honneur de la faculté de droit commun de l’Université d’Ottawa.

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Le Canada, les droits de la personne et l’ONU: tout commence à domicile Alex Neve

SOMMAIRE La réputation du Canada dans le monde en matière de DDH a connu une chute au cours de dernières années. Les positions du Canada ont été bien trop souvent plus obstructives que constructives. Il en va de même de l’engagement du Canada envers le système des DDH aux Nations Unies en ce qui concerne nos propres antécédents. La liste de traités non ratifiés en matière de DDH ne cesse de s’allonger. Le Canada est de plus en plus méprisant à l’égard des examens sur les DDH à l’ONU. Et il n’existe aucun leadership politique ou d’accords intergouvernementaux en place pour assurer une mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux DDH. Cette situation affaiblit la protection des DDH à domicile et réduit la capacité de leadership international du Canada. Il est grand temps que les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux changent la démarche du Canada en matière de DDH.

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On peut mesurer l’engagement d’un état envers le système des Nations Unies pour les droits de la personne en observant la scène internationale. Nous examinons les réponses à des situations liées aux droits de la personne dans d’autres pays, l’appui aux nouvelles conventions et institutions internationales en matière de DDH, et les positions prises sur des questions de DDH dans le monde. Ces jours-ci, le dossier du Canada à cet égard est mixte, au mieux. Quelques initiatives admirables : les mariages précoces et forcés, le dossier iranien sur les droits de l’homme et la décriminalisation de l’homosexualité sont marquantes. Un désappointement énorme et de la confusion : le refus de toute critique d’Israël, des retours en arrière sur les droits sexuels et génésiques, une attitude obstructive sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et l’opposition au droit à de l’eau salubre et à l’assainissement. Une autre mesure se lit à domicile. Jusqu’à quel point un gouvernement est prêt à respecter ses obligations envers l’ONU et à l’examen de ses propres antécédents relatifs aux droits de la personne ? Il ne suffit pas de pointer du doigt les autres. Sur ce point, le Canada est largement déficitaire. Pensons d’abord à la lenteur avec laquelle le gouvernement engage sa signature sur des traités touchant aux DDH. Le nombre de traités importants que le Canada n’a pas ratifiés ne cesse de croître. Il y a trois

protocoles optionnels établissant des processus de dépôt de plaintes pour les droits des enfants, les droits des personnes vivant avec des handicaps, et les droits économiques, sociaux et culturels. Tous ont été ignorés. Il y a un traité sur les disparitions forcées, adopté par l’ONU en 2006. Il n’est même pas à l’examen. Un traité de 1990 traitant des travailleurs migrants a été jugé sans conséquence. Le protocole optionnel de la Convention contre la torture, adopté par l’ONU en 2002, établit un système d’inspections des prisons pour éviter la torture. En 2006 et en 2009, le Canada a promis à l’ONU d’envisager sa ratification. Mais au cours de l’examen périodique des droits de la personne à l’ONU en 2013, le Canada a fait marche arrière et a indiqué qu’il n’y avait pas d’intention de le ratifier à ce stade. Il y a ensuite le nouveau traité tant attendu sur le commerce des armes, insérant enfin des règles liées aux DDH au commerce mondial meurtrier des armes. Adopté par l’ONU en avril 2013, il a déjà été signé (étape symbolique mais importante) par 118 états (y compris les États-Unis) et ratifié par 43 pays (y compris de nombreux alliés proches). Le Canada ne se joindra pas à ces groupes de sitôt. La signature d’instruments de l’ONU est une chose. Les respecter en est une autre Cela se traduit par des examens à l’ONU et par une mise en œuvre efficace des recommandations qui en résultent. Cela a toujours été difficile pour le Canada partiellement


à cause des complexités du fédéralisme et partiellement faute de leadership. Au cours des dernières années, la situation s’est empirée. Tout au long de l’année 2012, le gouvernement a répondu aux examens de l’ONU par des commentaires méprisants et moqueurs, suggérant que l’ONU ne devrait pas perdre son temps sur un pays comme le Canada. Nous l’avons bien vu au cours d’une mission au Canada du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, quand des comités de l’ONU traitant de la torture et des droits des enfants conduisaient leurs examens réguliers du Canada, et quand la haute-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU a exprimé ses préoccupations à l’occasion des manifestations étudiantes au Québec. La réponse du Canada l’année dernière à l’examen périodique universel du Conseil des Droits de l’homme de l’ONU (EPU) n’a fait qu’augmenter nos préoccupations. L’EPU, un examen sans précédent des antécédents en matière de DDH dans chaque pays membre, a commencé en 2008. Le Canada est passé par l’examen pour une seconde fois en 2013. Faisant face à des recommandations de douzaines de pays, le Canada a souligné que les seules qu’il accepterait seraient celles dont la mise en œuvre était déjà en cours. Cette attitude allait à l’encontre du concept même de l’examen des DDH à l’ONU qui stipule que les pays doivent aller audelà du statu quo. Les traités et les examens ne signifient rien sans mise en œuvre. Et là, c’est le désastre. Il n’existe aucun effort de leadership politique pour traduire les mots et les phrases

en actions concrètes à domicile. Aucun ministre fédéral n’assure l’observance dans les différents ministères. Aucun processus d’imputabilité ne réunit les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux (FPT) pour prendre des décisions pour l’ensemble du pays. La dernière réunion ministérielle FPT sur les droits de la personne remonte à 1988. Pourquoi est-ce important ? Premièrement, quand on prend au sérieux à domicile les obligations internationales en matière de droits de la personne, on renforce évidemment la protection des DDH au Canada. Deuxièmement, les conséquences de politique étrangère sont critiques. En signant les traités essentiels à l’ONU, nous nous permettons de pousser d’autres pays à nous emboiter le pas. En participant de bonne foi aux examens de l’ONU, nous pouvons exiger la même chose des autres gouvernements. Et montrer que nous sommes sérieux quant à la mise en œuvre est fondamental car c’est à ce niveau que le système international des DDH est le plus faible à l’échelle mondiale. Alors comment inverser la vapeur ? On pourrait commencer par convoquer la réunion ministérielle en souffrance. Certaines questions intergouvernementales bénéficieraient de réunions ministérielles annuelles. Il n’y a rien de révolutionnaire à suggérer qu’il faille discuter des DDH plus souvent qu’une fois tous les quarts de siècle. Il est grand temps que les ministres se réunissent pour susciter une volonté politique, encourager un leadership renouvelé et générer un mouvement en faveur d’une réforme des DDH.

BIOGRAPHIE Alex Neve est Secrétaire général d’Amnistie internationale Canada depuis 2000. A ce titre, il a effectué un grand nombre de missions de recherche sur les DDH en Afrique et en Amérique latine, ainsi qu’au Canada. Il s’adresse à de nombreux auditoires au pays, évoquant une vaste gamme de questions relatives aux DDH. Il a comparu à de nombreuses reprises devant des comités parlementaires et des organes de l’ONU. Il est un fréquent commentateur dans les médias. Alex est avocat et a obtenu son diplôme en droit (LLB) de l’Université Dalhousie et une maîtrise en droit international des DDH de l’Université d’Essex. Alex a été nommé officier de l’Ordre du Canada, Mentor de la Fondation Trudeau et a obtenu un doctorat honoris causa de l’Université du Nouveau Brunswick.

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L’égalité des genres et les Nations Unies: est-ce que le Canada peut revenir dans la course? Diana Rivington

SOMMAIRE Le Canada, de concert avec d’autres pays partageant nos points de vue, a joué un rôle clé dans l’élargissement du dialogue multilatéral sur l’égalité des sexes, établissant des alliances entre le Nord et le Sud et encourageant la participation active de la société civile, particulièrement dans le cadre des quatre conférences mondiales sur les femmes depuis 1975. Bien que le Canada ait joué un rôle important dans la création de l’ONU Femmes en 2010, dans d’autres domaines liés aux droits de la femme, le Canada a fait marche arrière. Dans la mouvance des Objectifs de développement durable et des élections de 2015, un débat des chefs sur les questions d’égalité des sexes pourrait renouveler le leadership du Canada.

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Depuis la création des Nations Unies, les organisations de femmes et les mécanismes nationaux pour les femmes comme Statut de la Femme Canada, ont eu recours à l’ONU tant comme arbitre que comme un cadre pour structurer les dialogues internationaux et nationaux sur le statut de la femme. Les corridors de l’ONU sont devenus l’endroit où les normes pour les droits et l’égalité des femmes pouvaient être définis et ensuite rapportés dans les parlements nationaux sous la forme à la fois d’aspirations et de modèles pour des législations nationales. De fait, les organisations de femmes ont parfois plus de confiance dans le processus international que dans leurs propres législatures. Le Canada, avec d’autres pays partageant les mêmes points de vue, a joué un rôle clé dans cette évolution, suscitant des alliances entre le Nord et le Sud et encourageant la participation active de la société civile, notamment lors des quatre conférences mondiales sur les femmes qui ont eu lieu depuis 1975. Les thèmes récurrents à ces conférences mondiales sur les femmes sont l’égalité, le développement et la paix. Le programme d’action issu de la quatrième conférence mondiale sur les femmes de 1995 à Beijing a alimenté des organisations autonomes de femmes, des organisations axées sur l’égalité, et le système de coopération internationale pendant près de vingt ans. Les engagements des pays envers le programme d’action ont

mené à ce que « la promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes » soit devenues le troisième Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD) en 2000. Avec ambition, les négociateurs ont utilisé le processus de l’ONU pour faire progresser la planète sur l’égalité des sexes. Par exemple, la violence faite aux femmes à peine mentionnée à la conférence de Mexico en 1975, est maintenant enchâssée dans l’agenda international. Elle est devenue une « préoccupation critique » à Beijing en 1995. Plus récemment, les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ont déclaré que la violence sexuelle, y compris le viol, sont un crime de guerre. Les négociations à l’ONU sont rarement « nettes ». Il peut y avoir des progrès sur une question tandis qu’une autre stagne et qu’une troisième fait marche arrière. Aussi ce fut une victoire bienvenue pour les organisations de femmes quand, en 2010, dans le cadre des réformes progressives à l’ONU, leur campagne pour changer « l’architecture sur l’égalité des sexes » a mené à la création de ONU Femmes. Cela s’est produit par la fusion du Fonds de développement des Nations Unies pour la Femme (UNIFEM), l’Institut international de recherche et de formation pour la promotion de la femme (UNINSTRAW), la division de la promotion de la femme, et le bureau du conseiller spécial sur les questions d’égalité entre les sexes. Le Canada a été l’un des meneurs dans ces négociations et l’un des premiers donateurs avec une


Cependant, le Canada a fait marche arrière sur d’autres questions d’égalité entre les sexes. Il y a l’énigme des normes de soin et d’information sur l'hygiène sexuelle et la santé génésique et les droits afférents pour les citoyens canadiens, d’un côté, par rapport à ceux des citoyens des pays en développement où l’absence de connaissance en matière de planification familiale et sur le SIDA/VIH tue. Le refus du Canada d’appuyer toutes une gamme de services de santé dans le cadre de l’initiative sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants a conduit nos alliés à chercher ailleurs une vision claire des services complets à offrir aux femmes et aux filles, particulièrement dans des zones de guerre.

Les OMD ont été considérés comme un instrument puissant à cause de leurs cibles limitées dans le temps. Comme 2015 et la fin des OMD approchent, les membres de l’ONU se sont engagés à définir des Objectifs de développement durable (ODD) qui remplaceront les OMD. Plus de 500 organisations de femmes dans les domaines des droits de la femme, de l’environnement et du développement se sont réunies en un « groupe majeur de femmes » et ont apporté leurs contributions aux négociations. Tout en accueillant favorablement le cinquième objectif des ODD – l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes – et ses 9 sous-objectifs, elles demeurent préoccupées du fait que l’action sur les droits des femmes ne constitue pas une partie intégrale de l’objectif proposé.

Une autre question évoquée à Beijing et ailleurs, c’est la façon d’évaluer la valeur des soins et du travail à domicile non payé, soit le travail des femmes à la maison et dans des entreprises familiales, y compris à la ferme. Après Beijing, Statistique Canada a été le premier organisme à ajouter une question au recensement pour rendre compte du travail non payé des femmes et des enfants pour le soin des enfants, des personnes âgées, l’entretien domestique et les entreprises familiales, de même que les activités de volontariat. Cette question a été retirée du recensement canadien de 2010 pour des raisons qui demeurent obscures tandis que des pays qui nous ressemblent, comme le Royaume-Uni, continuent à appuyer de telles analyses.

Face à cet arrière-plan, il y a une campagne en cour pour demander un débat des leaders fédéraux sur les questions liées aux femmes avant la prochaine élection canadienne. Les artisans de la campagne veulent que tous les partis politiques canadiens indiquent la nature de leur engagement envers les droits de la femme au pays et sur la scène internationale, y compris l’hygiène et les droits sexuels et génésiques. Avec la transition aux ODD, un tel débat public serait fort à propos, créant un espace public pour définir comment le Canada va contribuer au progrès global sur l’ODD 5, au pays et à l’international. C’est une occasion pour le Canada de reprendre son rôle de leadership. Nos alliés attendent le retour du Canada.

subvention de base de 10 millions de $ (récemment réduite à 9.5).

BIOGRAPHIE Diana Rivington est professionnelle en résidence à la faculté de sciences sociales de l’Université d’Ottawa avec une affectation inter poste à l’École de développement international et mondialisation et à l’Institut d’études féministes et de genre. Elle est aussi un consultant avec expertise en égalité des sexes et en équité sociale. Elle a eu une longue carrière à l’Agence canadienne de développement international (ACDI) où son dernier poste était celui de directrice du développement humain et de l’égalité des genres. Madame Rivington est membre du groupe McLeod Group.

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Le Canada et le mouvement humanitaire pour abolir les armes nucléaires Douglas Roche

SOMMAIRE Un nombre croissant d’états de joignent à un nouveau mouvement basé sur le droit humanitaire en vue de créer un instrument légalement exécutoire pour interdire les armes nucléaires. La politique canadienne est incohérente. D’un côté le Canada appuie la doctrine de l’OTAN qui continue à maintenir que les armes nucléaires fournissent la « garantie suprême » de sécurité. De l’autre, le Canada appuie le traité de nonprolifération nucléaire qui inclut des obligations importantes en matière de désarmement nucléaire. Le mouvement humanitaire pour éliminer les armes nucléaires cadre parfaitement avec des valeurs canadiennes bien établies. Le Canada devrait se joindre aux pays qui veulent que des négociations globales commencent maintenant afin de parvenir à un cadre juridique enchâssant une élimination vérifiée, irréversible et exécutoire des armes nucléaires.

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Est-ce que la violence de l’été 2014 a tué tout espoir de progrès en matière de désarmement nucléaire? Est-ce que les tueries télévisées au Moyen-Orient, en Ukraine, en Syrie et en Irak ont rendu impossible de se concentrer sur les 16,300 armes nucléaires encore sur la planète dont n’importe laquelle, exprès, par accident ou par acte terroriste, pourrait déclencher une catastrophe de proportions épiques? Au contraire, face à l’instabilité mondiale, le moment n’est pas venu de tourner le dos à l’objectif des Nations Unies de débarrasser le monde des armes nucléaires; plutôt, quand le barbarisme frappe, c’est le moment de redoubler d’efforts pour établir l’état de droit. Le Canada devrait mettre la main à la pâte et se joindre aux états qui s’attaquent sérieusement à l’élaboration d’une loi qui entraînerait l’élimination des armes nucléaires. Trois événements démontrent que le désarmement nucléaire reste à l’ordre du jour politique international.

4La première journée de l’ONU pour l’élimination total des armes nucléaires – le 26 septembre – fournit maintenant un mécanisme axé sur la promotion de négociations multilatérales en vue d’une convention sur les armes nucléaires – un traité global pour prohiber et éliminer les armes nucléaires.

4Les 8 et 9 décembre, le gouvernement autrichien va accueillir à Vienne la troisième d’une série de conférences internationales sur les «conséquences humanitaires catastrophiques » des armes nucléaires. La première de ces conférences qui eut lieu à Oslo en 2013, attira 127 états; la seconde, à Nayarit, au Mexique, en février dernier, en

accueillit 146. Ces rencontres, renforcées par les campagnes de la société civile, ont illustré en détails atroces les horreurs qui attendent l’humanité en cas de recours accidentel ou délibéré aux armes nucléaires.

4En mai prochain, à New York, le traité de nonprolifération fera l’objet de la Conférence d’examen quinquennale d’un mois où l’on testera à nouveau la bonne foi de l’engagement des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité (les principaux pays nucléaires) de négocier l’élimination de leurs arsenaux nucléaires. Depuis que le TNP a vu le jour en 1970, les Cinq ont bouchonné et tergiversé avec leurs engagements tout en modernisant leurs stocks. Si le désarmement nucléaire devait attendre une période de calme politique pour faire des progrès, nous aurions des armes nucléaires pour toujours. Le désarmement nucléaire n’est pas le point culminant d’un processus de paix; il doit le stimuler. L’élimination des armes nucléaires exige de la vision et un sens de l’urgence. Une attaque nucléaire terroriste est une possibilité indéniable. Pendant combien de temps le monde va continuer à avoir de la chance? C’est cette inquiétude qui pousse bon nombre de pays à vouloir que des négociations globales commencent maintenant afin de parvenir à un cadre juridique enchâssant une élimination vérifiée, irréversible et exécutoire des armes nucléaires. Mais les états nucléaires, aidés surtout par l’OTAN, favorisent une démarche de petits pas: d’abord obtenir l’interdiction de la production de matières fissiles, ensuite l’entrée en vigueur du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, puis davantage de réductions américano-russes, tout cela avant


d’entamer les négociations globales. Cette approche, qui est appuyée par le Canada, a conduit aujourd’hui à une paralysie virtuelle. Les négociations américano-russes sur des coupes plus profondes achoppent sur des questions comme la proposition américaine d’un système de défense anti-missile en Europe, la militarisation de l’espace et les intentions américaines de dominer militairement l’air, la terre, la mer, l’espace, et la cyberguerre. La Conférence du désarmement à Genève est devenue un simple rituel. Le Canada participe à l’initiative de non-prolifération et désarmement des 12 nations, qui envisage des négociations multilatérales seulement après que le processus de réduction américano-russe soit parvenu à réduire de façon substantielle les stocks existants. Mais c’est un cul-de-sac. C’est pourquoi des nations comme le Mexique, la Norvège, l’Autriche, la Suisse et l’Indonésie sont à l’avant-scène du nouveau mouvement, mettant l’accent sur le droit humanitaire, en vue de créer un instrument légalement exécutoire pour interdire les armes nucléaires. « Le moment est venu d’amorcer un processus diplomatique avec une échéance précise », a déclaré le président mexicain à la réunion de Nayarit. C’est le mouvement auquel le Canada devrait se joindre. Un facteur qui bloque une telle action est l’appartenance du Canada à l’OTAN, qui continue d’insister que les armes nucléaires sont « la garantie de sécurité suprême ». Cependant, l’OTAN vit dans un contexte de deux poids deux mesures. D’un côté les membres de l’OTAN réaffirment leur engagement envers l’objectif du désarmement nucléaire inscrit dans le Traité de non-prolifération et de l’autre, maintiennent leur dépendance envers les armes nucléaires au sein de l’Alliance. Les politiques sont incohérentes. La pérennité du

déploiement de bombes nucléaires tactiques en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie et en Turquie, bien qu’opposé par un nombre croissant de gens dans ces pays, constitue une provocation permanente contre la Russie qui est dès lors peu encline à réduire son propre arsenal immense d’armes nucléaires tactiques. La Russie ne va certainement pas abandonner ses armes nucléaires alors qu’elle est virtuellement entourée par une Alliance atlantique en expansion. Il y a environ 15 ans, le Canada a essayé d’obtenir de l’OTAN qu’elle change ses politiques nucléaires. L’OTAN a résisté et le Canada a abdiqué. Mais la Norvège, un autre membre de l’OTAN, est un leader du nouveau mouvement humanitaire. Pourquoi le Canada ne peut-il pas donner son plein appui à cet effort? Le mouvement humanitaire pour éliminer les armes nucléaires cadre parfaitement avec des valeurs canadiennes bien établies. Plus de 750 membres de l’Ordre du Canada ont demandé au gouvernement canadien de lancer une initiative diplomatique majeure pour appuyer le Plan en cinq points pour le désarmement nucléaire mis de l’avant par le Secrétaire général de l’ONU, qui vise une convention sur les armes nucléaires. Le Sénat et la Chambre des Communes ont adopté une résolution à l’unanimité à l’appui de l’initiative. Le Canada devrait s’aligner avec les pays hautement respectés de la Coalition pour le nouvel agenda (Brésil, Égypte, Irlande, Mexique, Nouvelle Zélande et Afrique du Sud) et s’engager à réaliser « un cadre global et légalement exécutoire » pour éliminer toutes les armes nucléaires dans un délai précis. Ce n’est pas l’OTAN mais les objectifs de l’ONU qui devraient régir le travail du Canada en faveur du désarmement nucléaire.

BIOGRAPHIE L’honorable Douglas Roche, O.C., est un écrivain, parlementaire et diplomate qui s’est spécialisé tout au long de sa carrière de 40 ans au service de l’État dans le domaine de la paix et de la sécurité humaine. M. Roche a été sénateur, député, ambassadeur du Canada pour le désarmement et professeur invité à l’Université d’Alberta. Il a été élu président de la Commission du désarmement des Nations Unies lors de la 43ème Assemblée générale en 1988. En 2009, il a reçu le Prix de reconnaissance pour services exceptionnels de l’Association canadienne des anciens parlementaires pour avoir « promu le bien être humain, les droits de la personne et la démocratie parlementaire au Canada et à l’étranger ». En 2011, le Bureau international de la Paix a proposé sa nomination pour le Prix Nobel de la Paix.

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L’art de choisir le Secrétaire général: comment améliorer le processus Allan Rock

SOMMAIRE Le mode de sélection du Secrétaire général des Nations Unies (SG) est plutôt lamentable. Il n’existe pas de liste agréée de qualités, aucun comité de recherche pour identifier des candidats éventuels, aucun filtrage de ceux-ci et très peu d’analyse de leurs points de vue et aptitudes – soit par le Conseil de sécurité ou l’AGNU – avant que le choix ne soit posé. En 2006, le Canada a suggéré une réforme du processus de sélection pour le rendre plus transparent. Les propositions que nous avions faites alors sont encore pertinentes aujourd’hui. Le successeur de Ban Ki-moon entrera en fonction an janvier 2017. Il sera difficile de changer un processus qui a été la « propriété privée » du Conseil de sécurité depuis tant de décennies (et plus spécifiquement, des cinq membres permanents). Néanmoins, compte tenu de l’importance du poste et de la faiblesse de la pratique actuelle, je suggère que le Canada renoue avec cet effort afin de corriger les failles présentes.

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Pour les états membres de l’ONU, peu de décisions sont aussi importantes que le choix d’un nouveau Secrétaire général (SG). Bien que l’article 97 de la Charte de l’ONU décrive le SG simplement comme « le plus haut fonctionnaire de l’Organisation », la personne qui occupe ce poste est plus qu’un simple haut fonctionnaire : le SG occupe un espace unique sur la scène internationale et exerce une influence et une autorité notoires. Selon l’expression de Sir Brian Urquhart, ils sont « à la fois le symbole et le gardien de la vision originale de l’organisation ». Et pourtant, le mode de sélection du SG est plutôt lamentable. Il n’existe pas de liste agréée de qualités, aucun comité de recherche pour identifier des candidats éventuels, aucun filtrage de ceux-ci et très peu d’analyse de leurs points de vue et aptitudes – soit par le Conseil de sécurité ou l’AGNU – avant que le choix ne soit posé. La Charte prévoit que le SG soit élu par l’AGNU sur recommandation du Conseil de sécurité. Cela laisserait croire en un processus sophistiqué et réfléchi entre les deux principaux organes de l’ONU. Dans la réalité, cependant, le Conseil de sécurité annonce simplement son choix après des délibérations secrètes et s’attend à ce que l’AGNU l’approuve automatiquement, comme une formalité – une attente

à laquelle, malheureusement, l’AGNU a répondu positivement dans le passé à chaque occasion. Comment pourrait-on ouvrir le processus? C’est certain que la personne choisie doit être quelqu’un avec qui le Conseil de sécurité peut travailler, mais le rôle important de l’AGNU dans le processus doit être respecté. Au printemps 2006, je me suis adressé à l’AGNU en tant qu’ambassadeur et représentant permanent du Canada, invitant une réforme du processus de sélection pour le rendre plus transparent. Mon but ici est de rappeler l’essentiel des recommandations que le Canada avait mises de l’avant il y a huit ans mais qui sont tout aussi pertinentes aujourd’hui. J’espère aussi encourager les leaders politiques et les diplomates actuels à remettre ces propositions à l’ordre du jour. Le successeur de Ban Ki-moon entreprendra son mandat en janvier 2017 et la campagne a déjà commencé. Mais il reste encore assez de temps pour apporter des changements au processus. Quelles étaient nos propositions en 2006 ? Elles étaient au nombre de cinq : Premièrement, un consensus doit être établi sur les qualités que l’on cherche chez un SG. Ceux qui aspirent à ce poste doivent connaître les attentes des


états membres. À leur tour, les états membres devraient convenir de ce qu’ils attendent d’un leader. Ces qualités peuvent changer pour refléter l’évolution des choses mais elles doivent inclure le flair politique et les talents de communicateur qui sont devenus essentiels dans ce poste. Deuxièmement, nous avons recommandé un effort systématique pour identifier des candidats potentiels. On peut avoir recours à un comité de recherche, un appel à des expressions d’intérêt et des démarches auprès de personnalités spécifiques pour les encourager à présenter leurs candidatures. Troisièmement, nous avons suggéré que les états membres puissent entendre les candidats avant la sélection de telle sorte que ceux qui prennent la décision le fassent de façon informée. Cela pourrait se faire dans le cadre de sessions organisées à Genève et à New York par le président de l’AGNU, par des réunions régionales ou de façon moins officielle quand des occasions se présentent. Les états membres seraient alors en mesure de faire connaître leurs points de vue au Conseil de sécurité à propos des différents candidats considérés. Quatrièmement, nous suggérons de déterminer une date limite pour l’indication de l’intérêt par les candidats potentiels. Cela permettrait d’éviter une candidature de dernière minute de quelqu’un que l’AGNU n’aurait pas eu l’occasion d’entendre et d’apprécier.

Enfin, nous avons proposé que le mandat du SG soit limité à une période de cinq ou sept ans de façon à éviter des « manœuvres d’un candidat pour se faire réélire » et pour provoquer un recours plus fréquent au processus de sélection ouvert, encourageant ainsi une participation plus large, tant au plan géographique que de genre. Il y a bien entendu de nombreuses autres idées à explorer en vue d’améliorer tant le processus que le résultat de la sélection d’un SG. Par exemple :

4Le Conseil de sécurité pourrait être invité à recommander plus d’un nom à l’AGNU;

4Des rotations pourraient être introduites pour mieux équilibrer les régions et les genres;

4Étant donné l’importance croissante du rôle du Vice-Secrétaire général, les candidats pourraient être invités à indiquer avant la sélection qui ils voudraient nommer à ce poste. Je ne me fais pas d’illusion sur les difficultés qu’il y a à changer un processus qui a été la « propriété privée » du Conseil de sécurité depuis tant de décennies (et plus spécifiquement, des cinq membres permanents). Néanmoins, compte tenu de l’importance du poste et de la faiblesse de la pratique actuelle, je suggère que le Canada renoue avec cet effort afin de corriger les failles présentes.

BIOGRAPHIE Allan Rock est Président et vice-chancelier de l’Université d’Ottawa, un poste qu’il occupe depuis juillet 2008. En 2003 il a été nommé ambassadeur du Canada auprès des Nations Unies où il s’est avéré un défenseur acharné des droits de la personne, de la sécurité humaine et de la réforme de l’ONU. Lors du Sommet mondial de 2005, il a été l’artisan par excellence de la campagne canadienne pour faire adopter la doctrine de la « responsabilité de protéger » par les leaders mondiaux. Celle-ci vise à renforcer la capacité de l’ONU de protéger les populations contre le génocide, l’épuration ethnique, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. En 1993, il fut élu membre du Parlement pour Etobicoke-Centre et nommé ministre de la Justice et Procureur général du Canada. Il a aussi été ministre de la Santé, ministre de l’Industrie et ministre de l’Infrastructure.

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Les Nations Unies et l’aide humanitaire - un peu de respect Ian Smillie

SOMMAIRE Globalement, plus de la moitié de l’aide d’urgence est gérée par des agences de l’ONU, principalement le Programme alimentaire mondial et l’UNHCR. Les gouvernements ont une très faible capacité de distribution de l’aide et la contribution des ONG, tout en étant importante, n’en demeure pas moins inégale et peu coordonnée. Les agences de l’ONU agissent comme point central pour les donateurs; elles servent de coordonnateurs, de gestionnaires et d’agences de distribution sur la ligne de front. Elles sont souvent les premières sur le terrain et les dernières à quitter et elles sont souvent le seul mécanisme valable de distribution de l’aide humanitaire dans le contexte de certaines des urgences les plus tragiques au monde. Cela reste insuffisant. Le défi pour les états membres de l’ONU, y compris le Canada, est de trouver des façons de renforcer et d’améliorer la tâche herculéenne que représentent les besoins humanitaires.

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Quand une crise humanitaire se produit, les pays donateurs s’efforcent de trouver les modalités les plus rapides et les plus efficaces d’acheminer de l’aide. Bien que le Canadien moyen ne le sait probablement pas étant donné la tendance inévitable du ministre de la coopération à tout enjoliver, le mépris du gouvernement pour les Nations Unies et les campagnes de financement acharnées des ONG – la destination préférée des fonds humanitaires prodigués par le gouvernement canadien est les Nations Unies. C’est en fait le canal privilégié par les principaux pays donateurs du monde. Les gouvernements et les donateurs privés sont les principales sources de financement humanitaire. Dans un cas de crise classique, environ 10% des fonds proviendront de la Croix-Rouge ou par son intermédiaire et 25% via les ONG. Mais la part majeure, d’habitude plus de la moitié, passe par les agences des Nations Unies, notamment le Programme alimentaire mondial et l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR). Plusieurs raisons l’expliquent. D’abord, à part l’utilisation occasionnelle de matériel militaire pour livrer les secours, la plupart des pays donateurs, y compris les Canada, n’ont aucune capacité de livraison sur le terrain. Quelqu’un d’autre doit le faire. Les gouvernements locaux peuvent parfois en assurer une partie mais les urgences, par essence, étirent les capacités locales jusqu’au point de rupture. Les ONG peuvent en faire une partie comme en témoigne l’appui que leur donnent leurs gouvernements,

mais elles ont aussi leurs limites. Et à travers tout cela, il faut une solide coordination. Sous l’égide du Bureau de la coordination des Affaires humanitaires (OCHA), des agences de l’ONU servent de point central pour les donateurs; elles servent de coordonnateurs, de gestionnaires et d’agences de distribution sur la ligne de front. OCHA a créé ReliefWeb, la principale source en ligne pour de l’information fiable et à jour sur les crises et désastres dans le monde. OCHA a aussi créé IRIN, une agence de nouvelle respectée qui se spécialise sur les questions humanitaires. Les agences de l’ONU sonnent l’alerte et fournissent la recherche à long terme nécessaire pour sous-tendre les bonnes pratiques. Elles rappellent aux pays donateurs « les urgences oubliées » qui n’apparaissent plus sur les radars; elles sont souvent les premières à arriver sur le terrain et les dernières à quitter; et elles sont fréquemment le seul mécanisme sérieux de distribution de l’aide dans certains des endroits les plus dangereux de la terre. L’effort de l’ONU est colossal. En raison de nouveaux conflits au Sud Soudan et en République centrafricaine en plus de l’escalade de la violence en Syrie, à l’échelle mondiale, au milieu de 2014, on comptait 12 millions de réfugiés, 10 millions de personnes apatrides et 24 millions de personnes déplacées. Le UNHCR leur prodiguent abri, protection, aide juridique, soins de santé et aliments. Pour ce faire, l’agence compte 7,700 agents répartis dans 126 pays différents. En 2014, le Programme alimentaire mondial a fourni de l’aide à près de trois


millions de personnes au Darfour et à un nombre similaire de Syriens. Outre son travail en matière de protection, soins de santé et éducation des enfants, l’UNICEF est l’organisation humanitaire par excellence dans le monde pour les enfants. Et d’autres agences des Nations Unies jouent un rôle important : le PNUD, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, l’Organisation mondiale de la Santé et le Programme des Nations Unies pour les Établissements humains. Face à des urgences massives et brutales – tremblements de terre, inondations et ouragans – les pays donateurs peuvent être lents à réagir. Pour les victimes, toutefois, chaque heure compte et même les plus courts délais peuvent faire la différence entre la vie et la mort de dizaines de milliers de personnes. Le système onusien a créé des mécanismes de financement commun généraux et spécifiques qui permettent d’agir rapidement pendant que les ressources plus considérables des pays donateurs sont mobilisées. Ces fonds sont également utiles pour les urgences plus complexes et de plus longue durée lorsqu’une occasion se présente de traverser les lignes des rebelles ou de faire passer de l’aide lors d’une levée fortuite d’un blocus. Les agences de l’ONU ont une réputation, de la crédibilité et de l’influence. Grâce à ses bureaux politiques et ses opérations de maintien de la paix, l’ONU peut aller dans des endroits inaccessibles à d’autres et y agir comme aucun autre organisme ne le peut. On critique parfois l’ONU pour des carences de coordination, comme en Haïti, où la situation est devenue un véritable cauchemar après le tremblement de

terre de 2010. La coordination fonctionne mieux, toutefois, quand les gens sur le terrain en veulent et quand la situation politique est claire. Haïti était dans la confusion à cause de la présence militaire américaine et des innombrables ONG qui s’empilaient les unes sur les autres pour s’accaparer une part du gâteau. Ailleurs, l’ONU est le héros méconnu de douzaines de désastres – le Timor oriental et le Sierra Leone par exemple ou encore, aujourd’hui, à la frontière syrienne. Héros méconnu, bien entendu, n’est pas l’expression exacte pour ceux qui ont dû passer à travers des situations faites de chaos, de famine et de violence et qui n’ont presque jamais la moitié des ressources nécessaires à leur disposition. À l’été 2014, il y avait trois millions de Syriens dans des camps de réfugiés en plus de 6.5 millions de personnes déplacées par la violence des combats. Au premier août, la totalité des appels de fonds de l’ONU couvrait environ 39% des besoins. L’ONU, bien entendu, est la créature des états membres et elle est aussi bonne ou mauvaise que ce que lui permettent ses financiers, ses conseils d’administration, et ses gestionnaires. La réponse humanitaire du monde peut laisser beaucoup à désirer en termes de vitesse, de coordination et d’efficacité, mais les Nations Unies sont responsables de ce que l’aide humanitaire est meilleure de nos jours qu’elle ne l’a jamais été au cours du demi-siècle écoulé. Le défi pour les états membres de l’ONU, y compris le Canada, est de trouver des façons de renforcer et d’améliorer la tâche herculéenne que représentent les besoins humanitaires.

BIOGRAPHIE Ian Smillie a vécu et travaillé au Sierra Leone, au Nigéria, et au Bengladesh. Il est le fondateur de l’ONG canadienne Inter Pares, a été directeur exécutif de SUCO. Il a travaillé aux universités Tufts et Tulane et comme consultant en développement auprès de nombreuses organisations canadiennes, américaines et européennes. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont The Charity of Nations: Humanitarian Action in a Calculating World (2004, avec Larry Minear), Freedom from Want (2009) et Blood on the Stone: Greed, Corruption and War in the Global Diamond Trade (2010). Ian Smillie a participé à la création du Processus de Kimberley et il préside la Diamond Development Initiative.

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Repenser les Nations Unies John E. Trent

SOMMAIRE Bien que la réforme des Nations Unies ait été une constante au cours des soixantedix ans de son existence, il n’a pas toujours été possible d’adapter convenablement les institutions de l’ONU aux changements dans le du monde. En attendant, une multitude de problèmes planétaires illustrent le besoin croissant d’institutions mondiales qui peuvent prendre des décisions efficaces et en temps utile. Au cœur du problème se situent les attitudes des états nations qui s’accrochent à des concepts surannés de la souveraineté nationale et qui n’accordent pas une priorité suffisante aux étapes nécessaires et importantes destinées à améliorer la gouvernance mondiale. Un gouvernement canadien axé sur l’avenir ferait de « Repenser les Nations Unies » un programme central du ministère des Affaires étrangères.

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Quelle que soit notre opinion sur les Nations Unies, nous pouvons presque tous convenir qu’elles ont besoin d’une solide refonte. Bien que la réforme de l’organisation ait été une constante au cours des soixante-dix ans de son existence, il n’a pas toujours été possible d’adapter convenablement les institutions qui ont émergé après la Deuxième guerre mondiale aux changements sismiques du monde. Mais il est encore bien plus urgent de changer les attitudes des étatsnations envers les organisations internationales, de façon générale, et tout particulièrement envers l’ONU. Qu’est ce qui ne va pas dans le monde? Le monde a un besoin criant d’institutions capables de prendre des décisions à propos d’une multitude de problèmes à l’échelle de la planète. Le monde fait face aux défis des conflits armés (civils et internationaux), au changement climatique, à l’écart entre les riches et les pauvres, au terrorisme, à la pollution, au réchauffement de la planète, aux souffrances des femmes et des enfants, aux migrations massives, aux épidémies, aux crises financières et aux états fragilisés. Mais chacun de ces défis a un dénominateur commun : le monde est incapable de prendre des décisions fermes et légitimes qui rallieront respect et exécution. La Syrie: pas de décisions. L’Ukraine: pas de décisions. La Mer de Chine méridionale : pas de décisions. Israël et la Palestine: pas de décisions. Les armes nucléaires, pas de décisions. Les ventes d’armes augmentent allègrement et des milliers d’hommes et de femmes meurent. Mais pourquoi l’ONU est-elle incapable de prendre les grandes décisions urgentes? En un mot, à cause de la souveraineté – la conviction que chaque état a le droit de

faire ce qu’il veut en toute impunité. Les problèmes des organisations internationales découlent de ce concept européen démodé de la souveraineté, vieux de trois siècles et demi. J’ai dit qu’il fallait réparer l’ONU. Ce que je veux vraiment dire c’est que les attitudes des états et des peuples et de leurs leaders à courte vue envers la souveraineté et le nationalisme doivent changer. Le veto au Conseil de Sécurité est fondé sur la loi du plus fort - et non de la communauté – selon laquelle les puissants de ce monde devraient être ceux qui tranchent. Les caucus régionaux des états souverains exigent une représentation égale dans toutes les questions impliquant les Nations Unies y compris les droits de la personne. La bureaucratie à l’ONU reste corrompue tant que le recrutement sera fondé sur des quotas nationaux. Mais le nœud du problème c’est que d’abord, les pays continuent à donner la priorité à leurs propres intérêts par rapport à ceux de la communauté mondiale et, deuxièmement, les politiques nationales demeurent définies par des présidents, des premiers ministres et des cabinets agissant comme des monarques. Il y a fort peu de contrôles démocratiques. À quoi ressembleraient des institutions mondiales efficaces? Premièrement, nous devrions démocratiser les organisations internationales en incluant des assemblées populaires côte-àcôte avec les organes étatiques décisionnels. Tout le monde convient que faut limiter le recours au veto. Nous avons besoin de cours dont les décisions soient contraignantes et d’artisans internationaux de la paix. Le recrutement à l’ONU devrait être basé sur la compétence et l’intégrité. Des critères pour le recours à la Responsabilité de Protéger devraient être institués.


Deuxièmement, nous devrions emprunter le modèle des petits pas de l’Union européenne pour créer des institutions fonctionnelles communes, un cadre juridique, des droits et des institutions supranationaux, utiliser des votes pondérés en fonction de la population, des intérêts spécifiques, du poids économique et de la participation souveraine. Nous devons ouvrir notre politique étrangère à la participation et à des contrôles démocratiques. Troisièmement, les principes et les valeurs sont fondamentaux. À la crainte de créer un dictateur mondial doit être substituée la certitude que toute nouvelle institution comprendrait les techniques de la gestion étatique démocratique dont : la division et le contrôle des pouvoirs et la promotion des droits et de l’égalité, des garanties constitutionnelles, des institutions démocratiques, des élections, le fédéralisme, le libéralisme, l’état de droit, la police locale et la gouvernance décentralisée. Comment le Canada peut-il faire avancer le monde en ce sens ? Un gouvernement canadien axé sur l’avenir ferait de « Repenser les Nations Unies » un programme central du ministère des Affaires étrangères et donnerait à ce dernier les ressources nécessaires pour entreprendre ce travail majeur. Le ministère amorcerait un processus quasi-constitutionnel, avec comme objectif de faire progresser la gouvernance mondiale et d’encourager les pays partageant ces vues à emboiter le pas. C’est aux états que revient la responsabilité de harnacher le processus décisionnel des organisations internationales. Euxseuls ont les moyens de résoudre ce problème fondamental. Il n’en demeure pas moins que nous avons besoin de légitimer les politiques de l’état par un système de consultation public. Pour faire bouger les choses, les organisations non gouvernementales (ONG) peuvent planifier, pousser et encourager, mais en bout de ligne, ce sont les gouvernements qui doivent agir. Pour mobiliser le grand public, nous pouvons

apprendre des exercices de ‘démocratie délibérative’ sur la façon d’inclure les citoyens. Le processus des assemblées démocratiques a été mis au point au cours des deux dernières décennies pour être à la fois éducatives et participatives et inclure les contributions du public informé dans le processus décisionnel. La première étape consistera à lancer une réflexion pour répondre à cette question : « comment créer des institutions mondiales dotées de pouvoirs réels?» Nous devons procéder à une analyse des aspects suivants : les problèmes de l’heure dans le monde; un ensemble de valeurs pour la gouvernance mondiale; des nouvelles institutions mondiales créatrices; un cheminement pour y parvenir, accompagné d’un programme de rayonnement en éducation et communications. Le Canada peut contribuer à créer un réseau qui mette au premier plan de ses valeurs la coopération et la gouvernance mondiale. La réforme ne sera pas facile. S’y opposeront tous ceux qui ont un intérêt à la guerre plutôt qu’à la paix, ceux qui ne se sentent en sécurité que si leur vision nationaliste étroite perdure, ceux qui veulent empêcher «la foule ignare» de participer aux décisions. Je suis convaincu qu’ils seront déboutés par ceux qui sont suffisamment sages pour reconnaitre que la survie d’un monde interdépendant exige de l’humanité qu’elle se donne les moyens de sa propre gouvernance. Lectures additionnelles: Jacques Attali (2011). Demain, qui gouvernera le monde? Paris, Fayard. W. Andy Knight (ed.) (2005). Adapting the United Nations to a Postmodern Era: Lessons Learned, Houndmills U.K, Palgrave MacMillan. Joseph E. Schwartzberg (2013). Transforming the United Nations System: Designs for a Workable World, Tokyo, United Nations University Press.

BIOGRAPHIE Professeur depuis 1971 et ancien directeur au Département de science politique à l’Université, il est devenu Chercheur au Centre d’études sur la Gouvernance à l’Université d’Ottawa. Ses publications comprennent : “The need for rethinking the United Nations: modernizing through civil society”, (in Bob Reinalda ed., Routledge Handbook of International Organization, Abingdon, Routledge, 2013: pp.391 – 402); Modernization of the United Nations System: Civil Society's Role in Moving from International Relations to Global Governance, (Barbara Budrich Publishers, Upladen, Germany, 2007); The United Nations System (with Chadwick Alger and Gene Lyons, Tokyo, United Nations University Press 1995). Il fut Secrétaire général de l'Association internationale de science politique (AISP) de 1976 à 1988, Président de la Société québécoise de science politique en 1995-96, et viceprésident fondateur du Conseil universitaire sur les Nations Unies (1988-91).

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Perceptions canadiennes des Nations Unies Kathryn White SOMMAIRE La convocation par le Canada plus tôt cette année du sommet global « Chaque Femme, Chaque Enfant » sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants (SMNE) montre que quand il s’agit de développement, le Premier Ministre Stephen Harper reconnaît la portée, la légitimité, et le rendement sur l’investissement pour son gouvernement de ce canal unique qu’est l’ONU. Les Canadiens continuent à faire preuve d’un haut degré d’appui envers l’ONU. L’ACNU a effectué un sondage d’opinion auprès d’un segment particulier de la société canadienne, que l’on pourrait appeler « la base civique » du Canada : les 25% qui, en général, ont un revenu familial plus élevé, sont civiquement actifs, plus vieux, fréquentent des institutions religieuses et aident souvent les autres de façon informelle et directe. Ils sont aussi plus susceptibles de voter que d’autres. Ces enquêtes montrent que plus de 80% sont favorables à une gamme de programme et d’activités de l’ONU. Les résultats de l’ACNU sont confirmés par d’autres sondages qui mesurent les opinions des Canadiens.

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À la fin mai 2014, une réunion avait été organisée à Toronto avec l’aval plein et entier du Premier Ministre. Le Sommet mondial « Chaque Femme, Chaque Enfant » sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants (SMNE) réunit les protagonistes internationaux les plus importants de même que des représentants d’ONG canadiennes dans le domaine du développement. Aussi bien des spécialistes chevronnés que des observateurs extérieurs ont reconnu que Stephen Harper investissait une bonne part de l’avenir et du legs de son gouvernement à l’apport d’une contribution concrète, réelle et tangible dans ce domaine du développement indubitablement de première importance. Assez révélateur, le sommet réunit également les plus hauts fonctionnaires des Nations Unies. La liste est impressionnante : la dynamique Margaret Chan au franc parler de l’Organisation mondiale de la Santé, Ertharin Cousin, chef du Programme alimentaire mondial, Tony Lake du Fonds de l’ONU pour l’Enfance; Babatunde Osotimehim du Fonds des Nations Unis pour la Population, et le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon lui-même. L’ONU a bénéficié d’une présence centrale remarquable. La raison en est claire: sur les questions de développement, l’ONU est un organisme privilégié tant par l’Assemblée générale que par les fonctions politiques exécutives du Conseil de sécurité tout en ayant une capacité réelle de livrer ou d’accentuer des pratiques de développement

prometteuses sur le terrain. L’ONU le fait depuis qu’elle a été créée après le traumatisme de la Deuxième Guerre mondiale. Qu’est-ce que tout cela a à voir avec les perceptions canadiennes des Nations Unies ? Manifestement, il y a là une perception canadienne qui compte: quand il est question de développement, le Premier Ministre Stephen Harper reconnaît la portée, la légitimité, et le rendement sur l’investissement pour son gouvernement de ce canal unique qu’est l’ONU. Pour leur part, les agences de développement de l’ONU accordent beaucoup de valeur au leadership canadien en matière de santé des mères, des nouveau-nés et des enfants de même qu’à l’investissement du gouvernement canadien dans l’imputabilité, la gouvernance et l’appui à l’innovation. Pour obtenir une meilleure vue d’ensemble sur les perceptions qu’ont les Canadiens des Nations Unies, ainsi que leurs tendances, l’ACNU effectue régulièrement des sondages auprès des Canadiens. Il y a des biais importants et exclusifs dans notre échantillon. D’abord, le sondage s’adresse à ceux qui ont fait des dons à des charités (pas à l’ACNU) ou qui sont abonnés à des périodiques qui peuvent porter sur le développement national ou international. Sur la base d’une recherche des dons de charité par le grand spécialiste canadien des charités, Paul Reed, ancien de Statistique Canada et à présent à l’Université Carleton, notre échantillon cherche à représenter « la base civique » du Canada : les 25% qui, en général, ont un revenu familial plus élevé,


sont civiquement actifs, plus vieux, fréquentent des institutions religieuses et aident souvent les autres de façon informelle et directe. Ils sont aussi plus susceptibles de voter que d’autres. Nous estimons que ce biais rend la contribution de cette cohorte particulièrement valable. En outre, je pense que ses membres sont beaucoup plus susceptibles de suivre les nouvelles et peuvent donc, en contrepoint, être plus susceptibles d’appuyer les Nations Unies, sans doute avec un œil critique ou avec des attentes élevées à l’égard de l’Organisation. Avec ces restrictions à l’esprit, la base civique canadienne demeure unie dans son soutien aux Nations Unies et à son travail. Le chiffre remarquable de 88% des répondants ont dit que le Canada devait s’engager fortement envers les initiatives de l’ONU qui touchent à l’environnement; 84% estiment que le Canada devrait être à la tête des activités sur le principe de l’ONU de la responsabilité de protéger; 81 % endossent les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et les objectifs subséquents. Le fait que cet appui est resté solide en dépit de points de vue contraires exprimés par certains leaders canadiens illustre combien est nécessaire cette « table globale » en période de conflit et de changement géopolitique. Bien que les statistiques demeurent remarquablement stables dans l’ensemble d’une année à l’autre, il y a deux changements notables dans les chiffres de notre enquête de 2014. On observe un déclin dans l’évaluation par les Canadiens de la participation du Canada à l’ONU, de

61% en 2012 qui estimaient que le Canada faisait ce qu’il fallait à 46% en 2014. Deuxièmement, en 2014, une année de grande violence, de montée des extrémismes et du terrorisme, avec le conflit dans l’est de l’Ukraine, les conflits en République centrafricaine et au Sud Soudan, 65% des Canadiens estiment que l’ONU offre les meilleures possibilités de résoudre les conflits, un hausse par rapport au 59% de 2012. Pour bien comprendre ces données, il faut noter un déclin correspondant de 41% en 2012 à 33% en 2014, chez ceux qui n’étaient « pas certains » en réponse à la question sur l’ONU et sa capacité de fournir la meilleure solution aux conflits. Cela laisse croire que face à une montée des conflits dans le monde, ces Canadiens qui donnent à des charités, qui font du volontariat, qui aident leurs voisins et qui votent, estiment plus que jamais que les Nations Unies offrent le meilleur espoir de solution. Ces indicateurs sont supportés par d’autres sondages. Par exemple, le Projet sur les attitudes dans le monde de Pew, organisme bien respecté, qui mesure les impressions du grand public sur les Nations Unies dans 39 pays dans le monde, rapportait en 2013 que parmi les Canadiens, 62% avaient une image favorable des Nations Unies tandis que seulement 25% avaient une image défavorable. Pour ceux qui se demandent de quel côté se situent les Canadiens dans le monde et nos perceptions de l’ONU, il est clair qu’ils ne sont pas indifférents; ils sont avec les Nations Unies à l’appui d’un meilleur monde.

BIOGRAPHIE Kathryn White est la Présidente et directrice générale de l’Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU), un poste qu’elle occupe depuis 2004. Elle est également présidente élue du Conseil de la Fédération mondiale des associations pour les Nations Unies (FMANU). Avant l’ACNU, elle a assuré la direction de Black & White Inc., une firme de consultants internationale établie à Ottawa qui se spécialise dans la recherche sur les politiques sociales, les questions étrangères et le développement. Madame White a publié divers articles sur le rôle de la société civile dans les épidémies mondiales – qui a suscité un changement dans l’architecture de la réponse de l’ONU à la grippe aviaire, sur l’intégration de la dissidence dans des conférences mondiales, et sur les perceptions des facilitateurs dans la négociation de l’accord de Vendredi Saint en Irlande du Nord.

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