Les rapports entre l'architecture et la musique au travers de la phénoménologie de la perception

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Cycle Master Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Montpellier

LES RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTURE ET LA MUSIQUE AU TRAVERS DES CONCEPTS DE LA PHENOMENOLOGIE DE LA PERCEPTION MERLEAU-PONTIENNE

Mémoire présenté par Morgan LE GOFF, sous la direction de Catherine TITEUX



LES RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTURE ET LA MUSIQUE AU TRAVERS DES CONCEPTS DE LA PHENOMENOLOGIE DE LA PERCEPTION MERLEAUPONTIENNE

REMERCIEMENTS A Catherine TITEUX pour avoir accepté de suivre ce sujet de mémoire atypique, A Lambert DOUSSON pour avoir encadré un stage de recherche sur les rapports entre la Musique, l'Architecture et les Mathématiques A Hassan AIT-HADDOU et Juan Luis GASTALDI ("Giani") pour avoir co-encadré le stage A Andrès MARTINEZ pour ses bons conseils lors d'un bref entretien De manière générale, à toutes les personnes citées ci-dessus pour leurs conseils avisés et leur implication à plusieurs niveaux dans ce mémoire de recherche, et leur intêret pour le sujet.

JURY Catherine TITEUX ...................................................... Maître-assistante, ENSAM, directeur d'études Andrès MARTINEZ .................................................... Maître-assistant, ENSAM Jean PLANES .............................................................. Maître-assitant, ENSAM Johanna BATICLE ....................................................... Architecte

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SOMMAIRE INTRODUCTION .............................................................................................................. pp. 5 à 7 PARTIE I : METAPHORES ET THEORIE ROMANTIQUE ........................................... pp. 9 à 13 PARTIE II : FAITS NEUROLOGIQUES ET PSYCHOLOGIQUES ................................ pp. 15 à 17 A – "Music and spatial task performance : a causal relationship" ................................. p. 15 B – Point de départ de l'expérience ................................................................................ p. 15 C – Aboutissement et débouchés ................................................................................... p. 16 PARTIE III : CRITIQUE PHENOMENOLOGIQUE ........................................................ pp. 19 à 33 A – Principes .................................................................................................................. p. 19 a – Nécessité d'une vision du monde nouvelle ........................................................ p. 19 b – Le chiasme ......................................................................................................... p. 22 B – Analyse merleau-pontienne ..................................................................................... p. 25 a – Baigner dans l'œuvre .......................................................................................... p. 25 b – Mesurer l'œuvre architecturale .......................................................................... p. 28 c – Mesurer l'œuvre musicale .................................................................................. p. 31 d – Implications ....................................................................................................... p. 32

CONCLUSION ................................................................................................................... pp. 35 à 36 LEXIQUE ........................................................................................................................... pp. 39 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................. pp. 41 à 42 ANNEXE 1 ......................................................................................................................... pp. 45 à 70

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SOCRATE « Mais la Musique et l’Architecture nous font penser à tout autre chose qu’elles-mêmes ; elles sont au milieu de ce monde, comme les monuments d’un autre monde ; ou bien comme les exemples, çà et là disséminés, d’une structure et d’une durée qui ne sont pas celles des êtres, mais celles des formes et des lois. Elles semblent vouées à nous rappeler directement, — l’une, la formation de l’univers, l’autre, son ordre et sa stabilité ; elles invoquent les constructions de l’esprit, et sa liberté, qui recherche cet ordre et le reconstituent de mille façons ; elles négligent donc les apparences particulières dont le monde et l’esprit sont occupés ordinairement : plantes, bêtes et gens... Même, j’ai observé, quelquefois, en écoutant la musique, avec une attention égale à sa complexité, que je ne percevais plus, en quelque sorte, les sons des instruments en tant que sensations de mon oreille. La symphonie elle-même me faisait oublier le sens de l’ouïe. Elle se changeait si promptement, si exactement, en vérités animées et en universelles aventures, ou encore en abstraites combinaisons, que je n’avais plus connaissance de l’intermédiaire sensible, le son. » - Paul VALÉRY, Eupalinos ou l'Architecte

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INTRODUCTION La question d'un rapport intime entre l'Architecture et la Musique se pose depuis plus de 2500 ans. Beaucoup de tentatives littéraires, philosophiques, artistiques, métaphoriques, comparatives ont été tentées, mais aucune n'a pu être réellement satisfaisante. On peut s'émouvoir devant la beauté romantique d'un certain courant philosophique idéaliste allemand, devant les métaphores et la poésie bien écrite de Paul Valéry, ou satisfaire son esprit trop logique de transcriptions purement régies par des lois physiques, établies par une mathématique souveraine et dogmatique, ou encore s'émerveiller devant la transcription peut-être trop littérale d'une engence musicale en engence architecturale, ou de construire une œuvre musicale à partir de principes architecturaux. Il ne s'agit cependant pas là de s'essayer à l'une de ces méthodes, ni de les comparer entre elles, ni de juger si certaines sont plus pertinentes que d'autres, mais de prouver qu'il en existe au moins une autre qui peut démontrer que, par une analyse objective d'une démarche subjective, l'Architecture et la Musique ont un lien profond qui fait que ces disciplines sont analogues, si ce n'est identiques, mais aussi qu'elles permettent une émancipation de l'une grâce à l'autre, dans une relation d'équivalence totale. Cette méthode est l'emploi de la phénoménologie de la perception merleau-pontienne pour établir une relation que l'on voudra la plus sérieuse et la plus complète possible.

C'est en comprenant notre rapport au monde que l'on peut commencer à démontrer que cette intuition a réellement du sens, et que les tentatives d'explication proposées jusque-là ne sont que des choix maladroits quant aux outils utilisés pour ce faire, mais que la question d'un lien particulier entre l'Acrchitecture et la Musique est bel et bien pertinente, que ce lien réside dans notre rapport au monde, et plus précisément notre rapport à l'espace (à un sens étendu du terme, qui sera explicité plus tard dans le propos). L'hypothèse de départ est donc la suivante : le lien profond entre l'Architecture et la Musique réside dans notre rapport à l'espace. Pour comprendre ce rapport à l'espace, on se propose donc de passer par la phénoménologie de la perception merleau-pontienne, qui, à ce jour, semble être l'outil le plus approprié pour ce genre d'étude, à la fois parce qu'il est contemporain et donc d'actualité, mais aussi parce qu'il a pour ambition d'aller au-delà de la psychologie moderne et de questionner notre expérience des choses, et leur essence-même. Le propre de ce courant philosophique est d'établir et de comprendre les conséquences philosophiques de la psychologie de la perception, et de remettre au goût du jour des notions métaphysiques et empiriques, tout en leur apportant une étude sérieuse et la plus scientifique possible (car objective et sous condition de démonstrations, mais également faisant appel à l'expérience et l'expérimentation, ici, de notre propre perception et expérience du monde).

Cela dit, cette hypothèse soulève de nombreuses questions. Comment définir notre rapport à l'espace ? Car si cette question spatiale est évidente concernant l'Architecture, l'est-elle tout autant pour ce qui est de la Musique ? Est-ce que comparer la Musique et l'Architecture dans notre rapport à l'espace n'est pas encore une vision de l'esprit, purement métaphorique et romantique ? Comment peut-on parler de spatialité en Musique dans son fonctionnement propre ? Comment ce rapport à 5


l'espace se manifeste-t-il dans les deux domaines que l'on se propose d'étudier ? Est-il question de pouvoir transcrire une œuvre d'un domaine vers l'autre, rendant ce lien opérationnel ? L'utilisation de la phénoménologie de la perception merleau-pontienne est-elle pertinente pour parler d'Architecture ? Et qu'en est-il de la Musique ? Existe-t-il des exemples permettant de trouver une incorporation de la phénoménologie de la perception dans un travail d'Architecture ? En est-il de même concernant la Musique ?

Ce que l'on cherche ici à démontrer, c'est que la phénoménologie de la perception merleaupontienne est l'outil qui permettra d'ouvrir la voie vers une réelle démonstration d'un lien profond existant entre la Musique et l'Architecture, que cette question a un sens véritable, au-delà d'une simple vision de l'esprit. On se propose également de convaincre par cette critique que la pratique et la compréhension musicale ne peut que permettre de s'émanciper dans notre pratique et notre compréhension architecturale, car la conscience musicale et la perception spatiale relèveraient d'un même phénomène (ce que l'on peut déjà considérer comme vrai pour l'Architecture). D'un point de vue individuel donc, la pratique de la Musique serait un moyen efficace de progresser dans sa pratique architecturale, et ce parce que le phénomène musical serait le même que le phénomène architectural, ou en tout cas du même ordre. Mais on peut également considérer que la connaissance musicale permettrait de faire progresser la compréhension de l'Architecture à une échelle globale. Il ne s'agit pas d'établir la pertinence ou non d'une comparaison artistique, ni de démontrer qu'une transcription d'une œuvre musicale en architecture, ou d'une œuvre architecturale en musique soit possible, car ce serait alors avouer dores et déjà l'échec du raisonnement que l'on cherche à mettre en place, puisque si l'une peut se transcrire en l'autre, cela signifie que les deux disciplines sont différentes. C'est pour cela que l'on parlera quasi-systématiquement de Musique avec un grand "M", et d'Architecture avec un grand "A".

Pour pouvoir dire que notre conscience musicale se conforme à notre perception spatiale, il faut d'abord qu'elle puisse avoir une manifestation spatiale. Une première partie sera conscrée a un bref état des lieux de la conception la plus couramment admise jusqu'à maintenant sur les liens entre la Musique et l'Architecture, en s'appuyant sur un texte de Paul VALERY et un commentaire sur la philosophie de Georg Wilhelm Friedrich HEGEL. On considèrera pour la suite du propos que la Musique a une structure géométrique, comme a pu le rapporter Patrice BAILHACHE, ce qui est une condition indispensable pour pouvoir parler de notre rapport à l'espace, car ce dernier est directement lié à la géométrie (qu'elle soit euclidienne, riemannienne ou autre), ce qu'il est par contre inutile de faire pour l'Architecture, puisque la géométrie est le propre même de la conception de l'œuvre architecturale. Cette structure géométrique se manifeste de diverses manières et permet de comprendre comment on peut considérer que la Musique fonctionne effectivement de la même manière que l'Architecture d'un point de vue topologique, de sa manifestation physique jusqu'à son écriture. Cette étape constitue un pré-requis indispensable pour situer à la fois un contexte de réflexion et de compréhension du sujet, mais aussi pour stimuler un effort d'imagination nécessaire à la critique phénoménologique. La deuxième partie de l'étude proposera l'analyse d'un rapport d'expérience menée dans la première moitié des années 1990 par une équipe de neurologues, psychologues et physiciens du Centre de Neurobiologie de l'Apprentissage et de la Mémoire de 6


l'Université de Californie qui démontre que la conscience musicale et la cognition spatiale sont totalement liées. Une troisième partie consistera en une critique phénoménologique, et après un rappel de ce en quoi consiste la phénoménologie de la perception merleau-pontienne, une argumentation pourra être mise en place afin de décrire les liens entre l'Architecture et la Musique au travers de ses concepts philosophiques.

Cette critique permettra d'ouvrir la voie vers un champ d'étude qui n'a pas vraiment été osé jusqu'à présent, mais qui semble pourtant être une des manières la plus logique de traiter le lien qui unit exclusivement l'Architecture et la Musique. On s'intéressera ici à la nature de l'Architecture et de la Musique, et on peut espérer que ce travail permettra de redonner une place importante à la dimension philosophique de ce qu'est l'Architecture, mais également de mieux comprendre son essence et ses implications, et de ré-ouvrir l'Architecture sur d'autres domaines dans une époque de crise architecturale où elle s'introvertit de plus en plus et se laisse soumettre par la dictature de ses enjeux économiques et techniques. Il s'agit de rappeler que l'Architecture a des implications plus vastes et importantes qu'une réponse littérale donnée à une accumulation de contraintes, mais qu'elle constitue bien un art à part entière et que son potentiel d'émancipation est bien plus vaste que ce que l'on pourrait voir actuellement... Ceci s'opposera à l'hégémonie du sens de la vue dans notre culture occidentale, comme ont pu le mettre en exergue divers philosophes et architectes, dont Juhani PALLASMAA, qui a écrit que "Dans l'expérience de la spatialité qui nous enveloppe, de l'intériorité et du sens tactile, il faut remarquer la suppression délibérée d'une vision précise, ciblée. Ce sujet apparaît à peine dans le discours théorique de l'architecture qui continue à s'intéresser à la vision directe, à l'intention consciente et à la représentation en perspective"1. L'étude qui suit demandera donc un effort d'imagination, de mémoire et d'expérience indispensables à l'appréhension d'une étude phénoménologique.

1 - PALLASMAA, Juhani, Le Regard des Sens, 2010, Paris, Editions du Linteau, p. 13 7


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I – METAPHORES ET THEORIE ROMANTIQUE

La Musique et l'Architecture sont deux arts que tout oppose en apparence. Pourtant, la relation entre les deux est des plus intime, et des plus surprenante. On part pourtant bel et bien d'une première idée de rupture. D'un côté, l'Architecture est un art matériel. De l'autre, la Musique un art immatériel. Cependant, la Musique et l'Architecture ont non seulement des liens conceptuels, techniques et formels, mais aussi intimes et intrinsèques, l'une complétant l'autre dans une relation paradoxale mais absolument compatible. Qu'est-ce qui pousserait alors à lier l'Architecture et la Musique dans une relation fusionnelle ? L'interrelation entre l'Architecture et la Musique est un sujet récurrent dans la philosophie, la musicologie et les études sur l'Architecture. On retrouve déjà cette correspondance dans le quadrivium de Archytas (philosophe pythagoricien), qui lie l'arithmétique (comme fondement de tout ce qui existe), la musique (considérée comme l'arithmétique sensible), la géométrie (dont le dessin se fait en fonction de l'arithmétique), et l'astronomie (considérée comme la géométrie sensible). En réalité, Pythagore considérait que tout s'exprimait par les mathématiques, ce qui place l'arithmétique au-dessus de tout, comme science mère et fondement de base de sa philosophie. D'autres philosophes se sont également intéressés à cette relation étroite existant entre la Musique et l'Architecture. Par exemple, Friedrich Wilhelm Joseph Von SCHELLING parle de l'Architecture comme d'une "musique figée"2, ou GOETHE qui qualifie l'Architecture "d'art musical réduit au silence"3, ou encore Pythagore dont les principes ont été repris dans la philosophie platonicienne et néo-platonicienne en parlant de la Musique comme la manifestation des lois qui régissent l'Architecture de l'univers (voir la notion d'harmonie des sphères). HEGEL, et les philosophes de l'idéalisme allemand, fondent une grande partie de leur travail sur la correspondance des arts matériels (peinture, sculpture et architecture) et immatériels (poésie et musique). Cinq arts fondamentaux y sont décrits. La peinture consiste à saisir le jeu des lumières sur un volume visible en trois dimensions et à le retranscrire en seulement deux dimensions, à saisir les contours apparents de l'objet étudié précisément délimités par la manière dont la lumière interagit avec ce dernier. Elle formule une représentation, qu'elle soit personnelle ou qu'on la veuille universelle, de ce que notre œil voit, et que notre cerveau interprète. La forme étudiée reste délimitée par le support qu'on lui donne. La sculpture est une manière de représenter en volume une autre volumétrie que l'on interprète. Là encore, elle formule clairement une idée, quelque chose que l'on montre ou démontre, et elle est également délimitée, à la fois par la matière disponible que l'on a, mais surtout par son volume propre. Elle est également un art visuel, mais aussi un art tactile. La poésie est quant à elle une manière de formuler une idée, de nommer par des termes précis, ou par métaphore, des concepts, saisissables ou non, liés aux émotions et aux sentiments. A l'instar des

2 - DARRIULAT, Jacques, Hegel et l'Art Romantique, 29/10/07, Hegel et la Musique, paragraphe 6, ligne 18 3 - DARRIULAT, Jacques, Hegel et l'Art Romantique, 29/10/07, Hegel et la Musique, paragraphe 6, ligne 27 9


deux arts précédents, elle trouve également une limite, dans la formulation qu'elle se propose de donner à une idée et dans le fait de ne pas pouvoir dépasser un certain logos. Ces trois arts ne proposent pas d'interaction, avec un potentiel sujet extérieur, autre que la contemplation et le questionnement sur l'objet en lui-même. Il s'agit d'arts figuratifs. La Musique et l'Architecture sont différents de ces arts, car ils laissent libre cours à une interaction qui peut être à la fois improvisée à tout instant, et interprétée de n'importe quelle manière, au moment-même où nous les découvrons avec notre corps ou nos émotions, car ils sont dépourvus de logos (la Musique et l'Architecture en tant que telles). Il est en effet impossible de décrire notre perception d'un espace architectural ou d'une musique à proprement parler de manière précise, alors que l'on peut tout à fait décrire une peinture, une sculpture ou un poème de manière claire et intelligible. En réalité, parmi ces cinq arts, seules la Musique et l'Architecture sont des œuvres qui englobent totalement leur spectateur, comme le dit P. VALERY : "Nous sommes, nous nous mouvons, nous vivons alors dans l'œuvre de l'Homme ! Il n'est partie de cette triple étendue [les dimensions spatiales ?] qui ne fut étudiée et réfléchie. Nous y respirons en quelque manière la volonté et les préférences de quelqu'un. Nous sommes pris et maîtrisés dans les proportions qu'il a choisies. Nous ne pouvons y échapper."4 Les deux arts sont l'expression et la manifestation de la volonté de leur auteur ou de leur commanditaire. Le compositeur d'une œuvre musicale ou architecturale contraint litérallement le temps et l'espace par la manifestation de celle-ci. L'œuvre du compositeur ainsi créée et manifestée englobe totalement le corps et l'âme de celui qui se trouve en son sein, bien qu'elle reste spatialement et temporellement délimitée, elle est verbalement indéterminée. P. VALERY insiste sur l'idée d'englobement d'une œuvre musicale, et sur le fait qu'on ne peut lui échapper tant qu'elle existe dans notre champ perceptif : "[...] Etre dans une œuvre de l'homme comme poisson dans l'onde, d'en être entièrement baigné, d'y vivre, et de lui appartenir ? [...] Hé quoi ! Tu n'as donc jamais éprouvé ceci, quand [...] l'orchestre emplissait la salle de sons et de fantômes ? Ne te semblait-il pas que l'espace primitif était substitué par un espace intelligible et changeant [...]."5 Il y a une insinuation très importante d'un point de vue phénoménologique : l'écoute, la présence de la musique nous fait percevoir l'espace nous environnant différemment ("Ne te semblait-il pas que l'espace primitif était substitué par un espace intelligible et changeant [...] ?). Le terme "intelligible" implique que la Musique renforce ou modifie l'appréhension de l'espace environnant. Il faut garder à l'esprit qu'il parle d'un orchestre jouant dans une salle, ce qui implique l'association directe de la musique avec l'oreille réceptrice, le cerveau interprète, et le corps sensitif. Autrement dit, il fait directement référence à l'acoustique d'un lieu et à notre capacité à nous repérer dans l'espcace grâce au son (écholocation, très faible chez l'humain lambda, mais néanmoins existante, comme le montrent les travaux de Michaels SUPA), mais aussi à un état supérieur de conscience stimulé par l'écoute musicale (l'emploi d'expressions, même métaphoriques, comme "fantômes", "édifice mobile", "âme de l'étendue", et le constat d'une prise de conscience de la dimension temps ("le temps lui-même t'entourait de toutes parts") permet d'en arriver à cette

4 - VALERY, Paul, Eupalinos ou l'Architecte, 1970, Paris, Gallimard, réédité en avril 2012, p.41 5 - VALERY, Paul, Eupalinos ou l'Architecte, 1970, Paris, Gallimard, réédité en avril 2012, p.42 10


conclusion). En somme, une interprétation actuelle pourrait stipuler que la Musique et ses effets sur l'homme s'expliquent par la phénoménologie de la perception, et que cette explication peut s'appliquer à l'Architecture et ses manifestations phénoménologiques. HEGEL décrit la musique comme l'art le plus immatériel qui soit, "concentrée sur le point intense du présent"6 ce rapport entre la Musique et la dimension temps étant récurrent dans la philosophie, de par son évanescence ("concentrée sur le point intense du présent"), son immatérialité (elle ne correspond à aucun logos et n'a pas de substance physique à proprement parler), de son rapport à l'âme, mais aussi tout simplement par sa manière de fonctionner, car l'écriture et la pratique musicale sont directement une manière de mesurer le temps (on parle d'ailleurs de "mesures" pour décrire la section principale récurrente d'une œuvre musicale) . Sa manifestation et son mode d'expression nous permet de capter et de transmettre des émotions, sans pour autant avoir besoin de les formuler avec des mots. La musique est un langage à part entière et complètement différent du langage verbal, mais qui n'est cependant pas inintelligible. En effet, la musique nous parle, et nous la comprenons à partir du moment où l'on ne se force pas à la comprendre. C'est le langage des émotions pures (non verbales), comme le dit J. DARRIULAT: "Cette immatérialisation est aussi une intériorisation. Il appartient en effet à l'esprit de nier ce qui n'est pas lui, càd la matière. En frappant le corps sonore, l'âme de la musique veut l'arracher à sa matérialité […] : "La tâche principale de la musique consiste donc, non pas à reproduire les objets réels, mais à faire résonner le moi le plus intime, sa subjectivité la plus profonde, son âme idéelle (HEGEL)"7. Ainsi, la Musique est un langage. Pourquoi ne pouvons-nous le comprendre (comprendre ce qu'elle nous dit au moment où on l'écoute, et non comprendre son fonctionnement) qu'à partir du moment où l'on cesse de chercher à comprendre ? Tout simplement parce que ce langage s'exprime d'une manière totalement étrangère au langage verbal (bien que, comme tout langage connu, il se construise selon un principe de répétition et une syntaxe). De ce fait, si l'on essaie de traduire la Musique avec des mots, on se lance dans une cause perdue, l'assimilation de l'un parasitant la compréhension de l'autre. Le fait de pouvoir nommer une émotion ne suffit pas à la formuler verbalement, car donner un nom à quelque chose ne fait que nous donner l'illusion de comprendre de quoi on parle. En effet, même si l'on peut nommer et identifier la joie ou la peur, on ne peut en aucun cas l'exprimer ou la décrire de manière précise et pertinente avec les mots. Cependant, ces mêmes émotions deviennent perceptibles et intelligibles avec une précision redoutable lorsqu'elles sont exprimées par le langage musical, qui touche au plus profond une âme attentive, au point de lui faire ressentir exactement ce qui est exprimé si elle sait l'écouter et l'entendre. Concernant l'Architecture, décrite, elle, comme l'art le plus matériel de tous, "celui des masses pesantes"8, de l'organisation spatiale, et du rapport au corps, elle se manifeste dans les 3 dimensions spatiales connues et perçues. Elle est l'expression du corps en tant que tel dans un

6 - DARRIULAT, Jacques, Hegel et l'Art Romantique, 29/10/07, Hegel et la Musique, paragraphe 7, ligne 6 7 - DARRIULAT, Jacques, Hegel et l'Art Romantique, 29/10/07, Hegel et la Musique, paragraphe 4, lignes 1 à 10 8 - DARRIULAT, Jacques, Hegel et l'Art Romantique, 29/10/07, Hegel et la Musique, paragraphe 6, ligne 8 11


espace, dont la géométrie et le mouvement ne peuvent être décris avec précision tant la dimension aléatoire en est partie intégrante. Cet art des masses et de l'espace donc (que l'on peut résumer comme une dualité plein/vide), peut en fait être vu comme une synthèse des 3 autres arts figuratifs. La sculpture est l'art de former la matière et de l'inscrire dans un espace, de la dimensionner et la proportionner. La peinture est celui de la lumière, de la perspective et du cadrage visuel. La poésie, quant à elle, est l'art de formuler une pensée, une démarche et de rendre intelligible un état d'âme. La Musique, elle, fonde ses principes sur l'organisation (rythme/eurythmie), l'expressivité et l'émotivité. L'Architecture est l'art des arts, et de leur correspondance, dont toutes les composantes sont indispensables à une architecture en tant que telle. La manifestation temporelle de la Musique, et celle spatiale de l'Architecture laissent penser que d'une certaine manière, les deux domaines étudiés et mis en rapport ont un fonctionnement similaire, et pour lesquels on a une appréhension tout à fait équivalente, mais il faut tout de même garder une certaine méfiance quant à la dimension souvent trop romantique des correspondances entre Musique et Architecture faite par HEGEL et d'autres philosophes allemands notamment. L'Architecture, bien qu'art le plus matériel qui soit, n'est pas l'opposé de la Musique. En réalité, il en est plutôt l'anti-état, ou l'anti-manifestation : "A la pérennité et la stabilité du monument, s'opposent l'instabilité et la fugacité de l'écoute musicale tout entière concentrée sur le point intense du présent, jamais identique à lui-même (HEGEL)"9. C'est cette temporalité qui est la clé de cette soi-disant opposition. L'Architecture représente à la fois le passé et le futur, par le simple fait qu'elle n'apparaît et ne disparaît pas sur un même moment (relatif à notre propre perception temporelle) instantané et infiniment court. La Musique, quant à elle, disparaît aussitôt qu'elle apparaît sur ce même instant infini. Ainsi, il y a une notion de temporalité importante qui permet de comprendre comment les deux domaines peuvent coexister, se compléter et être en relation permanente sans pour autant avoir besoin de se croiser. L'Architecture, donc, n'est pas opposée à la Musique. Les deux arts manifestent l'espace dans des temporalités différentes. Ceci étant dit, la Musique est une manifestation de l'âme et de ses émotions, l'Architecture est celle de son réceptacle : le corps. Cette dernière n'est donc pas le langage des émotions, mais l'expression du mouvement et des perceptions phénoménologiques : la lumière et la matière (vue), l'acoustique (ouïe), la thermique (touché), l'espace (proprioception et équilibrioception), et cætera. La Musique et l'Architecture mises en œuvre présentent une forme de retournement sur soi : "Il y a donc deux arts qui enferment l'homme dans l'homme ; ou plutôt, qui enferme l'être dans son ouvrage, et l'âme dans ses actes et dans les productions de ses actes, comme notre corps d'autrefois était tout enfermé dans les créations de son œil, et environné de vue. Par deux arts il s'enveloppe de deux manières, de lois et de volontés intérieures, figurées dans une matière ou dans une autre, la pierre ou l'air."10 Autrement dit, l'homme se révèle à lui-même grâce à la manifestation de son œuvre ("l'être dans son ouvrage"), corporellement par la pensée et le parcours de l'ouvrage architectural, spirituellement par la pensée et l'écoute de l'œuvre musicale. On pourrait croire que la notion d'espace figé et délimité que représente l'Architecture est paradoxale avec l'analogie sur le

9 - DARRIULAT, Jacques, Hegel et l'Art Romantique, 29/10/07, Hegel et la Musique 10 - VALERY, Paul, Eupalinos ou l'Architecte, 1970, Paris, Gallimard, réédité en avril 2012, p.44 12


mouvement, mais c'est précisément parce que la matière fixe l'espace qu'elle permet au corps de se mouvoir librement. Si l'espace généré par l'Architecture, et sa matière, était en perpétuel mouvement, le corps ne saurait y trouver sa place. La Musique et l'Architecture sont en fait les véhicules de notre appréhension de ces dimensions et de notre rapport à elles. L'Architecture et la Musique sont deux domaines sensibles, par des moyens, et des supports différents : la première par le corps en fonction des dimensions spatiales dans lesquelles il se meut (rapport à la proprioception, entre autres), le second par l'âme, en fonction de la dimension temporelle dans laquelle elle s'exprime (rapport à la chronoception). L'Architecture permet donc au corps de se révéler à luimême alors que la Musique permet à l'âme de prendre conscience d'elle-même. On touche donc bien au domaine de ce qui est immatériel quand on tente de saisir ce qu'est la Musique même, et du matériel lorsque l'on parle d'Architecture, ou encore du temps pour la première, et de l'espace pour la seconde, qui, comme on le sait aujourd'hui, représentent quatre dimensions d'un système plus vaste actuellement hors de notre portée. On peut noter que VALERY évoque explicitement la phénoménologie de la perception lorsqu'il dit : "[...] notre corps d'autrefois était tout enfermé dans les création de son œil, et environné de vue." On peut voir ici un discours à la fois cartésien sur la distinction entre le corps et l'esprit, et merleau-pontien quant à la notion d'un "environnement constitué de vue[s]".

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II – FAITS NEUROLOGIQUES ET PSYCHOLOGIQUES

A - "Music and spatial task performance : a causal relationship" Comme Merleau-Ponty a pu le faire avec la Gestaltpsychologie, on ne peut pas donner une critique phénoménologique sans partir d'un support purement scientifique relatant le fonctionnement neuronal et psychologique de l'être humain. L'étude qui sera présentée et analysée ici a été menée par Frances RAUSHER et Gordon SHAW au Centre de Neurobiologie de l'Apprentissage et de la Mémoire de l'Université de Californie. Elle fait état d'une relation causale entre l'apprentissage de la pratique musicale et une nette amélioration des capacités à appréhender l'espace. Jusque-là, Xiaodan LONG, Gordon SHAW et Eric WRIGHT ont déterminé un schéma neuronal du cortex démontrant la corrélation entre la conscience musicale et le raisonnement spatial, d'après les travaux de Marianne HASSLER, Alexander FEIL et Neil BIRBAUMER, ce qui a inspiré l'expérience dont il est question : la conscience musicale et le raisonnement spatial ont une relation causale.

Voici une traduction de la présentation du dossier relatant l'étude en question : "Ce dossier de recherche fait état du test de l'hypothèse selon laquelle la musique et les performances dans les tâches spatiales ont une relation causale. Deux études complémentaires présentées répliquent et explorent des découvertes antérieures. Une étude [menée par des] étudiants a montré qu'écouter une sonate de Mozart induit une facilitation du raisonnement spatial sur un court-terme et a testé les effets d'une musique extrêmement répétitive sur le raisonnement spatial. La seconde étude étend les découvertes d'une étude pilote préliminaire de 1993 qui suggère que l'apprentissage de la musique chez un enfant de trois ans donne une amélioration sur le long-terme de capacités cognitives non-verbales déjà présentes à un niveau significatif chez l'enfant. Le dossier est conclu par une analyse des implications scientifiques et éducatives, un meilleur contrôle, et de futurs objectifs de recherche. Il contient 10 références".

L'hypothèse principale est que le schéma neuronal qui gère la compréhension musicale correspond à un développement du cerveau permettant de comprendre la mise en place de schémas répétitifs, et fonctionne également pour la compréhension de l'espace, car notre cerveau reconnaît un ensemble de modèles interagissant les uns avec les autres.

B – Point de départ de l'expérience Ce qui a poussé Frances RAUSHER et Gordon SHAW à mener cette série d'expériences est donc un modèle neuronal du cortex cérébral établi par Xiaodan LONG, Gordon SHAW et Eric WRIGHT, qui semblait indiquer qu'il y avait une relation de cause à effet entre l'apprentissage et la 15


compréhension musicale et la capacité à accomplir des tâches spatiales. Ce modèle suggère que la conscience musicale partage des structures neuronales communes avec d'autres fonctions congnitives principales de notre cerveau. La pratique de la musique entraînerait des connexions neuronales similaires, sinon identiques, à celles engendrées par l'accomplissement de tâches spatiales. L'hypothèse de départ est donc que la musique peut être utilisée pour développer ces connexions neuronales associées à une meilleure cognition spatiale.

Des travaux précédents de Frances RAUSHCER, Gordon SHAW et Katherine KY ont démontré que l'écoute de la musique permettait une amélioration des capacités à accomplir des tâches spatiales sur le court terme. L'expérience a démontré que l'écoute d'une sonate de Mozart (Sonate pour Deux Pianos en D Majeur, K.448) a permis une amélioration pendant 10 à 15 minutes du raisonnement spatial. Ceci a conduit à élaborer une première expérience étalée sur 5 jours, et à laquelle 84 étudiants ont participé, pour finalement être complétée par 79 d'entre eux, divisés en 3 groupes : 26 étudiants étaient exposés au silence durant 10 minutes avant l'accomplissement des tâches (groupe Témoin), 27 écoutaient la sonate de Mozart (groupe Mozart), et 26 écoutaient de la musique répétitive ou un discours (groupe Variable). L'expérience consistait en une série de tâches reposant sur la cognition spatiale et sur la mémoire. Cependant, elle n'a pas vraiment été concluante, puisque certainement mal orientée. On y trouve cela dit un début de réponse qui se situe entre le premier et le deuxième jour d'expérience, où l'on note une nette amélioration dans l'accomplissement des tâches chez le groupe "Mozart" (p.11, Figure 4 de l'annexe 1). On note également une amélioration progressive chez les trois groupes d'étudiants, ce qui est lié au processus même d'apprentissage, avec toutefois un progrès moins significatif chez le groupe Variable, ce qui montre à la fois que l'écoute de n'importe quel genre musical n'améliore pas forcément la cognition spatiale (en tout cas sur le court terme), et que le progrès effectué par les étudiants n'est pas non plus uniquement dû à la concentration de ces derniers, ce qui a été démontré par l'écoute d'un discours avant accomplissement des tâches (p.11, figure 4 de l'annexe 1). L'expérience a également démontré que la mémoire n'était pas impliquée dans la relation causale entre l'écoute de la musique et l'amélioration sur le court terme dans l'accomplissement de tâches spatiales.

C – Aboutissement et débouchés Une étude pilote, menée par Frances RAUSHER, Gordon SHAW, Linda LEVINE et Eric WRIGHT, démontrant que 10 enfants de 3 ans réalisent de meilleurs scores dans l'accomplissement de tâches spatiales après avoir reçu des leçons de musique a permis d'établir un protocole très important, impliquant 22 enfants entre 3 et 5 ans auxquels des leçons de musique et de chant ont été dispensées durant 8 mois, et 15 enfants, appartenant au même programme scolaire, n'ayant reçu aucun apprentissage de la musique. Il semble important de noter que les exercices comprenaient, comme pour tout apprentissage d'un instrument de musique, des exercices de coordination et d'associations numériques avec les doigts, ainsi que des exercices de création, et d'apprentissage des bases de la lecture et de l'écriture musicale. Ceci est important car elle implique la question tactile et visuelle dans l'apprentissage de la musique, et on peut alors se demander si les questions de coordination, d'écriture et de lecture amplifient le progrès de la cognition spatiale en permettant au corps de réagir à la musique et de formuler des idées abstraites. L'expérience a également été menée 16


sur 4 autres types de tâches à accomplir, afin de savoir si l'influence de l'apprentissage de la musique s'étendait à d'autres domaines. Après les 8 mois d'expérience, les résultats sont absolument détonnants : les enfants qui ont reçu des leçons de musique et de chant ont obtenu des scores largement supérieurs lors de l'accomplissement de tâches spatiales aux scores des enfants témoins, mais on voit également que l'apprentissage de la musique n'a pas eu d'influence sur l'accomplissement d'autres types de tâches, ce qui renforce l'idée d'un lien spécifique entre la conscience musicale et la cognition spatiale. En fait, les enfants témoins n'ont montré qu'une amélioration légère durant les 8 mois d'étude sur les 5 types de tâches proposés (à relier au processus d'apprentissage chez l'enfant en bas-âge), et les enfants à qui on a dispensé des cours de musique n'ont montré une amélioration significative que dans l'accomplissement de tâches spatiales (p.19, figure 8 de l'annexe 1). Il est notable que les tâches spatiales proposées par l'expérience nécessitaient toutes le recours à la formation d'images mentales pour les reproduire physiquement. Il a donc été nécessaire à ces enfants de se représenter mentalement une réponse, et non de choisir une réponse parmi d'autres, ce qui aurait impliqué d'avoir une représentation visuelle donnée de la réponse attendue. Ce principe de formulation d'une réponse à partir d'une image mentale a été exigé car la Musique elle-même requiert la formation d'images mentales pour être comprise et pratiquée. Cette expérience à généré une nouvelle hypothèse : d'autres tâches dépendant de processus spatio-temporels devraient donc être améliorés par l'apprentissage et la pratique, et on rajoutera même la compréhension, de la Musique. Le but de ces expériences a été de redonner une place importante à l'apprentissage de la Musique dans les écoles et l'éducation des individus en démontrant son intérêt certain dans le développement intellectuel et psychologique (neuronnal). Mais plus important, l'étude a permis de démontrer de manière irréfutable que la conscience musicale permettait une meilleure cognition spatiale, une amélioration nette de la formation et l'expression d'images mentales, et du rapport à l'espace et au temps que l'on peut avoir, et ce de manière très significative. Il est évident que l'expression et la représentation d'images mentales, le rapport à l'espace, la cognition spatiale donc, est ce qui constitue une des données les plus caractéristiques à la conception architecturale (sans en exclure d'autres). Mais il ne faut pas non plus oublier la place de l'expérience et de la compréhension du monde dans lequel on intervient par le biais de l'Architecture et de la Musique. On se proposera donc d'étudier comment ce rapport à l'espace et au temps, mais aussi l'expérience du monde, se manifeste à travers l'Architecture et la Musique par une étude du phénomène architectural et du phénomène musical, afin de démontrer que les liens entre les deux domaines existent au-delà d'un point de vue neurologique, mais que ces deux Arts sont équivalents, si ce n'est identiques, dans leur essence même et dans ce qu'ils expriment de notre être.

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III – CRITIQUE PHENOMENOLOGIQUE

A – Les principes

a - Nécessité d'une vision du monde nouvelle

Cette partie peut être introduite par ces mots de Merleau-Ponty : "[...] Le monde perçu n'est pas une somme d'objets, [...] notre relation avec lui n'est pas celle d'un penseur avec un objet de pensée, [...] La chose perçue [...] n'est pas assimilable à celle d'un théorème [...]"11. Autrement dit, le monde que nous percevons n'est pas une accumulation d'objets indépendants les uns des autres. Il est constitué de toutes ses parties à la fois, nos sens ne les interprètent pas indépendamment les unes des autres et les objets perçus le sont en fonction de tout ce qui les entoure, l'être percevant inclus. Nous ne sommes nous-mêmes pas indépendants du monde perçu, à l'instar de tout ce qui en fait partie. Nous sommes nous-mêmes partie du monde perçu (un des sens du corps humain qui implique le mieux cette réciprocité est la proprioception, qui est également un des sens principaux de notre rapport à l'Architecture, voire la Musique), ce qui occupe notre objet de pensée ne peut pas être un objet en tant que tel, indépendant de son espace environnant. La notion de théorème permet de rendre une chose à la fois reproductible et unique, car le théorème n'est qu'une donnée invariable définissant un objet en particulier à l'exception de tous les autres, comme dans la géométrie. La chose perçue, elle, n'est pas assimilable à celle d'un théorème dans le sens où elle ne dépend pas que d'elle-même (car elle n'est pas seulement un objet en soi). En d'autres termes, la "chose perçue" n'est pas un objet analysé, un objet de pensée dans un système où l'être percevant est en dehors du monde qu'il perçoit, mais bien un système complet où il ne peut pas y avoir d'objet en tant que tel car il n'est qu'un constituant parmi un nombre indéfinissable d'autres constituants du système perçu. Il faut donc dissocier ce qu'est la perception de ce qu'est la réflexion. Merleau-Ponty revient d'ailleurs sur l'opposition avec l'idée de théorème géométrique : "La chose perçue n'est pas une unité idéale [...], comme par exemple une notion géométrique, c'est une totalité ouverte à l'horizon d'un nombre indéfini de vues perspectives qui se recoupent [...]. La perception est donc un paradoxe, et la chose perçue elle-même est paradoxale."12 La chose perçue n'est donc pas pas un objet exceptionnel définissable par un théorème, mais un tout, interne et externe qui possède un nombre indéfini (à ne pas entendre au sens de "infini") de caractéristiques propres et relatives au champ perçu environnant. C'est cet ensemble de caractéristiques mises en rapport les unes aux autres et en rapport avec l'environnement dont elles font partie qui définissent la chose que l'on perçoit. La chose perçue est paradoxale, donc, car elle est définissable par un nombre indéfinissable de caractéristiques interdépendantes. Même si ce nobmre de caractéristiques est par essence

11 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Primat de la Perception, 2014, Lagrasse, Verdier, p. 33 12 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Primat de la Perception, 2014, Lagrasse, Verdier, p. 40

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inquantifiable, il ne peut pas être infini car ce qui définit la chose perçue est en fait la limite de ses caractéristiques. S'il en était autrement, toutes les choses perçues seraient absolument identiques. Il n'en va pas différemment avec la Musique et l'Architecture, que l'on peut définir par un ensemble de caractéristiques choisies afin de constituer une œuvre finie, mais dont toutes les caractéristiques ne peuvent en aucun cas être précisément définies, car même si l'on peut décider de chaque aspect d'une œuvre indépendamment les uns des autres, il est impossible de prévoir ou diriger deux aspects importants de telles œuvres : la perception d'un autre être percevant vis-à-vis de ces œuvres, et les interactions précises entre tous les aspects réglés de ces mêmes œuvres. "Il y a donc dans la perception un paradoxe de l'immanence et de la transcendance. Immanence, puisque le perçu ne saurait être étranger à celui qui perçoit ; transcendance, puisqu'il comporte toujours un au-delà de ce qui est actuellement donné"13.

La phénoménologie merleau-pontienne est une manière de comprendre le monde qui remet en question ce que peut affirmer la nouvelle psychologie, ou plutôt de ce que ses affirmations impliquent : tout phénomène perceptible ne s'explique pas que par un système complexe d'impulsions électriques et de réactions chimiques entre une source stimulante, des organes stimulés et un cerveau interprète. Elle permet d'interpréter différemment ce que donne à savoir la psychologie actuelle, et d'en faire ressortir ses conséquences philosophiques : "Loin de nuire à la psychologie, cette attitude dégage au contraire la signification philosophique de ses découvertes"14. La phénoménologie de la perception est donc un outil de compréhension, de conceptualisation et d'expression de réactions psychologiques face à ce qui nous environne. Même si tout cela semble très abstrait et métaphysique, cette vision de la psychologie permet en réalité de mieux en saisir le sens : "L'induction psychologique n'est jamais que le moyen méthodique d'apercevoir une certaine conduite typique ; et si l'induction renferme l'intuition, inversement l'intuition ne se fait pas dans le vide, elle s'exerce sur les faits, [...] les phénomènes mis au jour par la recherche scientifique. Il n'y a pas deux savoirs, mais deux degrés différents d'explication du même savoir."15 L'induction psychologique renferme donc l'intuition car cette dernière est une composante prévisible du comportement [humain] animal. L'intuition ne naît pas par elle-même car elle reste le fruit de l'expérience et de la sensation (on peut prendre l'exemple de ce que l'on appelle l'intuition experte) et se rapporte au monde perçu (qui se développe en même temps que la connaissance scientifique car une partie de ce monde perçu n'existe qu'à partir du moment où elle devient perceptible, et n'est perceptible qu'à partir du moment où on met au jour son existence). Autrement dit, en tournant notre réflexion vers ce qui n'est ni quantifiable, ni prévisible, on ne fait pas acte de divagation métaphysique, mais on se propose de comprendre les implications de ce que représentent les phénomènes psychologiques qui interprètent nos champs perceptifs. Le but premier est de replacer notre vision du monde dans un point de vue totalement objectif, et non égocentrique comme il est aujourd'hui coutume de le faire. En réalité, personne n'est le nombril du monde, mais chacun est le

13 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Primat de la Perception, 2014, Lagrasse, Verdier, pp. 40 - 41 14 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Primat de la Perception, 2014, Lagrasse, Verdier, p. 55 15 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Primat de la Perception, 2014, Lagrasse, Verdier, p. 55

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centre phénoménologique du monde.

L'intêret ici d'étudier les liens entre la Musique et l'Architecture est donc de comprendre que d'un point de vue phénoménologique, les deux domaines fonctionnent de manière très similaire, et que, par conséquent, la compréhension et la pratique d'un de ces deux domaines favorise la compréhension et la pratique de l'autre. Ainsi, en s'appropriant la formulation suivante de MerleauPonty – "Il n'y a pas deux savoirs, mais deux degrés différents d'explication du même savoir"16 - on pourrait reformuler en disant qu'il n'y a pas deux arts, mais deux degrés différents du même art. On sait déjà que l'Architecture est géométrique, et on peut également dire qu'il en va de même avec la Musique. Merleau-Ponty met cependant en garde quant à la place de la géométrie euclidienne dans notre vision du monde : "La géométrie euclidienne [...] s'est avérée n'être qu'une géométrie idéale, et l'univers, dont la géométrie est riemannienne et la structure intime d'une complexité mathématique de plus en plus abstraite, échappe de plus en plus à la psychologie de la perception"17. La géométrie "idéale" est l'outil principal utilisé par l'architecte, et dans un sens par le musicien, et occupe donc une place importante dans le processus de conception et de mise en œuvre, mais une fois l'objet terminé, c'est de la géométrie riemannienne dont dépend notre perception qui se manifeste par l'œuvre. Dans les deux cas, le comportement reste géométrique. Il faut juste garder à l'esprit que les mathématiques (et la géométrie) peuvent expliquer comment on arrive à construire une œuvre musicale ou architecturale du début à la fin, mais cet outil ne sert qu'à décrire un processus de décisions ne dépendant que de la personne ayant conçu ladite œuvre. La phénoménologie prend le relais en permettant de décrire non seulement la perception que l'on peut avoir d'une telle œuvre, mais également, et par conséquent, son fonctionnement intime. Il ne faut pas oublier que les mathématiques (et par extension les sciences physiques) ne sont qu'un anthropisme : "Je n'ai pas voulu dire que la pensée mathématique fût un reflet ou un double de l'expérience perceptive et ne connût pas d'autres modalités. Je voulais dire que la pensée mathématique a les mêmes structures fondamentales ; elle n'est pas absolue ; même quand nous croyons avoir affaire à des vérités éternelles, la pensée mathématique est liée à l'histoire"18. Encore une fois, la phénoménologie de la perception est l'outil indispensable pour pointer du doigt le fait que tout ne s'explique par les mathématiques, que les mathématiques ne sont qu'une science approximative pour expliquer des phénomènes physiques même simples (on pourrait parler des décalages entre les 4 saisons, notre calendrier et la révolution réélle de la planète Terre autour du soleil, comme exemple parmi tant d'autres approximations scientifiques), et que si l'on veut comprendre le monde dont on fait partie intégrante, il faut être capable de faire abstraction de cet outil relativement restrictif et redonner une place plus importante à la philosophie dans notre compréhension du monde. La phénoménologie de la perception semble être l'outil philosophique idéal pour comprendre les liens intimes existant entre la Musique et l'Architecture. "Percevoir, c'est se rendre présent quelque chose à l'aide du corps, la chose ayant toujours sa place dans un horizon

16 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Primat de la Perception, 2014, Lagrasse, Verdier, p. 55 17 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Primat de la Perception, 2014, Lagrasse, Verdier, p. 71 18 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Primat de la Perception, 2014, Lagrasse, Verdier, p. 71

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de monde, et le déchiffrement consistant à replacer chaque détail dans les horizons perceptifs qui lui convient"19. b – Le chiasme Ce qui peut le mieux synthétiser le travail de Merleau-Ponty, et la pensée merleaupontienne, c'est la notion de "chiasme". La première condition qui l'a amené à considérer notre perception comme un chiasme entre l'objet et le sujet est de redéfinir la place de l'objet et celle du sujet. Chaque centre phénoménologique du monde (à savoir, l'être qui perçoit, et que l'on étudie comme percevant) est potentiellement objet et sujet au même moment, mais il n'est jamais soit l'un, soit l'autre dans un moment donné. Merleau-Ponty le formule ainsi : "Ce qu'il y a donc, ce ne sont pas des choses identiques à elles-mêmes qui, par après, s'offriraient au voyant, et ce n'est pas au voyant, vide d'abord, qui, par après, souvrirait à elles, mais quelque chose dont nous saurions être plus près qu'en le palpant du regard".20 D'une manière plus simple, on peut dire que ce qui est perçu est perceptible par essence, que ce n'est pas une entité qui existe pour elle-même et apparaît au moment où on la perçoit, et que celui qui perçoit existe au préalable au même niveau que ce qui est perçu. Les deux entités appartiennent au même monde, et coexistent à un même niveau. Le percevant n'est pas spectateur, le perçu n'est pas spectacle. Le percevant ne fait que donner sens à l'information contenue par le perçu, et c'est l'interraction entre le traitement de l'information et l'information elle-même qui permet la perception. Merleau-Ponty illustre ce propos ainsi : "Il faut comprendre d'abord que ce rouge sous mes yeux n'est pas [...] un quale 21, [...] message à la fois indéchiffrable et évident [...]. Le rouge n'est ce qu'il est qu'en se reliant de sa place à d'autres rouges autour de lui, [...] ou à d'autres couleurs qu'il domine ou qui le dominent [...]. Bref, c'est un certain nœud dans la trame du simultané et du successif."22 L'information "rouge" existe en tant que telle, mais aussi parce qu'elle est interprétée. Elle n'existe que parce qu'elle est interprétable et interprétée à la fois ("un certain nœud du simultané et du successif"), et dépend entièrement des autres informations autour d'elle, car elle est ce qu'elle est parce qu'elle n'est pas ce que sont ces autres informations potentielles. Comme chacune de ces informations existe au même niveau que toutes les autres, nous ne faisons pas face à un entrelacs incompréhensible d'éléments perçus, mais à une forme d'organisation non hiérachisée dans leur état pur (leur hiérachisation se fait dans le traitement de ces informations par notre cerveau). Le monde perçu est objectif : "[...] je ne regarde pas un chaos, mais des choses, de sorte qu'on ne peut pas dire enfin si c'est lui ou si c'est elles qui commandent"23.

19 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Primat de la Perception, 2014, Lagrasse, Verdier, p. 91 20 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Visible et l'Invisible, 1964, Paris, Gallimard, réédité en 2015, L'entrelacs – le chiasme, p.171 21 - Quale : désigne ici la seule interprétation psychologique et neurologique du rouge que je vois, rendant ce rouge complètement subjectif, et ne donnant alors au phénomène "rouge" qu'une dimension immatérielle, qui ne serait alors qu'une information interprêtée. 22 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Visible et l'Invisible, 1964, Paris, Gallimard, réédité en 2015, L'entrelacs – le chiasme, p.172 23 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Visible et l'Invisible, 1964, Paris, Gallimard, réédité en 2015, L'entrelacs – le chiasme, p.173

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Pour comprendre le monde perçu, il faut qu'il y ait une réciprocité entre percevant et perçu. Il faut donc qu'un objet que l'on touche, par exemple, nous touche aussi pour qu'il y ait une perception tactile, et donc, qu'il soit palpable, mais que l'on soit nous-mêmes palpables. Il en va de même pour ce qui est visible : il faut que l'objet que l'on voit soit visible pour qu'il y ait perception, mais que l'on soit également visible, ou du moins que les organes de la vue le soient. L'explication est simple : si l'œil peut voir, d'après les hypothèses physiques actuelles, c'est que la lumière peut l'atteindre ; et si la lumière peut atteindre l'œil, ce dernier peut potentiellement la renvoyer et se rendre donc visible ; et même s'il l'absorbait, on verrait deux globes complètement noirs. Tout comme l'objet tangible doit être touché, et donc toucher, pour être perçu à l'aide de la main, l'objet visible doit être vu et se rendre visible pour être perçu à l'aide de l'œil. Pour qu'il y ait perception, il faut donc que l'on se trouve au chiasme de l'information contenue par ce que l'on perçoit et de l'interprétation brute (non réfléchie) que le percevant fait de cette information. Merleau-Ponty prend l'exemple de la main parce qu'il est le plus évident dans sa relation réciproque avec la chose perçue. La main ne peut percevoir que si elle est perceptible ("[...] sentie du dedans, ma main est aussi accessible du dehors"24). Pour toucher, on doit être tangible. Pour voir, on doit être visible. Pourtant, Merleau-Ponty ne dit pas que ces conditions ne fonctionnent pas en sens inverse. On reste visible même si on ne peut pas voir dans le cas d'une cécité, et on reste tangible même si on ne touche pas.

Merleau-Ponty ne dissocie pas la vue du toucher et sous-entend que la distinction des différents sens est justement un non-sens. Ce qu'il faut y comprendre, c'est que les organes sensoriels, bien que différents, appartiennent à un même être percevant d'un côté, et que ce qui est visible est aussi tangible de l'autre. En effet, si l'on prend l'exemple de la vue, la physique moderne nous dit que l'objet visible est touché par des particules de lumière, qui ensuite touchent l'organe de la vision, ce qui permet de voir l'objet tangible. Il y a donc, d'une certaine manière, chiasme entre le touché et le touchant, mais aussi entre le tangible et le visible ("[...] puisque le même corps voit et touche, visible et tangible appartiennent au même monde"25). Les organes sensoriels dépendent des caractéristiques des objets qu'ils perçoivent et sont le moyen de communication entre notre corps et le monde auquel il appartient : "Il faut que celui qui regarde ne soit pas lui-même étranger au monde qu'il regarde"26.

Le corps percevant a deux faces, il est comme un miroir où d'un côté se trouve le monde qui l'entoure, et de l'autre sa manifestation phénoménologique. Mais cette manifestation ne peut pas exister sans ce monde, et l'existence de ce monde n'est mise au jour que par cette dernière. La perception merleau-pontienne est donc cette interface que l'on ne peut pas situer ni dans le temps, ni

24 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Visible et l'Invisible, 1964, Paris, Gallimard, réédité en 2015, L'entrelacs – le chiasme, p.174 25 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Visible et l'Invisible, 1964, Paris, Gallimard, réédité en 2015, L'entrelacs – le chiasme, p.175 26 - MERLEAU-PONTY, Maurice, Le Visible et l'Invisible, 1964, Paris, Gallimard, réédité en 2015, L'entrelacs – le chiasme, p.175

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dans l'espace : en effet, la main qui touche touche déjà, si elle est sur le point de toucher, elle ne touche pas ; et si elle touche et qu'on la sent toucher, on ne la sent pas touchée, et si on la sent touchée, on ne la sent pas toucher. Le moment même où la main touche est impossible à situer dans l'espace et le temps. Pourtant, elle est bel et bien touchante et touchée au même moment, et ce phénomène de perception et de perceptibilité est donc le chiasme de ce qui perçoit et ce qui est perçu.

Merleau-Ponty parle de la perception comme d'une communication entre le monde et le corps car elle est à la fois le percevant, le perçu, le pouvant percevoir et le pouvant être perçu, elle se suffit à elle-même et a son propre logos : on comprend ce que l'on perçoit et ce que l'on perçoit est compréhensible sans avoir besoin de le formuler verbalement. La compréhension est automatique, brute, et ne demande pas de réflexion, elle est pure.

B – Critique merleau-pontienne

a – Baigner dans l'œuvre

La notion de chiasme entre le visible et le tangible, le vu et le voyant, le touché et le touchant est intéressante pour parler d'Architecture, car elle traite justement du toucher et de la vue, qui sont deux interfaces phénoménologiques très sollicitées pour comprendre une œuvre architecturale. Et qu'est-ce que faire de l'Architecture si ce n'est façonner une partie du monde perçu selon la volonté de l'être percevant, créer une singularité entièrement calculée dans ce monde et décider de ce qui sera perçu ? Et comment relier le phénomène architectural au phénomène musical ? Merleau-Ponty parle surtout de notre rapport phénoménologique à l'espace, il faut donc démontrer que notre rapport à la Musique est de même nature, autrement que par les expériences neurologiques, mais en en retirant les conséquences philosophiques.

Les principes phénoménologiques vus précédemment semblent ne pas vraiment coincider avec l'idée que l'on peut se faire de la Musique. Il y a un principe fondamental dont il faut prendre conscience, c'est que la Musique, ou l'œuvre musicale, se manifeste tout autour de nous, comme tout à l'intérieur. On ne peut lui échapper, et nous sommes contraints à évoluer dans un espace altéré par celle-ci. Cette caractéristique d'une œuvre englobante a souvent été pointée du doigt pour établir un lien unique entre la Musique et l'Architecture, comme, par exemple, par Steven HOLL : "J'ai souvent écrit que l'architecture ressemble à la musique : elle entoure le corps. A la différence d'une peinture ou d'une sculpture, dont on peut se détourner, l'architecture entoure le corps. Mais elle possède aussi une qualité que la musique ne possède pas, en ceci que là où la musique n'a de sens

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que dans un sens, l'architecture peut-être inversée"27. Il faut cependant se montrer prudent avec ce genre de conception. On peut en effet rapidement constater que l'œuvre musicale est omniprésente lorsqu'elle est manifestée, mais on peut pourtant lui attrribuer une provenance grace à l'ouïe. A partir du moment où elle existe pour nous, c'est-à-dire que le phénomène musical prend place dans notre champ perceptif, on ne peut s'en détourner qu'en obstruant les outils perceptifs dont on dispose pour écouter ou entendre la Musique. On pense alors à se "boucher les oreilles", mais on peut alors s'apercevoir, si l'on en fait soi-même l'expérience, que dans certains contextes, les vibrations musicales se ressentent au moins d'une autre manière : de l'intérieur de notre corps. Il paraît donc effectivement difficile de se détourner de l'œuvre musicale. Il en va de même pour l'œuvre architecturale, car elle ne se manifeste pas seulement au travers du phénomène visuel, contrairement à la peinture. On peut parler de nombreux sens permettant de décrire notre rapport à l'Architecture, comme la proprioception, l'écholocalisation ou même l'ouïe ! Il y a par contre une confusion faite par Steven HOLL, sur le fait d'opposer l'Architecture à la sculpture en donnant comme seul argument que l'ont peut se détourner de cette dernière alors que l'Architecture "entoure le corps". On peut tout de suite constater que l'œuvre architecturale qui n'est pas vécue du dedans se comporte comme une sculpture car elle est seulement vue. Il faudrait même rajouter que la sculpture fait également partie de notre champ proprioceptif et écholocatif, par sa nature tridimensionnelle. Mais seulement, le phénomène architectural ne se manifeste pas du dehors, il se perçoit du dedans, car c'est à l'intérieur de son œuvre que l'Architecture se distingue d'autres arts. Et le seul autre art qui se ne se manifeste que dans son œuvre, d'un point de vue phénoménologique, est la Musique. Il semble aussi que S. HOLL fait une comparaison qui ne semble pas pertinente concernant le sens de lecture de l'œuvre architecturale comme musicale. Il y a vraisemblablement une confusion faite dans la manière de parcourir une œuvre, et le fait qu'il dise que la Musique "n'a de sens que dans un sens" n'a aucun rapport avec le fait que l'Architecture "peut être inversée", et ce parce que le fait que l'Architecture puisse être explorée dans un sens comme dans un autre ne relève que de sa manifestation spatiale tridimentionnelle, ce qu'il est impossible de dire à propos de la Musique. Pourtant, une œuvre architecturale a nécessairement un sens à partir du moment où on y entre jusqu'au moment où on en sort. Ce sens peut être choisi, et c'est sûrement ce qui a donné lieu à cette confusion de S. HOLL, mais ce n'est pas parce qu'on le choisit qu'il est le sens premier de l'œuvre architecturale parcourue. On peut également à tout moment choisir à partir de quand on écoute une œuvre musicale, et à partir de quand on arrête cette écoute, et dans quel sens on l'écoute. Si elle n'a plus l'air d'avoir du sens, c'est parce que l'on ne s'est pas mis dans les dispositions préalables à la compréhension de ce sens. Mais écouter une musique "à l'envers" ne fait pas disparaître le sens de l'œuvre elle-même. Ecouter une musique à l'envers n'est en fait que l'action délibérée de ne pas chercher à saisir le sens de l'œuvre, bien que là encore, quelques exceptions peuvent exister, comme dans un des canons composant l'Offrande Musicale de J. S. BACH, qui se manifeste par un palindrome musical. Et l'Architecture fonctionne de la même manière ! Bien que l'œuvre architecturale puisse être parcourue dans plusieurs sens, elle a le plus souvent un sens premier,

27 - HOLL, Steven, Chiasmi International : Publication Trilingue Autour de la Pensée de Merleau-Ponty – MerleauPonty : Architecture et Autres Institutions de la Vie, Avec une Section Spéciale sur le Kiasma Museum de Steven Holl, 2007, Milan – Paris - Memphis, VRIN – Mimesis - University of Memphis, Le croisement, p.26

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principal, qui ne peut être perçu qu'à partir du moment où on se conforme au sens de lecture déterminé comme étant juste par rapport à l'œuvre. Ce qui distingue réellement l'Architecture de la Musique relève de la nature de leur manifestation, et de ce que chacune des deux disciplines permet de mesurer : l'Architecture permet de mesurer l'espace, et la Musique le temps. Ici, le terme "mesurer" désigne la contrainte imposée à notre perception par le contraste découlant de la manifestation d'une œuvre comme d'une autre. Autrement dit, l'œuvre architecturale manifeste une délimitation physique d'un espace auparavant indéterminable dans notre champ perceptif, et l'œuvre musicale contraint notre être à se synchroniser sur une temporalité particulière, délimitée elle aussi par l'œuvre, et oblige l'esprit à compter des valeurs de temps relatives dans une temporalité jusqu'alors indéterminée là aussi. On peut alors penser que les dimensions spatiales et la dimension temporelle sont indépendantes, ou ne relèvent pas du même ordre. Ce serait à la fois scientifiquement, physiquement et mathématiquement faux, si l'on se conforme aux théories de la relativité restreinte de Albert EINSTEIN et aux démonstrations mathématiques effectuées par Herman MINKOWSKI28. Mais ce n'est ici pas le sujet, et on laissera toutes les libertés de se renseigner là-dessus. On considèrera dans la suite du propos que le complexe espace-temps peut tout à fait être euclidien, et donc que la notion d'espace peut tout à fait comporter 4 dimensions.

On rappellera que ce qu'il faut retenir de la perception merleau-pontienne concerne un chiasme entre percevant et perçu, c'est-à-dire le point de rencontre entre le phénomène manifesté et le phénomène perçu. On ajoutera à cela une indétermination de la nature de la chose perçue, qui ne se limite pas seulement au point de vue qu'il offre et que l'on applique au moment de sa perception, mais à toutes les autres possibilités de points de vue qu'il peut offrir et que l'on peut percevoir. Ce principe implique que ce qui caractérise la chose perçue n'est pas défini par ce que l'on peut en percevoir, mais par ce que l'on ne peut pas en percevoir. Ce qui détermine ce que l'on perçoit d'une chose est le contraste entre le nombre fini, mais indéfinissable de ses caractéristiques, et le nombre indéfini de possibilités de caractéristiques, tout comme ce qui permet en réalité de mesurer une chose n'est pas sa délimitation objective interne, mais sa délimitation externe, ce qui permet de la considérer comme une singularité dans un contexte indéterminable. On peut toujours discuter du réalisme d'un système de mesure précis, métrique par exemple, qui ne relève que d'un anthropisme, même si l'utilisation d'un tel système reste cohérent avec l'étude de l'Architecture et de la Musique à un certain niveau, puisque l'œuvre musicale comme architecturale est par définition anthropique. Mais on serait alors hors propos dans cette critique objective !

Partant de ce principe, qui se base sur la notion de contraste, on peut dire que l'œuvre architecturale délimite son espace externe de son espace interne, et délimite un nouvel espace qui lui est propre. Elle se situe au croisement des deux espaces qu'elle délimite, mais n'a de sens propre que dans son espace interne. La Musique fonctionne de manière identique en marquant le croisement entre une temporalité indéterminable générale, qui lui est externe, et sa temporalité

28 - Source : http://www.astrosurf.com/luxorion/relativite-restreinte3.htm 26


propre, qui lui est interne, et n'a de sens pour le percevant que si il se situe à l'intérieur de l'œuvre. Celui qui perçoit l'œuvre musicale depuis une temporalité extérieure n'interprètera qu'un "bruit de fond", un objet sonore dans une temporalité générale indéterminée, puisqu'en se situant à l'extérieur de l'œuvre, il ne se donne pas les moyens de comprendre son sens propre. Celui qui perçoit l'œuvre architecturale depuis son espace extérieur n'y interprètera qu'une sculpture, la face extérieure d'un objet dans un espace général indéterminé, et ne saisira son sens propre que s'il se trouve dans l'espace interne de l'œuvre. C'est ce qui fait que d'un point de vue phénoménologique, on ne peut pas échapper à l'œuvre architecturale ou musicale, ce que Paul VALERY a par exemple exprimé dans son livre Eupalinos ou l'Architecte comme on a pu le voir précédemment, et c'est ce qui distingue ces deux types d'arts des autres : nous ne sommes pas dans un positionnement passif (au sens de l'expérimentation et de la compréhension) d'un observateur vers un objet observé qui ne constitue que le réceptacle d'idées qui lui ont été attribuées, mais dans une position active, étant nous-même partie intégrante de l'œuvre puisqu'il faut qu'on se laisse assimiler par son espace propre pour en ressentir la manifestation. Le but de la Musique et de l'Architecture n'est pas de produire une œuvre qui ne fait que représenter des idées ou des états d'âme, elles ne sont pas faites pour "montrer", mais pour être vécues.

b – Mesurer l'œuvre architecturale Pour comprendre la manifestation d'œuvres englobantes, il est nécessaire de s'intéresser à la question de la mesure, sachant que mesurer est un acte déterminant dans notre rapport à l'espace. Il pourrait même s'agir du premier réflexe, conscient ou non, de notre être qui découvre et parcourt un espace, en se comparant lui-même à cet espace. Notre rapport à l'espace (euclidien à 4 dimensions) se ressent instinctivement par rapport à la perception que nous avons de notre propre corps en tant que tel, mais également par rapport à l'espace dans lequel il évolue à un moment donné, et encore par rapport aux espaces qu'il a pu expérimenter jusqu'à ce moment (moment que l'on peut considérer comme une coordonnée à 4 valeurs dans un espace ciblé lors de l'observation). Cette capacité innée à mesurer l'espace est liée à certains sens parmi lesquels certains ne sont pas vraiment considérés dans notre culture occidentale, mais qui sont pourtant déterminants dans notre rapport à l'espace, et qui donc sont absoluments essentiels à notre appréhension de l'Architecture et de la Musique. On peut classer ces sens en deux catégories : ceux qui permettent de mesurer l'espace architectural et ceux permettant de mesurer l'espace sonore.

En ce qui concerne notre capacité à mesurer et apprécier un espace architectural, on peut par exemple considérer l'écholocalisation, qui est sans doute un des sens auquel on s'attendrait le moins à trouver chez l'être humain, mais qui fait bel et bien partie de nos outils de perception en tant que sens à part entière (comme l'ont démontré les expériences et études menées par le psychologue Gavin BUCKINGHAM de l'université Heriot-Watt, en Ecosse). D'un point de vue phénoménologique, on peut considérer qu'il s'agit d'une communication directe entre l'être percevant et l'espace qu'il perçoit, qui fonctionne comme le toucher. On peut même considérer que "Tous les sens [...] sont des extensions du sens tactile ; les sens sont des spécialisations du tissu de la peau et toutes les expériences sensorielles sont des façons de toucher et, par là, reliées aux 27


perceptions tactiles"29, comme l'a formulé Juhani PALLASMAA, mais l'essence même de l'écholocalisation est très proche de celle du toucher phénoménologique. Alors que la vue est supposée entièrement tributaire des particules de lumière qui sont dans un premier temps émises par une source de conversion ou de libération énergétique (exemple la chaleur convertie en lumière par une étoile), puis qui se déplace jusque dans un contexte perceptible pour entrer en contact avec chaque élément de ce contexte, et être renvoyée et absorbée en quantités variables selon les textures et les éléments chimiques constituant chacun d'eux pour enfin toucher la rétine de l'être perceptif et être convertie en énergie électrique interprétable par le cerveau, le toucher ne dépend pas d'un élément intermédiaire porteur et transmetteur d'informations indépendant du corps percevant et de la chose perçue, mais directement des caractéristiques inhérentes à la chose perçue et aux caractérisitques de l'épiderme. En fait, on peut même considérer que la chose touchée par la main a son propre épiderme, avec ses textures caractéristiques et reconnaissables par la mémoire haptique. Ainsi, le toucher consiste en une relation d'épiderme à épiderme entre l'être percevant et la chose perçue, ce qui en fait un outil perceptif actif. L'écholocalisation est, au même titre, un sens actif, même si à première vue on pourrait penser qu'il se manifeste de la même manière que la vue, car il y a une distance spatiale entre l'être percevant et la chose perçue. On a cependant affaire à un sens moins direct que le toucher, mais tout aussi actif, car il ne correspond pas à l'interprétation d'informations propres à une substance extérieure (la lumière par exemple), mais à l'interprétation du mouvement d'un fluide entre deux surfaces qui est omniprésent et dans lequel le champ de perception baigne tout entier. Ce fluide n'est pas un système qui contient sa propre information altérée par le contact pour ne contenir par contraste plus que l'information de la chose perçue une fois captée par l'être percevant comme la lumière, mais véhicule seulement l'information même en la déplaçant de la chose perçue au centre de perception, c'est-à-dire la texture, le volume, la surface et la position, relative à notre propre spatialité, de la chose perçue, comme informations caractéristiques, jusqu'au corps sensible interprétant ensuite cette information. Ce déplacement d'informations se manifeste sous forme d'onde sonore, dont on peut reconnaître des timbres, des vitesses, des hauteurs différentes, pour reconstituer l'espace et sa matière en l'écoutant. Contrairement à la vue qui fonctionne par suppression d'éléments (lumière) et contraste généré par les caractéristiques de la chose perçue, l'écholocalisation fonctionne par déformation et déplacement du fluide support de sons entraînés par les caractéristiques de cette chose perçue. Le propre de l'écholocalisation est donc une mesure de l'espace par la perception d'ondes sonores qui le déforment et dans lequel elles se déplacent.

On peut ensuite parler d'un autre outil perceptif permettant la mesure de l'espace, qui est la proprioception. Ce sens nous place face à notre propre manifestation spatiale corporelle, et relève plus de la conscience de soi dans un espace donné, mais nous permet d'avoir une référence expérimentée de mesure, car, comme dit précédemment, on mesure instinctivement l'espace avec notre propre corps. Or, même si la proprioception n'est pas une sens permettant directement de mesurer l'espace, il n'en est pas moins important puisque l'on ne peut pas interpréter ce que l'on

29 - PALLASMAA, Juhani, Le Regard des Sens, 2010, Paris, Editions du Linteau, pp.10 et 11 28


mesure si l'on ne comprend pas l'instrument que l'on utilise pour mesurer. Il faut donc être capable de situer et repérer chaque élément de notre corps, mais également d'avoir conscience de leur fonctionnement, leur interaction et leur mouvement pour mesurer l'espace. Cette conscience de soi est primordiale car nous sommes notre propre point de référence de mesure de l'espace. A cela, on peut ajouter l'équilibrioception. L'équilibrioception permet de repérer le mouvement de notre corps dans l'espace, ce qui le rend complémentaire avec la proprioception. Dans le langage courant, la confusion est souvent faite entre ces deux sens : un kinésithérapeute parlera parfois de proprioception pour les questions d'équilibre, en rapport avec nos muscles propriocepteurs (qui reçoivent l'information du mouvement de notre corps pour ajuster leur tension ou relâchement automatiquement afin de permettre au corps de rester en équilibre). L'équilibrioception renvoie donc à la perception du mouvement de l'être percevant dans son contexte, et donc également à la sensibilité gravitationnelle. Ainsi, on peut, par un système physiologique très proche du fonctionnement d'un simple niveau à bulles, mesurer l'espace et ses effets sur le corps. Grâce à la correspondance entre l'équilibrioception et la proprioception, l'être percevant a conscience de l'espace qu'il perçoit, car il a conscience de lui-même et de son évolution au sein de cet espace, ce qui lui permet de mesurer cet espace par l'expérimentation graduelle de ce dernier.

Ces trois outils sensitifs combinés permettent à l'être, récepteur perceptif, évoluant dans un contexte spatial donné, d'en mesurer les dimensions, les matières, les effets de pesanteur, les dimensions relatives au corps, que l'on peut sans se tromper qualifier d'interface phénoménologique interagissant tactilement avec cet espace. L'étude phénoménologique de notre rapport à l'espace nous permet donc de renouer avec le corps, l'être, voire même l'esprit de l'être humain comme outil de mesure naturel de l'espace architectural. Le corps mesure bien l'espace à l'aide de certains systèmes sensitifs bien définissables et identifiables indépendamment les uns des autres, mais qui doivent être traités au même moment comme différentes couches superposées et interdépendantes d'informations pour permettre à notre être primitif de mesurer avec précision l'espace, indépendamment des systèmes anthropiques de mesure (on pense le plus directement au système métrique, où 1m équivaut 1/40000 de la circonférence simplifiée de la Terre, mais on peut aussi penser à des systèmes de proportions préétablis comme le nombre d'or ou le modulor). De fait, on peut considérer que comme notre outil de mesure le plus fiable, d'un point de vue phénoménologique, est notre être comme interface sensitive avec l'espace, l'Architecture n'a besoin de systèmes de mesures anthropiques que pour quantifier de manière universelle et à un moment donné ses différents champs de manifestation, mais que cette dernière n'a réellement besoin que d'une conscience primitive de notre rapport à l'espace pour être façonnée, raisonnée et fabriquée. Ce rapport à l'espace réside dans un échange constant d'informations entre notre être et son monde, comme PALLASMAA a pu l'écrire, "Nos corps et nos mouvements interagissent constamment avec l'environnement ; le monde et le soi s'informent et se redéfinissent constamment l'un l'autre"30.A cela, on peut ajouter les sens de la vue et du toucher, qui sont probablement avec l'ouïe les trois sens les plus autoritaires dans notre perception du monde, et qui nous permettent de mesurer d'autres

30 - PALLASMAA, Juhani, Le Regard des Sens, 2010, Paris, Editions du Linteau, p.46

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dimensions de l'espace architectural : l'appréciation des distances, des mouvements des choses perçues et la perception de la lumière pour ce qui concerne la vision ; l'appréciation de températures, de textures, de reliefs, et donc de matérialités d'un point de vue sensuel pour ce qui est du toucher.

c – Mesurer l'oeuvre musicale La Musique fait réagir notre être de la même manière que l'Architecture, en ce sens qu'elle provoque un acte instinctif de mesure d'une spatialité (ici, temporelle) générale et indéterminée, relative à notre expérience sensorielle introvertie et extravertie à la fois (conscience phénoménologique de soi et du reste du monde). Comme pour la vue en Architecture, on pense principalement à l'ouïe comme sens premier de la perception musicale. Mais comme pour la vue en Architecture, l'ouïe en Musique n'est pas l'outil sensoriel permettant d'en saisir l'essence, elle permet juste l'acte passif et naïf de regarder sans forcément voir, ou d'écouter sans vraiment entendre l'œuvre. Ainsi, la Musique uniquement appréhendée avec l'ouïe n'est rien d'autre qu'une sculpture sonore, objet d'un sujet pensant et observant, tout comme l'Architecture seulement vue n'est qu'une sculpture visuelle que l'on se contente de regarder seulement comme un objet dans un contexte donné et indépendant de notre être. Or, d'un point de vue phénoménologique, la perception que l'on peut avoir d'une architecture n'est indépendante ni de la chose perçue, ni de l'être percevant, et il en va exactement de même avec la Musique. On sait à présent que la phénoménologie de la perception met la chose perçue au même niveau que l'être percevant dans un monde constitué et constituant de ces deux parties, et l'Architecture est une manière d'altérer et façonner ce monde même, et la Musique manifeste exactement le même phénomène : elle consiste en une altération et un façonnement du monde perceptible, monde perceptible dans sa spatialité (au sens large du terme) dans le cas étudié. Comme pour l'analyse phénoménologique faite sur l'Architecture, il faut donc comprendre comment notre perception musicale donne à mesurer l'espace indéfinissable qui entoure l'être percevant.

Un sens, peu connu, qui est sollicité automatiquement et constamment lorsque l'on écoute une œuvre musicale, que l'on laisse envahir tout notre espace phénoménologique, pénétrer notre être entier, est la chronoception, c'est-à-dire notre capacité à mesurer le temps. L'essence de la Musique est justement de soumettre le temps à une temporalité déterminée, de manière totalement anthropique lorsqu'il s'agit de la définir, dans la manière dont il est perçu. Ainsi, on baigne et on se déplace constamment dans la dimension temps, comme pour les trois autres dimensions spatiales les plus naturellement connues et perçues, et, à l'image de l'Architecture qui se manifeste par une série d'événements qui cadrent et délimitent une série de moments dans trois dimensions de notre espace par sa présence, la Musique est, elle, manifestée par une série d'événements qui délimitent une série de moments dans la quatrième dimension de cet espace. Une fois cet espace délimité, il devient mesurable, et donc on devient capable d'en prendre conscience, de le comprendre. Comme démontré précédemment, l'Architecture se manifeste par une singularité spatiale délimitée dans un espace indéfini et permet donc d'appréhender une fraction de cet espace par ses effets sur notre être percevant, ce qui se traduit par l'acte de mesure effectué par le corps par contraste entre le corps, 30


l'espace architectural et l'espace général. La Musique se manifeste par une singularité temporelle dans cet espace indéfini, et permet donc d'appréhender une fraction de cet temporalité par ses effets sur notre être, ce qui se traduit par l'acte de mesure fait par notre esprit par contraste entre l'esprit, l'espace musical et l'espace général. La chronoception, elle, informe d'une temporalité générale, et ses distorsions possibles, mais fait réagir notre être lorsque cette temporalité est altérée et délimitée par une œuvre musicale que l'on se propose de comprendre.

d – Implications Jusqu'à présent, on a pu voir que l'Architecture et la Musique sollicitent notre rapport à l'espace, au sens large du terme (espace-temps), démonstration faite à l'aide de l'étude phénoménologique de ce rapport à l'espace et de l'interaction de l'Architecture et de la Musique avec le corps et l'esprit comme interface sensorielle entre l'être percevant et la chose perçue. On a établi que cette sollicitation est un acte irrépressible de mesure, qui n'est pas nécessairement conscient, par l'intermédiaire de notre corps et notre esprit.

Les implications qu'entraînent la pratique de l'Architecture et de la Musique, leur étude phénoménologique et le tissage du lien entre les deux Arts sont des plus importantes car la présence d'une œuvre architecturale ou musicale traduit la compréhension que l'on a du monde et de son fonctionnement par la mesure qui a pu en être faite au travers de notre être et son appréhension sensitive, sensible, sensorielle, corporelle et spirituelle. On peut citer Juhani PALLASMAA quant à la signification de ce que représente l'Architecture : "L'architecture exprime les expériences d'êtredans-le-monde et renforce notre sens de la réalité et du soi ; elle ne nous fait pas habiter des mondes simplement fabriqués et de pure fantaisie"31, et on peut tout à fait appliquer ce discours à la Musique. On peut en retirer deux principes.

Le premier découle directement de tout ce qui a été dit précédemment : notre être percevant, qui n'est qu'une partie du monde où il s'expérimente et s'exprime (à défaut d'être le nombril du monde, chacun peut être considéré comme le centre phénoménologique du monde), comprend ce monde par ses interactions phénoménologiques avec celui-ci, c'est-à-dire la mesure de ce monde par les sens. La preuve de cette compréhension, qui s'aiguise à mesure que le temps avance (à défaut d'une expression plus appropriée) puisque l'être possède une mémoire sensitive très performante, réside dans l'Architecture et la Musique. Il s'agit ni plus ni moins d'un retour sur l'expérience phénoménologique que l'on a du monde en mettant en œuvre ce que l'on a pû y comprendre. Et comme notre appréhension phénoménologique du monde s'aiguise avec l'âge, la pratique de l'Architecture aurait tendance à s'améliorer, ou du moins à valider son expérience du monde (qui reste subjective) de manière plus précise. C'est tout simplement ce que nous appelons "expérience",

31 - PALLASMAA, Juhani, Le Regard des Sens, 2010, Paris, Editions du Linteau, p.11

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terme utilisé pour exprimer une amélioration continue dans la pratique par exemple de l'Architecture ou de la Musique, aussi bien que pour exprimer une action et une réaction ponctuelle liée à l'être qui sent et ressent le monde, l'interprète et le mémorise. Cette mémorisation passe par le corps et l'esprit à la fois, auxquels on peut attribuer, pour le premier, la sensitivité, et pour le second, la sensibilité. Il est notable que le terme "sensible" désigne d'un côté ce qui est perceptible par le corps, et d'un autre côté l'être qui est capable de ressentir des émotions avec une certaine vigueur. Le terme "sensible" fait bien les affaires de la phénoménologie de la perception puisqu'il permet d'associer à la fois l'action et la réaction du corps qui perçoit, mais également l'action et la réaction de l'esprit qui ressent, ce qui renforce la notion d'être percevant, qui ne fait pas de discrimination entre le corps et l'esprit, même si cette notion n'empêche pas d'attribuer des actions ou des réactions spécifiques à l'un ou à l'autre. Le premier principe, donc, de l'œuvre architecturale ou musicale est de valider la compréhension que l'on a du monde en altérant son espace afin de générer des situations phénoménologiques caractéristiques à l'œuvre en question.

Le deuxième principe, évoqué dans le discours de Juhani PALLASMAA, est le renforcement "du sens de la réalité et du soi", et découle du premier principe. L'œuvre architecturale ou musicale valide la compréhension que l'on a du monde, et par sa présence fixe notre être sur la réalité spatiale et temporelle à partir du moment où cette œuvre est vécue de l'intérieur et que l'on y est attentif. Ce sens de la réalité est renforcé puisque, ce qui a été démontré précédemment, l'être percevant mesure cette réalité lorsqu'il interagit avec l'œuvre architecturale ou musicale. Et si notre être fixe son attention sur cette réalité, il renforce également le "sens du soi", puisque c'est par lui même que l'être mesure cette réalité, et donc par comparaison et contraste avec lui-même dans un échange constant avec son espace environnant. De fait, en mesurant le monde dont il fait partie, l'être percevant se mesure également, en parallèle, et à force de mesurer le monde, il se mesure de plus en plus précisément, et mesure à nouveau le monde avec plus de précision, et ainsi de suite.

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CONCLUSION(S)

Cela fait plus de 2500 ans que l'Architecture et la Musique sont considérées comme disciplines équivalentes. Il y a eu de nombreuses tentatives d'explications et de démonstrations, plus ou moins convaincantes, reposant sur différents protocoles et rapports d'analogies, et au travers de nombreux outils. Ainsi, Luigi NONO et Renzo PIANO ont par exemple collaboré sur le projet Prométéo pour offrir une expérience musicale et architecturale basée sur une acoustique particulière, Johann-Sebastian BACH a utilisé des figures et principes géométriques, comme le palindrome, pour composer sa musique, Iannis XENAKIS a tenté de retranscrire son œuvre musicale Metastasis en œuvre architecturale pour concevoir le Pavillon Phillips, Paul VALERY ou Georg Wilhelm Friedrich HEGEL ont plutôt employé la métaphore et une certaine correspondance des arts, ou Pythagore qui avait établi un système où l'Architecture et la Musique représentaient deux modes d'expression différents d'un même phénomène. Il y a encore de nombreux moyens de relier les deux domaines, mais parmi tous ces protocoles, tous ces points de vue, il y a une structure commune : la notion de topologie, telle qu'elle a pu être définie par Luciano BOI. L'analyse faite sur Paul VALERY et Georg Wilhelm Friedrich HEGEL dans la première partie de cette réflexion a permis de cerner un contexte dans lequel on comprend ce qui peut inciter à trouver un lien exclusif entre la Musique et de l'Architecture, au dépend des autres arts, et qui contient toutes les intuitions nécessaires au développement du propos. Cette première partie d'étude a permis de se situer soimême dans ce contexte et de saisir l'importance d'une approche philosophique.

La topologie est une forme de géométrie plus généraliste, et cette notion permet de tisser un lien entre l'Architecture et la Musique. Pour comprendre comment, il a donc fallu considérer que la Musique repose entièrement sur une structure topologique, ce qui est évident pour l'Architecture. Cette structure topologique commune aux deux domaines mis en relation renvoie donc à l'espace au sens large du terme, c'st-à-dire dans ses 4 dimensions, puisque l'on a considéré la dimension temporelle comme une dimension spatiale (démonstration faite par Herman MINKOWSKI), ce qui a donc poussé à établir l'hypothèse selon laquelle le lien fort qui unit l'Architecture et la Musique réside dans l'essence même de ces deux disciplines, c'est-à-dire la structure topologique, et donc dans la façon dont on fait l'expérience de ces Arts (respectivement le premier et le quatrième dans la classification établie par Émile-Auguste CHARTIER et Friedrich Wilhelm Joseph Von SCHELLING). On a pu voir que cette expérience repose sur notre rapport à l'espace, comme l'a démontré l'étude intitulée "Music and spatial task performance : a causal relationship", menée par Frances RAUSHER et Gordon SHAW, du centre de neurobiologie de l'apprentissage et de la mémoire de l'Université de Californie.

C'est ensuite par une analyse de ce rapport à l'espace manifesté dans la Musique et l'Architecture au travers des concepts de la phénoménologie de la perception merleau-pontienne que l'on a pu à la fois comprendre comment fonctionnait l'expérience musicale et architecturale, mais aussi ce que cette expérience impliquait, et surtout comment la Musique et l'Architecture avaient en effet un fonctionnement totalement équivalent. On a donc pu démontrer trois principes, s'impliquant 35


les uns et les autres, et liant ces deux domaines. Tout d'abord, le fait que les œuvres imputables aux deux domaines sont, contrairement aux autres arts, englobantes vis-à-vis de l'être qui les perçoit (à partir du moment où il se propose de les comprendre), elles altèrent et génèrent des spatialités dont on ne peut pas être indépendant. Ensuite, l'être percevant ces œuvres fait acte de mesure, à la fois consciente et inconsciente, par l'intermédiaire du corps et des ses sens, mais aussi de l'esprit et de ses sensibilités, comme une seule interface qui échange en permanence des informations avec l'espace dans lequel il évolue. Enfin, le fait même d'établir des œuvres architecturales et musicales démontre une compréhension de notre espace, du monde perçu et ressenti, qui repose sur des observations interpétées par notre être.

Il apparaît donc évident que les concepts de la phénoménologie de la perception merleaupontienne constituent une base d'outils qui sont à la fois nouveaux dans les réponses apportées à ce vaste sujet du lien entre Architecture et Musique, et pertinents. Plus encore, l'analyse phénoménologique de la question permet de se recentrer sur ce qu'est l'essence même de l'Architecture et de la Musique dans une époque où les deux domaines ont de plus en plus tendance à subir leurs dimensions économiques et techniques au détriment de leur réel intérêt, de leur fonctionnement propre, et donc d'une qualité certaine qui passe par leur sensualité potentielle. Il existe cependant encore des architectures et des architectes s'appuyant sur la phénoménologie, comme Juhani PALLASMAA, Steven HOLL, Renzo PIANO, Peter ZUMTHOR et bien d'autres, tout comme il existe toujours des musiques et musiciens qui pratiquent l'aspect phénoménologique de leur art. Il paraît cependant important aujourd'hui de rappeler l'essence de ces domaines dans cette période de crise architecturale (et musicale). Il est également, et surtout, nécessaire de dire que l'Architecture peut s'enrichir de la pratique et de la compréhension de la Musique, puisque celle-ci influe directement, de manière positive et efficace, sur notre propre cognition spatiale, ce qui implique donc que l'on ne peut qu'améliorer notre compréhension et notre pratique de l'Architecture en pratiquant et en comprenant la Musique.

Il est bien sûr évident que l'Architecture, comme la Musique, ne se résume pas au seul phénomène spatial, ni dans sa conception, ni dans sa réalisation, car il faudrait alors faire abstraction de nombreux paramètres intervenant dans cette discipline. Il s'agit de données techniques et économiques indispensables, et il ne faut pas nécessairement les discriminer. Cependant, on peut s'apercevoir que ces contraintes ont de plus en plus tendance à prendre le pas sur ce qu'est l'essence même de l'Architecture, là où elle se distingue de l'ingénierie, des autres arts, de la sociologie, ou tout autre discipline utile à la conception architecturale, les règlementations et les contraintes économiques imposant trop souvent leur dictature sur l'Architecture. C'est pourquoi il semble important de marquer un temps d'arrêt pour se rappeler où l'Architecture se distingue d'autres disciplines, c'est-à-dire dans son phénomène spatial, que l'on se réfère à l'espace environnant à proprement parler, à ses phénomènes lumineux ou acoustiques particuliers, à son empreinte dans un paysage ou à sa matérialité. L'étude du phénomène architectural, et le raccord avec le phénomène musical permet de resituer ce qui fait que l'Architecture est Architecture, mais aussi qu'elle est Musique, et que la Musique est Architecture...

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LEXIQUE

Anthropisme : le principe anthropique au sens large est un principe épistémologique selon lequel, étant donné que des êtres sapiens tels que l’humain (anthropos en grec) existent, les propriétés de l'Univers sont nécessairement compatibles avec leur existence. (source : Wikipédia)

Chiasme : en son essence, le chiasme structure une représentation idéale du monde en deux parties (haut/bas, intérieur/extérieur) symétriques, à l'intérieur desquelles s'opère souvent un croisement des valeurs corrigeant le manichéisme de l'antithèse. (source : Wikipédia)

Empirisme : théorie philosophique selon laquelle la connaissance que nous avons des choses dérive de l'expérience. (source : Larousse)

Equivalent : qui est égal ou comparable à quelque chose d'autre, qui a la même valeur, la même quantité ou à peu près les mêmes qualités. (source : Larousse)

Merleau-pontien : relatif au philosophe Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) (source : dictionnaire Cordial en ligne)

Oeuvre : (terme utilisé allègrement (80 fois) dans l'étude proposée...) production de l'esprit, du talent ; écrit, tableau, morceau de musique, etc., ou ensemble des productions d'un écrivain, d'un artiste. Objet, système, etc., résultant d'un travail, d'une action. (source : Larousse)

Phénoménologie : étude descriptive de la succession des phénomènes et/ou d'un ensemble de phénomènes. (Le terme est utilisé par Kant au sens de « description des apparences » ; c'est Husserl qui lui donne son sens moderne.). (source : Larousse)

Réalité : ce qui est réel, ce qui existe en fait, par opposition à ce qui est imaginé, rêvé, fictif. (source : Larousse)

Topologie : branche des mathématiques, appelée initialement analysis situs (analyse de situation), devenue ensuite tout à fait autonome, et où, selon Riemann, on étudie les propriétés invariantes sous l'effet de transformations biunivoques continues. (source : Larousse)

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BIBLIOGRAPHIE

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