ouverture
OUVERTURE
les Smarteez regroupent deux entités : les créateurs et ceux qui portent leurs créations – tous habitent Soweto. ici, l’une des clientes fidèles au collectif.
B
PHÉNOMÈNE
SMARTEEZ ATTACK
Kepi Mngomezulu, portant une de ses créations de l’hiver. il est près de son domicile, à Soweto.
60 | L’OFFICIEL | FÉVRIER 2012
photos chris saunders
Les Smarteez, bien plus que la copie flashy des vieux Sappeurs (la Société des ambianceurs et des personnes élégantes) de Brazzaville, sont la réponse de Soweto aux filles d’Harajuku à Tokyo. La vibration de cette bande aux multicouleurs recyclées chatouille la part excentrique de notre cerveau. Par Alexandra SENES.
arbe taillée, peau très sombre, costume ajusté et attitude dandy, Sam est l’un des designers du studio de Ozwald Boateng. C’est dans un club à Londres qu’on lui a récemment demandé s’il était un Smarteez. Designers, artistes, trendsetters, qui sont-ils ? Renseigné, Ozwald Boateng s’est enfoncé dans Soweto, leur cité (réservée aux Noirs du temps de l’apartheid) pour faire une série de mode sur eux. Ozwald était déjà le superhéros des Smarteez. Son évidente élégance colorée incarne la success-story du Noir, installé sur Savile Row, fief des rigoureux tailleurs londoniens. Soignés dans leur bidonville, toujours smart (bien) et smart (intelligent), ils sont maintenant héroïques aux yeux d’Ozwald. Cette tribu du style, à l’humour inhérent, dirigée par Kepi Mngomezulu, Lethabo Tsatsinyane, Floyd Mantonane et Sibu Sithole, est une bande de douze jeunes disciples, non-conformistes, à l’approche DIY (Do It Yourself) et aux apparences captivantes. Fashion designers, parfois dj, ils vendent leurs créations dans la rue ou dans des fêtes. Quand l’un est vendeur chez Zara, l’autre fait des apparitions payantes dans des pubs. “Les couleurs sont gratuites et drôles, pourquoi pas en abuser ?”, s’exclame Floyd. L’Afrique du Sud est souvent appelée la “nation arc-en-ciel” – notion inventée par l’archevêque Desmond Tutu pour désigner la diversité de la nation. Les Smarteez poussent cette réputation à l’extrême avec leur “neon dress code”, assemblage de tissus bigarrés, pièces de seconde main associées à leur propre garde-robe. “Ils sont un exemple en or de la génération postapartheid. Ils viennent de milieux humbles, sont éduqués et créatifs, et voient à travers les stéréotypes raciaux de notre société. Leur priorité : créer du beau et vivre leur art”, raconte le happy snapper Chris Saunders, qui capture le style des rues en parcourant l’Afrique du Sud, pour alimenter son blog http:// teamuncoolfashion.blogspot.com/, premier à avoir documenté les Smarteez. En 2011, les Smarteez
montent sur le perchoir en passant du trottoir au podium, durant la SA FashionWeek. J’ai passé une heure dans leur “studio” – un garage, une machine à coudre, des coupures de presse sur eux aux murs –, au cœur de Soweto, downtown Johannesburg. Ils expliquent que leur génération ne ressemble pas à la précédente. Trop jeunes pour se souvenir de la lutte contre l’apartheid, moins politiques, ils luttent plutôt contre la fadeur et la conformité. Pour eux, danser au Rockfeller Club, s’exprimer et contester les stéréotypes, c’est leur manière de célébrer l’individualité, de braver la pression urbaine et de zoomer sur ceux qui, par l’art, l’habit et l’attitude, construisent leur propre identité. Les yeux inondés par l’arrogance de leur nouvelle gloire, ils commandent l’optique du photographe avec la même réserve éduquée que les colons ont pu
“I ls v iennent de milieu x humbles , sont é duqu é s et cr é atifs , et voient à trav ers les st é r éotypes raciau x de notre soci ét é . L eur priorit é : cr é er du beau et v i v re leur art.” soumettre à leurs grands-parents. Les Smarteez trouveraient cette référence inappropriée – cette bande organique préfère trouver leurs motivation et influence ailleurs que dans la politique. Ils sont attirés par ce qu’est la quintessence de l’Afrique, tentés d’abuser des teintes folles pour symboliser une émergence des ombres du passé de leur pays. Enivrée par leur kaleidoscope, je me suis jetée sur un paquet de Smarties, après en avoir vidé son contenu, j’ai découvert sur le tube le terme “Wotalotigot” (What a lot I have got !). Un terme plus approprié à l’image de l’autre gang, les Sappeurs, ceux du Congo, célèbres pour leur danse des griffes m’as-tu-vu. Les Sappeurs sont pour les Smarteez ce que sont les mods de Quadrophenia pour les rockers, ou ce que sont les Greasers de S.E. Hinton pour les Socs. Mais sans la violence. Si la sape est l’essence des Congolais, l’attitude serait celle des Smarteez. Pour ceux qui connaissent la scène, prendre parti est la règle du pouce – une maturation pragmatique d’une tradition saignante ! Pas de bain de sang. Cela ne veut pas dire que je ne choisirai pas mon camp. Je suis pour les Smarteez, une mode de pionniers. Mais m’accepteront-ils dans leur gang ?
Thabo, l’un des designers du collectif, devant l’un des grossistes à johannesburg. c’est là que les designers achètent la majorité de leurs tissus.
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