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Comment les citoyens se mobilisent pour leur territoire

RER, éoliennes, centre commercial, lotissement : de plus en plus de citoyens ou d’associations s’opposent aux projets développés en Brabant wallon. Une mobilisation qui se structure et dont la caisse de résonance s’accentue. Mais avec quels résultats concrets au final ?

Texte : Xavier Attout – Photos : X.A. et Plateforme CNW

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Le constat résonne comme une évidence : pratiquement plus aucun projet d’envergure développé en Brabant wallon n’échappe aujourd’hui aux affres d’un recours devant le Conseil d’État ou auprès du gouvernement. Un gimmick pour certains, qui s’est encore renforcé au fil des ans. « D’autant plus en Brabant wallon où les requérants ont souvent les moyens d’aller au bout de leurs idées, lance Aubry Lefebvre, de Thomas & Piron Bâtiment. Ils ont également tendance à s’informer davantage sur les projets qui modifient leur environnement. » Une province qui serait donc un terreau favorable à voir les voiles de l’opposition se lever de plus en plus haut. Et si les juristes concentrent les récriminations des frondeurs, ce sont donc surtout des riverains, des collectifs citoyens ou des associations qui appuient sur le bouton pour passer à l’action. Des mobilisations qui tendent à se multiplier de plus en plus contre des projets immobiliers, économiques, industriels ou d’infrastructures. « Il y a clairement une professionnalisation de ces mobilisations, pointe Simon Verelst, géographe et chercheur en aménagement du territoire à l’ULB et à la CPDT. Les collectifs sont très bien organisés. Depuis les années 1970, on assiste à une augmentation du caractère conflictuel des projets d’aménagement du territoire. On peut associer cette émergence aux plus grandes capacités (ndlr : financières notamment) des citoyens d'aller en recours, à la perte de confiance dans l'expertise des autorités ou encore à la place plus importante prise par les questions environnementales, notamment au niveau législatif. Ces éléments donnent une légitimité à la mobilisation. D’autant que les citoyens connaissent les leviers à actionner. Ils sont mieux informés. »

Des combats à succès Une position qui n’est donc pas neuve. Les combats emblématiques sont d’ailleurs légion en Brabant wallon. On peut par exemple citer le contournement nord de Wavre et celui de Perwez, l’extension (avortée) de l’Esplanade à Louvain-la-Neuve, la station d’épuration du Hain à Braine-le-Château, l’extension de la carrière de Quenast à Rebecq, le déménagement de la clinique Saint-Pierre à Wavre (en cours), l’aménagement d’un parc à conteneurs en pleine campagne à Lasne, la problématique des éoliennes, la réserve naturelle de la Grande Bruyère rachetée par la commune de Rixensart, la transformation en logements du couvent des Récollets à Nivelles ou encore le projet (avorté) de zoning industriel entre Jodoigne et Hélécine. Des combats qui ont connu des succès divers mais dont l’issue a le plus souvent été positive pour les requérants. « Il va être de plus en plus compliqué de faire passer des grands projets d’utilité publique à l’avenir, estime Baudouin le Hardy de Beaulieu, l’ancien directeur d’in BW. L’installation de nouveaux recyparcs sera par exemple un vrai parcours du combattant. »

Ils sont mieux informés. Simon Verelst, chercheur en aménagement du territoire

Pour les projets de logements privés, la mobilisation est toute aussi vive. La plupart des projets soulèvent ou ont soulevé des oppositions majeures. « Les riverains se sont habitués à un environnement et à un paysage, il est donc normal qu’ils soient perturbés si celui-ci vient à changer, nous disait il y a peu l’urbaniste David Miet, directeur et fondateur de Villes Vivantes. Il s’agit donc avant tout de répondre à certaines inquiétudes et de les rassurer éventuellement. » Un effet Nimby « Not In My BackYard » qui est toujours plus présent, que ce soit en Brabant wallon ou ailleurs. Et une volonté nouvelle, aussi, de s’opposer davantage encore à toute construction et à tout écoulement de béton. La constitution d’une antenne brabançonne de la plateforme Occupons le terrain est d’ailleurs un pas en ce sens (lire ci-contre).

Ces collectifs, qui peuvent dorénavant prendre la forme d’asbl ou de coopératives, ne cessent donc d’interpeller politiques et médias. Et multiplient les menaces de recours via pétitions et autres actions en tous genres. Les réseaux sociaux leur offrant, de plus, une formidable caisse de résonance et une rapidité d’action.

Quand on observe les groupes d’opposants en Brabant wallon, très peu agissent sur le territoire de plusieurs communes. Seules Natagora ou Epures (anciennement Trop de Bruit en Brabant wallon) vont sur ce terrain. Les autres sont (ou étaient) davantage liés à la préservation du cadre de vie de leur commune ou liés à un projet particulier. Citons notamment Tubize Contournement, Hommes & Patrimoine, Urbaverkoi, Braine-l’Alleud Autrement, Contre Perwez-le-Béton, Lasne-Nature, Sauvons Walhain, La Hulpe Environnement, Collectif des agriculteurs de Perwez, Les Versants de la Dyle, etc. Autant d’associations qui ont réussi à se structurer et à mobiliser des riverains dans la durée.

Écoutés mais pas entendus

Quel est le poids réel de ces opposants, qu’ils soient seuls ou organisés ? Cela varie bien évidemment d’une association à l’autre. « Les associations ou les collectifs citoyens sont de plus en plus écoutés, lance Denis Marion, fondateur d’Epures. Même si ce n’est pas pour cela que les pouvoirs publics suivent leur avis. Il faut donc que certains passent par des occupations ou des manifestations pour se faire entendre. Ce type d’actions, que l’on a notamment vues à Liège, ne se certains cas, les associations vont beaucoup plus loin dans leurs réflexions que les pouvoirs publics. Mais cette démarche est peu valorisée. Les autorités partent du principe que les collectifs ou les associations sont des « emmerdeurs ».

Denis Marion, fondateur d’Epures

Les Cinq Craintes Des Riverains Face Un Projet

Les chercheurs de l’Igeat (ULB) et du Creat (UCLouvain) ont publié une étude sur le sujet : « Des outils au service de l’acceptabilité sociale des projets. » Ils recensent notamment les craintes soulevées par les riverains, que l’on peut classer en cinq volets.

1. Les indicateurs et coefficients de densité sont mal perçus car ils sont trop abstraits et donc difficilement compréhensibles. Cet élément contribue à générer une méfiance à l’encontre des stratégies de densification.

2. La mobilité induite par le projet est l’élément le plus récurrent dans l’opposition aux projets d’urbanisme, quels qu’ils soient : embarras de circulation, congestion, encombrement des espaces publics par la voiture.

3. Dans les situations de développement de nouveaux quartiers (sur des espaces non construits ou assimilés), les riverains de lieux non artificialisés sont très attentifs à la préservation des éléments symboliques et identitaires de leur cadre de vie. sont pas encore produites en Brabant wallon. Mais je pense que nous allons y arriver. Car si on entend bien qu’ils font du bruit, ce n’est pas pour cela qu’on écoute leurs arguments. Écouter prend du temps. Dans certains cas, les associations vont beaucoup plus loin dans leurs réflexions que les pouvoirs publics. Mais cette démarche est peu valorisée. Les autorités partent du principe que les collectifs ou les associations sont des ‘emmerdeurs’ »

4. La restructuration du tissu urbanisé génère des sources de préoccupation plus nombreuses que les interventions en terrain non construit, suite aux ruptures avec l’existant (gabarits, typologie du bâti, projet visible et proche de nombreux riverains), aux craintes de moins-value financière des propriétés alentours, et aux craintes de bouleversement de la vie sociale du quartier.

5. Il semble que le réaménagement et l’assainissement de friches ou d’anciens sites industriels (SAR…) reçoive en général un accueil plus favorable. Toutefois, la population locale craint parfois de voir disparaître des lieux qui sont l’objet d’affects particuliers en raison de leur caractère patrimonial et identitaire et/ou du développement progressif de la végétation.

Le taux de réussite de ces collectifs est néanmoins relativement élevé quand on regarde les derniers projets d’envergure en Brabant wallon. Nombreux ont été recalés, d’autres ont été adaptés. « Le contournement nord est un bel exemple de mobilisation citoyenne, se souvient Christian Radelet, l’ancien fonctionnaire délégué du Brabant wallon. Des centaines de personnes et une dizaine d’associations s’y sont opposés. Des recours ont été déposés. Et les pouvoirs politiques de plusieurs communes ont été sensibles à cette mobilisation. Cela a clairement joué dans l’évolution de ce dossier. La mobilisation contre l’esplanade a mené à la mise sur pied d’un référendum. Des éoliennes ou des contournements n’ont pas non plus vu le jour. On peut donc clairement dire que les politiques sont sensibles à ces mobilisations. » Encore davantage quand elles approchent des élections communales. D’ici quelques mois, une fois entrés dans la période préélectorale, de nombreux dossiers – comme c’est le cas tous les six ans – devraient d’ailleurs connaitre de sérieux ralentissements…

Raphaële Buxant, cofondatrice

d’Occupons le terrain Brabant wallon

Propos recueillis par X. A.

Quelles sont les motivations du réseau Occupons le terrain ?

Depuis 2018, cette plateforme de coordination réunit une cinquantaine de collectifs et d’associations de Wallonie et de Bruxelles qui veulent résister aux logiques de bétonnage à tout crin, de rendement à court terme et de domination des intérêts privés. Ces collectifs veulent assurer à la fois le droit au logement et la préservation des territoires, des cadres de vie, de la biodiversité et des espaces verts.

Pourquoi créer une antenne brabançonne ?

Des antennes provinciales sont en train d’être créées un peu partout. Après Liège et Namur, celle du Brabant wallon sera la troisième. Elle s’inscrit dans une démarche qui vise à soutenir et fédérer les luttes locales. Le béton coule à flot un peu partout en Brabant wallon. On y déroule le tapis rouge aux promoteurs. Cela ne peut plus continuer, surtout dans le contexte social et environnemental que nous connaissons. D’autant plus que nous avons l’impression qu’il y a une accélération de la bétonisation sur des terrains non artificialisés – des bonnes terres agricoles le plus souvent - avec le Stop béton qui va progressivement se mettre en place. Nous observons déjà aujourd’hui les effets pervers de cette mesure.

Comment va se structurer cette antenne ?

Une première séance d’information s’est déroulée fin juin. Une seconde est prévue début septembre à Louvain-la-Neuve. Nous comptons une dizaine de collectifs intéressés pour le moment. Mais le potentiel est très important. L’idée est de rassembler au sein de cette antenne des collectifs et associations du Brabant wallon (dont mObiLLizoNs, un nouveau collectif d’Ottignies-LLN) qui s’opposent à des projets que l’on considère comme imposés, nuisibles et inutiles.

Et l’idée est alors d’encadrer tous ces collectifs…

Tout à fait. L’objectif est d’offrir un espace de coordination, coconstruit par les membres eux-mêmes, qui permette de visibiliser les luttes, de les fédérer, de faire entendre leur voix et de les outiller. Ces mobilisations locales visent à contrer ces projets, mais aussi à proposer des alternatives qui permettent de préserver les territoires et les ressources, avec également un volet social. Par exemple pour l’habitat, les projets de gros lotissements visent à augmenter le nombre de logements et deviennent des produits financiers sans jamais répondre à la question cruciale d’accessibilité à ces logements à des prix abordables ni penser aux moyens d’y parvenir autrement.

Des projets déjà dans le viseur ?

Jaurdinia à Mont-Saint-Guibert, celui des Bétons Lemaire à Ottignies ou encore les 1300 logements prévus sur le site Athena à Louvain-la-Neuve sont autant de projets à surveiller. En effet, ils mangent de la terre agricole, sont construits en zone inondable ou proposent des logements à des prix très élevés.

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