Multiprise #26

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Courants artistiques en Midi-Pyrénées

26 - Juin 2013 - Gratuit


Droits réservés.

Découvrez toute la richesse et la variété de la saison culturelle 2013 : le Festival International d'Art de Toulouse, Rio Loco, le Marathon des mots, La Novela, cultures urbaines, photographie, cinéma, cirque... Cette culture plurielle, ouverte aux nouveaux talents, exigeante et populaire, positionne Toulouse comme une véritable métropole européenne des cultures. Partageons ensemble cette programmation sur www.cultures.toulouse.fr


Déluge, vitrailette et hétérochromie. D’ac Kodak?

26 Directeurs de publication Le CUM Rédacteurs en chef Didier Marinesque, Fabien Cano Rédacteurs intervenants Gabriel Delon, Nathalie Thibat, Ramon Tio Bellido, Manuel Pomar, Patrick Tarrès, Arnaud Fourrier & Valérie Mazouin, Amélie Marchandot, Julie Biesuz Graphiste Thomas Deudé Communication Mélissa Kieny contact@revue-multiprise.com www.revue-multiprise.com Remerciements Martine Blanchet et Arnaud Fourrier, Jean Marc Lacabe et l'équipe du Château d'Eau, Valérie Mazouin, Yvan Poulain, Claus Sauer, Julie Schmitt, Philippe Pitet et radio FMR, Guachafita, Pwik Masta, Brice, Antoine, le portugais géant, Lubrick et le professeur Poulain, Christophe Bourseau, Mathieu Dreadless, Alexandre, Fabrice, Philippe, Lionel, Claire

La revue Multiprise est soutenue par la

Prestataire Audiovisuel 05 61 19 08 68 - www.iecevents.eu

Vous l'avez remarqué, à l'occasion de ce vingt-sixième numéro qui s’avère être celui d'été, Multiprise se pare d'une couverture on ne peut plus colorée. Le mot d'ordre à tous nos rédacteurs : Sortez-nous de ce gris profond, de ce gris sans fin. Faites la lumière sur l'actualité artistique de notre région qui, nous aurions pu l’oublier, se situe dans le sud de la France. Nous avions pris l'habitude d'un mois de septembre printanier. Nous voici maintenant surpris par un tout nouveau salon de l'automobile italienne submergé par un mois de mai diluvien qui, rappelons-le a vu toutes ses manifestations accompagnées de débordements. à tel point que les hôpitaux, face à cette vague de saturation se sont dotés de quelque flamboyante arche de noyé et que les mouches, malgré leurs cinquante pieds dans l’eau, n’en voulaient croire leurs yeux... Les yeux justement, et dans cet opus, plus particulièrement ceux des commissaires et responsables de centres d’art. Viennent en premier Jean-Marc Bustamante et Nathalie Thibat Sauer pour un tour d’horizon chromatique du fraîchement éclos Festival International d’Art de Toulouse. Manuel Pomar par un regard porté à travers des vitraux nous plonge dans ses impressions CMJN tout en nuances. Suivent Patrick Tarres, accompagné de Valérie Mazouin et Arnaud Fourrier, commissaire invités de l’exposition Spectaculaire aléatoire, pour donner le ton de la quatorzième édition de + si affinité à Fiac. C’est aussi la couleur de l’utopie que l’on peut voir dans L’Avenir abandonné aux rêves par Jordi Colomer au Pavillon Blanc ; ou celle de divinités païennes dans les toiles multiques aux paysages flous du jeune peintre Romain Bernini à Taurines. Autant d’expériences sensorielles à apprécier dans ce numéro nuancier et fleuri en son centre par le travail d'Hélène Marcoz. La rédaction

I.S.S.N. : 1778-9451 Toute reproduction du titre, des textes et des photos sans autorisation écrite est interdite. Les documents présents dans la revue ont été reproduits avec l’accord préalable du photographe ou de l’envoyeur. Photos non contractuelles. 3



En couverture : Thomas Deudé pour Multiprise

28 + si affinité

Spectaculaire aléatoire

30 Romain Bernini 7 Multicolore

Cargo Cult, 2013

11 Couleur addict pour une ville rose

Buckminster Fuller, 50 Feet Fly's Eye Dome

14 Arc-en-ciel 16 Le bleu, la terre, le noir, le rouge et moi 18 Au fil du Lot 21 Court-jus Hélène Marcoz

25 Arthur Tress

ou le roi des ombres

Romain Bernini, Something else, 2013, 114x146cm

32 THSF

ou le pourquoi du comment ça marche

36 Amélie Marchandot 37 Branchement en série Guillaume Chauchat

40 Flash


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Multicolore

Couleur : de l’anglais color (enfin, en vrai, du latin), signifiait ce qui cache la surface d’une chose ou aussi le teint de la peau. Bientôt nos i-ctionnaires devraient mentionner tout un tas de racines anglicistes. On trouvera par exemple, fomo. Même Madame Figaro en parle (nouveau mot du moment à la fois amusant à employer pour se la raconter en société et qui désigne une réalité actuelle à nommer) : acronyme issue de l’expression d’anglais moderne « fear of missing out » ou la peur de rater un truc de ouf car on a autre chose de ouf à faire. Nos aïeux latins et grecs risquent de connaître une crise (une de plus) étymologique majeure. Mégarde, je m’égare. Effectivement le référent « couleur » cherche initialement à cacher la surface d’une chose. A y réfléchir, elle recouvre beaucoup d'autres choses. Elles sont partout, tout le temps. Que l’on n’y prête pas vraiment d’importance en s’habillant tout en sombre ou en se risquant à les associer de façon trop bigarrée dans son salon, la couleur nous gouverne. Elles nous gouvernent qu’on le veuille ou non. Elles sont marqueurs de notre appartenance sociale, col blanc ou bleu de travail, de nos convictions politiques « les verts ont pris une veste aux dernières élections », du ballon de rouge ou de blanc qu’on va se jeter. Elles nous dictent nombreuses de nos conduites. Rouge m’arrête. Vert démarre. Orange je les mange. Le bleu est douloureux. Rose s’offre alors que blanc fait la trêve. Infini est le nombre de signifiés qu’elles délivrent. En lisant « Psychologie de la couleur » (nom pompeux mais ouvrage recommandé à tous les gens qui de près ou de loin s’intéresse à la couleur) on apprend quelles sont les couleurs préférées et les moins aimées. On apprend aussi que le jaune est la couleur du plaisir, de l’optimisme, de la raison, de la trahison, de la contradiction, de la jalousie. J’en parle parce que c’est ma préférée. En toute subjectivité car c’est de cela qu’il s’agit quand il est question de choisir le papier peint des toilettes, la peinture métalisée du nevada ou la couleur de cravate pour le mariage de Jean-Claude et Patrick. Je suis d'humeur arc-en-ciel. Le rainbow maker, comme une boule à facettes du plein jour, illumine mon salon. Je milite pour la couleur plutôt que pour la retraite à 72 ans qu'on ne touchera pas. Je prêche aussi pour le « trans », la transversalité des points de vue, des générations et des arts. Parler de sport dans un magazine d'art, sous couvert d'un point d'attache : la couleur. Elle différencie des périodes comme la bleue et la rose chez Pablo ou aide à distinguer deux équipes qui se rencontrent. Elle délivre un message en peinture comme sur un rectangle vert ou bleu . Le bleu de Picasso évoque les thèmes mélancoliques de la mort, de la vieillesse et de la pauvreté et le rouge invite sans mot dire un joueur à quitter le terrain. Lassé des J.O. « néreux » (Athènes 2004 aurait contribué à la bonne santé de la crise financière en Grèce) qui sont finalement qu'une vaste course patriotique à la médaille de couleur, je lance l'appel aux artistes et sportifs pour participer à la première édition d'« Olympi'Art ». Comme un point de rencontre entre tout un tas de disciplines ludiques, artistiques et physiques. L'épreuve de Cinéthlon par exemple consiste à s’affronter dans un sport de combat à la manière « slow motion ». Filmé et accéléré afin de restituer la vitesse réelle, le jury apprécie les plus belles chorégraphies. Le Beatathlon reprend le concept du Air Guitar mais en équipe afin de former le meilleur Air Band du monde. Pour chacun des Arts une discipline, l'Archithlon (architecture), le Sculptathlon, le Paintathlon, le Logothlon (poésie et littérature), le Vitathlon (arts vivants), l'Improvisathlon (théâtre), le Bullathlon (BD). Pas tant pour amener l'esprit de compétition dans l'art ni élever les valeurs morales du sport mais plus pour croiser des pratiques dans un joyeux bordel organisé. Un certain Pierre de quelque chose disait « L'important c'est de partistiquer ». On pourrait l'écouter pour bien s'amuser. Gabriel Delon

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MORAL

heureux d’être candide

SANTé

à trop chercher la pureté je risque de me salir

AMOUR

mariage partouze

TRAVAIL

ne risque pas de salir mon col blanc

MORAL

Lunatique mais bien luné

SANTé

Mon teint pâle du printemps prend des couleurs

AMOUR

Aveuglé par l’amour, j’utilise ma Ray Ban Vision (A-Track)

TRAVAIL

Mon optimisme supplante les ronchons

MORAL

Divertissant et socialisant

SANTé

Point soleil, trop d’UV

AMOUR

Mes amours sont pleines d’exotisme

TRAVAIL

Travailler c’est trop dur, voler c’est super

MORAL

En joie malgré les dangers environnants

SANTé

Rassuré d’être en vie quand je vois le sang couler dans mes veines

AMOUR

Je nage dans le flot de la passion (dixit Passion Pit)

TRAVAIL

Famille et partir

MORAL

enthousiasme sucré de mon enfance

SANTé

Prépare mon corps à se mettre à demi-nu

AMOUR

j’ai une putain de puissance érotique

TRAVAIL

fête des… merde, j’ai oublié

MORAL

Soif de pouvoir aller jouer aux boules sur les allées

SANTé

Un petit coup d’ultra au point soleil

Amour

La magie de l’amour libre

TRAVAIL

Je démissionne pour entrer dans les ordres

MORAL

Plus je m’approche des beaux jours plus mon capital sympathie fructifie

SANTé

Pour me porter bien je me rattache au divin

AMOUR

Ma fidélité est sans faille

TRAVAIL

Je porte un bleu de travail dans la vie civile

MORAL

L’espoir me fait rire

SANTé

Manger sain pour retrouver un joli teint

AMOUR

Libre et fécond attention !

TRAVAIL

Ne pas confondre rit-gueur et con-formisme

MORAL

Douce mélancolie, c’était mieux maintenant

Santé

Teint halé ramené d’une récente virée dans un coin ensoleillé

AMOUR

Confortable et durable

TRAVAIL

Mon business des châtaignes grillées court encore jusqu’en mai

MORAL

Mise au vert recommandée pour dissiper la grisaille

Santé

De rock tel un robot

Coloroscope Cousin lointain de l’horoscope, il relève d’une pratique ésotérique heureuse visant à optimiser sa vie en la colorant. Libre à celui qui lit d’aller piocher ce qu’il a envie d’entendre sur sa vie.

Sudocoul Oubliez les grilles infaisables que même Jana Tylova, championne du monde 2006 de Sudoku ne réussirait à déchiffrer ; Dégainez les crayons qui portent bien leur nom, choisissez une couleur par chiffre et coloriez à l’envi chaque case correspondante.

AMOUR

Une idée pour lutter contre l’ennui, adopter un petit chat gris qu’on appellerait Mistigri

TRAVAIL

Exode urbain tiens

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MORAL

Je garde mes idées noires au mitard

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SANTé

Mon élégance me maintient en forme

AMOUR

Aimer c’est dire oui mais non aussi et peut-être

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TRAVAIL

Bien user du pouvoir obscur de la force qui m’est conféré

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MORAL

En Suisse pas en berne

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Santé

J’ai réussi à placer staphylocoque au scrabble lors des longues soirées de mai

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AMOUR

Luxe, calme et volupté

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TRAVAIL

Pas facile de gérer ses rentes

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MORAL

Faut que je pense à rapatrier mon compte des îles Caïmans

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Santé

Me fais soigner sans débourser 1 balle

AMOUR

t’inquiète un jour même l’amour pourra s’acheter

TRAVAIL

me fais payer en nouveaux billets de 5 balles


Test de Stroop Essayez non pas de lire les noms de couleur mais simplement nommer les couleurs de police

vert

bleu

jaune

rouge

vert

bleu

rouge

jaune

vert

bleu

rouge

jaune

vert

rouge

bleu

jaune

vert

bleu

jaune

rouge

Playlist Bigarée 1 - Violent Femmes Color Me Once 2 - Jefferson Airplane White Rabbit 3 - Serge Gainsbourg Couleur Café 4 - Mary J. Blige I Can See In Color 5 - Booba Ma couleur

6 - Rick Ross 100 Black Coffins 7 - The Los Angeles Lakers Purp And Yellow 8 - Crookers feat Yelle Cooler Couleur 9 - Lisa Ekdahl The Color Of You 10 - Nina Simone Black Is The Color Of My True Love’s Hair

Histoire haute en couleurs Jeudi noir à Orange, Blanche s’est découvert une jaunisse ou bien une rougeole. Dans une colère noire, elle se sert un ballon de blanc limé. Vers 10h et quelques verres en plus dans le cornet, elle décroche son combiné rose et compose le numéro vert qu’elle trouve dans les pages jaunes. Elle tombe sur un certain John et découvre le pot aux roses. Elle aurait en fait contracté le staphylocoque doré durant ses vacances au vert dans les gorges du Vercor. Pourtant aucune rougeur dans la gorge. Elle consulte doctissimaux qui évoque l'apparition de plaques violacées sous-cutanées des suites d'une exposition prolongée des peaux blanches au soleil. Inquiète, elle se décide à aller voir les blouses blanches. Elle arrête un black cab au feu rouge pour se rendre aux urgences. En chemin elle aperçoit la dame blanche qu'elle met sur le compte de ses premiers symptômes d'hallucination. Elle a le temps de lire 2800 fois son Colorscope dans la salle d'attente où la lumière blafarde lui renvoie tous les bleus à soigner de ses codétenus. Quand enfin un interne se décide à l’ausculter dans un bureau aux fenêtres occultantes, c'est le trou noir. Aucun souvenir de l'objet de sa visite. Confuse, elle perd le fil rouge de la discussion et s'enfuit rouge de honte mais dans une forme olympique. Elle traverse en courant la verte prairie hospitalière où les boutons d'or s'acoquinent avec les bleuets. Elle promet de revenir au plus vite et cette fois pas sans son chevalet, pour peindre sa folle journée haute en couleurs. Gabriel Delon 9


Couleur addict pour une ville rose

Interview de Jean-Marc Bustamante par Nathalie Thibat Sauer

Buckminster Fuller, 50 Feet Fly's Eye Dome, 1980.

Crédit Nicolas Brasseur, Festival international d'art de Toulouse

Schopenhauer déclarait « quelle pauvre chose que la couleur ! » et désenchantait les couleurs en faisant abstraction de leur aspect esthétique, comme c'est le cas aujourd’hui chez de nombreux artistes de la scène émergeante de l’art contemporain. Alors, quel lien entretient l’art contemporain à la couleur ? La couleur est-elle bien le premier état de sensibilité de l’oeuvre ? Est-elle donc encore un acte constitutif, un manifeste ? Comme Matisse l’interrogeait « La couleur surtout et peut-être plus encore que le dessin est-elle une libération ? ». Je questionnai à mon tour, à ce propos, l’artiste Charley Case. NTS : Charley, quelle est ton expérience de la couleur ? CC : La couleur ? Personnellement je ne l’utilise que quand elle s’impose, je me cache derrière le noir et blanc, il ne se perd pas si facilement que la couleur. L’art contemporain consomme la couleur, il a perdu le lien avec le pigment. La couleur vient d’un lieu, elle est la saveur de la terre, d’ailleurs aujourd’hui, elle se consomme sans mesure. On lui a volé son sens, son orgie est grise. On retrouve la couleur dans un beau noir profond. Les pigments naturels ne sont pas les pigments artificiels, l'oeil ne se trompe pas. Elle vibre différemment dans une foire d’art contemporain, la couleur y coule a flots. Les couleurs se mélangent d’un tableau à l'autre, cela demande un estomac accroché ; la couleur c’est aussi le risque.

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La couleur inclue une histoire. Le fameux « voir tout en rose » d’hier, semble être devenu aujourd’hui un « voir tout en noir ». Serait-ce une juste résonnance d’artiste à un « broyer du noir » collectif ? Les moments de la vie de l’artiste deviennent donc qu’une simple couleur de référence. J’entends pourtant encore tout bas Bacon murmurer que " Dans le noir, toutes les couleurs s'accordent ". Et le poète, Bachelard, touché par la couleur, qui précise que " Le noir est le refuge de la couleur ". Snif ! Quelle histoire que ces mots d’artistes sur la couleur. Mais « Hola ho doucement ! Diantre soit l’artiste » pour qui, la vie n’est pas très rose. Mais ajouter un peu plus de couleur dans l’art contemporain, ce serait extra, non ? Voire ajouter des couleurs fluo, pourquoi pas ? Plus besoin de reprendre Newton ni de replonger dans Le Traité des couleurs de Johann Wolfgang von Goethe, publié tout de même après 20 ans de recherche sur la couleur. Sans se perdre dans un système anthroposophique ni dans la chromothérapie, nous savons tous aujourd’hui que la couleur est une création mentale. Qu’est-ce à ko ? Me crie-t-on. En fait paraît-il que « le cortex cérébral visuel crée la couleur à partir du message électrique fabriqué par la rétine lorsqu’elle capte une lumière réfléchie à sa façon par l’objet regardé. La couleur n’est pas dans l’objet regardé, ni dans la lumière qui éclaire l’objet, mais dans le cerveau qui interagit avec la lumière qui a elle-même interagi avec l’objet. Comme l’écrit l’essayiste Zefiro dans son remarquable petit livre intitulé Le mythe décisif (page 65), nous avons tort de dire que le coquelicot est rouge. Nous devons dire que nous le voyons rouge. L’abeille, elle, le voit ultraviolet. Le cerveau de l’abeille est incapable de créer la couleur rouge, mais parvient à voir en ultraviolet, alors que nous en sommes incapables. Le coquelicot n’est ni rouge ni ultraviolet. La couleur n’est pas dans le coquelicot, mais dans le cerveau de l’animal qui le regarde. » Ok dac, la couleur est mentale alors cela signifierait donc qu’aujourd’hui l’artiste va mal puisqu’il est rare qu’il s’éclate en couleurs nous dévoilant ses dimensions affectives ? C’était tout de même extraordinaire, par le passé the song of love de l’artiste peintre Allais, pour la couleur ! Allais considéré par certains critiques et connaisseurs comme étant le père de l'art contemporain en matière de peinture exposait en 1882 la Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la mer rouge afin de mettre le rouge à l’honneur. Et puis c’est si beau, Malevitch, Klein ou Soulages.

Concernant les couleurs et la Chromothérapie, je pensais me voir écrire sur le « verre optique coloré par FL41 » qui aurait, dit-on, la faculté de stopper net la migraine, et qui serait vendu pour trois fois rien aux Etats-Unis. Ces dernières années de nombreuses expositions ont questionné la couleur : - Gerhard Richter, à Beaubourg - Marcher dans la couleur, au musée régional d'art contemporain Languedoc-Roussillon, à Sérignan - Un Océan d'air, Nathalie Junod-Ponsard, au Château d'Assas, Le Vigan / Gard - Peindre sur la couleur, Martine Lafon, au musée d'Orléans - La couleur en avant, au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice Peut-on, vraiment, à travers ces quelques lignes muséales, mener une vraie réflexion, interdisciplinaire ou interculturelle, sur la couleur ? Alors qu’on nous parle beaucoup de chromo-Architecte, où en est-on de nos artistes plasticiens coloristes ? Et si nous ouvrions plus grand l’oeil sur la couleur, sur son utilisation et sur les expériences qui peuvent y être liées, en jetant le dé à un gentleman, à celui qui fait la Une de l’actualité toulousaine depuis le début de l’année, au Directeur du Festival International d’art de Toulouse, Jean-Marc Bustamante. NTS : Jean-Marc, ce nouveau Festival dans la ville rose, est-il coloré ou pas ? JMB : Le Festival n'est pas dédié à la Couleur, sinon il en a la profondeur et Toulouse joue un rôle unique dans cette appréciation. Le Nouveau festival accorde cette année, une place privilégiée à certains artistes coloristes comme Howard Hodgkin. La couleur en France est perçue comme ornementale, elle a été oubliée depuis bien longtemps comme source essentielle, ce n'est évidemment pas le cas dans les pays anglo-saxons. Dans le Festival, nous présentons le travail de Howard Hodgkin qui est d'ailleurs souvent perçu en France, comme un coloriste, une qualité très péjorative ici, une vision simpliste d'un public qui a perdu ses peintres depuis longtemps au profit de penseurs qui se disent peintres mais qui s'intéressent davantage au mode d'emploi parce qu'ils ont justement perdu depuis Matisse cet intérêt pour la couleur. Les britanniques, eux, non. Ils allient excentricité, fraîcheur, humour, de Hockney à Hodgkin jusqu'à Gary Hume. Est-ce l'influence de la grisaille, du smog ambiant ou du rayonnement de l'Inde et des colonies ? Cela mériterait de s'y attarder, et Hodgkin à Toulouse en est le parfait exemple. 11


Il a d’ailleurs multiplié ses voyages en Inde jusqu'à très récemment et possède lui même une collection unique de miniatures indiennes. La couleur est un moyen pour les artistes d'augmenter la visibilité des oeuvres. L'art doit se voir, se sentir avant de se comprendre.

Howard Hodgkin, High Tide, 2012

© Nicolas Brasseur, Festival international d'art de Toulouse, 2013

NTS : Rappelons, de Ludwig Tieck « Quelle chose merveilleuse que de se plonger dans la contemplation d'une couleur, considérée comme simple couleur ». Par-delà les grandes lignes du nouveau festival qui sont, pour vous citer, « celles de mettre en valeur le patrimoine de la ville », la couleur joue-telle un rôle important aux Jacobins avec Julian Rosefeldt, à la Fondation Bemberg avec Howard Hodgkin, au Château d’Eau avec Emmanuel Van der Meulen, à l’Hôtel Dieu avec Lindsay Seers, sur le Port Viguerie avec R. Buckminster Fuller, au Musée Les Abattoirs avec Kiki, Seton & Tony Smith ? JMB : La couleur y joue forcément un rôle, citons le travail plastique de certains artistes invités comme Emmanuel Van der Meulen. La réponse ne pourra donc émerger que de la visite ellemême du Festival. NTS : L’art contemporain a-t-il épuisé selon vous toutes les variantes de la plasticité côté couleur ? JMB : Non mais l'art est aujourd’hui en France plus tourné vers les "idées", vers le cognitif. J'enseigne à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et à l'Akademie der Bildenden Künste à Munich, la différence y est flagrante, il faut ainsi voir à l'école des Beaux-Arts de Toulouse la série d'affiches Artist comes first réalisée par mes étudiants de Munich. La couleur, est par définition considérée en France comme une fantaisie. La couleur, en France, c'est le noir de Soulages jusqu'à la petite robe du même nom, le noir de l'uniforme de l'homme moderne, de l'architecte, du designer... mais celui aussi du juriste, du policier. Le choix de la couleur expose, elle fragilise celui qui l'ose.

Howard Hodgkin, Old Sky, 1996 – 1997 © Howard Hodgkin 12

NTS : C'est vrai qu’il semble dangereux pour l'artiste de traiter de la couleur, on le lit dans la réponse de Charley Case, mais ce, de tout temps. Goethe citant un anonyme, écrivit alors « Le Taureau devient furieux si on lui présente une étoffe rouge mais le philosophe, dès que l’on parle seulement de couleur, se met en rage ». Considérez-vous l’interrogation fondamentale de l’artiste sur la couleur lorsqu’elle devient essentielle ? JMB : Oui, bien-sûr. Il faut réapprendre à regarder les tableaux et je vous invite à regarder attentivement Hodgkin à l'hôtel d'Assézat. Chez lui, la couleur active ou réactive le regard. Elle met parfois mal à l'aise. Hodgkin prend parfois jusqu'à un an pour terminer un tableau à cause de la couleur ; son défi est de traduire par ses impressions colorées des sensations émotionnelles complexes,


une résonance affective, une profondeur vécue que l’artiste s’efforce continuellement d’explorer. NTS : Pour revenir au Festival, je pensais justement à Emmanuel Van Der Meulen, pour qui, je cite, « la couleur, sa présence particulière est le centre de son oeuvre, comme de ses tableaux, rappelant la peinture de Blinky Palermo, de Günther Förg… », à « la fascination de Lindsay Seers pour l’hétérochromie (le fait qu’une personne ait les yeux de couleurs différentes, phénomène qui atteste la présence d’un fragment étranger d’ADN hérité d’un jumeau et qui est responsable de cette erreur de coloration) » et aux oeuvres d’Howard Hodgkin. Le festival s’est-il construit autour d’artistes de générations différentes pour qui la couleur semble mise au premier rang de leurs choix esthétiques? JMB : Le Festival tente avant tout de « montrer des choses du monde ensemble » pour paraphraser Schwitters, dans cet écrin privilégié que constitue le bassin de la Garonne, de proposer un choix d'artistes et de projets singuliers. Le comité de sélection s'est beaucoup interrogé sur la pertinence d'un artiste dans ce contexte. NTS : Trouvez-vous que l'art contemporain manque aujourd'hui de Couleur ? JMB : On a perdu le sens de la couleur au profit du goût. Un grand coloriste n'a rien à faire avec le bon goût et cela, les français ne le comprennent pas. NTS : Vous êtes un artiste français, professeur à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et à l'Akademie der Bildenden Künste à Munich, Chevalier de la Légion d'honneur, commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres, vous êtes l’auteur d’une oeuvre considérable qui couvre l’ensemble des problèmes actuels tant scientifiques que philosophiques, moraux politiques et esthétiques, Jean- Marc, nous avons en mémoire votre exposition Peintures carrées à la galerie Thaddaeus ROPAC, vous y aviez présenté une suite de cinq tableaux sur plexiglas dans un format carré et aviez intitulé cette suite du nom romanesque Colorito-Colorado se référant à une technique picturale des peintres vénitiens de la Renaissance accordant la précédence à l’usage direct de la peinture sur la toile versus de l’école Florentine qui privilégiait le dessin ". Quel rapport entretenez-vous avec la couleur ? JMB : Je viens de la photographie, j'ai été l'assistant de William Klein. Il y a trente ans, le noir et blanc était la couleur dominante, dès 1977 il m'a semblé nécessaire de faire évoluer les choses et j'ai produit à ce moment-là des photographies en grand format en

Emmanuel Van der Meulen, Grand Métier VI, 2013

Crédit : Nicolas Brasseur, Festival international d’art de Toulouse, 2013

couleurs que j'ai intitulé Tableau. Puis est venu tout naturellement la peinture sur Plexiglas où l'encre joue la fraîcheur et la stridence. Dans ma dernière exposition « Colorito-Colorado », la place de la couleur est centrale. Pour moi, la couleur ne doit pas être perçue comme un simple divertissement, un ornement ou un décor. La couleur est un élément fondamental de l'Art. NTS : Voilà donc bien la couleur révélée par un créateur, grand merci Jean-Marc, pour cet interview. Finalement on l’aura compris, aujourd’hui, en France, la « couleur » est une question sensible. Mais tout de même Tati avait peut-être raison avec cet aoriste gnomique « et si le trop de couleurs distrayait le spectateur ? » et quand bien même si c’était le cas ? Pour ma part, je suivrai aveuglément « le cheminement futur vers le monde fluctuant des couleurs » me laissant tentée par les théories, à ce sujet, de Rudolf Steiner.

Conseils de lecture - Le Traité des couleurs, de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) - Le système anthroposophique de Rudolf Steiner (l’anthroposophie est lathéorie du philosophe autrichien Rudolf Steiner, qui certes a subi l’influence de la philosophie naturelle de Goethe, qui n’a pas rédigé de théorie chromatique à proprement parler, mais qui a décrit, dans plusieurs conférences et articles, comment l’on peut « lire » le phénomène de la couleur. - Le mythe décisif de l’essayiste Zefiro alias " le penseur masqué " - Traité de couleur thérapie pratique de Pierre Van Obberghen. - Du spirituel dans l’art de Kandinsky. 13


Arc-en-ciel Dans l’espace d’exposition du Pavillon Blanc, à Colomiers, Jordi Colomer a réaménagé une œuvre qu’il avait conçue en avril 2011 pour les salles contemporaines du Musée d’Art Moderne de Bruxelles, phonétiquement et drolatiquement qualifiées de Bozar.

Jordi Colomer, l'Avenir. Vue de l'exposition au centre d'art du Pavillon Blanc, Colomiers

Cet ensemble de vidéos-projections s’intitule L’Avenir, et est largement inspiré par les projections futuristes et utopiques de Charles Fourier. Dans son projet idéal de phalanstère, celui-ci avait minutieusement décrit le fonctionnement d’une machinerie aussi performante que bienfaitrice, mais ne s’était jamais « aventuré » à en dresser le moindre plan architectural. C’est à un de ses élèves, Victor Considérant, que l’on doit la seule transcription dessinée d’un tel habitat virtuel, cependant fort décevante par ses allures relativement calquées sur des modèles hétérogènes de château, caserne, monastères, pour, au bout du compte, on ne sait trop quel hôtel trois étoiles… La leçon d’une telle entreprise reste pour le moins de vérifier combien l’utopie est délicate voire impossible à être représentée, dès lors qu’elle est censée réunir une conjonction d’individus supposés conscients et complices d’un tel futur communautaire. 14

C’est pourtant le genre de défi qui sied à Jordi Colomer, pour autant qu’on l’inscrive aux marges d’une fiction vérifiable, matérialisée par la « dépense » tangible mais vaine d’acteurs qui se prêtent au jeu d’une construction dont le résultat n’est autre que de tourner en boucle, sans happy end. Cela fait pas mal d’années déjà qu’il a posé les bases de telles propositions, dont le déroulement n’est pas sans évoquer les trois commandements du théâtre classique, préconisant une unité de temps, d’action et de lieu. Ou plutôt, et pour être plus précis dans les critères que nous autorisent les changements irréversibles que connaît l’art aujourd’hui, nous sommes bien face à une proposition qui relève de l’ « événement » et non du « spectacle ». La différence entre les deux, s’il y suffisait d’une, restant de vérifier que le spectacle est par essence « gratuit », alors que l’événement nous interpelle tous et que nous ne pouvons y échapper, quelle que soit la manière


dont cette participation se formalise ou s’énonce. Pour Jordi Colomer, la cause est depuis longtemps entendue, c’est à la lisère de l’architecture que vient irrémédiablement cogner le social et le commerce comportemental qui en découle. Ainsi de L’Avenir, où nous pouvons voir une cohorte de personnes tenant à bout de bras une banderole sur laquelle s’inscrit ce mot, en lettres vaguement gothiques, s’escrimer à courir vers on ne sait quel but, luttant contre un vent plutôt violent, et se relayant pour tenir les hampes de l’instrument. La scène est filmée de façon plutôt panoramique, et se déroule sur un terrain sablonneux, s’étendant à perte de vue. En l’état, un non-lieu, un no man’s land en quelque sorte, qu’il serait difficile d’imaginer devenir, en temps « normal », le théâtre d’une telle action. En y regardant mieux, on constate que le groupe ainsi sollicité est hétéroclite, constitué de personnes distinctes, allant de quelques jeunes adolescents un brin taquins, d’adultes plus concentrés sur leur tâche, de deux africains robustes et hilares, et d’un iaio1 étonnamment vigoureux et résistant. En parallèle, d’autres intervenants transportent sur leurs épaules des sortes de maquettes aux allures de lego, en se relayant de même pour supporter le poids de telles charges. Lorsque cette course semi effrénée à prit fin, tout le monde s’installe autour d’un buffet relativement campagnard, les assiettes se répartissant sur une nappe immaculée posée au sol, pendant qu’une solide et amène matrona2 confectionne un appétissant arròs3, récompense roborative d’une telle débauche d’efforts. Et puis, last but not least, tout le monde mets la main à la pâte (sic), pour dévoiler la cerise sur le gâteau, et déployer la maquette fagotée par Considérant, qui s’étale là, à même ce sol de sable, pour un résultat plutôt pathétique… Ces vidéos aux allures de cinéma muet et de western spaghetti ont été tournées dans le delta de l’Ebro, à mi chemin entre Barcelona et Tarragona, terre indécise et changeante, bizarrement inutile pendant l’hiver et l’automne, mais sujette à toutes les attentions dès lors que l’eau s’y engouffre et qu’elle vient irriguer les rizières fructueuses qui l’entourent. En l’état, un endroit par nature non habitable, même de façon précaire puisqu’il est interdit d’y camper, et de surcroît protégé puisque c’est là que, entre autres espèces migrantes, les flamands roses viennent batifoler une fois l’an. Jordi Colomer a toujours prisé les sites limites/limitrophes, où l’on peut repérer les basculements autoritaires d’un homme envieux d’étendre son implantation urbaine en grignotant ou malmenant une nature jusque là inviolée. Mais sa préoccupation ne se veut pas prioritairement « écologiste », elle consiste avant tout à s’interroger sur l’absurdité réitérative de la nécessité de voir s’implanter des ensembles architectoniques qui frisent

l’obligation signalétique de leurs érections. L’organisation imprévisible, les déréglementations hasardeuses mais obligatoires qui s’enchevêtrent dans de tels contextes, sont autant de repérages « relationnels » qu’il lui plaît d’inventorier, voire de provoquer. Ainsi de la série Anarchitekton où un complice agite des maquettes de tours ou de monuments qui éveillent l’attention de passants témoins de telles « intrusions ». Ainsi encore dans ses dernières propositions, Prohibido cantar et Poble Nou, la première décrivant l’implantation insensée d’un tripot ambulant dans les environs de Monegros, pas loin de Sarragosse, où le projet de la construction d’une sorte de Las Vegas improbable est en cours ; la seconde filmant la déambulation erratique d’un convoi funéraire, qui voit le cercueil véhiculé à dos d’homme, zigzagant entre des autos poussiéreuses garées ici et là, sous les yeux incrédules d’un couple de touristes russes qui n’en reviennent pas d’être les témoins d’un tel « théâtre de l’absurde ». On peut ne pas s’encombrer des références de la philosophie utopique de Fourier lorsqu’on s’installe sur l’une des chaises dépareillées situées au centre du dispositif que constituent les trois écrans et l’entassement des pièces du puzzle de la maquette forgées à partir du schéma de Considérant, tel que Colomer a choisi de les installer au Pavillon Blanc. Il est impossible par contre d’échapper au caractère narratif que développe l’enregistrement des « faits et gestes » élaborés par l’artiste, et partant à la tentation plus ou moins forte de se projeter soi-même dans le déroulement d’une telle entreprise, d’en être, sinon les acteurs, tout au moins les témoins « privilégiés », proche du sentiment que l’on peut ressentir lorsque quelque chose se produit et que, face à l’injonction « circulez, y’a rien à voir », nous sommes conscients que c’est pourtant là que se trame un événement patent. C’est sans conteste la force et la réussite de cet Avenir : nulle part, mais pas n’importe où, nous participons au déroulement d’une action dont nous sommes fatalement partie prenante. Tout le contraire au fond de l’utopie fondatrice d’une telle correction « laborieuse » : là où Fourier ne pouvait que s’imaginer dans un spectaculaire fait de strass et de paillettes futuristes, s’étalant sur une scène impossible donc irreprésentable, Colomer rectifie le tir et met en jeu une articulation dont les rouages nous ramènent, fatalement, au partage plus ou moins conscient de l’événementiel et de sa construction. © Ramon Tio Bellido

en catalan dans le texte : pépé / papi idem, matrone… 3 c’est ainsi que l’on nomme génériquement ce plat en Catalogne, le riz est devenu paella par obligation touristique… 1 2

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Le bleu, la terre, le noir, le rouge et moi Je suis daltonien, je me méfie des couleurs, je ne suis pas à l'aise avec les bruns, les rouges profonds et les carmins, tout ça tremble, glisse puis se confond, c'est pour cela que je peins, car j'aime le doute et l'incertitude. Lorsque l'on monte une exposition on est en permanence confronté à la couleur ; choix, juxtaposition, agencement font partie intégrante du commissariat. La couleur est un enjeu plastique et culturel déterminant dans la pratique artistique. Plutôt que de m'égarer dans des théories un peu floues, je préfère exposer quelques exemples illustrés, les images parleront sûrement mieux que moi. Par exemple, je me souviens des réflexions menées pour déterminer la couleur de la pièce de Jean Denant "Cache misère". Nous avons finalement choisi ce bleu pâle presque turquoise, un bleu piscine. Christian Bernard n'était pas certain de notre choix, lui ayant opté pour laisser la pièce brute. Cependant Jean, tout comme moi, est un grand romantique et nous avons vu dans ce bleu miroitant au soleil la couleur de surface d'une piscine. Volonté de magnifier un matériau retors, utilisé par les promoteurs, à la longévité relative, le bleu couvre entièrement le côté face du placoplatre. En reprenant la silhouette caractéristique d'un stand de vente Monné Decroix, en le recouvrant de ce bleu piscine, Jean fait de ce volume une image. Laissant l'arrière brut, comme pour un décor, un côté décrépitude annoncée ou ruine anticipée et l'autre miroir aux alouettes, du bleu comme une vanité contemporaine, une allégorie Elissienne ! Aujourd'hui la vanité ce n'est plus un crâne, c'est une Audi ou une piscine, la représentation de notre finitude, notre pourriture prochaine. J'ai aujourd'hui l'impression d'assister à une californisation du monde occidental. Le bleu piscine, le vert palmier, le jaune désert et le rouge Ferrari envahissent depuis l'apparition de la couleur cinématographique notre cercle chromatique culturel. À l'heure du déclin de l'Empire, tous se tournent encore et encore en direction de l'usine à rêve. Ce qui ressemble au dernier échappatoire possible serait la diffusion en boucle de nos fantasmes sur l'écran de nos frustrations. Une auto contemplation morbide de nos impasses conceptuelles. Les avancées technologiques numériques facilitent cette fuite vers une psyché over size. Cette rythmique, de zéro et de un aseptisés constituent les images et les sons d'un futur de pacotille. C'est pour s'écarter de cette superficialité que certains se retournent vers une autre Californie, plus alternative, éloignée des moguls et des studios mastodontes. Celle des expériences collectives sur les plages de Bolinas où chacun construit son abri et invente un nouveau langage. C'est notamment cette culture 16

que convoque Felicia Atkinson dans ses dispositifs. Les œuvres jonchent le sol, s'appuient aux murs où pendent des poutres. Felicia dans sa liberté d'accrochage et la rugosité de ses pratiques affirment sa méfiance et sa défiance à toute efficacité ou savoir faire. Elle retient des cultures alternatives, non pas le côté cool, mais leur sens profond, un combat contre toute forme de conservatisme. La couleur, celle intrinsèque des matériaux ou celle picturale qui habite ses peintures fait partie intégrante de sa démarche d'improvisation plastique. Comment avec une gamme de formes, détourner, créer, assembler des objets et dynamiser l'espace et la pensée. Ces installations sont comme des plateaux de jeux, chaque œuvre est une pièce en mouvement potentiel. Les règles sont obscures mais la partie ludique. Les couleurs font formes et matières, elles peuvent être abandonnées à leur état premier de pigment ou irradier par la force du geste la surface du papier ou de la toile. La lumière est omniprésente et l'énergie le moteur d'une démarche généreuse qui évite toute forme de séduction primaire. Nous sommes en dehors des courants dominants d'un académisme pompier qui fait son retour, sans le dire, dans les allées encombrées des foires marchandes. Felicia emploie les couleurs dans un but éminemment politique, mais sans les surcharger du sens dégoté dans un quelconque manuel, elle les laisse libre de leur subjectivité plastique. Quittons les couleurs illuminées par le soleil aveuglant du farniente estival pour explorer celles plus obscures de la nuit. Si David Brunner dans ses installations colore et électrise l'obscurité, c'est pour en révéler ses aspects merveilleux. Il convoque deux nuits abyssales, celle de la fête et celle du cosmos. Toutes deux insondables, elles n'acquierent leur profondeur que par les lumières qui les habitent. Ces ponctuations lumineuses en définissent les dimensions, ce sont ces écarts que David explore. Qu'il teinte le Plexiglas ou colore les murs, il s'attache à immerger le spectateur dans un environnement global qui a pour objectif de l'extraire de son quotidien. Pour autant, il ne s'attache pas à créer un spectacle, il ne détourne pas l'attention, il la décale. Ici les pointes de couleurs s'extirpent du noir, il ne faut pas s'y tromper, nous ne sommes pas ici à la fête, mais en suspension dans un espace réflexif où toute la vacuité de l'humanité se télescope entre le vide pathétique d'une boîte de nuit branchée et les vertiges sans mesures d'un trou noir. Ce changement de dimension nous l'avons tenté lors de l'exposition "Les enfants sont de droite, fondamentalement" de


Stéphane Arcas. D'apparence classique l'exposition proposait dessins et vidéos, cependant au fond de l'exposition une porte était fermée par une chaîne cadenassée. Derrière des tentures de velours rouge, une moquette à motif de chevrons noir et blanc, deux fauteuils clubs vert, une table basse, des sushis, du champagne, un bon whisky et un panorama de substances illicites. Dans un des fauteuils, l'artiste attend. Un vernissage sans privilégiés, juste un tirage au sort, cinq personnes ont gagné l'opportunité de passer trente minutes en tête à tête avec Stéphane dans cette pièce rappelant à tout aficionado de la série Twin Peaks la fameuse "black lodge". Endroit étrange où les révélations et les fausses pistes se succèdent. L'artiste accessible au moment de l'inauguration uniquement par tirage au sort avec promesse de ne rien divulguer de ce qui se passe derrière la porte. Un rouge secret à jamais invisible. En plus de l'attention que je porte à la couleur lors de mes commissariats, c'est une préoccupation forte dans ma démarche d'artiste. En 1997 je participais à une exposition collective où j'ai présenté une pièce maladroitement intitulée "Couleurs jeunes", qui consistait en un tirage numérique du scan d'une page catalogue de vente de vêtements par correspondance de la fin des années 70 sur lequel quatre jeunes femmes plein cadre portent des robes et blouses très colorées, vertes et motifs blanc créant une ambiance très tendance surannée. À côté une toile format marine avec 3 carrés de couleurs, vert, bleu et blanc, au sol un magnétophone diffusant des commentaires sur les couleurs extraits du livre de Kobayashi lus par une comédienne. Ces réflexions ironiques sur les liens entre couleurs, peinture et décoration je les ai menées à plusieurs reprises, notamment avec la série toujours en cours "Hawaii Painting", qui consiste à accrocher côte à côte une chemise hawaïenne chatoyante et une peinture abstraite dans les mêmes tons ou un poster de montage photographique de fleurs d'une seule couleur. Une façon de dédramatiser un discours sur la peinture et la décoration. Ce n'est pas une position de l'ordre du détachement mais un discours qui s'oppose au pontifiant, une décontraction critique. Cela reste un point de vue de l'art sur l'art mais augmenter par l'objet quotidien quand la vie ne devient pas plus intéressante que l'art mais picturale. Et c'est déjà beaucoup ! La couleur est embarrassée depuis toujours par des commentateurs avisés. Dans son "Book of colors", Kobayashi, s'étend sur les multiples combinaisons de couleurs entre elles, et propose une succession de palettes chromatiques classées selon des thématiques. Les trois premières sont dans l'ordre, fresh, youthfull et cool, elles ont en commun le bleu et le blanc. En plus

Jean Denant, Cache misère, 2008, placoplatre, rails, peinture

des carrés de couleurs combinés entre eux, chaque page propose un court paragraphe qui décrit l'atmosphère colorée. En voici quelques extraits choisis : "L'été est synonyme de sport et de jeux en plein air. C'est aussi le moment d'intégrer à votre garde robe des couleurs vives et fraîches. Mettez-vous dans l'ambiance avec des combinaisons de bleus, de verts et de jaunes, sans jamais omettre quelques rehauts de blanc !" "Les bleus mettent en valeur le blanc et créent l'ambiance sportive et rafraîchissante parfaite pour la journée ; les verts conviennent plutôt pour les courts de tennis et les green de golf. Les tons de jaune contrastent avec des tons de bleu et de vert pour donner une image fraîche et jeune." C'est au travers d'une forme sérieuse et scientifique que Kobayashi définit une approche de la couleur plutôt lifestyle. Elle est envisagée comme composante harmonieuse d'une société aisée qui sait accorder ses vêtements à ses activités. Nous sommes loin de toute charge symbolique ou de toute liberté d'utilisation personnelle de ces signes. La dimension discursive propre des couleurs et le sens culturel de l'abstraction sont ignorés par Kobayashi, il réduit son propos à une doxa sociale chatoyante. La couleur en art, en peinture peut être toute autre, à chaque artiste de s'en emparer et de la tordre vers la direction qu'il souhaite. Faites toujours attention aux couleurs que vous portez mais encore plus à celle que vous contemplez, elles ont toujours un sens caché. Manuel Pomar Directeur artistique de Lieu-Commun 17


Au fil du Lot Le Parcours d’art contemporain en vallée du Lot 2013 Le Lot fait figure de tête de pont en Midi-Pyrénées pour l’accueil d’artiste. Comme chaque année, deux résidences, la première aux Arques entre Quercy blanc et Périgord Noir en Pays de Bouriane, la seconde au pied du Lot situé dans le village de Saint Cirq Lapopie nous font le plaisir de présenter durant tout l’été le résultat des recherches des artistes invités. Un parcours dans le Quercy qui ne manquera pas de nous étonner. Rendez-vous les 5 juillet aux Arques en soirée et 6 juillet à Cajarc à partir de 15h pour un weekend inaugural durant lequel, entre flanerie et ballade, le Lot vous ouvrira à l’art contemporain.

Les artistes et une partie de l’équipe aux Maisons Daura, résidences internationales d’artistes Région MidiPyrénées, Saint-Cirq Lapopie. Photographie Magp © 2013

A Saint Cirq Lapopie, c’est au sein des Maison Daura du nom de l’artiste catalan Pierre Daura qui y séjourna chaque été jusqu’à sa mort en 1976, dans une demeure à l’atmosphère toute médiévale que sont accueillis les artistes. Une maison à l’esprit de l’art flotte dans le dédale des pièces, escaliers, terrasses et jardins propices à la réflexion, à l’échange et la création. Car oui, c’est ici dans ces murs que les promotions successives travaillent in process. Au nombre de six cette année (Fredy Alzate, Chad Keveny, Damien Marchal, Natacha Mercier, Daniel Perrier, Yuhsin U Chang), sous le parrainage de Tugan Sokhiev, cette nouvelle promotion au travail depuis quelques semaines déjà semble comme investie par le lieu. Chacun occupe une partie de la maison où tous les espaces semblent comme un atelier ouvert. L’esprit est serein et consciencieux. L’échange est fertile entre les habitants de la maison, la connivence et le partage semblent au rendez-vous. Une belle équipe dirions-nous, une édition flamboyante qui fera découvrir, tout au long des méandres du Lot entre Cajarc, 18

Calvignac sur son éperon rocheux, Larnagol, Cénévières et Bouziés, les travaux réalisés in situ. Pour cette édition 2013,
comme pour les précédentes, il n'y a pas de thème collectif imposé, mais la mise en résonance de l'intérêt individuel des artistes, de leurs champs d'investigation respectifs, avec la préoccupation d'un territoire à révéler, au-delà de ses écueils de site touristique, au-delà de l'immédiate appréhension de sa qualité esthétique, patrimoniale. Il nous intéresse de le bousculer, de l'éclairer de biais, pour faire valoir une vision autre, instable et ouverte, un chantier prospectif, une histoire qui chemine... Le Parcours invite les artistes à présenter leurs oeuvres dans les sites naturels et les villages de cette portion de la vallée. Il relie ainsi les Maisons Daura, laboratoire de création, au centre d’art contemporain, lieu d’expérimentation artistique. Le regard des artistes sur le contexte environnemental et culturel, leurs


relations aux paysages et aux habitants, et au final, les œuvres présentées, construisent un dialogue nourri entre patrimoine et art contemporain et dessinent une cartographie toujours renouvelée de cette portion de vallée. Plusieurs nouveaux lieux seront investis cette année, hors des sentiers convenus. La surprise et l'invention sont les attributs de l'aventure collective d'un tel programme où l'improvisation génère de la pensée et de l'imaginaire, où l'énergie et la générosité des artistes cimentent le tout avec une certaine grâce. Ainsi nous pourrons découvrir Fredy Alzate (Medellin, Colombie) qui s'intéresse aux rapports entre nature et urbanisation. Les ponts de l'ancienne voie de chemin de fer qui jalonnent la vallée, jetant d'une rive à l'autre ces monumentales structures en acier, ont retenu son attention. Il propose une installation qui évoque à la fois leur fonction passée de passerelle et fonctionne comme un signal dans le paysage. Des dessins préparatoires à ces installations projettent l'œuvre dans une fiction transhistorique et transgéographique. Chad Keveny (Dublin, Irlande / Toulouse) pratique quant à lui la peinture comme mode de rencontre avec les gens. A Saint Cirq Lapopie, il a convié les habitants à poser dans son atelier, tout en échangeant avec eux sur la question du patrimoine. Dans 'le village préféré des français', et plus largement dans l'environnement touristique de la vallée, l'appréhension de cette notion engendre des positions contrastées quant à l'identité du lieu. L'artiste situe sa pratique au croisement des histoires : celle plus officielle d'un territoire et celles plus subjectives des individualités.

Daniel Perrier et les jeunes acteurs de son court-métrage Les autres, d’après Les Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa. Photographie Magp © 2013

Chad Keveny, Fiat, 2013, Aquarelle 24 x 32 cm. Courtesy de l’artiste.

Damien Marchal (Rennes, France) s’est penché sur différentes problématiques liées au son et aux influences qu'il peut avoir tant dans son rapport à l’architecture que dans celui du conflit.
 Il réalise deux oeuvres pendant cette résidence : dans une grotte, une peinture pariétale représentant le point de rupture acoustique de la pierre ; au centre d'art, une installation architecturale qui représente, en un volume fait de voilages, la propagation aérienne de l’onde de choc des grenades incapacitantes utilisées par les forces du RAID durant l’assaut de l'appartement de Mohamed Merah.
 Le rapport à l’abri et au refuge relie ces deux productions qui serviront de référence graphique pour la seule prestation sonore de l’artiste, lors d’un concert de traceurs pendant le vernissage. Natacha Mercier (Lombez, France) s'est intéressée à la culture du tuning et à la Vanité. Son travail de peintre rassemblé sous le titre « Visibilité réduite » oblige à y regarder de près. A contrario

Natacha Mercier, Le Dit Carcasse de 4CV, peinture. Photographie Magp © 2013 19


Fredy Alzate, Traza, 2013. Maquette préparatoire. Courtesy de l’artiste

de bien des a priori sur la parure ostentatoire du tuning, elle instille une interrogation : comment regarder la peinture ?
 Dans le même sens, et pour appuyer le rapprochement entre préciosité et acte rebelle, elle customise un véhicule installé en pleine nature. Daniel Perrier (Nantes-Paris, France) est passionné de cinéma et d'anthropologie . Il fait rejouer de mémoire une scène du film Les 7 Samouraïs de Kurosawa dans le village de Saint-CirqLapopie, à des adolescents de la région. Au-delà de la reprise d'un récit quasi mythique, c'est l'occasion de relever des questions sur l'altérité et la peur, à même de stimuler la réflexion de chacun sur ces sujets toujours quotidiens. Par ailleurs, Daniel Perrier invite un personnage saugrenu – que l'on pourrait bien retrouver à l'occasion d'une performance le soir du vernissage - à traverser les paysages de la vallée.
Ces écarts temporels et narratifs invités dans le champ du documentaire ou dans les lieux de la fiction, pointent la prégnance du signe et du langage dans l'histoire des hommes et des œuvres, ici comme ailleurs. Enfin Yuhsin U Chang (Taïwan / Paris) construit une sorte de 20

grand vortex, avec des morceaux d'écorces collectés. Les forces en tension dans cette sculpture traduisent le principe d'une métamorphose.
Elle investit aussi l'espace structuré d'une peupleraie pour une installation inédite avec de la laine brute issue de la dernière tonte des moutons de la vallée. A chaque fois, l'artiste cherche à faire valoir le principe d'une transformation cyclique et inéluctable des matériaux et des formes, de l'inerte au vivant et inversement. Ce principe trouve ici matière à s'expérimenter à l'échelle du paysage.


Hélène Marcoz : Série Still Alive. Ci-dessous : Cosmos roses et blancs


Lys blancs


Amaryllis rouges


Pivoines blanches Mother Els. Encre sur papier


Arthur Tress ou le roi des ombres “Photography is my method for defining the confusing world that rushes constantly toward me. It is my defensive attempt to reduce our daily chaos to a set of understandable images”. Tress, 2001

Petit événement à Toulouse, la galerie du Château d’Eau rend hommage à un grand photographe américain curieusement peu exposé en Europe : Arthur Tress. Souvent comparé à Diane Arbus ou Robert Franck, son œuvre empreinte de surréalisme et de fantastique dépasse le simple cadre du documentaire pour atteindre ce qu’il nomme lui-même un « réalisme magique », laissant rêves et fantasmes prendre corps dans ces photographies réalisées la plupart du temps en noir et blanc. Quatre séries sont présentées dans les deux galeries : Dream Collector (1969-72), Theater of Mind (1970-78), Male of Species (1995-99) et San Francisco (1964), cette dernière n’ayant jamais été montrée en France. Arthur Tress, né à New-York en 1940, a développé très tôt son goût pour la photographie, en déambulant avec son appareil photo dès l’âge de 14 ans du côté de Coney Island et de son célèbre parc d’attraction. Les fréquentations assidues du MoMA, son goût pour le cinéma (il produira une série de films de 30 mn chacun), ses voyages autour du monde au début des années 60 (Espagne, Egypte, Mexique, Inde, Japon, Afrique, Suède) en font un artiste subissant des influences variées : Peter Blume, Frank Lloyd Wright, El Lissitzky, Eisenstein… Et pour ce qui concerne les photographes, Duane Michals, Les Krimms, Paul Strand ou encore Alfred Stiegliz. Le goût de la mise en scène de l’image croisera souvent un coté ethnographique, comme dans son reportage sur la ville de New-York réalisé en 1969, Open Space in the Inner City. En 1964 Tress réalise un portrait de San Francisco tout aussi personnel, en plongeant au cœur du maelstrom des sixties qui déferle cet été là sur la City by the Bay. Une ville qui inspira nombre d’artistes, qu’ils soient écrivains, photographes, peintres ou cinéastes. Foyer des Beatniks et de la contreculture hippie, ville des chercheurs d’or et berceau de l’écrivain Jack London, San Francisco et ses rues en pente titille également l’imagination de cinéastes tels Peter Yates qui immortalise Steve Mac Queen dans Bullit (1968), ou Don Siegel offrant à Clint Eastwood l’occasion de créer son personnage légendaire de flic justicier incarné dans L’Inspecteur Harry (1971), ces deux acteurs devenus icônes d’un cinéma qui à l’époque construisait une nostalgie qui n’a jamais existée ; du côté de la réalité, le pénitencier d’Alcatraz et ses pensionnaires illustres

Ed Berman and his mother, New-York, 1975

tel Al Capone, ou la triste renommée du « Tueur du Zodiaque » laissent autant d’indices donnant à supposer qu’il ne faut pas se laisser charmer par son soleil trompeur. 1964, « the last innocent year » 1964 cristallise les mutations politiques et sociales amorcées l’année précédente aux Etats-Unis par une série d’événements majeurs qui vont profondément transformer le pays : la ratificationdu Civil Rights Act le 2 juillet, les mouvements de « l’été de la liberté » au Mississipi se soldant tragiquement par l’assassinat de trois jeunes militants par des membres du Ku Klux Klan, l’obtention du prix Nobel par Martin Luther King, et l’implication désormais irréversible des U.S.A. dans la guerre du Viêt-Nam. La ville de San Francisco va largement participer à la lutte contre les ségrégations raciales, notamment à travers l’activisme des mouvements contestataires issus de ses campus universitaires. 1964 est également une année d’élections présidentielles et le parti républicain sort la grosse artillerie dans la ville en juillet, lors de sa 28ème convention annuelle. 25


Boy with root hands, New-York 1971

San Francisco, 1964 26


Cette relecture forcée de l’histoire politique et sociale du pays s’accompagne d’une invasion britannique beaucoup plus peace and love, et distribuée à coups de riffs de guitares et de mélodies sucrées : les Beatles débarquent, et le lancement de leur première tournée sur le continent nord-américain à San Francisco va provoquer une vague d’hystérie collective teenage, des concerts de piaulements ou autres cris suraigus accompagnant chacune de leurs apparitions. Pour parachever ce portrait d’un été vibrionnant en tous sens, et comme une cerise sur un gâteau lourd d’hallucinogènes, les Beatniks entament leur exode poétique vers New-York, laissant l’écrivain déjanté Hunter S. Tompson amer, regrettant une ville jugée désormais bien trop morne à ses yeux. Tress a 23 ans quand il arrive à San Francisco, et il va fixer à sa manière cette effervescence en prenant des clichés dans les rues durant tout le printemps et l’été 64. Bien qu’il s’agisse d’une chronique photographique d’une ville en émoi, l’aspect documentaire est transcendé par son regard purement subjectif porté sur les habitants anonymes acclamant la venue des Beatles, les réunions publiques du parti républicain ou des défenseurs des droits civiques. Mais des fragments architecturaux ou des devantures de magasins, des enseignes publicitaires ou autres détails banaux relevés par son regard distancié et ironique constituent également la matière de ces 900 clichés qui se chargent souvent de composantes allégoriques ou surréalistes leur procurant une étrangeté à la fois familière et insolite, ce « réalisme magique » que l’on retrouvera plus tard dans son travail de façon systématique. Il n’hésitait d’ailleurs pas à faire de la mise en scène pour certaines photographies, demandant aux sujets de poser devant son appareil, accompagné d’accessoires divers. Par la suite, une sélection de ces clichés de Frisco sera exposée dans une librairie indépendante de Sausalito, puis les négatifs originaux iront gentiment dormir jusqu’en 2009 dans la maison de sa sœur Madeleine. L’exposition au Château d’Eau dévoile ainsi quelques-unes de ces photographies pour la première fois en France, laissant apparaître ce que pouvait être l’ambiance de ces fameuses sixties dans la chaleur d’un été à San Francisco.

avoir aucune prise directe. A l’opposé de clichés d’une enfance vécue comme un paradis caché derrière un arc en ciel guimauve, il faut voir dans ces images la retranscription des propres peurs de l’artiste : Tress a souffert durablement de la séparation de ses parents et ce traumatisme familial va considérablement influencer son travail artistique, tout comme son identité homosexuelle, qui ajoutera à son isolement. Comme le souligne son ami écrivain Michel Tournier, « il refuse au cauchemar la part de féerie qui le rend habituellement supportable, notamment dans nos contes de fées enfantins » (Tournier, 1979). Monstres, enfants aux excroissances végétales ou emprisonnés par de nombreux éléments de l’environnement, peur de l’abandon ou de la solitude vécue dans des pièces vides de maison familiale, toutes ces photographies hors du temps forment un imaginaire angoissant extraordinairement riche. Ces ombres envahissantes se retrouvent dans la série Theater of Mind, qui met en scène des couples ou des enfants avec un onirisme marqué par une touche d’ironie provocatrice imprimant un coté ubuesque à ces visions surréalistes, comme dans cette photographie d’un rejeton barbu appuyant un fer à repasser sur la main potelée de sa mère en peignoir. L’utilisation du noir et blanc renforce la fragilité de la frontière entre les mondes rêvés et vécus, et nous fait plonger au cœur de notre inconscient. Même façon de procéder pour la série Male of Species, qui s’oriente clairement et sans détours vers les propres fantasmes homosexuels du photographe, laissant libre court à des mises en scène d’hommes nus dans des situations toutes aussi fantasques. Il faut donc s’immerger dans les méandres de notre propre monde intérieur, se laisser grignoter par ces ombres que la plupart du temps nous essayons de combattre pour s’imprégner de l’univers d’Arthur Tress, dont le travail artistique offre de nombreuses lectures possibles. Une œuvre étrange pour un personnage à part, que la galerie du Château d’Eau nous permet d’apprécier tout l’été. DM

Le théâtre de l’esprit L’enfance reste l’un des thèmes de prédilection d’Arthur Tress, et la série Dream collector se présente comme une forme de recherche sur le monde des rêves. Tress a demandé à des enfants de lui raconter leurs rêves et cauchemars les plus marquants, et collabore avec eux pour les traduire en photographies. Ceux-ci deviennent les acteurs de ses mises en scène oniriques et souvent inquiétantes, à la limite du morbide. Tress affirme vouloir montrer « le côté obscur de l’enfance » qui pour lui est synonyme de solitude et d’isolement, et dont le monde des adultes ne semble 27


+ si affinité -14ème édition. Résidence d’artistes en création chez l’habitant

10 expositions / 10 lieux / en présence des artistes et de leurs hôtes au domicile de ces derniers Un festival d’art contemporain pendant 3 jours - l’alliance entre culture et convivialité.

Spectaculaire aléatoire

photo © Stéphane Lempereur / grpahisme Frédéric Rey

Difficile d’évoquer le spectaculaire sans convoquer directement ou indirectement la pensée de Guy Debord qui, dans La société du spectacle, critiquait le fétichisme de la marchandise pour dénoncer le pouvoir aliénant de cette dernière au service du capitalisme. Nous ne nous y attarderons pas car nous devrions aujourd’hui en être convaincus. À l’heure où tout ce qui peut faire image fait spectacle, le champ de spectacularisation s’étend au delà de toute éthique, posant ainsi la question esthétique qui sépare le spectaculaire du sublime, au sens de pouvoir et effectivité de l’œuvre d’art. Les artistes invités à participer à cette 14ème édition de + si affinité (Tarn) ne font pas spectacle, pourtant ils jouent avec nos sens jusqu'à les troubler, ils peignent le grandiose pour le dépeindre ou le dessinent à dessein, invoquent le merveilleux comme le monstrueux, érigent le minimal en monumental ou l’inverse, installent des décors et pratiquent le faux, utilisent le son, l’image et les nouvelles technologies, leur Abdelkader Benchamma palette d’effets semble empruntée Laurence Cathala au cinéma comme au spectacle Marie Dainat - Gaël Bonnefon vivant. Ce qui est différent, c’est la propension qu’ont ces acteurs de l’art contemporain à faire place à l’expérimentation, au hasard et à l‘accident, c’est peut-être en Rémi Groussin - Lionel Sabatté cela que réside la différence, leur Ingrid Obled - Studio 21 bis Hugo Verlinde - Maeva Barrière spectaculaire est aléatoire. La programmation artistique de Spectaculaire aléatoire est le fruit d’un co-commissariat, comme il est d’usage entre l’AFIAC et les acteurs du réseau d’art contemporain de Midi-Pyrénées. Cette année les deux commissaires invités à partager cette aventure artistique et humaine sont : Valérie Mazouin, directrice artistique du centre e d’art La Chapelle Saint-Jacques à + si affinité (14 édition) Saint-Gaudens et Arnaud Fourrier, 10 artistes + 10 familles directeur du centre d’art au Pavillon Blanc, à Colomiers.

Fiac 28-30 juin 2013

28 MAIRIE DE FIAC


Fragile

Sans fard, avancer avec détermination sur des petits bords étroits et glissants. Froissées, les idées se dispersent incertaines. Elles ne se destinent pas à un itinéraire précis mais se mêlent à d'éphémères brèches, de douces convivialités cadres nécessaires à l'esquisse de frêles chorégraphies. Le travail est là… De débris d'ongles et de poussières, de traits et de lignes, soubresauts incantatoires, ils sont un observatoire. L'ombre de l'instable révèle l'imperceptible chuchotement des vies. A l' intention révélée s' impose l'instabilité du geste telle une petite violence soignée. D'ici s'échappe l'infini répétition, le mouvement perpétuel des vies fragiles .

Précis

Choisir sa place.Délimiter les axes de nos actions. Multiplier les histoires pour n'en faire qu'une. Le trait du dessein s'affirme sur les contours et donne le sens qu'il voulait au travail. L'application retranscrit les possibles. L'attachement au paysage et les lieux investis précisent la nature d'une recherche singulière où fabrication et engouement défient l'ennui des espaces conquis.La maison organise l'intime le contraint, en fait percevoir l'inédit. Sans confusion, le mouvement propose des systèmes qu'il se plaît à déjouer. Chacun essaie de s'approprier des espaces de liberté. La place d’un espace plutôt qu’un autre. Avec précision, l'oeuvre présente le projet.

Éblouissant

Dans le film de morts-vivants Land of the Dead de George A. Romero, des survivants s'organisent en convois pour faire la razzia des supermarchés. Pour détourner le regard des morts-vivants, ils utilisent des feux d'artifices, captivent les regards par la beauté aveuglante des explosions pour piller, tuer et voler. C'est à la fois beau, éblouissant et d'une symbolique brutale. Les morts-vivants c'est nous, les spectateurs. Le feu d'artifice peut-être n'importe quoi : le spectacle, mais aussi l'art, le beau, un bref flash aveuglant, un décor, un faux semblant, une fausse monnaie.

Fulgurant

Il existe plusieurs manières pour l'artiste de s'adresser aux spectateurs. Certains empruntent les circonvolutions du savoir et des références. D'autres – parmi lesquels certains des artistes présentés cette année à Fiac – ont choisit des passages plus directs. Ils apprécient la violence de la vérité, l'exubérance des moyens ou la beauté retournante d'un dessin parfaitement maitrisé. L’art réside aussi (d’abord ?) dans ces gestes fulgurants capables de captiver les yeux et la conscience. Dans ces explosions qui se suffisent à ellesmêmes et n’ont pas besoin de chemins de traverses et d’explications pour faire œuvre.

Patrick Tarres, Valérie Mazouin et Arnaud Fourrier

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Romain Bernini Cargo Cult, 2013

[…] Et comme leur totem n'a jamais pu abattre À leurs pieds ni Bœing ni même D.C. quatre Ils rêvent de hijacks et d'accidents d'oiseaux Ces naufrageurs naïfs armés de sarbacanes Qui sacrifient ainsi au culte du cargo En soufflant vers l'azur et les aéroplanes. […]1

Le jeune peintre Romain Bernini (1979, Montreuil) va investir cet été le Château de Taurines (Aveyron), pour une exposition en solo désignée sous le titre de Cargo Cult, allusion à un rituel païen venu des îles mélanésiennes et laissant la pensée magique ordonner le monde, transfigurer le réel par les espoirs ou craintes d’un peuple imitant les outils technologiques produits par nos sociétés industrielles. Ce culte de l’avion-cargo larguant par erreur des objets sur un territoire encore gouverné par des croyances animistes constitue le leitmotiv de la série présentée, qui déroule près d’une trentaine de toiles grand format. Travaillant par superposition de couches, jouant sur les transparences et les coulures, cette peinture figurative et très colorée met en scène des personnages la plupart du temps solitaires, évoluant dans des paysages indéfinis et souvent indéfinissables, véritables décors silencieux hésitant entre le minéral, le liquide, le végétal. Dans certains tableaux, qui parfois font une allusion directe à des événements actuels comme la situation des migrants, un paysage désertique s’identifie par des palmiers, une forêt par un enchevêtrement de branches ou de lianes (Cargo cult), un décor de bayou ou de toundras marécageuses (Five of them in a landscape) se dessine. Des êtres apparaissent, flottant littéralement dans l’espace ou dans des étendues d’eau, ou arpentant le monde, le visage souvent caché derrière des masques, des bandages. Ils se présentent à nous, frontalement, comme sortis d’un scénario qui ne nous appartient pas, et sans avoir vraiment de lien évident avec ces décors. Parfois quelques animaux (loups, vautour, rhinocéros…) viennent affirmer le caractère sauvage de ces scènes primitives par leurs animalités symboliques, et renforce une narration suspendue, comme laissée à l’abandon ou mise à disposition des spectateurs. Romain Bernini a été marqué par la peinture de Per Kirkeby, Daniel Richter, Tim Eitel ou Cy Twombly, et revendique une proximité avec Marc Desgrandchamps, avec qui il a fait dialoguer ses œuvres. Un univers artistique qui creuse avec une facture 30

toute particulière la notion de figure et de fond en peinture, éléments centraux dans son travail plastique. À Taurines, Cargo Cult va ainsi couvrir les murs de cet ancien château médiéval devenu lieu d'exposition depuis maintenant 25 ans. Transformé en demeure renaissance au XVIème siècle, il fut entièrement détruit puis restauré bien plus tard, à partir de 1981. La hiératique et austère bâtisse se dresse à nouveau dans cette campagne morne éloignée d’une carte postale touristique nous faisant encore croire à une proximité simple et immédiate d’un monde agricole proche de la « nature » ; les décors sont ici bien âpres, peu enclins à la douceur. Du haut du dernier étage du château on peut embrasser un paysage uniforme s’étirant loin devant nos yeux, dans le silence de ce Schloss qui a accueilli plusieurs plasticiens tels Delphine Gigoux-Martin, Alain Josseau, Grout/Mazéas, Virginie Barré ou Françoise Quardon, pour des résidences/création de qualité. Transformé en hôtel Overlook (The Shining, Stanley Kubrick, 1980) par le duo montpelliérain, peuplé par des forêts suspendues et des animaux naturalisés par Gigoux-Martin ou siège des stratégies guerrières d’Alain Josseau, les vastes pièces du château et de ses dépendances ont illustré depuis 2004 de multiples univers plastiques déroutants. Il faut donc emprunter cet été la Route des seigneurs du Rouergue et découvrir le château pour se laisser happer par le trouble mutique se dégageant des toiles de Romain Bernini, par ces mises en scène d’errances, de paysages flottants entre deux mondes, l’un réel, l’autre animé par le pouvoir de la magie. DM

Exposition coproduite par le musée des Abattoirs – Frac Midi-Pyrénées et l’association YaQua et Cie, et sur une proposition d’Olivier Michelon. Un catalogue est édité à l’occasion, avec le soutien de la galerie Suzanne Tarasiève et de l'entreprise Paprec Group. Du 15 juin au 20 octobre 2013 1 Extrait de la chanson Cargo culte, Serge Gainsbourg, Histoire de Melody Nelson, 1971.


Romain Bernini, It's real, 2013, 200x160 cm. Photo. R. Fanuele Courtesy galerie S. Tarasiève, Paris

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Toulouse Hacker Space Factory ou le pourquoi du comment รงa marche

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Il y a un an déjà, s'était glissé dans nos pages un sujet sur le TetaLab, hacker space toulousain. Souvenez-vous de ce beau numéro dans lequel, en collaboration avec l'atelier deux-mille, ils nous avaient offert un court-jus tout en réalité augmentée. Les fidèles des soirées de lancement se rappellent aussi sûrement des installations interactives présentées dans les jardins du château d'eau en juin dernier. C'est donc tout naturellement que nous faisons un petit retour sur le festival qu'ils ont organisé en collaboration avec Mixart Myrys du 22 au 26 mai dernier. Loin de la froideur entendue d'un salon des nouvelles technologies dans un quelconque parc des expositions, le THSF s'installe cette année encore dans les locaux de Myrys pour nous proposer conférences, performances, installations et bien entendu les ateliers diurnes et les concerts nocturnes. Le tout placé sous la bannière du « fais le toi même ». Le parcours débute par un accueil des plus souriant. Les hôtes, derrière leur pupitre, répondent aux questions des visiteurs qui ne savent manifestement pas à quoi s'attendre tout en leur indiquant, d'un regard furtif, la présence d'une maquette d'usine sur laquelle on peut lire : participation libre et nécessaire. Faire glisser une pièce dans la fente pratiquée sur le toit de l'usine miniature nous donne droit d'entrée pour une sorte de pays des merveilles électroniques. On y tombe d'abord sur une forêt de bornes Arcade venues tout droit des années 70 et 80. Après avoir repoussé les attaques de quelques pixels venues d'une autre galaxie ou piloté des bolides sur des circuits présentés dans une perspective digne d'un tableau du moyen âge, on se retrouve en tête à tête avec quelques chapeliers. Qui nous proposent, sinon du thé, une boisson énergisante à base de maté. Revigoré, il est temps de pénétrer dans l'espace dit des ateliers, royaume des chenilles binoclées. Chaque champignon ne manquera pas de susciter l'interrogation, mais soyez sûr que tous les futurs papillons savants répondront à vos questions. Plus que ça ! Ils vous feront manipuler leurs inventions, vous donnant la liste des ingrédients sans manquer de vous expliquer le rôle de chacun dans la recette finale. Et si en pénétrant dans cet espace rempli de bizarreries on voit se dessiner au dessus de notre tête un énorme point d'interrogation, lorsqu'on franchit la sortie, celui-ci s'est transformé en un beau point d'exclamation qui je vous l'assure restera ancré pour quelques heures encore... 33


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D'autant qu'après toute cette sollicitation intellectuelle, on se retrouve face à ce qu'à première vue, chacun qualifierait de joyeux bordel. Ici, l'espace est occupé par deux collectifs. Les Lillois de Toys R'noise nous proposent une installation sonore et visuelle issue du détournement de quelques vieux joujoux alliés de moteurs d'essuie glace et autres aspirateurs. Le tout en proie à un bidouillage électronique à première vue bien farfelu. On se retrouve dans une esthétique de garage tarnais. Le visiteur est invité à manipuler quelques potentiomètres pour faire varier l'entropie de l'improbable édifice. Tout près de là, une installation du collectif Labomédia, venu d'Orléans. Ici, un vieux piano bien déglingué vient interpréter les dernières modifications de Wikipedia. Chaque note est assignée à une lettre issue de ces corrections et ajouts. En résulte une sorte de petite musique perpétuelle du savoir universel en construction... Si de nombreuses autres installations étaient présentes lors de cette quatrième édition, il faut aussi souligner la richesse des conférences proposées. On y expliquait l'organisation des différents fablab et autre hackerspace, on y parlait d'hacktivisme, d'opendata, de liberté d'expression sur les internets, du réseau Tor... Autant de sujets qui à première vue semblent barbares mais qui en fin de journée ont révélé tout leur sens en nous éclairant sur tous leurs domaines d'application dans le monde désormais incontournable qu'est l'internet. Pour tout éclaircissement, sachez que toutes les conférences sont consultables en streaming ou en téléchargement sur thsf.tetalab.org/2013. Reste à souligner que le THSF est aussi une fête. On y partage beaucoup. Les soirées enchaînent concerts et performances autour des espaces de convivialité où les breuvages proposés sont comme tout ici, de fabrication artisanale... Chaque édition voit le public répondre de plus en plus présent. Aussi soyons sûrs que 2014 ne manquera pas de surprises et que vous irez vous aussi gonfler les rangs des curieux ignorants affamés de nouvelles connaissances que le TetaLab et ses accolytes s'évertuent à mettre à la portée de tous. Car oui, il s'agit bien de cela : décomplexer, désopacifier et se réapproprier les moyens de l'industrie des nouvelles technologies et les utiliser comme nouveaux vecteurs de création. 0xFF + 0xFC = 0x1FB =507

© photos : Olivier Schaffart

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Amélie Marchandot Originaire de l’Aveyron, Amélie, qui aime parler d’elle à la troisième personne comme Alain Delon, a un parcours des plus classiques, a toujours voulu écrire et dessiner, c’est pourquoi après le bac elle n’a pas terminé sa prépa en arts appliqués pour faire plutôt du théâtre puis plutôt vendre des montres et faire de l’intérim avant de finalement écrire et dessiner, parce qu’après tout, ça la regarde si elle a envie de tourner autour du pot.

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Guillaume Chauchat Le super album de Guillaume Chauchat sort ce mois-ci aux ĂŠditions 2024. Ă ne pas manquer !



Le Parvis, Centre d’art contemporain Hors les murs En raison des travaux engagés par le magasin qui l’abrite, le centre d’art contemporain du Parvis se déplace en ville, à Tarbes, pour y déployer ses activités « Hors les murs » sur tout le territoire. Pour le centre d’art, cette période est donc l’occasion de proposer un nouveau projet artistique et culturel qu’il place sous le signe des Hospitalités. Autant dire un programme basé sur la convivialité, le partage et le vivre ensemble qui s’appuie sur des invitations d’artistes que nous accueillons chez autrui (dans les établissements scolaires, au Pic du Midi, dans l’espace public ou chez l’habitant...). Ainsi, des conférences, des résidences et des expositions émaillent cette presque année de « Hors les murs » et questionnent les relations que l’art contemporain sait tisser avec son environnement immédiat fut-il celui de l’espace public ou de la sphère privée. Un projet central accompagne ces quelques mois « Hors les murs », celui que concocte le Studio 21bis. Studio 21bis explore les notions liées à l’espace public et institutionnel tout en jouant des codes de l’art. Il trouve écho à ses réflexions environnementales, culturelles et existentielles avec un matériau de prédilection : le carton. Ce matériau pauvre et délaissé est récupéré pour en faire des cabanes et autres dispositifs éphémères et fragiles. Par ces recyclages, sont questionnés nos rapports à l’habitat, aux sphères publiques et privées. Ainsi, en se confrontant littéralement au réel, les œuvres s’installent souvent là où l’on s’y attend le moins en mettant en exergue, et non sans ironie, les tensions, les contradictions ou les travers de notre monde contemporain. Imbriquant l’art et la vie, les processus de création participent également d’une envie de fédérer autour des enjeux inhérents aux territoires investis. Première étape de ce programme aux confins des mythologies individuelles et collectives, l’inauguration en plein centre ville d’un cabinet de voyance qui ne devise pas seulement sur l’avenir individuel.

HORS LES MURS DU STUDIO 21 BIS

Les Hospitalités - dans l'espace public ClairVoyance - 13, rue Desaix à Tarbes - jusqu'au 15 juillet Exposition aux confins des mythologies individuelles et collectives, le Studio 21 bis installe dans une boutique de centre ville un cabinet de voyance qui ne devise pas sur l'avenir individuel mais sur la fuite du petit commerce local. Sans titre (Statuaire publique) - dans l'espace public à Tarbes - octobre Sculpture en cartons, l'œuvre éphémère et monumentale détourne avec humour les différents symboles de la culture populaire et urbaine locale : le palmier, le cheval, les armes... Sans titre (Camouflage) - au Musée International des Hussards à Tarbes - Jardin Massey 65000 Tarbes - novembre Le Musée des Hussards est innervé par les œuvres trompe l'œil du Studio 21 bis qui explore ici les liens entre le camouflage et l’histoire de l’art, notamment sous l’influence des cubistes, avec en point de mire la tentative illusoire d’échapper aux moyens de surveillance et de contrôle actuels.

Le parvis Hors les Murs, c’est aussi

Laboratoire de Paysages Extrêmes - Pic du Midi de Bigorre - jusqu'en décembre Évariste Richer , puis Laurent Tixador sont invités en résidence de recherches et création au Pic du Midi, le plus haut observatoire astronomique d'Europe. Un site extraordinaire au fort pouvoir évocateur qui ne pouvait que stimuler des artistes dont le travail se trouve au carrefour de l'art, de la science et de l'aventure. Ibai HERNANDORENA - Parent Park - installation pérenne dans le parc du lycée horticole Adriana de Tarbes - 59 route de Pau 65000 Tarbes Le travail d'Ibai Hernandorena est marqué par la question de la prospective en matière d'architecture et d'urbanisme. Depuis deux ans, l'artiste conduit avec Le Parvis un projet artistique d'envergure au sein du lycée. Avec la participation des élèves et de leurs professeurs, il crée des oeuvres pérennes qu'il implante directement dans le parc public de l'établissement. Parent Park est un skate parc impossible inspiré de l'architecture oblique de Claude Parent.

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Camera Lucida

Résumons l'ambition des auteurs du blog communautaire Camera Lucida par ceci : éveiller une pensée critique dans une mutualisation des connaissances. « Penser à plusieurs » comme l’affirmait déjà le premier article posté sur le blog. Conçu dès le départ comme une plateforme offrant un véritable espace de travail, d'expression et de discussion, où chacun pourrait développer sa recherche critique personnelle. Puis en débattre dans le cercle restreint des membres du collectif. Principalement constitué d'étudiants, de chercheurs universitaires et d'artistes, ce collectif se réunit depuis quelques années autour de micro-événements tournés vers les domaines qui les passionnent, tels que la littérature, le théâtre ou la musique, etc. Le projet du blog s'est vu peu à peu enrichi des interventions de lecteurs et visiteurs, et c'est aujourd'hui dans un objectif affirmé de partage et d'échange à plus grande échelle que les 139 articles y ont été postés. Traitant différents thèmes chers aux auteurs, Camera Lucida propose ainsi d'aborder la photographie (« Le tirage unique en photographie », « Düsseldorf : Thomas Ruff »), la bande dessinée (« Mattt Konture, l’Underground à la française », « Winsor Mc Kay, la bande dessinée à l’épreuve de l’irréel ») ou encore la musique (« Keith Jarrett : évolution d’un langage original », « Bashung ou le vertige mortel »). En accord avec la suggestion de Gilles Deleuze à propos de son travail à quatre mains avec Félix Guattari : « Si je lui disais : au centre de la terre il y a de la confiture de groseilles, son rôle serait de chercher ce qui pourrait donner raison à une pareille idée (si tant est que ce soit une idée !) »... Julie Biesuz

www.camlux.blogspot.fr

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Gabriel Delon gabhicetnunc@hotmail.com

AFIAC www.afiac.org

Jordi Colomer www.jordicolomer.com

les Abattoirs www.lesabattoirs.org Romain Bernini romainbernini.free.fr

Manuel Pomar www.lieu-commun.fr

THSF thsf.tetalab.org/2013

Maisons Daura www.magp.fr Hélène Marcoz www.helenemarcoz.fr Galerie du Château d'Eau www.galeriechateaudeau.org

Amélie Marchandot ameliemarchandot@gmail.com Guillaume Chauchat courrier.chauchat@gmail.com

TA : Association loi 1901 32, rue des Jumeaux 31200 Toulouse

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Abonnement Je m’abonne à Multiprise 1 an (3 numéros) = 9 €

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Festivals & Tourisme en Midi-Pyrénées 2013 // 2014


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