Dialogues
Un premier pas vers la fabrication d’une architecture « raisonnable » Myriam Lahnite
MATÉRIALITÉ, CULTURE ET PENSÉE CONSTRUCTIVE Dirigé par Vincent Ducatez et Ghislain His
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Ce rapport s’est construit d’une accumulation d’univers. Ceux-ci sont présents non pas pour brosser l’histoire de ma vie (qui n’a franchement pas lieu d’être) mais plutôt pour vous embarquer dans les réflexions qui prédominent ce projet et, qui s’y sont confrontées en en créant de nouvelles. En vous souhaitant une bonne lecture.
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SOMMAIRE
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Avant-propos
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Empreinte d’expériences
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Le Voyage
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Convictions et Convergence
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Éxpérimentation et méthodologie,
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Tremplin d’une vie future,
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Bibliographie & Annexes
la création d’outils dans la conception et passage à l’acte
l’arrivée au point d’un parcours, la continuité d’un apprentissage
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Avant-propos
1. Rifkin Jeremy, La Troisième Révolution Industrielle, éd. Babel essai, 2011. 2. Concours internationale Solar Decathlon 3. Contal Marie-Hélène (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville face aux grandes transitions, éd. Manifestô, 2014, p11. 4. Ibidem. Image page gauche : mosaïque de sol typique des maisons 1930, Tourcoing. ©Lola Bazin
Jusque là, je n’avais encore entendu parler de la Troisième Révolution Industrielle de J. Rifkin1 ou alors de manière succincte tout comme le Solar Décathlon2. Les préoccupations qui ont été exposées à la fois dans l’ouvrage de J. Rifkin et dans le domaine d’études sont pour la plupart des questionnements qui m’interpellent depuis mon entrée en école d’architecture. Tels que la place de l’architecte face aux grandes transitions, la place de l’homme et de la nature dans l’architecture, comment envisager une architecture soutenable pour s’enclencher dans le processus de transformation du réel dans son « écologie globale »3 ? Mais aussi, la possibilité d’une contribution et d’une aide aux hommes à transformer le cours des choses par l’architecture4, l’innovation et de nouvelles productions. Tenter d’y répondre, parallèlement à un travail de co-conception et d’expérimentation, est alors enthousiasmant. Dans un premier temps, la posture de l’architecte est une source d’interrogations et de remise en question permanente. L’image que j’ai pu en avoir tout au long de mes études ne m’a jamais satisfaite. Je me suis alors dirigée, très vite, vers des pratiques dites alternatives qui m’ont ouverte sur une toute autre manière – plus modeste - d’envisager l’architecture et l’architecte. Elles allient la pluridisciplinarité comme fer de lance d’une conception et d’une pratique avec des préoccupations liées à l’être humain, à sa complexité et à son environnement avec une gestion collégiale et concertée plus que hiérarchique. Je me suis interrogée via ces pratiques, dans un second temps sur l’être humain et son milieu. Je me suis toujours demandée naïvement pourquoi l’humain (l’Homme en tant qu’être culturel et social) n’était pas au centre des préoccupations de notre société et pourquoi la modernité ne composait plus avec son environnement. La conférence « Learning from Vernacular » 5
de Pierre Frey5, en octobre 2013, a été le déclencheur d’une incompréhension profonde envers quoi s’oriente notre société actuelle. Nous savons pertinemment que notre civilisation moderne, si nous la maintenons telle quelle, nous mènera à notre perte. Il est temps de s’y attaquer avec bon sens. Les raisons qui m’ont fait choisir ce domaine et ce sujet sont aussi celles qui m’ont particulièrement déconcertées : le travail inter-écoles et l’échange pluridisciplinaire, la réhabilitation d’un patrimoine du Nord-Pas-de-Calais sous les préoccupations écologiques du Solar Décathlon et de la Troisième Révolution Industrielle, la place de l’architecte de nos jours et le projet de fin d’étude. Je tente ainsi de développer par mes convictions, intuitions, acquis et travail en commun, une ou plusieurs pistes de réflexions qui permettraient de proposer des éléments de réponses et d’engager activement une contribution réflexive et prospective à l’émulation collective qui est engagée. Je m’inscris à la fois, dans le travail de prospection et d’ébauche de propositions, d’actions sur un sujet qui dépasse le simple cadre de l’enseignement et touche tout un territoire sur plusieurs années - la TRI dans la région Nord-Pas-de-Calais et le Solar Décathlon. Et, dans l’arrivée à un point de ma formation, où j’arrive à la formulation de ce qui me prend aux tripes et de ce qui m’intéresse, en soi le tremplin de ma vie d’architecte.
La maison dite 1930, les préoccupations actuelles face au patrimoine existant La particularité du Nord-Pas-de-Calais et du croissant nord allant de l’Angleterre jusqu’en Allemagne, sont ces maisons de briques issues du patronat de l’entre-deux guerres qui développe et construit des maisons pour loger leurs ouvriers. La maison dite 1930 regroupe une période allant de 1889 à 1945. Contrairement aux maisons de courées, celles-ci sont, 6
5. Pierre Frey, architecte, Conférence Learning from Vernacular, à UCL-Louvain à Tournai, octobre 2013.
pour les plus modestes, un peu plus larges (4,5m) et possèdent un jardin suivant leur placement dans l’îlot. La particularité de ces maisons en bande sont leur construction faite en batterie. Elles sont toutes solidaires entre elles et deux maisons partagent un même mur mitoyen. Bien que ces maisons suivent un même modèle, s’élargissant et s’enrichissant d’ornements en façade suivant la classe sociale, elles sont toutes différentes. Étant le patrimoine de notre Région, il n’est pas envisageable de faire une isolation par l’extérieur. Au vu, de leur configuration, on pourrait perdre ce caractère en bande mais éclectique et tomber dans une uniformisation tyrannique. Par ailleurs, les nouveaux acquéreurs de ce type maisons les choisissent pour le cachet de maison de ville ancienne. Puis, parfois en raison de leur étroitesse, l’isolation par l’intérieur n’est pas la meilleure des options et grignote sur l’espace habitable. Bien que ce soit la solution qu’une majorité d’habitants met en place en rénovant leur logement. Il y a néanmoins une conscience sur la mitoyenneté, les avantages que cela peut amener, et l’inertie existante de ces maisons. Les principales sources de déperdition sont souvent les éléments anciens tels que les portes et fenêtres dont les joints ou le vitrage font fuiter toute calorie. L’absence ou la mauvaise isolation des toitures et l’adjonction des extensions en sont également. Les questions qui nous sont posées pour ce projet dépassent de loin le simple fait de remettre ces maisons hors de la catégorie de précarité énergétique. Il y a là une réflexion de fond qu’il faut mener pour espérer à un changement.
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Empreinte d’expériences
Entrer en architecture, poussée par la curiosité Mes première approches d’architecture sont bercées par divers expériences et plus particulièrement par la curiosité. Je suis curieuse de comprendre comment un bâti peut refléter une époque et une culture. Je suis curieuse de savoir comment une telle chose peut tenir et varier suivant le lieu où l’on se trouve. Je suis curieuse de voir une idée se concrétiser et être vécue. Je suis curieuse de l’imagination et de la création qu’il faut pour concevoir une architecture. Je suis curieuse de comprendre pourquoi un lieu bâti peut influencer mes sentiments. Puis, d’autres expériences se sont immiscées, mon regard et ma curiosité se sont élargis, ont bifurqué, ont évolué...
D’un été à l’autre Enfant, je me souviens avoir visité ce qu’allait être la nouvelle maison de mon grand père et ce qui allait être pour nous notre nouvelle destination de plaisance. Je me souviens d’un terrain, sans rien, hormis une végétation dense et des arbres recouverts de lichen. Je me souviens l’avoir vu grimper à un arbre en disant « imagine la vue que l’on aura du salon ». L’année suivante, il n’y avait plus vraiment d’arbres mais des plateformes en béton d’une part et un squelette d’une autre part. L’année suivante, certaines plateformes étaient devenues des squelette à leur tour et le premier squelette avait un toit. Nous avions commencé à séjourner dans une partie du second squelette couvert et Image page gauche : aménagé. L’atelier était en dessous, tout équipé, nous y faisions Charpente du local la cuisine sur un butagaz non loin de la sciure de bois et nous de fabrication de palette, les Chênelet, Pas-de-Calais, 2014.
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1. Étoile de Vauban de la citadelle de Lille.
3. Image extraite du film Dogville, Lars von Trier, 2003.
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5. Ô poème architecture pensée, Pierre-albert Birot. Source internet.
2. Luc Schuiten, Brussel 2100.
4. François Schuiten, Néosapiens.
6. Image extraite du film One Week, Buster Keaton, 1920.
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faisions des toilettes de chat dans l’evier avec les pinceaux qui sentaient fort la peinture ou l’enduit. D’année en année, des choses apparaissaient. Nous déménagions, d’un endroit à l’autre. Nous participions à sa réalisation. D’année en année, c’était des questions et des surprises : qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce que l’on va découvrir ? Où va t-on séjourner ? Puis un jour, elle fut terminée. Il fallut mettre ensuite les livres dans les bibliothèques, accrocher quelques photos aux murs et, enfin, profiter de la vue du salon. Nous avions construit cet endroit à nous.
Le cinéma et la scénographie Ma brève expérience en agence d’architecture, en 2005, m’a aidé à me décider sur ce choix d’aller voir ce qu’est de faire de l’architecture. Le passage au lycée m’a fait rencontrer d’autres disciplines où l’architecture pouvait se retrouver d’une autre manière : dans la scénographie et dans le cinéma. À cette époque là, l’architecture n’était pour moi pas détachée de ces disciplines. Au contraire, c’était une autre manière d’exprimer ce que je ne savais nommer à l’époque : l’espace, l’atmosphère, la matérialité... c’est dans cette optique que j’ai poussé les portes de l’école. Aujourd’hui, mon regard a évolué dans un sens où l’architecture, comme je l’envisage, n’est pas complétement distincte de ces disciplines (cinéma et scénographie) mais ne convoque pas les même choses. Dans la gestion et la création de l’espace et de l’atmosphère, des savoirs et des outils se recoupent mais la dimension humaine et technique est à envisager d’une tout autre manière. Le contexte a une place et un impact qui change la manière et la vision dont on conçoit et dont on envisage le monde.
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Un regard nouveau sur la vie de tous les jours Auparavant, je n’avais jamais eu d’enseignements liés à la sociologie et à l’anthropologie. Tout comme la physique m’a fait comprendre l’intérêt des mathématiques et l’utilité que cela pouvait avoir, la découverte de la sociologie m’a aidé à comprendre la pensée philosophique. La sociologie a aussi eu cet effet de me donner à voir des événements que je vivais sans même en avoir conscience. J’ai pris la mesure que tout ce que l’on faisait, que ce soit bâti ou non avait une influence d’une quelconque manière sur l’esprit et le comportement humain. Quelle responsabilité a alors l’architecture ! L’architecture comme on la nomme aujourd’hui ne peut, pour moi, se résumer à un « objet architectural ». Elle ne peut se détacher de l’humain qui va y vivre de quelque manière que ce soit et enfin ne peut s’introduire en faisant fi du contexte existant. C’est ce point de départ qui m’a amenée à élargir ma vision de la pratique architecturale.
Saprophytes et Cie En 2012, mon stage chez les Saprophytes1 a été très instructeur et révélateur d’une pratique de l’architecture et du paysage. 1. Les Saprophytes Les Saprophytes se définissent à la fois, comme concepteurs est un collectif d’aret constructeurs. Leur pratique ne se limite pas à un modèle chitecte et de paysagiste Lillois. Après type de l’architecture - aux vues de leur pluridisciplinarité, les projets peuvent varier de la scénographie, à l’aménagement avoir défini leur 5 piliers de l’architec- d’espaces publics, de résidence, d’éléments architecturaux, tures, le collectif etc., - et peut se multiplier en de micro interventions ayant une s’attaque à la ville influence ensuite sur le macro (territoire, urbain…). Ils restent en requestionnant l’espace publique et néanmoins dans une certaine échelle d’exécution, hormis pour les études urbaines ou territoriales. Cette échelle d’intervention le réactive en y apportant l’ingrédient de la convivialité.
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1. Les Beaux Monts d’Hénin : Ducasse on the moon, résidance ouverte sur le terril de la cité jardin d’Hénin Beaumont avec les Saprophytes et le collectif E.T.C.
2. Rue de la medina de Rabat, Maroc.
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4. Vue aérienne de la medina de Casablanca, Maroc.
3. Rue du quartier Sbata, Casablanca, Maroc.
5. Vue aĂŠrienne du quartier Sbata, Casablanca, Maroc.
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leur permet d’être les constructeurs et de réaliser, parfois co-réaliser, leur conception, parfois co-conception. Cette démarche est intéressante car elle inclut la phase préparatoire ainsi que les différentes phases de chantier dans le processus de conception. Un travail in situ les suit tout le long de leur processus de conception et de réalisation. Cette expérience chez les Saprophytes m’a permis de mieux connaître le travail et la philosophie de Patrick Bouchain ainsi qu’une multitude de collectifs ou de praticiens dits alternatifs. Cela m’a ouverte à une conception du chantier et de la pratique architecturale franche et humaine.
Maroc mon amour Au Maroc c’est tout et d’un coup : l’air sec, la poussière, les montagnes, le bruit, les minarets, les épices, la mer. Tout est sollicité, le corps, les sens et tout le temps. Même dans l’intimité, au frais, le bruit n’est pas nécessairement une intrusion. On n’entend pas les voisins comme on peut les entendre dans certains HLM français. Les fenêtres étant très souvent ouvertes dès qu’il fait chaud, les sons de la ville font partie du quotidien, même celui de la maison. Hiver comme été, la vie est rythmée différemment. Les préoccupations ne sont pas les mêmes que dans le Nord de la France. Au Maroc, la lutte n’est pas contre le froid, mais l’abri du chaud et du soleil. Les vieilles médinas sont faites pour cette contrainte. Les rues y sont étroites et il est difficile de distinguer les maisons entre elles ou leur fonctionnement. Leurs couleurs sont souvent vives et claires. Les passages sont sinueux et le vent s’y engouffre. L’influence européenne coloniale, dans son extension de la ville, comme à Casablanca, a créé des quartiers entiers aux rues à numéros ortogonales et répondant à un quadrillage d’un dessin moderne. Par l’impossibilité de cohabitation des différents modes de vie 16
(européens, marocains), une distinction physique s’est faite entre la ville précoloniale et postcoloniale : la cité musulmane et la ville coloniale2. Le Maroc colobniale fut un terrain d’essai où les principes généraux de l’urbanisme moderne vont être expérimentés3, notamment par Henri Prost, le zoning étant une innovation de l’époque. Plus je grandis et plus je me rends compte des rapports de force entre ville européenne et ville « indigène ». J’ai toujours trouvé la medina et notre quartier (zone d’habitation) complètement différents sans jamais comprendre cette différence, jusqu’à maintenant. Je commence à comprendre alors ce que veut dire le métissage, dans la culture, dans l’apprentissage, dans l’ouverture sur le monde, et dans l’architecture. La question du patrimoine dans un contexte où existent des fragments urbains hétérogènes liés à un moment dans une histoire commune4 se pose particulièrement.
2. Mouline Said, Architecture métissé et patrimoine, 1987, pp.715-722. 3. Mouline Said, Architecture métissé et patrimoine, 1987, pp.715-722. 4. Ibidem. 17
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Le Voyage
Aiguise les sens, affûte la curiosité et la critique
1. Hall Edward T., Au delà de la culture, éd. Du Seuil, 1979 ( version originale 1976) 2. Ibidem, pp31- 44 3. Le Corbusier, Voyage d’Orient, éd. Paranthèse, 1987 (première date de parution 1966), p5. 4. Le voyage de l’architecte, texte de l’ensapv
Le voyage est pour moi une nécessité, même un besoin. L’ouverture sur le monde acquis par ma biculturalité, n’est en fait qu’un avant goût et une fois pris, on ne peut s’en défaire, c’est un plaisir. En voyage, notre corps est ailleurs, loin de son quotidien, loin de ce qu’il a l’habitude de sentir, loin de toute interaction ordinaire, tout comme l’esprit. Le corps et l’esprit sont alors en alerte, sensibles à tout environnement qui change. Le voyage a cette magie qui est de rendre possible la compréhension de cultures et de modes de vie, de perceptions, en somme, connaître l’autre, le monde et ses diversités. Edward T. Hall, dans son ouvrage Au delà de la culture1, explique en ce sens que la confrontation et le choc culturel permettent d’avoir les clés de compréhension de notre propre culture. Si l’architecture est, comme toute création humaine, une projection de luimême (homme) en tant qu’être culturel2, le voyage permettrait de s’interroger, au delà de comprendre, comment « les autres » s’établissent dans leur milieu, appréhendent la vie et l’espace.
Le Corbusier accordait au voyage un rôle initiatique3. C’est à la fois une nourriture à la formation intellectuelle et une expérience physique incontestable. Dans l’Histoire, le voyage (initiatique), principalement en Italie, avait pour but d’éveiller les sens, de se nourrir et d’étudier l’antiquité4. C’est un peu dans cette voie que j’envisage le voyage : éveiller mes sens, les confronter à des choses nouvelles et entretenir l’esprit critique si important dans la vie et dans notre profession. En soi, le voyage est un élément qui participe intégralement à la formation de l’architecte. C’est aussi le germe d’une culture et de références Image page gauche : vue du caveau Brion, prêtes à être sollicitées dans la conception. L’architecte Much San Vito d’Antivole, Italie.
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Untertrifaller5 expliquait que son architecture n’était pas quelque chose de « spectaculaire » par rapport à d’autres architectures photogéniques. Cependant, elle avait d’intérêt qu’elle s’éprouvait. Il ne fallait pas se tenir à une image sur papier glacé mais se retrouver immergé tout entier. Pour moi, le voyage permet de saisir ce que l’on tente encore et toujours de définir, l’essence de l’architecture, de la matérialité, de l’atmosphère...
Le carnet de voyage comme lien entre le voyage et la conception (architecturale) « Le dessin apprend à regarder et à voir »6. Le carnet de voyage a cette particularité de rendre compte de moments, de choses, d’instants, de questionnements. Dessiner a l’avantage qu’à un instant donné notre regard se pose et scrute. Il questionne. Suivant le mode de représentation que l’on choisit, on aborde ce questionnement différemment : le schéma, le croquis, l’esquisse... Cela a aussi l’avantage de comprendre comment un bâtiment fonctionne ou encore de capter une ambiance. Suivant l’outil que l’on décide d’utiliser, la représentation en sera changée, ce que l’on souhaitera retranscrire trouvera un médium qui correspondra au mieux. L’écrit a la particularité de représenter ce que je ne peux retranscrire avec le dessin. C’est à dire, tout ce qui touche aux autres sens que la vue que cela soit par des annotations, un poème ou juste la retranscription d’un instant. Le carnet de voyage serait un lien, une transition entre le voyage, ce moment d’expérimentation et de sollicitation puis 5. Hugron Jeanl’acte de conception. Philippe, Vorarlberg
vs Frankreich : un match perdu d’avance ?, in Le courrier de l’architecte. 6. Le Corbusier, Voyage d’Orient, op. Cit. p 5.
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Japon Le Japon, à ce jour, a été le plus gros choc culturel de ma vie. Je me suis sentie gauche et tout ce que je pouvais faire de manière spontanée et qui ne me semblait pas irrespectueux l’était le plus souvent. Même si j’avais des notions sur la culture japonaise et que la lecture de « l’éloge de l’ombre »7 m’avait donné quelques pistes de compréhension de l’art de vivre japonais, j’en étais encore loin. Le Japon est un pays avec une culture d’une telle richesse et d’une telle profondeur qu’il nous est impossible de la saisir en un seul voyage. Nos conceptions de la vie sont complètement différentes. Un exemple qui peut paraître anecdotique mais qui pour moi symbolise deux manières distinctes d’envisager le monde : en Europe nous avons pour manger cet outil, la fourchette, qui est le prolongement du bras et de la main. En Asie, l’outil qui leur sert pour manger, les baguettes, est, quant à lui, le prolongement de la pince que forment le pouce et l’index8. La ville japonaise est à l’image des japonais. Une somme d’individualités qui forme, lorsque que l’on y pose le regard, un brouhaha. Pourtant, ce brouhaha est parfaitement réglé et codifié. La population des villes japonaises est démesurément grande comparée aux nôtres. Les distances et l’organisation de la ville nous échappent. Lorsque l’on y regarde de plus près chaque maison - les immeubles collectifs répondant à d’autres codes - se différencient de la rue par un seuil qui peut être extrêmement subtil, et malgré une proximité que l’on ne saurait supporter en Europe, il n’existe aucune mitoyenneté. Chaque maison est individuelle. Évidemment, une culture est à prendre avec ses croyances. Si l’on dissocie cet ensemble alors, il nous sera impossible de saisir quoi que ce soit. Cet interstice entre les 7. Tanizaki Junichirô, maisons est un moyen de laisser s’engouffrer les esprits, en plus Éloge de l’ombre, de marquer l’individualité. éd. Verdier, 2011 ( première publication Les japonais éprouvent leurs corps et leurs sens constamment. 1978) Tout est sujet à mettre le corps dans un certain état. La maison 8. Barthès Roland, traditionnelle est un exemple par excellence. La maison L’empire des signes, éd. Seuil, 1970.
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1. Luxembourg
3. 22.26, dĂŠtails
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5. Salute, Venezia
2. Salento
4. ĂŠclectisme, Venise
6. Les toilettes chez Corbu, Weissenhoff
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japonaise est un entrelacs, une succession et un ensemble. C’est un ensemble de volumes qui s’enchainent et se lient les uns aux autres sans hiérarchie apparente. Tout s’entend, dans une maison japonaise. Les parois y sont fines, le bois craque sous les pas, les portes coulissantes claquent et le papier qui les constitue vibre. Tout se sent, autant les odeurs que le froid. La diversité de sensations qui nous parcourent lorsque l’on se déplace est marquante. Dès l’entrée, qui n’est pas encore intérieure mais qui communique avec l’ensemble de la maison, le corps et les sens éprouvent. Puis, pour se rendre à la chambre, il faut d’abord monter une marche, avancer pieds nus sur le plancher en bois qui craque, passer devant les portes de papier de la salle aux tatamis et les faire trembler. Puis, il faut encore descendre deux marches, traverser la cuisine sombre, remonter une marche sur un entre-deux en pénombre qui distribue les deux chambres où il faut de nouveau remonter une marche. Une fois dans la chambre, la lumière traverse le papier des portes coulissantes. Si on ouvre les portes, on se retrouve à l’extérieur - la lumière nous fait plisser les yeux- protégé de la pluie par le débord du toit. Le jeu de clair/obscur accentué par la présence ou l’absence de couleur, de matériaux, et de leurs différentes textures joue un rôle important dans l’appréciation des intérieurs japonais. La beauté étant une chose qui se suggère et se devine. Cette philosophie s’exprime aussi dans les plats japonais. La vue joue un rôle important, le goût n’est pas tant sollicité que l’appréciation des différentes textures qu’il peut y avoir. La vie japonaise est avant tout un parcours des sens.
Istanbul Istanbul est une ville chaotique, bruyante, à la fois sale et extrêmement entretenue, et excessivement dense. C’est aussi une ville terriblement urbaine, cinétique de jour comme de nuit. Terre, mer, ciel, tout à Istanbul est monopolisé constamment. 24
Ce cinétisme est perçu dès l’amorce de l’atterrissage. D’énormes artères routières veinent le sol. Intriguée par tout ce remueménage, c’est l’ Istanbul contemporaine que j’ai d’abord visitée avant de me jeter sur les trésors de la ville. En pleine mutation, comme toute grande ville, celle-ci est constamment en travaux. Je n’ai pas été surprise de voir l’« européanisation » de cette ville. Voire l’ « américanisation ». L’archétype de la ville contemporaine grimpante se retrouvant partout. Outre ce symbole de puissance prospère, la ville s’étend et se densifie sur elle-même conjointement. Malgré les influences occidentales, Istanbul a quand même su garder une image qui lui est propre. Un mélange culturel et historique qui fait, paradoxalement, sa singularité. La ville, aussi importante qu’elle puisse être, a su garder ses petits commerces si caractéristiques dans les pays « en voie de développement » qui, par leur présence, animent et donnent une vie tellement particulière aux rues et quartiers. La coexistence de centres commerciaux ultra sécurisés, prisés, récompensés même et de ces petits commerces montre à quel point Istanbul a su se développer tout en gardant une ambiguïté. C’est avec cela que joue actuellement le tourisme de la cité. Les trésors émergeant de la ville sont à la fois un patrimoine et le symbole d’une histoire. Sa modernité fait d’Istanbul un itinéraire international. Le tourisme a été complètement assimilé par la politique stambouliote contrairement à son patrimoine. Les monuments forts tels que le palais de Topkapi, Sainte Sophie ou encore la mosquée bleue sont des monuments patrimoniaux incontestablement riches et reconnus. Or, l’ancienne Stamboule toute aussi vieille et riche s’oublie derrière la multitude d’enseignes de magasins. La richesse patrimoniale du vieux Stamboule m’a complétement surprise par son éclectisme, ses cours intérieures désertes mais surtout par la vétusté et le total abandon de lieux entiers. Avec le tourisme croissant, de richissimes étrangers (pour la plupart) achètent pour des
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1.Intérieur d’une maison japonaise 1, Kyoto, Japon, 2014.
3. Intérieur d’une maison japonaise 2, Kyoto, Japon, 2014.
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5. Mont Fuji, Japon, 2014.
2. Panorama de la Golden Horn d’Istanbul, Turquie, 2011.
4. Coure abandonnée dans le vieux Stamboule, Turquie, 2011.
6. Canyon Center, Centre commercial d’Istanboul, Turquie 2011.
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miettes ce qui fut de somptueuses bâtisses byzantines. Ayant compris leur intérêt sur le marché immobilier et touristique, ils les restaurent pour les revendre. D’un côté, ces investisseurs sauvegardent une part de l’histoire mais à quelles fins capitalistes ? C’est à ce moment que je me suis dit que si les stambouliotes ne se réveillent pas tout de suite, leur patrimoine et leur histoire seront sous la coupe d’investisseurs ou alors dans un état de vétusté irréversible. Istanbul a encore de quoi surprendre et émerveiller mais il est troublant de voir ce contraste d’une modernité proliférante et tape à l’œil et d’une Histoire qui menace de s’écrouler. Ce qui me contrarie dans ce constat est que ce patrimoine est un argument touristique. À l’instar des japonais qui voient le patrimoine comme l’entretien d’un savoir-faire plutôt qu’un bâtiment ancien. Les stambouliotes donnent de l’importance aux caractères anciens d’un bâtiment. Que faire alors ? Venise Ma première visite était trop courte pour que je me rende vraiment compte à quel point le tourisme avait gangréné la ville. Lors de ma première venue, j’ai été prise par son charme, de vivre enfin ce que j’avais pu lire ou voir. La seconde fois, j’y venais pour y vivre et j’étouffais sous la chaleur et l’humidité ambiante. La ville praticable étant majoritairement minérale, sous le soleil ardent, l’ensemble de la ville devient une fournaise. Seuls les courants d’air venant du large s’engouffrant dans les rues étroites offrent un répit. Les jours de grandes chaleurs, un épais brouillard - qui n’a rien avoir avec la nebbia hivernale - floute l’horizon et lui donne un côté aquarelle. Ce sont ces jours de grandes chaleurs qui provoquent les orages. Les premières gouttes de pluie qui touchent la pierre chauffée au soleil s’évaporent en un instant dans un bruit sec. Se perdre à Venise est aisé, s’y retrouver est encore autre chose et savoir où l’on se trouve et où l’on veut se rendre encore une 28
autre. À ce moment là, le corps et l’esprit mettent en place tout un stratagème d’orientation et de mémorisation des lieux. En pratiquant la ville tous les jours les premiers mois, j’ai développé deux capacités : je visualisais mentalement le plan de la ville où je me baladais comme un curseur ; et je mémorisais des points de parcours par attache visuelle et kinésthésie qui, mis bout à bout, me permettaient d’avancer. C’est à ce moment précis que je me suis sentie « chez moi », je commençais à connaître la ville. Vivre une ville piétonne donne cette impression étrange de se lier avec elle et de partager chaque mouvement fait en elle avec elle. Vivre quotidiennement un tourisme de masse renforce le sentiment d’appartenance à la ville. La pratique de la ville se fait différemment suivant les zones touristiques ou non. La muséification de la ville empêche son potentiel développement bien qu’il y ait pu avoir des interventions contemporaines telles que celle de Zucchi9 reléguée en arrière d’île. L’empreinte de l’architecte Carlo Scarpa est très forte et toute construction ou rénovation moderne porte cette marque. Cependant, l’innovation dans la ville n’existe que pour satisfaire le tourisme. L’architecture contemporaine n’est là que pour asseoir les équipements accueillant le public, c’est-à-dire les parkings ou les relais de parking. L’entrée de Venise m’apparaissant de plus en plus comme une attraction touristique : « Bienvenue à Venisneyland ». Le ballet incessant des bateaux de croisière plus 9. Cino Zucchi, gros les uns que les autres renforce encore plus cette impression. architecte Milanais Il y avait deux types de personnes à Venise, celle que le tourisme a conçu un plan faisait vivre et d’autres que l’on empêchait de vivre pleinement. de rénovation d’un ancien site industriel Dès lors, je me suis interrogée, sur la vocation que l’on donne occupé de 1878 à à la restauration et à la réhabilitation. Entre le patrimoine 1971 par une indus- vénitien utlra conservé où il est difficile de faire du neuf et une trie allemande, et ville comme Istanbul qui se détache de son patrimoine pour réalisé des réhabilitations sur l’île de la être une ville moderne, où trouver le juste milieu ? Giudecca en 2002. http://www.zucchiarchitetti.com/
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1.Bosphore, Istanbul, Turquie, 2011.
2. Ambiance, Venise, Italie, 2012.
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5. Vue des toîts et croisière, Giudecca, Venise, Italie, 2012/2013.
2. Maison vetuste, Istanbul, Turquie, 2011.
4. Bâtiment de C. Zucchi, Giudecca, Venise, Italie, 2012/2013
6. Horizon et orage, Venise, Italie, 2012/2013.
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Convictions et Convergence
Écosophie
1. Cazier JeanPhilippe, Félix Guattari : qu’est-ce que l’écosophie ?, article d’édition, 14 février 2014. 2. Guattari Félix, Les trois écologies, Broché, 2008. 3. Nadaud Stéphane, citation extraite de l’article Qu’est-ce que l’écosophie ? Image de gauche : Mind mapping lors du Workshop de la Semaine de la Solidarité Internationale organisé par l’Atelier Volant, 2014.
Les sachants s’accordent pour dire que nous arrivons à un moment de basculement dans notre société : dans la gestion des énergies, des ressources, des rapports humains, de l’économie, de la communication, de la politique, etc. L’écosophie proposé par F. Guattari est un « effort vers une nouvelle façon de penser et d’agir, une nouvelle pratique de la pensée autant qu’une nouvelle pratique de la pratique »1. Plus que d’un démonstrateur de la Troisième Révolution Industrielle, le projet de réhabilitation (ou tout projet allant dans ce sens) doit tenter de s’inscrire dans l’écosophie2. Selon Guattari, tout est lié : « on ne peut espérer remédier aux atteintes à l’environnement sans modifier l’économie, les structures sociales, l’espace urbain, les habitudes de consommation, les mentalités [...]. C’est ce qui me conduit à parler d’une écosophie qui aurait pour perspective de ne jamais tenir séparées les dimensions matérielles et axiologiques des problèmes considérés. »3. L’Écosophie articule les trois écologies : l’écologie environnementale (pour les rapports à la nature et à l’environnement), l’écologie sociale (pour les rapports au « socius », aux réalités économiques et sociales) et l’écologie mentale (pour les rapports à la psyché, la question de la production de la subjectivité humaine). Il s’agit donc de dépasser la « simple » question de l’écologie environnementale que propose le Solar Décathlon sur le traitement de l’idée du développement durable en s’attachant en plus à la dimension sociale humaine pour atteindre une écosophie. Bien entendu, le changement ne se fera pas tout de suite. Il me semble nécessaire d’être tout de même conscient de ces préoccupations et l’envisager dans un processus. Changer les habitudes de consommation est une chose mais ce n’est pas la seule manière d’arriver à un changement global. Il faut 33
pour cela avoir/amener une conscience politique collective et repenser le système de gestion des ressources et de ses réseaux.
Se soucier des besoins proxémiques de l’homme. La proxémie est un néologisme inventé par Edward T. Hall dans son livre la Dimension Cachée. Ce néologisme désigne l’ensemble des observations et des théories concernant l’usage que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel spécifique4. L’auteur soutient que l’inadaptation de structures architecturales et urbaines à certains groupes sociaux serait l’une des raisons de troubles sociaux urbains. Il est passionnant de se rendre compte que, suivant une culture, son rapport à l’espace, et son usage de l’espace est complètement différent. Suivant, que nous soyons allemand, américain, japonais ou marocain, le besoin d’isolement par exemple se manifestera de manière différente. Pour certains, la présence physique de murs, de portes sera nécessaire alors que pour d’autres, une attitude servira à passer le message et une distance physique suffira à faire « barrière » et isolement. Prendre conscience de toutes ces attitudes, besoins spatiaux, comportements spatiaux et toutes les variantes est une matière intensément dense pour la conception architecturale. Cette proxémie joue sur les rapports sociaux mais joue aussi énormément sur le rapport de l’homme à son environnement physique. En tant que concepteur d’espace, il est de notre devoir de prendre conscience de l’existence de cette notion. En concevant, nous répondons à des demandes et à des besoins. Concevoir des lieux, des atmosphères n’est pas le tout si l’usage que l’on y fera n’est pas pris, ou trop peu, en considération. C’est pourquoi, je suis convaincue, en tant que concepteurs d’espace – autant les architectes que les urbanistes, les paysagistes, les designers – que partir de l’Homme, de ses attitudes, de ses 4. Hall Edward T., besoins, de son être en tant que produit culturel spécifique La dimension cachée, est bénéfique pour concevoir. Il n’est bien entendu pas aisé éd. du Seuil, 1966, p13.
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de connaître les différences culturelles de tout à chacun. C’est pourquoi un travail préalable à la conception - en partenariat avec des anthropologues, sociologues - au même titre que la découverte d’un site ou d’une recherche sur la matière peut être effectué sur qui est sur place, les différents comportements et usages, et pour qui le projet est conçu. Voire mettre en place une collaboration et un dialogue entre concepteurs, élus, techniciens et locaux, ce qui en tant qu’architecte me questionne et m’intéresse. Il est vrai qu’il faut avoir conscience de notre propre culture et des projections que nous en faisons par l’architecture que nous créons. Si intuitions et intentions sont les moteurs de conception d’un projet, encore faut- il y ajouter l’attention à la culture in situ. Cette lecture de E.T. Hall m’a fait prendre conscience des relations interculturelles au sein d’une même nation, dont je suis un de ces produits. J’ai pris conscience de l’importance de les reconnaître et de les prendre en considération lors de l’élaboration d’un projet quel qui soit ; ce qui me renvoie inévitablement à l’urbanisme et à l’architecture métissés. Cela m’a conforté dans mon besoin de voyage et de découvertes de l’ailleurs et des autres. Quoi de plus formateur alors que le voyage et/ou de l’immersion pour prendre pleinement conscience de notre culture et de celle des autres. La proxémie appelle aussi à se pencher sur la notion de territoire et le besoin de territorialiser qui est partagé par le genre humain, nomade ou sédentaire. Car au delà de la différence culturelle, il y a un paradigme commun qui est celui de l’habitation. Tout homme partage ce besoin de s’établir, de faire notre espace en le qualifiant, en se l’appropriant et en le transformant en lieu singulier le rendant ainsi appréciable par et pour lui-même. La proxémie serait alors une aide à la compréhension de tout établissement humain teinté de sa propre culture. Cette notion de proxémie me conforte dans une pratique de l’architecture qui favorise l’échange et le partage avec les populations locales d’un territoire de projet. En jouant sur les 35
mots du titre de l’article de Thierry Paquot « Hassan Fathy, construire avec ou pour le peuple ? »5, je le reprends en disant construire avec et pour le peuple. Participation Depuis mon expérience chez les Saprophytes, cette pratique alternative de l’architecture via la participation est source de questionnements et d’approfondissements constants. La question de la participation m’intéresse profondément et fut le sujet de mon mémoire de recherche. Ce travail me permit de me rendre que ce mot revêt une complexité dans sa compréhension – la « participation » devenant un mot valise et est sujet à l’amalgame – ainsi que sa mise en pratique effective. Je traduit ce terme de manière simplifiée par “Penser, concevoir et faire avec, de manière collective”. Je ne saurais dire ce qui génère ou non de la « participation » et puis, participation de qui ? Pourtant, sans dire que l’on va faire de la « participation », on peut favoriser des échanges en prenant plusieurs paramètres en considération en amont et pendant le projet. Mettre en place, par exemple, un moyen de gouvernance partagée du projet dépassant la « participation institutionnelle »6, des lieux de débat, d’atelier, de production, etc. Il faut aussi prendre en compte que cela a un coût : financier, d’investissement et de temps. Puis, il ne faut pas oublier que s’il y a « participant », ceux-ci donnent de leur temps bénévolement. En ce sens, comment les engager dans le temps face à des personnes rémunérées pour cela ? L’exemple de Sophie Ricard, à Boulogne7 dans l’ambitieux projet de Construire ensemble, le grand ensemble montre qu’il lui a fallu un an (en vivant sur place) pour se faire accepter des habitants de la rue Delacroix, lieu du projet de réhabilitation. Il faut aussi pour tout incitateur à la « participation » maîtriser la législation en vigueur et les rouages administratifs, judiciaires, marchés publics, bureaucratie... pour s’y insérer. Le rôle de l’architecte (ou tout autre concepteur et technicien de l’aménagement) dans ce genre de pratique est 36
5. Thierry Paquot, Hassan Fathy, construire avec ou pour le peuple?, Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 2009. 6. Article rédigé par le collectif ETC. Collectif d’architecte depuis 2009, ils s’activent pour renouveler la manière de faire la ville avec ses usagers, via l’expérimentation et des interventions dans l’espaces publics en y insérant la population dans le processus créatif. 7. Darrieux Margaux, J’habite, tu cohabites, il héberge, nous construisons, AMC, n°23, avril 2013, pp 12-15.
celui de pivot, ou encore de médiateur en plus de garantir une faisabilité réelle de projet8. Cette pratique dite alternative fait pour moi complétement écho à la nouvelle façon de penser et la nouvelle pratique de la pratique dont parle F. Guattari. Engager la « participation » dans les projets scolaires a toujours été difficile voire impossible. Principalement parce qu’il y a une dimension du réel qui a énormément de mal à s’insérer dans le cadre scolaire, en plus d’une gestion de temps qui n’est pas aménagée pour ce genre d’échanges. L’expérience de ce semestre d’échange inter-scolaires nous montre bien l’effort que nécessite d’organiser et de structurer des rencontres, de produire un support de communication et d’échanges pour qu’il soit intelligible par tous, que la fréquence de ces échanges permet ou non d’avancer et de travailler ensemble. Mais surtout, cette expérience nous montre à quel point à la fin d’une journée, la question de départ peut rester sans réponse car la communication à plusieurs voix est un exercice difficile. Cela nécessite de mettre en place de nouveaux outils, ainsi qu’une gestion différente de projet et du temps. Bien que cela soit difficile, c’est un exercice des plus enthousiasmants. Chantier L’importance du chantier dans la conception a eu du mal à faire son chemin. Fonder un bâti est le premier acte de construction. C’est l’assise sur laquelle vient se constituer une architecture. Sans cette prise en compte, je me perdais dans des conceptions qui n’avaient alors aucune attache à ce qui l’entourait, ce que je ne veux pas. Cette prise en considération permet de renforcer et de faire, sans cesse, des aller-retours avec la conception. L’expérience de la « participation » et de l’activation d’un lieu ainsi que de rendre le chantier comme un moment convivial 8. Article rédigé par qui se partage avec tout le monde, même extérieur, est le collectif ETC particulièrement grisante ! Si le chantier, en plus d’être pensé : Projets urbains et démocratie locale : des dès la conception d’un projet, pouvait revêtir une autre fonction conseils de maitrise d’us- que le seul acte de bâtir ? Si l’acte de bâtir devenait un moment age aux conseils citoyens, 2015.
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1. Workshop Crise d’innovation organisé par l’Atelier Volant pour la SSI de Lille, 2014©Atelier Volant
3. Ducasse on the Moon, résidence ouverte à Hénin Beaumont avec les Saprophytes et le collectif E.T.C., 2012.
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4. FAB (Fabrique d’Architectures), avec les Saprophytes au quartier du Pile à Roubaix, 2012. ©Les Saprophytes
2. Photocollage, chantier occupé.
5. Chantier ouvert lors de la résidence à Hénin Beaumont, 2012.
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de convivialité et de partage ? Et si, comme la rêverie réaliste de Patrick Bouchain, nous construisions ensemble ? P. Bouchain essaye de développer avec Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement9, et Construire autrement, comment faire10 une pratique du chantier et de présence sur le site, qui aurait une dimension collective et sociale. La présence sur le site avec un lieu du « commun » a une grande importance. Ce lieu permet de faire lien entre les différents acteurs et plus encore. Il explique alors qu’il développe autour du chantier une activité périphérique touchant plusieurs champs lorsqu’il construit un équipement, par exemple11. L’expérience de la « participation » avec les Saprophytes m’a aussi ouverte sur le « faire ». Activer un lieu, créer un moment convivial et de partage par l’acte de « faire », et la création de ses mains. Dans ces pratiques de chantier ouvert où tout le monde peut mettre la main à la pâte, il y a aussi cette idée de faire partie d’un projet où son action est visible. D’avoir à la fin une réalisation à laquelle on aurait pris part. Et si le chantier était considéré comme l’espace-temps de réflexion de la « participation » ? En partant des outils de l’architecte et d’outils de la « participation » qui s’assimileraient entre autre à de la médiation, comment envisager alors d’arriver à de nouveaux outils ? Si au préalable, il y avait un travail in situ pour connaître qui vit là et comment, qui seraient les interlocuteurs sur place. Alors un lieu du commun pourrait d’ores et déjà être mis en place afin d’engager et d’amorcer la réflexion/conception et la réalisation/intervention du projet mené. Le chantier serait complètement intégré telle une suite logique à la fois dans la mise en place d’une « participation », à la fois dans la conception et une permanence de dialogue et d’expérimentation. Tout en prenant compte que chaque cas est différent et, donc, qu’il nécessite une intervention spécifique. Cette pratique de l’architecture nécessite un engagement et une permanence important(e) autant moralement que 40
9.Bouchain Patrick (sous la direction de), Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement, éd. l’impensé NACActes Sud, Horssérie, 2010 10.Bouchain Patrick (sous la direction de), Construire autrement, comment faire ?, éd. L’impensé Actes Sud, 2006 11. Ibidem.
physiquement. C’est nous qui participons, nous concepteurs d’espace. La difficulté pour la suite de ce genre de projet est de savoir quand et comment se retirer. Car lorsque l’on quitte un chantier, on crée le vide qui permet alors à l’utilisateur d’y entrer. Pour qu’il y entre, il faut au préalable, l’accueillir pour l’associer et le mettre dans une situation d’appropriation (d’autonomie): l’utilisateur doit dépasser le concepteur12. Ce n’est pas une chose qui se décrète. C’est pourquoi engager les utilisateurs dès les prémisses du projet et dans les phases de décision est, selon moi, important. Plus le temps passe, plus cette considération du chantier me semble une piste d’engagement dans ma profession. C’est pourquoi cette piste mérite réflexion et expérimentation dans le projet des réhabilitations des maisons 1930. En effet, il est souvent envisagé de déloger le temps d’un chantier les occupants. Ainsi, comment pourrait-on envisager le chantier en site occupé ? Comment incorpore-t-on cette donnée dans la conception ? Par un phasage ? Une unité de vie mobile au sein même de la maison ? De l’îlot ? Comment peut-on faire en sorte que ce moment de chantier ne soit pas juste un moment de travaux où l’on déloge mais qu’il participe activement à la fois à la vie du quartier et de ses habitants, et à la fois aux préoccupations actuelles ? La configuration particulière du tissu urbain des maisons en bande dites 1930 et leur formation en îlot offrent une diversité de tailles, de formes et de capacités. Ainsi chaque intervention suivant les îlots nécessitera un regard, une approche et une spécificité suivant l’échelle d’intervention (au regard de la mise en commun : « échelle de l’îlot/quartier », de l’individuel : « échelle de la maison », d’un groupement d’individualité : « échelle de voisinage »). C’est pourquoi je pense qu’en même temps qu’un « repérage » des différents habitants et occupants d’îlots, il est nécessaire de reconnaître les différents composants 12. Bouchain Patde leur îlot et leur orientation. Fort de ces données, il sera rick, Construire autrealors plus aisé d’envisager une intervention, suivant les modes ment, comment faire ?, op.cit., p 114.
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de vies des ménages et les capacités de l’îlot : qu’est-ce qui peut être mis en commun et comment le dimensionner ? Quel type de chantier cela va t-il engendrer ? Idem pour les maisons individuelles et leur intimité. Suivant les performances que l’on veut atteindre, est-il plus judicieux de réhabiliter maison par maison ou par groupement ? Ces réflexions engendrent bien entendu d’autres interrogations : comment cela se passe t-il au niveau juridique? Au niveau social ? L’échelle d’intervention doit permettre un transport simple, voire manuportable. L’organisation du chantier permettrait de définir où l’on entrepose le matériel, la possible utilisation de dents creuses au sein de(s) l’îlot(s), la co-réalisation ou l’autoconstrution des occupants des logements, etc. La question du chantier est indissociable de la question de réhabilitation et doit sans cesse nécessiter des aller-retours. Cette réflexion influencera sur les matériaux et réciproquement sur la mise en œuvre. Ainsi, en reprenant les mots de Pierre Bernard, le projet détermine le processus de production, suivant la forme que l’on veut lui donner, comment pouvons-nous introduire une part d’imprévu qui pourrait être matière à expérimentation ?13 Matérialité En tant que concepteurs d’espace, il est nécessaire de tenter de définir ce qu’est pour nous de l’espace. Je définis cette notion comme une interaction entre le corps et la conscience humaine, notre corps et notre conscience, et un contexte proche ou lointain. C’est un élément tri-dimensionnel non construit mais façonnable qui peut être contenu. Cette définition ou indéfinition (au même titre que l’architecture14) changera et s’enrichira constamment en fonction de ma propre évolution. Cette définition ou indéfinition permet en même temps d’appréhender cette autre notion difficilement définissable : la matérialité. Mais qu’est-ce que la matérialité en fait ? Et en quoi a-t-elle une importance dans la conception architecturale et 42
13. Projet, Chantier, cours dispensé par Pierre Bernard à l’Ensapl en 2015. 14. Younès Chris, Madec philippe, Indéfinition de l’architecture, éd. De la Villette, 2009.
dans l’architecture ? Parler de la matérialité c’est parler d’architecture. Paul Valéry écrit entre autre que l’architecture est l’art d’organiser l’espace, c’est par la construction qu’elle s’exprime15. Si nous partons de l’idée que la matérialité est une certaine expression de la mise en oeuvre de matériaux, celle-ci participerait à l’expression de l’architecture. Mais je pense que la matérialité n’est pas juste l’expression d’une mise en oeuvre de matériaux, du moins, elle est l’expression de la mise en oeuvre en rapport avec les éléments tels que la lumière, l’obscurité, les ombres produites, l’humidité, etc. La mise en relation de matériaux entre-eux provoque des sensations physiques tant que des interprétations psychologiques. Ainsi la rencontre entre matériel, de l’ordre de la matière, fait de matière, et immatériel, qui n’est pas constitué de manière tangible, permettrait une appréciation subjective de tout individu. Le corps, selon E. T. Hall, est un récepteur physique et sensoriel16 ainsi la matérialité serait-elle la réception physique et sensorielle de l’expression de mise en oeuvre matérielle et la rencontre avec l’immatériel ? Il est intéressant de constater que cette question de la matérialité dans la représentation architecturale se distingue de sa forme réelle. On cherche à évoquer une matérialité autant dans l’outil de la maquette que dans la représentation graphique. La juste représentation n’est pas le propos. La question est de rechercher le moyen de faire ressentir, de projeter les possibles sensations et interprétations d’une matérialité recherchée. Ainsi, comme 15. Valéry paul, l’écrit G. His, la matérialité n’a pas d’échelle : « elle peut être la in Indéfinition de même malgré des matériaux différents »17, c’est alors que l’on l’architecture, éd. De la parle d’expression de la matérialité. Villette, 2009, p 90. 16. Hall, Edward T., La dimension cachée, op. Cit., pp 61-95. 17. His Ghislain, La matérialité comme récit, d’un récit culturel à la production d’une pensée, BBF, janvier 2015, p 27.
Pourquoi rechercher une matérialité ? Et si la matérialité résultait de la qualification du vide par un ensemble de « générateurs » hébergés par le matériau (matière, texture, couleur…), alors le rôle du concepteur d’espace est d’utiliser ces « générateurs » vers une (sa) vision. S’inscrivant par 43
1. Les halles de la gare St Sauveur, Lille.ŠAtelier Volant
3. Mur d’une maison, Maroc, 2014.
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5. Caveau Brion de Carlo Scarpa, San Vito, 2013.
2. Immeuble collectif à Copenhaague, 2014.
4. Cathédrale Sainte-Marie de Kenzo Tange, Tokyo, Japon, 2013.
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ailleurs dans le paradigme de l’habitation. Peut-être que cette réflexion permettrait d’introduire les notions d’atmosphères et de confort que nous recherchons tant, en tant que concepteurs. Peut être que ces notions permettraient de faire sens au regard de la proxémie ? Ne maîtrisant pas assez ces notions, je ne me risquerais pas à un développement qui pourrait être superficiel et peu nourri. Cette question de la matérialité doit encore faire du chemin pour que je puisse en prendre la pleine mesure et comprendre les ramifications que cela entrainent. La terre crue et introduction à la perspirance La terre crue est un matériau qui suscite mon intérêt depuis peu et que je compte approfondir. C’est une source abondante et universelle qui, quand elle est crue, est 100% réutilisable. À partir d’une matière première que l’on travaille afin d’en faire un matériau pour bâtir, une fois détruit ce matériau devenu déchet redevient, en fait, matière première. J’ai acquis grâce à cela, une conscience sur les matériaux bio-sourcés et les diverses possibilités de recyclage et/ou de réemplois. Tout comme les possibilités de concevoir un bâti recyclable – ou du moins en partie - sympathisant avec l’environnement. La terre crue a des propriétés très performantes et améliorables comme le montrent les travaux de Martin Rauch, céramiste et sculpteur, ou encore ceux de la maçon Mary Jamin18. Sa mise en œuvre est tout à fait variée : bauge, BTC, pisé, torchis, terrepaille, béton de terre, etc. L’intérêt nouveau pour la terre bien que finalement familière, est aussi un moyen de renouer avec une partie de ma culture et de mon patrimoine culturel. La terre crue est très utilisée dans les constructions traditionnelles au Maroc. Il a été intéressant de redécouvrir que la terre crue est un moyen de construction qui ne se limite pas qu’aux pays d’Afrique ou de zone aride 46
18. Travaux et recherches d’améliorations de la terre crue. Mary Jamin (maçon): recherche sur la terre-paille pour rendre cette technique thermiquement plus efficace (réponse RT), Martin Rauch (artisan) : principe de l’érosion contrôlée permet une libération dans les formes architecturales = diminution des bottes et du chapeau.
19. Kapfinger Otto, Terra firma domestica, in Werk, bauen + wohnen, n°3, 2008, pp 24-31. 20. L’adsorption, à ne pas confondre avec l’absorption, est un phénomène par lequel des molécules de gaz ou de liquides se fixent sur des surfaces solides. Milo Hofmann in Terre à terre, AA’, n°393, 2013. 21. Frey Pierre, terre à terre, in AA’, n°393, 2013, pp 63-71. Image ci-après pp.48-49: Carte situant toute les constructions en terre crue dans le monde, Bâtir en Terre, L. Fontaine et R. Anger.
du Moyen-Orient. Vivant à Lille, je suis familière des briques en terre cuite qui font la particularité du Nord et de sa région. Par ce projet, j’ai pu découvrir l’utilisation de torchis dans la composition des maisons 1930 afin d’isoler les murs à la fois thermiquement et acoustiquement. L’intérêt de l’utilisation de la terre crue par rapport à la terre cuite est un besoin en énergie de transformation réduit avec un recyclage et un réemploi plus évident. La terre utilisée peutêtre celle extraite des fondations et du terrassement comme la maison de Martin Rauch à Schlins. Il y a là un ancrage local de la construction en terre. Ce qui confère en ce sens un rapport intime entre architecture, terre et territoire. La terre crue comme tout matériau a ses limites. Pour bâtir en terre, il faut de « bonnes bottes et d’un bon chapeau » afin d’éviter l’érosion et les remontées capillaires. C’est pourquoi des recherches comme celles de Martin Rauch sont des plus passionnantes. La maison manifeste de Schlins a cette prouesse qu’elle est faite dans les montagnes autrichiennes, en toit terrasse et qu’elle est composée à 85% de terre (crue et cuite)19. Martin Rauch a développé un mur en pisé avec des tuiles d’argiles légèrement saillantes insérées dans les couches successives du mur comme casse goutte. Elles permettent, en plus d’une meilleure stabilité, d’assurer une protection contre les intempéries, d’adsorber20 l’eau et d’assurer une étanchéité. Ce principe développé de « l’érosion contrôlée » permet non pas d’empêcher l’érosion par un moyen extérieur au mur de terre mais d’examiner dans quelles conditions ce mur peut s’en protéger par ses propres propriétés, par les matériaux dont il est fait21. Cette maison manifeste montre les diverses possibilités qu’offre la terre (matériau millénaire) associée aux savoir-faire d’aujourd’hui. Elle tord le cou à la vieille image associée à ces constructions qui est celle d’un modèle archaïque et dépassé pour montrer une maison contemporaine et luxueuse. Pour autant, il ne faut pas oublier que ces constructions de terre crue traditionnelles et vernaculaires sont emplies d’ingéniosité 47
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qui leur permettent d’être encore debout et utilisées. Bien qu’elles soient mises à mal par rapport à la « modernité ». En retournant au Maroc après plusieurs années, j’ai été saisie par la frénésie constructive qui anime les villes et le pays. Cela se construit tellement qu’il y a une impression de chaos et de hâte. La ville contemporaine marocaine se distingue complètement de l’organisation de ses médinas, allant même à leur détriment. Tout n’est que béton, « partout on bétonne au nom de la « modernité ». On rase, on quitte les lieux anciens, on reconstruit sans stratégie urbanistique, on densifie, on perd les qualités des espaces pour des lieux affreux où certes il y a moins de poussière, mais où il fait très chaud l’été, très froid l’hiver »22 souligne l’architecte et anthropologue Salima Naji. Celle-ci s’emploie au sauvetage du patrimoine du Sud marocain mis en danger par le syndrome du tiers-monde qui considère le patrimoine et autres constructions traditionnelles comme obsolètes, voire misérabilistes au regard de la « modernité »23. Elle réhabilite ce patrimoine en ré-apprenant ou ré-actualisant des techniques et savoir-faire traditionnels tout en ayant un regard contemporain - aux villageois et autres locaux. La terre crue est un des matériaux prépondérants, composant majoritairement ce patrimoine si représentatif de la culture berbère et marocaine. Tout comme Hassan Fathy qui s’engageait à améliorer le cadre de vie des futurs habitants par ces architectures modestes et peu coûteuses réalisées en terre crue. Non pas, comme il lui a été reproché, d’utiliser un matériau pauvre pour des pauvres mais un matériau à portée de main, ancré dans le sol, économique qu’il magnifie autant que les savoir-faire artisanaux. La construction et l’entretien de ces bâtis en terre sont gourmandes en main d’oeuvre. Cela offre une dimension sociale et de savoir faire au delà même du chantier. Le rafraichissement de bâti en terre demande une implication. Parfois, il y a l’aide des voisins et, d’une pierre deux coup, l’ensemble est fait. C’est aussi dans cette perspective que j’aimerais m’insérer, dans la réflexion et l’activation d’un travail 22. Source : salimanaji.org 23. Ibidem.
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avec la terre, et ce, des deux côtés de la Méditerranée. L’intérêt de la terre et de ses propriétés m’ont initiée à la perspirance. Nous sommes arrivés à un moment où les maisons thermos et les murs milles feuilles sont à requestionner. L’utilisation de matériaux à base de pétrochimie ont modifiés les qualités et bloqués toute perspirance de nos murs, de nos sols et de nos toits. Étanche à l’air mais pas étanche à la vapeur d’eau ! L’étanchéité d’un bâtiment est sa capacité à être hermétique à l’air, une exigence qui est énoncé dans la réglementation thermique (RT2012). La perspirance est la capacité (de matériaux) à laisser transiter la vapeur d’eau permettant de réguler un pourcentage de la vapeur d’eau émise dans un logement. Sans avoir d’effet direct sur la qualité de l’air intérieur et déroger au besoin de ventilation, la perspirance permet d’éviter l’accumulation d’eau au sein du logement et la dégradation intérieure par l’humidité. La perspirance a un intérêt quand aux constructions existantes. Les murs en terre cuite des maisons 1930, par exemple, ont besoin de laisser transférer l’humidité afin d’éviter leur dégradation. Puis, ces murs faits de brique en terre cuite et recouverts de torchis sont en soit des murs perspirants étant dotés d’une certaine inertie qu’il serait bon d’utiliser et/ou développer plutôt que le contrecarrer. Notamment, par des isolations ou produits issus de la pétrochimie qui forment une couche blocante à la migration de la vapeur d’eau. Déroger à l’idée de parois thermos en pensant à d’autres types d’enveloppe, à l’image de ce que font Lacaton&Vassal avec le vide habité, me conforte dans la poursuite de cette réflexion dans le projet de réhabilitation des maisons 1930. La prospection menée permettra de mettre le doigt sur le type d’intervention et la mise en oeuvre d’une réhabilitation énergétique. Même si nous ne Images ci-après proposons pas une réhabilitation complète, cette réflexion sur pp.54-55 : la perspirance des murs et l’accroissement de l’inertie peut être Matériautèque Maisons dites 1930, l’initiateur à une recommandation de matériaux, d’agencement, DE Matérialité d’au- de mise en oeuvre, etc. tomne.
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1-2. Couche de Torchis sur le mur et au plafond d’une maison 1930. ©Julie Dieval
3. La poterne de Aït Kin, Salima Naji. Source : salimanaji. org
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5. Façade de la maison de Martin Rauch, in AA’, n°393, 2013, pp. 63-71.
4. La réfection des enduits de la mosquée de Djennée (Mali) est l’occasion d’une fête, source : Bâtir en Terre.
6. Croquis maison de Martin Rauch, Schlins, voyage d’étude 2015
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Expérimentation et méthodologie, la création d’outils dans la conception et passage à l’acte Boîte à outils Cet atelier est source d’expérimentations, à tous les niveaux. C’est aussi, en plus d’un exercice de conception architecturale, une expérience humaine. Nous avons remarqué par là que travailler ensemble cela s’apprend. Échange, écoute, préoccupation, conviction, concession, méthode sont autant de bagages que nous apportons et qui enrichissent un propos et un travail. Néanmoins, savoir renoncer pour mieux avancer est un acte fondamental. Ainsi, il nous est permis de mettre des intentions, envies, manières de faire et autres de côté, que nous pouvons à tout moment convoquer dans ce projet ou bien une prochaine fois. Le regard du parcours trouve toute son importance. Parfois, dans une logique de travail de groupe, des convictions ou préoccupations qui nous tiennent à coeur sont écartées afin de ne pas l’entraver. Pour autant, le chemin que l’on a décidé de prendre pour ce projet ne ferme pas les portes à ces préoccupations individuelles. Le chemin que nous parcourons ensemble et les outils méthodologiques que nous mettons en place pour arriver au projet de prospection de réhabilitation de maison 1930 font pour moi entièrement partie du projet que nous allons rendre et présenter. L’expérimentation entraine inéluctablement une once d’inconnu et d’erreur. Il est toujours intéressant de se rendre compte que chaque projet nécessite une création d’outils et une manière de faire différente, et à chaque fois.
Image de gauche : coeur d’ilot, Tourcoing. ©Lola Bazin 57
L’écriture comme méthode de conception L’écriture est une autre manière d’envisager la représentation1 et de faire interagir des choses entre elles. Elle permet de convoquer d’autres sens que la vue, d’accompagner le projet et de lui donner une certaine vie dès la conception. Cela permet d’envisager les usages dès le début et de les intégrer complétement dans la démarche conceptrice. C’est dans ce sens que nous avons initié notre travail. Nous avons pour cela fait des scenarii de ménages type afin d’imaginer ce que peuvent être les modes de vies actuels dans les maisons 1930. La narration a accompagné ces scenarii à la manière de Pierre Blondel afin de convoquer ce que des données ou des schémas ne pouvaient offrir : décrir la vie. Ce travail de fiction nous permet d’entamer le projet via le parti pris qui est de dire que nous engageons la réhabilitation des maisons 1930 avec les habitants qui y vivent, leur mode de vie et non par des solutions techniques. Le projet de fin d’études a introduit l’écriture de manière plus profonde. Il a permis et permet de mettre des mots et de théoriser d’une certaine manière tout ce qui m’enchante ou m’interroge dans l’architecture et sa pratique. Cela a permis d’engager, d’enrichir certaines lectures en plus de mes préoccupations, dans la réflexion de ce projet et dans ma conception de l’architecte et de ma future pratique. L’écriture est aussi un moyen de communication non négligeable qui permet de faire passer des idées ou d’échanger avec l’autre. Cet exemple pourrait passer comme trivial, cependant j’estime que tous les mails que nous avons échangés avec les différentes écoles afin de réfléchir ensemble sur certains sujets telle que cette question d’habitat comme objet connecté, sont à prendre en compte et rentrent dans cet esprit d’écriture comme outils de conception.
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1. Blondel pierre, conférence à UCL-Tournai, 12/10/2011
Confrontation de nos fictions au réel Après ce travail de fiction, il nous fallait constituer une base solide pour envisager les diverses actions que nous souhaitons mettre en place. Poussés dans ce sens, nous avons approfondi cette question d’usage et de mode de vie par la mise en place d’une enquête de terrain interrogeant les habitants des maisons dites 1930 de la rue Berlioz (Lille-Fives). Nous avons pour cela mis en place un protocole d’enquête et constitué un questionnaire. Nous avons eu la chance d’avoir le regard averti de Stéphanie Pryen, sociologue et chercheuse à Lille 3. Une fois ces informations récoltées, leur retranscription fera l’objet d’un travail où outils de l’architecte et outils « scientifiques » se croiseront pour constituer cette base solide et réelle dont nous avons besoin.
La maquette comme une aide à la projection spatiale Les architectes ont la capacité à se représenter dans l’espace à partir de la 2D. Or, la plupart des personnes ont besoin d’être dans l’espace pour se le représenter2. La maquette est une alternative pour favoriser la représentation dans l’espace (au même titre que certains croquis ou isométries) et ainsi permet d’amorcer le dialogue et la compréhension autour du projet. Cet outil est notamment utilisé par l’agence Construire pour favoriser les échanges lors de ses projets avec les habitants et autres non-initiés à l’architecture. C’est un moyen d’exprimer le réel, l’existant et les projections en trois dimensions. 2. Hall Edward T., La dimension cachée, op. cit. 59
1. Test de mise en page des scenarii.
3. Photocollage illustration de l’échelle domestique.
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5. Enquête sur la rue Berlioz (Lille-Fives).
2. Recherche du graphisme du projet.
4. Maquette de l’Îlot Berlioz (Lille-Fives).
6. Recherche pour la frise.
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La maquette comme un support de dialogue Comme dit précédemment, la maquette est un support à l’échange autour d’un projet. Elle permet de représenter physiquement un existant et/ou une projection. C’est par ce support que l’on peut alors expliquer le projet et se faire comprendre. La maquette, bien que cela soit entre autre un outil de l’architecte, a la particularité d’être lisible par un grand nombre et ne nécessite pas un bagage ou un apprentissage spécifique à l’instar de plans ou de coupes.
La maquette comme un support à l’expérimentation En permettant de représenter l’existant, la maquette permet de travailler et/ou retravailler cet existant ou bien de formuler la pure création en trois dimensions. Il est ainsi possible de visualiser l’impact de tout acte. Le changement d’échelle dans la maquette permet par ailleurs de visualiser l’impact ou l’intervention du macro au micro. On peut alors couvrir un grand territoire et définir du détail. Elle permet aussi de tester la matérialité d’un projet, les différents assemblages de matériaux, de volume, la qualité de la lumière et encore une foultitude de choses.
le collage : une représentation conceptuelle Le collage permet de faire passer un message, une ambiance, une situation... C’est une représentation orientée prenant parti 62
pris des concepteurs et de ce qu’ils souhaitent faire échanger. À l’instar des documents techniques propres à l’architecte, le collage par son style graphique permet de mettre dans une ambiance (voulue) celui qui regarde. Par l’agencement de texture ou de personnages, cet outil permet de créer une scène spatialisée et dans une temporalité abstraite. Plus que l’utilisation de dessins techniques, c’est par ce moyen de représentation que nous allons illustrer le projet.
Frise de processus globale Nous voulons par ce projet proposer une méthode. Ainsi, nous nous inscrivons dans un processus et dans des temporalités que nous voulons mettre en évidence. L’outil de la frise permet de contextualiser la méthode d’intervention que nous mettons en place et les croisements que nous allons rencontrer. Cela permet également de temporaliser les différentes actions et d’évaluer les engagements de chacun dans le temps.
Mode opératoire La méthode d’intervention que nous proposons nécessite d’expliciter un certain nombre d’actions que nous mettons en place pour amorcer le projet de réhabilitation des maisons dites 1930. Ainsi, la rédaction d’un mode opératoire vient dialoguer avec la frise de processus global afin de proposer une méthode d’action tangible. Cette méthode est un moyen d’initier le projet et de réfléchir de manière collective à des solutions spécifiques à chaque opération de réhabilitation.
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De la réhabilitation des maisons « 1930 » à la Troisième Révolution Industrielle En ce début de troisième millénaire, nous nous rendons compte des transformations de notre civilisation, en terme de communication, de la mobilisation des connaissances, de l’économie, de la mobilité, des sociétés, des ressources (fossiles, renouvelables), de la production... Selon l’analyse de J. Rifkin3, une révolution industrielle est la conjonction et la rencontre Pierre Rabhi, Vers entre de nouveaux moyens de communication et de nouvelles une sobriété heureuse, sources d’énergies. D’après lui, la crise que nous rencontrons p132 en ce moment serait la persistance du maintien d’un modèle économique lié à la deuxième révolution industrielle et aux énergies fossiles qui s’effondrent. En poursuivant cette analyse, J. Rifkin conclut que nous sommes à l’aube d’une Troisième Révolution Industrielle fondée sur l’utilisation des énergies renouvelables couplée aux technologies de l’internet. Au delà, de la quête de la place de l’architecte dans ce futur proche et du rôle que nous souhaitons avoir dans cette Troisième Révolution Industrielle, nous devons, selon moi, provoquer un « changement de paradigme » où, selon les propos de Pierre Rabhi, il faudrait mettre l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations et nos moyens à leur service2. Car tel que l’énonce J. Rifkin, la création d’habitations ou d’usines comme mini-centrales ne suffirait pas. Il faut aller, à mon sens, vers un changement progressif des mentalités, tendre vers une écosophie. 3. Rifkin Jeremy, Plus que de pallier notre condition par de nouveaux modes La troisième révolution de production de l’énergie, nous avons besoin d’une prise de industrielle, éd. Babel conscience générale. Ainsi que d’un changement progressif de essai, 2011. 4.Rabhi Pierre, Vers mode de vie, mais pas seulement. Il faut repenser les modalités une sobriété heureuse, de gestion des énergies et ressources produites. C’est en cela éd. Babel essai, 2010 que l’architecte, aujourd’hui, peut trouver place. « (…) Mis à part les facteurs que nous ne pouvons maîtriser, l’avenir sera ce que les humains en feront. Rien d’autres. »
p114.
Image de gauche : Photocollage maison énégie
Partons du principe que notre action pour un tel projet est 65
de favoriser le cadre bâti en fonction des préoccupations actuelles et d’amener les habitants des maisons par euxmêmes vers un changement de comportement progressif (en leur montrant par exemple leur consommation en eau, électricité et les faisant interagir directement avec de nouvelles petites productions). Faisons des maisons pour les personnes avant tout. Construisons ensemble cette nouvelle révolution, accompagnons-nous mutuellement dans ce changement. Le projet dans lequel nous nous engageons doit permettre un changement à la fois profond et pérenne. La pérennité passe par les générations futures. En tant qu’architectes pour un tel projet, il faut que nous puissions concevoir le cadre pour favoriser un apprentissage et un éveil sur ces questions d’écologie globale : d’écosophie. Notre action peut être alors, en plus de concevoir le cadre, d’accompagner dans le temps cet éveil par transmission, échange des savoirs, partage et mise en lien. Suite à un échange avec Antonio, sociologue et militant à l’APU (l’Atelier Populaire d’Urbanisme) de Fives, partir de l’habitant n’est pas le seul enjeu et le seul moyen d’envisager un changement. Cet accompagnement, ces échanges, etc., doivent avoir aussi pour but de partager une vision politique, tenir au courant les habitants des modalités de gestions existantes. Pour lui, cela permettrait une stimulation de plus à l’engagement et à la mobilisation des habitants. Un collectif d’habitant mobilisés constitue un corps ayant bien plus de poids et de vigueur face à des décisions et actions liées à leur environnement. Aujourd’hui, il semble indéniable d’utiliser les énergies renouvelables comme alternatives. Mais n’est-ce pas juste une question de bon sens ? Nous avons une multitude de ressources qui sont, elles, abondantes que nous savons utiliser et que nos ancêtres utilisaient depuis déjà des millénaires : le vent, le soleil, l’eau (de pluie), la terre... Puis il n’est peut être pas juste question de capter et d’utiliser ces ressources mais de suivre leur cycle. Prenons l’exemple de l’eau, ressource vitale 66
pour l’homme. Celle-ci est utilisée par une grande majorité dans nos pays européens à usage unique. Ce que j’entends par usage unique est qu’une fois sortie du robinet, cette arrivée d’eau propre est immédiatement évacuée vers les eaux usées. Le cycle de certaines eaux telle que l’eau grise (eau d’origine domestique, résultant du lavage de vaisselle, de mains, de douche ou de bain, etc.) peut être sérieusement requestionnée et exploitée. Dans ce sens, cette eau aurait une seconde vie et permettrait d’utiliser une eau où sa qualité – potable - n’est pas nécessaire ( chasse d’eau, arrosage, nettoyage du logement, etc.) ayant comme conséquence une économie : financière et de consommation. L’utilisation, la production et la gestion de ces ressources doivent être une composante de la conception architecturale au même titre que la matérialité, la structure, le chantier, les usages et la qualité spatiale. D’une part, ce serait revenir à du bon sens, d’autre part, cela permettrait d’arrêter le gâchis auquel nous nous sommes accoutumés et dont nous n’avons même plus conscience. Cela sera aussi l’occasion de par une nouvelle gestion des ressources et/ou d’énergie de créer un nouveau rapport aux espaces de la maison. Admettons qu’il y ait une seule source d’eau potable dans la maison et que le reste ne soit que l’utilisation d’eau de pluie récupérée en cœur d’îlot, n’y aurait-il pas un nouveau rapport à l’eau ? Est-ce que ce nouveau point d’eau potable générerait une utilisation de l’espace différente ? Quelle influence cela pourrait avoir sur les usages ? Quel réseau d’eau cela entrainerait dans la maison ? Prenons aussi l’exemple de l’électricité. Les divers échanges avec les designers de l’ESAD nous ont permis d’apprendre que la plupart de nos objet fonctionnant à l’électricité n’avaient besoin que de 12V. Nos prises amenant du 220V, chaque appareil utilise un transformateur afin de réduire le voltage ce qui engendre une énorme perte d’énergie. Dans cette même 67
1. Schéma de la maison Simspon-Lee, Glenn Murcutt source internet.
3. Carnet de travail commun de l’atelier.
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5. Journée de travail inter-écoles. © Lola Bazin
2. École primaire, Gando (Burkina Faso) par Francis Kéré, 2001, source internet.
4. Coupe Andrée Ravereau, Musée d’Art musulman d’alger, 1966-1967.
6. Journée de travail inter-écoles. ©Lola Bazin
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idée, si nous identifions ce qui nécessite un voltage de 220V, nous pouvons envisager de n’avoir que quelques sources, le reste serait en 12V, par exemple. À ce moment là, qu’est-ce que cela engendrerait dans l’utilisation de l’espace de la maison ? En effet, ces divers échanges nous ont amenés à cette question de voltage et à la compréhension que l’habitat est un objet connecté (eau, électricité, gaz, air,...) et qu’il y a là un vrai sujet à développer. Si nous continuons dans ce sens, et que nous aboutissons à la mutualisation de sources de production d’énergie électrique par l’éolien ou hydrolien dans l’îlot, par exemple, quel rapport d’usage à l’îlot cela engendrerait-il ? Quel avantage en retireraient les différents habitants ? Ou alors, si la mutualisation se retrouvait dans les services ? Si partager une cabane de jardin en fond de parcelle permettrait une économie et une meilleurs gestion en terme d’outillage et d’utilisation, qu’est-ce que cela générerait-il ? Ou bien un lieu commun à un nombre d’habitants permettant de mettre les poubelles, ou encore les vélos, ou d’avoir une salle commune, comment cela pourrait-il influencer un quotidien ? Il nous semble, suite aux différents échanges et grâce à la réalisation de l’enquête que la mutualisation ne touchant pas directement à la production d’énergie mais liée au service est non négligeable et peut participer directement à cette question de changement de mode de vie qui s’adapte au changement de notre ère. Cela impacte de manière indirecte cette question de rénovation énergétique et plus particulièrement la question liée à l’économie. Image de gauche : photocollage illustrant la maison connectée ©Alice Rocquet Double pages : enquête, lettre ouverte
Émulation de groupe et mise en commun, un fer de lance et une force motrice Afin de communiquer avec les autres écoles sur les avancées de l’atelier, nous avons refondu les groupes pour développer 71
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Lettre ouverte rédigé par l’atelier DE Matérialité lors d’une rencontre inter-école le 23 avril 2015
À qui ? Tout le monde. Suite à la journée de rencontre aux Mines de Douai le 16 avril, les étudiants de l’ENSIAME et ceux de l’ENSAPL se sont rencontrés à Lille pour une journée de travail concret le 23 avril. Ensemble, nous avons constaté que la collaboration réelle entre les écoles a du mal à se réaliser. Par exemple, certains groupes font le même travail sans se concerter, les écoles n’ont pas d’objectifs qui permettent de se croiser et la communication entre écoles reste laborieuse. Nous avons essayé de synthétiser par cette lettre les éléments qui permettraient selon nous d’améliorer ce travail commun et de donner suite à la collaboration entre les écoles.
1 Méthode Premièrement, selon nous, plus de lisibilité sur l’ensemble du processus engagé permettrait de définir l’engagement de chaque école et une meilleur transition du travail déjà effectué. En effet, nous aimerions définir mieux notre rôle commun vis-à-vis du Solar Décathlon entre les échéances respectives des semestres, à l’échelle de quelques mois et l’enjeu de l’impulsion de réhabilitation territoriale à l’échelle de plusieurs années. Nous nous rendons compte que nous venons seulement de comprendre les compétences et les domaines d’attention des autres établissements. Aussi il nous parait fondamental pour la suite du travail de rendre visible et clair ce que font les étudiants des différentes disciplines, ce qui les intéresse, ce qu’ils peuvent apporter à l’étude.
2 Développer des consignes respectives compatibles ex => analyse puis conception ? Nous posons la question des attendus pédagogiques que chaque école engage dans le projet. Serait-il possible d’imaginer une concertation (pédagogique)
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des professeurs en vu de prévoir le travail inter-disciplinaire sans perdre de vu les exigences de chacun. C’est à dire que chaque école pourraient aménager leurs propre attentes pédagogiques en incluant d’ores et déjà les compétences des autres écoles et permettre un travail commun. 3 Feuille de route commune dans le but de proposer notre candidature commune au Solar. En vue de soumettre notre candidature commune au Solar Décathlon Europe 2017, nous proposons de rédiger une feuille de route commune à nos écoles. Celle-ci permettrait à chaque école de clarifier ses objectifs à court et à long terme et d’envisager une approche transversale du projet. Le plan de convergences met en place ces objectifs sous forme de planning en comprenant les spécificités pédagogiques de chaque école (atelier, semestre, nombres d’étudiants, évaluation, volume horaire dédié au projet, etc). Cet outil nous permet d’envisager les moyens à mettre en oeuvre de manière collective : groupes de travail réguliers, instruments mis en commun, livrables concertés et/ou collectifs, etc. Nous pensons qu’un emploi du temps commun permettrait d’envisager les compétences différentes de manière complémentaires et non cumulatives. Il nous donnerait une visibilité globale sur le long terme et déterminera les chemins à suivre selon des objectifs clairs. Enfin, la feuille de route servira avant tout de relais entre les différents groupes d’étudiants qui vont se succéder sur les deux ans à venir. Ceci suppose donc des aménagements éventuels au sein des écoles pour permettre aux ateliers dédiés au Solar Décathlon de se rencontrer régulièrement (concrètement : prévoir une journée de travail collectif par semaine).
Conclusion L’ensemble de ces remarques sont sujets à discussion. Elles ont but d’améliorer l’efficacité du travail collectif pour ce projet auquel nous croyons. La prochaine réunion inter-école (28 mai à l’ENSAPL) sera l’occasion de préciser ensemble le plan de convergences et voir comment anticiper certains aménagements d’ici la rentrée scolaire 2015/2016 (énoncés communs, journées de travail collectives régulières,…). Pouvez vous faire remonter la position de chaque école vis-à-vis de ces propositions avant le 28 mai 2015?
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quatre hypothèses de notre travail : la mise en commun, le phasage, les micro-climats et le foyer. Cet exercice a été doublement bénéfique pour la réflexion et l’échange que cela a apporté. Le travail de groupe est en soit, en plus d’être la réalité du métier de l’architecte, un échange où plusieures cultures, connaissances et intelligences se rencontrent et d’où naissent des réflexions qui dépassent de loin la réflexion solitaire. Bien que, par l’effet de groupe, les chemins pris ne sont pas nécessairement ceux qui nous animent le plus, l’émulation finale et le résultat obtenu sont beaucoup plus riches. La mise en commun est une réflexion qui touche plusieurs groupes dans l’atelier. Il en est ressorti que cette mise en commun ou mutualisation de différentes natures (production énergétique, gestion de ressource, service, etc.) est une piste de réflexion qui mérite réellement que l’on s’y attarde. Toujours dans cette idée d’émulation commune, nous avons engagé une enquête afin de comprendre les différents modes de vie dans un premier temps. Cette enquête a ensuite atteint d’autres groupes sur le même protocole et la même base de grille d’entretien (questions). Cette contagion vertueuse permet d’élargir l’enquête à plusieurs rues et îlots du quartier de LilleFives, d’étoffer la matière et, d’une pierre deux coups, de la restituer collectivement à l’échelle de l’atelier et de partager cette matière à projet. Cet exercice me conforte d’une certaine manière dans ma décision de compléter ma formation par une formation de sociologue. Cela me aussi conforte dans cette autre conviction qui est la mutualisation et la transversalité des échanges et du travail. Cette confrontation au réel nous a aidé à nous repositionner sur ces questions de mutualisation, de mise en commun et de pratique de l’habitant. Cet exercice nous a aussi rassemblé, au sein de l’atelier, et permis d’ouvrir le débat sur ces questions. Cela a aussi permis de remettre notre positionnement en vigueur et de voir que suivant les chemins que nous avons pris, nous nous recoupions sur énormément 76
« On construit, on restaure pour des personnes pas pour des murs ou pour des institutions. » Salima Naji, http://www.zigzag-francophonie. eu/Maroc-Salima-Naji-anthropologue-et
de points. Cette enquête a été, au même titre que le refondu des groupes énoncé plus en amont, un moment fédérateur. Moment que nous voulons reproduire. C’est pourquoi il est envisagé dès maintenant une présentation commune d’un travail commun. Par bon sens, suite au travail qui s’est généré au sein de l’atelier, à l’initiation due au Solar Decathlon ce semestre et par envie. Une dynamique de groupe nous a démontré la qualité d’une mutualisation. Le projet en soi et les préoccupations qu’il implique nous efforcent de penser une organisation et une structure alternative de la pratique de l’architecture pour le mener à bien. Nous nous inscrivons dans cette mouvance en tant que futurs professionnels qui nous engageons dans les années à venir et d’avenir. Ce projet nous a fait convoquer un tas de connaissances, un tas de pratiques, un tas de liens, a fédéré des acteurs divers (habitants, sociologues, ingénieurs, designers, etc.) qui ont nourri cette réflexion engagée et enrichi le propos que nous tenons : la mutualisation comme force.
L’Habitat intelligent En prenant le contre-pied des intentions du Solar Décathlon qui ne vise que les performances du logement, d’un esprit domotique très présent, de la maison thermos, et d’autres, nous voulons par le travail en commun (re)introduire la composante humaine dans la conception. Aujourd’hui, un habitant dans un logement dit intelligent est déviant lorsqu’il ouvre la fenêtre ou vit comme il l’a toujours fait. L’habitat intelligent est alors l’association d’un « logement raisonnable » qui répond à des conditions de consommation et de production (énergétique/ ressources), de confort (thermique, luminosité, acoustique, humidité, spatiale...) et d’« habitant raisonné » qui, en vivant 77
dans le logement, participe à la cohérence de l’ensemble et a conscience de sa consommation et de ses besoins en énergie et en ressources. L’ambition de la Région, en plus de rénover énergiquement son parc immobilier existant, est, d’ici 2050, de baisser par 4 la consommation d’énergie et de gaz à effet de serre (GES) pour couvrir 100% des besoins énergétiques par les énergies renouvelables. La réglementation thermique (RT), quant à elle, tend pour 2020 à ce que chaque bâti neuf soit positif au même titre que les mini-centrales évoquées par J. Rifkin, c’est à dire qu’ils produisent plus qu’ils ne consomment. La rénovation suit son chemin de diminution de consommation par paliers suivant les RT. Ainsi, peut-être faut-il revoir le schéma à la fois de rénovation et de construction neuve pour l’envisager à la manière de l’architecte Eberle et du bâtiment 22.26 à Lustenau en Autriche. C’est-à-dire, de partir d’une construction passive – une fois achevé, le bâti consomme peu - et concevoir en même temps comme exposé plus haut la gestion et/ou production de ressources renouvelables et, si nécessaire, y ajouter de la domotique qui viendrait en renfort. Ainsi, dans la réhabilitation, l’un des enjeux est d’arriver à rendre l’existant passif pour ensuite y ajouter des éléments qui pourraient le rendre positif, en prenant l’habitant qui y vivra, comme un de ces éléments. Il ne faut pas tomber dans le piège où la construction positive permet de continuer à consommer comme nous le faisons parce que nous produisons plus que ce que nous consommons. Pour arriver à un habitat positif, il faut que nous puissions gérer notre consommation avant d’envisager de produire plus. L’habitat intelligent est ici : la conception d’un bâti passif répondant aux demandes de confort ainsi qu’en accueillant et/ ou recevant l’utilisation d’énergie et de ressources renouvelables couvrant les besoins (en partie) de l’habitant. Lequel, en vivant, participe activement au bon fonctionnement de l’ensemble. L’habitant est un acteur positif de son habitat. 78
« Quel gaspillage d’énergie, quelle dépense pour aérer, chauffer, éclairer… lorsqu’il suffit d’une fenêtre. » Luigi Snozzi, Aphorismes, 1973-1975.
En effet, si nous mettons en place des petites productions localisées, couplées au réseau existant de type smartgrid comme imaginé par J. Rifkin, l’habitant peut interagir avec ces elles. En effet, actuellement la production localisée (à un îlot par exemple) n’est pas suffisante pour couvrir les consommations des habitants Il doit être producteur et non juste consommateur. C’est peut être là que le couplage passif/domotique peut se rencontrer. Ne pas installer une machine qui ouvre et ferme les fenêtres au détriment de l’habitant mais plutôt une interface de gestion gérée par l’habitant lui même, par exemple.
Intervention locale pour des répercussions globales
5. Citation du texte d’objet d’étude de DE matérialité. Fisher, Thomas, Architecture and the Third Industrial Revolution in www.architectmagazin.com 6. Saint-Do Valérie, La construction, auto-construction, in Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement, NAC/ Actes Sud, 2010, pp 60-63.
Ce que laisse entendre Thomas Fisher5 par rapport à la Troisième Révolution Industrielle de Rifkin et la fabrique à la petite échelle me rappelle les actions menées par les collectifs pluridisciplinaires tels que les Saprophytes, Exyzt, ETC, Coloco, Construire et bien d’autres. De manière générale, le parti pris de ces praticiens est de s’immiscer dans la fabrique de la ville d’aujourd’hui, et d’en proposer une nouvelle approche. Notamment en passant par la petite échelle – de l’espace public à la petite parcelle - pour permettre une mise en réseau des actions tout en faisant écho à une stratégie urbaine. « Penser global, agir local »6. Il me semble nécessaire d’adopter cette même réflexion et ce principe d’action pour la réhabilitation du parc urbain du Nord-Pas-de-Calais. Si nous reprenons les attentes de la Région, nous nous rendons bien compte que les temporalités sont longues et les objectifs par étapes. Il est alors dommage d’envisager une réflexion détachée de l’intervention ciblée pour une répercussion globale, ne serait-ce qu’aux vus de la diversité du parc immobilier et des ménages y résidant. Cette philosophie est, je pense, à adopter et à développer. Plutôt que de partir d’un principe général 79
1.Bâtiment 2226 en construction. Source : baunetzwissen.de.
3. Flyers des Beaux Monts d’hénin, 2012 source : Saprophyte.
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5. Construire ensemble le grand ensemble, Tourcoing. Source : http://strabic.fr/ Construire-Ensemble-le-grand-ensemble.
2. Croquis bâtiment 22.26 à Lusteneau, voyage d’étude 2015.
4. Carte ludique pour le projet Investigation du Territoire, source : collectif Coloco.
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que l’on applique massivement comme a pu laisser entendre Rodolphe, représentant chez Rabot Dutilleul, il serait judicieux de partir d’une stratégie/processus global(e), qui nécessiterait de multiples actions ciblées et prenant compte de chaque particularité. De la même manière que la réflexion engagée grâce à la présentation de Bijoy Jain7, la solution universelle pour un tel projet s’écarte du bon sens. Ces actions ciblées permettraient de fonctionner de manière effective et autonome, puis, mises bout à bout, pourraient créer un réseau. Nous ne proposons pas une rénovation complète mais un point de départ intégré à un processus et un phasage. Par des interventions ponctuelles et ciblées, nous proposons d’accompagner l’habitant dans ces usages et son habité afin de permettre une sensibilisation à la question de la consommation et la gestion à la fois énergétique et de ressources. Cela enclencherait une réhabilitation globale. Ainsi, nous nous mettons, architectes et autre concepteurs, dans un processus prenant en considération les temps longs et les différentes interactions entre acteurs (habitants, techniciens, élus, architectes...) pour proposer une nouvelle gouvernance. La réhabilitation n’a pas pour seul but d’améliorer la consommation énergétique mais aussi d’améliorer le confort et la qualité de vie de chaque habitant. Notre rôle passe nécessairement par de la médiation conjugant nos efforts pour susciter à la fois cette sensibilisation dont nous parlons et une envie de mieux. Nous devons être à l’initiative de ce point de départ, les activateurs de la réhabilitation (énergétique) qui, par ces actions ciblées initient et accompagnent la réhabilitation que les habitants souhaiteraient poursuivre ou initier. Nous devons réussir à capter les énergies existantes des différents habitants et les cumuler. Un mode opératoire doit être défini pour mettre au point l’intervention : amorcer par des phases de recherche de l’existant (bâti, population), étudier la manière dont nous nous insérons dans le schéma politique, les financements, définir à qui on s’adresse, déterminer la présence sur place et 82
7. Conférence Studio Mumbaï au FRAC de Tourcoing, 2015. B. Jain évoque le fait de mettre en place une idée (confort, qualité, énergies) qui se retrouvera par des résolutions et solutions diverses.
la durée, définitir des actions ciblées, envisager le chantier, etc. « ils cherchent non Couplé à une réflexion sur le suivi : définition du type de suivi, pas la participaconseil sur quelles bases, proposition d’un choix de matériaux tion des habitants, en définissant les diverses propriétés (Carnet de référence), mais cherchent plutôt si la “ partici- formation avec des techniciens, relevé des maisons, partage pation de l’architecte d’un carnet d’adresses de techniciens (artisan, entreprise), etc. ” peut être utile L’enquête que nous avons mise en place nous a permis de nous quelque part. » rendre compte que les différents habitants propriétaires de leur logement avaient, pour la grande majorité et à des époques Yona friedman, l’architecture de survie, différentes, réhabilités et/ou fait des travaux d’aménagement parfois conséquents. Ainsi, à quel niveau devons-nous 2003, source ETC. intervenir ?
Notre intervention, notre participation L’habitat est un objet connecté. La question et gestion du réseau a une importance car c’est ce qui permet d’amener les ressources et énergies au logi. Une réflexion doit être poussée sur la participation du réseau, de cette tripaille (du logement), à la création d’architecture. Cette réflexion permettrait d’accueillir de nouvelles productions de l’énergie que nous ne maîtrisons pas encore ou d’initiatives innovantes. Notre point de départ se focalise sur ce qui existe déjà. Nous convoquons par une méthode que nous constituons, les énergies humaines qui sont sur place. Nous initions cette réhabilitation par un dialogue, une mutualisation entre concepteurs et habitants, et une utilisation des matériaux (suivant leurs qualités intrinsèques/efficiences). Pour proposer des interventions dans les logements qui participent à la pratique et à la perception des différents habitants. Cela a pour enjeu d’apporter, de participer au confort dans le logement sans convoquer systématiquement des solutions techniques. Nous sommes convaincus que 83
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l’intervention sur la pratique, le physique et le perçu peut influencer la consommation et la manière de consommer des habitants. Et si amener plus de lumière dans une pièce se jouait à changer une porte et mettre un revêtement ou une matière particulière sur un mur ou une cloison afin de réfléchir et de ne pas absorber les rayons lumineux ? Et si au delà de notre bagage culturel, nous aménageons les salles de bain avec du bois et non de la céramique afin de favoriser une sensation de chaleur et de confort ? Ces interventions permettraient la création de micro-climats (milieu différent de l’environnement qui le contient) au sein du logement par la rencontre entre l’habitant, sa pratique et son perçu. De nouveaux rapports à l’espace peuvent permettre une prise de conscience sur son habitat, son évolution et être actif dans sa manière de vivre son logement. C’est ce vers quoi nous voudrions tendre dans ce projet de réhabilitation des maisons dites 1930.
Image de gauche : Photocollage pour illustrer le jeux de sensation et de perception en rapport avec différentes matières et textures. ©Denis Plancque
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Tremplin d’une vie future, l’arrivée au point d’un parcours, la continuité d’un apprentissage Ce travail requestionne à la fois les capacités d’actions - pour ne pas parler de rôle - de l’architecte et de sa participation à un tel projet. Il appuie une volonté que nous partageons : faire avec et pour. Il faut pour cela créer de nouveaux outils, convoquer de nouvelles connaissances. L’architecte revêt de nouvelles casquettes, adopte une autre posture. Il est un acteur initiateur qui s’immisce dans un quotidien, dans une réalité pour s’emparer des atouts qui existent, dialoguer et composer avec. L’architecte est un acteur comme les autres avec son bagage et son savoir. Il est un habitant, un usager, un citoyen. Il n’est plus seulement l’architecte. Il fait parti d’une équipe aux multiples compétences. Ce travail questionne également la manière dont nous abordons un (ce) projet d’architecture. Il encourage la collaboration. Il aborde la présence sans indécence. Cette méthode employée favorise l’échange et le savoir faire « soit même ». Il requestionne aussi notre approche du patrimoine. De son évolution par la vie qui l’habite, les moeurs qui évoluent et de l’histoire commune que nous écrivons. Par l’approche du dialogue et de l’échange, ce travail envisage une manière d’appréhender la réhabilitation de tout un parc immobilier d’une manière « douce » et profonde.
Images de gauche : Yona Friedman, Utopie réalisable, 1974. Source internet
J’apprends l’architecture encore est toujours. Maintenant, il me reste à apprendre à être une architecte. 87
Bibliographie
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Bouchain Patrick (sous la direction de), Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement, éd. L’impensé NAC-Actes Sud, Hors-série, 2010.
Nadaud Stéphane, article : Qu’est-ce que l’écosophie ? Source : http://www.editions-lignes.com/ FELIX-GUATTARI-ECOSOPHIE.html
Cazier Jean-Philippe, Félix Guattari : qu’est-ce que l’écosophie ?, article d’édition, 14 février 2014. Source : http://blogs.mediapart.fr/edition/bookclub/article/210214/felix-guattari-quest-ce-que-lecosophie Contal Marie-Hélène (sous la direction de), Ré-enchanter le monde, l’architecture et la ville faces aux grandes transitions, éd. Manifestô, 2014. Darrieux Margaux, J’habite, tu cohabites, il héberge, nous construisons, AMC, n°23, avril 2013, pp 12-15. Frey pierre, terre à terre, in AA’, n°393, 2013, pp 63-71. Guattari Félix, Les trois écologies, Broché, 2008. Hall Edward T., La dimension cachée, éd. du Seuil, 1966. Hall Edward T., Au delà de la culture, éd. du Seuil, 1979 ( version originale 1976). His Ghislain, La matérialité comme récit, d’un récit culturel à la production d’une pensée, BBF, janvier 2015. Kapfinger Otto, Terra firma domestica, in 88
Rabhi Pierre, Vers la sobriété heureuse, éd. Babel essai, Acte Sud, 2010. Rifkin Jeremy, La troisième révolution industrielle, éd. Babel essai, 2011 Paquot Thierry, Hassan Fathy, construire avec ou pour le peuple? , Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 109 | 2009, mis en ligne le 31 juillet 2009, consulté le 01 mai 2015. URL : http://chrhc.revues. org/1907 Younès Chris, Madec philippe, Indéfinition de l’architecture, éd. de la Villette, 2009. lien internet : http://www.lamaisonnature.ch/ http://www.salimanaji.org/ http://ucllouvain.be/44/524.htlm Conférence Pierre Blondel, 12/10/2011 http://collectifetc.com http://les-saprophytes.org © Crédit photos et illustrations sont de l’auteure, sauf mention contraire. Année 2014/2015.
Annexes
1. Article écrit par le Collectif ETC DES ARCHITECTES ORDINAIRES. Crise économique, crise sociale, crise de la démocratie, crise énergétique, crise de l’éducation, crise du logement… Nous sommes aujourd’hui entrés dans une situation de crise généralisée, globale. Et c’est peut-être notre meilleure chance ! Nous, ce sont les gens ordinaires. Qui habitons la ville. Ou à la campagne, quelle différence… Mais qui vivons en société, avec d’autres. Cela signifie que tous nos actes se doivent d’être pensés comme des actes politiques, au sens où l’on doit en considérer les effets collatéraux induits. Un geste du quotidien – acheter une tomate ! – peut-être porteur de revendications sociales, économiques et écologiques. La capacité à changer le monde est à la portée de tous. Alors la question des échelles s’efface. Nous devons re-découvrir nos villes, nous réapproprier nos quartiers, nos rues et nos places, et ré-apprendre le « vivre-ensemble ». Parler à son voisin, à son épicier, ou à un inconnu doit se faire en toute simplicité. Descendre une chaise pour s’installer en bas de son logement doit re-devenir une banalité. Re-devenir acteur de son quartier ou de sa ville, et s’y impliquer. Et, pour garder la fraicheur de la vie, ces actes doivent être porteurs d’optimisme. Ne faisons pas «contre», mais «pour». Ne faisons pas «sans», mais «avec». Cherchons à atteindre un idéal collectif, et ancrons, dans le sol, notre utopie. Parfois, nous, gens ordinaires, sommes architectes. Qui travaillons en ville. Ou à la campagne, quelle différence… Mais qui exerçons en
société, avec d’autres. Cela nous donne une certaine responsabilité, un peu particulière. Nous avons la charge, ou le plaisir, de concevoir des espaces de vie, de rencontres, d’échanges. Nous avons la possibilité de donner un cadre, un paysage, à la société dans laquelle nous vivons. La possibilité de proposer des conditions d’émergence physique à des désirs collectifs. Nous sommes arrivés à une situation étonnante : l’impérative participation des habitants à la fabrique de leur ville est actée, inscrite dans des textes de loi ! Ne devrions nous pas plutôt nous poser la question de savoir comment nous, architectes, pouvons participer à la vie de la société, comment nous pouvons nous mettre au service de nos concitoyens. Et comment, avec nos propres outils, nous pouvons contribuer à une construction collective. Alors il convient de se poser les justes questions, et se demander quelle éthique, quelle ligne de vie, autrement dit quels projets individuel et collectif, nous défendons. Qu’est-ce que notre réalisation implique. Qu’est-ce que cela génère. Et de ré-interroger toutes les étapes du processus. Prenons bien le temps d’interroger la commande publique. Qui a défini ses modalités ? Cette personne ou ce groupe sont-ils légitimes ? Quel projet politique est porté par cette commande ? Et avant même de produire une esquisse d’architecture, assurons-nous de comprendre le système de gouvernance dans lequel nous sommes pour pouvoir, le cas échéant, le repenser. Nécessité alors de savoir être force de proposition afin d’inverser les hiérarchies, de bousculer les codes établis. Concevons collectivement et assumons une flexibilité, une souplesse, dans les processus mis en place. Transgresser les normes lorsque c’est utile pour nourrir un projet – de vie. Faire un pas de coté. Interrogeons aussi le financement des 89
projets. D’où provient l’argent ? N’hésitons pas à ré-interroger le système économique et sa complexité. Interroger les économies de projet c’est développer l’ingéniosité. Repenser le jeu des acteurs, les transversalités des compétences et les règles en vigueur. Formuler des alternatives et les expérimenter. Et ainsi de suite à chaque étape, à chaque parole, à chaque envie. Et de temps en temps, nous, les architectes, construisons des espaces publics. Nous les construisons en ville. Ou à la campagne, quelle différence… Mais nous les fabriquons en société, avec d’autres. Le temps du chantier, cet état créatif où tout se met en branle, devient un temps privilégié. Cette étape de modification d’un paysage devient un temps des possibles. Exploitonsle, et ouvrons les chantiers ! Ouvrons-les même avant qu’ils ne commencent. Servons-nous de ces futurs évènements pour mobiliser, pour rassembler et donc pour réévaluer. Par le bouche à oreilles, par la rumeur, par des parades, par des performances artistiques, par le mythe… Qu’on les ouvre et qu’ils deviennent des lieux d’émergences de nouveaux liens entre les hommes. Qu’ils suscitent le débat. Qu’ils servent de support à un apprentissage commun, à une éducation populaire, et soient le lit d’une culture collective. Qu’ils soient le prétexte à des rencontres et à des échanges de savoirs et de compétences. Qu’ils soient des lieux d’auto-formation, où les codes tombent et où s’effacent les traces de l’appartenance sociale. L’ingénieur a surement autant à apprendre d’un maçon que l’inverse, un avocat d’un agriculteur, un médecin d’un électricien… Qu’ils soient des lieux festifs. Que l’on y mêle les cultures, et que des échanges se produisent. Que l’on y mange, que l’on y joue de la musique, que l’on y danse et que l’on y rit. Que les festivités servent à soulever de nouvelles questions et peut-être apporter de 90
nouvelles réponses. Ouvrons-les et prolongeons-les. Ils seront appropriés plus généreusement. Plus respectés. Et pourront peut-être redevenir des espaces de démocratie, et servir ainsi à la ré-inventer. Ne cherchons pas à achever les villes. Elles en mourraient. Gardons les en mouvement. Et en chantier. Repensons les temporalités de projet, et questionnons sans cesse nos cités. Attardons-nous sur les processus, plus que sur les finalités, car ils sont toujours ajustables, toujours négociables. Mutualisons les forces vives pour construire ensemble, organisons-nous collectivement, nourrissons-nous les uns des autres pour mieux vivre l’un avec l’autre, et retrouvons l’essence de notre besoin de vivre en société : la convivialité.
2. DE Matérialité, Culture et pensée constructives Ateliers de Projet Printemps (Master) : groupes de Vincent Ducatez et Ghislain His De 1930 à 2030 “… Although Rifkin pays relative little attention to architecture in his book, his argument has profound implications for the profession’s future: how we will plan cities, design buildings, practice architecture, and educate architects. The Third Industrial Revolution “will fundamentally change every aspect of the way we work and live,” Rifkin writes. Small-scale, crowd-funded fabrication will gradually replace large-scale, capital-intensive manufacturing; nimble, networked organizations will steadily prevail over big, hierarchical companies; and the global movement of digital files will increasingly supplant the global trade
of goods. If the steam engine became the iconic technology of the First Industrial Revolution and the assembly line that of the second, 3D printing may well become the icon of the third...” «… Alors que Rifkin accorde relativement peu d’importance à l’architecture dans son livre (note: La Troisième Révolution Industrielle), son argument a de profondes implications pour le futur de la profession : comment allons-nous planifier nos villes, concevoir des bâtiments, pratiquer l’architecture et former les architectes ? La Troisième Révolution Industrielle ‘va fondamentalement transformer chaque aspect de la façon dont nous vivons et travaillons’, écrit Rifkin. La fabrication à petite échelle et financée participativement va graduellement remplacer la production de masse exigeant de forts capitaux ; des organisations agiles et en réseaux vont rapidement prendre le dessus sur les grosses entreprises hiérarchisées ; et le mouvement global des données informatiques va de plus en plus remplacer les échanges marchands planétaires des biens. Si la machine à vapeur devint la technologie iconique de la Première Révolution Industrielle et la chaîne d’assemblage celle du second, l’impression 3D pourrait bien devenir celle du troisième… » Fisher Thomasi, Architecture and the Third Industrial Revolution in www. architectmagazine.com Selon certains chercheurs, la Terre serait entrée avec l’ère industrielle dans une nouvelle ère géologique : l’anthropocène. L’implication de cette prise de conscience fut partiellement explorée mi-octobre 2014 à Toulouse lors du colloque-performance ‘Anthropocène-Monument’ organisé par Bruno Latourii et Bronislaw Szerszynskiiii Voir : www.lesabattoirs.org/evenements/
anthropocene-monument-un-colloqueperformance L’objectif de l’atelier de projet de cette année est résolument prospectif. a) Matériaux et mises en œuvre : Il s’agit d’interroger et de réévaluer les systèmes de mise en œuvre et les matériaux utilisés, en particulier en étudiant les conséquences et la pertinence des imprimantes 3D dans la construction d’architectures. Sans moule, sans coffrage, que permettent aujourd’hui les “imprimantes” 3D en béton ? La possibilité de digitaliser une façade permet t elle ensuite “d’imprimer” un textile innovant 3D sur mesure ? b) Co-design : Il s’agit de mettre en place de nouveaux systèmes de co-conception du projet, de design collaboratif avec des échanges inter écoles (écoles d’ingénieurs, écoles de design) visant à une plus grande diversité, efficacité et gestion des complexités multiples des projets contemporains. c) Responsabilité énergétique : S’il est relativement aisé de concevoir un logement passif neuf, voire à énergie positive, il en est tout autrement pour la transformation/réhabilitation énergétique d’un logement existant. Pourtant c’est là que réside la vraie différence : au taux de remplacement des logements existants de l’ordre de 1 à 2% par an, il faudra donc 75 ans pour remplacer 100% du parc par des logements RT2012 ! Comment mettre au point des techniques ou conceptions à impact massif pour l’existant ? Terrain d’études : Le prétexte de cette année est ce qu’on appelle “la maison 1930”. L’objectif est de la transformer en “démonstrateur de la 3° révolution industrielle”. Les règles de cette transformation sont inspirées du concours Solar Decathlon Europe. Méthode et organisation : 91
Plusieurs visites et rencontres avec les centre de recherches et développement d’entreprises intéressées seront mises en place, ainsi que des ateliers intensifs, type workshops, permettront de travailler des questions multiples comme, entre autres : comment construire léger ? Comment construire rapide ? Comment construire éco-responsable ? Comment construire en site occupé ? D’autres questions plus liées à l’énergie seront travaillées, comme en particulier celles qui étudient les différentes temporalités (jour/nuit, occupé/inoccupé, été/hiver, etc.). Les ateliers poursuivent évidemment les objectifs pédagogiques énoncés dans le carnet de l’étudiant pour les ateliers de printemps du Domaine d’études Matérialité, pensée et culture constructives. La semaine intensive sera opérationnelle dès 9h le lundi 16 février. Chaque jour donnera lieu à une production spécifique, des rencontres ou des visites. Un voyage d’études est prévu du 10 au 15 mars à Stuttgart ,Tübingen, Bregenz et le Vorarlberg. 3. DE Matérialité, Culture et pensée constructives Ateliers de Projet Printemps (Master) La matérialité comme récit Contenu et Organisation La matière induit-elle la forme architecturale ou est-ce la conception de la forme qui détermine la matière ? Si l’intuition précède la raison, peut-on raisonner le sensible dans le processus de création ? Cet atelier vise à décloisonner les savoirs. Il 92
appelle à la fusion du sensible et de la raison, de l’art et de la technique, des dimensions esthétiques et éthiques de l’architecture, de l’intuitif et de la connaissance. Pour ce faire, il propose des méthodes de travail permettant de déployer un sujet – la matérialité de l’architecture et sa mise en œuvre contemporaine - depuis une situation, prétexte à expérimentations poétiques et polémiques. L’objet de l’atelier est volontairement cerné – pas de complexité fonctionnelle ou de grande échelle - pour centrer le sujet vers la capacité de l’architecte à penser conjointement construction, atmosphère et énergie en parallèle des autres enjeux de l’architecture. Elle permet de concentrer son attention sur la conception du projet à partir de sa réalité concrète (la matière, le matériau) ou de ses effets (la matérialité), en prenant en compte les dimensions immatérielles de l’architecture : flux et qualité de l’air, lumière, température, confort (ambiance, climat, acoustique), éco-responsabilité, etc. Il s’agit d’ouvrir un faisceau de questionnements, depuis la phénoménologie architecturale jusqu’à la découverte des logiques, limites et potentiels de l’industrie du bâtiment, et la place de l’architecte dans celle-ci. Sera favorisée la mise en œuvre des processus innovants d’invention du projet, par des modes de partage collaboratifs avec des partenaires divers; universitaires, économiques, techniques, etc. Les futurs architectes devront trouver les outils et les moyens de la démonstration et vérification de leurs hypothèses dans le réel (dont prototypes). Les séances d’atelier sont essentiellement des séances de travail sur place animées régulièrement par des compléments : cours, séminaires, laboratoire d’expérimentations,
questions de représentation. En lien étroit avec le TD STA, des conférences, visites (lieux de production, de transformation ou de distribution de la matière, chantiers, etc.), workshop (y compris inter écoles), voyage à l’étranger, contribuent à expérimenter physiquement l’architecture, à analyser les modes de construction et de production, et à enrichir la culture architecturale. Les étudiants sont fortement invités à articuler les notions abordées lors des exploratoires ou lors des séminaires d’initiation à la recherche, avec leurs connaissances accumulées et leurs expérimentations personnelles. Les étudiants en PFE peuvent proposer un objet d’étude propre répondant aux paramètres du semestre. Les deux ateliers de V. Ducatez et G. His fonctionnent ensemble, celui d’A. de Bellaigue en parallèle. L’atelier de V. Ducatez est bilingue francoanglais. Principales références bibliographiques GOODMAN Nelson, L’Art en théorie et en action, L’éclat, 2001, Gallimard, Paris, 2009 JUDD Donald, ‘specific objects’ in Complete Writings, 1975-1986, Eindhoven, NL: Van Abbemuseum, 1986 MERLEAU-PONTY Maurice, La phénoménologie de la perception, NRF, 1945, Gallimard, Paris, 1976 PICON Antoine (ss. dir.), L’art de l’ingénieur, constructeur, entrepreneur, inventeur, éd. du Centre G. Pompidou, Paris 1997 ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Birkhäuser GmbH, Bâle, 2008 4. Matérialité et culture constructive Responsables : Ghislain His, Didier Debarge, Vincent Ducatez
La spécificité de ce domaine d’études est de travailler la problématique des relations entre architecture et matière ou, pour le dire autrement, des liens qui articulent l’architectural (qui serait de l’ordre du penser) à l’architectonique (qui serait de l’ordre de la réalité matérielle). L’hypothèse sous-jacente est que le réel est une condition de la poésie, mais aussi que le fait architectural fait coïncider le manuel et l’intellectuel. Ce domaine d’études est le lieu de l’élaboration progressive d’une pensée critique en actes qui mobilise divers domaines : - L’histoire de l’architecture mais aussi l’histoire de l’art en lien avec l’histoire des sciences et des techniques (épistémologie). L’origine de l’architecture est toujours en débat entre la structure (abbé Laugier) et la texture, le tissage (Semper). Le matériau lui-même est-il un récit ? La création architecturale passe t-elle par une invention technique ? - L’art, et particulièrement les interactions entre la forme et la matière. La forme peutelle être pensée indépendamment de la matière ? Si oui, quelle est sa substance ? Si non, la matière induit-elle une forme ? Quelle est l’échelle de la matière ? La construction peut-elle être un art ? La lumière est-elle un matériau d’architecture ? - La philosophie, avec par exemple la question de la technique si chère à Heidegger, mais aussi la phénoménologie (Hegel) et ses questionnements sur l’expérience et l’intuition sensible (Husserl, Dewey). Comment penser la matière ? La matière peut-elle être une représentation ? Le matériau est-elle une culture ? Les enseignements y développent par conséquent des démarches fortement liées aux aspects physiques de l’architecture. Ils travaillent selon diverses modalités des questionnements similaires: 93
- sur les questions constructives (structure, enveloppe, assemblages) - sur la mise en oeuvre de la matière dans le projet d’architecture (chantier) - sur la matière elle-même (économie, texture) Les enseignements proposent par conséquent d’affronter le réel sans l’idéaliser pour mieux le transformer, l’inventer, en apprenant par l’expérience, par l’action (s’engager, faire, défaire, refaire). La matière est pensée ici dans ses dimensions technique et sensible autant que sociale. Les studios de projets concentrent leurs préoccupations sur les mutations progressives de la matière, éventuellement spécifiques par les architectes (par rapport aux industriels en amont) et qui est peut être une des caractéristiques fondamentales de la discipline architecturale. L’étudiant est dès lors confronté aux cycles de production, de transformation et de distribution de la matière : du sol ou sous-sol agricole à l’industrie, du paysage à l’infrastructure, du sol à la couverture, de la matière au matériau. Il découvre alors les problèmes de stockage, de transport, d’outillage qui y sont associés. Il peut ainsi se poser concrètement des questions de mise en oeuvre, d’organisation de chantier, d’assemblage, de montage et de démontage, de sécurité ou de délais de fabrication en connaissant les dimensions, les poids, les coûts des matériaux. Ainsi, les critères de validation concernent l’efficacité, l’élégance et la justesse d’un projet matérialisé. Des compléments théoriques et historiques viennent compléter l’hypothèse de la spécificité matérielle de l’architecture dans les séminaires, manière de construire progressivement des doctorats en architecture intimement liés à cette question.
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“Dans un café, communication de travail entre deux types qui se communiquent leurs sentiments et réflexions à partir de documents divers. L’un part plutôt d’un système d’explication du monde qu’il démontre à l’aide d’images et de sons assemblés dans un ordre certain. L’autre part plutôt d’images et de sons qu’il assemble dans un certain ordre pour se faire une idée du monde.” Jean-Luc Godard
Remerciements Je tiens à remercier de tout coeur, Toma Le Roy pour avoir partagé avec moi ces condiments intellectuels qui ont nourri et questionnés les interrogations et réflexions dans ce présent rapport, ainsi que Levanah Ducret pour son regard et ses lectures bien veillants. Je remercie également ma famille support de toujours. Merci aux membres de l’atelier et particulièrement à Lola, Adrien, Simon, Myriam, Julie, Alexia, Raquel pour leur enthousiasme, leur motivation qui ont apporté une concrétisation, une force commune et un plaisir au travail collectif. Je remercie mes acolytes Alice et Denis qui m’ont supportée et qui ont partagé avec moi cette expérience, ce travail de groupe qui, m’est si cher, et d’avoir pris position avec moi sur le chemin de notre futur. Merci aux Jacquelines. Merci à Ghislain His et Vincent Ducatez pour avoir encadré ce riche semestre et animé ce mémorable voyage d’étude. Merci à tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à la mise en forme de ce projet.
© Myriam Lahnite conception graphique: My.La auto-impression 2015 95