LE RETOUR ÉTERNEL DE LA CABANE PRIMITIVE

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LE RETOUR ÉTERNEL DE LA CABANE PRIMITIVE

A&E



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QUESTIONS D’ECHELLE LE RETOUR ÉTERNEL DE LA CABANE PRIMITIVE, ENTRE ARCHÉTYPE ET CLARTÉ STRUCTURELLE

Séminaire Architecture & Expérience 2018-2019 Flavien Leblond Natalia Vacheishvili



REMERCIEMENTS

En préambule, nous souhaitons remercier l’ensemble des personnes qui ont permis l’élaboration de ce mémoire dans le cadre de l’exercice de Séminaire du Master Architecture&Expérience à l’EAVT. Eric Lapierre, professeur encadrant et responsable de la filière Architecture&Expérience, qui par la mise en place de réflexions au sein du master, par le suivi de l’évolution de notre travail au cours de l’ année et par son regard apporté sur notre travail, nous a permis de développer ce mémoire, Mariabruna Fabrizi et Fosco Lucarelli, professeurs encadrants de l’exercice de Séminaire, qui nous ont accompagné tout au long de cette année, nous ont permis de développer nos réflexions et nous ont soutenu pour aboutir à ce résultat, Le personnel de la bibliothèque de l’EAVT, qui s’est employé à nous faire disposer d’un cadre favorable à la recherche, Les professeurs encadrants de Projet, qui ont fait mûrir notre regard sur l’architecture au cours de ces années de Master, L’ensemble des élèves du Master, qui, par leur aide et leurs discussions, nous ont permis de faire avancer notre travail.



SOMMAIRE Présentation du sujet d’étude INTRODUCTION Définition de la petite taille Le mythe de la petite taille L’histoire de la cabane primitive

11 13 17 23

Problématique

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EXALTATION Temple Athéna Niké Tempietto San Pietro Belvédère Petit Trianon

33 43 51 59

ABSTRACTION Farnsworth House Pavillon Librairie Sainte Chapelle

67 77 85 93

ESSENTIALITÉ Le cabanon Le salon de thé House in a Plum Grove

101 111 121 129

Bibliographie

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INTRODUCTION



13 Définition de la petite taille

Le prélude à l’initiation des recherches de ce mémoire est lae besoin d’attribuer une définition à la petite taille. Le sujet portant sur la relation de l’économie de moyen à celle de l’économie de mesure, l’objectif était de définir ce qu’était l’économie de mesure au regard de l’architecture de petite taille ou de tout autre support d’expression. La définition commune du petit selon le Larousse est que ce qui est petit est ce qui a des dimensions moindres que les dimensions moyennes. Le terme est aussi définit par la définition : « Dont la dimension, la taille, sont inférieurs à ce qu’on considère comme normal, qui a peu d’étendue, d’importance. » Ces définitions impliquent des critères subjectifs sur l’appréciation de la petite taille par l’emploi des termes « moyenne » et « normalité ». Que serait la moyenne en architecture et que signifie-t-elle? La question se pose de la même manière pour la normalité. On comprend à travers ces premières réflexions que les bâtiments contenus dans cette étude ne seront donc pas intégrés à ce corpus en raison de leurs surfaces ou de leurs dimensions à travers des critères pré-établis mais seront mis en perspective à travers le travail d’un même architecte, d’une même époque ou sur un programme de même nature . On ne pouvait décider que l’on intégrait dans notre réflexion uniquement des bâtiments inférieurs à une surface ou un volume, définits de manière subjective. On peut retrouver dans cette étude des bâtiments comme la Sainte Chapelle, de 33m de long et de 42m de haut de la même manière qu’on peut y retrouver des bâtiments comme le Cabanon de Le Corbusier d’uniquement 3,66m de côté.



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Rem Koolhass, dans son livre S,M,L,XL, organise sa réflexion et ses oeuvres architecturales selon des critères de taille. Il n’apporte pas de réponse aux critères d’intégration de la partie S mais définit avec précision la partie L dans un article appelé « Bigness ou le problème de la grande taille ». Etant le premier architecte à théoriser l’architecture selon des critères de taille, la définition du L devient, par opposition, une première définition du S. Elle est définit comme tel : 1-Une telle masse ne peut plus être contrôlée par un seul geste architectural, ni même par une combinaison de gestes architecturaux. 2-Les problèmes de composition, d’échelle, de proportion, de détail sont désormais caducs, à cause de l’ascenseur qui a aujourd’hui annulé le répertoire classique. 3-La façade ne peut plus révéler ce qui se passe au dedans par la distance devenue trop éloignée entre la façade et le noyau. Deux travaux s’opèrent en simultané. 4-Par leur seule taille, ces bâtiments entrent dans un domaine amoral, par-delà le bien et le mal. Leur impact est indépendant de leur qualité.



17 Le mythe de la petite taille

La question de la petite taille n’est pas une reflexion réservée aux seuls architectes. On la retrouve dans l’ensemble des époques et elle transporte avec elle l’histoire, les mythes et les qualités intrinsèques qu’on lui a attribués. La Théogonie d’Hésiode est une oeuvre du VIIIe siècle avant JC qui joue un rôle fondateur dans l’élaboration de la mythologie grecque. Le poète grec y relate l’émergence du règne de Zeus et y définit les différentes divinités. Le mythe entourant la déesse Metis traite de la question de l’échelle. Elle est la personnification de la sagesse et de l’intelligence. Elle y est décrite comme celle « qui sait plus de choses que tout dieu ou homme mortel ». Elle est la première épouse de Zeus. Alors que Métis est enceinte d’Athéna, Ouranos et Gaïa prédisent à Zeus qu’un fils de Métis sera appelé à le supplanter. Zeus, par la ruse, décide de l’avaler. Alors réduite et présente dans les entrailles de Zeus, elle va l’aider afin de lui permettre de distinguer le bien et le mal. La réduction devient, à travers ce mythe, associée aux qualités inhérentes de la déesse Metis. Dans la mythologie grecque, la taille et le savoir sont aussi associées à travers la représentation des attributs masculins dans l’art sculptural. La nudité y est célébrée et les sculptures sont une apologie du corps à travers l’expression d’une forme idéaliser des critères de beauté de l’époque. L’homme doit être rationnel, intelligent, contrôlé, capable de dépasser son animalité. Il est la raison qui domine le désir. La grande taille est réservée aux satyres, créatures animales et barbares. Les petits attributs sont le signe d’intelligence, de contrôle de soi et de virilité. Cette question de l’intelligence relaté à travers l’expression de la petite taille est reprise dans les Contes de Charles Perrault (1697) avec l’histoire du Petit Poucet. Le plus jeune de la fratrie fera preuve

Illustration: David, Michel-Ange, 1501



19 d’intelligence et d’habileté afin de sauver d’un ogre l’ensemble de ses frères et soeurs. Une autre qualité associée à celle de la petite taille est celle de la bravoure. Dans l’Ancien Testament, David est un jeune berger, dernier de sa fratrie. Une guerre oppose Israël et les Philistins, emmenés par Goliath, un géant de 6 coudées (2,90m). Les 3 frères de David participent à cette guerre mais David n’a pas l’âge pour y prendre part. Emmenée par sa foi en Dieu, David vaincra le géant après avoir convaincu le Roi Saul de l’y laisser aller. L’Histoire de Tom Pouce relate un fait similaire. L’histoire est celle d’un petit homme, pas plus grand que le pouce de son père, qui traverse diverses aventures. C’est le premier conte merveilleux qui sera imprimé au Royaume-Uni1. De nombreuses variantes du conte existent dans diverses pays2. Dans l’Histoire de Tom Thumb écrit en prose et attribuée à Richard Johnson, Tom Pouce y est décrit de la sorte : « A la cour du Roi Arthur vivait Tom Pouce Homme de grande puissance, Le meilleur de la Table ronde, Chevalier réputé de bravoure. D’une stature d’un pouce de hauteur, Ou le quart d’un empan. » L’encensement de la petite taille ne se réalise pas que par la retranscription de ses qualités mais aussi par la dévalorisation de la grande taille. Cette dévalorisation est incarnée par le personnage de l’ogre dans les contes populaires. L’ogre est un mythe se présentant sous la forme d’un grand homme amateur de chair humaine. Il apparait dans la littérature au XVIIe siècle avec Charles Perrault. Les personnages de Gorgone ou Gargantua réalise la lien avec l’idée de dévoration et d’engloutissement à travers l’utilisation de la racine de l’étymologie du mot gorge. L’ogre rappelle aussi les Titans qui se révoltèrent contre les dieux aux origines du monde. Sa parenté avec le diable dans les contes germaniques souligne sa nature mortifère. 1  The History of Tom Thumb, Richard Johnson, Londres, 1621 2  La plus connue est celle des Frères Grimm en 1819. Illustration: Le Petit Poucet, Les Contes de Perrault, Gustave Doré, 1867



21 Il s’apparente également à l’animal prédateur carnassier par son flair, sa vue insuffisante, son manque d’intelligence, son appétit bestial et par le fait qu’il dévore crues ses proies. On retrouve cette idée dans la mythologie grecque à travers la représentation des géants. Ils y sont fréquemment représentés avec une apparence humaine mais les jambes sont remplacées par des serpents, allégorie des enfers. On ne peut parler de la question de la petite taille sans évoquer la thématique de l’enfance. L’enfance est le moment de la vie où l’on est petit. C’est une période où l’on peut se laisser porter par des imaginaires entre vie réelle et personnages de contes. On est capable de vivre une vie, à travers le jeu, sans se soucier de contraintes matérielles ou spatiales. Didier Massard est un photographe qui réalise ses photos à partir de dioramas miniatures en trompe-l’oeil, qui représente des scènes romantiques oniriques, des paysages fantastiques. Les photos sont entièrement réalisées en chambre, comme il aime à le dire, devenant une allégorie du thème de l’enfance. Alice aux Pays des Merveilles incarne ce thème de l’enfance par la description de son monde merveilleux, parralèle du monde réel. Le thème de la réduction n’est évoquée qu’à travers l’imagination du lecteur, Alice tombant dans un terrier de lapin où elle y découvre le Pays des Merveilles. On retrouve l’idée de l’enfance en architecture à travers la retranscription de l’idée de la cabane, protectrice du monde extérieur et vecteur de création imaginaire. Jouer à habiter ; habiter pour jouer. Jouer à vivre différemment. Jouer à être un autre. Ils ont pour objectif de plonger dans un monde nouveau. Ces projets et ces désirs sont d’ailleurs, de plus en plus souvent, repris par le monde adulte qui rêve de bâtir des maisons dans les arbres ou de loger, le temps de vacances, dans des cabanes en pleine nature, laissant de côté temporairement leurs exigences de confort habituelles. Un exemple du parfait assemblage du monde de l’imaginaire et de la cabane, reflet de l’enfance, est le Mirror Cube de Tham et Videgard en Suède.

Illustration: Didier Massard, Making of, Le Glacier, 2015



23 L’histoire de la cabane primitive

A travers l’histoire, les architectes se sont intéressés à la cabane primitive pour des raisons diverses. Une des raisons principales de cet intérêt est la structure essentielle et authentique de la cabane primitive qui se pérennise. Elle transcrit une expression architecturale claire. La cabane primitive suggère l’utilisation de la seule structure essentielle afin d’en achever la fonction première, celle de l’abri. L’observation du phénomène de la cabane primitive date d’il y a longtemps. Vitruve1 imagine que c’est le feu qui permet d’abord aux Hommes de se rassembler et d’habiter ensemble. L’homme a construit un premier abri par nécessité, par besoin de survie aux intempéries. La construction a ensuite évoluée en fonction de l’environnement et des matériaux disponibles. L’homme progressait dans sa manière de bâtir des cabanes grâce à l’imitation de la nature et de la transmission de ses savoirs. Les proportions spatiales se sont progressivement définies en fonction des proportions du corps et des activités humaines qu’elles abritent. Vitruve retranscrit l’application des principes d’un élément structurel simple d’une habitation sur des bâtiments à plus grande échelle et de programmes différents : “C’est grâce à l’imitation de l’assemblage des pièces de bois réalisé par les charpentiers dans les maisons ordinaires, que les architectes ont créé la disposition des parties qui composent les grands bâtiments de pierre et de marbre”2. Les traités de Vitruve développent le fait que l’architecture est donc une chaine d’évolution formelle et structurelle qui a débuté par l’abri primitif.

1  Vitruve (v. 90 av. J.-C. - 20 av. J. C.1) est un architecte romain. Son traité, De Architectura est l’essentiel des connaissances sur les techniques de construction de l’antiquité classique. 2  p.64. Celse, Vitruve, Censorin, Oeuvres complètes: avec la traduction en français, 1846



25 Pour Marc-Antoine Laugier3, les origines de l’architecture ne proviennent pas d’une référence historique, mais sont fictives. Son hypothèse est quasiment scientifique. Selon lui, l’origine de l’architecture est une cabane primitive dont la fonction essentielle est celle de l’abri. La petite cabane rustique représente la première maison de l’homme. Elle est composée de quatre poteaux, de quatre poutres et d’un toit. Toute architecture qui imite ce principe de construction serait une bonne architecture, le meilleur exemple historique étant le temple grec. C’est ce dernier qui se réfère le plus aux principes de la cabane primitive. En raison de son statut d’origine de l’architecture, la cabane sert de fondement au sens culturel, s’élargissant de l’unique champ de l’architecture. Laugier utilise l’image de la cabane pour démontrer que dans tout ordre d’architecture, il n’y a que trois éléments essentiels : “la colonne (symbolisée par les troncs d’arbre), l’entablement (par les branches horizontales) et le fronton (par la pente à deux versants de la toiture).” C’est l’ossature qui donne l’expression à l’architecture. La simplicité de ce premier modèle est une perfection justifiée par le besoin de l’homme de se protéger des intempéries et permet à l’homme d’être en harmonie avec la nature, premier principe d’ordre et d’authenticité. Le principe de construction essentiel, conforme à la raison, est donc atemporel. La gravure de l’illustration est une image allégorique de la femme idyllique. Les troncs d’arbres, solidement enracinés dans la terre, montrent une solidité structurelle naturelle. Les pièces horizontales forment l’entablement et sont supports de la toiture. Les branches placées en diagonale sont recouverts de matières naturelles : des feuilles, de la mousse et des débris de sol qui protègent les habitants des conditions extérieures. On observe, chez Viollet-le-Duc4, un intérêt pour la recherche de la structure essentielle dans l’architecture médiévale. L’architecture 3  Marc-Antoine Laugier (1713-1769) est un abbé, théoricien de l’architecture français du 18ème siècle. Son Essai sur l’Architecture (1753) énonce une interprétation rationnelle du classicisme comme une expression du besoin d’abri, dérivée de la cabane primitive. 4  Viollet-le-Duc (1814-1879) est l’un des architectes français. Il a créé la base pour l’architecture moderne, par ses écrits théoriques marqués par le rationalisme (Entretiens sur l’architecture, 1863). Illustration: La cabane primitive selon Marc-Antoine Laugier, Couverture de Observations sur l’Architecture, 1753



27 médiévale résulte de la synergie parfaite entre les lois éternelles et rationnelles de l’art et la construction qui s’adaptent aux conditions variables de l’époque et du lieu. Pour lui, toute forme a sa raison, support des principes d’origine. Aujourd’hui, on peut appliquer les arts anciens car leurs principes sont pérennes depuis des siècles. Le premier abri aurait été sous un arbre, mais il n’aurait pas assez bien protégé. A travers l’illustration, Viollet-le-Duc décrit la cabane primitive. Elle est, pour lui, l’espace de rencontre central des tribus, construite avec des arbustes formant un cercle, qui se rejoignent à leur sommet. Ils créaient une image de la voûte d’ogive. Il fait un parallèle avec ce principe de l’architecture médiévale. Ici, le mur perd sa fonction porteuse et laisse sa place à l’ossature. L’ossature est indépendante et porteuse. Une enveloppe légère y est appliquée, et se réfère au principe de la voûte de la cabane primitive, précédemment décrite. “Aussi, le lendemain, choisit-il deux jeunes arbres espacés l’un de l’autre de quelques pas. Se hissant sur l’un d’eux, il le fait courser par le poids de son corps, attire le sommet de l’autre à l’aide d’un vois crochu et, joignant ainsi les branches des deux arbres, il les lie ensemble avec des joncs. Les êtres qui sont accourus autour de lui son émerveillés. Mais Épergos n’attend pas qu’ils restent oisifs et leur fait comprendre qu’il faut aller quérir d’autres jeunes arbres dans les environs. Avec leurs mains et des bâtons, ils les déracinent et rament ver Épergos.”5 Gottfried Semper6 identifie quatre éléments qui constituent l’abri. Le premier est le coeur de l’abri, représenté par le foyer et considéré comme l’espace de rassemblement des Hommes. C’est l’espace moral, symbole de l’architecture. Les trois autres éléments - la charpente, la maçonnerie et la clôture - servent de protection, face aux intempéries. La combinaison de ces quatre éléments évolue en fonction des matériaux, du climat et des relations sociales. Dans l’illustration de la Hutte caraïbe, il observe que les formes matérielles de la cabane correspondent aux quatre éléments. Il note que le tamis 5  P.5-6, Viollet -le-Duc, Histoire de l’habitation humaine, depuis les temps préhistoriques jusqu’à nos jours, Paris, Heizel, 1875, p.4. 6  Gottfried Semper (1803-1879) est un architecte et professeur d’architecture allemand Illustration: La cabane primitive par Eugène Viollet-le-Duc, Histoire de l’habitation humaine, 1875



29 tissé qui divise l’habitation, renferme le foyer en céramique. Il est distinct de la charpente en bambou, qui, elle-même, se sépare de la base en maçonnerie. Semper imagine que l’homme veut comprendre le monde, mais ne peut pas complètement l’expliquer. C’est pour ça qu’il crée un univers réduit, où les lois cosmiques s’exercent dans un système miniaturisé accessible à l’homme. De cette manière, l’homme satisfait son instinct cosmogonique. L’architecture ne peut pas être considérée comme une imitation de la nature au sens stricte, puisqu’elles ne s’inspirent de l’apparence de la nature. Elle doit être une manifestation et une projection des lois cosmiques dans la matière et la forme construite.

Illustration: La cabane primitive selon Gottfried Semper, Hutte caraïbe in Der Stil, 1863



Pourquoi les architectes choisissent-ils de construire a petite echelle ? De

quoi les architectes sont-ils a la recherche en construisant de petits bâtiments ?


L’Exaltation est l’élévation d’un sentiment à un haut degré. Ce sentiment peut être lié à la plénitude, qui est l’état de ce qui est à son plus haut degré de développement, dans toute sa force, son intensité.


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EXALTATION



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La réduction induit une plus grande densité d’éléments. Cette densité perceptible, qui dépasse la mesure habituelle, procure un sentiment d’intensité. Etant donné le plus grand nombre d’éléments perçu, l’observateur reçoit un plus grand nombre d’informations. Mais malgré cette quantité de données perçues, la vision globale lui est facilitée. Cette question de la densité est présente au travers de différents médiums d’expression. Dans Les Voyages de Gulliver1, le personnage principal se retrouve, lors de son premier voyage, après un naufrage, sur l’île de Lilliput. Sur cette île, les habitants n’y mesure que 6 pouces de haut. Dans le chapitre 4, Gulliver décrit Mildendo, la capitale de l’île, du haut de son point de vue. La visibilité sur la ville est complète et permet d’en faire une description à différentes échelles : de la forme et l’organisation de la ville à la description intérieure des salles du palais. On ressent, à travers cette description, la multitude des éléments perceptibles et l’intensité, liée à la découverte, que cela procure au personnage. Dans le texte, il sera même cité : « Je ne ferais point ici le détail (…) je les réserve pour un plus grand ouvrage ». En plus de la densité d’informations décrites, la perception de la ville dans son entièreté engendre un sentiment de pouvoir à Gulliver. De par son échelle différente de celle de la ville, lors de sa visite, il se déplace avec parcimonie et minutie afin de ne pas abîmer les éléments qu’il arpente. Cette précaution peut être vue comme le sentiment de pouvoir que sa taille lui procurerait. Sa taille lui 1  Les Voyages de Gulliver est un roman satyrique écrit par Jonathan Swift en 1721. Le roman a été écrit suite au krach de 1720 où la spéculation avait décupler la valeur des actions avant de s’effondrer et ruiner de nombreux commerçants britanniques. Le voyage du personnage de Gulliver serait une métaphore de ces fluctuations et lui permettrait de faire une satyre de la société de son temps.



37 donne la possibilité de détruire la ville s’il en avait l’envie. Au sens politique du terme, on peut considérer la notion de pouvoir comme un rapport de force (morale ou physique) entre individus ou groupe d’individus. La détention du pouvoir est le moyen d’exercer un contrôle sur la situation donnée. Lors de son séjour sur l’île de Lilliput, Gulliver sera d’ailleurs le point clé d’une bataille politique. On associe donc sa grande taille à cette notion de pouvoir et de contrôle. Si l’on replace ces notions au travers de l’architecture, l’idée de la vision globale perçue en simultanée de celles sur les détails, est vraie pour celui qui perçoit, tout comme elle est vraie pour celui qui conçoit. L’architecte, par la plus petite taille de l’objet construit, exercerait un plus grand contrôle sur l’objet. Ce contrôle lui permettrait une plus grande maîtrise à l’ensemble des échelles. « Un peintre en miniature2 doit être un bon dessinateur doublé d’une main sûre, précise et patiente » Pappe Bernd3 L’art de la miniature est associée au geste juste. Le peintre représentant des portraits à petite échelle doit accorder un soin particulier aux détails dans un soucis de représentation exacte du modèle. La représentation à petite échelle est lié à l’expression d’un talent, au soucis d’une très grande précision et à la justesse des gestes. On peut s’accorder à dire que ces notions sont l’expression d’une intensité dans l’objet représenté. Au XVIe siècle, en Europe du Nord, apparaissant les noix de prières4. Ce sont de petites pièces en bois de quelques centimètres, 2  La miniature est l’art de reproduire sur une petite surface le portrait d’une personne. La miniature vient du nom du minium qui servait de de pigment pour tracer les lettres sur les manuscrits au Moyen-Age. Avec l’usage de l’or et de l’argent, l’art s’est ensuite appelé enluminure. On peut dater les premières miniatures indépendantes des livres à la fin du XVe siècle. 3  Pappe Bernd (1966-..) est un historien spécialiste de la miniature qui a dirigé plusieurs expositions et écrit de nombreux livres sur le sujet. Cette citation provient de La miniature sur ivoire : techniques d’exécution et problèmes de conservation, Le Pays Lorrain, 1995. 4  Les noix de prières correspondent au développement du commerce en Europe et à la demande des fidèles d’objet facile à transporter pour prier peu importe l’endroit où ils se trouvent. Ce phénomène donne naissance à de toutes petites pièces de bois, riches en motifs iconographiques. Illustration: Diversions devant la cour à Lilliput, Illustration de voyage de Gulliver, 1875



39 sculptées et représentant des scènes bibliques. Elles sont d’une très grande richesse dans la précision et la finesse des détails. C’est la finesse donnée à chaque détail qui donne, ici, la préciosité de l’objet et renforce son caractère sacré. En 2017, au Rijksmuseum, a eu lieu une exposition sur ces noix de prières flamandes, intitulée Small Wonders. Tim Smith-Laing, la même année, écrit un article « Small but perfectly formed » pour l’Apollo Magazine afin d’y présenter l’exposition. Il y écrit la chose suivante. « J’ai rarement quitté une exposition avec le sentiment de ne pas avoir pu découvrir tout ce qu’elle proposait. Quasiment chaque pièce présente, prise seule, paraît trop riche pour la découvrir en un seul regard. »5 On peut réaliser le parallèle de la découverte de cette exposition avec celle de la découverte de Mildendo par Gulliver. La richesse proposée par l’élément découvert le transforme en objet savant. La complexité ne peut être perçue directement et laisse place à une certaine découverte infinie. L’élément devient un concentré, expression de sagesse et d’intelligence. Dans l’architecture de petite taille, les architectes utilisent les différentes règles de proportion établies depuis l’époque antique. Il réduisent les dimensions du bâtiment en y conservant les proportions, définition des critères de beauté de l’époque. La beauté du petit fait écho au travail de plusieurs contemporains. Une technique de photo appelée le tilt-shift vise à rendre l’objet photographié beaucoup plus petit qu’il ne l’est vraiment. La photo est parfaitement nette sur le sujet mais est floue sur tout ce qui se passe autour, laissant croire qu’elle a été prise de très près. L’esprit interprète, grâce aux effets visuels, la scène comme étant minuscule. L’effet de miniature a d’abord été l’apanage des objectifs à décentrement, ces objectifs “mobiles” dont la première vocation était de contourner les déformations de perspective, particulièrement prisé en architecture, mais est maintenant plus démocratisé grâce 5  Traduit depuis l’article original en anglais Illustration: Noix de prières, Représentation de la Nativité et de l’Adoration des Rois Mages, Adam Dircksz, 1510-1525



41 aux logiciels de retouches permettant la simulation de flous. Slinkachu est un street-artiste qui met en scène dans la rue de minuscules personnages destinée au modélisme de train. Ces petites scènes comptent des histoires quotidienne et cherche à interpeller les passants afin de les attirer vers tous les détails du monde qui les entoure. On retrouve, au coin d’une rue, un homme d’un peu plus d’1cm escaladant un lampadaire ou de petits enfants jouant sur des mégots jetés au sol. Que ce soit à travers l’effet visuel de miniature de la photographie ou de la photographie d’objets miniatures, l’expression graphique et l’effet sur le spectateur reste le même. Il a pour objectif d’exprimer cette densité d’information et cette exaltation visuelle.

Illustration: The Jetty, Slinkachu, Exposition Miniaturesque, Londres, 2014



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TEMPLE D’ATHENA NIKÉ 550 AV JC.



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La construction du temple d’Athéna Niké a débuté vers 550 av JC. En effet, les Athéniens décidèrent de dédier un petit sanctuaire, un téménos1 à Athéna Niké (qui donne la victoire). Il comprenait un petit temple et un autel. La dimension réduite du temple rappelle les Trésors de Delphes. Les trésors étaient de petits édifices principalement dédiés à des victoires de guerre. Entre les VIIe et IVe siècles, il y en a eu pas moins de 23 à Delphes. D’autres trésors de même espèce, également appelés oikos, ont été retrouvés à Olympie. A Delphes, si nombre d’entre eux s’inscrivaient dans le style dorique, certains employaient de nouveaux éléments, attestant d’une forte expérimentation. Leurs commanditaires avaient visiblement les moyens et le désir d’innover pour se distinguer de leurs rivaux. Le trésor de Cnide innove avec un tore 2à cannelures horizontales et son astragale 3 à motifs de perles et pirouettes, surdimensionnée et finement ciselée. Le trésor de Siphnos (525 av JC) présente une énorme perle à la place d’un tore à cannelures. Cet édifice innove également en dotant une charpente de porte d’éléments ioniques. Le Trésor de Massalia (550-540 av JC) allie des colonnes coiffées de chapiteaux à motifs de palmes à base adriatique et un fût dorique.

1  Un téménos est, dans la Grèce antique, l’espace sacré (littéralement l’« espace découpé » pour la divinité) constituant un sanctuaire, lorsqu’il est délimité par une enceinte appelée péribole qui peut prendre plusieurs formes (bornes, clôture, mur, portique). 2  Une moulure en forme d’anneau qui orne la base d’une colonne 3  L’astragale est une moulure arrondie, sorte d’anneau ou de boudin, encadrée par deux filets. Considéré comme un petit tore, il sépare souvent le chapiteau de la colonne. Illustration page précédente: Axonométrie plafonnante au 1/333e



47 Contrôle des détails Le temple d’Athena Niké, tout entier construit de marbre pentélique, est amphiprostyle44 tétrastyle5, cela signifie qu’il comporte un portique à 4 colonnes à l’avant et à l’arrière. L’édifice manifeste un grand degré d’excellence dans sa conception et sa réalisation. En effet, le temple ionique de Niké donne l’image d’une construction autonome, d’une composition qui, à l’issue d’une phase d’investigation, aurait atteint un résultat définitif et satisfaisant. Cette constatation provient des nombreux éléments architectoniques qui semblent répondre aux questionnements de retournement et d’harmonisation des différentes façades. L’édifice exploite la capacité du chapiteau ionique à former une version d’angle au prix d’une certaine courbure de sa volute. La base ionique de la colonne reprend le profil de la la moulure située en bas du mur. Cette harmonisation des détails se poursuit dans l’ensemble de l’édifice et elle va devenir un attribut du canon classique.6 Cette constatation est similaire à celle que l’on peut faire pour le temple d’Ilissos. Ils sont tous deux des édifices tétrastyles de style ionique. Les deux édifices semblent avoir résolus l’ensemble des problèmes liés à l’alignement de leurs éléments en réalisant une coordination modulaire de leurs dimensions, indépendamment de leur contexte topographique ou de leurs besoins programmatiques. Densité d’éléments L’ordre ionique, utilisé pour le temple d’Athéna Niké, permet une grande densité d’éléments décoratifs sculptés. Ils font du temple l’un des bâtiment les plus richement ornés de l’Acropole. Les frises des entablements sont toutes sculptées. Les frontons sont eux aussi sculptés mais ont une iconographie moins claire en raison de leur état détérioré et fragmentaire. 4  Amphiprostyle est un terme architectural désignant les temples possédant des rangées de colonnes en façade, à l’avant et à l’arrière mais sans colonne sur les côtés. 5  L’adjectif tétrastyle désigne une colonnade de quatre colonnes 6  Un canon est considéré comme un ensemble des règles ou des modèles d’un sujet spécifique, généralement lié au monde des arts et de l’architecture. La canonisation est la systématisation de cet ensemble des modèles. Illustration: Plan du sanctuaire de Delphes, P. de La Coste-Messelière, Au Musée de Delphes. Recherches sur quelques monuments archaiques et leur décor sculpté. Paris, E. de Boccard 1936



49 L’ordre ionique était l’ordre grec le plus ornementé avant l’apparition de l’ordre corinthien vers 380 av JC. Cet ordre a pour caractère général la grâce et l’élégance, analogie du corps de la femme. Les volutes ornant le chapiteau représentent la chevelure dont les boucles tombent en ondoyant à droite et à gauche. Les cannelures présentes sur les colonnes ioniques sont l’imitation des plis que l’ont voit sur les robes des dames. La colonne dorique est donc une représentation du corps de l’homme à travers la force et la simplicité lorsque la colonne ionique représente la délicatesse et la grâce de la femme. Le Parthénon, construit entre 447 et 438, est lui, en comparaison, d’ordre dorique. L’ordre dorique, à l’inverse, est le plus dépouillé des 3 ordres grecs. Les colonnes doriques se caractérisent notamment par leur chapiteau à échine plate, nue, sans décors et par l’absence de base. La colonne ionique mesure neuf modules de haut, soit dix-huit fois son rayon. (1:9) Dans le temple d’Athena Niké, les colonnes ne sont pas aussi fines que celles des autres bâtiments ioniques. La proportion est, ici, de 1: 7. Les raisons de ce choix ne sont pas connues mais relève de l’interprétation. L’intention pourrait être de créer un tout harmonieux avec les autres bâtiments voisins, notamment le Propylée. Les colonnes ioniques de l’Athena Niké sont des monolithes, taillés dans des pièces uniques en marbre, d’une hauteur de 406,4 cm de la base au chapiteau, d’un diamètre de 55,9 cm7 et de 24 flûtes. Le temple était le premier bâtiment purement ionique de l’Acropole, car seul l’ordre dorique avait été utilisé auparavant. L’Erechtéion est un autre temple ionique de l’Acropole érigé, plus tard, vers la fin du Ve siècle av JC. Il se compose d’un corps principal, des portiques nord et sud et de plusieurs annexes. Le corps principal est lui composé de quatre parties. Les frises des deux temples qui sont proportionnelles, en conséquences des règles des ordres grecs, ne transmettent pas un même ressenti. La finesse des détails de l’Athena Niké lui confère une plus grande préciosité, s’accordant avec l’élégance et la grâce de l’ordre ionique. 7  Si les colonnes de l’Athéna Niké suivaient les règles établies par l’ordre ionique, les colonnes feraient 43 cm (1:9) Illustration: Facade de l’Erechtéion, Fletcher, Banister. A History of Architecture on the Comparative Method. Sixth edition, rewritten and enlarged. New York: Charles Scribner’s Sons, 1921



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TEMPIETTO SAN PIETRO IN MONTORIO BRAMANTE 1502



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Le Tempietto de Bramante est un petit temple construit au centre de l’abbaye de San Pietro in Montorio. On date sa construction au début des années 1500 grâce à l’analyse de certains éléments architecturaux et à une inscription présente sur l’autel présent au centre du temple. La construction du temple coïnciderait temporellement avec la construction du cloître de Sainte-Marie-de-la-Paix. Les deux oeuvres apparaissent comme deux monuments voisins qui souvent s’interpénètrent. La question de la provenance des seize colonnes antiques réutilisées dans le Tempietto reste un point sans solution. Comme à Sainte-Marie-de-la-Paix, il y a seize colonnes dans la colonnade du Tempietto . Ce nombre à des implications symboliques. Le Tempietto est construit sur le Janicule: lieu de martyr du premier des apôtres, Saint Pierre. Le temple tire de cet emplacement une grande symbolique religieuse. Il est même décrit par Fra Mariano Fetti Da Firenze comme un grand ciboire, vase sacré en forme de coupe, qui sert de réceptacle à la conservation des hosties. Densité de symboliques religieuses Selon Bruschi1, le Tempietto est une représentation de l’Eglise. La crypte, cavité creusée sur le Janicule où Saint Pierre aurait été crucifié, symbolise le début de l’église romane dans les catacombes. Le corps central représente l’Eglise militante qui domine le monde et la coupole correspond à l’Eglise triomphante du Christ. Les trois parties verticales construise la symbolique. La zone centrale du temple, la cour et le porche extérieur, symbolise la Terre 1 Arnaldo Bruschi est un historien de l’histoire de l’architecture italienne. Il a écrit un livre sur Bramante en 1969 intitulé Bramante architetto. Illustration page précédente: Axonométrie plafonnante au 1/333e



55 lorsque la coupole, qui fait allusion à la sphère céleste, symbolise la propagation de Dieu. Le thème de la mort est présent au travers de la crypte qui représente les enfers s’élevant vers le ciel. La forme ronde retranscrit le symbolisme héliocentrique, symbole de Dieu, du monde et de la création parfaite. Le rond correspond aussi à d’autres symboles et théories architecturales. Le martyrium de Pierre est le symbole même de l’Eglise, reflet de la centralité de son fonctionnement et de sa puissance de diffusion aux quatre continents. Le Tempietto correspond à la représentation du sacellum2 de Pierre. L’expansion de l’Eglise part de la crucifixion de l’Apôtre et se développe dans l’ensemble du monde. D’une certaine manière, les entrées périphérique du temple sont les portes vers la conquête du monde symbolisée par la cour. De leur côté, les quatre chapelles des axes diagonaux deviennent les quatre points cardinaux. Ce chiffre de quatre est un lien aux 4 évangiles, support de diffusion de la chrétienté. L’idée du Tempietto comme ciboire monumental fait référence au thème du martyr et du sacrifice à travers l’utilisation claire de symboles eucharistiques. Le Tempietto de Bramante n’est pas strictement une chapelle, ni un martyrium, ni un temple. En effet, il est difficile de savoir à quelles exigences liturgiques correspond le bâtiment du fait de sa petite taille. En tenant compte du sacré de l’endroit, seuls des célébrations des noces d’or sont possibles. La balustrade n’a aucune fonction liturgique, elle est ornementation. Les quatre entrées sans portes résolvent le problème d’humidité et de lumière vers la crypte. Cette dernière est accessible depuis un escalier qui se trouve sur le côté droit en extérieur. La salle de l’autel a assez spacieuse pour que le prêtre puisse s’y tenir, mais n’est pas suffisante pour y accueillir une communauté. Densité de théories architecturales Les références symboliques et iconographiques, couplés à l’utilisation d’exemples de l’Antiquité interfère à différents niveaux dans l’architecture du Tempietto. La référence théorique la plus 2  Dans l’ancienne religion romaine, un sacellum est un petit sanctuaire. Illustration: Coupe du Tempietto, Quattro Libri dell’Architettura, Palladio, 1570



57 marquante est celle d’Alberti et de son traité De re aedificatoria. Il y conseille l’emploi de la forme circulaire pour les temples. La thématique du plan circulaire est reprise dans les Quattro Libri d’Andrea Palladio et est assortie d’un chaleureux éloge au Tempietto et à Bramante. Nombre des indications présentes dans le traité d’architecture trouve des équivalents précis dans l’architecture du temple. En effet, l’effet concentrique et totalement symétrique dans le dessin de Bramante a permis de concrétiser l’idéal théorique d’Alberti et de Leonard de Vinci. Le Tempietto n’était pas destiné, comme il l’est actuellement à se tenir dans une cour carré. Il devait être entouré d’un cloître circulaire de 16 colonnes correspondant au nombre de celles de la colonnade. Le nombre 16 est le symbolisme de la puissance matérielle. Bramante utilise ce même nombre de colonnes pour le cloître de Sainte-Marie-de-la-Paix. Il est aussi un chiffre important dans la Bible. Il correspond au nombre de prophètes dans l’Ancien Testament et au nombre des apôtres et évangélistes dans le Nouveau Testament. En approchant par le cloître, la clairvoyance de l’ensemble de la composition radiale aurait été clairement apparente. De plus, grâce à un effet oculaire subtil, le Tempietto aurait été conçu pour paraître plus haut, plus large et plus monumental, et les environs plus spacieux. En conséquence, le sens de l’unité harmonieuse créé par la composition concentrique aurait été accru. On peut retrouver des organisation similaires dans l’architecture antique. A travers les indications de Servius et Vitruve, on retrouve des temples centraux, très souvent de périmètre rond, ayant pour fonction de vénérer le culte romain du Soleil, d’Hercule et de Vesta. Un des modèles qui peut avoir servi de référence est le théâtre maritime de la villa Hadrienne, dont Vasari nous dit que Bramante le connaissait. Ce type de périptère rond, tholos, avec coupole sur tambour, à des origines incertaines; il constitue un développement de prémisses platonisantes fréquemment et diversement filtrées par la culture chrétienne. Illustration: Plan du Tempietto, Sebastiano Serlio, Regole generali di Architettura, 1545



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LE BELVÉDÈRE DU PETIT TRIANON RICHARD MIQUE 1781



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Le belvédère du Petit Trianon est un petit pavillon octogonal construit enntre 1178 et 1781 par Richard Mique. Il fait partie des fabriques de jardin1 de style néoclassique disposées dans le jardin anglais du Petit Trianon du château de Versailles sur demande de la reine Marie Antoinette. Le bâtiment est placé au sommet d’une grotte artificielle qui domine un petit lac. Il est pourvu d’une coupole surbaissée en grande partie dissimulée par une balustrade. Les quatre fenêtres sont surmontées de bas-reliefs représentant les quatre saisons. Quatre portes fenêtres donnent accès à l’intérieur où les murs ont reçu un remarquable décor peint, comme le plafond qui se transforme en un ciel bleu où jouent quelques Amours. Le sol, quant à lui, est recouvert d’une mosaïque de marbre. Le Belvédère était utilisé par la reine comme salon d’été. Ses multiples ouvertures, qui permettent à la lumière de rentrer à flots, donnent l’illusion d’une véritable pièce en plein air. « Le décor du Belvédère est le comble de la perfection, du goût et de la ciselure. » Prince de Ligne Le retour au naturel Le belvédère du Petit Trianon s’inscrit dans les changements intellectuels et sociétaux de la fin du XVIIIe siècle. Un renouveau dans l’architecture française se met en place, théoriser dans les Essais sur l’Architecture de l’Abbé Laugier. Le style néoclassique remplace les styles baroques et rococo de la période précédente. 1  Une fabrique de jardin est une construction à vocation ornementale prenant part à une composition paysagère au sein d’un parc ou d’un jardin. Elle sert généralement à ponctuer le parcours du promeneur ou à marquer un point de vue pittoresque. Source : Wikipédia Illustration page précédente: Axonométrie plafonnante au 1/333e



63 A cette époque, une évolution de l’urbanisation entraîne une augmentation du nombre de commandes urbaines. Il faut concevoir des édifices d’un style nouveau, plus grands et capables de répondre aux nécessités de la vie moderne dans différents domaines. Ces évolutions impliquent un changement de regard vis à vis des campagnes. Le citadin y cherche la simplicité, le repos et la tranquillité. La vision de la vie à la campagne instaure un nouveau rapport à la nature, influencé par les réflexions philosophiques de Rousseau sur l’Homme Naturel. « La nature a fait l’homme heureux et bon, mais […] la société le déprave et le rend misérable. » Jean-Jacques ROUSSEAU, Dialogues (1772-1776) Cette réflexion sur l’homme et la nature est incarnée, en architecture par la cabane primitive de Laugier dans le Essais sur l’Architecture. Les parterres rigoureux dessinés de la Renaissance italienne et de l’époque Louis XIV sont délaissés au profit des « jardins paysagers ». Ces jardins sont ponctués de petits bâtiments que sont les fabriques de jardin dont fait partie le belvédère. La perspective atmosphérique se substitue à la perspective optique du modèle classique. Elle s’inspire de la peinture anglaise, dans laquelle les effets de profondeur sont créés par la brume qui fait disparaitre les arrière-plans ou bien par la variation dans la constitution des éléments végétaux. Les jardins à l’anglaise sont une représentation symbolique de l’espace naturel à grande échelle. Les étendues sont travaillées en miniaturisation. La forêt à bois de chauffage et bois de construction devient bosquet. La prairie à brouter devient gazon tondu. L’étang de pêche devient lac d’agrément. Les reliefs deviennent des belvédères, les escarpements deviennent des grottes, comme le jardin du Petit Trianon en est l’exemple. « Il accorde une place importante à la fragmentation maniériste des espaces et à l’exaltation de la virtuosité dans le maniement des espèces naturalistes pour produire des effets de couleurs. » Michel Conan, Dictionnaire historique de l’art des jardins, Paris, Hazan, 1994

Illustration: Plan du jardin et château de la Reine. Gouache de Claude-Louis Châtelet, vers 1770



65 L’architecture néoclassique se caractérise par la simplicité de ses volumes et par la symétrie de son organisation spatiale. Le décor sculpté des façades est limité mais elles sont caractérisées par l’usage d’éléments et d’ornements sculptés inspirés de l’époque antique. Le belvédère s’inscrit dans la continuité du travail réalisé par AngeJacques Gabriel pour le Petit Trianon en 1768. Le Petit Trianon s’est fait remarqué par sa clarté et par son élégance au moment de sa construction. Nulle courbe, nulle avancée, nul dôme ne viennent troubler la simplicité de ses lignes. Le bâtiment est en contraste entre son ouverture vers l’extérieur très large et l’intériorisation forte créée par la richesse des décors intérieurs et le dôme qui surplombe l’espace. Le belvédère est largement ouvert vers l’extérieur. En effet, les huit parois de l’octogone qui le compose sont percés en alternance par une porte et une fenêtre. Le belvédère est perçu comme une réduction minimale de l’architecture néoclassique. La dimension des parois du bâtiment paraissent limitées par le dimensionnement des éléments architectoniques qui le composent. Chaque paroi contient une fenêtre ou une porte et ces éléments ne peuvent être davantage réduits. Ils sont dimensionnés en fonction de l’échelle de l’homme. De la même manière, les balustrades ne peuvent être réduites davantage. Afin de ne pas déséquilibrer les rapports de proportion en façade, la balustrade intervient, elle aussi, dans dans le dimensionnement.

Illustration: Vue sur le belevédère, Claude-Louis Châtelet, Le Rocher et le Belvédère à Versailles en 1786


L’arme de cette recherche est l’abstraction, c’est-à-dire la réduction du contenu en informations essentielles, pertinentes ou pour un objectif particulière. L’abstraction selon des époques a toujours été un moyen de mise en forme des idées fondamentale, qui ont animé l’humanité a travers l’histoire.


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ABSTRACTION



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Depuis la cabane primitive, l’avancement dans l’histoire de la civilisation amène un processus de complexification de la pensée humaine, de l’organisation des sociétés et de leurs modes de vie. La remise en question, avec la modernité, de cette complexification et de la saturation formelle de l’architecture amène ses penseurs et concepteurs à vouloir s’en défaire, en cherchant les principes fondamentaux de l’architecture primitive et de les réutiliser dans un contexte contemporain. Platon, faisant abstraction de la forme et créant le concept de la forme idéale, définit le concept de la « vérité ». Cela permettra de créer des entités stables et permanentes qui ont constitué la base existentielle de l’humain jusqu’a l’époque moderne. Il dit dans Timée: « Il faut reconnaître qu’il existe une forme, toujours la même, qui n’a pas commencé et qui ne finira pas, ne recevant en elle rien d’étranger et ne sortant pas d’elle-même, invisible et insaisissable à tous les sens, et que la pensée seule peut contempler. »1 Le principe constructif de la cabane primitive peut en quelque sorte être ce modèle. Cette forme, stable, inchangeable que cherche à atteindre l’architecture à travers l’abstraction. La cabane primitive est une construction exécutée avec peu de moyens, à l’aide de matériaux simples issus de l’environnement proche. Elle est la réponse a un besoin vitale de l’Homme, adaptée à l’échelle de son corps et à ses mouvements, comme une extension. Ainsi, on peut énoncer le fait qu’elle est le plus proche de l’Homme dans son état pur. 1  52a , Timée, Platon. Un des derniers dialogues de Platon.



71 Dans la cabane primitive, chaque fonction structurelle et constructive correspond à un élément particulier. L’équilibre statique s’opère grâce à la poutre, au fronton et au poteau. Les éléments sont le simple reflet de cette nécessité statique de la structure. Quelques exemples, présentés ci-bas, mettent en parallèle l’existence de cette recherche de vérité à travers l’abstraction dans les arts plastiques, littéraires, architecturales. « Le haïku2, poème bref, une poignée de mots, en effleurant la surface des choses donne à sentir l’indicible profondeur de l’expérience humaine, saisie dans l’éternité de l’instant présent… Il met en évidence un détail, un échantillon du monde, qui résume le tout, signifie le tout, donne au tout sa profondeur. »3 Bien que né dans le monde orientale, le haïku est un exemple de réduction de la quantité des mots jusqu’a arriver la concentration de toute la dramaturgie de son sujet, en quelques mots. Le mot est presque isolé et enfermé dans sa propre forme, avec pour objectif de pouvoir en extraire le plus de force narrative et poétique. Jack Kerouac, dans un long entretien publié en 1969 dans la revue The Art of Fiction, définit son approche sur le haïku. Sans prétendre être arrivé au résultat achevé, il explique de quelle manière il le travaille. Il est est fondamental pour lui de retravailler un haïku, de le parfaire afin d’aller vers la simplicité et l’économie. Il y met en évidence les différentes étapes de composition qui mènent à la justesse dans sa perception. Giacometti énonce directement dans ses écrits son intérêt pour la forme réduit à son plus simple aspect. De la même manière que le haïku qui cherche la concentration maximale de l’information dans chaque mot et chaque phrase, Giacometti cherche la même chose dans la forme. Pour lui, la réponse se situe dans la distance. L’éloignement offre une vision optique de la forme, vide de tout détail supplémentaire, 2  Le haïku est un court poème, né au Japon au 17ème siècle. Il s’écrit principalement sur trois lignes selon le rythme court / long / court : 5 / 7 / 5 syllabes dans sa forme classique 3  Hervé Collet, Le maître est parti cueillir des herbes : aux sources chinoises du Haïku, 2001 Illustration: Haïku, Issa Kobayashi, (1763-1827)



73 capable de détourner l’attention vers la pureté de la forme. Grâce à l’acte de voir, l’abstraction de la forme se fait dans la relation de l’œil a son objet d’observation. Cette relation change avec la distance. Cela amène une réduction de l’échelle pour atteindre le but. La petite taille devient traduction directe de la distance entre l’artiste et son modèle. La miniaturisation amènerait la dématérialisation. « En ayant un demi-centimètre de quelque chose, vous avez plus de chances de tenir un certain sentiment de l’univers, non, que si vous avez la prétention sur le trottoir de faire un ciel entier? … Si je regarde une femme sur le trottoir d’en face, et je la vois toute petite, c’est l’émerveillement du petit personnage qui marche dans l’espace et, alors, la voyant plus petite, mon champ visuel est devenu beaucoup plus vaste. »4 Il poursuit son raisonnement « En travaillant d’après nature, je suis arrivé à faire des sculptures minuscules : trois centimètres. Je faisais ça malgré moi. Je ne comprenais pas. Je commençais grand et je finissais minuscule. Seule la minuscule me paraissait ressemblante. J’ai compris plus tard : on ne voit une personne dans son ensemble que lorsqu’elle s’éloigne et devient minuscule.»5 Il énonce alors l’idée du dépouillement constant des formes complexes pour arriver a une forme « stable et inchangeable». « L’art ce n’est qu’un moyen de voir. Quoi que je regarde, tout me dépasse et m’étonne, et je ne sais pas exactement ce que je vois. C’est trop complexe. Alors, il faut essayer de copier simplement, pour se rendre un peu compte de ce qu’on voit. C’est comme si la réalité était continuellement derrière les rideaux qu’on arrache… Il y en a encore une autre… toujours une autre. Mais j’ai l’impression, ou l’illusion, que je fais des progrès tous les jours. C’est cela qui me fait agir, comme si on devait bel et bien arriver à comprendre le noyau de la vie. Et on continue, sachant que, plus on approche de la chose, plus elle s’éloigne. La distance entre moi et le modèle a tendance à augmenter sans cesse ; plus on s’approche, plus la chose s’éloigne. C’est une quête sans fin»6 4  Giacometti, Questions d’échelle sans commune mesure, Nadja Maillard, 2018 5  Entretien . ALBERTO GIACOMETTI :”Pourquoi je suis sculpteur” Arts n 823, 1962 6 Ibid Illustration: Standing Woman I, Alberto Giacometti, 1960



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Les objectifs sont les mêmes dans le langage cinématographique de Bresson. Dans un des ses interviews, il confirme la quête de l’absence de théâtralité dans ses films. Il essaie de refuser « l’expression par la mimique, le geste ou l’effet de voix ». Pour y arriver, il emmène ses acteurs vers « un certain automatisme. »7 Il cherche à réduire le jeu d’acteur uniquement à des gestes et des mots essentiels, à l’expression de l’idée qui le réalisateur veut nous transmettre par la bouche des acteurs. Le cadrage et la mise en scène sont aussi arides, strictement définis et limites en nombre d’éléments. Son style épuré et sans ornements est avant tout la tentative de ramener la vérité aux spectateurs. Dans une autre interview il dit : « Je suis peut être un maniaque de vrai » et « ce que je retrouver dans mes filmes c’est une espèce de vérité. »8 Ses films : Pickpocket et Un condamné à mort s’est échappé ou Le vent souffle où il veut sont des réalisations brillants de ces principes. Ainsi, Bresson rejoigne l’hypothèse que la réduction du langage, plastique, cinématographique ou littéraire, permet de mettre en évidence les propos fondamentaux. Un des principes fondamentaux de la cabane primitive est la clarté et l’autonomie de sa structure vis-à-vis de ses éléments. Les architectes cherchent la représentation la plus directe de ce principe dans les bâtiments de petite taille où le détail structurel prend de l’importance. L’abstraction architecturale passe par la révélation de la vérité structurelle.

7 Interview télévisée pour une émission-cinéma, Antenne 2 par François Chalais et France Roche, 1959 8  Interview Robert Bresson sur l’art cinématographique, 1966 Illustration: Une scene de Pickpocket, Robert Bresson, 1959



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FARNSWORTH HOUSE MIES VAN DER ROHE 1951



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Dix ans après son arrivée en Amérique, il a créé les prototypes de ses deux principales formes construites à partir de la section en acier industriel et du verre. La maison Farnsworth, conçue par Mies van der Rohe en 1945 et construite en 1951, est la représentation d’une problématique d’espace et de structure qui préoccupait Mies depuis longtemps. L’acier industriel a permis à la structure de se détacher nettement du mur, de devenir un élément porteur indépendant et de définir l’architecture du bâtiment. Les éléments structurels en acier dessinent le cadre qui constitue le squelette de la maison. Cette nouvelle approche définit la structure comme la base architectonique du bâtiment et de son expression formelle. Elle permet une liberté de composition spatiale et relie l’intérieur au paysage, répondant ainsi aux besoins spatiaux de l’homme moderne. Derrière, l’évidence structurelle se cache la logique mystérieuse de la forme. Selon Mies, la forme immanente n’est pas subjective et l’architecte doit laisser l’expression de son esthétique personnelle obéir à la vérité de ces conditions. Cette recherche de la vérité dans l’architecture fait écho au concept de la forme idéale de Platon, aux propos de Bresson, aux recherches de Giacometti, présentés plus haut. La vérité constructive Mies a laissé, dans la maison Farnsworth, l’ossature comme expression première de l’architecture. Il était attentifs aux moyens et matériaux locaux et ainsi qu’au développement des processus de construction de son époque. Il a développé ce que l’on peut appelé « le rationalisme en architecture ». Il cherchait à éliminer ce qu’il considérait comme non-nécessaire et à distiller ses bâtiments Illustration page précedente: Axonométrie plafonnante au 1/333e



81 pour réussir à y découvrir l’architectonique irréductible. Lors d’un entretien avec Christian Norbert Schulz, il dit: “Je rappelle souvent, dans mon enseignement, un exemple de Viollet-le-Duc: il a montré comment les trois siècles de développement du gothique étaient avant tout un perfectionnement et un épurement du même type de structure. Nous nous limitons volontairement à ces structures et nous essayons de les développer dans leurs moindres détails. Nous voulons créer ainsi une base pour de futurs développements.”1 Cela implique aussi son travail très rigoureux sur les détails pour arriver a réduire chaque détail a sa fonctionnalité le plus efficace. Il appliquera plus tard ces principes de structure autonome et performante et de leurs assemblages fonctionnels dans ses futurs projets de grande taille. Réduction à la transparence La transparence et la légèreté de la forme de la maison Farnsworth est permis par la fine peau de verre qui baigne l’espace intermédiaire de lumière. Elle est ajustée à une structure squelettique claire et élégante. Le mur disparaît à l’intérieur, la structure est déplacée vers l’extérieur. Cela génère un espace incompressible, mais permettant la liberté de mouvement et la connexion avec l’extérieur. La différence entre les éléments porteurs et non porteurs est marquée. Ce type de cloisonnement devient une peau perméable entre le bâtiment et le monde externe. “Abri fragile, perché et traversé par le spectacle de la rivière et des bois, sa légèreté, l’apparente plus à un pavillon de thé, à un abri temporaire, qu’à un édifice permanent qui impose son ascendant à son site.” La réduction complète de la structure s’oriente vers l’extérieur et augmente la perception de la réalité - la nature prend une présence importante. « La nature aussi vivra sa propre vie. Nous devons nous 1  Christian Norberg-Schulz (1926-2000), “Rencontre avec Mies van der Rohe”, L’Architecture d’aujourd’hui, n79, septembre 1958, p.41 Illustration: Mies sur le chantier, Goldsmith fonds, Ctre canadien d’architecture, Montréal



83 garder de ne pas la perturber avec la couleur de nos maisons et de nos aménagements intérieurs. Nous devons cependant essayer de rassembler la nature, les maisons et les êtres humains dans une unité plus significative. Voir la nature à travers les murs de verre de la maison Farnsworth, créer un cadre pour prendre un recul et réfléchir à sa signification et son essence. Ainsi, on en dit plus sur la nature, elle devient une partie d’un ensemble plus vaste. »2 Mies réduit l’architecture au vide. Il élimine, de l’architecture, ce qui est superflu, il l’a libère de nombreux anecdotiques qui la décorent. Tout ce qu’il laisse est sa fonction et sa simplicité. Pour créer un sentiment de mesure à partir duquel toutes les architectures existantes et futures pourraient être comparées, il faut visualiser l’activité essentielle d’une maison comme la forme fondamentale d’architecture.. La théorie architecturale de Vitruve donne la hutte comme modèle type à la maison. La maison Farnsworth cherche a simplifier l’architecture, a le réduire a des éléments fonctionnels et simples, avec des moyens strictement limites au strict nécessaire, symbole de vérité, tout en répondant au besoins vitaux de l’homme, ceux de l’abri.

2  Christian Norberg-Schulz: A Talk with Mies van der Rohe, Baukunst und Werkform, no. 11, 1958, pp. 615-618 ”Nature , too, shall live its own life. We must beware not to disrupt it with the color of our houses and interior fittings. Yet we should attempt to bring nature, houses, and human beings together into a higher unity. If you view nature through the glass walls of the Farnsworth House, it gains a more profound significance than if viewed from outside. This way more is said about nature-it becomes a part of a larger whole.” Illustration: Farnsworth House, Ludwig Mies van der Rohe, Maritz Vandenberg, 2003



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PAVILLON DE LA LIBRAIRIE CENTRALE DES BEAUX-ARTS AUGUSTE PERRET 1874-1954



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Auguste Perret1 mène un travail important sur la dissociation des éléments architecturaux comme la structure, le programme et l’enveloppe. Il cherche à donner le plus d’autonomie à chaque élément en précisant leur définition. De cette manière, il cherche à revenir aux principes de l’assemblage primitif. Il est considéré par ses contemporains comme le Vitruve moderne grâce à son travail qui assimile le rationalisme vitruvien. Perret est également inspiré par le rationalisme constructif de Viollet-Le-Duc, qui a beaucoup guidé ses réflexions. Viollet-le-Duc étudie le temple grec à travers la clarté dans l’usage des moyens, de la structure, de son apparence, ainsi que de la représentation de la construction. “Le monument grec n’a pas besoin d’être expliqué, ni commenté, il est beau parce qu’il ne saurait être autrement”. Il est comme un homme sans vêtements, car la façade est « la conséquence de la structure de ses organes, de ses besoins, de l’assemblage de ses os, des fonctions de ses muscles. »2 L’historien Joseph Rykwert estime qu’on ne peut pas parler d’ordre classique sans référence anthropomorphique. Lorsque Perret établira, au cours des années 1930, les fondements d’un « ordre du béton armé », il dira de la colonne qu’elle est un individu. Le classicissime de Perret est un ordre architectural classique, comparable aux ordres antiques, mais intégralement fondé sur les performances techniques du béton. Elle renvoie à l’organicité de l’ordre grec théorisé par Viollet-le-Duc. L’exposition des Arts Décortaifs de 1925

Le pavillon de la librairie centrale des Beaux Arts à l’Exposition

1  Auguste Perret (1874-1954) est une architecte français qui est l’un des premiers architectes français à employer le béton armé dans la construction. 2  « Auguste Perret, un intellectuel constructeur » Joseph ABRAM, 2007 Illustration page précedente: Axonométrie plafonnante au 1/333e



89 des arts décoratifs de Paris est un des exemples de l’abstraction des principes de la cabane primitive, où chaque élément architectural et structurel est indépendant des autres. Le pavillon appartient aux rares œuvres d’Augute Perret construites entre 1923 et 1925. Celui-ci, comme Le théâtre de l’Exposition de 1925 vise la simplification des formes des éléments du bâtiment. Le pavillon est l’expression d’une cabane en bois, d’une boite simplifiée. Les choix architecturaux du bâtiment, notamment la simplicité des formes et les colonnes détachées de l’enveloppe sont mises en avant. Un large escalier rappelle la monumentalité des temples grecs. Dans cette construction, tout tend vers la simplicité. Le système constructif est simple, quatre colonnes portent un entablement dépourvu de décor. Les colonnes de bois se détachent de la façade et se placent a l’extérieur, aux angles de la boîte. Comme la structure, la forme est aussi simplifiée. Le plan est carré, les murs sont aussi dépouillé d’ornementation. Perret est dans une tentative de compréhension de la géométrie élémentaire. Il est à la recherche d’une maitrise des détails constructifs, permis par l’utilisation nouvelle du béton armée. C’est dans le pavillon de la librairie que Perret pose pour la première fois le principe de l’abri souverain, le détachement de la structure portant le toit du reste du bâtiment, de son programme et de ses structures internes. Comme expliqué plus haut, les quatre colonnes portent le toit mais se détachent de la boite qui forme le corps principal, abritant l’ensemble du reste du bâtiment. L’abri souverain Dans le théâtre et dans le pavillon de le Samaritaine à l’Exposition internationale des Arts Décoratifs en 1925, Perret mène plus loin le thème de la couverture plate portée par des pieds droits visibles à l’extérieur et indépendants des murs. C’est un choix décisif dans le développement de ses réflexions sur l’abri souverain s’inspirant des temples antiques. “Dans le théâtre de l’Exposition, le principe Illustration: Fonds Perret, Perret frères, Vue du pavillon depuis le cours Albert-1er, 1925



91 de l’indépendance entre parois et système portant de la couverture est adopté.Elle se décline sur un nouveau mode de construction, à la différence de l’Eglise de Raincy (1922-1923), par l’introduction d’un ordre de colonnes détachées de l’enveloppe. Elles sont construites avec des troncs d’arbre revêtus du stuc, construites en béton et sensibles a ses principes structurelles. Elles rappellent, par ce principe, les réflexions amenées par la Sainte Chapelle, développée dans un second temps. Ici, “L’indépendance de la structure portante et de l’enveloppe est révélée par la bande vide qui court sous la poutre du pourtour de l’ossature en béton armé de la couverture et contient les éléments semi-cylindriques utilisés pour l’aération de la salle: une frise continue.”3 Dix années plus tard, Perret applique son principe de l’architecture comme expression de l’ossature à une l’échelle plus grande, en traitant le programme du Musée des Travaux Publics comme un vaste abri. Pour accomplir jusqu’au bout l’idéal de l’abri souverain, il utilise le système de la double ossature : une portante, qui constitue l’abri souverain, sous laquelle se glisse un second édifice, portant les planchers intermédiaires, également en ossature. Des colonnes élancées supportent la toiture. Perret conçoit donc des abris, des structures claires et autonomes qui ensuite accueillent des programmes variés. “Les grands édifices d’aujourd’hui comportent une ossature, de même que le squelette de l’animal contient et supporte les organes les plus divers. Elle doit pouvoir contenir les organes par la fonction. Dans la perspective de réaliser “l’abri souverain” idéal.»4 On comprend l’obsession de Perret à donner forme à un nouvel ordre de colonne, celles-ci étant primordiales à toute ossature mais, ici, spécifique à un nouveau matériau de construction, le béton armé.

3  p. 250, Histoire de l’architecture moderne: Structure et revêtement, Giovanni Fanelli et Roberto Gargiani 4  Gargiani R., Auguste Perret, la theorie et l’œuvre, Gallimard/Electa Paris, 1994 Illustration: Théâtre de l’Exposition des Arts Décoratifs, Fonds Perret, Perret frères, Paris 7e : vue extérieure, 1925



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LA SAINTE CHAPELLE PIERRE DE MONTREUIL 1241 - 1248



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Parmi les exemples de l’abstraction de l’image de la structure, la Sainte chapelle est la plus ancienne. Dans son étude, on verra comment elle est l’extrapolation des principes de la construction gothique. C’est une exemple remarquable au regard de sa taille relativement petite et de son contexte. La Sainte Chapelle a été réalisé entre 1241 et 1248. La chapelle reçoit les reliques de la crucifixion et fait partie du palais de la cité pour associer les reliques avec la royauté. La construction aspirait d’exprimer devant les habitants du royaume et le monde chrétien, l’autorité du monarque Capétien Saint Louis. La construction de la Sainte Chapelle est attribuée à Pierre de Montreuil, malgré des disparités sur sa paternité. Bien que La Sainte Chapelle appartienne au style gothique, elle en est un cas exceptionnel. “On y remarque plus de légèreté et de finesse, plus de recherche dans l’exécution des détails et dans les appareils que dans les édifices construits au commencement du même siècle. Un peu plus tard, les ornements deviennent plus déliés ou si l’on veut plus maigres. La masse perd un peu de son homogénéité, les architectes commencent à vouloir faire de l’effet à force de hardiesse. Et pour étonner, ils tombent déjà dans ce grêle, qui plus tard, est devenu non seulement un caractère particulier, mais une nécessité.”1 Durant cette période, les arts comme le domaine intellectuel, connaissant un regroupement et une hiérarchisation rationnelle du savoir. Tous les arts se débarrassaient de l’approximation de la beauté - et recherchaient la vérité. “La sainte Chapelle participe 1  Histoire archéologique, descriptive et graphique de la Sainte-Chapelle du Palais, Decloux et Doury, Paris 1857 Illustration page précedente: Axonométrie plafonnante au 1/333e



97 de ce mouvement, fusion réussie, puisque modeste par la taille, de l’architecture, de la peinture, de la sculpture et du vitrail. Union de l’histoire, du savoir, des arts et de l’Eglise.”2 Légèreté par dématérialisation La Sainte Chapelle est un édifice construit en voûtes ogives, 36m de long, 17m de large et de 42,5m de haut, sans flèche. Le plan est simple, pourtant élégant. Un parallélogramme long de quatre travées barlongues termine par l’hémicycle qui forme l’abside à 7 pans. La chapelle basse fait 6,60m de haut et la chapelle haute - 20,5m. La chapelle est à la hauteur des appartements du palais. C’est donc, malgré sa petite surface au sol, un édifice aussi élevé que les plus grandes cathédrales de France. La division verticale traditionnelle de l’édifice gothique en trois niveaux cède la place à une division en deux niveaux. Ce qui est impressionnant au premier vue est une vaste étendue des verrières, qui montent jusqu’à la voûte. Pour une meilleure solidité la voûte repose sur les colonnes. La toiture est maintenue par des arc-boutants, placés contre les parties des murs qui correspondent aux contreforts. Les contreforts supportent le grand poids de la voûte en. Sur les côtés et à l’abside, les murs montent seulement au niveau des fenêtres de la chapelle haute. Des contreforts montent du sol jusqu’à la balustrade et démarquent régulièrement la façade. Ils permettent de supprimer les murs à l’étage et de donner la légèreté au bâtiment. Étant assez petits/fins, la lumière pénètre l’intérieur. Ce principe fonctionne aussi à l’intérieur. Dans la chapelle basse massive les voûtes basses tombent sur des piliers intermédiaires attachés aux murs par des arcs-boutants. Cela permet d’ouvrir d’immenses surfaces pour les vitraux. La force latérale du toit pousse vers l’extérieur et les contreforts ne suffiraient pas à supporter le toit. Pour le renforcement du bâtiment un élément structurel supplémentaire a été ajouté. Les tiges de fer font une contrent la poussée de la voûte vers le bas et vers l’extérieur.

2  pg. 90, La Sainte Chapelle, Jean Michel Leniaud, Françoise Perrot Illustration: Coupe transversale, Decloux et Doury, Histoire archéologique, descriptive et graphique de la Sainte-Chapelle du Palais, 1857



99 Élément Innovateur La solution a été l’innovation d’un chaînage métallique, très en avance pour l’époque. Il a été redécouvert seulement dans le 19ème siècle. Dans la Sainte Chapelle les étrésillons traversent les piliers, mais sont quand même imperceptibles car se confondent avec les barres de fer qui séparent les différents registres des vitraux. Au 18ème siècle, la métallurgie se développe mais le fer est un matériau encore rare et cher. La Sainte Chapelle est une de premières constructions de son époque qui utilise le fer comme un élément structurel. Avec le système ogival gothique, l’architecture est devenue plus légère et l’emploi du fer a rendu possible la conception les grands étendus.3 L’emploi du fer a permis d’en quelque sorte faire disparaitre visuellement les etresillons horizontaux. « Ainsi le rôle du fer n’a jamais été, jusqu’à ces dernières années, posé en terme d’élément d’un projet constructif » La chapelle présente des dimensions considérables mais parait plus petite en comparaison des cathédrales déjà construites à l’époque. Le maître d’œuvre travaille a l’échelle plus petit, plus raffiné. C’est un nouveau sens des proportions qui apparait. L’affinement de la structure et l’ouverture, l’allègement totale sont les objectives de l’architecture gothique, mais ce principe est porté à l’extrême dans le cas de la Sainte Chapelle. La surface vitrée qui rempli les vides entre les piliers accentue l’impression du détachement et l’Independence de la structure porteur. Aussi la toiture devient un élément clairement défini et visuellement indépendant, qui et portée par la structure principale. Ce bâtiment, dans son corps réduit, pose de principes de l’autonomie et de la vérité des éléments constructives, qui sont aussi des principes de la cabane primitive.

3  Armature, Dictionnaire raisonné de l’Architecture, Viollet le Duc, 1854 Illustration: Armature de la Sainte Chapelle, Dictionnaire raisonné de l’Architecture, Viollet le Duc, 1854


L’essentialité est le caractère de ce qui appartient à l’essence d’une chose. L’essence est ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est, hormis ce qui, en elle, peut changer. Il appartient à l’essence d’une chose ce qui ne peut pas lui être ôté sans faire disparaître en même temps cette chose.


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ESSENTIALITÉ



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Le travail sur la petite taille est un travail sur l’essence du concept qui peut entraîner une réduction des dimensions de l’objet. L’essence est ce qui caractérise un être, ce qui lui confère son identité par opposition au fait qu’elle soit, à son existence. L’existence est donc le fait pour une chose d’être, c’est-à-dire d’être en dehors de l’intellect. En conséquence, l’existence peut s’opposer à l’essence dans la mesure où on considère que celle-ci peut n’être que dans notre esprit tandis que rien ne lui correspond au dehors. Pour l’exemple, la table en tant qu’objet peut ne pas exister (existence) mais le concept de table subsiste (essence). Jean-Paul Sartre apporte une réflexion sur la notion d’existence et d’essence qui peut faire écho aux besoins de l’expérimentation amenant à l’essence. Il permet de définir l’empirisme de l’essence dans l’Histoire. « L’existence précède l’essence. Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit ensuite » J-P Sartre Au début du XXe siècle, la peinture fait le constat que les progrès dans la représentation ne sont plus possibles avec la concurrence provoquée par l’arrivée de la photographie et du cinéma. Le modèle légué par la tradition est en perdition. La question de l’essence de l’art se pose. L’objectif devient de parvenir à la connaissance d’elle-même. N’étant plus représentatif, ni expressif, l’art devient une activité réflexive, de la même manière que la philosophie. Son histoire peut être vue comme celle d’identités erronées, jusqu’au moment de son autothéorisation où le contenu devient sa réflexion. Son but devient le fait de se comprendre soi-même. L’art devient la représentation pure d’une pensée, d’un concept. Il ne subsiste plus



105 que comme “l’objet de sa propre conscience théorique”1. Il se pose à la fois en sujet et en objet. Duchamp, dans ses oeuvres auto-nomées ready-made2, ne s’est pas posé la question sur l’essence de l’art mais de pourquoi des objets choisis ne deviendraient pas des oeuvres d’art. (« Pourquoi cet urinoir est-il une oeuvre d’art, alors qu’un autre urinoir absolument identique n’en est pas un? ») Cela n’est plus une question artistique, mais devient une question philosophique. La question devient l’appartenance au monde de l’art, de l’objet en question, de l’objetquestion. La citation fait ici référence à l’oeuvre Fontaine de Marcel Duchamp. Il révolutionne l’histoire de l’art en affranchissant à l’artiste la production pour concentrer la création dans le travail de conception. « Un autre aspect du ready-made est qu’il n’a rien d’unique… La réplique d’un ready-made transmet le même message »3 L’artiste s’étant affranchit de la production, l’oeuvre d’art réalisée devient l’existence du concept que l’on peut nommé essence. L’oeuvre est davantage l’essence que l’existence, c’est ce que Duchamp nomme ici « le message ». L’objet servant à transmettre le message peut être reproduit, réduit ou agrandit, le message restera le même. C’est donc à travers cette idée que l’urinoir a été reproduit à de nombreuses reprises, notamment dans La Boîte-en-valise. En effet, de 1936 à 1941, Duchamp travaille à la conception puis à l’assemblage de la première série de La Boîte-en-valise. C’est une boîte qui à la manière d’un musée portatif, contient une rétrospective du travail de Duchamp. La Fontaine, comme d’autres oeuvres, est présente dans ces boîtes sous la forme de répliques miniatures en 1  « Le Monde de l’art », Arthur Danto, 1964, in Philosophie analytique et esthétique, Klincksieck, 2004 2  Le terme ready-made fut utilisé pour la première fois par Marcel Duchamp, en janvier 1916, lors de son premier séjour à New York, pour désigner certaines de ses oeuvres, réalisées depuis 1913. Cette année-là, Duchamp fixa sur un tabouret de cuisine une Roue de bicyclette, en même temps que, dans ses Notes, il exprimait ses doutes envers l’exercice de l’art au sens habituel du terme (« Peut-on faire des oeuvres qui ne soient pas “d’art” ? »). Wikipedia 3  Duchamp dans « À propos des ready-mades », Duchamp du signe, 1976 Illustration: Marcel Duchamp, La Boîte-en-valise, 1936 - 1941, Collection du Centre Pompidou



107 céramique blanche. (5*5.7*7.5 cm) Ces répliques, sont de la même manière que l’oeuvre, une expression de l’existence de l’oeuvre. On attribue à Ernest Hemingway4 la rédaction de la plus petite nouvelle, composée uniquement de 6 mots : « A vendre : chaussures bébé, jamais portées. ». La nouvelle, malgré ses 6 mots, retranscrit la structure classique de son genre littéraire. Elle est composée d’une introduction : la petite annonce de vente dans le journal, d’une thématique romantique : la gestation, et se conclut par une chute brutale et cruelle : la mort prématurée de l’enfant. L’ensemble des éléments qui constitue la vie et les sentiments des protagonistes du récit ne sont que suggérés par la sobriété dans le choix des mots. L’exercice de style étant de réaliser une nouvelle la plus courte possible, Hemingway se définit la constitution de l’essence de la nouvelle. Il définit cette essence grâce à la structure classique de la nouvelle en 3 parties. L’existence de la nouvelle se retranscrit au travers de l’expression la plus courte de cette structure en 3 parties, ici, 6 mots. La petite taille est associée à l’innovation technologique. L’évolution technique permet de réaliser une même fonction à une échelle plus réduite. Cette réflexion est vraie pour l’époque contemporaine avec l’avènement des nouvelles technologies mais est vraie aussi à d’autres époques, notamment suite à la Révolution Industrielle. Dans la photographie, au début du XXe siècle, les appareils photos étaient lourds et encombrants, ce qui ne facilitait pas les prises en extérieur. En 1909, l’innovation du français Etienne Mollié, pour répondre à ce problème, a été d’utiliser le film perforé 35 mm

4  Bien qu’il soit souvent associé à Ernest Hemingway, cela n’est pas prouvé et des récits similaires l’ont précédé. La première association de l’histoire à Hemingway date de 1991, trente ans après la mort de l’auteur. Elle est faite par Peter Miller dans son ouvrage Get Published! Get Produced!: A literary Agent’s Tips on How to Sell Your Writing. Il dit avoir eu connaissance de l’histoire par un sérieux journal syndical en 1974. « Pendant un repas entre amis au restaurant, Hemingway propose une mise de dix dollars à chacun et parie qu’il peut écrire un roman en six mots. Après avoir constitué la cagnotte, Hemingway nota “For sale: baby shoes, never worn” (A vendre: chaussures bébé, jamais portées) sur un bout de papier, le fit passer autour de la table et récolta ses gains. » Illustration: Cents-vues, 1927



109 utilisé pour les projections cinématographiques. Cette utilisation permettait de prendre d’affilée cent vues en 18 × 24 mm. L’appareil photo permettant l’utilisation de cette technologie, le Cent-Vues, a été primé au concours Lépine en 1910 mais ce n’est qu’en 1925 avec la commercialisation du Leica que l’appareil s’est popularisé. A travers l’innovation technologique qui amène à des objets de petite taille, la praticité et la petite taille sont associées. La petite taille devient un outil cette praticité. A l’époque contemporaine, cette praticité passe par les nanotechnologie. L’art et la technique se développe en parallèle, elle tire chacune du développement de l’autre. Des artistes s’intéresse à la nano-sciences pour en tirer profit dans les oeuvres. Jonty Hurwitz réalise des nano-sculptures que l’on peut considérer comme les plus petites sculptures réalisées : elles ne mesurent que quelques nanomètres. Il définit son travail comme une interrogation de l’art sculptural à travers les nouveaux moyens technologiques. Ces sculptures sont, en effet, réalisées à l’aide d’une technique d’impression en 3 dimensions basée sur la lithographie multi-photons. L’usage du microscope est l’unique moyen de percevoir les structures. Jonty Hurwitz interroge son travail à travers la réalité physique de son oeuvre. L’existence de l’oeuvre est-elle réelle si l’homme ne peut la percevoir. Son oeuvre est la réduction la plus extrême de la réalité physique de la sculpture. Elle est réalisée par le biais de la machine, l’artiste n’est pas acteur de la production physique.

Illustration: Jonty Hurwitz, Trust, 2014



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LE CABANON LE CORBUSIER 1952



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Le Cabanon de Le Corbusier a été dessiné sur un coin de table en l’espace de 3/4 d’h, à la terrasse de l’Etoile de Mer, le restaurant à côté duquel Le Corbusier a fait construire le Cabanon1. Lors de cette étape, les définitions majeures du cabanon sont établies : parti d’implantation, dimensionnement de l’enveloppe, organisation intérieure. Des ajustements auront néanmoins lieu jusqu’à durant sa construction. Le projet du Cabanon fait suite à des premiers projets non réalisés, Roq et Rob qui étaient les préfigurations d’un village de vacances. Ces projets devaient être sur le terrain de Thomas Rebutato, rencontré quelques années auparavant. Le Cabanon est un cellule individuelle plus développée dans la continuité de celles réalisées auparabant. Le Corbusier fait construire son propre Cabanon sur le terrain avec pour objectif d’y passer fréquemment ses vacances. Le Cabanon s’inscrit dans l’histoire de la cabane perdue dans la nature, à la recherche de la pérennité de l’homme naturel. Le Corbusier y passera tous ses étés jusqu’à sa mort en 1965. Il est un lieu de vie et de travail. Il n’y fera jamais à manger, profitant de la présence à proximité du restaurant de l’Etoile de la Mer de son désormais ami, Rebutato. Le Cabanon et les unités de camping sont des projets ou se croisent les thèmes majeurs du travail de Le Corbusier. Tout y est présent, de la réminiscence de ses voyages d’Orient, de ses réflexions sur l’habitat minimal, des évocations du particularisme local et de la généralisation de modèles spatiaux.

1  Modulor II, la parole est aux usagers, 1955, Paris, Architecture d’Aujourd’hui Illustration page précedente: Axonométrie plafonnante au 1/333e



115 Une conception par l’espace Le Cabanon est le produit de plusieurs logiques de conception distinctes. Le Corbusier considère l’enveloppe extérieure comme « indépendante du problème posé ici »2. Le programme est dicté par les pratiques mi-hôtelières mi-cabanonières en vigueur sur le terrain de Rebutato (le propriétaire du restaurant) et qui satisfont pleinement Le Corbusier dans se réfléxion. Le Cabanon fait apparaitre la mise en oeuvre du modèle théorique du plan libre dans le projet de l’aménagement de l’espace interne : -destructuration de l’objet architectural selon ses différentes fonctions ou modes d’existence, -désolidarisation entre structure constructive, plans et façades, -restructuration de l’objet dans l’ordre d’une rationalité organique : aménagement d’une espace qui facilite un enchaînement souples de situations spatiales. Sur le premier croquis du Cabanon qui prend la forme d’un plan, aucun élément traditionnel d’architecture n’est représenté. Seul l’agencement des meubles entre eux y est figuré. Ils sont les uniques moyens de caractérisation de l’espace, ou des espaces, du cabanon. C’est la disposition du mobilier qui permet de percevoir les limites et les partitions du volume habitable. Les meubles, qui sont la traductions directes du programme demandé, constituent le premier mode d’existence de l’objet. Le programme du Cabanon, hébergement occasionnel, est définit selon des besoins précaires, caractéristiques du mode d’habiter des unités de camping. Le dessin du Cabanon se définit à travers l’agencement dans l’espace du mobilier. Le plan, première marque d’existence de l’architecture, est, ici, la retranscription de l’essence du projet. La définition volumique de l’enveloppe qui a été opérée selon des critères conventionnels et des contraintes externes n’est, par la suite, considérée que comme une limite abstraite et arbitraire au développement du plan. Elle est figurée par un trait fin qui délimite une étendue mais ne représente pas la matérialité de la paroi. Dans 2  Extrait de l’Oeuvre Complète, 1946-1952, 1955, Le Corbusier Illustration: Plan du Cabanon, Dessin de Le Corbusier, 1951, Tiré de Le Corbusier à Cap Martin, Bruno Chiambretto, Editions Parenthèses, 1988



117 le dessin de l’esquisse, la valeur d’ouverture d’une fenêtre ou celle de support d’une console importe plus que la valeur de l’enveloppe. Lorsque Le Corbusier envoie les plans du Cabanon à Charles Barberis, il lui laisse tout loisir de prévoir la construction. Les seules prescriptions concernent l’espace interne, dimensionné au centimètre près. Il en va de même lorsqu’il consulte Jean Prouvé pour les fenêtres, il ne lui donne qu’un impératif de dimensionnement de l’ouverture proprement dite de la vitre, de 70*70 cm. Le Corbusier brise les images conventionnels de l’ameublement. Il recherche systématiquent par le tracé, et grâce au Modulor, des récurrences formelles et dimensionnelles entre le meuble et l’espace qui l’entoure. On débouche ainsi sur une sorte de désincarnation du mobilier qui, réduit à l’état de surfaces et de volumes, perd ses spécificités traditionnelles. Comme il le réutilisera pour l’organisation du musée d’Ahmedabad, le Cabanon est organisée à travers l’utilisation d’une forme hélicoïdale. La figure décompose le plan du Cabanon en 4 rectangles égaux et un carré central3. Ce tracé délimite les frontières entre les diverses fonctions installées sur la périphérie du volume habitable. Le tracé structure l’organisation de l’espace interne donnant, par le jeu d’imbrication des rectangles de décomposition, la dynamique des enchaînements entre les différentes entités spatiofonctionnelles. Un Modulor littéral Le Corbusier théorise un système précis de dimension, le Modulor. Il définit le Modulor comme « un outil à placer sur une table à dessin à côté du compas »4. Le Modulor est un outil qui permet de fixer une côté laissée de côté au projeteur. Il fonctionne comme un système de décision permettant d’offrir une solution au projecteur lors du dessin. Le Corbusier est conscient de l’excès que peut exercer un tel outil et donc rappelle que le Modulor est un outil qui ne dispense pas l’architecte de réaliser des choix librement en exerçant son propre jugement et regard sur l’architecture. 3  Comme tatami 4  Le Couvent de la Tourette, Editions parenthèses Illustration: Photo de Olivier-Martin Gambier, Corbu au patrimoine mondial de l’humanité, AMC Juillet 2016



119 Le Corbusier compose cette gamme de mesures en deux séries dont les termes successifs sont dans un rapport égal au nombre d’Or (1,618). La première série que Le Corbusier nomme série rouge est la suite de Fibonacci établie sur l’unité de 1,13 m correspondant au plexus solaire de l’homme. Par division ou multiplication par le nombre d’Or, on obtient tous les autres termes de cette série, comme la hauteur au sommet de la tête qui est 183cm. Cette série correspond aux mesures du corps humain. La seconde, la série bleue, est établie sur le double de la première et donne par exemple 226cm qui est la hauteur de l’homme le bras levé, ce qui correspond à la mesure d’un homme qui prend possession de l’espace. Dans le Couvent de la Tourette dont le projet à probablement été conçu dans le Cabanon, les cellules sont encore plus petites que celle du Cabanon et mesurent 1,83m de large. Dans l’espace de ces petites unités qui ont pour objectif de faire percevoir le monde, les moines peuvent observer le monde extérieur au travers des fenêtres. Le Corbusier retranscrit, au Couvent de la Tourette un espace aux mêmes qualités que celui du Cabanon: un espace de travail essentiel en admiration sur l’espace extérieur. Le modulor est système de mesure totalement réglé, qui permet à Le Corbusier de dessiner des espaces intérieurs minimaux en un minimum de temps, comme ce fut le cas ici pour le Cabanon.

Illustration: Le Modulor, Le Corbusier, Oeuvre complète, volume 4, 1938-1946



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TEAHOUSE TADAO ANDO 1985-1988



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Tadao Ando a conçu trois salons de thé pour une nagaya à Oyodo, au Japon. Une nagaya est une longue maison en bande qui abrite généralement plusieurs familles sous le même toit. Elle est construites ici sur deux étages. Avec ce projet qu’il a lui-même commandé, Ando avait l’intention de créer des espaces vides et ludiques. Construits avec des matériaux faciles à obtenir qui seraient un rappel de l’environnement proche du lieu de construction. La maison de thé n’était pas la base du modèle conceptuel. L’objectif est de créer un espace pur, dépourvu de fonctions ou d’ornements, avec des possibilités infinies. Les matériaux choisis par Ando pour les trois maisons de thé sont des blocs de béton, du contreplaqué et des toiles de tente. Selon lui, les maisons de thé sont simplement dans l’idée d’assumer leurs emplacements. La Tent Teahouse, constituée du matériau le plus léger des trois, a pris la position la plus haute et est devenue la dernière étape du parcours. En effet, un itinéraire avait été planifié. Il commence par le Block Tea House placé à l’entrée de la nagaya. Ensuite, en montant une échelle raide, il continue dans le Veneer Tea House et pour finir, en rampant par la fenêtre, on arrive dans le Tent Tea House, juste après avoir passé un pont de verre. Selon Ando, cet itinéraire est la correspondance du roji de l’architecture traditionnelle japonaise. Le roji est le chemin qui sert de cloison entre la maison de thé et le monde extérieur. La démarche expérimentale Ando construit les 3 salons de thé dans une démarche expérimentale. Il décrit cette expérience comme une tentative Illustration page précedente: Axonométrie plafonnante au 1/333e



125 d’exploration d’une certaine dualité. Pour lui1, l’architecture est l’exploration, à travers une construction, de la tension entre l’abstraction et la représentation. Il cherche à tester les limites du conflit entre ces deux opposés et c’est dans cette logique qu’il dessine les pavillons de thé. Il décrit cette expérience comme un « jeu d’architecture ». Il cherche à définir l’essence de la conception spatiale. Il décrit sa méthode de conception comme un schéma conceptuel sur lequel vienne se greffer un ensemble de circonstances qui entrent en compte dans le projet. L’outil géométrique sera l’outil de l’esprit qui viendra résoudre un problème théorique. L’architecture se voit donc, ici, libérée de toute attente et obligation sociale. Les pavillons de thé seraient les moyens d’exprimer sa philosophie architecturale dans une forme entièrement réalisée. Ils sont une forme d’expression du jeu poussé à son extrême limite. Le projet est un prototype libre de toute contrainte associé à un bâtiment typique. Il cherche à créer un prototype spatial dépouillé de tout élément superflu, une manifestation d’une pureté spatiale, contenant une infinité de variations. Le Tent Teahouse est selon lui l’espace «vide» et transitoire qu’il entendait réaliser. De la même manière que dans le parcours installé entre les 3 salons de thé, ce dernier est l’aboutissement d’un cheminement. Au milieu du rude environnement urbain, se trouve ce lieu minuscule, assez spacieux pour une personne, protégé par une cloison semi-transparente. Le sol et le plafond en verre, ainsi que le toit et les murs en toile de tente, confèrent à cet espace une sensation de flottement, comme si on était entré dans un royaume totalement différent et abstrait. «Cet espace, cet univers miniature simule la contemplation des choses au-delà du banal» Ando La mesure minimale Les contraintes matérielles réduisent les possibilités d’action mais permettent la concentration de son attention sur les enjeux spatiaux du projet. Il n’a que son propre sens de l’espace comme guide. 1  Donner la ref (Contemporary Japanese houses) Illustration: Coupe des 3 Teahouses, Tadao Ando and Associates



127 De nombreuses maquettes à taille réelle ont été réalisées afin de tester de nombreuses variations de mesure. Les dimensions intérieures de la Tent Teahouse sont de 1,75m de côté. C’est l’équivalent dans le système de mesure japonais de 5 shaku 8 sun. Cette mesure correspond au dimensions classiques de l’architecture japonaise. Il explicite lui-même qu’il est arrivé intuitivement à des dimensions définit il y a longtemps2. En effet, les dimensions du salon de thé correspondent pratiquement à la surface de 2 tatamis traditionnels. Cette mesure est l’équivalent d’un tsubo, mesure au carré d’un ken.3 Les dimensions du tatami comme définition du dimensionnement des espaces intérieurs est apparut dans l’architecture japonaise à la fin du XIVe siècle à travers son utilisation dans le petit studio Dojin-Sai du temple Ginkaku Ji. C’est la première chambre jamais connue dont le sol est entièrement recouvert de tatami et qui est l’investigatrice du style shoin-zukuri qui règnera sur l’architecture résidentielle japonaise jusqu’au XXe siècle. Ces dimensions sont de 4,5 jo4, appelé communément le chashitsu, mesure la plus commune dans le dimensionnement des pièces. En cherchant l’essence de dimensionnement d’un espace, Tadao Ando s’inscrit dans la tradition de l’architecture japonaise. Le petit espace du Dojin-Sai a définit l’architecture du Japon et continue à la définir sur plus de 5 siècles. Les dimensions du plan sont en concordance avec celles de la coupe. Le tatamis est dimensionné à raison de son utilisation par la présence de deux personnes assises ou d’une personne allongée. C’est dans cette optique que l’espace intérieur est conçu pour n’être praticable qu’en position assise. Les parois de l’espace intérieur sont pensées de manière de manière poreuse st sont enroulables. Les visiteurs peuvent s’éloigner de leur environnement ou s’y ouvrir en remontant ou descendant les différentes toiles de tentes. 2  Le shaku est une ancienne unité de mesure japonaise, encore utilisée aujourd’hui dans l’artisanat traditionnel. Elle est l’équivalent d’un pied et correspond à environ 30cm. 3  A l’époque médiévale, il existe une unité de mesure, le ken. Son utilisation s’est développée principalement dans les domaines de la construction et de l’urbanisme. Le ken correspond à la dimension standard entre les piliers d’une construction. 1 ken = 6 shaku, soit 1,8182 m. 4  Le jo est l’unité de surface actuellement utilisée, elle correspond à la surface d’un tatami. Illustration: Photo de la Tent Teahouse réalisée par Tadao Ando and Associates, The Tea contemporary House, 2007



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PLUM GROVE HOUSE KAZUO SEJIMA 2003



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La Plum Grove House, est un cube déformé sur un coin, conçu par Kazuyo Sejima en 2003. C’est une petite maison abritant un jeune couple avec deux enfants et leur grand-mère. La famille fait appel à Sejima pour l’élaboration de leur maison vis à vis de leur envie d’espaces interconnectés et de préservation des éléments naturels présents sur la parcelle. La population dynamique tokyoïte avait toujours pour habitude de vivre des logements standards, avec des façades plates en imitation brique, ce qui ne répondait pas aux aspirations de la famille. « Je suppose que nous n’avons plus à nous soucier de ce que les autres pensent de nous; En ce sens, tout le monde peut maintenant profiter d’une belle maison » Sejima à propos de la Plum Grove en 2003 On peut percevoir la Plum Grove comme un travail autobiographique de l’architecte. Il s’agit d’une représentation architecturale de l’architecte: délicate et fragile extérieurement, nue, presque inconfortable et simple dans l’expression de la complexité. En même temps, elle est fière et sans compromis, positionnée avec confiance dans un environnement indifférent et difficile.1 La Plum Grove devient une architecture qui reflette les aspirations et les réflexions menées par Sejima sur l’espace. C’est l’expérience poussée à l’extrême de son travail mené surs ses différentes maison depuis la fin des années 1980, des maisons plates-formes à la maison Y.

1  Comparaison réalisée par Sergio Pirrone, dans la revue Archis n°4 d’Octobre 2004 dans l’article “Plum Grove House : the house made of steel” Illustration page précedente: Axonométrie plafonnante au 1/333e



133 Organisation spatiale L’un des premiers projets où Sejima prend conscience de la division entre un programme et sa surface externe, c’est lorsqu’elle a conçu le dortoir pour femmes de Saishukan Seiyaku. Elle a renoncé aux interprétations conventionnelles du programme en minimisant la division de l’espace. Les unités individuelles ont été répétées dans une grande boîte rectangulaire. Les espaces fonctionnels communs sont, eux, largement interconnectés. Au premier abord, l’architecture de Sejima peut paraître froide ou inexpressive, comme cela lui a parfois été reproché. La M-House serait une simple boîte, de même nature que celle d’un entrepôt lorsque le dortoir pour femmes ressemblerait à une répétition de cellules de prisons. Ses idées découlent de son interprétation de la forme. Tout en ayant une image vague d’un volume, l’étude commence par le plan. Il est la base de son organisation spatiale. La façade et la coupe n’interviennent que par la suite. Ce plan initial se base sur la demande des clients modifiée par des études persistantes. Sa philosophie fondamentale se reflète dans un prototype d’immeuble conçu en 1991. Il y avait une pièce ressemblant à une boîte entre un «salon-cuisine» et un «salon-salle de bain». La pièce centrale pouvait être divisée en déplaçant les mobiliers de rangements. L’espace pouvait être réorganisé de manière flexible en fonction des besoins. Cependant, ce qui était unique, ce n’était pas sa flexibilité spatiale, mais l’audace amenée à localiser une salle de bains et une cuisine de chaque côté de la pièce, avec une même expression, celle d’un carré. «Il ne suffit pas d’élaborer un plan qui convienne à un style de vie particulier. Je souhaite développer une nouvelle méthode de conception. Qu’en est-il d’une brise légère ou de l’expérience d’un espace qui n’y est pas, d’un espace virtuel. Je ne veux pas simplement réaliser les rêves des clients en fonction des images qu’ils ont en tête, mais leur proposer autre chose dans le domaine de la conception de logements. » Kazuyo Sejima

Illustration: Vue extérieure de la Plum grove house, H Akihisa Hirata 9, Gallery Of Showroom



135 La pièce minimale A travers sa recherche spatiale sur les connexions entre les pièces, Sejima modifie la relation entre le nombre de personnes, de pièces et de fonctions à l’intérieur de la maison. Dans le projet, chaque pièce est reliée à une fonction et non pas à un groupe de fonctions. Malgré la définition géométrique de chaque espace, ils sont interconnectés par le biais de ouvertures. Le bâtiment ne devient plus, ni un groupe de nombreuses petites pièces, ni une grande pièce unique. Elle établit une connexion entre les deux lui permettant d’intégrer l’ensemble des fonctions nécessaires à la vie de la famille dans un espace réduit et tout en y ajoutant généreusement de la qualité. La fonction « dormir » se retranscrit dans la maison à travers l’espace nécessaire à la fonction, celle du lit. Les lits deviennent les règles de dimensionnement de l’espace. Ils sont la réduction minimale de l’espace, la seule limite de la réduction devient celle de l’échelle de l’homme à travers l’objet lui permettant la réalisation de ses besoins vitaux. Innovation technologique La réalisation de ses espaces réduits est rendue possible par l’élaboration d’innovations techniques sur la fabrication des parois séparant les espaces. L’objectif est la recherche de la finesse. Les dix pièces ne sont divisées que par des membranes, sans vitres, ni rideaux. Les murs entre les pièces sont structuraux et sont réduits à une épaisseur de 16mm. Les mêmes panneaux structurels sont utilisés pour les parois extérieures jusqu’à une épaisseur totale de 50mm. Les unités sont préfabriquées et soudées ensuite sur place. La couche de peinture blanche qui recouvre l’ensemble des parois fournit l’isolation. La paroi mince devient donc une condition préalable à la conception, à la fois fonctionnelle et expériencielle. Elle occupe un espace minimal et permet d’avoir plusieurs ouvertures sans s’imposer comme un objet physique. Elle permet la création d’une relation presque fusionnel entre les espaces.

Illustration: Photographie de la chambre, tiré de Fernando Marquez Cecilia, SANAA : Kazuyo Sejima & Associates Office of Ryue Nishizawa : 1983-2004, Madrid, El Croquis, 2007



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House in a Plum Grove

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SĂŠminaire Architecture & ExpĂŠrience 2018-2019 Flavien Leblond Natalia Vacheishvili


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