DES HOMMES DÉVOUÉS LA PARTICIPATION DES HURONS-WENDAT À LA PREMIÈRE ET À LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Mot du Grand Chef La Nation huronne-wendat vit une époque où elle est confrontée à des pressions énormes cherchant à remettre en cause l’affirmation et la défense historique de ses droits et intérêts territoriaux et ancestraux. Cette situation renforce la nécessité de diversifier l’approche envers notre passé et vient nourrir notre soif de vérité historique et appuyer la conviction qui nous anime. Il s’agit également d’une continuité dans la chaîne générationnelle de notre Nation. Faire la lumière sur certains pans de notre histoire et sur les individus qui la composent représente l’un des fondements pour faire reconnaitre hors de tout doute nos droits issus de traité. C’est la raison pour laquelle je suis fier de soutenir le projet de recherche mené par le Bureau du Nionwentsïo concernant la participation militaire des anciens combattants huronswendat aux Première et Deuxième Guerres mondiales. Pour la première fois de son histoire, la Nation huronnewendat peut se vanter d’avoir comblé en bonne partie le vide à propos des connaissances disponibles sur ces deux importantes étapes contemporaines. Cette opération a été rendue possible grâce au travail de Hurons-Wendat et constitue une amélioration bénéfique pour les HuronsWendat avant tout. En soi, ce projet de recherche représente la première véritable contribution d’importance destinée à la mise en valeur de cette période de l’histoire de la Nation huronne-wendat. En témoignant de la participation de ses membres aux conflits mondiaux, non seulement un hommage est-il rendu à leurs nombreux sacrifices, mais surtout, une pierre s’ajoute à l’édification d’une histoire collective forte. La tradition guerrière de notre Nation a contribué à forger son image de grandeur et à faire d’elle un acteur central sur l’échiquier politique et militaire du nord-est de l’Amérique pendant de nombreux siècles. En rappelant maintenant cette partie de notre réalité guerrière, nous témoignons de la continuité historique de la Nation huronne-wendat à travers la mémoire de ceux qui sont allés défendre des idéaux plus grands que nature. Önenh!
Konrad Sioui Grand Chef
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REMERCIEMENTS Ce projet n’aurait pas pu être possible sans la contribution essentielle de personnes passionnées et dévouées. Je tiens tout d’abord à remercier Jean-François Richard, anthropologue au Bureau du Nionwentsïo, de m’avoir donné la chance de mener ce fantastique projet. Il fut ensuite présent du début à la fin, de la planification à la correction finale, m’appuyant à chaque instant. Je dois aussi remercier Dorothy Duschesneau, agente au registre des Indiens, dont le travail généalogique effectué m’a permis d’établir les fondements de ma recherche et sans qui une grande partie de ce travail n’aurait pas pu se réaliser. Je tiens en outre à témoigner gratitude envers toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce projet et qui sont mentionnées ci-dessous. Sans vous, ce dernier n’aurait pas l’envergure qu’il possède. À chacun et à chacune je vous suis à jamais reconnaissant. L’essence même de ce projet reposant sur l’histoire de nos anciens combattants, je me dois également de saluer la collaboration indispensable de ces femmes et ces hommes qui ont chacun accepté de partager avec moi les souvenirs de leurs proches aujourd’hui disparus. Je remercie donc : Denis, Rayne et Normand Lainé, enfants de Fernand Lainé; Michel Sioui, fils de Paul-Henri Sioui; Christine Théberge et Benoit Huot, petite-nièce et petit-fils de Delphis Théberge; Ronald GrosLouis, fils de Paul-Émile Gros-Louis; Élisabeth Sioui, cousine de Jean-Paul Sioui; Élisabeth et Heather Bastien, filles de Marcel Bastien; Hélène Sioui, fille d’Emery Sioui; Céline Picard, belle-fille d’Albert W. Picard; Marielle Lainé, fille de Jean-Baptiste Lainé; Michel Picard, fils de Roger Picard, ainsi qu’Alexandre Sioui, frère de Patrick et Donat Sioui. Finalement, je tiens à souligner l’indispensable contribution du Grand Chef Konrad Sioui à ce projet. Il a su non seulement reconnaître et valider la pertinence de ce projet pour l’histoire de notre Nation, mais aussi, il a partagé avec générosité ses larges connaissances sur notre histoire et ses individus en plus d’apporter ses judicieux conseils afin de rendre ce travail le plus complet et pertinent possible. ÉQUIPE DE RÉALISATION Chargé de projet et rédaction
Révision linguistique et édition
Jean-Philippe Thivierge, agent de recherche, Denise Brie, agente de secrétariat historien, B.A. Linda Sioui, agente de recherche, B.A. Supervision à la recherche et à la rédaction Stéphanie B. Nadeau, consultante, B.A. Jean-François Richard, anthropologue, M.A. Cartographie Isabelle Lechasseur, agente de recherche et de Émilie Gros-Louis, Technicienne en géomatique développement de projets, B.A. Archives Aide à la recherche
Dorothy Duschesneau, agente au registre des Stéphane Picard, archiviste du CNHW Indiens Éric Marmen, Musée du Régiment de la Chaudière Conception visuelle et infographie e Andrew Germain, graphiste et chargé de projet, Caporal Érick Jacques, Archives du Royal 22 Régiment B.A.
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Table des Matières MOT DU GRAND CHEF
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REMERCIEMENTS III ÉQUIPE DE RÉALISATION
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PRÉSENTATION DE LA NATION HURONNE-WENDAT
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1. LES HURONS-WENDAT : ALLIANCES ET INDÉPENDANCE
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1.1 DE NATION À NATION : L’INDÉPENDANCE POLITIQUE
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1.2. LES HURONS-WENDAT : UNE NATION GUERRIÈRE
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2. L’ENGAGEMENT MILITAIRE DES PREMIÈRES NATIONS
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2.1 UN DISCOURS AMBIVALENT LE REFUS DE LEUR ENRÔLEMENT L’APPEL À LA MOBILISATION
2.2 COMBATTRE POUR SOI-MÊME: LA CONSCRIPTION OU LA LIBERTÉ DE CHOISIR ACQUÉRIR PLUS DE DROITS LA NÉGATION DU STATUT D’ALLIÉES LA CONSCRIPTION : HISTORIQUE LA POSITION DE LA NATION HURONNE-WENDAT : VOLONTAIRES ET NON CONSCRITS
3. DES HURONS-WENDAT AU FRONT 3.1 LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE UN OFFICIER PRÊT AU COMBAT DEUX GUERRES PLUTÔT QU’UNE DES OUBLIÉS : LES FRÈRES SIOUI PLUS D’UN CASSE-TÊTE À RÉSOUDRE LA GUERRE N’ÉPARGNE PERSONNE COMBATTRE AVEC LE CORPS EXPÉDITIONNAIRE AMÉRICAIN
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3.2 LA SECONDE GUERRE MONDIALE 24 UN « 22 » EN ITALIE « NUNQUAM RETRORSUM » : COMBATTRE AVEC LES FUSILIERS MONT-ROYAL L’ANGLETERRE OU SERVIR SOUS LES BOMBES HER MAJESTY’S CANADIAN SHIP DES GUERRIERS CHEZ LES « CHAUDS » COMBATTRE DANS LA US NAVY
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UNE TRADITION GUERRIÈRE JUSQU’À AUJOURD’HUI
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LISTE D’HONNEUR
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PREMIÈRE GUERRE MONDIALE (1914-1918) SECONDE GUERRE MONDIALE (1939-1945)
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BIBLIOGRAPHIE 44 SOURCES PRIMAIRES SOURCES SECONDAIRES
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PRÉSENTATION DE LA NATION HURONNE-WENDAT La Nation huronne‐wendat a toujours été présente dans l’estuaire et la vallée du Saint‐Laurent, notre majestueuse Grande rivière, jusqu’à la région des Grands Lacs. En 1534, c’est le Grand Chef huron‐wendat Donnacona qui a accueilli l’explorateur Jacques Cartier à Stadaconé, nom du village situé à l’emplacement de l’actuelle ville de Québec, lors de son périple à la recherche des Indes. Les Hurons-Wendat vivaient principalement des abondantes ressources disponibles dans le Nionwentsïo, leur territoire coutumier, grâce à la chasse, la pêche ou encore la récolte de végétaux. Le commerce, que ce soit celui des fourrures ou d’autres produits issus du territoire, occupait également une place de premier plan dans leur économie et leur mode de vie. Le 5 septembre 1760, dans le contexte de la Conquête de la Nouvelle‐France, la Nation huronne‐ wendat a conclu un traité d’alliance de Nation à Nation, de paix et de protection mutuelle avec la Couronne britannique, représentée par le général James Murray. Le Traité Huron‐Britannique de 1760 protège les droits et intérêts territoriaux, culturels, spirituels et commerciaux relatifs au territoire coutumier des Hurons‐Wendat, le Nionwentsïo. Ce Traité a été par ailleurs reconnu unanimement par les juges de la Cour suprême du Canada, en 1990, dans l’affaire Sioui. À l’époque du Traité Huron‐Britannique de 1760, le pays de chasse et de pêche de la Nation huronne‐ wendat s’étend au moins de la rivière Saint‐Maurice, à l’ouest, près de la ville de Trois‐Rivières, jusqu’à la rivière Saguenay, à l’est, près du village de Baie‐Sainte‐Catherine. Le Nionwentsïo s’étend également sur la rive sud du fleuve Saint‐Laurent, jusqu’à la grande rivière Saint‐Jean et il correspond au territoire principal qui était fréquenté par la Nation huronne‐wendat à l’époque du Traité. Les activités de commerce de la Nation huronne‐wendat, tout comme les activités diplomatiques ainsi que celles impliquant des prélèvements de ressources, s’effectuaient principalement dans le Nionwentsïo, mais s’étendaient bien au-delà de celui‐ci. La Nation huronne‐wendat pratique toujours ses coutumes ancestrales dans le Nionwentsïo. Les Hurons‐Wendat y exercent, par exemple, leurs rites et cérémonies spirituelles, la chasse, la pêche, le piégeage des animaux à fourrure, de même que la récolte de végétaux. Le Nionwentsïo demeure au cœur de l’identité des Hurons‐Wendat.
Le contenu de la partie Présentation de la Nation huronne-wendat a été préparé indépendamment de ce document par les autorités du Bureau du Nionwentsïo de la Nation huronne-wendat.
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1. LES HURONS-WENDAT : ALLIANCES ET INDÉPENDANCE 1.1 DE NATION À NATION : L’INDÉPENDANCE POLITIQUE Dès l’arrivée des Européens, au 16e siècle, sur le territoire du Canada actuel, la Nation huronnewendat a su tisser des relations diplomatiques avec les nouveaux arrivants. Ces liens se sont progressivement transformés en alliances politiques et militaires. Les Français ont d’ailleurs rapidement compris que les Hurons-Wendat étaient indispensables au maintien de leurs propres alliances avec les différents peuples des Premières Nations1 du nord-est du continent (Lechasseur, 2014 : 5). Le 5 septembre 1760, la Nation huronne-wendat a conclu le Traité Huron-Britannique avec le représentant officiel de la Couronne, le général James Murray. Ce traité visait à protéger la capacité de la Nation à exercer, sur le territoire qu’elle fréquentait, le droit à ses coutumes, à la pratique de sa spiritualité et à s’adonner à ses activités commerciales.
En 1990, avec l’arrêt Sioui, la Cour suprême du Canada a officiellement et unanimement reconnu que le Traité Huron-Britannique est toujours valide et intact. Fondée essentiellement sur la protection mutuelle, la relation issue du traité commandait, certes, l’allégeance des Hurons-Wendat, mais aussi, elle impliquait tout autant la reconnaissance par la Couronne britannique de l’importance de notre Nation dans l’équilibre politique et militaire de la nouvelle colonie. La Nation huronne-wendat a également toujours été au cœur d’un vaste réseau d’alliances s’étendant des actuelles provinces maritimes jusqu’aux Grands Lacs, et même au-delà. En ce sens, elle a cofondé l’organisation politique amérindienne des Sept Feux ou Sept Nations. Cette organisation regroupait jusqu’au 19e siècle différents groupes de Premières Nations qui avaient établi leurs villages dans la vallée du Saint-Laurent : les Iroquois de Kahnawake (Sault Saint-Louis) et d’Akwesasne (SaintRégis), les Iroquois, Algonquins et Nipissingues de Kanesatake (Lac des Deux Montagnes), les Algonquins de Pointe-du-Lac (Trois-Rivières), les Abénaquis d’Odanak (Saint-François) et de Wolinak (Bécancour) et les Hurons-Wendat de Wendake (Jeune Lorette) (Lechasseur, 2014 : 5).
Le Traité Huron-Britannique du 5 septembre 1760 - Coll. François Vincent, ACNHW Dans le cadre de ce projet, les termes Premières Nations seront préférés au terme Autochtones puisque ce dernier englobe à la fois les Premières Nations, les Métis ou les Inuit sans considération pour leurs différences. Ce projet se concentrant uniquement sur la participation militaire des Premières Nations, il ne prend pas en compte celle des Métis ou des Inuit. Les Métis n’étaient d’ailleurs pas reconnus à cette époque comme des Autochtones. 1
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1.2 LES HURONS-WENDAT : UNE NATION GUERRIÈRE À l’époque de leur occupation plus intensive du Wendake Sud (Ontario actuel) et alors qu’ils forment une confédération, les HuronsWendat possèdent déjà une tradition guerrière établie depuis la période pré contact et qui va se perpétuer dans les siècles à venir. À l’arrivée plus intensive des Français au début du 17e siècle, ces derniers constatent rapidement les différences culturelles évidentes qui les séparent de peuples iroquoiens comme celui de la Nation huronne-wendat, notamment en ce qui concerne les motifs de faire la guerre. Contrairement à ces nouveaux venus pour qui la guerre sert soit à obtenir de nouveaux territoires, soit au commerce ou, encore, à la défense de leur religion, les Hurons-Wendat et les autres peuples, pour leur part, justifient bien souvent leurs entreprises guerrières afin de venger les leurs. Les représailles étant souvent considérées comme une nouvelle attaque, les « guérillas » qui se succèdent sont ponctuées de quelques rares trêves (Trigger, 1991 : 51). Faire la guerre devenait également un geste important pour le développement de l’identité des membres de la Nation. Tous les hommes hurons-wendat étaient des guerriers et chacun devait acquérir sa notoriété grâce à ses
actions à la guerre. Les garçons étaient donc initiés à l’art de la guerre dès leur plus jeune âge et toutes les raisons devenaient bonnes pour réclamer des expéditions de guerre afin de démontrer les qualités qui faisaient d’eux de bons guerriers. De plus, la capture d’un ennemi était reconnue comme l’exploit le plus glorieux. (Trigger, 1991 : 54). Entre les 17e et 19e siècles, les guerriers huronswendat se sont, pour leur part, impliqués dans de nombreux conflits coloniaux afin de défendre à la fois les intérêts de leurs alliés français ou britanniques et les leurs. Ils se sont entre autres illustrés dès la bataille du Lac Champlain en 1609, en passant par les nombreux conflits avec la Confédération iroquoise jusqu’à la guerre de Sept Ans (1756-1763). Au cours de celle-ci, ils ont notamment combattu, lors de la célèbre bataille des Plaines d’Abraham de 1759, aux côtés de l’armée française (Lechasseur, 2014 : 6). L’année suivante, ils étaient aux premières loges de la dernière victoire française en Nouvelle-France avec la bataille de Sainte-Foy. Malgré leur plus petit nombre qu’autrefois, les guerriers de la Nation jouaient toujours le même rôle central, et ce, jusqu’à la toute fin du régime français. L’importance des Hurons-Wendat s’est aussi perpétuée sous le régime anglais et selon les termes du Traité Huron-Britannique de 1760. Lors de l’invasion américaine du Canada en 1775-1776, plusieurs guerriers ont notamment eu la chance de témoigner du respect de la Nation huronne-wendat envers le principe de protection mutuelle établi par le Traité Huron-Britannique en participant Représentation par l'artiste Henri Julien (1852-1908) de la célèbre bataille de Châteauguay, 1813 - BAC, Henry Julien
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à la défense de la colonie. Dans une lettre datée de 1811 et concernant les Hurons-Wendat avec qui il a combattu en 1775 pour protéger la colonie, Louis de Salaberry vante d’ailleurs leur endurcissement, la justesse de leurs sens et leur adresse au combat (BAC, 1811 : 14-15). Ces éloges, bien que sincères, s’inscrivaient ici dans une tentative pour solliciter des guerriers de la Nation huronne-wendat afin de défendre la colonie à la veille de la guerre de 1812. Des guerriers de la Nation ont, pour leur part, participé à différentes opérations durant cette guerre, dont la fameuse bataille de Châteauguay en 1813. Le rôle joué par la Nation huronne-wendat dans ce conflit démontre qu’elle était toujours prête à soutenir militairement la Couronne britannique. Son engagement militaire découlait directement de son respect envers les termes précédemment évoqués du Traité Huron-Britannique de 1760 et de sa volonté de s’illustrer tout en étant reconnue une fois de plus comme une alliée essentielle de la Couronne (Lechasseur, 2014 : 11). La guerre de 1812 représente toutefois le dernier conflit auquel la Nation a pu participer avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. Avec la stabilisation des relations politiques suite à la fin des luttes successives de pouvoir entre la Grande-Bretagne et les ÉtatsUnis à partir des années 1820, l’influence des Premières Nations en tant qu’alliées militaires traditionnelles diminue progressivement pour devenir quasi inexistante avant la fin du 19e siècle. Tel qu’affirmé par l’historienne Olive Patricia Dickason : « aussi longtemps qu’avaient duré les conflits coloniaux [les Premières Nations] étaient parvenues à maintenir leurs positions en contrepartie de leurs services en temps de guerre » (Dickason, 1996 : 220). La « perte de cet instrument de négociation » devient d’autant plus déterminante à cette époque que celle-ci voit le transfert des affaires indiennes de l’administration militaire vers l’autorité civile en 1830, marquant ainsi la réorganisation du gouvernement colonial britannique (Ibid : 220). Auparavant des alliées militaires et des
partenaires économiques, les Premières Nations étaient désormais perçues par les autorités politiques britanniques puis canadiennes comme un « fardeau économique et un obstacle au développement et à l’expansion territoriale » (Moses, 2000 : 49). Avec la fin de ces pouvoirs militaires, la relation de Nation à Nation entre les autorités britanniques et les Premières Nations s’est effritée. Ces dernières se sont vues attribuer un rôle moindre, d’où le début de l’isolement dans les réserves et la tentative d’assimilation grâce, entre autres, à l’application de politiques et de lois discriminatoires comme la Loi sur les Indiens de 1876 et ses amendements subséquents. Les Premières Nations ont donc subi la réduction de leur territoire, souvent ouvert à de nouveaux arrivants, ainsi que la perte de leur autonomie politique au profit de l’imposition d’un statut d’indien s’attaquant directement à leur culture et à leur unité. Au détriment du respect des traités pré confédératifs, comme le Traité HuronBritannique de 1760, les autorités en place ont progressivement cherché à limiter les droits des Premières Nations en leur imposant toujours plus de barrières et en tentant de les isoler pour mieux les assimiler. C’est dans ce contexte que la Nation huronnewendat va entrer, comme tant d’autres, dans le premier conflit mondial en 1914. La position de ses Grands-Chefs et chefs concernant sa participation militaire est toujours demeurée la même : les Hurons-Wendat le désirant pouvaient légitimement décider de s’enrôler, mais cette décision ne devait pas affecter les droits collectifs de la Nation. L’enrôlement des membres de la Nation procédait d’abord et avant tout d’une volonté individuelle. Bien que les motivations divergent d’une Nation à l’autre, chaque individu s’enrôlant sera confronté de près ou de loin au désir d’améliorer son sort, à la volonté d’obtenir une plus grande reconnaissance sociale pour lui-même ou pour sa Nation, à l’occasion de renouer avec les traditions guerrières des siècles précédents ou même, à la possibilité de faire valoir à nouveau les anciennes alliances militaires auprès de la Couronne britannique. Néanmoins, ce que veulent les Premières Nations au cours des deux Guerres mondiales est bien DES HOMMES DÉVOUÉS
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différent de ce qu’elles obtiennent en réalité. Nous voyons que chaque conflit est d’abord le témoin d’une ambivalence dans la volonté de l’État canadien d’enrôler les « Indiens ». Cette ambiguïté, fondée largement sur des principes politiques, idéologiques et discriminatoires, pave cependant la voie à une autre dualité, soit l’opposition entre la capacité d’aller combattre librement et le service militaire obligatoire incarné par la conscription. Ce dualisme nous permet de faire non seulement rejaillir certains éléments essentiels à notre compréhension des objectifs poursuivis par les Premières Nations au regard de leur participation militaire massive, comme la recherche de nouveaux droits ou la réaffirmation du statut d’alliées, mais de plus, il nous permet d’ancrer la Nation huronne-wendat dans cette grande période historique comme l’une des témoins de cette confrontation entre souveraineté d’action et conscription.
2. L’ENGAGEMENT MILITAIRE DES PREMIÈRES NATIONS 2.1 UN DISCOURS AMBIVALENT LE REFUS DE LEUR ENRÔLEMENT La Première Guerre mondiale possède une signification différente de celle de la Seconde Guerre mondiale puisque, pour la première fois depuis la guerre de 1812, les Premières Nations sont appelées à jouer un rôle majeur dans un conflit militaire, mais cette fois-ci outre-mer. Or, l’incertitude créée par l’enrôlement potentiel de ses membres force le gouvernement canadien à devoir réfléchir sérieusement à l’attitude qu’il doit avoir envers eux puisque jusqu’à ce jour, il n’a jamais été confronté à l’idée de les enrôler en grand nombre pour le service militaire (Sheffield, 2007 : 60). L’étude de la Première Guerre mondiale nous enseigne qu’à l’origine, les représentants politiques et militaires de l’État canadien ne cherchent aucunement à inclure les Premières Nations à l’effort de guerre. En effet, la promulgation d’une politique claire les 5
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encourageant à s’enrôler n’arrive officiellement qu’en décembre 1915, alors que la Première Guerre mondiale a débuté en août 1914. Pendant de longs mois, les responsables politiques du Département des Affaires indiennes, tel que le surintendant général adjoint Duncan Campbell Scott, vont tenter de décourager leur enrôlement au sein du Corps expéditionnaire canadien, même s’il n’existe à ce moment aucune politique officielle concernant leur exclusion (Winegard, 2012 : 9). Pour Scott, il s’agissait entre autres de les empêcher de se soustraire aux politiques intensives d’assimilation, car le service militaire pouvait justement être vu comme un outil leur permettant de trouver cette liberté en obtenant plus de droits en raison de leur nouveau statut. L’attitude discriminatoire des instances politiques canadiennes, à cette époque, reposait sur différents principes, dont le désir d’assimilationde la part des autorités. Les théories raciales de l’époque plaidaient, par exemple, pour l’obligation des allochtones à accomplir leur devoir d’assimiler les « Indiens » en les intégrant à la civilisation occidentale afin de les sauver de leur « infériorité » (Winegard, 2012 : 29). Ironiquement, bien que l’assimilation soit perçue comme un moyen « pour leur venir en aide », les effets du statut légal et social conféré par la Loi sur les Indiens de 1876, conjugués aux préjugés racistes, ont pourtant poussé les autorités à exclure les Premières Nations des cercles de la société comme l’armée. Arguant qu’ils ne bénéficiaient pas d’un statut de citoyen, aucun intérêt ou exigence envers un quelconque engagement militaire de leur part n’était attendu. Il était dit, par exemple, que le statut en question « n’[avait] pas fait de l’Indien un candidat adéquat […] pour défendre l’empire [britannique], malgré les allégeances passées » (Ibid.). Ce paternalisme racial envers les membres des Premières Nations s’est même traduit par la circulation de l’idée, à partir d’août 1914, qu’advenant la présence dans les rangs du Corps expéditionnaire canadien de soldats issus des Premières Nations, les « Allemands pourraient décider de ne pas les traiter dans le respect des lois de la guerre » (Ibid. : 45). Ce préjugé se fondait en partie sur l’appréhension que les Allemands puissent
redouter de leur part l’utilisation de techniques de combat considérées « barbares », telles que le scalp. Bien que l’efficacité réelle de ce type de conception sur l’enrôlement des membres des Premières Nations demeure difficile à évaluer, il est cependant prouvé que la presse allemande de l’époque et les soldats allemands au front avaient une vision très stéréotypée de l’emploi militaire de ceux-ci par le Canada ou même par les États-Unis à partir de 1917 (Ibid.: 45; 110112). Le discours ambiant d’exclusion était donc fondé à l’époque en bonne partie sur des préjugés raciaux profondément ancrés qui étaient eux-mêmes soutenus par une politique assimilationniste et discriminatoire connue sous le nom de Loi sur les Indiens. Cette loi permettait en outre de favoriser le nonrespect des traités entre les Premières Nations et la Couronne britannique en niant toute légitimité d’affirmation politique. Néanmoins, en décembre 1915, les responsables politiques du gouvernement canadien de Robert Borden décidèrent de changer leur fusil d’épaule et d’autoriser officiellement l’enrôlement des Premières Nations.
L’APPEL À LA MOBILISATION Lorsque la guerre a débuté en août 1914, la très grande majorité des autorités politiques et militaires pensaient que ce nouveau conflit serait terminé à Noël. L’histoire démontrera tragiquement le contraire puisque la Première Guerre mondiale prendra fin seulement quatre ans plus tard, soit le 11 novembre 1918. L’idée d’un conflit rapide semble avoir quelque peu motivé le développement d’une politique non officielle d’exclusion des Premières Nations qui resta pourtant plus ambivalente que claire. L’engagement préalable du Canada envers l’envoi en Europe d’un contingent militaire restreint de 25 000 puis de 50 000 hommes pour la fin de 1914 pouvait amplement être respecté avec l’enrôlement des Canadiens anglais ou des Britanniques de naissance (Winegard, 2012 : 42-43). Ce faisant, toutes les raisons étaient bonnes pour refuser l’enrôlement de quelconques minorités culturelles, d’autant plus que les officiers de recrutement avaient l’autorité complète sur la sélection des recrues (Walker, 1989 : 3). Or, le 18 octobre 1915, le gouvernement canadien recevait un télégramme confidentiel de la part des autorités militaires britanniques l’enjoignant à amorcer l’enrôlement des membres des Premières Nations en raison des pertes humaines grandissantes au sein des forces armées (Winegard, 2012 : 54-55). En décembre, une directive officielle autorisant leur enrôlement était adoptée. En fait, l’année 1915 n’avait pas épargné le Corps expéditionnaire canadien. Employées sporadiquement en France et en Belgique de janvier à mars 1915, les troupes canadiennes furent cependant happées lors de la seconde bataille d’Ypres, d’avril à mai, qui vit la 1ère division canadienne perdre 37 % de ses effectifs, soit environ 6 000 hommes sur un total de quelques 17 000 (Winegard, 2012 : 55). Les Canadiens furent à ce moment parmi les premières victimes de l’utilisation La fatigue et l’incertitude de la mort qui guette dans les tranchées. Bien que prise en 1916 lors de la bataille de Courcelette, cette photo rappelle le contexte unique de cette guerre qui engouffre toujours plus d’hommes - BAC, PA-000556
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massive de gaz toxiques comme arme létale sur le front ouest par les Allemands (Ibid : 4). Le chlore utilisé brûlait les yeux et les voies respiratoires et pouvait conduire à l’asphyxie complète
cherché à stimuler leur enrôlement en faisant appel, par exemple, à leurs traditions et à leurs capacités guerrières « innées ». Ironiquement, pour les membres des Premières Nations, ce sont ces mêmes capacités qui ont contribué à alimenter parmi la population allochtone Lors de la bataille de Festubert, en mai la perpétuation de préjugés ayant contribué 1915, le Corps expéditionnaire perdit encore à leur exclusion de l’armée au début de la 3 000 hommes pour la prise, cette fois-ci, de Première Guerre mondiale. seulement 500 mètres de terrain. En ce sens, la raison principale du changement d’attitude Le changement d’approche envers les envers les Premières Nations est avant tout Premières Nations, à partir de la fin de 1915, issue d’un besoin criant en hommes pour et les justifications qui l’accompagnent soutenir à la fois la croissance des forces témoignent de l’ambivalence idéologique canadiennes et pallier les pertes grandissantes constante présente au sein de la société subies en France et en Belgique. Le soudain canadienne concernant leur perception. Si le désir du gouvernement canadien de les refus de leur enrôlement pouvait avoir comme enrôler ne provient donc pas d’un changement raisons leur supposée « infériorité raciale » d’orientation de sa part, mais bien d’une ou leur prétendu « caractère sauvage », leur décision réfléchie : « l’inclusion calculée des sollicitation semblait désormais s’appuyer Premières Nations du Canada n’était pas en partie sur leur représentation en tant que l’amorce, mais plutôt la continuité d’une guerriers aux attributs martiaux « innés » tradition pragmatique de la Couronne et des (Sheffield, 2007 : 60-61). Cette vision des gouvernements canadiens afin de les employer Premières Nations était profondément ancrée d’un point de vue militaire seulement lorsque dans le rapport au passé colonial, témoin des cela favorisait leurs intérêts» (Winegard, 2012: prouesses et habiletés guerrières de celles-ci. 8). Malgré le fait que les Premières Nations ne soient plus considérées depuis longtemps Cela étant dit, il n’est pas faux de vouloir comme des alliés militaires au moment de vanter l’envergure des qualités de tireurs et la Première Guerre mondiale, les autorités d’éclaireurs présentes à cette époque parmi britanniques et canadiennes ont les soldats issus des Premières Nations comme la Nation huronne-wendat. Ces aptitudes étaient en effet largement répandues. Arthur Meighen, surveillant général des Affaires indiennes, rapporte même ceci en octobre 1917 : « les Indiens excellent en tant que tireurs d’élite et nombre d’entre eux se sont distingués à cet effet » (Canada, 1919 : 21). Plusieurs cas célèbres de tireurs d’élite ayant combattu durant la Première Guerre mondiale ont d’ailleurs marqué les esprits avec leurs exploits. Le plus célèbre fut le caporal ojibwé Francis Pegahmagabow. Ayant remporté trois fois la Médaille militaire, ce tireur d’élite détient Des membres de la Première Nation File Hills en Saskatchewan avant leur départ pour la guerre à l'automne 1915 avec CEC. À partir de cette période, les soldats des Premières Nations furent officiellement accueillis au sein des forces armées - BAC, PA-066815.
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un palmarès non officiel de 378 Allemands abattus durant ce conflit (Winegard, 2012 : 115). Malgré ces prouesses reconnues par plusieurs, il n’en reste pas moins que les « Indiens » étaient appelés à défendre volontairement les mêmes institutions qui servaient à leur marginalisation. Le contexte de la Seconde Guerre mondiale demeure pour sa part similaire à celui de la Première Guerre mondiale, où les autorités canadiennes revivent, à quelques exceptions près, le même processus d’exclusion puis d’inclusion des Premières Nations. Les graves difficultés économiques des années 1930 ont totalement éclipsé les possibilités de réfléchir à une meilleure intégration de leurs membres au sein des forces militaires (Sheffield, 2007 : 64). De plus, malgré l’inclusion des Premières Nations dans l’Armée au cours de la Première Guerre mondiale, les autorités canadiennes ne pouvaient pas tolérer à leur endroit une plus grande concession de droits ou même accepter leur formation en tant qu’organisations politiques défendant leurs droits ou aspirations, puisque cela aurait concouru à renier l’objectif d’assimilation inhérent aux politiques imposées envers elles depuis le 19e siècle (Shewell, 1999 : 212). Conséquemment, lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, en septembre 1939, l’exclusion des minorités à tous les échelons de l’Armée canadienne se voit encore fondée sur des politiques de séparation raciale et de préjugés concernant, par exemple, leur niveau d’éducation ou de santé. Ce type
de discrimination était surtout présent dans la Marine et de l’Aviation royales canadiennes jusqu’en 1942-1943 en raison des exigences sévères envers les candidats. Pour sa part, l’armée de terre fut moins sélective en raison des besoins humains évidents. Toutefois, tel que vécu durant la Première Guerre mondiale, l’enrôlement demeurait sujet au manque d’uniformité et les rejets étaient surtout fondés sur une base individuelle ainsi que sur l’existence de directives de recrutement statuant, entre autres, que l’exclusion des « Indiens » était normale. Ils pouvaient difficilement, semblet-il, supporter la discipline et la « pression physique et psychologique de l’entraînement militaire » (Sheffield, 1996 : 13-14). L’ambivalence du discours des autorités aura néanmoins peu de répercussions sur la réponse des Premières Nations au cours des Première et des Seconde Guerres mondiales alors qu’environ 4 000 et 4 200 « guerriers » ont respectivement été envoyés au front (Sheffield, 2007 : 66). Plusieurs centaines y perdront même la vie, sans compter aussi les nombreux blessés. Parmi tous ces engagés, l’immense majorité était issue du service volontaire, ce qui n’empêchera pas les débats autour du service militaire obligatoire de préoccuper la Nation huronne-wendat ainsi que bien d’autres Premières Nations qui y voyaient, entre autres, une tentative pour brimer leur capacité d’aller combattre librement selon leurs propres termes.
COMPARAISON STATISTIQUE ENTRE L’ENRÔLEMENT MILITAIRE DES ALLOCHTONES ET DES PREMIÈRES NATIONS, 1914-1918 ET 1939-1945
Référence : Les données statistiques proviennent à la fois de Timothy C. Winegard (2012 : 137, 170) et de Sheffield (1996 : 9); 1. Seul le nombre de décès a pu être estimé jusqu’à présent.
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2.2 COMBATTRE POUR SOI-MÊME: LA NÉGATION DU STATUT D’ALLIÉES LA CONSCRIPTION OU LA L’enrôlement militaire était aussi perçu LIBERTÉ DE CHOISIR par de nombreuses Premières Nations ACQUÉRIR PLUS DE DROITS Bien que les Premières Nations ne se perçoivent pas toutes de la même manière par rapport à l’État canadien, nombreuses sont celles qui, au cours des deux guerres, considèreront l’engagement militaire comme une occasion favorable pour obtenir davantage de droits tout en réaffirmant leur statut d’alliées envers la Couronne britannique (Winegard, 2012 : 8). Les deux guerres ont avant tout donné la chance aux Premières Nations comme la Nation huronne-wendat de se réaffirmer en tant que groupes distincts à l’intérieur d’un système qui cherchait à les assimiler. Les initiatives individuelles et collectives, jumelées à la sollicitation, souvent par la force, des autorités, ont contribué à entretenir leur espoir d’acquérir plus de droits, et ce, autant individuels que collectifs (Winegard, 2012 : 10). À titre d’exemple, durant les deux Guerres mondiales, tous les hommes des Premières Nations qui s’enrôlaient obtenaient le droit de voter aux élections fédérales (Élection Canada, 2012). Bien sûr, ces derniers ne s’enrôlaient pas uniquement pour obtenir des avantages auxquels ils n’avaient pas accès autrement. Nombreux sont ceux qui se reposaient aussi sur l’idée qu’en partageant le même fardeau causé par la guerre que les « Blancs », ils pourraient non seulement gagner leur respect et ainsi obtenir plus de droits pour leur peuple, mais aussi, qu’ils pourraient obtenir une participation à la société « occidentale » fondée sur l’égalité (Winegard, 2012 : 8). Or, les déceptions sont néanmoins nombreuses après la Première Guerre mondiale alors que le droit de vote accordé à tous les anciens combattants leur est retiré pour ne revenir qu’en 1924. Ce genre d’éléments peut donc expliquer en partie pourquoi le rapport des Premières Nations avec la guerre sera parfois différent au cours de la Seconde Guerre mondiale, surtout considérant que le précédent conflit aura été l’occasion de nombreux espoirs et promesses brisés. 9
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comme un moyen de raviver les anciennes alliances issues des traités en s’adressant directement, surtout durant la Première Guerre mondiale, à la Couronne britannique plutôt qu’au gouvernement canadien. En effet, contrairement aux prétentions des responsables de l’État canadien, les Nations concernées cherchaient à réaffirmer la réalité historique de ces traités d’alliance signés de Nation à Nation avec la Couronne et non avec le Canada lui-même (Winegard, 2012 : 46). Plusieurs se référaient à la responsabilité de la Couronne britannique envers les Premières Nations contenue dans les traités d’alliances politiques et militaires d’autrefois ou à la Proclamation royale de 1763, qui laisse entendre que les affaires indiennes ainsi que toute relation politique entre elles et l’État demeurent la responsabilité de la Couronne (Ibid). En soi, le Traité Huron-Britannique de 1760 représente, pour les Hurons-Wendat, le témoin d’une de ces alliances historiques évoquées précédemment. Certaines Premières Nations ont aussi cherché à réaffirmer leur souveraineté collective en offrant directement à la Couronne britannique leurs guerriers et leur contribution monétaire à l’effort de guerre en signe de respect envers les alliances passées (Winegard, 2012 : 47). Il ne faut pourtant pas percevoir ces démonstrations d’allégeances envers la Couronne comme la preuve d’une perte de liberté, mais plutôt comme son affirmation. Ces alliances sont fondées sur un modèle de relations issu des traditions passées. L’attitude qui les accompagne découle non seulement d’un désir de souveraineté politique, que le gouvernement canadien n’est pas prêt à accorder aux Premières Nations, mais aussi d’une affirmation de leur liberté de choisir ou de refuser d’aller combattre outre-mer. Dans ce cas précis, le gouvernement canadien ne veut pas diviser son autorité sur cellesci en leur accordant la légitimité qu’elles réclament. C’est pourquoi, au moment de
l’imposition de la conscription en 1917, les demandes d’exemption pour le service militaire obligatoire seront très nombreuses de la part des Premières Nations, et ce, en grande partie à cause de ce sentiment de perte de droits. Pour ce qui est de la Seconde Guerre mondiale, les inquiétudes des Premières Nations vont survenir avant l’imposition de la conscription à la fin de 1944, ces dernières se souvenant très bien de la crise de la conscription de 1917.
Un soldat canadien seul au milieu d’un champ de boue durant la bataille de Passchendaele, 1917. Cette bataille meurtrière obligera la sollicitation d’un nombre croissant d’hommes de troupe - MCG 19930013-512, Coll. d'archives George-Metcalf, Musée canadien de la guerre
LA CONSCRIPTION : HISTORIQUE La conscription peut se définir comme l’enrôlement forcé par un État d’une partie de sa population dans le but de servir au sein de ses forces armées. Cette dernière est mise en application lors des deux conflits mondiaux. Durant la Première Guerre mondiale, la conscription ou Loi sur le service militaire (Military Service Act) est entrée en vigueur le 29 août 1917. Durant l’année précédente, les combats en Europe avaient été particulièrement
meurtriers alors que le Corps expéditionnaire avait subi environ 30 % de toutes ses pertes de la guerre. De plus, les objectifs de mobilisation de 500 000 hommes fixés par le Premier ministre Borden étaient encore bien insuffisants avec un niveau d’enrôlement de seulement 300 000 hommes (Walker, 1989 : 6). Les Premières Nations sont d’abord visées par la conscription au même titre que les Canadiens. Ils en seront toutefois exemptés à partir de janvier 1918 après une vaste campagne d’opposition de leur part. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement canadien de Mackenzie King a d’abord adopté en 1940 la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (LMRN). Celle-ci obligeait la mobilisation à l’échelle nationale des hommes admissibles à faire leur entraînement militaire pour la défense du Canada. Environ 150 000 hommes furent touchés par la LMRN (Byers, 1996 : 175). Le service outre-mer continuait cependant à se faire sur une base volontaire. Pour ce qui est des Premières Nations, il est difficile de connaître le nombre exact d’individus affectés par la LMRN, puisque la direction des Affaires indiennes ne les comptabilisait pas (Sheffield, 1996 : 9). Finalement, lors d’un référendum national tenu en avril 1942, le Premier ministre King a demandé à la population canadienne de le libérer de sa promesse électorale de 1940 de ne pas appliquer la conscription pour le service outre-mer afin d’avoir la possibilité de l’imposer quand cela lui serait nécessaire. La conscription ne sera finalement appliquée qu’à partir de novembre 1944 et n’affectera que quelques milliers d’hommes. Concernant la Nation huronne-wendat, l’analyse historique actuelle tend à démontrer que son Conseil était tout autant contre l’imposition de la conscription durant la Première Guerre mondiale qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale. Le Grand Chef Pierre-Albert Picard (1916-1920) a réagi avec véhémence en 1917 à la toute première annonce d’une possible DES HOMMES DÉVOUÉS
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loi de la conscription. Il l’a d’ailleurs dénoncée jusqu’à l’exemption complète des membres des Premières Nations du service militaire obligatoire survenue à l’hiver 1918. En outre, même si nous ne possédons pas d’informations sur tous les Grands Chefs de la Nation ayant occupé cette fonction durant la Seconde Guerre mondiale, nous savons pourtant que le Grand Chef Herménégilde Vincent (1935-1941) et les chefs du Conseil de la Nation étaient préoccupés par cette question dès 1940 et qu’ils tentèrent de contester la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (LMRN) adoptée cette même année. Cette position de la Nation huronne-wendat n’a donc jamais changé.
est littéralement perçue comme une atteinte à l’endroit de la liberté de choix de la Nation huronne-wendat et des autres Premières Nations. Nombreuses sont celles qui, au cours de la Première Guerre mondiale, croyaient que le service militaire obligatoire allait non seulement à l’encontre de leur absence de statut de citoyen, mais aussi, qu’il ne respectait pas les libertés accordées dans les traités pré confédératifs comme le Traité HuronBritannique de 1760. Si les autorités refusaient cette fois de reconnaître les traités en question pour justifier l’enrôlement des membres des Premières Nations, elles employaient pourtant depuis le début du 20e siècle ces mêmes traités en tant que moyen de discrimination pour empêcher ces derniers de s’enrôler au sein des forces armées (Winegard, 2012 : 96). Dans un message concernant la conscription et adressé au Premier ministre Borden en novembre 1917, une association de Premières Nations de l’Ontario soutenait d’ailleurs que sous cette loi : « nous ne pouvons pas dire que nous nous battons pour notre liberté, notre indépendance ou autres privilèges chers à toute Nation, puisque nous n’en avons pas » (Winegard, 2012: 132).
LA POSITION DE LA NATION HURONNE-WENDAT : VOLONTAIRES ET NON CONSCRITS Au cours de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, le Conseil de la Nation huronne-wendat n’est pas demeuré silencieux sur la question du service militaire obligatoire. En 1917, le Grand Chef Pierre-Albert Picard soutenait que la capacité de choisir d’aller combattre volontairement avec le Canada et la Couronne britannique représentait pour les Premières Nations une « liberté millénaire » Si la perte de liberté devient effectivement la (ACNHW, P.-A. Picard : 2 déc. 1917). En ce sens, principale critique de la part des Premières le 25 mai 1917, il fit parvenir une lettre au chef Nations à l’égard de la conscription, les de l’opposition libérale à Ottawa, Sir Wilfrid responsables gouvernementaux répliquent en Laurier, pour lui demander de veiller à protéger avançant l’argument que puisque ses membres leur « liberté immémoriale » de décider de leur sont des sujets britanniques, ceux-ci doivent implication militaire alors que Robert Borden se soumettre au service militaire obligatoire. devait revenir de Londres avec un projet de Or, en 1917-1918, certains dirigeants des Premières Nations loi concernant la que conscription (Ibid. : 25 le Grand Chef Pierre-Albert Picard soutenait que la soutiennent mai 1917). Le Grand capacité de choisir d’aller combattre volontairement la conscription ne Chef Picard rappela avec le Canada et la Couronne britannique peut pas leur être puisque que même depuis représentait pour les Premières Nations une « liberté imposée, dans la mesure où l’instauration du millénaire ». la Loi sur les Indiens régime britannique, « les tribus indiennes […] vont combattre leur confère une « citoyenneté de niveau toujours librement », et ce, même si elles sont inférieur » limitant leurs droits, ils ne peuvent être soumis au service militaire obligatoire « loyales à l’Angleterre » (Ibid.). (Moses, 2000 : 50). Au moment de l’imposition Plusieurs craintes sont donc exprimées tout au de la conscription en août 1917, le Grand long de l’année 1917 envers la conscription qui Chef Picard réagit, pour sa part, en affirmant 11
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que : « Les sauvages du Canada ne semblent ne pas être affectés par cette nouvelle loi, et ne le peuvent ayant une loi spéciale qui les régit » (ACNHW, P.-A. Picard : 28 août 1917). Dans ce contexte, la référence à la Loi sur les Indiens n’est pas étrangère à l’idée présente à l’époque voulant que si les Premières Nations doivent partager les mêmes épreuves que les Canadiens, ils devraient aussi obtenir un statut différent de celui donné par cette loi en plus de voir celui-ci fondé sur l’égalité (Winegard, 2012 : 94). Lorsqu’apparait le litige concernant leur présumé statut de citoyens britanniques, le Grand-Chef Picard affirme ceci : « Le Département de la milice et le surintendant général du Département des Sauvages allèguent que les Sauvages étant sujets britanniques sont affectés par ladite loi. Ce n’est pas mon humble opinion à moi. » (ACNHW, P.-A. Picard : 25 nov. 1917). Pour le Grand-Chef, l’enrôlement des Hurons-Wendat ne pouvait se faire que sur une base volontaire. Il cherche d’ailleurs à se faire rassurant auprès des « guerriers du Village-Huron » dont il dit, dans son journal personnel, qu’ils répudient la conscription (Ibid.). Pierre-Albert Picard y va même jusqu’à faire de l’opposition envers la conscription une question de fierté de la part des hommes de la Nation en âge de servir dans un contexte où ceux-ci sont confrontés à une forte pression des autorités de l’époque pour s’enrôler (Ibid.). Selon lui, aucune loi ne pouvait donc contraindre les membres des Premières Nations ou un quelconque membre de sa Nation au service militaire obligatoire. La conscription était donc synonyme de déception et de perte de liberté dans un contexte où les Premières Nations avaient largement prouvé leur dévouement en s’engageant massivement de façon volontaire. Le courage n’était pas en cause. Il s’agissait plutôt, à cette époque, d’une lutte politique fondée sur l’affirmation de leurs droits et libertés. En signe de contestation envers la conscription, Pierre-Albert Picard demanda à l’agent des Indiens de Wendake, Antoine O. Bastien, de retirer sa carte d’enregistrement militaire, qui devait être remplie par chaque
homme en âge de s’enrôler pour ainsi recenser les futures recrues (ACNHW, P.-A. Picard : 1er sept. 1917). Cette contestation envers la conscription prit de l’ampleur au sein de la Nation à la fin de 1917. Dans son journal, le Grand Chef y évoque même les nombreuses demandes d’exemption formulées par la majorité des hommes de la Nation encore en âge de servir : « presque tous les jeunes gens d’âge militaire du Village ont rempli leur carte d’exemption et auront à passer devant les juges d’exemption » (Ibid. : 2 déc. 1917). Il était clair pour le Grand Chef Picard que le gouvernement ne pouvait pas forcer les Hurons-Wendat à aller combattre contre leur gré. Finalement, le 17 janvier 1918, le gouvernement de Robert Borden exempta définitivement les Premières Nations du service militaire obligatoire. Pourtant, les mêmes inquiétudes refont surface dès le début de la Seconde Guerre mondiale avec l’adoption, en juin 1940, de la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (LMRN) où tous les hommes en âge de servir doivent s’enregistrer pour le service militaire au Canada. Bien que la conscription pour le service outre-mer ne soit appliquée qu’à partir de la fin 1944, le Grand Chef et les chefs de la Nation huronne-wendat n’en sont pas moins craintifs dès le début de la guerre alors que le souvenir des difficultés rencontrées en 1917-1918 au sujet du service obligatoire est encore présent dans les mémoires. D’autre part, l’exemption de 1918 accordée aux Premières Nations ne s’appliquait plus et ces dernières ne faisaient pas partie des minorités exemptées de la LMRN (Stevenson, 1996 : 208). Cependant, la confusion perdura puisque des directives contraires, exemptant ou assujettissant ses membres au service obligatoire, sont simultanément mises en vigueur dans les mois suivants l’application de la LMRN à l’été 1940 (Ibid.). C’est pourquoi, le 7 octobre 1940, une résolution du Conseil de la Nation huronnewendat, mené par le Grand Chef Herménégilde Vincent, permet l’envoi d’une lettre à Ottawa pour protester contre les possibles effets de la LMRN. Dans cette lettre, il est question de l’opposition envers toute contrainte au DES HOMMES DÉVOUÉS
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service obligatoire qui est perçu comme une atteinte aux « droits chèrement acquis » par les Premières Nations (ACNHW, Bastien : 93). La résolution du Conseil de la Nation rappelait toutefois qu’il ne s’opposait pas au service militaire volontaire. Cette attitude s’inscrivait ainsi en droite ligne avec celle défendue par le Conseil durant la Première Guerre mondiale, témoignant ainsi de la continuité historique de la pensée guerrière de la Nation huronnewendat concernant sa liberté d’action. Dans une décision rendue le 30 janvier 1941, le gouvernement canadien décida de contester cette vision en affirmant que tous les membres des Premières Nations, sans exception, étaient des sujets britanniques et qu’ils se voyaient ainsi concernés par le service militaire obligatoire, et ce, malgré l’apparence évidente d’une profonde ambiguïté concernant l’interprétation de leur citoyenneté (Stevenson, 1996 : 210). La contestation envers l’argument de la citoyenneté britannique prendra une forme tangible pour la Nation huronne-wendat lors du verdict, en mars 1945, dans le procès impliquant Jean-Paul, Omer et Armand GrosLouis. Ces derniers ont été condamnés par le juge J.-Émile Gagnon à payer une amende de 25$ chacun pour avoir refusé de se conformer à l’enregistrement militaire prévu par la loi. Leur argument principal était que ne se considérant pas comme des citoyens britanniques, « en vertu de privilèges accordés à eux par le roi », ils ne pouvaient être soumis au service obligatoire. Le juge leur répondit de façon cinglante que non seulement il ne « [voyait] aucun traité qui décharge les Indiens de l’obligation d’obéir aux lois du pays », mais aussi que leurs privilèges ne servaient qu’à les « préserver et non [à] les rendre indépendants » (ACNHW, Le Soleil, 1945). En soi, un tel jugement allait à l’encontre des droits de la Nation huronne-wendat contenus dans le Traité Huron-Britannique de 1760 tels qu’évoqués précédemment.
le nom de Comité de protection des droits indiens. Fondée par le célèbre Jules Sioui et formée à Wendake, cette organisation plaidait contre la conscription, pour la protection des droits des Premières Nations et pour le principe d’autodétermination (Shewell, 1999 : 222). Les principes véhiculés par cette organisation s’inscrivaient dans la continuité de ceux défendus par le North American Indian Nation Government, dont Jules Sioui était l’un des grands artisans. Dans un plaidoyer contre la conscription présenté en 1943, Jules Sioui témoigne d’ailleurs de certaines raisons justifiant son opposition envers le service militaire obligatoire qu’il détaille comme suit : selon la Proclamation royale de 1763, les Premières Nations sont censées vivre en paix sans être contraintes; la Loi sur les Indiens n’oblige pas ses membres à être conscrits. Jules Sioui finit son plaidoyer en affirmant qu’il défend ses droits et privilèges et qu’il le fera jusqu’au bout (Shewell, 1999 : 222).
Commentant le dossier Gros-Louis, Alphonse T. Picard et Maurice Vincent, tous deux des représentants du Comité de protection, ont à leur tour défendu les actions des trois hommes en soutenant qu’en vertu, notamment, de la Proclamation royale de 1763, qui demeurait l’un des principaux référents historiques pour les Premières Nations et qui, en outre, incorporait les termes du Traité Huron-Britannique de 1760, la Couronne britannique leur avait permis de conserver une souveraineté qui les empêchait d’être soumis à une pratique comme celle du service militaire obligatoire imposé aux citoyens britanniques (Stevenson, 1996 : 208-09). Bien que ce type d’argument n’ait pas été retenu dans « l’affaire GrosLouis », nous savons aujourd’hui qu’aucune province du Canada, au cours de la Seconde Guerre mondiale, n’a appliqué les directives gouvernementales envers la mobilisation des Premières Nations de la même manière, alimentant ainsi la confusion à ce sujet tout au Dans les faits, l’argumentation des Gros-Louis long de la guerre (Ibid. : 219). faisait référence à ce qui était défendu par une organisation politique au centre de la lutte contre le service obligatoire et connue sous 13
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3. DES HURONS-WENDAT AU FRONT L’implication militaire des membres de la Nation huronne-wendat au cours des Première et Seconde Guerres mondiales a pris de nombreux visages. Quelques-uns ont eu la lourde tâche d’aller combattre en première ligne dans des conditions plus que difficiles alors que d’autres avaient des responsabilités n’impliquant pas d’aller sur la ligne de feu. Or, quelle était-elle réellement cette frontière entre être ou ne pas être exposé? L’expérience de guerre de nos anciens combattants est en soi tragique et mérite d’être racontée même s’ils ne sont pas tous allés se battre comme nous le concevons. Ils ont tous combattu à leur manière et leurs blessures ont été autant physiques que psychologiques. Malheureusement, deux des nôtres, Joseph Picard et Rosaire Sioui, ont perdu la vie au cours des deux Guerres mondiales. Nous vous présentons ainsi les portraits de ces hommes qui sont allés, pour certains, au combat avec l’armée ou la marine, qui ont servi dans le Service Corps ou dans le Corps des forestiers canadiens, ou qui sont tout simplement demeurés au Canada en gardant des prisonniers de guerre. Plusieurs ont même servi dans l’armée américaine, ou encore, ont choisi de s’enrôler de nouveau durant la Seconde Guerre mondiale après avoir servi lors de la Première. L’histoire de ces HuronsWendat est fondée à la fois sur les documents historiques disponibles et sur les témoignages de certains de leurs descendants
3.1 LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE UN OFFICIER PRÊT AU COMBAT Lorsque la guerre se déclenche en 1914, le premier contingent de soldats formant le Corps expéditionnaire canadien (CEC) est largement composé de Canadiens d’ascendance britannique. L’afflux de recrues surpassant les besoins réels en hommes, cette situation a favorisé la sélectivité des recruteurs qui se
Le capitaine Louis-Philippe Ormond Picard Fonds Paul Picard, ACNHW
basaient principalement sur leurs critères et préjugés individuels. Les membres des Premières Nations n’ont donc pas leur place à cette époque avec le Corps expéditionnaire et dans la majorité des cas, ils sont refusés (Walker, 1989 : 3-6). Or, à travers ces milliers d’hommes du premier contingent, se faufile tout de même une poignée d’entre eux, dont un Huron-Wendat nommé Louis-Philip Ormond Picard (Pay and Records Office, 1914: 206). Né en 1879, Ormond Picard, frère du Grand Chef Pierre-Albert Picard (1916-1920), a déjà 35 ans lorsqu’il s’engage volontairement en 1914 au sein du 12e bataillon d’infanterie où il est « nommé commandant des éclaireurs de la première division canadienne » (ACNHW, Le Soleil, 1918). Il est d’ailleurs le premier HuronDES HOMMES DÉVOUÉS
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Wendat à s’engager durant la Première Guerre En tant que capitaine, Louis-Philip Ormond mondiale. Déjà capitaine avant le conflit, il Picard est l’un des très rares militaires issus des avait, entre autres, servi en 1902 à la toute fin Premières Nations à avoir été officier durant la de la guerre des Boers, en Afrique du Sud, avec Première Guerre mondiale. Selon les données le 4th Canadian Mounted Rifles, avant de faire historiques, plus ou moins 17 d’entre eux l’ont partie du 9e régiment de milice des Voltigeurs été sur environ 4 000 hommes enrôlés au sein de Québec. Louis-Philip Ormond Picard est donc du Corps expéditionnaire canadien (Winegard, un militaire de carrière lorsqu’il s’enrôle auprès 2012 : 119). En mai 1915, il se voit transféré au du Corps expéditionnaire en septembre 1914. Divisional Cyclist Corps avec lequel il continue Son histoire est d’autant plus fascinante qu’il a à s’entraîner en Angleterre pendant le reste non seulement servi jusqu’en 1918, mais aussi, de l’année en tant qu’unité de renfort pour les qu’il a agi comme « correspondant » de guerre troupes canadiennes. Largement utilisés durant privilégié du journal Le Soleil en faisant parvenir la Première Guerre mondiale, les cyclistes des lettres témoignant de son expérience servaient de messagers, à déployer rapidement militaire qui furent ensuite publiées et parfois des troupes et, surtout, à accomplir des reprises par d’autres missions d’éclaireurs quotidiens. Ce faisant, […] souvent nous sommes obligés de coucher avec nos le long de la ligne de le capitaine Picard habits trempés […] nous ne nous servons pas de feu, mais front. Son transfert demeure l’un des nous avons de bien bonnes couvertes. Enfin, tu n’oublies vers cette unité n’était seuls Hurons-Wendat pas, je suppose, que je suis toujours Huron de Lorette. Nous probablement pas sommes à 150 milles du lieu des hostilités, et avons tous ayant participé à l’une anodin puisqu’il faut des deux Guerres bien hâte de partir pour le feu où, je t’assure nous ferons savoir que plusieurs mondiales et à avoir notre devoir et plus. […] Au fait, je dois t’annoncer que je des membres de ces laissé une empreinte suis capitaine et commanderai un groupe d’éclaireurs. unités étaient recrutés écrite nous permettant à partir du Corps des de retracer plus en détail ses actions et ses guides de la Milice Active Non-Permanente déplacements. (MANP) au Canada, dont nous savons, à partir de son dossier de service, qu’Ormond Picard Ainsi, le 7 octobre 1914, Ormond Picard quitte faisait partie entre 1910 et 1912. Sa formation pour l’Europe. Dans une lettre personnelle fort spécifique obtenue auprès de cette unité probablement adressée à son frère le Grand faisait de lui un soldat prisé pour le Corps des Chef Pierre-Albert Picard et reprise dans l’édition cyclistes. Le capitaine Picard arrive donc en du 12 novembre 1914 du journal L’Événement, France le 27 mars 1916 avec la 3rd Divisional il y décrit les conditions d’entraînement à Cyclist Company. Toutefois, en mai 1916, le l’époque où il est stationné à Salisbury Plains en Corps des cyclistes est réorganisé en Belgique Angleterre et y raconte aussi son empressement en tant que Canadian Corps Cyclist Battalion à partir pour le front : et affilié à la 3e division canadienne. Le journal de guerre de l’unité nous démontre que «[…] souvent nous sommes obligés de coucher Louis-Philip Ormond Picard se voit confié le avec nos habits trempés […] nous ne nous commandement de la Compagnie C (BAC, Can. servons pas de feu, mais nous avons de bien Corps Cyc. Btn, mai 1916 : 3). bonnes couvertes. Enfin, tu n’oublies pas, je suppose, que je suis toujours Huron de Lorette. S’il subsiste très peu d’informations précises Nous sommes à 150 milles du lieu des hostilités, relatant les actions militaires ou autres et avons tous bien hâte de partir pour le feu où, auxquelles nos vétérans ont participé durant je t’assure nous ferons notre devoir et plus. […] les deux guerres, les sources archivistiques se Au fait, je dois t’annoncer que je suis capitaine et rapportant à Ormond Picard sont relativement commanderai un groupe d’éclaireurs.» (ACNHW, nombreuses et diversifiées. Sa correspondance avec les journaux d’ici ainsi que son rôle d’officier L’Événement, 1914). 15
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nous permettent d’identifier, en bonne partie, ses déplacements avec, entre autres, l’aide des articles de journaux, des journaux de guerre de ses unités et de son dossier de service militaire. Considérant ces sources d’informations, nous retrouvons le capitaine Picard pour la première fois au début de l’été 1916 dans le secteur d’Ypres, près de la Belgique. Son unité de cyclistes y est alors déployée depuis peu. Toujours selon le journal de guerre de son unité et son dossier de service, il s’avère que le 20 juin 1916, le capitaine Picard est renvoyé à l’arrière pour « shell shock » (BAC, Can. Corps Cyc. Btn, juin 1916 : 6). Autrement dit, à la suite des lourds bombardements subis par son unité dans le très disputé secteur d’Ypres et du stress continuel causé par les combats incessants, il est victime de ce qui s’apparenterait aujourd’hui aux symptômes d’un choc post-traumatique. Il s’agissait souvent d’un grave impact nerveux causé par les intenses bombardements et pouvant s’accompagner d’anxiété chronique, d’une complète désorientation ou d’un état de fatigue psychologique important. Ce dernier facteur est plutôt révélateur dans la mesure où l’exposition accrue aux situations de combat
pouvait simplement conduire à l’hôpital des hommes solides désormais en état de fatigue psychologique avancée. Cette expérience vécue par Louis-Philip Ormond Picard nous permet donc d’avoir une meilleure connaissance des conditions effroyables auxquelles pouvaient être confrontés nos anciens combattants. Après Ypres, ce dernier est renvoyé en Angleterre pour y être soigné. Les médecins s’occupant de ce type de cas avaient toutefois comme directive d’autoriser le renvoi au front du plus grand nombre de soldats possible. Ormond Picard obtient donc son congé de l’hôpital le 9 octobre 1916 et est retourné auprès de son unité en France le 15 octobre, comme l’indique le journal de guerre de son unité (BAC, Can. Corps Cyc. Btn, oct. 1916 : 4).
Écusson d'identification du capitaine Louis-Philip Ormond Picard, Corps des cyclistes canadiens - Coll. Musée huron-wendat
Des cyclistes traversent un village en ruine dans le secteur de la Somme, mars 1917. L.P.O. Picard faisait lui-même partie du Canadian Cyclist Corps - © IWM (Q 1870)
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Vue aérienne des tranchées et des cratères créés par l’artillerie et les mines dans le secteur de la crête de Vimy, avril 1917 - MCG 19740387-060, Coll. d'archives GeorgeMetcalf, Musée canadien de la guerre
Dans une lettre qu’il fait parvenir au journal Le Soleil et publiée le 27 décembre 1916, nous apprenons qu’il est à cette époque dépêché en première ligne dans un secteur où ses services en tant que cycliste sont visiblement requis: « Je vous écris ceci en première ligne des tranchées, car en ce moment je suis à la défense d’un village important et serai ici jusqu’à la nouvelle année » (ACNHW, Le Soleil, 1916 : 44). Ce village est en fait Neuville-Saint-Vaast et il se trouve tout près de la crête de Vimy, en France, où tant de Canadiens vont perdre la vie durant la célèbre bataille du même nom en avril 1917 (BAC, Can. Corps Cyc. Btn, déc. 1916 : 4-5). Le capitaine Picard s’y trouve depuis le 30 novembre 1916 (Ibid., nov. 1916 : 5). Après la nouvelle année, Ormond Picard et les hommes qu’il commande sont relevés de la position qu’ils occupent par une autre unité et retournent auprès de leur 17
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bataillon de cyclistes (Ibid., janv. 1917 : 3). Toutefois, quelques jours seulement après être retourné à l’arrière de la ligne de front et avoir été nommé adjoint à l’officier supérieur (acting adjutant), il est heurté par un camion et blessé à la hanche et au genou gauche avant d’être hospitalisé de nouveau en Angleterre. Malgré les séquelles et la douleur récurrente, le capitaine Picard se voit offrir le commandement de la 77e compagnie du Corps forestier canadien avec laquelle il est envoyé dans les Vosges françaises en octobre 1917 pour veiller à l’approvisionnement des armées en bois et à la construction d’établissements militaires (BAC, Can. Forestry Corps, oct. 1917 : 3). Il dirigera cette unité jusqu’à son retour à Wendake le 29 juin 1918. Louis-Philip Ormond Picard aura été le seul Huron-Wendat à avoir servi durant toute la Première Guerre mondiale, un exploit peu banal. Les blessures n’auront finalement jamais eu raison de son sens du devoir.
DEUX GUERRES PLUTÔT QU’UNE
Médaille de la défense ainsi que la Médaille du Les Hurons-Wendat ayant participé à la service volontaire. D’après celles-ci, nous savons Première Guerre mondiale n’ont bien sûr pas qu’il a servi volontairement au moins 18 mois tous la même feuille de route qu’Ormond Picard. parmi les forces canadiennes et que, malgré Certains s’enrôlent et sont simplement assignés ses 46 ans, il a accompli au moins six mois de à des tâches autres que celle d’aller combattre service en Angleterre à partir de 1940. en Europe. Parmi eux, quelques-uns s’engagent trop tard en raison de S’enrôler durant les deux Guerres leur jeune âge ou ont une condition mondiales est un exploit qu’on ne peut médicale les empêchant d’aller au pas passer sous silence. Encore moins front. L’histoire de Victor Sioui quand cela s’applique à deux de est un peu le reflet de ces nos anciens combattants. En contraintes. Avant la effet, outre Victor Sioui, nos guerre, ce dernier fait recherches nous ont appris th Royal partie du 8 qu’Albert Wilfrid Picard, Rifles Regiment de la le père d’Alphé Picard, milice. Or, lorsqu’il a lui aussi servi durant décide de s’enrôler les deux guerres. dans le Corps À l’époque de la ex p é d i t i o n n a i re Première Guerre canadien en avril mondiale, il sert 1915, quelque dans la milice non peu avant ses permanente avec 21 ans, il est 9e régiment des Uniforme militaire d'Albert W. Picard Voltigeurs de refusé en raison porté durant la Seconde Guerre mondiale Québec, comme ce de problèmes de Collection Céline Picard fut le cas pour Louissanté et est déclaré invalide. Qu’à cela ne tienne, il s’enrôle à nouveau Philip Ormond Picard. Bien que son parcours de façon volontaire le 18 mai 1918, et ce, même soit quelque peu nébuleux, il semblerait si les membres des Premières Nations ont été qu’Albert W. Picard s’enrôle de nouveau durant totalement exemptés, depuis janvier 1918, du la Seconde Guerre mondiale pour servir en tant service militaire obligatoire. Il faisait alors partie que gardien de camps de prisonniers au Canada. du 5e régiment canadien de garnison. Malgré Ce dernier aurait été stationné dans les environs tous ses efforts, il est une nouvelle fois déclaré de Valcartier. Toutefois, le camp de Valcartier invalide pour le service militaire en raison des ne fut jamais utilisé à ces fins durant ce conflit mêmes problèmes de santé et ne servira plus (BAC, 2016). Il se pourrait fortement qu’Albert durant la guerre. Victor Sioui n’hésite toutefois W. Picard ait été affecté à un autre endroit ou pas à s’enrôler de nouveau durant la Seconde qu’il ait eu plusieurs responsabilités différentes. Guerre mondiale, un conflit pour lequel il Au cours de la Seconde Guerre mondiale, de obtient d’ailleurs trois décorations : la Médaille nombreux camps ont été installés partout au de guerre 1939-45, la Canada pour accueillir les prisonniers de guerre allemands et italiens. Au Québec seulement, il Casque Mark II existait des camps à Sorel, Hull, Farnham, l’Îleayant appartenu à Albert W. Picard, aux-Noix, l’île Sainte-Hélène, Sherbrooke, la Seconde Guerre Grande Ligne et sur les Plaines d’Abraham. Les conditions de vie dans ces camps n’étaient pas mondiale Coll. Céline de tout repos surtout lorsque l’on pense à la Picard dureté des hivers canadiens. DES HOMMES DÉVOUÉS
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DES OUBLIÉS : LES FRÈRES SIOUI
PLUS D’UN CASSE-TÊTE À RÉSOUDRE
À l’image de l’expérience d’Albert W. Picard, l’enrôlement en tant que garde de prisonniers de guerre demeure difficile à identifier puisque ces hommes étant souvent issus de la milice, ils ne possèdent pas nécessairement de dossiers militaires détaillés. Les sources existantes se consacrent principalement aux détenus de ces camps durant les deux Guerres mondiales. Ce problème survient dans le cas d’Emery Sioui. Alors qu’il demeure avec sa famille sur le territoire ancestral des Quarante arpents, tel que rapporté par sa fille Hélène Sioui, Emery Sioui s’engage lui aussi en tant que gardien de prisonniers au moment où la Première Guerre mondiale fait rage. Nous savons d’ailleurs qu’à cette époque seulement, il existe dans les environs de Québec des camps à Valcartier et à Beauport où il aurait pu servir (BAC, 2016). Toujours selon sa fille, Emery Sioui semble d’ailleurs être en mesure de revenir périodiquement à la maison durant son service militaire. Malgré le relatif silence pesant sur le rôle qu’il a joué lors de la Première Guerre mondiale, il demeure l’un des seuls vétérans hurons-wendat de ce conflit à avoir communiqué en partie les raisons qui l’ont amené à s’enrôler. Ainsi, au-delà des raisons économiques certaines, nous apprenons qu'il voyait l’engagement militaire comme une occasion de défendre le Canada non pas pour appuyer le gouvernement canadien, mais plutôt dans le but de défendre la terre elle-même. Pour lui, il semblait être question de protéger le territoire ancestral, mais d’un point de vue plus global. Or, son rôle a été occulté pendant longtemps. Emery Sioui est finalement décédé prématurément à l’âge de 47 ans en 1938.
Pour certains de nos anciens combattants, il nous était possible de jeter un peu de lumière sur leur parcours grâce à leur dossier de service. Pourtant, lorsque nous avons finalement obtenu ces précieux documents, leur utilisation s’est, pour certains, transformée en un casse-tête aux pièces manquantes. Seulement quelques maigres pages rappelaient leur passage dans l’armée. Tel est le cas des frères Désiré et Ludger Gros-Louis. Nous savons qu’ils se sont respectivement
enrôlés en février 1915 et en juillet 1917 auprès de la 2nd Field Company, 1st Canadian Divisional Engineers, et du 258e bataillon d’infanterie. Désiré était d’ailleurs sapeur dans le génie canadien, s’occupant, entre autres, de la démolition ou de la construction de tranchées. Or, nous ne connaissons pas ou presque leurs déplacements ou leurs actions. Il est d’autant plus difficile de retracer leurs mouvements que durant la Première Guerre mondiale, nombreuses sont les unités qui furent complètement absorbées par d’autres ou réorganisées sous un autre nom. Tout comme pour les frères Gros-Louis, le manque d’informations a aussi été problématique pour un certain Pierre Sioui. Nous perdons sa trace à partir de juillet 1916 alors qu’il avait joint en mars précédent le 189e bataillon d’infanterie stationné au camp de Valcartier. Il y avait par ailleurs obtenu son grade de sergent. Bien que le souvenir des actions de ces Hurons-Wendat soit Le silence plane également sur le rôle joué par pour l’instant minime, faute d’informations, il son frère, Ernest Sioui. Ce dernier aurait eu n’en demeure pas moins important de souligner pour tâche de veiller à l’approvisionnement des leur participation. troupes du Corps expéditionnaire en chevaux. Toutefois, nous n’en savons pas plus pour LA GUERRE N’ÉPARGNE PERSONNE L’histoire de nos anciens combattants ayant l’instant. participé à la Première Guerre mondiale n’est pourtant pas faite que de mystères et d’absences d’informations. En fouillant adéquatement, 19
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nous avons pu retracer une bonne partie de l’histoire d’un ancien combattant huron-wendat du nom de Joseph Delphise Sioui. En effet, après s’être enrôlé au sein du 77e bataillon d’infanterie en octobre 1915, à l’âge de 19 ans, ce dernier est transféré au 87e bataillon d’infanterie des Grenadier Guards de Montréal en juillet 1916. Après avoir quitté l’Angleterre, son unité débarque en France le 2 août 1916 avec le reste de la 4e division canadienne où cette dernière se
Fusil Lee-Enfield. Cette arme britannique a remplacé le peu fiable fusil Ross de fabrication canadienne comme arme réglementaire d'infanterie du Corps canadien à la fin de 1916 - MCG 19950004-001, Musée canadien de la guerre
voit allouée un secteur « tranquille » près d’Ypres en Belgique. Cette nouvelle division canadienne sans expérience de combat avait pour objectif d’apprendre rapidement les rudiments de la guerre de tranchées (Cook, 2007 : 509). Après quelques mois de combats mineurs, la division fut dépêchée au mois d’octobre 1916 dans le secteur de la Somme, en France, où se déroulait
depuis juillet 1916 l’une des confrontations les plus meurtrières de la Première Guerre mondiale, opposant principalement les forces britanniques (Anglais, Canadiens, Australiens, etc.) et françaises aux forces allemandes. Lorsque la 4e division vient relever en partie les trois autres divisions canadiennes à la mioctobre, ces dernières ont perdu pas moins de 20 000 hommes sur un total de 65 000 formant le Corps canadien (Cook, 2007 : 504). Toutefois, Joseph Delphise Sioui ne participera jamais à la bataille de la Somme. En consultant le journal de guerre du 87e bataillon d’infanterie, nous apprenons qu’il est gravement blessé par balle à la cuisse le 4 septembre 1916, et ce, moins de deux semaines après avoir rejoint les tranchées dans le saillant d’Ypres en Belgique (BAC, 87th Inf. Btn., sept. 1916 : 4). Bien qu’en situation défensive, son bataillon subit déjà en ce début septembre les lourds bombardements allemands et les effets meurtriers constants des tireurs d’élite avant même de participer à l’offensive canadienne dans le secteur de la Somme prévue pour la fin de septembre. Joseph Delphise Sioui ne pourra toutefois pas les accompagner puisqu’il ne reviendra jamais au combat en raison de sa blessure. Rapatrié en Angleterre, il est par
Des soldats britanniques attendent patiemment l’heure fatidique de l’assaut sur les tranchées allemandes à Beaumont-Hamel lors de la désastreuse première journée de la bataille de la Somme, 1er juillet 1916 – © IWM (Q 64)
Des soldats du Corps canadien des forestiers transportant des billots de bois, France, 1919. J. Delphise Sioui termina la guerre dans l’une de ces unités - BAC, PA-003999
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la suite transféré, comme le capitaine Louis- conditions souvent pénibles. Il devait même Philip Ormond Picard, au Corps des forestiers parfois occuper le poste d’artilleur lorsque l’un d’eux était blessé ou tué. Servant un canon canadiens où il terminera la guerre. standard de 18 lb, tiré, en l’occurrence, par six Pour un autre Huron-Wendat, Joseph Picard, chevaux, Delphis Théberge devait se positionner le destin ne sera pas aussi clément que pour à 5 km et moins des tranchées adverses en Joseph Delphise Sioui. Posté dans le secteur raison de sa courte portée. Ce faisant, il se du mont Sorrel (côte 62), près d’Ypres en trouvait lui-même bien souvent dans le rayon Belgique, avec le 8e bataillon d’infanterie qu’il d’action de l’artillerie allemande qui cherchait avait rejoint en août 1915, Joseph Picard est à détruire ses positions. L’un des éléments qui tué le 2 juillet 1916. Il avait précédemment rendent aussi le parcours de Delphis Théberge participé à la bataille du mont Sorrel survenue quelque peu hors norme, c’est qu’en ne faisant entre les 2 et 13 juin 1916. Cette dernière avait été initiée par les Allemands qui cherchaient à enlever à tout prix aux Britanniques et au Corps canadien la dernière position élevée du saillant d’Ypres en Belgique. Chassés de leurs positions par les Allemands, les Canadiens réussissent à reprendre leur position au mont Sorrel après deux semaines de durs combats (Cook, 2007 : 370-74). Cependant, la bataille aura coûté au Corps canadien plus de 8 700 hommes. Joseph Picard est mort courageusement au début juillet au moment Pièce d’artillerie de campagne de 18 lb. où il défendait ces positions si chèrement Delphis Théberge avait la conquises. Des sources historiques ainsi que le témoignage de rares descendants nous ont permis d’éclaircir avec détails l’un des parcours militaires les plus spectaculaires vécus par l’un des membres de notre Nation : Delphis Théberge. Fils de François Théberge et de Henriette Lainé, ce dernier s’engage dans la Canadian Field Artillery à la fin de l’année 1915. Il rejoint le front en juillet 1916 avec la 44e batterie d’artillerie. Delphis Théberge y occupe le rang de corporal driver, ce qui consiste à s’occuper du transport d’un canon à l’aide de chevaux, et ce, dans des Delphis Théberge en uniforme, 44e batterie d’artillerie, Willey Camp, Angleterre - Coll. Christine Théberge
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responsabilité d’un canon de ce type - MCG 19880001681, Musée canadien de la guerre
pas partie d’un bataillon d’infanterie régulier, son unité et lui n’ont presque jamais eu de répit. Il a ainsi participé à plusieurs des plus célèbres batailles ayant impliqué le Corps expéditionnaire canadien au cours de la guerre, transportant son canon au gré des combats. En reconstituant les différents déplacements de son unité, nous retrouvons celle-ci déployée dans le secteur d’Ypres à partir de juillet 1916. Son rôle demeure toutefois imprécis. En mars 1917, il rejoint plus au sud la 31e batterie d’artillerie de la 3e division canadienne avec laquelle il sera impliqué en France dans la célèbre bataille de la crête de Vimy en avril 1917, là où les Canadiens, au prix de plus de 10 000 pertes, dont 3 598 morts, ont établi leur notoriété d’unité « d’élite » (Cook, 2008 : 143). L’artillerie joue, à cette époque, un rôle de plus en plus important dans l’appui de l’infanterie
L'avancée de soldats canadiens lors de la bataille pour la crête de Vimy, avril 1917 - MCG 19920085-915, Coll. d'archives George-Metcalf, Musée Canadien de la guerre
avec le développement de nouvelles tactiques se fondant sur l’efficacité et la mobilité. Cela étant dit, nous sommes encore loin des grandes offensives à succès de la fin de 1918. La réalité rattrape les Canadiens lorsqu’ils joignent, en octobre 1917, la victorieuse, mais meurtrière offensive de Passchendaele non loin d’Ypres en Belgique. Avant de rejoindre cette dernière, Delphis Théberge et son unité sont impliqués plus au sud dans la bataille de la côte 70, près de la ville française de Lens, où ils sont, entre autres, confrontés aux attaques de « gaz moutarde ». Bien qu’elle semble avoir permis l’immobilisation de possibles renforts allemands contre Passchendaele, l’importante victoire des Canadiens sera tout de même responsable de la perte de plus de 9 000 hommes (Ibid. : 306). À la fin d’octobre 1917, le Corps canadien est donc transféré dans le secteur d’Ypres en remplacement des Australiens décimés pour appuyer la dernière poussée vers le village stratégique de Passchendaele. Delphis Théberge aura certainement gardé un souvenir amer de cette bataille puisqu’elle fut l’un des affrontements les plus meurtriers de toute la guerre. Selon plusieurs historiens, les milliers de
cratères d’obus provenant de bombardements inefficaces ainsi que les pluies diluviennes ont probablement tué plus d’hommes par cause de noyade que lors des combats réguliers. En effet, de nombreux blessés rendus inatteignables par la boue et les cratères mourraient noyés et complètement abandonnés. C’est dans ce genre de conditions terribles que Delphis Théberge devait mener son canon et ses chevaux dont l’un eut même le malheur, un jour, d’être décapité par
Tout comme dû le faire Delphis Théberge, ces soldats tentent de tirer leur canon coincé dans la boue de Passchendaele, 9 août 1917 - © IWM (Q 6236)
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un éclat d’obus. Cet événement nous rappelle à quel point tout rôle sur la ligne de front était dangereux. Delphis Théberge l’apprendra d’ailleurs à ses dépens lorsqu’un morceau de shrapnell perça un jour son uniforme sans toutefois le blesser. De retour dans le secteur de la Somme en août 1918, la 31e batterie de Delphis Théberge participe aux batailles d’Amiens et d’Arras avant de joindre dans le secteur du Canal du Nord, en France, l’offensive canadienne qui aura lieu du 27 septembre au 11 octobre 1918. C’est à ce moment que Delphis obtient la seule médaille de bravoure remportée par un Huron-Wendat durant les deux Guerres mondiales. Alors que sa batterie devait se déployer le 27 septembre pour traverser le canal près d’Inchy-en-Artois afin d’appuyer l’infanterie avec l’artillerie, son unité est prise sous le feu de l’artillerie allemande, tuant ainsi plusieurs artilleurs. Dans un geste de bravoure, le caporal Théberge s’est empressé de remplacer volontairement et sous le feu de l’ennemi ces hommes afin d’aider à mettre en position les canons qui devaient à tout prix être déployés pour soutenir un assaut imminent de l’infanterie. C’est pour cette raison qu’il s’est vu décerner pour ses actions du 27 septembre la Médaille militaire (BAC, 9th Bde., CFA, nov. 1918 : 23). En recevant cet honneur, Delphis Théberge est
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Éperons de cavalier ayant appartenu à Delphis Théberge - Coll. Benoit Huot
devenu l’un parmi les quelques dizaines de membres des Premières Nations à avoir reçu une distinction pour bravoure durant la Première Guerre mondiale (Winegard, 2012 : 138). Bien qu’il devait recevoir sa médaille des mains du roi d’Angleterre, il décida plutôt de rentrer au pays avec ses frères d’armes. Il l’a reçu par la poste quelques mois plus tard, bien au chaud chez lui à Wendake et très loin des tranchées dont il n’a pratiquement jamais parlé. Lorsque son petit-fils lui demanda un jour s’il avait tué des gens, Delphis Théberge lui répondit simplement et malgré lui qu’il « avait tué des milliers d’Allemands ».
r le e ponts su aux d n o cti ru st nt Con rd permetta Canal du Nodiennes de traverser troupes cana nsive de septembre lors de l’offe 18 - BAC, PA-003287 et octobre 19 DES HOMMES DÉVOUÉS
Exemple d'une Médaille militaire (à gauche) telle que celle remportée par Delphis Théberge le 27 septembre 1918. La Médaille de la victoire (à droite) lui fut également accordée pour bravoure - MCG 19850337-001, Collection commémorative Tilston de médailles militaires canadiennes, Musée canadien de la guerre
COMBATTRE AVEC LE CORPS EXPÉDITIONNAIRE AMÉRICAIN Tout comme nous le verrons pour la Seconde Guerre mondiale, certains Hurons-Wendat ont pour leur part combattu avec l’Armée américaine durant la Grande Guerre. Ce fut le cas pour les frères Alphonse, Paul et William Falardeau. Au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale, ils vivent en Ohio depuis plusieurs années avec leurs parents Emmanuel Falardeau et Georgiana Sioui. Fait à noter, Paul Falardeau a marié plus tard Étudienne Théberge, l’une des sœurs de Delphis Théberge. Quoi qu’il en soit, ces trois frères vont servir sous le drapeau américain à partir de l’année 1918, les États-Unis étant entrés en guerre en 1917. Nous savons qu’ils traversent tous les trois vers la France à des moments différents. Les deux plus jeunes, Paul et William, rejoignent, le 29 juin 1918, la Compagnie C du 309th Field Signal Battalion, spécialisé dans les communications (Henderson, 1917-18 : 5008-09). Ils ne verront Alphonse et William Falardeau en uniformes, 1918 Coll. Christine Théberge
toutefois pas les combats, arrivant seulement en France quelques semaines avant la fin de la guerre le 11 novembre 1918. Pour ce qui est du plus vieux, Alphonse E. Falardeau, il faisait déjà partie d’une unité d’artillerie de la Garde nationale de l’Ohio en 1916. Il est donc assigné au 134th Field Artillery Battalion (Ibid : 5008). Au moment de l’entrée en guerre, son unité rejoint la nouvelle 37th Infantry Division. Nommé lieutenant en décembre 1917, il est le seul des trois frères à combattre en France. On le retrouve d’ailleurs d’août à octobre 1918 dans le secteur de Verdun où il participe, avec le Corps expéditionnaire américain (CEA), à l’offensive de la Meuse-Argonne, l’une des dernières grandes opérations de la guerre (Ibid : 5008). Malgré une blessure pour Alphonse, les trois frères reviendront de la guerre en bonne santé.
William et Paul Falardeau en uniformes, 1918 - Coll. Christine Théberge
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3.2 LA SECONDE GUERRE MONDIALE Par son immensité, la Seconde Guerre mondiale a englouti pendant six ans des millions d’hommes et nécessité des moyens techniques jamais suffisants pour satisfaire les besoins rencontrés. Conflit le plus meurtrier de l’histoire humaine, cette guerre aussi fascinante que terrible a appelé dans ses rangs des hommes et des femmes de tout horizon. Le Canada n’a pas été épargné avec plus d’un million de Canadiens ayant été appelés sous les drapeaux. Environ 45 000 d’entre eux ne sont toutefois jamais revenus. Parmi ces hommes mobilisés, 4 000 provenaient des Premières Nations. De ce nombre, un peu plus de 200 y ont laissé leur vie (Sheffield, 1996 : 9). Le récit des Hurons-Wendat ayant participé à cette guerre s’appuie sur les témoignages généreux de familles huronnes-wendat en plus des archives disponibles. Elle est aussi, parfois, le reflet du silence des vétérans sur une histoire qui leur était trop souvent difficile à raconter. Voici donc une partie de leur histoire. UN « 22 » EN ITALIE Lorsque Patrick Sioui s’enrôle volontairement le 6 octobre 1942, il n’a que 17 ans. Normalement, il fallait avoir 18 ans pour s’engager dans l’armée, mais Patrick Sioui a menti sur son âge pour aller rejoindre le célèbre Royal 22e régiment de Québec. Son frère, Alexandre Sioui, nous a dit à son sujet qu’il était un « aventurier de nature ». Patrick Sioui pensait probablement que l’armée pourrait combler ce besoin. Toutefois, comme nous le verrons dans d’autres cas, il vivait aussi à une époque où se trouver un emploi était difficile alors que la grave crise économique des années 1930 avait encore des répercussions sur la vie des gens. Malgré sa jeunesse, Patrick Sioui eut à faire face à la convergence de nombreux facteurs sociaux, politiques ou personnels ayant tous, d’une manière ou d’une autre, influencé son désir de rejoindre l’armée malgré ses 17 ans. Ainsi, une fois enrôlé, Patrick Sioui subit un entraînement au Canada et en Angleterre. À cette époque, le Royal 22e se trouvait déjà en Angleterre depuis décembre 1939. Patrick Sioui faisait donc vraisemblablement partie des 25
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Patrick Sioui, 17 ans, avant de partir pour l’Italie - Coll. Alexandre Sioui
renforts destinés au régiment. Ce dernier participait à la première opération d’invasion de l’Europe de toute la guerre avec l’invasion de la Sicile contrôlée par les forces allemandes. Patrick Sioui semble avoir débarqué en Sicile avec les renforts du régiment le 22 juillet 1943. Son unité y était déjà depuis le 10 juillet. Il semble d’ailleurs que le régiment ait reçu 18 hommes en renfort le 22 juillet parmi lesquels aurait pu se trouver Patrick Sioui (Bernier, 1999 : 128). Ce dernier et le Royal 22e y combattent durement les Allemands dans un secteur nommé Catenanuova et situé sur les contreforts du volcan Etna (Ibid.). Les forces allemandes se replieront finalement à l’est de l’île pour s’enfuir vers l’Italie continentale en août suivant. Si les combats en Sicile coûtent la vie à plusieurs dizaines de soldats du régiment, Patrick Sioui s’en tire heureusement indemne. Il n’oubliera cependant jamais ce qu’il a vu alors que bien des années après la guerre, il raconta à son frère Alexandre le jour où il est tombé sur cette jeune Italienne étendue au sol, morte, massacrée par des soldats allemands.
La guerre démontrait encore une fois qu’elle n’épargne personne. Nous savons que Patrick débarque par la suite avec son régiment le 3 septembre 1943 à Reggio, dans le sud de l’Italie (Bernier, 1999 : 132).
Le Royal 22e Régiment s'apprête à débarquer en Italie continentale, 3 septembre 1943 - BAC, PA-115197
Cependant, malgré le fait que nous perdions sa trace, pour l’instant, à partir de novembre 1943, soit quelque peu avant les furieux combats pour la ville d’Ortona sur la côte de la mer Adriatique, il semble légitime d’affirmer que Patrick Sioui a participé à tout le moins aux rudes combats dans la région de Campobasso, au sud-est de Rome. Les Allemands devaient à tout prix bloquer l’accès à cette dernière. Quoi qu’il soit advenu de Patrick Sioui à partir de novembre 1943, il s’est vu décerner, d’après son certificat de libération et les propos de son frère Alexandre, pas moins de quatre médailles et distinctions pour sa participation militaire : la Médaille du service volontaire avec agrafe, l’Étoile d’Italie ainsi que l’Étoile et la Médaille de 1939-1945.
« NUNQUAM RETRORSUM » : COMBATTRE AVEC LES FUSILIERS MONT-ROYAL « Ne jamais reculer »! Cette devise appartient aux Fusiliers Mont-Royal et est enseignée historiquement à chaque homme en faisant partie. En poursuivant nos recherches, nous avons appris que pas moins de trois Hurons-Wendat auraient fait partie de ce régiment francophone durant la guerre, soit Omer Picard, Paul-Henri Sioui et son frère Rosaire Sioui. Pour ce qui est d’Omer Picard, il nous a malheureusement été impossible de retracer son parcours, mais selon les dires de son neveu Michel, il aurait servi avec le régiment pendant un certain temps sans jamais avoir traversé vers l’Europe. Quant à Paul-Henri Sioui, celui-ci n’a pratiquement jamais parlé de son expérience de la guerre et les informations connues à son sujet sont presque inexistantes. Son fils, Michel Sioui, nous raconte que ce dernier a toujours semblé ressentir de la tristesse par rapport à son passé militaire et peut-être même de la colère; cela expliquerait sans doute son silence. Son expérience de guerre fut certainement pénible, compte tenu de la dureté des combats auxquels les Fusiliers Mont-Royal ont participé. Malgré le silence et le vide archivistique, nous savons tout de même que ce courageux Huron-Wendat agissait en tant que « tireur d’élite » au sein du régiment. Ses habiletés de tireurs développées depuis son enfance ont certainement dû être un atout pour lui dans ce qui allait survenir à partir de juillet 1944.
Inscription des matricule, prénom, nom et de l'inscription "FMR" pour Fusiliers Mont-Royal sur le sac régimentaire de Paul-Henri Sioui - Coll. Michel Sioui
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Noms de villes et de pays présents sur le sac régimentaire de Paul-Henri Sioui Coll. Michel Sioui
Avec les Fusiliers Mont-Royal, il semble avoir débarqué en France le 7 juillet. Comme nous pouvons l’observer sur le sac d’entraînement lui ayant appartenu, il semble que Paul-Henri Sioui ait fait les campagnes de France, de Belgique et des Pays-Bas pour finir la guerre avec son unité en Allemagne.
Un convoi allemand prisonnier de la poche de Falaise détruit près de Chambois, 19-20 août 1944 - US National Archives, P000821
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Les Fusiliers Mont-Royal se sont surtout distingués durant la campagne de Normandie, en France. Ainsi, à partir de la mi-juillet 1944, ils livrent d’intenses combats au sud de la ville de Caen dans les secteurs des fermes Beauvoir et Troteval d’où ils doivent déloger les Allemands et subir les contre-attaques meurtrières (Canada, 1971 : 195). Les Fusiliers Mont-Royal y laisseront d’ailleurs deux compagnies presque entièrement anéanties après avoir résisté aux charges massives des redoutables 1ère et 12e divisions blindées SS (Ibid. : 196-202). Leur sacrifice a cependant retenu les Allemands assez longtemps pour permettre aux Canadiens de se réorganiser afin de contrecarrer la poussée allemande vers Caen. Après un léger répit, les Fusiliers Mont-Royal remontent en première ligne pour fermer l’étau sur la poche d’encerclement de Falaise qui vise à emprisonner des dizaines de milliers de soldats allemands. La ville du même nom est libérée par le régiment le 17 août après d’éprouvants combats. Falaise libérée, la poche s’apprête à se refermer et la mort et la destruction s’abattent brusquement sur les milliers de soldats allemands pris au piège. Plus de 6 000 soldats allemands et des
milliers de chevaux furent tués, sans compter aussi les milliers de véhicules réduits en cendre. Après la Normandie, Paul-Henri Sioui et les Fusiliers Mont-Royal se dirigent au nord vers la Belgique et les Pays-Bas. Si la Belgique s’avère plutôt aisée à libérer, la bataille de l’Escaut, aux Pays-Bas, immobilise le régiment pendant six longues semaines meurtrières. Lors des seuls combats près de la ville de Woensdrecht (PaysBas) du 23 au 24 octobre 1944, le régiment voit près d’une centaine de ses hommes être blessés ou tués (Canada, 1971 : 242). Après ces opérations, les Fusiliers pénètrent en Allemagne où ils termineront la guerre. Cette dernière prend fin le 8 mai 1945.
20 août 1942, soit le lendemain de l’hécatombe du raid manqué de Dieppe en France. Lors de cette funeste journée, le régiment perdit 513 hommes sur 584 déployés, dont 105 tués. Avant cette date, Rosaire Sioui provenait des unités de réserve servant à renforcer les formations canadiennes. Malheureusement, il fut l’un des seuls membres des Fusiliers Mont-Royal à perdre la vie entre le raid de Dieppe et l’arrivée du régiment en Normandie à partir de juillet 1944. Le frère de Paul-Henri Sioui s’était enrôlé volontairement en 1940 et a servi pendant trois ans avant de rendre l’âme dans un hôpital de Montréal.
L’ANGLETERRE OU SERVIR SOUS LES La guerre de Paul-Henri Sioui lui a laissé de BOMBES nombreuses cicatrices. L’une était apparente D’autres Hurons-Wendat ont pour leur part puisqu’il avait été blessé par un éclat d’obus à la eu une expérience de la guerre tout à fait fin de la guerre. Toutefois, la seconde, invisible différente de celle d’aller combattre en France et profonde celle-ci, l’a certainement rongé ou en Italie. Leur front à eux se trouvait en dans son âme comme tant de vétérans de cette Angleterre à veiller à l’approvisionnement terrible guerre. Malgré tout, Paul-Henri Sioui et à l’organisation matérielle des troupes. Il était fier d’avoir combattu. Comme l’a affirmé ne faut surtout pas croire qu’il s’agissait d’un son fils Michel, il pensait avoir « fait quelque théâtre moins dangereux. Durant les premières années de la guerre, l’Angleterre subissait chose de bien », d’utile même. En outre, la constamment les bombardements meurtriers guerre lui a permis de « s’échapper » et de partir de l’aviation allemande. C’est dans ce contexte à « l’aventure ». La vie de l’époque était difficile que Jean-Baptiste Lainé, frère de Fernand après la crise économique et le fait d’être « Lainé, vétéran du Régiment de la Chaudière, indien » n’était certainement pas un avantage sert à partir de 1942 au sein du No. 5 District dans la société de l’époque. S’extirper de cette Depot qui fait partie du Royal Canadian Army vie en s’enrôlant devenait peut-être l’une des Service Corps (RCASC). meilleures options disponibles pour à la fois améliorer son sort et aller se battre pour des Il suit d’abord son entrainement militaire dans la idéaux plus grands que nature. Le prix à payer région de Rimouski avant d’être formé comme pour cette vie s’accompagnait cependant d’un opérateur radio et nommé au grade de caporal. lourd tribut. C’est dans ces dernières fonctions qu’il joint le RCASC et quitte le Canada pour l’Angleterre. Le frère de Paul-Henri, Rosaire Sioui, n’a pas eu La guerre à laquelle Jean-Baptiste Lainé dut l’occasion d’améliorer sa vie. Il est décédé le 14 faire face a certainement été troublante juillet 1943 dans un hôpital de Montréal à l’âge puisqu’il semblait avoir été « traumatisé par de 25 ans. Rosaire Sioui fut ainsi le seul militaire son expérience ». La guerre était un sujet tabou huron-wendat décédé durant la Seconde comme pour tant d’autres. De plus, elle lui a Guerre mondiale. Il fut rapatrié au Québec laissé la marque de graves brûlures sur certaines en avril 1943, car il souffrait de tuberculose parties de son corps. Il s’agissait probablement depuis la fin de 1942. Il avait contracté cette du résultat d’un des multiples bombardements maladie respiratoire lorsqu’il était stationné en qu’il a dû expérimenter alors que la Luftwaffe, Angleterre avec les Fusiliers Mont-Royal. Rosaire l’aviation allemande, employait souvent des Sioui avait tragiquement rejoint ces derniers le bombes incendiaires pour causer plus de DES HOMMES DÉVOUÉS
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Peloton d'entraînement no. 2 de JeanBaptiste Lainé (3e rangée, 3e à partir de la gauche), Rimouski, janvier 1942 - Coll. JeanBaptiste Lainé, ACNHW
dommages aux villes anglaises bombardées. Pour ses services, Jean-Baptiste Lainé a reçu la Médaille de 19391945, la Médaille du service volontaire et la Médaille de la défense. Cette dernière nous indique d’ailleurs qu’il a servi au moins six mois en Angleterre. Il est finalement rentré au pays en 1946 après avoir passé quatre ans dans l’armée. Il n’a pour ainsi dire jamais parlé de cette guerre qui l’a tant marqué. Un autre Huron-Wendat a lui aussi fait partie du No. 5 District Depot. Marcel Bastien, fils de l’ancien Grand Chef Ludger Bastien (1929-1935), s’enrôle volontairement en 1942 avant d’être nommé lieutenant peu de temps après. À ce titre, il est l’un des seuls Hurons-Wendat à avoir servi comme officier au cours de l’une ou l’autre des deux Guerres mondiales. Or, comme sa fille Heather Bastien l’a affirmé, son père n’a jamais dit qu’il faisait partie des Premières Nations. Selon lui, il était mal vu de mentionner son statut Scène de désolation après un bombardement « d’Indien » si l’on voulait être enrôlé dans l’armée. sur Londres survenu le 29 décembre 1940. Dans les faits, Marcel Bastien avait tout à fait raison Marcel Bastien et Jean-Baptiste Lainé ont puisque la discrimination concernant leur enrôlement certainement été confrontés à de tels était largement présente au cours de la Seconde Guerre événements - © IWM (HU 64317) mondiale. Il est légitime de penser que M. Bastien aurait eu beaucoup de difficultés à atteindre le rang de lieutenant s’il avait déclaré qu’il était membre de la Nation huronne29
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wendat. Toutefois, il ne faut pas confondre cela avec un manque de fierté ou même croire que son statut ne fut jamais connu. Le contexte de l’époque demeurait cependant très ambivalent. L’armée était certainement faite pour Marcel Bastien qui avait non seulement essayé deux fois de s’enrôler sans succès avant de l’intégrer, mais qui était aussi un homme particulièrement curieux et impétueux. Laissant ses cinq enfants à ses parents après le tragique décès de sa femme, il part pour l’Angleterre. Le cheminement de Marcel Bastien l’amènera d’ailleurs
à devenir l’officier supérieur de Jean-Baptiste Lainé alors que les deux se retrouvent au sein de la même unité. Nous présumons donc qu’ils se sont côtoyés régulièrement durant la guerre. Après le débarquement en Normandie en juin 1944, le lieutenant Bastien devait être déployé en France. Toutefois, en raison d’une fracture à la cheville, il n’a jamais pu s’y rendre. Il est revenu de la guerre en un seul morceau en 1946.
Écusson d'identification de Jean-Baptiste Lainé - Coll. Musée huron-wendat
Médaille de guerre 1939-1945 décernée à Jean-Baptiste Lainé - Coll. Musée huronwendat Le lieutenant Marcel Bastien, RCASC - Coll. Élizabeth Sainte-Marie
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HER MAJESTY’S CANADIAN SHIP Certains de nos anciens combattants ont aussi accompli leur devoir dans la marine, dont un avec la Marine royale canadienne. Cet homme est Paul-Émile Gros-Louis. Décédé en 1970 d’une longue maladie, il n’a pas eu l’occasion de raconter avec beaucoup de force sa participation à la Seconde Guerre mondiale. Grâce à la collaboration de son fils Ronald Gros-Louis, nous avons pu retracer en partie son histoire. Fils d’Alexandre Gros-Louis et neveu de PaulHenri Gros-Louis, ce dernier ayant d’ailleurs
Après avoir insisté avec véhémence, Paul-Émile Gros-Louis réussit néanmoins à rejoindre la Royal Canadian Naval Volunteer Reserve (RCNVR). La Marine royale canadienne n’étant pas très vaste au début de la guerre, nombre de recrues se retrouvent à attendre leur tour dans la réserve. Paul-Émile Gros-Louis verra finalement son tour arriver puisque nous savons qu’il a servi sur le HMCS Montréal, comme en témoigne l’uniforme conservé par son fils Ronald. Ce navire était une frégate d’escorte de convois ayant pour mission de protéger les navires de la marine marchande circulant dans l’Atlantique contre les attaques des sous-marins allemands nommés U-Boot. L’histoire du HMCS Montréal nous indique que ce navire est déployé pour la première fois à partir du mois de mars 1944. Matelot de 2e classe et opérateur radio, Paul-Émile Gros-Louis n’a que 23 ans au moment où il est confronté aux dangers de la bataille de l’Atlantique. Il est finalement revenu de la guerre sain et sauf. Paul-Émile Gros-Louis posant sur un navire en 1942. Il ne s'agirait pas du HMCS Montréal puisqu'il entra en service seulement en 1944 - Coll. Ronald Gros-Louis
Paul-Émile Gros-Louis en uniforme de matelot 2e classe - Coll. Ronald Gros-Louis
servi en tant que garde-côte dans la marine américaine, Paul-Émile Gros-Louis s’engage dans la marine vers 1942-1943. Son arrivée ne se fait pas sans tracas puisqu’il est refusé une première fois en raison de son appartenance à une Première Nation. En effet, durant la Seconde Guerre mondiale, la Marine royale canadienne fut la branche militaire la plus discriminatoire de toute l’armée canadienne. Avant son changement de politique en mars 1943, tout son personnel devait être de « pure descendance européenne et de race blanche » (Sheffield, 1996 : 9). En pratique, la marine canadienne aurait toutefois continué à appliquer cette règle de façon non officielle (Sheffield, 2007 : 66). 31
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Paul-Émile Gros-Louis (flèche rouge) et l'équipage du HMCS Montréal (K319) Projet Mémoire, Historica Canada
Uniforme de la marine porté par Paul-Émile Gros-Louis - Coll. Ronald Gros-Louis
HMCS Montréal (K319), 1944. Paul-Émile GrosLouis a servi sur ce navire - Droits autorisés
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DES GUERRIERS CHEZ LES « CHAUDS » Le Régiment de la Chaudière, dont les membres étaient surnommés les « Chauds », a accueilli dans ses rangs, au cours de la Seconde Guerre mondiale, deux Hurons-Wendat : Roger Picard et Fernand Lainé. Roger Picard et sa famille demeuraient, à l’origine, à l’extérieur de Wendake dans le secteur actuel de Val-Bélair. Il était d’ailleurs le frère d’Omer Picard ayant fait partie des Fusiliers Mont-Royal. Son fils, Michel Picard, n’a jamais réussi à en savoir plus sur l’expérience de son père. Roger Picard n’était pas un homme très bavard. Peut-être avait-il ses propres raisons de garder ses souvenirs pour lui. Ainsi, nous savons simplement que Roger Picard s’enrôle au sein du Régiment de la Chaudière vers 1942. Après un entrainement intensif à Borden en Ontario et à Valcartier au Québec, il se blesse à l’épaule. Cette blessure l’empêchera de rejoindre le régiment déployé en Angleterre depuis juillet 1941. Sa guerre était maintenant terminée.
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Le seul autre Huron-Wendat à avoir fait partie du Régiment de la Chaudière est Fernand Lainé. Son parcours militaire demeure toutefois aujourd’hui recouvert d’un voile de mystères en raison du peu de témoignages de sa part sur cette difficile et parfois terrible épreuve, ainsi qu’en l’absence, pour l’instant, des sources archivistiques adéquates. En recoupant les témoignages de certains de ses enfants avec nos recherches effectuées sur le sujet, nous sommes pourtant en mesure de dresser le portrait d’un homme qui a sacrifié beaucoup pour participer à une guerre qui lui semblait au départ étrangère, mais dans laquelle il a courageusement décidé de s’engager volontairement pour aller servir outre-mer à des milliers de kilomètres de chez lui. Les frères Joffre, Fernand, Robert et Jean-Baptiste Lainé posant en uniformes, novembre 1943. Fernand et JeanBaptiste sont les seuls à être allés au front - Coll. JeanBaptiste Lainé, ACNHW
Son histoire semble commencer durant l’année 1943. Approchant de ses 23 ans, Fernand Lainé s’engage dans l’Armée canadienne. À ce moment-là, il ne fait pas partie du Régiment de la Chaudière avec lequel il servira, puisque ce dernier se trouve déjà en Angleterre depuis l’été 1941. En fait, les soldats, tels que Fernand Lainé, qui ont rejoint le Régiment en cours de route, et ce, avant le débarquement de Normandie en juin 1944, étaient des volontaires entrainés indépendamment de cette unité et qui y ont été transférés dans le but de gonfler ses rangs. Les besoins urgents en hommes de troupe dus aux préparatifs pour l’invasion de l’Europe ont probablement joué un rôle non négligeable dans l’acceptation d’un jeune homme comme lui qui n’aurait pourtant jamais dû aller à la guerre. En effet, Fernand Lainé avait un souffle au cœur, ce qui le rendait inapte au service militaire. Toutefois, ses problèmes de santé n’ont eu raison ni des examens d’usage des médecins de l’armée, qui l’ont recommandé pour le service actif, ni de sa propre volonté de s’enrôler. Les raisons de le faire étaient bien sûr multiples, mais si le salaire de l’armée pouvait être attirant pour un jeune marié et tailleur de cuir comme lui, il est probable que ce qui a décidé Fernand Lainé était avant tout son sens du devoir qui, disait-on, le caractérisait. Nombre de proches lui répétaient qu’il n’était pas obligé, mais cela ne changeait rien. À 23 ans, le jeune Huron-Wendat était prêt pour aller combattre même s’il s’était récemment marié. Il laisserait derrière lui sa jeune famille au profit d’un avenir incertain. Entre-temps, Fernand Lainé poursuit son entrainement dans un camp militaire à Halifax. Loin de ses proches, il a tout de même la chance de revenir à Wendake afin d’assister à la naissance de son fils Denis, premier de 10
enfants. Il doit cependant quitter sa famille peu de temps après afin de prendre le train pour rejoindre Halifax et se préparer pour son départ prochain vers l’Angleterre. Quelques mois plus tard, ces derniers moments d’amour et de bonheur seront loin alors que Fernand Lainé sera confronté pour la première fois aux horreurs de la guerre. Si nous en savons relativement peu sur son parcours de soldat, nous pouvons toutefois affirmer que Fernand Lainé conduisait, durant la guerre, une chenillette connue sous le nom d’Universal Carrier ou Bren Gun Carrier. Ce dernier surnom provenait du fait qu’elle emportait régulièrement une mitrailleuse lourde Bren. Par contre, d’autres versions, telles que le modèle canadien Wasp Mark IIC, pouvaient accueillir un lance-flamme.
Un Universal Carrier équipé d'un lance-flamme. Il s’agit ici du modèle britannique similaire au canadien, mais possédant deux réservoirs plutôt qu’un seul - © IWM (H 18217)
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D’ailleurs, selon l’un des rares témoignages de Fernand Lainé, nous savons qu’il a conduit cette dernière version. Ce petit véhicule légèrement blindé était reconnu pour sa rapidité et sa polyvalence puisqu’il pouvait supporter les troupes d’infanteries ou transporter du matériel et quelques hommes. La version lance-flamme servait surtout à l’appui des troupes, à détruire les lieux fortifiés ou à incendier les bâtiments suspects. Néanmoins, il fallait avoir une bonne dose de courage pour conduire cet engin dans
la mesure où il faisait une cible parfaite pour l’ennemi et que son blindage de seulement 12 mm ne le protégeait aucunement des mines ou des tirs d’artillerie. Le modèle transportant le lance-flamme avait d’ailleurs un réservoir externe, ce qui le rendait particulièrement vulnérable. Fernand Lainé n’était toutefois pas du type à refuser une tâche. Au matin du 6 juin 1944, il s’apprêtait à débarquer en Normandie comme des milliers d’autres. La vraie guerre commençait.
HMCS Prince David, un homme observe l'assaut des Canadiens sur Juno Beach, 6 juin 1944 - BAC, PA-143823
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Débarquement de la 9e brigade d'infanterie canadienne dans le secteur de Bernières-sur-Mer, Juno Beach, 6 juin 1944 - © IWM (A 23938)
En ce matin houleux du 6 juin, Fernand Lainé débarque avec la compagnie de support du Régiment de la Chaudière à Bernières-sur-Mer. Il fait partie de la deuxième vague d’assaut sur la plage nommée Juno et attitrée aux Canadiens; il est un peu plus de 8 h 30 am. Alors que la marée monte, de nombreuses péniches de débarquement du régiment heurtent des mines sous-marines avant d’atteindre les plages, causant des pertes et compliquant l’avancée des troupes qui tentent de venir en aide au régiment des Queen Own Rifles dont les troupes, ayant été happées de plein fouet par les mitrailleuses et l’artillerie allemandes en plus de manquer le support des blindés, sont clouées sur la plage mesurant près de 100 mètres. La peur est
palpable avant de débarquer. Les balles et les obus sifflent et tombent tout autour. Comme l’a rapporté Fernand Lainé, durant la traversée, l’un de ses coéquipiers fond en larme à mesure que la péniche se rapproche de la plage. Au moment où la porte de la barge de débarquement s’ouvre sur la plage de Juno, ce même homme s’élance d’un trait en criant et en tirant tout autour de lui, tout paniqué qu’il est. Les Bren Gun Carriers qui débarquent, comme celui de Fernand Lainé, sont submergés par les vagues si ce n’est qu’ils sont immobilisés sur la plage en raison de bris mécaniques et exposés aux tirs meurtriers des mitrailleuses et de l’artillerie allemandes retranchées dans le village de Bernières-surMer. DES HOMMES DÉVOUÉS
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Même si le Régiment de la Chaudière atteint tous ses objectifs fixés pour le 6 juin, les violents combats font au moins 105 victimes, dont environ 17 morts. Fernand Lainé dira d’ailleurs de cette journée que « le bon Dieu était avec lui » puisqu’il s’en est sorti sain et sauf. La campagne de Normandie ne sera pas de tout repos avec entre autres de durs combats dans les secteurs de Caen (6 juin au 31 juillet) et de la poche de Falaise (7 au 22 août). Après la France, le régiment remonte au nord-ouest vers la Belgique, où les embuches sont moindres, mais où survient un événement démontrant les qualités de Fernand Lainé. En effet, selon le témoignage d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, présenté dans un documentaire au tournant des années 2000, celui-ci aurait été secouru à la même époque en Belgique par un homme conduisant un Bren Gun Carrier alors qu’il gisait blessé dans un fossé. L’homme blessé lui demandant qui il était, ce dernier lui répondit qu’il était un « Indien du Village Huron ».
Fernand Lainé (1er à gauche) avec son équipage de Bren Carrier sur un pont en Allemagne, juin 1945 - Coll. Normand Lainé
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Il n’a jamais dit son nom, mais nous savons que Fernand Lainé est le seul Huron-Wendat à avoir conduit ce type de véhicule en un tel endroit durant la guerre. L’homme en question n’a cependant jamais eu la chance de revoir son bon samaritain. Suite à la Belgique, le soldat Lainé et son unité franchissent les Pays-Bas à la fin de 1944 pour finir la guerre en mai 1945 dans le nord-ouest de l’Allemagne après des combats acharnés comme ceux de la campagne de l’Escaut pour la poche de Breskens, aux PaysBas, ou de la forêt du Hochwald, en Allemagne. L’itinéraire du Régiment de la Chaudière est d’ailleurs présenté à la page 44. De cette guerre, Fernand Lainé a ramené beaucoup de choses. Par exemple, il est revenu avec quelques objets et décorations comme une dague de la SA (ancêtre de la SS) et un drapeau de l’armée allemande, ainsi que l’Étoile FranceAllemagne et la Médaille de guerre 1939-1945 décernées pour son service militaire.
Étoile FranceAllemagne et Médaille de guerre 1939-1945 décernées à Fernand Lainé - Coll. Sylvie Lainé
Parfois, ils viennent au détour d’une phrase avant de s’éteindre rapidement dans le silence, mais rarement sont-ils pleinement vécus. Fernand Lainé a fait partie de tous ces Hurons-Wendat qui ont tenté d’améliorer leur sort tout en allant défendre des idéaux qui leur étaient chers dans une guerre qui ne voulait pas nécessairement de la participation des Premières Nations. Il nous a quittés le 2 décembre 2005, emportant avec lui ses souvenirs et ses peines d’un terrible conflit auquel il avait courageusement participé et qui, contre son gré, avait marqué le reste de son existence.
Ces objets ont tous été conservés par sa famille jusqu’à aujourd’hui. Or, son plus grand souvenir aura toujours été le fardeau de ce qu’il a vécu durant ces terribles mois qui ont marqué la fin de la guerre en Europe. Il n’a pratiquement jamais parlé de son expérience puisque, comme tant d’autres, les mots pour le dire ne venaient pas aisément. Comment peut-on trouver les mots pour raconter avec force et détails des expériences comme celle où il a dû, lorsqu’il était en Allemagne, recourir à son lance-flamme pour incendier une maison allemande après avoir fait sortir du soussol ses occupants apeurés?
Drapeau de l'armée allemande ayant appartenu à Fernand Lainé - Coll. Denis Lainé
«Tout pour l’Allemagne ». Dague d’apparat de la S.A. ramenée d’Europe par Fernand Lainé - Coll. Denis Lainé
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COMBATTRE DANS LA US NAVY À l’instar de la Première Guerre mondiale, quelques-uns de nos anciens combattants ont aussi servi aux États-Unis. La très grande majorité d’entre eux se trouvait déjà à travailler au sud de la frontière au moment de l’entrée en guerre des États-Unis le 8 décembre 1941. Comme tant d’autres, ils cherchaient du travail et l’économie américaine pouvait offrir de meilleures opportunités en raison de son industrie vigoureuse qui supportait les autres pays en guerre. Certains vont revenir au Canada et d’autres y resteront toute leur vie. Leur histoire est bien sûr partielle en raison du manque d’informations, mais elle fait partie intégrante de celle de notre Nation. Soulignons d’abord les contributions des frères François et Roland Bastien, respectivement oncle et père de M. Pierre Bastien, qui se sont tous deux enrôlés dans l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale. Nous ne connaissons presque rien de leur parcours excepté pour François, dont nos recherches nous ont permis d’apprendre qu’il s’était enrôlé le 21 juillet 1944 en Illinois à l’âge de 23 ans. Ce dernier n’a toutefois pas de descendants pouvant témoigner de son expérience. Nos recherches nous ont également appris que Donat Sioui, l’un des frères de Patrick Sioui qui a lui-même servi au sein du Royal 22e régiment,
s’est enrôlé dans l’Aviation royale canadienne avec laquelle il était basé à Mont-Joli. Après avoir quitté le Canada pour les États-Unis, il s’est finalement engagé dans la marine américaine. Donat Sioui aurait par ailleurs travaillé comme interprète en Allemagne après la guerre. Il n’a malheureusement pas laissé de témoignages détaillés concernant ses années dans l’armée. D’autres, quant à eux, nous ont laissé plus d’informations. Par exemple, Paul-Henri GrosLouis, l’oncle de Paul-Émile Gros-Louis (HMCS Montréal), part pour les États-Unis très jeune et élit domicile en Californie. Il s’enrôle dans la Garde côtière américaine le 3 mars 1941 avant de servir sur différents navires, dont le S.S. Mormachawk qui avait pour fonction de transporter des troupes et de l’équipement dans l’océan Pacifique. Les membres de la Garde côtière étaient affectés durant la Seconde Guerre mondiale au soutien de l’effort de guerre que les États-Unis déployaient dans les océans Pacifique et Atlantique. Au total, plus de 215 000 hommes ont rempli ses rangs et des centaines y ont trouvé la mort par la faute des sous-marins allemands ou de la marine japonaise. En effectuant un peu de recherches, nous apprenons que PaulHenri Gros-Louis faisait partie, au 31 mars 1944, de l’équipage du S.S. Mormachawk qui était à l’époque déployé dans le Pacifique Nord. En tout, sa guerre aura duré quatre ans à sillonner le Pacifique pour soutenir l’avancée américaine contre le Japon. Après la guerre, Paul-Henri Gros-Louis est resté en Californie où il s’est marié avec une Américaine d’origine japonaise prénommée Sumiko. Il continuera son service auprès de la Garde côtière durant les guerres de Corée (1950-1953) et du Viêt Nam (1964-1975). PaulHenri Gros-Louis s’est éteint le 17 mars 2001 à l’âge honorable de 83 ans. Pierre tombale appartenant à PaulHenri Gros-Louis, Californie
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Le dernier portrait que nous vous présentons est celui de Jean-Paul Sioui. Né en 1917 et fils de Philippe Sioui, il quitte pour les États-Unis au tournant des années 1940. Le 20 janvier 1944, il s’enrôle dans la marine américaine au rang de matelot de 1ère classe.
Devant la chapelle de Wendake, Jean-Paul Sioui, 29 mai 1944 - Coll. Élisabeth Sioui
Il est assigné à bord du porte-avion USS Randolph le 20 novembre 1944 (National Archives, 1945 : 213). Ce dernier entre en fonction au mois d’octobre et est rapidement dépêché dans le Pacifique au début de 1945, alors que la guerre que les États-Unis mènent contre le Japon entre dans sa dernière phase. L’un des plus grands faits d’armes de l’USS Randolph auquel JeanPaul Sioui a participé est la sanglante bataille
d’Iwo Jima. Le Japon se trouvant acculé au pied du mur, les troupes américaines débarquent en février 1945 sur les plages de ce petit îlot stratégique qui ne devait prendre que quelques jours à maîtriser. S’engage alors un affrontement acharné qui durera six longues semaines et qui coûtera la vie à plus de 6 000 Marines américains. Entre temps, l’USS Randolph envoie de nombreuses vagues d’avions de combat pour tenter de réduire au silence les défenseurs japonais d’Iwo Jima. Après plusieurs jours d’attaques incessantes, il se retire pour aller se ravitailler. Soudainement, à la nuit tombée le 11 mars 1945, un avion kamikaze japonais s’écrase sur son pont avant, tuant 27 personnes et en blessant 105 (DANFS, 2016). Jean-Paul Sioui était parmi les blessés ce jour-là, ne subissant heureusement que des lacérations mineures au genou droit (National Archives, 12 mars 1945). En dépit de cette attaque meurtrière, le porteavion est réparé à temps pour se joindre à l’offensive contre l’île d’Okinawa qui durera 82 jours d’avril à juin 1945. Jean-Paul Sioui et son navire seront au cœur de cette dernière grande bataille de la campagne du Pacifique. Les forces japonaises se trouvant sur l’archipel d’Okinawa, situé aux portes du Japon, vendront chèrement leur peau autant sur terre que sur mer. On estime à près de 2 000 le nombre d’attaques suicides commises contre les forces navales américaines durant la bataille. Avant de se retirer du combat, l’USS Randolph reçoit l’honneur d’être désigné en tant que navire de commandement de la Task Force 58 soutenant l’attaque contre Okinawa. Jean-Paul Sioui revient aux États-Unis le 15 octobre 1945. La guerre était maintenant finie pour lui.
Photo aérienne des forces navales et terrestres américaines assiégeant l'île d'Iwo Jima, mars 1945 - Associated Press
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UNE TRADITION GUERRIÈRE JUSQU’À AUJOURD’HUI Jamais, dans l’histoire humaine, des conflits n’ont fait autant couler d’encre que la Première et la Seconde Guerre mondiale. Des milliers de travaux ont été consacrés à leur étude et pourtant, nous ne faisons que commencer à étudier plus en détail la participation des membres des Premières Nations à ces deux conflits marquants. Dans un tel contexte, que pouvions-nous faire pour témoigner de l’histoire de notre Nation et de nos anciens combattants s’il n’existait pratiquement rien pour en rendre compte? Nous avons fait ce que toute Première Nation respectant sa tradition orale devrait faire en puisant au fond de nous-mêmes par l’entremise de ceux qui pouvaient témoigner de la mémoire de leurs proches ayant si fièrement et volontairement mis leur vie entre les mains du destin. Grâce, également, aux archives historiques disponibles, nous avons fait un pas de plus vers l’appropriation de notre histoire, bien qu’il y ait encore du travail à faire concernant la commémoration de notre participation militaire à ces deux conflits. Cependant, toutes les recherches historiques sur notre histoire militaire ne suffiront pas à rendre justice à notre passé, à moins que nous incarnions dans le présent la tradition guerrière de la Nation huronne-wendat. Souvenons-nous d’abord qu’elle n’a jamais cessé d’exister, et ce, même après l’arrivée des Européens il y a maintenant plusieurs siècles. Peu importe ce que tenteront de prétendre les livres d’histoire des allochtones, nos traditions guerrières ont toujours vécu, même à une époque où certains ont tenté de nous assimiler et de nous rendre étrangers à notre culture pourtant si riche. Or, incarner de nos jours la tradition guerrière ne veut pas dire se battre envers et contre tous. Cela veut plutôt dire de défendre avec fermeté nos valeurs et intérêts collectifs en écoutant et en prenant aussi en compte les besoins individuels de chacun. La sauvegarde de notre tradition guerrière signifie donc le respect du groupe uni que forme notre Nation. Notre devoir essentiel de mémoire envers l’histoire individuelle de nos anciens combattants des deux Guerres mondiales trace en soi une partie du chemin à parcourir pour comprendre pourquoi et comment « Nous » avons vécu en tant que Nation. Encore aujourd’hui, des hommes, tels que Jocelyn Paul, brigadier général au sein de l’Armée canadienne, et maintenant des femmes, tous Hurons-Wendat, servent courageusement et avec fierté dans les forces armées, défendant des idéaux qui leur sont propres, mais qui sont loin d’être étrangers aux valeurs collectives de liberté, de souveraineté et d’inclusion propres à la Nation huronne-wendat. Espérons seulement que ce projet aura su rendre justice à ces hommes courageux ayant participé à la Première et à la Seconde Guerre Cette plaque commémorative à été rendue possible grâce au travail mondiale et qu’il saura tous nous de Normand Lainé, Mélanie Vincent, Julie-Christine Lainé et de inspirer dans le futur. Jean‑François Richard. 41
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LISTE D’HONNEUR PREMIÈRE GUERRE MONDIALE (19141918)
SECONDE GUERRE MONDIALE (19391945)
FALARDEAU, Alphonse – Lt, 134th Field Artillery BASTIEN, Marcel – Lt., No. 5 District Depot, Battalion RCASC FALARDEAU, Paul – Soldat, 309th Field Signal BASTIEN, François – Marine américaine, US Navy Battalion BASTIEN, Roland FALARDEAU, William – Soldat, 309th Field Signal Battalion GROS-LOUIS, Paul-Émile – Matelot 2e classe, HMCS Montreal (K-319), MRC nd GROS-LOUIS, Désiré – Sapeur, 2 Field Company, 1st Can. Div. Eng. GROS-LOUIS, Paul-Henri – Garde côte, SS Mormachawk, US Navy GROS-LOUIS, Ludger – Soldat, 258th Battalion LAINÉ, Fernand – Compagnie de support, PICARD, Joseph † – Soldat, 8th Btn. Régiment de la Chaudière PICARD, L.P. Ormond – Cpt, 12th Btn.; Can. Cyc. LAINÉ, Jean-Baptiste – Cpl., opérateur radio, No. Corps. Btn.; No. 77 Company, CFC 5 District Depot, RCASC SIOUI, J. Dephise – Soldat, 87th Btn.
PICARD, Albert W. – milice, 9e régiment des Voltigeurs
SIOUI, Emery
PICARD, Omer – Fusiliers Mont-Royal
SIOUI, Ernest
PICARD, Roger – Régiment de la Chaudière
SIOUI, Joseph – 2 Depot Battalion nd
SIOUI, Donat – ARC; Marine américaine, US Navy
SIOUI, Pierre – Sgt, 189 Battalion th
THÉBERGE, Delphis – Corporal driver, 31 Battery, CFA
st
SIOUI, Jean-Paul – Matelot 1ère classe, USS Randolph CV-15, US Navy SIOUI, Patrick – Royal 22e Régiment SIOUI, Paul-Henri – Fusiliers Mont-Royal SIOUI, Rosaire † – Fusiliers Mont-Royal SIOUI, Victor – 5e régiment canadien de garnison
Ce soldat se recueille devant la tombe d’un camarade tombé durant la bataille de Passchendaele en novembre 1917. En juillet 1916, Joseph Picard était fauché dans ce même secteur peu après la fin de la 1ère bataille d’Ypres – BAC, PA-002211
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Itinéraire du Régiment de la Chaudière, 1944-1945 Bureau du Nionwentsïo
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Arrière-plan: Une mine explose sous les tranchées allemandes avant l’assaut meurtrier des troupes britanniques lors de la première journée de la bataille de la Somme, 1er juillet 1916 - © IWM (Q 754) Bas gauche: Soldats canadiens rejoignant les plages de Normandie, 6 juin 1944 - BAC, PA-132790. Haut droite: Photo aérienne du débarquement des troupes
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Résumé:
Les Première et Seconde Guerres mondiales captent encore et toujours l’attention de la recherche historique en raison de l’ampleur sans commune mesure dans l’histoire humaine des moyens matériels et humains qui ont été engloutis dans ses entreprises militaires à grande échelle. Or, si ces conflits sont largement étudiés sous différents angles, il demeure des champs d’étude faisant acte de parent pauvre de la recherche historique dans ce domaine tels que la participation militaire des Premières Nations du Canada. Sans l’effort des Premières Nations ellesmêmes pour rendre justice à leur propre histoire, une partie de leur passé continuera à leur échapper. En ce sens, la Nation huronne-wendat se devait de participer à ce champ d’étude. C’est pourquoi cette brochure témoigne de nos recherches historiques concernant le parcours militaire des anciens combattants hurons-wendat ayant participé aux deux conflits mondiaux. La présentation de leurs portraits individuels représente le cœur de cette brochure. Cette partie est précédée à la fois d’une présentation de l’histoire guerrière de la Nation huronnewendat et d’une étude de l’implication militaire des Premières Nations lors des deux Guerres mondiales. L’analyse ainsi dégagée aborde des sujets tels que l’attitude des autorités canadiennes envers les Premières Nations, les effets de la conscription, et la position du Conseil de la Nation huronnewendat par rapport à ces grandes entreprises militaires. Bonne lecture!
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