RÉSUMÉ DE L'HISTOIRE DU CHRISTIANISME
PAR DE POTTER.
DEPUIS
TOME SECOND
JOSEPH DE MAISTRE .
Les temps sont arrivés, et toutes les idoles doivent tomber .
, BRUXELLES A. LABROUE ET COMPAGNIE, IMPRIMEURS, RUE DE LA FOURCHE , 36 . 1856
JÉSUS JUSQU'A NOS JOURS
CHRISTIANISME , II .
NOUVEAUX RÉFORMA TEURS.
RÉSUMÉ DE
L'HISTOIRE DU CHRISTIANISME.
Quittons un instant la scène des intrigues pontificales, si funestes à l'autorité de l'église, pour revenir aux efforts des sectaires chrétiens qui voulaient réformer cette églisc, dont l'ambition de chefs sans conviction et sans probité avait fait un foyer de corruption et de désordres. Les catho liques eux-mêmes, nous parlons deceuxqui prenaient réel. lement intérêt à la conservation de leur culte et qui ne fai
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jer. WICLEF, JEAN HUSS ET JÉRÔME DE PRAGUE.
Conciles æcuméniques de Vicence, de Pise et de Constance. Doctrine de Wiclef. Les lollards persécutés.- La réforme en Bohème. Communion sous les deux espèces. Les pères de Constance fontbrûler Jean Huss et Jérôme de Prague.
LE PAPE. (SUITE.)
DEUXIÈME PARTIE .
CHAPITRE XII.
Du temps des vaudois et des albigeois, au midi de laFrance , le peuple disait déjà : « J'aimerais mieux être capellan (chapelain, prêtre catholique) que de commettre telle ou telle action mauvaise; » au lieu de dire comme au paravant : « J'aimerais mieux être juif; » ce qui était bien pis que d'être un scélérat. En Angleterre, à l'époque oùnous allons entrer, les épithètes de moinemendiant et d'im
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Au concile accuménique de Vienne en Dauphiné (com mencement du xive siècle), il avait été clairement démon tré que l'église se trouvait sous la nécessité la plus impé rieuse de subir une régénération complète, et que, faute de s'y soumettre, il lui deviendrait chaque jour plus difficile dese maintenir : car, y avait-on affirmé, « les prêtres qui la dirigent, étant mauvais eux-mêmes, n'admettent pour re cruter le corps sacerdotal que des ministres qui ne valent diaboliquementpasmieux;lesélectionssefont,nonpascanoniquement,mais;lescabales,laruse,laprotection,l'hypocri sie etl'or, sont les seuls titres pourparvenir aux dignités ec clésiastiques,qui ne sont plusque des moyens pourpouvoir seplonger impunément dans ledéréglement ettouteespèce de monstruosités. » C'était reconnaître le mal; mais on ne voulaitpas du remède. Nousavonsvu quelesaveux faits auxconciles généraux de Piseet de Constanceavaient égale ment constaté le déplorable état auquel les vices du clergé et surtout des papes avaient réduit l'église, et que les papes, à qui on avait confié la mission de les extirper, avaient failli à la besogne : ou bien les états généraux du christia nisme avaient péché par excès d'ingénuité, ou plutôt ils n'avaient en réalité pas voulu eux-mêmes d'une réforme dont cependant ils ne pouvaient plus se dispenser de ma ni ester au moins le désir.
saient point personnellement partie des abus à redresser, éprouvaientvivement le besoin de rendre au christianisme, autant qu'il était possible dans les circonstances données, sa simplicité et sa pureté primitives.
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posteurétaientdevenues synonymes, tellement la première ferveur et l'austérité de ces religieux étaient dégénérées en avidité d'amasser de l'argent, en bassesse envers les puissants de la terre, et en mépris, en dureté pour les pauvres.
Aussi, lorsque Jean Wickliffe ou Wiclef se mit à pré cher (1377) contre les richesses du clergé, source, selon lui, del'avilissement du sacerdoce, il ne manqua ni d'auditeursnidepartisans. Wiclef,docteuren théologieà Oxford, comprenait fort bien que, pour diminuer l'influence tem porelle des prêtres, seul moyen, à ses yeux, de leur rendre leur pouvoir moral, il fallait, avant toute autre chose, faire mainbassesurles dogmesquejusqu'alors ilsavaient exploités si lucrativement. Il.abolit en conséquence le purga toire, la tradition, les règles monastiques et l'invocation saints. Il ajoutait à cette réforme la proposition si ab horrée parles papes, savoir, que l'église romaine n'est pasplus supérieure qu'elle n'est inférieure aux autres églises, et que le pontife quise dit souverain est, dansle fait,l'égal du moindre des prêtres. Enfin il établissait que les princes peuvent et mêmedoivent dépouiller deleurs biens les pon ti es et les prélats qui en abusent; que l'église n'a aucun pouvoir temporel, même pour sévir contre ceux qui sont reconnus coupables de délits religieux; enfin que le pain etle vin consacrés sont exclusivement l'image du corps et du sangGrégoiredeJésus-Christ.XIcondamnavingt-trois des propositionsémisespar Wiclef, et ordonna à l'archevêque de Cantorbéry et à l'évèque de Londres de l'examiner lui-même. Wiclefétait efficacement protégé; tout se borna donc pour cette fois àlui imposer le silence. Mais il ne le garda pas longtemps. Ses disciples, qui se distinguaient par la pauvreté de leur costume,furent appelés lollards par le peuple, du nom des réformateurs qui, comme eux, prêchaient contre la messe,lavirginitéde Marie, lebaptême, la confession auriculaire,
Wiclef vécut et mourut tranquille dans sa cure de Lutterworth, au diocèse deLincoln (1385). Deux ansaprès, les lollardsde Londres étaient devenus nombreux et puissants; ils organiserent leur communauté et élurent des ministres pour la desservir. En 1395, ils étaient assez forts pour de mander au parlement la réforme du cultede l'étatsurdouzepoints déterminés, entre autres le célibat des prêtres, la transsubstantiation, la confession auriculaire, les prièrespour les morts, les pèlerinages, les exorcismes, etc., etc.L'archevêqued Yorketl'évêquedeLondresdemandèrentdeleur côté la répressiondu lollardisme.
la présence réelle, le sacrement du mariage, l'extrême onction,labénédiction des églises, des eaux et des palmes, lesjeûnes,les abstinences,les fêtes, etc., etc.,et quiavaient été brûlés en Allemagne et en Bohême, avec Walter, leur chef, environ soixante ans plus tôt (1322).
Au commencement du xve siècle, Henri IV, roi d'Angle terre, décréta la recherchedes lollards afin que ceux qui ne se rétracteraient pas fussent sévèrement punis. Un seul prêtre subit le supplice du feu, et les lollards ne dogmati sèrent plus qu'en secret. Cependant en 1413, ils affichèrent sur les portes de l'église de Londres une espèce de provoca tion contre le culte catholique. Ils étaient à cette époque soutenus par un homme riche et considéré, ami personnel du roi, nommé Jean Oldcastle de Cobham, qui fut arrêtéettraduit devant le concile de Londres, dont les pères le con damnèrent, l'excommunièrent et le livrèrent au bras sécu lier. Oldcastle s'évada de la prison du Temple où il était détenu, etalla se mettre àla tête de ses lollards. Maisil futvaincu en bataille rangée, et ses partisans, faits prisonniers, furent brûlés vi s, tant prêtres que laïques; lui-même, dé couvert à la fin, subit le supplice du bûcher (1417).
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Les opinions de Wiclef, communiquées aux écoles de Prague par un Bohémien qu'on ne nomme pas, ou par unAllemand appelé Faulfisch, y avaient été développées par 1
Jean Huss, curé de Bethléem , et confesseur de Sophie de Bavière, femmedel'empereurWenceslasVI. LesAllemands, qui n'étaient pas partisans de la nouvelle doctrine, et dont les Bohémiens cherchaient depuis longtemps à se débar rasser, saisirent cette occasion et quittèrent l'université, professeurs et élèves, au nombre de trente-six mille, et les regnicoles demeurèrent maîtres du terrain (1409). Jean Huss fut nommé recteur de l'université réorganisée sur un nouveau plan, et son enseignement, dirigé principalement contreles prêtres et les moines catholiques, comme celui de ses précurseurs, Jean Milicius, Conrad de Stecken et autres, donna bientôt lieu à un lollardisme ou plutôt à une espèce de vaudoisie, qui suscita des troubles graves et une guerre longue et cruelle.
Ce fut précisément alors que Jean XXIII fit publier une croisade, avec indulgences plénières, contre Ladislas, roi de Naples. La lecture publique de cette bulle à Prague excita beaucoup de scandale et une grande effervescence. Jérôme de Prague, un des plus fervents disciples de Jean Huss, en profitapour improviser une procession dérisoire, espèce de mascarade contre l'église romaine,à l'adressesurtout de la
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Sbinkon ouSbygnæus, archevêquedePrague, surnommé le loup, en devint la cause occasionnelle en faisant brûler deux cents volumes des écrits de Wiclef, et en imposant le silence à Jean Huss qu'il chassa de la ville. Jean Huss alla prêcher à la campagne, sous la protection des grands propriétaires du pays. Son thème habituel était l'abusdes trop grandes richesses du clergé, auquel, disait-il, on ne devait point payer de dimes, si ce n'est à titre d'aumône faculta tive,puisqu'il n'en avait plus besoin, et que la dimen'avait jamais été qu'un moyen de faire vivre les prêtres lorsqu'ils étaientencorepauvres et qu'ils nepouvaientpas sesoutenir par leur travail. Les seigneurs comprirent parfaitement ce langage, et ort peu d'entre eux continuèrent à payer l'aumône volontaire de la dime ccclésiastique.
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10 populace. Mais l'autorité intervint, et quelques hussites furent arrêtés et mis à mort; ce qui mit le tumulte à son comble. Jean et Jérôme furent condamnés au concile de Prague (1413). Peu après, l'archevêque Sbygnæus mourut. Le successeur qu'on lui donna était loin d'avoir les qualitésrequises pour calmer les esprits exaspérés contre l'église romaine. C'étaitun médecin, nommé Albicus, qui n'avaità invoquer d'autre titre que celui d'avoir publié un livre surlacuisine, écrit en langage macaronique, à moitié latin, à moitié allemand.
Pendant que ces choses se passaient, un vaudois, Pierre deDresde, arriva àPrague et insinua à JacquesdeMiessou Jacobellus, prédicateurattaché à l'église de Saint-Michel en cetteville, ses idées concernantla nécessitépourleslaïques de communier sous les deux espèces, comme les prêtres : elles serépandirent rapidement en Bohême. Tous les yeux étaient tournés vers le concile de Constance, qui pouvait, qui devaitdès lors, en réformant l'église dans son chef et dans ses membres, mettre fin aux troubles en enlevant tout prétexte aux perturbateurs.
Grégoire XII, un des trois papes d'alors, nous apprend
Pour qu'on se fasse une légère idée des abus qui exci taient le plus de réclamations et de plaintes, nous nousbor nerons à rapporter les propres paroles de Jean Gerson, un desplus chauds promoteursdu concile æcuménique : « Les cloîtres des chanoines réguliers, dit-il , sont devenus des placespubliqueset des marchés; lescouvents de religieuses, des lieux de prostitution; les cathédrales, des cavernes de brigands et de voleurs. Les prêtres ont leurs maîtresses pour gouvernantes. Le culte des images est dégénéré en superstition et ne fait plus que porter le peuple à l'idolå trie. Le nombre toujours croissant des ordres religieux donne lieu à toute espèce de confusion. On ajoute sans cesse aux saints déjà canonisés des saints qui ne méritentguère cethonneur. »
que, dans vingt-deux couvents de la Frise, les bénédictins et bénédictines cohabitaient ensemble et vivaient dans la plusscandaleuse promiscuité avecles prélats de l'église, lesmaîtresses des moines, etc., etc. Théodoric de Niem trace un tableau analogue des églises d'Irlande, de Norwége, deGascogne, d'Espagne, de Portugal. Les évêques n'y voyagcaient jamais qu'accompagnés de leurs maîtresses, qui allaient se voir entre elles tandis que les prélats conféraientdes affaires de la religion. Les enfants des prêtres dépas saient en nombre les enfants des laïques.
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Nous avons vu que le concile de Constance se borna à substituerun seul papeaux trois pontifes qui se disputaient la tiare, puis se sépara.
Jean Huss, bachelier de la sainte théologie et maitre és arts, ce sont les titres que lui donne le sauf-conduit dont l'avaitmuni l'empereur Sigismond---se présenta au concile æcuménique de Constance , accompagné de Jérôme de Prague. Les pères eurent beau tenter touslesmoyens pour faire renoncer les deux Bohémiens au wicléfisme, ceux-ci leur répondirent imperturbablement qu'ils obéissaient à Jésus-Christ; quele clergé romain et catholique avaitperdu jusqu'aux moindres traces de la doctrine du Sauveur, en se plongeant dans les délices du monde, en ne visant qu'à dominer le peuple, en dissipant dans le luxe le bien des pauvres, et en ne vivant que pour satisfaire leurs passions déréglées.JeanHuss fut brûlé malgré son sauf-conduit, le concile ayant déclaré, à sa 19° session, que les promesses faites aux hérétiques,fût-ce par des rois etdes empereurs, ne liaient jamais l'église, sous aucun rapport. Sans ces promesses cependantet sans la foi qu'yavaitcueleréformateur,Jean Huss nc se serait pas rendu au concile et celui-ci cût été dans l'impuissancede sévir contre lui. Jérôme de Prague subitquelque tempsaprès le même supplice. Enée Sylvius, Piccolomini, qui devint pape sous le nom de Pie II, rend
hautement témoignage au courage et à la constance des deux sectaires, et il avoue que les hussites qui étaient venus à Constance retournèrent chez eux, emportant le plus vif ressentiment de l'injustice dont leurs chefs avaient été les victimes. Dans sa 5° et sa 8e sessions, le concile avait con damné quarante-cinq propositionsde Wiclefet trente-neuf de Jean Huss, comme hérétiques, captieuses, blasphéma toires et offensant les oreilles dévotes.
Les Bohémiens célébraient chaque année la fête de leurs deux martyrs, saint Jean Huss et saint Jérôme de Prague. L'université,convaincuepar les discours du curéJacobellus,avait décrété que la communion sous les deux espèces était obligatoire pour les laïques, d'où vint aux hussites le nom d utraquistes ou subutraquistes. Il ne sera pas sans intérêt de rappeler à cette occasion que le pape saint Léon, au ve siècle , rconnaissait les manichéens, qu'il avait résolu d'exterminer, à leur affectation de ne vouloir communier que sous une seule espèce, ce que le pape Gélase condamne formellement, comme un détestable sacrilége, le sacrement de l'eucharistie devant, selon lui, être reçu tout entier ou pas du tout. Cette décision fait encore aujourd'hui partie du droit canonique de l'église romaine.
Ziska . Guerre barbare. Les deux Procope. Le concile de Bale . Compactata. Mauvaise foi pontificale.
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Quoi qu'il en soit, l'émeute en Bohêmegrondaitdeloutes
§ II. LES UTRAQUISTES.
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13 parts. Après le pillage de quelques églises catholiques et deplusieurs couvents, trente mille hussitesallérent communier sous les deux espèces, en plein champ, assis à trois cents tables, sans confession préparatoire, pas loin du château de Buchingen, à peu près là où, dans la suite, fut bâtie la ville deTabor. A Prague, après une sanglante mêlée, treize con suls ou conseillers furcnt jetés par les fenêtres et reçus sur les piques des hussites. Le roi Wenceslas, trop faible pour réprimer ces troubles, appela à son secours l'empereur Sigismond, son frère, ct mourut presque immédiatement après, laissantle royaume à ce même frère, son successeur.
Mais sur lesentrefaites, Jcan Trocznow, plus connu souslenom deZiska, s'étaitmisà la têtedesmécontents (1420).Pour les disposer à la guerre qu'ils allaient avoir à faire sous ses ordres, il commença par les mener contre les catholiques sans défense, les employa à renverser plus decinq cents églises, à briser les images et à chasser les moines. Il ne rencontra de résistance sérieuse qu'à Prague seulement : on s'y battit pendant cinq jours consécutifs.Sigismond n'en prit pas moins possession du royaume, et les révoltés lui rendirent volontairement les forteressesdont ils s'étaient cmparés.
Mais le nouveau roi commit l'inqualifiable imprudence de faire publier la bulle de Martin V qui organisait une croisade contre les hussites, et tout retomba bientôt dans la confusion. Quelques traits d'une sévérité cruelle de la part de Sigismond provoquèrent des représailles terri bles. Dans un seul couvent, cinquante moines furent mas sacrés etd'autres brûlés vi s. Les catholiques nese faisaient pas faute de rendre la pareille aux hussites. Ziska vainquit plusieurs fois Sigismond en bataille rangée; ayant élevé et fortifié la ville de Tabor, pour être le centre de l'insur rection et de la réforme, il alla soutenir à Prague un siége mémorable. Ces glorieux succès étaient toujours ternis pardes massacres, des incendies et des atrocitésinouïes; neuf
cents catholiques avaient été brûlés avec une de leurs églises, dont les prêtres étaient morts, précipités dans un four à chaux.
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Comme si les hussites n'avaient pas suffi, les orebites, réformés de la montagne d'Oreb, sc mirent en campagne. Martin V prècha contre eux une croisade particulière, dontils se vengèrent en exterminant tous les catholiques qui leur tombèrent entre les mains. Les catholiques n'étaientpas du reste les seules victimes du zèle des nouveaux sectaires : quarante adamites oupicards venaient d'arriverdu nordde laFrance,et déjàilscommençaient à fairedes prosélytes en Bohême, lorsque Ziska, dont la moindre division parmi les réformés religieux aurait renversé les projets deréformepolitique, résolutd'agiravecles picards comme lescatholiques agissaient avec les hussites; il les calomniad'abord, puisil les envoya au bûcher. Ces picards étaient probablement des vaudois avancés, c'est-à-dire ce quefurent dans la suite les anabaptistes que Luther traitaexactementcomme Ziska avaittraité les picards, etpour le même motif.
Les taborites, qui avaient puisé une nouvelle ardeur et des idées nouvelles dans leurs relations avec les picards, établirent peu à peu une réformeplushardie et une morale plus rigide que celle de Jean Iluss. Au concile hussite de Praguc (1420) , soixante-scize propositions des taborites furentcondamnéesparles professeurs de l'université et par les ministres de l'ancien hussitisme. Cette réforme primitive nesemodifia quepour s'éloigner de plus en plus de la vau doisic pure professée par les taborites, de manière à ne plus différer bientôtdu catholicisme que par la communion sous les deux espèces, à laquelle les partisans du calice ou calixtins s'obstinèrent à ne pas vouloir renoncer.
Ziska faisait tout à la fois la guerre à Sigismond auquel il finit par cnlever tout le royaume, et commettait cruautésur cruauté contre les catholiques, de manière que la Bo
Il n'était plus possible de s'opposer au torrent : aussi l'ar chevêque de Prague, Conrad, qui, pour succéder au méde cin Albicus, n'avait eu qu'à lui rendre la somme que son siége lui avait coûtée, convoqua-t-il un concile (1421) où fut cassé ct annulé tout ce qu'avait fait celui qui avait été célébré huit ans auparavant. La communion du calice y fut ordonnée, etle clergé propriétaire condamné. LesHongrois catholiques, commandés par Jean Miestecki, venaient de consumer dans les flammes à Chohborz sept cents Bohé miens; les taborites se chargèrent de renchérir encore sur ces boucheries. Ziska, devenu Jean du Calice, et à qui il ne manquait que le titre de roi, mourut (1423) après avoir, en moins de cinq ans, sacrifié aux intérêts de la réforme plus de six cent mille catholiques. Il voulut qu'on couvrit un tambourde sa peau, afin de continuer à faire trembler les défenseurs de l'église romaine comme il avait fait de son vivant.
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hême entière ne fut plus enfin qu'un monceau de ruines recouvrant des cadavres. Les divisions intestines des réfor mésfirentaussicouler le sangàflotsdansles rues dePrague: les consuls hussites ayant fait assassiner des chefs tabo rites, le peuple vengea ces derniers sectaires. C'està cemo ment que la Moravie entière embrassa la ré orme, etjoignit ses forces à celles des Bohémiens.
A la mort de Ziska, les taborites se divisèrent en tabo rites proprement dits, commandés par Procope Rasus (le tonsuré, le prêtre), et en orphelins, sans chef, mais sous la direction d'un conseil présidé par un autre Procope appelé le Mineur : les uns et les autres, ainsi que les orébites el lescalixtins, ne faisaient plus qu'un dès qu'il s'agissait de combattre les Allemands que, dans leur langage biblique, les hussites nommaient Philistins, Iduméens et Moabites. C'est ce qui eut lieu après que Martin V, appuyé sur les décisionsdu concile deSienne(1425), eut fait prêcher unenouvelle croisade en Allemagne. Trois armées, dont l'une
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avaità sa tête l'archevêque de Trèves, pénétrèrent dans le royaume et furent constamment battues par les Bohémicns. Les croisés se débandèrentà la fin, laissant derrièreeux dix mille des leurs que les paysans massacrèrent, et tout leur matériel. Les sectaires ternirent leur victoire par les atro citésdont ils se rendirent coupablesenvers les catholiques. Ceux-ci revinrent à la charge : au nombre cette fois de qua rante mille, quelques auteurs disent de cent quarante millehommes, les croisés commandés par le cardinal Julien, président désigné du futur concile de Bâle, mirent tout à eu et à sang. Les réformés,dont les forces ne montaient pas au tiers de celles de leurs ennemis, les chassèrent honteuse ment; puis ils commirent autant d'horreurs qu'eux.
Le concile de Bâle s'assembla en 1431 : Sigismond, qui avait fait l'expérience de la valeur des Bohémiens que les pères de Båle eux-mêmes déclaraient invincibles, chercha à les gagner par la douceur, et fut sagement secondé par leconcile. Il demeura décidé que les réformés, sans avoir à redouterla déloyautéqu'ilsavaientrencontrée à Constance,exposeraient librement leurs doléances, à condition loute fois de se soumettre d'avanceaux résolutions qui interviendraient. Les choses en étaient là lorsque le papeEugène IV, quel'espritd'indépendance des pères bâlois effrayait singulièrement, rompit l'accord qui allait se conclure, délia de tout serment quiconque avait fait aux hérétiques quelque promesse que ce fût, et ordonna aux fidèles de se lever en masse pour exterminer les hussites jusqu'au dernier. Lesré ormés, du reste, n'étaient pas tous également d'avis de soumettreleur doctrine à l'appréciation du concile des catholiques : les grands seuls qui professaient le wicléfisme de Jean Huss et de Jérôme de Prague voulaient, concur remment avec les partisansde l'église romaine,qu'on entr ten discussion; leur but comme leur intérêt était d'arrêterà tout prix le mouvement réformateur qui, dégénérant en mouvement démolisseur, les aurait bientôt menacés eux
La première opinion l'ayant emporté, trois cents cheva licrs, parmi lesquels se trouvaient Guillaume Kostka, Jean Rokiczana et Procope Rasus, se rendirent à Bâle ct y expo sèrent les quatre principaux articles de leur confession , savoir : que lacommunion sous les deuxespèces estnéces saire au salut de tous les fidèles indistinctement; qu'en vertu de la loi divine , le pouvoir civil et la propriété des terres sont incompatibles avec le sacerdoce; que la prédica tionde la parole de Dieu appartient à tous les chrétiens ; enfin que tout délit public, quand même il aurait été com mis afin de prévenir un plus grand mal, doit être puni. Quatre hussites furent mis en rapport avec quatre catholi ques pourparvenirà poserau moinsles basesd'un compromis;maisaprèscinquante joursdedébats, cetteconvention futjugée impossible. Le concile se vit forcé d'envoyer des commissaires sur les lieux mêmes ; cette tentative réussit : lescommissaires avaient pour instruction de laisser dans le vague ce qui ne pourrait être déterminé d'un commun ac cord, c'est-à-dire les questions de foi, et de se montrer le plus possible conciliants pour le reste : aussi les hussites obtinrent-ils le droit au calice, en même temps qu'ils con servèrent la propriété des biens dont ils avaient dépouillé l'égliseet le clergé, et moyennantcesconcessions,les Bohé miens ré ormés, à l'exception des taborites, des orphelins ct des orebites, reconnurent la suprématie de l'église ro maine. Cela s'appela les compactata.
mêmes dans leur position et dans leur existence. Les ta borites, les orphelins, le peuple en un mot, y étaient con traires.
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Bientôtéclata une nouvelle guerre en Bohême, non pluscette fois des Bohémiens contre les étrangers et leur culte, mais entre les Bohémiens eux-mêmes, qui tous ensembles'étaient insurgés contre ce culte et les étrangers, parceque ceux-ci voulaient le maintenir dominant. Les nobles,ralliés au catholicisme, attaquèrent les taborites et les
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orphelins qui obéissaient au grand Procope. Mainard,comte de Neuhauss, qui commandait l'aristocratie bohé mienne, remporta une victoire complète dans une bataille où les deux Procope furent tués après des prodiges de courage et de valeur (1434). Mainard avait fait des mil liers de prisonniers : sous prétexte que d'anciens soldats de Ziska et de Procope n'étaient bons qu'à susciter des troubles et à commettre des désordres, il les fit entrer dans des granges, comme pour procéder à leur enrôle ment, et les y brûla tous. De cette manière, disent les annales de l'église, il fitpasser ces sectaires du feu terrestre au feu de l'enfer, et, ajoute l'historien Cochlæus, il délivra la Bohême de cette boue.
nousSigismond,couronnéempereuràRome,réconcilia,commeleverronsplusloin,lespèresduconciledeBåleaveclepapequi,enconséquence,confirma(1434)cequecette assemblée avait fait contre la papauté qu'elle s'était sou mise, et cassa ce qu'il avait fait lui-même contre la supré matie des conciles généraux, au-dessus desquels néanmoins les papes ne cessèrent pas pour cela de se placer dans la suite tout comme auparavant : ces décisions étaient denature à donner du fil à retordre aux théologiens chargés dans tous les temps de concilier ce qui, en soi, est inconciliable. Au reste, cette difficulté aplanie, Sigismond reprit possession de la Bohême (1436), ct le pape complimenta les Bohémiens - qui, nc l'oublions pas, étaient autorisés à user du calice, et qui retenaient les biens de l'église- deleur retour à la vraie religion. Lorsque Albert, duc d'Au triche, succéda à Sigismond (1438), les hussites ou utra quistes zélés et les taborites lui opposèrent Casimir, frère du roi de Pologne. En 1441, Rokiczana, devenu arche vêque de Prague, tint un concile pour confirmer ce queles hussites avaientdécidé vingt ans auparavant, et protégé par George Podiebrad, gouverneur de la Bohême pour le fils encore enfant du duc Albert, il persécuta quiconque
Enfin George Podiebrad, devenu roi à son tour (1458), s'empressa dedonnertous les gages de soumission au saint siége, mais bien entendu à condition que le pape, de soncôté, observerait fidèlement les compactata jurés par le concile de Bâle et ratifiés par Eugène IV. Il menaça mèmedu bûcher les taborites et les adamites ou picards parce qu'ils ne se montraient pas aussi faciles que lui. Le pape Pie II le crut entièrement revenu au catholicisme, et lui demanda de se séparer ostensiblement des utraquistes. George refusa. Pie II révoqua les compactata (1463) ; il excommunia et déposa le roi de Bohême qu'il qualifiait de païen et de publicain, en vertu, eut-il soin de dire lui même, des lois de l'église, qui déclarent incapable de pos séder, dans les pays chrétiens, aucun titre, aucun pouvoir, royal ou autre, quiconque s'est, par un schisme, aliéné de la communion catholique romaine. Paul II alla plus loin : il flétrit George Podiebrad des épithètes de bussite, relaps obstiné dans l'hérésie des compactata, et il anathématisa tous les Bohémiens qui ne se déclareraient pas contre lui.George en appela au pape mieux informé et, à son défaut, au futur concile æcuménique, dont les pères du concile général de Bâle, le savant Gerson et même le pape Pie II avaient établi la suprême autorité sur l'église. Les troubles et les massacres ne tardèrent pas à se renou veler en Bohême (1466), à la voix du légat pontifical Ro dolphe qui avait lancé sur le royaume l'armée des croisés, destinée à combattre les Turcs. George, après s'être réuni aux taborites et aux autres sectes hussites dissidentes , battitrudement les catholiques. Là-dessus, anathèmes nou veaux de lapart du pape etnouvel appel de la partdu roi. Mathias Corvinus, qui devait tout au roi George, entra alors en Bohême pour le détrôner (1469). Il ne fit que
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n'était pas entièrement de son avis. Vladislas IV aigrit les esprits des réformés par une députation qu'il envoya au pape Calixte III.
flétrir par ce trait d'ingratitude la gloire qu'il avait acquise dans ses exploits contre les Turcs.
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Le pape Pie IV avait prudemment permis aux calixtinsde Bohême, qui ne différaient des catholiques romains que par la seule participation au calice, de continuer à en jouir (1562). SaintPieV, GrégoireXIII et Sixte-Quint abro gèrent cette concession. Au commencement du xvue siècle, les hussites, les picards, les luthériens et les calvinistesde la Bohême, réunis sous le nom de subutraquistes, protes tèrent contre les vexations auxquelles ils étaient en butte de la part des catholiques, leurs concitoyens. Le mécon
Vladislas V monta sur le trône à la mort de George Po diebrad(1471),après avoirjuré lemaintien descompactata. Il n'eut à sévir que contre les picards qui étaient devenus fort nombreux en Bohême et dans la Moravie (1510 ). Ferdi nand Jer promit également l'inviolabilité des compactata. C'est ce qui donna à Luther la latitude de s'adresser direc tement aux états de la Bohême, en se mettant en rapport avec les utraquistes, défenseurs des compactata, et même avec les frères moraves, nom qu'avaient pris les picards.L'Interim de Charles-Quint accorda l'usage du calice à tous ses sujets réformés (1548). Pour neutraliser l'effet de cette mesure du pouvoirimpérial, le pape Paul III chargeases légats de dispenser sur leur demande les Bohémiens et les Allemands de l'obligation de ne communier que sous une scule espèce. Maximilien II, qui n'osait pas abroger les compactata, réussit du moins à les faire passer sous silence aux comices de la Bohème (1567) : cet acte irréfléchi occasionna, de l'aveu mème des catholiques, la séparation des Bohémiens de l'église romaine, les utraquistes s'étant, par amour pourle calice et par haine contre qui voulait les en priver, réunis à l'une ou à l'autre des confessions nou velles où l'on donnait la communion sous les deux espèces, soit luthériens d'Augsbourg, soit zwingliens suisses, soit picards.
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tentement qui avait gagné toutes les classes eut finalement pourrésultatladépositionde l'empereurRodolpheII(1611), auquel les Bohémiens substituèrent son fils Mathias. En un instant, la Bohême fut en feu, ct l'on eut à déplorer les mêmes excès qui avaient ensanglanté jusqu'alors ces lon gues et déplorables disputes. La maison d'Autriche, pen dant la guerre qui suivit, fut plusieurs fois à deux doigtsdesa ruine, malgré ses nombreuses victoires sur les Bohé miens, les Moraves, les Silésiens, les Lusaciens et les Hon grois, et les proscriptions religicuses qui en furent laconséquence. Cette guerre dura trente ans, jusqu'à la cé lèbre paix de Westphalie (1648) qui y mit un terme.
Nous venons de voir les attaques des ré ormateurs diri gées contre le clergé catholique; occupons-nous maintenant de celles des catholiques voulant se réformer entre eux.C'était toujours l'église à régénérer dans son chef et dansses membres. Mais les réformateurs, qui n'appartenaient plus à cette église ou qui se souciaient peu de continuer à y appartenir, allaient franchement à la besogne, y allaientpeut- être même un peu rudement. Les autres, enfants de l'église dont ils cherchaient à extirper les abus, y mettaientplus de forme, mais aussi moins de loyauté. Chacun d'eux avait son plan de redressement des griefs, et ce plan comprenaittous les griefs, hors ceux qui les concernaient eux mêmes.
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Martin V repousse toute espèce de réforme. Concile de Bâle. Lepape,humilié.- Antagonisme entre lepapeetleconcile.-Concilede Florence. - Deux papes à la fois. Nicolas V met fin au schisme. Pie II .
LES PAPES ET L'ÉGLISE.
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Les fidèles, par exemple, trouvaient des abus, mais chez les prêtres seulement; le clergé n'en voyait que chez les prélats; les évêques signalaient surtout les abus de la cour papale, et le pape ne connaissait qu'un seul abus, savoir celui qui portait ses inférieurs à blâmer ce que le saint siége n'avait pas soumis à leur critique. C'était une lutte incessante, on peut ajouterinterminable, entrel'aspirationuniverselle à un état de choses qu'on ne définissait que
CHAPITRE XIII .
Il est évident qu'une pareille lutte qui avait nécessaire ment lieu sur le terrain du sacerdoce, de l'église, de la reli gion, se faisait aussi, et toujours nécessairement, aux dépens de l'église et du sacerdoce, et surtout au détrimentde lareligion. Jusqu'alors la société avait vécu parsa foi; ellecommençait à ne plus vouloir vivre que pour analyser cesur quoielle avait fondé sa croyance. La conséquence iné vitable de ce changement radical dans les esprits était que,ne possédantaucune vérité démontrée, les hommes allaient cesserde croire, sans cependant pouvoir encore acquérir de certitude sur quoi que ce fût : on touchait à l'époque sociale de doute, dont l'ère de confusion et de troubles s'ou vraitpourle monde. Examinons-en lesprincipales périodes.
d'unemanière négative, à cause du besoin qu'on éprouvait desortiràtoutprix descontradictions etdesembarrasdont on se sentait de plus en plus enveloppé, et l'intérêt, tantôt de ceux qui soutenaient les abus pour se conserver euxmêmes, tantôt d'autres qui combattaient les abus existants dont ils ne profitaient pas, pour se faire une position aumoyen d'abus à établir.
En voici une preuve entre beaucoup d'autres : Jean deBrabant avait obtenu de lui, sans la moindre difficulté, une dispense pour épouser sa cousine germaine, Jacqueline,fille et héritière du comte de Hainaut, de Hollande et deFrise. Mais Jean de Bavière, évêquedeLiége depuis vingt huitans, quoiqu'il ne fût que sous-diacre, et oncle de Jac
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Au concile de Constance, les pères allemands avaient été lesseuls à insister sérieusement sur le besoin d'une réforme de l'église; à leur demande, une commission composée des élus de chaque peuple s'occupait à formuler un projet, et déjàil ne manquait plusquela formalité de la promulgation par le concile, lorsque les cardinaux firent tout échouer en nommant un pape, Martin V. Celui-ci, loin de songer à se réformer d'après une règle quelconque, fit bientôt éclater son mépris pour tout ce qui est règle.
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queline, convoitait les états de cette princesse. Pour que l'empereur Sigismond l'aidât à s'en emparer, il promit d'é pouser, toujours quoique sous-diacre, la nièce dece monar que, et qui étaitla mère d'une filleuleà lui évêque. L'em percur, ayant fait valoir auprès du pape que le concile de Constance avait eu pour objet la réforme de l'église, en vertu de laquelle le pontife romain, tout en conservant le droitdepardonner les péchéscommis, avaitperdu celui de permettre qu'on en commît de nouveaux, fit casser par Martinla dispenseabusivementaccordéeau ducdeBrabant. Mais comme si les choses , en changeant de nom, chan geaient aussi de nature, Sigismond obligeaen même temps lepape de vendre pourvingt mille écus à l'évêque de Liége toutes les dispenses qu'il demandait. Le duc de Brabant se maria sans dispense du saint-siége, et Martin ratifia cette union qu'il n'avait condamnée, affirma-t-il, que parce qu'il y avait été contraint.
A peine Martin V se vit-il délivré du concile (1418) qu'il songea à mettre ordre aux affaires du royaume de Naples, desquelles dépendait sa propre tranquillité dans ses états. Il fit couronner Jeanne II; mais il s'en repentit presqueaussitôtparcequeJeanCaracciolo,amantdelareine, l'empêchait de rendre au pontife les services sur lesquels il avait compté, Martin se tourna alors vers les angevins, et reconnut comme roi effectif de Naples Louis III, que ses prédécesseurs Alexandre V ct Jean XXIII avaient, dans le temps, déclaré roi fiduciaire. Puis il défendit au clergé,aux seigneurs et au peuple d'obéirà Jeanne et de lui payer aucunMaisimpôt.c'étaient là des intérêts de second ordre. La question du redressement des abus continuait à primer tout le reste. Martin avait promis, à Constance, de convoquer un concile pour la réforme des mæurs du clergé et des autres fidèles; » il désigna la ville de Pavie, d'où le peu d'évêques qui s'y étaient rendus transférèrent l'assemblée à Sienne,
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afin d'éviterla peste qui régnait alors en Lombardie (1423). Le concile de Sienne n'eut aucun résultat : le pape en accusa les troubles qui agitaient cette ville; les pères pré tendirent qu'avec les éléments donnés, toute réforme était irréalisable. Martin, pour avoir au moins les apparences de quelque bonne volonté, chargea une commission de prélats romains d'élaborer un plan; mais les instructions dontil les avaitmunis n'étaient propres qu'à faire avorter touteespèce de plan non illusoire. Le concile de Sienne dissous devait se réunir à Bâle sept ans plus tard.
Leconcile de Bâle venait de se réunir sous la présidence
Gabriel Condolmieri, considéré comme le moins digne delapapauté, et pour cela même désigné par chacun des cardinaux qui n'avaient d'autre but que de perdre leur vote, setrouva élu par cet accord tacite et négatif (1431), ct futproclamé pape sous le nom d'Eugènc IV. Créature des Orsini, il s'empressa de faire rendre à l'églisepar la famille Colonna les immenses richesses que Martin V avait laisséesà ses parents; il fit plus, il poursuivit les Colonna ct leurs partisans avec un tel acharnement que plus de deux cents citoyens romains arrêtés et jugés périrent, les uns dansles tortures,les autres du derniersupplice. LecardinalColonna, leprincede Salerne et le comte de Celano prirent les armes pourse défendre contre le pape qui, furieux de cette résis tance, les accabla des plus horribles excommunications : la maison Colonna fut déclarée infâme à perpétuité, incapable de tester, de succéder, d'hériter et de recevoir aucun legs, afin, était-il dit, qu'elle fût toujours pauvre ; tous les actes et contrats que les Colonna avaient faits dans le passé et ceux qu'ils feraient à l'avenir étaient nuls, et leur témoignage n'avait aucune valeur; leurs palais devaientêtre dé molis et leurs armes enlevées en tous lieux. Ces peines nou velles ajoutées aux anciennes peines prononcées contre les Colonna, l'étaientsans préjudice à ces dernières qu'Eugènedéclarait confirmerdans touteleur plénitude.
26 eux,
du cardinal Julien Cesarini, déjà désigné pour cet emploi par le pape Martin V. Les dispositions démocratiques del'assemblée effrayèrent Eugène IV dès le principe, au point qu'il donna ordre au président, son légat, de transférer leconcile à Bologne. Mais les prélatsdont le nombre augmentait chaquejour, et le cardinal Julien lui-même refusèrent d'obéir; forts des décisions du concile de Constance et de la protection de l'empereur Sigismond, ils établirent nct tementleursupérioritésurlepape,qu'ils menacèrentmêmedespeines canoniques, s'il persistait à troubleretà entraver leurs opérations, et qu'ils citèrent à comparaître devantainsi que les cardinaux, archevêques, évêques, géné raux d'ordres, etc., etc. Puis ils accordèrent au pontife et à ses conseillers un délai de deux mois pour s'amender, après quoi ils seraient traités comme contumaces. Enfin ils accu sèrent formellement Eugène de vouloir perdre l'églisequ'il scandalisait, d'être un hérétique notoire, incorrigible et récalcitrant; ils défendirent aux fidèles de lui obéir, et se montrèrent même disposés à le suspendre de ses fonctions spirituelles.
Lecouronnementde Sigismond parlepape(1433)changea l'empereurentièrementlafacedeschoses:Eugène,quimaintenantavaitpourlui,reconvoqualeconciledeBâleàBâlemême;cetactetendaitànelégitimercetteassembléequ'àdaterdumomentoùellereconnaîtraitsadépendance.Maislespèresneselaissèrentpasprendreaupiége;ilsjurèrentdemourirplutôtquedesesoumettreaupontife,qui,de son côté, jura de nejamais admettre la supérioritédu con cile, d t-il lui en coûter la vie. Sigismond intervint dans l'intérêt de la réforme, à laquelle il tenait toujours, et qui ne pouvait s'opérer sans schisme, qu'en vertu d'un accord au moins apparent entre l'église et son chef. Ses efforts aboutirent finalement : le pape promulgua la fameuse bulle (1434) dont nous avons parlé précédemment, par la quelle il confessaitses torts envers le concile et lui promet
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taittouteliberté pour l avenir, annulant et cassant ce qu'ilavait faitcontre cette assemblée, et ce qu'il pourrait encore faire à l'avenir, soit par lui-même, soit par d'autres.
L'habitude defairemourir les condamnéssansconfession, dans l'intention de les damner, s'était conservée en Italie et en France pendant le xiv et même jusqu'au xve siècle. Elle supposait chez ceux qui la mettaient en pratique, ou unecomplète incrédulité,etalorsc'était envers les victimes dela cruauté injustifiable, ou bien une foi vive, et dans ce cas elle trahissait la plus diabolique intention que l'homme puisse concevoir. Au reste, rien ne doit étonner à uneépoque où l'église convertissait en mérite tout crime qui lui était utile; en voici un nouvel exemple : le favori du pape, Jean Vitelleschi, patriarche d'Alexandric et général enchefde l'armée pontificale qui marchait au secours desangevins, promettait cent jours d'indulgence à chacun de
Cen'étaitpas assez de cette humiliation devantles représentants de l'église, il fallut encore qu'Eugène transigeât avecles puissances de la terre. Tous ceux que le saint-siége avaitabaissésjadissedressaient maintenantcontrelui. Fran çois Sforce, sous prétexte d'agir dans l'intérêt du concile de Båle, s'était emparé de la Marche d'Ancône qu'il garderait, proclamait-il, en dépit de saint Pierre et de saint Paul. Les gibelins de Rome, les Colonna à leur tête, chassèrent le pape de Rome même. Forcc lui fut de s'entendre avec le seigneurde Milan, auquelilaccorda levicariatde laMarche etladignitédegonfalonier(généralissime)del'église.Eugène reprit possession de Bologne quelque temps après ; voici comment ses agents s'y comportèrent : l'évèque de Con cordia, légat du saint-siége, sans autre motif que le désir dese débarrasser des citoyens dont il redoutait l'influence, fit décapiter Antoine Bentivoglio, Thomas Zambeccari, et plusieurs autres, leur refusant le confesseur qu'ils deman daient avec instance avant de mourir,afin deperdre leursâmesavec leurs corps.
28ses soldats pour chaque pied d'olivier qu'ils arracheraient dans la propriété d'un partisan du roi d'Aragon. Mais re venons au concile de Bâle.
Eugène IV y avait envoyé des légats que le cardinal Julien s'était adjoints, après toutefois leur avoir fait accepter les décrets concernant la supériorité du concile sur les papes (session 189). Mais la bonne intelligence entrel'assemblée et le pontife n'était qu'illusoire, et chaque nouveau décret des pères l'ébranlaitencore jusquedans sesfondements. Le concile abolit les annates (21° session),malgré les réclamations réitérées des légats; puis la nomi nation aux bénéfices par le saint-siége (23e session), afinsurtout d'en empêcher le cumul, un seul bénéficier, au dire de Gerson, jouissantparfoisjusque de deux cents bénéfices,puis les réserves; puis les grâces et les nominations en expectative; puis les appels au saint-siége, les citations en cour de Rome, les indulgences, en un mot tout ce quel'assemblée comprenait sous la rubrique : « juridictionecclésiastique mal administrée. » Rome se plaignit qu'onvoulaitl'appauvrir; le cardinal Julien répondit qu'il tenaità la rendre riche en vertus. A la fin, le concile sommaEugène de venir rendre compte de sa conduite, et de sesoumettreavecl'église à la réforme que celle-ciavaitàsubir. Les légats pontificaux se retirèrent alors, et le cardinalJulien, qui voyait qu'on allait dépasser les bornes qu'il s'é tait proposé de ne point franchir, les suivit. Le pape déclara le concile de Bâle dissous, et le reconvoqua à Ferrare pour mettre le sceau à la réunion de l'église grecque et del'égliseAvantlatine.deparler decettenouvelleassembléeccclésiastique, faisons remarquerque la question agitée dans la chrétienté, à cette époque, celle de la supériorité si controversée du concile ou du pape, n'en était une que depuis environ centans. Jusqu'au xive siècle, les papes, à leur élection, pretaientle serment de se conformer aux décisionsdesconciles
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Dans cette profession de foi dont l'arrogant Boniface VITI lui-mêmejura le maintien, le pape Honorius était excom munié nominativement, avec tous les papes qui dévieraient de la règle tracée par l'église au moyen de ses assemblées universelles. C'est là la promesse canoniqueque les conciles de Constance et de Bâle voulurent remettre en honneur et envigueur;c'est contre l'application des principes qui ysont contenus que les papes du xve siècle firentune si opiniâtre opposition.
A peinele concilede Ferrare, composé seulement de cinq archevêques et dix-huit évêques, se fut-il constitué, que celui de Bâle le condamna comme un conventicule de schis matiques, et priva de toute autorité légitime le pape quile célébrait. Le concile du pape cassa, non -seulement ce que celui de Båle faisait depuis que le pape l'avait dissous, mais encore tout ce qu'il avait jamais fait, c'est-à-dire ce que le même pape, toujours Eugène IV, avait formellement et solennellement approuvé et ratifié. Eugènc s'était rendu à Ferrare en personne : sa présence excita le zèle de ses partisans, qui lancèrent toutes leurs foudres sur les évêques bâlois,etsurquiconque leurprêteraitobéissanceousecours. Ils ordonnèrent aux magistrats de Bàlc de les chasser, et aux marchands dequitterla ville, sous peined'être dépouil lés de leurs denrées et effets quelconques, le concile de Ferrare ayant déclaré qu'on pouvait les voler en toute sû reté de conscience, « puisque le bien des impies appartient de plein droit aux justes.
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@cuméniques,etderejeteraveceuxcequ'ilscondamnaient.
La prétendue réunion des Grecs à l'église latine n'eut lieu qu'à Florence, où le concile pontifical venait d'être transféré à cause de la peste qui avait éclaté à Ferraro (1439). LesGrecs se moquaient, et non sans quelque raison,des Latins qui voulaient leur imposer la foi romaine sur laquelle ils ne réussissaient pas àse mettre d'accord. Mais ils avaient besoin de ces mêmes Latins, et ils se laissèrent con » )
Pour amortir le coup qu on venaitde lui porter, Eugènecréa dix-sept cardinaux nouv aux; puis il anathématisa Félix et sa cour pontificale. Les basiléens lui rendirent sesl'oudres avec toutes les injures et même les calomnies qui
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vaincre, du moins en apparence, de la nécessité d'inter caler le filioque dans leur symbole : leur conversion futl'effet d'un discours fort éloquent, disent les auteurs, que saint Bernardin de Sienne, qui ne savait pas un mot degrec, prononça dans cette langue. Faisons observer à cette occasionquesaintBernardindeSienne,leconcilede Ferrare, toute l'église latine depuis près de mille ans et les catho liques romains encore de nos jours, sont en contradiction flagrante ct manifeste avec le pape Jean VIII, qui a condamné la double procession du Saint-Esprit, commc a constamment fait l'église grecque, en déclarantfous, violateurs de la loi de Dieu et destructeurs de la théologiede Jésus-Christ, ceuxquilespremiers avaientinventé ce dogme.
Mais ce qui était bien plus grave pourl'église romaine, c'étaitla persistance du concile de Båle, où le père Nicolas, dominicain bourguignon, poussa le zèle démocratique jus qu'à faire condamner Eugènc IV comme schismatique, simoniaque et hérétique relaps, et excommunier quiconque continucrait malgré cela à lui obéir. La déposition d'Eu gène fut suivie de l'élection d'Amédée VIII, ancien duc de Savoie, retiré dans un ermitage à Ripaille, et qui prit le nom de Félix V. Ce qui rend surtout cette nomination remarquable, c'est qu'elle eut pour promoteurs Enée Syl vius Piccolomini qui devint le pape Pie II, et Louis Ala mand, cardinal d'Arles, béatifié dans la suite par le pape ClémentVII. Cependant saint Louis Alamand avait soutenu jusqu'à la fin le grand schisme d'Occident, aussi bien que saint Pierre de Luxembourg,mort dans l'obédiencedel'anti pape avignonais, ClémentVII, et qui après avoir fait, disent les légendaires, plus de trois mille miracles, fut également béatifié parlepape romaindu mêmenom (xvr siècle).
- 31avaientpu être imaginées de part et d'autre. Le plus fâcheux pour le saint-siége, ce furent les résolutions auxquelles s'arrêtèrent la France et l'Allemagne, savoir, de ne point prendre parti dans la querelle entre les deux prétendants à la chaire de saint Pierre, mais d'accepter comme règle établie les décisions du concile de Båle, les plus opposées aux prétentions et aux intérêts temporels de la papauté. Le concile national de Bourges (1438) décréta en vingt-trois articles le rétablissement des élections canoniques, la supé riorité des conciles sur les papes, l'indépendance du pou voircivil dans lesaffaires de gouvernement, la faillibilité despontifes romains, même en matière de foi, l'abolition des annates, des réserves, des expectatives, etc., etc. Cela s'appela la pragmatique-sanction. Eugène IV faisait préci sément décréter tout le contraire à Florence. Les Allemands n'en imitèrent pas moins l'église de France, et même, dans leurdiètedeMayence, ilsacceptèrent les vérités de foi pro clamées par le concile de Båle, et s'affranchirent de l'auto rité d'Eugène,sanscependant reconnaître celle de Félix V. Sur les entrefaites , le royaume de Sicile , légué par Jeannc II, tantôt à Alphonse d'Aragon, tantôt à René d'An jou,était égalementaccordé par le pape à ces deux princes (1442). Alphonse étant demeuré le maître, Eugène IV lui permit de prélever cent mille florins d'or sur les dix pre mières années des revenus ecclésiastiques du royaume. Puis ildéclara Ferdinand, båtard d'Alphonse, habile à lui succé der; après cela, il limita le droit de succession au trône aux seuls fils légitimes d'Alphonse (1445). Le pape ne de mandait en récompense des services qu'il lui rendait que le secours d'Alphonse pour chasser des terres de l'église François Sforce qui les occupait. La famille Sforce fut pré ventivement excommuniée et privée de ses dignités et de ses honneurs.
Avant de passer au successcur d'Eugène, n'oublions pas dedire que le patriarche Jean Vitelleschi, dont nous avons
Sous le pontificat de Nicolas V eut lieu la conjuration d'Étienne Porcari. Les Romains, qui avaient toujours joui d'une espèce de liberté municipale sous leurs caporioni; qui après cela avaient vécu en république pendant presque tout le temps du séjour des papes en France et la durée du grand schisme; qui n'avaient subi que pendantquinze
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déjà parlé, élevé au cardinalat, conçut le désir de devenir pape, et afin de réaliser ce désir sans délai, tenta de faire périr son maitre et son bienfaiteur. Eugène, alors à Flo rence, envoya de concert avec Côme de Médicis, Luc Pitti, chargé de lui amener Vitelleschi, mort ou vi . Lecardinal, lorsqu'on l'arrêta, fut blessé à la tête : on le conduisit au château Saint-Ange, où, pendant qu'un chirurgien sondait la plaie, Luc Pitti, présentà l'opération,lui enfonçal'instru. ment dans le cerveau, et Vitelleschi mourutsur le coup. Eugènc IV ut suivi de Nicolas V (1447). Ce qui avait surtout distingué la fin du dernier pontificat, c'était l'indif férence avec laquelle on commençait généralement à ac cueillir les disputes entre les prêtres et leurs assemblées. Le concile de Ferrare passa de Florence à Rome : là, pour avoir quelque choseà faire, les pèresfurentréduitsàrécon cilier avecle saint-siége l'église d Éthiopie, ou les chré tiens du Prête-Jean. Le concile de Bâle s'était pour ainsi dire évanoui. L'opposition d'Allemagne venait de s'éteindre parl'approbation que donna Nicolas V auxactes de la diète de Mayence, ce qui amena la reconnaissance du pape par lesAllemands. Nicolasconfessaqueses prédécesseursavaient abusé de leurpouvoir en restreignanttrop étroitement celui des évêques, et l'empereur, touché de cet aveu, rendit au pape toutes les prérogatives qui en faisaientl'évêque unique et universel. Ce fut alors que les quelques pères demeurés fidèlesau concile de Bâle se réunirent à Lausanne (1449), ety réélurent Nicolas, auquel Félix V s'empressa de rendre hommage afin de resterle doyen des cardinaux de son an cien rival.
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Voilà deux exemples, dans un court espace de temps, de la coutume où était l'église de refuser les derniers sacre ments aux malheureux qui attendaient le supplice. C'était aux yeux des croyants une terrible aggravation de peine, et par conséquent c'était pour la société encore croyantedecetteépoque,unegarantiedel'ordre, plusforteque cellequi repose sur la peine de mort seule. Aujourd'hui que le patient obtient à sa dernière heure toutes les consolations qu'il désire, nous nous vantons d'avoir plus de sensibilité, aulieu d'avouer que nous avons moins de foi. La mort est pourlasociété sceptiqueactuellelenecplusultràdespeines imaginables; le refus des sacrements n'y ajouterait que peu de chose, et pour un fort petit nombre de ceux qui l'appliquent, ainsi que de ceux qui la voient subir.
Nicolas V avait confirmé les grâces accordées par son pré décesseur à Ferdinand d'Aragon , bâtard d'Alphonse; Ca lixte IIIlui refusa l'investiture du royaume de Naples, qu'il déclara dévolu au saint-siége par la mort du dernier feuda taire sans descendants légitimes. Son intention étaitd'élever sur le trône Louis Borgia son neveu. Mais François Sforce,
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ans le pouvoir temporel des pontifes, restauré par Mar tin V (1420); qui enfin avaient chassé Eugène IV de leur ville (1434) : les Romains, las d'un régime sous lequel ils portaient tout le poids du despotisme, sans échapper aux maux de l'anarchie, ne souffraient qu'avec peine l'autorité des prêtres la plupart étrangers à leur pays, pour qui le gouvernement était une occasion de s'enrichir et de satis faire leurs passions. Étienne Porcari les appela à la liberté, et ses projets d'arrêter le pape, de s'emparer du pouvoir et de confisquer les richesses du clergé pour solder lesdéfen seurs de la patrie, allaient se réaliser lorsque tout fut dé couvert. Porcari fut pendu avec cinq, aucuns disent avec neufde ses partisans, sans confession préalable, quoiqu'ils insistassent pour obtenir ce qu'on appelle les secours de la religion.
Avant cela, il avait fomenté la révolte de Jean Benytson, archevêque d'Upsal, contre Charles Knutson, roi de Suède, haï par le clergé auquel il avait enlevé des biens qu'il pré tendait avoir été mal acquis, et qu'il avait mis dans l'impos sibilité de s'enrichir davantage. Le prélat suédois se souleva contre le roi qu'il déclara un hérétique dangereux, et le chassa à main armée (1454 à 1457). Cetterévolution rendit la Suède à Christiern fer de Danemark, lequel punit le prêtre rebelle, et pour mettre un terme aux entreprises de la cour de Rome, demanda à Charles VII, roi de France, une copie de la pragmatique-sanction, dont il voulait faire une loi de l'état.
Pie II, successeur de Calixte (1458), avait été sous le nom d'Enée Sylvius, comme nous l'avons dit, un des cham pions du concile de Bâle. Il semblait avoir compris alors qu'avec le changement des idées chez les fidèles, il fallait que le pontife souverain fît coïncider un changement de politique. Mais devenu pape lui-même, il oublia compléte ment les leçons de l'expérience et suivit les traces de ses devanciers. Par la bulle Execrabilis, Pie II anathématisa quiconque appellerait du saint-siége apostolique au concilegénéral. Charles VII de France appela de cette bulle, qui était surtout dirigée contre la pragmatique-sanction, au concile même auguel elle défendait d'appeler. LouisXI sup prima la pragmatique, sur la promesse que lui fit le pape d'abandonner la cause des aragonais au royaume de Naples, et d'y soutenir dorénavant les seuls angevins (1461). Pen dant que Pie II faisait éclater sa joie de ce triomphe im prévu, Louis XI, qui avait senti sa faute, ordonnait sous main à son parlement de refuser d'enregistrer l'édit royal. Les historiens français s'extasient sur cette tromperie monarchique qu'ils qualifient de bon tour.
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devenu duc de Milan, marcha au secours du roi de Naples, et le pape en mourut de dépit.
CHAPITRE XIV.
Constantinople venait de tomber aux mains des Turcs; l'islamisme était surle seuil de l'Europe. Les défenseurs de lacivilisationchrétienne allaient, fallait-ilcroire, s'entendre entre eux, établir une paix du moins provisoire, et tourner leurs armes contre Mahomet II pour défendre l'Italie me nacée : la raison et la prudence la plus ordinaire l'ordon naient impérieusement. Eh bien, le contraire précisément cut lieu , et ce fut le chef religieux de la chrétienté occi dentale qui donna, en Italie même, le signal des combatset des massacres. Pie II essaya d'abord de convertir Maho met enlui promettant, en récompense de l'ablution baptis male,l'exercice légitimedu pouvoir absoludans son empireet la ratification de toutes les conquêtes qu'il aurait jugé convenable de faire aux dépens des princes chrétiens; puis, voyantque ses tentatives étaient vaines, il prêcha la croi sadecontrelesTurcs.Lorsquesonéloquence lui eutprocuré l'armée dont il avait besoin, il employa les forces qu'elle avait mises à sa disposition à affermir Ferdinand d Aragon sur le trône de Naples, et à vaincre Sigismond Malatesta,seigneur deRimini, ancienennemi des aragonais,qu'il avait
Les succès des Turcs, favorisés par les guerres entre chrétiens. Le vaniteux Paul II . Sixte IV et ses enfants . Conjuration des Pazzi. Excommunication des Vénitiens. - L'église etla prostitution. Les en fants d'Innocent VIII .
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FIN DU XVE SIÈCLE.
Paul IIsuccéda à Pie II. Avant son élection, tous les car dinaux, Paul compris, avaient juré que le pape futur ne traînerait plus après lui la cour pontificale de province en province; qu'il nommerait au plus vingt-quatre cardinaux à la fois, et qu'il ne choisirait que des sujets dignes de cette haute faveur; qu'il ne déclareraitjamais la guerre sans l'assentiment du sacré collége, etc., etc., et finale ment qu'il convoquerait, avant trois ans révolus, un con cile æcuménique chargé de réformer les abus de l'église.Nommé pape, Paul confirma cette convention, puis immé diatement après, probablement en vertu des constitutions pontificalesquiétablissentqu'aucun sermentnepeut limiterl'illimitable pouvoir de la papauté, il la cassa et l'annula, et à force de menaces et de traitements barbares parvint à faire adhérer la majorité des cardinaux à cetacte de dupli cité. Ce qui effrayait surtout Paul II, c'était le concile gé
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préalablement excommunié et fait peindre sous la figure d'un traître. Il avait aussi excommunié les angevins etleurs moindres partisans : enfin,non content d'avoir distraitpour la guerre qu'il faisait dans le royaume de Naples l'argent produit par la vente des indulgences, et qui était destiné à soutenir l'armée d'Orient, il enleva encore aux chrétienslefameux Albanais George Castriot, plus connu sous le nom de Scanderbeg, quijusqu'alors leur avait servi de bouclier contre les infidèles, etil l'envoya au secours des aragonais. Le duc Sforce profita de cette guerre pour prendre posses sion de la ville de Gênes, d'où l'archevêque Frégose, que le pape y avait substitué aux angevins, s'était fait chasser pour ses crimes. Pie II se rendit finalement au camp des croisés à Ancône (1464) ; mais là, ne pouvant plus payer ses soldats qu'en indulgences, il les vits'éloigner de lui les uns après les autres pour aller mourir de faim et de froid le long des routes, et lui-même ayant terni le beau nom qu'il s'était fait avant de devenir pape, succomba sous le poids du chagrin.
37 néral, et il ne négligea rien pour n'avoir pas à en subir lapression. Du reste, il croyait peut-être de bonne foique tout lui était permis : « La justice et les lois, disait-il à Platina, l'historien des papes, se trouvent en moi seul; je suispape,je puis tout faire et défaire à mon bon plaisir.
ils pas
Paul,jeune et beau, voulait se faireappelerFormose; onparvint assez difficilement à lui sauver ce ridicule : il était irrassasiabledeplaisirsetmêmed'orgies; illui fallaità tout prixdes parures et du faste. Il parlait beaucoup et promet tait encore plus, mais il tenait rarement ses promesses. Ilabhorrait les philosophes et les savants, au point que, quelques-uns ayant fondé une académie à Rome, il les fit mettre en prison, torturer et même mourir; après quoi ilexcommunia comme hérétique quiconque à l'avenir pro noncerait le mot académie, ne fût-ce qu'en badinant. Paul II étaitpossédé de la manie des pierreries, et il épuisa le trésor de l'église pour s'en procurer de toute espèce. Il s'était fait faireune tiare magnifique : les pierres précieuses qui l'or naient la rendaient si pesante que, la première fois qu'il s'en décora, il fut frappé d'un coup de sang dont il mourut. Après Paul II vint Sixte IV (1471). {Les cardinaux Bessarion et Ammanati auraient pu honorer le saint-siége; Sixte qui paya sa nomination en emplois lucratifs et qui payacomptant,exactitude que le cardinal Panvini a comblée de louanges, couvrit la papauté de honte et de mépris.Il porta le népotisme à un excès encore inconnu jusqu'à son règne : Jérôme Riario, que le pape appelait son neveu, devint comted'Imola au prix de quarante mille ducats que Sixte prit dans la caisse de l'église; il eut en outre la villedeForliqueson oncle enleva à la famille Ordelaffi pour lui en faire cadeau. Pierre Riario, frère de Jérômesaientgénéralement tousles deux pour être les fils du sou verain pontife ct de sa sour fut fait cardinal. Ce prélat était titulaire de plusieurs évêchés, patriarche de Constantinople, archevêque de Florence et possesseur de trésors
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Sixte lV n aimait pas les Médicis, dans lesquels il avait trouvé des obstacles à ses projets d'agrandissement. JérômeRiario, qui partageait ces sentiments de haine, en voulait surtout à Laurent appelé le Magnifique : le pape et lui conspirèrent contre ce puissant citoyen de Florence, avec les Pazzi, famille rivale de celle des Médicis dont elle en viait la fortune et la splendeur. Il ne s'agissait danstoutcela que d'ambition et de jalousie; on mit en avant le bien publicetl'amourdelaliberté. François Salviati,archevêque de Pise, se joignit aux conjurés que le roi de Naples favo risait, ct le pape leur envoya par son légat, le neveu du comte Jérôme, l'ordre d'obéir en toutes choses à l'arche vêque. La trame éclata : au lever de l'hostie consacrée par François Salviati qui officiait pontificalement à Florence, Julien de Médicis fut poignardé dans l'église, et Laurent son frère, blessé. Mais le peuple se rua sur les conspira teurs : l'archevêque, saisi à l'autel, futpendu avec ses orne ments sacerdotaux hors des fenêtres du palais de la com mune, à côté de Jacques Salviati, de François etdeJacquesPazzi, de Jacques Poggio ct de plusicurs autres. Environ soixante-dix personnes furent massacrées par le peuple, ou exécutées sur l'heure en cette circonstance. Le cardinal Riario fut mis en prison.
Furieux d'avoir échoué, Sixte IV excommunia les Flo rentins, et nommément Laurent de Médicis, « fils d'iniquité et nourrisson de la perdition, » avec tous les magistrats de la république. La formule de malédiction renferme toutes
1 38incalculables. Sa principale maîtresse, Tirésie, nemarchait que chaussée de pierres précieuses. Lepape lui destinait la chaire de saint Pierre, lorsque le cardinal mourut à vingt huit ans, usé par la débauche, ou bien empoisonné par les Vénitiens quiredoutaientlessuitesdesaliaisonintime avecleurpuissantvoisin, lejeuneduesforce.Il avaitendeuxans dépensédeux cent mille écus d'or, et laissaitaprès lui trois cents livres d'argent ciselé, et soixante milleécusdedettes.
les clauses les plus terribles de ces sortes de sentences. Les Florentinseurentpeurets'humilièrent; ilsdemandèrentpar donau paped'avoir puni,conformément aux loisde la répu blique, des prêtres criminels devant toutes les législations possibles, etilslui renvoyèrent lejeune Riario sans rançon. Tout fut inutile : Sixte anathématisa les Florentins de nou veau et, secondé par le roi de Naples, porta la guerre en Toscane. La France, l'Allemagne et les états de la haute Italie protestèrent simultanément contre cette accumulation de forfaits; Louis XI fit assembler un concile à Orléans pour rétablir la pragmatique-sanction, menaça de se sous traire à l'obéissance du pape, ct cita le ponti e à comparaître au concile de Lyon. Les Florentins firent publier une contre -excommunication dont le texte original existait encore il y a un peu plus de cent ans, et qui foudroyait « la maudite malédiction prononcée par un juge archi damné. »
La république ne s'arrêta pas là : elle envoya à toutes les cours d'Europe la confession authentique de Jean-Baptiste Montesecco, capitaine des troupes du pape et un des assas sins, dans laquelle Sixte était nominativement accusé, et Laurent de Médicis acheta aux Turcs l'extraditionde Ber nard Bandini, le meurtrier de son frère, qui s'était réfugié à Constantinople. Les succès constants de Mahomet II, dus surtout aux guerres acharnées que les chrétiens ne cessaient desefaire,commençaientàmenacersérieusementl'Occident. Le pape n'en continua pas moins à mettre l'Italie en com bustion dans le seul but d'augmenter le pouvoir et les ri chesses de son fils Jérôme. Et quand les Florentins qu'il avait réduits à l'impuissance et poussés au désespoir eurent fait la paix avec les Turcs, Sixte IV n'eut pas honte de les accabler de sa colèrc et de ses malédictions : il excommunia en outre le duc de Ferrare et les seigneurs de Rimini, de Pesaro et de Faenza, qui s'étaientopposés à ses projets de vengeance contre la Toscane (1479). Malgré tout cela, force
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futàlarépubliqueflorentine de céder,en dernièreanalyse, devant l'opinion publique que des faits si palpables et si révoltants ne parvenaientpasencoreà ébranler : douze am bassadeurs florentins allèrent se prosterner devant Sixte à Rome(1480), et en rapportèrent l'absolution de leur patrie. Cetteguerre terminée, lepapeenentrepritd'autres, toujours pour le même objet, celui d'assouvir l'ambition et la cupidité de Jérôme Riario. Il s'en prit maintenant aux an ciens partisans des Florentins, avec lesquels ilétait en paix, au roi de Naples par conséquent, qui soutenait le duc de Ferrare contre les desseins de conquête de Sixte IV. Le pape avait pour ennemis, outre les Napolitains, les Colonnaet les Savelli, et pour alliés les Orsini et la république de Venise qui cherchait à avoir sa part des dépouilles de la maison d'Este. Les troupes vénitiennes commandéesparRobertMa latesta, seigneur deRimini, battirent complétementRobert, duc de Calabre et filsdu roi de Naples. Retourné vainqueur à Rome, le général vénitien mourut empoisonné, disaiton, par le comte Jérôme : ce qui est hors de doute, c'est que le pape porta aussitôt la guerre dans les états deMala lesta, afin de les enlever à la veuve et au fils de celui-ci et pour les donner à son propre fils ou neveu. Il estvrai aussi qu'il fit élever au général défunt un monument superbe. Sur les entrefaites, les Vénitiens poursuivaient leurs conquêtes dans le Ferrarais : effrayés de leurs progrès et de ceux du pape contre Ravenne, les puissances chrétiennes firent menacer Sixte de réveiller les souvenirs profonds laissés dans la chrétienté par le concile de Båle. Aussitôt Sixte se ravisa : il défendit aux Vénitiens de pousser plus avant les conquêtes qu'ils n'avaient entreprises qu'à sa de mande, se ligua contre eux avec leurs ennemis, et renou vela pour les perdre la bulle d'excommunication fulminée dans le tempsparClémentV. Mais nela trouvant pasencore assez dure, il ajouta que non - seulement tout débiteur d'un Vénitien était libéré de sa dette, mais encore qu'il lui
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était positivement défendu de la payer sous peine d'ana thème, et que le saint-siége accordait des indulgences plé nières de coulpe et depeines à quiconque tuerait un Vénitien, et délivreraitainsil'églised'unde sesennemis lesplus dangereux. La république de Venise supprima la bulle, invita les princes et états de la catholicité à convoquer de commun accord un concile ecuménique, fit elle-même assembler un concile provincial qui suspendit l'effet des censures lancées par le pape, en appela au concile général futur, et y cita Sixte IV pour rendre compte de sa mauvaise administration. Des agents vénitiens réussirent à faire affi cher ces énergiques protestations à Rome même, aux lieux destinés d'ordinaire à ce genre de publications ; le pape s'en vengea en faisant pendre les gardes de nuit qui ne l'avaient pas empêché.
Sixte, en paix pour le moment avec le duc de Ferrare, jugea l'occasion venue pour sévir contre ses alliés d'autre fois, les Colonna. A la première échauffourée entre ceux-ci et les Orsini, le pape défendit sévèrement de porter aucun secours aux Colonna en danger. Le peuple comprit, ct se jetant en tumulte sur le palais de Louis Colonna, protono taire apostolique, il le pilla et le réduisit en cendres. Louis Colonna ayant été mis en prison, le pape le fit torturer jus qu'àce qu'il tomb ten lambeaux, et enfin décapiter.
Nous ne ferons pas l'énumération des vices scandaleux de ce souverain pontife : nous nous bornerons à dire qu'ilvendait toutes les dignités ecclésiastiques sans exception, etque, ce commerce ne lui rapportant pas encore de quoi suf fire à ses énormes dépenses, il vendit en outre l'impunité pour tous lescrimes. Après cela, il se fit accapareur degrains. Enfin , il trouva bon de promettre constamment sansjamais exécuter aucune de ses promesses, disant qu'il n'avait donné sa parole qu'avec l'intention tacite d'y man quer. Nous n'oublierons pas non plus de faire remarquerque Sixte fut le premier qui donna à Rome une existence
légale aux maisons de prostitution, en taxant chaque filleinscriteau payementd'un julesparsemaine; cequiprodui sait au trésor de l'église environ vingt mille ducats par an. Disons brièvement quels étaient les rapports qui exis taient entre la débauche publique et l'église romaine :soixante ans après Sixte IV,et lorsque le nombre descourtisanes était fort diminué à Rome, il en restait encore, dans cette villeseule, quarante-cinq mille! La prostitutiony était frappée d'un impôt fort lucratif pour l'église. Le pape accordait aux prélats, avec leurs bénéfices, le produitde cet impôt à percevoir sur un certain nombre de filles.Jules II (1510) assigna unquartierdéterminépour l'établis seinent des maisons de débauche. Léon X décréta que les filles repenties hériteraient en partie de celles qui seraient mortes sans serepentir. ClémentVIII confirma ces dispositions, en les modifiant en faveur des prostituées. Dansd'autres états chrétiens, elles étaient réunies en abbaye,avec une baillive ou abbesse pour supérieure reconnue, et elles vivaient sous des lois et avec des priviléges particu liers; elles avaient toujours un aumônier à elles. Passons au pontificat suivant.
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Monté sur le trône pontifical, le premier acte politiqued'Innocent, ennemi de la maison royale de Naples, fut de promettre aux barons duroyaume, alors en pleincrévolte,qu'il les délierait de leur serment de fidélité envers les
Les cardinaux voyaient bien que l'abus que chaque pape faisait de son pouvoir tournait toujours à leur détriment. Aussi renouvelaient-ils, à chacune des vacances du saintsiége, les conventions que tous, avant l'élection, juraientd'observer, et qu'après, l'élu ne manquait jamaisde violer, bien qu'il eûtjuré de nouveau comme pape qu'il ne se dis penserait pas de tenir ce serment, « sous peine de parjure et d'anathème. » C'est ce qui arriva avant etaprèsla nomination d'Innocent VIII, et , comme de coutume, sans ré sultat.
43 aragonais, et leur donnerait pour roi le duc de Lorraine, héritier des angevins. Louis Sforce, dit le More, était l'allié de la dynastie d Aragon ; Innocent ordonna aux Suisses, alliés du saint-siége, de saccager le Milanais, et les Suisses obéirent avec ardeur et zèle. Mais bientôt le pape, réduit à faire la paix, surtout à cause des embarrasintérieursque lui donnait la famille Orsini parce qu'il était, lui, protecteur des Colonna; le pape, disons-nous, aban donna sans le moindre scrupule les barons napolitains à la colèreet à la vengeance de leur maître. Il y eut à ce sujet, au consistoire des cardinaux (1486), nommément entre leFrançaislaBalue etl'EspagnolBorgia,lefuturAlexandreVI, unescènefortvive qui fut sur le point de devenirsanglante. Réconcilié avec le roi de Naples, le pape essaya de faire valoir plusieurs réclamations qu'il prétendait avoir à sacharge; Ferdinand refusa de faire droit à aucune. Le pape l'excommunia ; mais comme tout moyen lui manquait pour appuyer cette sentence par un déploiement quelconque de forces, ses foudres spirituelles s'éteignirent dans l'appel du roi au futur concile.
Innocent VIII avouait sept, quelques-uns disent seize enfants qu'il avait eus de diverses femmes : on en nomme particulièrementdeux, FranceschettoetTeodorina; le pre mier perdit au jeu contre les prélats de son âge, jusqu'à quatorze mille ducats en deux soirées. Entre autres cardi naux de la création d'Innocent , nous signalerons le fils adultérin de son frère, et Jean de Médicis, âgé seulement de quatorze ans, fils de Laurent et beau-frère de Fran ceschetto, qui dans la suite devint pape sous le nom célèbre de Léon X. D'après ce que nous venons de dire, il n'y a pas à s'étonner si Innocent VIII approuva le mariage deRené II, duc de Lorraine, avec la princesse Philippe deGueldre(1588), mariage contractédepuis troisans, quoique René eût épousé déjà Jeanne d'Harcourt de Tancarville (1571), dont il s'était séparé neuf ans après (1580) avec la
permission de l'officialité de Toul , et qui vécut encore huit ans.
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A la mort d'Innocent VIII, Rome fourmillait de malfai teurs, qu'y attiraient le droit d'asile et la vente des impu nités. Nous nous bornerons à un seul exemple de ces ventes : un assassin qui avait tué ses deux filles et sondomestique ne paya pour son pardon absolu que huitcents ducats. Cela n'empêchait pas du reste les exécutions capi tales, maiselles nefrappaientjamaisque ceuxqui n'avaientpas de quoi payer l'impunité, et qui étaient considérés par l'église comme indignes de l'existence (quia non sunt), et par conséquent de touteconsolation. Un scribe apostolique, Dominique de Viterbe, avait fabriqué de fausses bulles pour autoriser les fidèles à commettre tous les forfaits ima ginables, à des prix déterminés, que seulement il fallait que le criminel d'intention payât d'avance au saint-siége.Bien que le pape fût généralement cru l'auteur de cet infâme tarif, Dominique et son complice, François Mal dente, furent punis de mort. Leurs parents avaient inuti lement offert une somme considérable à Sixte pour qu'ilseussent la vie sauve. Le père de Dominique y ajouta cinq mille ducats qui lui restaient pour toute fortune. Le pape refusa encore : le crime, disait-il , était trop grand, et ne pouvait être pardonné.., à moins de six mille ducats.
CHAPITRE XV.
Pendant que les papes abusaientchaquejour plus impru demment du pouvoir dont ils étaient investis au nom duchristianisme, la réformation de ce pouvoir poursuivaitson @uvre : elle s'attaqua d'abord aux abus, puis au pouvoirlui-même, en attendant qu'elle discutât le principe mêmesurlequel ce pouvoir était basé. Nous approchons du moment où elle allait ébranler le système chrétien, tout en paraissantnetendrequ'àl'épurer. Carréformer,c'est changer; c'est donc examiner, comparer et juger. Or le christianisme,doctrineimposée d'autorité et acceptéesurparole, nepouvait se conserver que par l'abstention de toute discussion, par la renonciationà tout raisonnement. C'étaitune croyance; la moindre tentative de l'amender l'anéan tissait. Les réformateurs avaient raison : la doctrine du christ, en devenant la religion des conciles et des papes,s'étaitdénaturée; mais les théologiens etles papes avaientraison également : une fois que le christianisme s'étaitconverti en catholicisme, etle catholicisme en infaillibilitédu pontife romain, discuter la valeur des conciles, scruter les actions ou les paroles du pape, c'était commencer le CHRISTIANISME
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Frère Conecte . - Savonarole, réformateur politique et religieux. Manie de rigorisme à Florence. Les franciscains prennent parti contre Savonarole. Il estcondamné et brûlé.
SAVONAROLE .
. Il . 5
Pendant que se passaient en Bohême les événements dont nous avons rendu compte, un carme breton avait prêché la réforme jusque dans Rome. Frère Thomas Co necte, c'est son nom, avait d'abord critiqué dansles Pays Bas les hennins, espèce de coiffure ridiculement élevée, à la mode parmi les dames de la Flandre; il alla après cela déclamer contre le pape, les cardinaux et les prélats du haut clergé, « contre les vices de tous états, disent lesannales du temps, contre... (l'impudicité) et ordure desgens d'église, tenans... (maîtresses) à pot et à feu , contre le serment qu'ils ont prêté de garder chasteté. » Eugène IV le fit accuser de plusieurs propositions hérétiques, comme, par exemple, d'avoir enseigné que les religieux peuvent manger ce qui leur plaît sans distinction de mets ni de jours, et prendre femme s'ils n'ont point le don de conti nence : Conecte fut brûlé vif (1434).
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Mais un personnage bien autrement important parais sait alors sur la scène, et défiait tout à la fois le matéria lisme desgrands qui repoussaient toute religion comme unobstacle à la satisfaction de leurs désirs sans frein, et l'hy pocrisie des prêtres qui exploitaient la religion comme un moyen de satisfaire leurs passions déréglées. C'était Jérôme Savonarole, de Ferrare, moine de l'ordre de Saint-Domi nique au couvent de Saint-Marc, à Florence. La république de Florence n'existait plus que de nom. Les immenses richesses des Médicis leur avaient fait de nombreux parti sans, courtisans futurs, intéressés à les élever au pouvoirsuprême pour le partager avec eux. Mais les nobles en viaient ce despotisme naissant. Tandis que, de leur côté, ils rêvaient l'établissement d'une aristocratie dont ils se raient les titulaires, Savonarole appelait les Florentins à la liberté, en déplorant les maux de la patrie et ceux de la religion sous laquelle la république avait si longtemps
travail de démolition sous lequel devait tôt ou tard s'écrou ler l'édifice tout entier de la révélation de Jésus.
47 prospéré, et il insurgeait le peuple contre l'ambition des Médicis et les crimes d'Alexandre VI. C'est ce qui fit don ner aux sectateurs du moine ou frateschi le nomde pleu reurs et de populaires.Lesnobles haïssaient les Médicis parce que ces bourgeois parvenus visaient à les dominer, tout comme les Médicis en voulaient aux nobles pour les obstacles qu'ils mettaient à la réalisation de leur haute fortune. Mais quoi qu'il arri v t, aristocratie et finance étaient constamment prêtes às'entendre pourexploiter la société, à la seule conditionquecelle des deux qui ferait les parts dans les bénéfices réser verait toujours pour l'autre les meilleurs lots, bien entendu après les siens. Il n'y avait pour elles point d'accord possible avec le peuple et son pieux agitateur. Aussi, nobles etbourgeois se réunirent-ils contre Savonarole : lesmauvais compagnons ou les enragés, on désignait ainsi les nobles, se prononcèrent les premiers; les gris ou les par tisans des Médicis, qui tenaient le juste milieu entre le blanc et le noir, c'est-à-dire entre l'indifférentisme sen sualiste de l'aristocratie et le fanatisme puritain des popu laires, vinrent ensuite. Mais le moment n'était pas opportun pouragir. Savonarole avait pourluiles dévots etle peuple.Ilavait eu la sagacité deprévoir et l'habileté de prédire lechangement de gouvernement que la première invasion de CharlesVIII, roi de France, aurait opéré à Florence : lepeuple, reconnaissant en lui un prophète inspiréd'en haut, l'écoutait comme un oracle et lui obéissait comme à unenvoyé de Dieu, et ses philippiques contre la noblesse et en faveur de la démocratie la plus absolue furent aux yeux de la multitude des arrêts du ciel. Les ennemis du moine attendirent.
Avant de rapporter les démêlés du célèbre dominicain avec l'église romaine, ne négligeons pas de faire remarquer que, pour combattre l'irréligion des nobles, Savona role avait pris le parti de pousser la religion au delà même
On ne voyait dans les rues et les carrefours que danses en rond au cri de vive Jésus-Christ! on n'entendait que cantiques imposant aux fidèles la nécessité de se rendre fous deJésus(diJesú diventarpazo), et prescrivantcomme remède à toutes les souffrances de la société l'application d'un cataplasme composé « de trois onces d'espérance, trois de foi et six de charité, humectées de deux onces de larmes, et bouillies pendant trois heures au feu de la crainte, avec quantité suffisante d'humilité et de douleur, pourobtenircettefolie(quantobastaafarquestapazia).» Etmalgré ces niaiseries, la réputation de sainteté deJérôme Savonarole était si grande que Laurent de Médicis, au lit de la mort, lefitappeler pourl'aiderà franchirlepas redouté.S'étant rendu à l'invitation du puissant banquier, le père dominicain mit trois conditions à l'absolution qui lui était demandée : la première, une foi vive; le moribond ac corda : la seconde, la restitution des biens mal acquis; le marchand hésita, mais promit : la troisième, le rétablisse ment de la liberté et de la démocratie; le père des maîtres futurs de Florence tourna le dos sans répondre.
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des limites jusqu'où la crédulité générale l'avait étendue. Sous sa direction, la ville de Florence semblait saisie d'un esprit de vertige : on rencontrait à chaque pas des processions d'enfants qui demandaient de maison en maison les objets mondains, portant, c'était l'expression, au luxe et au libertinage, comme manuscrits, livres, tableaux et statues, perruques, coiffures de femmes,cosmétiques, eaux de senteur, pommades, meubles précieux, bijoux, étoffesde prix, cartes, dés, etc., etc., pour livrer le tout public quement et solennellement aux flammes, après l'avoiraspergé d'eau bénite.
Comme tous les réformateurs, comme Grégoire VII qui avait été un réformateur du haut du trône, Savonarole comprit que, pour que la religion fût un moyen dedomination, il fallait avant tout queses ministres devinssent, par
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leur doctrine et leur conduite, dignes de l'estime et de la vénération de tous, et il ne se fit pas faute de condamner sévèrement les meurs du clergé catholique, cellessurtout dela cour de Rome, et enfin celles du pape. Alexandre VI siégeait alors. Accusé par les Médicis, Savonarole fut cité par le souverain pontife à comparaître devant lui pour rendre comptede ses opinions etde ses discours; le moine refusa d'obéir, et il fut interdit et excommunié. Sur un ordrequ'il prétendit avoir reçu de Dieu même, Savonarole reprit bientôt ses sermons avec plus de véhémence que ja mais.Lepapeessaya alorsdelegagner,etluioffritlechapeau decardinal à condition qu'il se tairait; le moine refusa de nouveau, etune nouvelle excommunication vint le frapper. Voiciles chargesprincipalesqui pesaient surlui:il avaitdit «que l'église avait besoin de réforme ; qu'elle la subirait, maisaprès avoirété flagellée, et qu'elle reprendrait sa pre mièresplendeur; que ces événements se passeraient pen dant la générationdont il faisait partie; quel'excommuni calion prononcée contre lui était injuste et par conséquentnulle.
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Frère François de Pouille, de l'ordre de Saint-François,toujoursplusou moinsenvieuxdecelui deSaint-Dominique, prêcha contre les propositions attribuées à Savonarole, et soffrit à en prouver la fausseté en se soumettant au juge mentde Dieu par l'épreuvedu bûcher ardent. Frère Domi nique de Pescia accepta le défi. Mais le franciscain qui, disait-il, savait d'avance qu'il périrait dans les flammes, ne voulait y entrer qu'avec Savonarole lui-même dont il aurait ainsi purgé le monde. A frère François de Pouille suc céda frère Julien ou André Rondinelli. De son côté, le réformateur proposa de faire traverser le bûcher par troiscents de ses moines, et il prédit qu'ils en sortiraient tous sains et saufs. C'était un spectacle attrayant pour les curieux; aussi quand, au jour fixé, le franciscain se fut pré senté dans son costume ordinaire et que le dominicain,
championdeSavonarole,n'eutpasconsenliàrendrelapartie égale en déposant de son côté les ornements sacerdotaux dont il était revêtu, etle saint sacrement que le réformateur lui avait enjoint de porter devantlui dans le feu, le public désappointé se retira fort mécontent de son thaumaturge. Les magistrats de Florence profitèrent de ce moment de défaveurpourexécuterlesordresdu pape.Déclaréhérétique et schismatique, persécuteur de l'église et séducteur du peuple, Jérôme Savonarole fut jeté en prison. Là les com missairespontificaux, savoirJoachim Turriano, généraldesdominicains, etFrançois Romolino,qui devintdans la suite le cardinal de Sorrento, lui arrachèrent par la torture tous les aveux dont ils avaient besoin contre lui, aveux que le malheureux moine ne manquait jamais de rétracter dès qu'il n'était plus sous l'empire de la douleur. Finalement Savonarole fut penduetbrûlé; puis on publia, pourjustifier cette sentence, des pièces fabriquées ou du moins falsifiées après coup,desquelles il auraitrésulté qu'il avait reconnu la supposition de ses inspirations prétendues divines, et le projet qu'il avait conçu de réformer l'églisejusqu'à ce qu'il l'eût rendue à son état primitif: les véritables documents du procès, ceux qu'on avait communiqués au condamné, avaient étéanéantis. Quoi qu'il en soit, le fougueux domi njcain mourut avec courage, ainsi que deux moines de son ordre , Dominique de Pescia et Silvestre Maruffi. Leurs cendres furentjetéesdansl'Arno pour qu'elles ne devinssent pas un objet de dévotion et même d'adoration pour leurs sectateurs.
Dans une vie manuscrite de Savonarole, par le père Razzi, conservée à la bibliothèque de l'académie desbeaux arts à Florence, les miracles attribués au religieux démocrate sont sans nombre; dans un autre manuscrit de la bibliothèque de Saint-Marc, il est dit que le pape Clé ment VIII fut sur le point de le déclarer saint. Jusqu'à la fin du xville siècle, ses admirateurs restèrent fidèles à la
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pieuse coutume de répandre des fleurs à l'endroit même où Savonarole avait subi son supplice, la nuit qui précédait lejouranniversaire de l'exécution. Le couvent de Saint-Marcà Florence conserve encore aujourd'hui ses cellules vides, et à leur entrée une chapelle qui avait été décorée à fresque parle Frate, mais qui fut vandalisée lors de l'invasion des républicains français. Les chambrettes du réformateur por tent pour inscription : « Le vénérable père F. JérômeSavonarole, homme apostolique, a occupé ces cellules. »
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Un des premiers actes pontificaux du nouvel élu fut de permettre de seremarier à Vladislas V ou II, roi de Bohème etde Hongrie, qui, afin de réunir les deux couronnes, avait épousé la veuve de Mathias Corvin, et puis, venu à bout de
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Nous sommes à la fin du xve siècle, si funeste au pouvoir moral de la papauté. InnocentVIIIvenaitdeclore son scan daleux pontificat. Parmi les cardinauxquise disputaientsa succession, on remarquait surtout Ascagne Sforce et Ro drigue Borgia. La chaire de saint Pierre, mise pour ainsi dire à l'encan, demeura aux dernières enchères du cardinal Borgia, tout à la fois le plus rampant et le plus généreux des deux compétiteurs (1492). Borgia se fit nommer Alexandre VI, A peine était-il proclamé que Maximilien Ier, choisi roi des Romains, prit d'emblée le titre d'empereur élu, qui bientôt fut converti en celui d'empereur toutcourt. C'était encore un fleuron qui se détachait de la couronne des papes.
ALEXANDRE VI, JULES II, LÉON X ET CLÉMENT VII.
Charles VIII en Italie . Le pape empoisonne Zizim , frère de Bajazet. LouisXII,alliéd'AlexandreVI.--- Scandaleusefamilledupape. JulesIIaltaque Venise. Il se tourne contre les Français. - Louis XII le fait déposer. Politiqueversatile deLéon X.-Scènes decarnageenSuède.
CHAPITRE XVI.
- Adrien VI . Clément VII et les Colonna. Charles-Quint fait sac cager Rome. Le pape se venge sur Florence, sapatrie.
- 53ses desseins ambitieux, s'était séparé de la reine qui vivait encore. Passons à des événements plus importants. LesFrançaisse mettaient en mesure pourenvahirl'Italie. Ils y étaient appelés par Louis Sforce, dit le More, qui voulait usurperleduché de Milan qu'il administraitau nom de son neveu Jean-Galéaz, protégé par le roi Ferdinand de Naples dont il avait épousé la petite-fille. Charles VIII , roi deFrance, se rendit sans hésiter à la voix de Sforce : ilavait de son côté à faire valoir les droits au royaume de Naples qu'il tenait de René, duc de Lorraine, héritier des angevins, et l'alliance du duc de Milan était pour lui d'un inestimable prix. Il se concilia en outre la faveur d'Alexan dreVI,en faisant, d'une part,entrevoir au pape desfemmes richeset puissantes pour ses fils, et, del'autre, en le mena çant de le faire déposer comme simoniaque, débauché, assassin et marrano ou, suivant la traduction donnée, ne croyantpas au pape comme chefde l'église, toutpape qu'il était lui-même.
Alphonse II d'Aragon, qui venait desuccéder à son père Ferdinand, fitplus ct mieux que depromettre à Alexandre; il donna sa fille naturelle en mariage, avec d'immenses biens, à Geoffroi, un des fils du pape qui aussitôt lui ac corda l'investiture du royaume. Dès lors Alexandre suscita en tous lieux des ennemis à Charles VIII : il fit alliance avec les Turcs, et les appela au secours d Alphonsc; illança les foudres de l'église contre les Français. Mais rien n'yfit. Charles VIII arriva à Rome avec son armée (1495), et le pape se retira au château Saint-Ange. Ses adversaires, les cardinaux Julien de laRovere (plus tard Jules II), Sforce, Colonna et Savelli, allaient saisir cette occasion pour convo quer un concile et déposerle pape pour ses crimes, lorsque Alexandre les prévint en faisant sa paix avec Charles VIIIqu'il déclara roi de Naples. Il lui céda en outre, pour s'en prévaloir contre les Turcs, le sultan Gem ou Zizim , frère de l'empereur Bajazet; seulement, comme il ne lui était,
Le prince Zizim était échu en partage à Alexandre VIavec la papauté, lorsqu'il prit la place d'Innocent VIII, geôlier de Zizim, et qui recevait de fortes sommes d'argent, tantôt de Bajazet pour le garder , tantôt du soudan d'É gypte pour l'envoyer troubler l'empire ture. Comme la plus cordialeintelligencerégnaitentrelepontifedeschrétienset le chef des mahometans, au point que, sur la recomman dation de Bajazet, Innocent avait conféré le chapeau de cardinal à Nicolas Cibo, archevêque d'Arles, Zizim fut re tenu à Rome. Alexandre VI étant monté sur le trône, Bajazet lui offrit trois cent mille ducats et la tunique de Jésus-Christpourqu'il mit Zizim à mort; ce dont Alexandre sedonna bien de garde aussilongtempsqueson prisonnier lui rapporta quelque avantage, mais ce qu'il exécuta en le livrant à Charles VIII, afin que ce roi n'en tirât lui-même aucun profit.
La brillante alliance de César Borgia avait été le prix des dispenses accordées par Alexandre à Louis XII, qui voulait
Le roideFrance ne futpasheureux dans sonexpédition. Aussi Alexandre ne tarda-t-il pas à le citer à Rome et à menacerdel'excommuniers'il ne se hâtait defaire repasser les Alpes par son armée. Mais Charles VIII ne s'inquiéta pas le moins du monde des foudres pontificales. Dès que Louis XII eut succédé à Charles, Alexandre lui promit son secours pour l'aider à conquérir le royaume de Naples, quoiqu'il eût fait couronner roi, par son fils le cardinal César Borgia, Frédéric d'Aragon, successeur de Ferdi nand II, fils d'Alphonse d'Aragon. Pour reconnaître cette faveur pontificale, Louis XII devait s'emparer d'Imola, de Forli, de Faenza et de Pesaro, et en former une souverai neté à César Borgia, devenu, de cardinal qu'il était, duc de Valentinois et mari de la seur du roi de Navarre.
54 plus utile à lui, pape, et qu'il ne pouvait plus l'opposerà aucun de ses ennemis, il eut soin de le faire préalablement empoisonner.
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se débarrasser canoniquement de sa première femme, Jeanne de Valois, fille deLouis XI et seurde Charles VIII, dont vingt ans de mariage l'avaient dégoûté, et épouser Anne de Bretagne, veuve du même Charles et depuis plu sieurs années maîtresse du roi régnant. Ces dispensesoffri rentceci de particulier, que CésarBorgia, encore cardinal et sous-diacre, étant arrivé en France comme legat du pape son père, nia effrontément d'avoir apporté les pièces dontle roi avait besoin : son projet était de se les faire payer pluscherencorequ'iln'avaitété convenu. Mais Louis XII, averti du mensonge par l'évêque de Cette, nonce pontifical, fit immédiatement procéder aux cérémonies. Le cardinal alors lâcha la bulle apostolique et fit mettre le nonce en prison. Au reste, la sécularisation de César Borgia avait été imposée au pape Alexandre par son ambition pour sa famille. Le cardinal venait de tuer son propre frère François Borgia, duc de Candie, dont il était jaloux à cause de la préférence quelui accordaitLucrèce Borgia, seur et maîtresse de tous lesdeux. Alexandre se vit forcé de reporter sur son fils, le meurtrier, les projets de grandeur temporelle qu'il avait conçus en faveur de son fils, la victime.
Louis XII fit d'abord la conquête du Milanais, qu'il re vendiquait en qualité d'héritier de son aïeule, Valentine Visconti. Puis, il spolia les feudataires du saint-siége, mal gré leurs titres et leurs droits, pour constituer au duc Césarla principauté promise. Pour payerles frais de celteguerre,aussi funeste à l'église qu'inique dans son principe, maisdont cependant le succès devint la source de la prospérité lemporelle des papes, Alexandre vendit douze chapeaux de cardinal et des indulgences sans nombre, à l'occasion dujubilé de l'an 1500, qui lui procura en outre la satisfactionde bénir pontificalement plus de deux cent mille personnesréunies dans la place de Saint-Pierre. Le père dupeuple,c'est ainsiqueles Français nomment leur roi Louis XII, enquinousn'avonsà voir ici que le méprisableallié d Alexan
Frédéric d'Aragon, roi de Naples, avait dans le temps refusé sa fille au duc César : Alexandre se vengea de cet affront en le déposant, et en ratifiant (1501) le traité de partage du royaume, signé depuis un an, entre Louis XII et Ferdinand le Catholique, oncle de Frédéric régnant, et qui, immédiatementaprès, avait fait assurer le même Fré déric de son attachement sincère et de ses loyaux secours. Ferdinand le Catholique se rendittraîtreusementmaitre de ce que l'église lui avait concédé; Louis XII attaqua ouver tement. César Borgia le secondait : après le sac de Capouepar les Français, Borgia se réserva parmi les prisonnières quarante des plusbelles femmes, et fit vendre le reste à vil prix au bazar de Rome.
dre VI et le compliceehonté de César Borgia, approchait de Rome. Le saint-père lui envoya jusqu'au Ponte-Molle des vivres, du vin et des filles : il avait eu soin de faire con struire, en plein champ, des cabinets particuliers de feuil lagepour celles-ci et les chefs de l'armée française.
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Un mot maintenant sur la seur de César Borgia, Lu crèce : elleétait, disent lesécrits du temps, lafille, la bellefilleetlafemmed'Alexandre. A peine nommé, cepape l ar
Nous avonsplusieurs fois parlédes fils du pape : le car dinal César etleduc de Candie avaient pour mèreVannozia qu'Alexandre avait fini par marier à un noble romain. C'est après un souper chez cette femme que le cardinal avait tué son frère, comme nous l'avons dit plus haut. Outre les en fants de Vannozia, le pape en eut plusieurs de Julie Farnèse, appelée Giulia la Bella, un entre autres qui vint au monde la sixièmeannée de son pontificat(1497). Julie avait un frère, nomméAlexandre, quele pontife tira de la prison où ilétaitenfermé pour faux, et qu'il nomma cardinal; c'est lui qui devint pape dans la suite, sous le nom de Paul III. Et ce Paul est le fondateur de la puissante famille Farnese à laquelle plusieurs maisons souveraines d'Europe tinrent à honneur de s'allier.
Ces faits peuvent ne pas être cruslontiers qu'ils sont, pour ainsi dire, incroyables; -- cepen dant ils sont bien mieux établis, ainsi que beaucoup de détails sur les plus dégoûtantes orgies pontificales, que les événements historiques que l'on révoque le moins endoute. Nous les devons surtout au prêtre strasbourgeois,Burchard, maître des cérémonies d'Alexandre, qui les enre gistrait naïvement, jour par jour, dans le Diarium qu'iltenaitdesactionsetdes parolesdu pape, etoù il consignait, par exemple, une grandmesse après un banquet de cour lisanes, un meurtre après une bénédiction.
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II . 6
racha à son premier mari et la donna cn mariage à JeanAlexandre Sforce, seigneur de Pesaro; après quoi, ayant rompu cette seconde union, il maria sa fille pour la troi sième fois à Louis d Aragon, fils d'Alphonse II, roi de Na ples, qu'il fit ensuite assassiner et égorger pendant qu'il embrassait ses genoux, et pour la quatrième foisà Alphonse d'Este,fils aîné du duc de Ferrare, bien que Lucrèce cût en core ses deux premiers maris vivants. Pendant sa dernière guerre contre les Colonna et les Savelli, que, comme tou jours, il cherchait à dépouiller pour enrichir son fils César, Alexandre confia à sa fille, la même Lucrèce dont nous ve nonsd'ébaucher le portrait, le gouvernement de l'église etde l'état, avec ordre d'ouvrir toutes les lettres adressées à sasainteté, et sous le titre de présidente du conseil des car dinaux. Lucrèce, à la fin de sa vie, se fil dévote et bâtitdes couvents. Le cardinal Bembo lui dédia ses Asolani. Cet élé gantécrivain était néanmoins le plus réglé dans sa conduite de tout le sacré collége; on ne lui connaissait qu'uneseulemaitresse dont il avait eu trois enfants, et qu'il conserva jusqu'à ce qu'elle mourût.
L'impudence des amours papales ne manqua pas deporter son fruit : les prêtres et les prélats courtisans, au dire de l'Infessura, auteurd'un autre Journaldu temps, se firent à l'envi un devoir de multiplier le nombre de leurs
nous avouons 10 -
Alexandre VI, dont toute la carrière, on pourrait dire tous les crimes, avait été une suite non interrompue desuccès, mourut enfin (1503), du poison qu'ilavait faitpréparer,de concert avec César Borgia, pour le cardinal Adriende Corneto, -- quelques auteurs disentpourtousles cardi naux à la fois, --afin d'hériterde ses grands biens : les fraisqu'entraînaient les guerrespontificales forçaient le pape derecourir à ces moyens. Au reste, César et Alexandre burent le poison par erreur; le duc fut à la mort, le pape suc comba. Un monument érigé en l'honneur d Alexandre VIse trouve aujourd'hui à la sacristic de l'église de Saint Pierre à Rome. L'inscription porte en tête les mots grecs suivants, passablement étranges à propos d'un pontifesedisant chrétien : Au maitre éternel des Dieux.
enfants, comme faisait Alexandre et comme avait fait Inno cent, son prédécesseur, et il fallut que la Providence elle même intervînt pour que les couvents aussi ne devinssent pas des lieux de débauche.
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N'oublions pas,avant de passer à unautre règne, dementionner la fameuse ligne de démarcationqu'Alexandre traça sur le globe terrestre, dupôle austral auseptentrion, pourséparerlesconquêtesà faireparlesEspagnolsdecelles qu'au raient faites les Portugais, sur les peuples nouvellementconnus. Ces conquêtes et la conversion des idolâtres qui en était le prétexte firent périr victimes de la cupidité et du fanatisme des seuls Espagnols, de douze à quinze millions de malheureux, pendant les cinquante premières an nées qui suivirent la découverte du nouveau monde; nousparlons d'après le dominicain Barthélemi LasCasas, évêque deChiapa, témoin oculairedesatrocitéset desaboninations qu'il dénonça à Charles-Quint et à Philippe II.
AprèsPie III qui ne vécut pape que dix -huitjours seule ment, Jules II succéda à Alexandre VI. Ennemi déclaré d'Alexandre, il avait vécu dans l'obscurité pendant tout le règne de ce pontife. Quoiqu'il eût, comme les papes qui
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Julesorganisa contre Venise lesligues célèbres de Blois et de Cambrai, en vertu desquelles l'empereur, le roi de France, celui d'Aragon et le saint-siége devaient reprendre sur la république tout ce qui avait appartenu à l'empire, au duché de Milan et au royaume de Naples ; le pape aurait cu pour sa part les villes de la Romagne qu'il avait déjà cédées aux Vénitiens. Comme Pie II, Jules II, avant d'être pape, s'était distingué par une grande franchise et une loyauté à toute épreuve; avec le pouvoir absolu, irresponsable et in faillible,--c'est l'historien Guichardin qui en faitla remar que, il hérita de la mauvaise foi, des ruses et des tromperies dont les prêtres, ses prédécesseurs , ne s'étaient jamais fait faute.En voici la première preuve : l'empereur Maximilienvenait de jurer une trêve detrois ansavec Ve
Il procéda de la même manière pour tous les états qui, étant à la convenance de César Borgia, avaient été réunis pour luien une seule souveraineté par son père, le pape, et qu'il fallait de nouveau reconquérir sur leurs anciensmai tres, retournés chez eux après la mortd'Alexandre VI. Cela aurait probablement fini par réussir si Jules, dans ses pro jets ambitieux, ne s'était heurté aux Vénitiens qui, eux aussi, cherchaient à réparer les pertes qu'ils avaient subiessousle dernier règne.
l'avaient précédé, achetéla souveraineté pontificale, il vou lutempêcher que cet abus ne se renouvelåt après lui, et il publia une bulle terrible contre les élections simoniaques, qu'ildéclara nulles de plein droit et incapablesd'être jamais régularisées. Sa grande ambition était de raffermir et deconsolider àjamais la puissance temporelle des papes : Bo logne fut son premier point de mire. Pour s'en rendre maître, il anathématisa les Bentivoglio qui y dominaient,livra leurs biens au pillage ct leurs personnes à ceux qui auraient réussi à les réduire en esclavage, et il accorda le pardon de tous sespéchés à quiconque aurait tué unmembrede cette famille maudite.
Mais bientôtVenise se sentit trop faible contre lant d'en nemis; elle négocia avec Jules JI qui promit de rendreà la république, si celle-ci lui abandonnait les quatre villes en litige, toute l'artillerie qui s'y trouverait et tous les prison niers vénitiens qui étaient tombés en son pouvoir. Venise ceda, et le pape manqua à saparole. Seulementil leva l'inter ditqui pesait surla république (1510). Il fit plus, maisdans un but personnel : désintéressé désormaisdansla question qu'il avait soulevée , il changea de tactique; il se tourna brusquement contre sesanciens alliés, de peurque les bar bares (il appelait ainsi les étrangers) ne devinssent trop re doutables à l'indépendance italienne. Il alla même jusqu'à anathématiser Alphonse, duc de Ferrare, parce qu'il ne voulait pas renoncer à l'alliance française. Alphonse , en outre,n'avait payé comme feudataire du saint-siége quecent ducalsaulieu de quatre mille: son beau-père, AlexandreVI, avait réduit sa redevance à cette première somme. Le pape régnant déclara cette réduction nulle, en disant que les souverains pontifes n'ont, pas plus que les simples prêtres concubinaires, ledroit d'aliéner les revenus de l'église pour doter leurs bâtards. Alphonse fut excommunié de nouveau dans les termes les plus outrageants, et Louis XII fut me
nise; pourle dégagerde son serment, le pape excommunia les Vénitiens (1509). Ledoge, le sénat et le peuple étaientmenacés des malédictions les plus exécrables si, à jour fixe, la république ne rendaitpas au saint-siége Faenza, Rimini et même Ravenne et Cervia, qu'elle possédait depuis plus de cent ans, ct qu'aucun pape encore n'avait réclamées. Puis, venaient les injures et les clauses spoliatrices ordi naires à ces sortes de sentences , et enfin la demande que l'empereur, avocat et défenseur obligé de l'église , vint à son secours. Venise en appela à Dieu et au concile futur; Jules répondit par la défense de Pie II d'appeler du pape au concile, etdes deux parts on se mit en mesure de passer des paroles aux faits.
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nacé delamême sentences'il continuait à soutenirle princeitalien.
Le roi de France était peu d'humeur à souffrir patiem mentcesattaques : il se fitautoriser, par un concile tenu àBourges, à combattre sans scrupule le saint-siége, tant par lui-même que par ses alliés. Les pères de Bourges, s'ap puyant sur le concile de Båle, finirent par citer le souverain pontife au concile général qui se réunirait contre luis'ils'opiniâtraitàne passe réconcilieravec lesmembresdela ligue de Cambrai que lui-même avait si puissamment contribué à former. Loin de céder devant ces menaces, Jules enleva aux Français, pour la donner à Ferdinand Vd'Espagne, la part du royaume de Naples qu'Alexandre VI avaitadjugée à Louis XII, et celui-ci convoqua un concilegénéralà Pise (1511).
Neuf cardinaux, et nommément le cardinal espagnol de Sainte-Croix,quittèrentJules IIpourallerréformer, comme ils s'exprimaient, l'église et surtout son chef, qui avait unsi urgent besoin de réforme. Ferdinand le Catholique, fidèle à son système de duplicité, s'était entendu avec le roi deFrancepour favoriser l'entreprise hardie descardinaux, mais en même temps il avait fait protester deson indignation auprèsdu pape, auquel il avait formellement demandé ladéposition du cardinal de Sainte-Croix. Ce qu'il y a de plussingulier dans cette querelle entre le pape et l'église, ladernière qui donna lieu à la célébration d'un concileetà unschisme, ce futle projet conçu par l'empereur Maximilien de se faire élire souverain pontife lui-même, soit après la mort, soitaprès la déposition de Jules II : Il ne voulait jamais plus hanter femme nue, » écrivait-il à sa fille,Marguerite d'Autriche, c'est-à-dire se remarier; au contraire,il voulait « êtreassurédeavoir lepapat, ut(afin de) devenirprètre et après ètre saint, etque...aprèsmamort vousserez contraintde me adorer,dontjemetrouveraibien « Je commence, ajoutait-il un peu plus bas,glorieux.»
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6 .
Un événement domestique, pour ainsi parler, vint alorstroubler l'esprit du pape, engagé contre le duc de Ferrare dans une guerrequ'il poursuivait avec ardeur, au point dese faire porter en litière à la tête de ses soldats marchant à l'assaut de la Mirandole dont il leur avait promis le pillage. Deux favoris se partageaient la confiance de Jules II : l un, le cardinal de Pavie, François Alidosi, prêtre sans bonne foi, sans pudeur et sans religion, au témoignage de son collègue le cardinal Bembo, et l'autre François-Marie de la Rovere, neveu du pape et duc d'Urbin. Or il arriva que le cardinal accusa duc, devant son oncle, de tous les mal heurs qui accablaient la papauté; le duc se vengea du car dinal en l'assassinant. Le pape était furieux au premier abord; mais ensuite, ayantfait unegrave maladie, il rendit ses bonnesgrâces à François-Marie, après avoirdéclaré quele meurtre qui avait été commis par lui n'était pas un crime. On avait un instant espéré à Rome que le pape allait mourir. Pompée Colonna, évêque dc Rieti, et quelques jeunes seigneurs appelèrent le peupleà la liberté. L'évêque Pompée lui dit entre autres : « qu'il y avait encore quelqueexcuse pour les Égyptiens et les Syriens à obéir aux valeureux mameluks;mais que les Romains, soumis à des prêtres oisifs et mous, à des étrangers sans mæurs et sans
à pratiquer les cardinaux, dont deux cents ou trois cents milleducats me feront un grand service, avec la partialité qui est déjà entre eux, » Ce projet, qui trahissait à l'évi dence le besoin empiriquementsenti d'une unité de direc tion pour la conservation de la société, fut repris plus tard par Charles-Quintpeu avant son abdication. C'étaitmainte nant le pouvoir civil qui voulait absorber l'autorité reli gicusc, comme sous Grégoire VII l'autorité religieuse avait tenté d'absorberle pouvoir civil. L'une et l'autre chose était devenu impossible,depuisquel'examen ne pouvait plus être comprimé,et avant que lavérité, contre laquelle tout exa men irait se briser, fût connue socialement.
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63 al caractère, seraient impardonnables, s'ils ne se hâtaient des'arracher à leur lâche léthargie. On voit que c'était tou jours, sous une face ou sous une autre, la même question, et que, dans le cours des siècles, moralement du moins, rien n'avait changé : ou le sacerdoce devait s'amender, ou il devaitpérir. Revenons au conciledePise.
Alphonse de Ferrare, le plus en butle aux attaques deJules II, se vit enfin forcé de se soumettre à lui. Pendant queJules l'amusait à Rome par les interminables cérémonies de sa réhabilitation et de son absolution, ce pape luifaisaitenlever ses états. Il allait peut-être sévir contre le el all 1 l ti 1. 2 lle le
Pour en neutraliser les effets, Jules convoqua un concile àSaint-JeandeLatran. Lepape excommunialespères réunisà Piseen conciliabule, disait-il, et formant un synodediabolique, et il les priva de tous leurs honneurs et dignités;il mit en outre Pise et Florence sous interdit. LouisXII avaitenvoyé des troupes à Pise pourfaire respecter le concilequin'y était pas vu de tropbon il. Unequerelleentrelesbourgeoiset les soldats força les évêques à se transporterà Milan. Le roi de France faisait, sur les entrefaites,desconquêtesdans la Romagne, au nomde son conciledont unlégataccompagnait l'armée. Le concilede Milan suspendit le ponti e romain comme contumace, incorrigible etendurci(1512); le pontife, de son côté, et le peu d'évêquesréunis à Saint-Jeande Latran, annulèrent les actes de leurs adversaires, déclarés par eux hérétiques et schismatiques,et soumis comme tels aux peines canoniques en vigueur. Le concile de Latran renouvela aussi les sentences pronon cées contre Louis XII qui ne devait dorénavant plus êtrequalifié que de très-illustre au lieu de très-chrétien commeil l'avait été jusqu'alors. Ce dernier anathème fournit àFerdinand le Catholique le prétexte qu'il cherchait pourenlever la Navarre à Jean d'Albret, demeuré fidèle à laFrance, et par conséquent passible de toutes les peines quiatteignaient les excommuniés.
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Léon X, qui a donné son nom au siècle de la renaissance des artsetde la littérature, publia à une des dernières scs sions du concile de Latran sa bulle Inter sollicitudines : cette bulle, qui est l'origine de l'Index des livres défendus, a commencé de cette manière la lutte entre le libre examen qui tend à changer le monde social, et la compression des développements de l'intelligence pour immobiliser l'ordreétabli , en maintenant le principe d'autorité sur parole,
prince lui-même, lorsque Alphonse parvint à s'évader et se sauva dans la Pouille. Jules alors ne ménagca plus rien ni personne : il sacrifia les Vénitiens pour faire sa paix avec l'empereur qui promettait de l'aider à conquérir Ferrare; puis il espéra, à forcedemalédictions,defaireaccepterpar la république de Venise les conditions humiliantes que lui dictait Maximilien. Il mourut enfin en apprenant que son opiniâtre dureté n'avait abouti qu'à forcer les Vénitiens à se jeter aux bras des Français. Avant d'expirer, il avait minuté une bulle foudroyante contre Louis XII, auquel il enlevait sesdroitset ses titres,donnant celui defilsaînéde l'église au roi d'Angleterre, et le royaume de France au premierL'expérienceoccupant.ne servait jamais à rien : le conclave for mula, comme de coutume, une espèce de règlement pourmodérer l'autorité pontificale, exercée, disaient les cardi naux, d'unemanière trop absolue; cerèglementalla rejoindre ceux qui l'avaient précédé. Léon X, qui occupa après Jules II la chaire de saint Pierre, eût été un fort bonpape, dit Paul Sarpi, s'il avait eu quelque idée des affaires religieuses et un peu de piété; mais la religion et l'égliseétaient ce qui l'inquiétait le moins. Le premier soin du nou veau pontife fut de clore le concile de Latran et de mettre fin au schisme de Pise : il reçut en grâce les cardinaux con trits probablementà cause de l'oubli dans lequel ils étaientprès de tomber, abandonnés par toutes les puissances et par la France elle-même.
l'obéissance passive. L'issue d'une pareille lutte qui dure encorenesaurait être douteuse : le libre examen a recu dès l'origine, et coup sur coup, une impulsion irrésistible du renouvellement des études en Europe à la suite de la prise deConstantinople,de la découverte de l'Amérique et surtout de l'invention de l'imprimerie, qui est devenue le gage de sonindestructibilé. Outre l'acte despotique de conservation quenous venons de signaler de la part du pape qui a donné son nom au beau siècle appelé de la renaissance, nous signalerons encore parmi les efforts qui furentfaits presque simultanément pour enrayer et, s'il était possible, arrêterlemouvement des esprits, ceux de François ler, qualifiéde père des lettres, et qui établit la censure.
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L'obstacle du concile de Pise étant levé, un rapproche mententre le saint-siégeetlaFrance devint facile. Lesvic toires de François ler en Italie en håtèrent la conclusion. Léon X, qui venait de reconfirmer les excommunications contre quiconque aliénerait les domaines de l'église, etnommément les villes de Parme et Plaisance, annexa ces deux villes au duché de Milan dont le roi de France était enpossession, promit le royaume de Naples aux Françaisaprès la mort de Ferdinand le Catholique, et accorda àFrançois or la nomination aux évêchés de son royaume, ne se réservant que l'investiture canonique. En récompense,François Jer abolit définitivement la pragmatique-sanction qui était toujours demeurée en vigucur en France; consen titau payementdesannates, selon le rapport réel des bénéfices, ce qui en augmentait considérablement le chiffre;s'engagea à soutenir en toute circonstance la famille desMédicis, et obligea ses sujets de la Lombardic à se fournir desel dans les états romains, à un prix déterminé, mesure dont le résultat était pour le pape un accroissement de revenu de plus de cent mille écus annuellement. C'est là leconcordat, pacte évidemment simoniaque, où chacun des partis disposait de ce qui ne lui appartenait pas, qui sou
leva contre lui le parlement, les chapitres, les universités, et jusqu'à la Sorbonne, et qui ne fut enregistré que « del'exprès commandement du roi (1518). » François ler, que Léon X était venu trouver à Bologne, y servit dévotement la messe du pontife, auquel il confessa en public le plaisir qu'il avait eu à se battre contre Jules II, lui et les seigneurs de sa cour. Il est àcroire que le pape nc put absoudre ces pieux chevaliers sans rire.
Après cela, Léon X songea à relever, non -seulement le pouvoir temporel, mais encore la puissance spirituelle dusaint-siége en rappelant ct ratifiant la bulle Unam sanctam de Boniface VIII, sans préjudice, dit-il, à la bulle Meruit, par laquelle Clément V avait annulé la première. Mais desintérêts moins éloignés appelèrent bientôt son attention :ses cardinaux conspiraient contre lui. Alphonse Petrucci,à qui surtout il était redevable de son élection, cherchait à le faire mourir. Petrucci fut étranglé et ses complices obtinrent leur grâce, mais à condition de la payer à trèshaut prix. Encore cela ne réussit-il pas à tous également : le cardinal Bandinello Sauli, entre autres, ne fut mis en liberté qu'après qu'on lui eut fait boire le poison dontil netarda pas à mourir.
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Léon Xs'opposa à la nominationdeCharles-Quintcomme empereur. Puis, celte nomination ayant eu lieu, il se lia avec François er pour contre-balancer le pouvoir de Charlesen Italie. Mais une diète était indiquée à Worms; l'empe reur menaçait d'y écouter les plaintes qui éclataient de
Il fallait former une nouvelle principauté pour apanager l'un ou l'autre des membres de la famille pontificale, puis qu'il y avait un nouveau pape; c'était cette fois le tour de Laurent de Médicis, neveu de Léon : pour parvenir au but désiré, le pontife déposa François-Marie della Rovere, duc d'Urbin (1516); le prétexte qu'il prit fut le meurtre dont nous avons parlé, celui du cardinal Alidosi, du chefduquel le duc avait été absous, comme nous avons vu.
Le pape Léon avait enlevé Modène et Reggio au duc Alphonse; il convoitait encore Ferrare. Pour ne pas avoir à s'exposer aux hasards de la guerre, il tenta d'en finir en un coup : il donna ordre d'assassiner Alphonse. N'ayantpu réussirdans ce projet, il excommunia le duc, puis l'attaqua ouvertement. La mort l'arrêta au milieu de cette nouvelle expédition. On disait généralementqu'il avait succombéau poison : ce qui est certain, c'est qu'il n'eut pas le temps de recevoir le viatique. « On ne trouva pas le bon Dieu pour ledonner au pape avant qu'il expirât, disent les auteurs le pape l'avait vendu. »
- 67toutespartscontre l'église roinaine,et d'admettre, pour leur donner satisfaction, la réforme projetée par les luthériens, ani cas, bien entendu, où le pape continuerait à le contre carrerdans ses projets politiques. Léon s'empressa aussitôt de renoncer au partage qu'il avait voulu faire avec Fran çois jer du royaume de Naples à conquérir sur Charles Quint, et il s'allia avec l'empereur pour conquérir le duché de Milan sur le roi de France.
En outre, il permit à Charles-Quint, pour la somme de sept mille ducats, de violer la bulle d'Urbain IV qui défen dait deréunir sons le même sceptre le royaume de Naples etl'empire. Pourse vengerdeLéon X, François ler favorisa me conspiration tramée par les Florentins contre tous les membres de la famille Médicis. Un courrier français qui tra versait Florence (1521), où le gouvernement avait conçu quelque soupçon de ce qui se complotait, fut arrêté etme nacédu supplice ; avant de le faire mourir, on lui envoya pour le confesser un agent de police déguisé en prêtre,auquel le courrier découvrit ses dépêches. Cette déclaration fit condamnerà mort Jacques da Diacceto, Louis Alamanni et Zanobi Buondelmonte, conserva les Médicis pour do miner Florence, et sauva le cardinal Jules, qui devint le pape Clément VII, auquel Charles-Quint, l'allié de son cousin Léon X, rendit le pontificat si pénible.
7 dutemps,
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Laissons là pour un moment les intrigues sacerdotales de l'Italie et donnons un coup d'ail à celles du nord de l'Europe : Christiern ou Chrétien II, roi de Danemark et de Norwege, après avoir reconquis la Suède, cherchait à se venger des Suédois qui lui avaient été contraires. Son pre mier ministre, Dideric ou Didier Slagheck, parent de la maitresse de Chrétien, lui cn fournit les moyens. Il fit dé clarer hérétiques par Gustave Trolle, archevêque d'Upsal, les Suédois qui avaient été amnistiés comme rebelles, et aussitôt, excommuniés par l'archevêque de Lunden, sur l'ordre de Léon X (1518),ils furent traduits devant un com missaire ecclésiastique,jugés et condamnés à mort. Quatre vingt-quatorze furent exécutés en unjour, sans avoir reçu les consolations de la religion qu'ils réclamaient. Après cette exécution, le roi pardonna à ceux qui avaient été assez heureux pour se soustraire à sajustice; mais dès qu'ils se montrèrent, il les fit massacrer. Une fois la tucric de la capitale achevée, Chrétien alla tenir ses assises dans les provinces; il y sacrifia cncore six cents victimes environ, et entre autres des cnfants de dix et même de six ans. Didier, en récompense de son zèle, fut nommé évêque de Scara, puis archevêque de Lunden, et le roi Chrétien qui recevait journellement à sa table à Bruges, pendant unvoyage qu'il fit aux Pays-Bas, le savant Érasmic de Rotter dam , fut comblé d'éloges par le célèbre courtisan lettré.
Mais en Suède on était loin de partagercet enthousiame, Les horreurs qui avaient été commises à Stockholm exci tèrent les plaintes du chanoine Magnus Gothus, qui devint archevêque d'Upsal, au point que Rome elle-même s'en émut et crut devoir intervenir. Un légat du saint-siégc fut envoyé en Suède, où le roi rejeta tout ce qui avait été fait sur son favori Slagheck, que pour preuve de sa culpabilité il fit brûler vif. Le légat déclara Chrétien « absous et dé chargé de tout blâme et reproche pour l'exécution des évêques et autres rebelles suédois, » Sur les entrefaites,
Clément VII, successeur d'Adrien (1523), était fils na turel deLaurent de Médicis et d'une Gorini. Il fut le fonda teur du despotisme de sa famille à Florence. Craignant l'immense pouvoir de Charles-Quint en Italie, il organisa cequ'onappela laliguesainte entre toutles états italiens et le roi deFrance, auquel l'empereur venait de rendre laliberté, contre ce même empereur, envers lequel le pape le déclara dégagé de toute promesse et de toute obligation.
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Adrien VI avaitsuccédé à Léon X : ce pape alla plusdirec tementau but ; Magnus Gothus, son légat, déposa Gustave Trolle etcondamna le roi lui-même. Cette sentence fut ra tifiée par Clément VII.
Nousvenonsde nommer Adrien VI. Il s'appelait Adrien Floris ouFlorent Boyens, était né à Utrecht et avait été le précepteur de Charles-Quint. Il eût été impossible de donner à Léon X un successeur qui lui fût plus opposé de caractère et de mours. Aussi les Italiens, habitués aux vicesbrillants des précédents pontifes, ne trouvaient-ils pas d'expressions assez énergiques pour marquer leur désap pointement. Pour s'en convaincrc, il suffit dejeter les yeux surlespoésies du chanoine Berni, contemporain des deux pontifes, et qui, bien que ses écrits trahissent le dévergondage des idées de l'époque, était cependant, pour l'époque bien entendu, un fort honnête homme, puisque vivantsous la protection et dans l'intimité du cardinal Hippolyte deMédicisetdu duc Alexandre, il mourut empoisonné par le prince souverainparce qu'il lui avait refusé d'empoisonnerleprince de l'église.
Mais, tandis que les troupes pontificales s'avançaientdansla Lombardie, PompéeColonna, dont nous avons déjà parlé précédemment, devenu cardinal, essaya de jouer vis-à-vis de Léon X, le rôle qu un de ses ancêtres, Sciarra Colonna, avait jouévis-à-vis deBoniface VIII. Léon, dans l'impuissance de faire plus pourle moment, frappa Pompéedes plus horribles anathèmes. Un accord suivit ces pre
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mières escarmouches; mais comme chacune des parties n'avait en vue que de tromper l'autre, la bonne harmonie ne fut pas de longue durée. Le cardinal Colonna marcha finalement sur Rome, la prit (1526) et la saccagea entière ment, ne respectant pas plus le sacré que le profane, et commettant les plusdéplorablesexcès. Le pape s'étaitretiré au château Saint-Ange : Pompée, qui désespérait de l'en faire sortir, repartit pour le royaume de Naples avec des dépouilles évaluées à environ trois cent mille ducats.
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Il ne restait à Clément d'autre ressource contre tant de calamités que d'avoir recours à l'empereur, duquel mème lui venaient les maux qu'il souffrait. Il fallut bien alors pardonner aux Colonna ; mais à peine se furent-ils éloignés de Rome que Clément fit ravager et brûler leurs propriétés dans ses états, les excommunia comme hérétiques et schis matiques, et ôta le cardinalat à Pompée qui en appela au futur concile, où serait réformée l'église et avant tout son chef.
Charles-Quint, de son côté, n'était pas dupe de la paix que le pape avait été forcé de faire avec lui ; il savait fort bien que Léon avait conçu le projet d'appeler au trône deNaples un prince de Vaudémont, descendant des angevins. Aussi ne le flatta-t-il un instant que pour mieux réussir à l'accabler. Tout à coup, etsans que rien cût annoncé cette intention, le duc de Bourbon, général de Charles-Quint, se porta avec ses troupes surRome dont il leurpromit le pillage. Clément excommunia Bourbon et les quarante mille Espagnols, Allemands et Italiens dont se composait sonarmée,et qui ne tardèrent guère, nonobstant cela, à donner l'assaut à la ville. Rome fut prise après que sept ou huit milledeses défenseurs eurent ététués en combattant(1527). Bourbon lui-même mourut sur la brèche, tué peut-êtrede la main du célèbre sculpteur Benvenuto Cellini, à qui Clé ment avait pardonné tous ses homicides passés et futurs,commis et à commettre dansl'intention de servir l'église.
L'histoire du sac de Rome, qui dura pendant sept moisconsécutifs, et auquel la peste seule put mettre un terme,nous aététransmise par Jacques Buonaparte : elleoffredesdétails qui font frémir, et que lepape put voir du haut duchâteau Saint-Ange où il s'était réfugié. Les luthériens del'armée impériale avaient àleur tête GeorgeFreundsberg ou Frondsberg, qui portait à l'arçon de sa selle un cordontressé d'or et de soie, destiné à étrangler le pape que lessoldats demandaientà pouvoir manger. Ceux-ci ne sc mon traient dans lesrucs que parés decolliers qui, par ce dontils étaient formés, prouvaient une sauvagerie bien autrement barbare que celles des scalpeurs américains. C'est ce pendant ce tissu d'horreurs que l'historiographe de Charles Quint, l'évêque Sandoval, se borne à nommer une auvrepas tout à fait sainte (obra no santa), @uvre, ajoute-t-il, qui, sous tout autre aspect, fit beaucoup d'honneur à l'armée espagnole et à son chef. Remarquons que, dans un temps si fécond en malédictions de tout genre, l'empereur dont ce chefdépendaitnefut point excommunié.
Pendant que sa majesté apostolique traitait de cettema nièresescoreligionnaireslescatholiquesetleurculteà Rome, sa majesté très-chrétienne faisait précisément la mêmechose à Pavie. Il y avait des deux parts une fureur égale, une égale cruauté, et on aurait dit un défi à qui commettrait le plus de sacriléges. Charles-Quint ne l'emporta que pourl'hypocrisie : il témoigna une extrême douleur quand il apprit la captivité du pape, retenu prisonnier par les gé néraux à ses ordres, et il fit faire à Madrid des processions solennelles pour la délivrance du pontife, qui ne dépendait que de lui seul, et qu'il retarda encore de six mois. Ce ne futquelorsquela France et l'Angleterre eurent réclamé enfaveur de Clément VII, que Charles-Quint fit rendre la li berté au pape, dont il avait exigé préalablement, etcomme garantie, les villes de Cività-Vecchia, Ostie, Cività-Castel lana, Parme et Plaisance, plusieurs otages et des sommes
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considérables pour les frais delaguerre dont Clément avait souffert tousles maux. Pendant le sac de Rome, les ennemis des Médicis avaient rétabli le gouvernement démocratique àFlorence, renverséles statuesde LéonX etdeClémentVII, et brisé lesarmes de toute la famille. Le pape anathématisa les Florentins, et obtint la coopération de l'empereur pour restaurer les Médicis dans ce que Clément appelait leurs droits.
La chose ne fut pas aussi facile qu'on aurait pu le croire. Les Florentins, ne sachant plus, comme on dit, à quel saint se vouer, avaient fini par prendre pour chef de la répu blique,à unemajoritédeneufcent quatre-vingtsvoixcontre vingt seulement, Jésus-Christ lui-même,que legonfalonier dejustice, Nicolas Capponi, avait proposé. Après un siége mémorable et une défense héroïque, Florence futprise par Clément, qui y fit disparaîtrejusqu'à la dernière trace dela souveraineté cxercée par le Dieu dont il se disait le vicaire, toutcomme les républicains avaient fait disparaître celles de la souveraineté usurpée par sa famille. Lors de la capitulation, le pape avait formellement juré de pardonner à ceux qui s'étaient montrés les adversaires des Médicis; il viola son serment, en proscrivant et faisant mourir quicon que avait manifesté la moindre opposition aux prétentions ambitieuses de sa maison. Parmi les nombreuses victimes que fit le souverain pontife en cette circonstance, nous ne mentionnerons que le père Benoît da Foiano, dominicain, qui avait constamment animé les Florentins à la conserva tion de leur liberté : le pape lui fit subir au château Saint Ange l'horrible supplice de la faim , de la soif, de la gène etdes ordures, supplice qui cependant ne le tua qu'après plu sieurs mois de tortures et d'agonie. Alexandre de Médicis, fils du pape, ou du moins fils d'une servante, femme d'un muletier, ct qui avait eu pour amants le pape futur, alors simple chevalierde Malte, etLaurentde Médicis, ducd'Ur bin, devint le premier ducde Florence.
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C'était lemoment où tous les catholiques éclairés deman daient àgrands cris la réforme de l'église, pour la sauver du schisme dont les anticatholiques la menaçaient en tra vaillant à se réformer hors de son sein. C'était aussi celui oùClémentVII accordait à son neveu Hippolyte de Médicis, et pour l'enrichir, tous les bénéfices de la chrétienté en commende, avecfaculté de disposer librement de leursre venus pendantsix mois. C'était enfin le momentoù Charles Quint favorisait les luthériens et les sacramentaires d Alle magne,etoùFrançoisIer,allié duTurc Soliman Ier,dirigeaitles armes des mahometans vers l'Italie (1537). Quel respect pouvaient encore inspirer un sacerdoce, une religion, unDieu, dont le pontife suprême et les hauts défenseursabusaient si scandaleusement?
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GRANDE RÉFORMATION.
CHAPITRE XVII .
Le catholicisme avant la réformation . - Abus des indulgences. Tarifdes péchés et des pénitences. Léon X comble la mesure.
Nous avons fait remarquer, en r'endant compte des pre mières querelles entre les souverains d'Allemagne et les papes, combien les peuples de l'Italie se montraient diffé rents des peuples du Nord sous le rapport des idées reli gieuses.Cettedifférence seconserva,malgré les événementsetà travers les siècles, et à l'époque où nous sommes par venu, elle se manifesta comme nous allons dire.
Le vulgaire enItalie étaittrop superstitieux pour vouloir d'une réforme dela religionqui aurait surtout porté sur les objets de sa crédulité; les grands et les philosophes étaient trop impies pour s'en soucier le moins du monde, et les prêtres avaient intérêt à la repousser de tous leurs moyens : les Italiens restèrent catholiques par ignorance, par irréli gion, par égoïsme. En Allemagne et dans le Nord, au contraire, on était en général religieux sentimentalement : les grands comme le peuple obéissaient aux idées que l'éducation avait imprimées dans leur intelligence et que
§ Jer. LES INDULGENCES .
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l'habitude y avait enracinées, idées adoptées sans exa men et qu'ils appelaient la voix de la conscience, et les prêtres ne purent s'empêcher de se laisser entraîner par la masse; les hommes du Nord cessèrent d'être catholiquesafin depouvoircontinuer à êtrechrétiens. Les philosophes,qui y étaient en petit nombre, ne crurent pas la réformereligieuse assez radicale pour qu'elle valùt un changementdereligion.
Mais ce n'était plus seulement le raisonnement sérieux auquel on avait recours pour combattre l'église et la courde Rome; les plaisanteries aussi et le ridicule étaient à l'ordre du jour : ces diverses attaques prouvent incontestablement à tout observateur impartial que la foi était à
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Celui qui veutse faire unelégère idéedel'étatdu catholi cisme, peu avant que la réformation fût prêchée sur unegrandeéchelle, hors et contre l'église romaine, comme elle l'était déjà dans cette église même et en faveur de sa con servation;pendant que cette réformation éclataitpartout,et finalement après qu'elle cut conquis son droit d'existence sociale à côté de l'église dont elle s'était séparée : celui-là n'a qu'à parcourir les sermons de frère Thomas, cordelier,d une orthodoxie constatée, et qui mèrne passait pour faire des miracles; ceux d'Olivier Maillard, de Menot et de Jean Clérée; les poésies de Coquillart, official de l'église de Reims; le discours dePicde la Mirandole, prononcédevant le concile acuménique de Latran et adressé à Léon X enpersonnc; la Remontrance de Clément Marchant; la Magie desfavoris;la Pourmenade duPré-aux-clercs; leZodiaquedelavie, parPalingénius, et enfin quelques vers licencieux de Robert Gaguin, supérieur des Mathurins à Paris, enl'honneur d'une cabaretière, vers que nous ne citons que parce qu'ils se trouvent côte à côte avec un poëme du même auteur sur la pureté de la conception de Marie, la quelle vient tout récemment de faire tant de bruit parmi les prétendus champions de la foi.
- 76 son déclin, et elles achevaient de la perdre. Jean Reuchlin, Ulrich Hutten et surtout le spirituel Érasme contribuerentpuissammentpour leurpartà cette révolution devenue iné vitable. Ce fut laquestion financière qui finit par la faire éclater : les interminables guerres de Jules II, le luxe et les dépenses de Léon X, avaient poussé à l'excès l'abus qu'on faisait depuis longtemps des ressources que le saint-siége avait créées pour y subvenir. On n'avait prétexte d'abord que la nécessité d'armer contre les Turcs; puis il fallut armer contre les hérétiques, il fallut armer pour conquérir des principautés aux neveux des souverains pontifes, il fal lutarmer pour soutenir l'ambition etsatisfaire l'orgueil despapes eux-mêmes; finalement, on conçut l'idée d'élever à Rome un temple qui aurait éclipse les monuments de tous les âges, de faire, en d'autres termes, de l'église de Saint Pierre la cathédrale de toute la catholicité.
Les indulgences n'étaient dans l'origine que la rémission des peines canoniques infligées aux pécheurs dans ce
Tout le monde sait que la doctrine catholique romainesur les indulgences fut la cause occasionnelle de la révolu tion religieuse dont nous allons nous occuper. Examinons en quelques pagesce qu'on doit entendre par cemot.
C'était toujours aux fidèles à subvenir aux frais de ces exigences qui se renouvelaient et se multipliaient chaque jour. Il estvrai que le pape accordait à ces fidèles des grâces spirituelles pour leur argent; mais la profusion même avec laquelle de pareilles richesses étaient de plus en plus pro diguées, en fit bientôt toucher au doigt et à l'oeil le peu de valeur positive. Les effets évidemment exagérés qu'on leur attribuait, savoir, larémission des péchés les plusénormes, etl'autorisation degarder en toute sûreté de conscience lesbiens mal acquis (male ablata),quand même ils auraient été enlevés aux pauvres ou à l'église,moyennant le payement d'une part dans le vol au commissaire pontifical instituéad hoc, les firent en dernière analyse tomber dans le mépris.
monde,afinqu'ils fussent exemptsdespeinesdontsans cela ils auraient été passibles dans l'autre. Elles furentdétermi mées pour chaque péché, et recueillies dans les péniten tiels; ce qui donna lieu plus tard aux tarifs en argent. Le premier pénitentiel, inspiré par la discipline de l'église grecque, et qui futreçu dans l'église latine, estdû à Théo dore, archevêque de Cantorbéry, vers la fin du vil siècle. Les canons en sont fort sévères. Ils inclinèrent de plus enplus vers l'indulgencependant tout le siècle qui suivit. Ce pendant ils se maintinrent en vigueurjusqu'au 1xº.
Vers l'an 900, on commençait généralement à racheter l'obligation de se soumettre à la pénitence pour une somme d'argent dont le chiffre variait avec les pénitences mêmes dontcette somme devait tenir lieu : une indulgence plé nière pour tousles péchés en général et sans distinction se payait vingtmille ducats. En outre les confesseurs taxaient l'absolution qu'on leur demandait, suivant la gravité des cas; elle devenait ainsi une marchandise à prendre ou à laisser par le pécheur. Il en résulta nécessairement que, pour augmenter le revenu de l'église et de ses ministres, on multiplialeslois qui fontlepéché,etqu on imposades péni tencesfortduresafinquelepécheurs'en affranchit toujours en payant. Quiconque n'achetait pas despardons selon safortune étaitfrappé d'excommunication, et les prêtres qui absolvaient cette espèce d'excommuniés étaient excommu niés eux-mêmes. Les chrétiens riches, en conséquence de cette discipline de l'église, se procuraient du plaisir, non seulement sans peur, mais encore sans peine aucune. Et quant aux pauvres , ils étaient considérés comme n'existantpas, et partant comme ne pouvant être consolés : discipline étrange quand on la compare à la religion de Jésus, l'ami des malheureux, qui avait fait de la souffrance et de la pauvreté une espèce de privilége, donnant droit par elles-mêmes à une beatitude spéciale. Quoi qu'il en soit, les Taxes de lachancellerie apostolique etde la sacrée
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Et il fallait bien qu'il en fût ainsi pour que les papes se hasardassent à exploiter ce trésor d'une manière si désor
Déjà avant le ixº siècle, on trouve des donations et des legs faits par les fidèles pour se racheter des peines dues àcause des péchés qu'ils avaientcommis, cela s'appelaitleremède de l'âme,-et afin de se délivrer du remords qu'ilséprouvaient pour s'être emparés du bien d'autrui (maltoletum ). Cette coutume dura pendant plus d'un siècle. La croisade vint ensuite, et par son moyen on remédia à tout(1221). RobertGrosthcad, évêque de Lincoln, nousapprendque, vers le milieu du xin ° siècle, les frères prêcheurs et mineurs en Angleterre forçaient les mourants à tester enfaveur de la croisade; des indulgences étaient accordéesproportionnellement à l'argent qu'on donnait pour lesmé riter.
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Les indulgences plénières à l'occasion du jubilé cente naire étaient fortrecherchées, et par conséquent produisaient beaucoup au saint-siége : aussi le jubilé fut-il bientôt célébré tous les cinquanteans,puis tousles trente-troisans,et enfin tous les vingt-cinq ans. Parmi les bulles promulguées à ce sujet, nous ne signalerons que cellede Clé ment VI, parce qu'elle a été plus qu'aucune autre attaquée par Luther. A en croire le pape Clément, une seule goutte du sang de Jésus -Christ suffisait pour sauver tous les hommes : or il a versé son sangjusqu'à la dernière goulte; il en estdonc résulté un trésor infini de mérites quele tré. sor fini des mérites de la Vierge et des saints a encore accru indéfiniment. En conséquence, saint Pierre et ses suc cesseurs sur le siège apostolique ont pu de tout temps, et pourrontjusqu'à la fin des siècles, y puiser sans risquerd'en tarir jamais la source.
pénitencerie ont été publiées à Rome sous le pontificat de Léon X, et, chose curieuse, le livre qui les contient a été mis à l'Index par le concile de Trente, et flétri avec les livres les plus dangereux par Philippe II et le duc d'Albe.
79 donnée. Vouloir présenter ici une liste des indulgences, tant plénières que temporaires, c'est-à-dire de centaines etde milliers d'années de purgatoire à la fois, qui ont été accordées par le saint-siége, pour le simple fait de la récitation d'uneprière, d'une phrasc, d'une exclamation; pour l'assistance à une messe déterminée; pour un exercice depiété dans tel temple, devant tel autel, en faveur de telle image, toujours déterminés; pour le seul acte d'être entré dans une église désignée; pour l'unique soin de porter con stammentsur soi quelque objet de dévotion , etc., etc., nous mènerait beaucoup trop loin. Nous nous contenterons de dire, pour donner au moins un exemple de ce que nous avançons, quechaque confrère et conseur, inscrits au tiers ordre ou au cordon de Saint-François, pouvaient, en se confessant à certains joursde chaque mois, gagner pendant lapremière moitié de l'année seulement et sans préjudice à l'autremoitié, vingt-deux indulgences plénières,et enoutreenviron douze mille ans à déduire du temps qu'ils auraient à souffrir après leur mort pour les péchés commis en ce monde:cesgrâcesqu'on peut appeler exorbitantes, étaient applicables à volonté, aux morts comme aux vivants. La preuvequecela était pris au sérieux nous est fournie par le cardinaldeAmanatis(1588)quiavoueavoirsouvent,pendant sa jeunesse, exécuté le manége d'entrer dans l'église de laPortiuncule près d Assises, et d'en ressortir pour y rentrer encore, et cela autant de fois qu'il était possiblede lefaire,du ferau 2 août de chaque année, afin de délivrer, à cha cune de ses entrées et sorties successives, une âme du pur gatoire; ce qu'il faisait, ajoute-t-il, dans l'intention d'être utileàune belle et honnête maîtresse qu'il avait eue et qui était morte.
La remarqueque les indulgences à mériterà Rome même se plaçaient le plus facilement et le plus avantageusement, fit naître l'idée d'accorder aux dévots le mérite d'avoir été à Romesans qu'ils fussent sortis dechez eux, et seulement
parce qu'ils avaient donné au pape l'argent qu'ils auraient dépensé dans ce voyage. Boniface IX retira de cecommerce des sommes immenses, et encore ne se contenta-t-il pas de ce que ses agents lui rapportaient : il voulait tout avoir, à lui tout seul, ct il fit mourir plusieurs colporteurs d'indul gences qui avaient trop largement partagé avec lui. Le grand schisme eut la même conséquence pour l'abus des indulgences que pour tous les autres abus qui défiguraient l'église; il l'exagéra outre mesure : on publiait des indul gences plénières deux et jusqu'à trois fois l'an, et toujours pour « ceux qui tendaient unemain secourable » à l'église, c'est-à-dire une main pleine d'écus.
Le saint-siége ne continua pas moins à en faire usage. Vers 1490,lequêteurJeandeiGigliétaitautorisé parInnocent VIII à pardonner , pour de l'argent , tous les crimes imaginables, et à permettre la jouissance sans remords du produit des vols,moyennant le versement d'unesommeà
Un demi-siècle après Boniface IX , les indulgences bais sèrentpeu à peu de valeur dans l'opinion deshommes,qui avaient commencé à s'éclairer sur l'emploi par trop évidem ment déraisonnable que l'église en faisait. En effet, la né cessité d'y avoir sans cesse recours impliquait chez le bon Dieu une sévérité tout aussi infinieque sa miséricorde. En suite l'argent qui convertissait en un tour de main cette rigueuren clémencepourlesriches,tandis que les pauvres,déjà assez à plaindre en ce monde, demeuraient forcément là-haut souslecoup de la sévérité divine sans compensation aucune, trahissait uncalcul si palpablementà l'avantage dela cour romaine, qu'on se prit à examiner s'il n'avait pas été imputé à Dicu par les papes.
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Ce fut alors aussi que prirent naissance les indulgences de coulpe et de peines, l'anéantissement de la coulpe ayanttoujours paru ne pouvoir dépendre que de Dieu seul,même à ceuxqui attribuaient aux papes le droit d'effacer au livre de Dieu les peines que la coulpe avait entraînées.
Sous Léon X, la mesure, enfin comble, déborda. Ce fut lorsque le pape eut clos le concile de Latran, où dix-huit cardinaux, trois patriarches et quatre-vingt-six évêques avaientvainement travaillé à la réformation de l'église, que Luther se sépara de cette église pour faire sans elle ce qu'il était désormais incontestable qu'elle ne erait jamais. Do miné par lecardinal Laurent Pucci, son ministre pour les affaires spirituelles, Léon avait inondéla chrétienté d'indul gences pourles vivants et pour les morts. On vendait å vil prix, onjouait dans les cabarets le pouvoir de tirer les âmes du purgatoire. Les agents du pape s'entendaient avec les curés qui, pour les facilités qu'ils leur procuraient de pla cerleurmarchandise,recevaient un tantième sur la recette, commepot-de-vin (pro vino suo). LéonX distribuait les in dulgences en gros et par provinces, aux personnes qu'ilvoulait favoriser, avecautorisation de les écouler en détail. C'est ainsi, par exemple, qu'il donna la Saxe à Madeleine, sa sæur et femme de Franceschetto Cibo, le fils du pape InnocentVIII.Madeleine, pourlesmicuxfaire valoir, char CHRISTIANISME , .
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fixer, entre les mains du commissaire pontifical. Au grand jubilé de 1500 , Alexandre VI ne demanda aux pécheurs dévots, pour leur accorder les indulgences les plus amples, que le tiers de ce qu'il leur en aurait coûté s'ils étaient allés à Rome. Aen croire lesvoyageurspourcet article, ilfallait se laisser mourir de faim avec toute sa famille plutôt que de ne pas acheter des indulgences. Aussi Olivier Maillard s'écriait-il en pleine chaire catholique : « A tousles diables ces colporteurs! » L'énergique prédicateur jugeait lama tièredes indulgences fortobscure etencore plus incertaine, d'autant, disait-il, qu'il n'en trouvaitpas un motdanssaint Basilc, ni dans saint Jérôme, ni dans saint Augustin. Il concluait naïvement de la que les trafiquants d'indulgences étaient des fripons. Le plus sûr, selon lui, était de renoncer au péché, de restituer le bien mal acquis et de pardonner les offenses.
gea l'évêque Arcemboldi deleur débit. Celui-ci sefit,comme ilétaitd'habitude, aiderpardesmoinesjargoneurs,--c'est ainsi que s'expriment les prédicateurs de cette époque, qui parcouraient les villes et les can pagnes, colportant et vantant leurs rogatons, et expédiant les pécheurs au prix de quelques messes qu'on leur payait. Jusqu'alors , les moinesde Saint-Augustin avaient été chargés de cet officelucratif. Arcemboldi , les croyant trop habiles pour euxmêmesdans ce métier, essaya de gagner quelque chose en changeantd'employés; il s'adressaaux dominicains. Luther était augustin, et la grande réformation eut son apôtre.
Léon X combat Luther . Le réformaleur est mis au ban de l'empire. HenriVIII,défenseur dela foi. Les cent griefs des Allemands.- L'anabaptisme. Atrocité des supplices. - Le lutheranisme en Italie . -- Lesprotestants. Ligue de Smalkalde. Aveux des cardinaux . La réforme au Danemark. Bigamiedu landgrave de Hesse.
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§ II. LUTHER .
Martin Luther, poussé par ses supérieurs, nommément par Staupitius (Staupitz), vicaire général des augustins, prêcha etécrivitcontreles dominicains, fondésde pouvoirs del'évêque Arcemboldi pour le débitdes indulgences.Mais d'un esprit ardent, et indépendant de caractère, il lui eût étédifficile de s'arrêter précisément au point qu'on lui in diquait comme limite extrême de la polémique à laquelle il était appelé : des dominicains, Luther passa àl'abusqui se faisait des indulgences, et se passionnant davantage à mesure qu'il avançait, il porta sa critique sur les indul
gences elles-mêmes qu'il fit considérer comme un abus.
La philosophie d'Aristote faisait alors, en quelque sorte, partie de la théologie professée dans les écoles, dont le scolastiquesaintThomas était l'oracle. Luther traita Aristote etsaint Thomas avec le plus souverain mépris. Il soutint à Wittenberg en Saxe une thèse publique en quatre-vingt quinzepropositions, contre le pouvoirque s'attribuaientles papes en matière d'indulgences, contrela doctrine romaine de la pénitence et contre celle du purgatoire. Jean Tetzel,dominicain, inquisiteuret quêteur ou distributeur d'indul gences, lui répondit à Francfort par cent six propositions contraires. En outre Tetzel brûla la thèse de Luther, et celui-ci, soutenu par l'académie de Wittenbergetl'électeur de Saxe, brûla celle de son adversaire. Jean Eck ou Eckius prit parti pour les dominicains dans cette querelle, mais avec tant d'inconvenance et degrossièreté qu'il encourut le blåme de tous les gens sensés parmi les catholiques, entre autres du cardinal Sadolet. Un autre inquisiteur domini cain, Van Hooghstraeten, conjura le pape de combattre les novateurs par le fer et par le feu.
LéonXvoulait qu'on s'emparatde Luther même etqu'on le luiamenât à Rome; il échoua dans ses tentatives. Ilcitale réformateur à comparaitre; Luther ne l'écouta point. Il ordonna au cardinal Caïetan, son légat en Allemagne, de traiter directement avec lui : les menaces du prélat furent sans effet; dans la suite on se repentit de ne pas avoir eu recours aux promesses. La dispute s'échauffant, le pape crut devoir fixer la matière des indulgences qui était tou jours demeurée dans le vague ; il le fit par une bulle que Luther réfuta tout aussitôt. Finalement, le moine réforma teur embrassa les opinions des hérétiques de la Bohême, quenous avons faitconnaître plus haut : à savoix, on brisales images, on dépouilla le clergé de ses biens, on renditlacommunion du caliceauxsimplesfidèles;la pénitence ne conserva d'essentiel que la seule contrition; les væux mo
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nastiques furent abolis, l'autorité du pape, des conciles et des docteurs, rejetée, le pape enfin déclaré l'égal de tous les autres évêques et exclusivement évêque comme eux; en un mot, on ne reconnut plus d'autre loi ni n'autrerègle que celles qui se trouvent dans le vieux et dans le nouveau testament, Luther ajouta à cette réforme du christianisme une critique virulente de la cour de Rome qu'il intitulaCaptivité de Babylone, dont Érasme , qui était loin d'être contraire en toutes choses à l'audacieux augustin, blâma fortement la violence et la brutalité.
Le nonce apostolique crut alors devoir saisir la diète de Worms (1521) de la question que Léon venait de définir. Luther, cité pour rendre compte de ses opinions et de ses paroles, s'y présenta sur la foi d'un sauf-conduitet articula ses plaintes ct ses griefs contre l'église romaine. Comme il n'étaiten cela que l'écho de tous les Allemands, il est pro bable que Charles-Quint, qui avait intérêt à ne pas les in disposer contre lui, eût écouté le réformateur sans colère, sisa politiquedu momentne l'eûtobligé àménager lepape etparconséquentàsévircontreLuther. N'ayantpudécidercelui-ci à se rétracter, l'empereur, fidèle aux engagements qu'il avait pris, le laissa s'éloignersansobstacle;puisillança contre sa doctrine, ses écrits, sa personneet ses adhérents,
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Lesuniversités deLouvain et de Colognes'étant ouverte ment déclarées contre la nouvelle doctrine, Ec ius obtintde Léon Xune bulle (1520) qui réprouvait quarante et une propositions de Luther sur le péché originel, la pénitence, la sainte cène, les indulgences, l'excommunication, le pape,les conciles, les bonnes auvres, le libre arbitre, le purgatoire, etc., etc. Luther lui-même fut déclaré hérétique et il fut défendu de lire ses écrits ; Luther en appela au futur concile. Mais bientôt il alla plus loin : ayant appris que ses livres avaient été livrés aux flammes,il fitégalementbrûler la bulle de Léon X, avec toutes les décrétales des pontifesromains qui avaient précédé ce pape.
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Bientôt les questions soulevées si bruyamment en Alle magne éveillèrent l'attention de l'Europe entière : l'uni versité de Paris censura plusieurs propositions de Luther; Henri VIII d'Angleterre, non content d'avoir fait livreraux flammes les écrits du réformateur allemand, voulut encore lesréfuterdans un traité intitulé : Des septsacrements, qui valut au controversiste couronné le titre de Défenseur de lafoi; le pape ajouta à cette faveur la promesse d'indul gences plénières, à mériter par quiconque lirait l'ouvre royale. Luther répondit au roi comme il avait répondu au pape, c'est-à-dire avec rudesse et aigreur.
Adrien VI venait de succéder à Léon (1522). Il n'était certes pas plus favorable que son prédécesseur aux luthériens et aux idées dont ils étaient les organes; mais il ne reculait en aucune manière devant une réforme radicale de l'église romaine, ré orme dont le défaut, si longtemps et si impatiemment souffert, avait fait éclore le luthéranisme. Il ne siégea qu un peu plus d'un an. Néanmoins il eut le tempsde reconnaître formellement lafaillibilité des papes, même en matière de foi, de réformer le corps des cardi naux en les obligeant à résider à Rome, et en leur défen dant de se mêler, comme ils avaient coutume de faire, aux réunions mondaines n'ayant d'autre objet que le plaisir; ilchargea en outre l'évêque Cheregato de confesserdevant la diète de Nuremberg que tous les maux de l'église pro venaient des désordres de la cour de Rome qu'il promet tait, pour autant qu'il était en lui, de faire cesser. Nous
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unarrêt de condamnation et de proscription. Lutherfutmis au ban de l'empire, en dépit des réclamations des Alle mands, qui n'avaient pas encore l'habitude d'être traités avectantde despotisme. Au lieude profiter de laterreurque devait avoir inspirée au sectaire la sentence qui venait de le frapper, pour le ramener par la douceur et le séduire même par des offres brillantes, Léon X le fit brûler en e ligie, et le rendit intraitable.
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La diètede Nuremberginsistait pourobtenir la réforme. Elle promulgua les principaux griefs des Allemands, nombre de cent (centum gravamina), à charge de la courpontificale, portant principalement sur les incalculables sommes d'argent que le saint-siége ne cessait de soutirer à l'Allemagne,pourdispenses,absolutionsetindulgences,pour les appels à Rome, la collation des bénéfices, les annates,les immunités ecclésiastiques, les excommunications et inter dits, etc., etc. Clément VII, qui avait remplacé Adrien VI (1523), envoyaàNuremberg le cardinal Campeggio avecdes instructionsdiametralementopposées à celles deCheregato.Il lui était permis, à la vérité, de consentir à la réalisation de quelques réformes; mais elles ne concernaient que le clergé inférieur, et par conséquent, loin de modérer le pouvoir de l'aristocratie clericale qu'il s'agissait avant tout de restreindre, elles tendaient à l'augmenter et à faire con séquemment éclater de plus justes plaintes.
Si la réformation luthérienne n'avait eu à lutter que au
Le dogme de l'infaillibilité des papes, soutenu au com mencement du ivº siècle par saint Ennodius, évêque de Pavie,parle4°etle 5esynodesromainssouslepapeSymmaque, par ce même Symmaque, par Jean VIII et par saint GrégoireVII,etniéparAdrienVI, infailliblecommepapesi c'était à tort qu'il établissait la faillibilité de lapapauté, ne futplusdès lors qu'une palpablecontradictiondefaitcomme il avait toujours été une absurdité devant le raisonnement.
savons, ce sont les paroles d'AdrienVI, - que, depuis bien des années, le saint-siége s'est rendu coupable de beaucoup d'abominations, soiten abusant des chosesspiri tuelles, soit en exagérant, au delà des bornes légitimes,le pouvoir temporel qu'il exerce. Tous, ajouta le souverain pontife, nous nous mmes laissé entraîner chacun dans lavoie de son égoïsme, et il n'estplus restépersonne pour songerau biencommun. » Cetteloyautédu pape hollandais déplutsingulièrement auxgrands dignitairesde l'église.
Il revint alors surses pas : son intention n'avait été d'abordque d'éliminer, de renverser; quand ensuiteil voulut réédifier, il fonda pour ses sectateurs, nettement séparés de l'église romaine, une nouvelle église quasi romaine,mais sans pape, où tout ce qu'il avait commencé par reje ter ou du moins par permettre qu'on rejetât, reprit peuà peu sa première place, où par conséquent la crainte de Dieu, les prières, les temples, les universités, l'excommu nication,unepartiedela messe, lapénitenceextérieure, les fètes, la confession, le sacerdoce, l'autorité des pères de l'église, rentrèrent dans leurs anciens droits, sous la forme mêmequela grande église leur avait donnée, et contre la quelle le réformateur inconséquent avait, dans l'origine, lancé de si violentes diatribes.
87 que Luther contrel'église romaine seule, ses progrèseussentété encore plus rapides et seraient devenus universels : l'intelligence, en voie d'émancipation, devait nécessairement rompre par toutlesliensquil'avaientjusqu'alorsentravée danssesdéve loppements. Mais la réforme avait pour ennemi capital la réforme elle-même; car l'examen, une fois en travail de démolition, n'aurait rien laissé debout jusqu'à ce que, examinant son propre principe, il aurait reconnu que pris danslesens absolu, c'est-à-dire sans direction et sans contrôle, il ne pouvait aboutir qu'à l'absurde. Dès eutopposé ses dogmes aux dogmes de l'église romaine, on vint en opposer d'autres à ceux qu'il avait établis, et cela toujours en vertu de la liberté évangéliquedontil avaitfait saloi,ouque plutôt il avaitsubstituéeàtouteloi quelconque.
Mais son édifice était construit de décombres et bâti sur levide; sa raison d'être était en même temps la cause de sa ruine. Nous verrons,au chapitre des sacramentaires, quels furent les premiers adversaires qui surgirent autour de lui.Nous ne parlerons ici que d'uneautre sectequi tenta toutà lafois deréformer la religion et la société. C'étaitlogique;carla religion est la seule base réelle que la société puisse
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avoir. Maisc'était anarchique au dernier point, puisquelesnouveaux réformateurs n'étaient déterminément d'accord ni avec ceux sur lesquels ils voulaient agir, ni même entreeux, quoiqu'ils ne s'en missent pas moins résolûment å l' uvre. Ils marchaient sans guide vers un but dont ils ne se rendaient pas clairement compte, et qu'ils étaicnt loin de pouvoir faire accepter, du moins socialement : on les appela anabaptistes, parce que celui d'entre leurs dogmes religieux qui frappa le plus les esprits, ce fut l'obligation de rebaptiser les adultes, le baptême des enfants étant, selon eux, de nulle valeur; ileûtfallules appelersocialistesirra tionnels. Mais le mot qui exprime de nos jours la dernière conséquence de la réforme religieuse ou plutôt du libre examen, avant l'établissement d'un principe social ration nellement démontré, savoir la démolition absolue, jointe à l'impossibilité de rien édifier de stable, n'avait pas encore dû être inventé.
Quoi qu'il en soit, Nicolas Storck, Marc Stubner, Thomas Muntzer, Balthasar Hubmayeretquelques autressemirent, dès 1521 , non -seulement à dogmatiser, mais encore, poussés, disaient-ils, par des visions miraculeuses et des inspirations d'en haut, à massacrer quiconque n'admettait pas leur doctrine. Les anabaptistes refusaient l'obéissance aux magistrats, prêchaient l'égalité réelle, la communauté des biens et des femmes. A leur voix, les paysans prirent les armes et coururent sus aux seigneurs, dont, ilfaut bienl'avouer, les droits tyranniques sur leurs serfs et leurs vas saux étaientaussi scandaleux qu'atroces. De toutes parts,le cri de révolte trouva de l'écho, et la société fut un instant menacée d'être bouleversée jusque dans ses fondements. Luthériens, sacramentaires et catholiques s'unirent pour combattre les ultra-réformateurs. Environ cent cinquante mille anabaptistes, campagnards surtout, perdirent la vie enpeu de mois, tant sur le champ de bataille que par les exécutions judiciaires. Muntzer avait été pris et décapité
89 (1525). Dix-neuf disciples de Sellarius, qu'ils appelaientleur protomartyr, moururent à Rothenbourg sur le bûcher etdansla rivière, en riant et en chantant comme avait fait leur maître (1527). Hubmayer futbrûlé à Vienne (1528).
Il n'y avait pas encore eu d'exemple de supplices aussi horribles que ceux auxquels on eut recours contre ces mal heureux, ni d'un plusadmirable courage pour les affronter etles subir. Les catholiques eux-mêmes ne purent cacher leur étonnement et presque leur admiration. Certes si cela prouveen faveur de la doctrine, celle des anabaptistes mé rite une sérieuse considération, etsi cela ne prouve rien, il fautrenoncer à alléguer la constance des premiers martyrs en faveur du christianisme. Les anabaptistes étaient des hommes égarés, sans nuldoute; mais ilsl'étaient parigno rance et de bonne foi : leur énergie et leur constance le démontrent incontestablement. D'ailleurs, leurs adversaires n'étaient pas plus éclairés qu'eux; la seule différence, c'est que les uns étaient en possession des biens de la terre, et que les autres voulaient s'en emparer. La force décida.Cequi avait armé les anabaptistes contre la société, c'étaientles injustices flagrantes de l'état social, sur lesquel les on leur avait imprudemment ouvert les yeux en portant leurexamen sur lesabus de la religion quiservait de baseàcette société. Ils ne savaient pas, ils ne pouvaient pas sa voir ce que devaient être la société et la religion ration nelles; ils avaient seulement découvert que la société qui les faisait souffrir et la religion qui ne leur enseignait qu'à serésigner, n'étaient pas rationnelles du tout, et ils com mirent la faute grave de vouloir tout renverser, moyen infaillible, il est vrai, de réformer la société, mais en sup primant l'humanité elle-même, qui n'a d'existence que par l'ordresocial,qui ne peut vivre que socialement. Avantde poursuivre le récitdes événementsqui concer nentle lutheranisme, terininonsl'histoiredes anabaptistes. Peuaprèslesdéplorablesboucheriesdontnousvenonsdepar
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ler, Melchior Hoffmann mourut à Strasbourgdansl'attente des cent quarante millemarqués ou prophètes qui devaient venir l'aider à relever la Jérusalem nouvelle. Jean Tripen macher prêcha et fut brûlé en Hollande. Jean Matthys ou Matthieu, boulangerdeHarlem, après la tenued'unsynode de sa secte à Amsterdam, alla porter l'anabaptisme àMun ster (1534), de concert avec Jean Beuckels, dit Bécold ou Bucold,tailleur deLeyde,et BernardRottmann :c'estsous le nom de Jean de Leyde qu'ilestgénéralementconnu.Bientôt ces sectaires chassèrent de la ville les luthériens aussi bien que les catholiques, et établirent un despotisme mystique, dont la licence la plus effrénée et une cruauté maniaquefurent les caractères distincti s. Après un long siége, Munster fut repris par son évêque, et Jean de Leyde, avec ses conseillers Knipperdoling et Krechling, perit dans les plus affreuses tortures qu on pût imaginer (1536). Jean Van Geelen, envoyé par Beuckels, venait de succomber à Amsterdam dont il avait voulu s'emparer parsurprise, avec Jacob Van Campen, surintendant ou évêque de la secte, et la plupart de ses ouailles. David George, qui avait prêché la polygamie en Belgique, mourut ignoréà Bâle : les magis trats firent brûler son cadavre.
Jean de Leyde eut des imitateurs dans les Pays-Bas, savoir, un autre Jean qui fut décapité à Bruxelles, Cor neille, et Jean-Guillaume, deRuremonde, qu on brûlaavec toutes ses femmes. Des anabaptistes, disciples de Hutter ou huttérites, s'étaient établis en Moravie (1530) ; ils ydemeurèrent tranquilles et même protégés à cause de leur activité et de leur industrie, et se multiplièrent infini ment dans l'espace de vingt ans environ ; après quoi on les extermina presque tous : c'est probablement de leur maître que, dans la suite, les frères moraves prirent le nom de hernhuters, qui les distingua entre les autres réformés. En Angleterre, les anabaptistes furent également persécutés , surtout en 1540 ; plusieurs périrent dans
- 91 les flammes. Finalement, on les y toléra, ainsi que les quakers, leurs coreligionnaires, dont nous aurons à nous occuper plus bas. On leslaissa aussien reposen Hollande, sous lenom de mennonites ou sectateurs de Simon Menno. Ilestvraiqu'ils avaientrenoncéaux dogmesqui lesavaient faitproscrireauparavant : ils se bornaient à rejeter la Trinité,l'incarnation, lepéchéoriginel, etc., toute prestation de serment, le service des armes et l'exercice des magis tratures,et, comme dans le principe, ilsne baptisaientque lesadultes, toutes choses qui ne troublaient pasmatériel lement l'ordre public. Pour tout le reste, ils obéissaient auxautorités établies qui ne les forçaientpasd'agir contre leurconscience : c'était aussi, et exclusivement ce qu'on demandaitd'eux. Mais ilesttempsde revenir à Luther.
Il avaitblâmé à son début la trop grande hardiesse de son disciple Carolstad; il ne se doutait pas alors que luimême aurait fini par où Carolstad voulait commencer.Maintenantqu'il secrutassuré du succès de sa gigantesque entreprise, ilne ménagea plus rien. Outre l'abolition définitive de la messe des catholiques et la suppression desimages, il ne cessa plus de déblatérer contre le pape qu'ilnommait antechrist et chien, et contre Rome qui était lamoderne Babylone. Afin de prêcher d'exemple, Lutherépousapubliquement une religieuse.
Mais déjà l'Allemagne n'était plus le seul pays où lesopinions nouvelles étaient soumises à l'appréciation des esprits indépendants : les évangéliques, les réformésprirentce titre à cause de l'évangile qui était pour eux la seule autorité,-avaientpénétréjusqu'en Italie. A Faenza, onprêcha contre le pape; à Brescia, il y eut lutte entrelesnovateurs et les inquisiteurs de la foi, et la républiquedeLucques tout entière se serait convertie à la réforme, siCômedeMédicis, duc de Florence, soutenupar Charles Quint,n'eût menacé de l'envahir au profit de l'orthodoxie, cellebien entendu quilefaisait régnersursesconcitoyens.
Ce n'étaient cependant là que des épisodes : le foyer de la révolution religieuse qui parcourait toutes ses phases se trouvait au sein de l'empire. En 1529, la diète de Spire prit, dans l'espoir de parvenir à éteindre l'esprit d'innovation, un de ces termes moyens qui d'ordinaire ne font que lui fournir un aliment de plus : elle laissa à chaque état la croyance qu'il avait adoptée, mais défendit que nulle part on changeât encore de croyance à l'avenir. L'électeur de Saxe, George, marquis de Brandebourg, le landgrave de Hesse, plusieurs autres seigneurs et quelques villes pro testèrent contre les décisions de Spire, et en appelèrent à l'empereuret au concile universel. De là lenomde protes tants qui devint propre aux luthériens, tandis que les dis sidents de France, d'Angleterre, des Pays-Bas et de Suisse conservèrent celui de réformés.
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Rien encore n'étaitclairement déterminédans les esprits, de part ni d'autre : les luthériens présentèrent à la dièted'Augsbourg (1630) la profession de foi qu'avait rédigée le conciliant Mélanchthon. Elle contenait vingt et un ar ticles positifs sur Dieu, le péché originel, l'incarnation, la justification, le ministère évangélique, l'église, les sacre ments,etc., etc., et sept articles négati s, contreles préten dues erreurs de l'église romaine, relativement à la communion, àlacontinence,àlamesse,àla confessionauriculaire, auxmetsdéfendus, auxvauxmonastiques etàlajuridiction
En Bohême, les moines et les religieuses désertaient les couvents en masse pour se marier. La Prusse embrassa franchement la réforme. Frédéric Jer, roi de Danemark,la protégea par un décret de tolérance (1527) et une exhor tation aux ministres du culte à ne prêcher que l'évangile pur. En France, le cardinal Duprat se hâta de faire con damner le lutheranisme, aux concilesde Sens et de Paris. Finalementen Belgique et en Lorraine, on alluma les bû chers où plusieurs réformateurs et réformés qu on avait horriblement mutilés finirent leur vie.
Cette assemblée devait éclore à la fin. Clément VII avait pris l'engagementde la convoquer, mais sans en fixer l'é poque. Charles-Quint avait promis de son côté d'y assister en personne, et de défendre l'autorité pontificale. Le papecraignaitpourcelte autorité; mais il craignaitavanttout et bien plusencore pour lui-même : sa naissance était illégi time; les cardinaux de son oncle Léon X, qui avaient juré le contraire, s'étaient à bon escient rendus coupables d'un faux serment. Canoniquement parlant, la nomination du pape était donc irrégulière et nulle. De plus, la simonie la plus palpable avait favorisé et on peut dire décidé sonélection; or Jules II avait déclaré qu'en pareil cas, toute régularisation subséquente était interdite. Clément, nousle répétons, avait peur, et il se promit bien d'éloigner aussi longtemps que possible la convocation si ardemment
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De plus, le cardinal Matthieu de Lang, évêque de Salz bourg, avoua qu'il eût été à désirer qu'on ré ormât sponta nément la messe, qu'on laissât les fidèles se nourrir à leur fantaisie, etqu'on fit main basse sur une foule de préceptes, nuisibles quand ce n'eût été que parce qu'ils étaient inutiles. Seulement, il ne consentait pas qu'on acceptât ces amendements de la main, comme il s'exprimait, d'un mi sérable moine. Malgré tant de points de contact, et les nouvelles concessions que Mélanchthon se crut permis de faire au nom de ses commettants qui l'en blâmèrent dans lasuite, les deux partis ne réussirent pas à se mettre d ac cord, et on fut forcé comme loujours de s'en remettre, pour une conclusion quelconque, à la prochaine assemblée générale de l'église.
religieuse.C'estcequ'ona appelélaconfession d'Augsbourg. Les légats romains, et entre autres le cardinal Campeggio, yétaientsi peu contraires, que, la réfutation de cette pièce importante leur étant venue d'Italie, ils en firent donner lecture ainsi que de la pièce elle-même, sans cependant jamais permettre que la réfutation fût publiée.
Pour aplanir cette difficulté , l'empereur commit la même faute que la diète venait de commettre : il voulut contenter le pape et les réformés, et il mécontenta tout le monde. Par un édit, il ordonna de rétablir partout l'ancien culte, ce qui n'était déjà guère aisé, de reprendre l'ancienne croyance, ce qui était absurde, et de restituer les biens enlevés au clergé, ce qui soulevait contre lui tous les détenteurs actuels de ces biens. Et il flatta les luthériens de l'espoir qu'il erait convoquer le concile général : cela déplut au pape qui redoutait bien plus encore le concile que les luthériens. Les protestants prirent le parti de ne plus se fier qu'à eux-mêmes; ils se garantirent mutuelle ment les droits acquis sur le clergé par un traité qui ut appelé la ligue de Smalkalde. Charles-Quint alors, fatigué desperpétuelles fluctuations entre lesquellesil étaitballotté, se décida à signerlapaix deNuremberg (1532), ct reconnut formellement le droit des protestants à une entière liberté de conscience jusqu'au concile futur. Ce coup atterra lesouverain ponti e, et nonobstant il continua à ne pas vou loir déterminer l'époque où le concile mettrait fin, on le croyait du moins, à toutes les incertitudes et à toutes les difficultés.
Paul III succéda à Clément VII : à l'en croire, il n'avait d'autre désir que de réformer l'église, et avant tout sa propre cour. Mais bientôt il nomma cardinaux ses deux petits-fils dont le plus âgé n'avait que seize ans : cela fit apprécier ses intentions à leurjuste valeur. Outre ses négociations avec Charles-Quint touchant la célébration duconcile,Paul se mit aussienrapportaveclesquinzeprinces
94 et si impatiemment attendue. Il demanda dans ce but ce qu'il savait fort bien ne pas pouvoir obtenir, c'est-à-dire que le concile se tînt en Italie, et que les protestants, re nonçant à toute réforme déjà opérée par cux, se soumis sent d'avance à celle que le concile jugerait convenable d'opérer lui-même.
Il n'y avait plus à s'en défendre : il fallait réformer l'église pour ôter du moins aux protestants leur argument le plus populaire et celui qu'il était le moins possible de contester. La proposition en fut faite en plein consistoire,et ne rencontra d'opposition que chez le cardinal Schön
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Sur les entrefaites, la réformation religieuse acquérait chaquejour de nouvelles conditions de stabilité. Les souverainscatholiques, jaloux de la grande puissance de l'em pereur, se rapprochèrent des protestants d'Allemagne pourlui susciter des embarras. François er entre autres, que nous verrons si acharné contre les réformés de France, fit savoir à Mélanchthon, Pontanus, Sturmius et autres théologiens de la ligue, qu'iln'était pas du tout éloigné d'adop.terleur doctrine, nommément celle qu'avait professée le premier deces docteurs dans ses Loci communes theologici; que, par exemple, il avait, lui aussi, plus que des doutes sur le purgatoire; qu'il regardait la papauté comme uneinstitution purementhumaine; qu'ildésiraitlaréformedesveux monastiques, l'admission des laïques mariés au sacerdoce, et la communion sous les deux espèces pour tous les fidèles sans distinction. Dès lors, l'existence politique des protestants, placéesous l'égidedela France etde l'An gleterre, neput plus être mise en doute par personne. Le pape nesavait que résoudre : il chargea son légat Vergeriusdegagner Luther à tout prix; mais il était troptard.L'exmoine résista sans peine, et Vergerius devint dans la suiteun luthérien zélé.
Les protestants voulaient un concile libre, tenu en Alle magne, où ils auraient voix délibérative, et où le pape serait sans influence aucunc; en un mot, ils voulaient que lc pape fûtjugé. Paul, au contraire, n'admettait qu'un con cile tenu en Italie , qu'il dominerait complétement, et où les protestants seraient condamnés. On était donc loin de s'entendre.
etles trentevilles protestantes de la ligue de Smalkalde.
Les tentatives de conciliation dont nous venons de parler n'empêchèrent pas qu'on ne sévît en tous lieux contre leshérétiques. Le roi d'Angleterre, bien que schismatique lui-même, fit preuve de tant de zèle à les persécuter que Paul III le signala aux catholiques comme un modèle.François er publia également un arrêt de proscription enFrance, à l'instigationducardinal Farnèse.Quantà Charles Quint et à sa sour Marie, gouvernante des Pays-Bas, lesintérêls de leur politique les empêchaient d'imiter cesexemples, et le pape seplaignit d'euxamèrement.
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berg. Le cardinal Caraffa, dans la suite Paul IV, lui fut de tous points favorable, et on nomma une commission dont il fit partie avec ses collègues Sadolet, Pole et Contarini, d'autres prélats distingués et le maître du sacré palais, ThomasBadia. Le résultat de leur travail fut celui-ci: « Tous les maux de la chrétienté procèdent de l'adulation sans exemple dont les papes ont été l'objet, et qui a été portée au point d'en faire les maîtres de l'église, dont ils ont pu dès lors disposer comme de leur bien propre, n'ayant d'autre loi à suivre queleur seule volonté. » Venaient après cela vingt-quatre abus à corriger, savoir le défaut de rési dence, les mauvais choix de pasteurs, le cumul de béné fices, les expectatives, les dispenses et les indulgences ven dues à prix d'argent, l'oubli desancienscanons, l'ignorance des prêtres, le luxe des courtisanes romaines, etc., etc. Enfin la commission conseilla la suppression de tous les ordres religieux, à opérer en ordonnant de renvoyer les novices déjà reçus et en défendant d'en recevoir de nou veaux à l'avenir. L'écrit qui contenait ce qu'on vient de lire tomba aux mains des protestants : comme le redresse ment ne suivit pas la reconnaissance des griefs, les protes tants eurentunmoyen deplus de combattrel'église romaine et d'en triompher.
Ce fut à cette époque qu'eut lieu l'établissement définitifde la réforme dans le Danemark. Chrétien III, d'accord
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En 4540, Mélanchthon et Jean Eckius eurent à Worms une conférence ou colloque sur les points en discussion,colloque que l'empereur rompit, à la prière des légats du pape. Les coryphées du protestantisme, Luther, Mélan chthon,Bucer,etc.,setrouvaient précisémentalorsdans une position fort épineuse. Le puissant protecteur des protestants, Philippe, landgrave de Hesse, et époux de Christine deSaxe, prétendit qu'il lui fallait une seconde femme, si multanémentavec celle qu'il avait déjà et qu'il n'aurait pas quittée, et il demanda, pour n'avoir rien à se reprocher, que lanouvelle église l'autorisat à contracterundoublemariage; c'est en d'autres termes ce que vulgairement on appelle une bigamie. Refuser, c'était compromettre sérieusement l'oeuvre de la réformation; accorder, c'était démontrer par lefait même que le besoin de réforme n'avaitété que lepré texte du schisme, puisqu'on faisait exactement comme ceux dont on s'étaitséparé en se réformant. Cependant le prince menaçait de recourir à l'empereur qui, disait-il, aurait fa cilement obtenu du pape la dispense désirée. L'intérêt du moment l'emporta sur des considérations plus graves si l'on veut, maisaussi moins pressantes, etPhilippedeHesse, muni de la licenceen dueforme qu'il sollicitait des chefs de sacommunion,épousaen bonnesetlégitimes nocesMargue rite de Saal, sans se séparer de sa femme Christine (1540).
avecle sénat du royaume, fit accuser le clergé romain deturbulence, de despotisme, et surtout d'opposition à une réforme dans le culte, qui ne pouvait plus être retardée. Cetacte amenale recez des états généraux (1556), qui abolit la domination du sacerdoce , confisqua les biens du clergé au profit de l'état, du peuple, des pauvres, des hôpitaux, des écoles publiques et des ministres protestants, et qui substitua la réformation au culte catholique. Chrétien se fit couronner par Jean Bugenhagen, disciple de Luther; celui-ci imposa en outre les mains à sept surintendants lesquels remplacèrent les sept évêques du Danemark.
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Seulement, comme le secret lui avait été rigoureusement imposé, par égard pour les esprits faciles à scandaliser, Marguerite nc passa aux yeux du public que pour sa mai tresse. Au reste, cettejurisprudence ecclésiastique demeura en faveur, parait-il, chez les protestants d'Allemagne; car en 1788, les ministres luthériens qui avaient refusé au roi de Prusse Frédéric-Guillaume II l'autorisation de divor cer deux fois de suite, lui accordèrent sans peine celle d'épouser à la fois deux femmes légitimes, et même d'en avoirtrois, s'il tenaitle moins du mondeà gardercellequ'ilavaitL'annéerépudiée.quisuivit l'affaire du landgrave de Hesse, le col loque dont nous avons parlé plus haut fut repris, cette fois entre Jean Eckius, Jules Pflug et Jean Gropper pour les catholiques, Philippe Melanchthon, Martin Bucer et Jean Pastorius pour les protestants, et cela avec tant de succès que, survingt-deuxpoints soumis à la discussion, dix-sept furent résolus d'un commun accord; les cinq autres, sur l'eucharistie, la pénitence, le célibat, la hiérarchie ecclé siastique et l'autorité de l'église, demeuraient à examiner, lorsque le légat apostolique, présent à la diète, brouilla tout une seconde fois. L'empereur, pour en finir, décréta le maintien de ce qui avaitété accepté, et s'en référa au con cile pour le reste.
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Mais, ce concile ne se réalisant jamais, ni pour l'église en général, ni même pourla seule nation allemande, CharlesQuint se détermina à charger la diète de Spire(1544) d'in diquerelle-mêmelemoyen le plus promptet le plus efficace d'opérer la réforme religieuse voulue, afin qu'il pût êtresoumis à la prochaine diète, discuté et arrêté par elle. Eten attendant, il décida que les choses demeureraient telles qu'elles se trouvaient. De cette manière et en mettant sur lamême ligne les protestants et les catholiques, l'empereur déjoua les projets de François jer contre lui. En outre, ilput poursuivre son plan de domination sur toute l'Italic,
§ III. LES PROTESTANTS ET LE CONCILE DE TRENTE .
Pressé, harcelé de toutes parts, le pape n'avait pu serefuser à convoquer le concile général; il mettait la plus haute importance à ceque l'assemblée se tînt en Italie afinde pouvoir la diriger plus facilement, et à cet effet il indi quala villede Vicence, où il envoyamêmeseslégats (1538).Mais bientôt il se vit forcé à les rappeler; car pas un seul évêquene s'étaitrendu à soninvitation. Charles-Quint voulait au contraire que le concile fût célébré en Allemagne, dans l'espoirqueles pères y seraient plus libres de discuter les questions où il s'agirait des intérêts de la papauté : ill'emporta à la fin, mais de bien peu de chose, puisque laville choisie pour la réunion de l'assemblée religieuse futcelle de Trente, hors de l'Italie, il est vrai, mais sur lesfrontièresmêmes (1542).
tantôt en menaçant le pape des colloques des luthériens, tantôt en contenant ceux-ci par l'épouvantail du pape et de son concile.
Ici commence une série d'intrigues et de finasseries qui nous oblige à constater le changement complet opéré dansles esprits et les consciences depuis les derniers conciles universels de Constance et de Bâle. Il n'y avait plus de fa natisme, plus de violence brutale ; mais aussi il n'y avait
Intrigues cléricales pour neutraliser le concile. Progrès du protestan tisme. Travaux des pères assemblés. Guerre politique, sousprétextede religion. --- Le concile veut secouer le joug pontifical. Interim deCharles-Quint. Libertédesdeux cultes en Allemagne.
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Le concile de Trente était sur le point d'avorter commecelui de Vicence, faute de pères pour lecomposer; cepen dant le pape avait menacé des peines canoniques les plussévères les évêques qui ne se seraient pas empressés d'obéir à son appel. Aussitôt que le concile eut été déclaréouvert, PaulIII entrava la marche des délibérations en manifestant des prétentions impossibles : il nevoulait pasquele concile s'occupât de réformer l'église, tandis que les protestants, à l'occasion desquels ce concile se célébrait,nevoulaient pas qu'on s'y occupât d'autre chose. Leslettres de Rome venaient à chaque instant troubler les travaux del'assemblée : à Rome, on se défiait de tout le monde parce qu'on savait qu'au concile personne ne songeait qu'à soi. Aussi les ordres et les contre-ordres, dans tous les sens, se croisaient-ilsct se contredisaient-ils sans interruption. Par chaque courrier, le pape écrivait, d'une part au concile,de l'autre aux légats en particulier, de l'autre encore àquelques légats confidentiellement, et enfin aux intimes
plus de franchise, ni de courage : il ne restait que de l'égoïsme, de la cupidité, de la vanité, de l'envie, de la ja lousie, toutes les petites passions qui entraînentaprèselles les petits moyens, le mensonge, la ruse, la perfidie, la bassesse, la lacheté, pour les satisfaire; en un mot, ledésir effréné chez chacun d'améliorer sa position, à tout prix, horsle risque decompromettre la position déjà acquise. Le secret de cette révolution morale est dans la perte des con victions réelles. L'irréligion étaitdescenduedespontifes su prêmes à leur cour, de leur cour aux prélats, des prélats à tout le clergé; les rois et les grands n'avaient pas tardé à douter de ce que les prêtres montraient clairement ne plus croire; les bourgeois avaient suivi l'exemple des princes et des seigneurs, et partout l'indifférence religieuse avait prisla place de la foi. Nous allons voir l'intérêt personnel, ainsi rapetissé, à l'ouvre dans cette dernière manifestation solen nelle du catholicisme.
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Ce ne fut qu'à la fin de 1545 qu'eut lieu la véritable ou verture du concile de Trente à laquelle assistèrent quatrearchevêques, vingt évêques, un cardinal, outre les légatsde Paul III, cinq supérieurs d'ordres religieux, généralementfort peu instruits des matières théologiques, et quelquesdocteurs aussi ignorants qu'eux. L'estafette ne manquaitpas un jour d'apporter les plus minutieuses instructions du pape relativement à la marche à suivre et aux questions àtraiter. Le point principal était toujours de s'éloignerautantqu'on pouvait des conciles de Constance et de Bâle : c'est ainsi qu'il fut décidé que le concile serait æcuménique,mais qu'il ne représenterait pas, du moins expressément,l'église universelle, de peur quela phraseconsacréeen pa reille circonstance ne réveillât l'idéed'une apparence d'empiétement de l'assemblée sur la suprématie du pape ; on décida également que les voix se recueilleraient par tête etnon par nation, ce qui assurait la majorité au souverain pontife pourtoutes les questions où il croirait de son inté rèt d'avoir recours auscrutin : les points àdébattredevaientd'abord être éclaircis dans des congrégations particulières, et puis résolus dans les réunions générales, mais à huisclos; de cette manière il n'y avait plus en session publique qu'à les promulguer, comme si tout s'était passé sans oppo sition dans l'accordle plus parfait et à l'unanimité.Il était expressément ordonné aux pères de rester dans. le vague sur toutes les matières controversées parmi les catholiques, afin de ne mécontenter personne et de ne pas augmenter les embarras dont on était accablé. Malgré cela,
dans le plus grand secret et en chiffres. C'était beaucoup d'agitation pour quatre évêques jusqu'alors présents avec les trois légats apostoliques. Ceux-ci néanmoins mirent le temps àprofit pour conquérir surle concile futur une auto rité arbitraire, au lieu, comme il leur avait été prescrit de prime abord, de procéder dans toutes leurs opérationsavec leconsentement du concile.
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Le travail sérieux du concile ne commença qu'àla 4º ses sion, qui définit la tradition dans un sens contraire à celuides novateurs,et déterminaquelslivres des saintesécritures devaient être appelés canoniques. La se session roula sur le péchéoriginel,dont il futpermisd'excepterla sainteVierge, comme le voulaient les franciscainsetla faculté de théologie de Paris. A la 6° session , furent élaborées les questions
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les dominicains et les franciscains, opposés de tout temps sur presque tous les points de leur doctrine, et par conséquent ennemis irréconciliables, manquèrent plusd'une fois de faire naître de graves désordres.
Pendant que cela se passait à Trente, les protestants ne cessaient defairedela propagande et desprogrès.Le Palatinat admit la communion du calice pour les laïques, le mariage pour les prêtres et la liturgie en langue vulgaire.L'archevêque électeur de Cologne,convertipar Bucer, se fitluthérien, ce qui lui attira l'excommunication ct la déposi tion de la part du pape, mais sans effet réel puisque l'em pereur refusa de reconnaitre le comte de Scavenberg que Paul III avait nommé pour le remplacer. Le nouvel ordrede choses avait déjà acquis un tel degré de solidité que la mort de Luther (1546) n'arrêta en rien les succès constants de ses sectateurs.
Sur les entrefaites, l'affaire qui devait primer toutes les autres, savoir, la réforme, était sans cesse proposée par les évêques comme étant celle pour laquelle surtout le concile avait été réuni, et repoussée par le pape et par ses légats, qui avaientpour mandatdenes'occuperquedesdogmes, et même de traîner les discussions en longueur, afin de faire le moins possible de besogne dans le plus de temps possi ble. Les légats cependant ne purent se refuser finalement à l'adoption d'un parti moyen, c'est-à-dire à faire marcher depairla partie pratique dela réforme etla partie specula tive des faits dogmatiques. Le pape témoigna sa mauvaise humeur, mais en dernière analyse il consentit.
scabreuses de la justification et de la grâce. Les luthériensavaient embrassé dans toute sa rigueur l'opinion fataliste professée par saintPaul, saint Augustin et les conciles tenusdansletemps contre les hérétiques pélagiens. A Trente, on condamna Luther, sans parler de l'apôtre, des pères de l'é glise et de l'église elle-même. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que la doctrine luthérienne eut pour appui au concile l'archevêque de Sienne et les évêques de la Cava et de Bel lune, tandis que, dans la suite, les luthériens eux-mêmesen revinrent à reconnaître le libre arbitre avec le conciledeTrente, en dépit de saint Paul, de saint Augustin etdesconciles célébrés par les catholiques contre le moine Pélage et ses disciples.
Pendant qu'il poursuivait le cours de ses victoires surl'opposition dansle concile,qui s'essayaitenvainà modérer l'autoritépontificale,lepape conçutle projet d'en remporter d'aussi importantes sur les protestants d'Allemagne, ses en nemis lesplus cruels, puisqu'ils sapaient cette autorité par la base même, son omnipotente infaillibilité, et qu'ils tra
Les protestants se plaignaient hautement des décisions d'une assemblée qui, en définissant les dogmes, semblait n'avoir en vue que d'éterniser les disputes, et qui, privée detoute indépendance, n'osait pas même songer à proposer uneréforme quelconquedes abusreconnus sigénéralement.La pression pontificale fut surtout évidente lors de la dis cussion sur les prérogatives des ordresreligieux, accordées, ratifiées et reconfirméespar des bulles sans fin : ces préro gatives avaient anéanti le pouvoir des évêques, qui en de mandaient avec instance la suppression. Mais le pape ne voulutmême pascondescendre à ce qu'on tentât de les mo difier; il comprenait fort bien, qu'une fois que les évèques seraient redevenus les maîtres dans leurs diocèses, lui pape ne serait plus qu'un évèque dans le sien. Les moines eon tinuèrent à ressortir au saint-siége directement et exclusivement.
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La guerre n'en éclata pas moins : Charles, à la tête d'une formidable armée d'Allemands, d'Italiens, d'Espagnolsetde Flamands, battit complétement l'électeur de Saxe à Muhl berg et le fit prisonnier. Paul alors se hâta de rappeler sestroupes, parce que, dit-il, l'empereur accordait la libertéde conscience aux protestants qui mettaient bas les armes etreconnaissaient son autorité. Il alla plus loin : il crut le moment favorable pour profiter dela terreur qu'inspiraient les succès des catholiques allemands, en transférant le concile de Trente en Italie, afin d'imprimer aux évèques l'inpulsion qu'iljugeait convenable, et surtout afin de les renvoyer chez eux le plus tôt qu'il pourrait. Mais l'empereurn'était point de cet avis : il fallait pour lui que , par unmoyen ou par un autre, le concile élaborât une réformepropre à satisfaire les confessionistes (les adhérents à la confession d Augsbourg) , ou bien qu'il lui fournît desarmes pour les écraser sans retour. Il fit donc menacer le cardinal de Sainte-Croix, légat pontifical, dele fairejeter dans l Adige, s'il ne s'occupait sans délai,et à Trentemême,à redresser les griefs afin de faire cesser les plaintes. Le
104vaillaient à l'anéantir. Il se ligua avec l'empereur. Charles Quint désirait ardemment de punir les princes de laligue de Smalkalde, mais seulement comme rebelles au pouvoir impérial ; Paul III cherchait à humilier les mêmes princes, mais comme hérétiques uniquement. Aussitôtque l'alliance entre les deux potentats cut été conclue,l'un et l'autren'eu rent rien de plus pressé que de publier les motifs de leur conduite et de manifester hautement le but qu'ils voulaient atteindre. Dès lors l'empereur vit à l'évidence que le pape n'en avait jamais eu d'autre que de le brouiller avec les protestants afin de lui susciter en Allemagne des embarras qui affaibliraient son pouvoir en Italie, et le pape comprit sans peine que l'empereur avait en vue de soumettre les insurgés d'Allemagne pour n'avoir plus à penser qu'à main tenir l'Italie sous son despotisme.
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105 concile sembla obéir; mais ce fut pour dissimuler les abus et ne remédier à rien.
La question des sacrements avait été débattue dans la 7esession : les pères en admirent sept, en opposition à l'opi nion des protestants et, ajouterons-nous, à celle de saint Augustin, qui ne reconnaît formellement que deux sacre ments, celui du baptême, au nom de la Trinité, et celui de la participation au corpset ausangde Jésus-Christ. Ce qu'il y a surtout à remarquer à ce propos, c'est que le concile fit dépendre l'efficacité des sacrements de la forme et des paroles employées lors de leur administration , et non duméritedu ministre qui les administrait.C'était fort prudent, notamment aux tempsoù l'on était parvenu. Lenombredes ministres réellement dignes de leur office religieux deve nait dejour en jour plus rare. Bientôt on aurait pu dire avec raison qu'il n'y avait plus de sacrements du tout; car lesfidèles eussent toujours pu mettre en doute si l'officianthonoraitoudéshonoraitson caractèredeprêtre,et,ensuppo sant queluipersonnellementenfûtdigne,s'iln'avaitpasreçu sespouvoirs de mains indignes et par conséquent incapables de les lui conférer, et ainsi à l'infini. Mais les mêmes pères manquèrentàlaprudencedontils venaientdefairepreuve,en exigeant quele ministre officiant eût du moins l'inten tion d'administrer le sacrement dont il remplissait les formalités liturgiques , intention qui pouvait tout aussi bien être révoquée en doute que son méritepersonnel.
Ce n'est pas tout : les décisions du concileétaient expri mées d'une manière si peu claire et si peu précise que l'évêque deMinori, qui avait insistéplusqu'aucun autresur le danger qu'il y aurait à demander l'intention d'adminis trer le sacrement chez celui qui le conférait, publia queles pères s'étaient rangés à son avis, et avaient fait des sacrements de simples opérations occultes, dont l'efficacitétenait tout entière à certaines cérémonies qu'on pouvait appeler cabalistiques et à des formules mystérieuses, les
Sur les entrefaites, l'empereur obtint des protestants vaincus la promessede se soumettre à un concile libre, tenu à Trente (1547). Cela lui suffisait pour exiger que Paul III y renvoyât ses évêques, que le pape, disait-il, avait appelés à Bologne sur des motifs mensongers, déduits de faits
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quelles exclusivement attiraient par leur propre force l'in tervention du Saint-Esprit invoqué. N'oublions pas de rappelerque c'était précisément là la doctrine de la primitive égliseetde ses plus illustres pères, tandis que celle qui exi geait la dignité du ministre avait été professée par saint Grégoire VII; ce pape, ainsi que les luthériens, ne re gardait comme de vrais prêtres que ceux qui méritaient par leur caractère et leur conduite de desservir l'église et l'autel.
C'était, d'après ce qui avait été convenu, au tour de ladiscipline : il s'agissait cette fois de la collation des béné fices, des commendes, des cumuls,desdispenses,etc., etles pères montraient quelque velléité de couper le mal à sa racine en déclarant de droit divin l'obligation des bénéfi ciers de résider, en révoquant les priviléges des commu nautés religieuses, et en abolissant toute dispense pontifi cale. C'est ce que voulaient les évêques espagnols qui, en toutes circonstances, s'étaient montrés les plus ardents àpoursuivre une réforme complète. Le légat cardinal Del monte, qui devint pape sous le nom de Jules III, leur dé montra que cet excès de zèle était pour le moins ridicule; au retour de ces évêques en Espagne, l'inquisition trouva que ce zele était hérétique, puisqu'elle fit accuser de luthé ranisme huit prélats et neuf docteurs qui revenaient de Trente. Le pape n'en fut pas moinseffrayé de l'esprit d'in subordination qui éclatait parmi les pères, et il fit décréter dans la 8° session que le concile se transférait à Bologne. Les évêques impérialistes demeurèrent seuls à Trente, en décla rant que le souverain pontife était « un vieil entêté qui perdrait l'église. »
Après la décision sur le dogme, vint le décret impérial relativement à la réforme des abus. C'était l'æuvre du con cile de Bâle, reprise et appliquée par le pouvoir civil. Le pape en fut bien plus vivement blessé qu'il nel'avait été par l'Interim même. Les protestants n'en furent pas plus satis faits, parce qu'en régularisant ce qui avait rapport à la messe, aux moines, à la bénédiction des églises, des vases sacrés et des palmes, aux processions, à la liturgie en lan gue latine, clc., etc., l'empereur ne faisait qu'amender ce dont eux ne voulaient plus d'aucune manière ni sous aucuneforme. Aussi, tant l'Interim que l'acte de réforme furent-ils bientôt repoussés par les protestants et les catholiques, en Allemagne aussi bien qu'en France et en Italie.
matériellement faux. Pour vaincre enfin la résistance que Paullui opposait, et ranger les protestants à sa volonté,Charles-Quintpromulgua, de son autoritéprivée, undécretdogmatique (1548) qui reçut le nom d'Interim , par lequelil prescrivit à tous les partis une règle de croyance et deconduite. Comme toujours en cas pareil, personne n'accepta ledécretimpérial : lescatholiquesy découvraientdu luthé ranisme, notamment à l'occasion de la justification et du péché originel, et dans la permission accordée aux prêtres de se marier et aux laïques de communier sous les deuxespèces; les luthériensy retrouvaient la messe, les rites du baptême, le sacrement du mariage et celui de l'extrême onction, qu'ils avaient depuis longtemps condamnés comme sacriléges et superstitieux. Le pape nese plaignit que de cequi le concernait personnellement ou touchait à son auto rité, c'est-à-dire du mariage des prêtres et de la concessiondu calice,et ilinsista fortement surla restitution des biensenlevésau clergé.
Le concile de Bologne, composé de six archevêques et de trente-six évêques, sans l'assistance d'aucun envoyé des états catholiques, était par cela seul frappé d'impuissance. Paul III allait le dissoudre et assembler à Rome même une
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La 12e session se passa à anathématiser ceux qui ne pen saientpassurl'eucharistiecommepensaientles catholiques.
Cependant, peuàpeules ambassadeursrevinrentau con cile et les opérations y reprirent leur marche habituelle.
congrégation d'évêquespourachever le travail de la réforme del'église,lorsqu'ilmourut.JulesIII, sonsuccesseur(1550), rouvrit le concile de Trente. Pour y attirer les luthériens, le pape accorda l'absolution à tous ceux qui se converti raient; les luthériens répondirent à cette faveur inoppor tune en renouvelantà la diète d'Augsbourgleurrefusarrêté d'avance d'accepter les décisions d'un concile non entière ment libre, où le pape ne comparaîtrait pas aussi bien qu'eux pour défendre chacun leur cause et être jugés par leurspairs. EnFrance,on seprononçaénergiquementcontre les prétentions de Jules; onalla même jusqu'à proposer de leur opposer un concile national, et la nomination d'un patriarche qui serait chargé des affaires ecclésiastiques du royaume, et le roi envoya à Trente le célèbre Jacques Amyot, abbé de Bellosane, pour protester contre tout ce qui allait avoirlieu.
La 13e établit le dogme dela transsubstantiation, en opposition à la présence réelle des luthériens et à la présence figurée des sacramentaires, et l'obligation, comme condition de salut pour les laïques, de ne communier que sousune espèce sculement. Cette dernièreclause cependant demeura suspendue, à la demande du cardinal de Trente; il démontra au concile que sa mise à exécution causerait immédiatement la séparation de l'Allemagne entière. Puis onconvoqua les luthériens qui se montraient à bon droit fort difficiles sur le point des sauf-conduits dont on avait si indignement abusé à Constance lors de leur violation par le supplice des hussites, leurs prédécesseurs. Après cela, ondébatlit la réforme des appels et del'évocation des causes à Rome, et on finit par ne rien réformer du tout. Enfin onrégla la confession auriculaire et l'extrême-onction, et les
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messes hautes et basses furent confirmées dans tous leurs honneurs.
Il fallut bien cependant se mettre en relation avec les protestants. Les obstacles pour y parvenir ne furent pasaplanis sanspeine. Lorsque lesluthériensprésentèrent leur formule de foi en congrégation générale, les catholiques témoignèrent la plus vive indignation quoiqu'ils eussent dù s'attendre à ne pas plus être ménagés par leurs adver sairesqu'ils ne les ménageaient eux-mêmes. On en était là lorsque les protestants se virent forcés de quitterTrente où leconcile fut de nouveau suspendu (16 session) à cause de la guerre qui s'était rallumée entre les luthéricns de l'en pireetCharles-Quint. Le despotisme de l'empereurlui avait aliéné toute l'Allemagne; la vaste étendue de ses états lui avait fait des ennemis de tous les souverains étrangers. La Francesedéclara l'alliée des princes del'empire sans que le papeymitobstacle, de peurdu concile et dupatriarche dont HenriIIl'avaitmenacé.Vaincucette fois, àson tour, l'empe reur fut forcé d'accorder, par le traité de Passau (1552), à l'électeur de Saxe, au landgrave de Hesse et au marquis de Brandebourg, puissamment soutenus par les troupes fran çaises, le libreexercicedu culte selon la confession d'Augs bourg, avecdesdroits politiques égauxàceux des chrétiens demeurés.fidèles à l'ancien culte catholique romain.
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Pour opérer une diversion et avoir du moins l'air de faire quelque chose, Jules III renouvela la tactique d'Eugène IV après le concile de Bâle; il créa patriarche des chrétiens d'entre l'Indus et l'Euphrate, lesquels, prétendait-il, dési raient ardemment de vivre sous l'obéissance des papes, uncertain Simon Sulacha. Ensuite, il fit, comme d'ordinaire, agiterà Romela question de la réformede l'église, par unecommission de cardinaux, et cette commission, toujourscomme d'ordinaire, finit par s'évanouir sans laisser aucune trace de son existence et de ses travaux. Trois évêques italiens réunis à Bologne traitèrent la même question et 10 .
Tout espoir de conciliation entre deux partis si nette ment séparés, entre deux sectes si envenimées l'une contre l'autre, eût désormais été plus que chimérique; ne pouvant s'entendre et étant à peu près de forces égales, il fallut bien se résoudre à se tolérer : c'est ce qui se fit. La dièted'Augsbourg (1555) sanctionna le recez sur la liberté de conscience établie par le dernier traité, et cette fois sans faire mention d'aucun concile général ou national futur, ni d'aucune diète à tenir dans la suite. L'égalité la plus par faite fut organisée entre les deux communions allemandes, et la propriété des biens enlevés au clergé romain con firmée et garantie aux détenteurs. Il fut même permis de passer d'un culte à un autre, sans perdre par là avantages dont on jouissait,si ce n'est laposition acquise aucun des
en écrivirent au pape dans le plus grand secret. « Il était, disaient-ils, fortpossible que les luthériens eussentraison: en effet, au temps des apôtres, du concile de Nicée et de saint Athanase, il n'y avait ni souverain pontife, ni cardi naux; on n'avait aucune idée des énormes revenus affectés depuis aux évêchés et aux presbytères ; il n'y avait ni tem ples somptueux, ni riches couvents,ni bénéficiers, prieurs ouabbés, etc., etc. L'évangile, ajoutaient-ils,estclairement et diametralement opposé à tout ce que l'église romaine pratique; aussi faut-il bien se donner de garde que les saintes écritures ne tombent aux mains des fidèles, surtout lorsqu'elles ont été traduites en langue parlée. »
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Et là-dessus, les trois prélats conseillaient à Jules, nonde réformer les abus qu'ils signalaient, ce que probable ment ils jugeaient impossible; mais au contraire de lesaccroître, probablement encore afin qu'ils étouffassent l'examen qui commençait à en faire justice : c'est-à-dire qu'ils encouragcaient le pape à augmenter le nombre des prêtres, des évêques, des cardinaux et des moines, à mul tiplier les fêtes et les cérémonies, à prodiguer le luxe etla pompe des cultes, etc., etc.
Ce n'étaient plus seulement les protestants qui réfor maient le culte en Allemagne; les catholiques aussi y por taient la main à l'encensoir, et le pape voyait chaque jour diminuer le nombre de cette catégorie de fidèles qui, les yeux fermés, acceptaient naguère le christianisme tel que ses prédécesseurs le faisaient. Le marquis de Bade et le sénat de Spire, à l'exemple de l'électeur palatin, abolirent la messe et d'autres cérémonies du culte catholique. Les habitants de la basse Autriche demandèrent à l'empereur Ferdinand à pouvoir se réformer; Ferdinand refusa, mais fut néanmoins obligé d'accorder la communion sous les deux espèces. Le duc de Bavière, qui s'était distingué jus qu'alors par la sévérité de son catholicisme, vit arriver le moment où il lui fallut céder sur l'article du calice et sur celui de l'abstinence de certains mets.
Le pape Paul IV, atlaqué ainsi de toutes parts, chercha à se soustraire au danger qui planait sur son église, en assemblantune congrégation de cardinauxqu'il chargea de
§ IV. LE CONCILE DE TRENTE ET LES CATHOLIQUES .
L'inquisition étouffe le lutheranisme en Espagne.- La France penche versla réforme.- Oppositiondes pères espagnols aux prétentions romaines.Demandesde l'allemagne. Les jésuites. Clôture du concile de Trente. Vicissitudes dulutheranisme.-- Le protestantisme mène irré sistiblement au doute universel et absolu .
- 111 danslecultequ'on abandonnait. Les protestants, assemblés à Naumbourg, reconnurent aux catholiques les mêmes droits que ceux-ci venaient de reconnaître aux protestants.
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déterminer strictement les limites au delà desquelles la réforme du culte cesserait d'être conciliable avec l'ortho doxie. La congregation commença par débattre la questionde la simonie; mais comme les cardinaux ne réussissaientpas à se mettre d'accord, Paul déclara qu'il allait coupercourt aux disputes en condamnant sans restriction toutetransaction simoniaque. On lui fit adroitementcomprendre qu'autant vaudrait pour lui abdiquer la papauté, et il sedésista de sa velléité de rigorisme : les cardinaux, de leurcôté, se séparèrent sans avoir rien fait.
Déjà on prêchait le lutheranismejusqu'en Espagne; mais là, Philippe II parvint à l'étouffer sous les flammes de l'in quisition. A Séville, on brûla trente-cinq hérétiques (1559 et 1560), entre autres le comte Jean Pontius, plusieurs moines, des docteurs du collége de Saint-Isidore, douze femmes, dont quatre de la haute noblesse, et l'effigie de Constantin Pontius de la Fuente, aumônier de Charles Quint : cent quatorze furent frappés de peines infamantes.Vingt-sept vivants et deux morts furent réduits en cendres à Valladolid, devant le roi, sa sæur Jeanne, et son filsdon Carlos (1559). A Murcie, onze personnes d'abord périrent sur le bûcher (1557); puis trente (1559); puis trente au tres (1560) ; etc., ctc. Frère Bartholomée Carranza qui, après s'être honorablement distingué au concile de Trente, avait étéélevésurle siége archiepiscopal deTolède, etdont l'empereurdéfunt avait invoquéle secours à son lit de mort, fut mis en prison et dépouillé de tous ses biens; il subit dix -huitans de détention. Le confesseur de Charles-Quint, frère Jean de Régla, fut condamné à abjurer dix-huit pro positions luthériennes. Frère FrançoisdeVillalba, son pré dicateur, et qui l'avait assisté dans ses derniers moments, et frère Pierre de Soto, aussi son confesseur et premier théologien du pape Pie IV, furent poursuivis par l'inquisi tion. Finalement, l'empereur lui-même fut atteint et convaincu d'hérésie, et son cadavre allait être exhumé et con
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sumé par les flammes, lorsque Philippe II, craignant que cette sentence ne nuisit à ses propres intérêts, empêcha qu'elle nefût exécutée ni même rendue publique.Legouvernement espagnol poursuivit les opinions luthériennes jusque dans ses provinces d'Italie : trois mille ré formésavaient abandonné Cosenza, au royaume de Naples, pour aller professer librement leur culte dans les mon tagnes(1560);Philippe II les fit attaquer, tailler en pièces,brûler et disperser.
A cette unanimité des états catholiques, Pie IV répondit parle rappel à Trente, des pères du concile de cette ville, suspendu depuis dix ans, et il invita les évêques italiens à serendre en masse à la nouvelle assemblée pour défendrela prépondérance pontificale, de laquelle, disait-il, dépendait désormais la prééminence de leur belle patrie en Europe. En effet, les travaux du concile purent bientôtrecommencer (1562). Cinq légats pontificaux qui présidaient, deux autres cardinaux, troispatriarches, vingt-cinq archevêques, cent soixante évêques, sept abbés, sept géné raux d'ordres et plus de cent théologiens, se trouvèrentréunis à Trente, et s'occupèrent, avant toute autre chose,àformer un catalogue deslivres dontils jugeaient la lecture dangereuse pour les fidèles sous le point de vue reli gieux(17°session).Lespères sentaientfortbienque legrand
En France, le pouvoir redoutait, tantôt l'opposition des calvinistes, tantôt les prétentions de la cour de Rome : cette double pour y favorisait la réforme allemande. A l'instigation de Montluc, évêque de Valence, Catherine de Médicis demanda au pape la communion du calice pour tousses sujets, lasuppressiondu culte des images, la sim plification descérémonies du baptême, et la célébration du service divin en langue vulgaire. Le cardinal de Lorraine etplusieursprélats la secondèrentvivement, et le cardinal deFerrare, fils de Lucrèce Borgia et légat apostolique en France, fut leur interprète.
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ennemi de la foi était l'examen, ct que le palladium de la liberté d'examen était la publicité par la presse. L'index duconcile de Trente, confirmé par une bulle de Pie IV, était une imitation de l'indexdu saint-office romain, promulgué par Paul IV (1559), qui lui-même avait imité l'index de PhilippeII (1558). Ceux qui violaient les défensesdel'index étaient excommuniés ipso facto, dépouillés de toute auto rité et de toute dignité et regardés comme infâmes à per pétuité.Pendant que les détails de la composition de l'index étaient livrés aux soins d'une commission, le concile reprit ses discussions sur la résidence des évêques. Les Espagnols soutenaientqu'elleétaitdedroitdivin,etqueparconséquentnulnepouvaitdispenserdecedevoirnipouraucunmotif,et ils réussirent à entraîner dans leur opinion plus de la moi tié des votants. Les légats, pour éviter une décision qui épouvantait à bon droit la cour de leur maître, convo quèrent le ban etl'arrière-ban des pensionnaires du saint siége. C'étaient des prélats italiens, pauvres ou avides, qui recevaient de cent soixante à trois cent vingt francs par mois, pour défendre les intérêts du pape et se conformer en tout à sa volonté. Il y avait surtout un groupe fortbruyant d'interrupteurs, qui man uvraient sous la direc tion du cardinal Simonetta, et, à un signal convenu, ren daient par des plaisanteries, des cris et du tumulte, toutediscussion sérieuse impossible. On ne fait pasmieux aujourd'hui dans nos conciles politiques appelés parlements ou chambres. Aussi l'emporta-t-on au xviº siècle comme on l'emporte encore au xix®, c'est-à-dire provisoirement.
Le concile de Trente confirma et consolida l'ancien arbi traire sacerdotal, et donna aux souverains pontifes tous les moyens d'user et d'abuser de cet arbitraire, de le modifier, de l'étendre, selon leurs besoins et leurs caprices. Seulement, on ne songeaitpas le moins du mondequecetédificereposait tout entier sur la foi au pape, la foi en l'église, la
De toutes ces questions, la seule qui acquit quelquesimportanceau concile fut celle de l'institution des évêques.
foià une révélation, et que, cette foi éteinte, tout serait consommé. C'est exactement comme de nos jours : l ar bitraire gouvernemental repose exclusivement sur la né cessité d'avoir de l'ordre, qu'on croit devoir demander à la force; mais toutarbitraire tombera de lui-même lorsqu'on aura reconnu qu'on ne peut obtenir l'ordre vrai que par la raison, par le droit. Mais revenons au concile de Trente.
A la 22e session, les princes catholiques insistèrent avec plus de vivacité que jamais sur l'urgence d'opérer une réforme. Parmi les vingt-deux points que réclamait l'Au triche, nous remarquerons l'abolition des dispenses scan daleuses et de tout marché entaché de simonie, la défense de cumuler les bénéfices, la nécessité de corriger les bré viaires et missels, la soumission obligatoire des moines aux évêques, et l'obligation indispensable de résider pour ceux-ci, etc., etc. Les légats obtinrent que ces demandes resteraient secrètes. Mais on ne put cacher longtemps celles qui concernaient le calice que l'empereur voulait pour tous sessujetshéréditaires, et le mariagedes prêtres qu'exigeaitl'ambassadeur de France, avec la messe en français, et la suppression des images dans les églises.
L'empereur avait d'ailleurs fait communiquer au concile unrapport qui constatait qu'en Allemagne, sur cent pré tres,il y en avait quatre-vingt-dix-neufqui étaient mariés publiquement ou en secret,et que dans une visite qu'il avait fait faire en Autriche, on avait trouvé, dans cent vingt-deux couvents, quatre cent trente-six moines, cent soixante et une religieuses, cent quatre-vingt-dix-neufmai tresses de moines, cinquante-cinq femmes mariées, et quatre cent quarante-trois enfants. Les couvents de France présentaient les mêmes désordres et d'autres plus graves. Quoi qu'il en soit, l'ambassadeur de Bavière joignit sesprotestations à celles des envoyés de France et d'Autriche.
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Le sacrement de l'ordre fut déterminé, mais sans qu'on parlât des évêques. Puis vint le mariage : les mariages clandestins furent déclarés nuls, tandis que ceux contractés sans le consentement des parents demeurèrent valides. Du reste, les prêtres acquirent sur ce contrat si essentiel une beaucoup plus grande part d'autorité que celle dont ilsjouissaient auparavant (24e session). Il fut en outre décidé,malgré l'autorité des anciens pères de l'église grecque et
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Dela décision qui allait s'ensuivre dépendaient, d'une part, l'autorité qui resterait aux prélats dans leurs diocèses res pectifs, del'autre, laconservation ou la perte de la prépondérance des papessur les prélats et l'église universelle. Lepère Lainez, général des jésuites, qui apparaissent ici pour la première fois sur la scène, embrassa la cause du pape, qui seul pouvait avantager et faire prospérer sa compagnie naissante. Il déclara que le pontife romain exclusivementétait d'institution divine, tandis que les évêques avaientune origine toute conventionnelle et humaine. L'irritation produite par le discours du père Lainez fut telle que les Allemands et les Français menacèrent de quitter l'assem blée. L'opposition aux prétentions romaines venaitde s'yfortifier considérablement par l'arrivéedu cardinal de Lor raine, de quatorze évêques et de plusieurs théologiensfrançais (23e session). Ils avaient pour mission principale de renouveler les demandes accoutumées concernant le calice, le mariage des prêtres et l'usage liturgique de la langue française, et de faire adopter trente-quatre pointsdéterminés de réforme. Le cardinal,que nous verrons pour suivre avec acharnement les huguenots (réformés, calvinistes de France, passait à Trente pour avoir embrassé le lutheranisme de la confession d Augsbourg. Les Italiens,que le pape eut soin de multiplier le plus possible àmesure que le dangeraugmentait pour lui, se plaignirent en termes obscènes desFrançais comme ils s'étaient plaintsen termesignobles des Espagnols.
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La santé de Pie IV déclinait visiblement : il était à crain dre que l'assemblée des évêques ne cherch t à lui donner unsuccesseur, tandis quele conclaves'occuperait à en élire unautre.Afindeprévenirle schisme, ilfallait doncsehàter decloreleconcile. Le pape, pour y parvenir, ne vitriende mieuxà faire que d exciter les princes catholiques à pren dre les armes contre les hérétiques. Mais aucun d'eux n'était disposé à soutenir de nouvelles guerres civiles, et force fut à Pie IV de laisser les travaux des pères sc ter minerrégulièrement, sauf à les presser le plus possible et pourautantquelescirconstanceslepermettraient. La 25eet dernière session fut donc consacrée à établir à la hâte les canons dogmatiques sur les matières qui avaient été le plus controversées dès l'origine de la réformation de Luther, savoir, le purgatoire, les saints, les reliques, les imageset les indulgences. Puis on passaaux anathèmes contre tousleshérétiques, etaux acclamations d'honneurpourle pape
CORISTIANISIE , 11 . 11
Selon la marche suivie jusqu'alors, c'était au tour de laréforme. Pour éviter celle qui eût ébréché son despotisme apostolique, le pape fit proposer de commencer par le retranchement des abus qui défiguraientle gouvernement des princes séculiers. Après quoi furent fixés treize articles disciplinaires, au moyen desquels les immunités ecclésias tiques, tant personnelles que réclles, dont on s'était siuniversellement plaint, furent étendues outre mesure, de manière quetousles membres du clergé catholique et leurs immensespropriétés furent soustraits, dans un sens absolu,àl'action du pouvoir civil, pour ne plus dépendre que de la cour de Rome. Les envoyés français protestèrent haute ment et même outrageusement pour le pape, contre ces mesures inqualifiables, surtout dans les circonstances oùl'églisecatholique se trouvait placée.
celle de saint Ambroise, que l'adultère n'autorise point la rupture du mariage au point de permettre qu'on en con tracte un nouveau .
118 et les souverains orthodoxes. Enfin les actes du concile fu rent signés parles légatspontificaux et les pères, au nombreen tout de deux cent cinquante-cinq. Le pape confirma les décrets de l'assemblée (1564), sous condition toutefois d'en demeurer toujours le seul interprète légitime, c'est-à dire de pouvoir à son gré les changer et les supprimer à volonté, comme s'il n'y avait pas eu de concile du tout.
L'Espagne, lePortugal, la Pologne et Venise acceptèrentles décisions du concile de Trente sans réserve ni excep tion. La France et l'Allemagne hésitèrent longtemps, et finirent par se soumettre à la seule partie dogmatique decettedernière assemblée universelle de l'église. La partie, si dérisoirementappelée dela réforme et quin'avaitfaitqu'ac croître les abus auxquels il aurait fallu se soustraire fran chement,sanstergiverserni transiger, fut repousséecomme attentatoire aux droits et aux usages des deux nations qui avaientpoursuivi la réformedel'église avec le plus de sin cérité et d'ardeur.
On s'y querellait depuis longtemps sur les dogmes delanécessité des bonnes oeuvres, du libre arbitre etdes prati
Pie IV, pour remplir sa promesse, fit examiner par une commission de cardinaux les demandes des Allemands relativement au calice pour les laïques et au mariage pourles prêtres. Le premier point fut accordé à tous les évèques pour leurs troupeaux ; mais, dans la suite, Grégoire XIII etSixte-Quint annulèrent cette concession, laquelle, disaient ils, n'avait été que provisoire et personnelle. Quant au célibat desprêtres, il demeura obligatoire comme auparavant,pour des raisons excellentes dans la bouche d'un Gré goire VII, qui voulait et pouvait encore faire du sacerdoce l'agent moteur de la société chrétienne, mais de nulle va leur au tempsde Pie IV, où ce sacerdoce s'étaitparsa faute condamné àn'être plus, dans cette même société, qu'unrouagetoujourssecondaireetdépendant. Voyonsmaintenantite des événements qui se rapportent au lutheranisme.
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ques indifférentes. Luther n'avait cherché qu'à s'éloigner des catholiques; Melanchthon tendit à se rapprocher de la raison. Il devint ainsi le chef des synergistes ou pélagiens modernes, qui accordaient à l'homme la faculté d'être du moinspour quelque chose dans le bien qu'il fait,en y coopé rant. Mélanchthon était de plus adiaphoriste, c'est-à-direqu'il ne condamnait pas ce qui n'était point essentielle ment condamnable. Enfin, il différait sur le fait de la pré senceréelledansl'eucharistie, qu'il affirmaitbeaucoup moins positivement que son maître. Et ses disciples allèrent jus qu'àneplusadmettre que la seule présence figurée, ensei gnée par Calvin, de manière qu'il ne resta d'autre moyen demaintenir un peu d'unité de doctrine sur ce dogme po pulaire qu'en proposant, comme interprétation,la présence universelle du corps de Jésus-Christ; c'est ce qu'on appela l'ubiquité, que Brentius avait inventée, que Jacques André amplifia, et dont André Musculus se fit le propagateur. Outrelesdeux opinions dont nous venons de parler, la ré forme se subdivisait encore en osiandrisme, en majorisme, enzwinglianisme, encalvinisme, en anabaptisme,enmagie, ensorcellerie, en enthousiasme, et en schwenkfeldianisme. Jusqu'àla finduxviesiècle, ily eut, de la partdes luthé riens comme de celle des catholiques, des plaintes conti catholiquestantôtnuellessurlapartialitégouvernementaledont,tantôtlesuns,lesautresprétendaientêtrelesvictimes.Auxviie,lesdelaValtelineserévoltèrentcontrelesGrisonshérétiquesdontilsdépendaient:touslesmagistratsfurentégorgés,ainsiqueleschefsdesfamillesgrisonnes;auxpillages,succédèrentlesvengcances,toujourssousprétextede religion. Vint enfin la guerre de trente ans, comme nous l'avons déjà dit en rapportant les troubles religieux de laBohême. Les réformés de toutes les nuances s'y liguèrent, mais seulement dans l'intérêt de leur position politique acquise;quant aux opinions, ils restèrentennemis irrécon ciliables, au pointqu'il yavait plusdehaineentreles luthé
La paixd'Osnabrück (1648) rendit aux deux cultes recon nus dans l'empire, celui de la confession d'Augsbourg et celui du concile de Trente, l'égalité de droits, telle qu'elle avait été déterminée par le traité religieux de Passau. On remarqua généralement que l'échec qu'y reçut l'église ro maine était dû, en grande partie, à deux princes de cette église, les cardinaux Richelieu et Mazarin. Le pape fit pro tester contre la paix de Munster et d'Osnabrück par son nonceapostolique, le cardinal Fabio Chigi, qui passait pour être favorable aux principes de la réforme. Innocent X pro testa lui-même; ce qui ne changea rien aux choses, et de vint ainsi un acte d'autant plus ridicule que le pape avait voulu le rendre plus solennel. Trente ans plus tard, lorsde la paix de Nimègue, ces protestations pontificales furent renouvelécs.
Peu à peu la réforme, suivant son cours logique, porta ses derniers fruits. L'examen avait tué la foi dansson prin cipe même. En dernière analyse,il ne demeura, de la reli gion qu'un sentiment mystique et vague,etdes cultesqu'une complèteindifférence dontlerésultatobligéfutla tolérance universelle.LeprofesseurCalixte,deHelmstadt,yavait pré paré la voie par son syncrétisme. Spener, qui détourna les esprits de la foi spéculative à des faits, pour les porter sur la croyance pratique à des devoirs, fit le reste. Nous ne di rons qu'un mot des efforts tentés récemment par les deux derniers rois de Prusse pour réunir les protestants luthé
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riens et les calvinistes qu'entre les luthériens et lescatholi ques. Ces dissentiments profonds auraient probablement fini par entraîner la pertedu protestantisme en Allemagne, si le roi de Suède, Gustave-Adolphe, n'était intervenu à la demande du cardinal de Richelieu. L'équilibre fut bientôt rétabli, et mêmelabalance pencha en faveurdelaréforme, de telle sorte que Gustave-Adolphe arracha sans retour le lutheranisme à la vengeance du pape et les protestants à l'arbitraire de la maison d'Autriche.
Car ce n'est plus sur la morale delafoi quela sociétéest assise;elle n'a jamais pu être assise sur la morale de l'exa men, du doute, et quant à la morale du sentiment, de la conscience, résultat de l'organisation physique ou d'une in saisissable inspiration, c'est un motvide de sens qui ne peut servir qu'aux fripons pour faire des dupes. Il faudra bienfinalement, souspeine de mort humanitaire, que la société se base sur la morale de la raison, incontestablement dé montrée, c'est-à-dire défiant tout examen et ne pouvant plus donner lieu au doule, morale que le raisonnement contraindra tout le monde d'accepter, et à laquelle nul nc pourra se soustraire qu'en faisant divorce avec le bon sens.
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La question à résoudre est toujours la même : y a-t-ildesdevoirsréellement obligatoires sans une sanction garan tie et inévitable? Cette question, les catholiques l'avaient résolue, en acceptant sincèrement et avec une foi vive lasanction dont leur église aflirme la réalité et que le pape, interprète toujoursvivant de cette église, ne cesse de rati fier comme telle. Mais les protestantsne peuvent point avoir d'églisedans levrai sens du mot, qui impliqueune autorité au-dessusdel'examen; chaqueconfession protestante admel tantl'examen en principe, chaque protestant est son propre pape, etn'a parconséquentd'autre sentiment du devoirque celui qu'il s'estformé, et qu'il modifie comme il lui plaît. En bonne logique, une pareille sanction est bien précaire, sur toutlorsqueles passions etles intérêts la battent en brèche à chaque instant. Là est, de nos jours, la plaie sociale.
riens aux réformés calvinistes dans une même communion évangélique. Cette réunion s'opérait d'elle-même par l'éva tentionnouissementdescroyancesluthériennesetcalvinistes.Laprédeleursubstituerunefoinouvelle,transactionforcée entrel uneetl'autre, n'eutaucun succès.De deuxnullitéson ne faitpointquelque chose de réel, même quand on est roi absolu. Le roi absolu de Prusse futdésagréablement distrait deses travaux dogmatiques parla révolution de 1848.
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Ses amours . - Clément VII l'excommunie. Bulle terrible de PaulIII.L'Angleterre schismatique demeure dansl'orthodoxie.
CHAPITRE XVIII .
SCHISME D'ANGLETERRE.
jer. HENRI VIII .
Rien de plus curieuxà considérer queles causes occasion nellesdu schisme de l'Angleterre. Henri VIII avait épousé, avec les dispenses requises, accordées par le pape JulesII, Catherine d'Aragon, tante de l'empereur Charles-Quint,etveuve de son propre frère, Arthur. Sa femme était plus vieille que lui, et il était amoureux d Anne Boleyn ; il allé gua des scrupules sur la validité de son mariage, et en demanda la rupture à Clément VII (1528). Ce qui prouve à l'évidence que ce n'était pas un motifde conscience quile faisaitagir, c'est qu'il sollicitait en même temps desdis penses pour faire épouser au duc de Richmond, båtard qu'il avait eu d'Élisabeth Blunt, la princesse Marie, fille de Catherine etla sienne, etpar conséquentseurconsanguine du même duc de Richmond, afin , disait-il , d'éviter plus tard des querelles de succession.
Le pape, qui avait à se vengerdeCharles-Quint, comnie
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nous l'avons vu plus haut, penchait pour le roi d'Angle terre; maisilcraignait l'empereur, et à une époque où laréforme grondait autour de lui de toutes parts, il n'osait pastrop ratifier le scandale que donnait Henri. Le cardinal d York, Thomas Wolsey,premier ministre du roi, secon daitcelui-ci de son mieux auprès de la courde Rome, dans l'espoirdefaire contracter par son maîtreune alliance avec FrançoisIerdontilauraitépousé la scurMarguerite.Clément envoya lecardinal Campeggio enAngleterrepour qu'il s'en tendîtavecWolsey, etille munit de labulle de divorceque déjàlesthéologiens anglais avaient rendueinutile en décla rantillégalelabullede Jules II, en vertu de laquelle avait eulieu le mariagede Henri avec Catherine, sa belle-søur. Campeggioétait autorisé à promettre le divorce, mais il lui était défendu de le prononcer, à moins d'un ordre exprès. François ler, qui voulait s'emparer du duchéde Milan, avait prisparti contre Charles-Quint etpour Henri VIII, jusqu'à menacer le pape de la séparation des deux royaumes du centre de la catholicité, s'il ne se résolvait au plus tôt à satisfaire les désirsde sonallié, et à le favoriser lui-mêmedans ses projets.
Le cardinal d York n'avait eu en vue que de favoriser l'alliance française, et il cessa de soutenir le roi, qui de son côté voulait exclusivement une chose, savoir, épouser Anne Boleyn. DéjàClément qui attendait de Charles-Quintl'élévation de sa famille à Florence , n'était plus disposé, comme dans l'origine, à servir Henri VIII dans sa passion : ilfitparveniràCampeggiol'ordrepositifde détruire labulle dedivorce,etévoqual'affaireautribunalromaindelaRote. Irritédecerevirementaussibrusquequ'inattendu, Henri déclara ses sujets soustraits à l'obéissance du siége aposto lique,élevaCranmer, quiluiétaitdévoué,àl'archevêché deCantorbéry, fitcasserparceprélatson mariageavec Cathe rine,etépousaAnne,samaîtresse. FrançoisIerfittousles effortspossiblespouropérerunraccommodemententreleroiet
Le successeur de Clément, Paul III, se borna pendant quatre ans à menacer leroi d'Angleterre des foudresde l é glise; voyantqu'il n'en tenait aucun compte, le pape lança enfin une des plus terribles bullesqui aientjamais été publiées (1538) : Henri VIII était dépouillé de son royaume, et ses partisans de leurs biens ; ses sujets étaient déliés de leurs serments envers lui; aucun étranger ne pouvaitfairele commerce avec l'Angleterre; tous les fidèles devaient,d'obligation, prendre les armescontre elle; les états etles propriétés desschismatiques étaient livrés au premieroccu pant, et leurspersonnes à qui pourrait les réduire en escla vage. Nous insistons sur ces clauses odieuses pour mieux faire ressortir la nullité de leurrésultat : l'Angleterre con tinuaà tenir sa place accoutumée dans le monde politique et commercial;lesaffaires s'yfirent comme d'habitudeentre regnicoles et avec l'étranger, et les princes maintinrentleurs relations avec Henri Viú,ainsi qu'auparavant, dans
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le saint-siége, mais en vain. Clément, pressé par l'empe reur, excommunia Henri VIII (1534), et le schisme futconsommé. Le roi fit décréter par le parlement que le pape serait dorénavant pour l Angleterre simplement évêque de Rome ; que lui-même et ses successeurs gouverne raient l'église anglicane; que les évêquesseraient nommés par l'archevêque deCantorbéry : il manifesta savolontéau concile de Londres, et pour entrer en fonctions par une mesure essentielle, il se fit adjuger les dîmes, les annates, et autresdroits de l'église, et taxaleclergé à centcinquante mille livres sterling par an pour la défense de la patrie. Le pape, par représailles, confirma le premier mariagede Henri VIII; celui-ci fit nommer prineesse héréditaire la fille qu'il avait eue d'Anne Boleyn. Quiconque osaitblåmer la conduite du roi ou ne se conformaitpasen toutàses ca prices était rigoureusement puni. Les premiers sacrifiés furent Jean Fisher, évêque de Rochester, et le chancelier Thomas Morus.
leur seul intérêt et sans aucun égard au saint-siége, entreautres François (or qui avait voulu empêcher la séparation religieuse de l'Angleterre, et Charles-Quint, à l'instigationduquellepapeavaitmauditHenri VIII, etqui actuellementméprisait les malédictions du même pape en traitant avec l'objet même de ces malédictions.
Le schisme de Henri VIII offre cela de particulier qu'il nechangea en rien la croyance et le culte des Anglais. Le roin'envoulaitqu'au pape, et il se fit lui-même lepape desestrès-catholiques sujets. C'est précisément pour cela quesaréforme ne souleva presque aucuneplainte. Depuis long temps, les Anglais murmuraient contre le despotisme et larapacité de la cour de Rome. Voici sur quoi principalement lesprétentions des papes en Angleterre étaient fondées : un de ses rois , Jean Sans-Terre, n'avait rien trouvé demieuxpourse soustraire aux vexations quelui faisait éprou verlepapeInnocentIII(commencementduxiuresiècle),que de donner l'Angleterre et l'Irlande au saint-siége dont il sereconnut le tributaire et le vassal. Mais déjà, cinquante ansaprès, RobertGrossetète, évêquedeLincoln, résista en faceàInnocent IV, qui n'osa point sévir contre le prélat, parce qu'il était soutenu partous ses compatriotes, et que dès lorsleroyaume entier se montrait disposé à secouer lejoug delapapauté.HenriVIII,quels que fussentd'ailleurs ses motifs person nels, ne fit donc que se conformer au veu national. Tout d'ailleurs demeura dans l'ordre établi , si ce n'est que le clergé perdit une grande partie de ses biens, surtout les moines qui furent supprimés après une visite officielle aite dans les nombreux couvents où, suivant les rapports qui furent publiés, le désordre était général et les excès parve nusà un cynisme donton se fait difficilement une idée. Sur tout le reste, Henri se renferma dans la plus sévère ortho doxie : il promulgua contre les hérétiques un édit célèbre qui futappelé lestatut de sang, édit que lepape lui-même
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ÉdouardVI ouvrelaporteàla réforme. Marie laCatholique.-Supplices accumulés. Élisabeth fonde l'anglicanisme.
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§ II. L'ANGLETERRE, D'ABORD RÉFORMÉE, PUIS CATHO LIQUE, ENFIN ANGLICANE.
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Édouard VI, fils d'Anne Seymour, succéda à Henri VIII (1547). Sa mère était zwinglienne (réformée, sacramen taire); le comte d'Hartford, son oncle et son tuteur, d'ac cord avec le primat Cranmer, en profita pourintroduire la réforme en Angleterre. Ils appelèrent Pierre-Martyr , de Florence, et Bernardin Ochino , de Sienne, et bientôt les décrets religieux de Henri VIII furent cassés , les images supprimées dans les temples, les messes privées abolies, la coupe rendue à tous les fidèles et le mariage permis aux prêtres. Ces mesures firent affluer de toute parten Angle terre les réformésqui étaient persécutés ailleurs, nommé ment les protestants d'Allemagne, et entre autres MartinBucer et Paul Fagius. Pierre-Martyr prêcha publiquement
admira, et il fit condamner au bûcher les luthériens aussi bien que les papistes. Cranmer, qui penchaitpourles opi nions nouvelles, perdit son créditauprès duroi, etThomas Cromwell qui, après le supplice d'Anne Boleyn et la mort d'Anne Seymour, troisième femme deHenri, avaitnégocié son mariage avec Anne de Clèves,fut puni de mort comme hétérodoxe, lorsque le roi eut fait rompre par son servile clergé cette quatrième union , pour épouser Catherine Ho ward qui ne faisait que précéder Catherine Parr.
TiSuppIT
127 10 TDH14:
Tout changea de nouveau lorsque Marie, fille de Catherined'Aragon, monta sur le trône (1553). Elle se contenta, pour son début, de s'avouer personnellement catholique. Peu après, les religionnaires étrangers furent expulsés duroyaume. Le parlement abrogea les lois d'Édouard concer nantle culte, et remit en vigueur les décrets de Henri VIII, dontcependant il déclara nul le divorce avec la mèrede la reine. Enfin, Marie épousa le fils de Charles-Quint, Phi lippe II. Déjà environ douze mille prêtres et plusieurs évê ques avaient été déposés parce qu'ils s'étaient mariés conformément à la permission que le parlement leuren avaitaccordée sous Édouard VI. Bientôt le cardinal Pole alla à Rome solliciter la réconciliation de l'Angleterre avec le saint-siége, et les persécutions commencèrent dans tout le royaume. Pendant l année 1555, soixante et douze héré tiques périrent dans les flammes; on cite Ridley, évêquedéposé de Londres, Latimer, de Worcester, et Thomas Cranmer, dont le cardinal Pole prit la place sur le siége de Cantorbéry. L'année suivante, le bûcher en consuma quatre-vingt-cinq : parmi ceux-ci se trouvait une femme enceinte qui accouchapendant son suppliceetdont l'enfant futbrûléavec elle. Bucer etFagius furentexhumés et leurs cadavres réduits en cendres. Marieavait,poursuppléeràces condamnationsordinaires qui ne suffisaient pas à sa ferveur,institué un tribunalspé cial, à l'instar de l'inquisition de la foi qu'elle enviait àl'Espagne; il condamna aux flammes soixante et dix-neuf réformés.Ces supplices continuels n'étaient pas approuvés par le cardinal Pole; Marie n'en persista pas moins dans son orthodoxiesanguinaire,surtoutlorsque lepape Paul IV eut destitué de sa dignité de légat apostolique, le nouvel tired T SAoth del mie rita Tent
contre la présence réelle; mais le peuple anglais , encore attaché à ses anciens dogmes, se souleva contre une hardiesse à laquelle rien ne l'avait préparé : des troubles sé rieuxne devaient pas tarderà éclater.
archevêquede Cantorbérycomme étant suspect de partager lesopinions des réformateurs (1557). En 1558, treizehéré tiques furent brûlés près de Londres; puis trente-neuf autres, coupables seulement d'avoir conservé chez eux des écritshétérodoxes. Quelques auteurs portent le nombre des Anglais mortssurle bûcher, sous le règne deMarie, à deux cent quatre-vingt-quatre; d'autres à huit cents, seulement pendant les deux premières années de ce règne. Après la fille de Catherine d Aragon, vint la fille d'Anne Boleyn. Élisabeth, montée sur le trône, fit protester de son dévouement à l'église de Rome : si le pape avait accueillisa soumission , il est possible que le catholicisme se fût maintenu pendant quelque temps encore en Angleterre.Mais Paul IV repoussa outrageusement la reine comme issue d'un mariage condamné par Clément VII et Paul III, et déclara le royaumedévolu au saint-siége.Élisabeth alors n'hésita pas : après une conférence reli gieuse à Westminster, elle fit abolir par le parlement les édits de Marie et remettre en vigueur ceux d'Édouard VI. La reine se plaça résolûment à la tête de la religion et de l'état, et fonda l'anglicanisme, mélange des dogmes luthé riens avec les cérémonies romaines. Pie IV chercha à ré parer la faute commise par son prédécesseur Paul : il offrit à Élisabeth la cassation de la sentenceinfamanteprononcée contre sa mère, le service divin en langue parlée et la communionsouslesdeuxespècespourtoutlepeuple(1560);maisilétaittroptard.Lareinerenvoyasesnégociateurs sans vouloir les écouter. Le concile de Londres (1562) ra tifia toutes les mesures prises par le pouvoir civil, et plus de dix mille ecclésiastiques signèrent les dispositions du concile. Quatorze évêques el environ cent cinquante prêtres refusèrent seulsleurassentiment et perdirent leurs places.
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§ III. LES STUARTS .
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La reine Marie d'Écosse ayant perdu, avec François II, son mari, la France sur laquelle elle avait été appelée à régneravec lui, était revenue dans sa patrieoù elleépousaetfitproclamerroi HenriDarnley,dela familledesStuarts.Déjà la réformation avait vaincu tous les obstacles qui avaient entravé son triomphe. Malgré la régente, Marie deGuise, mèredelareine Marie, etlessupplicesauxquelselle n'avait cessé d'en appeler pour protéger le catholicismeexpirant, la réforme fut imposée par la révolte (1559), etfinalement le calvinisme de Genève fut déclaré religion del'état(1567).Laconduiteplusquelégère deMarieStuartn'était pasde nature àréhabiliter auxyeuxde son peuple le catholicisme
Marie d'Écosse. -- Conspirations catholiques. Sixte-QuintexcommunieÉlisabeth qu'il admirait. Jacques Jer se rapproche du papisme.Cromwell. - Charles II et la Cabale. Constitution de 1688. - Progrès delatolérancepourles catholiques.
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Les Stuarts sont le type de ces vicilles organisations dé crépites, qui ne peuvent plus que s'épuiser à étayer des ruines et s'obstiner à méconnaître les nécessités sociales nouvelles auxquelles le développement des intelligences a donné la force de broyer tout ce qui s'oppose à leur action. Ily a eu des Stuarts sousbien des noms et à toutes les épo ques;il yen aura aussi longtempsque l'ignorancegénérale permettra aux uns de prendre les ruines encore debout pour un abri suffisant et durable, aux autres de regarder l'activité avec laquelle ils déblaient le terrain que ces ruines encombrent, comme suppléant la construction de l'édifice qui devrait s'y élever.
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qu'elle professait. Ses amours avec le musicien Rizzo ou Riccio, que le roi fit assassiner presque dans ses bras, etle meurtre de ce roi parson nouvel amant, le comte Bothwell, dont tout le monde l'accusa d'avoir été la complice lors qu'elleenfitson mari, la rendirent deplus en plus odieuse aux Écossais, Maric ne tarda guère à devoircéder devant la réprobation généraleen abdiquantla couronne en faveurde son fils Jacques VI; elle se réfugia en Angleterreoù Élisa beth la fitmettre en prison.Aussitôtlesconspirations catho liques éclatèrent de toutes parts. Celle du nordde l'Angle terre(1569) futpuissammentsecondée parle roi d'Espagne,la maison de Lorraine et le duc d'Albe. Saint Pie V, alors pape, se déclara prêt, en cette circonstance, à vendre jus qu'aux calices et aux croix des églises de Romepourlafaire réussir; il voulait même aller combattre en personne en Angleterre, et ne le pouvant pas, il excommuniadu moins,quoique surabondamment, la reine Élisabeth. La mort de quelques conspirateurs mit fin à cette ténébreuse révolte.
En Angleterre,lesenvoyésdesséminairesanglais,établis en France, prêchaient continuellement l'insurrection au nom de Pie V etde sa bulle. Quelques prêtres et unjésuite en furent les premières victimes(1580). Cinq ans après, Guillaume Parr fut exécuté pour avoir voulu tuer Élisa beth : il avait reçu des encouragements de la part des jé suites, et de plusieurs cardinaux et légats apostoliques, ce qui porta la reine à user de rigueur contre tous les catholi ques d'Angleterre, età faireinstruire le procès de la reine d'Écosse. En 1586, six catholiques, missionnaires du sémi naire anglais de Reims, devaient également attenter à la viede lareine. AntoineBabington, l'un d'eux, en écrivit à Marie Stuart qui était désignée pourmonter surle trône
En Irlande, le sang ne cessait de couler : à l'instiga tion du saint-siége et de l'Espagne, lescatholiques ymassacraient les réformés, etceux-ci traînaient lescatholiquesau supplice.
d'Élisabeth,etàSixte-Quint pour obtenir de lui une indul gence plénière, in articulo mortis, en faveur de son entre prise. Sixte, le grand admirateur de la reine d'Angleterre, lafitprévenir en secret; quatorze conspirateurs périrentdu dernier supplice, et Marie Stuart fut décapitée.
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La religion n'était pour rien dans tout cela. Le même Sixte-Quint qui venait de sauver la reine schismatique auxdépens des catholiques anglais, l excommunia presque immédiatement (1587), afin de paraître au moins soutenirle catholique Philippe II, dans la guerre qu'il allait faire àÉlisabeth pour l'empêcher d'envoyer plus longtemps dessecours aux réformés des Provinces-Unies, révoltés contrel'Espagne. Cette vaine sentence était le renouvellement desbullesdesaint PieVet de Grégoire XIII. Élisabeth ne s'en montra guèreeffrayée : en sa qualité de souverain pontife,et assistée de tout son clergé, assemblé dans le temple de Saint-Paul, la reine rendit au pape anathème pour ana thème. Puis elle décréta à la fois contre les catholiques et les puritainsoupresbytériens,quitroublaientl'églisenationale,etordonnaàtoussessujetsdeprofesserpubliquementl'an glicanisme.
Jacques VI d'Écosse lui succéda sous le nom de Jac ques Ier. Il tolérait les catholiques qui ne s'opposaient pas à l'ordre établi; il sévissait contre les puritains qui ne se con leformaientpasàcetordre.Saprincipale,saseuleaffaire,étaitmaintiendesondespotisme.Aussirenvoya-t-illesjésuites etleursadhérents qui professaient la doctrine en vertu de laquelle les rois sont soumis aux papcs, et persécuta -t-il les presbytériensqu'il s'obstinait àregardercomme desrépubli cains. Lescatholiques furent les premiers à conspirercontre lui : quelquesjeunes nobles parmi lesquels on cite Robert Catesby et Thomas Piercy, qui avaient pour confidents, 'autres disent pour conseillers, les jésuites Garnet, Tes mond et Gérard, formèrent le projet de faire sauter la famille royale et tout le parlement (1605). La conspiration
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Nous avonsdit queJacques er était plus sévèrepour les presbytériens que pour les papistes. L'archevêque de Can torbéry força plusieurs des premiers, par des vexationscontinuelles, à émigrer en Virginie. L'église d'Écosse qui, depuis la réforme, était toute calviniste, fut, en faveur de l'unité du culte anglican, soumise aux lois portées en An gleterrecontre lecalvinisme (1617). Lesrigueurs déployées en cette circonstance pour réduire les non -conformistes donnèrent enfin lieu à la guerre parlementaire et à la perte des Stuarts.
despoudres, ainsi qu'on l'appela, coûtala vie à huit coupables qui furentexécutés,et àplusieurs autres qui avaientété tués en fuyant. Les pères Garnet et Oldecorn, qui avaient ouvertement approuvé, et la conspiration , et le silence gardépar leurscollèguesà cetégard,subirentégalementle dernier supplice. Le roi alors ordonna que dorénavant tous les Anglais prêteraient le serment d'allégeance, par lequel ils reconnaîtraient l'indépendance absolue de la couronne d'Angleterre de tout pouvoir, papal ou autre, et réprou veraient comme abominable la doctrine qui permet de tuer les rois déclarés hérétiques ou excommuniés. Les catholiques nese re usèrent pas plus que les autres à cette presta tion de serment. Mais le papePaul V les condamna à deux reprises (1606 et 1607), confondantainsi l'allégeanceavecla suprématie; cependant, déclarer que le roi d'Angleterre ne tient pas sa couronne du papé, était loin d'être la même chose qu admettre ce roi comme chefdela religion, c'est-à dire comme pape de son église.
En effet, Charles Jer (1625), en suivant les traces du roi Jacques, poussa au presbyterianisme tous les hommes indé pendants, non-seulement sous le rapport religieux , mais encore sous le rapport politique et civil. L'anglicanisme se rapprochait de plusen plus de l'église romaine, notamment par sa doctrine tout arminienne (synergiste, pélagienne) sur la grâce, et par celle relative auxpratiquesindifférentes
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Enfin l Angleterre aussi se déclara pour l'indépendance puritaine. Au cri de point d'évêques!le parlementsigna lecovenant ou accord avec l'Écosse, et décréta le presbyté rianisme, supprimant jusqu'au livre anglican, si respecté jusqu'alors, des Prières communes. Lorsde l'établissement dela liturgie nouvelle, l'oraisondominicale avait été admise à grand peine; le symbole des apôtres fut passé sous silence,et lesdix commandements de Dieu, rejetés à unema jorité de huit ou neuf voix, furent éliminés expressément.
ouparl'adiaphorisme. OnaccusaLaud, archevêquede Can torbéry, et le roi lui-même de vouloir préparer la voie à unerestaurationpapiste. Des troubles éclatèrenten Écosse; soutenusparleparlement de ce royaume, ils se changèrent bientôt en une révolte ouverte (1640). L'Irlande ne tarda pas à suivre : là ce furent les catholiques qui , soulevés enmasse, égorgerentdequarante à cinquante milleréformés; desauteurscontemporains,cntrc autreslejésuiteO'Mahony,font monter le nombre des victimes à cent cinquante mille dans l'espace de quatre ans. Le père O'Mahony aurait,dit-il,désiréqu'ilyeneût cudavantage, etilexhorta forte ment ses concitoyens catholiques « à tuer tous ceux quel'hérésie ou le schisme avait rejetés du sein de l'église ro maine. »
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L'archevêque Laud venait de mourir sur l'échafaud, et le roi, battu par les parlementaires et les Écossais à Naseby(1644),seréfugia parmiles Écossais qui le livrèrentà leurs alliés. Le parlement étaitexclusivement presbytérien, et ne demandaitquelamodération dupouvoirmonarchique; mais l'armée était indépendante etvoulait dominer au nom de larépublique qu'elletravaillaità fonder. Commandée par Oli vierCromwell, elle cnleva le roi au parlement (1647), de vintmaitresse absolue de l'Angleterre, et fitjuger et déca piterCharles Ier. Cromwell, après cela, attaqua Charles II enÉcosse (1650),lepoursuivit enAngleterre, le défit com plétement ct leforça à se retireren France.
Les indépendants gouvernaient; mais l'église indépen dante faisait peu de progrès. Le peuple avait peine à com prendre un culte sans dogmesdéterminés,sanscérémonies réglées et sans ministère hiérarchique fixe, où quiconquese disait inspiré d'en haut était momentanément accepté comme l'interprète légitime de la parole deDieu. Cromwell lui-même s'éloigna de la communauté des indépendants, à mesure qu'il se rapprochaitdupouvoir, uniqueobjetdeson ambition.Déclaréprotecteurdestroisroyaumes,ilsevit aban donné desquakers, des brownistes et des anabaptistes; lesenthousiastesfanatiquesdeJean Goodwinn'attendaientpour le renier également que de le voir usurper le titre de roi, qu'eux réservaient exclusivement au Sauveurdansleur cin quième monarchie mystique. Malgré tout cela, le protecteur mourut tranquille (1658), après avoir puni l'Irlande de sa révolte ; plus de cent mille Irlandais s'expatrièrent à cette occasion pour aller chercher à l'étranger du service et du pain.
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Avec Olivier, la république expira; son fils Richard fut bientôt supplanté par le long parlement, et celui-ci par Charles II que Monk et son armée replacèrent sur letrônc (1660). Leroi était catholique,mais il professait pu bliquement l'anglicanisme dont il s'était empressé de rele ver l'épiscopat. Sous le prétexte d'une émeute d'anabaptistes, il publia des lois sévères contre le non -conformisme des fanatiques, des papistes et des presbytériens : ces derniers étaientde tous lessectaires dissidents ceux qu'il pour suivait avec le plus d'acharnement. L'acte d'uniformité du culte suivitpresque immédiatement (1662), etplus dedeux mille ministres réformés durent renoncer à leurs églises.
En 1670, s'organisa la cabale monarchique dont le but était l'établissementdu pouvoirabsolu et larestauration duculte romain. Leroi essaya alorsd'une mesureplushardie:il accordaunelibertégénérale de conscience à tous sessujets sans distinction ; mais le parlement intervint, et décréta
qu'outre les serments de suprématie et d'allégeance, tout fonctionnaire serait obligé de se soumettre à l'épreuve du test, c'est-à-dire au témoignage d'avoir communié suivantle ritanglican, et d'avoir déclaré par écrit qu'il rejetait latranssubstantiation. Charles II vitbien qu'il fallait changer detactique : aussi ne cessa-t-il plusde ulminerdesdécrets contreles catholiquesni de les soustraire ensuite à l'actiondeson propregouvernement. La conspiration des papistes(1678) en devint une preuve flagrante. Cependant malgré le roi,il y eut plusieurs exécutions capitales, entre autrescelles de huitjésuites et de deux prêtres.
Appuyé par les torys, qui étaient aveuglément dévoués à la cour, Charles réussit à faire rejeter au parlement lebillprésenté par les whigs, partisans de la monarchie limi téc,quivoulaientexclure du trôneJacques II comme catholique récusant. Enfin il cassa le parlement mème et se vit seul maître : c'était l'écueil où les Stuarts allaient nau frager. Les réformés conspirèrent à leur tour contre Charles II (conspiration de la Rye); le roi en prit occasion pour traiter les calvinistes et même les anglicans comme leparlement avait traité les catholiques. Il mourut en 1685.
Charles II avait toujours soutenu qu'il était fidèle à l'église anglicane dont il accomplissait tous les préceptes, etcependant le contraire étaitla vérité; Jacques II constata sa mauvaise foi en proclamant que le roi avait vécu et était mort dans la communion catholique. Catholique lui-même, il ne tarda pas à favoriser exclusivement ses coreligion naires, et révoqua toutes les lois qui avaient été portées contre eux. Après cela, il demanda au pape la réconcilia tion des trois royaumes. Innocent XI eut assez de bon sens pour ne pas accorder une demande aussi intempestive et qui ne pouvait, dans les circonstances données, aboutir qu'auridicule. Jacquess'en consola en faisantfaireau nonceapostolique uneentrée triomphaleà Londres. Ici commence l'opposition sérieuse eten quelque sorte organisée contre la
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Passons rapidement en revue les vicissitudes qu'a eues à subir le catholicisme en Angleterre depuis sa dernière révolution. Les Stuarts avaient fait une tentative pour réa liserleurs prétentionssur l'Angleterre (1745); elle fut sui vie en Écosse d'une assez violente persécution contre les catholiques. Sous George III ( 1763), les catholiques furent admis aux emplois dans le Canada que l'Angleterre venait d'acquérir, malgré les clameurs des protestants contre « l'idolâtre et sanguinaire » église de Rome. George essaya niême de soustraire les catholiques des trois royaumes aux déclarations d'inhabiletéqui lesfrappaicnt, etaux pénalités qui pesaient sur cux depuis la 11° et la 12e année du règne de Guillaume; maisl'opinionpubliquele força desuspendre ces mesures de tolérance. Deux ans après, le synode deGlascow donna le signal de nouvelles persécutions en Écosse .
Enfin tous d'accord, presbytériens et anglicans, torys et whigs, appelérent en Angleterre Guillaume, prince d'O range, stathouder des Provinces-Unies et beau -fils de Jac ques II. Celui-ci s'enfuit en France. Aussitôt les catholiques reçurent ordre de s'éloigner de Londres, et ils furentchas sés de toute l'Écosse ; la profession du catholicisme fut déclarée une cause d'exclusion de la succession au trône, et les serments de suprématie et d'allégeance, déjà prêtés entre les mains des Stuarts, le furent maintenant entre cellesde Guillaume III. La constitution de 1688 fitle reste, en dépit de la secte, plutôt politique que religieuse, des jacobites ou non-jureurs, qui, sans être catholiques, n'enrefusèrent pas moins pendant environ cent ans de se rallierauxorangistes.
réaction des Stuarts : le clergé anglican refusa de lirel'édit royal concernant la liberté de conscience; cet acte posé, les anglicans se rapprochérent des presbytériens en renon çant à leur principe d'obéissance passive, et les presbyté riens des anglicans en déclarant qu'ils ne regardaient pas l'épiscopalisme comme un acheminement vers le papisme.
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L'Angleterre suivit cet exemple : un fanatique nommé George Gordon poussa les réformés à manifester leur anti catholicisme dans une pétition que plus de quarante mille d'entreeux portèrent au parlement, au cri de : Point de papisme (nopopery)!Cette manifestation fut accompagnée d'excès de tout genre, qu'il fallut réprimer par la force et qui coûta la vie à près de quatre mille personnes. Gordon futarrêté, et dix-neuf des plus coupables d'entre les sédi tieux furent pendus. Après quoi le parlement donna satis faction au peuple en interprétant la loi de George dans un sens qui ne laissait subsister aucun motifde crainte que lareligion romaine fûtjamais rétabliedanslestrois royaumes.
Pour venir en aide aux bonnes dispositions du pouvoir àleur égard, les catholiques anglais nommèrent un comité chargé de fournir en leur nom au gouvernement toutes les assurances possibles de leur soumission aux lois, sans restriction ni arrière-pensée (1787); le travail du comité futrevêtu de plusde dix-septcents signatures, etil corroborafort à propos les déclarations de principes des universitéscatholiques de Paris, de Louvain, de Douai, d'Alcala, de Salamanque et de Valladolid, que déjà le gouvernement avait en sa possession. Tout le monde alors semblait s'être donné le mot pour marcher dans une voie de conciliation(1791). Le parlement permit de n appeler désormais lescatholiques ni dissidents ni protestants, et de ne flétrir ladoctrine de la primauté temporelle des papes sur les rois que de l'épithète de fausse; en outre il abolit toutes les lois pénales qui concernaient spécialementles catholiques.Le pape, de son côté, retranchadu sermentàprêter par les évêques irlandais la phrase qui leur imposait comme undevoir de combattre et de persécuter les hérétiques, et il nia que jamais le saint-siége eût cherché à s'élever audessus des rois, à rompre la foi jurée aux princes hérétiques, ou à approuver qu'on attentât à leur existence. Le pape,comme avaientfaitles six universités que nous avons
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nommées plus haut, disait ce qu'il savait fort bien nepas ètre vrai, mais il disait, - et c'était là l'essentiel, - ce que, pour les circonstances où se trouvait l'église, il auraitvoulu avoir toujours été vrai : l'Angleterre devait trouver là une garantie suffisante.
Ce n'est, pour ainsi dire, que de nos jours (1829), qu'a près beaucoupdenégociations sans résultat, l'émancipationdes catholiques a pu avoir son plein effet dans les trois royaumes.
Paul III lancela bulleIncoenaDomini. Ses fils. Chaquepape dépouille la famillede son prédécesseur pour enrichir la sienne. Paul IV etCharles-Quint auxprises. Extravagance du pape. Aonius Paléarius.Correction de la bible et du calendrier . Dureté de Sixte-Quint. Influencefuneste desjésuites sur le sort de la Pologne.
CHAPITRE XIX.
Nous avons déjà montré les papes de la seconde moitiéduxvie siècle luitant contre les idées de réforme religieuse que les catholiques accueillaient vivement, qui en entraînaientbeaucoup dans l'hérésieetqui avaient pour résultat un schisme définitif. Examinons-les maintenant dans leur caractèrepersonnel et au point de vue des actes de leurviepolitique. Nous pourrons après cela nous former uneopinion raisonnée sur la question de savoir jusqu'à quelpoint la conviction entraitdanslesmotifsqui leurfaisaient siopiniâtrément repousser toute tentativede modificationdans la doctrine, lescérémonies et même la discipline del'église établie.
LES PAPES, DE 1550 A 1600.
Paul III (Farnèse) qui succèda à Clément VII, passait danslepublic pourastrologue, nécromant etsorcier; il necroyait au fond ni à Dieu ni au diable, dit Benvenuto Cellini, qui eut de fréquents rapports avec ce pontife : il avaitadopté pourrégime de vie de faire une orgie crapuleusechaquesemaine. Absorbé par les soucisque lui don
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nait le concile de Trente, il ne put s'occuper que des inté rêts matériels de sa famille. Seulement il tint à laisser après lui un monument durable de son règne dans la publica tion annuelle qu'il ordonna de faire de la fameuse bulle In caena Domini.
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Cette bulle, recueil des cas dont l'absolution était ré servée au saint-siége, est attribuée à Martin V et même à Boniface VIII : Léon X l'avait largement amplifiée en étendant ses anathèmes à toutes les hérésies connues de son temps, c'est-à-dire qu'aux paterins, arnaldistes, wicléfites, fratricelli, ctc., il avait ajoutélesluthériens,leshuguenots, les anabaptistes, les sociniens, etc., etc.; après quoi ve naient les pirates, les violateurs des immunités de l'église, les appelants du pape au concile, ceux qui doutaient du pouvoir absolu des pontifes romains, ceux qui faisaient contribuer le clergé aux charges de l'état ou qui rece vaient ses dons, les clercs qui payaient les taxes à l'étatou lui faisaient des dons volontaires, et les princes quientretenaient des relations avec les hérétiques. La bulle In coena avait été déclarée insoutenable par le concile de Tours (1510), peu avant que Jules II la rendit obligatoire pourles fidèles, quels qu'ils fussent, dans toute l'étenduede la catholicité (1511). Elle fut repoussée en France (1536,1580, etc.), en Espagne (par Charles-Quint et Philippe II),en Allemagne (par l'empereur Rodolphe II et l'archevêque de Mayence) età Venise. Paul III voulut qu'elle fût rap pelée chaque année au souvenir de tous les membres de l'église.Cepape se brouilla avec Charles-Quint parce quc l'em pereur, après lui avoir fait anathématiserHenri VIII d'An gleterre, avait, comme nous l'avons fait remarquer ailleurs, contracté une alliance avec ce roi (1543). Ilseligua,lui, avec François fer, l'alliédeSoliman et desTurcs. Puis il revint à l'empereur; puis de nouveauauxFrançais,selonqu'ilcraignaitplusoumoinsde voirCharles-Quintdemeurer
Jules ne valait, moralement parlant, pas mieux que Paul III. Il disgracia la famille de celui-ci, afin de pouvoir Il 13
Paul III avait créé gonfalonier de la sainte église son fils Pierre-Louis, débauché de l'espèce la plus infâme. Pour lui constituer une principauté souveraine, le pape excom munia François-Marie de la Rovere, duc d'Urbin, et toutesafamille, et se mit en mesure de s'emparer de ses états. Neperdons pas de vue qu'on était dans ce momenten pleinediscussion au concilede Trente et dans toute l'Europe, non passurla nécessité de la réforme, celle-là ne pouvait êtrecontestée, maissur son étendue etlemodedesaréalisation, Eh bien, Paul JII ajoutait aux nombreux griefs accumulés contre la papauté celui de nommer cardinaux ses filsRenaud Capodiferro et le chevau-léger Crispc, ainsi queRanuce Farnèse, déjà archevêque de Naples, quoique seu lement âgé de quinze ans, Alexandre Farnèse, de quatorzeans, fils de Pierre-Louis, son propre fils, et Guy-AscagneSforce, qui en avait seize, fils de Constance, fille de Paul,avec laquelle le pape passait pour avoir des relationsintimes, comme il en avait avec une de ses s urs, dontla jalousie lui avait fait empoisonner les maris. Outre cesdignitésecclésiastiques, le pape partageaentrelesmembresdesa famille tous les emplois lucratifs de l'église, la vicechancellerie apostolique, le camerlingat et la grande péni tencerie. Il donna à Pierre-Louis les villes de Parme et de Plaisance, qu'il démembra des états de l'église auxquelsJules II les avait réunies, et dont Jules III, successeur de Paul, dépouilla Octave Farnèse, fils de Pierre-Louis et son héritier, que Charles-Quint avait permis ou peut-êtreordonné qu'on empoisonnât. Jules III avait préalablementexcommunié Octave Farnèse (1551).
sans contre-poids en Allemagne s'il parvenaità réduire sous son obéissance les princes protestants qu'il combattait : l'empereur se plaignit amèrement et en termes plus éner giquesque décents de cetteversatilité du père des chrétiens.
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plus promptement et mieux avantager la sienne. Il avait pour favori un enfant trouvé, élevé par une mendiante, et nommé Innocent, queles Italiensappelaientlepetitsapajou (il bertuccino), parce que son patron l'avait chargé du soin d'un singe qu'il aimait avec passion. Jules III fit adopter cet enfant par son frère Baudouin Delmonte, et le décora de la pourpre à l'âge de dix-sept ans. Le cardinal Innocent Delmonte fut dégradé pour ses vices et ses crimes sousle pontificat suivant.
Charles-Quint convoitait les étatsdes Farnèse;c'étaitassez pour que Jules embrassât leur défense. Mais tout en s'opposant à l'agrandissement en Italie des empereurs déjà trop puissants pour le repos des papes, ceux-ci finissaient tou jours par être plus ou moins forcés à seconder leurs projets de domination, afin de pouvoir continuer à exister à côté d'eux, et, pour autant que possible, à régner sous eux. Jules III prit doncle parti de Charles-Quint, et les Farnesese jetèrent entre les bras des Français. Le pape reprocha si durement à Henri II, dans un consistoire, la protection qu'il accordait à la famille de PaulIII et son alliance avec les Turcs, que les cardinaux attachés à la France le mena cèrent de soustraire tout le royaume à son obédience. Le roi fit plus : de l'avis de la Sorbonne et de tout le clergé français, il défendit qu'aucunesomme d'argentsortit desesétats sousprétextede dispenseset debulles, etquelespré lats allassent à l'avenir prendre à Rome l'investiture de leursbénéfices, etil fit courir le bruit qu'il se constituerait en état de schisme avec l'église romaine, comme avaient fait l'Angleterreet une partie del'Allemagne.Paul IV succéda à Marcel II qui n'avaitfait que paraitreaprèsJules III. Fondateur de l'ordre des théatins,institué pour combattre leshérétiques, Paul, lorsqu'ilfutmontésur le trône,s'attacha à dessoinspluspersonnels:reléguantsurlesecond plan la conversion ou la punition deshérétiques, lepapen attendit pourfaire éclaterson ambitionprivée,que
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lemoment oùilseserait cru en mesurede pouvoirla satis fairesans péril. Il donna le chapeau à trois de ses parents dontun,sonarrière-neveu,âgéde dix-septans,et quidevint en même temps archevêque de Naples. Les cardinaux lui firent des remontrances sur ces abus de pouvoir, contraires auserment qu'il avait prêté lors de son exaltation ; il les traita brutalement, et poursuivit ses desseins. Paul haïssait Charles-Quint et les Espagnols : un de ses premiers actes fut de faire instruire secrètement le procès de l'empereur, qui de son côté débattait avec l'évêque d'Arras, son ministre, la question de savoir s'il n'était pas urgent de dépouiller le pontife de la souveraineté de ses états, afin de s'assurer à lui-même la tranquille possession duroyaumedeNaples.Paulsévit ensuite contre les Colonna, qu'il excommunia parce qu'ils avaient toujours favorisé le parti impérial, et il confisqua leurs biens au profit de Jean Caraffa, son neveu. Bientôt ces vexations réciproques dégé nérèrent en une guerre ouverte entre l'empereur et le saint-siége. Paul se ligua avec la France : il promit à Henri II le royaume de Naples pour un de ses fils et le duché de Milan pour un autre; il ne se réservait dans les dépouilles impériales que quelques provinces pour l'église ctdes principautéspour ses neveux. Le roi Henri venait de se lierà l'empereur par un traité de paix; Paul le déga gea de sa parole, et l'autorisa à recommencer la guerre sans scrupule, Octave Farnèse, qui était demeuré duc de Parmedu consentementde Paul, le même Octave qui avait été anathématisé par Paul III pour avoir suivi le parti des Français, fut maintenant anathématisé par Paul IV, parce qu'il s'attachait au parti des Espagnols.
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Arrival'abdication de Charles-Quint. Loin d'y applaudir comme on avait droit des'y attendre, puisqu'elle le débarrassait du plus redoutable de ses ennemis, l'atrabilairePaul IV lacondamna comme étant un acte posé par son inférieur sans que lui, supérieur, l'y eût autorisé. Le pape
144 il con ne voulut cependant pas avoir l'aird'agirdeson propreet seul mouvement en une circonstance aussi grave; sulta ses théologiens qui répondirent : « que la puissancepapale estau-dessus de toute puissance humaine; queDieua donnéaux pontifes romains l'empire du ciel etcelui delaterre; que l'empereur avait juré une éternelle obéissance au pape; qu'il ne pouvait renoncer au gouvernement des peuples sans la permission du souverain pontife; » car, Jésus-Christ a dit trois fois à Pierre : « Paissez mes bre bis, » et le concile de Florence a déclaré que ces paroles étaient le gage de la toute-puissance du pape surl'église : les théologiens de Paul IV affirmaient de leurcôtéquecettetoute-puissance spirituelle impliquait le pouvoir temporel absolu des papes sur tousles chrétiens, rois et empereurs compris. En conséquence, le saint-siége refusa de recon naître l'empereur Ferdinand, et Paul dans labulleIncoena Domini (1557) eut la satisfaction d excommunier, sanslesnommer, Philippe II et Charles-Quint.
Extravagant dans toutes ses actions, Paul IVs'étaittelle mentaliéné l'esprit desessujets, qu'ilsne lui surent aueun grédelamesurederigueuretdejustice parlaquelleil ban nitdesa présence, aprèsleuravoirôté leurs dignitésetleurs biens, tous les membres de sa famille, aussi extravagants que lui. Entre autres décrets lancés par le pape, il eut celui qui ordonnait aux moines de rentrer dans leurs cou vents sans délai, sous peine d'êtreexcommuniés et envoyés auxgalères. Plusde trentemillereligieuxdesétatsromains se retirèrent à Venise devant unepareillemenace;d'autres se cachèrent, attendant la mort du pape pour se montrer denouveau; d'autres encore passèrentchez les Turcs.
Mais cequi mit le combleà la hainequ inspiraitPaulIV, ce fut l'établissement, à Rome même, du tribunal de l in quisition; il l'y avait déjà introduit lorsqu'il n'était encoreque cardinal et que Paul III siégeait comme souverain ponti e.Devenupapelui-même,PaulIVn'eutdereposqu'après
Pie IV (1559) n'eut rien de plus pressé que de réparer les principales folies de son prédécesseur : il fit d'abord la paix avec l'empereur Ferdinand; ensuite il donna ordre d'instruire le procès des Caraffa, dont deux, savoir le car dinalCharles et leduc dePalliano,furent punis du dernier supplice comme traîtres et meurtriers. Était-ce par amour pourl'équité, ou seulement afin de se vengerdumalquele cardinal Charles avait dit de lui? ou bien encore la sévérité de Pie IV lui avait-elle été imposée par Philippe II, qui haïssait mortellement les Caraffa à cause de la haine que Paul IV lui avait vouée? C'est ce que nous ne déciderons pasici. Nousnous bornerons àdire que Pic IV fut généra lementaccusé d'ingratitude envers un pape auquel il devait son élévation,etmêmed'injusticeà l'égarddes Caraffa, que saint Pie V, créature comme lui de Paul IV, fitréhabiliter sixans plus tard, aprèsavoir fait reviserleurprocès etcon damnerà mort leur principal accusateur. Nous ajouterons que, sans se mettre aucunement en peine de la contradic tionqu'il y avait entre ses principeset ses actions, Pie IV fit exactement pour sa famille ce que Paul IV avait fait pour la sienne.
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qu'ileutcombléles prisonsdusaintofficedesuspectsdetout rang et de toute condition, et souvent pour les motifs les moins graves. Aussi, à peine le peuple eut-il appris que le pape était mourant, que, sans respect pour son agonie, il courut mettre le feu au palais des inquisiteurs, après avoir délivré les détenus; le bâtiment, les procès et les archives devinrentlaproiedesflammes,etpeu s'enfallutqu'elles ne consumassent aussi le couvent de la Minerve avec les domi nicains qui l'habitaient. Les statues de Paul IV furent mutilées et traînées dansla boue, et pendant quelque temps les marchands de verres à boire n'osèrent plus crier dans les ruesles carafes qu'il avaient àvendre, de peur d'exciter la fureur du peuple au souvenir du pape Caraffa, qu'il nom mait l'ennemi et le tyran des Romains.
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Avant de mourir, Pie IV avait aboli les franchises dont jouissaient à Rome les cardinaux et les ambassadeurs étran gers, mesure éminemment raisonnable et juste, mais quicoûta plus aux papes à maintenirque ne leur avaient coûté à établirleurs prétentions les plus insoutenables et les plusexagérées. Le cardinal Charles Borromée, neveu dePieIV,que le pape avait rendu tout-puissant, avait l'intention de faire élire pour lui succéder le cardinal Morone; mais unautre cardinal , nommé Ghislieri, le fit changer d'avisparce que Moroneavait été suspect en matière de foi etqu'il avait dû justifier l'orthodoxie de ses opinions. Il est vraiqu'un jugement formel avait lavé le cardinal Morone de tout soupçon fondé; mais il n'en fut pas moins écarté, etce futGhislieri lui-même qui fut élu à sa place etprit le nom de Pie V.
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Pie s'occupait alors à régler définitivement les canons disciplinaires du concile de Trente, et il les appuyait par des ordonnances rigoureuses concernant la résidence obli gatoire des évêques et la défense de posséder plus d'un bénéfice. Mais il paralysa ces mesures réformatrices, en nommant cardinal Ferdinand de Médicis, fils du duc Côme, âgé de quinze ans et même, selon quelques écrivains, de onze ans seulement. Une conspiration ourdie par quelques fanatiques faillit coûter la vie au souverain pontife (1565) : les conjurés, à la tête desquels se trouvait Benoît Accolti, fils du cardinal de ce nom , et qui attendait après Pie IV un pape angélique, qui se serait soumis le monde entier, s'étaient préparés à l'assassinat par la confession ; ils expirè rent dans les tourments les plus cruels avec une fermeté digne d'une meilleure cause.
Les Romainsredoutaient son règne, parcequ'il partageait les idées de Paul IV, son protecteur, au sujet du saint office.Eneffet,il imprima au tribunal de l'inquisition uneactivitéetunesévérité dontl'Italie n'avaitpas encore vu d'exemple. Non content des suspects qu'il faisait rechercher partout
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dansses propres états, il se fit livrer ceux qui avaient étéarrêtés en Toscane, à Venise, à Milan et ailleurs. Ce fut en cette circonstance qu'il fit mourir Aonius Paléarius, coupa bleseulement d'avoir dit « que l'inquisition est un couleauaffilé pour couper le cou aux philosophes; » vérité qui ne fut pas consumée dans les flammes avec celui qui l'avait exprimée : car aussi longtemps que la certilude ne serapoint établie incontestablement, l'examen triomphera sanspeinede toute espèce de croyance que l'inquisition ne seraplus assez forte pour garantir en étouffant la discussion sur les bûchers. Le malheureux Aonius fut, avant d'être livré au bourreau, forcé de signer un écritqui contenaitles quatre articles suivants : « 1° Le pouvoirséculier peut faire mourir les hérétiques; 2° l'église peut le charger de cetteexécution; 3° le pape peut instituer des ministres chargésde rechercher les suspects; 4° dans certains cas, le pape peuttuerles hérétiques de sa propre main, comme ont faitSamuel, saint Pierre, etc., etc. »
Nousavonsnommé plus hautle cardinalBorromée, saint Charles actuellement; cet archevêque de Milan avait pris à sa solde une troupe d'hommes armés par lesquels il faisait
Les actionspolitiquesde saint Pie V se bornentà la créa tion dugrand-duché deToscane, en faveurde Côme deMédicis.Comme simpleduc, Cômerelevait de l'empire; l'em pereur protesta contre un changement de titre qui semblait être une usurpation de ses droits. Pie traitait Henri IV de France, et Élisabeth d'Angleterre, avec une hauteur et unmépris que nous avons déjàsignalés en parlantdu schisme anglican, et que nous ferons de nouveau ressortir à l'occa sion des événements auxquels le calvinisme donna lieu en Franceet dans d'autres pays. Enfin il envoya un nonce en Sicile, malgré les droits acquis et reconnus de Philippe II, comme souverain de cette ile, à la suprématie religieuse,sansrestriction ni contrôle, droits sanctionnéspar le saintsiége sousla dénominationde monarchie sicilienne.
Nous dirons, àproposde la première mesure,que la bible avaitdéjà eupour correcteurs, enpremierlieu Esdras,qu'on pourrait plutôt en nommer le rédacteur; après, saint Jé rôme. Origène avoue qu'au 11e siècle de l'ère vulgaire, les livres sacrés des Hébreux étaient tout autres aux mains des chrétiens qu'à celles des juifs. Les hérétiques se firent des saintes écritures appropriées à leurs opinions. Vers le jye siècle, Hesychius et Lucien martyrcorrigerent aussiles écritures.Ilyavaitalorsunévangiledes quatreévangélistes, composé probablementpar la fusion de plusieurs évangiles. séparés, et que saint Jérôme traduisit en latin; il n'est pas parvenu jusqu'à nous, à moins qu'on ne veuille que nosquatre évangiles soient précisément cet évangile-là, dere chef divisé en quatre parties distinctes. Le nouveau testa ment était complet de cette manière. L'empereur Anastase (commencement du vie siècle) soumit à une revue sévère ce code sacré, qui paraissait, dit saint Victor, évêquede Tu nones, en Afrique, avoir étérédigé par des idiots (tanquamab idiotis evangelistis conscripta). Charlemagne fit à son tour corriger les évangiles. Après lui, comme nous venons
exécuter ses sentences, non-seulement sur les clercs , mais encore sur les autres citoyens. Le sénat fit punir les soldats du prêtre; le prêtre excommunia les sénateurs. Le pape soutint les prétentions du cardinal; cependant celui-ci fut forcé de modérer son zèle et son ardeur. Il voulut alors ré. former l'ordre religieux des humiliés, qui en effet avait besoin d'une réforme radicale ; mais un membre de cette congrégation, le prêtre Jérôme-Donat Farina, attenta à sa vic. Le pape supprima l'ordre entier.
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SaintPieV eut pour successeurs, GrégoireXIIId'abord, puis Sixte-Quint,dont nousrapporteronslesactions au chapitre où nous traiteronsdes troublesreligieux deFranceet desPays-Bas. Grégoire XIII fitcorriger la bible qui en avait de plus en plus évidemment besoin, et le calendrier quiavait cessé d'être d'accord avec l'ordre du temps.
C'est sousle pontificat de Grégoire XIII qu'eut lieu l'évé.nementquenousallonsrapporter. Sesconséquencesont influé alors et elles continuent à influer sur la civilisation de l'Europe. Étienne Batori, roi de Pologne, était sur le point deréaliser la conquêtedela Russie, et de réunirainsi tousles Slaves sous les lois nationales qui régissaient les seulsPolonais. Ivan le Terrible, premier czar de Moscou, eut re coursau pape auquel il promit la soumission de son égliseàcelledeRome, et l'obéissance du clergé grec etdu peuple russeau saint-siége, s'iltrouvait moyen d'empêcher la continuation dela guerre. Grégoire chargea lejésuitePossevin de la négociation; les Polonais , catholiques avant tout,mirent leurroi, pour plaire au pontife et à son ministre, dans l'impossibilité de poursuivreses succèssur les Russes,et Ivan, délivré de toute crainte, se moqua des Polonais et du pape.
Sixte-Quint fut le dernier pape qui régna en souverain ponti e; après lui, il n'y eut plus que des princes électifs, s'occupantchacun deson intérêtpropre etdecelui des siens, etdes prêtres veillant minutieusementsur la doctrine d'où dérive l'influence à laquelle ils doivent leur position et les moyensd'en tirerle meilleur parti possible. Sixte était une espèce deDracon. Outre sesbulles contreles astrologues et
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devoir,cefutau tour de Grégoire XIII, qui futencore suivi de Sixte-Quint à deux reprises, et enfin de Clément VIII. Restemaintenant à savoirsile texte si souvent remaniéquinous reste ressemble à l'original, et en quoi.
Cequ'il y a de remarquablec'est que, malgré l'incontes tablenécessité de la correction du calendrier, etl'exactitude scrupuleusementscientifiqueaveclaquelleelle avaitété exé cutéesousGrégoire XIII , néanmoins les chrétiens de l'é glise grecque ne l'acceptent pas même aujourd'hui, et les chrétiens réformés d'Angleterre, d'Allemagne et du Nord refusèrent longtemps de l'accepter, parce qu'elle avait eu un pape pour auteur.
S'il était toujourssévère, Sixte-Quint n'étaitpas toujours juste : il fit, par exemple, étrangler Jean Pepoli, seigneur bolonais, qui avait refusé de lui livrer, sans en avoirpréalablement obtenu le consentement de l'empereur, unmalfaiteur qui s'était réfugié dans un fief que lui Pepoli tenait de l'empire; ce fut à cette occasion que Sixte laissa éclater l'horrible regret de n'avoir pu frapper qu'une têtede noble, tandis qu Élisabeth avait eu le bonheur de fairetomber celle d'une reine. Philippe II d'Espagne avait, par une pragmatique, cherché à mettre des bornes en Italie à la ridiculevanité des titres; Sixte eut la petitessede mettre cette loi à l'index (1587), et d excommunier Philippe etles cardinaux qui se conformeraient à l'ordonnance royale.
Il publia l'édition vulgate de la bible d'après les décrets du concile de Trente, en défendant, sous peine d'excom municationmajeure à encourir ipso facto, d'y rien ajouter, d'en rien retrancher ou d'y faire le moindre changement; mais, comme nous l'avons dit, bientôt lui-même intro duisit de nouvelles corrections, et, deux ans après, Clé ment VIII fit réimprimer la vulgate de Sixte avec environ deux mille variantes.
Le souverain ponti e, d'accord avec le roi Sigismond III, favorisa beaucoup un projet conçu par lejésuite Possevin, dont nous avons fait remarquer plus haut la funeste in fluence sur les affaires de la Pologne, celui de convertir à l'église romaine les chrétiens grecs de la Lithuanie. Pos sevin n'employa d'abord aucune violence, mais seulement chercha à s'insinuer chez les grecs par des faveurs et des promesses, par la corruption en un mot. Quand, après cela, il eut réussi à les réunir à son église, il chercha åcompléter sa victoire, en persécutant les grecs non unis,
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lesbrigandsdes états romains (1585), il décrétala peinedemort contre les adultères et leurs complices , contre les femmes séparées de leurs maris et dont la conduite n'était pasrégulière, contrelesincestueuxquels qu'ils fussent, etc.
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Clément VIII excommunia, avec tout le luxe des malédic tions et des clauses pénales auxquelles les papes avaient habitué les fidèles, César d'Este, duc de Ferrare (1597), parce qu'il était né d'un père lui-même enfant naturel; cependant ce prince venait de succéder à son grand -oncle Alphonse II, mort sans héritiers, en vertu du testament de celui-ci, et du consentement unanime des grands et du peupledeFerrare. D'ailleurs, don Alphonse,son père, avait étélégitiméparlemariage subsequent du duc Alphonse eretdeLaure, grandmèredeCésar, et le pape Alexandre VIl'avait appelé à la succession de la couronne par une bulle pontificale. Abandonné de tous, il fallut bien que le duccédât. Ferrare fut réunie aux états de l'église, et pour em pêcher qu'elle ne fût encore aliénée à l'avenir, Clément laconsacra à la sainte Vierge.
etdevint ainsi la première cause de la perte de la Petite Russie et de Kief, où les Polonais avaient irrité tous lesesprits, et que les Russes ajoutèrent à leur empire. L'historienKaramsin reconnaît que l'état russe et l'églisegrecque sont redevables de cet accroissement de territoire à l'impo litiqueconduite du père Possevin, du pontife romain et ducatholique Sigismond, leur serviteur dévoué.
$ er. LES SACRAMENTAIRES .
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L'EUCHARISTIE.
Les luthériens étaient les girondins de la réforme ; les calvinistes en furent les montagnards. Les réformés de France se prononçaient plus nettement contre la foi ro maine, et leur opposition au catholicisme papal était plus radicale que celle des protestants d'Allemagne; ilsdevaient nécessairement l'emporter sur leurs devanciers. Cela eut lieu en effet, non-seulement en France, dans les Provinces Unies et en Suisse, mais encore en Allemagne même,et après des vicissitudes dont nous allons tracer un rapide tableau. Nous le ferons précéder de quelques mots surles sacramentaires, sectaires qui, avant Calvin, avaient pro fessé sur le sacrement de l'eucharistie l'opinion qui dis tingua principalement dans la suite le réformateur français de ceuxqui, de son temps, étaient entrés dans les mêmes voies.
Nous avons fait remarquer à plusieurs reprises les di
La communion. - Le moine Ratramne. -- Bérenger. Saint Grégoire VII doute de la réalité de laprésence de Jésus-Christ dans l'eucharistie.
CHAPITRE XX.
verses manières de donner et de recevoir l'eucharistie parmi les chrétiens, aux différentes époques de l'histoire ecclésiastique, et nous en avons tiré la conséquence que le dogme aussi avait varié. Cela ne saurait être contesté par tout homme de bonne foi : en effet, lorsque, sans avoir égard aux modifications successives de la communion chré tienne, on considère d'emblée la distribution du pain mys lique aux initiés des premiers siècles, qui Corneille, évêquedeRome,saintClément d'Alexandrie, saint Cyprien, saint Ambroise, saint Augustin , et beaucoup d'autres en fontfoi,-recevaientce pain dans leurs mains, le mettaient dans leurs poches, l'emportaient avec eux aux représentations publiques de gladiateurs s'entre-luant ou dévorés par des bètes féroces, et de courtisanes exposées nues à la vue des spectateurs, ou bien qui le conservaient dans leurs ar moires et le mangeaient quand et comme ils voulaient; lorsqu'on réfléchit à la facilité avec laquelle, tantôt on con fiait ce pain consacré au premier enfant qui venait le de mander pour un moribond, et qui le délayait dans de l'eau pour en faciliter la déglutition, tantôt on l'enfonçait dans la terre pour qu'il devint le gage de la réhabilitation des excommuniés, morts sans y avoir participé ; lorsqu'on se rappelle que, jusqu'au xie siècle, les parents menaientleurs enfants au temple à la célébration des mystères, pour qu'après le repas cucharistique, ils mangeassent, comme s'expriment les historiens de l'église, les restes du corps immaculé de Jésus-Christ, notre Dieu ; lorsqu'on compare enfin cette insouciance, cette négligence et, pour ainsi par ler, ce mépris auquel était en butle la nourriture spiri tuelle des temps primitifs du christianisme, à la solennelleadministration de notre eucharistic actuelle, perpétuelle ment adorée sur l'autel, comme Dieu même et à sa place, ne pouvant ètre maniécque par un prètre officiant d'aprèsdesritesde rigueur, nireçuequedans labouche par lesfidèles, canoniquementpurifiés de leurs fautes, ct matériellement
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14CUIRISTIANISME , II ,
préparés par un jeûne de rigueur, on comprend qu'avec la forme du sacrement, le fond aussi de la communion sym bolique avait complétement changé.
Ce qu'il ya de plus curieux dans cette dispute, c'est que Paschase savait fort bien que l'opinion qu'il cherchait à faire prévaloir était, en opposition avec ce qu'ildisait, loind'être généralement admise. Son argumentation pour la prouver était des plus naïves : selon lui, Jésus-Christ est corporellement présent dans l'eucharistie parce que Dieu est tout-puissant. Cette étrange démonstration établit aussi bien le contraire, car elle établit tout ce qu'on veut. Il y a plus : elle rend tout raisonnement impossible en détrui sant le principe même du raisonnement, puisqu'elle affirme qu'on peut raisonner juste sans se conformer à la raison, Quoi qu'il en soit, Raban Maur, archevêque de Mayence,dont nous nous occuperons ailleurs, n'hésita pas à avouer
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La primitive église offre à cet égard des règlements qui font connaître les abus qu'il y avait à réformer chez les fidèles; mais jamais de discussion sur ces abus, et moins encore sur les opinions qui y donnaient lieu : le dogme n'était pas controversé, pour la meilleure de toutes les rai sons, c'estqu'il n'y avait point de dogme clairement déter miné. La contradiction seule devait en faire éclore une idée plus précise qu'enfin l'église adopterait, et qui alors pourrait avoir de nouveaux contradicteurs. Lorsque, au commencement du ixe siècle, Paschase Ratbert, abbé de Corbie, parlant de l eucharistie dansun ouvragedidactiquequ'il destinait à l'instruction des simples, dit que la pré sence réelle était crueet professée par tout l'univers, Bertrame ou Ratramne, un de ses moines, le blâma pour avoir outré le merveilleux d'un sacrement déjà si enveloppé de mystères. Paschasc enseignait, en outre, d'autres opinions nouvelles sur lesquelles il eut également Ratramne pourcritique,celle, parexemple, queJésus-Christn'estpasvenu au monde par les voies habituelles.
ouvertement qu'il était un de ceux dont l'abbé de Corbie seplaignait; car lui aussi interprétait dans un sens figuré lesparoles de Jésus-Christ à la dernière cène, et il ne con sidéraitles espèces mystiques, ainsi qu'on s'exprimait, quecommedesalimentsqui subissenttous lesgenresde décom position.
Laquerelles'échauffant, CharlesleChauvevoulutsavoirde quoi ils'agissait, et Ratramne rendit compte de sa doctrine dans un traité qu'il rédigea exprès pour satisfaire leroi.
La question fut soulevée de nouveau vers le milieu du XI° siècle, à l'occasion de Bérenger, archidiacre d Angers, qui soutenait les idées professées par Scot dans son traitéDu corps et du sang de Jésus-Christ, le même probable ment que celui de Ratramne. Bérenger blåmait, et Paschase Ratbert, l'antagoniste de Ratramne ou deScot Eri gène, et Lanfranc, alors moine de l'abbaye du Bec en Normandie, qui avait condamné Scot; ce qui, selon lui,équivalaità condamnersaint Ambroise, saintJérôme, saintAugustin et beaucoup d'autres pères de l'église. Les lettres de Bérenger à Lanfranc furent dénoncées à Rome : Léon IX convoqua un concile(1050), où Bérenger fut excommunié.
Il y fit connaître que plusieurs chrétiens, qu'il blà mait du reste, ne voyaient dans l'eucharistie que du pain et du vin ordinaires, tandis que d'autres, qu'avec saint Augustin, évèque d'Hippone, il appelait scélérats et impies, prétendaient que ce qu'on mange en communiant est le corps même de Jésus-Christ. Lui Ratramne professait une troisième opinion, qui était celle de la présence spirituelle et figurée de Jésus-Christ, laquelle, disait-il, est au corps de celui-ci ce qu'est l'anniversaire d'une fête à cette fête elle-même. A peine cet écrit eut-il paru quc Hincmar, archevêque de Reims, qui l'attribuait non à Ratramne, mais à Scot Erigène, le condamna comme hétérodoxe. Ladispute cette fois n'alla pas plus loin, et ni les conciles niles fidèlesn'y prirentaucune part.
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Lanfranc y justifia ses opinions et fut créé abbé du Bec; il passa de là au siégearchiepiscopal de Cantorbéry. Bientôt le concile de Verceil décida ce qu'avait décidé celui de Rome, et un troisième concile tenu à Paris suivit leurs traces. Bérenger se faisait défendre par ses disciples, mais ne quittait pas son diocèse de Tours, dont l'évêque Brunon partageait sa doctrine, non -sculement sur l'eucha ristie, mais encore sur le mariage comme n'étant pas un sacrement, et sur l'inefficacité du baptême administréauxenfants. On fit savoir à Bérenger que, s'il ne rentrait au plus tôt au giron de l'église, on enverrait une armée pour le prendre et le convertir ou le livrer au supplice. Le moine Hildebrand, qui devint Grégoire VII, alors légat en France du pape Victor II, convoqua un concile à Tours (1055),dans lequel Bérenger abjura sa doctrine. Et quatre ans après, Nicolas II détermina, au concile de Latran, d'accordavec cent treize évêques qui le composaient, le dogme de la présence réelle. Bérenger y fut forcé de signer « quele corps et le de Jésus-Christ dans l'eucharistie sontmatériels et véritables ; que ce corps est rompu par le prètre et broyé sous les dents des fidèles. » En quittantle concile, Bérenger rétracta son abjuration, et écrivit contrel'église romaine dont il appelale papeNicolas uncharlatan assis sur le siège du diable.
Alexandre II avertit charitablement Bérenger qu'il devait cesserderépandre ses opinions.L'archidiacreréponditqu'il n'obéirait point. Enfin Grégoire VII, dans son sixième con eile de Rome (1079), consentit à écouter une dernière fois la défense de Bérenger et de ses disciples. Ceux-ci avaient un parti assez prononcé parmi les cent cinquante évêques et le nombre infini de clercs qui formaient l'assemblée, puisque la discussion dura pendant troisjours, et que plu sieurs prélats soutinrent que l'eucharistie est un type, une figure, un mystère en un mot, et seulement parlà unsacrement. Ce fut au point, s'il en faut croire le cardinal sang
Il y avait eu bien des sectateurs de Ratramne pendantles quatre cents ans qui s'étaient écoulés entre Pierre deBruisetLuther; mais comme leur but était la réforme générale de l'église chrétienne, plutôt que le désir de faireprévaloir une opinion particulière sur le scul point de i'cucharistie, nous les avons classésparmi les réformateurs,
Bennon,que le pape lui-même douta, et qu'il demanda auSaint-Espritdeslumières surnaturellespournepasse trom per sur une matière aussi essentielle et aussi importante. L'opinion de la présence corporelle triompha à la longue, etBérenger dut abjurer de nouveau . Malgré tant de défaites et une autre condamnation à Bordeaux (1080), l'archidiacre n'en revint pas moins à sa doctrine, qu'il professa jusqu'à la mort, etqui futplusieurs fois encore anathématisée après lui, comme une des héré sies les plus dangereuses qui eussent été soutenues. Cela n'empêcha pasque Bérengernefût louésans réserveparles écrivains les plus catholiques, entre autres parlevénérable Hildebert, qui avait été son disciple et qui devint évêque du Mans et archevêque de Toul. C'est le même Hildebert qui, non -seulement admettait le dogme de la présence réelle, mais qui encore se servit le premier, pour l'expri mer, du mot devenu sacramentel depuis, de transsubstantiation.
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Luther soutient la présence corporelle. La Suisse zwinglienne. -- LaréformeenFrance et en Navarre. Supplices.
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§ II. LE ZWINGLIANISME .
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Pendant même que Martin Luther jetait les premières semences de sa doctrine en Allemagne, Ulrich Zwingle, curé à Zurich, prèchait en Suisse contreles indulgences,lesvauxmonastiques,leséglisesconsidéréescomme lademeure spéciale de Dieu, les saints, la hiérarchie ecclésiastique et son chef, le pape (1519). A cette époque précisément, arriva à Zurich un frère Samson, franciscain, chargé de vendre des indulgencespourcompte du pape Léon X, sous prétexte de la guerre àfaire auxTurcs et del'église deSaint-Pierre à élever et à décorer. Frère Samson emporta de Suisse cent vingt mille ducats; mais la cause de la réforme y fut ga gnée. Son triomphe avait été puissamment secondé par les jonglerics fantasmagoriques des dominicains de Berne, op posées à celles des franciscains, celles-ci en faveur, les autres contraires au dogme de l'immaculée conception de Marie: les dernières avaient eu pour terme la condamnation de quatre frères prêcheurs convaincus de fausses appari tions, de traitements atroces et de tentatives d'empoison nementsur un deleursnovices, etlesupplice descoupables brûlés par ordre du pape (1509). Bicntôt, malgré l'opposi tion de l'évêque de Constance, le sénat de Zurich permità Zwingle de répandre ses opinions, dont dès lors plus rien n'arrèta les progrès.
Quelle qu'eût été l'audace de Luther, il n'avait pas osé franchir certaines bornes queluiopposait le sentimentvulgaire. Son disciple Carolstad répudia ces ménagements eten fut aigrement blâmé par Luther (1524). La querelleéclata à l'occasion de la présence réelle dans l'eucharistie,que le grand réformateur admettait, sauf la transsubstantiation,etqueCarolstadniait. Ce qu'il y eutde particulier,c'est que Luther etMélanchthon, en buiteaux persécutionsdes catholiques parce qu'ils avaient interprétéles écrituresà leur manière, faisaient persécuter par le duc de Saxe
dont la suite non interrompue prépara de longue main le mouvement auquel le moine saxon donna son nom.
Zurich avait,parundécretsolennel,embrassélezwinglia nisme:Berne, Bâle, Genève, Constance et Strasbourg suivi catholiquesrentcetexemple;huitcantonssuissesseulementdemeurèrent.Lutherfitalorsentendresavoix;ilrépudialeszwingliensqu'ilappeladesvaudois,dessacramentaires,descorrupteursdelaparoledeDieuetdestrompeurs.C'était,auxnomsdesectesprès,cequelescatholiquesdisaientdes luthériens. Le landgrave de Hesse tenta de réconcilier les deuxpartis (1529); il réussit tout au plus à leur faire pro mettre qu'ils se combattraient avec moins de brutalité. Au reste, outre les partisans de Zwingle, Luther fut encore contredit à cette époque sur le point de la présence réelle par Schwenk eld et ses swermeri (schwärmer) ou enthou siastes, qui ne voyaient que des allégories dans la bible, plus conséquents en cela que les luthériens, les sacramen taires et les catholiques, qui prenaient les écritures, tantôt au propre, tantôt au figuré, selon que leurs opinions le
Carolstad etses adhérents qui ne faisaientque les interpré teràleurtourcommeils les entendaient. Zwingleaussi em.brassa le dogme de la présence figurée : seulement il plaçait le sens tropologique de la présence de Jésus-Christ dans le mot est, tandis que Carolstad, du reste entièrement d'accord avec lui, le mettait dans le mot hoc, et OEcolampade danscorpus. Les anciens écrivains de l'église, réputésorthodoxes, s'étaient montrés bien plus positifs lorsqu'ilsavaient traité rationnellement la question du dogme de la présence qu'on a appelée réelle. Origène, Tertullien, Lac tance, saint Denys d'Alexandrie, saint Jean Chrysostome,contiennent des passages fort embarrassants contre laprésence corporelle ou matérielle dans l eucharistie. Saint Augustin également, et Facundus, évêque d'Hermiana,ainsi quele vénérable Hildebert, offrent sur ce pointdes ar guments qui sont en contradiction manifeste avec les idées admises de nos jours par les catholiques. Mais laissons làcesthéologiques pauvretés.
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Bientôt une guerre de religion s'alluma en Suisse entre les fidèles de l'ancien christianisme et les partisansdu nou veau (1531). Huit mille sacramentaires, ct Zwingle lui même, furent tués dans une première bataille; environ vingt mille périrent dans quatre combats suivants. Puis mourutJean Hausschein, plus connu sous le nom d'OEcolampade, ministre zwinglien à Bâle.
La France touche à la Suisse et à l'Allemagne; il était difficile que les idées de réformation religieuse agitées de toutes parts ne trouvassent pas chez elle quelque écho. Le lutheranisme allemand futle premieràyêtreconnu(1530).C'était alors que François Jer, voulant donner de l'éclat à son règne, avaitappelé autour de lui les savants detous les pays : plusicursréformateurs, savants eux aussi à leur ma nière, pénétrèrent avec les autres dans le royaume, etparmi eux Martin Bucer. Mais quatre ans auparavant, le mème François Jer avait installé le dominicain françaisAmaury, commeinquisiteurdela foi; aussitôtque l'innova
Lorsdelaprotestation desréformésallemands contre les mesures dejuste-milieu prises par les partisans du catholi cisme romain à la diète de Spire (1529), les villeslibres seprononcèrent pour les dogmes zwingliens, tandis que les états monarchiquement régis par des princes restèrent fidèles à ceux deLuther. Vintensuite la confession d'Augsbourg par les protestants, confession à laquelle les zwin gliens opposèrent leur formulede foi, composéeparBucer, et qui ne fut point acceptée, à cause de la présence allégo rique. Les villes suisses furent repoussées de la ligue de Smalkalde pour le même motif, et si celles d'Allemagne en firent partie, il faut l'imputer à la peur qu'inspiraient en ce moment les catholiques.
160 requéraient. En 1544, les disputes sur la cène se renouve lèrent avec fureur parmi les réformés; l'année suivante, elles eurent nommément lieu entre Calvin, Bullinger, Jean aLasco, etc.,d'une part, etlesluthériensde l'autre.
tion réformatrice se fit jour, les persécutions, déjà toutorganisées,éclatérent. Les hérétiques trouvèrent un asile ctdesappuis : Marguerite de Valois, seur du roi etfemmede Henri II de Navarre, ennemi des papes depuis que Jules II avait dépouillé les d'Albret de leurs états, s'em pressa d'accueillir dans ses provinces du Midi, avec leshommes de lettres qu'elle aimait, les religionnaires proscritsqu'elle honorait et voulaitprotéger. Imbus, comme leurs adversaires, de l'opinion qu'il faut forcer la conviction, les luthériens et les sacramentairesde France jugèrent convenable d'afficher jusque sur lesmurs de Paris un appel à la violence : le gouvernement traita ces turbulents comme des impies; François Jer lui même alla voir mourir lentement six réformés sur le bûcherqu'on avait dressé par son ordre (1534). Il fitplus : non content d'avoir formellement reconnu l'autorité des inquisiteursdélégués par lepape, il les exhorta à procédersans tiédeur ni miséricorde; les chambres ardentes, comme onles appela, n'avaient pas besoin de ce stimulant, Pen dant qu'elles procédaient à l'extirpation de l'hérésie en France, François (er soutenait par ses armées les princeshérétiques d'Allemagne contre leur catholique empereur.
§ III. LE CALVINISME .
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Despotisme de Calvin. Henri II régularise la persécution des calvinistes. - Guerre de religion. Colloque de Poissy.
Jean Calvin, de Noyon en Picardie, était d'un caractère trop altier pour adopter les idées des autres; quoique par
Nous avons ditqu'il était d'une humeur inflexible; il le prouva bientôt en refusant d'exécuter à Genève les mesures qui avaient été prises par le synode des églises de Berne tenu à Lausanne : les Génevois l'exilèrent (1538). Rappelé trois ans après, il se fit concéder d amples priviléges spirituels, qui lui suffirent pour se rendre entièrement maître du gouvernement. Jouissant ainsi, à l'aide surtout des ré fugiésfrançais pour cause d'opinions religieuses, d'un pou voir absolu à Genève, il se fit encore le directeur supreme detoutes les églisesdesacommunion, tant en Francequ'en Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre et en Pologne,etil le demeura jusqu'à sa mort (1564).
tageant cellesdes sacramentaires de Suisse, il sefit unedoc trineà part qu'il publia en cent vingt-huit articles, sous le titre d'axiomes. Obligé, par les persécutions dont nousvenonsde parler, desortir de France avec Fabred'Étaples, il se réfugia, sous l'égide de la reine Marguerite, d'abord à Båle où il fit paraître son Institution chrétienne, puis en Italie où il eut pour prosélyte la duchesse de Ferrare, Renée, fille de Louis XII, si malmené par le pape Julcs II. Calvin était tombé entre les mains des inquisiteurs ferra raisqui déjàle faisaient transporteràBologne, lorsqu'ilfut enlevé à main armée. Il s'arrêtaà Genève : là, à la demande de Guillaume Farel, il fut admis à professer la théologie, etprêcha sa réforme.
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Depuis longtempssesdisciples étaientproscrits en France en vertu des édits terribles de 1542; les exécutions se suivaient rapidement : par exemple, de cinquante réfor més condamnés à Meaux (1546), quatorze furent brûlés vifs. Trois ans après, on allumait le bûcher danslacapi tale, afin de célébrer par le supplice des hérétiques l entrée de Henri II, qui venait de succéder à Francois ler, et qui promettait de marcher sur ses traces. Pendant les in tervalles, on envoyait les sectairesparmilliersauxgalères ou en exil.
Henri II désira que la persécution fût permanente et générale;lessectateurs de Luther,deCarolstad,de Zwingle,d'OEcolampade, de Mélanchthon, deBucer,de Calvin,etc.,qu'il confondait sous le nom général de monstres pestiférés, périrent également dans les flammes. Tous les moyensétaient bons pour découvrir les hérétiques : les enfantsdénonçaient leurs parents, les maris leurs femmes, et vice versá;les voleurs, les meurtriers étaient reçus en témoi gnageàcharge, et les inquisiteurs, à la foisjugesetparties,nese faisaient jamais faute d'appliquer les prévenus à latorture et d'inventer pour les condamnés de longs etcruelstourments. Le zèle dontchacun se parait pour la vraie foi ne connut plus de bornes quand Henri eut accordé les biens qu'ilfaisait confisquer sur les hérétiques à Diane de Poitiers, d'abord maîtresse de son père, puis la sienne, et lors quecelle-ci, pour augmenter ses revenus, eut stimulé lesdélateurs par de brillantesrécompenses. Aussi, neuf calvi nistes furent brûlés à Lyon, et un grand nombre à Paris.Cela ne pouvait durer : des remontrances furent faites au roi sur la trop grande sévérité desjugements qu'il avaitdéclaré devoir être sans appel ; son décret demeura sus pendu. Peu après, deuxcents réformés furent surpris célébrant la sainte cène à Paris même (1557) ; beaucoup furent arrétés, mais sept seulement livrés aux flammes, ce qui valutà Henri II les plaintes amèresdu pape sur le relâche ment de son orthodoxie. Bientôt le pontife romain cut des sujets de mécontentement plus réels : les parlements s'étaient émus à leur tour; ils s'opposerent, sous le faible François II, à l'exécution des édits contre les hérétiques. Déjà, en dépit du galant ou plutôt licencieux cardinalCharles de Lorraine et de l'ambitieux duc de Guise, enne mis irréconciliables des réformés, on commençait à parler de liberté de conscience, et les prêches calvinistes avaientlicu, non plus dans des caves, commependantle règne de Henri, mais dans les palais des grands. Les huguenots -
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Lcs Bourbons étaient humiliés : le duc de Guisc les ap
A trente-septans de persécutions (de 1523 à 1560) allait succéder une guerre sans merci entre le parti catholique des Guises et le parti calviniste des Bourbons. La scènc s'ouvrit par la conjuration d'Amboise dont le but était de mettre le roi ct sa mère au pouvoir des Bourbons, de se débarrasser des princes lorrains et de faire accorder la liberté de conscience aux novateurs. L'entreprise échoua. Le duc de Guise profita de la circonstance pour se fairenommer lieutenant général du royaume, et puissammentaidé par son frèrelecardinal, il fitpérirsurl'échafaud tous ceux des réformés qui ne s'étaient pas fait tuerencombat tant : le sang coula pendant plus d'un mois.
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c'est le nom de mépris que les catholiques avaient donné aux sectateursdeCalvin, auquel ceux-ci répondirentparlenom de papistes - s'étaient fortifiés de la protection des Bourbons, qui, depuis la fin du règne de François ler, vi vaient dans une espèce de disgrace, en butte à la haine des princes de Lorraine, que Henri II et Catherine de Médicis leur avaient opposés. D'après le conseil de l'amiral Coligni, adversaire des Guises, le prince de Condé et Antoine de Bourbon, roi de Navarre et mari de Jeanne III d'Albret, zéléc calviniste, se rapprochèrent des réformés, pour tra vailler d'un commun accord à l'abaissement des Lorrains. Les calvinistes tinrent un synode à Paris, faubourg Saint Germain (1559), afin d'élaborer un règlement uniforme pour l'exercice de leur culte dans toute la France, et les princesd'Allemagne sollicitèrent lejeune roi en leur faveur. Cela n'empêcha pas cependant de condamner aux flammes plusieurs personnages, à qui on n'avait d'autre reproche à faire que d'avoir librement blåmé les vices du clergé et les abus de la cour de Rome; parmi eux se trouvait Anne Du bourg, conseiller au parlement et diacre, dont le supplice excita l'intérêt général ct fit de nombreux prosélytes à la réforme.
Le clergé catholique lui-même avaitcommencéà prendre part au mouvement des esprits; plusieurs prélats pen chaientpour les opinions nouvelles:onciteJean deMontluc, évêque de Valence, marié et père; Saint-Gelais, évêque d'Uzès ; Charles Marillac, évêque de Vienne; Dupaizet, évêque de Bayonne; Gérard, évêque d'Oleron ; Jacques Spifame, évêque de Nevers, et Antoine Caracciolo, évêque de Troyes. Ils blåmaient la fréquence et la rigueurdes sup plices, et sollicitaient une réforme de l'église, qui extirpât la simonic, la paresse, l'ignorance, la dissolution des mæurs et les autres vices des prêtres. Le cardinal répondit que le concile de Trente remédierait à tout.
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pela àFontainebleau pour aviser avec les autres princesdusang aux moyens de calmer les troubles de religion, et de dégrever le peuple surchargé de taxes. L'amiral Coligni y présenta une pétition des réformésqui demandaient la con cession d'un temple dans chaque ville pour adorer Dieu à leur manière; il ajouta qu'il pouvait faire revêtir cettepétition de cent cinquante millesignatures. Le cardinal de Lorraines'écria que, lui, il opposeraitaux signataires héré tiques et rebelles une armée d'un million de gens de bien.
Sur les entrc aites, le prince de Condé chercha à s'emparer de Lyon dont il aurait fait la place d'armes des calvi nistes. Il eutl'imprudence, aprèscetacte de rébellion,deserendre aux états généraux d'Orléans, y fut arrêté et condamné à être décapité. La mortde François II vint empêcher l'exécution de cette sentence, dont Catherine rejeta toutl'odieux sur les Guises, quoiqu'elle en cût été la première instigatrice; la reine voulait se faire un appui des Bourbonscontre la trop grande puissance des princes de Lorraine.Les uns et les autres siégèrent aux états, où l'orateur duTiers reprocha au clergé son peu de savoir, son avarice etson luxe. Le résultat des débats fut l'abolition des annales,le rétablissement des élections canoniques, l'ordre aux évèquesderésider, lasoumissiondes moinesauxordinaires,
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On essaya des conférences. Trente-quatre des coryphées de la réforme, dont douze ministres, savoir : Théodore deBèze, Pierre Martyr (Vermigli), François de Saint-Paul,Jean Raymond, Jean Virel, etc., etc., disputèrentsur les
et la plus stricte défensc d'exercer la simonie sous aucun prétexte et d'envoyer à Rome la moindre somme d'argent. En outre, les procès pour cause de religion furent abolis et les détenus relâchés; il fut ordonné de cesser toute nouvelle recherche à ce sujet, et on restitua aux calvinistes les biens confisqués.
Cela devait paraître fort dur à Rome où, d'après les doc trines reçues, le payernent de ce que le saint-siége prélèvesur la chrétienté du chefde procès en cour pontificale, de dispenses quelconques, de bulles d'institution, d'indults soustouteslesformes,depensionssur lesbénéfices,ctc.,etc., ne peutêtre suspendu pourcause« nide peste,ni defamine, ni de guerre, ni d'incendie, ni d'inondation, ni de séche resse, ni de grêle, etc., nonobstanttoutes les lois du monde, déjà portées ou à porter à l'avenir, et ce sous peine des censures les plus terribles à encourir ipso facto par les contrevenants, » Aussi le pape chargea-t-il le cardinal de Ferrare, son légat en France, de réclamer contre ce qui le blessait le plus au vi , savoir, la défense de laisser passerà Rome l'argent que le saint-siége avait l'habitude de sous traire subtilement aux peuples sous toute espèce de pré textes, par toutes sortes de moyens, et qui s'élevait pour chaque pays à des sommes exorbitantes : les parlements tinrent bon contre le pape; mais aussi ils s'opposerent, en dépit du gouvernement, à l'exécution des édits favorables aux hérétiques, et il fallut forcément en revenir en partie à l'ancienne sévérité orthodoxe, par l'édit de Romorantin. Cette dernière loi, due surtout aux instances du cardinaldeLorraine, assurait le pardon général pour lepassé, mais frappait d'exil les ministres de la réforme, et défendait touteréunion religieuse hors des églises catholiques.
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Il eut pour effet de dégoûter de la réforme le roi deNavarre, scandalisé du peu d'accord qui régnait entre lesréformateurs dont la mission lui avait paru ètre de tout harmoniser. Les calvinistes considérèrent la chose sous un autre aspect : ils chantèrent victoire, et s'opposant par la force à l'exécution des derniers édits, obligèrent les huit parlements du royaumc à proclamer la paix de reli gion (janvier 1562), qui portait que les ré ormés pour raient s'assembler hors des villes et sans armes. Ce nouvel édit fut signé par les cardinaux de Bourbon, de Tournon et de Châtillon, et par plusieurs évêques.
Faute de se rendre clairement compte de l'incompati bilité essentielle entre le principe de foi professé par les catholiques, et celui d'examen admis par les réformés, on cherchait toujours à s'entendre au moyen de concessions réciproques et d'une transaction quelconque. Un second colloque cut lieu à Saint-Germain par ordre de la reine mère. Les catholiques y consentirent à beaucoup modérer lesabus du culte des images. Partant de ce point, le duc
. 167 pointsde doctrine, en présence du roi, de la reine et de toutela cour, contre les cardinaux de Tournon, de Lor rajne, de Bourbon, d'Armagnac et de Guise, quarante évêques, plusieurs docteurs de Sorbonne et autres. C'est ce qu'on appela le colloque de Poissy. L'autorité de l'église et ledogmedel'cucharistie étaient ce qui rendait tout accord impossible. Théodore de Bèze, développant son opinion, plaça le corps du christ aussi loin du pain eucharistique que le ciel l'est de la terre; cette comparaison, qui n'avait rien de choquant dans la forme, ct à laquelle pour le fond on avait dû s'attendre, fit crier à l'impiété, et le jésuite Laynez apostropha Bèze des épithètes de singe, renard,monstreetautres semblables aménités. Lc légatapostolique, fils de Lucrèce Borgia, qui avait souvent accompagné les reines de France et de Navarreaux proches des calvinistes,assistait à ce colloque.
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de Guise et le cardinal de Lorraine firent desouverturesaux luthériens allemands dans une conférence qui se tint près de Strasbourg avec le duc de Wurtemberg, le prince de Hesseetles ministres confessionnistes. Il s'agissaitdesunir pour combattre le zwinglianisme. Rome s alarma, et non sans motif, de la possibilité que le cardinal de Lorraine adoptât enfin la confession d Augsbourg, pour laquelleil avait souvent témoigné de la propension; car elle aurait entraîné le schisme de toute la France. Les réformés se moquèrent du cardinal Protée comme ils l'appelaient, qui passait ainsi, sans transition et selon son intérêt du mo ment, du fanatisme persécuteur à l'hypocrisie de la tolé rance .
§ IV. MASSACRES .
Après s'être détaché du parti reformateur, le roi de Navarre se rallia à celui des Guises. Les princes lorrains, pour rendre leur puissance plus solide, avaient formé un triumvirat entre le duc de Guise, le connétable de Mont morency et le maréchal de Saint-André ; ce qui força la reine-mère à faire définitivement cause commune avecle prince de Condé et les huguenots, qui gagnèrent à cerevi rement de pouvoir pratiquer librement leur culte partout, hors quelques villes désignées. Déjà deux mille cent cin quanle communautés calvinistes demandaient des temples,
Vassi. - Charles IX. La SaintHorreurs commises des deux parts. Barthélemi.
Les réformés pillaient et dévastaient les églises ; lescatholiquesbrûlaient les bibles ; les uns et lesautres égor geaient sans miséricorde. Le prince de Condé prit Orléanset fut déclaré coupable de lèse-majesté, avec Coligni etd'Andelot , son frère. Les catholiques reprirent Blois , Tours, Poitiers et Rouen où fut tué le roi de Navarre ; cettedernière ville fut saccagée pendant deux jours. OutreMontluc, Tavannes et Montpensier se distinguaient parleur zèle fanatique contre les huguenots ; le baron desAdrets, par le sien contre les papistes. Les calvinistes ap pelèrent à leur secours les protestants d'Allemagne et lesréformés d'Angleterre, auxquels même ils s'engagèrent àlivrer plusieurs villes : une alliance aussi antinationale
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tandis que les catholiques ne cherchaient qu'à leur fermer tout lieu propre à des réunions. En Champagne, des huguenots qui allaient au prêche rencontrèrent le duc de Guise marchant à la tête de ses gens en armes; ceux-ci les attaquèrent, en tuèrent soixante et en blessèrent plus de deuxcents : c'est ce qui est connu sous le nom demassacre de Vassi.
Bientôt toute la France fut en combustion : on eut les tueries de Tours, d'Amiens, de Sens, et surtout celles de Toulouse où quatre mille Français, tant huguenots que pa pistes, succombèrent. Le gouvernement, retombé sous l'in fluence des Guises, révoqua l'édit de janvier, et lança arrêt sur arrêt contre les novateurs. Quatre-vingts calvinistes furent exécutés à Paris, et tous les autres chassés de laville. « En moins de quatre mois, c'est le père Maim bourg,jésuite, qui parle, plus de trois mille huguenots passèrent par la rigueur des lois... Le roi de Navarre, le connetable et surtout Montluc dans la Guienne, qui avait toujours deux bourreaux à ses côtés, en faisaient pendre tout autant qu'il leur en tombait entre les mains. » Il était ordonné « de courir sus (aux hérétiques) au son du tocsin, et de les tuer comme des bêtes féroces, »
Ces malheurs réciproques avaient disposé les esprits à la paix; elle ut conclue (1565) en dépit des chefs deshugucnols, ainsi que des parlements de Paris, d'Aix et de Toulouse. Mais il fallait que tout cédât devant le sentimentpopulaire, qui imposait de chasser, à tout prix, les Anglaisdu Havre et de délivrer la France des reitres allemands. On n'en continua pas moins des deux parts à se faire le plus demal possible ; seulementil n'y avait plus de guerre ouverte.La reine-mère, malgré les sentences pontificales, favorisa,comme auparavant, le cardinal huguenot de Châtillon et la plupart des évêques attachés à la nouvelle doctrine. Le pape avait excommunié Jeanne de Navarre, qui venait de proscrire le culte catholique; sous prétexte que, la reineétant hérétique,son mariage avecAntoine de Bourbonétait nul et leurs enfants illégitimes, il avait livré la Navarre aupremier occupant. Le gouvernement de France cassa cette excommunication , et parvint même à faire supprimer la bulle spoliatrice qui la contenait et qui ne se trouve pas parmi les constitutions de Pie IV.
Charles IX, devenumajeur, cxcité par lesavisincessants
Le pape saisit cette circonstance pour citer le même car dinal à Rome avec l'archevêque d'Aix et les évêques de Valence, de Troyes, de Pamiers et de Chartres. Châtillon reprit la pourpre qu'il avait quittée, et se maria publi quement. Mais c'étaient là des épisodes de peu d'impor tance auprès des faits qui se déroulaient en même temps dans le royaume. A la bataille de Dreux, où les huguenots furent vaincus, le prince de Condé fait prisonnier d'une part, ct le connétable de l'autre, il resta sur le champ de bataille de huit à dix mille hommes. En outre, un nommé Poltrot attenta à la vie du duc de Guise, général des ca tholiques, etaccusaColigni, devenu lechefdu partiopposé, de l'avoir poussé à ce crime.
souleva le peuple contre cux, et fit proscrire comme re belles Coligni, son frère et le cardinal de Châtillon.
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- 171de conspirations qu'on disaittramécs contrelui par les cal vinistes, leva des troupes qui prétendument devaient êtreopposées au duc d'Albe, envoyé d'Espagne par Philippe II poursoumettreles réformés des Pays-Bas, mais qui, dans lefait, étaient destinées à les réduire eux-mêmes à l'obéis sance. Ils résolurent de le prévenir. Déjà ils menaçaient la capitale; mais ils furent battus à Saint-Denis et se retirè rentpour revenir à la charge plus forts que jamais. La paixappelée mal assise (1564) mit un terme à cette campagne, par la confirmation des libertés tant de fois accordées auxhuguenots et toujours violécs, et par l'annulation des sen lences prononcées contre leurs chefs, qu'on déclara avoirconstamment agi dans les meilleures intentions. Cette paix qui ne contentait personne fut, comme les précédentes,accompagnée d'excès réciproques, et suivie de nouvelles batailles réglées,celle deJarnac, entre autres, qui coûta lavie à Louis de Bourbon, prince de Condé, et celle deMoncontour où perirent dix mille huguenots. Le calvi nisme était de nouveau proscrit, et saint Pie V exhortaCharles IX « à exterminer tous les scélérats d'hérétiques, età massacrerses prisonniers, afin de plaire à Dieu. Henride Condé et Henri de Navarre (plus tard Henri IV), tous deux fils des anciens chefs des calvinistes, marchaient maintenant à leur tête, sous la direction de Coligni; ils avaient auxiliaires les Allemands et les Flamands de leur communion, tandis que les catholiques étaient soute nus par les troupes du pape. Les horreurs commises dans cette guerre dépassent tout ce qu'il est possible de s'imagi ner : les huguenots noyés aux sauteries de Mâcon, les in fåmes cruautés dont se rendit coupable le général des Ita liens, Serbelloni, la scandaleuse conduite des sujets armés de sa sainteté le pape Pic V, ne peuvent s'exprimer sansindignation et sans dégoût. Le duc de Montpensier livrait ses prisonniers à son aumônier Babelot pour qu'il les fit égorger, et les femmes aux plus vigoureux de ses soldats. pour 3 )
De longue main, Charles IX et sa mère avaient médité, de concert avec le papeet l'Espagne, un coup qui devait ils le croyaient du moins les délivrer pour toujoursdes craintes que leur causait l'hérésie en France. Il ne s'agissait plus que d'inspirer aux huguenots la confiance nécessaire pour qu'ils donnassent tête baissée dans le piége, ct qu'ils s'y laissassent prendre tous à la fois. A cet effet, la courles favorisa systématiquement, et mêmeavec partialité, à cha cun de leurs différends avec les catholiques. Puis, Gré goireXIII ayant accordélesdispenses voulues, Marguerite, seur deCharlesIX, épousa Henri III de Navarrc. Enfin on flattales calvinistesde l'espoird'uneguerreprochaineavec les Espagnols,leursplusmortels ennemis, eton s'yprépara de manière à tromper l'Espagne elle-même et à inquiéter la cour de Rome, au pointque l'une et l'autre demandèrent des explications. Lescalvinistes alors n'hésitèrent plusetse portèrent à Paris de toutes parts.
Babelot ayant été pris et pendu, le duc ne fit plusdequar tier du tout; les huguenots l'imitèrent.La paixde 1570 ne fut pas plus sincère que les précédentes : c'était une halte dans lesang, au profit des massacreurs.
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C'était le moment où Charles allait tenir la promesse qu'il avait faitesept ans auparavant au pape, après l'entre vuc de Bayonneentre samèreetlui,d'unepart,et de l'autre, la reine d'Espagne, fille de Catherine et le sanguinaire duc d'Albe. Charles IX fit d'abord empoisonner la reine deNa varre, mère de Henri, et immédiatement après célébrerle mariage de celui-ci. Le duc Henri de Guise essaya ensuite de faire tuer l'amiral Coligni, mais l'assassin n'ayantréussi qu'à le blesser,le massacregénéral des huguenotsfutrésolu etexécutéla nuitdu 24août(1572),jourde la Saint-Barthé lemi. En moins de quarante-huit heures, à Paris sculo ment, plus de dix mille Français, hommes, femmes, vieil lardset femmes enceintes furent égorgés impitoyablement. Il y avait parmi les victimes cinq cents pobles des plus
Charles IXse vanta en plein parlement du massacre de la Saint-Barthélemi; il fit procéder avec rigueur contre le peu deprisonniers qui avaient été faits, etcontre la mémoire desmorts. Il avait, assurc-t-on, tiré lui-même sur les hu guenots, de sa fenêtredu Louvre; il alla voir le cadavre de Coligni pendu aux fourches patibulaires de Montfaucon, et ilassista au supplice des condamnés qu on exécutait auxflambeaux,
braves du royaume, et entre autres l'amiral Coligni. Les princes de Navarre et de Condé furent sauvés, à la condition d'embrasserlareligion des bourreaux de leurs frères. Dans les provinces, à Meaux, Orléans, Angers, Troyes, Bourges, Lyon, Toulouse, Rouen, environ quarante mille huguenots périrent par la volonté expresse de la cour. A Lyon, entre autres, près d'un millier de ces sectairesfurent incarcérés et massacrés sur un ordre olographe de CharlesIX,adressé au gouverneurMandelot qui,enrendant compte de l'exécution des instructions royales, demanda humblementla part qu'il avait méritée dans la confiscationdes biens de ses victimes. La tête de Coligni, que saint PieVnejugeait pas digne d'être appelé un homme, fut en voyée à son successeur Grégoire XIII : ce pape fit tirer lecanon du château Saint-Ange en signe de triomphe, rendit grâce à Dicu dans l'église de Saint-Louis-des-Français, fitpublier unjubilé pour que tous les peuples catholiquesprissent part à la joie que lui faisait éprouver « cettecopieuse émission d'un sang dépravé, » ct envoya le car dinal Flavius Orsini, son légat a latere, afin d'exhortersurabondamment le roi à ne pas neutraliser par desme suresdedouceur l'effet salutaire du remèdehéroïqueauquel il venait d'avoir recours. Le duc d'Albe fit commander des feuxde réjouissancedansson campdevant Mons.
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§ V. LA RÉFORMATION AUX PAYS -BAS.
L'histoirereligieuse de France, à cette époque, est étroi tement liéeà celle des Pays-Bas, d'abord à cause du prochevoisinage, ensuite parce que les mêmes besoins y faisaient naitre des événements analogues. La réforme avait pénétré dans les provinces belges par le commerce qu'on y faisait avec les peuples du nord de l'Europe, par le séjour destroupes allemandes au service de Charles-Quint, et par les relations de chaque jour aux frontières des deux pays.Dès l'année 1521, et surtout en 1529, 1544 et 1545, il est fait mention de lois spéciales contre l'hérésie, et des supplices qui en étaientla conséquence, tant en Belgique quedansla basse Autriche. On remarque, entre autres, l'exécution de Pierre Dubreuil, sacramentaire. Charles-Quint renouvela,en les confirmant, cesanciensplacards, parunédit(1550),dontlebutétaitd'envelopperceuxqui avaientsuffisammenttémoigné de leur culpabilité par la seule lecture des écrits de Luther, Zwingle, Bucer, Calvin et autres, et en dispu tant sur l'écriture sainte. A moins d'une conversion con statée, ces impies devaient, quels qu'ils fussent d'ailleurs, être livrés aux flammes; s'ils se repentaient, on sebornait à décapiter les hommes et à enterrer les femmes toutes vives. Les suites inévitables de cet édit furent la ruine com plète du commerce avec l'étranger et le mécontentement général du pays : il fallut en suspendre l'exécution. Maisbientôt on le remit en vigueur (1555) et l'on peut calculer
PersécutionssousCharles-Quint.--Supplices sous PhilippeII.- Lesgueue. Le duc d'Albe .
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que l'orthodoxie de Charles-Quint envoya à la mort en viron cinquante mille de ses compatriotes; Grotius dit cent mille.
Lessupplices se suivirent donc comme auparavant, à Ru remonde, Anvers, Bruges et autres villes considérables. Tournai, LilleetValenciennes étaient livréesau calvinisme, etdans des réunions de cinq à six mille personnes, on y chantait les psaumes de Clément Marot; la gouvernante, MargueritedeParme,cnvoya des troupes pourdissoudre les assemblées religieuses, mais le peuple en armes empêcha lessoldats d'agir. Philippe II cherchait à vaincre cette ré sistance par la force; il ne réussit qu'à la changer en une rébellion ouverte qui lui fit finalement perdre la moitié de ses provinces. L'édit (1566) par lequel il était ordonné de recevoir le concile de Trente et les dispositions pénales de Charles-Quint fut universellementrepoussé comme violant leslibertés de la nation, et tous les ordres de l'état, toutes lessectes signèrent un compromis contre l'introduction de l'inquisitionde la foi. Les confédérés, au nombre de plu sicurs centaines, présentèrent, à Bruxelles même, leurrequêle à lagouvernante, dontlescourtisanslestraitèrentde gueux. Ce terme de mépris, qui fut accepté par euxcomme un titred'honneur, devint le nomdes hérétiques belges.
Philippe II, devenu roi d'Espagne et souverain des pro vinces belges (1559), n'était pas d'humeur à adoucir ces mesures. Le lutheranisme d'Allemagne, l'anabaptisme qui était presque indigène aux Pays-Bas, la réforme qu'y avaientapportée trente mille Anglais proscrits par Marie la Catholique, et surtout lecalvinisme de France, y marchaient lète levée, et les catholiques eux-mêmes ne cessaient de réclamer contre les édits de Charles-Quint, dans lesquels ils voyaient un acheminement vers l'inquisition espagnole dont ils ne voulaient à aucune condition, Philippe II, en quittant les provinces flamandes, se borna à recommander lastricte observation des lois contre les novateurs.
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La gouvernante avait donné aux confédérés une réponse évasive; les réformés l'interprétèrent comme une victoire, et les nouveaux religionnaires s assemblèrent en tous lieux, selon le rit calviniste, par huit, dix etjusqu'à seize milleà la fois. Faibles, ils avaient protesté contre le despotisme brutal des catholiques; forts, et excités sous main, prétend on, par la cour qui espérait perdre la réforme en l'exagé rant, ils sc firent violents et despotes à leur tour : Saint Omer, Ypres, Menin, Courtrai, Lille, Gand, Audenarde, la Hollande, la Zélande, la Gueldre, la Frise, l'Over-Yssel, virent leurs églises pillées et saccagées, les images dé truites, et les objets sacrés pollués sans pudeur. La cathé drale d'Anvers, alors une des plus belles de l'Europe, fut ravagée par les gueux pendant trois jours consécutifs. Il ne faut donc pas s'étonner si les catholiques firent éclater leur fureur contre ces modernes iconoclastes : elle se trouve ex primée naïvement, mais aussi grossièrement et sans retenue aucune, dans les sermons que le père franciscain Corneille Adriaensen, connu sous le nom de Broer Cornelis, prêcha pendant trente ans à Bruges contre les hérétiques qu'il ap pelait des érusmiens et des pauliens, d'Érasme et de saint Paul, leurs maitres selon lui, et qu'il fallait se håter de pendre,rôtir,écorcher, étouffer,dontil fallait éventrerles femmesafind écraserleursfruits surla pierre.» Adriaensendéblatérait volontiers contre Élisabeth d'Angleterre, pro tectrice née des hérétiques, sesvoisins : il prêcha aussisurle dogme, toujoursdans les termes les plusdégoûtantsetles plus obscènes; ses sermons sont imprimés.Marguerite crut enfin devoir modérer la rigueur desédits de religion pour l'avenir, ct accorder l'entier oubli du passé. Peu à peu, elle y ajouta la tolérance limitée du nou veau culte. Maisni Philippe II, ni surtout le pape Pic Vn'approuvèrent ces modifications, dont d'ailleurs les réfor mésétaient loin de se montrersatisfaits. Forcefut,en der nière analyse, derecourirauxarmes.Partoutlescalvinistes
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curent le dessous : les principaux chefs du mouvement se dispersèrent; le prince d'Orange se retira dans ses états d'Allemagne, ct les comtes d'Egmont et de Horn se soumi rentsanscondition. Tout paraissaitterminé, lorsque le duc d Albe arriva aux Pays-Bas : à la tête d'une armée espa gnole, accompagnée de filles de joie, ce général de Phi lippe II, stimulant sans relâche son conseil de auxpiedsla constitution belge que son maitre avait juré de maintenir. Egmont et Horn furent arrêtés, et les envoyés belges en Espagne, mis à mort. La terreur que le dued'Albe inspirait fit émigrer plus devingt-cinq mille Belges en Angleterre, en France et en Allemagne. De ce dernier pays, ilsrentrèrent en Belgique sous le commandement de Louis deNassau, frère du princed'Orange, et remportèrent quelques avantages sur les troupes du roi. Avant de marchercontre eux,leduc d'Albe fit décapiter, d'abord vingt trois seigneurs, catholiquesaussi bien que réformés, ensuite les comtes d'Egmont et de Horn, enfin six cents rebelles, comme il les appelait, toujours sans distinction de religion. Le général espagnol remporta une facile victoire sur Louis de Nassau. Le prince d'Orange, qui avait pénétré en Belgique après lui avec une armée plus considérable, fut bientôt forcé de rentrer en Allemagne, ct le duc d'Albe reçut de saint Pie V une épée d'honneur et le litre de vain queur de l'hérésie. Il voulut alors dépouiller les Flamands deleurs biens par des impôts arbitraires (1570); mais cette dernière infraction à leurs lois fit éclater de toute part une révolte ouverte. La Zélande fut la première à se déclarer; les villes frontières suivirent : la Hollande aussi prit parti contre les Espagnols, et tout le pays bientôt ut en feu. Pen dant que les Espagnols portaient l'incendie et le carnage dans les provinces, les gueux de mer commencèrent à serendreredoutables à la marine de Philippe II dontilsdéci mèrent lesnombreuses flottes.La fureurétait telle desdeux parts qu'elle épouvanta le roi d'Espagnelui-même : la ren
§ VI. LA LIGUE CATHOLIQUE EN FRANCE, ET LA CONFÉ DÉRATION MIXTE AUX PROVINCES-UNIES.
trée sanglante du duc d'Albe dans le Brabant et surtout à Malines, les massacres de Zutphen et de Naerden, ainsi que la prise de Harlem , après huit mois de siége et la mortde quinze mille assiégés, dont deux mille condamnés au sup plice, firent rappeler le cruel capitaine, qui se vanta en partant d'avoir fait exécuter dix-huit mille Belges, et con fisqué pour huit millions de revenu par an.
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Les Guises. La guerre aux Pays-Bas. Le duc d'Anjou est chassé d'An vers. Bulle de Sixte-Quint contre les Bourbons. -Henri III, assassiné. Le duc de Parme . - Henri IV abjure lecalvinisme. Divorcedu roi. Le cardinalde Richelieu poursuitles huguenots comme rebelles etlesprotége comme hérétiques. Révocation de l'édit de Nantes . Cami ards. La tolérance imposée par le doute, en France etaux Pays-Bas.
Le massacre de la Saint-Barthélemi avait certes frappéde crainte les esprits des réformés de France, mais il avaitaussi ravivé leur haine, ct les catholiquesjugèrent prudent d'accorder la paix et la liberté de conscience aux habitants de la Rochelle, de Nimes et de Montauban. Il est vrai que la cour avait besoin de se donner un vernis de tolérance afin de ne pas trop s'aliéner les évangéliques de la Pologne, qui devaient contribuer à élire roi le ducd'Anjou, frèrede Charles IX. Cette paix ne fut pas de longue durée, et laguerre qui suivit se termina bientôt par de nouvelles et plusamples concessions aux calvinistes, qui furentmissurlamêmelignequelescatholiques. Leurschefs,savoir,leroi
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C'estalorsquelesGuisesorganiserentla liguecatholique, dans le but surtout de substituer les princes lorrains à labrancheroyaledesBourbons, que l'extinctionprochaine de celle des Valois appelait à succéder à la couronne. Cetteligueavait pourappui le saint-siége qui y voyait l'abaissementdes princesréformés,alliésdesprotestantsd'Allemagneet des schismatiques d'Angleterre, et l'Espagne qui avaitintérêtà éterniser les troubles en France. Les états géné raux, assemblés à Blois, et composés en grande partie deguisards ou de ligueurs, avaient décrété l'exercice exclusif du papisme dans tout le royaume. Henri III, ne voyantplus d'autre moyen d'échapperau pouvoir de la ligue, s'endéclara le chef afin de la dominer. Un nouveau traité en soixante-quatorzearticlesn'en fut pas moinsconclu avec leshuguenots, augrand regret du pape et plusencorede Philippe II, pour qui la paix en France était toujours suivied'une recrudescence deguerre dans les Pays-Bas.
En effet, pendant que se passaient les événements que nous avons rapportés, le successeur du duc d'Albe, Louis Requesens, avait battu complétement les réformés dans uncombatoù les frèresdu prince d'Orange et Christophc, pa latin de Bavière, étaient restés sur la place. Mais, d'autre part, lesEspagnols furent obligés de lever le siége de Leyde après cinq mois d'attaque, et lorsque dix mille citoyensétaient morts de faim et les campagnes environnantes inondées par les Hollandais. Peu après, Requesensmourut, ctle soulèvement des provinces, le Luxembourg seul ex cepté, fut complet. Les soldats espagnols, n'étant presque jamais payés, mettaient le pays à contribution, pillaient et
deNavarre, le prince de Condé et le duc d'Alençon, frère de Henri III qui venait de passer du trône de Pologne à celui de France, recurent huit villes pour leur sûreté per sonnelle et en garantie des conditions arrêtées. C'était le cinquième traité avec les huguenots, et il fut violé comme lesquatre autres.
Don Juan d'Autriche avait été nommé gouverneurdesPays-Bas espagnols. Il réussit à détacher de l'union con tractée avec les provinces exclusivement calvinistes les provinces qui voulaient demeurer catholiques exclusivement. Mais, de son côté, il avait dû s'engager à renvoyerlesétrangers;commeil n'avaitpasdequoi payerleursolde, il manqua forcément à sa promesse. Le mécontentement se fitjour de nouveau; don Juan entra par ruse au château de Namur, et les Belges appelèrent le prince d'Orange :celui-ci fit placer l'archiduc Mathias, frère del'empereur,à la tête des provinces révoltées, et la reine Élisabeth fit alliance avecelles. LeBrabant, laFlandreetlaGueldre,quiobéissaient aux états et à Mathias, admirent les deux cultes à titre d'égalité;le serment de fidélité au nouvel ordre de choses qui y ut exigé fit sortir les jésuites, les franciscains et quelques prêtres des villes d'Anvers, de Tournai, de Bruges, de Maestricht et autres. Alexandre Farnèse venait de remplacer don Juan; il prit Maestricht, après un long siége qui coûta aux défenseurs huit mille hommes tués lesarmesà la main, etquatre milleégorgéspendantlesacde
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suivreravageaienttout:lesétatsgénérauxordonnèrentdelespoursansrelâche,etdelestuersansmiséricorde.Pro scrits de cette manière, les Espagnols, réduits au désespoir, s'emparèrent d'Anvers , la brûlèrent en partie, saccagèrent le reste, massacrèrent sept mille Flamands, et firent un butin immense. L'union des catholiques et des réformés fut alors conclue par les députés de tout le pays, parmi les quels se trouvaient plusieurs évèques (1576) : le catholi cisme était conservé dans les provinces non entièrement réformées, mais les édits de religion demeuraient suspendus partout. Cette union n'avait pour but que l'expulsion des Espagnols, exactement comme, deux cent cinquante ans après, celle des catholiques et des libéraux n'eut pour but que l'affranchissement de l'oppression hollandaise; c'estce qu'on appela la pacification de Gand.
16.
La défection des provinces wallonnes ayant rendu la si tuation plus notte, les autres provinces se confédérèrent àUtrecht; le prince d'Orange leur donna pourchef le duc d'Anjou, frère de Henri III, qui jura de respecter l'égalité de droits des deux cultes; les Provinces-Unies déclarèrent deleur côtéladéchéance duroi d'Espagne. Iln'yavait plus deménagementsàgarder : PhilippeII mit àprix latête du prince d'Orangepour vingt-cinqmillepiastres. Bruxellesct Anvers abolirent le culte romain et on y brisa les images. Unattentatà la vie du prince d'Orange (1582) fut mis sur le compte des Français,jaloux de sa popularité et de son pou voir; il eut la générosité de les disculper lui-même. L'assas sin, un Biscaïen, nommé Jauregui, fut immolé par le peuple;ses complices, et parmi cuxson confesseur, le do minicain anversois Antonin Timmermans, furent exécutés. Les catholiques en firent unmartyr et un saint. Leducd'Anjou, invoquéparlesprovincesfédérées contre le despotisme espagnol, tentadesefaire despotelui-même; il chercha à se rendre maître d'Anvers au cri de Vive la messe! mais il fut repoussé avec une perte de deux mille Français. Il n'avait été d'aucuneutilité aux Belges; il avait voulu leur nuire : il mourut enfin (1584) de honte et dedébauches.
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laville. Après cela, il gagna les provinces wallonnes qui avaient peurque le prince d'Orange ne leur imposât la ré formereligieuse, la plussûre garantie à sesyeuxde lafer metédespopulations à persévérer dans la révolte.
Son frèrc Henri III voyait peu à peu toute la France se soulever au nom de la ligue contre lui dont l'héritier le plusproche était le roi de Navarre, Henri de Bourbon, qui professait le calvinisme. Le cardinal du même nom avait accepté de la main des ligueurs la succession au trône de France que lui assuraicnt, en faveur de son catholicisme, le pape, l'empereur, le roi d'Espagne, les princes d'Autriche, de Lorraine, ctc., etc. (1585); le cardinal prétendant pu
blia aussitôtson manifeste dontles points principauxétaient l'extirpation de l'hérésie, la réception du concile de Trente et la nomination des ducs de Lorraine et de Guise comme lieutenants généraux du royaume. Henri III, auquel il ne restait plus d'autre parti à prendre, se résigna, fit lui-même ce quela ligue aurait faitsans lui et malgrélui, et la guerre commença contre les princes de Bourbon.
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Henri III, qui craignait le duc de Guise que le pape venait de décorer du titre de second Macchabée, était lui mêmesuspect aux ligueurs. Paris éleva desbarricadespour le contraindre à se soumettre aux Lorrains; maisle roi prit la fuite. Un accord intervint cependant, en vertu duquel Henri de Valois s'engageait à faire une guerre à mort auxhuguenots, et à ne jamais permettre qu un prince réformé lui succédât. Après quoi, il fit assassiner le duc de Guise aux états de Blois (1588). Le cardinal de Bourbon ct celui de Guise étaient arrêtés; Henri fit tuerledernier,ctrefusa de livrer l'autre au légat pontifical qui menaçait le roi des censures de l'église.
Sixtc-Quint, moins timideque Grégoire XIII, lança une bulle, qu'il avait fait signer par vingt-cinq deses cardinaux, contre « la génération bâtarde et détestable de la maison de Bourbon; » le roi de Navarre et le prince, son cousin, étaient, comme hérétiques, déclarés incapables de jamais posséder aucun royaume ou souveraineté. Les parlements de France s'opposèrent à la publication de cettebulle, etle savant Bongars aflicha à Rome même une protestation dans laquelle il donnait un démenti ausoi-disant papequ'il sommait de comparaître dans le premier concile, oùon luiau rait démontré qu'il était hérétique lui-même. La guerre se faisait en attendant : les Bourbons remportèrent la victoire à Coutras (1587), sur le duc de Joycuse, qui fut tué, etle duc deGuisedéfitlesprotestants allemands, auxiliairesdes princes.
Les Parisiens,surexcités par lessermonsdes ligueurs,se
révoltèrent de nouveau, et la doctrine de la légitimité du régicide pour cause de désobéissance au pape en matière de foi, qui n'est que la conséquence de la doctrine qui fait dominerspirituellement et temporellement les papes, inter prètesde cettefoi, sur les rois comme sur tous les fidèles, devinten quelque sorte populaire. La France entière ayant ainsi plié sous le joug de la ligue, Henri III se réunit au roideNavarre etaux huguenots. Sixte-Quint, à la demande desligueursetde la Sorbonne,s'empressaalorsde« séparer leroi de France du corps mystique de l'église, comme un membre pourri, » ce qui veutdire, en termes plus simples,qu'il l'excommunia. Henri, malgré celte sentence, alla mettre le siége devant Paris, où un prêtre dominicain,Jacques Clément, autorisé par la sainte union, l'assassina (1589). Plusieurs moines et prêtres qui avaient publique ment exalté ce crime furent mis à mort dans la suite. Lc pape s'écria en l'apprenant qu'il avait été commis par la volonté de Dieu. »
183 .
Le duc de Parmeavait remporté de grands avantages sur lesrévoltés des Pays-Bas (de 1584 à 1586). Anvers, après une longue et mémorable défense, s'était rendu aux Espa gnols; Bruges, Gand et Malines avaient suivi cet exemple. Enoutre, leprinced'Orange était tombésous lescoups d'un
Henri IV fut proclamé roi par l'armée française, sur la promessequ'il fit de se faire instruire dans la religion catho lique. Le duc de Mayenne proclama de son côté, pour l'armée des ligueurs, le cardinal de Bourbon, sous le nom deCharlesX. La victoire d'Arques avait mené le roi de Na varre près de Paris; celle d'Ivry (1590) lui en fit resserrer lesiége. Déjàles Parisiens avaient obtenu des jésuites Bellarmin et Panigarole la permission de se rendre au prince hérétique pourne pas mourir de faim ; ils allaient capitu ler, lorsque AlexandreFarnèse, accouru au secours du duc de Mayenne par ordre du roi d'Espagne, contraignit le roiHenri à s'éloigner.
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Franc-Comtois, nommé Balthasar Gérard, que quatre jésuites avaient encouragé à commettre son forfait. Maurice deNassau succédaàsonpère. Il étaitplus quetemps qu Éli sabeth songeåt à soutenir efficacement ses alliés des Pro vinces-Unies; elle leur envoya son favori, le comte de Leicester. Mais les Anglais de Leicester voulaient être les maîtres, comme l'avaient voulu les Français du duc d'An jou; ils ne purents'entendre avec les Flamands qui se bat taient pour n'avoir point de maîtres du tout.
L'Espagne crut néanmoins devoirse préparer àlaguerrecontre l'Angleterre, et elle fit équiper une flotte formidable pour aller l'attaquer. Sixte-Quint approuva fort une entre prise à laquelle même il contribua, mais seulement pardes bénédictionsetdesreliques;iltravailla sousmain à lafaireéchouer, en avertissant Élisabeth du danger qui s'appro chait. Le pape cut bientôt lajoie d'apprendre que les vais seaux du roi très-catholiqueavaient été brisés par la tem pête et incendiés par les brûlots de la souveraine prêtressedes anglicans ( 1588). Environ cinquante bâtiments de guerre et quinze mille hommes furent perdus pour l'Es pagne en cette circonstance. Le pape redoutait, avant tout, la trop grande puissance de PhilippeII : aussi refusa-t-il constamment de sévir avec trop de dureté contre les héré tiques de France, dont la ruine n'eût été favorable qu'aux Espagnols. Selon Philippe, Sixte eût dù déclarer dogmati quement qu'il ne réconcilicrait jamais Henri IV avec l'é glise : le roi d'Espagne fit menacer le papede convoquer un concile contre lui ; le pape ordonna au bourreau d'étrangler l'ambassadeur de Philippe s'il se hasardait à faire suivre ses paroles du plus petit commencement d'exécution. Sixte mourut peu après, et les ligucurs français remercièrent Dieu de les avoir dispensés de prêcher contre sa sainteté. tementGrégoireXIV,plusprêtrequ'hommed'état,favorisaouverlesligucurs.Ilfitordonnerparsonnonceauclergé,àlanoblesseetaupeupledeFranced'abandonnerleroide
Pour détourner ce coup qui présentait quelque chance deréussite, Henride Bourbon abjurale calvinisme (1593),et se fit absoudre des excommunications par l'évêque de Bourges, assisté du cardinal de Vendôme, devenu cardinal de Bourbon depuis la mort de Charles X. A cette occasion, HenriIV prononça le fameux mot monarchique: Paris vaut bien une messe! mot infâme contre lequel nous protestons avec toute l'énergie de la raison. NiParis, ni la France, ni lemonde entiernevalent un acted'hypocrisie etde lâcheté pour qui n'est pas plongé dans les ténèbres de l'ignorance et les ordures du matérialisme. Aureste, l'Espagne attaquaviolemmentla conversion du
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Navarre, Henri de Bourbon, hérétique relaps, et les menaça de l'excommunication en cas de désobéissance. Les parlements de Châlons et de Tours firent brûler les bulles pontificales parl'exécuteur des hautes auvres, défendirent auxFrançais d'y avoir égard, sous peinedelèse-majesté, dé crétèrent lenonce de prise de corps, et déclarèrent le pape ennemidelareligion etduroideFrance,amidesEspagnols, fauteur des rebelles et auteur de la mort de Henri III; le parlement deParis lança un arrêt tout opposé. Laguerre fomentée par l'Espagne et le pape sévissait toujours: laprise de Rouen, assiégépar Henri IV, était sur lepointdedonneraupartiroyaliste unesupérioritémarquée;mais Alexandre Farnèse vint une seconde fois relever la ligue abattue (1592). Ce fut la dernière campagne du ducde Parme : à son retour aux Pays-Bas, il trouva les intérêts de son maitre tellement compromis, que le chagrin, joint auxfatigues qu'il avaitendurées,le tua. Laligueallaitdéclinant de plus en plus : elle essaya encore d'écarter Henri IV, en nommant reine de France l'infante Isabelle,fille dePhilippe II; le sentimentnationalfitjustice decette combinaison. On proposa alors de donnerpourmari à Isabelle le duc Charles de Guise, fils de celui que Henri IIIavait fait assassiner.
Henri IV était à peine entré dans sa capitale (1594) que Jean Châtel, élève des jésuites, convaincu qu'on peut en conscience tuer un roi excommunié, ct qu'on ne doit rienà un prince non reconnu par le pape, altenta à la vie du monarque pour il le confessa mériter le pardon des sales péchés qu'il avait commis. Il fut exécuté, et les jé suites furent bannis de toute la France. Le père Guignard, qui avait hautement loué le meurtre de Henri III et conseillé celui de Henri IV, fut pendu : ses frères le sanctifiè rentà côté dujuste, de l'héroïque Jean Châtel. Finalement Henri fut absous à Rome, après qu'il eut reconnu qu'il n'avait pu l'être légitimement ailleurs (1595) ; ses ambassadeurs du Perron et d'Ossat abjurèrent l'hérésie en son nom , et reçurent publiquement pour lui quelques gaulades delamain du pape; le roi ne fut fouetté en personne que parle légat apostolique, et à huis clos.
nouveau roi ; lesaint-siége, de son côté,refusa de recevoir lesenvoyés que Henri avait chargés de négociersonentière réconciliation. Cette injustifiable rigueur exalta de plus en plus les esprits. Pierre Barrière, endoctriné par un capucin et deux prêtres, avait conçu le projet de tuer le roi; exhorté àmettre ce projet à exécution par le curé de Saint-André des-Arts et le père Varade, recteur des jésuites à Paris, il fut dénoncé par le père Bianchi, dominicain florentin, établi à Lyon, et périt sur l'échafaud.
A peine rentré au giron de l'église romaine, Henri IVrecueillit les bénéfices de sa conversion : il était depuis vingt-septansle mari trompéde Marguerite deValois,qu'il avait épousée sous les funestes auspices du massacre dela Saint-Barthélemi, et il venait de promettre sa main et la couronnede France à Gabrielle d'Estrées, sa maîtresse. Clément VIII lui accorda le divorce qui fut motivé le moins mal possible, quoique ce fût sans faire mention de la seule raison plausible, l'inconduite de la reine, et du véritablemobilequi faisait agir Henri, savoir, la fougue de ses pas
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Par l'édit de Nantes, le roi avait assuré aux calvinistes le libre exercice de leur culte et l'entière jouissance de leursdroitscivils. Aprèsavoirdécouvert et faitéchouerplus de cinquante conspirations tramées contre lui, il mourut, frappé par Ravaillac (1610) : cet assassin voulait, disait-il,empêcher le roi de faire la guerre au pape, « ce qui équi vautàcombattre Dieu même; car Dieu est le pape, puisque le pape est Dieu, »
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Henri IV qui, comme tout monarque, aurait voulu l'unité dereligion dans son royaume, condition essentiellede l'unitédepouvoir, avait eu la main forcée pour les conces sionsqu'il avait faites aux dissidents, ses anciens coreligion naires; il leur devait le trône, et, mécontents, ils auraient pu le troubler sérieusement dans la possession de la cou ronne. Plus libres sous ce rapport, les rois suivants furent aussi de moins en moins favorables aux huguenots. Ceux-ci seplaignirent souvent, notamment par l'organe de leurassemblée de Saumur (1611), de l'oppression que les ca tholiquesfaisaient peser sur eux, nonobstant les promesses qui avaient été faites et les traités qui avaient été conclus. L'édit de Nantes n'cn fut pas moins ratifié plusieurs fois(1622 et1626). Le cardinaldeRichelieu travailla constam ment à affaiblir les calvinistes qu'il haïssait comme parti politique, et à les maintenir comme hérétiques, seul moyen qui fût en son pouvoir et auquel il avait recours sans le moindre scrupule, pour résister aux jésuites et au pape. La religion était toujours le prétexte, et l'amour du pouvoir et de l'argent le motif réel qui faisait agir. La catholique Es pagne soutenait les réformés de France contrc Louis XIII et le cardinal de Richelieu, qui combattaient pour les pro testantsd'Allemagne,tout commele mêmecardinal,despote en France, préparait la victoire des républicains d'Angle terre. Avant de mourir, Richelieu avait voulu soustraire
sions(1600).Gabrielle étaitmortcsur lesentrefaites; Henri épousa Marie de Médicis.
Louis XIV touchait à l'époque de sa décadence lorsque les jésuites et madame de Maintenon cherchèrent à troubler sa conscience peu éclairée : pour racheter les péchés de sa jeunesse, disaient-ils, il devaitrévoquer le peudetolérance civiledontlesréformésjouissaient encore dansle royaume. Louisorganisad'abordlesdragonnades,missionsà coups de sabre,qui couvrirenttoutlepaysde carnage,d infamiesetdedeuil, et qui encombrèrent les galères de calvinistes arrêtés aux frontières au moment où ils cherchaient à sesoustraire à leurs bourreaux. On fit ensuite accroire au vieux roi que le calvinisme avait cessé d'exister en France, et il révoqua l'édit de Nantes (1685). Plusde six cents ministreset près d'un million de réformés, presque tous manufacturiers,transportèrent ailleurs l'industrie du royaume.
l'église gallicane à l'obéissancedu saint-siége, six ans après avoir invoqué tous les sophismes de la crédule ignorance lors du barbare procès d'Urbain Grandier.
Le cardinal deRichelieu fit proposerauministredusaintévangile, Amyraut, une transaction entre les deux cultes : les catholiques auraient fait bon marché des saints, du purgatoire et du mérite des bonnes auvres; le pouvoirdupape eût été fort limité et, s'il le fallait, aboli, et tous les fidèles auraient participé au calice, à la seule condition que les réforméseussent admis le dogme de la présence réelle. Amyraut refusa.
Vingt ans après, les calvinistes du midi de la France, convertis par la force, se rétractèrent et, sous le nom de camisards, prirent les armes (1705); on soumit, par la force encore, ceux qui n'avaient pas été tués surle champ de bataille. La tolérance, devenue une nécessité incontes table, était dans les m urs ; mais les lois contre l'hérésie,quoiqu'elles fussent désormais un anachronisme, n'étaientpas révoquées, et par intervalles elles donnaient lieu à quelque scène tragique sans motif ni résultat. L'étatcivil ne fut légalement rendu en France aux calvinistes qu'en
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1788. Nous ne ferons plus remarquer qu'une seule parti cularité que nous avons déjà constatée plusieurs fois : larévolution qui avait fait, de la tolérancecivile, unedes lois de laFrance nouvelle,avaiteu poureffet immédiat d'armerles uns contre les autres les catholiques et les réformésdu Midi; à la chute de Napoléon, les catholiques voulu renty reprendre leur ancienne prépondérance, et préludèrent par des menaces de cannibales au massacre de cent quatre-vingts calvinistes, qui eut lieu lors de la seconde restauration des Bourbons, dans le seul département du Gard. Cela se passait sous l'influence du ministère hérétique anglais, qui venait de relever le trône pontifical.
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La déclaration par l'Espagne de l'indépendance de sesprovinces sous lasouveraineté d'Albert,sécularisé et de venu le mari de l'infante Isabelle, ne changea rien aux choses quant aux Provinces-Unies. Maurice remporta une victoire signalée aux Dunes près de Nieuport (1600); puis il prit l'Écluse. Spinola, de son côté, enleva Ostende aux réformés, aprèstroisans de siége, pendantlesquels environ cent mille hommes avaient perdu la vie. Des ouvertures de paix furent faites enfin (1607) : la reconnaissance de l'indépendance perpétuelle des sept provinces en était la base; mais elles échouèrent parce que les lollandais ne voulurent,nirenoncer au commerce des Indes, ni accorder la libertédu culte catholique chez eux. Une trêve de douze ans fut conclueparl'intermédiaire dela France (1609),à la
Les troubles de religion nese prolongèrent aux Pays-Bas que peu de temps après la cessation de ceux de France parla publication de l'édit de Nantes. L'archiduc Ernest, quiavait succédé au duc de Parme dans le gouvernement des provinces catholiques, eut beaucoup de peine à tenir têteàMaurice de Nassau,dont les compatriotes allaient battreles Espagnols et les Portugais jusqu'aux Indes orientales et occidentales. Le comte de Fuentès (1594) et le cardinalAlbert d'Autriche ne furent pas plus heureux.
17CHRISTIANISXE . Il
La révolution française fit pénétrer la tolérance dansles lois des unes et des autres; avec l'érection du royaume Pays-Bas, la liberté des cultes passa dans le droit constitu tionnel même, et l'indépendance des provinces belges,qui suivit la révolution de 1830, fut la conséquence du besoin delaisseràchacun comme à tous la liberté des opinions,la liberté de croire, aussi bien que celle de nier, à une époque où il n'y a et ne saurait y avoirque des opinions, où il n'yaplusdefoisociale,etpointencoredevérité acceptéesocia lement. des
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seule condition de l'indépendance. En 1648, au traité de Munster, Philippe IV d'Espagne signa la paix : le calvi nisme, admis alorsaussi surle piedd'égalité en Allemagne avec le lutheranisme, demeura la religionde l'étatdansles Provinces-Unies; le catholicisme, dans les provinces espa gnoles ou autrichiennes.
Qu'est-cequ'un mystère? Roscelin deCompiègne. Abailard . Gilbertde la Porée . Éon. Les anabaptistes. Michel Servet . Calvin le faitbrûler.-Lesquasi-déistes de Vicence.
DIEU , UN OU PLUSIEURS .
CHAPITRE XXI.
$ Ier. LA SAINTE TRINITÉ.
Si les théologiens avaient voulu se rendre rationnelle mentcompte de laseule signification quepuissent avoir les motsopinion, dogmeetsurtoutmystère,ilsseseraient épar gné à eux-mêmes bien des discussions inutiles, n'auraient pointdonné lieu à d'inqualifiables hérésies et auraient dimi nué d'autantla somme des maux qui accablent l'humanité. Un mystère est toujours un fait admis sans preuve de sa réalité; c'est souvent un fait admis comme réel malgré les preuves de sonimpossibilité. Vouloir prouver un pareil fait c'estdonc, dans tousles cas, l'anéantir commemystère; car, puisque, dans l'hypothèse, les preuves manquent nécessai rement, les chercher comme étant indispensables, mène infailliblement à nier, non-seulement le mystère, mais en core le fait supposé mystérieux. La proposition : Deux et deuxfont quatre, n'est pas unmystère; c'est un raisonne
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Nous avons dit dans la première partie de ce Résumé, queSabellius, entre autres hérétiques de sonépoque,avait franchement nié le dogme de la Trinité pour n'admettre que celui de l'unité de Dieu, professé par les juifs etpar Jésus lui-même, le fondateur juif du christianisme. En outre, nous avons rapporté les longues querelles suscitées par les ariens qui attaquaient la triplicité de Dieu, mais plus indirectement, puisque leurs trois Dieux, étant dif
ment qui porte en quelque sorte sa démonstrationdans son énoncé: trois unités en égalent uneseuleestunmystère. Sion examine le fait, son absurdité se manifeste au premier coupd'ail et onle rejette. Il fallait donc l'admettrequoiqueabsurde, ou plutôt parce qu'on supposait que l'absurdeest plus rationnel que le rationnel même, c'est-à-dire qu'il ne faut pas le discuter, qu'il faut ne pas raisonner surce point. C'est ainsi que fit Calvin pour le dogme delaTrinitéconsubstantielle qu'il accepta. Il avait répudié le mystèrede la présence réelle, reçu comme article de foiparLuther, parce qu'il l'avait soumis à sa critique, et que, rationnellement, il avait trouvé que c'était un fait sans preuves pos sibles. Il eût été plus conséquent s'il avait accepté l'un etl'autre mystère, ou rejeté l'une et l'autre absurdité.
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Les catholiques condamnèrentCalvin, et c'étaittout sim ple; leur principe à eux est de ne rien examiner. Calvin condamnaServet, et ce n'est plus aussi logique. Puisqueles novateursavaientreconnu le droit de discussion, on ne voitpas d'après quel argument le réformateur picard pouvait prétendre qu'il avait été louable à lui de critiquer la pré sence réelle à laquelle les catholiques ajoutent foi, et que cette même critique devenait criminelle chez un autrenovateur, uniquement parce qu'il y soumettait la sainte Trinité, admise au même titre par Calvin que la transsubstantiation parles catholiques. Mais voyons au préalableles questions qui avaient été soulevées à ce sujet dans l'égliseavant que la grande réformation vint la troubler.
férents les uns des autres, faisaient nécessairement sup poser un seul Dieu suprême et deux demi-Dieux, ou anges, ou esprits, peu importe. Vers le xulº siècle, Roscelin de Compiègne, chef de la secte philosophiquc des nominaux, essaya aussi d établir une distinction entre les trois per sonnes, sans que cependant il y eût de différence, afin,disait-il, d'empêcher qu'on ne confondit ces trois personnes en uneseule; cequi auraitfaitquele PèreetleSaint-Espritcussent été incarnés avec le Fils. Roscelin fut condamné par le concile de Soissons et, hors de cette assemblée, par saint Anselme, archevêque de Cantorbéry, par saint IvesdeChartres, et même par le fameux Abailard, son propredisciple.
L'antagoniste le plus acharné d'Abailard était saint Ber nard, abbé de Clairvaux. Bernard sentait, sans peut-être s'en rendre bien compte, que le raisonnement mène infail liblement à la négation de la foi, et il poursuivait sans relâche quiconque s'avisait d'invoquer la discussion, fût-ce même au secoursde la croyance. Ilréussit à faire condam
Mais bientôt Abailard fut accusé lui-même d'avoir erré dans ses opinions sur la Trinité; il le fut surtout par ceux qui lui enviaient le bruit que son savoir, son amour et ses malheurs faisaient dans le monde : on le força de compa railre devant un autre concile de Soissons (1120), présidé par Conon, évêque de Preneste et légat romain en France. Sanspouvoir déterminer si le subtil théologien avait trop ou trop peu séparé les personnes divines, les pères réunis ne l'en condamnèrent pas moins à se rétracter et à faire pénitence dansune abbaye. La preuve que le concile était loin de se faire une idée nette de ce que cependant il vou laitimposer comme point de foi, se trouve dans l'exclama tion du légat président, qui se réjouissait de ce qu'on avait constaté la réalité de trois Tout-puissants, quoique saint Athanase, le champion de la Trinité consubstantielle, eût clairement ditqu'il n'y en a qu'un seul.
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Après Abailard vint Gilbert de la Porée, évêque de Poi tiers. Ses chicanes sur la Trinité eurent également saint Bernard pour dénonciateur. Le pape Eugène er présida le concile de Paris où elles furent examinées (1147). Comme du temps d'Abailard, la matière était aussi obscure pour lesjuges qu'ellel'était pourle prévenu; Gilbert fut renvoyé devant le concile de Reims (1148) présidé, comme celui de Paris, par le pape. La question y demeura en suspens, sur le point de savoir quelle est la différence entre la substance qui est Dieu et la substance par laquelle Dieu est.
ce nom
ner de nouveau Abailard au concile de Sens (1140), pour diverses opinions sur la personne de Jésus-Christ, la grâce et surtout la Trinité; Abailard en appela au saint-siége. Mais là aussi il rencontra saint Bernard : l'abbé de Clair vauxavait fortementprévenu Innocent II contresonadversaire, etle pape réprouva la doctrine d'Abailard, le déclara lui-même hérétique et lui imposa un silence perpétuel. Cette condamnation n'empêcha pas Pierre le Vénérable,abbé de Cluni, de prendre Abailard sous sa protection, et de manifester l'intention de le disculper. Abailard mourut en protestant contre les erreurs qui lui avaient été attri buées, disait-il, à tort. Son corps fut déposé au Paraclet, dont Héloïse, sa femme, était abbesse; Héloïse fut plus tard ensevelie dans le même monument.
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C'est à ce concile que fut traitéel'affaire d Éon est une abréviation d'Odon ou Eudes de l'Étoile, qui prétendait être le fils de Dieu, parce qu'on chantait à l'é glise, per eum qui venturus est (par celui qui doit ve nir, etc.), le moteum ayantdansla prononciation française le même son qu'Éon. Lespères déclarèrent fort sensément qu'il était plus fou qu'hérétique et le firentenfermer. Quoi qu'il en soit, saint Bernard allait enfin réussir à faire con damnerGilbertdelaPoréeparlesprélatsfrançais,lorsqueles cardinaux,italienspourlaplupart,firentdesreprésentations fortduresau souverainpontife, et on n'alla pasplusavant.
Jean Campanus, professeur de théologie luthérienne à Wittenberg (1530), mourut en prison à Clèves, parce qu'il avait attaqué la Trinité consubstantielle. Capiton, ministre zwinglien à Strasbourg, mort en 1541, ct Mathias Fran cowitz ou Flaccus Illyricus, doivent aussi être classésparmi les unitaires auxquels la réformation avaitdonné naissance. Mais aucun de ces sectaires ne se fit remarquer comme les antitrinitaires du Midi, naturellement plus ardents à faire prévaloir leur doctrine et à la propager au loin. L'es
Gaspard Schwenckfeld était unanabaptiste,mais qui avaitrenoncé aux brutalités dont généralement ses cosectaires se rendaientcoupables. Outre qu'il professaitleurs opinions ordinaires sur le baptême des enfants, le serment ct l'exer cice des magistratures, Schwenckfeld rejetait tous les sacre ments,niait la présence réelle, et faisaitduchrist un homme seulement, bien qu'il eût été l'aîné des enfantsde Dieu. Les schwenkfeldiens s'étaient fort multipliés en Moravie, cin quante ans environ après la mort de leur maître (1517); persécutés comme unitaires, ils furent forcés d'émigrer en Hongrie et en Transylvanie.
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L'activitédes esprits se portaaprès cela sur d'autres ques tions,jusqu'aumouvementque leur imprima la réformation générale. Tout retomba alors dans le domaine de la discus sion, puisque les novateurs déclaraient que l'examen illi mitéestledroit imprescriptibledechaquehomme; maisles plushardis d'entreceux qui l'exercèrent ne tardèrent pas à comprendre que les chefs du parti bornaient ce droit, qui dès lors n'en était plus un, à l'usage qu'ils en avaient fait eux-mêmes. L'anabaptiste morave, Louis Hetzer, par exem ple,quiprêchaitqueDieu le fils est moins puissantque Dieu lepère, futbrûlé à Constance (1529); il est vrai qu'il avait aussi rebaptisé les adultes et épousé treize femmes à la fois. Martin Cellarius fut plus heureux : converti du luthéra nisme à l'anabaptisme, il finit par embrasser l unitarisme, dans lequel il mourut sansêtre inquiété (1564).
Le plus célèbre de tous les adversaires du dogme catho lique de la sainte Trinité est un autre espagnol,le médecin Michel Renis, de Tarragone, plus connu sous le nom de Michel Servet. Il avait puisé le goût des discussions reli gieusesdans la société des savants du Nord, qu'il fréquen tait assidûment à la cour de François Ier. Dès 1523, Servet prêchait contre la Trinité, et dix ans après, ses opinions étaient en grande faveur en Allemagne. Ses principaux disciples sont Blandrata, Luc Sternberger, Grégoire Pauli, etc., etc.De Lyon oùil avait vécu tranquille, il passaà Vienne (Dauphiné); ayant voulu y faire réimprimer son livre de Trinitate, il fut mis en prison. Parvenu à s'échap per, il se réfugia à Genève. A peinc y fut-il, que Calvin s'empressa de saisir une occasion aussi favorable pour don ner une éclatante preuve de son orthodoxie réformée. Il fit arrêter Servet qu'il accusa d'hérésie, et ne négligea rien pour que les rigueurs de la détention le portassent à ré tracter son arianisme. N'ayant pu y parvenir, il le fit con damner à mort par les théologiens de Zurich, de Berne et de Schaffhouse,qu'il lui avait donnés pourjuges. Guillaume Farel entra alors en scène et fit un dernier effort sur l'esprit du prédicateur, mais en vain; Servet ne voulut à aucune condition consentir à reconnaître que Jésus-Christ fût égal au Dieu suprême, ni confesser la Trinité dans la substance divine. Calvin ordonna qu'on le brûlåt vil, le plus lentement possible, et tous les réformateurs du temps, Théodore deBèze, BullingeretmêmeledouxMélanchthon,applaudirent à ce supplice. Il n'y avait déjà plus de diffé
pagnolJeanValdès, converti àla communiondes sacramen taires, en même temps que Pierre Martyr, par Bucer et Théodore de Bèze, était allé dogmatiser à Naples, où il occupaitunehauteposition(1540). Il nepécha surledogme de la Trinité qu'en ne l'enseignant pas positivement; sa liaison avec Bernardin Ochini de Sienne, le fit néanmoins ranger au nombre des unitaires.
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197 le pape rence entreles novateurs et l'église romaine, si ce n'est que les premiers s'envoyaient au bûcher les uns les autres, tandis que le les y condamnait tous.
Pendant que ce triste drame se développait en Suisse, l'Italie, entrée elle aussi dans le mouvement réformateur, devançait de beaucoup les autres pays chrétiens par son ardeur à démolir les anciennes croyances, jusqu'à faire chanceler sur sa basele principe mêmede la foi. Parmi sesantitrinitaires, le plus célèbre fut Bernardin Ochini, d'a bord ami du pape Clément VII, puis capucin et deux fois général de son ordre (1538 et 1541), enfin converti à la réforme religieuse par Pierre Martyr et Valdès. A Genève, où il s'était retiré pour professer librement ses nouvelles opinions, Ochini ne se borna pas à des controverses contre l'égliseromaine;ilsoumitàl'examenles dogmes fondamen tauxdu culte chrétien, savoir, la Trinité, l'incarnation et la divinité de Jésus-Christ. Il cut le bonheur d'échapper au zèle sanguinaire de Calvin, et se réfugia en Angleterreavec Bucer et Pierre Martyr, ainsi que nous avons dit en par lant d'Édouard VI. Le supplice de l'anabaptiste George Parel, unitaire comme lui, le rendit prudent,et il fut banni aumêmetitre que trente mille autres réforméssousle règne de Maric la Catholique. Chassé de Zurich où il était allé exercerleministère évangélique, il se retira en dernierlieu en Pologne, et y mourut à Pinczow (1564), bon catholique, s'il en fautcroire ses anciensfrères les capucins. Mais ces efforts isolés n'étaient rien auprès de ce que tentèrent quarante Italiens réunis àVicence(1546),dans lebut avoué de simplifierle christianisme au point de le concilier celaleur paraissaitpossible -avec la raison,dont de nombreux et impénétrables mystères l'avaient jusque-làrendu l'irréconciliable ennemi. Les bulles despapes,à cetteépoque, nous font clairement voir qu'il ne s'agissait plus désormais dequelques points secondaires, maisbien de toutlesystème révélé. Paul IV avait excommunié les hérétiques
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qui niaient laTrinité telle que l'église l'avait faite, la divinité du christ et la virginité de sa mère (1555); saint Pie V (1568) et Clément VIII (1603) se virent obligés de confirmer cette sentence. Enfin Léon X, déjà au commen cement du xviº siècle, n'avait pas cru pouvoir se dispenser de dévoiler au monde chrétien qu'il y avait des fidèles qui rejetaient l'immortalité des âmes, ou, ce qui revenait au même, qui n'admettaient qu'une seule âme réelle et uni verselle : il les anathématisa par une bulle spéciale. Quoi qu'il en soit, les quarante réformateurs radicaux dont nous parlons élaborèrent en commun un symbole dans lequel ils déterminèrent nettement l'unité absolue deDieu, la mission de son verbe, la naissance de Jésus, fils de la Vierge etdu Saint-Esprit, son enseignement, sa mort pour les péchés des hommes,sa résurrection, et lajustifi cation des hommes parleursoumissionauchrist. LaTrinité et la divinité de Jésus furent reléguées parmi les opinions néoplatoniciennes, indifférentes au salut des chrétiens. Il n'en fallait pas tant pour que le gouvernement ombrageux de Venise, sur les terres de laquelle se tramait cette pro pagande, prît les mesures les plus vigoureuses et les plus promptes afin de la faire avorterdans son germe. Ses émissaires cependant ne parvinrent à arrêter que deux des réformateurs, savoir, Jules Trévisan et François Ruego; ils furent étranglés. Les autres échappèrent au supplice et se dispersèrent : ce sont Lélius Socin, Valentin Gentili, George Blandrata, Jean-Paul Alciati, Nicolas Paruta, Mat thieu Gribaldi,etc., etc. Us finirent la plupart par serend en Pologne, où, à côté du vieux catholicisme, les évangé liques, les sacramentaires et quelques antitrinitaires exer çaient en paix les cultes qu'ils avaient organisés.
Lelio Socini ou Socin était né à Sienne (1525) d'une fa mille distinguée. Signalé aux persécuteurs de toutes les secteschrétiennes pour la partqu'ilavaitprise aux réunions deVicence,ilvoyagealongtempsetsefixa enfinen Pologne; il y convertit à sa doctrine le cordelier Lismanin , confes scurde la reine Bonne Sforce, et qui, a lilié par Jean Trice sius, professait déjà la réforme évangélique. Socin n'avait pasosé prolonger son séjour enSuisse où sa négation de la Trinité consubstantielle, de l'incarnation, du péché origi nel, de la prédestination et de la divinité de Jésus-Christ,lui aurait immanquablement attiré l'animadversion de Cal vin. Il fut envoyé, comme chargé d'affairesde la Pologne etde l'empereur, auprès de la république de Venise etdu
L unitarisme est plutôt une opinion philosophique qu'undogmereligieux, pour les chrétiens bien entendu, qui, par leur tendance à prendre à la lettre le titre de fils de Dieu, attribué au christ, modifièrent essentiellement, dès l'ori gine, le principe monothéiste, base de la religion de leurs ancêtres, les Hébreux. Ce n'était pas moins absurde que l'arianisme, --- il n'y a, logiquement parlant, point de de grésdansl'absurdité, -mais c'étaitplus clairou dumoinsplus simple , et par conséquent fort peu fait pour devenir populaire.Aussi l'histoire du socinianismeest-elleengrandepartie celle des principaux sociniens. Voici quels furent les fondateurs et les chefs de la secte unitaire.
Lélius Socin . Gentili . Alciati . Lismanin. -- Autres unitaires. La Pologne arienne. L'unitarisme enTransylvanie.
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§ II. LE TRITHÉISME ET LE MONOTHÉISME.
Jean -Paul Alciati, toujours poursuivi et menacé, crra en Moravie et en Transylvanie et , en désespoir de cause, se sauva chezlesTurcs, pour pouvoirêtre chrétien à sa façon.
François Lismanin, de Corfou , fut chargé par le roi Sigismond-Auguste de parcourir l'Europe, afin de coniposer une espèce de christianisme éclectique avec ce qu'il trouverait de mieux dans chaque secte, et de l'adapterà la réformation religieuse de la Pologne. Ce projet n'eut point de suite, et Lismanin, persécuté, alla mourir à Kö nigsberg (1563).
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ducde Toscane(1558), et mourutà Zurich (1562), léguant à son neveu Fausto ses opinions et ses écrits. Gentili, de Cosenzá, qui avec Alciati avait accompagné Socindans sa mission diplomatique en Italie,étaittrithéiste, à la manière des anciens ariens, plutôt qu'unitaire. Persé cuté à Genèvé par les réformés, ses compatriotes, il passa en Pologne (1562). Le cardinal Commendon le força à la retraite, et il alla à Berne où il fut décapité (1566); il eut bien soin , en subissant son supplice, d'appeler l'attention sur cequ'il mouraiten l'honneurde Dieu le père exclusivement. Calvin avait préparé le même sort à l antitrinitaire Matthieu Gribaldi, dePadoue, lorsquecelui-cilui futenlevé par la peste.
Parmi les autres unitaires, nous nc nommerons queJacques Paléologue, George Schoman et André Duditz. Paléologue avait prononcé ses veux comme dominicain,simultanément avec Ghislieri, dans la suite saint Pie V :jeté dans les prisonsdu saint office, il en sortit lorsqueles Romainsforcèrentlesportes, à lamortde PaulIV. PieVneréussit point à le faire arrêter, quelque désir qu'il en eût; c'était une condainnation religicuse réservée à son successeur. Paléologue tomba entrelesmainsdeGrégoireXIIIquiallait le faire périrsur le bûcher, lorsque les jésuitesBellarminetMagiusparvinrent à leconvertirenfaisant brûlerdevant lui quelques prétendussorciers. Néanmoins, il ah
Enfin André Duditz,hongroisetévêque, d'abord deTrica, puisdeCinq-Églises, avaitété chargé de soutenir au concile deTrente lesdemandes del'empereuretdu ducdeBavière, relativement à la coupe pourles fidèles et au mariage pour les prêtres, et il s'était si bien acquitté de sa mission que ses arguments avaient ébranlé jusqu'au pape lui-même. L'évê. que Duditz se fit protestant (1565), et épousa une fille d'honneur de la reine de Pologne ; puis il remplit pour la courde Vienne plusieurs emplois importants. Dégoûté, en dernière analyse, des contradictions sans nombre et des disputescontinuelles qui divisaientles réformés,il se décida àne plusprofesserquela philosophieplatonicienne; ce qu'ilfitjusqu'àsa mort (1589).Mais il est temps de ne plus nous occuper que de la Pologne.
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L'unitarisme y avait été introduit avant le milieu du XVI° siècle, par un Belge appelé ou plutôt surnommé Esprit (probablement Adam Pastor). Son disciple le plus ardent fut Fricius Modavius. Sous Sigismond -Auguste, successeur de Sigismond Jer, Blandrata, Socin, Alciati, Ochini, Gentili et les autres unitaires exilés arrivèrent en Pologne : envertu de la liberté des cultes, ils eurent, dès l'origine, une église séparéeà Pinczow, ce qui excita les elameursdetoutes les autres sectes. Les réformés surtout tinrent différents synodes contre les antitrinitaires, et ceux-ci en célébrèrent pour établir leur doctrine (années 1555 et suivantes) ; il y eut aussi des conférences entre les uns et les autres pour chercher les moyens de concilier les deux partis. En 1560, on s'était déjà réuni dix-neuf fois; à la vingtième (1561), les unitaires manifestèrent ouvertement leursopinions, et
jura denouveau le catholicisme, et finalement expira danslesflammes (1585).
Le Silésien George Schoman, quoique unitaire prononcé, est plus connu par la rigidité de son anabaptisme. Lui même se fit rebaptiser à l'âge de quarante-deux ans et mou rut en 1591 .
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A les entendre, ces sectaires admettaient tous lesdogmes contenusdanslesymbole desapôtres,qui cependant,àleur avis, s'éloignait déjà un peu de la simplicité de l'évangile, mais beaucoup moins que celui de Nicée et surtout que celui de saint Athanase qu'ils appelaient de Satanas.
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blåmèrent lemanquede charitéde Calvinpourun desleurs (Blandrata),qu'il avaittraitéd'hérétiqueetd'impie.Lesym bole de Pinczow (1562) défendit aux unitaires de parlerde Trinité, de processions et de générations divines, à la manièredes philosophes.
Au synode de Mordas en Podlaquie (1563), ils allèrent plus loin; ilsdéfendirent de prêcherun Dieu en trois personnes, et par là fut rompue toute communion entre les réformés en général et les unitaires de Pologne. A cette occasion, on remarqua avec étonnementque, tant dans la petitePologne que dans la Lithuanie, la Russie, laPodolie, la Volhynie, la Prusse, la Moravie, laSilésie et la Transylvanic, lesgrandsdignitaires en généraletlesfonctionnaires d'un rang élevé s'étaient rangés au parti des antitrini taires. En Pologne seulement, les unitaires avaient des églises à Pinczow, à Racovie, à Luclawice (palatinat deCracovie), à Kiovie, à Lublin, etc., etc. Lors de la diète tenue à Pétricovie (Piotrkow), la séparation de la nouvelle secte d'avec les anciennes demeura définitivement tranchée (1565). Il y avait eu d'abord une conférence entre toutes les sectes, et, comme il était à prévoir, les unitaires n'yavaient point eu de peine à convaincre d'inconséquence lesluthériens, les calvinistes et autres réformés modérés. On admettait des deux côtés l'autorité de l'écriture sainte ; maislorsque les unitaires l'expliquaient dansleur sens, les partisans de la Trinité leur opposaient la tradition de l'é glise, les écrits des pères, les canons des conciles et leurs propres interprétations : or, si ce raisonnement avait été recevable, il eût d , prétendaient les unitaires, ramener tous les réformés sans exception au catholicisme et à l'in
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faillibilité du pape. Examinant par eux-mêmes, les anti trinitaires voulaient aussi juger par eux seuls entre les pèresdel'église d'avantet d'après leconcile de Nicée, entre lesévêquesariens et lesévèques consubstantialistes,entre le conciledeNicéeetceuxdeSirmiumetdeRimini,quis'étaient incontestablement contredits sur la substance du Verbe.
Les premiers réformés alors accablèrent leurs antago nistes des épithètes d'ébionites , pauliens , samosatiens, photiniens, ariens, théistes, trithéistes, etc., etc., et les unitaires répondirent en se vantant d'être les disciples deThéodote de Byzance, d Artémon, de Béryllus, évêque de Bostres , et de Paul de Samosate, pères de l'église , disaient-ils, non corrompue par le christo-platonisme. Les choses en étaient là lorsqu'il arriva aux antitrinitaires, comme à tous les sectaires qui les avaient précédés, de sediviser eux-mêmes sur le peu de dogmes dont ils avaient composéleursymbole : au synode deWengrovie, futagitée laquestionde savoir s'il fallaitadministrer le baptême auxenfants ou seulement aux adultes. On ne parvint pas à se mettre d'accord, et on ne conclut rien.
L'arianisme disparaissait peu à peu de la doctrine desunitaires : au lieud'une gradation entre les trois personnes divines, ils n'en admirent plus qu'une seule, savoir, Dieu indivisible, et le christ devint un homme ordinaire, né de la Vierge et de l'esprit saint. C'était l'opinion de LéliusSocin, que Fauste,son neveu, avait transmise à Sternberger qui la répandit en Pologne. Elle devint la base du socinia nisme. Mais avant que celui-ci fùt nettement déterminé, plus de trente subdivisions d'unitaires s'étaient assemblées à Scrina dans la petite Pologne (1567), pour décider si Jésus-Christ existait ou n'existait pas avant le monde : la discussion fut très-vive, et il se dessina trois partis tranchés dont l'un disait oui, l'autre non, le troisième ni oui ni non. Ils continuèrent à se tolérer réciproquement, du moins dans la vie pratique.
Jean-Sigismond mourut arien. Son successeur, Batori, était catholique; mais il respecta la liberté de toutes lesopinions religieuses : il se borna à admettre les jésuites pour élever la jeunesse. Devenu roi de Pologne, il laissa sa principauté à son frère Christophe, qui suivit ses traces. Sous le règne de celui-ci, François Davidis, surintendant des églisesantitrinitaires,detrithéistequ'il avait été jusque là, se fit monothéiste. Il soutint sa nouvelle opinion contre Blandrata au synode de Torda, en présence de trois cent vingt-deux ministres antitrinitaires (1578), et fut enfermé; Blandrata avait coopéré avec Fauste Socin à l'emprisonne ment de Davidis pour ce qu'ils appelaient le crime d'hété rodoxie. Dadivis mourut sans avoir recouvré la liberté. Pour ne plus avoir à revenir aux unitaires de Transyl
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En Transylvanie, l'unitarisme avait été efficacement re poussé, ainsi que touteautretentative de réformereligieuse, sous le cardinal George Martinucci, qui gouvernait cette province comme tuteur du prince Jean -Sigismond. Mais il arriva que Ferdinand, roi de Hongrie, soupçonnant le car dinal de s'entendre avec les Turcs pour régner en sonpropre nom , le fit assassiner (1551). Le saint-siégedéclara, par un jugement bizarre, que George Martinucci et le roi Ferdinand étaient également innocents de ce dont on les accusait; seulement les sicaires employés au meurtre du cardinal durent aller se faire absoudre à Rome. Dès ce mo ment la Transylvanie fut acquise à la réforme : Pétrowicz, successeur de Martinucci, donna pour médecin à Jean Sigismond le Piémontais George Blandrata. Celui-ci con vertitfacilement le prince à ses opinions unitariennes. Il y eut en Transylvanic des conférences entre les différentes branches des adversaires de l'église romaine, comme il yen avait eu en Pologne, ct, comme en Pologne, les antitrini taires l'emportèrent sans peine dans la discussion. Ces col loques eurent lieu une seconde fois et avec un résultat identique en 1568.
Avant de monter sur le trône de Pologne, Henri de Valois, duc d'Anjou, avaitjuré, à Parismême, un an après le massacre des huguenots à la Saint-Barthélemi, le main tien despacta conventa, c'est-à-dire dela liberté de culte la plus entière et la plus égale pour les hussites, les luthériens, les calvinistes, les anabaptistes ettoutes lesdivisions desunitaires. Sigismond III prêta le mêmeserment (1588). L unitarisme prospérait alors en Pologne : à Racovie, soncollége comptait jusqu'à mille élèves de toutes les nations et de toutes les croyances, et son imprimeric propageait au loin lesécrits dela secte. Dans cette ville, prit naissancel'opinion del'incompatibilitéde la qualité de chrétien avec 18,
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Union des antitrinitaires. -Malheurs de la secte. Sociniens remarqua bles en Pologne et en Transylvanie. Catherine II, sous prétexte dechàlier les catholiques intolérants, ravage la Pologne où elle introduitl'intolérance moscovite . Sociniens d'Allemagne et des Pays-Bas. Vicissitudes du socinianisme en Angleterre. - Le déisme.
vanie, nous dirons que, sous Sigismond Batori, successeurdeChristophe, le parti catholique, lesjésuites surtout, avait prisune telleprépondérance, que pour se prémunir contre leurs attaques, les antitrinitaires se crurent obligés de les prévenir. Démétrius, leur surintendant, fit en conséquence décréter parses fidèles assemblés à Mégiez, près de Clau senbourg (1588), le bannissement desjésuites. Les catho liques furent ainsi exclus de la tolérance que les antitri nitaires continuèrent à accorder aux réformés.
III. FAUSTE SOCIN .
Sur les entrefaites, Fauste Socin perdit, avec le grand duc son protecteur, la jouissance de ses biens en Italie.Tout entier dès lors à sa mission religieuse, il prêcha en tous lieux sa doctrine; son enseignement peut se résumerdans les points principaux suivants : un seul Dieu, dont leVerbe est la sagesse et le Saint-Esprit la puissance, qui a pour fils d'adoption Jésus-Christ, homme doué de qualitéssupérieures; plénitudedu librearbitre chez l'homme,dontpar conséquent Dieu ne peut en aucune sorte prévoir lesactes; du reste, ni péché originel, ni baptême considéré
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l'exercice d'aucune magistrature, opinion qui ne fut pas généralementadmise.C'estencescirconstances que Fauste Socin, arrivé en Pologne depuis 1579, prit sur lui de réduire l'antitrinita risme à l'unité de doctrine; ce qui lui réussit si bien qu'on donna depuis lors aux unitaires le nom de sociniens, qui leur est resté. Le grand duc Ferdinand de Médicis aimait Fauste Socin, au point de se faire lui-même l'administra teur des propriétés du novateur siennois, pendant son absence. Le prince désirait fort que Fauste retournât enToscane, où il lui promettait une liberté complète de conscience. Mais Socin s'était imposé un devoir qu'il tenait à remplir jusqu'au bout, malgré les obstacles qu'il rencon trait sur sa route. Il cut à s'opposer plusieurs fois à l'en thousiasme fanatique de François Pucci, qui plus tard, rentré au giron de l'église romaine, y trouva le bûcher qu'elle lui avait tenu en réserve; il se crut aussi obligé, comme nous avons vu, à faire, de commun accord avec Blandrata , emprisonner Davidis qui , selon eux, poussait trop loin les conséquences de l'unitarisme. Blandrata fut assassiné par son propre neveu, en punition, s'il en faut croire Socin, de ce qu'il s'était lié avec les jésuites pour plaire à Étienne Batori, leur protecteur, et si nous nousen rapportons auxréformés, à cause de sesblasphèmes contrela Trinité divine.
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comme indispensableau salut, ni eucharistie comme sacre ment, ni présence réelle d'aucune sorte, même figurée, ni peines éternelles après la mort, ni caractère particulier comme nécessaire à l'exercice du ministère ccclésiastique, ni besoin de recourirà l'ancien testament pour comprendre et interpréter le nouveau ; enfin défense de faire la guerre, de prêter serment et de desservir aucun emploi.
Fauste Socin discutait sans cesse, tantôt contre les réfor més, tantôt contre les unitaires qui ne pensaient pas comme lui; cela lui arriva nommément à Briscic (Brzesc) (1588), à Cracovie (1598) et à Luclawice où, après bien des peines et des humiliations de toute espèce, il opéra finalementl'union socinienne. Il assista aussi à plusieurs synodes, entre autres à Racovie (1601), avec Volkélius, les trois frères Lubieniecki et d'autres Polonais célèbres , et mourut en 1604.
Peu après, commencèrentles malheurs de la secte : Jean Tiscovicius,quis'était moquédu culte desimages,futbrûlé àVarsovie (1611), à la demande de la reine, et nonobstant les pacta conventa confirmés par le roi régnant Sigis mond III; les réformés qui oubliaient qu'ils avaient le même traitement à craindre de leurs mortels ennemis les catholiques, applaudirent hautement à cette exécution. En 1627, lessociniensfurentchassés de Lublin, pour avoir nié la Trinité; les jésuites prirent leur place. La diète de Varsovie (1638) fit fermer l'église de Racovie, raser le col lége etdétruire l'imprimerie, à cause des insultes faites par unenfantà uneimage sacrée.Peu à peu la persécution n'eut plus de bornes : toutes les églises sociniennes furent sup primées, et les sociniens morts sans avoir cru à la Trinité, c'est-à-dire sans avoir abjuré le socinianisme que les lois leur permettaient de professer, furent déclarés infâmes. En 1649, les Cosaques, qui forçaient lesjuifs à se faire bap tiser et les prêtres catholiques à épouser des religieuses, tuèrenten Polognc tous les sociniens qui leur tombèrent
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entre les mains. Six ans plus tard, les paysans polonais insurgés les traitèrent avec la même cruauté, pourobéiràleurs pasteursqui, depuis longtemps, leur en prêchaientla haine. Enfin en 1658, on accorda trois ans aux unitairespour sefaire calvinistes, luthériens ou catholiques, oupour sortir du royaume sans espoir d'y rentrer jamais.
C'était dur, mais les dévots crurent que ce ne l'étaitpasencore assez : les trois années de répit furent trois années de vexations et de souffrances. André Wissowats (Visso vaty), petit-fils de Socin par sa mère, s'était retiré à Cra covie après l'arrêt de 1658, et la conférencede Roznowoù il avait victorieusement soutenu les opinions de sa sectecontre celles des réformés et celles des catholiques, de l'aveu même de ces derniers. Chassé partout, Wissowats s'arrêta enfin à Amsterdam(1666) etypublia laBibliothèque desfrèrespolonais; il mourut douze ans après. Le dernierasile légal des sociniens fut la Transylvanie, où ils se per pétuèrent, malgré l'influence que les jésuites y avaient acquise (1595).
Nous continuons à dire quelques mots des sociniensles plus remarquables; comme pour l'antitrinitarisme en gé néral, l'histoire plus philosophique que religieuse du soci nianisme se trouve tout entière dans celle des hommes émi nents qui s'y sont affiliés. Sous les règnes de Batori etde SigismondIII,ceuxqui sedistinguèrentle plus sontÉrasme Otphinovius ou Otvinovius, mort en 1608, les frères Lu bienieckietChristopheOstorodus, deGoslaren Saxe,lequel envoyé par son église en Hollande avec Voidovius, en fut expulsé, tandis qu on brûlait ses écrits comme sentant le mahométisme. Jean Volkelius fit imprimer à Amsterdam (1642) son livre De vera religione, qui fut également con damné aux flammes.Valentin Smalcius publia lecatéchismede Racovie. Jean Crellius, de Franconie, exaspéré par les persécutions que lui faisaient subir ses coreligionnaires lesluthériens, qui le soupçonnaient de calvinisme, se fit soci
nien en Pologne (1612), et mourut en 1633; ses écrits font partie de la Bibliothèque des frères.Pendant les règnes suivants (Ladislas VII et Jean Casimir),onremarqueMartin Ruar qui résista à toutes les ten tatives du célèbre théologien luthérien Calixte pour le convertir, lorsdu colloquedeThorn, etJean Schlichtingius qui assistait avec lui à ce colloque où fut vainement pro poséeune réunion de toutes les sectes qui s'étaientdivisées sur le même terrain de la réforme. Persécuté en Pologne pourla hardiesse de sesopinions, Schlichtingius mourut lamême année que Ruar (1657), à Zelechow (Marche de Brandebourg). Il y a, en outre, Wolzogénius et Samuel Przipcovius dont on lit les æuvres dans la Bibliothèque polonaise. Le dernier n'étaitpasd'accord avec Fauste Socin sur l'exercice des magistratures et des armes que Przipco vius croyait permis; il enseignait aussi que les réprouvés meurent, âme et corps. Enfin on trouve Stanislas Lubic niecki. Il estl'auteur de l'Histoirede la réforme des églises polonaises, terminée par le récit des dernières cruautés exercées sur les unitaires, et par la lettre desexilés de Pologne pouropinions religieuses, adresséeà tous les amis de l'humanité. Il mourut en 1675.
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L'intolérance sans laquelle il n'y a pointdecatholicisme, mais qui n'était plus possible comme principe social, four nit un prétexte spécieux à l'ambitieuse Catherine II pour intervenir dans les affaires de la Pologne (1767), où la czarine pouvait se donner les apparences de ne pour suivre qu'un intérêt de justice et de raison. Pour punir le nonce et les évêques qui s'opposaient à la liberté de conscience, lesRusses tuèrent près de deux cent mille Polonais et brûlèrent le pays. Cette expédition philosophique se terminapar des dragonnades en faveur du rit grec, dont Catherine, intoléranteà sa façon et dans son intérêt à elle, voulait faire le culte unique. Cet état de choses ne fut changéqu undemi-siècle plustard parla chartequ octroya
Quoique moins persécutés auxProvinces-Unies que par toutailleurs, les unitairesy subissaientcependant,detemps à autre, la sévérité des lois. Nous nommerons Adam Pastor qui fut condamné à mort (1546) pour avoir soutenu contre les mennonites que Jésus-Christ existait avant le monde, mais non pas de toute éternité. L'arien Herman Van Vleckwyck fut brûlé à Bruges (1569) parce qu'il ne s'était pas laissé convertir par le flagellant Broer Cornelis (Cor neille Adriaensen). Les choses continuèrent ainsi en Hol lande pendant environ cent ans : malgré quelques scènes tragiques, les unitaires s'y multiplièrenten secret, assistant publiquementaux réunions religieuses des anabaptistes, des mennonites et des arminiens, dont nous parlerons bientôt, et qui tous les admettaientà leurcommunion. Cela fit soupconner les arminiens de socinianisme, comme on en soup connait alors tous ceux qui toléraient les antitrinitaires,nommémentlefiguristeJeanCock ouCocceius qui,àl'opposé de Voétius (Voct) l antifiguriste, expliquait toute la bible
l'empereur Alexandre, et qui consacra l'égalité de tous les cultes devant la loi (1815), et par le concordat conclu entre ce prince et Pie VII ( 1818). Concordat ct constitution de vaient également être une lettre morte aux mains du plus fort.Alexandregouverna ses catholiquescomme sesRusses; Nicolas tortura jusqu'à des vicillards et des femmes catho liques selon le rit orthodoxe romain, en l'honneur et au profit de l'orthodoxie grecque et de sa papauté moscovite. Nous revenons sur nos pas pourpasser en revue les uni taires qui se sont signalés ailleurs qu'en Pologne eten Tran sylvanie : en Allemagne, les réformés arianisant, ceux sur. tout qui avaient la hardiesse d'émettre leurs opinions antitrinitaires, étaient formellement exceptés de la tolé rance avec laquelle l'empereur Maximilien traitait loutesles communions, et cela, était-il dit, parce que leur doctrinc, trop peu différente de celle des musulmans, préparait la conquête de l'empire d'Occident par les Turcs.
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par des allégories; Episcopius que nous retrouverons plusloin; Conrad Vorstius; leGénevois Étienne Courcelles,qui succéda à Episcopius à Amsterdam ; le mennonite Camp huysius; Hugues Grotius; l arien Christophe Sandius; jusqu'aux jésuites Maldonat et Pétau, et enfin le célèbre antagoniste de Bayle, Jean le Clerc.
Sous Cromwell tout cela changea complétement : les ana baptistes, les trembleurs, les niveleurs, les indépendants et les ariens, protégés à leur tour, s'établirent ouvertement à côté de l'église anglicane et des églises réformées, publiè rentleurscatéchismes, et firentdel'Angleterrelamétropole du socinianisme. Les trembleurs ou quakers, aussi appelés les amis, étaient disciples de Fox et furent principalement remarqués : ils présentèrent au roi Charles II, trente-cinq ans après la naissance de leur secte (1675), une apologie de leurdoctrine; clle se résume en deux points : aucun dogme positif, ni sacerdoce, ni culte, et la tolérance la plus illi
L'Angleterre avait, dans l'origine (1535), accueilli les unitaires aussi bienque lesautres dissidents de l'église ro maine; elle les répudia ensuite, de peur d'effaroucher les esprits timides par la crudité de leur doctrine, et de com promettre ainsi l'ouvre entière de la réformation. Pour ne pas tomber dans les cas prévus par la loi pénale, la plupart desantitrinitairesanabaptistes se conformaient aux rites des sacramentaires, saufpourle baptême des enfants;lesautres se firent franchement unitaires. Bernardin Ochini con firmaces derniers dans leurrésolution(1547). L'archevêque Cranmer en fit brûler un grand nombre, sous ÉdouardVI(1549). La reine Marie fit de même. Élisabeth les bannit à perpétuité (1560), avec Nicolaï, disciple de Christophe Viret, et chefde la famille d'amour. Vingt ans après, elle confondit avec eux les enthousiastes, les libertins el les brownistes. Jacques Jer suivit cet exemple et fit sevir con tre plusieurs hommes éminents, soit par leur position, soit parleur savoir.
En Allemagne, le culte resta; maisles dogmes perdirent peu à peu de leur importance. L'exégèse, qui y était ce que le rationalismeétaiten Angleterre, réduisit le christianisme à la morale de Jésus, qu'il était du reste permis de re garder comme révélée parce qu'elle était raisonnable, ou commeraisonnableparce qu'elle avaitété révélée. LaPrusse voulut s'opposer aux progrès de l'exégèse (1787), mais elle que hâter la ruine de la vieille réforme.
mitée. Celle qu'ils mettaient en pratique envers les antitrinitaires empêcha que les whigs n'obtinssent pour euxla liberté qu'ils réclamaient(1660); clle leur fut accordée seu lement sousGuillaume IIIparleparlement,àlasuited'unediscussion où la sainte Trinité et la divinité de Jésus-Christ n'avaient été conservées qu'à la majorité d'une voix.
La liste desréformateursreligieux devait nécessairement se clore par les latitudinaires, comme on les appela, et les rationalistes, c'est-à-dire par les philosophes, douteurs plus ou moins absolus, et indifférents. L'évangilemisànu, de Bury; le Christianisme primitif, de Whiston; les écritsde Clarke, de Chubb, etc., surtout le Christianisme raison nable, deLocke, et presquedenosjoursledocteurPriestley, signalèrentcette phase du développement de l'intelligence. Herbert, comte de Sherbury, Shaftesbury, Bolingbrokeet Hume, avaient précédé en Angleterre Bayle, Montesquieu, Voltaire et Rousseau en France ou plutôt en Europe. Les encyclopédistes ayant taxé les réformés de Genève de so cinianisme, les pasteurs protestèrent de leur orthodoxie calviniste (1758) ; mais ils ne convainquirent personne. Soixante ansplustard, ilsrejetérent formellement la divi nité de Jésus-Christ qui ne fut plus professée que par les mômiers.
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C'estainsique lalibrediscussion,enl'absence d'un prin cipeaccepté pourluiservirdebut,deguideetdecontrôle,setrouvaitauboutdelacarrièrequi mènedelacroyanceaveu gleaudoutesansbornes.Lesévénementsquiavaientsignalé ne fit
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Un mot maintenant surledéisme : cette croyance tenait le justemilieu entre la foià la révélation chrétienne etle scep ticisme philosophique absolu. Après la révolution de 1789, il eut en France ses temples, ses autels et ses prêtres, souslenombarbare dethéophilanthropie; son grand prêtreétaitun des cinq directeurs, Laréveillère-Lépcaux (1796). En saqualité d'opinion, le déisme devait nécessairement vouloir dominer lorsqu'il était le plus fort, comme il avait réclamé la liberté à côté d'opinions plus puissantes quand il étaitencore faible. Il fut donc aussi persécuteur que l'avaientététoutes les sectes chrétiennes triomphantes. La querelle entre les théophilanthropes et les catholiques sur la ques tion de savoir s'il fallait célébrer le décadi plutôt que le dimanche, ouviceversá, fit proscriredesmilliers deprêtresdelacommunion romaine. Leconcile deBourges condamnala théophilanthropic; Bonaparte la fit disparaître du sol dela république : le dictateur avait besoin de relever les vieilles idoles pour se faire adorer au même titre et à côté d'elles.
cettecourse folle, et qui forment l'histoire des différentessectes réformées, y avaient été autant de temps d'arrel, marqués par de vaines formules de croyance, plus ou moins bardics, - comme aujourd'hui les protestants politiques marquent leurs haltes par d'inutiles programmes, plus on moins radicaux, qui s'entre-détruisaient et se suivaient sans laisser de traces appréciables. La vérité seule, non pas seulement incontestée , mais incontestable, mettra fin au vagabondage du doute actuel qui n'est que la conséquencedel'ignoranceet de la foi de nos aïeux.
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L'Angleterre avait également, mais longtemps avant laFrance, professé le culte du déisme ; elle avait eu le bon esprit d'y renoncer depuis plus de vingt ans, lorsque lathéophilanthropie tomba devant le ridicule etdans le mé pris.
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Nous avons terminé l'histoire despapes au xvie siècle par une usurpation, celle de Ferrare sur la maison d'Este par Clément VIII; nous commençons l'histoire ecclésiastique du xviie siècle par un acte d'abus de pouvoir commis par le même pontife au détriment des Vénitiens. Voicide quoi il s'agissait : un moine de Saint-Augustin, après avoir faitviolence à unejeune filledeonze ans, l'avait assassinée;la république le punitde mort. En outre, elle retenait enpri son ScipionSaraceno,chanoine de Vicence, coupabled'avoir cruellement outragé une de ses parentes qui avait résisté à ses honteuses sollicitations, en inchiostrant (noircissant d'encre)la porte de sa maison,ainsi que le comteBrandolinoValdemarino, abbé de Nervesa, incestueux, meurtrier, empoisonneur, voleur de grandchemin , etc., etc. Paul V,zélé défenseur des immunités du clergé, voulait les Vénitiens livrassent les détenus au nonceMattei, et quela républiquerévoquátleslois parlesquelleselleavaitrestreint que
Styledes
LE XVIIE SIÈCLE.
Excommunication effroyable des Vénitiens.-- LaFrance répudie les prétentions des papes à l'omnipotence. L'orthodoxie russe etl'orthodoxie romaine . Mariages et divorces du duc de Lorraine. La guerrede trente ans . Innocent X confisque Castro et Ronciglione. bulles pontificales. Doctrine obligée du saint-siége. Déclaration du clergé de France. Louis XIV brave le pape dans Rome même. - || renonce auxlibertés de l'église gallicane.
CHAPITRE XXII.
215 pape sentit chezelle l'exercicedel'omnipotencepontificale.Nepouvantrien obtenir, il lança (1606) une bulle effroyable d'excom munication contre les magistrats de la république et d'in terditcontreVenise et ses états de terre ferme. Les Vénitiens protestèrent, déclarèrent les sentences pontificales nulles de plein droit, etordonnèrent au clergé de n'y avoir aucunégard, sous peine de la vie; les jésuites seuls, les théatinsetlescapucins s'expatrièrent pour ne pas obéir. Venise en appela à l'Europe : elle fit exposer l'état de la question par le sénateur Quirino et par Paul Sarpi (Fra Paolo), frère servite et l'historien du concile de Trente. Le que le momentétait venu où lui-même, comme toutlemondedésormais,tombaitsous lajuridictiondel'opi nion publique, etil chargea d'écrirepourdéfendresa cause lescardinaux Baronius,l annaliste de l'église, etBellarmin.On allait recourir aux armes (1617) lorsque les puissances catholiques, s'étant constituées médiatrices, firent signerla paix. Le chanoine et l'abbé , sujets de la querelle, furent consignésparla république au cardinal de Joyeuse, ambas sadeur de Henri IV, qui les remit aux commissaires du pape, et accorda à la seigneurie l'absolution des censures. Paul Sarpi fut la seule victime de ce honteux conflit. Le pape Paul ou le cardinal Borghèse, son neveu, tentèrent de le faire assassiner : il reçut environ vingt coups de stylet, dontheureusementaucun n'était mortel.
Les suites de cette affaire furent la sévérité avec laquelle le parlement de France crut devoir traiter les écrits où le pouvoir des pontifes romains était exalté au-dessus de celui des rois; il condamna en conséquence (1610) à être brûlé par la main du bourreau le livre du jésuite Mariana : De rege et regis institutione, ainsi que celui que le cardinal Bellarmin avait publié contre Barclai, peu après le meurtre deHenri IV : ce qu'il y avait de remarquable cn ceci, c'est que Bellarmin, coupable aux yeux des rois pour les avoir soumis à la puissance temporelle des papes, avait déjà été
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Avantdepasserà unautrerègne,nousrapporteronscequi
attribuédéclarécoupableparlesaint-siége(Sixte-Quint),pourn'avoirauxpapesquunepuissancetemporelleindirecte sur les rois. Le parlement sévit également contre le jésuite Santarelli , auteur d'un traité intitulé : De l'hérésie, du schisme, de l'apostasie, etc., approuvé par Vitelleschi, songénéral, où il avait prétendu que les papes ontle droit de déposerles rois et de les punir, et contrelejésuite espagnol Suarez, qui, dans sa Défense dela foi catholique et apostolique contre les erreurs de la secte d'Angleterre, avait sou tenu qu'il est permis, qu'il est mêmeméritoire, de tuer les rois tyrans ou hérétiques. Paul V, qui lui-même avait ré prouvé ces principes (1613 et 1615), et condamné le jésuite Bécan et d'autres théologiens qui les professaient, déclara maintenant que les sentences qui les frappaient étaient attentatoires à son autorité. En1621, Paul V mourut. Nous avons déjà fait mention des efforts tentés par les Slaves de Pologne pour réunir sous leurs lois lesmembres épars de leur race, qui aurait de cette manière été con quise à la civilisation européenne, au lieu de servir plus tard à empêcher cettecivilisation de pénétrer dans leNord, etnous avons montré qu'ils avaient échoué par la faute dusaint-siége, alors occupé par Grégoire XIII. Une nouvelle occasion se présenta sous Paul V, et elle fut perdue par le même motif. Sigismond III, ayant vaincu les usurpateurs du trône en Russie, reçut l'offre de la couronne pour son fils Wladislas(1610). Le catholicisme romain et lesjésuites furent des obstacles insurmontables à la réussite de cette combinaison. Les catholiques repoussaient toute idée de tolérance pour le culte grec ; les Russes, de leur côté, ne voulaient ni de la dominationdes jésuites, ni de la prépon dérance de la cour pontificale : les Romanoff montèrentsur le trône de Russie, d'où ils ont écrasé la Pologne, et opposent encore aujourd'hui leur orthodoxic russe à l'orthodoxie de l'Occident.
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concerne les mariages etles divorces deCharles IV de Lor raine.Leduc régnantHenri, sononcle,enlui faisant épouserNicole, sa filleet son héritière, lui avaitdonnépourdotles droits de prince héréditaire. Le mariage de Charles avec sa cousine germaine fut célébré (1621) par un carme , lepère Dominique, malgré les réclamations de l'évêque de Toul, qui objectait le défaut de dispenses pontificales. Ces dispenses ne furent demandées qu'après l'acte qu'elles étaient appelées à régulariser; néanmoins, Paul V les accorda. Mais à peine monté sur le trône, le nouveau duc sedébarrassa de sa femme qui se retira en France. Lui-même dutbientôt se réfugierchezles Espagnols,dansla FrancheComté, pour laisserRichelieu piller en liberté etravager laLorraine, dont il faisait massacrer les habitants sans pitié, parce que leur maître avait embrassé la cause des catholi quesetdu pape contre les protestants d'Allemagne que lui,cardinal ministre, protégeait. Charles IV, comme s'il était dégagé deses premiers liens, demanda en mariage BéatrixdeCusannes,veuvedu princedeCantecroix,qu'ilavait connueà Besançon; mais elleexigea, pouryconsentir, qu'il fitavant tout casserson union avecNicole. Le pèreCheminot,jésuite, le seconda dans cette nouvelle passion et promit delever les obstacles qui s'opposaientaux désirsdu duc.
Là-dessus on n'attendit pas plus la permission de Rome pour conclure qu'on n'avait fait la première fois, espérant probablement rencontrer après coup la même facilité. Lemariage eut donc lieu (1637), et Cheminot alla demanderau pape de le ratifier. Le cardinal de Richelieu, qui avait cependant fort bien accueilli laduchesseNicole, offritd'appuyerlesnégociationsdujésuite,etparconséquentde favoriser la duchesse Béatrix, sa rivale , si Charles renonçait à sonalliance avec l'Espagne. Le cardinal infant d'Espagne etl'archevêque de Malines ne négligèrent rien de leur côtépour faire que le duc se séparâtde Béatrixet se soumît aupape. La duchesse Nicole aussi,pressée par Richelieu, sol
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Innocent X, sur les entrefaites, proclama la canonicité du mariage de Nicole, et le tribunal de la Rote annula le mariage de Béatrix (1655) ; ce qui n'empêcha pas Anne d'Autriche de demander pour le roi Louis XIV la fille de cette mêmc Béatrix dont elle se chargeait de faire légitimer l union avec le duc Charles, qui de son côté contracterait l'obligation de passer du parti des Espagnols au parti des Français. Ces menées, qui n'avaient de religieux que le prétexte, finirent par rendre le duc de Lorraine suspect en Espagne où il fut envoyé comme prisonnier. Nicole alors demanda vivement la liberté de son mari, qui la déclara régente de ses états pendant son absence. Bientôt après, Nicole mourut (1657).
C'était au tour de Béatrix à réclamer ses droits; mais Charles la repoussa à cause de la légèreté de sa conduite, nommémentdans ses relations avec Charles II d'Angleterre .et le prince Radziwill. Le duc venait de céder la Lorraine à Louis XIV (1662). Devenu de cette manière entièrement libre, il se livra sans partage aux amours qui jusqu'alors avaient été sa principale affaire ; il demanda en mariage la fille d'un apothicaire parisien, que le roi fit enfermer dans un couvent, puis celle d'un maitre d'hôtel, qu'on déroba également à ses poursuites, finalement une jeune chanoi nesse, mademoiselle de Ludre. Béatrix, qui ne selassaitpas de former opposition à toute union qui mettait la sienne en péril, tomba malade, et Charles consentit à l'épouser de nouveau, à conditiontoutefois qu'elle mourraitaprèsla
licitala rupturedu secondmariage de CharlesdeLorraine, et l'obtint d'Urbain VIII , qui excommunia le duc (1642). Charles en appela comme d'abus, mais cependantse sépara de corps de Béatrix;puis il la reprit, son confesseur lui ayant ordonné, sous peine de péché mortel, de vivre en mari avec sa seconde femme. Leducn'en promitpas moinsà Nicole de revenir à elle, pourvu qu'elle quittât la France et rompît toute relation avec cette cour.
Mais le duc n'était pas encore au bout de sa carrière galante : déjà il avait fait des avances à la fille d'un ban quier lorrain, lorsqu'il épousa, dans sa soixante-deuxième année, et malgré l'opposition de mademoiselle de Ludre, sa fiancée, Louise-Marguerite d Apremont, qui navait que treize ans (1665). Charles IV mourut en 1675. Nous revc nons aux affaires d'Italie.
L'année suivante est mémorable par la condamnation deGalilée, dont le saint office ne permettait pas encore, il y trenteans, d'enseigner le système astronomique, si ce n'est historiquement. Le népotisme d'Urbain passa toutes les bornes, comme avait fait celui de Paul V. Il souleva des plaintes générales, auxquelles le pape répondit en ren voyant à leurs résidences, en vertu des décrets du concile de Trente, les prélats, même revêtus de la pourpre, dontl'opposition le gênait.
A Paul VBorghèse succéda Urbain VIII Barberini. L'em pire était gravement menacé, ce qui ne déplaisait point au nouv au pontife, et toute la catholicité était compromisepar la guerre de trente ans, ce dont il ne se souciait en aucune manière. Il y eut à cette occasion une altercation fort vive entre Urbain et ses cardinaux, dont l'un d'eux, Borgia, ministre d'Espagne, traita le pape avec beaucoup de dureté, et ensuite en vint presque aux mains, en plein consistoire, avec le capucin cardinal Barberini, qui voulait l'en faire sortir (1632).
Il témoigna tout aussitôt le peu de cas qu'il faisait de leurs remontrances en s'occupant du soin de créer pourses neveux une souveraineté temporelle. A l'exemple de sesprédécesseurs, ilyprocéda par la spoliation d'un princeitalien. Il excommunia en conséquence Édouard Farnèse, duc de Parme (1642), le déclara déchu de tous ses droits
cérémonie. Le saint-siége laissa indécise la question de savoirs'il approuvait ounon ce mariage, simpleratificationd'un mariage précédent qu'il avait condamné.
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A la mort d'Urbain VIII, le cardinal Panfili ne parvintå se faire élire qu'après en avoir obtenu la permission ex presse de la cour de France; il occupa la chaire de saint Pierre sous le nom d'Innocent X. Innocent désirait ar demment détruire la preuve écrite de cette permission; maiselle se trouvaitentre les mains desBarberini qui refu saient de s'en dessaisir. Le pape les persécuta avec achar nement. Dominé par sa belle-sur, dona Olimpia Malda chini, qui aimait l'argent avant tout, il confisquales biensdu cardinal Antoine et lui fit entrevoirla perte du chapeau; Antoine Barberini et son frère, le cardinal François, se retirèrent en France où ils furentfort bien accueillis (1646), et réservés pour la première occasion favorable où on pour rait les rendreutiles aux projets de lacour. Innocentlança alors contre eux les foudres de l'église que le cardinalMazarin, ennemi du pape parce que celui-ci avait refusé lapourpre à son frère l'archevêque d'Aix, fit déclarer nulles et de nulle valeur.
et le condamnad'avance à payer les frais déjà faits etceuxencore à faire pour le dépouiller. Le duc se moqua des foudres pontificales, et chassa de ses états les prêtres etlesmoines qui avaient l'air de vouloir les prendre au sérieux, Les Barberini étaient riches d'un revenu de quatre cent mille écus romains (2,150,000 francs); ils firent la guerre au duc de Parme et à ses alliés, savoir, les Vénitiens, le grand-duc de Toscano et le duc de Modènc , que le pape necessaitde menacerdetousles embarras auxquelslesaint siége pouvait encore à cette époqueassujétir les souverains.
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Nous aurons beaucoup à parler d'Innocent Xà l'occasion du jansenisme. Il ne nous reste plus qu'à faire mention de l'incamération(l'incorporationaux domaines de l'église)du duché de Castro et du territoire de Ronciglione, enlevés pour dettes auduc de Parme; mesurequi causa tant d'em barras et valut tant d'humiliations aux pontifes suivants. Disons encoreque, sous le règne qui venaitdefinir,le
Piquéden'avoirpas été admis auxnégociationsdu traité des Pyrénées entre la France et l'Espagne, qui s'étaient engagées à faire rendre aux maisons de Farnèse et d'Este les territoires qui leur avaient été enlevés, Alexandre dé créta solennellement l'incamération dont nous avons parlé (1660). Il n'était cependant que trop en butte déjà à la co lère de Louis XIV qui, en despote qu'il était, voulait, contre toute raison, maintenir les franchises dont avaient jusqu'a lors joui ses ambassadeurs à Rome, et que le pape avait abolies comme étant des occasions incessantes de désordres etdecrimes. Malheureusement, un coup de tête des Corses dela garde pontificale, qui attaquèrent le duc de Créqui, représentant du roi de France, et tuèrent un page à laportière du carrosse de sa femme (1662), compliqua singulièrement la situation par le refus obstiné que fit le pape d'accorder la moindre satisfaction pour cet attentat. Louis s'empara d'Avignon, renvoya le nonce d'Alexandre, et se prépara à marcher sur Rome.
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Le pape dut céder : par le traité de Pise (1664) il con sentit à désincamérer Castro et Ronciglione, qui seraient rendus au duc Farnèse aussitôtqu'il aurait payé ses dettes. Enoutre,Alexandredésavoua l'affairedesCorses,qui furent déclarés inhabiles à jamais à servir l'église, et il confessa
prédicateur du pape, le père Oliva, général desjésuites,insistait d'ordinaire dans ses sermons, et avant toute autre ehose, sur le devoir des prêtres de se résigner à être riches etpuissants, afin, ce sont les expressions de l'orateur sacré qui aimait à puiser ses comparaisons dans le Cantique des cantiques, de ne pas se présenter aux fidèles comme les amazones qui n'avaient à montrer qu'une seule des deux sources où les enfants puisent la nourriture et la vie; le prélat catholique doit pouvoirétaler les deuxsources com plètes, et gonflées de titres, de dignités, d'honneurs, de pouvoir, de prérogatives, de suprématie et d'or. Passons à Alexandre VII.
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« humblement etsincèrement que, si lui-même ou quelques uns de sa famille y avaient eu la moindre part, il serait indigne de pardon. » La sincérité d'Alexandre VII était, de son temps même, plus que problématique; le marquis Ric cardi, ambassadeur toscan à Rome, écrivait à sa cour : « Nous avons un pape qui ne dit jamais un mot devrai.» Alexandre, six joursaprès le traité de Pise, signaunepro testation secrète contre ce qu'il avait fait « dans la crainte des armes et des violences de sa majesté très-chrétienne, déclarantqu'il n'avait pas eu la moindre intention, ni d'ac corder à la France les satisfactions qu'il s'était vu forcé de donner et qu'il annulait, ni de restituer Castro et Ron ciglione, dont l'incamération devait sortir son plein effet, « nonobstant les usages, styles, lois, décrets, institutions apostoliques, statuts, etc., etc., y contraires. »
A cette occasion, nous ferons remarquer l'exagération des formules dont se servaient les papes dans leurs bulles,et qui croissaient en arbitraire, à mesure que leur pouvoirréel était plus contesté. La phrase de notre pleinpouvoirn'avait paru aujour qu'après le vn siècle de l'ère chrétienne; elle devint habituelle depuis Innocent IV. Cellenonobstant, etc., fut employée pour la première fois en 1216.; elle le fut aussi par Clément VI (1342) et par Jules II (1505). Grégoire XIII s'en servait presque toujours. Cette formulevaria dansles formes. Elle fut d'aborddérogatoire aux seules constitutions des précédents pon tifes; puis elle le fut aux conciles provinciaux et synodesnationaux; finalement, au moyen des paroles: ou confirmées de toute autre manière, elle dérogea implicitement aux conciles généraux. Ce ne fut qu'aprèsGrégoireXVqueles papes osèrent se prononcer ouvertement contre les dé crets de toute l'église assembléeen conciles æcuméniques, déjà célébrés ou à convoquer à l'avenir, et les abroger ainsi de leur chef. Mais reprenons le récit des actions d'Alexandre VII.
Pendantqu'il infirmait clandestinement son traité public avecLouis XIV, il envoyaitson neveu , le cardinal Flavio Chigi,àParis pour l'exécuter. Le légatromainne tarda pas àscandaliserpar ses amoursdévergondéesla cour du grand roi, qui cependant n'était pas fort sévère sous ce rapport, et se fit chansonner par la ville. Pour vexer monarque, le nonce pontificalprit ouvertementla défensede ceux qui mettaientle pouvoir des états généraux au-dessus de celui du souverain; Louis fit lacérer l'écrit du prélat, et la Sor bonne soutint l'infériorité du pape au concile général, ainsi quesafaillibilité, même en matière de dogme, et l'indépen dance, au temporel, des rois qui ne peuvent pas être dé posés, ni leurs sujets déliés du serment de fidélité. En mourant (1667), Alexandre VII remit au cardinal Sforce Pallavicini un papier contenant la défense qu'il faisait à son successeur de jamais rendre Castro et Ronciglione, malgré letraité de Pise et ses scrments, à lui, de l'observer. Avant de passer au règne suivant, signalons la publica tion d'une bulle d'Alexandre VII, qui dévoile clairement la doctrine perpétuelle du saint-siége, nous dirons plus,la doctrine que le saint-siége avait dû faire accepter et continuait à faire en sorte qu'on acceptat universellement, sous peine de n'être plus le centre du catholicisme, le phare directeur de la société; nous nous empressons d'a jouterque cette doctrine avait déjà, à cette époque, perdu toute valeur sociale. La bulle en question était adressée àl'université de Louvain (1660); elle prescrivait l'obéissance laplus passive aux papes, non -seulement pour les choses defoi qui mènent au salut éternel, mais encore pour tout cequi estd'art, de lettres et de sciences. Si, y est-il dit, les savants et les écrivains n'adhèrent pas immuablement, pour toutes leurs idées et leurs déterminations, sans restrictionniréserve aucune, aux décisions apostoliques, la curiosité inhérente à l'intelligence entrainera l'humanité dans toute espèce d'opinions vaincs et de folles erreurs. --- Cela était
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vrai, et cela l'est encore, mais d'une vérité inutile, depuis qu'on n'a pu empêcher les hommes de découvrir que l'o pinion professée par le saint-siége était vaine elle-même, et que par conséquent les papes étaient aussi sujets auxfolleserreurs que quique ce fût.
Clément IX,successeur d'AlexandreVII,eutaussi ses tra casseries de mariages et de divorces. En 1668, le clergéde Portugal avait cassé, de son autorité privée, l'union de mademoiselle d'Aumale avec Alphonse VI, qu'il déclarait incapable d'être mari, en même temps que le conseil d'état le déclarait incapable d'être roi. Alphonse était laid, im bécile etméchant;lareine le quitta volontierspourépouser, avec l'autorisation du cardinalde Vendôme, son oncle,légat a latere du saint-siége en France, don Pierre, son beau frère, qui remplaçaitsurle trônele princedéposé.Lachose faite, les scrupules se mani estèrent, surtout parce qu'on craignait l'intervention de l'Espagne, ennemie du Portugal, et qui sollicitait à Rome la cassation du mariage dont le légat n'avait pas pu lever les empêchements canoniques. Heureusement pourla paixdu royaume, Clément IX, plus favorable aux Français que n'avait été son prédécesseur, s'empressa de régulariser ce qui avait été fait, en le con firmant. Reprenons maintenant le récit desévénementsqui concernent la France.
La petite guerre entre le pape et la cour de Louis XIV ne touchait pas encore à son termc : le roi avait voulu étendre à toutes les églises de France le droit de régale dont iljouissait sur la plupart d'entre elles; ce droit était celui de pouvoirdisposerdes rentes et bénéfices des églises vacantes. Deux évêques, celui de Pamiers et celuid'Aleth, que nous verrons plus bas figurer l'un et l'autre comme semi-jansénistes, s'opposèrent aux prétentions de la cour, et Innocent XI les soutint avec ardeur. Le clergé français prit parti pour le roi dont il attendait des édits rigoureuxcontre lecalvinisme. Ilfit plus: ayant soumisà la discus
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Toutes les puissances avaient renoncé au droit de franchise pour leurs ambassadeurs à Rome. Louis XIV s'obs tina à le faire valoir, en dépit de l'excommunication ma jeure qu'InnocentXI venait de lancer contre quiconques'en prévaudrait. Le roi envoya à Rome commeambassadeur extraordinaire le marquis de Lavardin, qu'il chargca de vexer sa sainteté de toutes les manières, et auquel il donna une suite de huit cents hommes armés pour soutenir ses avanics. Innocent excommunia Lavardin qui alla commu nier pompeusement à Saint-Louis-des-Français le jour de laNoël (1687), aprèsy avoirassistéà une messesolennelle. Le pape laissait les églises de France sans évêques; le roi
sion les droits fondamentaux de la puissance civile et de l'autorité religicuse, il émit les quatre fameuses proposi tions appelées : libertés de l'église gallicane (1682), qui fu rent dès lors imposées à l'enseignement dans tout le royaume et devinrent lois perpétuelles et irrévocables de létat. Ces quatre articles, rédigés par Bossuet, signés par huit archevêques, vingt-six évêques et trente-quatre dé putés du second ordre, portaient en substance : 1° Le pape etl'église n'ont aucune autorité, directe ou indirecte, sur le temporel des princes; 2° les conciles généraux sont au-dessus du pape; 3° les décrets disciplinaires émanés du saint-siége ont besoin de l'assentiment des autres églises pour faire autorité; 4° les décisions papales en matière de foi ne deviennent infaillibles que par la confirmation de l'église. En tout autre temps, la condamnation de cette doctrine par le pape ne se serait pas fait attendre, et elle eûtamené ou son rejet par la France pour demeurer catholique, ou la séparation définitive de la France d'avec le saint-siége.Les papes ne pouvaient plus se permettre cettefranche énergie : ils devaient désormais se borner à mau dire sous main la doctrine abhorrée, sans jamais oser se prononcer ouvertement contre elle. C'était la démission sociale des souverains pontifes.
CHRISTIANISNE , 11 . 20
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Alexandre devait son élection (1689) au ministre fran çais Louvois, qui lui avait envoyé trois millions pour ache terles voix des cardinaux ses collègues. Il était vieux etne songea qu'à enrichir sa famille, disant qu'il n'avait pasde temps à perdre, et qu'il ne lui en restait pas même assez pour cette affaire seule. Son népotisme parut tellement scandaleux que son successeur, Innocent XII, condamna par une bulle tous les papes qui dorénavant se laisseraient aller à cette faiblesse habituelle des souverains ponti es. Alexandre VIII s'était prudemment tu sur les propositionsdu clergé gallican (1682), pour ne pas irriter Louis XIV dont il avait besoin. Il avait cependant minuté, dès 1690, une bulle formellede condamnation qui ne fut publiée que l'avant-veille desamort (1691). Ilyavait alorsneufansque les bulles d'institution étaient refuséesà Rome aux évêques français nommés par le roi. Deux ans plus tard (1693), Innocent XII consentit à pourvoir les trente-cinq églises vacantes, mais seulement après que les titulaires luieurent déclaréque, «prosternésà sespieds,ilsserepentaientdece qu'ils avaient fait à l'assemblée du clergé de France; qu'ils obéissancecassaientetannulaientleurspropresdécrets,etjuraientunepassiveetillimitéeausaint-siége.»Cetterétrac tation, signée par lespartisans les plus prononcés des liber tés del'églisegallicane, avait été écritesur unordreexprèsde Louis XIV, devenu vieux et bigot; elle était accompa gnée d'une lettre du roi lui-même qui annonçait au pape qu'il avait pris lesmesures nécessairespour que son éditde1682concernantlesquatrearticlesne fûtpointexécuté.»
fitproposer par l'avocat général, Omer Talon, de lui enle ver le droit d'investiture qui passerait aux métropolitains. L'église de Saint-Louis-des-Français avait été mise sous interdit. Lavardin s y porta en appareil de guerre et mit les dévots méticuleux en fuite. Avignon, saisie de nouveau parla France, ne fut rendue qu'à AlexandreVIII (1690), et lorsque le roi renonça aux franchises.
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A la fin du siècle, un chevalier Borri, de Milan, se vanta d'avoirété favorisé derévélations divines, d'après lesquelles il annonçait que la sainte Vierge est la fille unique de Dieu, qu'elle a été conçue par inspiration, qu'elle est l'Es prit saint incarné et une véritable Déesse. On l'avait brûlé en effigie à Rome, dès 1660; arrêté finalement, il put,malgré son hérésiedont le monde ne se mettait plus guère en peine, vivre en paixjusqu'à sa mort(1696), enferméau château Saint-Ange, comme d'ailleurs il l'avait bien mérité parson charlatanisme et ses escroqueries.
Nous reprenons la question de la liberté psychologique que nous avons déjà traitée dans notre première partie en parlant du pélagianisme.Nousyavons montréquelespères de la primitive église grecque, ainsi que ceux de l'église latinc, nommément saint Irénée et Tertullien, étaient par lisans de la doctrine du libre arbitre, principalement à cause de la nécessité où ils se trouvaient sans cesse de lutter contre les disciples de Marcion et de Manès,qui pro essaient le fatalisme, comme du reste l'apôtre Paul l'avait professé avant eux. Saint Augustin, manichéen converti, avait été entraîné, à soninsu peut-être, dans lesystèmede la grâce indispensable ct irrésistible, négation évidente de toute liberté; néanmoins, pour se défendre contre ses an ciens coreligionnaires, il s'était vu forcé dans la suite d'ac cepter, et même de préconiser le dogme de la spontanéité
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LE LIBRE ARBITRE .
CHAPITRE XXIII.
jer. LA PRÉDESTINATION ET LE CATHOLICISME.
Incompatibilité de l'existence personnelle de Dieu et de la liberté réelle chez les hommes. Gothescalc . - Fatalistes catholiques. Luther, Zwingle et Calvin. Michel Baïus. Congregation Deauxiliis.
Mais ici naissait une autre difficulté, aussi insurmontable que celle que nous venons d'exposer : ou Dieu fait faire le mal par les hommes, ou il permet que les hommes fassent le mal, ce qui, du reste, revientexactement au même; aupremier cas il ne veut pas que tous les hommessoient heu reux, soient sauvés, et il cesse d'être souverainement bon; au second casil ne peut pas sauver tous leshommes, il doit les laisser en proie au malheur, et il cesse d'être souverai nement puissant : en d'autres termes, et dans tous les cas possibles, il cesse d'être Dieu , car il cesse d'être juste et fort. Tous les sophismes de la dialectique ne prévaudrontjamais contre ce raisonnement simple, clair et concluant.
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20 .
Les choses demeurèrentainsipendant plusde troiscents ans. Ce fut seulement vers le milieu du ixe siècle qu'un moine saxon, nommé Gothescalc, souleva de nouveau cettequestion, qui était insoluble tant qu'on s'obstinait à la poser comme on avait fait jusqu'alors. On partait de l'exis tence personnelle de Dieu, et parconséquent de la création oudelaformationdetouteschoses,du mondeetde l'homme. Dès lors, il n'y avait plus de liberté concevable, et loul, absolument tout, l'homme compris, comme a fort bien dit saint Paul, était en Dieu, étaitparce que Dieu l'avait voulu ctcontinuaità levouloir, étaittoujourscommeDieu le voulait. L'homme, par conséquent, non -sculement vivait en Dieu, mais sentait, pensait ct voulait en Dieu, ou, pour mieux dire, Dicu seul voulait, pensait, sentait, vivail, élait, dans le sens réel du mot élre qui emporte le sentiment de l'être, la conscience de soi. Et l'existence du mal ne pouvant tre niéesurlaterre, Dieu était le seul auteurdu malcomme du bien, comme de tout.
des actions, Débarrassé de ces adversaires, il reprit sa doc trine manichéenne pour combattre les pélagiens, et devintle véritable fondateur de l'hérésie du prédestinatianisme. Nous disons hérésie, car l'église en général en revint peu à peu à sa vieille croyance, celle à la liberté.
Gothescalc fut accusé par ses adversaires, surtout par Hincmar, archevêquedeReims, et par Raban Maur, arche vêque de Mayence, d'avoirvoulu innover pour faire parler de lui. Il s'était presque exclusivement nourri dela lecture de saint Augustin, et, comme cc père de l'église, adoptantla personnalité, l'action de Dieu, iltomba, de conséquence en conséquence, dans la fatalité prédestinatienne. Il la prêcha partout, et jusqu'en Italie; puis, se trouvant à Mayence, lors du concile qu'y tenait Raban Maur (848), il soutint son double dogme de l'élection, de toute éternité, de quelques hommes pour le salut, et de la réprobation,éternelleaussi, de tous lesautrespourladamnation,dogme fondé surl'immutabilité de Dieu qui ne peut vouloirqu'une fois ct qu'une seule et même chose : c'est, nous le répétons à dessein, l'irrécusable conséquence del'action personnelle de Dieu, mais c'est aussi, et nécessairement, la désolante doctrine du destin.
Gothescalc fut condamné, ct comme il refusa de rétracter ses opinions, on le renvoya à Reims, son diocèse. Raban avait instruit l'archevêque de ce qui s'était passé, ainsi que de la condamnation du moine par ordre du très-picux roi Louis II de Germanie. Gothescalc fut examiné de nouveau à Quercy-sur-Oise, par Charles le Chauve, plusieurs évè ques, des abbés, etpar Hincmar, lesquels ne trouvant rien à répondre au sectaire, le firent fouetter jusqu'à lelaisser pour mort. Hincmar finit par déterminer ce qu'il appelait la doctrine catholique sur la question controversée, en ces termes : Il n'y a de prédestination que pour les élus; nous jouissonsdu librearbitre parla grâce deJésus-Christ; Dieu veut le salut de tous les hommes qui cependant ne seront pas tous sauvés; Jésus-Christ est mort pour les racheter tous, et néanmoins ils neseront pas tous rachetés. Nous erons ressortir ici la contradiction palpable qui résultera toujours du désir de concilier deux choses logi quement incompatibles, savoir,la toute-puissance de l'ètre
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Quoi qu'il en soit, l'église de Lyou, son archevêque saint Remien tête, blâma sévèrement les quatre capitules d'Hincmar (c'est le nom qu'on leur donna), et soutint la double prédestination. Ratramne, moine deCorbie, dontnous noussommes occupé auchapitre sur la présence réelle, demeura également attaché à ladoctrinedesaintAugustin,ainsique saint Prudence, évêque de Troyes, le bienheureux Loup,abbé de Ferrières, saint Amolon, etc.,etc. Le 3econcile deValence (855) et celui deLangres (859) firent de même, etle papeNicolas jer ratifia les décisions de l'une et de l'autredeces assemblées; cequi, joint aux écrits de saint Prosper,de saint Hilaire et des papes saint Innocent et saint Céleslin, forme un faisceau singulièrement compacte d'autorités chrétiennes favorables au fatalisme. Gothescale mourut en prison (868), après vingt ans de détention.Sesidées moururentaveclui. Seulement, elles se remon
appelé Dieu et sa suprême bonté. Les prédestinatiens, dans lesensabsolu qui étaitceluidesaintPauletdesaint Augus tin, et plus tard les chrétiens réformés et les catholiques jansénistes, se montrèrent conséquents en ne prêtant à Dieu que la puissance sans bornes; les pélagiens, les rcmontrants et lesjésuites firent de même en ne s'occupant que de sa bonté infinie. Jésus avait représenté son père comme étant lepèredetous les hommes, qui, parcela seul, étaientfrères entre eux et cohéritiers au même titre du bonheur célcste. Dès lors, le péché originel et la rédemption adinis, le christ était nécessairement niort pour tous les hommes sans distinction, quoique les évangiles ne l'eussent fait mourirque pour plusieurs. C'est ce quepensaient le savantOrigène et le saint prêtre Salvien. Quant à expliquer com ment, ce fait posé, tous les hommes n'étaient pas rachetés et ne seraient point sauvés, des théologiens seulspouvaientl'entreprendre. Pour quiconque raisonne rigoureusement, après avoir pris la réalité de l'homme pour point de dé part, cette difficulté s'évanouit.
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Luther ne parvint pas à ne point être prédestinatien :d'aborden sa qualité de réformateur qui cherchaitlavérité danslesécritures, puis parceque l'église romainequ'ilcom battait avait embrassé l'opinion de la liberté. Mais bientôt les luthériens modérés adoucirent ce que cette doctrineparaissait avoir de trop exclusif. Mélanchthon avait été le premier à céder un peu sur ce point; Jacques André fit le reste : le lutheranisme dès lors fut semi-pélagien.
trèrentparintervalle, à chaque tentative deréformation, et c'était naturel : les réformateurs se proposaientla restaura tion de l'église primitive; en remontantles siècles, ils ren contraient saintAugustin sur la route et s'arrêtaientàsaint Paul, l'un et l'autre partisans de laprédestination sans restriction aucune. Nous citerons les albigeois, les vaudois, les wicléfites etplus tard les hussites. Parmi les catholiques, Pierre Lombard, le fameux maître des sentences, et saint Thomas d'Aquin, l'ange de l'école, furent les championsde la grace dans le sens de saint Augustin. Au xive siècle, le pélagianisme reprit faveur, et domina dans l'église; mais en y prenant un titre moins suspect sous le rapport de l'orthodoxic.
Michel du Bay ou Baïus, professeur à l'université de ON
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Zwingle et Calvin étaient et demeuraient plus absolusque leurs prédécesscurs en réformation, et comme ils s'ap puyaient surdesautoritésquel'églisecatholiquenepouvait récuser, ils embarrassèrent beaucoup les pères du concile de Trente. La prédestination y avait trouvé des approba teurs qui étaient rudement combattus par les partisans du libre arbitre. Aussi le concile, en anathématisant le prédes tinatianisme (6e session), n'osa-t-il condamner ni ceux qui se déclaraient pour la prédestination, ni ceux qui se pro nonçaient contrc elle. Chacun dès lors interpréta le décret comme il voulut; par exemple, le dominicain Dominique a Soto cn faveur de la grâce, et le franciscain André Végadans un sens diametralement opposé.
Pendant que le système de la grâce appelée efficace, et qui, sous cette dénomination, était réellement nécessitante, succombait de celle manière avec Baïus en Belgique, clletriomphaiten Espagnepar leseffortsdes dominicains. Il est
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Louvain, envoyé à Trente par le roi Philippe II (1563), croyait aussi, à son retour, ne rien faire autre chose que développer la doctrinedu concile en soutenant ses proposi tions sur la grâce; mais les papes les censurèrent, précisé ment pour défendre la même doctrine du concile contre ce qu'ils appelaient les attaques du professeur. Baïus avait ncuf fois les volumineux écrits de saint Augustin pour y trouver des armes contre le nouveau pélagianisme qu'il lui semblait découvrir dans la controverse des catholiques qui combattaient les réformateurs. Ce qui l'avait perdu, c'était surtout son peu de respect pour l'immaculée conception, que les franciscains défendirent contre lui en le faisant con damner sur la question de la liberté des actions. La pre mière censurc avaitété prononcée par la faculté de théolo gie de Paris (1560) contre dix-huit propositions; cinq ans après, les cordeliers dénoncèrent Baïus au roi d'Espagne. Quatre-vingts propositions de Baïus furent soumises au jugement du saint-siége; mais jamaisPie IV ne se prononça àleurégard : Pie V les condamna(1567),malgré les protes tations de l'auteur qui en désavouait plusieurs et déclarait que les autres avaient été malignement interprétées. Elles portaienten résumé : que tousles péchéssontmortels; que lesactions des infidèles sont des péchés, les vertus des phi losophes, des vices; que sans la grâce, la volonté ne peut porter qu'au mal; que ce qu'on fait volontairement quoique nécessairement, est fait librement; qu'on peut pécher mortellement, même en agissant nécessairement, etc. Les jésuites Bellarmin d'abord, puis Tolet, furent chargés de l'exécution de la bulle deGrégoireXIII (1579), confirmative decelle de son prédécesseur, et à laquelle Baïus se soumit. Il mourut dix ans après.
vrai que làcedogmeprenait un autre nom, etdans les disputesde mots, les noms décident de tout : ce qui avait été déclaré hérétique était la prédestination morale; ceque les disciples de saint Thomas firent valoir comme orthodoxe était la prédétermination physique. Bagnès, inventeur decette subtilité, eut bientôt sur les bras la redoutable phalange desloyolistes, etnotamment le pèreLouis Molina, qui prétendaitavecles franciscains et avecle pape Sixte-Quint, contre les universités deLouvain et de Douai, que Dieuneprédestine les élus à la vie éternelle queparce qu'il prévoit les mérites qu'ils acquerront pour y parvenir, et que la grâce divine n'est efficace que par le concours de lavolontéde celui qui l'a reçue.
Les dominicains prirenttexte de cette doctrinepour pré cher contre les jésuites qu'ils qualifièrent d'hypocrites, et contre saint Ignace, leur fondateur, qu'ils accusèrent d'hérésie et de maléfices. L'inquisition de Castille évoqua lacause devant elle (1594); mais le pape, estimant l'affaireimportante etcraignant l'exaspération des deux parts, défendit à l'inquisition de la discuter, etchargea demettrefiuà la querelle une congrégation spéciale qu'on appela Deauxiliis, parce qu'elle avait à déterminer de quels secourssurnaturels l'hommea besoin pour faire le bien. Cette congrégation, présidée par le cardinal Madrucci, s'assemblasoixante-huit fois de 1598 à 1605, année de la mort de Clément VIII, et elle ne décida rien. Seulement les dominicains avaient réussi à faire proscrire quatre-vingt-dix propositions extraites de l'ouvrage de Molina, intitulé :Concorde de lagrâce et dulibre arbitre, qui, selon l'inquisition de Portugal, était irréprochable. Les jésuites protestèrent : ils firent observer que le concile de Trente avait fortement mitigé la doctrine des thomistes rigides, et quele pape saint Pie V avait ormellement condamné la liberté esclave (servum arbitrium) et la gráce victorieuse de Baïus.Mais on leur conseilla la prudence, depeurque lasentence
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qui frappait comme pélagiennes vingt propositions de Molina, n'entraînât dans sa chute la compagnie entière dont il était membre.
§ II. LA PRÉDESTINATION ET LA RÉFORME.
ClémentVIII étant mort, ainsi queLéon XI qui ne régna que vingt-septjours, le conclave fitjurer par tous les cardinauxquelepape futurtrancheraitla questiondela grâce pendant la première année de son pontificat. Paul V, en conséquence, litassembler dix-huit foisencore la congrégationadhoc; aprèsquoi, il laissa l'affaire ensuspens(1606), avec permission aux deux partis de soutenir chacun sonopinion, sans cependant contredire l'opinion opposée : cela était tout bonnement impossible. Aussi fallut-il finalement (1611) quele saintoffice prescrivit lesilencele plus absolu surcette matière, ce que Urbain VIII renouvela, enmenaçant les contrevenants des peines les plus graves(1625).Ces différentes mesures n'empêchèrent pas les théologiens d'écrire sur toutes les espèces possibles de grâces, la suffi sante, l'efficace et la nécessitante, et de dédier leurs controversesaux cardinaux et même aux papes.
Lamêmequestion, celle de l'originedu mal, ut soulevéechezlesréformés comme ellel'avaitété chez les catholiques, et n'y reçut pas une solution plus satisfaisante. Il devait
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Arminius et les remontrants . Les contre - remontrants de Gomarus . Hugo Grotius. - Maurice de Nassau sacrifie Barnevelt à son ambition. - L'arminianisme condamné au synode de Dortrecht. Arminianismeanglais et français. Lesesprits se calment.
Aux Provinces-Unies, la lutteentreles deux opinionsfut plus retentissante. La dure et inflexible doctrine de Calvin et de Théodore de Bèze sur la prédestination gratuite y avait été tellement exagérée parleurs disciples, entreautres par Zanchius, Ursin, Piscator, que quelque réformés se
nécessairement en être ainsi : le point de départ du rai sonnement étant, des deux côtés, essentiellement contes table, si l'on en tirait dejustes conséquences, on aboutissait infailliblement à l'absurde; pour rester dans le vrai, il fal lait forcément admettre unecontradiction palpable entre les prémisses et la conclusion qu'on avait d'avance résolu d'en tirer. De part etd'autre la question était mal posée.Néan moins on essaya, à Dordrecht comme à Rome, d aplanir la difficulté en imposant une solution d'autorité; mais ce qui était devenu impossible au pape, à l'époque où on était parvenu , était, de plus , risible pour les réformateurs : ceux-ci, nous ne saurionstrop le répéter, avaient proclamé le droit d'examen ; ils devaient le subir eux-mêmes sans sourciller. Comment, dans un temps d'ignorance sociale bien constatée, auraient-ils pu empêcher que ledroitd'exa men, dans son application, ne menát les uns au systèmedu libre arbitre, les autres à celui de la fatalité? Mais, réformé ou catholique, l'homme qui se sentait fort se souciait peu d'avoir raison. Nous avons vu la liberté imposée aux fata listes catholiques; nous allons voir le falalisme imposé aux réformés, partisans du libre arbitre, toujours en vertu du même argument : Tu es le plus faible, donc tu astort; obéis ou meurs.
La première victime du prédestinatianisme réformé fut Jérôme Bolscequi avait, àGenève même, osérésisteràCal vin sur la question de la liberté. Bolsec fut chassé par les orthodoxes, comme pélagien et séditieux (1551). Neuf ans après, Bibliander, professeur de théologie à Zurich, quiavait adopté les idées d'Érasme surlelibre arbitre, futdes titué pour le même motif.
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Arminius soutenait que Dieu a décrété de toute éternité d'accorderlesalutaux hommesqui se repentiraientdeleurs fautes, et de damner les autres, Gomarus prétendait au contraire que Dieu a prédestiné gratuitement les uns au salut, les autres à la damnation. La doctrine arminienne faisaitderapides progrès; lesgomaristes, poury mettredes bornes, firent décréter par le synode de Rotterdam (1605), que dorénavant les ministres et professeurs seraient tenus de signer l'ancien catéchisme et la formulede foi des réfor més.Lesarminiens y consentirent, mais à condition que ces écrits seraient revus avec soin et scrupuleusement corrigés. Arminius mourut en 1609.
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II . 21
Les arminiens avaient pris le nom de remontrantsdepuis qu'ils avaient remontré aux états de Hollande l'odieux de la doctrine que professaient leurs adversaires.Conrad Vors tius, qui succéda ant théologien défunt, déjà en désaccord avec lesgomaristes sur la suprématie que Vorstius accor dait à la puissance civileetquesesantagonistesattribuaient à l'autoritéreligieuse, fut bientôtinculpéparceux-ci comme coupable de blasphème et de mensonge, de pélagianisme, de socinianisme, etc., etc., et même de catholicisme, de mahométisme, de judaïsme, de paganisme et d'athéisme. C'était l'objet d'une contre-remontrance que les gomaristes
crurent dans l'obligation de s'expliquer. Les ministres de Del tfurent les premiers à entreren lice: Jacques Hermans ou Harmensen (Arminius) suivit leurs traces. Nommé pro fesseur de théologie à Leyde (commencement du xvne siè cle), quoiqu'il fût entaché de pélagianisme et mème de socinianisme, et en dépit d'un de ses nouveaux collègues, nommé François Goemaere ou Gomar (Gomarus), et cal vinistesévère, Arminius enseigna ce qu'il croyait vrai con cernant la liberté des actions; en outre, il posa la fameuse distinction qu'il y avait à faire entre les points fondamen taux du christianisme et les autres qu'il était permis aux fidèles d'accepterou de rejelercomme bon leursemblait.
Le publiciste renommé, Hugues Grotius, entra alors en scène. Il proposanaïvement, pour mettre fin aux disputes, de faire décréter, d'une part, que la grâce divine est la causedesbonnesactionsquefontleshommes,etde l'autre, que Dieu n'est pas l'auteur du péché, en d'autres termes, quece qui est n'est pas, et vice versâ : on trouva cet expédient admirable en Angleterre. Les Hollandais furent
présentèrent de leur côté aux états. Ils s'adressèrent, en outrc, à Jacques ler, roi d'Angleterre, qui se croyait très savanten théologie parce qu'il étouffait dans les flammesdu bûcher la voix de tous les chrétiens arianisants. Ce prince s'empressa d'appuyer l'accusation des gomaristes : il haïs sait lesarminiens parce qu'ils favorisaient le parti du pen sionnaire républicain Olden Barneveltcontre le princeMau. rice. Le roi Jacques communiqua aux états une liste des erreurs de Vorstius, qu'il avait notées en parcourantsuperficiellement le livreDe Deo quele professeurvenaitdefaire paraître. La conclusion du théologien couronné était que les états eraient bien d'exiler le coupable s'il se rétractait, ct, s'il persistait, de le brûler. Il insista principalementsur la nécessité de supprimer complétement la liberté de dis cussion aux Provinces-Unies. Pour lui, il fit condamnerle livre de Vorstius par l'université de Cambridge.
La question des deux puissances marchait de pair avec celle du libre arbitre. Depuis 1612, plusieurs synodes u rent tenus en faveur de la prépondérance de l'autorité reli gieuse, et contre la tolérance dont la cause était soutenue par les remontrants. Mais Jacques er avait changé d'opi nion à l'égard deceux-ci, dontles antagonistes avaient pour but exactement ce que voulaientles presbytériens d Angle terre et ce que le roi anglican ne voulait pas. Aussi l'églisedominante devint-elle toute arminienne en Angleterre même : dès lors le roi réclama des états des Provinces-Unies la tolérance, contre laquelle il ne s'était prononcé dansl'origine que parce qu'il croyait Vorstiussocinien.
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moinsfacilesà contenter : malgrél'éditdetolérance(1614), lessynodes, les ministres et le peuple continuèrent à persécuter les remontrants, et pour mieux les perdre, on les accusa de conspirer contre leur patrie avec les jésuites etles Espagnols; le professeur remontrant de Leyde, SimonEpiscopius, fut déclaré atteint de socinianisme.
Puis s'ouvritle synodede Dordrecht(1618). Cette assem blée se composait de vingt-six théologicns des Provinces Unics, vingt-huit anglais, allemands et suisses, cinq professeurs et scize laïques. Dès la seconde session, les gomaristes,qui étaient en très-grande majorité,réclamèrent l'exclusion d'Episcopius et de ses adhérents, qui devaient,disaient-ils, non juger les autres, mais être jugés euxmêmes. C'était, sous d'autres noms, la même logique que celle employée par l'église contre les papes aux conciles deConstance et de Bålc, ct par les catholiques contre les pro testants au concilede Trente. Quoi qu'il en soit, àla 220 scs sion, les arminiens furent traités en accusés. Ils ne consen tirent à s'expliquer qu'après la 50°, mais on leur inlimal'ordre de le faire sans attaquer la doctrine opposée à la leur, ce qui rendait toute défense de leur doctrine impos. sible, et par conséquent toute explication superflue. Ilsrefusèrent donc purement et simplement de se soumettre,et furent expulsés. Le triomphe du vieux calvinisme, rafraichi par le zèle de Gomarus, était désormais assuré, et enattendant que les états généraux convertissenten loi les
Maurice d'Orange, qui n'avait qu'un seul but, le pouvoir, se servit des calvinistes rigides pour parvenir à ses fins; en récompense de leur concours,il promitde lesdélivrer de l'arminianisme : Barnevelt, avocat général de la province de Hollande, se mit à la tête des remontrants per sécutés. Maurice fit décréter la convocation d'un synode national où il était sûr que la cause de la tolérance auraitledessous, ct fit emprisonner Barnevelt ct Grotius, pen sionnaire de Rotterdam.
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décisions du concile ecuménique de Dordrecht-c'estainsique les réformés appelaient leur grand synode, les synodes provinciaux et les cours de justice sévirent contre les remontrants avec une égale rigueur.
Le synode aborda finalement (58° session) la question même, et examina la doctrine arminienne, qui ne fut néan moins formellement condamnée quedanslessessions126°et suivantes. Les arminiens hollandais avaient, sur les entre faites, tenu un antisynodeà Rotterdam . Sans y avoir égard, lesgomaristes opposèrentaux cinq articles des remontrants, par lesquels il était reconnu que Dieu vcut sauver tous les hommes, ct que l'homme est toujours libre de suivre les mouvements de la grâce ou d'y résister, quatre canons qui portaient : que l'élection et la réprobation sont gra tuites; que Jésus-Christ n'est mort que pour les élus; que l'homme ne saurait être bon sans la grâce, et qu'avec la grâce il ne peut pas pécher. Puis Vorstius fut personnelle ment condamné et banni comme socinien, et l'assembléegénérale fut closc (154º session). Les Hollandais, réunisen assemblée nationale, tinrent encore 26 sessions, et l'auvre de la ruine des remontrants, qui avait coûté aux Provinces Unics six mois d'intrigues scandaleuses et plus d'un million de florins, fut consommée (1619). Tous les ministres et professeurs arminiens furent chassés du territoire de la république; Barnevelt, sacrifié à l'ambition du prince d'Orange et au fanatisme des calvinistes, périt sur l'écha faud, et Grotius fut enfermé dans une forteresse d'où, heu reusement pour lui, sa femme réussit à le tirer : Grotius se ré ugia auprès de Christine de Suède.
Les contre-remontrants exploitèrent leur symbole fala liste pour perdre les arminiens, comme nous verrons bien tôt que lesjésuites firentservir leur formulaire antifataliste pour se débarrasser des disciples de Jansenius. Afin de pouvoir échapper à la nécessité de professer une doctrinequ'ils n'acceptaient pas, les ministres remontrants allèrent
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L'église arminienne, quoique persécutée, subit la loi générale qui domine les partis et les sectes fondés sur des opinions; clle se divisa. Les frères Kodde, frappés de la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité, dans les circon stances où l'on se trouvait, d'avoir des ministres arminiens réguliers, déclarèrent que l'inspiration tiendrait lieu doré navant de l'institution canonique: ceux qui se conformerent à ce principe furent appelés les rhynsburgers ou les pro phètes, et demeurèrent inconnus partout ailleurs qu'aux Provinces-Unics. La confession arminienne, outre l'église d'Angleterreoù elle devintdominante, fut adoptée par plu sieurs réformés en France; elle y prit le nom d'universalisme ou de grâce universelle, en opposition au particula risme ou grâce spéciale pour chacun, soutenue par les calvinistes primiti s. Nous ne citerons queles universalistesCameron, d'Aillé, Amyraut, etc. Dans les Cévennes, le synode national d'Alais confirma les canons de Dordrecht (1620), rédigca un formulaire et frappa de destitution tout ministre qui refuserait de le signer. Cette détermination fit sortir de France les remontrants qui s'y étaient retiréslorsqu'ils avaient quitté la Belgique espagnolc par esprit de patriotisme; ils passèrent dans le Holstein où le roi de Danemark leur permit de se bâtir une ville tout arminienne, Il y avaitdix ans que la persécution durait aux Provinces Unies, où clle avait menacé jusqu'à la statue d'Érasme, coupable d'avoirdéfendu le libre arbitrecontre les premiers réformateurs; deux voix sculement empêchèrent que ce mo
s'établir à Anvers, d'où ils dirigèrent leurs églises. Sur les entrefaites, les synodes de Leyde et de la Nord-Hol lande ulminaient sentence sur sentence contre les fidèles, partisansdu libre arbitre, et poussaient le peuple à s'ameu ter contre eux et à les troubler dans leurs réunions. On remarqua bientôt parmi les professeurs exilés le célèbre Vossius.
§ III. LE JANSÉNISME.
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Jansenius. -- Les jésuites l'attaquent. -- Les cinq propositions. Leliresprovinciales. -- L'abbaye de Port-Royal. La morale des jésuiles, con damnée . Traduction de la bible , Tromperies théologiques. - Le père Quesnel.
Le baïanisme, dont nous avons parlé précédemment, étaitloin d'êtreéteint aux Pays-Bas; les jésuites, armésdes bulles lancées par les papes saint Pie V (1570) et Gré goire XIII (1580), n'avaient pas cessé de le combattre en s'efforçantpar tousles moyensde fairegénéralementadopter leur doctrine sur le libre arbitre. Le père Lessius se distingua parmi eux; mais il rencontra, à l'université mème de Louvain, de nombreux contradicteurs. Ba us ct Jacques
nument nefût renversé. Pendantque cela se passait, lesfils de Barnevelt avaient conspiré contre le prince d'Orange, avec un ministre remontrant et quelques sectaires obscurs; on en prit occasion pour sévir avec une nouvelle rigueur contre l'arminianisme : cet état de choses dura jusqu'à la mort de Maurice (1625). Peu à peu le zèle se calma, et les principaux arminiens revinrent régir leurs troupeaux. Episcopius, entre autres,fut d'abord ministre à Rotterdam; puis il alla diriger le collége d Amsterdam : il y mourut (1643). Enfin l'arminianisme s'établit de nouveau aux Pro vinces-Unics aussi pacifiquement qu'y étaient déjà établisle lutheranisme et l'anabaptisme, côte à côte avec la réforme de Calvin, en dépit des théologiens suisses, qui déploraienthautement « le malheureux penchant des Hollandais pour la tolérance. »
Jansonius, son disciple, inculpèrentdevant la faculté trente propositions de la compagnic, que le corps enseignant censura; les jésuites dénoncèrent de leur côté l'université à Sixte-Quint, qui censura la censure du corps enseignant, et approuva la compagnic. Les choses en étaientà ce point lorsque le trop fameux Jansenius attira sur lui l'attention générale.
Corneille Jansens, c'est son véritable nom , était né au comté de Leerdam (1585). Il ne termina que peu avant sa mort, arrivée en 1638, le livre qui lui avait coûté vingtdeuxansde travail, et qu'il intitula Augustinus parce qu'il yfaisaitrevivre le docteurde la grâce, dont il avait profon dément médité les écrits, qu'il avait lus dix fois en entier, et plus de trente fois quant aux traités spéciaux contre le pélagianisme. Maisdepuis longtemps l'opiniondeJanseniusn'était un secret pour personne : on savait fort bien que cetécrivain était opposé de tout point aux scolastiques qui avaientcherchéàallierlafoiauraisonnement,etqu'il n'avait d'admiration que pour les théologiens qui, appuyés sur l'autorité des écritures et des pères, s'étaientjetés dans le prédestinatianisme.L'ouvredetoutesavie futderenouveler le système perdu, disait-il, depuis cinq cents ans, de la grâce véritable, sur l'efficacité de laquelle le libre arbitre n'a aucune influence, ni pourla faire naitre,ni pour la faire durer. Il signalait, en conséquence, comme pélagien, l'en seignement des jésuites Molina, Lessius, Vasquez, Suarès,et même du cardinal Bellarmin. Il allait jusqu'à attaquer les saints patrons de la compagnie de Jésus, Ignace de Loyola ct François Xavier, dont il blåmait la canonisation. Jansenius fut élevé sur le siége épiscopal d'Ypres, environ un an et demi avant de mourir. Il se soumit avec son ou vrage aujugement du saint-siége. Cet ouvrage parut avec toutes les approbations requisesdes censeurs royaux et apostoliques (1640). Les jésuites deLouvain ne tardèrent pas à l'attaquer; ses partisans s'em
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En France, les opinions de Jansenius furent attaquéespar le docteur de Sorbonne Habert (1643 et 1644), et dé fendues par son collègue Arnauld qui, depuis, fut sur nommé le grand. Ce fut alors que l'ex-jésuite Cornet, syndic de la faculté de théologie de Paris, signala les pro positions qu'il avait extraites du livre de Jansenius pour desaulessoumettreausaint-siége(1649).Cespropositions,d'abordnombredesept,puisréduitesàcinq,disaient:ilyapréceptesquel'hommenepeutobserverqueparle secours de la grâce; dans l'état de nature, on ne résistepas à la grâce; pourmériter et démériter, ilsuffit quel'homme ait la liberté de coaction qui exclut la contrainte; croire qu'il dépend de la volonté d'accéder à la grâce ou de la repousserestdu semi-pélagianisme; soutenirqueJésus-Christ est mort pour tous les hommes en est également. Habert, devenu évêque de Vabres, appuya la dénonciation de ces propositions dans une lettre que les sourdes menées et les intrigues de saint Vincent de Paul firent signer parquatre-vingt-huit évêques francais. Onze évêques écrivi rent dans un sens opposé : ils soutinrent, contre la vérité,
pressèrent de le défendre, et l'inquisition se jeta entre les deux partis en ordonnant le silence. Il n'y avait que cela à faire : caron nepouvaitlouerJanséniussanstomberdans le baïanisme condamné par l'église, ni le blâmer sans con damner saintAugustin et saint Paul que l'égliserévérait, à l'exception des jésuites qui appelaient ces grandes autoritéschrétiennes « des têtes ardentes que la doctrinede la grâce avait cmportées trop loin. » Le pape Urbain VIII confirma le décret du saint office (1642) et nota l'Augustinus comme renfermant des propositions déjà flétries par Pie V et Gré goire XIII dansleurs bulles contre Baïus. Ce ne futqu'après neuf ans de résistance de l'archevêque de Malines, de l'é vêque de Gand et de l'université de Louvain, qu'InnocentX réussit à faire accepter auxPays-Bas espagnols la décisionde son prédécesseur (1651).
Après environ cinquante séances, la congrégation ponti ficale déclara hérétiques les cinq propositions de Jansenius (1653). En congédiant les députés jansenistes, le pape pro testa que la condamnation qui venait d'être prononcée ne portait aucunement sur saint Augustin , ni sur saint Thomas, ni sur la congregationDe auxiliis, qui cependant avaient soutenu les opinions dont l'évêque d'Ypres s'était fait le nouvel apôtre. Au reste, la bulle d'Innocent X fut reçue en Espagne et en Flandre. Les évêques français la reçurentégalement, les jansénistes compris, si ce n'est que ceux-ci déclarèrent que c'était sans préjudice à la doctrine de saint Augustin et à sa grâce efficace, et avec la restric lion que les propositions, condamnées comme étant deJansénius, ne se lisaient point dans cet auteur, ou que du moins elles avaient été détournées de leur vrai sens. Le cardinalMazarin fitdécider par trente-huitévêques que les propositions étaient de Jansénius et que le pape les avaitcomprises comme l'auteur; ce qu'InnocentX et bientôt après Alexandre VII confirmerent. Les jansénistes répon dirent que le pape, infaillible dans les questions de foi,pouvait se tromper comme tout le monde sur les points de fait,etqued'ailleurs,l'évêque d'Yprescûl-il erré, eux n'en étaient pas moins décidés à demeurerdans leur opinion, en vrais disciples, non de Jansenius, mais de saint Augustin.
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C'est alors qu'AntoineArnauldentra résolúment dans la
que les propositions ne se trouvaient pas dans Jansénius ; car toutes y sont pour le sens, et deux s'y trouventtextuellement. Innocent X institua une congrégation pour juger l'affaire, et les dominicains, qui prévoyaient la condamnation de la doctrine de la grâce, la prévinrent en faisant condamner par l'inquisition d'Espagne , comme absurdes, quasi-hérétiques et extrêmement injurieuses poursaint Augustin, vingt-deux propositions puisées dans les écrivains molinistes. Rome, cela va sans dire, ne confirmapas l'arrêtde l'inquisition.
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lice. Il fut condamné à être exclu de la faculté de théolo gie (1656), d'abord, après plus de vingt séances, par sept évêques et cent trente docteurs, pour avoir avancé enfait que lescinq propositions ne sont point dansJansenius;puis, après onze séances, par cent vingt-sept docteurs et trois évêques, pour avoir soutenu en droit que saint Pierre a péché parce que la grâce lui manquait. La joie de cette victoire fut cruellement tempérée pour les jésuites par la publication des Lettres provinciales, où Pascal voua à un ridicule ineffaçable les molinistes et les thomistes, le pou voir prochain, la science moyenne et la grâce suffisante, et éveilla l'attention sur lesmoralistes de la compagnie de Jésus, qui, au moyen de leur probabilisme, faisaient de tous les vices et de tous les crimes imaginables presque autant de vertus. Treize docteurs de Sorbonne, dont quatre évê ques, condamnèrent les Lettresprovinciales, qui furent brûlées par la main du bourreau (1660).
Le jansenisme offre surtout ceci de remarquable, que les sectaires qui le professaient soutenaient avec autant d'opiniâtreté qu'ils demeuraient soumis à l'église, qu'ils mettaientde subtilité à lui refuser son obéissance. En 1656, l'assembléc du clergé de France, composée de quarante évêques et de vingt-sept députés du second ordre, décida que le pape a, dans les questions de fait qui touchent à la foi, autantd'autorité quedans celles qui ontexclusivement cette foi pour objet. En outre, l'assemblée rédigea un for mulaire à faire signer généralement,concernant l'exécution des bulles d'Innocent X ct d'Alexandre VII, et la condam nation des propositions contenues dans Jansénius et con traires à la doctrine de saint Augustin. Le formulaire qui devait mettre fin à toute distinction fit naître des distinc Lions nouvelles, et ne mit fin à rien. Par exemple, Marie AngéliqueArnauld,abbessede Port-Royal, etsesreligieuses refusèrent inflexiblement de signer; elles furent excom muniées et dispersées dans divers couvents. Il y avait une
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autre abbaye du même nom , dite Port Royal-des-Champs, dont était supérieure la mère Agnès Arnauld, sæur de Maric-Angélique, et où s'étaient retirés les deux Arnauld, sesfrères, et d'autres coryphiées du jansenisme, qui prirentde la le nom de Port-Royalistes ou Messieurs de Port-Royal, En 1665, le saint-siége condamna quarante-cinq proposiLionsde morale relâchée, qui était celle desjésuites. C'était pour faire la part à chacun ; car il publia aussi un formu laire dans le sens de celui du clergé français et qui devait être signé partout. On obéit, mais en distinguant entre la décision sur le droit et celle sur le fait, qu'on acceplait, à la vérité, aussi bien l'une que l'autre, mais toutefois en n ac cordant à la dernière qu'un respect de silence, un respect extéricur. Les auteurs de cette argutie étaient quatre évè ques de France, celui d'Angers, celui de Beauvais, et les évêques d'Aleth et de Pamiers qui, ainsi que nous avons dit ailleurs, se roidirent alors contre Louis XIV pour obéir au pape, comme maintenant ils sc roidissaient contre le pape pour obéir à leur conscience. Alexandre VII avait condamné leurs mandements; Louis XIV les cassa, et il institua une commission pour les juger eux-mêmes.
Mais, sur les entrefaites, dix-neufévêques, appuyés sous main par vingt autres, s'étaient joints aux quatre distin guants; les ministres, les parlements et même une partiede la population prirent fait et cause dans la querelle, et forcèrent le saint-siége et la cour de France à modifier leur rigueur. Clément IX venait de succéder à Alexandre. On permitauxquatreévêques de signer leformulaire de la manière qu'ils jugeraient à propos; ce qu'ils firent, en se servant de toutes les distinctions et réserves possibles, qu on eut soin denepas communiquerau pape. Après quoi ils écrivirent à Rome avec soumission et respect; le roi at testa que, s'ils n'avaientpas signé purement etsimplement, ils avaient du moins signé sincèrement, et la paix appelée de Clément IX, espèce de duperie réciproque, mais volon
lifositpas AsgeDove e Dest deel ne, ea wideSono ansle tent :ils its
248 Deen 1loete Pame anti peche ishing taire, fut conclue et ratifiéedes deux parts : les religieuses de Port-Royal rentrèrent au sein de l'église.
Après le pape, les jésuites eurent leur tour : les jansé nistes leur reprochaient, outre leur morale relâchée, leur dévotion indiscrète pour la Vierge. Puis venaient leurs opinionssurlepéchéparignorance,lepéchéphilosophique,
Il était strictement défendu à l'un comme à l'autre parti de s'appeler hérétique, janseniste, pélagien, etc.; cela ne les empêcha pas de chercher à se vexer mutuellement de toutes les manières. Les jansénistes, qui combattaient le calvinisme pourne pasêtreaccusésdevouloir uneréforme, ne s'en prenaient pas moins au pape, indirectement bien entendu. Sachant qu'ils ne pouvaientrien fairequi fùtplus sensible au saint-siége, ils publièrentà Mons une traduction du nouveau testament, que le conseil d'état fit supprimer (1667) et que le pape proscrivit comme téméraire et perni cieuse (1668). Innocent XI, quoique quasi-janseniste, con firma cette sentence (1679). Antoine Arnauld se fit le plus chaud défenseur du nouveau testament de Mons.
Au reste, nous erons remarquer à ce propos que Sixte Quint avaitfait traduire la bible en italien, au grand scan dale de l'inquisition d'Espagne qui fit faire des représentationsau pape par Philippe II. Mais Sixte ne souffrait la contradiction, et peu s'en fallut que l'ambassadeur du roicatholique, le comte Olivarès, ne fût pendu. Sixte étantmort, l'inquisition mit sa bible à l'index, avec toutes cellesqui l'avaient précédée. Martini, depuis archevêque de Florence, publia à Turin une traduction de la biblc (1769 et 1776), que Pie VI approuva hautement (1778); ce quiattira au pape les louanges passablement compromettantes de Jean-Jacques Van Rhyn, archevêque schismatique(janséniste) d'Utrecht. Cettetraduction ne putéchappermalgrécela à la condamnation ordinaire : elle se trouve à l'index du saint office romain (17 janvier 1820). Maisrevenonsauxquerelles de France.
Il est fåcheux d'avoir à s'occuperde ces menéesobscures et de ces perfidies de sacristie; mais l'histoire du janse nisme, dépouillé par l'esprit du temps de la rude franchise d'une autre époque, se compose en grande partie d'intri gues de cette sorte. A la fin du xviie siècle, Innocent XII ordonna par une bulle de condamner les cinq propositions dans le sens qu'elles présentent naturellement à l'esprit (1694). C'était ce que les jansénistes voulaient : aussi rele vèrent-ils la tête dans les Pays-Basoù ils s'étaient retirés et où ils perdirent cette année mênie le grand Arnauld qui avaitsuccédé dans la direction du parti à Duvergerde Hau
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Innocent XI, qui n'aimait ni les jésuites ni leur doctrine,condamna (1679) soixante-cinq propositions scandaleusesprises dans les traités de morale de la compagnie ; parmi elles se trouvait le probabilisme qui permet de choisirentre deux opinions probables, et par conséquent entredeux actions qui ne sont que probablement bonnes, cellequi l'est le moins. Enhardi parce succès de ses cosectaires,le docteur Gilbert écrivit ouvertement en faveur du jansé nisme (1687); maison lui imposa silence.
l'amour de Dieu, l'envie, la haine, la vengeance, le duel,lescalomnies, le vol, etc., etc. Les jansenistes flétrirent ces opinionsdanslaThéologiemoraledesjésuites(1644et1666).
Parmilesjésuites, lepère Mussieravaitavancé que, lors qu'on viole la morale sans penser à Dieu qu'on offense, on nepèche pas en réalité; c'est ce qu'on appela le péché philosophique : le saint-siége condamna celte doctrine (1690).
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La compagnie de Jésus signala de son côté trente et unepropositions de morale, extraites des écrits de leurs adver saires, et qu'elle fit censurer par Alexandre VIII. Elle fit plus ou plutôt pis : un des siens trompa les jansénistes de Douai en se faisant passer pour Arnauld, et leur fit signer de confiance des lettres et des thèses renfermant les cinq fameuses propositions; puis nanti de ces pièces, il les publia et fitchasser ceux de qui elles émanaient.
ranne, abbéde Saint-Cyran, ct auquel succéda le père Ques nel,del'Oratoire.Aureste,lesjésuitesnes'endormaientpas: il fallut leur sacrifier coup sur coup (1695) le livre Dela fréquente communion et celui de l'Année chrétienne, qui jusqu'alors avait édifié tous les dévots. Le cardinal de Noailles,archevêquedeParis,penchait intérieurementpour le jansenisme, mais il dut céder au torrent et condamner l'Exposition de lafoi catholique touchantlagrâceet lapré destination; elle ne contenait cependant rien autre chose qu une traduction des traités de saint Augustin, desaint Fulgence etde saint Prosper contreles pélagiens. Leprélat qui, dans son mandement, s'exprimait comme saint Paul, saint Augustin, saintThomas et l'évêque d'Ypres, ncplut: personne. Il avait peu auparavant approuvé les Réflexions sur le nouveau testament, du père Quesnel, qui renfer maientexactementla même doctrinequel'Expositiondela foi. On saisit cette occasion pour demander dans un Pro blème ecclésiastique, qui il fallait croire, Louis-Antoinede Noailles, évêque de Châlons (1695), ou Louis-Antoine de Noailles, archevêque de Paris (1696). Le parlement vint au secours du cardinal ; le Problème, auquel il était difficile de trouverune solution plausible, fut brûlé à Paris et con damné à Rome.
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Fénelon persécuteur. Bulle Unigenitus. Appel au futur concile. L'abbé Dubois.- Le jansenisme se convertit en démocratie. Miracles dudiacre Paris. Convulsions. - Lesjansenisteshollandais.
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§ IV. - LES APPELANTS .
Lesjansenistes ne se lassaient pas de harceler lesjésuites, niceux-ci d'invoquer l'autorité contre leurs adversaires. Il est à regretter que, parmi les ennemis les plus ardents, mais aussi les moins connus, du jansenisme, on ait à citer Fénelon qui,pendant qu'il affichait en public uneimpartiale bienveillance pour les persécutés, les perséculait lui-même encachetteavec acharnement. Les dénonciations incessantes de l'archevêque de Cambrai, sur lesquelles il ne manquait jamais de recommander le secret le plus absolu, sont ac quises à l'histoire. Fénelon écrivait à Rome que presque tout le clergé de l'Europe, tant régulier que séculier, que la cour et la magistrature de France, étaient jansénistes, et il sollicitait vivement les mesures de répression les plus vio lentes contre ces facticux; c'est ainsi qu'il les nommait :seulement il insistait toujours sur la nécessité que nul ne sûtjamais que cela venait de lui. Parmi ces délations aussi basses qu'hypocrites, on lit l'aveu formel du célèbre pré lat qu'il était dévoué sans réserve à la compagnie de Jésus, et qu'il n'avait pas reculé à l'occasion devant le mensonge proféré sciemment pour la micux servir. Et cependant Fénelon jouit de la réputation, nous ne di sons pas seulement d'un honnête homme, mais aussi d'un prêtre-modèle etd'un philosophe raisonnable et conciliant, également cherpendantsa vieauxcatholiques et à ceux qui
On était au commencement du xville siècle : Rome ve nait de censurer divers écrits antimolinistes ; lesjansenistes inventèrent un cas de conscience qu'ils furent assez habiles pour faire décider dans leur sens par quarante docteurs en théologie. La compagnie de Jésus fit de son côtécondamner le cas de conscience par le saint-siége et l'archevêque de Paris, et porta Louis XIV lui-même à solliciter contre le jansénisme un nouveau témoignage de sévérité et de ré probation : les instances du roi donnèrent lieu à la publi cation de la bulle Vineam Domini(1705), parlaquelle il fut déclaré que le silence respectueux ne suffisaitpas à l'égard des questions de fait résolues à Rome. Le père Tellier, con fesseur de Louis XIV, se servit adroitement, quatre ans plus tard, de la décision pontificale, pour faire raser PortRoyal-des-Champs, disperser les religieuses et exhumerles morts qui reposaient dans l'église.
les combattaient, et que personne, à bien peu d'exceptions près, n'ose encore aujourd'hui accuser ouvertement d'in trigue et de duplicité.
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La bulle Vineam menait logiquement à la bulle Unigenitus, beaucoup mieux connue, la plus controversée de toutes les décisions pontificales, puisqu'on jugea nécessaire de la défendre en quatre volumes in-folio de deux milletrois cent cinquante pages. Voici à quelle occasion elle fut lancée. Le père Tellier ne pardonnait pas au cardinal de Noailles l'approbation qu'ilavait donnée comme évêque de Châlons aux Réflexions morales du père Quesnel. Il n'eutpoint dereposque la lecturedecelivre, répandudanstoute la France depuis quarante-deux ans, et dans lequel le père Lachaisc, jésuite comme Tellier, et avant lui confesseurde Louis XIV, trouvait toujours, disait-il, quelque sujet d'instruction et d'édification, ne fût défendue par le saint-siége sous peined'excommunication (1708). Ce n'était pas assez :il attaqua directement et personnellement les Réflexionsmorales et le cardinal-archevêque, leur approbateur, et fit
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choses changèrent de face : la Sorbonne se joignit aux partisans de Quesnel, et quatre évêques donnè rent l'exemple d'appeler de la bulle Unigenitus au futur concile. Avant peu, le nombre des appelants déclarés s'éleva à seize prélats, environ treize milleprêtres, et des laï ques en proportion. Le régent imposa le silence, et le pape condamna les actes d'appel. Il excommunia même, par son bref Pastoralis officii, ceux qui s'étaient permis de pareils actes (1718), et qui néanmoins ne se firent pas faute de les renouveleren appelantmême de la sentence qui le leur dé fendait. Clément étaitplus chagrin de cette résistance de la part des Français, qu'il n'étaitsatisfait de la soumission avec laquelle la constitution Unigenitus était reçue presque par
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Ce fut un brandon de discorde qui mit en feu l'Europe catholiqueet surtout le royaume de France. Il nes'agissait plus seulement dejansenisme et de molinisme, mais d'o béissance aveugle et de droit à discuter, et à une époque où l'autorité par la force faisait un dernier effort, la liberté par l'examen ne négligea rien pour le rendre impuissant. Quarante évêques français avaient accepté la bulle Unige nitus;huit, le cardinal de Noailles à leurtête, larejetérent. Lesmandements se croisaient et se heurtaient de toute part. Lc roi prit parti contre les réclamants. L'archevêque de Paris n'en suspendit pas moins tous les prêtres qui se sou mettraient ; le pape proscrivit le mandement du cardinal. Louis XIV allait recourir à son ultima ratio, lorsqu'il mourut. La régence appartenait de droit au duc d'Orléans; pour mieux résister au parti de madame de Maintenon, du duc du Maine et du père Tellier,ce princefitcausecommune avec le cardinal de Noailles et les magistrats, la plupart jansénistes.Aussitôtles
écrire par le roi d'une manièrepressante au pape pour demander la condamnation expresse de plus de cent proposi tions. Le faible Clément XI obéit à la lettre : il en anathé matisacent unepar la bulle Unigenitus Deifilius (1713).
Un des premiers appelants , Soanen, évêque de Sencz,avait publié une instruction pastorale qui sentait le jansé nisme. Les constitutionnaires la déférèrent au concile pro vincial d Embrun, qui la condamna comme étant pleined'un esprit hérétique, et qui en suspendit l'auteur. Cetteassembléc, que les jansenistes flétrirent sous le nom de Brigandage d Embrun, devint l'occasion de disputes sans
toutailleurs.La Sorbonne venait de déclarererronéela doc trine de l'infaillibilité du papc; il est vrai que le régent fit biffer cette déclaration, maislui-mêmeproposa desoustraire la France à l'obéissance du saint-siége, parce que le pape refusait d'instituer les évêques élus, qu'il soupçonnait de ne pas être dévoués au parti de la constitution (la bulle).
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Innocent XIII était plus modéré que Clément XI, mais pas au point de renoncer à faire triompher les décisions du saint-siége de tous les obstacles qu'on suscitait à leur exécution. Il le prouva bientôt en créant cardinal le scan daleux abbé pour lequel l'archevêque Fénelon a témoigné une amitié si cordiale, si solide, si passionnée, l'abbé Du bois en un mot, en récompense de ce qu'il avait fait en faveur du saint-siége en cette circonstance. C'était le prix d'un marché conclu entre eux et dont l'objet avait été la tiare pour l'un , le chapeau rouge pour l'autre. La pro messc écrite du pape était déposée entre les mainsde l im pudent jésuite Lafitau, évêque de Sisteron et ministre de France à Rome, lequel, d'accord avec lefourbe abbéTencin, ne consentit à l'anéantir qu'après qu'elle eut été remplie. BenoîtXIII, successeur d'Innocent, condamna,dans un con cile provincial tenu à Saint-Jean de Latran (1625), tous les réfractaires à la bulle Unigenitus, ce que le concile d Avi gnon s'empressa de ratifier; l'abbé Fleury, qui venait de recevoir la pourpre, à condition de persécuter les jansé nistes, s'entendit à ce sujet avec Tencin, archevêque d'Embrun,et qui déshonorait d'avance cette mêmepourpredont lui aussi allait être revêtu.
Peu à peu le jansénisme changcait de nature : emporté par l'esprit de l'époque, il allait devenir, de secte d'opposi tion religieuse,parti d'opposition politique. L'aristocratic de l'église, sans peut-être se rendre bien compte du motifqui la faisait agir, se sépara de lui pour se ranger autour du pouvoir dont elle-même faisait partie, et la démocratie segroupa en rang serré pour l'emporter tout à la fois sur l'aristocratie et sur le pouvoirsuprême duquel elle emprun tait toute sa force. Le cardinal de Noailles fut le premier à accepter la bulle, le pape aflirmant qu'elle ne contredisait en rien, ni saint Augustin , ni saint Thomas. Les autres évêques suivirent cet exemple. Mais les simples prêtres demeurèrent fermes dans leur attitude de résistance, et les magistrats, flattés d'être constitués par eux arbitres entre les deux pouvoirs, protégèrent le clergé inférieur contreses chefs et le pape.
nombre, d'accusations malignes, le plus souvent méri tées des deux parts, dc subtilités vétilleuses, de prétextes pour désobéir à ceux envers lesquels on protestait de la plus parfaite soumission; elle acheva ainsi de faire perdre lc peu de respect qu on avait encore conservé pour une autoritéquine se respectaitplus elle-même. Il ne manquaitque le ridicule, et nous verrons bientôt les miracles de l'abbé Påris y prêter, plus même qu'on n'avait droit de s'yattendre dans un siècle incrédule et moqueur.
Louis XV tint un lit de justice (1730) qui ne servit qu'à montrer aux moins clairvoyants que la décadence de laroyauté suivrait de près la chute de l'autorité papale. Celacst si vrai que quarante avocats publièrent en faveur desappelants,un mémoirequi contenaitdesprincipes, nonplusseulement jansenistes, mais en outre démocratiques; ils les appliquaient, non plus exclusivement au régime del'église, maisencore augouvernementde l'état, dont, étaitil di , les droits étaient sans cesse sacrifiés aux prétentionsd'unecour étrangère. Les avocats furent forcés de rétracter
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Nous avons parlé des miracles du diacre Pâris, mort jan séniste (1727). Ses cosectaires n'avaient pas attendu cette époque pour rendre le ciel complice de leurs ergoteries. Déjà Nicoleet Racine on est affligé de trouver ces noms sous la plume dans le récit de pareils faits avaient vanté les prodigesd'une sainte épine,qu'un de leurs prêtrespré tait aux filles dévotes (1656). Mais le cimetière de SaintMédard, où Pâris avaitété enterré, fit oublier les miracles antérieurs. Plusieurs curés de Paris demandèrent à l'arche vêque de ratifier la sainteté des choses merveilleuses qui y avaient lieu, et l'évêque de Montpellier les attesta for mellement dans un mandement que le pape condamna comme faux et hérétique. Les constitutionnaires, en faisant toucher au doigt et à l'ail l'absurdité de ces scènes pué ril s, neréussirentqu'à faireécroulerdansl'opinion, désor mais attentive, tout l'édifice des anciens miracles, infini ment moins bien constatés que ceux du diacre janseniste, et également inadmissibles.
ce qu'ils avaient avancé d'hostile au système établi; maisleurs idées d'insurrection contre l'autorité religieuse res tèrent, et elles devaient, un peu plus tôt, un peu plustard, entraîner le système tout entier auquel cette autoritéservait de base. Le pape continua à exiger l'acceptation de la deconstitutionUnigenitus,commeétantconformeauxopinionssaintAugustinetdesaintThomas,ainsiqu'àdéfendred'attaquercesfondateursdusystèmedelagrâce,etde combattre ceux qui les attaquaient. C'était ordonner l'ab surde, et rendre l'obéissance impossible.
Vers 1734 commencèrent les convulsions, prodiges per manents, dont chacun pouvait se donner le spectacle en se rendant au cimetière Saint-Médard. Le roi fit fermer le cimetière, et les convulsionnistes se réfugierent dans des réunions privécs, où les scènes miraculeuses devinrentd'autantplus dégoûtantes,qu'étantdéfenduesparl'autorité,elles étaient secrètes. Les convulsions épileptiques et sur
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touthystériques- car c'étaient des femmes qui jouaientles principaux rôles dans ces honteuses exhibitions - finis saient régulièrement par la demande des secours, et ces secours étaient des coups de poing, de pied, de bûche, de barres de fer, d'épée même, et des crucifiements au moyen declous transperçant lespieds et les mains. On arrêta plu sieurs convulsionnistes (1735), entre autres celui quise faisait appeler Élie, Jean, son précurseur, et quelques filles perdues. Les arrestations se renouvelérent six ans après.
Un mot sur les divisions desjansénistes de France, avant de passer à ceux des Provinces-Unies. Tous les appelants n'étaientpasconvulsionnistes.Ilsétaient,oufiguristes, c'est à-direqu'ils expliquaientla bible allégoriquement,ou antifi guristes. Ilyavaitaussidesconvulsionnistesrigides,quiad mettaientles miracles prétendussans distinction, etd'autres qui faisaient un choix etn'acceptaient queles moins dérai sonnables etles plus authentiques. Les figuristes, générale ment parlant, se montraient partisans des convulsions; ils
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Cependant les autres miracles n'avaient pas cessé, et le parlement lessoutenait contre les mandements des évêques. Les convulsions aussi continuèrent : en 1760, il y avait à Paris deux directeurs qui réglaient l'administration des secours, en présence de magistrats distingués, de dévotes de haut rang, de prêtres et de religicux. Labarre, avocat au parlement de Rouen, un des deux directeurs en ques tion, fut condamné à l'exil pour neufans, et les filles qu'il faisait rouer de coups et crucifier, à quelques années de reclusion. En 1785, un curé des environs de Lyon cruci fiait encore. Les convulsionnistes eurent leurs prophéties sur la révolution française, imprimées en 1792, mais na turellementsupposées d'une date beaucoup plus ancienne; ils eurent aussileur messie, Élie-Dieu, dont la mission aurait commencé en 1813, s'il n'avait pas été mis en pri son sept ans auparavant, avec le curé qui l'annonçait au monde.
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étaient accusés de socinianisme par les antifiguristes. La magistratureétaitsimplementappelante,àcause,disait-elle, de son respect pour les libertés du royaume et de l'église gallicane, et elle sévissait même, à l'occasion, contre lesconvulsionnistes. Le parlement porta le rigorisme jusqu'à supprimer la bulle de canonisation de monsieur Vincent
L'église janseniste de Hollande date du commencement du xvme siècle. Codde, archevêque de Sébaste, qui devintvicaireapostolique en 1686, étaitjansenistecomme l'avait été son prédécesseurNeercassel, évêque deCastorie. Ayant refusé de signer le formulaire d'Alexandre VII , Codde futcité à Rome, suspendu (1701) et déposé (1704). Le vicaire apostolique nommé pour le remplacer fut repoussé par la plupartdescatholiques hollandais, et Coddemourut(1717) sans avoir abandonné son troupeau. Le pape défendit de prier pour lui. Les prêtres de cette église, catholique pour le dogme, les rites et la discipline, et qui n'avouait pas sa séparationde l'église romaine,quoique celle-ci larépudiât,élurent archevêque d'Utrecht un des leurs, nommé Steen hoven (1723). Meindartz qui le remplaça (1759) se crea unévêque suffragant à Harlem et un autre à Deventer. Les nouveauxélus nemanquaientjamais d écrireà Romeen té moignagede leur désir de vivre en communion avec le saint-siége, eton leur répondait de Rome par une excommunication.Quelquescentsansplus tôt,cet échange depro cédésaurait mis le monde catholique en émoi; maintenant,au delà d'Utrecht et du palais pontifical , personne nes'eninquiétait.
c'est ainsi que les jansenistes nommaient saint Vincent de Paul, contre laquelle les curés appelants avaient pro testé, et non sans raison; car Vincent, il faut bien le dire, avait obtenu l'auréole de sainteté plutôt pour sa haine contre les jansénistes qu'il fallait, disait-il, poursuivre avec le fer et le feu , et pour sa scrvilité envers le pape, quepour ses actes de bienfaisance et d'humanité.
Depuis longtemps en France , on refusait les sacrements
Refus de sacrements. Altentat de Damiens. Nouvelle transformation du jansenisme. Lesjansenistes d'Allemagne, d'Italie el d'Espagne.-Le prêtre Malanima, condamné pour avoir voulu sauver les enfantsmorts sansbaptême.
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La transformation suivait son cours, etavec une rapidité progressive. Lejansenisme avait fait surgir les appelants;l'appel dela bulle Unigenitusau concile fit naîtreles parlementaires, d'où procédèrent plus tard les constituants etles conventionnels : c'est ainsi que l'examen se portait, des questions spéculatives sur les questions pratiques,ct quele protestantisme, après avoir renversé l'infaillibilité despapes, prenait sesmesures pour attaquerl'inviolabilité des rois.
V. --- LES PARLEMENTAIRES.
Aureste,l'archevêché d'Utrecht étaitl'asiledetouslesjan sénistes exilés de France, et les appelants de France four nissaientàses besoins, moyennantles ressources dela boite à Perrette, qui se composaitd'un fonds laissé par Nicoleet que lesjansénistes zélés alimentaient continuellement. L'é glise hollandaise, comme toutes les églises chrétiennes, cut son schisme : elle ne s'était séparée de l'église romaine que sur la question de fait ; un diacre nommé Leclerc vou lutqu'elle le fût aussi sur la question de droit. Meindartz convoqua àUtrecht un concile qui condamna Leclerc(1765) ct que Rome condamna. Dans les derniers temps, Pie VI excommunia le nouvel archevêque janseniste et ses deux suffragants (1778 et 1779), et Pie VII, Willibrord Van Oss(1814).
pour cause d'appel (1730). Vers le milieu du xvstrº siècle, le parlement résolut de faire cesser ce qu'il appelait un abus, et il introduisit un abus véritable en violentant les consciences; il fit administrer les mourants par force : leviatique étaitrequisparhuissieretportéaux maladesentredeux soldats. Les prélats constitutionnaires exigeaient unbillet de confession signé par un des leurs; le parlementdéfendit les billets et décréta de prise de corps les prêtres qui lesdemanderaient.L'archevêque deParispritladéfensedes constitutionnaires, etle roi lui-même intervintpourlessoutenir. En 1752 , le parlement ordonna à l'archevêqueChristophedeBeaumontde faireadministrerdansles vingt quatre heures un prêtre appelantqui avait eu recours auxmagistrats; le prélat n'obéitpoint etle prêtre mourutsans sacrements. Le roi cassa le décret : le parlementalorslançaun arrêt défendant sous diverses peines de provoquer au schisme sous prétexte de confession, de bulle et de formu laire, arrêt que le roi cassa également, que le parlementreconfirma, et qui fut exécuté malgré les réclamations duhautOnclergé.sefigure sans peine ceque devenaient, au milieu de ces conflits anarchiques, la religion vilipendée de toutes parls, tantôt par les appelants qui communiaient par bra vade ou se passaient de communier, tantôt par les constitu tionnaires qui s'obstinaientà refuser les derniers sacrements et jusqu'à la sépulture pour des chicanes, et toujours par lepeuple qui riaitdes unsetdesautres,ainsi quedeschoses sacrées dont les uns et les autres se faisaient un jouet. Le parlement avait saisi le temporel de l'archevêque; la cour exila les magistrats , en attendant que la nation chassát la cour. Les magistrats persistèrent, et les parlements de Rouen et d'Aix soutinrent celui de Paris : le roi sevit forcé de revenir sur une mesure qu'il ne fallait pas hasarder sil'on n'était assuré de pouvoir la maintenir (1754). Les magistrats rappelés n'en furent que plusardents à
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Cependant en 1767, les re us de sacrements recommen cèrent et furent réprimés par les magistrats; les constitu tionnaires cette fois étaientles provocateurs: une assemblée de vingt-deux évêques et de trente-six députés du second ordre avait déclaré que la bulle Unigenitus est un juge ment dogmatique et irréformable de l'église; cent prélats environ adhérèrent à cette décision que le parlement annula. Mais les intérêts se compliquaient avec les événe ments : la magistratureétaitjansenisto ou plutôt gallicane, CURISTIANISME , 11 .
poursuivreles constitutionnaires. L'eucharistie recommença à marcherentouréedebaïonnettes, etl'archevêquede Paris, qui ne voulaitpas accorder les sacrements aux appelants, fut exilé à son tour. L'assemblée du clergé protesta ; l'arche vêque l'appuya par un mandement : mais le parlement fit brûler le mandement du prélat et expulsa tous les prêtres qui y adhéraient. Le pape parut alors. Par une bulle il déclara que l'obéissance passive à la constitution Unigenitus étaitindispensable au salut, et qu'il était de devoir pour les prêtreset les évêques derefuser les sacrements àquiconquen'admettaitpas cenouveau dogme. La cour, qui avait besoin de l'argent du clergé pour faire la guerre, soutint le pape dans un lit de justice dont les conséquences furent la dé mission detous lesmagistrats,un nouvel exildu parlement et l'attentat de Damiens à la vie de Louis XV.
Il fallut bien mettre un terme à cet état de choses : les magistratsrentrèrent (1757), etles évêquesaussi, hors l ar.chevêque dela capitale, etla lassitude aidant, on demeura pour quelque temps en repos des deux côtés. On était d'ail leurs exclusivement occupé à se débarrasser des jésuites, dont lepeuple ne voulait plus en France depuisquela com pagnie s'était acharnée surleclergédémocratique, imbu de jansénisme, et sur les parlements qui le protégeaient, tan disqu'ailleursles roisrépudiaientcesmêmesjésuites comme entravant l'exercice de leur souveraineté par la doctrine de l'omnipotence papale.
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mais non pas irréligieuse; elle s'unit au haut clergé contre les philosophes qui menaçaient le christianisme lui-même et toute espèce de révélation. Les appelants n'en prirent pasmoinsfaitetcause pourlesmagistratslorsqueLouisXV, poussé par ses ministres, ses favoris et sa maîtresse, cassa le parlement et en bannittous les membres, qui ne furent réintégrésque parsonsuccesseur.
Lejansenismealors avait complétementchangéde carac tère : il n'était plus question de la vérité des cinq proposi tions, ni même du fait de savoirsi Janseniusles avait ou ne les avait pas soutenues; il s'agissait simplement de poser des bornes à la puissance spirituelle du pape, comme on en avait posé à sa puissance temporelle : c'est-à-dire qu'il s'agissait, en bonne et franche logique,dene plus laisser du papequ'un vain nom. Il est possible, il est probable même qu'en France les appelants les plus ardents ne se doutaient pas le moins du monde du but qu'atteindraient fatalement leurs efforts.
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Au reste, depuislongtemps déjà, dansles autres états de l'Europe catholique, principalement en Allemagne et en Italie, le jansenisme était ce qu'il avait fini par devenir chez les Français. Seulement, le moyen pour parvenir au but désiré était différent : en France, l'église janséniste visait au presbyterianisme, par haine des évêques dévoués à la courqui était soumiseau saint-siége; hors de France, cettemême église travaillait à fortifier l'épiscopat, dévoué à la monarchic, età cause de cela opposé aux prétentionsdes papes. En Allemagne, Joseph Il avait puni les prêtres qui soutenaient la constitution Unigenitus (1781), dont il nevoulait pasplusque decelle In coenaDomini. En Italie, les écrits des appelantsdeFranceavaient,endépitdes pro hibitions papales, fait de nombreux prosélytes. Nous parleronsailleursdesmesuresprisesparle grand-ducLéopold etdu célèbreconcile de Pistoie (1786). C'étaitbien du jan sénisme, si l'onveut, maisdujansenismepolitique,tendant
C'était d'une érudition effrayante par le nombre d'auto rités sacrées et profanes, depuis Homèrejusqu'aux rabbinset aux héréliques, invoquées contre saint Augustin, l'in venteur du péché originel, Dieu a soustrait les hommes aux conséquences du péché originel, dit l'écrivain, en faisant avec eux un pacte dont le signe était, chez les juifs la cir concision, chez les chrétiens lebaptême. Ce signe étaitné cessaire aux contractants; il ne l'est pas à leur postérité, surtout pour ceux qui en demeurent privés involontaire ment. Le censeur Nicolas-Marie Giani réprouva cette doc trine (1794), dont l'auteur n'échappa à la condamnation pour hérésie que parce qu'il avait déclaré se soumettreà la décision du pape. César Malanima, le défenseur com patissant des enfants, se montra sans pitié pour les pères : en 1799, il publia une brochure où il démontra, toujours la bible à la main, qu'il fallait tuer tous les révolutionnaires modernes, et surtout les partisans des Français,
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En Espagne, l'inquisition sévissait encore, à la fin du Xyme siècle, contre ceux qui n'admettaient pas en aveu gles les maximes les plus outrées de la cour de Rome, et qui à cause de cela exclusivement étaient appelés janse nistes.
à saper l'arbitraire pontifical plutôt qu'à établir la doctrine de la prédestination; seulement, le pape aimait toujoursmieuxle condamner comme hérétique que de le poursuivre comme simplement attentatoire à son autorité.
Pour cequi est du dogme de la grâce,il était oublié, ou plutôt,si l'onenavaithistoriquementconservé la mémoire,on y était devenu indifférent. De temps à autre, cependant, un théologien isolé remuait encore cette matière ingrate. Par exemple, un prêtre pisan , nommé César Malanima, présenta à lacensure, versla fin du dernier siècle, un ma nuscrit de 490 pages, intitulé Disquisition philologico biblique, et qu'il avait rédigé pour prouver queles enfants morts sans baptême seront sauvés.
Le prêtre italien Malanima, de bonne foi, --nousn'avons pas le droit de le mettre en doute est bien le type de tout homme qui s'essaie à raisonner pendant l'époque d'igno rance sociale. Tantôt saisissant la vérité, tantôt retombant dans l'erreur, sans jamais savoir, c'est-à -dire sansjamais pouvoir montrer aux autres quand il a raison ou quand il se trompe, cet homme est nécessairement, quoique avec les meilleures intentions possibles, un artisan de confusion et de désordre. Au sein du siècle appelé de raisonnement, Malanima avait de plus que les philosophes pour hâterla vénement de l'anarchie, les préjugés religieux des siècles précédents : son plaidoyeren faveurdesenfants mortssans baptêmejetaitinutilementle trouble dans l'église; son actede proscription qui enveloppait tous les adversaires de cette église, tendait à faire de la société une arène de vio lences et de forfaits.
comme Dieu avait fait égorger les Amorrhéens, les Ama lécites, les Chananéens, le roi Agag, et autresjacobins del'histoire ancienne. Il mourut en 1820, après avoir pro fessé les langues orientales à l'université de Pise pendant quarante ans.
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Nous sommes arrivé avec l'histoire des papes jusqu'au Xvin siècle, ce sièclefameuxqui vit s'écroulersurles débrisdu respect extérieur qu'on avait encore l'habitude d'accor deràlapapauté, lerestedela foi qui avaitrésisté à lachutede la puissance pontificale, et qui désormais, si l'on parvenaitàla relever, ne seraitplusqu'uneopinion individuelle,comme tant d'opinions qui se croisent dans tous les sens, se heurtent et s'entre-détruisent au milieu de notre société sans boussole et sans gouvernail.
CHAPITRE XXIV.
Les papes,Le pape et la guerre de succession. Monarchie sicilienne. jouetsdes sonverains. La franc-maçonnerie. L'illuminisme. BenoitXIV. -Lesaint-siège déclare la guerre auxphilosophes.
La guerre pour la succession d'Espagne troublait l Eu rope;elleinquiétaitfortementlepape quivoyaitlestroupes de l'empereurs'ouvrirde nouveau le chemin de l'Italie, en marchant à la conquête du duché de Milan et du royaume deNaples. Aussi ClémentXI favorisait-il les Français autant qu'il lui était possible : il était alléjusqu'àenvoyer à Naples le cardinal Barberini (1712) pour complimenter Philippe de Bourbon comme roi de toutes les Espagnes. D'ailleurs Clément était parfaitement d'accord avec Louis XIV et les jésuites qui, ainsi que le pape, plaçaient avant tout autre
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PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIN SIÈCLE.
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intérêt celui de l'extirpation du jansenisme. L'empereur Joseph, irrité de la conduite du pape, n'attendit que la retraite des Français au delà des Alpes pour renouveler les prétentions de son prédécesseur Léopold, qui avait fait ordonner par un édit à tous les feudataires de l'empireen Italie dejustifier de leurs titres (1697), édit que le saint siége avait frappé de nullité. Clément XI se disait souve rain du duché de Parme (1707), et il excommunia les agentsdeJosephqui y avaient levé desimpôts. L'empereur traita le pape avec hauteur. Il défendit qu'aucune sommed'argent passât de Naples à Rome et déclara la guerre à Clément. Le pape, forcé de céder, reconnut secrètement, comme roi d'Espagne, l'archiduc Charles d'Autriche. Mais alors les ministres français et espagnols quittèrent la cour pontificale, et Philippe V empêcha, à son tour, que les Espagnols, ses sujets, n'envoyassent de l'argent à Rome.
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Peu après eurent lieu lesdisputes sur la monarchie sici lienne. On appelait ainsi, comme nous l'avons déjà vu, un droit qu'Urbain II avait accordé (1098)au comte Roger, comme maîtredelaSicile, et à sessuccesseursàperpétuité,celui d'y être eux-mêmes les légats apostoliques avec tous lespouvoirsattachésàcettedignité. Unsiècle plustard, InnocentIII profita de la minorité de Frédéricde Souabe pour annuler ce privilegedontnéanmoins le gouvernement sici lien continua à user comme auparavant. Leschosesétaientdemeurées ainsi, malgré les réclamations pressantes du saint-siége, jusqu'au xv ° siècle, lorsqu'une circonstanceinsignifiante vint raviverla querelle et faire éclore les évé nements que nous allons rapporter.
Un commis aux gabelles avait exigé le tribut ordinaire sur des pois chiches exposés en vente et qu'il ne savait pas appartenir à l'évêque de Lipari, exempt de la taxe(1711). Malgré toutes les réparations faites au prélat, celui-ci excommunia le commis, qui appela de cette sentence au tribunal de la monarchie, lequel accorda l'absolutiondes
censuressiinvolontairementencourues.C'était ortsimple; mais la congregation romaine des immunités s'en mêla, et l'affaire devint grave. Les évêques siciliens eurent à choisir entre l'obéissance au roi qui leur défendait de se soumettre aux décisions du pape en cette occasion, etl'obéissance au pape qui leur ordonnait de résister au roi. La Sicile venait, en vertu de la paix conclue récemment, d'échoir à Victor-Amédée, duc de Savoie. Ce prince de meura ferme dans ses prétentions, et plus de quatre cents personnes, effrayées par lesdécrets pontificaux auxquels le gouvernement ne voulait pas qu'ils eussent égard, émigré rentde Sicile à Rome. Ce ne fut qu'en 1728 queBenoîtXIII termina cette lutte, en reconstituantde nouveau le tribunal de la monarchie, dont depuis lors l'autorité ne fut plus contestée.
A la finde savie, ClémentXI étaitenoppositionaveclesprincipaux souverains de l'Europe. L'empereur Charles VI lui reprochait la violation de la paix qu'il avait garantie, ce qui n'avait pas empêché le roi d'Espagne de conquérir la Sardaigne pendant que lui, empereur, combattait les Turcs pour obéir au pape. Clément témoigna son ressentimentpour cette violation au cardinal Alberoni, ministre d'Espagne, qui l'avait conseillée, et à cause de cette dé monstration, Philippe V rompit, comme avait fait Char lesVI, toute relation entre ses états et le saint-siége.
La France, en outre, était inondée d'appels de la bulle Unigenitus au futur concile, et l'Angleterre menaçait de bombarder Civita-Vecchia et même de mettre le siége devant Rome, à cause de la protection qu'on y accordait au prétendant Jacques III (Stuart). Puis ClémentXI défendit de jouer à la loterie sous peine d'excommunication (1727), défense que, cinq ansaprès, Clément XII annula en établis sant lui-même une loterie pontificale, de manière que l'a nathème dès lors frappa exclusivement les loterics étran gères etles sujetsdupapequi neseruinaientpas auprofitde
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celui-ci. Enfin, sous Clément XI, eut lieu une tentativede réunion de l'église moscovite à l'église romaine, tentative qui finit d'une façon burlesque.
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Les théologiens de Paris avaient profité de la visite dePierre le Grand à la Sorbonne pourlui proposer cette me sure conciliatrice (1717). De retour en Russie, l'empereurfit examiner l'affaire par les théologiens grecs, qui repous sèrent vivement la double procession du Saint-Esprit , comme il repoussait lui-même la soumission de l'égliserusse au saint-siége. Pour empêcher que pareille chose ne se renouvelât à l'avenir, Pierre imagina de créer papeun vieux fou, de quatre-vingt-quatre ans, appelé Josofou Zotof, de lui donner des cardinaux aussi ridicules que lui, etdelemarier publiquement, aprèslescérémoniesd'installation les plus bizarres, avec une veuve de son âge.
Ce fut alors que parurent les premières censures contreles francs-maçons. La maçonnerie était une association d'hommesqui, dans des réunions secrètes et sous l'abri de symboles baroques que lanécessité du temps pouvait seule
Clément XI avait fait subir un procès scandaleuxau car dinal Albéroni; Clément XII en intenta un également scan daleux au cardinal Coscia, un des favoris de Benoît XIII. Coscia fut condamné à dix ans de détention etexcommunié pour fraudes, vols, extorsions, etc. (1733). Il fallut toute la protection de l'empereur et trente mille ducats pourque le pape le relevât du moins des peines spirituelles. Désor mais les souverains pontifes étaient entraînés à commettre des fautes pour plaire aux rois qui les en sollicitaient, et qui après cela les payaient de leur complaisance par l'in gratitude et le mépris : Clément XII venait de nommerarchevêque de Tolède etde Séville, et decréer cardinal,donLouis, infant d'Espagne, encoreenfant(1755);l'annéesuivante, il n'en était pas moins en butte aux avanies des cours d'Espagne, de France et de Naples pour des motifslégers, et le plus souventsans motif.
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L'illuminisme du Bavarois Weisshauptvint après lamaçonnerie dontilétait unrefletaristocratique. Les gouverne mentsd'Allemagne, d'Italie, d'Espagne, de Turquie même sévirent avec un égal acharnement contre l'une et l'autre association.
faire excuser, usaient, à huis clos, du droit encore nouveau pourla société de tout examiner et d'aviseraux moyens de réformer ce que chacun y trouverait d'erroné et d abusif. C'était de la démolition anarchique, il faut en convenir ; mais le pouvoir qui y mettait obstacle se trompait en ceci que, dans l'intention de conserver l'ordre établi, il s'en prenait aux instruments de la démolition, sans remonter auxcauses qui avaient rendu ce déblai inévitable, et qui étaient le libre développement del'intelligence : or, le pou voir n'avait aucun moyen cfficace d'arrêter ce développe ment; lui-même l'avait favorisé, et avait dû le favoriser, pour que la société en marche ne l'écrasât pas dans sa progression fatale. La maçonnerie reprochait à la religion d'avoir servi de base à un droit social injuste autant qu'absurde, etàl'organisation de la société d'avoir eu pour source l'erreur et l'iniquité. Tous les despotismesse liguerent contre elle; celui du sacerdoce, le premier attaqué, se déclara le premier : Clément XII qui, comme prince temporel, avait décrété la peine de mort contre les francs maçons, les excommunia comme pape (1739). Benoît XIV confirma la bulle de Clément, et Pie VII qui se plaignit en plein consistoire (1808) que les maçons se réunissaient jusque sous sesyeux, renouvela les sentences de l'un et de l'autre de ses prédécesseurs, aussi inutilement que ceux-ci les avaient prononcées avant lui.
Napoléon se servit des maçons comme des prêtres tant qu'il futleplus fort. Ses imitateurs en arbitrairevoulurent suivresonexemple. Maisil fallaitqu'un peuplus tôtun peu plus tard,lamaçonneric, aussi bien quelelibéralismedont elle était l'expression cachée, renversât ce sans quoi la so
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BenoîtXIV est le premier pape qui s'aperçut que, pour continuer à semaintenir, il devait faire à l'espritdu siècleau milieu duquel il vivait, les concessions dontce siècle lui faisait une condition d'existence. C'est ainsi qu'il ratifia(1741) le concordat conclu depuis quatorze ans entre la Sardaigne et Benoît XIII, et que Clément XII avait voulu annuler comme contraire aux immunités ecclésiastiques. C'est ainsi encore qu'il diminua le nombre des fêtesde précepte pour le royaume de Naples (1744). La France venait d'imposer unecontribution régulière sur le clergé,quijusqu'alors n'avait fourni aux dépenses de l'état que pardes dons volontaires (1750). Benoît XIV ne réclama point. La république deVenise défenditaupatriarehed'avoiraucunerelation avec le saint-siége si ce n'est par l'intermédiairedu pouvoir civil, ct de donner aucune publicité aux écrits venantde Rome, avant qu'ils fussentrevêtusde l'exequaturdu gouvernement (1754). Benoit XIV garda le silence. La papauté ne pouvait décidément plus remporter sur l'opinion que desvictoires personnelles; celles de principes lui étaient interdites, du moins socialement. L'abbé de Prades,àl'instigation, disait-on, des encyclopédistes,avait, en pleineSorbonne, soutenu une thèse en faveur du déisme et mêmedu matérialisme. Exclu de lafaculté,condamnépar l'archevêque de Paris et par Benoît XIV, de Prades se ré fugia en Prusse, à la courdu grand Frédéric. Ilfinit parserétracter (1754); mais le scandale resta,et l'encyclopédie
ciété ne pouvait se tenir debout, et quelecatholicismes'efforçât de redressercequi ne pouvait plusquetomber,soit d'un côté, soit de l'autre. Papes et rois devaient s'userà la peine; aprèsquoi la maçonnerie,désormais devancée parla société,ets'interdisant à elle-mêmela liberté dontelleavait contribuéàmettre toutlemondeenpossession,neseraitplus qu'un cadavre, que la maladresse cléricale galvaniserait par intervalle, mais qu'aucune force ne pourrait faire re vivre.
enportala peine: ClémentXIIIlacondamna(1759),commepernicieusepourlareligionetlesmeurs. Dèslors,la guerre était allumée entre le saint-siége et les philosophes.
Cette guerre, comme nous le verrons plus loin, ne pouvait avoir qu'une issue, celle de faire définitivement dé choir la religionjusqu'à n'être plus qu'une école de philosophie; ce qui, à l'époque d'ignorance dela véritéetde discussion incompressible, où aucune opinion n a la force morale de s'imposer aux intelligences, était la réduire, même comme religion individuelle, å fort peu dechose, et comme religion sociale, à rien.
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CHAPITRE XXV .
Lesconnaissancessedéveloppaient avec lesbesoins,sousla pression dela forcecontre laquellel'intelligences'insur geait toujours et qu'elle invoquait sans cesse; car il n'y avait, comme il n'y a encore, de connu que la force exclu sivement. Sous le nom d'autorité, la force était acceptée vo lontairementpar lafoi; sous le nom d'examen, deliberté, la force changeant avec l'opinion, qui ne pouvait que chan ger, ne fut plusacceptée qu'avecdoute. Le résultatdetoutediscussion était constamment et nécessairement le rejetd'une des opinions comparées entre elles, et l'ébranlement de l'opinion momentanémenttriomphante. La forcebrutalene manquaitjamaisde se montrer de plus en plusà découvert, au bout de toute discussion possible, et elledevaitpour cela même chercher à épaissir de plus en plus lemasque de sophisme sous lequel elle se dissimulait.
LES JÉSUITES.
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Ils se posent en champions du pouvoir pontifical. Leurs concessions en Chine. Les dominicains l'emportent sur eux. Les rois se déclarent contrelacompagnie. EnPortugal, le ministère lachasse. EnFrance, le parlement la condamne et la supprime. Clément XIII élèveles jé suites aux nues. Ils sont expulsés partout. Clément XIV abolit la compagniede Jésus. Lesjésuitesse relèvent.
C'est danscette dispositiondesespritsque surgitla compagniede Jésus (milicu du xviº siècle). Hommes pratiques
avant tout, lesjésuites sentirent fort bien que la foi socialen'étaitplusassez robuste pouradmettre,mêmeensa propre faveur, le recours à l'inquisition et aux supplices ; ils biai sèrent, et l'on vit la persuasion prendrela place de la con trainte matérielle, les concessions, les atermoiements, les transactions, lemezzo termine, la séduction, en un mot, la corruption et l'intrigue, s'essayer à diriger au jour le jour la société que laviolence seule et la terreur ne réussissaient plusà rangersous la bannièred'uneautorité plus durable. Maisla mêmequestion, sous ses milleformesdiverses, se re présentaitsansrelâche aucune : pour fairevaloirl'intrigne, pour rendre la corruption puissante,il fallaitdéjà êtrefort. Les jésuites le comprirent, et ils se posèrent comme les champions des papes, les derniers représentants de l'auto rité si longtemps victorieuse, sous le vieux prestige de laquelleils espéraient se glisserpartout, avoir plus ou moins d'influence partout, et tirer parti de tout pour acquérir la richesse et le pouvoir. Hors ce seul point, ilsse montrèrent constamment accommodants en toute chose : leur dogma tismeétait flexible,leurs opinions adaptées aux lieux et aux temps,leur morale peu gênante. Dansles discussionsoù ils furent engagés, ils embrassaient communément le parti le plus conforme à la raison, pourvu toutefoisque leur intérêtne fût pas enjeu; quand ils heurtaient le bon sens, c'était rarement pardéfaut de lumières, ce n'était jamais par pas sion, c'était toujours par calcul. Nous les avonsvus, au con cile de Trente, dans les disputes entre l'église et le saint siége, nousvenons de lesvoir en France dans les querelles sur la grâce, prendre le parti de l'autorité ébranléc. Mon trons-les en Chine, se faisant Chinois pour que les Chinoisse fissent chrétiens, du moins en apparence, et cherchant, eux, à conserver l'apparence de la soumission envers le pape qui leur traçait une règle de conduite à laquelle ils ne voulaient pas se soumettre. Ils étaient parvenus à convertir les dévots deConfucius, II. 24
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Le succès, sur les entrefaites, couronnait les efforts des jésuites ; l'exercice du christianisme avait été permis parl'empereur Kang-Ili : il est vrai que l'esprit de dominationdes convertisseurs ne tarda guèrc à effrayer le despotisme chinois, et que la liberté fut ôtée aux chrétiens dès le règne suivant. Les choses en étaient à ce point lorsque les missions étrangères de Paris cherchèrent aussi à cultiver la vigne du Seigneurdans ces pays éloignés. Maigrot qu'elles y envoyèrent, créé vicaire apostolique par le pape, pritparti pour les dominicains et fut soutenu en Franceparses supéricurs. La faculté de théologie censura la doctrine des jésuites concernant les rites chinois (1700). Enfin, Clé mentXI(1704) proscrivit définitivementles cérémonics chinoises, ainsi que le mot en usage en Chine pour signifier
surtout par leur condescendance relativementaux honneurs à rendre àla mémoire de ce philosophe; ils ne s'opposaient pas à ce que leurs néophytes continuassent à s'acquitter comme de coutume de ce qui, à leurs yeux, était un de voir. Mais ils n'étaientpasles seuls missionnaires en Chine: lesdominicains,qui leur faisaient concurrence, défendaient aux prosélytes qu'ils faisaient de pratiquer, à l'égard deConfucius et deleursancêtres, ce qu'eux appelaient, nonde simpleshonncurs,mais un véritable culte. Lesquerellesqui naquirent de là urent jugées à Rome par la congrégation dela propagande, vers le milieu du xvnº siècle, en faveur desdominicains à la demande du père Morales, et en 1656 en faveur des jésuites à la demande du père Martini : Inno cent X avait confirmé la première de ces décisions que la propagande déclarait ne pas être contraire à la seconde; Alexandre VII sanctionna la seconde décision sans préjudice au décretd'Innocent. Treize ans après, l'inquisition se pro nonça à son tour, en affirmant que les deux jugements op posés étaient également valables et vrais. Néanmoins les dominicains obtinrent une nouvelle sentence (1674) qui condamnait formellement l'idolâtrie chinoise.
En leur qualité de défenseurs officieux de l'omnipotence papale, les jésuites curent souvent de singulières thèses à soutenir : celles relatives au droit de refuser l'obéissance au pouvoir établi quand il est en désaccord avec le saint siége, ce qui avait pour conséquence le devoir de débar rasser le pape de ceux qui lui résistaient, quels qu'ils fus sent, princes et rois, par tous les moyens possibles, même par l'assassinat, furent la cause de leur perte. Nous les avons trouvés impliqués dans les conspirations contre le pouvoir schismatique d'Angleterreet contre le pouvoir hé rétique de France; nous avons vu leurs doctrines et leurs écrits condamnés par tous les gouvernements catholiques qui visaient à l'indépendance. Le moment était venu où, d'un coinmunaccord, les coursde l'Europe, lasses de subir le joug du sacerdoce, que l'opinion avait rendu impuissant en le rendant ridicule,allaient se liguercontre les plusha biles d'entreceuxquijusqu'alorsleleuravaient fait porter. Le Portugal fut le premier à entrer en lice. Une conspi ration, tramée par quelques nobles portugais, que le roi Joseph avait outragés de la manière la plus flétrissante et la plus cruelle, avait fait arrêter les pères Malagrida, Alexandre Souza et Mathos, confesseurs ou directeurs descoupables, commeétantleurs complices(1758);l annéesui vante, le ministre Pombal chassa tous les jésuites du Por tugal, pour trahison et rébellion contre le roi. En consé
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Dieu. Les jésuites ne désobéirent pas directement au pape, mais ilsaltérèrent le sens de ses paroles, afin de ne lui obéirqu'après lui avoir fait dire ce qu'ils disaient eux-mêmes. Le légat apostolique, cardinal de Tournon, n'en avaitpas moins réprouvé les honneurs ou lc culte en question. Be noît XIV, fatigué de la doucereuse opposition des jésuites en cette occasion, ratifia purement et simplement la bulle de son prédécesseur (1742). Pie VI (fin du xviiiº siècle) re commanda aux missionnaires en Chine de ne faire aucune concession sur les cérémonies réprouvées.
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C'était au tour de la France; il n'y manquait depuis longtempsqu uneoccasion pourfaireéclater la hainc générale : voici celle qui se présenta. Le père Lavalette, missionnaire, s'était peu à peu emparéde tout le commercede la Martinique. Après de longues et constantes prospérités,vinrent les revers coup sur coup, et il fit banqueroute. Sescréanciers, qui étaient nombreux et puissants, voulurentrendre la compagnie de Jésus, qui se reconnaissait responsable des dettes contractées par les supérieurs des missions, solidaire de la faillite, laquelle, dirent-ils, n'eût jamais eulieusi la confiancedans le créditde cette compagnicn'avait fait obtenir à Lavalette les moyensd'étendreses opérationsdans des proportionssi gigantesques. Lesjésuites, aveuglesen cette circonstance plutôt qu'imprudents, refusèrent;le roi évoqua la cause au parlement de Paris, et la compagniefut condamnée, concurremmentaveclepèreLavalette,au payement de toutes les dettes et en outre à cinquantemille livres de dommages et intérêts (1762). Défense futfaite à la compagnie de se mêler à l'avenir d'affaires de commerce ou de banque.
Ce n'est pas tout : les magistrats, la plupartjansenistes, ou du moins appelants des bulles contre le jansenisme, crurent le moment favorable pour demander communica tion des constitutions des jésuites. Le résultat de l'examenqu'ils en firent judiciairement fut l'appel comme d'abus
quence, leurs biens furent confisqués, et environ six cents religieux, débarqués sur les côtes d'Italie. Clément XIII eut beau prendre leur défense, le gouvernement portugais demeura inflexible. Seulement, n'osant pas attaquer trop ouvertement la cour de Rome, et n'ayant pu obtenir deClément l'autorisation de faire juger Malagrida comme régicide, il le fit accuserd'hérésie, et l'inquisition, quoiquece moine passåt généralement pour un saint personnage, le condamna du chefde visions supposées, de fausses prophé ties et d'impiété ; Malagrida ut brûlé vi (1761).
277 contre la bulle d'institution (1540) et contre les bulles sui vantes qui avaient favorisé la compagnie, dont l'existence fut déclarée attentatoire à l'autorité de l'église, des conciles, du saint-siége et des souverains. Enfin le parlement condamna tous les écrits des docteurs de la compagnie, tant de théologie que de morale : les livres de vingt-quatre de leurs principaux auteurs furent brûlés publiquement par la main du bourreau, et il demeura défendu à tout Français d'envoyer ses enfants aux colléges des jésuites et d'en cm brasser l'institut.
Vingt-sept professeurs du collége des jésuites de Cler mont tentèrent alors de détourner au moins de leur tête la foudre qui menaçait la compagnie; ils signèrent un acte authentique, danslequel ilsdéclarèrent qu'ils considéraient comme impie et sacrilége la doctrine qui permet de tuer lessouverains, pour n'importe quel motif;qu'ils acceptaient les quatre articles du clergé de France (1682) et qu'ils pro testaient que leur serment d'obéissance passive à leurssupérieurs était toujours limité par l'obéissance qu'ils de vaient aux lois de l'état. Cette manifestation remarquable sous tous les rapports n'arrêta pas la marche des événc ments .
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Pendantquele parlement instruisait ce grand procès,les évêques débattaient également la question qu'il avait sou levée, celle de la suppression des jésuites en France. Leurs conclusionsfurentbien différentes : cinquanteetun prélats approuvèrent sans restriction les constitutions de la com pagnie; cinq proposèrent de soumettre les jésuites à la juridiction des ordinaires, et un seul, l'évêque de Soissons, se déclara contre eux. Leroi essaya de tenir lejustemilieu, en adoptant le conseil des cinq évêques, mais le parlement refusa d'enregistrer son édit que le roi retira.
En 1762, parut l'arrêt de suppression en cinq articles qui en déterminaient le mode d'exécution. Le parlement y passaiten revue tous les décrets favorables à la compagnie .
Ce pape, l'année même de la suppression des jésuites en France, protesta, en consistoire secret, contre l'acte par lequel elle avait été exécutée, et fit déposer au château Saint-Ange une copie authentique de son allocution. De son propremouvement et science, et dela plénitudede son pouvoir, il cassait ct annulait tout ce que la magistrature française avait décrété en cette circonstance, se réservant d'en faire davantage aussitôt qu'il le pourrait sans danger.En attendant, l'inquisition condamna un mandement del'évêque deSoissons, qui contenait la censurede plusieurs propositions soutenues par lesjésuites (1763); leparlement condamna durement la sentence de l'inquisition. L'arche vêque de Paris se hasarda à censurer les actes du gouver nement contre les jésuites; les magistrats firent brûlerignominieusement son instruction pastorale, etqualifièrent le prélat de fanatique, de factieux et d'agitateur. Le roi exila l'archevêque, et le parlement bannit près de quatremille jésuites.
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et dont elle avait abusé, et ceux contre elle qu'elle avait mérités en donnant toujours lieu aux mêmes plaintes et en causant les mêmes désordres. Venait après cela l'examen de sa doctrine et surtout de sa morale, si scandaleusementprêchée par les pères Escobar et Busenbaum . Il était fait une énumération des condamnations qu'elle avait encou ruespourconspirations et attentats. Cetacted'accusationse terminait par les censures de divers papes contre la com pagnie, notamment de Clément VIII, Paul V, Innocent X,Alexandre VII, Clément IX, Innocent XI, Alexandre VIII, ClémentXI, Benoît XIII, Clément XII, Benoit XIV, et jus qu'à Clément XIII lui-même, qui maintenant la défendait avec tant de persistance.
Le pape commit alors un acte d'une injustifiable légèreté; il lança une bulle (1765) par laquelle il confirmait la compagnie de Jésus, qu'il portait aux nues au momentmêmeoù elle se débattait à terre. Le parlement deParis
Le clergé de France crut de son devoir de venir au se cours du pasteur suprême : assemblé au nombre detrente deux archevêques et évêques et de trente-six députés du second ordre, il trancha hardiment, etdans un sens diamé tralement opposé au pouvoir, les points controversés, prin cipalement sur la bulle Unigenitus, le droit des évêques d'enseigner librement, celui de l'église de juger les questions concernant la foi, les voux, les sacrements et leur administration, etc. Le parlement déclara l'assemblée du clergé incompétente. Et cependant cent évêques environ adhérèrent aux décisions de leurs collègues; l'archevêque de Lyon seul et trois évêques les rejetérent.
Tout à coup,et sans que rien eût fait pressentir cet évé nement, tous les jésuites furent expulsés de la monarchie espagnole et débarqués sur les côtes des états pontificaux (1767). Le gouvernement des Deux-Siciles suivit cet exem ple, et après lui le grand maître de Malte et le duc de Parme et Plaisance. Depuis quatre ans, ce petit état ne cessait de travailler à l'extirpation de ce qui partout alorsétait qualifié d'abus du pouvoir spirituel. En 1768, on ypromulgua une pragmatique sanction qui défendait les recours et appels à Rome, et la sollicitation de grâces ou
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supprima cette bulle; celui de Provencela fit brûler par le bourreau, et l'archevêque de Cologne la reçut comme té moignant de la sagesse et de la charité du souverain pon tife. En Portugal, on traita la bulle comme avaient fait les parlements de France, et on prit occasion de son introduc tion clandestine dans le royaume pour insister sur l'impé rieuse nécessité d'exiger, non-seulement l'exequatur royalpour toutes les pièces venant de Rome, mais aussi l'autori sation du gouvernement pour l'exercice légal des fonctions de la nonciature. Comme le pouvoir civil manifestait par tout la prétention de réaliser les mêmes droits, la cour deRome, qui ne pouvaity mettre obstacle, s'en trouvait vive ment blessée.
bénéficesdusaint-siége,sans la permissiondel'autorité;ondéclara, en outre, les étrangers inhabiles à posséderaucunbénéfice dans le duché de Parme, et tout écrit émanantde la cour de Rome nul de plein droit, à moins qu'il n'eût été revêtu de l exequatur gouvernemental. Cette dernière attaque combla la mesure. Le pape, qui n'avait pas osé sévircontre les états plus puissants, saisit l'occasion d'épanchersa colère sur un prince dont il croyait n'avoir rien à re douter : il publia un bref fulminant contre la pragmatiquequ'il appela injurieuse, calomnieuse et tendantau schisme,et contre les auteurs et exécuteurs d'un pareil acte, qu'il excommunia et dépouilla de tousleurs droitsdela manière accoutumée.
Mais le duché de Parme n'était pas isolé, comme le papesemblait se le figurer : les coursde France, d'Espagne, deNapleset de Portugal prirent ouvertement la défensedeFer dinand de Bourbon qui y régnait, et des droits de la souveraineté que Clémentviolaiten sa personne. En touslieuxle brefpontifical fut supprimé, et on en demanda au pape la rétractation. Le gouvernement espagnol voulait de plusque la compagnie de Jésus qu'on accusait généralement d'avoir inspiré ClémentXIII pourqu'il lavengeât, elle,des défaites qu'elle venait si récemment d'essuyer, fût aboliedans toute la chrétienté, et que le pèreRicci, son général, ainsi que le cardinal Torrigiani, secrétaire d'état du pape,fussent livrés aux puissances insultées. L'Espagne, enfin,proscrivitàjamais labulleIn coena, qui avait servi depointde départ pour formuler le bref contre Parme.
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En France, l'avocat général Séguier, après avoir égale ment insisté sur la bulle In cæna ct les intrigues des jé suites, « prêts à rentrer dans le néant, » obtint du parle ment la nomination de commissaires chargés de trouver les moyens d obvier et de résister aux entreprises de la cour de Rome, en extirpant les maximes pernicieuses decette cour, aussi destructives, était-il dit, de l'unité catho
Un dernier mot sur la bulle in coena Domini : elle est restéc; car le saint-siége ne recule jamais. Néanmoins le pape aujourd'hui la regarde lui-même comme non avenue puisqu'il traite ceux qu'elle condamne comme ceux qui s'y soumettent : cela n'empêchepas qu'on ne continue àRome
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Le parlement,et le roi, et tous les gouvernements d'alors, n'oublièrent qu'une seule chose, essentielle néanmoins : c'était de déterminer qui poserait les véritables limites entre les deux pouvoirs en conflit, le pouvoir de l'église et celui des états, et sur quels principes on déterminerait ces limites, et comment, ct de quel droit, et sous quelle sanc tion. Vouloir leur équilibre, eût été absurde; les laisser s'entre-choquer dans le vague menait progressivement à l'anarchie. Soumettre, commeles papes d'autrefois, le tem porel au spirituel, c'était abolir toutes les souverainetés existantes, et qui l'aurait osé, qui l'aurait pu? Soumettre lespirituel au temporel, c'était détruire l'unité catholique, base jusqu'à ce momentde la société chrétienne fondée sur la révélation évangélique ; c'était reconnaître la confusion des nationalités, la décomposition sociale. On se cramponna au vague qui représentait l'état des esprits, c'est-à-dire l'incertitude, le doute ; c'était le moins sûr, mais pour qui possédait momentanément la force, cela paraissait le plus long.Au
reste, l'affaire du duché de Parme ne fut pas la seule qui tourmenta Clément XIII. Marie-Thérèse elle-même s'était laissé entraîner au mouvement réformateur qui agitait l'Europe catholique : elle supprima la bulle In cena dans ses états d'Italie, et chercha querelle au pape sur l'exercice de la nonciature et le droit d'imposer le clergé. A Modène, on fit la même chose. Les Vénitiens réglèrent administrativement l'état et la discipline des ordresmonas tiques. La Lorraine expulsa les jésuites.
lique que contraires aux droits des souverains. Louis XV fitsaisir Avignon
Le cardinal Ganganelli, qui avait promis aux Bourbons la suppression canonique et définitive de la compagnie de Jésus, devint pape sous le nom de Clément XIV (1769). Il se hâta de donner au Portugal les satisfactions que cettecour demandait, et la nonciature se rouvrit après dix ans d'inter ruption des relations habituelles. Il termina aussi les diffé rends avec le duché de Parme, et ne s'opposa point aux règlements de réforme que cet état et le royaumede Naples continuèrent à introduire. Il réforma lui-même, en consen tant à la sécularisation de tous les religieux mécontents de la position que leurs veux leur avaient faite; lorsqu'il pu blia le premier jubilé de son règne (1769), il accorda les pouvoirs ordinaires pour absoudre les fidèles, mais sansfaire mention de la bulle In coena.
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à accorder les pouvoirs nécessaires pour absoudre des cen sures qu'elle renferme ceux qui ont encouru ces censureset qui veulent rentrer au giron de l'église romaine. Nous pourrions en donner de singulières preuves. Mais revenons aux jésuites.
En 1772 , Clément chargea une commission d'examiner l'administration des colléges de la compagnie de Jésus, à Rome et à Frascati. On y constata les abus les plus graves; le père Laurent Ricci et ses assistants, les pères IgnaceRomberg, Charles Rozycki, Jean-AugustinGorgo, FrancoisMontès ct Jean de Gusmao, furent enfermés au châtcau Saint-Ange. Ce ne fut cependant quel'annéesuivantequeparutlabulleDominusacRedemptorqui supprimaitàperpéluité la compagnie à laquelle divers saintsavaientpromis unc existence perpétuelle, qui la supprimait, disons-nous, à la sollicitation de toutesles puissances catholiques : ladernière à s'adjoindre à celles-ci avait été Marie-Thérèse, indignée de ce que son confesseur, le père Parhammer,avait communiqué à ses supérieurs à Rome la confession sacramentelle qu'elle lui avait faite,et où entre autreselleavait avoué qu'elle éprouvait quelques scrupules à profiter,
Clément expose avant tout les raisons qui l'ont déter miné : le pape Innocent III (du xie au xiue siècle) avait reconnu le trouble que faisait naître dans l'église le tropgrand nombre d'ordres religieux; le 4e concile de Latrandéfendit d'en inventer de nouveaux, Grégoire X et le con cile de Lyon abolirent tous les ordres établis depuis cettedéfense. Le pape cite après cela les ordres supprimés par ses prédécesseurs, savoir : les templiers, par Clément V (1512); les humiliés, parsaint Pic V, quoiqu'ils eussent étéapprouvés par Innocent III, Grégoire IX et Nicolas V; les conventuels réformés, par Urbain VIII, etc., etc.
La compagnie de Jésus, confirmée par Paul III (1540), oblint, entre autres priviléges, celui de n'être soumise qu'au saint-siége (1549). Jules III, Paul IV, Pic IV, Pie V, Gré goire XIII, etc., lui furent également favorables. Les jé suites, dès l'origine, vécurent en mésintelligence entre eux et avec les autres ordres religieux, ainsi qu'avec le clergé séculier, lesacadémies, les universitéset les gouvernements. Aussi de nombreuses réclamations urent-elles adressées aux papes, nommément par Philippe II à Paul IV, Pie V et Sixtc-Quint. Grégoire XIV leur accorda les prérogatives les plus excessives, que Paul V ne consentit à ratifier que sur leur promesse formelle de ne plus se mêler d'aucune a faire du siècle.
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comme cependant ellefit, du partage imminent de la Polo gne. Voici un aperçu rapide de la bulle à jamais célèbre que nous venons de signaler.
Urbain VIII, Clément IX, X, XI et XII, Alexandre VII et VIII, Innocent X, XI, XII et XIII, ct Benoît XIV n'en furent pas moins appelés à s'occuper souvent des intriguesdes jésuites et à faire droit aux plaintes qui s'élevaient de toutes parts sur leur compte. Innocent XI leur dé endit de recevoirdes novices, et Innocent XIII menaça de les traiteravec la même rigueur. Mais ils trouvèrent toujours moyen d'éluderles mesures prisescontreeux; ils yréussirent sur
Frédéric le Grand avait demandé des jésuites pour ses états catholiques de la Silésie et de la Pologne (1776); ils lui furent accordés avec l'autorisation de vivre en commu nauté et sous l'institut de leur ordre. L'impératrice Cathe rine II fit de même (1779) pour la Russie où les jésuites eurent bientôt leur vicaire général ; ils s'y établirent sous laprotection de l'archevêque catholiqueromainde Mohilow, nommé par Catherine, à condition de ne dépendre que d'elle seule. Les jésuites excusentleurdésobéissanceenvers Clément XIV par les mêmes arguments qui avaient serviaux jansénistes pour justifier leur désobéissance à Clé ment XIII. Pendant qu'ils se perpétuaient ouvertement de cettemanière danslesétatsnon catholiques, lesjésuitestravaillaient sous main à se relever au seindu catholicisme et même des états pontificaux où ils se réorganisaient en prenant divers noms et diverses formes. Nous ne citerons
tout en extorquant à Clément XIII les lettres apostoliques qui les comblaient de louanges et de faveurs.
Pie VI, qui succéda à Clément XIV, adoucit le sort des jésuites supprimés. Ces religieux s'étaient fait une espèce de signe de ralliement de la dévotion au sacré cour de Jésus; le nouveau pape consacra la fête du sacré cour, queles jansénistes flétrissaient comme une idolâtrie.
Après avoir passé en revue les désordres que la compa gnie de Jésus avait excités dans plusieurs états, ce qui avait déterminé les rois de France, d'Espagne, de Portugal et des Deux-Siciles à demander son abolition canonique, Clé ment XIV prononce enfin cette abolition, qu'il déclaredevoirêtre entière et absolue, danstoutela force du terme, et règle la manière dont elle aura lieu.
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La compagnieavait deux cent trente-troisans d'existence, et comptait vingt mille membres. En signant la bulle, le pape reconnut que c'était signerson arrêt de mort. Il mou rut en effet l'année suivante, de poison, suivant la commune opinion, de la peur du poison, selon quelques-uns.
que la congrégation du Sacré-Coeur, de création toute jésui tiqueet qui se fondit plus tard dans lejésuitisme restauré, etcelledespères de la foioupaccanaristes. Cette dernière fut dissoute parce que son fondateur,le père Paccanari, ne se montrait pas fort empressé de se laisser absorber par la compagnie de Jésus. Paccanari avait fourni des prétextes très-plausibles à la sévérité dont on usa à son égard, en corrompant tout un conservatoire de jeunes filles, institué à Rome par l'archiduchesse Marianne d'Autriche, fille de l'empereur Léopold, et très-liée avec le pape Pie VII. Au commencement du xixe siècle, ce souverain ponti e avait légitimé l'existence jusque-là acanonique desjésuitesenRussie, etreconnu lechefqu'ilss'y étaientdonné. Enfin, en 1814, il abrogea la bulle de Clément XIV, et rétablit la compagnie de Jésus, telle qu'elle était avant sa suppression. L'année suivante, l'Espagne les rappela, et la Russie les chassa pour avoir voulu y faire des prosélytes. Puis ils seglissèrent en Suisse où les attendaient diverses vicissitudes. Finalement on les trouva partout, parce que partout on espérait en eux pour le maintien de l'ordre établi. On se trompait : avec leséléments donnés, la conservalion est de venue impossible; la liberté,pluspuissante désormais que tous les moyens imaginables de compression, ne permet plus auxjésuites que de contribuer pour leur part, comme tout le monde du reste, à h ter l'avénement de l'anarchie générale.
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11. 25
Les contemplatifs. Le moine grec Palamas accorde la vision béatifique aux vivants, et le pape Jean XXII la refuse aux morts. licaires .
§ fer. HÉSYCHASTES D'ORIENT.
Avantdedonneruneidéedesdivagationsdecessectaires dans les temps modernes car les quiétistes aussi ontfait secte, disons quelques mots de ceux qui les ont précédés dans cettedéplorable voie. Au Xiº siècle, Siméon le
quelaisser sans
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L'AMOUR PUR.
Une singulière aberration de l'intelligence est cellequi lui fait croireque, parvenue à un certaindegréde contemplation de ce qu'elle prendpour la vérité, elle a atteintla perfection qui estsonbut, et n'a plusrien à faireles choses à leur cours régulier ou irrégulier , mais fatal, sans le favoriser ou l'entraver, sans agir en un mot, même prendre part à ce qui se passe. Parmi les choses dontnous parlons,le contemplatifse place lui-même,et il s'abandonne dès lors aux événements, c'est-à-dire aux pas sionset aux circonstances. Quant à lui, il est tranquillesur tout, indifférent à tout; il est absorbé dans sa béate va nité : c'est un quiétiste.
CHAPITRE XXVI.
Les ombi
jeune, surnommé Xérocerce, abbé de Saint-Mamas à Con stantinople,futen Orient le fondateur d'un quiétisme quel'église condamna, quoiqu'elle eût avant cela sanctifié tant d'autres quiétistes qu'on a appelés depuis les contemplatifs parexcellence, ou lespères dudésert. Le Siméon que nous venons de nommer était disciple d'un autre Siméon, qua lifié de vénérableet divin, et que son homonyme cherchait à faire adorer par les fidèles. Trente de ses moines quitté rent l'abbé de Saint-Mamas, mais ils furent forcés par le patriarche de la capitale de rentrer dans leur couvent. Bientôt cependant un concile dépouilla Siméon l'ancien de son auréole, et un autre concile exila Siméon Xérocerce quise retira dans le désert où il s'entoura de contemplatifs comme lui, auxquels il enseigna la théorie del'amourmys tique et de la véritableunion avec Dieu. Les hésychastesc'est le nom qu'ils prirent se croyaient purs de tout vice etmêmede toutpenchantvicieux; ilspossédaient sub stantiellement, disaient-ils, le Paraclet, et voyaient Dieu dansla splendeurdesonessenceet la lumièredesa majesté. Après ces mystiques, le quiétisme ne reparut en Orient qu'au xive siècle. Grégoire Palamas, religieux du montAthos, en était le propagateur. Ce qui est surtout remarquable, c'est que, pendant que le moine grec accordait la vision béatifique aux vivants qui la méritaient par la concentration de leur force contemplative, le pape Jean XXII, appuyé sur saint Justin, saint Irénée, Origène, Théodoretet d'autres pères de l'église, la refusait aux morts, les plus grandssaintscompris, etjusqu'à laviergeMarie elle-même. Jean avait chargé legénéral desfrères mineurs de répandrecette doctrine en France; mais Pbilippe de Valois, qui régnaitalors, intervintetmenaça le missionnairepontificalde le faire mourir comme hérétique paterin, s'il ne s'em pressait de rétracter une opinion que le sacré collége et lafacultédethéologie dePariscondamnaient. Leroi fit plus :il annonça au pape qu'il le ferait brûler lui-même, après
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l'avoir, commeledemandaientles Italiens etlesAllemands, convaincu d'hérésie et déposé. Jean XXII abjura avantde mourir (1334), etBenoît XII, son successeur, décida quela vision béatifique avait lieu immédiatement après la mort. Revenons à Palamas. Comme les autres hésychastes, il prescrivait à ses disci plesdese retirer dans unlieu secret, d'y dégager leur âme de tout ce qui est terrestre, de diriger leurs regards et leur alteulion exclusivement sur leur nombril, de ne respirer que parle nezetde la manière la plus gênée possible, afin de découvrir le lieu du cæur avec la lumière qui l'entoure. Cette lumière incréée était la gloire de Dieu, dont JésusChrist s'était enveloppé au Thabor, lors de sa transfigura tion. Palamas eut pour antagonistes Barlaam, moine cala brais, le défenseur zélé, contre les Latins, de la simple procession du Saint-Esprit, et un autre moine appelé Acin dynus. Le concile de Constantinople (1337) condamna ces deux opposants, dont les efforts, jugés orthodoxes depuis, furent alors déclarés absurdes par Jean d'Apri, patriarche, et par l'empereurAndronicIII Paléologue. Presquetouslesmoines d'Orient étaient à cette époque hésychastes ou, comme s'exprimait Barlaam, ombilicaires ou omphalopsy ches. Rassurés contre une condamnation pour hérésie, ces sectaires devinrent turbulents. Jean d'Apri, changeant de conduite à leur égard, les fit condamner par un troisième concile, avec le patriarche d'Antioche et quelques évêques qui les soutenaient. De leur côté, ils condamnèrent Jean d'Apri, le déposérent et mirent un des leurs à sa place. L'impératriceAnne, veuve d'Andronic, et l'empereur Can tacuzène eurent la faiblesse de se mêler de ces extrava gances.
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En traitant la question de la réformation, nous avons fait mention des bégards et des béguines; tout en se mêlant auxautres adversaires de l'église romaine au xiº siècle, ces mystiques avaient ceci de particulier que, rejetant tout culte extérieur, ils se croyaient susceptibles d'atteindre dans ce monde l'impeccabilité avec la perfection. Le concile de Vienne les condamna, mais seulement parce que l'ap plication de leurs idées les faisait nécessairement tomber dans touteespèce de désordre.Quant auxidées elles-mêmes, l'égliselesrespecta, etbeaucoup desessaints n'ontmanqué, pour être hérétiques, que d'avoir agi conséquemment à la doctrine qu'ils professaient. Nous citeronssainte Angèle de Foligno, sainte Catherine de Gênes, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, le vénérable Louis de Grenade, la véné rable mère Anne de Jésus, saint Nicolas de Jésus-Maria, saint François de Sales, sainte Marie Alacoque, le véné rable Jean Rusbrock, sainte Jeanne-Françoise de Chantal, Henri Harph, Taulère, les cardinaux Bona ct de Bé rulle, etc., etc.
Leursprincipes, enfaveurdesquelsdu reste ilspouvaient invoquer saint Paul, saint Clément d'Alexandrie, Cassien,saint Grégoire de Naziance, saint Basile, toute l'école de saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Grégoire de Nysse, saint Jean Climaque, saint Maxime, saint Bernard, saint Thomas, saintFrançois d'Assises, saint Anselme, saint .
§ II. LE QUIÉTISME LATIN.
Saints et saintes quiétistes. Les alumbrados. Antoinette Bourignon. Mariages de Jésus. Molinos. Les piétistes.
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290 Bonaventure, et tantd'autres, étaient, d'abord l'amourpur, c'est-à-dire gratuit, sans motif, sans raison, absurde, puis la quiétude, espèce d'anéantissement de l'être pensantet voulant, de l'être moral, enfin la permanence de l'acte par lequel l'homme se donne à Dieu et qu'il ne faut plus ré péter : « Si Dieu venait à moi, disait saint François de Sales, j'irais à lui ; s'il ne voulait pas venir à moi, jen'irais point à lui. » « Dites ce soir, écrivait-il à la mèrede Chantal (probablement à Dieu, en priant), dites ce soir que vous renoncez à toutes les vertus, n'en voulant qu'à mesure que Dicu vous les donnera, ni ne voulant avoiraucun soin delesacquérir. » « Le désir du salut estbon, disait encore le même saint, mais il est encore plus par fait de ne rien désirer. » -Selon sainte Catherine de Gênes, « il faut chercher en Dieu l'amour de sa beauté, ct non le plaisir qu'il y a en la beauté de son amour. » Ce passage n'est pas fort clair, mais il l'est pour le moins autant quecelui où la même sainte s'écrie : « Jene trouve plusdemoi; il n'y a plus d'autre moi que Dieu . » Sæur Marguerite-Marie, visitandineau diocèse d'Autun, plus connue sous lenom de sainte Marie Alacoque, estl'in ventrice de la dévotion au sacré cour de Jésus. Jésus en personne, prétendit-clle, lui avait donné l'ordre de l'insti tuer, etlejésuiteLacombière, sonconfesseur, s'étaitchargé de l'exécution. La supérieure de la Visitation manifestait quelques doutes : Jésus lui fit connaître qu'il répondrait de la seur Marie si on l'acceptait comme caution solvable(textuel). La supérieure alors écrivit l'acte de donation que Jésusfaisait de son cour à sæurAlacoque, pour le tempset pour l'éternité, afin qu'elle en disposât selon sonbon plaisir, faisant de ce cæur son jouet, l'holocauste deson amour, etc., etc. Le pape Clément XIII détermina la fête du sacré cour (1765), et accorda en sa faveur les indul gences les plus exorbitantes. Nous dirons dans la nouvelle édition que nouspréparonsdesmémoires del'évêqucRicci,
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A Florence, le chanoine baron Pandolphe Ricasoli fut
Les premiers furent les alumbrados (illuminés) d'Es pagne : l'inquisition réussit d'abord à les éloigner par ses incessantes poursuites (1575); lorsqu'ils se remontrèrent,cinquante ans plus tard, elle flétrit soixante-seize de leurs maximes, et brûla quatorze de leurs chefs, dont six en effigie; huit mille environ confessèrent leur erreur, se repentirent et furent absous. Ceux qui avaient échappé au saint office passèrent en France, où la police les dispersa, conjointement avec lesguérinets, disciples du curé picard Guérin (1634). Ces derniers prétendaient, comme d'ailleurs lous les mystiques le faisaient plus ou moins explicitement, que leur parfaite quiétude les élevait au -dessus des plus grands saints, nommément de saint Paul, « qui savait à peine ceque c'est que dévotion, » de saintPierre « qui était un bon homme, mais voilà tout, » et de la vierge Marie, « douée de plusieurs vertus, à la vérité, mais des vertus les plus communes. »
comment et jusqu'à quel point cette dévotion nouvelle fut exploitée au profit du plus effronté libertinage.
Mais en voilà assez sur ces folies, dont cependant nous devions quelques échantillons au lecteur. Il aura probable ment remarqué avec nous, à l'occasion de la dernière cita tion de sainte Catherine de Gênes, que la même absurdité qu'elle débite a été professée de nos jours par le docteur matérialiste Broussais : celui-ci niait son moi purement et simplement; sainte Catherinc le troquait contre quelque chose qui en était la négation. L'un vaut l'autre.
On le voit, les mystiques demeurés orthodoxes pré conisaient l'indifférence absolue sur toutes choses, et même sur Dicu, sur le salut et la damnation ; ils ordonnaientd'aimer Dieu sanscrainte ni espoir; ilsexprimaientle désirqu'il fût pénible d'aimer Dieu, qu'ils appelaientleuramour,leur viande d'amour. Passons maintenant aux quiétistes condamnés.
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C'est là qu'elle mit à exécution son projet de réformer l'église. Dieu lui avait dit de désirer des enfants : elle le fit, et bientôt mit au monde (mystiquement bien entendu)le pèredeCort, prêtre oratorien, quinelaquitta plus. Elleenseigna alorsouvertement qu'il n'y avaitplus au monde
Sur les entrefaites, était née à Lille la fameuseAntoinette Bourignon (1616). Vivant au milieu du monde et deses dissipations, les « amoureuses senonces » de Dieu, nousdit-clle, lui firent éprouver le besoin de la retraite. Elle allait faire choix d'un couvent, lorsque Dieu lui fit con naitre que les religieux et les religieuses ne valaient pasmieux que les prêtres « dont l'abomination criait ven geance, » et qui finiraient par « se manger les uns lesautres, et mourir en se déchirant. » Elle se décidaà courir les champs en habits d'ermite, tomba entre les mains d'une troupe de soldats, puis se réfugia chez un curé dont leneveu voulut lui fairc violence, et, n'ayant pu réussir, lui tira des coups de fusil. Après cet amant brutal, Antoinette en eut un autre, plus doucereux, mais qu'elle éconduisit également, et qui se consola en séduisant une de ses dé votes. Devenue directrice de l'hôpital de Notre-Dame-des Sept-Douleurs, elle prit l'habit de Saint-Augustin. Mais à pcine avait-elle prononcé ses voeux, que toutes les reli gicuses furent déclarées sorcières et possédées du démon. Elle-même, accusée de s'entendre avec le diable, et vive ment poursuivie par ceux qui ne l'aimaient pas, se réfugiaà Gand (1662).
traduitdevantlesaintoffice (1639). Il dirigeaitdepuishuit ansunecongrégationde jeunesfilles, fondée paruneveuve de trente-cinq ans, nommée Faustine Mainardi, qui prati quait la dévotion ascétique. Ricasoli, d'accord avec le père Séraphin Lupi, servite, et le prêtre Jacques Fantoni, vivait dans une promiscuité mystique avec la Mainardi etses filles spirituelles : ilavoua tout, et condamné, ainsi que ses com plices, à ladétention perpétuelle,il mourutconverti(1657).
En 1659, un carme déchaux faisait de nombreuses prosélytes, surtout parmi lesdévotesd'Orléans, en lesmariant avecJésus-Christ.Lecontratétaitpassépar-devant la sainte
De Hollande, Antoinette Bourignon se rendit dans le Holstein. Elle y organisa une imprimerie française, fla mande et allemande, et lui donna une incessante occupa tion. Accusée par les prêtres et le diable qu'elle ne sépare jamais, de papisme, de déisme et de socinianisme, elle pu blia sa profession de foi : elle croyait, nous assure-t-elle, en la sainte Trinité, aux douze articles du credo, à ladivi nité de Jésus-Christ et à l'inspiration des saintes écritures. S'étant justifiée de cette manière, elle attaqua les prêtres à son tour,se déclaracontre toutes les secteschrétiennes exis tantes de son temps, et surtout contre les calvinistes dont elle rejetait le dogme de la prédestination. Les luthériens la persécutèrent au point qu'ayant quitté le Holstein, elle se vit réduite à crrerjusqu'à sa mort (1688). Le bourigno nisme, oublié pendant quelque temps, reparut à la fin duXVI° siècle en Écosse, où il se répandit assez rapidement.
293 de véritable sainteté; que ceux qui paraissaient les plus saints étaient au fond les plus hypocrites; que le christia nisme était déchu, et tous les chrétiens voués au diable;enfin quel'église serait rétabliepar elle, Bourignon, « petit grain de moutarde, qui, planté en terre, jetterait ses rameaux au ciel. » Le père de Cort, engagé dans un long procès, à cause de l'île de Noordstrand dans le Holstein,dontilavait étépropriétaire, et qu'il avaitvendue,d'abordaux oratoriens, puis aux jansenistes, était passé cn Hollande avec Antoinette. Il y mourut empoisonné (1669), et laissa ses prétentions et ses biens à sa mère spirituelle. Celle-ci continua sa mission chez les réformés comme chez lescatholiques, prêchantsa doctrine aux sectaires de n'im porte quelle communion, et même aux philosophes, et sefaisant des ennemis de tous ceux qui ne voulaient pas être ses disciples.
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Trinité , et le pèrc rédacteur le signait en sa qualité defondé depleins pouvoirs, sousle titredesecrétaireindigne. Comme la plupart des nouvelles épouses de Dieu étaient déjà mariées, elles rompaient ordinairement leurs premiers liens, de peur probablement de passer pour bigames. Au reste, l'union entre des personnages célestes et de simples mortels n'était pas chose inouïc dansle christianisme, bien que les premiers pères de l'église se fussent fort égayésaux dépens des païens qui ne reculaient pas devantl'absurdité de pareilles conjonctions. On trouve dans la savante collec tion des Bollandistes le récit détaillé du mariage de Jésus Christ avec sainte Catherine de Sienne, conclu vers la fin du xive siècle, qui eut pour témoins principaux la sainte Vierge, saint Dominique, saint Jean l'évangéliste, l'apôtre saint Paul, etc., etc., et où le roi David joua de la harpe. Mais, du moins, sainte Catherine était célibataire. De son côté, la sainte Vierge épousa, environ cent ans plus tard,le dominicain Alain de la Roche, pour le récompenserde l'honneur dont il avait entouré sa mémoire en inventantet répandant le Rosarium ou Psautier.
Pendant que la visionnaire flamande dont nous avons parléplus hautpropageait le mysticisme dans le Nord,Mi chel Molinos séduisait les évêques et les cardinaux à Rome,et était, pour la prétendue sainteté de sa vic, sur le point d'êtrelui-même promu aucardinalat par le pape; ilvenait depubliersa Guide spirituelle (1675), oùil avaitrassemblé toutes les maximes des quiétistes anciens, et que l'on com parait aux Stromates de saint Clément d'Alexandrie. Mais bientôt on eut des soupçons; Molinos fut arrêté (1685), et deux ans après, Innocent XI condamna soixante-huit pro positions molinosistes, comme hérétiques, scandaleuseset séditieuses. Le quiétiste espagnol prêchait,comme ses core ligionnaires, l'anéantissement devant Dieu; l'obligation de ne s'inquiéterni de peine ni de récompense, ni de paradisni d'enfer; la défense de rien demander à Dieu; le devoir
de n'accueillir ni repousser les idées impures , mais de laisser s'ensuivre les actes qu'elles entraînent après elles, sans cependanty prendreactivement part, etc., etc.
Le père Guilloré enseignait la même chose à Paris. Il y avaitfait imprimer (1670)que, nerienvoir, neriensentir,ne rien goûter, était le plus noble état et la meilleure disposition de l'âme; que si le diable s'emparc du corps, de l'imagination, del'intelligence,ilfauts'yrésigner,et s aban donner à toutes les abominations. Quoi qu'il en soit, Moli nos fut condamné à se rétracter; enfermé pour le reste de sesjours,il mourutenprison(1692). AvecMolinos, futcon damné Antoine-MarieLioni,de Côme, qui sevantaitd'avoir une conscience plus pure que celle de la sainte Vierge et même que celle de Dieu. Ce sectaire avait aboli tout culte, déclaré la confession une pratique digne du feu , affirmé qu'il est bon de pécher , pour éviter de s'enorgueillir, etenfin soutenu que la loi de quiétude implique nécessaire ment l'abrogation de toute autre loi.
Les piétistes réformés adoptèrent les mêmes principes. Schwenckfeld, que nous avons nommé ailleurs, supprima également le culte. Franck , fondateur de l'orphanotro phéion, ct Chrétien Thomasius organisèrent le quiétisme protestantde Spener, à l'université de Halle. Au siècle sui vant (xvile), la Pensylvanie cut ses lunkers ou dumplers,la Suède ses skevi-kare, le Wurtemberg ses séparatistes, et tous lespays réformésleursherrnhutersou frèresmoraves,dirigés par le comte Zinzendorf. Swedenborg donna aux contemplatifs, ses adeptes, le nom de théosopheset d'hiéro solymites. Nousavons parlé des mennonites de Hollandeet desquakersd'Angleterre;leméthodismede ce dernierpays, dûà JeanWesley etàWithfield, se répandit promptement parmi le peuple. Enfin , François Malaval, de Marseille,propagea le quiétisme catholique en France, et fut condamné à Rome,
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S III. MADAME GUYON .
Sesécrits. Bossuet la condamne. Fénelon, quiétiste.-Ilestcondamnéen France et à Rome. - Son panthéisme.
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La quiétiste dont nous allons nous occuper doit surtoutsa réputation à l'époque où elle a paru etaux deux célèbres prélats qui ont pris parti, l'un pour, l'autre contre elle. Jeanne-Marie de Lamotte-Guyon, veuve à vingt-huit ans(1676), avait choisi pour directeur un barnabite, le père Lacombe, attaché comme elle aux idées mystiques de l'amourpur. Une espèce dedéclaration publique de ce confes seur, alors en vogue (1698), nous fait connaître que, pour mieux établir son pouvoir sur ses pénitentes, il ne laissaitpas que d'appeler les sens au secours de son spiritualismeascétique, etqu'entreautres ils'étaitpassé entre lui et ma dame Guyon des choses qui n'auraientpoint dû avoir lieu.Quoi qu'il en soit, le confesseur et sadévoteallèrentdog. matiser dans le diocèse de Genève; mais l'évêque trouva moyen de s'en débarrasseren interdisant le père Lacombe. A Grenoble, madame Guyon fit paraîtresonMoyencourtetfacilepourfairel'oraison, et Lacombel Analysesurl orai son mentale, pourrépandre la doctrine dont ils se faisaient les apôtres. Leurs principes concernant la nécessité de s'a néantir pourlaisserDicuagir toutseul, la gratuité absolue de l'amour de Dieu, et l'indifférence de tous les actes dela vie pour levéritable mystique, sont exactement ceuxquenousavons exposésplus haut. C'est surtout dans le Canti que descantiques,laRègledesassociésàl'enfancedeJésus,et les Torrents (1688), quela sectaire lâchala brideà son
imagination déréglée. Elle y soutenait en propres termes que le plus sublime état de grâce est d'être abandonné de Dieu, livréàsoi etau désordre; elleavoua que danscetétat d'anéantissement où elle se trouvait fréquemment, des vi sions fort obscènes l'assaillaient, mais en laissantson esprit exclusivement occupé de Notre-Seigneur.
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Ce fut toutà la fin du xvnºsiècle (1694) que le quiétisme demadame Guyonse fitjourà Paris. LepèreLacombe étaità la Bastille; elle même n'en était sortie que par la protec tionde madamedeMaintenon. Bientôt elle compta plusieurs dames de la cour parmi ses prosélytes, et l'abbé Fénelon contracta avec elle une liaison fort étroite. Mais bientot aussi sa doctrine souleva des murmures si menaçants que le futur archevêque de Cambrai lui conseilla de soumettre ses écrits à la censure de Bossuet. L'évêque de Meaux futrévoltédes maximes étranges, pour ne pas dire pis, qu'ils contenaient; il le fut surtout d'entendre madame Guyon dire d'elle-même dans sa Vie manuscrile, qu'elle était la femme enceinte de l'apocalypse; qu'elle était si pleine de grâces qu'elle en enflait au point dedevoir se faire délacer, ce qui n'empêchait pas que son corps ne se fendit en plusieursendroits; qu'enfin, dans ces circonstances, ses grâcesse communiquant aux personnes qui se trouvaient au ur d'elle, elle-même en était soulagée d'autant, «comme uneéclusequisedécharge avec profusion, » MadameGuyoneut plusieursconférencesavecBossuet, quifinitparlui imposerle silence jusqu'à ce qu'il eût finison examen.
Cet examen se fit à Issy par une commission dont Bossuet était le directeur. Avant qu'elle eût terminé ses travaux, l'archevêque deParis qui, dit Fénelon, n'avaitjamais prisen main un livre de dévotion, condamna les écrits de madame Guyon sans aucun ménagement. Les commissairesd'Issy ymirent plus de procédés ; ilsse contentèrent d'établir trente-quatrearticles diametralementopposés au quiétisme, et que signèrent Bossuet, l'évêque de Châlons, Fé
26CHRISTIANISME . II .
A madame Guyon succéda Fénelon lui-même. Bossuet, l'espritencorepleindes erreursdesvoiesintérieures,comme on s'exprimait dans la langue des quiétistes, erreurs qui avaient pourconséquences évidentesl'abolition de toute pra tiquereligieuse, de toute oraison, et la négation du viceet de la vertu, publia un traité intitulé : Des états d oraison, qu'il pria le nouvel archevêque d'approuver publiquement.Fénelon, qui crut y voir une satire personnelle contrema dame Guyon, refusa. Il alla plus loin : pour venger celledont les relations avecluiavaient eu del'éclat, il fitparaitre de son côté (1697) unlivre qu'il avait intitulé : Explicationdes maximes des saints, où il remit en honneur ce qu'il appelait « la vraie spiritualité des voies intérieures, » au moyendecitations puiséesdansles mystiquesque l'églisea sanctifiés. Bossuet flétrit l'écrit de Fénelon et Fénelon lui même des épithètes les plus outrageantes. Fénelon, à son tour, se plaignit que Bossuet le faisait rêver les yeux ouverts.Lepubliclescondamna l'un et l'autre, l'évêque de Meaux pour la forme, l'archevêque de Cambrai pour le fond.
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nelon et son amie spirituelle. Celle-ci signa en outre les instructions pastorales antimystiques qui furent publiées à cette occasion , et elle abjura formellement son apostolat. Elle n'en fut pas moins enfermée de nouveau à la Bastille (1695),etnefutremiseen libertéque septansaprès(1702); elle mourut (1717) en protestant de son innocence surles faits dont elle avait été accusée, et en accusant elle-même ses adversaires, non-seulement d'avoir faussement inter prété ses écrits, mais encore de les avoir falsifiés pourla rendre odieuse et ridicule. Ce qu'il y a à remarquer, c'est l'affirmation de faits graves, expressément avancés par l'ar chevêque de Cambrai etque l'évêque deMeaux nia toujours avec fermeté : l'un ou l'autrede ces éminents prélatsadonc sciemment soutenu un mensonge.
Le procès cependant devait avoir une issue : Fénelon
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Pendant cet intervalle, le clergé de France condamna le livre deFénelon, sans préjudiceàla sentencepontificale, et tant à Rome qu'en France, on flétrit plusieurs prêtres et moines qui, au nom des voies intérieures et de l'amourmystique, avaient abusé de leur ascendant sur leurs péni tentes. Le pape lança enfin sa bulle (1699) contre les Maximes des saints, dont vingt-trois propositions furent déclarées téméraires, scandaleuses et pernicieuses dans la pratique. Fénelon publia lui-même sa condamnation, dans un mandement qui ne trahissait pas l'ombre d'une restric tion et pas plusde colère que de dépit.
On nomma en conséquence à Rome une commission qui, après douze séances, ne décida rien; puis une seconde commission, dont vingt et une séances n'eurent pas plusde résultat. Il fallut encore cinquante-deux réunions pour désigner les propositions censurables, et trente-sept pour déterminer comment elles seraient censurées.
demanda des juges à Rome. Ici l'on voit clairement qu'en ces sortes d'affaires comme en bien d'autres, l'intérêt l'em porte communément sur la conscience : les jésuites quis'étaientjoints à leurs ennemis, les oratoriens, pour perdre le pèredeCort etla quietiste Bourignon, sedéclarèrent les partisans du quiétisme de l'archevêque de Cambrai, qui les soutenait, eux, contre les jansenistes et les gallicans. Ma dame de Maintenon, d'un autre côté, d'abord attachée àFénelon et à la cause de l'amour pur, ayant appris que le prélat s'était opposé à la déclaration de son mariage avecLouis XIV, força le roi à solliciter auprès du saint-siége la condamnation du quiétisme et de son défenseur.
Était-ce respect pourles décisions infaillibles du chefde l'église, ou bien indifférence pour toute doctrine émanée de cette église, envers laquelle il devait extérieurement de meurer en bons rapports pour conserver la brillante position qu'il s'y était acquise, et qui l'élevait si haut dans la société d'alors? On est tenté de s'arrêter à cette dernière
supposition, lorsqu'on considère l'affiliation de Fénelon à l'ordre des chevaliers du Temple (1699), dont la profession de foi de rigueur était celle du panthéisme le plus absolu.Comme templier, Fénelon avait eu pour prédécesseur le calviniste Bochart (1663) : après lui vinrent Massillon (1705) ; Frédéric le Grand, alors prince royal de Prusse(1738); l'abbé Barthélemy et Duclos (1745); et enfin Du puis, l'auteur de l'Origine de tous les cultes, Dulaure,M. Isambert, etc.
§ IV. VISIONNAIRES MODERNES.
Les théosophes. Sæur de la Nativité. - Mademoiselle Brohon. JungStilling. Les pæschélites. Madame Krudner . Folies contem poraines.
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Du reste, l'archevêque de Cambrai, dans son Traité de l'existence etdes attributs de Dieu, s'étaitexprimé enfaveur dupanthéisme d'unemanièretoutaussi claire etavecautantde conviction que ses coreligionnaires du Temple. Maisalorscommentjustifier les actes d'intolérance etdefanatisme dont nous avons parlé plus haut, et qui ne peuvent être alténués que par une foi vive et sincère de la part de ceuxqui les commettent et qui veulent imposer aux autres, pourleur bien, le respect intérieurqu'ilsprofessenteux-mêmes?
A la fin du xvin siècle, Martinès Paschalis d'abord, puis Saint-Martin fondèrent la secte des martinistes ou théo sophes, dont ce qu'on sait le mieux c'est qu'eux-mêmesne savaient pas trop ce qu'ils étaient ni cequ'ils voulaient. C'était toujours,sousune desesmille formes, la discussion
26 .
de l'absurdedans des termes vagues, l'aspiration à l'impos. siblepar desmoyens indéterminés, en un mot le sentimen talisme à sa plus haute puissance, fabriquant des identités à grand renfort d'analogies, ct arrivant, d'induction en induction, à mettre en équation deux propositionsqui s'excluent l'une l'autre. Martinés se préoccupait surtout de l'homme avant la naissance, comme les dévots ne se pré occupent que de l'homme après la mort, et il se prononçacontre les philosophes qui fixent leurs regards exclusive ment sur l'homme vivant et sur les intérêts du monde avec lequel il est en relation.
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Peu de temps après, uneseur de la Nativité s'attachait, probablement par l'inspiration de son confesseur, à fairerenaître en France l'ancien respect pour le sacerdoce, que ses malheurs pendant le régime de la terreur avaient en touré de beaucoup d'intérêt. Pour y parvenir, elle dirigea constamment ses visions dans un sens antirévolutionnaire. Elle vit d'abord le roi Louis XVI régnant à perpétuité au ciel, puis les prêtres catholiques que Dieu lui-même a pla cés dans son église, comme il a placé les astres au firma ment; auxquels par conséquent aucune autorité, aucune puissance ne peuvent toucher sous aucun prétexte. Jésus Christ,quiluiapparaissaitsouvent,étaittoujours en costume de prêtre. Les visions de la sour de la Nativité sur la trans formation des justes après la résurrection de la chair, res semblent beaucoup à celles de Fourier relativement à la transformation du monde physique quand,bien entendu,ce mondesera devenufouriériste:tant lesfolies,dumoinsàunemême époque, se ressemblent, n'importe quelles sontleur origine et l'intention de leur auteur! N'oublions pas de dire que la seur de la Nativité a prévu que le monde finirait avec le xxe siècle ou, au plus tard, avec le xxiº; cette finaura pour signe irrécusable l'établissementd'un ordre reli gieux appelé des épouses des cantiques, ou des épouses du Saint-Esprit, qui feront des miracles pour séduire les
- 302 1 1 hommes et commettront des horreurs avec ceux qu'elles auront pervertis.
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Nousneferons que nommer lesprêtresde la vérité, qui, sousladirectiondeSchæner,interprétaientenPrusselesens
Le docteur Jung Stilling, espèce de millénaire, a fait quelque sensation en Allemagne par ses écrits sur lamo raleetla religion, ct parleséveillés ses disciples. Songrand objetétait le commerce entre les vivants et les morts, dont il recevait, s'il faut l'en croire, de fréquentes visites. Dans unjournal qu'il publiait(l'Hommegris), ila placé la venue de l'antechrist en 1840, et le règne en 1856.
Vint ensuiteunedemoiselleBrohon, fondatricedela secte des victimes de Jésus, que Jésus-Christ aimait comme un enfantaime « sa poupéeetses joujoux. » Le but de mademoiselleBrohon, comme de la visionnaireprécédente,était d'imposerla plus profondevénération pour les ministres de Dieu,auxquelsJésus, « tout Dieu qu'il est,» obéit,puisqu'ils tiennenten leursmainssa puissanceetsagloire. Seulementces ministres, pour être dignes de ce nom, devaient faire partie des victimes. Car lorsque le Jésus de mademoiselle Brohon - elle l'appelle toujoursmon Jésus, etJésusenlui parlant de lui-même, dit constamment ton Jésus, - aura retiré son peuple (les Français) du milieu desnations pour l'établir dans la Judée, tout culte quelconque sera aboli, et les victimes seules formeront le corps de l'église, qui aura pour ennemis irréconciliables les prêtres et les moines de l'ancien clergé catholique. Mademoiselle Brohon fait finir lemonde plus tôtque la seurdela Nativité, et voici pour quoi : il y a vingt-deux mille coudées depuis la mort du fils de Dieu jusqu'à son triomphe ; ces coudées sont évidem ment des mois, ct vingt-deux mille mois, du moins d'après lecalcul excentriquedemademoiselleBrohon,font1866ans. La société des victimes de Jésus était connue au ministère du culte sous l'empire, et après la chute de Napoléon, elle comptaparmi sesadeptes plusieurspersonnagesdistingués.
Madame Krudner, dont le monde politique s'est tant oc cupé, était une véritable quiétiste, voulant l'anéantissement des sens, auxquels après cela on se livre sans en plus rien craindre. Mais son influence sur les affaires de l'Europe a fait oublier son mysticisme religieux. Elle travaillait à la fusion de toutes les confessions chrétiennes, ce qui a peut être donné l'idée de la fusion des intérêts entre les rois christicoles, laquelle est devenue célèbre sous le nom deSainte-Alliance. Pas plus que ses puissants prosélytes, elle ne voulait de la philosophie, de la liberté, ni même de la civilisation qu'elle appelait un désert. De même et dans les mêmes termes que le pape Pie VII avait exalté Napoléon devenu fort, madame Krudner exalta Alexandre qui avait fini par être plusfortqueNapoléon. Uneautrevisionnaire,
évangélique de labible, et les saintsfrères de Wittenberg, qui prêchaient exclusivement la pénitence et les morti fications.
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En Bavière, les poschélites étaient de vrais quietistes. Les initiés oupurs de cette secte se disaient morts dans la chair,etpar conséquentindépendantsquantàl'esprit; pos sédant Jésus-Christ en personne, sa présence neutralisait tous les vices qu'ils pouvaient avoir, toutes les mauvaises actions qu'ils commettraient : ceux d'entre eux qui neparvenaient pas à cet état de perfection n'avaient , pour échapper à la damnation éternelle, d'autre issue que le suicide. La policeetquelques soldatslesontfaitdisparaître.
Nousavons déjàparlédupère Paccanari.C'étaitunsoldatrobuste qui, devenu prêtre, organisa une congrégation pour, disait-il, préparer la voie au retour canonique des jésuites, mais dont il chercha à faire un instrument à sonprofit : la compagnie de Jésus s'en débarrassa facilement. Il avait été nommé directeur spirituel du conservatoire des aimées de Jésus, fondées par une princesse autrichienne àRome. Convaincu d'avoir abusé de ses pénitentes au moyen des maximes du quiétisme, il fut enfermé dans un couvent.
304 les madame Lenoir-Laroche, dans un écrit oublié qui portele titre du Calvaire des lauriers, et qui avait pour but uneréunion de toutesles femmes à Sceaux, porta égalementaux nues Alexandre et ses Cosaques en qui les mystiquesde l'époque voyaientlesmissionnaires de la Providence. L'empereur Alexandre, pendant le séjour qu'il fit à Paris avec les troupes alliées, passait souvent les nuits en prière, à genoux, à côté de madame Krudner! Quoiqu'elles n'aient pas un caractère spécialement reli gicux, puisque le principe auquel elles se relient est uneespèce denaturalisme panthéistique ou plutôt matérialiste, les visions de nos contemporains n'en sont pas moins du véritablemysticisme. Ilsrépudicntles lumièresdelaraison,ont bon marché des lois de la logique, et ne tenant aucun comptedes erreurs des sens qui ne saisissentjamaisque phénomènes, les apparences, ils se fondent en général surdes illusions de l'organisme ou du sentiment qu'ils appellent de l'intuition, sur des hallucinations ; ils admettent comme preuves, des expériences inconcluantes, des demi-observa tions , et donnent pour conséquences, des vraisemblances, des probabilités, des quasi-véritéssi l'on veut, desopinions en un mot, de l'incertitude, du doute. Finalement ilscréent entrel'homme et un monde qui n'est pasle siendesrapports imaginairesavecdes espritschimériques,pardesmoyensqui l'intelligencesontlanégationdetouttravailrégulierdel'intelligence,etdeelle-même,del'humanité.Nousparlonsdela clairvoyance magnétique, de la fascination, des sympathies et antipathics dites naturelles, des pressentiments, de la voix dela nature, du cri du sang, de la domination des vo lontésparune volontéquis'impose à elles mécaniquement,des espritssans organes, et du langagedontilsconviennent avec nous par l'intermédiaire d'un corps quelconque sur lequel ils agissent, on n'a garde de dire comment. Ces pau vretés que nous voyons chaque jour naître et mourir sous nos yeuxdoivent d'abord nous rendre indulgents pour les
La condition sociale est vraiment étrange : la société ne professe aucune opinion; les individus dont elle se compose acceptent et rejettent tour à tourtoutes les opinions imagi nables. L'idée de Dieu qui, rigoureusement déterminée par la foi, servait de base à la civilisation déchue, se soutient encore, mais vague et nuageuse, de manière à n'engager àrien ceux qui l'admettent : l'idée de l'homme, dans le sens d'être réel , soumis à des devoirs précis parce qu'il exerce des droits qui le sont également, et responsable par conséquent de ses intentions et de ses actes, rencontre une répulsion universelle; car cette idée-là oblige. Cependant, sanselle,aucune société durable n'estpossible: on ycroyait jadis; il faudra désormais en démontrer la vérité.
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travers denos ancêtres, puis nous faire comprendre la né cessité de chercher pour nos raisonnements un point de départ incontestable, d'où, en procédant d'identitésen iden tités, nousnesoyonsplusdanslecasdenepouvoiréchapperà une erreurque pour tomber dans une autre.
CHAPITRE XXVII.
Joseph II venait de monter sur le tròne impérial; avant de mettre ses projets de réforme à exécution dansses étatshéréditaires, il chargea son frère Léopold, grand-ducdeToscane,d'en fairel'essai pratique.Lecaractèreparticulierde cesréformesconsistaitencequ'ellesparaissaientn'avoir
Joseph II et Léopold d'Autriche. Pie VI va Vienne . Le congrés d'Ems. L'Italie demandedes réformes. L'évèque Ricci enToscane.-- Soulèvement des Pays-Bas autrichiens. Les princes réformateurs reculent devantle grand mouvement de France.
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Les philosophes avaient commencé l'oeuvrede la transfor mation intellectuelle, celle qui devait substituer l'examen et la discussion, rendues incompressibles, à la foi quijus qu'alors avait été acceptée aveuglément et sur parole. Cette transformation eut pour résultat immédiat de remplacer la force sociale dont le but est de coordonner en subordon nant, par la souveraineté individuelle dontla puissanceest toute désorganisatrice, l'ordre despotique mais conserva teur, par l'anarchie progressive mais dissolvante, et le de voir de croire et d'obéir par le droit de douter et de s'in surger. Les souverains qui firent l'applicationdesprincipes posés par les philosophes, transportèrent dans l'ordredes faits cette révolution qui jusqu'alors ne s'était mani estée que dans l'ordre des idées.
LES ROIS DÉMOLISSENT L'ÉGLISE.
L'empereur s'ingéra après cela du règlement des chosesqui jusqu'alors n'avaient dépendu que de l'autorité ecclé siastique : il assujettit au visa du gouvernement tous les écrits émanésde la cour de Rome; il soumit les ordres monastiques aux évêques, sans égardaux supérieurs résidantà l'étranger; il suspendit la réception des novices jusqu'à ce qu'il déclarât que le nombre des religieux ne dépassait plus les besoins du peuple; tous les siéges épiscopaux devaient être désormais à sa nomination, et tous les évêques
pourbut que le bien de la religion; mais leur résultat ne devait pas moins être la suprématie assurée du pouvoir, de la force, surla religion, sur l'autorité : or c'était là un pasimmense vers la chute de l'autorité, vers ledéplacement de la force, vers la décomposition de l'ordre social établi. Léopold trouva sous sa main un prêtre pour le servir dans la réalisation de ses desseins : ce prêtre, Scipion de Ricci, évêque de Pistoie et Prato, était sincèrement pieux, mais janseniste. Nous verrons bientôt quelle fut son influence sur lesréformes religieuses de la Toscane.
Les Bourbons, après la suppression desjésuites, s'étaient arrêtés dans leurs entreprises antipontificales, comme ef frayés de leur propre victoire; la maison d'Autriche com mença aussitôt les siennes avec tant de vivacité que, dès son début, ellesembla menacerRomedesoustraire entière mentses peuples à la dominationdes papes, qui cependantétaient encore les maîtres absolus des esprits et des consciences dans l'Allemagne catholique. Pour son début, Joseph II supprima, vers la fin du xvile siècle, en Autriche et en Italie, les entraves qui avaient été mises à la con troverse sur ou plutôt contre les matières religieuses, etil laissa à la liberté de discussion une latitude dont la philo sophieusaità la vérité depuis longtemps, mais qui cependantn'avait pasencore étérevêtuedu cachetde la légalité : c'était renverserd'un coup l'ancienne base sur laquelle reposaitla société desrévélations.
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Rome osait encore réclamer : mais là se bornait son au dace. Le nonce apostolique, monsignorGarampi, fut chargé de faire valoir les doléances de sa cour auprès de celle deVienne. LeprincedeKaunitzrépondit(1781)quel'empereur était le maître deréformer la religion en tout cequin'était pas de dogme, et delui rendre sa premièresimplicité;que, hors les affaires purementspirituelles, le pape n'avaitrien à voir dans les mesures que l'empereur croyait devoir pren dre pour le bien de ses peuples catholiques, etc. Pie VI, alors régnant, estima que rien ne devait être négligé pour arrêter à sa source ce torrent dévastateur de la puissance sacerdotale, et il serendit lui-même à Vienne en suppliant. Joseph II l'entoura detous lestémoignages possiblesde res pect et de bienveillance,le flatta même dans sa vanité, mais ne céda en rien d'essentiel. Il accorda, à la demande du pape, que dorénavant il serait permis d'enseigner histori quement ce qui concernait la bulle Unigenitus; que la nécessité du placet gouvernemental serait limité aux bulles non dogmatiques; que le saint-siége dispenserait au pre mier et au second degré : en outre il promit de ne paspourvoir aux évêchés de Lombardic qui viendraient àvaquer pendant la vie de Pie VI. Maisà peine le pape avait-il repris la route d'Italie, que les réformes furentdenouveau poursuiviesavecardeur. En Lombardie notamment, l'empereur nomma un archevêque de Milan, et prit sous sa protection personnellc les théolo giens del'école de Pavic, quienseignaient, commel'évêque Ricci, la doctrine des appelants de France, ct nccessaient
devaient lui prêter serment de fidélité; il supprima les bullesUnigenitusetIncænaDomini, et prescrivitunsilence absolu sur le molinisme et lejansenisme; il établit la tolé rance civile de toutes les sectes chrétiennes; il abolit l'in quisition; enfin, il défendit que ses sujets demandassent à Rome les dispenses de mariage qu'il ordonnaità ses évêques d'accorder selon les canons.
Cette mesure avait été préparée par les plaintes des élec teurs ecclésiastiques(1769), plusieurs fois réitérées (1784).L'archevêque de Saltzbourg, qui s'était joint aux trois élec teurs, s'étaitdéjà faitremarquer par une instruction pasto rale contre les excès du culte des images et le trop grand luxe des églises (1782). Bientôt après, les quatre prélatsenvoyèrent des députés à Ems où, dans le congrès de ce nom (1786), furent arrêtés vingt-quatre points de réformereligieuse,qui n'étaient rien autre chose que la réhabilita
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d'invoquer contre les empiétements de la cour de Rome les canons et les usages de l'église primitive. L'empereur, em porté par sa manie de tout changer, alla jusqu'à faire enle verdes églises des images qu'il désignait, à accroître d'une part et à diminuer de l'autre les empêchements dirimants du mariage, et à permettre en certains cas le divorce reli gieux. Aussi Frédéric le Grand lui appliqua-t-il avec jus tice l'épithète desacristainqu'il méritait, en cela, bien plus que celle de souverain.
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C'était à Joseph II à rendre au pape sa visite : il le fit (1783)avecla résolutionformelle de tenter un derniereffort pourvaincre la résistance de Pie VI, ou de déclarer sa rup ture définitive avec le saint-siége, à l'obéissance duquel il auraitsoustraitses états, tout en conservant pour ses sujets les dogmes et la hiérarchic de l'église catholique. Il s'était, à cet effet, assuré la coopération de trente-six de ses évê ques. Heureusement pour la cour de Rome que le chevalier d'Azara, qui y représentait l'Espagne, ct dont l'attachement aux idéesnouvelles étaitnotoire,etl'ambassadeurdeFrance, cardinal de Bernis, abbé de boudoir plutôt que prêtre, par vinrent à modérer le zèle de l'empereur qui se borna en dernière analyse à conclureune espècede concordat (1784). De retour à Vienne , il abolit les nonciatures comme con traires à la juridiction des évêques, el ne reconnut plus les envoyés pontificaux que comme desimplesagents diploma tiques.
tion canoniquedes opinions de Jean-Nicolas de Hontheim, évêque de Myriophyte, condamné plus de vingt ansaupara vant sous le nom de Justin Febronius. Hontheim qui, comme tous les réformateurs , avaiteu pour but de rétablir l'ancienne organisation de l'église en rendant aux évêques les pouvoirs dont ils avaient joui dans l'origine, et que les papes leur avaient peu à peu enlevés, avaitfini parse rétracter (1777). L'assemblée d'Ems renou vela cette doctrine, laquelle, à ce que prétendaient sespar tisans, devait à l'avenir être celle de toute l'Allemagne. Ce fut en France surtout qu'elle produisit quelque effet. Les Allemands, alarmés par les prêtres dévoués à la cour de Rome sur le danger où les innovations projetées mettaient leur salut éternel, les accueillirent avec une constante dé faveur. La révolution des Pays-Bas autrichiens vint, sur les entrefaites,détournerl'attention de l'empereurde sesplans de réforme, et les avant-coureurs de la révolution française fixèrent celle de tous les souverains régnants sur le besoin de ne plus songer qu'à leurpropre conservation.
Avant de passer aux événements qui signalèrent la san glante époque dont nous venons de parler, nous devons mentionner encore les réformes religieuses opérées dans lesautresétatsdel'Italie,à l'instarde celles quel'empereur réalisait dans les provinces autrichiennes. Les républiquesdeVenise etdeGênes, le royaumedeNapleset le duchéde Modène se distinguèrent par leur hardiesse. Mais la Tos cane alla beaucoup plus loin. L'évêque Ricci, soutenu par deux cent trente-quatre prêtres et théologiens, tint un concile diocésain à Pistoie, où furent discutés cinquante sept points que le grand-duc avait soumis à l'examen de tous les évêques, pour réformer la discipline ecclésiastique, le culte, l'enseignement, les cérémonies religieuses, etc. Le prince et le prélat ne se proposaient pas le même but; le premier voulait nationaliserson église catholique, dontil seraitdevenu ainsi le cheftemporel, et l'autre tendait sur
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311 con tout à faire triompher l'augustinianisme, c'est sous ce nom que lejansenismeétait connu en Italie, -- aux portesmêmes de Rome. Il réussit exclusivement à y faire damner, avec son hérésie sur le dogme, les velléités d'in dépendance religieuse manifestées par Léopold. En effet, l'évêque de Pistoie avaitsoutenu, dans lesactes de son concile , plusieurs des propositions de Baïus et de Quesnel, foudroyées par la bulle Unigenitus, et il avait re commandé la lecture des ouvrages de piété publiés par les docteurs les plus renommés du jansenisme. Plusieurs des membres de cette assemblée refusèrent leur signature. Le pape déclara qu'il condamnait quatre-vingt-cinq des pro positions contenues dans les actes, et nommément sept comme hérétiques. Parmi les assertions foudroyées se trou vaient les suivantes : il y a des vérités du christianisme qui ont été obscurcies et presque effacées ; l'autorité des évê ques dérive de la communauté des fidèles, et celle du pape du consentement de toute l'église; celle-ci a abusivement étendu sa juridiction sur les choses temporelles; la disci pline extérieure de l'église doit être soumise au pouvoir civil; les évêques doivent jouir de plus d'autorité que ne leur en laisse le saint-siége; la doctrine des quatre articles du clergé de France (1682) est orthodoxe : erreurs, était-ildit, qui, ainsi que d'autres, ont déjà été anathématisées avec les hérésies de Wiclef, Luther, Baïus, Jansenius et Quesnel. La bulle Auctorem fidei qui prononçait cette sen tence (1794) rencontra, entre autres oppositions, celle del'évêque de Noli, que le cardinal Gerdil réfuta. Leplat, docteur de Louvain, écrivit égalementcontre la bullc Auc torem ; de toute la république française, les départements de la Belgique étaient, à cette époque, les seuls où une pareille polémique pouvait encore être remarquée. L'année qui suivit le concile de Pistoie, Léopold réunit tous ses évêques pour préparer la discussion des questionsque le prochain concile national était appelé àrésoudre. Il
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s'agissait cette fois de la réformation du bréviaire et du missel; de la traduction du rituel en langue vulgaire; de lapréséance des curéssur leschanoines, et enfin de la décla ration que l'institution des évêques est de droit divin : toutes choses qui, aux temps de libre examen et de douteauxquelson était parvenu, n'étaient aucunementde la compétence du gouvernement. Lesévêquesde Colle et d'Arezzo avaient seuls suivi l'exemple de Ricci. Des trois archevêques etdes quatorze évêques qui composaient la nouvelle assemblée,quatreévêquesseulementapprouvèrent les desseins du grand-duc. Ricci, en retournant dans son diocèse, eut àsubir une émeute pendant laquelle sa bibliothèque fut li vrée au pillage. Pour ne plus avoir à revenir sur ce scctaire moderne, nous dirons ici que, lors du passage de Pic VII par Florence, après le couronnement de l'empereurNapoléon, Ricci fit sa soumission au saint-siége, en accep tant les bulles contre Baïus, Jansenius et Quesnel, et jus qu'à la bulle Auctorem fidei contre lui-même. Cela n'apasempêché lesthéologiens, sesadmirateurs, deprétendrequel'évêque de Pistoie était demeuré inébranlablement attaché à leurs principes et qu'il n'avait rétracté aucune de ses convictions précédemment manifestées.Malgré l'opposition qu'il rencontrait dans l'opinion de ses sujets, Léopold poursuivit ses réformes religieuses, qu'il calqua sur celles de l'empereur Joseph, son frère, enAutriche. Mais celles-ci avaient finalementavorté, et l'em pereur, mort dc chagrin, laissait à Léopold ses fautes à réparer, ses provinces belges à pacifier et son vasteempire à sauver au milieu desrévolutions qui allaient bouleverser l Europe. Depuis 1786, les innovations inconstitutionnelle mentintroduites aux Pays-Bas parJoseph Il y avaient été repoussées vivement par l'archevêque de Malines, cardinal de Frankenberg, et par le nonce Zondadari. Ce qui avait le plus choqué l'opinion en Belgique, c'étaient les décretsconcernant la tolérance civile des protestants, que l uni
A peine Léopold avait-il quitté ses états de Toscane que 27.
Le gouvernement n'en fut pas moins obligé de céder. Outre l'archevêque de Malines, les évêques de Namur,d'Anvers, d Ypres etde Bruges se déclarèrent contre l'in stitution du séminaire général. L'empereur Joseph avait fait cxaminer par le cardinal de Frankenberg la doctrinedes professeurs du séminaire et surtout celle du docteur Leplat. Le prélat déclara qu'il la trouvait conforme auxprincipes de Fébronius, d'Eybel et du congrès d'Ems, et il publia son jugement. L'insurrection ouverte des provincesautrichiennes et la fuite des impérialistes, en dépit des exhortations de Pie VI qui, prince souverain lui-même, ne pouvaitpas encouragerostensiblementlarévolted'unpeuple contre le pouvoir établi, furent les suites naturelles de cette mesure. C'est dans ces circonstances que le grand-ducLéopold,ayantsuccédé fortà propos à Joseph II, donnalieuà l'adoption d'une politique plus conciliante que celle qui venait de produire de si tristes résultats; il rendit à laBelgique, avec l'ordre ancien, le calme que les réformesreligieuses y avaient momentanément troublé (1790).
versité de Louvain condamnait avec raison d'après l'esprit de l'église, et relativement aux ordres monastiques, ainsi que la réglementation puérile des confréries, des proces sions, des pèlerinages et d'autres parties du culte popu laire. La création d'un séminaire général, où le gouverne ment ferait enseigner sa doctrine à lui, mit le comble à l exaspération. Pie VI venait de condamner l'ouvrage allemanddu docteur Eybel, intitulé : Qu'est-ce que le pape? où se montraient à découvert les efforts des canonistes mo dernes pour rendre à l'église son organisation aristocratique, ce qui aurait beaucoup facilité les efforts des souve rains pour devenir, chacun chez lui, les chefs de leurs évêques nationaux. La sentence contre Eybel, introduite enBelgique sans l'assentiment de l'autorité, fit renvoyer le nonce et citer à Vienne l'archevêque de Malines.
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Sur les entrefaites, le Portugal avait suivi les traces des autres gouvernements réformateurs. Naples imita le Por tugal. Nous ne ferons pas l'énumération des mesuresqu'on y prit contre les prétentions du saint-siége; ce seraitune répétition fastidieusedece que nous avons vu exécuter ail leurs. Nousdirons seulement quela nominationauxévêchés fut ce qui divisa le plus profondément les cours de Naples etdeRome. Lc pape cessa d'instituer les prélats quele roi nommait; le roi de son côté suspendit l'envoi annuel de la haquenée, symboledu tribut que ses prédécesseursavaient payé aux papes. En toute autre circonstance, une rupture sérieuse auraitéclatéentrelesdeux gouvernements.Maisla révolution française avertissait partout le pouvoir que sa cause était en jeu, et qu'il était de l'intérêt de tousses re présentants de réunir leurs forces pour résister au torrentqui menaçait de les engloutir dans un même tourbillon. Rome, plus despotique encore que catholique, rechercha à tout prix l'alliance des gouvernements quels qu'ils fus sent, orthodoxes ou hérétiques. L'Autrichearrêta son mou vement de réforme aux Pays-Bas et en Lombardie. Naplesracheta le tribut de la haquenée au moyen de cinq cent mille ducats à payer au début de chaque règne, et lepape s'empressa d'instituer les évêques nommés (1792) : depuisquinzeansiln'yavaitpluseud'institution; trente-sixsiéges
le peuple réclama tumultueusement l'abolition des innova tionsintroduites par ce prince : Ferdinand III, sonfils, se hâta de les remplacerparles usages habituels et lesimmu nités ecclésiastiques en vigueur avant le règne précédent. Ce retour vers ce qui avait été reconnu abusif devint encore plus prononcé sous le règne du roi d'Étrurie. La réunion de la Toscane à la France impériale, suivie de la restauration de la branche autrichienne, rendit de nouveau le pouvoir civil jaloux de protéger son autorité contre lesempiétements de la cour de Rome. Ce fut donc à recom mencer .
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autres par
Etjusqu'auxpuissances noncatholiques voulurent coopé rer à cette manifestation du pouvoir, qui comprenaitenfin, mais trop tard, que sa force dérivait uniquement de l'opi nion relative à l'autorité sur laquelle elle était fondée : l'impératrice Catherine II, par exemple, défendit de publier et de vendre en Russie aucun écrit où le pape était traité avec peu de respect. Il y eut à ce propos un échange de lettres fort affectueuses entre l'autocrale de l'églisemosco vite et le pontife souverain de l'église de Rome.
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La seule chose qui doive étonner, c'est qu'il ait fallu un si long enseignement historique pour faire pénétrer dans lesesprits une vérité fort simple, celle que c'est le catho licisme romain seul qui a fondé l'empire socialdu christia nisme; que sans lui, il aurait pu y avoir, pendant plus ou moins de temps, ici des chrétiensgrecs, là des chrétiens latins, et parmi ceux-ci des chrétiens italiens, espagnols,français, allemands, anglais, mais point de christianisme unitaire, dominant les nationalités politiques que nous ve nons de nommer et toute nationalitéimaginable. Le catho licisme déchu, les nationalités sculesrestaientdebout, chré tiennes ou non chrétiennes, n'ayant chacune que sa propre force, sans cohésion, sans lien, différentes les unes des les idées, opposées les unes aux autres par lesintérêts,pousséeslesunescontrelesautres parlespassions.
étaient vacants. C'était, s'il est permis de se servir ici d'une expression consacrée à des intérêts moins graves, un changement à vue.
LES PEUPLES DÉMOLISSENT LA ROYAUTÉ.
Lejansenisme prépare l'opposition populaire. Lesétatsgénérauxse convertissentenassemblée constituante. Constitution civile du clergé.--L'assemblée législative commence à persécuter les prêtres. MortdeLouis XVI . La convention nationale abolit le catholicisme. - Neuf thermidor.
CHAPITRE XXVIII.
papes avaient pu
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Les papes étaient vaincus.Leur Dieu, le Dieu desarmées, des gros bataillons, la force en un mot, leur avait fait dé faut. Aussi longtemps que les peuples chrétiens avaientcru que ce Dieu était la justice, la sourcedu devoir et dudroit, les les considérer comme leurs sujetsim médiats, comme leur milice, et les rois qui ne s'étaientpas humiliés devant eux avaient été renversés par leur seuleparole. Mais le monde avait marché, comme on s'exprime, c'est-à-dire que les intelligences s'étaient développées, et que, créant des besoins nouveaux, elles avaient donnélieu à de nouveaux développements pour les satisfaire. Il avait donc fallu favoriser, exciter même l'esprit d'investigation, de comparaison, de raisonnement, et il avait été impossi ble de le borner strictement aux seuls intérêts de la vic. Une fois que l'examen eut posé le pied sur le terrain de l'ordre moral, lesquestions dedroit etde devoir, dejustice, quitoutes serattachent à l'idée du Dieu qui arévélé etdé terminé lajustice, furentdiscutéesplus ou moinslibrement,
et bientôt l'échafaudage sur lequel reposait la puissance pontificale fut profondément ébranlé.
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Les disputes longues et acharnées entre lesjansénisteset les molinistes avaient puissamment servi les philosophes de France, qui travaillaient à perdre à la fois lepouvoir et la religion. Pour en donner une dernière preuve, nous poursuivons le récit des événements. Louis XVI rappela le parlement exilé par son prédécesseur. Le parlement ne s'é tait rendupopulairequepar son opposition aux roiset auxpapes. Le moment allait venir où, s'opposant aumouve mentquientraînaitvers leurruinelesacerdoce etla royauté, il périrait lui-même dans une commune catastrophe. Tout contribuait à cette époque à h ter la révolution qui devait changer la face des choses : les appelants avaient invoqué
Lesrois crurent alorsque le moment était venu de pren dre leur revanche, mais ils se trompaient grossièrement : ils n'avaient eu pour cux jusqu'à ce moment que la force,appeléeautorité quand ilsétaient d'accordaveclechef infail lible de l'église d'où toute autorité émanait. Privés de cet appui, les rois sans force puisque, en dernière analyse, ilsn'avaient d'autre force quecelle des peuples, ne tardèrentpas à se trouveren présence des peuples dans toute la force de ceux-ci, et l'état de révolution, expression inévitablede l'état de doute sur le droit, de l'état de négation dudroit, de l'état de discussion, d'examen, devint l'étatnormal de notre société en décomposition. Les peuples chrétiens avaient été jusqu'alors constitués en une seulesociété, dont la révélation , interprétée par le sacerdoce,était le principe directeur; les rois chrétiens enseignèrentaux peuples qu'ils pouvaientsepasser des prêtres, dans l'es poir qu'eux-mêmes seraient parvenus à se revêtir, chacun chezeux, du sacerdoce national : la grande unité catholiquese trouva scindéede cette manière, et chaque nation devintune individualité anarchique, qui socialement n'avait plusde prêtres, et qui se débarrassa peu à peu desrois.
Les premières opérations de la constituante, comme on la qualifiait dès lors, concernant les affaires ecclésiastiques,furent l'abolition des annates et des dîmes et la déclaration rangs
les états généraux pour soutenir, contre les partisans dela cour et de l'ultramontanisme, les parlements qui lessoutc naienteux-mêmes (1771);ce futmaintenant leclergé(1788) quisollicitaen faveur des parlements etdemandala convoca tion des états généraux. Jusqu'au scandaleux procèsdu col lier (1785), où le cardinal de Rohan, archevêque de Stras bourg, mêlé à une tourbe impure de charlalans, d'escrocs et de filles, avait joué un si triste rôle, et dont le peuples'était obstiné à croirelareinecomplice,n'avait pas peu aidé à déconsidérerlaprélature et la cour. Pie VI, pourétouffer l'affaire, voulait se réserver lejugement du cardinal quise soumettait volontairement à la décision des tribunaux. Le roi,fatiguédesréclamationsetdesplaintes dupape,déclara qu'à l'aveniril n'yaurait plus de cardinaux français.
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Les élats généraux se réunirentenfin (1789); quarante sept évêques, trente-cinq abbés et chanoines, et deux cent huit curés y siégèrent avec les députés de la noblesse et du tiers. Cent trente-quatre prêtres, auxquels se joignirent cinq archevêques et évèques, deux grands vicaires et un abbé commendataire , furent les premiers à déserter les de la noblesseet du clergé pourfaire cause communeavec le tiers état, qui répudiait toute distinction de classe comme tout privilége de caste. C'était au tour des curés maintenant à combattre ce qu'ils appelaient le despotismedes évêques, comme les appelants d'entre ceux-ci avaient combattu le despotisme des papes , en attendant que le peuple déclarât qu'il ne voulait plus du despotisme des cu rés. Aprèsla manifestation duvæu del'assembléeaujeude paume, le résultat de la marche des choses ne fut plusdou leux, puisque c'était la pluralité des voix, c'est-à-dire la partie démocratique elle-même de l'assemblée qui allaiten décider.
que les biens du clergé sont une propriété nationale dont le peuple peut disposercomme il l'entend. Le clergé tonna contre une décision qu'il représenta, non , ainsi qu'il eût dû le faire, comme uneatteinteau principe de la propriété, et comme le renversementdes lois existantes pour l'organisa tion de ce principe social, mais comme l'anéantissement de lareligion établie. Le pape partageait ces idées; mais crai gnant d'augmenter le mal par des protestations probable ment inutiles, il se tut. Bientôt (1790) suivit l'abolition des ordres monastiques et des væux religieux. Puis il fut arrêté que désormais les évêques, dont le nombre ne dépasserait pas celui des départements, seraient élus par le peuple en assemblée électorale,quele métropolitain les institueraitet qu'ils ne eraient que communiquer leur nomination au pape. Ces divers règlements, qui prirent le titre de consti lution civile du clergé, étaient de la compétence des seulscatholiques, que l'assemblée constituante aurait dû laisser libres à cetégard; imposés par elleauxcatholiques, ilssuscitèrent une secte nouvelle, contre laquelle, pour triompher de la résistance qu'ils avaient nécessairement rencontrée, il fallut s'armer de rigueurs, de persécutions , en un mot, de tous les moyens à l'usage du despotisme qu'on voulait paraître avoir si à c ur de renverser. Il eût néanmoins été facile d'éviter ces excès : il suffisait, pour échapper à toute apparence d arbitraire en matière religicuse, de décréter que, dorénavant, la loi ne serait plus intervenue dans les affaires de conscience et de culte.
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La constitution du clergé fut blåmée partrente évêques, membres de l'assemblée, qui protestèrent contre elle ; cent dix évèques hors de l'assemblée adhérèrent à cette exposi tion des principes, publiée par les trente prélats députés.Pie VI reprocha au roi l'approbation qu'il avait donnée aux changements introduits dans la discipline ecclésiastique duroyaume. On s'exaspérait de part et d'autre : l'assemblée imposa auxévêques et aux prêtres un serment de fidélité à
L'assemblée législative venait de succéder à la consti tuante. A mesure que le pouvoir perdait du terrain, la révolution avançait d'autant. Comme nous ne nous occu pons ici que de ce qui concerneleculte, nous nous borne rons à dire que le catholicisme, de religion de l'état qu'il
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la constitution (1791). Environ cent prêtres qui siégeaient au côté gauche, et les évêques d'Autun et de Lydda prêt rent le serment voulu ; le côté droit refusa et fut hué : néanmoins le courage des opposants porta trente asser mentés à se rétracter. Dans toute la France, quatreprélats seulement jurèrent, savoir l'archevêque de Sens, cardinal de Brienne, qui renvoya le chapeau rouge, et les évêques d'Autun, d'Orléans ct de Viviers.
Lepapen'avaitjusqu'alors lancéses foudresimpuissantesque sur les philosophes qui, disait-il, s'entre-mordaientà l'assemblée constituante, et, aurait-il pu ajouter, réalisaientcomme protestants politiques la confusion que les sectaires chrétiens, en s'entre-mordant depuis des siècles, avaient préparée comme protestants religieux. Il anathématisa aussi la constitution française (10 mars 1791), parce que, entreautres erreurs, elle consacrait celle de la liberté de penser et d'écrire. On venait de sacrer les évêques constitutionnels qu on substituait aux évêques non assermentés. Pie VI adressa au clergé etaux fidèles de France (13 avril) un bref qui déclarait nuls les actes hérétiques des députés français, et ordonnait aux constitutionnels de rétracter leur serment impie. Tous les évêques, hors quatre, acceptèrent ce jugementen France, et cent trente-cinq évèquesd'Italie, d'Alle magne, de Savoie, d'Espagne, des Pays-Bas, d'Angleterre, d'Irlande, de l'Asie et de l'Amérique, firent de même. Le schisme était flagrant. Le gouvernement français fit transporter le corps de Voltaire aux caveaux de Sainte-Gene viève, métamorphosée en Panthéon, réunit à son territoire la ville d'Avignon et le Comtat, et le peuple brûla l'effigie du pape avec ses bulles dans les jardins du Palais-Royal.
On accusait les prêtres non assermentés de conspirer contre la constitution en vigueur. Il fallait punir les actes contraires à la loi ; il n'était pas juste de rechercher les convictions qui inspiraient ces actes, d incriminer les len dancesetde poursuivrelessuspects. Voici cequi se passait: les insermentésauxquels la constituante avaitpermisd'offi cier dans les églises occupées par les constitutionnels, y conféraient de nouveau les sacrements déjà administrés par les assermentés qu'ils déclaraient inhabiles à desservir légi timement le culte. Pourobvierà l'inquiétude et à l'agitation que cette façon d'agirjetait dans les consciences, la législa tive priva les réfractaires de la pension et du traitement que l'état leur avait assignés.
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était auparavant, devint une simple opinion personnelle, comme celle des autres sectes chrétiennes et non chré tiennes, avec lesquelles l'état n'a rien de commun. Cela est vrai pour l'époque de libre examen et de doute ; mais il eût fallu être conséquent jusqu'au bout, et les nouveaux législateurs ne le furent sous aucun rapport, par l'excel lente raison qu'ils étaient sectaires eux-mêmes. Oubliant que, d'après leurs propres principes, la loi ne pouvait rien, ni sur ni contre les opinions, ils organisèrent une persécution sourde pour miner le catholicisme, et encou ragèrent le peuple à profaner ce qu'il avait respecté jus qu'alors, à fouler aux pieds ce qu'il avait adoré.
Pie VI lança alors de secondes monitions adressées aux archevêquesetévêques constitutionnels;il ne faisaitencore que menacer l'évêque d'Autun (Talleyrand), qu'il appelait l'auteurdu schisme, etses troiscoopérateurs, ainsi que tous lesassermentés. En outre, il exhorta les puissances catholi quesà seliguerpourétouffer laphilosophie en France, sur touten empêchantla propagandequise faisaitaumoyendesmauvais livres. L'assemblée n'en poursuivit pas moins son verivre de démolition : sur la proposition d'un archevêque, elle prohiba tout costume ecclésiastique ou religieux; elle
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La convention nationale ne parvenant point à organiser par les seuls moyens dont elle pût disposer, et qui tous n'étaient efficaces que pour détruire, se vit forcée de maintenircequi avaitétéfaitdanscesens, encontinuantl'æuvre révolutionnaire, confiée pour l'exécution au despotismedictatorial, etprotégéedansson existence par la terreurdela guillotine. Les prêtresréfractaires furent nécessairementparmi les premières victimes. Les maladies et les mauvais
proclama la liberté illimitée des cultes, mais elle fit con damner à la déportation les prêtres catholiques qui refu saient de confornier leur opinion à la sienne. Le roi refusa sa sanction à ce décret, et les prêtres retenus par le veto royal dans les prisons furent réservés au massacre. Le 10 août 1792, la royauté eut le dessous dans la lutte, etletransportdes prêtrescommença avectoutela grossièreté et la brutalité que suggère la vengeance. Aux 2 et 3 sep tembre, plusieurs centaines d'évêques et de prêtres furent égorgés au nom de la république et en haine du sacerdoce, dans les prisons de la capitale, avec environ huit mille autres détenus. Meaux, Châlons, Reims, Arras, Bordeaux et d'autres villes encore firent comme venait de faire la ca pitale, comme avaient fait les principales villes de France et Paris surtout en massacrant, à la Saint-Barthélemi, ily avait de cela un peu plus de deux siècles, -ne perdonspas de vue ce fait historique,- environ quarante mille hugue nots à l'instigation des prêtres cette fois,et parordredu roi. Finalement la monarchic tomba avec la tête de Louis XVI (21 janvier 1793), qu'avaient condamné à mort cinq évê ques sur dix-sept, et seize prêtres sur vingt-deux; neuf évêques votèrent la détention à vie de l'ex-roi très-chré tien. Et pendant que cela se passait, le roi de Prusse, ennemi de l'église, qui était entré en France, chassait les prêtres constitutionnels, mais catholiques, rappelait les in sermentés, toujours catholiques, et rouvrait les églises et les couvents des catholiques.
323 traitements les faisaient succomber en masse dans les pri sonsdesvilles maritimes où ils attendaientque la paix avec l'Angleterrepermîtde les reléguerauxîles; en o tre, qua rante-deux religieuses, dans un seul département, et seize carmélites à Paris furent exécutées comme conspiratrices. Les ecclésiastiques qui avaient réussi à se dérober à leurs persécuteurs se réfugièrent en Allemagne, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas et en Angleterre. Plusieurs évêquesconstitutionnels,des prêtres, et unmi nistre réformé avaient abjuré au sein de la convention ce qu'ils appelaient la charlatanerie du christianisme. Neuf évêques se marièrent ; plusieurs prêtres suivirent leur exemple et continuèrent à officier, la pique à la main etle bonnetrouge surlatête.Gobel, archevêque deParis,malgré ou peut-être à cause de ces scènes dégoûtantes, nc consentit qu'à abdiquer, ce qu'il fit le 10 novembre 1793 : ce même jour, le culte catholique fut aboli par la convention na tionale et remplacé par celui de la Raison. Robespierre avait fait renouveler le décret de la liberté des cultes, et néanmoins il étaitdéfendu deprononcerlenomdel'êtresoi disantDieu.Ona beaucoupdéclamé contre la suppressionde l'Êtresuprême parla convention républicainc;si cependant cette assemblée n'entendait proclamer par là que la vérité aujourd'huireconnuepartout,savoir,quenossociétéslivréesaudouterepoussenttoutecroyance,mêmecelleenDieu, il n'yarienàluireprocher.Maiselleproclamaitlasouverainetédelaraison:làétaitl'erreur.Car,quelleétaitcetteraison souveraine? ni l'assemblée conventionnelle, ni personne ne pouvait le déterminer. Il eûtfallu, pour rester dans le vrai, se borner à proclamer le fait de la souveraineté de la rai son de chacun, l'arbitraire en un mot, la force. Le catholi cisme ne régnait plus que sur la Vendéc, où les républicains d'une part, et de l'autre les révoltés royalistes, excités par leurs prêtres, commettaient à l'envi lesactes les plus atroces de barbarie et de fureur. Un curé de Pol s'était surtout
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distingué parmi les Vendéens : il se prétendait évêque d Agra et vicaire apostolique; le pape lui-même fit con naître parun bref la fausseté de ces titres. Les Vendéens furent battus, et les prêtres qui tombèrent aux mains de leurs ennemis, périrent par les supplices raffinés de cette terribleépoque. Ilsn'enpersistèrent pas moinsàentretenir la discorde, même lorsque la guerre, vers la fin du siècle, eut dégénéré en une espèce de brigandage et de vol sur une large échelle, appelé chouannerie. En 1794, tous les prêtres de France furent enveloppés dans les proscriptions de la terreur, non comme prêtres, mais comme ennemis de la révolution; car Robespierre, à la chute duquel cet effroyable régime fut modifié, était lui-même religieux : mais il adorait avec le même fanatisme la liberté etl'Être suprême. Avant de mourir, il avait fait proclamer l'exis tence de cet Être, et guillotiner l'ex-archevêque Gobel,comme troublant l'ordre public en n'y croyant pas. C'était, comme nousvenonsdele dire,élever surl'autel le principe de la force, et y immoler quiconque n'obéissait pas à sesmissionnaires. C'était du despotisme pur, reli gieux aujourd'hui comme il était athée hier. Il n'yavait de possible que cela. On pouvait varier à l'infini sur ce thème, mais le thème lui-même était obligé.
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Tentatives de restauration religieuse. Représaillessanglantes des catho liques et des royalistes. Assassinat de Basseville etmiracles contrerévolutionnaires. Paix de Tolentino . Le directoire persécule. - La république détrône Pie VI. Atrocités monarchiques à Naples. Réactionpolitique etreligieuseenItalie. Concile de Paris . - Concordat entrelepape etlarépublique française.
DOUBLE RÉACTION.
Du moment que la révolution s'arrêtait, elle devait né cessairement reculer. L'action avait été trop forte pour que la réaction n'eût pas aussi sa violence. Mais quels quc fus sent les événements et leur portée rétrograde,les idées n'en marchaient pas moins dans le sens de ladésorganisation: ondémolissaittoujours. Il est vrai quemomentanément c'était sur les moyens mêmes dont on s'était servi pour démolir que tombait la fureur destructrice; ils ne devaient pas durer plus que ce qu'ils venaient de contribuer à renverser. Il fallaitqu'on allât, qu'on allâtencore, qu'on allåtjusqu'au bout. L'examen et le doute aidant, il fallait que le travail de décomposition sociale ne cessât que lorsqu'il aurait eupour conséquence immédiate la mortde la société existante.
Les efforts de quelques écrivains, qui essayaient de se poser en redresseurs de l'intelligence fourvoyée dans la direction qu'elle avait subie , curent nécessairement le même résultat que ceux des gouvernements. La littérature,
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CHAPITRE XXIX.
Le 9 thermidor avait mis fin au despotisme brutal mais franc de la convention ; l'hypocrisie et la corruption prirent sa place. Le libre exercice ayant été rendu aux cultes, les catholiques rentrèrent en possession des églises qui n'avaient pas été vendues, et comme la seule promesseexigée d'eux était celle d'obéissance aux lois dela répu blique, beaucoup de prêtres assermentés se rétractèrent
nous ne disons pas la philosophie, car le raisonnementn'était pour rien dans cemouvement réactionnaire; c'était un entraînement auquel on se laissait aller, sans trop se rendre compte de sa tendance, la littérature, effrayée duvide qui s'étaitfait de toutes partsdans les esprits, cher chait à le combler en y jetant pêle-mêle les décombres des anciennescroyances, après leur avoir donné, tant bienquemal, un faux air de matériaux neufs, qui allaient servir aux fondations d'un nouvel édifice social. C'est ainsi, parexemple, que la Trinité chrétienne devint une espèce de triple point de vueauquel on considérait une seule ctmême chose, et dès lors on vit des trinités partout où l'on voulut en voir. Le péché originel ne fut plus que l'innéité organi que,quifaisaitrecueillirdes souffrances parles enfantsdont les pères avaient semé le mal. Et ainsi de suite. Mais cette tentative de renverser l'ouvre du xvme siècle, en rétablis sant ce que ce même siècle avait détruit, ne pouvait aboutir. La foi, sous peine de se renier elle-même, devait conserver ses mystères intacts, inexpliqués etinexplicables, savoir, pour la Trinité trois personnes divines en uneseulesubstance, Dieu, et pour le péché originel, la désobéissance du premier homme, rejaillissant, non comme conséquence physiquc, mais comme coulpe intentionnelle, sur toute saracc. Le raisonnement, deson côté, repoussaunmysticismesentimental qui cherchait à l'égarer dans le vague, en accu mulant les aspirations chimériques et les phrases ambi tieusement creuses, sans jamais donner lieu à une seule idée déterminée. Passons aux faits.
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Du reste, cette entreprise n'eut de résultat que quelque temps après. L'intolérance antireligieuse avait recommencéà sévir contre les prêtres catholiques, non, disait-on, pour les punir, mais pour les empêcher « de distiller sur les faibles cerveaux des femmes et des enfants le venin qu'ils croyaient de leur devoir de répandre sous peine de damnation éternelle. » C'étaient exactement les mêmes argu mentsauxquels le sacerdoce etla papauté avaient eu recours contreles hérétiques etles philosophes, « qu'il fallait à tout prix empêcher de distiller sur les esprits des hommes simples le venin de l'irréligion etde l'impiété. » Quoi qu'il en soit, lorsque les évêques réunis crurent le moment venu de faire paraître leur secondeencyclique, ilsen profitèrent pour émettre un nouveau projet de règlement pour l'église gallicane, destiné à remplacer la constitution civile du clergé, qui était tombée dans la déconsidération et l'oubli. Ce projet obtint l'approbation des anciens évêques, avec cette scule restriction qu'ils auraient voulu y trouver une
pour ne pas se voir abandonnés par leurs troupeaux quipréféraient les pasteurs sans tache. Bientôt il se forma des associations réactionnaires dont les membres firent, au nom du roi etde Jésus, la guerre à la république, en égorgeant quiconque avait donné des preuves d'attachement au nouveau régime. Trentevillesetdixdépartements, principale ment dans le midi, avec Lyon pour centre d'opérations, étaient souillés des horreurs que commeltaient les com pagnies deJésus etduSoleil. Pour remédier à tantde maux etmettre quelque unité dans les efforts des amis de l'ordre et de la liberté, cinq évêques assermentés, et parmi eux le célèbre évêque Grégoire , publièrent une cncyclique à laquelle trente-trois autres prélats s'empressèrent d'ad hérer : c'était l'église de France presque tout entière, puisque par suite des troubles et de la persécution, plus dela moitié des siéges épiscopaux étaient devenus et restés vacants.
Le chefde cette dernière était à cette époque menacé de perdre la scule de ses souverainetés qui jusque-là était de meurée intacte, celle de prince temporel des états pontifi caux. Pie VI n'avait, il est vrai, comniis lui-même, ni per mis que ses sujets commissent aucun acte hostile contre la république française. Mais il avait, sous main, accueilli et renvoyé en France les prêtres ennemis de la république, munis d'instructions et debénédictions propres àyrépandre le trouble et le désordre. Le général Bonaparte, vainqueur de l'Italie, fut chargé de venger la république. Il avait, sur la médiation du ministreespagnol d'Azara (1796), accordé au pape un armistice qui avait coûté à l'église les légations de Bologne et de Ferrare, quinze millions de francs et les chefs-d' uvre de la Grèce ancienne et de l'Italie moderne. Bonaparten'avait pasinsistésur lesautresconditionsimpo sées par le directoire et auxquelles le pape refusait de souscrire, savoir, celle de révoquer les bulles et brefs contre la constitution du clergé depuis 1789, ainsi que l'abolition de l'inquisition et de la castration des enfants dans toute la catholicité.
relation plus étroitede dépendance entre l'églisede France et celle de Rome.
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Mais voilà que quelques légers avantages, remportésparlestroupes autrichiennes, rendent au papelecourage de la franchise. Rome venait d'être le théâtre d'une espèced'émeute provoquée par l'imprudence du secrétaire de l'ambassade française à Naples, qui s'était obstiné à arbodans la capitale des états de l'église, les armes et lescouleursde la république française à la demeure duconsul et à l'académie des Beaux-Arts. Basseville c'est le nom du jeunc inconsidéré - futassailli par lepeuple et tuéaux crisdevive le pape!vivesaintBarthélemi!mortaux Français!Toutàcouple bruitserépand qu'à Ancônemême,qui était alorsau pouvoir desFrançais, les images de la Viergeouvraientetfermaientlesyeuxetquecellesde saintCyriaque rer,
Pie VI avait envoyé à Paris des plénipotentiaires pourconclure la paix avec la république; pleins de confiancedans les victoires supposéesdesAutrichiens,cesdiplomates refusèrentdetraiter, sousprétextequ'ilsn'avaient pas d'instructions suffisantes. Mais les Français sont de nouveau vainqueurs, etles agents du pape se rappellent à l'instantqu'ils étaient munis de tous les pouvoirs nécessaires. Ledirectoire n'y est pas trompé : il ordonne auxenvoyés romains de vider le territoire de la république. Cependant Pie VI rompt l'armistice (1797); ses émissaires parcourentlepays etpromettent, aunom de sasainteté,quarantemilleans d'indulgence à ceux qui marcheraient « contre les ado rateurs de l'arbre de la liberté , polythéistes, polygames, outrageant femmes et filles, et dévorant les enfants; » lagrâce de Dieu et la gloire des élus devaient être la récom pense de chaque meurtre d'un républicain. La plupart despetits états récemment occupés par les Français se révoltent : les habitants tuent quelques-unsde leurs vainqueurs, au cri de vive Marie! ils sont écharpés par le reste. Bonaparte alors repritles hostilités, ct presque aussitôt, après une seule batailleperdue, PieVI sevit forcé de faire la paix, appeléede Tolentino, encédant purement, simple ment et pour toujours à la France, Avignon , Bologne, Ferrare et Ravenne; en recevant garnison française à An còne; en versant trente et un millions dans les caisses de la république; en faisant désavouer à Paris l'assassinat de Basseville, et en rendant la liberté à tous les détenus poli tiques. On s'égaya beaucoup à cette époque aux dépens du
329 souriaient. Les saints de la capitale netardèrent pas àsuivre leur exemple. Ces miracles furent opérés devant quatre vingt mille personnes, et authentiquement constatés par quatre-vingt-six témoins oculaires, et par neuf cents té moignages également canoniques et légaux, mais moins réguliers pour la forme. Certes les miracles de Jésus-Christ ne sont pas établis aussi solidement.
Il y avait cu en France un intervalle de repos pour les prêtrescatholiques non assermentés.Ledirectoireaccordait despasse-portspourl'Italieàceuxquidésiraients'yretirer, et le général Bonaparte faisait en sorte qu'ils y trouvassent lesmoyensindispensablesdesubsistanceaveclasécuritépour en jouir. Sa récompense, ainsi que celle d'avoir conclu lo traitédeTolentino,quiavaitsauvéladominationsacerdotale brie1 SPOME neme illen franc AN Tous indis i
330 dena meme beget Au He lantbostia lapele Wence ferme urtou moins Nina pape qui reconnaissait la république française commeune des amies les plus vraies de Rome, qui appelait le général français son très-cher fils, et qui lui donnaitsa bénédictionapostolique, et on blåma hautement les témoignages derespectet de vénération que lui prodiguait son très-humble serviteur Bonaparte. Mais celui-ci avait ses vues contrelarépublique qu'il servait, et le pape , aussi peu républicainque lui, pouvait, plus tard, lui étre utile pour en triompher. Quoi qu'il en soit, le ministre pontifical à Parisfut chargé de la part du saint-père, en traitant avec ses trèschers fils en Jésus-Christ, les citoyens composant le direc toire exécutif, de leur donner sa bénédiction s'ils la désiraient, sinon de s'en abstenir. Après l'humiliation du pape , Bonaparte marcha sur Venise. Nous ne parlons du renversement de l'oligarchie vénitienne que parce que les prêtres en furent du moins le prétexte. Ils avaient c'est Napoléon qui nous l'apprend prêché l'extermination des Français, et préparé de nou velles vepres siciliennes. A Vérone, tous les Français, etentre autres quatre cents malades et blessés qui étaientdans les hôpitaux, urent massacrés, et leurs corps jetés dans l'Adige. Saisi de crainte, le sénat acheta des directeursde la république française l'ordre à leur général de respecter l'existence de la république vénitienne. Bonaparte n'en tint aucun compte : il déclara la guerre à l'aristocratie de Venise, s'empara de la ville, y organisa le gouvernementpopulaire et mit l'avocat Dandolo à la tête de la nouvelle démocratic (avril 1797).
331 menacée de s'éteindre, furent des tentatives d'empoison nement dont se rendirent coupables quelques prêtres que le général autrichien Wurmser dénonça à son vainqueur.
Avec les armées républicaines, l'esprit de liberté avait pénétré en Italie. Déjà la république cisalpine était orga nisée à l'instar de celle de France; le culte y futsoumis à de nouvelles dispositions : on déclara entre autres que les veux monastiques ne relèveraient que de la consciencc individuelle. La république cisalpine reçut l'adhésion deplusieurs prélats distingués , nommément de l'évêque d'Imola (Noël 1797), « le citoyen cardinal Chiaramonti, » qui, moins detrois ans après, devint pape sous le nom de
Au reste, le 18 fructidor vint promptement mettre un terme à la velléité de tolérance, momentanément manifes tée parle directoire, etdont, il fautbien l'avouer, le clergé hostile à la république avaitétrangementabusé, en deman dant que les ordures constitutionnelles fissent place enfin à la religiondominante. Les déportations à la Guyanerecommencèrent pour tousles prêtres qui refusaient de prêter le serment de haine à la royauté et à l'anarchie. La Belgique surtout, où les mesures de 1793 n'avaient point été appli quées, offrit un vaste champ à l'exécution de ces mesuresvexatoires. Le clergé républicain de France n'en tenta pas moins de réaliser son plan de restauration du culte.Soixante-douze ccclésiastiques, dont vingt-six évêques, s'assemblèrent en concile à Notre-Dame à Paris (septem bre 1797). Leurs opérations se bornèrent à placer la répu blique sous la protection de la vierge Maric; à justifier le serment de haine àla royauté; àse plaindre du clergé dis sident; à proposer des moyens de pacification religieuse;à combattrel'autorité temporelle des papes sur les gouver nements catholiques;à propager la doctrine professée en Allemagne, nommémentau congrèsd'Ems, et par les cano nistes modernes; enfin à créer des évêchésdans les colonies françaises.
Pie VII. A Rome, l'opposition aux idées nouvelles fit naître une émeute dont le général Duphot fut victime : il fut tué dans le palais même de Joseph Bonaparte, ambassadeurdeFrance. Les Françaismarchèrent sur Rome et y proclame rent la république. Pie VI se retira près de Florence, à laChartreuse.
Le pape n'avait pas encore quitté Rome que déjà le car dinal vice-gérant, assisté de tout le sacré collége, célébrait solennellement la messe à Saint-Pierre, et chantait à la chapelleSixtine un Te Deum pour rendre grâce à Dieu durétablissementde la liberté. Pie VI partitle 20 février;cinq joursaprès, une espèce d'insurrection, excitée par des pré lats, des prêtres et des moines, éclata dans les quartiersdu Trastevere et des Monti : le mot de reconnaissance était, comme d'habitude, ViveMarie!et quiconquenelerépétait pas,FrançaisouRomain,étaitpoignardéetprécipitédansle Tibre. La garde entière du palais du Vatican venait d'êtremassacrée, lorsque le général Vial fit saisir les principaux auteurs de ces troubles. Le cardinal vicaire qui s'intitulait lui-même « citoyen Jules-Marie de la Somaglia,» qu'on avait vu peu auparavant portant la croix dans les processions organisées pour apaiser les madones miraculeuses (1796), alla maintenant dans les maisons, les boutiques et même les cabarets, prêcher, au nom de l'évangile, l'obéissance aux autorités constituées. L'ordre avait été facile à rétablir dans la ville; on éprouva plus de résistance au dehors : les habitants d'Albano, de la Riccia, de Gensano et de Velletri marchèrent sur Rome, au nombre d'environ six mille. Les républicainsquis'étaientportésàleurrencontre,leurtuèrent cinq à six cents hommes et dispersèrent le reste. Pour ne plusdevoirnousoccuperdePieVI,nousdironsque,trainé, par ordre du directoire , de Florence à Valence en Dau phiné (1799), ilymourut. Laplupart descardinauxétaient en fuite; Antici, Altieri et Valenti déposèrent la pourpre. Ilétaitdifficile que Naplesdemeurât tranquille,entourée
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comme elle était, de tant de sujets d'agitation et de boule versement. Le roi Ferdinand, dominé par sa femme, l'au trichienne Caroline, sæur de Joseph II, qui dominait la maîtresse de l'amiral anglais Nelson, la courtisane Emma Lyons ou Harte, devenue femme de lord Hamilton, ambas sadeuranglais, résolut de faire la guerre à la France, con jointement avec l'Angleterre et l'Autriche. Une armée for midable, prenant à l'improviste le peu de Français qui se trouvaientà Rome, les en chassa. Maispresque immédiate ment elle fut refouléejusqu'à Naples par le général Cham pionnetqui fonda larépublique parthénopéenne.
A peinecette nouvelle démocratie fut-elle éclose, qu'elle eut pour ennemis tous les partisans du régime déchu. Le cardinal Ruffo se mit à leur tête, et souleva les Calabres, au nom du roi et dela religion. C'était une véritable croisade, dont le mot d'ordre était de faire main basse sur tous les patriotes, même prêtres et évèques. Le cardinal Capece Zurlo, archevêque de Naples, qui s'était distinguépeu auparavant par son zèle pour soutenir les prétentions de la cour de Rome à l'omnipotence, repoussa énergique ment et condamna les proclamations incendiaires de son collègue que même il excommunia et par lequel il fut excommunié. Les Français n'en furent pas moins forcés d'abandonner Naples dont Ruffo prit possession. Une capi tulation honorable pour les patriotes avait étéjurée par le cardinal insurgé, et garantie par les puissances coalisées contre la France,parlesAnglais,les Russes et lesTurcs.Elle utviolée dèsqueleroi utrentréàNaples;ainsi le voulaientCaroline, lady IIamilton sa favorite, et Nelson. On forma un tribunal spécial ou giunta, qui, fidèle aux ordres qu'il étaitchargé d'exécuter, fit mourir jusqu'à trois cents mal heureux en unjour. Et comme si ces victimes ne suffisaient pas au terrorisme monarchique, beaucoup de détenus étaient traînésau supplice sans mêmeavoirété interrogés : un grandnombredemoines, deprêtres etd'évêques, outre
CURISTIANISME29 , II .
tout cc que Naples comptait de meilleurs citoyens et d'hommes les plus distingués, accusés de républicanisme, perirent de cette manière. Nous ne parlons pas de ceuxque le peuple massacra, jeta à la mer ou brûla vifs et dontil dévora les membres !...
La mêmeCarolined'Autrichequenousavonsnomméeplushaut tenta en 1807 de faire assassiner Joseph Bonaparte, alors roi de Naples, et peu après elle proposa à l'empereur Napoléonde faireégorger tous les Anglais qui se trouvaienten Sicile. Quoi qu'il en soit, Pie VII, qui ne tarda pas à monter sur le trône pontifical, reprocha amèrement à Ferdinand de Bourbon ces excès de vengeance, accompagnés de tant de mauvaise foi, d'injustice et de barbarie, et il anathématisa l'archevêque de Capoue et d'autres évêquesqui en avaient été les principaux instruments.
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A la mort de Pie VI, il s'était opéré en Espagne une ré forme qui, trente ans auparavant , aurait passé inaperçue au milieu de toutes celles quelamaison de Bourbon intro duisaitdans l'église, mais qu'on remarqua comme extraor dinaire àuneépoque oùlapeurfaisait généralementrevenir auxanciens errements, auxquels onattribuaitgénéralementencore, quoique sans raison, une puissance de conservation pouvoirsqu'ilsavaientperduedepuislongtemps.LechevalierUrquijo,premierministredeCharlesIV,renditauxévêques«lesusurpéssureuxparlacourdeRome,aumépris des vrais canons. » Le roi invitait tous les prélats de son royaume à se servir de ces pouvoirs, et annonçait qu'il al lait pourvoir à l'institution canonique des évêques. L'élec tion de PieVII rompit cesplans; le clergéreçut l'ordredu roi d'accepter la bulleAuctorem fidei, etTabira, évêquede Salamanque, fut poursuivi par l'inquisition comme janse niste, parce qu'il s'était montré prêt à obéir au roi avant que celui-ci eût changé de conduite et d'opinion. Revenons aux affaires de France.
La coalitionavaitchassélesrépublicainsd'Italie. Laréac
tion dans ce beau pays eut un caractère particulier dont nous donnerons ici une légère idée. Ce fut le ministre an glais, lord Windham, qui reprit possession de Florence au nomdu grand-duc; ilyentraàlatêtedesinsurgésd'Arezzo, marchantsous la bannière de la Vierge prétendue miracu leuse deleurville. L'anglican Windham portait sur la poi trine une croix d'évêque, et avait, à sa droite, sa maîtresse Alexandrine Mari, qui, ainsi que son mari, servait dans latroupe arétine, et à sa gauche, un capucin armé de deux pistolets etd'un crucifix. Le palais où alla descendre l'am bassadeurhérétique avait été rebéni parce que des Français catholiquesl'avaientsouillé. Il n'y a là quede quoi rire. Une scène horrible se passa àSienne : pour célébrer l'arrivée des insurgés, les réactionnaires firent brûler seize juifs, parmi lesquels une femme enceinte qui accoucha au milieu des flammes, et le cardinal Zondadari, archevêque de Sienne, un des instigateurs de l'insurrection antiautrichienne de Belgique, bénit les cannibalesqui venaient d'offrir ces vic times humaines àu Dieudu pape et de la maison d'Autriche.
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Parune étrangecoïncidence, Bonaparte qui devait déposséderce même Louis XVIII, et dont le même pape Pie VII d'Égypteallaitpeuaprèsconsacrerl'usurpation,revenaitprécisémentenFrance.Nenégligeonspasdefaireremarquer ses dispositions pendant la brillante campagne qu'il avaitfaite contre les mameluks. Il s'était dit plein de respect pourDieu, pour Mahomet son prophète, et pourleCoran, et s'était vanté d'étre conduit par le destin auquel tout est soumis. Sa mission - c'est toujours lui qui parle - était
Nous avons dit que le citoyen cardinal Chiaramonti avait été élu pape. Pie VII rentra sans opposition dans sesétats où le cardinal Ruffo, à la tête d'une troupe d Anglais réformés , de Russes schismatiques et même d'infidèles Turcs, comme s'expriment les catholiques, lui avait pré paré les voies. Il avait fait part de son élection à tous les souverains, etentreautres au roitrès-chrétien LouisXVIII.
debriser la tyranniedesdominateurs de l'Égypte, au pro fit des vrais musulmans, dont il était l'ami, puisqu'il avait renversé le pape et chassé les chevaliers de Malte, ennemis des mahométans.
Apeinelegénéralvainqueur fut-ilderetour à Paris, quc legouvernement faible et corrompu du directoire disparut sans laisser de traces; un despotisme militaire lui fut substitué. Voulant restaurer le pouvoir fort, le consul Bonaparte s'attacha à le fonder sur l'autorité déchue du ca tholicisme : les prêtres qu'ilreleva, exclusivement dans sonpropreintérêt,contribuerentpuissammentàsa ruinequand ils crurent pouvoir espérer de dominer plus directement sous d'autres que sous lui. Le premier soin du gouverne mentconsulaire fut d'abolir les lois contre le clergé, auquel on ne demanda plus que dejurer fidélité à la constitutionde l'état. Marchant de victoireenvictoire, Bonapartereprit l'Italiesurles coalisés, etréunit denouveau àla république cisalpine la partie des états pontificaux cédée par Pie VI lors du traité de Tolentino. Pie VII se consolade cette perte, parce qu'ilsepromettaitdesesnégociationsaveclepremierconsul de la république.
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Le clergé constitutionnel ne pouvaitque perdre à un ar rangement entre deux égoïsmes qui le repoussaient égale ment, l'un parce qu'il ne lui présentait aucune condition d'utilitépourlaréalisation de sesprojets,l'autre parcequ'il l'avait menacé et le menaçait encore dans ses intérêts les plus chers. Il se résolut en conséquence à faire un dernier effort, et aprèsdivers synodes diocésainset concilesmétro politains, il s'assembla en concile national àParisle29juil let (1801). Rappelons-nous que les prélats quifaisaientpar tic de la réunion étaientjansenistes; aussi ne firent-ilsque porter aux nues les coryphées du jansenisme, les docteurs del'église gallicane, les appelants de France, les canonistes modernes, nommément Van Espen, Giannone, Hontheim, Pereira, Trautmansdorff, Leplat, Tamburini, etc. En outre,
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Le xixe siècle venait de s'ouvrir. La mission du cardinal Consalvi à Paris n'était pas aussi facile que peut-être à Rome on se l était figuré. Les événements avaient marché tellement vite dans les derniers temps, que les idées qu'il fallaitinvoquer pourrétablir les relationsentrela Franceet le saint-siége rencontraient une vive opposition dans les corps constitués. Cependant Pie VII s'empressa de confir mer par une bulle ce qui avait été fait, et de demander par deux brefs adressés, l'un aux anciens évêques du royaume,l'autreauxévêquesdelarépublique,leurdémission en faveur des pasteurs qui seraient nommés par le consul régnant. Des premiers, quarante-cinq sur quatre-vingt-un obéirent; lesautres, à quelquesrares exceptions près, rési gnèrent leur dignité aux mains de Bonaparte.
Le premier consul avait demandé le cardinal Caprara comme légat a latere. Pour donner un gage de ses disposi tions conciliantes , il fit transporter à Rome le corps de Pie VI, demeuré à Valence. Le conseiller d état Portalis, nommé ministre des cultes, réussit finalement à faire adopter le concordat par le conseil législatif(5 avril 1802). Le pape, de son côté, sans plus s'arrêter au mauvais vou loir des anciens titulaires, déclara tousles évêchés de France supprimés, et créa soixante-ncuf nouvelles églises, divisées en dix métropoles. Il reconnutau premier consul les droits et prérogatives dont avaient joui les rois de France, et ra tifia à perpétuité l'aliénation des biens nationaux.
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les pères agitèrent chose presque incroyable au xixe siè cle, surtout après les révolutions qu'on venait de traverser la question de savoir s'il ne serait pas bon de ratifier synodalement la proposition de Quesnel , si inqualifiable mentcondamnécparlabulleUnigenitus,savoir,celle« qu'ilne faut pas manquer au devoir par la crainted'encourir une excommunicationnonméritée. » La conclusion du concordat (15juillet) entre le premier consul etle pape mitlepremier dans la nécessité de dissoudre le concile national.
NOUVELLE LUTTE ENTRE LE PRINCIPE UNITAIRE CATHOLIQUE ET L'ANARCHIE DES ÉGLISES NATIONALES. -
Des indulgences plénières venaient d'être accordées par le pape, à l'occasion du concordat de 1801, aux Français étonnés et comprenant à peine la valeur des grâces spiri tuelles qui pleuvaient sur eux. Le Te Deum fut chanté à Paris, et le gouvernement, sincère dans le mouvement ré trograde auquel il avait donné l'impulsion, outre-passa debeaucoup les promessesqu'ilavait hasardées.
CHAPITRE XXX.
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Articles organiques du concordat. Le catholicisme en Allemagne. Anticoncordatisme. Pie VIl sacre Napoléon. Mésintelligence. L'Espagne. Napoléon abolit la souveraineté temporelle du pape.L'abbé Blanchard . Excommunication de l'empereur. Commissions ecclésiastiques àParis. Concile. Le papecède. Nouveau concordat. Pie VII se rétracte. Divorcede la future impératrice d'Autriche. auxLemariageetl'église.-ConcordatéphémèreavecLouisXVIII.-Guerrepeuplesparlepapeetlesrois.
- Mais déjà Bonaparte sentait qu'il avait trop fait pour l'autorité religieuse qui ne lui pardonneraitjamais de ne pas avoirfaitdavantage, c'est-à-dire plus que dorénavant il n'était possible de faire. Il en était revenu à l'ancienne dé pendance du pouvoir temporel; il chercha à regagner le terrain perduen recommençantla lutteau point où les gouvernements qui avaient précédé larévolution de 1789 l'avaient laissée. Sous prétexte quele concordatnefaisait que
Pie VII trouva mauvaise cette intervention du pouvoir civil dansles affaires que lui, pape, déclarait exclusivementreligieusesetparconséquentdesonressortseul : lepouvoir civil ne devait s'en prendre qu'à lui-même de cette suscep tibilité du saint-siége; en redescendant au systeme des Bourbons, il avait rendu au pape le droit de se montrer aussi exigeant que sous Louis XIV. Pie VII réclama contre cequ'il appelait les maximes contraires aux lois etaux doc trinesdel'église, etpourbienpréciserce qu'ilentendaitpar cesdoctrines et ces lois, il confirma la bulle Auctoremfidei dans laquelle les quatre articles du clergé de France sont formellement condamnés. Néanmoins dix-huit évêques an ciens et douze constitutionnels, désignés par le premier consul, reçurent l'institution canonique. Rome imposait aux évêquesassermentés la condamnation de la constitution civile du clergé; ces prélats refusèrent, et il fallut bien se contenter de l'assurancequ'ilss'étaientrétractés, quoiqu'ils sevantassent touthaut de n'avoirpointaccepté l'absolution du saint-siége, dont, disaient-ils, ils n'avaient aucunbesoin.
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Pendant quela nouvelle France catholique s'attirait les reproches dela courdeRome, où l'on disait publiquement que, sile concordat avait été négocié en Italie, le premier
déterminer les principes, il publia des articles organiques destinés à en régulariser l'application : ces articles étaient lareproduction fidèledesmaximesdel'églisegallicane, con tenues dans la pragmatique sanction, les quatre proposi tions du clergé, etles écrits des publicistes, nommément de Pierre Pithou. En conséquence, on vit renaître les préten tions que tout écritvenant de Rome avait besoin du placet gouvernemental, etqu'aucun envoyé du saint-siége ne pou vait agir comme tel si ce n'est après avoir été agréé; les appels comme d'abus reparurent dans les cas d'empiétement dupape sur les droitsdela république ou de l'église nationale; enfin la signature de la doctrine du clergé, fixée en 1682, redevint de rigueur.
consul n'en auraitpas étéquittepour si peu, il s'éleva contre elle, et chez elle-même, un parti ultra-catholique appelé anticoncordatiste, composé surtout des évêques destitués. Trente-six d'entre ceux-ci protestèrent, flétrirent leurs adversaires du nom d'hérétiques, et même les excommu nièrent. Cela n'empêcha pas le paped'accorder au premier consulla suppression de près dela moitiédessiéges épisco paux du Piémont, et de signer avec la république cisalpine un concordat calqué surcelui de France.
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L'ancien étatde l'église catholique en Allemagne n'était plus conciliable avec les intérêts politiques que les révolu tions et leurs guerres y avaient créés. Les victoires de Charles XII, au commencement du xvine siècle, l'avaient considérablement affaiblie en améliorant la condition de l'église protestante; celle-ci acquit une influence plusgrande encore dans les diètes germaniques parla paix de 1795 avec la France. Enfin la sécularisation des biens des princes ecclésiastiques et des chapitres, qui passèrentà des princes séculiers sansdistinction decommunion religieuse, porta le dernier coup au catholicisme allemand. Aussi le papes'en plaignit-il amèrement (1805). « L'église a toujourseu,ainsi s'exprima Pie VII à cette occasion, et elle conserve encoreledroitimprescriptiblededépouillerles hérétiquesdesbiens qu'ils possèdent, ainsi que de délier de tout serment et de tout devoir d'obéissance les sujets d'un prince convaincud'hérésie; elle peut, à l'exemple de Dieu, punir les enfants innocents pour les péchés de leurs pères : seulement, le malheur des temps ne permet pas au saint-siége d user de ce droit, ni même de le proclamer hautement. Mais, de ce qu'il ne lui est momentanément pas possible de foudroyer les ennemis de l'église, il ne s'ensuit point qu'elle doiveconsentir à se laisser appauvrirelle-même, et surtout dans le but avoué d'enrichir ceuxqui conjurent sa ruine, » Nous avons rapporté ce morceau en son entier : il est, commeexprimant les maximesdu saint-siége au xix° siècle, infini
Mais rien à cette époque ne pouvaitarrêter le torrent desévénements. Pie VII, après les plus sérieuses et les plus diligenles réflexions, comme il s'exprima lui-même, se
Pendant que ces choses sepassaient, lesanciens évèques deFrance, demeurés en Angleterre, ne négligeaient rien pour organiser un schisme; ils étaienttreize, outre environ quatre cents prêtres, et avaient à leur tête l'archevêque de Narbonne. Dans un écrit qu'ils intitulèrent Réclamations, ilsinsistèrent principalement sur ce que le pape n'avait pu, ni ôter à Louis XVIII, pour les conférer au nouveau gou vernement de France, ses droits et ses sujets que le roi tenait de Dieu seul, ni forcer le clergé à rendre, autant qu'ilétait en lui, impossible le retour vers l'ordre légitime. De cette manière, les libertés de l'église gallicane étaientinvoquées contre le saint-siége, en même temps que contre ceux que le saint-siége avait condamnés pour avoir appliqué ces libertés , par les adversaires de ces mêmes libertés, au nom desquelles maintenant ils combattaient leurs anciens champions.
Bientôtparurentde secondes Réclamations, dirigées uni quement contrelaratificationdelaventedesbiensdu clergé, c'est-à-dire de ceux de cent trente-six archevêchés et évê chés, d'autant de chapitres, de plus de quarante mille paroisses, de toutes les abbayes, prieurés, collégiales, mo nastères, congrégations, etc. Ces biens avaient pour la plupart étéaffectés au soulagementdesâmes,et PieVI avaitflétri du nom d'hérésie marsilienne (1791 ) l'opinion qu'ils pouvaient être possédés en conscience par leursacquéreurs. commiseLesnouvellesRéclamationsfaisaientaussiressortirl'injusticeparPieVIIenlégitimantenFrancel'aliénationdesbiensdesémigrés,tandisquelui-mêmeavaitdéclarécettealiénationcontraireaudroitecclésiastiqueetcivil,etparconséquentradicalementnulledanssesétatsd'Italie(1801).
341 ment curieux, et d'une importance au-dessus de toute con testation.
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détermina, à la prière expresse de « son dévot fils, » c'est ainsi que signait le soldat souverain, à aller à Paris sacrer empereur « le très-puissant prince, son très-cher fils en Jésus-Christ,Napoléon (29 octobre1804).» L'archevêquede Malines, dePradt, observequecettecérémoniefitbaisserle papesanshausserl'empereur. Le sacré collége avaitengagé Pie VII à demanderàNapoléon,comme prixde la couronne impériale,la restitution des trois légations;il nes'y hasarda point. Lc pape se borna à solliciter le retrait des articles organiques et une plus grande liberté pour l'église de France : il n'obtint que des concessions insignifiantes. L'empereur, deson côté, n'osa pas proposer ouvertement à Pie VII de se mettre sous sa dépendance directe en trans portant le saint-siége en France; il se borna à faire sonder le terrain. Le pape rejeta bien loin de pareils projets. On voyait déjà, à travers les marques extérieures d'estime et de vénération, qu'une rupture entre les deux cours était imminente. Il n'y avait pas deux idées communes entre le pape etl'empereur;envoiciunepreuve entre mille: « Jadis, dit Napoléon, avait vécu et était mort dans un cloître unmoine nommé Bonaventure Bonaparte; il était compléte surmentoubliédepuislongtemps.Cependant,lorsquejemontailetrône,oncrutserappelerqu'ilavaitpossédédes vertus auxquelles personne n'avait songé de son vivant. Pie VII me proposa de le canoniser. Pour l'amour de Dieu, saint-père, lui répondis-je, épargnez-moi ce ridicule! » Avant son départ de Paris, le papeaccorda le chapeau à Cambacérès ct à duBelloy, et érigea Ratisbonneenmétro pole de toute l'Allemagne, où il supprima les trois archevêchés électorats et l'archevêché de Saltzbourg. Napoléon avait pris le chemin de l'Italie avant Pic VII; il se fit cou ronner roi à Milan. Hors l'ex-république cisalpine, l'Italieentièreétait plus ou moins sousl'influence del'Angleterre dont les projets étaient diamétralement opposésà ceux de Napoléon. Pour neutraliser cette influence, l'empereurmit
d'abord garnison dans Ancône; puis il envoya des troupes à Cività-Vecchia ; puisencore il s'empara de Bénévent etde Ponte-Corvo,enclavésdansleroyaumedeNaplesqu'ildonnaà Joseph, sonfrère; enfin, tout en continuant à reconnaître le pape commesouverain de Rome, il voulutle contraindre à prendre parti pour lui contre les Anglais, les Russes, lesSuédois, qu'il avait la bizarrerie d'appeler des hérétiques,et contre la Sardaigne qui se laissait diriger par eux. Le pape refusa constamment de céder à ces désirs de l'empe reur. Il en donna pour raison que Dieu avait ordonné au ponti e suprême de demeurer en paix avec tout le monde, « sans distinction de catholiques et d'hérétiques. » C'était parler selon la raison , mais en même temps faire unecruellesatirede laplupartde sesprédécesseurs surlesiége pontifical.
Napoléon ne bornait pas là ses exigences. Il demandait aussi que le pape donnât un patriarche à la France, qu'iladoptât le code civil, qu'il acceptât le principe de lalibertédes cultes, qu'il rendit les évèques indépendants du saint siége, qu'il abolit tous les ordres monastiques et qu'ilpermit le mariage des prêtres. Ces prétentions, pour le moins étranges, nous l'avouons volontiers, ne furent pas même discutées : c'était cependant à peu de chose près lesmêmes qui avaient été faites par les Valois de France etles empereurs d'Allemagne, pendant la tenue du concile de Trente, et alors elles avaient été prises en très-sérieuseconsidération ; elles avaient mêmeeu chance d'être adoptécs par l'église en dépit des papes. Car les papes, éclairés parleur intérêt propre, ont toujours compris que, s'ils ces saient d'être tout, ils ne seraient bientôt plus rien. Aussi Pie VII condamna-t-il (1808) les constitutions, les codes,lesloisetlesactesdu gouvernementfrançais, « qui ne respiraient pourle moins que l'indifférentismedetoutes les religions, sans en excepter la religion juive, essentiellement ennemie implacable de celle de Jésus-Christ.» «La pro
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344 tection de tous les cultes, ajouta le pape avec beaucoup de raison, prouve qu'on n'a en effet aucun respect pour lesdroits, les institutions et les loisde la religion catholique. » Pie VII n'oubliait qu'une chose, dont probablement il ne se doutait pas lui-même, c'est de dire comment à notre époque où la vérité de toutes les religions révélées est reconnue socialement contestable, il eût été possible à la sociétédenepasprotégertousles cultes indistinctementou,ce qui revient au même, de n'enadmettreaucun commevrai.Quoi qu'il en soit, le seul fait des mêmes propositionsrenouvelées parNapoléon, après avoir été émisesdeuxcentcinquante ansauparavant, prouveà l'évidence quelemêmemal régnait toujours, qu'on cherchait à y appliquer lemême remède, et qu'en réalitéce remède n'en était pasun. Au reste, Napoléon n'insista point. Ce qu'il ne pardonna pas à Pie VII, ce fut son refus d'adhérer au système conti nental et de sacrer le roi de Naples. Le pape, on s'expli quant sur le dernier point, allégua fort justement qu'il ne pouvaitcontribuer à spolier Ferdinand de Bourbon, deson vivant et ne rendenonçant à aucun de ses droits à la couronne; mais alors, comment justifiait-il le sacre de Napoléon pendantla vie de Louis XVIII, qui n'avait point manifesté l'intention d'abdiquer en faveur de M. de Buonaparte? Et après tout l'explication donnée à l'empereur par Pie VII n'était pas sincère; le pape lui-même nous l'apprend dans unelettreconfidentiellequ'iladressa au cardinalCaprara:il aurait, écrivit-il , facilement passé sur l'usurpation du royaume de Naples et sur le choix du frère deNapoléon pour y régner ; mais il n'entendait pas couronner unvassal qu'il n'avait pas choisi, et qu'il savait être décidé à lui re fuser toute espèce d'hommage, les droits du saint-siégeà la suzeraineté ayant été déclarés par l'empereur « tombés en désuétude, insoutenables et honteux dans leur origine pour le saint-siége lui-même. » Napoléon et Pie VII s'étaient grossièrement trompés sur
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le compte l'un de l'autre; ils s'étaient dans l'origine fait des illusions irréalisables, et se brouillèrent dès qu'ils se furent aperçus de leur erreur. L'empereur, catholique zélé à la manière de Louis XIV qui ne connaissait pas de moyen plusefficace pour régner en maître absolu sur les chrétiens, rêvait la monarchie universelle pour lui-même, par lepape et le catholicisme; le pape s'était flatté de voir la théocra tie pontificale reconstruite, à son profit, et consolidée par l'épée de Napoléon. Mais pour cela, il eût fallu que le nou veau souverain se contentât d être quelque chose de moins que les rois d'avantla révolution, dont l'opposition aux pré tentions de la cour de Rome avait coûté si cher à celle-ci. Aussi, lorsqu'il vit que, bien loin de rendre au saint-siége ce que ces rois de droit divin lui avaient enlevé successive ment, l'empereurvisait tout au contraire à dominer les peu ples et les rois du haut d'un trône auquel le saint-siége aurait servi de marchepied, Pic VII ne cessa plus d'éclater en plaintes et en récriminations.
Napoléon, de son côté, avait voulu s'inféoder le pape à loutjamais, en restaurant le culte au moyen duquel exclu sivement le saint-siége est quelque chose; arrêté par lui dans les entreprises qui lui tenaient le plus à ceur, il prit, en désespoir de cause, le parti de frapper un coup décisif : Romereçut garnison française ; les postes et les imprimeries de l'état furent administrées par des Français, et les soldats pontificaux incorporésdansl'arméeimpériale;lescardinaux reçurent l'ordre de se retirer chacun au lieu desanaissance. Napoléon venait précisément de faire pour l'avantage de l'église de France bien au delà de ce qu'il avait promis au pape. Cela n'empêcha pas Pie VII d'adresser à l'empereur, « son fils consacré et assermenté, » un bref comminatoire d'excommunication (27 mars 1808). Napoléon y répondit en décrétant la réunion au royaume d'Italie, de la marche d Ancône, du duché d'Urbin, de Macerata et de Camerino, etson chargé d'affaires à Rome demandases passe-ports.
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Cen'était pas en Italie seulementque se faisait sentircettefuneste collision entre les deux pouvoirs : en Espagne, où l'archevêque de Tolède, cardinal de Bourbon, avait reconnu la légitimité de la nouvelle dynastie napoléonienne, à la quelle le roi ct toute sa famille avaient cédé leurs droits,les évêques, les prêtres et les moines se prononçaient pour cequ'ils appelaient la cause du peuple, c'est-à-dire pourla conservation de leur ancienne puissance et de leurs riches ses. Plus tard, lorsque les Bourbons rentrèrent, ces mêmes évêques, prêtres et moines se déclarèrent hostiles àla cause du peuple, afin de demeurer fidèlesà cellede leurs richesses et de leur puissance dont Ferdinand VII se servait contre les cortès et les idées dujour. Forts des décisions du droit canon qui permet, qui ordonne même de tuer les héréti ques, prêtres et évêques prêchaient aux Espagnols lemeur tre des Français comme un acte méritoire et religieux, et envoyaient droit au ciel, comme martyrs, ceux qui mouraientdanscetteguerrequ'ilsappelaientsainte. Eux-mêmes, au dire de témoins oculaires, accompagnés de leurs mai tresses, marchaient à la tête de bandes armécs, pillaient, volaient, commandaient le massacre, et assassinaient de leurs propres mains.
Sur les entrefaites, l antagonisme entre le pouvoirdéchu de fait à Rome, mais qui agissait encore comme s'il régnait en effet, et le pouvoir qui par le fait régnait effectivement, se dessinait de plus enplus au grand dommage des popula tions des états pontificaux. Les Français commandaient, le clergérésistait : PieVIIfit éclater d'amèresprotestationsau consistoire du 11 juillet (1808) ; dix mois après, l'empereur supprima la souveraineté séculière des papes, afin, dit-il, de tarirdans sa source le principe des désordres que neces sait de faire éclore la déplorable confusion du temporel avec le spirituel.
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Ce qui devait beaucoup embarrasser le pape et sa couren cette circonstance, c'était leur propre conduite anté
Les anticoncordatistes défendaient maintenant la toute puissance et l'infaillibilité des successeurs de saint Pierre, en protestant contre Pie VII, un de ces successeurs, qui venait, comme avait fait saint Pierre, d'errer et de choir. Et à ce propos, l'abbé Blanchard démontrait l'impossibilité, pour un vrai catholique, de demeurer, toujours et en tout état de cause, uni au pape, à moins de se faire arien avec Libère, pélagien avec Zosime, monothélite avec Honorius, spoliateur des droits du sanctuaire avec Pascal II, négateur de la vision béatifique avec Jean XXII, démolisseur des souverainetés nationales avec Grégoire VII et Pie vii, et à moins d'accepter à la fois les principes inconciliables, contradictoires mème et s excluant mutuellement, professés dans un si court espace de temps par Pie VI et Pie VII. C'est surtout cette opposition flagrante entre les deux der
rieure : ils avaient fait bon marché de la souveraineté des Bourbons, et néanmoins ils voulaientsévir contre l'usurpateurdont ils s'étaient faitles complices, lorsque cet usurpa teur touchait à leur propre souveraineté à eux. Ce n'était donc pas la haine de l'usurpation, du vol, qui les faisait agir; c'était l'intérêt de leur domination personnelle, l'égoïsme de leur cupidité. Cet argument si simple, ce rai sonnement si concluant, quelques prêtres anticoncorda tistes, Blanchard, Gaschet et Vignolles, auxquels d'autres prêtres adhérèrent, et dont d'anciens évêques non démis sionnaires de France approuvaient tacitement les déclara tions, se chargèrent de les faire valoir. Bientôt Pie VII ne fut plus, pour la petite église dissidente ou, si l'on veut, schismatique, qu un hérétique, un juif, un païen, un apo stat. C'étaient toujours les quatre articles du clergé deFrance et les écrits des modernes canonistes, invoqués par les partisans de l'omnipotence papale contre ceux qui avaient été condamnéspar le pape pour avoir limité sa puis sance en invoquant ces mêmes canonistes et les quatre articles.
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Peu après, comme nous le verrons, il se montra moins scrupuleux. Dureste, la bulle d'excommunication et d'ana thème suivit immédiatement la protestation; elle éma nait, y était-il dit, de « l'autorité de Dieu tout-puissant, des saints apôtres Pierre et Paul, et de celle de Pie VII. » Toutefois, Napoléon n'était pas nommé dans cet acte, et il y était défendu de nuire aux personnes des excommuniés et à leurs biens. L'archevêque de Pradt fit remarquer
nierspontifes quelesanticoncordatistes exploitaient le plushabilement. En effet, Pie VI avait réprouvé la constitution civile du clergé, et Pie VII avait ratifié le concordat et s'était tu sur les articles organiques, qui n'étaient que cette constitution sous une nouvelle forme. Pie VII lui-même n'avait-il pas d'abord reconnu la légitimitéde Louis XVIII, et ensuite substitué à cette légitimité celle de Bonaparte? Ne s'était-il pas volontairement soumis à Bonaparte qu'il se croyait actuellement forcé de condamner, quoique cesoldatambitieux ne fût pas plus coupable que par le passé, mais seulement parce qu'il l'était devenu au détriment de Pie VII lui-même?
Ce pontife se trouvait dans la position la plus critique parce qu'elle était fausse sous tous les rapports : renié par une partie de son troupeau comme fauteur des entreprises de Napoléon, victime à son tour de ces entreprises, il ne pouvait, ni fléchir sans se suicider moralement, ni résis ter sans se contredire : il résolut néanmoins d'en appeler contre l'empereur aux armes jadis si redoutées de l'église, mais, pour le faireà coup sûr, il attenditd'être secondépar quelque revers qu'essuieraient les armes impériales, soit en Espagne, soit en Allemagne. Il crut saisir un moment favorable après la bataille d'Essling où le bruit couraitque l'empereur avait été vaincu, et il protesta (10 juin 1809) contre l'usurpation des états de l'église, en compensation desquels il déclara qu'il n'aurait jamais accepté la pension queNapoléon lui offrait.
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Depuis quatre ans que le désaccord avait éclaté entre les deux cours, le pape, tantôt refusait l'institution canoniquedesévêquesnommésparl'empereur,tantôtl'accordait, mais de manière que la nomination semblaitvenir de lui, etsans fairementionde Napoléon. Celui-ci, loin de réclamer contre unpareilsubterfuge, fit proposer à Pie VII, alorsàSavone, d'adopter ce mode, évidemment défectueux, pour toutes les bulles à venir; mais le pape ne voulut pas même se prêter à cette mesure de conciliation (26 août 1809) : il fal lut, comme sous Henri IV et Louis XIV, dans des circon stances analogues,faire conférer par les chapitres aux titu laires non institués le droit d'administrer spirituellement lesdiocèses auxquels ils avaient été nommés. Lepape s'op posa de nouveau à l'exécution devenue indispensable de ce moyen termc, et l'empereur fit resserrer la captivité de Pie VII, qui ut même menacé de déposition. Et comme lerefus d'institution troublait les consciences, Napoléon con voqua une espèce de commission ecclésiastique (1809 et 1810), composée des cardinaux MauryetFesch, de l'arche vêque de Tours, de quatre évèques, du père Fontana, général des barnabites, et de l'abbé Émery, supérieur de Saint-Sulpice. Touten avouant que, dans un cas d'urgence,
que c'était singulièrement abuser du nom des saints apô tres, morts pour soutenir la vérité des dogmes de la religion, et non pour la conservation de la souveraineté des légations et de laRomagne. Ce n'est point là de la religion, s écrie le prélat courtisan, ce sont des provinces, et les apôtres saint Pierre et saint Paul n'en avaient jamais en tendu parler. Quoi qu'il en soit, le pape fut enlevé et trans porté dans le midi de la France ; ses cardinaux furent retenus à Paris. Le général Miollis, qui gouvernait à Rome . lors de l'expulsion du pape, fut, après la restauration des Bourbons,décoréde lacroixdeSaint-LouisparLouisXVIII, redevenu le fils aîné de l'église romaine, dont le chefavait aidé Napoléon à l'expulser du royaume de France.
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le concile national aurait pu charger le métropolitain ou le plus ancien suffragant de l'institution de l'évêque nommé,les commissaires déconseillèrent à l'empereur de convoquer cette assemblée. Du reste, ils blâmèrent la dernière bulled'excommunication, qu'ils déclarèrent nulle et sans effet.
En 1811, l empercur réunit une seconde commission du clergé : ses membres étaient les cardinaux Fesch, Maury et Caselli, les archevêques de Tours et de Malines, trois autres prélats et le supérieurde Saint-Sulpice. Lescommis saires cette fois se plaignirent du refus des bulles sans motifs canoniques, et ils proposèrent d'ajouter au concordat de 1801 unarticle quiobligerait, d'une partl'empereur à nommer, d'autre part le pape à instituerdans unterme convenu, si celui-ci ne voulait pas que le métropolitain ou le plus ancien suffragant de la province instituât le titu laire. Et, au cas que le pape nc fit aucune concession, la commission décida qu on aurait recours au concile natio nal.Unedéputation se rendità Savone, et, s'il fauten croire la correspondance qui eut licu entre elleet le ministre des
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Une autre question ut soumise à la commission ecclé siastique, celle du divorce de Napoléon : elle décida que c'était à l'évêque ordinaire à prononcer en cette occasion. L'officialité de Paris, espèce de tribunal inquisitorial, dont l'existence n'avait aucune légalité en France, fut en consé quencesaisie de l'affaire,et,sansobjecterl'excommunication encourue, sans même, chose bien plus étonnante, recher cher si le lien religieux qu'il s'agissait de rompre avait jamais existé, ce qui était plus que douteux, elle donnaà l'empereur facilité pleine et entière pour contracter l'al liance matrimoniale qu'il avait projetée avec l'Autriche. Tous les cardinaux présents à Paris assistèrent au ma riage civilde Napoléon avecMarie-Louise; treize seulement assistèrent au mariage religieux : l'enipereur relégua les quatorze autres dans des villes deprovince, après les avoir privésde lapourpreet deleurspensions.
cultes, Pie VII consentit à signer le premier des quatre articles du clergé de France (1682), et il n'opposa que des difficultés légères aux trois autres; il avait renoncé à tout espoir de redevenir prince temporel, et il ne soutenait sa bulle d excommunication que pour la forme. D'autres ontditque le paperefusa catégoriquement d'accéder à rien de ce que la députation lui proposait.
Cequ'il y a d'incontesté, c'estqu'il permit (19 mars 1811) que les députés rédigeassent, dans son cabinet et sous ses yeux, une note qu'il ne signa pas cependant, mais que les députés emportèrent : elle contenait l'engagement 1° d'in stituer les évêques déjà nommés parNapoléon; 2°d'étendre le concordat de France à la Toscane, à Parme et Plai sance, etc.; 3° de faire insérer au concordat de 1801 la clause qui rendrait légitime l'institution par le métropoli tain ou le plus ancien suffragant, après six mois d'abs tention de la part du saint-siége sans raisons canoniques. Le concile de Paris, composé de six cardinaux, de neuf archevêques, de quatre-vingts évêques institués et de neuf évêques nommés,n'eutqu'unesession(17juin);toutsepassa en congrégations particulières ou générales. Les évêques qui avaient été à Savone présentèrent aux pères assemblésla note dont nous venons de parler, que le pape avait ap prouvéeet dont leduplicataétait resté entre ses mains. Le concile, malgré la teneur de cette pièce, se déclara incom pétent sur la question de l'institution des évêques. Dès l'ouverture, un parti d'opposition s'était manifesté et se prononçait de plus en plus vivement parmi les pères; il allégua l'excommunication del'empereur comme un obsta cleà cequi pourrait être décidé, et il rejeta sans hésiter la doctrine de l'église gallicane. Napoléon cnvoya au concile un message fort dur contre le re us des bulles pour l'Italie depuis 1805, pour la France depuis 1808; contre Gré goire VII, Boniface VIII et un des conseillers actuels de Pie VII, le cardinal dePietro; contre labulleIncæna Do
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Cet acte de rigueur aigritdeplus en plus lescatholiques. Néanmoins quatre-vingts des membres les plus flexibles du concile, ayant été rappelés , reconnurent leur compétence (5août) etproclamèrent : 1° quela vacancedes églisesnese prolongerait jamaisau delà d'un an; 2°quel'évêquenommé par l'empereur serait institué par le pape six mois au plus après notification; 3° qu'à son défaut, le métropolitain oule plus ancien évêque instituerait ; 4° que cette décision serait soumise à l'approbation du pape; gº qu'au cas de refus, la discipline d'avant les concordats serait remise en vigueur.Trois archevêques et cinq évêques se portèrent auprès de Pie VII, à qui Napoléon avait rendu cinq cardinaux et son aumônier pour lui servir de conseil.
mini et la violation du concordat de 1801 par Pie VII. Puis ilprit le parti dedissoudre l'assemblée, et ilfitarrêterl'archevêque de Tours et les évêques de Gand et de Tour nai, que le cardinal Fesch lui avait signalés comme étant lesplushostilesàses vues.
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Contretoute attente, le pape ratifia les décisions du con cile qui, disait-il, n'avait fait que réaliser ses intentions (20 septembre). Par un bref exprès, il fit part au concilede son approbation des cinq articles qui venaient de lui être soumis et qui étaient « en tous pointsconformes à sonopi nion et à sa volonté. » Il autorisa spécialement l'institution des évêques par le métropolitain de chaque province ecclé siastiqueetdecelui-ciparleplusanciensuffragant,etrégla comment cela devait se faire, c'est-à-dire au nom du pape régnant. Il finit par souhaiter à « son très-cher fils Napo léon Ier, toute sorte de biensen Jésus-Christ,» etilluiécrivit directement pour rendre la réconciliation complète.
Cette fois, le pape faisait un grand pas en avant vers laconcorde; l'empereur aussitôt en fit un en arrière : tant était insurmontable la difficulté de maintenir l'équilibre entre les deux pouvoirs, dont l'un devait nécessairement sesubordonner l'autre. Napoléon se plaignit que les députés
Néanmoins, après que le pape eut repoussé la proposition que l'empereur lui avait fait faire, savoir, de s'engager pour lui et ses successeurs à signer la doctrine de l'église galli cane, ainsi qu'à ne plus nommer désormais qu'un tiers des cardinaux, les deux autres tiers devant demeurer au choix des souverains catholiques, Napoléon réussit à conclure avec Pie VII un nouveau concordat (25 janvier) portant : 1° que le pape exerceraitses fonctions spirituelles en France et en Italie comme ses prédécesseurs; 2º que les envoyés dusaint-siége auprès des puissances catholiques et ceux des cours auprès dusaint-siégeseraientconsidéréscommemem bres du corps diplomatique; 3º que les domaines pontifi caux non aliénés demeureraient au saint-siége, et que les autres seraient remplacés par un revenu de deux millions de francs; 4° que l'empereur aurait six mois pour nommeraux siéges vacants, et le pape six mois pour instituer les évêques nommés et déclarés canoniques par le métropoli
n'avaientpas rempli strictement leur mission : le concordat, prétendait-il, devait être étendu à tout l'empire d'alors,Rome comprise; en outre, le papeayantvioléce concordat,les évêques devaient être institués sans l'intervention du saint-siége. Enfin Pie VII aurait dù accepter les décisions du concile, et non les présenter comme si le concile avaitaccepté ses décisions à lui. L'empereur ne répondit pas aupape; les bulles d'institution que Pie VII avait accordées demeurèrent comme non avenues, les députés de Savone nefurentpoint rappelés, et le concile n'eut ni clôture ni suite.
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Mais on approchait d'un de ces événements imprévus dont notre époque, livrée au doute, au hasard, à la néces sité, à la force, devient de plus en plus féconde, etqui chan gent comme parenchantement la face des choses. Napoléon, vaincu par l'Europe coalisée contre lui, fit transporter le pape de Savone à Fontainebleau (20 juin 1812), alla l'ytrouver (19 janvier 1815), et le traita avec colère de vieil lard obstiné, cause de tous les maux de l'église.
tain ;que ce terme écoulé, le métropolitain, et à son défaut, ou pour instituer le métropolitain même , le plus ancien suffragantinstituerait,etc.,etc. Ceconcordat, qu'on qualita de faux dans la suite, fut signé parles parties contractantes solennellement et sans réserveaucune : l'empereur,toujours excommunié, et le pape qui n'avait pas révoqué sa sen tence, s'embrassèrent; Napoléon distribua des décorations aux cardinaux et aux membres du conseil de Pie VII, et tout parat terminé, tout parut oublié. Mais l'empereur, sans songer que la valeur du traitéqu'il venait de conclure dépendait entièrement de la force quele souverain pontife lui supposait pour en imposer le main tien, l'empereur, disons-nous, avait permis aux cardinaux dispersés de se réunir autourde leur chef. Pie VII netarda pas à apprendre d'eux que Napoléon, désormais descendu aux proportions d'un roi ordinaire, était, même comme tel, sur le penchant de sa ruine et à la veille de perdretout pouvoir. Dès lors sa renonciation à la souveraineté tempo relle des états de l'église, l'examen des évêques élus par leur métropolitain, la concession faite à celui-ci du droit pontifical d'institution,devinrent criminelsau premierchef. Pie VII repoussa la pension qu'il avait acceptée, et n'ac corda point les bulles qu'il avait promises. Moins de deuxmois après la signature du dernier concordat, il écrività l'empereur : qu'il était bourrelé de remords; qu'il avaitdonné un grand scandaleau monde catholique et àl'église; qu'à l'exemple de Pascal II, il rétractait les engagements qu'il avait si inconsidérément pris, les promesses qu'ilavait faites contrairement à ses serments les plus sacrés, et les concessions dont il s'était rendu coupable. L'empereurpro posa à Pie VII un troisième accord; mais le pape n'avait plus besoin de lui et avait cessé de le craindre. Napoléon se vit contraint de lui rendre les départements de Rome et du Trasimène, déjà occupés d'ailleurs au nom des alliésparle roi Murat, le même qui,cinq ans auparavant, avait
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Louis XVIII avait pris la place de Napoléon : il abolit toutes les ordonnances dont le clergé et la cour de Romese plaignaient. Ferdinand VII, rentré en Espagne, renditleurs biens aux prêtres et aux moines, rétablit l'inquisition et rappela lesjésuites. Malgréun retour defortunesi inespéré, le pape, remonté sur son trône, se plaignit encore; ilaurait voulu que la France lui rendit Avignon et le Comtat, que le saint-siége avait cédés à perpétuité. De nouveaux murmures éclatèrent lorsqu'on vit à Rome que le congrès
Ce que nous ne devons pas oublier de dire, c'est que plu sieurs citoyens de Rome, notables par leur naissance, leur position et leur fortune, avaient fait présenter par le roi de Naples aux puissances alliécs un mémoire dans lequel ils demandaient à ne plus retomber sous le gouvernement clérical.
fait enlever le même pape au nom du même empereur.
Napoléon, s'il faut en croire les historiens catholiques,nous citeronsl'abbé Rohrbacher, avait succombé sous les coups de la Providence, vengeant ainsi le mal fait par l'empereur au pape. Mais alors quel mal avaient fait au re présentant de Dieu les milliers de soldats que celui-ci avait ensevelis sous les neiges de Moscou etdans la Bérésina? et quel mal Pie VII lui-même avait-il fait à l'église pour que Dieu permit que Napoléon le menát si rudement? Dira-t-on que le pape régnant payaitpour ses prédécesseurs, qui, les lecteurs de ce Résumé ne le mettront pas endoute, avaient contracté une delle énorme; comme les conscrits de la finde l'empire avaient payé pour les crimes de cet empire, de la révolution qui l'avaitprécédé et des treizesiècleset demi demonarchie, dontla république avait été chargée defaire solder l'immense arriéré? Nous ne saurions assez réclamer contre l'imprudence de ceux qui font ainsi de Dieu un être à passions, changeantavecles temps et les circonstances, et quiensuiteinterprètentlesévénementscommeétantlesactes de ce Dieu, déterminés d'après leurs vues à cux-mêmes.
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de Vienne avait ratifié la cession anx protestants des an ciennes principautés ecclésiastiques d'Allemagne. L'église catholique était en ce pays dans un état d'abandon injusti fiable : depuis vingt ans, aucun évêque mort n'y avait étéremplacé.
Les provinces belges catholiques, jointes aux Provinces Uniesréformées, formaientlenouveau royaumedes Pays-Bas sous le sceptre d'un prince calviniste. Leclergé et les nota bles de Belgique avaient protesté contre les articles de laloi fondamentale, qui établissaient la liberté des cultes et celle dela presse. L'évêquedeGand protestacontre cetteloiconstitutionnelle même, et défendit, sous peine de damna tion, de prêter le serment qu'elle imposait. Mais comme il n'y avait d'aucune part, ni dans aucun sens, de droits fran chement déterminés, et que là où on formulait n'importe quelles prétentions et n'importe sur quoi, l'énergie manquait toujours pour les soutenir jusqu'au bout, l'hésitation et le tâtonnement finissaient toujours par tout faire avorter. On n'était jamais d'accord que sur un scul point, et cepoint était précisément ce que désormais nul ne pouvait plus réaliser dans un sens absolu, savoir, le désir d'en revenir peu à peu aux vieilles formes de la société, dans l'espoirqu'elles ramèneraient les vieilles croyances et le respect pour l'autorité sur parole qui s'était évanoui avec elles devant la discussion socialement émancipée. Voici unexemple curieux de ce recul vers les usages du passé, quin exprimaient plus que des idées réellement passées et sansretour possible.
L'empereur d'Autrichevenait d'épouserlareine divorcée de Wurtemberg, c'est-à-dire la princesse Caroline de Ba vière, qui avait été mariée, à l'âge de seize ans accomplis, à Frédéric-Guillaume, prince héréditaire de Wurtemberg (1808). Cemariageavait été rompu par lesjugesecclésiasti ques de l'évangélisme professé par le prince. Il fallait en core,avantdeprocéderàun nouveausacrementcatholique,
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que le premier fût déclaré nul par l'autorité religieuse de cette communion à laquelle appartenait la princesse qui l'avait reçu. Le pape, en conséquence, chargea le suffragant de Wurtemberg de l'instruction du procès. La princesse témoigna (1815) du défaut d'amour de son mari pour elle, avant leur union, et après qu'elle eut été conclue. Ils vi vaient, disait-elle, fort convenablement ensemble, mais là se bornaient leurs relations, quoi que la princesse cût pu faire, confessait-elle elle-même, pour établir entre cux des rapports plus intimes. Le prince confirma ces dépositions ; le confesseur de Caroline fit de même, et une dame de la cour, la baronne Mühlfels, alla jusqu'à affirmerpar serment que Frédéric-Guillaume était très-froid. »
A cela, l'avocat du mariage répondit que, le pape ayant dispensé la princesse de la visite ordinaire par les sages femmes, il ne restait plus aucun moyen de contrôle, plus la moindre possibilité de découvrir la vérité, la solution réelle de ces sortes de questions dépendant en dernière analyse de la constatation d'un fait; que, selon lui, aucune des allé gationsn'étaitdémontrée;qu'ilétaitmêmeprobablequ'elles étaient fausses, puisque enfin les conjoints étaient jeunes l'un et l'autre, que les occasions de succomberà la tentation ne leur avaient pas manqué, et qu'il était fortement à pré sumerque, deleurcôté, ils n'avaientpas manqué auxocca sions. Mais le divorce étaitrésolu; un des considérants sur lesquels il fut prononcé était celui-ci : la suppression de la visite corporelle prouvant la confiance du pape dans les paroles de la princesse, les juges n'ont pas le droit de se montrer plus difficiles que lui.
Nous placerons ici comme complément de ce que nous avons dit au chapitre VI, une courte digression sur lesré pudiations et le divorce dont l'église s établit seulejuge du momentqu'il fut reçu que le sacrement religieux constituait seul le contrat du mariage. Depuis l'origine du christia nisme et pendantdes siècles, la violation de la foiconjugale
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II . 31
par la femme emporta pour lemari, non -seulement ledroit, maisencore ledevoirdela renvoyer.Selon lediacreromainHilaire, le mari de la femme coupable pouvait se remarier, la femme non, à cause de son infériorité. Or, cette infério rité avait paru essentielle à quelques membres de l'église,puisque, au dire de saint Grégoire de Tours, le concile de Mâcon (585) avaitdiscutélaquestiondesavoirsi les femmesont une âme. Quoi qu'il en soit, le concile de Trente n'en a pas moins défendu de croire que l'église eût jamaispermisaux époux séparés de contracterdenouveaux liens.Nous opposerons à son autorité les décisions contraires des conciles d'Elvire (305) , d'Arles (314) et d'Aix-la-Chapelle (862), les écrits de saint Basile, de saint Jérôme, de saintÉpiphane, de Lactance, etc., les canons pénitentiaux, et même le droit canon, Lorsque l'église necroyait pas pouvoirrompre lemariage, elle déclaraitqu'iln'yen avaitpoint eudelégitime,etcomme pour qu'il y eût réellement mariage, il fallait que l'ad ministration du sacrement fût suivie de la réalisation de l'acte sur lequel le prêtre avait préventivement appelé les bénédictions du ciel, les fidèles les fidèles puissantsbien entendu, et riches - furent toujours admis à démontrer, ainsi que dans le procès dont les détails précèdent, qu'il n'y avait point eu de mariage réel. L'église qui, comme étant inspirée par le Saint-Esprit, doit avoir toujours soutenu les mêmes doctrines, sans pouvoir jamais se tromper sur aucun despoints dont elles se composent, a décidé, dans le temps, que les sortiléges rendaient la réalisation du ma riage impossible; les preuves en sont nombreuses : aujour d'hui, le fait est patent, elle n'admet plus que, dans le cas dont il s'agit, le démon intervienne effectivement pour em pêcher le mariage. Elle a longtempsordonné, pour vérifier ce dont elle s'enquérait si indécemment, qu'on eût recours auxvisiles corporellesdont l'impératriced'Autriche, commenous l'avons vu, ut dispensée par le pape. Elle a même,
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Les princesprotestantsetréformés,entrainés par l'esprit du siècle , avaient généralement proclamé la liberté des cultes, et le catholicisme, si longtemps privé de toute exis tence légale , était rentré dans le droit commun. Onne saurait le nier : une réaction religieuse s'était opérée partout en Europe; en France, ce n'avait été qu'unmoyen d'opposition au mouvement anticatholique des gouvernements révolutionnaires de la fin du xvine siècle, réaction qui avait cessé aussitôt que larestauration elle-même avait favoriséle retouraux anciennes pratiques du culte. En Alle magne, la chose était plus sérieuse : il y avait réellement un élan mystique très-prononcé du sentiment de loi s'éle vant contre le rationalisme négatif des protestants , et cet élan tournait nécessairement au profit du catholicisme, seul
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pendant plus d'un siècle, imposé l'épreuve du congrès, la plus sale qu'il fût possible d'imaginer, et la plus incon cluante, la plus arbitraire. Cette torture morale, ou im morale plutôt, ne fut abolie qu'en 1677, et par le pouvoir civil. Retournons maintenant aux affaires générales de l'é glise.En
1817, Louis XVIII et Pie VII, de commun accord, abolirent le concordat de 1801 les courtisans du roi lui avaientfait considérercetacte comme posé par le papeseul, Louis XVIII n'étant point intervenu, et Napoléon n'ayant ni droit ni titre pour intervenir et les articles organiques de 1802, et rétablirent les anciens siéges épiscopaux et les bénéfices supprimés. Deux ans après, le roi fut forcé de re courir à de nouveaux articles organiques, et de considérer comme existant de fait le concordat napoléonien, annulé de droit,tandisque leconcordat bourbonien, annuléde fait à Rome, y demeura néanmoins , de droit, le seul en vigueur. La circonscription révolutionnaire des évêchés fut maintenue ad interim . Malgré cela, le pape accorda, pour la première fois depuis onze ans, les bulles d'institution aux évêques nommés.
culte chrétien où le sentiment religieuxpouvaitsemanifes ter au dehors et prendre corps.
Cequ'ily a de remarquable, c'estque le plus souventles évêques gagnés au système joséphiste se mettaient avecle pouvoir civil contre le pape, ce qui peu à peu achevait dedéconsidérer l'épiscopatdans l'espritdu peuple,et livraitle catholicisme à des discussions dont, même en y rempor tant des victoires partielles, il ne pouvait nécessairement sortir que vaincu, puisque sa condition essentielle d'exis tence est d'être toutou rien comme principe social,etqu'il lui était devenu impossible d'être tout. Ces différends entrele pouvoir temporel et l'autorité religieusepourlaquellele
Quoi qu'il en soit, les princes allemands non catholiques proposèrent au saint-siége de déterminer, par une conven tion réciproque, le mode de gouverner les églises de leurs états appartenant à la confession romaine. Sans refuser positivement, Pie VII, effrayé des contradictions dans les quelles lescirconstances l'avaient fait tomber depuis quel ques années, se borna à traiter sur chaque cas particulier, mais ne prit aucun engagement. C'est ainsi qu'il confirma, sansbalancer,les évêquesnommésparleroidePrusse(1820). Il agit de la même manière avec le roi des Pays-Bas.
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Le gouvernement de Prusse réussit en dernière analyse à conclure un concordat (1821), mais en accordantau saint siége tout ce qu'il demandait; ajoutons que ce que celui-ci demandait, il devait l'obtenir s'il voulait demeurer le saint siége. Quelques années plus tard , le gouvernement des Pays-Bas fléchit devant les mêmes exigences. Plusieurs des princes souverains et des villes libres d'Allemagne suivirent l'exemple de la Prusse. Mais, comme le gouvernement des Pays-Bas dans la suite, celui de Prusse et ceux des souve rainetés allemandes, la Bavière seule exceptée , rusèrent bientôt dans leurs relations avec la cour de Rome, et tom bèrent, vis-à-vis des populations catholiques, de difficultés en difficultés.
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peuple ne manquait jamais de prendre parti éclatèrentjus. qu'au sein des cantons suisses, et ils se représenteront indéfinimentlà comme ailleurs, aussi longtemps que lesgouver nements ne se détermineront pas à laisser aux consciencesleur libre manifestation, et à permettre que les opinions s entre-choquent et s entre-détruisentjusqu'à extinction.Ledernierconcordat, en vertu duquel l'Autriche s'est engagéeenversle pape à favoriser le catholicisme, qui, lui, nes'engage à rien, si ce n'est à se laisser avantager, ne tardera guère à fournir des faits qui viendront à l'appui de notre raisonnement.
Hors de là, le saint-siége était parfaitement de l'avis des puissances, catholiques ou non, qui formaient la sainte alliance contre les radicaux d'Angleterre, les libéraux de France etdeBelgique, les illuminés d'Allemagne etles car bonari d'Italie. Aussi fulmina-t-il une bulle d'excommuni cation (1821) contrecesdissidentsdu despotisme. Car, pour le saint-siége comme pour les cours séculières, le despo tisme, c'estl'église; le pape, c'est le christ; le christ, c'estDieu ; Dieu, c'est la force.
Dansles diverses transactionsdontnous venonsde parler, il ne s'agissait jamais de religion, sice n'est nominalement;en réalité, c'étaient exclusivement des questions depouvoir. Les princes voulaient être les maîtres de leur clergé, quidevait les aider à demeurer les maîtres de leurs sujets; lesouverain pontife ne craignait que de voir les évêques de venir, comme il s'exprimait, autant de papes, ce qui l'aurait réduit, lui, àn'être plus qu'un évêque.
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CHAPITRE XXXI.
§ Jer. LES EFFORTS POUR CONSERVER CE QUI EST DEBOUT ET POUR RELEVER CE QUI EST TOMBÉ, ABOUTISSENT, COMME CEUX POUR FAIRE TOMBER CE QUI RESTE ENCORE DEBOUT, A UNE DÉCOMPOSITION PROGRESSIVE.
Nous commençons ce chapitre parune citationempruntée aux discours d'un homme dont le témoignage dans lama tière quenous allons traiter ne sera pas suspect, de Robes pierre. Ce célèbre conventionnel, après avoir fait logique ment et éloquemment ressortir ce que la négation de la spiritualité et de l'immortalité de l'âme a de subversifde
Lexyllje sièclejugé par Robespierre. La foi n'admet pas d'autre réalitéque Dieu. La science nereconnaitque lanature. Essaisinfructueux de concilier la foi passive et la liberté d'examen. Encyclique de Gré goireXVI. -- LesParoles d'un Croyant. --Royaume desPays-Bas.-- Ré volution de 1830 . Incohérence des idées auxquelles on demande de l'ordre. - Les catholiques signent leur déchéance sociale. Pauvreté des moyensdont les croyants espèrent le rétablissement de la foi. Les libres penseurs ne sontguère plus forts qu'euxen matière de raisonne ment .
LE MATÉRIALISME SCIENTIFIQUE ET LE SENSUALISME PRATIQUE DÉMOLISSENT LA SOCIÉTÉ.
l'ordre dans la société, s'exprima à la séance du 18 floréal an 11 (7mai 1794), dansles termessuivants :
Depuis longtemps les observateurs éclairés pouvaient apercevoirquelquessymptômes de la révolution actuelle... Leshommes de lettresrenommés, en vertu deleur influence sur l'opinion, commençaient à en obtenir quelqu'unc dans les affaires. Les plus ambitieux avaient formé dès lors une espècede coalition qui augmentaitleur importance; ils sem blaient s'être partagés en deux sectes, dont l'une défendait bêtementle clergé et le despotisme. La plus puissante et la plus illustreétaitcelle quifutconnue sousle nom d'encyclopédiste. Elle renfermait quelques hommes estimables et un plus grand nombre de charlatans ambitieux ; plusieurs de ses chefs étaient devenus des personnages importants dansl'état : quiconque ignorerait son influence et sa politiquen'aurait plus une idée complète de la préfacedenotre révo lution. Celle secte, en matière de politique , resta toujours au-dessousdesdroitsdu peuple; en matière de morale, elle alla beaucoup au delà de la destruction des préjugés reli gieux. Ses coryphées déclamaientquelquefoiscontrele des potisme, et ils étaient pensionnés par les despotes; ils fai saient tantôt des livres contrela cour,et tantôt des dédicaces aux rois, des discours pour les courtisans et des madrigaux pour les courtisanes; ils étaient fiers dans leurs écrits et rampants dans lesantichambres. Cette sectc propagea avec un grand zèle l'opinion du matérialisme, qui prévalut parmi les grands et parmi les beaux esprits : on lui doit engrandepartie cetteespècedephilosophiepratique qui, rédui santl'égoïsme en système, regardelasociétéhumainecommeune guerre de ruse; le succès, comme la règle du juste et de l'injuste ; la probité, comme une affaire de goût ou do bienséance; le monde, comme le patrimoine des fripons adroits. »
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Il est impossible de mieux dire, tant en parlant de l'é
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poque qui a précédé la nôtre, qu'en dépeignant la nôtre même. Oui, la révolution de 1789 a été l'æuvre des philo sophes du xviie siècle, chez qui les jésuites, leurs profes seurs, n'avaient pu étouffer le germe du protestantisme progressif, né de la liberté de discussion, nourrie elle-même par la nécessité de satisfaire aux besoinsque le développe mentdes intelligences avait crééspour la société. Oui, ces philosophes égoïstes sensuels, parce qu'ils étaient matéria listes doctrinaires, désorganisaient la société sans pouvoir la recomposer. Oui, nos savants poursuivent fatalement la même @uvre de dissolution et d'anarchie. Mais si l'on comprend enfin que le remèdeque Robespierre voulait ap porter au mal était aussi impuissant que tout autre à leguérir, aussi impuissant que le sentimentalisine du droit et du devoir, que les inspirations de la nature et la voixintime delaconsciencesi vantés par J.-J. Rousseau, quelacroyance prônée par Voltaire en un Dieu rémunérateur et vengeur et en un état futur de récompense ou de punition, consé quence de la volonté de ce Dieu personnel; si, disons-nous,on comprend enfin que toutes ces affirmations dénuées de preuves ont, à l'époque du libre examen, pour résultat inévitable, aussi bien que le matérialisme plus ou moins avoué de nos écoles actuelles, de faire du monde le patri moinc des fripons adroits, la société aura fait un pas im mense vers l'établissement del'ordrevéritable, quelafoine peut plus soutenir et que le doute n'ajamais pu que ren verser .
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Il ne restera plus même qu'un autre pas à faire pour se trouversurla voiequi mène infailliblement à l'établissement de cet ordre : c'est celui qui era abjurer le patriotismeniais, au nom duquel chaque peuple brûle d'abreuverses sillons du sang impur des autres peuples, et le canniba lismeplus niais encore,au moyen duquel chaque partichez un peuple chercheletriomphedelavéritédans l'extermina tion violente de tous les autres partis. Unefois qu'on aura
Et on continuerademarcher : car, avecl'indestructibilité de la liberté de discussion, l'esprit en temps de paix et de calme produit nécessairement des idées, comme pendantlaguerre oules révolutions il est nécessairementabsorbé par la fabrication des cartouches.
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On a souvent comparé notre époque à celle de l'empire romain au commencement de l'ère chrétienne. La compa raison estjuste pource qui est des résultats, des apparences, de la forme; elle ne l'est pas quant au principe qui avait donné à la société d'alorscette forme extérieure, quant à la cause dont ces résultats n'étaient que la conséquence. Les grands, corrompus, corrompaient le peuple comme de nos jours, et comme de nos jours l'égoïsme passionnel, celui qui, ainsi quele ditRobespierre, fait regarderla vie sociale comme une guerre de ruse; appeler juste tout acte cou ronné de succès, honnête toute action qui n'offense ni les convenances ni lebongoût; qui livre le monde en un mot à ceux qui ont la force ou l'adresse de s'en emparer; cet égoïsme était le seul mobile de la conduite de chacun, la licence desmours le seul but dela vie. Un aussi abject sen sualisme n'avaitpu s'asseoir quesur un matérialisme gros sier etbrutal. Mais pour peu que le désillusionnementse fit sentir, pourpeu qu'il yeûtimpuissancedejouirdavantage, ennui ou satiété de jouissance, on revenait à des doc trines plus complètes et moins arides, plus consolantes. La foi qui avait servi de base à la société romaine était éteinte, mais le principe de foi demeurait vivace : il ne fallait pas encore combattre le doule par la démonstration; il ne s'a
bien compris que les révolutions et la guerre sont des fléaux qui ruinent et tuent sans compensation aucune, qui font perdre, par les unsà faire du mal aux autres et parceux-cià réparer ce mal, un tempsprécieux que tous pour raient mettre à profit pour trouver le bien et l'organiser, on pourra se vanter avec raison d'avoir, comme on s'ex prime, marché.
Il ne sauraityavoirdeuxespècesderéalités; touteréalité
Aujourd'hui il n'en est pasainsi : nous sommes matéria listes, non pas exclusivement parce que nous sommes sensuels ; mais parce que tout homme qui raisonne est entraîné à ne chercher le bonheur que dans l'égoïsme des passions : car le matérialisme est scientifiquement établi pour la so ciété, parl'instruction qu'areçue la génération présente et qu'elle transmet aux générations qui suivront. Or ce maté rialisme fait conclure par l'hommedu monde, le plus sou vent sansqu'il serendebienclairement comptedu principe qui sert de point de départ à son raisonnement, qu'il y afolie à sacrifier auxautres le seul bienqu'il possède,savoir, celui que lui offrela vie présente, au delà de laquelle il n'y a rien. Aussicelui pourquile monden'aplusdejouissances ni d'espoir le quitte : il n'y a pour lui ni devoir, ni reli gion, ni but, ni destinée, ni avenir, ni rien de réel;il rentre dansle néant,d'où iln'étaitsortiquepour un instant, d'où il n'était sorti même qu'en apparence. Les premisses ad mises, la conclusion est irréprochable.
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Nous venons de dire que le matérialismephilosophique, en d'autres termes la réalité de la matière, cst scientifique mentdémontré : l'affirmationestgrave; nouslajustifierons en peu de mots.
gissait que de lui opposer une autre croyance. C'est ce qui expliqueles progrèsrapides du christianismechez les poly théistes païens et plus tard ceux du monachisme chez les païens christianisés : l'homme qui aspiraitau bonheur et ne le trouvait pas, ou ne le trouvait plus dans les plaisirs des sens, le demandait à une religion ou à quelque règleréfor matrice, qui niait les plaisirs en montrant leur inanité,qui proscrivait les sens, si souvent en opposition avec le devoir,avecla raison, qui proclamait enfin que la vie n'est qu'un passage à une existence dont les conditions seront d'autant plusheureusesetplusglorieusesqu'onauraété ici bas plus humilié etplus à plaindre.
est nécessairement identique à elle-même : de deux choses différentes, également appelées réelles, si l'une mérite cette dénomination, l'autre lui est forcément subordonnée, et la première des deux demeure seule réelle réellement; l'autre n'est plusdès lors réellequ'en manifestation, en apparence, n'est plus qu'illusoirement réelle. La foi place la réalité dans le Dieu qui est son principe, qui impose ce principe aux hommes; pour les chrétiens, Dieur est le créateur de toutes choses, Dieu est tout. Ce n'est que par une contradiction flagrante que les croyants mettent à côté de cette réalité suprême, comme ils l'appellent, la réalité de l'homme et de la nature qu'ils ne peuvent nier, mais que, pour la concilier avec leurprincipe, ils lui rendent inférieure, comme si uneréalité secondaireétait plus qu'une non-réalité.
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Car, neperdonsjamais de vuequ'unerévélation ne peut se conserver socialement chez un peuple si elle n'est pro tégée contre toute contestation, au dehors par l'isolement, ou par l'entièredestruction desautrespeuples, à l'intérieur paruneinquisition sociale,demanière à êtrecomplétementà l'abri du raisonnement et des comparaisons. Dès que la liberté d'examen est conquise à l'esprit, ce qui était de foi disparaîtsuccessivement du domaine de l'intelligence, et il n'y reste en dernière analyse que le monde phénoménal, le mondede manifestation, la natureetl'homme, ou mieux,
Tant que ce dogme, cette opinion, fut la base de l'ordre social, c'est-à-dire tant que la société fut convaincue de sa vérité, quoiqu'elle n'en eût aucune preuve, tant par consé quentqu'elle s'arma de toute sa force, de toute sa rigueur, contre quiconque exposait ce dogme au doute, le discutail, ou seulement contribuait à faire naître ce doute tôt ou tard en prétendant au droit d'examiner le dogme et de lui de mander ses preuves, la croyance au spiritualisme renditpossible l'ordre social, en d'autres termes, le gouvernement des hommes, au moyen d'un principe non matériel du devoir, et sanctionné d'une manière crue inévitable.
Ce système, nous le répétons, scientifiquement établi pournotreépoque, et irréfutable parles lumières acquises à la société, parles connaissances que la société possède etqu'elle fait transmettre aux générations appelées à la per pétuer, ce système c'est le matérialisme pourles hommesde raisonnement,lepanthéismepourleshommesde sentiment, pour lespoëtes, le déisme pour les sols. Ses conséquences fatales sont, pour l'être matériel intelligent, qu'il ne pos sède d'autre réalité que sa combinaison organique, qui se manifeste par son fonctionnement intellectuel, dû aujeu deses organes, que sa vie en un mot. Il en conclut nécessai rement que, devant se sentir, pendant cette vie, heureux ou malheureux, il ne peut avoir pour but de son existence que de l'exploiter dans le sens le plus favorable à son bonheur individuel, au prix de tout ce dont lesacrifice ne compromet en rien ce bonheur. Il comprend que ce qu'onnommait droit à l'époque de croyance n'est que laforce, ce qu'on nommait devoir, que la faiblesse. Il comprend aussi que la sanction légale de l'ordre public est toujours évitable pour le puissant qui la foule aux pieds et passe outre, et pour le fourbe qui la fraude, glisse à côté d'elle et passe de même.
la naturedontl'homme fait partie. Petit à petitalors l'obser vation des faits et le raisonnement sur les découvertes qui en sont la suite, mènent irrésistiblement à la conclusion que la nature est une sous la multiplicité de ses accidents, qu'elleest matière, force, distinguée en une série de choses,ppelées étres, série indéfinie et sans solution possibledecontinuité : ces êtres ne différent ainsi entre eux que du plus au moins , c'est-à-dire qu'ils sont identiques par essence, mais diversifiés par la combinaison, par l'arrangement; ils sont, en un mot, toujours l'homme compris,exclusivement matériels, quoique les uns en apparence inorganiques, les autres, en apparence encore, organisés, végétants, vivants, sentants, intelligents.
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Cela est vrai. Mais ce qui l'est également, c'est que si le raisonnement nefait pas un pas de plus, s'il s'arrête aprèsavoir établi comme seule réalité celle des manifestations, des phénomènes, de la matière, et de ses propres modifi cations au moyen desquelles l'être sentant se manifeste à lui-même, il n'y a plus d'ordre réel, car il n'y a plus de sanction réelle, plus de morale réellement obligatoire. Le christianisme, de base sociale qu'il était, devient une opinion personnelle, ayant cours comme toutes les opinions qui se heurtent les unes les autres, qui se démolissent les unes aprèsles autres, et les unes par les autres.
32CHRISTIANISNE . II .
Parmi les hommes réfléchis qui s'émurent de ce ter riblerésultat, quelques croyants y cherchèrentun remède. Ils voyaient bien que la liberté ne pouvait plus être dé truite, et que silafoi,quijusque-làen avaitétélanégation, devaitseperpétuer, ce neseraitplus en attaquantla liberté, en la restreignant, en la gênant, mais en s'alliantavec elle, en marchant auprès d'elle et même en ne s'appuyant que sur elle. Dieu et la liberté devint leur devise ; et le journal l'Avenir, leurorgane. Ceraisonnement péchait par la base :croyance et examen, discussion, en d'autres mots, devoir de se soumettre aveuglément et droit de tenir les yeux ou verts pour résister, le cas échéant, sont des termes incon ciliables. L'abbé de la Mennais était la personnification del'idée que nous signalons : ce brillantécrivain, d'abord le champion de l'omnipotence pontificale et l'antagonisteacharnédela doctrine protestante, quoique professée par
Dès lors le prêtre est détrôné; car il ne régnait qu'en qualité de savant par excellence, et comme celui qui pos sédait toute la science à l'usage de la société , et jusqu'au principe de cette science, les vérités révélées. D'autres sa vants prétendus l'ont remplacé, et ont opposé leur science à la sienne, après avoir démontré que le principe sacer dotal, la révélation, était toujours et par essence contes table devant le libre raisonnement.
370 des catholiques, appelée des libertés de l'église gallicane,qu'il estimait avec raison incompatibles avec l'unité de l'é glise, cet écrivain, disons-nous, devint ensuite l'apôtre ardent de toutes les libertés que sa foi vive lui faisait con sidérer comme le meilleur moyen de faire triompher le catholicisme. L'abbé de la Mennais avait aussi persuasive ment que victorieusement combattu les prétendues véritésdu sentiment individuel; au lieu de leur opposer lesvérités établies par le raisonnement, les vérités démontrées, il ne s'en arrêta pas moins à des opinions qui ne sont, elles aussi, que des vérités de sentiment, mais du sentiment so cial, et qui cessentd'être des vérités dès que la sociétécesse de les appuyer de sa force, dès qu'ellepermet à chacun de les analyser, de les sonder, de les ébranler.
GrégoireXVIfutbien plus conséquentquelesrédacteurs del'Aveniret quel'abbé de la Mennais,leurchef.Ilfoudroya (1832) «l'extrême impudence » de ceux qui acceptaientla liberté de conscience qu'il déclarait « absurde, » au point que deshommesen délire pouvaientseuls s'yarrêter. Puisil condamna la liberté de la presse et les hommes également impudents qui la sollicitaient. Enfin il maudit « la détestable insolence et la méchanceté » de ceux qui repoussaient la « soumissionpassive,inintelligente, insensible, involontaire (immobilis subjectio) aux puissances établies. » Avec ce que voulait le pape, le catholicisme était certes encore possibleet l'ordre social par lui ; mais ce que demandait le pape n'était plus possible. Le fondateur de l'Avenir le savait fort bien : aussi entrait-il franchement, lui, dans lesvoies de la liberté; mais à son tour il voulaitce qui n'avait jamais été possible et ne peut jamais l'étre, savoir, que le catholi cisme entråt dans les mêmes voies sans courir à une perte certaine. Le pape exigea de son illustre contemporain une adhésion « pure, simple et absolue (unice et absolute) aux doctrines contenues dans l'encyclique, et l'abbé delaMennais qui ne pouvait pas, la main sur la conscience, y
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Du reste, l'abbé de la Mennais se condamna bientôt lui même. LesParoles d'un Croyantqu'il avaitrédigéescontre les puissances, pendant même qu'il proclamait le devoir de pousserlasoumission à leur égardjusqu'àlastupidité inclu sivement , furent frappées de la même sentence qui avait atteint l'Avenir, et il fut de nouveau imposé aux fidèles, comme indispensable pour mériter le salut éternel, d'obéir aveuglémentau pouvoir,etderépudierlaliberté depensée, de parole et de conscience. Actuellement, comme du temps del'illustreauteur de l'Essaisur l'indifférenceet des Com mentaires sur les Évangiles, l'église est séparée en deux camps; l'un comprendleshommesdeprincipesquidisent:Périssentles catholiquesplutôt que le catholicisme! l'autre se compose des hommes d'application qui, comprenantqu'il n'y a point de catholicisme sans catholiques , poussent ceux-ci dans la seule voie ouverte par la société , dans la voic dela liberté commune. Les premiers sont assurément les plus logiques; mais commepluson estlogiquequandon prendun fauxpoint dedépart, plus on déraisonne, c'est à l'absurde qu'ilsvont aboutir. Ils sentent fort bienque leur doctrine, toute de foi, doit rejeter la raison comme dange
adhérer debonne foi, parce que, ille dit lui-même, c'était déclarer quele pape estDieu, signa cependant «paramourde la paix (1833). » Nous respectons ses intentions, mais nous blâmons son manque de sincérité. Accepter que le pape est Dieu ou, ce qui revient au même, qu'il est sur la terre l'interprète de Dieu, infaillible et absolu, est le prin cipe catholique que M. de la Mennais avait rejeté, mais qui n'en est pas moins la condition sine qua non de l'existence du catholicisme. Il n'y a point de milieu : il faut croire ou ne pas croire, et quand on croit il faut tout croireet aller baiser la mule du pape. Celui qui s'ar rête en chemin devrait pouvoir dire pourquoi, et il ne le peut qu'en retournant en arrière jusqu'au doute uni versel.
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reuse,qu'ellenepeutadmettre quel'autorité exclusivement, et l'autorité se prétendant toujours la même, transmise de génération en génération par une tradition non interrom pue. Or, c'est précisément là se mettre hors la société, qui n'aplus d'autoritécommune, qui ne peut plus en avoir, qui fait, défait et refait, à coups de majorité, l'opinion éphé mère d'après laquelle elle se règle : c'est, pour ne point avoir à mourir, se déclarer déjà mort.
Ceux d'entre les catholiques qui, plus flexibles, rendent hommage à la discussion, se font par cela seul lescomplices desdémolisseursqui battentl'égliseenbrèche, et de trouée en trouée finiront par la jeter à terre. Ils ne veulent ni s'avouer vaincus, ni se laisser tuer sans combattre. Terras sés par le raisonnement, ils se relèvent en raisonnant. Espèrent-ils demeurer debout, ou s'avouent-ils qu'ils ne fontque retarder leur chute définitive? Peu importe. 'Tou jours est-il que l'arme dontils se serventleur éclatera dans les mains. Il n'y a point place dans l'intelligence pour lafoi et l'examen simultanément : aussitôt que celui-ci s'y agite, l'autre en est expulsée. Quoi qu'il en soit, c'est au dernierpartique l'église sem blevouloir définitivement se rattacher. Elle reconnaît que la raison suffit pourl'établissementdes vérités qui forment le lien social, et que cette raison précède la foi. C'est par laraison seule, prétend-elle, que l'homme arrive à la con naissance de la religion naturelle, le déisme; maiscettereli gion, si elle étaitnaturelle en effet, n'auraitpasplus besoindel'interventiondu raisonnementquelarespirationetla di gestion, et si elle est rationnelle, n'a rien de commun avec leslois de l'organisme et de la matière, de la nature. La raison, dit encore l'église, prépare le triomphe de la foiqui lui est supérieure. La foi est la renonciation au raisonnc ment. Qu'on se figure avoir des raisons pour croire, c'est tout simple; c'est même indispensable pour qu'il y ait foi. Mais que l'on continue à raisonner après qu'on a décidé
Nous venons d'envisager la question sous le rapportde la théorie.Revenonssurnos paspour examinerenpeu demots les actes que cette théorieimpose. Nousnousplacerons,pour les passeren revue, sur le terrain que nous connaissons le mieux et où nous les avonsvusse réaliser parlaforce même des choses.
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qu'on ne raisonnerait plus, qu'on croirait, c'est-à-dire que simultanément on raisonne et on ne raisonne pas , c'est du non sens. Il n'y a de religion pour l'homme que par le raisonnement, soit que celui-ci suppose une vérité et s'in cline ainsi devant la foi ; c'estce qu'on appelle unc religion révélée; soit qu'il se démontre l'incontestabilité de ce qu'il pose comme vrai,etc'estlà la religionréelle. L'antagonisme entre croyance sur parole d'autrui et raisonnement per sonnel, ressort des termes mêmes qui expriment l'un et l'autre.
Mais glissons sur l'étrangeté des affirmations gratuitesde l'église, et bornons-nous à faire remarquer le changement radical de la méthode qu'elle adopte pour sa défense. Jadis il fallait croire sans raison, si ce n'était encore malgré la raison, l'opposé de ce qui était conforme à cette raison ; maintenant que le droit de libre examen est acquis à la so ciété,Rometrace une nouvelle route, moinsbonne et moins sûre de beaucoup quel'ancienne,maisla seulequi reste pra ticable, route d'ailleurs battue par tout le monde, pour le moment, etqui mène les catholiques avecles autres au bord de l'abîme sans fond, d'où tous ensemble devront bien re brousser chemin.
La Belgiquesetrouvait, depuis1815, dans unesingulière position : le roi Guillaume de Nassau avait fait violence à la population belge en déclarant acceptée, par les notables convoquésàceteffet,la constitutiondufuturroyaume,qu'ils avaient dans le fait rejetée comme étant contraire à leurs opinions, précisément parce qu'elle consacrait la liberté des opinions que, de cette manière, le roi lui-même restreignait 32.
dans son sens propre. Guillaume, après cela, se fit un sys tème, pendant tout son règne, de protéger la minorité li béraledesessujetslorsqu'ellelesoutenait contrela majorité catholique, qui sc montrait hostile au despotisme avec le quel il pesait sur les consciences : mais aussi il nese faisait pasfauted'invoquer,àl'occasion,lesprincipesconservateurs des catholiques contre les doctrines de leurs adversaires , plus redoutables encore à son pouvoir par la force agres sive qui les caractérisait, que la résistance des catholiques par la force d'inertie qui leur servait à entraver ses vues gouvernementales, Le système protestant du monarque hol landais se montrasurtoutàdécouverten deux circonstances, celle des rigueurs exercées contre l'évêque de Gand, M. de Broglie (1816), coupable d'avoir condamné ce qu'il ne pou vait accepter comme catholique, savoir, la loi fondamentale duroyaume des Pays-Bas, etcelle de l'érection d'un sémi naire général (collége philosophique) où, en dépit de la li berté d'enseignement et des cultes, tout aspirant à l'état ecclésiastique devait aller puiser la science d'obéir au gou vernement et de plaire au maître. Le premier de ces actessignala son début, le second précipita sa chute. Guillaume était le type de son siècle : il voulait, comme généralement tout lemonde aujourd'hui, laliberté, mais à son profit seu lement et contre les autres; la liberté, à ses yeux, était l arbitraire librement appliqué par lui-même et exercé sans restriction et sans bornes.
Le jour vint nécessairement où catholiques et libéraux s'aperçurentqu'ils étaientégalementdupes, ceux-cinepouvantjamais être libres qu'avecla permissionet dans l'intérêt du pouvoir, et de la manière que le pouvoir déterminait suivant lescirconstances, etceux-là n'ayantpasmême la li berté de repousser la liberté interprétée dans ce sens. Les libéraux tendirentla mainauxcatholiques qui s'y crampon nèrent, et les uns et les autres, d'accord, renversèrent l'é difice de fourbcrie royale, appuyé d'une part sur le concor
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dat concluavecRome (1827) poursatisfairelescatholiques,et de l'autre sur l'assurance donnée aux libéraux pour les empêcherde se fâcher(1828),que cetacte nesortiraitaucuneffet. Dèslorslesdoctrinesquenousavonsdéveloppées plus haut, etauxquelles les catholiques étaient préparéspar lespublicationsde l'abbéde la Mennais,devinrent la base d'une union,monstrueusc aux yeuxdeplusieurs, celledeshommesqui ne voyaient d'ordre possible que par le retour vers lepassé, et des hommes qui avaient démoli cet ordre, qui en continuaient le déblaiet en empêchaientle rétablissement.Mais la monstruosité de cetaccouplementn'existait que dans la forme; il était devenu une question indispensable d'exis tence pour lesdeux partis, et le système qui en surgit futlacause de la chute des Nassau et eut pourconséquence laconstitution de la Belgique.
L'auteur de ce Résumé a été appelé par les événements à formuler les principesque cette constitution n'a fait qu'in troduire dans le droit public national, d'abord au moyen de divers écrits de circonstance , puis en les convertissant en lois destinées à régir le nouvel état. Il n'a à se reprocher que d'avoir donné, comme essentiellement bon et comme pouvant servir de fondement à un ordre social durable, cequi n'étaitque nécessaire, ce qui était imposé par la désor ganisation progressive dela société, ce qui était enfin le seul moyen capable de ralentir ce progrès, d'en amortir la ca tastrophe finale, etdefaire qu'il n'éclatát pas tropbrusque ment en unedébâcleanarchique : il ne comprenait pas en core que c'est toujours là de l'anarchie, quoique ce soit de l'anarchie atermoyée.
Énuméronsici lespointsculminantsdecettedoctrine,quisuffira un jour pour faire apprécier les tristes conditions de notre époque: « L'ordre moral et religieuxestexclusivement du domaine de l'intelligence individuelle, la société n'y a rien àvoir;» -ce principe renferme tousles autres; ilest la reconnaissance expresse et légale de l'état d'ignorance,
La seule pierre d'achoppement en cette circonstance fut le salaireque l'étatne pouvait accorderau cultecatholique,comme à quelques autres, sans commettre uneinjustice audétriment de tous les cultes imaginables, non rétribués,etde tous les contribuables n'appartenantpasauxcultesfavorisés, salaire cependant quel'état a dûaccorder au clergé
d'incertitude et de confusion desesprits et d'anarchie dans les intérêts, état où nous vivons actuellement;--- « les opi nions et les convictions sont libres comme la pensée dontelles sont la manifestation; la philosophie et la religion n'ontd'action l'unesurl'autre que pour se garantirmutuel lement la plus complète indépendance; la profession d'au cune doctrine n'impose un devoir social ou ne prive d'undroit; la loi ne connait que des citoyens, qu'ils soient laïques ou prêtres, croyants ou athées; la liberté triompherades prêtres partoutoù ilsla combattront, avecet pour eux, comme pour tout le monde, là où ils se plieront à ses exi gences. »
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Venons à l'application de ces principes : La liberté sous traite à toute restriction préventive, liberté de la parole, liberté de l'enseignement, liberté de la presse, liberté des cultes, libertédes associations, liberté des théâtres ; l'abo lition par conséquent de tout concordat fait entre le gou vernement et n'importe quelle autorité religieuse ; plus d'intervention du gouvernement dans les affairesdu culte; nomination des pasteurs par leursouailles, directement ou indirectement, c'est-à-dire par ceux de leurs supérieurs à qui les fidèles en abandonnent le soin, sans que le gouver nement ait à approuver ou à blâmer; relations libres entre lescroyantsetleurschefs, à l'étranger commeàl'intérieur; publication sans entraves des écrits en matière de culle comme en toute autre matière, sauf la responsabilité deséditeurs; érection, extinction ou restauration des congré gations religieuses en dehors de l'action gouvernemen tale, etc., etc.
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catholique puisqu'il s'était emparé de ses biens : tant une iniquité entraîne après elle des iniquités sans nombre, des contradictions sans fin !
A l'occasion de la mesure spoliatrice que nous rappelons, mesure qui, légalisée par tous les pouvoirs, et canoniquementrégulariséeparl'autoritéreligieuseelle-même, paraît aujourd'hui un acte tout simple de justice, nous ajouterons une réflexion de plus en plus applicable à notre époque; nous le faisons, parce que les conséquences de cette mesure ne cesseront de se manifesterpour la société d'une manière plus ou moins désastreuse tant qu'elle n'aura pas été répa rée à la pleinesatisfaction de la partie lésée. Nous espérons que notre raisonnement convaincra tout homme d'un sens droit et loyal, qui nomme la propriété propriété, la confis cation confiscation, et ne metde différence entre une confis cation et un vol que celledu mot employépour l'exprimer, lorsque les voleurs ont déclaré, par une loi, que la confis cation à laquelle ils ont recours est un vol juste. Les biens de l'église catholique et de ses prêtres leur furent enlevés par les gouvernements réformateurs de la fin du xville et du commencemet du xixe siècle, en vertu du droit... du plus fort. Cevol, qui a porté une grave atteinte au principe mêmede la propriété, en substituant la force au droit, sera suivi, unpeu plus tôt, un peu plus tard, de celui des biens des richespar les pauvres, du moment que ceux-ci se sen tiront les plus forts à leur tour. C'est le même droit, et, du moins, en cette occasion, il y aura à alléguer, pour justi fierla violence de son exercice, des circonstances palpable ment atténuantes.
En outre, l'église s'était enrichie parce qu'il y avait anciennement des fidèles qui croyaient à son pouvoir de sauver leur âme et celles de leurs parents et amis; elle était restée riche parce qu'il y avait encore des fidèles quitenaient à cette opinion.Or, en vertu de la liberté, il était permis de nier ce pouvoir de l'église, mais il était permis
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aussi de l'admettre avec ses conséquences. Voler l'église, c'étaitdonc violerla liberté deconscience, et dans l'opinion des croyants, c'était les empêcher, eux et les leurs, de faire leursalutcomme ils l'entendaient,de chercher leur bonheurlà où ils le voyaient : c'était mentir sciemment et impu demment, et, comme principe, se suicider; car tout système qui viole sa raison d'être se tue. Nous venons auxcatholiques belges de 1830.
Il n'en est pas moins vrai que l'histoire entièredu christianisme, comme celle de toute religion reposant sur l'hy pothèse de la révélation, comme celle de toute proposition,de toute affirmation sans preuve, démontre à l'évidenceque la conservation de la foi est impossible là où l'examenet la discussion sont libres et ne peuvent plus être compri més. Comparées entre elles, les religions, ainsi que lesopinions, sc succèdent en s'entre-détruisant jusqu'à ce que le principe même de la foi ait succombé, du moins commelien social. Nous en sommes là. Les catholiques, lorsqu'ils
Ils acceptèrent sans sourciller la position, éminemment fausse pour eux, quela nécessité sociale leurfaisait,comme étant la seule qu'ils pussent occuper. Rome se tut; ellen'avait que ce parti à prendre : car, approuver, c'eût été anéantir le catholicisme; condamner, c'eût été perdre lescatholiques. L'église a fort bien senti qu au milieu des opi nions qui se disputent la société, elle n'avait qu'un seulmoyen de demeurer elle-même comme une des opinionsconcurrentes; c'était de se faire qu'on nous passe l'ex pression - toute à tous. Nous avons vu qu'en principe et en général, elle soumettait la foi à la raison ; mais dans l'application, elle varie selon les lieux, les dispositions etles circonstances. Ici où elle le peut encore, elle proscrit la libre discussion ; là où son pouvoir est mis en doute, elle la tolère; ailleurs où son pouvoir est socialement nié, ellese met au niveau commun et demande humblement d'avoir voix délibérative aux débats.
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Ainsi donc en signant la constitution belge (1831), en provoquant même à la déclaration des principes qui en sont la base, comme ils avaient fait par la part active etdécisive qu'ils avaient prise à la révolution (1828 à 1830) dont elle est l'expression exacte, les catholiques, morts so cialement comme tels depuis longtemps, ont enfin consentià homologuer leuracte dedécès.Nous ferons remarquer enpassant que l'auteur de l'Histoire universelle de l'église catholique, M. l'abbé Rohrbacher, quoique,ou peut-êtreparce que docteur en théologie de l'université de Louvain, ne touche pas un mot de ce que nous venonsde rapportersuccinctement. Il donne à la place d'amples détails sur les béguinages de Belgique.
veulent disputer le terrain aux libres penscurs, doivent for cément, à moins qu'ils ne soient les plus forts, se servir des armes du libéralisme; ils ne peuvent viser à la direction de la société que par le raisonnement, par la liberté. Mais l'emploi du raisonnement, même par eux, le recours à la liberté en leur propre faveur, tournent toujours et en défi nitive contre eux, aussi bien que lorsque liberté et raison nement servent à leurs adversaires pour les combattre. C'est fatal, car c'est logique : nulle croyance ne peut atta quer une autre croyance sans ébranler son principe à elle, la foi, qui est inconciliable avec la liberté.
Le catholicisme n'est pluslabase de l'édifice social; nous constatons le fait sans le juger. Il est resté au sein de la société, mais comme une simple étaie qui, là où l'édifice penche le plus, l'empèche momentanément de crouler,dece côté du moins. Mais le poids qu'elle a à soutenir s'alourdit chaque jour, et l'étaie perd chaque jour de sa force. Le catholicisme n'est désormais qu une opinion individuelle, qui peut demeurer longtemps encore, mais qui nécessaire ment ne cessera deperdre, tantôtl un, tantôt l'autre deses adhérents, et toujours quelque peu de son influence sur ceux qui continuent ày adhérer. La cause en est simple et
patente; nous l'avons développée au commencement de ce chapitre : en fait de morale et de société, de droit et de sanction religieuse, la science sociale n a encore rien établi d'incontestable, et ce qu'elleest parvenue à établir, c'est la négation absolue de toute sanction, de tout droit réel, de la morale etde l'ordre, c'est-à-dire de la société.
Et plus on avançait, plus, comme il est d'habitude, on
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Dans cette extrémité, il est, sans nul doute, pénible de voirlescroyants tenterderéchaufferlezèledeleursadeptes, et, s'il se peut, d'en accroîtrelenombre, en ayant recoursà des récits de conversions plus ou moins éclatantes, opérées pardesmoyensplusbizarresles unsque lesautres, etàdes historielles de dévots et de dévotes, livrés à l'exercice de pratiques sans nom, qui tous également respirentle même parfumdeniaiserie, ainsi qu'àlacréation desaintsridicules qui, cependant, en leur qualité de derniers venus, pren nent la place des personnages réellement illustres de l'église, et à des miracles puérils, et enfin à de nouveauxdogmes donton surcharge si inconsidérément la conscience des fidèles qui déjàregimbecontrelesdogmes ancienspour lesquels on a tant de peine à conserver un peu de respect. Dans d'autres temps, l'église avait admis tels miracles qu'elle déclarait vrais, rejeté tels autres qu'elle estimait faux, attribuétels autres encore à lapuissancedesdémons, suivant le point de vue où elle se plaçait pour les juger;elle avait eu des saints de bon et de mauvais aloi, qu'elle re commandaitàlapiété des fidèles,ou contrelesquels elleles mettait en garde, dans le but toujours de réveiller la dévo tion ou de lui donner un nouvel élan. Mais c'était à une époque où la foi étaitvive encore, tant chez ceux qui reje taient leprodige qu'onvantaitaveclethaumaturge, que chez ceux qui les acceptaient les yeux fermés : les uns et les autres demeuraient convaincus que les lois du monde phy sique peuventêtreinterverties, et qu'il est donné à certains hommes privilégiés de troubler ainsi l'ordre éternel.
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exagérait : toujours les saints de fraiche dale étaient lespluspuissants,et les miracles,les plus extraordinaires.Nous citerons saint Vincent Ferrier, et un polonais, nommé frèreHyacinthe, tous deuxjacobins, sainteÉlisabeth canonisée en 1234, saint Pierre de Luxembourg (1589), et le fameuxsaint François d'Assise, dont la vie est bien autrement merveilleuse que celle de Jésus-Christ. Saint Pierre deLuxembourg entre autres avait opéré deux mille cent et vingt-huit prodiges, parmi lesquels la résurrection de soixante-treize morts, et saint François, nous disent sesbiographes vers la fin du xive siècle, impétrait, c'est-à-dire forçait en quelque sorte la main à Dieu, tandis que Jésus,son fils, n'avait fait que le prier.Lorsque l'église jugeait à propos de stimuler la dévotion de ses enfants par quelque aliment nouveau , elle faisait extraire des catacombes des squelettes parfois sans nom , qu'elle faisait baptiser comme ayant appartenu à des saints età des saintesconnus (reliquiæ baptizate), et dont on for geait après coup la légende, toujours accueillie par l'im mense majorité des fidèles qui ne supposaient pas mêmequ'on pût en contester l'authenticité. Il arrivait néanmoins que des erreurs par trop palpables offensaient la suscepti bilitédequelques-uns, commelorsque l'annaliste,pour ainsi parler, officiel de l'église, le fameux cardinal Baronius, prit une voiture à deux chevaux (Xynoris) pourdes saintes, viergesetmartyres,auxquellesil prêta desactionspropresà leurexistence prétendue. Mais, nous lerépétons,ces petits scandales ne franchissaient pas un cercle de critiques fort restreint, et bientôt le manteau de la foi couvrait du saint nom de fraude pieuse les manæuvres qui, àla vérité, pré cipitaient la décadence du christianisme, mais aussi per mettaient à ceuxqui l'exploitaientd'en tirerenattendantle meilleur parti possible dans leur intérêt individuel. Or c'était là ce qu'ils avaient le plusà ceur. A présent, au contraire, que la libre discussion fait
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Au reste, lesréflexionsquenous ont suggérées ces aber rations de l'intelligence de la part des catholiques tombentd'aplomb sur le défaut de raisonnement qui entraîneleurs adversaires dans la voie de la confusion et de l'anarchie. Nos esprits forts, comme ils s'intitulent eux-inêmes, qui dou tent qu'on puisse acquérir une certitude quelconque surles questions métaphysiques et moralcs dont dépend le sort de l'humanité, qui nient que dans ces matières l'homme soit capable d'arriverà la certitude, nos esprits forts, poussés à leur insu par l'invincible besoin desavoir, et parla peurde l'inconnu contre lequel leur ignorance les faitse heurter à chaque nouvelle déception à laquelle ils s'exposent, sont toujours prêts à se lancer étourdiment dans le vague, sans flambeau et sans guide. Dépourvus de toutprincipe quisoit commun à plusieurs d'entre eux, et repoussant le secours,que leur préterait une logique un peu serrée pour éclairer et assurer leur marche, ils s'accrochent en désespérés à la
Nous passerons sous silence les ineptes prodiges des der niers temps, les saints burlesques, les images baroques et les inqualifiables reliques, qu'on a calqués sur ceux du moyen âge. Seulement, aprèslesavoirindiqués comme nous venons de faire en termes généraux, nous demanderons si c'est par de pareilsmoyensqu'on espère édifier lescroyants et ramener les incrédules? N'a-t-on rien de mieux à pro duire pour protéger la loi défaillante? Qu'alors du moins, s'élevantau -dessusde lacauseperduequ'on voudraitencore défendre, on ne produise rien du tout; la décomposition suivra lentementson cours normal, sans que les efforts im prudents qu'on ferait pour l'arrêter précipitent sa marche.
presqueimmédiatementretombersurtoutimposteur,quelles qu'aient pu d'ailleurs être ses intentions, les conséquences de ses tromperies,il faut une robuste confiance dans la supé. riorité qu'on s'accorde gratuitement ou dans la nullitédont on gratifie les autres, pouroser encore se hasarder à mettre en avant les pauvretés dont on nous inonde chaque jour.
Puis, tandis qu'ils font et appliquent des lois pénales contre les actes qu'ilsdéclarent coupables comme ayantété commis dans un but mauvais, ce qui suppose la responsa bilité morale, la liberté psychologique, ils acceptentcommeréelle la phrénologie qui faitdépendrelavolontéde la con
première folie qu'un charlatan quelconque leur présente, soit comme un secret qu'il a découvert dans les mystères de l'organisation, soit comme une merveille qu'il a observée dans la marche de la nature, soit enfin comme un prodige nouveau de la force universelle dont il prend acte, bien qu'il nepuisse en rendre raison.
Tantôt ces ennemis du despotisme se jettent aux bras du premier despote qui s'offre à leur procurer le bonheur en ce monde, d'une manière bien plus arbitraire à la vérité que celle à laquelle le pape avait recours pour leur ouvrir les portes du paradis, mais du moins sans qu'il soit ques tion de religion, ni de prêtre, ni même de Dieu, si ce n'est sous bénéfice d'inventaire. Tantôt ces enthousiastes de la seule morale qu'ils puissent admettre, la morale gratuite, puisqu'ils rejettent toute vérité qui pourrait réellement luiservir de sanction etla rendre obligatoire, courent seranger sous les étendards de l'apologiste de toutes les passions, en opposition desquelles exclusivement une morale est conce vable. Amis de lajustice, aujourd'hui ils organisent la con currence entre les faibles et les forts, qui est l'exploitation légalisée au profit de ceux-ci et pour la ruine des autres; apôtres de la liberté, demain ils supprimeront toute concur rence, c'est-à-dire la liberté elle-même, car liberté et con currencerationnelle sont une seule et même chose. C'est au nom de l'intelligence qu'ils rèvent l'abolition de la pro priété, ce qui serait l'abolition du travail, de l'intelligence, puisque le travail ayant pris corps est la propriété même.C'est pour la stabilité de la société qu'ils proposent, et je veux bien l'admettre, avec les intentions les plus droites, l'élimination de la famille, qui est l'élément social.
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formation du cerveau, ou bien ils soumettent la volontéd'un individu à l'ascendant organique et aux gestes bizarres d'un autre individu.
Ils ne distinguent l'individualité homme de toute autre individualité, car pour eux il y a des individualitésde plu sieurs espèces, que par sa forme, l'arrangement de ses molécules, l'agencement de ses organes, et ils se livrent pieds et poings liés au saltimbanque qui promet de lesmettre en rapport avec des individualités hommes, de venues ames en perdant leur combinaison organique, leur modalité, qui cependant était leur essence même; ils font bon marché des conditions du raisonnement que le raison nement leur a fait connaître, en établissant des relations intellectuelles là où ces relations sont impossibles parceque les conditions essentielles au raisonnement, ses conditions indispensables, font défaut : ils vont, par exemple, jusqu'àinterroger des esprits sans corps, par l'intermédiaire d'ob jets privés, eux-mêmes en conviennent, de toutsentiment, et ils les interrogent sur l'avenir qui résultera nécessaire ment d'actes librement posés!... La seule différence entre ces crédules non croyants et ceux qui font profession de croire, c'est que les derniers, acceptant comme réel cequi neleur est pas démontré vrai, l'expliquent par une intervention divine ou diabolique, tandis que les premiers le mettent sur le compte de la force inhérente à la matière et du jeu essentiel à l'organisation : ils sont aussi mystiques les uns que les autres; mais les plus faibles d'esprit ne sont pas à coup sûr les hommes de foi. Ceux-ci croient exclusive ment cequ'on leur impose de croire, dans un but d'unitéde doctrine à laquelle ils ont pourdevoirdese ranger passive ment; ceux-là croient tout, parce qu'ils veulent croire, et qu'ils s'abandonnent à l'activité vagabonde, chacun, de sa propre intelligence.
Quand on s'occupe, soit de miracles que les croyants de profession appellentsurnaturels,divins,soitdeprodiges,de
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merveillesdontles matérialistes, leurs contradicteurs, font honneur à la nature, à la matière, il est difficile de ne pas songer à la vieille histoire de la dent d'or : chacun en fournit une explication conforme à ses idées préconçues, sans s'inquiéter le moins du monde de la question de sa voirsile fait lui-même est ou n'estpas avéré. Le nombre de ceux qui se demandent : Y a-t-il une dent d or? est déjàtrès-restreint, et personne ne s'avise de dire, indépendam ment de toute investigation : Je déclare qu'il n'y a pointde dent d'or, parce que le fait est contraire au raisonnement, parce qu'il est impossible.
Traçons rapidement le tableau vrai de notre société, sous le rapport des efforts de conservation que font les hommes de foi, et de l'agitation de leurs adversaires, tant pour ne paslaisser échapper le fruit des victoires successives qu'ils ont remportées sur ces hommes, que pour les faire servir au maintien de l'ordre qu'eux-mêmes essayent de fonder sur le doute.
La société actuelle. La foi individuelle ne survivra pas longtemps à la foi sociale . Ce que sont les prêtres de nos jours. Sagessepratique de l'église. Arguments des ennemis du clergé. Épouvantail dela mainmorte. Clergécapitaliste. Doctrine catholique. Impuissance du doute .
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§ II. LA SOCIÉTÉ S'ÉCROULE SOUS L'ACTION ÉGALEMENT DÉSORGANISATRICE DES CATHOLIQUES QUI ONT LA PRÉTEN TION D'ARRÊTER LE MAL, ET DES LIBRES PENSEURS QUI MANIFESTENT CELLE DE RÉFORMER PROGRESSIVEMENT L'OR GANISATION SOCIALE.
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Vouloir conserver la société actuelle au moyen d'un prin cipe de foi qui n'a pas su se conserver lui-même comme base de la société, et qui, en défaillant, a précisément été cause de la décomposition sociale dont nous sommes té moins, c'est pousser la déraison à un excès qu'il suffit de signaler.Or, notre livre, où se déroule la longuecarrièredu principe chrétien,se terminepar l'agonie et la mortsociale, non-seulement de ce principe, mais encore de celui de toute révélation.
Ils n'auraient pas raison, que ce serait la même chose; car une foi éteinte ne se rallume qu'au flambeau d'une foi nouvelle, et ce n'est plus aujourd'hui unefoi, mais c'est lafoi quela société, bon gré, mal gré, repousse comme prin cipe d'existence et de conservation.
C'estdonc la foi individuelle qu'il serait utile aux adver saires de la foi sociale de protéger, chez ceux-là du moins dont ils cherchent à disposer comme ils le trouvent bon.
Le principe anticatholique du doute s'exprime sociale ment par la reconnaissance de la liberté ou des libertés dont nousjouissons - qu'on nous pardonne ce mot déri soire. Or, la foi quelconque, que les non catholiques ap pellent à leur secours contre l'affaiblissement progressifdu catholicisme qui les effraye, si elle redevenait sociale, de vrait, comme toute foi, comprimer de nouveau les intelli gences, et cette compression , les libres penseurs n'en veulent pas, pour eux bien entendu, et ils ont raison.
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Mais y ont-ils bien songé? Ilsse sont moqués fort spiri tuellementdu Dieu de Moïse qui dit à Adam : « Tu neman geras pas du fruit de cet arbre, car tu deviendrais comme l'un de nous. » Ne font-ils pas de même lorsqu'ils en seignent les sciences acquises à la société, toutes les oreilles étant tendues,etqu'ils défendentauxcroyants d'écouter, de peur qu'ils ne deviennent comme eux les exploiteurs de la masse, de masse exploitée qu'ils étaient? Le langage que Moïse prête à Dieu, absurde en these absolue, nel'était pas
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Les libres penseurs ne peuvent point se charger eux mêmes de faire croire aux autres ce qu'ils ne croient pas, ce qu'ils ne veulent pas même avoir l'air de croire sincè rement,quoique,au moyen d'actescontradictoiresde la plusinsigne fausseté, ils en confirment la vérité par leur con duiteextérieure, etsurtoutparla direction qu'ilscherchentà imprimer à tous ceux qui dépendent d'eux. Ils reculent donc devant une besogne ridicule autant qu'ingrate. Maisles prêtres sont là. Et les prêtres croient, ou du moins agissent comme s'ils croyaient, ce qui revient exactement à la même chose pour le cas donné, et il leur sera facile defaire passer leurs convictions dans les esprits simples etdroits qu'on leur livrera pour les façonner.
du tout au point de vue où le législateur des Hébreux devaitnécessairement se placerà son époque. Le langage que tiennent les non catholiques est stupide, à notre époque comme à toutes les époques possibles, en these particulière aussi bien qu'en thèse absoluc. « Toute religion, a fort bien dit Condorcet, qu'on se permet de défendre comme une croyance qu'il est utile de laisser au peuple , ne peut espérer qu'une agonie plus ou moins prolongée. »
C'est fort ingénieux. Mais, de deux choses l'une : ou les prêtres demeureraient libres de croire et de proposer leur foi avec toutes ses conséquences, et alors, s'ils parvenaient au but vers lequel leurs adversaires leur permettraient de tendre, lepouvoir serait de nouveau à eux, et toute opposition à ce pouvoir redeviendrait vaine et dangereuse; ou les non catholiques se borneront à charger les prêtres du mandat impératif d'enseigner telle chose tout au juste, rien deplus, rien de moins. Eh bien , dès lors cene seront plus des prétres, ce ne seront plus même des croyants, ni des hypocrites faisant semblant de croire; ce seront des mis sionnaires du pouvoir, des professeurs en soutane, et nul n'ajoutera foi à leurs paroles, ne les croira sur parole, à moins qu'ils ne soient appuyés par le procureur du roi et
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les gendarmes. On le voit de reste : nos douteurs systéma tiques sont aussi incorrigibles qu'ils sont irrationnels! Lesprêtres ne peuvent pas accepter le marché de tromperiequ'ilsleur mettent en main, et s'ils l'acceptaient, ilsne ser viraient plus de rien à ceux qui repoussent le catholicisme.Pour ne laisser aucun doute à cet égard, disons ce que sont aujourd'hui dans la société et pour la société -- carce n'estjamais qu'au pointde vuesocial que nous considéronsle christianisme- d'abord les catholiques en général, puis et surtout les prêtres, tels que dix -huit siècles, tantôt de proscription, tantôt dedomination, tantôt de lutte, les ont faits, ettels qu'ils se montrent à nous dansles circonstancesoù nous nous trouvons, euxet nous.
On nous reproche d'insister à tout propos sur la déchéance et même sur la mort du catholicisme, qui cepen dant, fait-on remarquer, est vivace dans bien des esprits.Nous le reconnaissons volontiers : quoique le nombre de ceux qui professent sincèrementcette doctrine, c'est-à-direqui lui sacrifient les jouissances de ce monde, et qui luisacrifieraient jusqu'à la vie pendant laquelle on les goûte,devienne de plus en plus petit, néanmoinsil ya encoredevrais catholiques. Mais nous soutenons que, sous le rap port social , le catholicisme a succombé sans retour. Lapreuve que nous en donnons est sans réplique : la sociétéest devenue indifférente àlafoi qui ne peut plus rien pour elle;elle aéteintlesbûchersdel'inquisitiondontles flammesmaintenant, loin de consumer ses ennemis, la dévoreraient elle-même. Elle permet de croire; elle empêche qu'on ne force de croire. La déchéance sociale du christianisme et la ferveur de quelques chrétiens sont donc deux faits simul tanésqui nes'excluentd'aucunemanière.Nouslerépétons:nous ne jugeons pas ces faits; nous les constatons.Nous constatons aussi que le catholique sincère offre àlasociétéexistantedes garanties qui manquent complétement chezlelibrepenseur.Ledevoira, pourlecroyantdebonne
C'est toujours le Saint-Esprit agissant par des moyens dont la spiritualité est plus que contestable, mais ayant
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foi,unesanction inévitable,dont,ilest vrai, nous contestons laréalité,maisque,lui,ilaccepte commeréelleet irrefraga ble. Quant au libre penseur, il n'a rien que nous puissions contester : lui-même conteste toute chose, hormis ce qu'il éprouve, ce qu'ilsent, c'est-à-direses passions, sesbesoins, ses caprices, qui ne sanctionnent que le désordre. Passons au clergé catholique. amenénousCertes,lareligionromainen'offrepluslesabusgravesqueavonsflétrisavecl'histoire,etquiprécisémentontladécadencedecettereligionetl'abaissementdeses ministres. Ce quis'estconservé de ces abus a été profondé ment modifié par le temps et par l'habitude : ce sont des usages dont l'origineest impure, maisqui dans la pratique actuelle peuventêtre tolérés sansde notablesinconvénients. Nous ne donnerons en preuve que la simonie :sans nul doute, les dignités ecclésiastiques et par conséquent l'auto rité religieuse, depuis le plus haut rang jusqu'au degré le plus infime, s'achètent encore comme autrefois, si ce n'est pour de l'argent, du moins pour des services rendus ou promis, pour des actes de soumission et de complaisance envers les puissances dont elles dépendent d'une manière ou d'une autre; sans nuldoute, les choses appelées saintes, qui représentent aux yeux du fidèle la grâce de Dieu et le salut éternel, se vendent encore à beauxdeniers comptants. Mais ces dignités qui appartiennent à la hiérarchie, au moyen de laquelle l'ensemble du système religieux ne se disloque pas trop brusquement, font aussi partie du pou voir, dela force sociale,qui metàleurcoopérationles con ditions qu'il juge indispensables. Et quant aux grâces d'en haut, elles sont devenues la ressource des ministres du Seigneur, qui après tout doivent vivre d'elles si l'on veut qu'ilsrépandent sur les fidèlesla manne céleste que ceux-ci réclament et qu'eux seuls distribuent.
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actuellement pour excuse, on pourrait dire pourjustifica tion, que le siècle n'a laissé ouvertes devant lui que les voies temporelles exclusivement.
Remarquons, à cette occasion, la sagesse pratique de l'églisequi, dans tous les temps, a résisté à l'esprit d'inno vation pour les moindres choses comme pour les plus importantes, et qui a conservé, autant qu'elle l'a pu, sesusages en apparence les plus indifférents aussi bien que ses maximes fondamentales. Elle s'est constamment montrée plus jalouse encore, pourrait-on dire, de sa discipline que de sa doctrine. Et, convenons-en, si par exemple, à l'épo que du concile de Trente, cédant devant les demandes im périeuses des souverains, elle avait accordé le mariage aux prêtres, si plus tard, écoutant d'imprudents conseils, elle avait aboli le costume ecclésiastique, depuis longtemps il n'y aurait plus que des ministres du saint évangile; mais le clergé serait éteint etavec lui l'église. Ce ne sont plus les prêtres qui attaquent par la violence; la force leur a fait défaut : a-t-on le droitde leurreprocher qu'ils ont parfois recours à la ruse pour se défendre? La faiblesse n'a pas d'autres armes.
C'est à leur tour à subirl'attaque qui, il faut l'avouer, n'est pas toujours loyale : ne pouvant les condamner dans
Le clergé catholique a cessé de se montrer de nosjours tel que nous l'avons dépeint en rappelant à la mémoire le souvenir des temps passés. Il n'est plus, il est vrai, lecorps savant par excellence; il ne peut plus l'être, car la science lui est devenue hostile : mais la masse des fidèles est moins savante que lui, et c'est par là qu'il la domine. Au sein de lacorruptionuniverselle,saconduite,généralement parlant, est prudente, ses meurs sont régulières ; il respecte l'habit qu'il porte et qui le signale au public, où il sait que ses antagonistes et ses détracteurs suppléent au nombre parl'activité etl'acharnement, etsont toujours prêts à traduire l'ombre d'une faute en un crime irrémissible.
ce qu'ils sont, on recherche ce qu'étaient leurs devanciers. Nous l'avons fait aussi, mais dans le seul intérêt de la vérité et pour le triomphe de la raison, non pour en faireun crime à ceux quine sont comptablesquede leurs intenNous laissons au Dieu de la révélation la jus tice relative aux besoins de son temps, celle qui fait punir les enfants des péchés de leurs pères.
L'objection que nous réfutons est sans valeur pour qui conque comprend que notre ordre social est faux tout en tier : qu'il repose sur les nécessités contradictoires de con server ce qui existe pour ne pas tomber immédiatement dans l'anarchie, et de renverserau plus tôtce qui estparce que c'est déjà de l'anarchie en progrès accéléré; de maintenir les masses le plus possible dans l'ignorance afin de les trompersurleurmisère et de lesempêcherdetoutbou
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Mais, disent les ennemis du clergé romain, les prin cipes professés par les prêtres catholiques sont erronés; le point de départ de leurs raisonnements est faux; leur système engendre nécessairement, dans l'application, lesabus et les désordres. - C'est possible, répondrons-nous; mais le siècle où nous vivons, tolérant forcément tous lesprincipes, parce qu'il est incapable d'en établir aucun au détriment des autres , n'en reconnaît ni de faux, ni de vrais, ct par conséquent permet de les affirmer et de les nier lous; le raisonnement peut partir de tel point qu'il lui plaît d'adopter, et développer librement le système qu'il a embrassé, sans que la société ait le droit de s'en plaindre. C'est absurde, nous en convenons; mais c'est ainsi : nous devons cette confusion au protestantisme, d'abord religieux, puis politique, enfin social, et l'examen sans contrôle, la liberté, le doute continuent à la rendre inextricable. Pour maintenir, tant bien que mal, un reste d'ordre, la sociétén'a que l'appréciation des actes,de quel que principe qu'ils procèdent d'ailleurs, et leur qualification préalable par la loi.
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leverser, et de les éclairer le plus possible afin que leur activitécontinue à imprimerà cetordre le mouvementdont il a besoin. A coup sûr, ce ne sont pas les prêtres qui, dans un pareil état de choses, précipitent la ruine de la société. Ils auraient bien au contraire empêché cette ruine si on leur en avait laissé les moyens. Soyons donc justes à leur égard, et bornons-nous à dire que le pouvoir d'empêcher la société de se perdre de la manière qu'ils l'entendentne pouvait leur être laissé, parce que lasociété devait, un peuplus tôt, un peu plus tard, étre organisée dans l'intérêt de la vérité et de lajustice, après que l'anarchieaurait démon tré aux hommes que le seul ordre stable est l'ordre con forme à la raison .
Ce qui tourmente le plus les adversaires du principecatholique, c'est la peur de voirleshommes de foi repren dre leur ancienne prépondérance dans la société. Ils ne se demandent pas d'où cette prépondérance était née. Cepen dant,sielle leurvenait d'ailleurs que de la foi sociale,pourquoi la redouteraient-ils? et si la foi sociale était son uni que source, ils n'ont que faire de la redouter : la oi, mortesocialement, n'a plus quela puissance illusoired'un souve nir. Mais, à une époque où toute autre certitude échappe, on tient essentiellement aux jouissances de la vie, et cesjouissances nul ne l'ignore, car toutes les méditations sont dirigées sur cet objet -- sont le partage exclusifdes puissants et des riches. Il faut donc empêcher à tout prix que l'église, en redevenant riche, ne redevienne puissante etforte, ce qui de nouveau la rendrait maîtresse, non-seu lement de son troupeau de fidèles, mais encore de tout le troupeau social. L'église, dit-on, prend et ne rendjamais : il faut donc défendre qu'on lui donne. Une fois en main morte, la propriété du sol n'en sortirait plus,Et cependant- c'est une réflexion qu'on oublie de faire -elle en estsortic. Quand les voleurssont lesplusforts,il n'ya pas d'autre propriété que celledu vol. Mais ne récri
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- Mais les prêtres sont habiles à posséder le sol, chacun en son propre et privé nom; seulement ils ne le peuvent plus lorsqu'ils sont plusieurs réunis et unis.
- Si la propriété foncière tombait en mainmorte, l'état ne percevrait plus sondroit de mutation.
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Si la chosc était ainsi, il faudrait commencer par effacer de toutes les constitutions, soit la qualité de citoyens qui, sans cela, semble appartenir aux prêtres comme à leursantagonistes, soit le droit des citoyens sans distinction à acquérir des propriétés immobilières et à en disposer comme il leurplaît.
minons pas. Contentons-nous ici d'exposer les contradic tions flagrantes de l'état actuel des choses, en examinant en peu de motsles loisattentatoires àlalibertéindividuelle, à celle des intelligences et à la propriété elle-même, sans laquelle il n'y a de liberté réelle d'aucune sorle, lois, s'il faut en croireles noncatholiques,qui n'ontd'autrebutque de sauvegardertoutesleslibertés, ens'opposant à ce que la propriété aille s'engloutir dans le gouffre clérical de la mainmorte.
C'est-à-dire qu'ils perdent un droit en usant d'un autre : ils peuvent acquérir isolément et s'associer; mais s'ils s'associent, ilsne peuvent plusposséder tous ensemble. C'est singulier.
- Ehbien, faites une loi fiscale, mais purement fiscale. Dites : « la perception dudroitde mutation estindispensa ble à l'état; frappant les propriétés foncières qui changent de mains, par successions, ventes, donations, legs, etc., ilproduitannuellementen moyenne..... %de leurvaleur; nous aurions voulu donner un chiffre approximatifquelcon. que; nous n'avons pu l'obtenir : il nous parait cependant qu'il doit être facile de ledéterminer;-en conséquence,les mainmortables payeront chaque année de ce chef..... pour les immeubles qu'ils possèdent. » Vous aurez ce qui vousrevient, et l'équité sera sauve.
II . 34
Et quant à votre crainte réelle ou affectée, cellequeles
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-Ou vous ne pensez pas un mot de ce que vous affirmez, etnousn'avons rien à vousapprendre à cet égard ; ou vous le croyez, et, excusez la franchise, vous êtes de grands sots. Si ce que vous dites était vrai, la foi dominerait encore, et vous vous donneriez bien de garde d'argumenter contre ses ministres. Ils deviendraient du moins bien opulents etbien forts. Ils deviendront toujours aussi opulents que le vou dront ceux qui croient et qui auront les moyens de les aider. Tant que les fidèles seront convaincus qu'ils ont in térêt à donner à l'église, ils lui donneront, d'une manière ou d'une autre, en titres de propriété ou en billets de banque, toutcomme vous donnez à vosparents, à vos amis cl à vos maîtresses. Chacun détermine son intérêt comme il l'entend, et avec le même droit. L'un achète des palais et des terres dans ce monde, l'autre s'assure une place au pa radis; celui-ci arrache son prochain à la misère, celui-là le tire du purgatoire. Dans tout cela, vous n'avez rien à voir. Vous auriez les moyens de l'empêcher, que vous ne lefericz qu'en violant les droits les mieux garantis par vous-mêmes. Mais vous ne l'empêcherez jamais. On vous forcera la main ou on vous trompera. C'est affaire d'opinion. A l'opinion dont vous nevoulez pas,opposez celle quivous paraitpréfé rable.Maisnefaitespasintervenirlaforce.Quoi! l'inquisition de la foi n'a pu avoirraison de vos idées, et vous voudriez quevos lois d'un jourtriomphassent de celles de vos adver saires! Vous ne parviendrez pas à changer les opinions par des décrets, ni à faire plier la volonté de l'homme, même mourant, par des restrictions légales, ni à réglementer la charité qu'inspire ledévouement ou la dévotion.Toutesvos dispositionsdansce sens seront éludécsjusqu'à ce qu'onles renverse .
- Si cesystème était appliqué, le paysentier appartien draitbientôt aux prêtres.
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Mais à ceux qui croient avoir besoin d'autre chose encorequedepain, qu'est-ce que vos hospices ont à leur donner? Vous leurdirez quequandon estnourri,chauffé et abrité,tout hesoin réel est satisfait. Soit. Mais il faut le leur dé montrer, et vousn'yparviendrez pasplusqu'euxà vousdémontrer le contraire. Laissez donc les hospices spirituelsqui servent derefugeauxcroyants, au même rang oùvousplacez vosbureaux de bienfaisance;permettez qued'autrestranquillisent les consciences , tandis que vous calmez lafaim .
Le beau résultat vraiment quand, au lieu d'un clergé, propriétaire foncier, vous aurez fait un clergé capitaliste!Le prêtre attaché au sol vous aurait ménagés vous-mêmes, malgré vos agressions, et vous seriez devenus moinsagres seurs avec lui. Les congrégations auraient évité jusqu'auplus léger prétextede se faire expulser d'un pays dont les intérêts eussent été les siens. Mais vous voulez que, si vous
catholiquesneredeviennent forts, cedevraitêtre au nom du catholicisme redevenu lui-même principe social. Or, pour la millième fois, cela est impossible. Comme pro essant une opinion individuelle, les catholiques eux-mêmes se croient si peu forts, que nul d'entre eux n'ose faire éclater sans réserve le courage de son opinion ; nul n'ose invoquer l'exercice completde tous les droits que notre sociétéanar. chique est obligée, sous peine d'une catastrophe immé diate, de reconnaître à tous lesopinionistes.Mais et nous en reviendrons toujours là, ce n'estpas àlamainmortequevousenvoulez; c'estausacerdoce.Vous leredoutez,etvousvoulezlepunirdelapeurqu'ilvousfait. Vos administrations de bienfaisance sont aussi de main morte, et cependant vousfavorisez sans crainte l'accroissement de leur propriété. Celles-là du moins, dites-vous,rendentdesservices à l'humanité. Nous ne lecontesteronspas : après s'être enrichies au nom des pauvres, elles viennent au secours des pauvres qu'elles ont contribué à faire.
- Ceci est une autre question. Assurément, ce n'estpas nous qui défendrons les doctrines du catholicisme; nous avons passé notre vie à en faireressortir la vanité, et nousen avons démontré le danger à dater du jour où la société a cessé de vouloir parce qu'elle avait cessé de pouvoir les protéger par sa force, où chacun a eu le droit de les saper par l'examen et la discussion. Mais nous soutiendrons toujours que, puisque le catholicisme n'a pu être combattu qu'en vertu de la liberté des opinions, lui-même a dû con server intacte et inviolable la liberté de se maintenir comme opinion , et d'appeler au secours de cette opinion menacée la parole, la presse, l'enseignement, la prédication, le con fessionnal, les consciences faites ou à faire, l'association, la propriété, tous les droits en un mot dont l'état des esprits impose le libre exercice et que la loi écrite n'a pas été assez inconséquente pourcomprimer.
Nous avons crié sur les toits, et nous crions encore :Guerre au catéchisme! mais nous nous sommes empressé d'ajouter et nous ajouterons toujours : Paix à ceux qui le débitentet lepropagent!Car, demêmequenous avonsdroità ce qu'on ne mettepasnotrebonne foien doute, de même
les renvoyez, prêtres et moines s'en aillent, simples ban quiers, le portefeuillesous le bras, emportant vos richesses à l'étranger. Il ne leur importe guère d'êtrechez vous plu. tôt qu'ailleurs : àla moindre contrariété, ils partirontsans hésitation et sans regret, toujours sûrs de trouver partout, pour votre argent, une existence plus libre et plus douce. En vérité, on est honteux de devoir le répéter : l'iniquité etla stupidité sont synonymes.
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Vous ne disconviendrez pas toutefois que les moyens d'acquérirqui sontàla disposition du clergé ne supposent chez ceuxqui se laissent dépouiller parlui un manque com plet de bonsens, et que les grâces vendues par les prêtres sont du poison pour l'esprit tout comme les drogues descharlatans sont du poison pour le corps.
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Supposons un moment, contre toute vérité, qu'en fai santdes catholiques une catégorieàpart,privée decertains droitscommuns, parce qu'onsuppose qu'ils enabuseraient, on parvienne à affaiblir progressivement, et en dernièreanalyse à renverser le catholicisme : ce serait cettefois-ci comme opinionindividuelle qu'il tomberait, carnous avonsdémontré surabondamment que le principe catholique avait perdu toute force sociale , et il ne se relèverait plus. Que deviendraientalorsles librespenseurs?ils seraientdemeurés seuls sur le terrain : que feraient-ils? ilsseraient restés les maîtres. Nous parlonsici des hommes dujour,qui n'ontde positifquelanégationdelafoi;qui n'affirmentqu'unechose exclusivement, c'est qu'il n'y a pas la moindre certitudequ'on puisse affirmer quelque chose. Eux-mêmes déjà, ef frayés de leur impuissance, de leur nullité, au milieu duvide qui se fait autour d'eux, se livrent en désespérés à l'absurde tentative de remplacer, comme principe unitaire de la société, le catholicisme obligatoire de la foi par une
Les conditions sont égales et resteront égales des deux parts, pournous qui signalons le catéchisme comme un re cueil d'erreurs, et pour ceux qui le dé endent comme lecode de la vérité, jusqu'à ce qu'ils yaient soumistoutes lesintelligences, ouquenousen ayons détaché le dernierpar tisan. Il est désormais d'une évidence palpable que les hommes qui, nous ne disons paspersécutent,mais seulement vexent et gênent les fidèles et leurs prêtres, dans l'exercicelepluslarge de tousleursdroits, sontlessoutiensles plus réels du catholicisme, dont le dernier souffle n'estplusprotégé queparlalibertéà laquelletout homme tientpar sentiment, cellededemeurerdans l'erreur, libertécorrelative à la possibilité d'acquérir la connaissance de lavérité.
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il est de notre devoirde croire, jusqu'à preuve évidente du contraire, àla bonne foi de ceux qui ne pensentpascomme nous .
Et qu'il fautse hâter de le demander, pourque la désor ganisation ne devienne pas de plus en plus effrayante, depeur que lasociété ne périsse.
Il n'y a pas là de contradiction : c'est une vérité qui cho queencore bien des intelligences, mais nous pensons, avecle comte de Maistre, que, fût-elle repoussée par le genre
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Répondons brièvement, en terminant ce paragraphe, au reproche qu'on ne manquera pasde nous faire. Vous avancez, nous dira-t-on , qu'avec la foi la société maintenait l'ordre, et toutes vos paroles tendentà démontrer quelafoi cst contraire à la raison, qu'elle est absurde.
foiindividuelleetparconséquentfacultative, qu'eux-mêmes ne déterminent pas, et qu'ils font marchercôteà côte avec la liberté anarchique de tout examiner, pour examinerseulement. C'est vouloir, en d'autres termes, que la population d'un hospice d'aliénés y établisse et y maintienne l'ordre, après qu'on a suppriméles douches, lacamisolede force, les employés et le directeur. L'épreuve ne serait paslongue : bientôt les aliénés périraientensevelis sous les dé combres de l'hospice qu'ils auraient détruit.
Nous nous expliquons : Il faut de l'ordre pour que la so ciété existe, et cet ordre ne peut résulter que de la vérité servant delien auxhommes, soitd'ailleurs qu'ils possèdent cette vérité, soit qu'ils croient fermement la posséder. La société future connaîtra la vérité; la société passée croyait la connaître ; la société présente aperdu cette foi. Mais ceux de ses membres qui ont conservé individuellement la foi dont nous parlons espèrent encore pouvoir la relever so cialement, etconséquemment rétablirl'ordreparelle. Nous regardonscommeundevoirdedétruirecetteillusionfuneste,enleurprouvantquelacroyanceincompatibleavecl'examen qui est devenu incompressible, ne peut plus servir de base à la société, et que par conséquent, l'ordre étant indispen sable, c'est au raisonnement seul, à la raison, qu'il fautledemander.
Les philosophes du xvme siècle, nous l'avons déjà dit, ont préparé la révolution de 1789; mais les raisonneurs du xviº avaient aplani la voie aux philosophes qui allaient les suivre, les réformateurs religieux avaient rendu iné vitables les réformateurs politiques, et la nécessité de con naitre pour agir, de discuter pour connaître, de comparer, d'examiner pour discuter, avait porté à tout réformer, à toutchanger, à tout bouleverser,même avant de riensavoir.
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humain tout entier, il y a obligation pour celui aux yeux duquel elle est conforme à la raison, de la dire en face de l'humanité.Voltaireet
nous caractérisons le xviiiº siè cle, comme ont les catholiques, par ces deux noms quiexpriment les efforts les plus efficaces pour déchaîner des esclaves animés par le seul désir de se venger de leursmaîtres Voltaire et Rousseau n'ontvoulu voir dans l'his toireducatholicisme queseserreurs et ses abus. Nousaussi nous les avons vus, et nous les avons rapportés fidèlement. Mais, pour porter un jugement impartial, nous avons cru devoir remonter plus haut. Le mal, depuis l'origine jusqu'à nos jours , c'est l'ignorance sociale. Et le catholi cisme, commeloutes lesrévélations,a cherché à y remédier. Il a réussi tant qu'il a pu empêcher quela discussion ne dé montrát qu'il n'avait point mission de tromper le monde, mêmepour y entretenirla paix. L'ignorance dure toujours, et toutes les révélations étant devenues impuissantes pour en conjurer les conséquences fatales, il s'y est surajouté la confusion desespritsque l'anarchie dansles faits ne tarderaguère à suivre.
Le bouleversement est à son dernier période, car il mc nace les éléments mêmes de la société : les socialistes irra tionnels ont succédé aux révolutionnaires de 1789.
Les plus hautes questions, celles qui intéressent chaque homme,demeurentsanssolution commune.Aussi,en déses poir de cause, ledébat intellectuel n'embrassc-t-il plus que
Rousseau
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les questions de pouvoir et d'argent : l'art de gouverner, comme l'artdedirigerchacunsa conduite, iln'yapasdescience; il n'y a plus defoi; l'art seul est de rigueur se résume dans le plus ou moins d'habileté de dissimulerla cupidité et l'ambition sous les dehors des intérêts de la justice et de l'ordre. Verbiage parlementaire, vanterie mi nistérielle, hypocrisie privée, tout roule sur cet escamotage des esprits qui cherchent à se tromper les uns les autres,et qui, finalement, seront tous trompés s'ils ne mettent fin à cette anarchique comédie.
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CONCLUSION .
Pour l'homme, la science principale, nous disons fran chement la seule science importante, est celle de l'homme.Sommes-nous des réalités, et pouvons-nous acquérir une certitude complète à cetégard, en d'autres termes, sommes nouset pouvons-nouspertinemmentsavoirquenoussommes autre ontsontnotrechosequecequenousparaissonsêtreparnotreforine,organisation,notrevie,lesquellesévidemmentnequ'apparentespuisqu'ellessonttransitoiresetqu'ellesleurcommencement,leurduréededéveloppementet de déclin, et leur terme final; sommes-nous, outre cette manifestation successive et passagère, des êtres persistants, indécomposables, simples, éternels, en un motréels? Dans la réponse à cette question se trouvent la métaphy sique tout entière, la morale, la religion etla société, et il
CHAPITRE XXXII.
L'affirmationsur laquelle le christianismeavait hypothétiquement basé lascience de l'homme, celle qui lui fait connaître son essence et son devoir, est morle socialement avec la foi catholique, depuis qu'elle est tombée dansle domaine del'examen public : cettescience ne peutplusdésormais être fondée que par une démonstration incontestablesurla détermina tion de la vérité .
Et chaque homme obéit à sa conviction , qu'elle lui vienne d'ailleurs de la foi ou du raisonnement, si cette conviction est sincère et profonde. L'homme qui n'a pas de conviction arrêtée, n'a non plus point de règle de con duite, et une société formée d'hommes sans règle de con duite est dépourvue de toute garantie de stabilité.
402
n'y a de société, de religion, demoraleet demétaphysique, quesi cetteréponse estaffirmative. Car l'intérêt propre qui détermine les actions de chaque homme est essentiellement différent s'il ne connait d'autre but à son existence orga nique que cette existence elle-même, ou s'il sait que son devoir, toujours identique à travers toutes les existences possibles, est de sacrifier ses jouissances fugitives et illu soires à son immuable destinée.
Toutes les révélations connues, évidemment combinées par l'homme pour l'homme, et la révélation chrétienne mieux qu'aucune autre, ont supposé ce qui indispensable ment devait être cru vrai pour qu'il y eût société. Par la foi au christ, principe de justice et de vérité, il y a eu pen
Or, cen'estqu'au pointde vuede la stabilité que la société peut être appelée réelle : la société, c'est l'ordre général entre les membres qui la composent, c'est l'unité par le raisonnementde chacun, qui est nécessairement dirigé dans le sens de ce que chacun considère comme devant lui pro curer la plus grande somme de bien-être. Eh bien, si ces raisonnements individuels ne convergentpastousversleseul point qui puisseleurêtrecommun, c'est-à-dire que l'intérêt suprême de chacun estde sedévouerpourlebonheurdeses semblables, l'unité s'évanouit, et la société dégénère, dansun temps donné, plusou moins rapidement, en une arèneanarchique de violences et de mensonges, où tantôt op presseurs, tantôt opprimés, aujourd'hui trompés, demain trompeurs, chacun estpoursoi seul contre tous les autres,où personne n'est heureux et où tout le monde souffre, véritable enfer à sa plus haute puissance.
La foi est donc morte en sa qualité de principe social , et à moins que le raisonnement ne réussisse à démontrer in contestablement les vérités essentielles à la constitution de l'unité et à la conservation de l'ordre, il faut que la société se dissolve, succombe, et que l'homme, comme homme, end'autrestermescomme ayantacquis tout son développe mentdans la société, comme usantdela raison, disparaisse du globe, où, l'intelligence s'étant évanouie, il ne restera que la vie et le mouvement.
403
A moins que le raisonnement ne démontre à la dernière évidence, d'une part la vérité de ce que l'éducation sociale inculquaitjadis à l'enfance, savoir, que l'homme est un élre libre et par conséquent responsable de ses actes, d'autrepart la fausseté de ce que l'instruction sociale établit de nos jours pourla jeunesse, dans toutes les écoles, où, conserva teurs aussi bien que progressistes, catholiques aussi bienque libéraux, enseignent plus ou moins explicitement que la nature, qui comprend tout, est une essence unique sousla multiplicité de ses diverses manifestations, l'humanité marchera à grands pas vers son anéantissement.
Il n'y a point d'autre alternative : puisque la société nc peutplus forcer l'homme à accepter sur parole le devoirdu dévouement, elle doit lui prouver que ce devoir est réelle
dant des siècles l'unité catholique, autour de laquelle se sont groupés les peuples qui professaient la doctrine des sectateurs deJésus, interprétée d'abord parles assembléesdes élus de leur église, ensuite par le chef suprême et ab solu decette église. Mais, ainsi que nous l'avons vu, la conservation de la foi exige , comme condition sine quâ non ,ladéclaration que le moindre examen du principesurlequel la foi repose sera considéré comme un sacrilége et puni enconséquence, et ainsi que nous l'avons vu également, la sociéténeveutplus, ne peut plus vouloir comprimer l'examen, de la pleine et entière liberté duquel elle a désor maisbesoin pour se maintenir, pour exister.
ment obligatoire parceque l'homme lui-même est réel, et que le raisonnement, réel dès lors aussibien que l'homme,rend ce devoir également réel , en établissant par un en auchaînementdepropositionsirréprochables,toutesidentiquespointdedépartquiestlesentimentdesapropreexis tenceet, parconséquent, aussi certaineque ce sentiment lui même, que safidélité au devoirseraindubitablement récom pensée, que la violation du devoir sera inévitablement punie.
Lesunitéspartiellesdel'humanité,lessociétés, deviennent de moins en moins possibles; car les relationsentre tousles peuples de la terre ne pourront désormais pas plus être empêchées quelalibreactivité des intelligences chezchaque peuple ne peut être comprimée. Il n'y a donc plus lieu à une unité juive, chrétienne, mahometane, chinoise ou indoue, et bien moins encore à une unité allemande,anglaise, espagnole, francaise ou italienne. L'ordre social futur sera fondé sur l'unité humanitaire, constituant lasociété, comme celte unité sera établie par l'incontestabilité de la vérité, par l'établissement irrécusable de la réalité du droit. .
404
FIN
Deux papes Pages . Pages .
DEUXIÈME PARTIE.
35 1 1 +
CHAPITRE XIII .
1
CHAPITRE XIV.La réforme en Bohème . ib . Communion sous les deux espè FIN DU XVE SIÈCLE. 35 ces . 10 Les succès des Turcs, favorisés Lespères deConstance font bru parlesguerresentrechrétiens. ib. ler Jean Huss et Jérôme de Le vaniteux Paul II . 36 Prague. 11 Sixte IV et ses enfants . 37 S 2. LES UTRAQUISTES. 12 Conjuration des Pazzi. 38 Ziska . 13 Excommunication des Vénitiens. 40 Guerre barbare . 14 L'église et la prostitution. 42 Les deuxProcope. 15 Les enfants d'Innocent VIII. 43 Le concile de Bale . 16 Compactata. 17 CHAPITRE XV. Mauvaisefoi pontificale. 19 SAVONAROLE. 45 CHRISTIANISME , II ,
CONTENUES DANS CE VOLUME .
LES PAPES ET L'ÉGLISE . LE22 PAPE . Martin V repoussetoute espèce( SUITE . ) de réforme. 23 Concile de Bâle . 25 CHAPITRE XII . Lepape, humilié. 26 Antagonisme entre le pape et leNOUVEAUX RÉFORMATEURS . concile . 28S fer. WiCLEF, JEAN HUSS ET JÉ Concile de Florence . RÔME29 de PRAGUE . 5 à la fois . 30Conciles ecuméniques de Vi Nicolas V met fin au schisme. 32cence,dePiseetdeConstance. 6 Pie II . Doctrine34 de Wiclef . 7 Les lollards, persécutés. 8
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE XVIII . del'empire. 84 SCHISME D'ANGLETERRE . Henri VIII, défenseur de la foi. 85 Sier . Henri VIII . 122 Les cent griefs des Allemands. 86 Ses amours . ib . ces .
-406 Pages . Pages .
Frère Conecte . 46. L'anabaptisme. 87 Savonarole , réformateur poli- Atrocité des supplices. 89 tique et religieux. ib. Le lutheranisme en Italie. 91 Manie de rigorisme à Florence. 47 Lesprotestants. 92 Les franciscains prennent parti Ligue de Smalkalde. 94 contre Savonarole . 49 Aveux des cardinaux. 95 Il est condamné et brûlé . 50 La réforme au Danemark . 96 Bigamie du landgrave de Hesse. 97 Colloque entre lescatholiques etCHAPITRE XVI . les protestants. 98
Opposition des pères espagnolsGRANDE RÉFORMATION . 114S 1er. LES INDULGENCES. 74 aux prétentions romaines. Demandes de l'Allemagne. 115Lecatholicismeayantlaréforma 116 tion . Les jésuites.75 117 Abusdes indulgences.
ALEXANDRE VI , JULES II , S 3. LES PROTESTANTS ET LE con LÉON X ET CLÉMENT VII . 52 CILE DE TRENTE . 99 Charles VIII en Italie . 53 Intriguescléricales pour neutraLepapeempoisonneZizim ,frère liser le concile . ib . de Bajazet. 54 Progrès du protestantisme. 102Louis XII, allié d'Alexandre VI. ib . Travaux des pères assemblés. ib Scandaleuse famille du pape. 56 Guerre politique, sous prétexteJulesII attaque Venise. 59 de religion. 104 Il se tourne contre les Français. 60 Le concile veut secouer le joug Louis XII le fait déposer. 63 pontifical. 106 Politique versatile de Léon X. 65 Intérim de Charles-Quint. 107 Scènes de carnage en Suède. 68 Liberté des deux cultes en Alle Adrien VI . 69 magne Clément. VII et les Colonna . ib . $ 4. LE CONCILE DE TRENTE ET LESCharles-QuintfaitsaccagerRome. 70 CATHOLIQUES . 111 Le pape se venge sur Florence, L'inquisition étouffe le luthéra sapatrie. 72 nisme en Espagne. 112 La France penche vers la ré CHAPITRE XVII . forme. 113
Clôture du concile de 76Trente. Vicissitudes da lutheranisme. 118Tarif despéchésetdes péniten 77 Le protestantisme mène irrésis
Léon X comble la mesure . 109 81 tiblement au doute universel et120 absolu S82. 2. LUTHER . Léon X combat Luther . 83 Le réformateur est mis au ban
407 W ENFIN varre . : 133 Pages . Pages.
Clément VII l'excommunie. 124 CHAPITRE XX . Bulle terrible de Paul III . ib . L'EUCHARISTIE .L'Angleterre schismatique de § 1er . LES SACRAMENTAIRES . 152meure dans l'orthodoxie. 125 Lacommunion. ib . $2.L'ANGLETERRE D'ABORDRÉFOR Le moine Ratramne . 154 MÉE , PUIS CATHOLIQUE , Bérenger. 155 ANGLICANE . 126 Édouard VI ouvre la porte à la Saint Grégoire VII doute de la réalitédelaprésencede Jésusréforme. ib . Christ dans l'eucharistie. 156Marie la Catholique. 127 $ 2. LE ZWINGLIANISME. 157Supplices accumulés. ib . Luther soutient la présence corÉlisabeth fonde l'anglicanisme. 128 porelle. 158 S 3. LES STUARTS . 129 La Suisse, zwinglienne. 159Marie d'Écosse. ib . La réforme en France et en NaConspirations catholiques. 130 160Sixte-Quint excommunie Élisa Supplices. 161 beth qu'il admirait. 131 S 3. LE CALVINISME . ib .JacquesJercombatlesdissidents. ib . 162Charles Jer se rapproche du pa Despolisme de Calvin. HenriIIrégulariselapersécutionpisme. 132 des calvinistes. 163Cromwell. Guerre de religion. 164Charles II et la Cabale. 134 Colloque de Poissy. 166 Constitution de 1688 . 136 S 4. MASSACRES. 168 Progrès de la tolérance pour les Vassi . 169catholiques. ib . Charles IX . 170 Horreurs commises des deux CHAPITRE XIX . parts. 171 LES PAPES DE 1550 A 1600 . 139 La Saint- Barthélemi . 172 Paul III lance la bulle In cona $5. LARÉFORMATIONAUXPAYS-BAS. 174 Domini . 140 PersécutionssousCharles-Quint. ib. Ses fils. 141 Supplices sous Philippe II. 175 Chaque pape dépouillelafamille ib . desonprédécesseurpourenri- Le duc d'Albe . 177 chir la sienne . ib. 56.LALIGUECATHOLIQUEENFRANCE, Paul IV et Charles-Quint aux ET LA CONFÉDÉRATION CALVINISTE prises. 143 AUX PROVINCES-Unies. 178 Extravagance du pape. 144 Les Guises . 179 Aonius Palearius . 147 La guerre aux Pays-Bas. ib . Correction de la bible et du ca- Le duc d'Anjou est chassé d'An lendrier. 148 181 Dureté de Sixte-Quint. 149 Bulle de Sixte-Quint contre les Influencefunestedesjésuites sur Bourbons . 182 le sort dela Pologne. 150 Henri III, assassiné. ib . Les gueux. vers .
LaFrancerépudielesprétentions CHAPITRE XXI . despapesà l'omnipotence. - ib . L'orthodoxie russe et DIEUl'ortho , UN OU PLUSIEURS . S fer . LA SAINTE - TRINITÉ . 191 doxie romaine , 216 Qu'est-ce qu'un mystère? ib. Mariages et divorces du duc de Roscelin deCompiègne. 193 Lorraine . ib . Abailard . ib. La guerre de trente ans. 219 Gilbert de la Porée . 194 Innocent X confisque Castro et Éon. ib . Ronciglione. 220 Les anabaptistes. 195 Style des bullespontificales. 222 Michel Servet . 196 Doctrine obligéedusaint-siége. 223 Calvin le fait brûler . ib. Déclarationduclergé deFrance. 224 Les quasi-déistes de Vicence. 197 Louis XIV brave le pape dans S 2. LE TRITHÉISME ET LE MONO Rome même . 225 THÉISME . 199 Ilrenonceaux libertésdel'église Lélius Socin . ib . gallicane. 226 Gentili , 200 Alciati . ib . Lismannin . ib . CHAPITRE XXIII . Autres unitaires . ib . LE LIBRE ARBITRE . La Pologne, arienne. 201 S 1er. LA PRÉDESTINATION ET LE L unitarisme enTransylvanie. 204 CATHOLICISME . 228 $3. Fauste Socin. 205 Incompatibilité de l'existence Union des antitrinitaires. 206 personnelle de Dieu et de la Malheurs de la secte . 207 liberté réelle chez les hommes . ib . Sociniens remarquables en Po- Gothescalc . 229 logneet en Transylvanie. 208 Fatalistescatholiques. 231 Catherine II, sous prétexte de Luther,Zwingle etCalvin. 232châtierlescatholiques intolé- Michel Baïus. ib . rants, ravage la Pologne où CongrégationDeauxiliis. 234
CHAPITRE XXII . doute,en France et aux Pays LE XVII SIÈCLE . 214 Bas . ib . Excommunication effroyable des Vénitiens . 215
Divorce du roi . 186 Sociniens d'Allemagne et des LecardinaldeRichelieupoursuit Pays-Bas. 210 les huguenots comme rebelles Vicissitudes du socinianisme en et les protége comme héréti Angleterre. 211
Camisards . ib . La tolérance imposée par le
Leduc de Parme .
ques . 187 Le déisme. 212 Révocation de l'édit de Nantes. 188
183 elle introduit l'intolérance Henri IV abjure le calvinisme. 185 moscovite . 209
408 Pages . Pages .
L arminianisme, condamné au La franc-maçonnerie. 268 synode de Dordrecht. ib. L'illuminisme. 269
ib . de Jésus . 282 Les jansenistes hollandais. 257 Les jésuites se relèvent. 284 S 5. LES PARLEMENTAIRES . 259 Refus de sacrements . ib . Attentat de Damiens . 261
Le pape et la guerre de succes marus . ib . sion . ib . Hugo Grotius. 238 Monarchie sicilienne. 266 Maurice de Nassau sacrifie Bar
Les contre - remontrants de Go
Arminianisme anglais et fran- Benoit XIV . 270 çais. 241 Le saint-siége déclare la guerre Les esprits se calment. 242 aux philosophes. ib . $ 3. LE JANSÉNISME. ib . Jansenius . 243 Les jésuites l'attaquent. ib . CHAPITRE XXV . Les cinq propositions. 244 LES JÉSUITES . 272Lettresprovinciales. 246 Ils se posent en champions du L'abbaye de Port-Royal. ib . pouvoir pontifical. 273 Lamorale desjésuites, condam- Leurs concessions en Chine . ib . née . 247 Les dominicainsl'emportent sur Traduction de la bible. 248 eux . 274 Tromperies théologiques. 249 Les rois se déclarent contre la Le père Quesnel. 250 compagnie. 275 $ 4. LES APPELANTS . 251 En Portugal, le ministère la Fénelon, persécuteur. ib . chasse. ib . Bulle Unigenitus. 253 En France,le parlement la conAppel au futur concile. ib . damne et la supprime. 276 L'abbé Dubois . 254 Clément XIII élève les jésuites Lejansenisme seconvertiten dé aux nues . 278 mocratie . 255 Ils sont expulsés partout. 279 Miracles du diacre Paris . 256 ClémentXIVabolitlacompagnie Convulsions .
Nouvelle transformation du jan L'AMOUR PUR . sénisme . 262 S 1er. HÉSYCHASTES D'Orient. 286 Lesjansenistes d'Allemagne, d'l- Les contemplatifs. ib . talie etd'Espagne. ib. Lemoine grec Palamas accorde Le prétre Malanima, condamné lavisionbéatifiqueauxvivants,pour avoir voulu sauver les et le pape Jean XXII la refuse enfants morts sans baptême. 263 aux morts . 287
Les papes à la remorque desnevelt à son ambition . 239 sonverains. 267
409 Pages . Pages .
$2. LA PRÉDESTINATION ET LA RÉ
FORME . 235 PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIIe Arminius et les remontrants . 237 SIÈCLE . 265
CHAPITRE XXVI .
CHAPITRE XXIV .
LES ROIS DÉNOLISSENT L'É- Réaction politique et religieuse 306 en Italie . 334Joseph II et Léopold d'Autriche. ib . Concile de Paris . 336 Pie VI va à Vienne . 308 Concordat entrelepape et la ré Le congrès d'Ems. 309 publique française. 337
L'Italie demande des réformes . 310 L'évêque Ricci en Toscane. 311 Soulèvement des Pays-Bas au CHAPITRE XXX. trichiens . 312 NOUVELLE LUTTE ENTRE LE Les princes réformateurs recu UNITAIRE lent devant le grand mouve THOLIQUE ET L'ANARCHIE ment de France . 314 DES ÉGLISES NATIONALES . 338 Articles organiques du concor dat . ib .CHAPITRE XXVIII . Le catholicismeen Allemagne. 340 LES PEUPLES DÉMOLISSENT Anticoncordatisme. 341 LA ROYAUTÉ . 316 Pie VII sacre Napoléon. ib . res . GLISE .
- 410 319
S 2. Le QUIÉTISME Latin. 289 lion populaire. 317 Saints et saintesquietistes. ib. Les étals généraux se convertis Les alumbrados. 291 sent en assemblée constituante . 318 Antoinette Bourignon. 292 Constitution civile du clergé. Mariages de Jésus. 293 L'assembléelégislativecommence Molinos . 294 à persécuterles prêtres. 321 Les piétistes. 295 Mort de Louis XVI. 322 $ 3. MADAME Guyon. 296 La convention nationale abolit Ses écrits . ib . le catholicisme. 323 Bossuet la condamne . 297 Neufthermidor, 324 Fénelon, quiétiste. 298 Il est condamné en France et à Rome . 299 CHAPITRE XXIX . Son panthéisme. 300 DOUBLE RÉACTION. 323 $4. VISIONNAIRES MODERNES. ib . Tentatives de restauration re Les théosophes. ib . ligieuse. ib . Sour de la Nativité . 501 Représailles sanglantes des ca Mademoiselle Brohon . 302 tholiques et des royalistes. 327Jung Stilling. ib . Assassinat de Basseville et mi Les pæschelites. 303 racles contre -révolutionnai Madame Krudner . ib . 328 Foliescontemporaines. 304 | Paix de Tolentino . 329 Le directoire persécute. 330 La république détrône Pie VI. 532CHAPITRE XXVII . AtrocitésmonarchiquesàNaples. 333
Pages . Pages. Les ombilicaires. 288 Lejansenismeprépare l'opposi
PRINCIPE CA
POSITION PROGRESSIVE . 362
La foi n'admet pas d'autre réa CONCLUSION . 401 lité que Dieu. 366 L'affirmation sur laquelle le La science ne reconnaîl que la christianisme avait hypothé nature . 367 tiquement basé la science de Essais infructueux de concilier l'homme,cellequi lui faitcon la foi passive et la liberté naitre son essence et son de d'examen . 369 voir , est morte socialement CE FAIRE TOMBER
Pages . Pages .
CHAPITRE XXXII .
- 411 avec
LE MATÉRIALISME SCIENTI La foi individuelle ne survivra FIQUE ET LE SENSUALISME paslongiempsàla foi sociale. 386 PRATIQUE DÉMOLISSENT Ce que sont les prêtres de nos LA SOCIÉTÉ . jours. 387 S 1er. LES EFFORTS POUR CONSER Sagesse pratiquedel'église. 389 VER CE QUI EST DEBOUT ET POUR Argumentsdesennemisduclergé. ib. RELEVER 391Épouvantail de la mainmorte.EST TOMBÉQUI ABOUTISSENT , COMME CEUX POUR Clergécapitaliste. 394 Doctrine catholique. 395CE QUI RESTE ENCORE DEBOUT , A UNE DÉCON- Impuissancedu doute. 396
Mésintelligence. 342 Encyclique de Grégoire XVI. 370 L'Espagne. 346 Les Paroles d'un Croyant. 371 Napoléon abolit la souveraineté Royaume des Pays-Bas. 373 temporelle dupape. ib . Révolution de 1830 . 374 L'abbé Blanchard . 347 | Incohérencedes idées auxquelles Excommunication de l'empe on demande de l'ordre . 375 reur. 348 Les catholiques signent leur déCommissions ecclésiastiques à chéance sociale . 378 Paris . 349 Pauvreté des moyens dont les Concile . 351 croyants espèrent lerétablis Le pape cède. 352 sement de la foi. 379 Nouveau concordat . 353 Les libres penseurs ne sont Pie VII se rétracte . 354 guère plus forts qu'eux en Divorcede la future impératrice matière de raisonnement . 381 d'Autriche . 356 S 2. LA SOCIÉTÉ S'ÉCROULE SOUS Le mariageet l'église. 357 L ACTION ÉGALEMENT DÉSORGANI Concordat éphémère SATRICE DES CATHOLIQUES QUI ONT Louis XVIII . 359 LA PRÉTENTION D'ARRÊTER LE Guerre aux peuples par le pape NAL , ET DES LIBRES PENSEURS et les rois . 361 QUI MANIFESTENT CELLE DE RÉ FORMER PROGRESSIVEMENT L'OR GANISATION SOCIALE . 385 CHAPITRE XXXI . La société actuelle . ib .
Le xyire siècle, jugé par Robes pierre. 363
412 Pages . Pages.
avec la foi catholique, depuis
FIN DE LA TABLE .
désormaisêtre fondéeque par qu'elle est tombée dans le unedémonstration incontesta domaine de l'examen public; ble sur la détermination de la cette science ne peut plus vérité . 401
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