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viande : production et consommation
LES VIANDES, UNE QUESTION DE DÉFINITION...
Christophe DENOYELLE
Introduction La viande est un aliment consommé par l’homme depuis toujours. C’est le symbole de la force, de la santé et de la richesse. Elle fait l’objet d’un commerce mondial plus important que celui des produits sidérurgiques (données 2003), elle donne lieu à de nombreuses recherches. Pourtant, la viande n’a pas encore à ce jour de définition qui fasse le consensus des producteurs, industriels, commerçants, consommateurs et même des scientifiques. Jusqu’au XVIIIe siècle, le terme viande, du latin vivenda, de vivere « vivre » avait le sens très large de vivres, nourritures animales ou végétales, solides ou liquides. Aujourd’hui, la définition de la viande se veut plus restrictive et ne désigne plus toute la nourriture. Pourtant, selon que l’on soit consommateur, chercheur, éleveur, industriel, la viande peut encore désigner des produits très différents. Le mot « viande » est donc encore une appellation générique recouvrant une grande variété de « viandes ». En effet, ce mot, aussi simple soit-il, cache une réalité très complexe. L’objectif de cet article est d’essayer d’approcher toute la variété de produits qui se trouve derrière la dénomination viande et permettre au lecteur une approche plus critique dès lors que l’on parle de viande, en termes de consommation, en termes de valeur nutritionnelle, qu’on lui confère des avantages ou des inconvénients.
Les définitions des viandes Quand il s’agit de définition, le 1er réflexe consiste à consulter un dictionnaire [1]. Le dictionnaire encyclopédique de la langue française définit la viande ainsi : « chair des mammifères et des oiseaux en tant qu’aliment. Il distingue 3 types de viande : la viande rouge (le bœuf, le mouton, le cheval), la viande blanche (le veau, le porc, la volaille, le lapin) et la viande noire (le gibier) ». Une autre solution consiste à examiner la réglementation. Celle-ci est particulièrement prolixe en matière de définition de viande. Par exemple, le Codex alimentarius [2] définit la viande comme étant « toutes les parties d’un
animal qui sont destinées à la consommation humaine ou ont été jugées saines et propres à cette fin ». Dans un autre texte [3], il définit la viande comme « la partie comestible de tout mammifère ». C’est pourquoi, selon les articles, lorsque le terme « viande » est utilisé, l’auteur peut parler aussi bien des muscles de la carcasse que des produits tripiers. La liste est loin d’être exhaustive avec, quasiment à chaque fois, des définitions différentes, démontrant que le terme de viande est véritablement à géométrie variable ! Alors finalement, la viande qu’est-ce que c’est ? Sans avoir la prétention d’apporter une réponse là où d’autres n’ont pas réussi, une façon de définir la viande peut consister à dérouler un certain nombre de critères. Partant du principe que la viande est toutes les parties d’un animal destinées à la consommation humaine, essayons d’être plus précis en commençant par les espèces. Sur la base de cette première définition, la viande peut recouvrir des produits issus des poissons, des mollusques comme du bœuf. En fait, traditionnellement, est considérée comme de la viande (en tout cas en Europe), celle issue des types d’animaux suivants : – les animaux de boucherie : bœuf, veau, porc, mouton, agneau, cheval, chevreau ; – les animaux de basse-cour : poulet, dinde, canard, pintade, oie, pigeon, lapin ; – le gibier : sanglier, chevreuil, lièvre. Il existe, pour nous Européens, des viandes plus « exotiques » issues d’animaux comme l’autruche, le bison, le zébu ou encore le crocodile, etc. Chaque région du monde possède ses spécificités en la matière. Ceci montre déjà une grande variété de viandes regroupées sous le même terme générique. Mais il est possible d’aller encore plus loin en considérant par exemple les appellations « viande bovine », « viande ovine », etc. Littéralement, cela correspond respectivement à la viande issue de l’espèce bovine et de l’espèce ovine. Pourtant, en France, compte tenu des habitudes alimentaires, nous distinguons pour l’espèce bovine, par exemple, la viande de gros bovins issue d’animaux dont l’âge est supérieur à 6-8 mois1 et la viande de veau issue de bovins dont l’âge est inférieur à cette limite. La consommation de viande de
Service Qualité des Viandes, Institut de l’Élevage, 149, rue de Bercy, 75595 Paris cedex 12. Correspondance : Christophe Denoyelle, à l’adresse ci-dessus. Email : christophe.denoyelle@inst-elevage.asso.fr
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1 En 2007, la réglementation européenne définit que la viande de veau est issue de bovins dont l’âge à l’abattage doit être au maximum de 8 mois. Au-delà , la viande ne peut plus porter la mention « veau ».
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viande : production et consommation veau est une spécificité française et de quelques voisins européens seulement, Italie et Allemagne. Pour les ovins, la barrière d’âge se situe à 12 mois, on parle d’agneaux pour les animaux plus jeunes et de moutons pour les animaux plus âgés. Dans la suite de l’article, seule la viande issue de l’espèce bovine sera considérée, sachant que la même logique (ou presque) peut s’appliquer pour les autres espèces.
Que se cache-t-il derrière la viande de gros bovins ?
– le cheptel laitier dans lequel les vaches sont essentiellement élevées pour leur production de lait. Les principales races sont la Prim’Holstein (66 % des vaches laitières), la Montbéliarde (16 %) et la Normande (13 %) ; – le cheptel allaitant, où les animaux sont spécifiquement élevés pour la production de viande. Les principales races sont la Charolaise (42 %), la Limousine (22 %) et la Blonde d’Aquitaine (11 %). La proportion de ces 2 cheptels est d’environ 58 % pour le troupeau allaitant et 42 % pour le troupeau laitier. Une grande variété de morceaux et de produits transformés
Des catégories d’animaux différentes De nombreux consommateurs croient encore aujourd’hui consommer de la viande issue du bœuf. Pourtant, grâce notamment aux progrès réalisés par la filière française en matière de traçabilité et d’étiquetage depuis 1996, ils ne peuvent plus ignorer que derrière le terme générique de viande de bœuf se trouve plusieurs catégories d’animaux : – le bœuf, mâle adulte castré, ne représente que 8 % de la consommation française ; – les taureaux, mâles adultes non castrés ; – le taurillon ou jeune bovin, mâle non castré élevé jusqu’à 24 mois maximum ; – les génisses, femelles n’ayant pas encore vêlé ; – les vaches, femelles ayant vêlé. Une grande variété de races2 Ces catégories d’animaux sont issues de 2 cheptels distincts :
La complexité ne s’arrête pas là . En effet, la viande bovine est issue de carcasses de plus de 200 kg. Le consommateur n’achète pas une carcasse entière, mais des morceaux sous forme de steaks, de rôtis, etc. La découpe, dite de Paris, permet d’extraire une cinquantaine de morceaux différents dans le bœuf (fig. 1). Classiquement, on distingue les morceaux à cuisson lente (riches en collagène) et les morceaux à cuisson rapide (pauvres en collagène). Une grande partie de la viande est consommée en l’état, c’est-à -dire sous forme de viande fraîche, en steaks, rôtis... Mais la viande, comme tout produit agroalimentaire, peut subir des transformations. La plus répandue consiste à fabriquer de la viande hachée à partir de différents muscles de la carcasse. Même s’il n’existe pas de recettes types, en moyenne, ce sont toujours plus ou moins les mêmes muscles qui sont utilisés, essentiellement ceux présents dans l’avant de la carcasse. Ces viandes hachées présentent différents taux de matières grasses (de 5 à 15,
Figure 1. Les différents muscles de la carcasse d’un bovin et leur teneur en matière grasse (source : www.civ-viande.org).
Le cheptel bovin français est le plus important d’Europe avec pas moins de 40 races différentes.
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viande : production et consommation voire 20 %). D’autres produits peuvent également entrer dans leur composition (protéines végétales, aromates...), il s’agit alors de préparation de viandes hachées. Bien évidemment, la viande subit d’autres transformations dans l’industrie de la charcuterie3 et des plats cuisinés notamment. Les différents modes de présentation des viandes Les viandes se présentent réfrigérées ou surgelées. Les viandes réfrigérées peuvent être conditionnées selon différentes techniques qui lui permettent une durée de vie plus ou moins longue. Il existe 3 grandes catégories de conditionnement pour les viandes. Cela va du « sous étirable » classique (une barquette avec un film transparent dessus ; durée de vie de 3 à 6 jours), en passant par le « sous atmosphère » (une barquette et un film imperméable aux échanges gazeux dans laquelle se retrouvent des mélanges binaires ou ternaires de gaz : O2, CO2 et N ; durée de vie de 7 à 12 jours), jusqu’au « sous vide » où le produit est en contact direct avec le film plastique sans mélange gazeux, ce qui confère à la viande une couleur rouge sombre (durée de vie de 21 jours). La viande peut être congelée (ou surgelée) chez l’industriel. Cela lui garantit une durée de vie beaucoup plus longue. Des méthodes de cuisson adaptées aux morceaux La cuisson est un phénomène complexe qui produit sur la viande des effets divers. Les viandes peuvent être cuites selon 2 grands modes de cuisson : – la cuisson dite rapide où la viande est saisie pour former rapidement une croûte superficielle qui limite les pertes d’eau à la cuisson ; – la cuisson lente en atmosphère humide qui permet de transformer le collagène en gélatine. Derrière ces 2 grands modes de cuisson, se cache une grande variété de méthodes de cuisson : rôtie au four, poêlée, grillée au grill ou au barbecue ou cuite aux microondes pour les cuissons rapides ; bouillie, braisée ou sautée, pour les cuissons lentes.
Quelles conséquences sur la valeur nutritionnelle des viandes ? À la différence de nombreux autres produits alimentaires, les viandes ne sont pas des produits dont la composition est standardisée. Comme on l’a vu précédemment, le terme de « viande » recouvre un ensemble de produits très différents. La viande livrée aux consommateurs est un produit hétérogène et de composition variable. Les facteurs biologiques et zootechniques tels que l’âge, le sexe, la race, le mode d’élevage qui modifient la composition corporelle de l’animal, affectent notablement la composition des carcasses et des viandes. Les caractères les plus variables sont probablement les lipides, le fer héminique et le collagène [4]. Ensuite, chaque muscle de la carcasse possède ses propres caractéristiques (fig. 1). Il existe même des différences au sein d’un même muscle. Par exemple, une étude [5] a démontré que la teneur en lipides au sein de faux-filets pouvaient varier de ± 2 points. Enfin, le traite-
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Il n’est pas rare de trouver associées dans la bibliographie la viande et la charcuterie.
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ment technologique des viandes (mode de préparation, conservation...) et les conditions de cuisson influent également sur leur valeur nutritionnelle. Il est donc difficile de faire un bilan global de la valeur nutritionnelle de la viande bovine (et plus encore au sens du Codex alimentarius !), en raison de son hétérogénéité et de la variabilité de sa composition sous l’effet des facteurs biologiques et zootechniques. En conséquence, il convient d’être prudent dès lors que la valeur nutritionnelle d’une viande est abordée. Si cela est courant, voire indispensable, dans la pratique de la diététique ou dans le classement des aliments les uns par rapport aux autres... L’utilisation de chiffres moyens peut poser problème quand il s’agit de conclure sur les avantages et/ou les défauts nutritionnels de la viande. Cela signifie que pour avoir une valeur nutritionnelle de la viande la plus fiable possible, compte tenu de l’hétérogénéité du produit, il faut définir et/ou connaître : – l’origine biologique (espèce, race, sexe, âge...), – la conduite alimentaire de l’animal, – le traitement technologique des carcasses et des muscles (découpe, travail des viandes, etc.), – les conditions d’élaboration pour les produits transformés (recette utilisée, mode de fabrication, etc.), – le mode de conservation et de conditionnement (frais, congelé, etc.), – le mode de cuisson. Face à cette complexité et compte tenu des contraintes de temps et de coût pour de telles études, la valeur nutritionnelle d’une viande doit être obtenue par des protocoles d’analyse qui tiennent compte des facteurs de variation (catégorie d’animal, race, muscle, etc.).
Quelle quantité de viande consommonsnous ? Il n’est pas rare de lire dans la bibliographie des articles qui préconisent d’augmenter ou de diminuer la consommation de viande, d’un côté, pour prévenir des carences, de l’autre, pour se prémunir d’une maladie. Sur quels chiffres se basent ces préconisations ? Qu’en est-il réellement de la consommation ? En fait, les chiffres de consommation sont souvent trompeurs, car ils peuvent regrouper les différents types de viande (cheval, ovins, caprins, porcs, volaille, bovins) ou seulement certains d’entre eux ou encore 1 seul type de viande [6], voire les produits tripiers. Il faut donc s’assurer que les auteurs précisent ce qu’ils regroupent sous la dénomination « viande », puisqu’il n’existe pas de définition consensuelle. Par exemple, en France en 2002, la consommation de viande bovine représentait 30 % de la consommation totale de viande (bovins, ovins, porcs, volaille, cheval). Par ailleurs, selon les unités utilisées, les chiffres de consommation peuvent quasiment varier du simple au double. En France, 3 types de données sont rencontrés : – les données exprimées en tonnes (Tec) ou kilos (Kec) équivalent-carcasse par habitant et par unité de temps, fournies par le Service Central des Enquêtes et Études Statistiques (SCEES). Elles correspondent aux poids des carcasses au stade de la pesée en abattoir et comptabilisent donc les os et les déchets qui ne sont pas consommés. S’agissant de la viande bovine, le coefficient de rendement est d’environ 68 %. Il faudrait donc appliquer ce coefficient pour connaître la consommation réelle. Ces données permettent d’évaluer et de comparer les productions et les échanges entre pays ; 1S9
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viande : production et consommation – les données exprimées en kilos par ménage et par unité de temps, issues du panel SECODIP. Elles correspondent au poids acheté de viande désossée, découpée et parée. Ces données permettent de montrer l’évolution des achats des ménages (hors restauration hors domicile) ; – les données exprimées en kilos par habitant et par unité de temps, fournies par le Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie (CRÉDOC). Ce sont des données individuelles et déclaratives de consommation. Elles permettent de comparer les consommations alimentaires entre elles. Ainsi, selon ces 3 sources, la consommation de viande de bœuf en France, en 2005, était respectivement de 22,5 Kec/habitant/an, 13,5 kg/ménage/an ou 12 kg/ habitant/an. Ces écarts illustrent bien les risques de confusion et les précautions à prendre pour l’utilisation de données de sources différentes.
Conclusion La viande est un produit complexe et extrêmement variable. Compte tenu des nombreux facteurs de variation (espèce, catégorie d’animal, type de muscle, cuisson...) qui peuvent jouer sur la valeur nutritionnelle des viandes, la constitution de tables de composition est difficile, mais possible. Pour être fiable, ces tables nécessitent des plans d’échantillonnage adaptés [7]. Dans un contexte actuel de développement d’allégations santé et de messages nutritionnels par l’industrie agroalimentaire, il convient donc d’être précis dans l’utilisation des chiffres et dans les conclusions qui en découlent. Même si la tentation est souvent grande de pouvoir apporter des règles et/ou des messages généralistes, la complexité du produit viande ne s’y prête pas toujours.
Résumé La viande qu’est-ce que c’est ? Les nombreuses définitions linguistiques ou réglementaires ne s’accordent pas. D’après certains textes, c’est la partie comestible de tout mammifère, cela englobe les muscles, mais aussi les produits tripiers par exemple. Cette définition généraliste cache en fait une réalité très complexe. Pour la seule viande issue de l’espèce bovine, le consommateur peut acheter de la viande provenant d’un taurillon, d’un bœuf, d’une génisse ou d’une vache. Ces types d’animaux appartiennent à une grande variété de races, laitières ou allaitantes. La carcasse, après découpe, donne une cinquantaine de morceaux différents, possédant chacun des caractéristiques particulières, qui seront conservés et cuits différemment. Cette variabilité influence la valeur nutritionnelle des viandes, obligeant, lorsqu’il s’agit de l’estimer, de fixer
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l’ensemble de ces facteurs de variations et d’être transparent au moment de les communiquer. L’absence d’une définition unique de la viande et d’une unité de mesure reconnue joue également sur l’estimation de ses niveaux de consommation. Mots-clés : Viande – Valeur nutritionnelle – Consommation.
Abstract What does meat mean? The definition of meat is different according to regulations or dictionaries. Some say that meat is all the edible part of a mammal: the muscles but also the tripe for example. In fact, the reality is much more complex. Only for the cattle’s meat, the consumer eats meat from steers, young bulls, heifers and cows. These animals come from different breeds, dairy or suckler breed. The cut of the carcass provides about fifty muscles, each with particular characteristics. They are conserved and cooked differently. Of course, this variability has consequences on meat nutritional value. So, to communicate on meat’s nutritional value, it is necessary to fix all the variation factors. Finally, the precise estimation of meat consumption is difficult because of the lack of a definition of meat and an accepted unit of measure. Key-words: Meat – Nutritional value – Consumption.
Bibliographie [1] Dictionnaire encyclopédique de la langue française. Hachette, Paris, 1995. [2] Codex alimentarius, Code d’usages en matière d’hygiène pour les viandes, 2005. [3] Codex alimentarius, Glossaire de termes et définitions pour les résidus de médicaments vétérinaires dans les aliments, 2003. [4] Le point sur l’alimentation des bovins et des ovins et la qualité de la viande. Technipel, Paris, 2005. [5] Fostier B. – Hétérogénéité de la répartition de la teneur en lipides intramusculaires de la viande au sein de différents muscles de bovins. Viandes et Produits Carnés, 2003, 14, 99-102. [6] Chatelier V., Guyomard H., Le Bris K. – La consommation de viande bovine dans le monde et dans l’Union européenne : évolutions récentes perspectives. INRA Productions animales, 2003, 16, 381-91. [7] Evrat-Georgel C. – Étude préalable sur la construction d’une table de composition nutritionnelle des produits carnés (viande et abats de ruminants). Étude CIV, Interbev, Ofival, 2005, communication personnelle.
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