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TENEUR ET BIODISPONIBILITÉ DU FER HÉMINIQUE ET NON HÉMINIQUE DANS LA VIANDE ET LES ABATS DE BŒUF : INFLUENCE DE LA CONSERVATION ET DE LA CUISSON Valérie SOUCHEYRE
Introduction La déficience en fer est un problème de santé publique dans le monde [1]. Dans les pays européens, cette déficience touche 10 à 40 % de la population féminine adolescente [2, 3]. Par conséquent, il est important de mieux connaître la quantité et la biodisponibilité de cet oligoélément apporté par les aliments. Dans l’organisme, 70 % du fer est sous forme héminique : il intervient dans la constitution de l’hémoglobine (pigment respiratoire des globules rouges qui assurent les échanges gazeux avec le milieu extérieur), de la myoglobine (forme de transport de l’oxygène du muscle) et de quelques enzymes [1]. La forme non héminique du fer représente 30 % du fer total. Il est localisé dans certaines enzymes et dans les protéines de transport (par la transferrine) et de stockage du fer (par la ferritine). Pour assurer ses fonctions, le fer est présent à hauteur de 4 g chez l’homme adulte et de 2,5 g chez la femme. Les apports nutritionnels conseillés (ANC) pour maintenir ce statut ont été évalués à 9 mg/jour chez l’homme et 16 mg/j chez la femme [4]. La contribution des aliments aux ANC en fer est très variable. Dans un régime occidental, les produits carnés sont la principale source de fer (30 à 35 % du fer total) et particulièrement les viandes rouges [1], suivis par les céréales (20 à 30 %), puis les fruits et légumes [5]. Essentiellement sous forme héminique, le fer contenu dans les produits carnés est mieux assimilé (15 à 25 % d’assimilation) que celui des produits végétaux et laitiers qui est sous forme non héminique (⬍ 5-10 % d’assimilation) [1, 2, 6]. Pour connaître la réelle valeur nutritionnelle des viandes, les teneurs en fer total et la proportion entre les formes héminique et non héminique doivent être considérées. Les données nutritionnelles actuellement disponibles sur la contribution des viandes et des produits tripiers de bœuf aux ANC en macro et micronutriments sont en cours de
ADIV, 10, rue Jacqueline-Auriol, ZAC du Parc Industriel des Gravanches, 63039 Clermont-Ferrand cedex 2. Correspondance : Valérie Soucheyre, à l’adresse ci-dessus. Email : valerie.soucheyre@adiv.fr
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réactualisation par l’INRA pour le Centre d’Information des Viandes (CIV) [7]. Il s’agit d’une étude portant sur des produits de bœuf à l’état cru et provenant d’animaux dont les conditions d’élevage sont connues et représentatives des pratiques françaises. Ces travaux, dont les résultats sont présentés en première partie de cet article, ont permis de quantifier les formes héminique et non héminique du fer dans 8 muscles et 5 produits tripiers. Pour le consommateur, il peut être intéressant de prendre en compte les données obtenues sur des viandes telles que consommées, c’est-à-dire obtenues après conditionnement et conservation jusqu’en fin de DLC et après cuisson. En effet, ces facteurs technologiques sont susceptibles de modifier les teneurs et les proportions relatives des formes du fer des viandes [5]. Ce point est discuté en seconde partie de cet article sur la base des résultats acquis par les travaux de l’ADIV [8] portant sur 2 viandes (faux-filet et macreuse). Le recensement des données bibliographiques montre aussi que la viande est une matrice alimentaire favorable à l’absorption et la biodisponibilité du fer. Ce « facteur viande » sera décrit en dernière partie.
Teneur et composition en fer des viandes et abats de bœuf à l’état cru Teneur en fer total La viande bovine est une source non négligeable de fer : 100 g de viande apportent entre 2,2 et 3,8 mg de fer, ce qui couvre entre 24 à 42 % des ANC chez l’homme adulte. Lombardi-Boccia et al [9] ont quantifié les teneurs en fer total de viandes crues de plusieurs espèces qui suivent le classement décroissant suivant : autruche (2,43 mg/100 g) ⬎ agneau (2,23 mg/100 g) ⬎ cheval (2,21 mg/100 g) ⬎ bœuf (2,09 mg/100 g) ⬎ veau (0,85 mg/100 g) ⬎ lapin (0,45 mg/100 g) ⬎ porc (0,42 mg/100 g). Ces différences entre espèces sont souvent étroitement liées à l’âge des animaux, car la concentration en fer dans les muscles augmente avec l’âge [10]. L’étude du CIV, qui prend en compte des facteurs liés à l’animal (désigné dans Cah. Nutr. Diét., 43, Hors-série 1, 2008
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viande et composition nutritionnelle cet article par race) et le type de morceaux, montre que la teneur en fer total et héminique dépend du type de muscle (p ⬍ 0,0001), mais pas de la race (tableau I). La hampe est le muscle le plus riche en fer (3,7 mg/100 g), suivi de la bavette (3,3 mg/100 g), puis la macreuse, le tende de tranche et le paleron (en moyenne 2,7 mg/100 g de viande). L’entrecôte (partie musculaire), le faux-filet et le plat de côtes (partie musculaire) sont les morceaux les moins riches en fer (2,3 mg/100 g). Les abats de bœuf sont en moyenne deux fois plus riches en fer total que les muscles (tableaux I et II). Cent grammes de rognons apportent 7 mg de fer total, ce qui couvre 78 % des ANC. Le foie et le cœur en contiennent plus de 5 mg/100 g et couvrent 55 % des ANC. Le contenu en fer de la joue et la langue (3,2 et 2,3 mg/ 100 g, respectivement) est comparable à celui des muscles. La teneur en fer total des muscles et des abats des vaches de races Charolaise et Holstein ne sont pas significativement différentes (tableaux I et II). Tableau I. Teneurs moyennes en fer total de 8 muscles à l’état cru prélevés sur des vaches de réforme de deux races [7].
Muscles
Teneur en fer total mg/100 g Vaches Charolaises
Vaches Holstein
Faux-filet
2,38 ± 0,33 2,16 ± 0,59
Tende de tranche
2,74 ± 0,49 2,64 ± 0,56
Macreuse
2,72 ± 0,56 2,99 ± 0,47
Paleron
2,49 ± 0,49 2,51 ± 0,52
Hampe
3,59 ± 0,50 3,77 ± 0,56
Bavette
3,39 ± 0,59 3,21 ± 0,60
Entrecôte (dégraissée)
2,39 ± 0,52 2,62 ± 0,42
Plat de côtes (dégraissé et sans os)
2,30 ± 0,33 2,09 ± 0,56
Tableau II. Teneurs moyennes en fer total de 5 produits tripiers à l’état cru prélevés sur des vaches de réforme de deux races [7].
Produits tripiers
Teneur en fer total mg/100 g Vaches Charolaises
Vaches Holstein
Carpenter et Clark [9, 12]. La comparaison avec d’autres espèces réalisée par Lombardi-Boccia et al [9] démontre que la proportion de fer héminique dans la viande bovine est comparable à celle du veau, mais la viande de bœuf est nutritionnellement meilleure, puisqu’elle contient 2,5 fois plus de fer total. Quantitativement, la viande bovine contient autant de fer héminique que la viande de cheval et d’autruche [9]. Dans la viande de porc et de lapin, 60 % du fer est sous forme héminique, ce qui représente une teneur 5 fois plus faible que dans la viande de bœuf [9]. La proportion de fer héminique dans la viande de volaille (40 %) est la plus faible [11]. Il n’existe pas de différences significatives entre les types de muscle pour les proportions de fer héminique (70 % du fer total) et non héminique (30 % du fer total). Quantitativement, les différences de teneurs en fer héminique entre morceaux sont significatives (p ⬍ 0,0001) et suivent quasiment celles observées pour le fer total (tableau III). De telles différences entre morceaux ont déjà été observées sur la viande de bœuf, mais aussi de poulet, de dinde et de porc [9, 12]. Elles peuvent s’expliquer par l’orientation énergétique des muscles, les plus oxydatifs étant les plus riches en myoglobine et en hémoglobine et donc en fer, et les muscles glycolytiques étant les moins riches. L’effet du type de muscle explique 63 % de la variabilité des teneurs en fer héminique. La race explique 32 % de cette variabilité : un effet est obtenu pour les teneurs en fer héminique des muscles qu’elles soient exprimées en % du fer total (p = 0012) ou en mg/100 g (p = 0,0006) : la race Charolaise est caractérisée par des viandes 1,2 fois plus riches en fer héminique que la race Holstein (tableau I). La teneur en fer des abats est significativement (p ⬍ 0,0001) affectée par le type d’abats, la race et l’interaction entre race et type d’abats (tableau III). L’effet du Tableau III. Teneur en fer héminique (en % du fer total) de 8 muscles et 5 produits tripiers à l’état cru prélevés sur des vaches de réforme de deux races [7].
Fer héminique (en % du fer total) Vaches Charolaises
Vaches Holstein
Faux-filet
74,4 ± 9,2
65,0 ± 11,5
Tende de tranche
65,9 ± 7,9
62,4 ± 12,7
Macreuse
73,4 ± 12,1 63,1 ± 11,8
Muscles
Paleron
77,5 ± 11,9 74,7 ± 11,1
Joue
3,28 ± 0,45 3,08 ± 0,26
Hampe
69,0 ± 6,4
62,2 ± 7,3
Cœur
5,20 ± 0,31 5,08 ± 0,51
Bavette
71,8 ± 8,3
66,7 ± 10,8
Langue
2,26 ± 0,20 2,27 ± 0,35
Entrecôte (dégraissée)
79,1 ± 13,3 63,7 ± 15,0
Foie
5,75 ± 1,35 6,10 ± 0,55
70,3 ± 14,2
6,59 ± 1,49 7,48 ± 1,79
Plat de côtes (dégraissé et sans os)
69,3 ± 6,5
Rognons
Joue
64,9 ± 10,1
66,6 ± 8,2
Cœur
50,6 ± 3,5
46,3 ± 3,9
Langue
75 ,2 ±7,4
73,1 ± 6,1
Foie
53,6 ± 4,3
33,5 ± 8,6
Rognons
42,5 ± 4,3
24,9 ± 3,3
Produits tripiers
Proportion fer héminique et fer non héminique Environ 70 % du fer des viandes (hors abats) de bœuf est sous la forme héminique soit 1,9 mg/100 g (tableau III). Ce pourcentage est compris entre les valeurs de 62 % annoncées par Schricker et al [11] et les valeurs maximum de 90 % observées par Lombardi-Boccia et al et Cah. Nutr. Diét., 43, Hors-série 1, 2008
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viande et composition nutritionnelle type d’abats explique 70 % de la variabilité des proportions en fer héminique. Cent grammes d’abats apportent entre 2,3 mg (langue) et 7,0 mg (rognons) de fer héminique.
Influence des traitements technologiques de conservation et de cuisson L’étude conduite par l’ADIV [8] a permis de déterminer les effets d’une conservation sous atmosphère modifiée (70 % O2, 30 % CO2) à 4 °C pendant 7 jours et ceux induits par la cuisson de deux types (glycolytique et oxydatif) de viandes (faux-filet et macreuse, respectivement) prélevés sur 16 animaux (8 Charolaises et 8 Holstein). Après 4 jours de conservation, les viandes ont été soumises à un traitement thermique : 1) le faux-filet tranché a été grillé (380 à 420 °C) sans ajout de matières grasses jusqu’à atteindre une température à cœur de 55 ± 5 °C ; 2) la macreuse tranchée a été poêlée avec ajout de 5 g d’huile d’arachide jusqu’à atteindre une température à cœur de 55 ± 5 °C ; 3) la macreuse cubée a été braisée (10 minutes à feu vif dans 30 g/kg de margarine, puis 80 °C pendant 2 h 15 avec 30 cl d’eau). La conservation de la macreuse et du faux-filet pendant 7 jours sous atmosphère modifiée n’induit aucune évolution des teneurs en fer total et des proportions entre fer héminique et non héminique (fig. 1). Cette observation s’applique quelle que soit la race et quel que soit le type de muscle. Le rendement de cuisson diminue avec la durée du traitement thermique. Ainsi, la cuisson de type braisé (2 h 15 min) entraîne un rendement de 47 %, alors que celle du type grillé ou poêlé entraîne respectivement un rendement de 84 % et 78 % pour des temps de cuisson moyens de 1 min 17 et 4 min, respectivement. La cuisson génère principalement une perte en eau de la
viande qui concentre la quantité de fer total, héminique et non héminique dans les viandes cuites [9]. Le taux de matières sèches augmente ainsi de 13 % pour le faux-filet grillé et de 24 et 78 % pour la macreuse poêlée et braisée. Afin de quantifier l’impact de la cuisson et le réel apport des viandes cuites en fer pour le consommateur, les teneurs sont exprimées pour 100 g de produits cuits. Dans le cas du faux-filet (tableau IV), la cuisson grillée n’induit aucune modification des teneurs en fer total et des deux formes de fer. Dans le cas de la macreuse (tableau V), 100 g de viande braisée apportent 4,7 mg de fer total, soit 1,8 fois plus Tableau IV. Évolution au cours de la cuisson grillée des teneurs en fer total, héminique et non héminique (en mg/100 g de viande crue ou cuite) du faux-filet [8].
Faux-filet cru
Faux-filet grillé
Fer total
2,00 ± 0,34 2,21 ± 0,26
Fer héminique
1,47 ± 0,24 1,73 ± 0,43
Fer non héminique
0,53 ± 0,32 0,48 ± 0,34
Tableau V. Évolution au cours des cuissons braisée et poêlée des teneurs en fer total, héminique et non héminique (en mg/100 g de viande crue ou cuite) de la macreuse [8].
Macreuse crue
Macreuse braisée
Macreuse poêlée
Fer total
2,69 ± 0,48 4,71 ± 0,82 3,14 ± 0,63
Fer héminique
1,96 ± 0,27 1,79 ± 0,20 2,22 ± 0,39
Fer non héminique 0,73 ± 0,51 2,92 ± 0,73 0,92 ± 0,53
4
3,5
Macreuse Holstein
{
3
Macreuse charolaise
{ Faux-filet Holstein
{ {
Faux-filet charolais
fer non héminique fer héminique
2
1,5
1
0,5
0 J1
J4
J7
J1
J4
J7
J1
J4
J7
J1
J4
J7
Durée de conservation en jours Figure 1. Évolution au cours de la conservation des teneurs en fer héminique et non héminique (en mg/100g) du faux-filet et de la macreuse issus de vaches de réforme de deux races [8]. 1S48
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viande et composition nutritionnelle que la même viande à l’état cru, du fait de la perte en eau (concentration). S’il n’y a pas de perte en fer total, on observe néanmoins une modification de la forme chimique, puisque le fer himnique ne représente plus que 38 % du fer total après la cuisson. Avec le mode de cuisson longue, type braisé, les pertes d’origine aqueuse entraînent la dissolution d’autres éléments tels que les protéines myofibrilaires, le collagène, les vitamines hydrosolubles. Dans ce jus de cuisson, le fer total est présent à une concentration de 1,44 mg/100 ml dont 52 % est sous forme héminique [8]. La perte de fer par les jus reste faible (⬍ 10 %) comme l’ont notifié Purchas et al [14]. Dans un premier temps, le traitement thermique des viandes favorise la conversion du fer soluble en fer insoluble, principalement pour le fer héminique. Les travaux de Purchas et al [14] montrent que le pourcentage de fer héminique sous forme soluble passe de 65 % dans le semitendinosus cru de bœuf à 22 % après une cuisson de 60 °C à cœur, et à moins de 5 % après une cuisson de 85 °C à cœur. Cette diminution se traduit par une augmentation de la proportion de fer héminique insoluble en raison de la dénaturation de la myoglobine par la chaleur [15]. Jusqu’à 65 °C, la température à cœur de la viande est relativement plus faible que celle obtenue en surface et la proportion de fer héminique soluble reste donc supérieure au cœur des viandes. Entre 60 et 65 °C, la proportion de fer héminique insoluble est équivalente entre le cœur et la surface des viandes cuites. Entre 70 et 85 °C, cette proportion est supérieure au cœur des viandes, car dans un second temps, le traitement thermique favorise la conversion du fer héminique en fer non héminique [1, 9, 12, 14, 16] et majoritairement en surface. Cette conversion est dépendante des couples temps/température appliquée aux morceaux de viande [9, 12, 17]. LombardiBoccia et al [9] ont démontré que la perte en fer héminique est plus faible dans le blanc de volaille cuit à la casserole avec un feu moyen (perte de 5 % en moyenne) que l’aile et la cuisse de volaille cuites au four à plus de 180 °C pendant 50 minutes (perte de environ 20 % et jusqu’à – 43 % pour l’aile de poulet). Dans le bœuf [9], cette perte est de 11 % en moyenne, plus faible dans le fauxfilet (perte de 3 %) et plus élevée dans la tranche (perte de 24 %). Cette conversion du fer héminique en forme non héminique dépend fortement de la température, c’est d’ailleurs pourquoi elle est très significative en surface des viandes cuites [14]. C’est le résultat du clivage oxydatif du noyau de porphyrine (l’hème) qui permet la décomplexation du fer ionique et son relargage sous forme libre [9, 11, 12]. Jusqu’à 55 °C, le taux de dénaturation de la myoglobine est très faible [9]. Au-delà de 55 °C et jusqu’à 80 °C, la dénaturation est de 70 % [9]. À ce stade, des agrégats protéiques peuvent se former et fixer le fer ferrique le rendant moins assimilable [2]. La libération du fer intervient seulement à des températures plus élevées de l’ordre de 80 à 120 °C [2, 9]. La variation du rapport fer héminique/fer non héminique est un indicateur de la dégradation du fer héminique et donc des changements de biodisponibilité du fer après cuisson [9, 16]. Ce ratio diminue dans la macreuse braisée (-– 77 %). Lombardi-Boccia et al [9] obtiennent une diminution de – 52 % en moyenne dans la viande bovine, de – 30 % dans la viande de cheval. Dans les viandes de veau, de lapin et de porc où la teneur en fer est faible, la cuisson n’a pas d’effet sur ce ratio. L’effet délétère de la cuisson sur la biodisponibilité du fer doit cependant être relativisé : la cuisson permet de dénaCah. Nutr. Diét., 43, Hors-série 1, 2008
turer les protéines avant ingestion. Ainsi, au moment de la digestion dans le duodénum, l’accessibilité des protéines carnées aux enzymes protéolytiques intestinales (pepsine) est favorisée [2]. Les peptides formés fixent le fer et le rendent soluble. De plus, les produits de digestion des viandes cuites ont une capacité réductrice du fer ferrique (Fe3+) en fer ferreux (Fe2+) plus élevée que les produits de digestion des viandes crues [2].
Biodisponibilité du fer : le « facteur viande » La forme héminique du fer des produits carnés est beaucoup plus assimilable par l’organisme que la forme non héminique contenue dans les produits végétaux et laitiers [18]. De ce fait, une population végétarienne est caractérisée par une concentration plasmatique en ferritine 1,8 fois plus faible qu’une population omnivore [19]. Les compléments alimentaires riches en fer ont connu un essor ces dernières années, mais il s’agit d’apport en fer non héminique. Il existe un risque à cette consommation en raison de la faible biodisponibilité de ce fer. Le fer non absorbé reste dans la lumière intestinale et participe aux réactions de peroxydation (réaction de Fenton) qui génèrent des radicaux libres à l’origine de nombreux dommages tissulaires et fonctionnels [2, 20]. De plus, le fer libre en excès peut interférer négativement sur la biodisponibilité d’autres minéraux et oligoéléments tels que le zinc et le manganèse [21]. Le fer héminique est bien absorbé par les entérocytes de l’intestin grêle par un processus de captage qui n’est pas bloqué par les facteurs connus pour inhiber l’absorption du fer non héminique régulée par des mécanismes actifs et passifs [1, 16]. De plus, il n’y a pas d’interactions négatives avec les phytates et les fibres [1]. Il semble que le noyau héminique constitutif du fer héminique soit responsable du bon niveau d’absorption du fer [1, 22]. De plus, la digestion de la globine libère des peptides qui solubilise l’hème et le fer et favorise l’absorption de ce dernier [1, 23]. Plusieurs études ont démontré que la viande est une matrice alimentaire favorable à l’absorption et à la biodisponibilité du fer alimentaire héminique et non héminique [1, 16]. En présence de viande, le fer non héminique est 2 à 3 fois mieux absorbé [1, 22]. On désigne cet effet bénéfique par « facteur viande » [2, 16]. Deux hypothèses sont admises pour expliquer le rôle des protéines carnées sur l’absorption du fer. La première hypothèse consiste à dire que les produits issus de la digestion des viandes sont capables de chélater le fer dans l’intestin, ce qui évite sa précipitation [2, 24]. Toutefois, cet effet bénéfique est moins marqué lorsque la digestion partielle des protéines libère des peptides de haut poids moléculaire qui fixent le fer et inhibent le transport à travers la muqueuse intestinale [1]. La seconde hypothèse précise que les produits de la digestion des viandes réduisent le fer ferrique alimentaire (Fe3+) en fer ferreux (Fe2+) soluble et donc plus absorbable [2, 16, 24]. Les peptides riches en groupements thiols font partie des produits de digestion des protéines carnées qui chélatent le fer et possèdent des propriétés redox [2, 16, 24]. Ces groupements agissent à pH faible et empêchent la formation d’hydroxyde de fer insoluble [1]. Kapsokefalou et Miller [24] ont également attribué un rôle actif au glutathion, un peptide contenant des cystéines et issus de la dégradation digestive des protéines carnées. Ces groupements thiols sont particulièrement stables à la cuisson, car 1S49
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viande et composition nutritionnelle ils sont constitutifs des cystéines et des méthionines qui ne sont pas facilement oxydées par le traitement thermique [2, 25]. Le « facteur viande » est d’ailleurs principalement attribué à la fraction myofibrillaire de la viande et notamment la fraction des myosines lourdes, qui sont riches en groupements sulfhydriques [1]. La biodisponibilité du fer dépend également de la teneur en protéines de la ration. Cet effet dose-réponse a été observé in vitro par Sorensen et al [2] pour la viande de porc cuite à 120 °C digérée par de la pepsine ou non digérée. Dans le duodénum, l’augmentation de la concentration en protéines carnées de 25 à 50 mg/ml induit un doublement de la biodisponibilité du fer qui atteint 80 %. Cet effet est conservé avec une concentration de 100 mg de protéine/ml. Cet effet dose-réponse de la teneur en protéines carnées de porc a déjà été observé chez l’homme [26]. Il ne semble pas que cet effet soit spécifique d’un type de protéine et donc d’une espèce animale, puisque les mêmes observations ont été faites avec de la caséine [2]. La digestibilité des protéines carnées est un autre facteur modulateur de la biodisponibilité du fer après passage dans le duodénum. Cependant, dans le jéjunum où le pH est neutre, les peptides et les acides aminés libérés ne peuvent plus chélater le fer ferreux en une forme disponible [2]. Kapsokefalou et Miller [24] ont émis une 3e hypothèse pour expliquer les propriétés bénéfiques de la viande sur l’absorption du fer comme précédemment évoqué par d’autres auteurs. Il s’agit de l’interaction entre les fractions maigre et grasse de la viande qui auraient lieu dans la lumière intestinale. Les produits de dégradation de ces deux fractions interviendraient dans une suite d’événements permettant une meilleure absorption du fer : dans un premier temps, le fer serait réduit par les produits de digestion des protéines et, dans un second temps, ce fer serait complexé aux acides gras libres issus de la digestion des lipides. La nature lipophile des micelles ainsi formées permet au fer de traverser les membranes cellulaires plus facilement. Le rôle des lipides sur l’absorption des minéraux est variable selon les auteurs. Le calcium et le magnésium sous forme de savons d’acides gras sont peu absorbés, alors que les acides gras insaturés à chaîne longue favorisent le captage du zinc par la muqueuse intestinale et du fer ferreux par les globules rouges, l’acide oléique favorise le captage du fer ferreux en solution. La corrélation entre l’absorption du fer et la concentration en acides gras monoinsaturés a été démontrée sur une matrice de viande par Kapsokefalou et Miller [24].
Résumé La viande bovine tient une place importante dans la constitution d’un repas. D’après les dernières données obtenues, 100 g de viande cuite permettent de couvrir 25 à 42 % (selon les morceaux) des ANC en fer d’un homme adulte. La couverture de ces ANC peut atteindre jusqu’à 80 % lors de la consommation de 100 g d’abats (rognons). Avec 70 % de fer sous forme héminique, la viande est une source de fer facilement assimilée qui assure le maintien des réserves de l’organisme. La matrice carnée contribue à augmenter la biodisponibilité du fer non héminique présent notamment dans les végétaux. Plusieurs hypothèses ont été décrites pour expliquer ce « facteur viande ». La conservation des viandes sous atmosphère modifiée n’altère pas leur statut en fer. La cuisson a des effets 1S50
variables selon la température de chauffage et la durée de cuisson. Le traitement thermique tend à diminuer la biodisponibilité du fer, car il favorise la conversion du fer héminique en fer non héminique et la conversion du fer soluble en fer insoluble. Mots-clés : Bœuf – Fer héminque – Facteur viande – Biodisponibilité – Conditionnement – Cuisson.
Abstract Beef meat holds an important place in the constitution of a meal. The last results demonstrated that contribution of the different muscles to the iron recomandations was between 25 and 52% (per 100 g of cooked meat) and can increase up to 80% with consumption of offal (kidney). With 70% of iron as heme form, meat is a source of high disponibility of iron which maintain the reserves in human organism. Meat contributes to incease the biodisponibility of nonheme iron from vegetables. Several hypothesis have been described to explain this “meat factor”. Meat storage under modified atmosphere do not alter its iron status. Cooking meat had various effect according to the temperature and the lengh of the thermic treatment. Temperature tends to decrease the biodisponibility of iron since it favours conversion of heme iron to nonheme iron and conversion of soluble iron to insoluble iron. Keys-words: Bovine – Heme iron – Meat factor – Biodisponibility – Packaging – Cooking.
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