Management
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RESSOURCES HUMAINES
Bien-être ou travail, faudra-til choisir ? Beaucoup d’entre nous aspire à se réaliser et à s’épanouir pleinement dans leur métier. Mais cela n’est pas toujours possible et ce pour plusieurs raisons : le travail s’effectue dans de mauvaises conditions ou tout bonnement nous n’exerçons pas le bon métier.
L
e sociologue Vincent de Gaulejac est revenu récemment sur ce sujet dans son livre intitulé « Travail : les raisons de la colère ». Pour lui, « la valeur travail » est ébranlée. Jadis elle était tout à la fois source d’accomplissement personnel, d’estime de soi, de liens sociaux et de reconnaissance sociale. Aujourd’hui le travail est de plus en plus souvent vécu comme une peine quotidienne exposant l’individu à l’isolement, à l’angoisse de n’être plus « à la hauteur », au stress de la compétition, à l’humiliation publique, à la souffrance psychique qui pousse certains jusqu’au suicide. Bien des rapports ont exploré ces phénomènes en privilégiant tantôt leur dimension sociale, tantôt des causes économiques et politiques, ou encore la dimension individuelle et psychologique. À une époque marquée par les revendications sociales multiples et les difficultés des entreprises à maintenir leur activité sur fond de crise économico-financière, jamais l’enjeu du bien-être et de la motivation des salariés n’aura été aussi importante. Initiateur du baromètre de la motivation et du bien-être des salariés français depuis 2004, Edenred Ipsos publiait en 2011 sa toute dernière enquête annuelle auprès d’un large échantillon de 4 000 salariés français. Finalité : prendre le pouls en termes de motivation des salariés, d’état de leur relation au travail, mais également de leur bien-être au travail.
2011, annonciatrice d’une rupture ? En 2010, les résultats de l’enquête posaient déjà une question en demi-teinte : espoir ou trompe l’œil ? Il en résultait un constat : le travail ne semblait pas dévalué ; un défi : la cohésion ; un élément émergent : le bien-être au travail. En effet, selon Antoine Solom, Directeur d’Ipsos Management, « au sortir de deux années de crise, les résultats témoignaient d’une place du travail toujours aussi fondamentale, voire renforcée.
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Certes, les fractures liées à l’âge des salariés (premier facteur de discrimination perçu), au statut (fonction publique contre secteur privé), à la taille des entreprises, soulignaient l’importance de la question de la cohésion au sein même du monde salarial. Par ailleurs, l’encadrement supérieur montrait les premiers signes d’une certaine lassitude, somme toute compréhensibles au sortir de deux années de difficultés pour les entreprises. » Cependant, 12 mois plus tard, 2011 présente une perspective nettement plus radicale en posant les prémisses d’une potentielle rupture. En effet, la satisfaction et la motivation des salariés ont atteint leur point le plus bas depuis 2007 avec une démotivation qui a affecté tous les secteurs. À la question ouverte : « Pourquoi votre motivation au travail diminue-t-elle ? », les salariés interrogés ont majoritairement évoqué les 10 facteurs de démotivation suivants : le manque de reconnaissance, une rémunération trop faible, le management et les relations sociales, la charge de travail, le stress et le mal-être au travail, le manque d’intérêt du travail, l’évolution de carrière bloquée, le manque de moyens humains, la dégradation des conditions de travail, l’ambiance, la suppression d’emplois, la course à la rentabilité. Pourtant, en dépit de progressions sur la période 2007-2011, le déséquilibre entre environnement de travail et reconnaissancerétribution persiste (avec des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader). Parallèlement, les salariés évoquent beaucoup de difficulté à se projeter dans l’avenir et ce pour deux raisons principales : une mobilité professionnelle confrontée à un taux de chômage supérieur de 8 % depuis plus de 25 ans, une réforme des retraites qui brouille les repères sur la fin de carrière professionnelle. À ce tableau se sont ajoutés deux signaux d’alerte de taille : un management qui décroche et un bonheur au travail fragilisé. Antoine Solom se pose donc l’épineuse question : « Ce cocktail (blo-
Christine Niox-Chateau cages, décrochage du management, baisse du bonheur au travail) est-il annonciateur d’une rupture plus durable ? »
Des réponses prioritaires À défaut d’apporter une réponse définitive, quelques priorités se dégagent à court terme selon lui. D’abord le pouvoir d’achat. Le déséquilibre entre travail et rémunération est-il tenable sur la durée ? À noter que les avantages sociaux et périphériques de la rémunération restent largement plébiscités, signes supplémentaires du caractère aigu de la question du pouvoir d’achat. Ensuite la formation, l’employabilité, l’accompagnement des salariés dans leurs parcours professionnels. La viscosité du marché du travail et l’incapacité des salariés à se projeter qui en découle, accentuée par la réforme des retraites, appellent des initiatives ambitieuses, innovantes et probablement un changement de posture de la part des entreprises et des administrations : la fin du « soyez acteur de votre carrière » et la priorité à une démarche de conseil adaptée et personnalisée. Autre priorité, le management : le traditionnel « malaise des cadres » va désormais bien au-delà de cette catégorie, par ailleurs de moins en moins signifiante. L’accumulation de résultats convergents au cours des deux dernières années, appelle à revoir les représentations liées aux pratiques managériales (du manageur ‘décideur’ au manageur ‘influent’) et met au centre du débat la question de l’autonomie et de la responsabilisation du management dans des organisations toujours plus complexes en recherche de contrôle et de résultats
À une époque marquée par les revendications sociales multiples et les difficultés des entreprises à maintenir leur activité sur fond de crise économicofinancière, jamais l’enjeu du bien-être et de la motivation des salariés n’aura été aussi importante
à court terme. Le bien-être, le « mieux vivre en entreprise » : du fait des blocages existants en matière de rétribution ou d’évolution, la qualité de vie au travail occupe une place centrale. Si elle n’est pas nécessairement un accélérateur de motivation, elle apparaît décisive pour enrayer la démotivation. Au-delà des éléments matériels (confort, conditions de travail, horaires…), il est surtout question à l’instar de ce que l’on observe dans les TPME, d’attention, de valorisation de la part du management, de proximité, de solidarité (travailler ensemble), de capacité à donner des signes de reconnaissance.
Qu’en sera-t-il en 2012 ? Bien-être ou travail, faudra t-il choisir ? Pour Stéphane Haefliger, sociologue, les entreprises qui ont le plus de succès sont pour beaucoup celles dans lesquelles les collaborateurs se sentent le mieux : impliqués, autonomes, respectés. Selon
lui la question n’est pas : « comment motiver ses collaborateurs ? » car la motivation n’est pas un but en soi, mais de donner envie et de permettre aux collaborateurs de se réaliser dans l’entreprise. Les solutions les plus simples sont toujours les meilleures selon lui : « la meilleure approche, c’est se demander à quoi, si on était à la place de l’autre, on serait sensible. Et l’on trouvera toujours dans les réponses que l’on sera amené à se donner, deux notions clés : le respect de l’autre et l’exemplarité » Pour lui, il existe une foule d’idées à mettre en pratique qui sont regroupées en huit thèmes. Aider les collaborateurs à se sentir bien dans leur peau. Savoir inspirer et faire confiance. Responsabiliser plus que déléguer. Jouer la vraie transparence. Donner du sens et une vraie direction. Savoir écouter. Recruter de bons collaborateurs. Et s’assurer de garder les meilleurs. Au final, pour le sociologue, la motivation n’existe pas en soi au niveau professionnel. Il s’agit de créer des conditions qui
permettent l’auto-motivation. Ava Eschwege, fondatrice de l’Agence de Contenu, va plus loin encore : les attentes à l’égard du travail ne sont plus les mêmes. Désormais, notre activité doit être cohérente avec notre philosophie et nos valeurs. Quant à Christilla Pellé Douelle dans son article intitulé « Faut-il aimer son travail pour être heureux ? » elle pose les vraies raisons de nos frustrations personnelles et comment remettre le travail à sa juste place (ne pas se réduire qu’à son activité, avoir le sentiment d’être utile, prendre de la distance et chercher le bonheur ailleurs). Christine Niox-Chateau
Sources : Baromètre Edenred Ipsos « le bien-être et la motivation des salariés Français » Édition 2011. Psychologies.com : Faut-il aimer son travail pour être heureux ? (mai 2010). Bien-être ou travail, faut-il choisir ? Marketing Magazine n° 130 2009. Comment motiver ses collaborateurs ? Stéphane Haefliger (sociologue) 1998.
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