La participation citoyenne dans les projets urbains : Regard-croisé Malakoff/Rabat-Salé

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MASTER 2 «Urbanisme et Aménagement» Parcours Expertise Internationale option Villes des Suds

MÉMOIRE DE RECHERCHE

LA PARTICIPATION CITOYENNE DANS LES PROJETS URBAINS

Regard croisé sur ‘la requalification du quartier Barbusse’ à Malakoff et ‘la séquence 1 de l’aménagement de la vallée du Bouregreg’ entre Rabat et Salé

par Nizar Hajar

encadré par Virginie Rachmuhl

déc 20


PLAN DE TRAVAIL Méthodologie de recherche

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Sigles

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I · Introduction : les enjeux de la participation citoyenne dans les projets urbains

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I·1 · Problématique

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I·2 · Définition des termes et concepts

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I·3 · Un degré de participation pour chaque contexte

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II · Regard croisé : la requalification du quartier Barbusse et la séquence 1 de l’aménagement de la vallée du Bouregreg 12 II·1 · Introduction : mise en contexte des deux projets

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II·2 · Requalification du quartier Barbusse : une participation simple et constructive sur le papier 15 II·2·a · Une ambition de rééquiliber le territoire de Malakoff

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II·2·b · Une participation encadrée et planifiée

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II·2·c · Une efficacité remise en question face aux limites classiques de la participation 22 II·2·d · Conclusion

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II·3 · Séquence 1 de l’aménagement de la vallée du Bouregreg : entre souverainté royale et mouvement citoyen 24 II·3·a · Un projet d’investissement comme levier économique

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II·3·b · Une participation improvisée par l’agence de l’AVB en réaction à la mobilisation citoyenne 26 MÉMOIRE DE RECHERCHE

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II·3·c · L’accompagnement social, participation

une autre forme de

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II·3·d · Conclusion

III · Conclusion

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V · Bibliographie

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MÉMOIRE DE RECHERCHE

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Méthodologie de recheche

Ce mémoire de fin d’études a été très stimulant pour moi pour la simple raison de la quantité et de la diversité des contraintes que j’ai pu dépasser. Premièrement, le contexte sanitaire lié à la Covid-19 a été évidemment le premier virage qui m’a fait changer non seulement mon stage mais aussi mon sujet de mémoire. Étant inscrit en Master 2 Urbanisme et Aménagement en parcours Expertise Internationale option Villes des Suds, mon stage devait être fait dans une ville des Suds et naturellement mon sujet de mémoire devait aussi porter sur une problématique Sud. Face à la fermeture des frontières, j’ai dû renoncer à mon stage à Rio de Janeiro sur les logements sociaux et heureusement, j’ai pu être pris pour un stage à État d’Esprit Stratis, une agence de communication publique et de concertation citoyenne qui accompagne l’action publique notamment dans des stratégies de communication, de médiation et de concertation. Le choix du sujet de mémoire a été assez rapide pour moi puisque la participation citoyenne est un sujet auquel je suis très sensible. Mais pour respecter tout de même au maximum les consignes de cet exercice de fin d’études, il a fallu relier mon stage et mon sujet à un contexte Sud ; et face aux différents blocages liés aux fermetures des frontières, j’ai décidé de mettre en relief un projet de concertation à Malakoff sur lequel j’ai travaillé dans le cadre de mon stage, avec un projet au Maroc dans les deux villes limitrophes où je suis né et où j’ai grandi, Rabat et Salé. Et ce pour des raisons simples : ma connaissance des deux villes et de leurs contextes, la documentation relativement disponible sur le projet et la possibilité de mobiliser ma famille ou mes amis sur place en tant que ressources.

Dans ma méthodologie de recherche et de réalisation de ce mémoire de fin d’études et en reflet à mon plan de travail : j’ai commencé par approcher théoriquement le sujet de la participation citoyenne dans les projets urbains pour comprendre le cadre, les enjeux et la complexité de cette opération. J’ai pu consulter une littérature diversifiée sur le sujet combinant à la fois des recherches socio-urbaines, des retours d’expériences professionnelles, de la littérature grise, des articles scientifiques, etc. Ensuite, j’ai mis en comparaison les deux projets urbains en question en ayant eu des entretiens semi-directifs avec mes collègues de EES sur le projet de la requalification du quartier Barbusse à Malakoff en France, et en replongeant dans la documentation d’autres projets réalisés en école d’architecture, notamment sur la séquence 1 de l’aménagement de la Vallée du Bouregreg entre Rabat et Salé au Maroc. Ces premières discussions et ces premières lectures m’ont fait comprendre que les contextes des deux projets étaient totalement opposés, ce qui a renforcé encore plus ma curiosité de les confronter. Cette mise en comparaison m’a permis de déterminer un canevas et un cadre logique de comparaison et de questionnements, avant d’analyser en détails la démarche de participation et ses résultats dans chaque projet. Enfin, j’ai recroisé une dernière fois les deux projets pour aboutir à des conclusions plus générales. Dans ma quête d’information sur le sujet, j’ai pu réaliser plusieurs entretiens. Concernant le projet à Malakoff, j’ai pu interviewer : · Grégoire Mages : Consultant Senior à État d’Esprit Stratis, chef du projet Malakoff (en présentiel). · Carole Berrebi : Directrice Citoyenneté, Vie Associative et Événementiel à la ville de Malakoff (en visioconférence). · 5 usager·e·s du quartier Barbusse (in situ). Pour le projet du Bouregreg j’ai pu m’entretenir en visioconférence avec :

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· Rachid Alilouch : Directeur Adjoint de la formation continue et des relations avec le milieu socioéconomique à l’École Nationale d’Architecture de Rabat, et ancien Directeur d’Urbanisme à l’Agence de l’Aménagement de la Vallée du Bouregreg (AAVB). · Otman Belmamoun : Chercheur en sciences politiques et politiques publiques, Chef de projet Structuration Juridico-financière à l’Agence Marocaine de Développement de la Logistique et bénéficiaire de l’accompagnement social dans une opération de l’AAVB. · Aussi, j’ai pu récupérer une dizaine d’entretiens réalisés par Leïla Hamidi dans le cadre de son projet de fin d’études : “Le projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg : un projet social ?”. Enfin, mon mémoire de fin d’études peut présenter plusieurs limites liées directement ou indirectement au contexte sanitaire : · La durée courte de mon stage et par conséquent de ma recherche. · Le déséquilibre dans la charge de travail entre les deux premiers mois (moins de travail en agence mais pas de sujet de mémoire défini pour avancer) et les deux derniers (plus de travail en agence en plus du mémoire). · Absence de travail de terrain à Rabat et Salé : aspects informels de la participation récupérés plus dans les articles et papiers que dans les rues du projet.

Sigles AVB : Aménagement de la Vallée du Bouregreg AAVB : Agence de l’AVB EES : État d’Esprit Stratis PAG : Parti d’Aménagement Global PAS : Plan d’aménagement Spécial PLU : Plan Local d’Urbanisme RQB : Requalification du Quartier Barbusse

I · Introduction : les enjeux de la participation I·1 · Problématique Les limites de la participation relevées dans le cadre de mon stage à l’agence État d’Esprit m’ont poussé à questionner le rôle effectif de la participation citoyenne dans les projets urbains, la complexité de sa mise en œuvre et la subtilité de son adaptation. En effet, au fur et à mesure de l’avancement de mon stage, j’ai compris que juger la réussite ou non de la participation n’était pas si binaire. Entre la satisfaction et le rejet des citoyen·ne·s d’un projet urbain, toute une palette de positionnements pouvait être présentée dépendant de plusieurs facteurs tels que le contexte, les marges de manœuvre ou encore le compromis. Dans la participation citoyenne, le mot ‘citoyen’ est important, puisqu’il inclut tous les usager·e·s potentiellement participant à la fabrique de la ville et ne s’arrête pas uniquement à l’habitant·e1. Dans cette fabrique de la ville, le·la citoyen·ne est au centre de toutes les questions urbaines : planification, réseaux, logistique, etc ; par conséquent, il·elle doit être considéré·e comme un·e acteur·rice important·e dans cette conception de la ville dans une perspective d’aménagement par les citoyen·ne·s pour les citoyen·ne·s. En plus, le contexte des révolutions internationales et l’ascension des réseaux sociaux ont permis de libérer la parole des citoyen·ne·s et donc de revendiquer une plus grande participation à la fabrique de la ville2. Dans leur ouvrage Bâtir des villes pour tous: 1 NEZ, H. 2011, “Nature et légitimités des savoirs citoyens dans l’urbanisme participatif”, Sociologie [En ligne], N° 4, vol 2. 2 JACQUEMOT, P. 2019. Éditorial «La ville par le bas», Villes en développement.

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leçons de quatre expériences3, Aurore Mansion et Virginie Rachmuhl catégorisent la participation citoyenne dans les projets urbains en 5 types: la participation contributive, consultative, délibérative, responsabilisante et autonomisante4; chaque type de participation dépend du contexte local de l’opération et du degré d’implication voulu pour les habitant·e·s. Dans mon approche de problématisation du sujet de la participation, j’ai décidé de me concentrer sur la participation consultative et celle délibérative pour pouvoir cadrer au mieux mon analyse du sujet et des études de cas abordées. Dans la participation consultative, les citoyen·ne·s sont sollicité·e·s pour apporter des informations et précisions dans le but de faciliter la compréhension par les décideur·e·s des enjeux locaux liés au contexte : les interactions et échanges in situ, l’informel, etc. Tandis que dans la participation délibérative, l’implication des citoyen·ne·s ne se résume pas que dans l’apport de données (informations, statistiques, etc.) mais s’élargit à la concertation, la négociation et la coconception dans l’objectif d’atteindre un consensus général où chacun se retrouve, et par conséquent, éventuellement une acceptation majoritaire des décisions prises. J’ai fait le choix de me focaliser sur ces deux modes de participation puisque ce sont les deux modes communs à mes deux cas d’études au Maroc et en France et représentent tout de même un vaste terrain propice à l’analyse et à la comparaison. 3 MANSION, A. RACHMUHL, V. 2012. «Bâtir des villes pour tous» Leçons de quatre expériences, Fiche N°4 - Pourquoi et comment impliquer les habitants ?, Gret 4 La participation contributive consiste en la participation financière des habitants dans la bonne marche des équipements et des actions. La participation «responsabilisante» est perçue comme un partenariat négocié de cogestion où les prises de décisions sont partagées par les acteurs. La participation «autonomisante» se résume dans l’autonomie de gestion de l’action par les habitants. MANSION, A. RACHMUHL, V. 2012. «Bâtir des villes pour tous» Leçons de quatre expériences, Fiche N°4, GRET

On peut considérer la participation citoyenne qu’elle soit consultative ou délibérative comme officielle et encadrée institutionnellement. Dans ce sens, la participation questionne fortement, d’une part, le rapport de confiance entre les gouvernant·e·s et les gouverné·e·s dans les régimes dits ‘démocratiques’ : la crise de la démocratie peut rompre la volonté de participer à un système auquel on ne croit plus. D’autre part, elle questionne le rôle des élu·e·s censé·e·s représenter leurs citoyen·ne·s électeur·rice·s : la crise de légitimité des élu·e·s peut accroître la volonté des citoyen·ne·s de faire entendre leurs voix continuellement, même hors élections5. La participation peut aussi se manifester de manière informelle et hors cadre. Autrement dit, les citoyen·ne·s peuvent influencer les décisions d’aménagement à travers des canaux autres que la concertation officielle. Par exemple, en manifestant, les gouverné·e·s affectent directement l’opinion publique qui à son tour met la pression sur les gouvernant·e·s qui peuvent se retrouver dans l’obligation de revenir totalement ou partiellement sur leurs propositions. Cette participation officieuse parallèle à celle officielle n’est pas moins importante, elle influence considérablement le jeu d’acteurs dans l’aménagement de projets urbains. Elle peut prendre différentes formes et peut se montrer à la fois constructive comme contreproductive. La politisation, la manipulation d’information, l’instrumentalisation, etc, peuvent affecter négativement le déroulé et le résultat de cette participation. Toutefois, l’usage de canaux informels pour participer peut aussi être bénéfique pour reprendre la parole, se repositionner et même réajuster les pouvoirs déséquilibrés des acteur·rice·s du projet. Les projets urbains sont des projets 5 GAUCHET, M. 2007, “La Démocratie d’une crise à l’autre”, éd. Cécile Defaut.

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qui souvent durent dans le temps et prennent quelques années à être livrés. La participation des citoyen·ne·s à ces projets peut être voulue par les décideur·e·s sous différentes temporalités : un temps en amont des études du projet sur les orientations possibles, un temps de concertation sur la programmation de l’aménagement, un autre d’information tout au long du projet, etc. Selon la politique de la ville, le code de l’urbanisme, la sensibilité du projet ainsi que d’autres éléments de contexte, les décisionnaires établissent une stratégie pour cette participation citoyenne, qui peut s’arrêter au moment de la validation du projet comme elle peut être organisée par étapes intégrant le processus de l’aménagement. Dans ce mémoire de fin d’études, j’analyserai la participation des habitant·e·s et des citoyen·e·s dans l’élaboration de deux projets urbains : La requalification du quartier Barbusse à Malakoff en région parisienne en France, et la séquence 1 de l’aménagement de la Vallée du Bouregreg entre Rabat et Salé au Maroc. L’objectif n’est pas de chercher des similitudes dans la méthodologie du recours à la participation et de la participation elle-même, mais plutôt de mettre en relief les différents mécanismes de participation dans ces deux projets, pour comprendre les liens subtils entre les marges de manœuvre du contexte et du projet (Navez-Bouchanine, F. 2001) et l’efficacité de la participation, son approche méthodologique et les enjeux politiques locaux. Les différences entre ces deux cas d’études singuliers me permettront de monter en généralité pour essayer de comprendre la complexité pluridisciplinaire (approche politique, sociologique, technique, socio-économique, etc.) de la participation, . Les deux projets s’inscrivent dans des contextes très distincts qui pourraient influencer positivement comme négativement - la démarche de participation, son déroulé et ses résultats. La ville de Malakoff se situant en périphérie de

la capitale, elle est affectée par le poids d’une grande métropole comme Paris. Son projet de requalification du quartier Barbusse devra s’insérer dans une politique plus régionale, celle du Grand Paris. Au Maroc, la situation de la Vallée du Bouregreg entre deux villes : celle de la capitale Rabat et de sa voisine Salé, pourrait rendre le projet très complexe en termes de gouvernance sous l’égide de deux politiques de deux villes, sans oublier le poids très important et impactant de l’institution du Roi au Maroc. La participation citoyenne dans les projets urbains s’insère plus globalement dans un débat d’actualité autour de la démocratie participative et/ou représentative, ce qui renforce l’impact de la gouvernance et de la politique sur une démarche qui, à la base, est supposée être plus technique en réponse à un projet urbain. Dans son analyse, l’urbaniste doit tenir compte de la diversité et de la complexité des données du terrain, des acteur·rices·s, de la culture locale, de la situation socio-économique et politique, etc. Dans un projet urbain, une des qualités attendues d’un·e urbaniste est d’accompagner la construction de compromis. Autrement dit, face à la multiplicité des acteur·rice·s et de leurs points de vue et intérêts qui peuvent être contradictoires, plusieurs options sont possibles en fonction des priorités, de l’expérience, des contraintes techniques et financières, etc. L’urbaniste dans ce sens, dans un souci de satisfaire toutes les parties prenantes, doit tant bien que mal trouver les solutions adéquates pour réunir un maximum d’acteur·rice·s autour d’une ou plusieurs orientations avec en ligne de mire éventuellement un consensus. Questionnements : · Comment se positionner en tant qu’urbaniste dans ce schéma d’acteur·rice·s ? Et comment composer entre les volontés des citoyen·ne·s, les contraintes du projet et du contexte et le pouvoir de l’appareil

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politique ? · Quels sont les outils et les méthodes utilisé·e·s par les pouvoirs publics dans les deux projets analysés pour faire participer leurs citoyen·ne·s respectif·ve·s dans la réflexion ? Quel diagnostic de la participation dans ces deux cas d’étude ? · La participation est-elle vraiment représentative de la démocratie ? Émane-t-elle d’une réelle volonté politique d’inclusion dans les décisions ? Ou au contraire, peut-elle être orientée dans le seul but d’une légitimation politique (donner l’illusion de la concertation pour une ambition électorale) ? · Si dans un projet urbain la participation citoyenne ne peut être totale au vu des contraintes qu’impose le contexte et qu’elle est tout de même nécessaire à la réussite et à l’acceptation du projet, quel est le degré de participation requis pour garantir une valeur ajoutée au projet ? De quoi dépend ce degré ? Et comment et quand mettre en place cette participation ?

I·2 · Définition des termes et concepts La participation citoyenne dans les grands projets urbains a été étudiée par plusieurs chercheur·e·s depuis quelques décennies déjà (Bacqué, Gauthier 2011), et face à la diversité des approches et des concepts et à la généralité des termes, j’ai dû choisir parmi une palette de définitions pour composer les plus adaptées à mon sujet de recherche. J’affirme, bien évidemment, que celles choisies ne sont ni les seules ni les meilleures, mais elles se rapportent au contexte de mon travail. · Projet urbain : est un projet territorialisé et concerté. Il est lié à un territoire précis et localisé. Il doit inclure tous les acteur·rice·s concerné·e·s (administration, expert·e·s, habitant·e·s, citoyen·ne·s, élu·e·s, etc) dans son étude. Aussi, un projet urbain doit nécessairement prendre en compte le développement urbain durable

et assurer un bon équilibre entre contenants (infrastructures, équipements, aménagements, etc) et contenus (création d’entreprises et d’emplois, mesures d’intégration, d’animation, de solidarité, de cohésion, etc)6. · Participation citoyenne : est l’action par laquelle les citoyen·ne·s affectent un projet urbain qu’il soit en phase d’étude ou de réalisation. Elle peut comprendre à la fois des allures formelles comme la concertation ou la consultation encadrées, ou informelles comme la résistance à des projets urbains contestés (Deboulet, Berry-Chikhaoui. 2002) ou encore l’usage des citoyen·ne·s de canaux non classiques pour faire entendre leurs voix. · Consultation : est une forme de participation où les citoyen·ne·s sont invité·e·s à donner des informations pour enrichir le diagnostic territorial et ainsi participer à une meilleure compréhension des enjeux locaux. D’après Virginie Rachmuhl et Aurore Mansion, deux urbanistes expertes en projets urbains de l’ONG Gret et co-auteures de Bâtir des villes pour tous en Afrique7, la participation consultative est l’opération où “les habitants ou leurs représentants sont sollicités pour donner des informations nécessaires à la conduite des actions”. · Concertation : elle dépasse le simple fait de la consultation en sollicitant les citoyen·ne·s dans la réflexion collective sur des questions discutables du projet urbain. Ces questions sont définies à l’avance par les commanditaires du projet et représentent les marges de manœuvre de la concertation (Navez-Bouchanine, 2007). Rachmuhl et Mansion qualifient cette forme de participation de délibérative puisque “les actions à réaliser sont discutées avec les acteurs. La concertation est 6 «Qu’est-ce qu’un projet urbain ?», guide du projet urbain : principes stratégiques. villedurable.org 7 MANSION, A ; RACHMUHL, V, (dir.) 2012, “Bâtir des villes pour tous en Afrique. Leçons de quatre expériences”. Coll. Études et Travaux, série en ligne n° 31, Coédition GLTN ONU-Habitat et Gret.

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organisée à différents niveaux et les idées émises sont négociées. Ces échanges ont à la fois comme objectifs une appropriation collective des actions à réaliser, et une collecte des opinions des uns et des autres.” · Marges de manœuvre : ce sont toutes les variantes du projet où il est encore possible de questionner et de réfléchir collectivement avec les citoyen·ne·s sur leur devenir. Les marges de manoeuvre décident en grande partie l’orientation du déroulement du projet puisqu’elles déterminent les degrés d’implication citoyenne, d’intervention social et d’ambition du projet et des porteur·se·s de projet8. · Communication : comprend toute la stratégie mise en œuvre par l’acteur·rice public·que pour communiquer officiellement sur le projet urbain. Par conséquent, la communication dans ce cadre suit et doit répondre à plusieurs stratégies en même temps : la stratégie politique menée par les élu·e·s porteur·e·s du projet, la stratégie marketing pour la vente de l’image du projet, etc. La communication sur les projets urbains peut être considérée comme subjective du fait qu’elle est réalisée par l’acteur·rice public·que/politique responsable du projet. · Information : contrairement à la communication qui peut être subjective, l’information se veut objective. Elle concerne non seulement les faits avancés par le commanditaire du projet mais aussi les fuites ou les données reçues de canaux de communication non officiels. L’information ou le droit à l’information peut être crucial dans une opération urbaine comme on pourra le voir pendant l’analyse des cas d’études. L’information est le premier niveau de la participation, elle doit être maintenue tout au long du projet. 8 NAVEZ-BOUCHANINE, F. 2007. “Projets de résorption de l’habitat insalubre, guide de l’action sociale”, Travail de coopération entre l’Agence de Développement Social (ADS), le Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme (MHU) et l’Agence Française de développement.

· L’échelle d’Arnstein9 : est le concept d’échelle de participation inventé par Sherry Arnstein en 1969. “Il sert depuis aux professionnel·le·s à mesurer le niveau de participation dans les démarches de planification ou d’aménagement”.10

I·3 · Un degré de participation pour chaque contexte La participation citoyenne est étroitement liée au contexte local du projet urbain. Selon le cadre réglementaire de la participation dans le pays où le projet a lieu, elle peut changer tant dans la forme que dans le fond. Au Maroc, la participation en général et la concertation en particulier ne sont pas imposées par la loi dans les projets d’aménagement urbain. Les citoyen·ne·s ont seulement un mois, à titre consultatif dans le cadre d’une enquête publique, pour présenter leurs doléances au projet in situ dans les locaux de la commune responsable du projet11. Dans ce sens, les citoyen·ne·s non protégé·e·s dans les textes ont tendance à exprimer leurs voix et à participer via d’autres canaux moins institutionnels. Article 25 : Le projet de plan d’aménagement donne lieu à une enquête publique d’un mois qui se déroule concomitamment à l’examen du projet par le ou les conseils communaux intéressés. Cette enquête a pour objet de permettre au public de prendre connaissance du projet et de formuler d’éventuelles observations. [...] Les observations formulées au cours de cette enquête sont étudiées par le conseil communal, lors de l’examen par ses soins du projet de plan d’aménagement, avec d’être soumises à l’administration. Loi 12-90 relative à l’urbanisme au Maroc.

9 ARNSTEIN, S.R. (1969), «A Ladder of Citizen Participation», Journal of the American Planning Association, 35 (4): 216– 224 10 PUGET, A ; PESTRE, J ; BOUZEMBERG, L ; LE BERRE , N. 2020. “Du verbe à l’action, la participation au-delà de l’échelle d’Arnstein ?” Revues sur mesure. 11 Article 25 de la loi 12-90 relative à l’urbanisme au Maroc.

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Dans l’analyse de l’étude de cas de l’aménagement de la Vallée du Bouregreg (AVB), je développerai davantage cet aspect informel pour mieux comprendre son effet sur le projet urbain. En France, le code de l’urbanisme donne la possibilité aux citoyen·ne·s de s’exprimer sur les projets d’aménagement urbain de manière continue. Les termes “participation” ou “concertation” sont, aujourd’hui plus que jamais d’actualité et sont très présents dans les sphères politiques, médiatiques et sociales, que ce soit dans le domaine de l’urbain ou en dehors. Les participant·e·s français·es sont alors souvent convié·e·s dans des cadres plutôt formels : réunion publique, atelier participatif, balade urbaine, conseil citoyen, etc. Article L103-2 : Font l’objet d’une concertation associant, pendant toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées : 1· L’élaboration ou la révision du schéma de cohérence territoriale ou du plan local d’urbanisme ; 2· La création d’une zone d’aménagement concerté ; 3· Les projets et opérations d’aménagement ou de construction ayant pour effet de modifier de façon substantielle le cadre de vie, notamment ceux susceptibles d’affecter l’environnement, au sens de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, ou l’activité économique, dont la liste est arrêtée par décret en Conseil d’Etat ; 4· Les projets de renouvellement urbain. Code de l’urbanisme en France.

À mentionner que la participation dans ce cadre propositionnel n’est pas synonyme de codécision et n’oblige en aucun cas le·la décideur·e à prendre en compte les propositions retenues lors des dispositifs. Dans la forme et dans les textes, ce processus apparaît très ambitieux et très constructif, mais dans la réalité son effectivité est remise en question tant par les chercheur·e·s que par les professionnel·le·s12. 12 GALLART, R. 2019, “L’important n’est pas seulement de participer. Sociologie de la fabrique de la participation populaire dans les métropoles de Recife (Brésil) et Grenoble (France)”, Thèse de doctorat en études urbaines à l’Université Paris Nanterre, sous la direction de Marie-Hélène Bacqué et

De toute évidence, le régime politique du pays affecte la participation puisqu’il affecte directement la relation gouverné·e/ gouvernant·e. Cette relation est au cœur du sujet de la participation puisqu’elle instaure - ou non - une relation de confiance entre ces deux familles d’acteur·rice·s et par extension, elle définit ou non - un cadre pour la participation. Dans la monarchie constitutionnelle marocaine, la nature et l’organisation descendante du système de décisions13, le manque de compétences des élu·e·s14 locaux·ales ainsi que le poids de l’institution royale - notamment dans le projet de l’AVB - fait que la participation passe plutôt par la revendication et la protestation contre les décisions que par une construction multiscalaire15. Dans la république française, et contrairement au Maroc, la participation citoyenne est présente dans la majorité des strates de gouvernance - dont l’urbanisme est le principal thème (Bacqué, 2006). Cependant, cette participation est handicapée justement par la crise de représentativité16 et la distanciation entre la sphère de décisions et la sphère réelle17, chose qui questionne fortement la représentativité même des participant·e·s. Yves Sintomer. 13 « De façon générale, la participation occupe une faible place dans le champ urbain au Maroc. Ceci est dû à la nature et à l’organisation fortement descendante du système de décision et au fait que les élus ne parviennent pas à jouer leur rôle politique et de représentant démocratique ». MANSION, A ; RACHMUHL, V, (dir.) 2012, “Bâtir des villes pour tous en Afrique. Leçons de quatre expériences”. Coll. Études et Travaux, série en ligne n° 31, Coédition GLTN - ONU-Habitat et Gret. 14 Entretien réalisé avec Otman Belmamoun, chercheur en sciences politiques et politiques publiques. 15 Une construction où les différentes parties concernées par l’aménagement urbain sont sollicitées pour leurs expertise locale, technique, institutionnelle, financière, etc. 16 Entretien réalisé avec Carole Berrebi, Directrice Citoyenneté, Vie Associative et Événementiel, à la mairie de Malakoff. 17 Entretien réalisé avec Grégoire Mages, Consultant Senior à État d’Esprit Stratis, chef du projet de la concertation sur la Requalification du Quartier Barbusse à Malakoff.

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“La faisabilité de la participation dépend de la nature du régime en place, du degré de maturité et de dynamisme de la société civile.” Virginie Rachmuhl et Aurore Mansion.

Dans un cadre plus opérationnel, les commanditaires, en concertation technique avec les expert·e·s, se positionnent sur les invariants du projet et définissent les marges de manœuvre de la participation citoyenne. Pour cette raison, les attentes de la concertation doivent être bien claires et bien définies dès son annonce pour éviter les malentendus et les déceptions éventuelles. Cette étape est très importante puisqu’elle décide du contenu de la concertation - sur quoi les participant·e·s pourront enrichir le débat - et même de la stratégie de communication sur le projet et sur la concertation sur le projet. En d’autres termes, les marges de manœuvre résultent des études liées aux contraintes économiques, politiques, techniques et sociales du projet ; elles permettent de définir les dispositifs et leur temporalité, les acteur·rice·s à intégrer et l’accompagnement social s’il est nécessaire. Les dispositifs de participation sont les outils par lesquels la participation se fait qu’elle soit consultative ou délibérative. Ces dispositifs peuvent être séparés en deux catégories : Les dispositifs de communication : · l’affichage public pour communiquer sur le projet et éventuellement sur la concertation sur le projet · la distribution de flyers in situ au pied des immeubles et dans les boîtes aux lettres pour pouvoir toucher plus de personnes · la communication digitale via les réseaux sociaux et les sites webs · etc. Les dispositifs de concertation : · la réunion publique qui a un objectif généralement d’information et de présentation du projet ou des étapes du projet · la balade urbaine qui sert à expliquer, informer et faire réagir les participant·e·s sur les enjeux localisés du projet · l’atelier participatif qui est

axé sur la co-conception de propositions et d’idées avec les participant·e·s · le panel qui assure une certaine qualité et représentativité puisque les participant·e·s sont payé·e·s pour partager leurs avis. Ces dispositifs ne sont pas exclusifs. À ma connaissance et de mon expérience au Maroc, à Dakar et en France, ils sont les plus utilisés dans le registre officiel de la participation. Enfin, le contexte social joue un rôle autant important que les contextes cités précédemment, puisqu’il décide fortement de la capacité des participant·e·s à prendre part à ces dispositifs. Les citoyen·ne·s qui sont dans une situation de précarité n’ont pas le temps pour participer à “l’incubation de l’intelligence collective” d’un projet qui ne verra le jour que dans quelques années. Il·elle·s sont à la recherche constante de subvenir à leurs besoins les plus primaires, ce qui rend la sphère de la participation pour eux·elles déconnectée de la réalité immédiate (Schumpeter, 1942). Aussi, beaucoup de citoyen·ne·s concerné·e·s directement par le projet d’aménagement urbain ne se sentent pas légitimes à y participer en avançant leur manque de compétences et de savoirs citoyens (NEZ, H. 2011).

«Seule une minorité a accès à l’information sur la concertation et aux sphères de réflexion, a un capital intellectuel qui lui permet de comprendre les enjeux” Grégoire Mages.

Le capital intellectuel des participant·e·s est à prendre en considération dans la conception même des dispositifs pour permettre l’adhésion du plus grand nombre. Enfin, toutes ces données sur le contexte social de la participation citoyenne renforcent et affirment davantage cette faille de représentativité, où finalement, après ces différents filtres, les participant·e·s finaux·ales sont dans une grande partie des cas non représentatif·ve·s.

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Rencontre Malakoff et moi · © Ville de Malakoff

Les composantes de la participation, à Malakoffiot·e·s les engagements de la suite du savoir : les citoyen·ne·s, le politique, le technique, mandat et pour donner une légitimité à son action le contexte socio-économique, les marges de de maire non élue18”. manœuvre et les dispositifs sont toutes des données variables dans l’équation de la participation, ce qui rend cette dernière compliquée à prédire et intéressante au cas par cas, d’autant plus que ces mêmes données dépendent les unes des autres. Cette initiative très appréciée par les citoyen·ne·s de Malakoff a renforcé leur volonté de participation dans le projet du quartier Barbusse. La ville de Malakoff, se trouvant à proximité immédiate du Paris intramuros, a logiquement été affectée dans son aménagement par le projet du Grand Paris Express qui a encadré la ville par deux nouvelles gares à Clamart et à Châtillon. Situation de Malakoff et du projet de RQB par rapport à Paris et aux deux gares du Grand Paris Express · © Nizar Hajar · Ech 1/500

II · Regard croisé: la requalification du quartier Barbusse et la séquence 1 de l’aménagement de la vallée du Bouregreg II·1 · Introduction : mise en contexte des deux projets Comme avancé en introduction, le choix de travailler sur ces deux projets a été fait sur la base de la faisabilité de la recherche et de l’analyse dans ce contexte de fermeture des frontières (surtout pour le choix du projet de la vallée du Bouregreg au Maroc) mais aussi pour la différence entre les deux contextes des deux projets qui a induit à une participation mais sous des formes différentes tant dans les processus que dans les résultats. Pour comprendre la participation dans les deux projets, il est nécessaire de comprendre le contexte d’émergence de chacun. Le projet de requalification du quartier Barbusse à Malakoff, a été décidé dans le cadre du PLU de Malakoff en 2015 et a été porté par la nouvelle maire Catherine Belhomme. Cette dernière a initié ‘Malakoff et moi’ pour co construire avec les

Autour de ces deux nouvelles gares, et dans un rayon de 500m, des projets de densification et de restructurations importants ont été prévus19 impactant ainsi internement la ville de Malakoff. Bien que le projet de requalification du quartier 18 Entretien réalisé avec Carole Berrebi, Directrice Citoyenneté, Vie Associative et Événementiel, à la mairie de Malakoff. 19 Fiche 7, L’école de la ville buissonière, ville de Malakoff, villebuissonniere.org.

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : INTRODUCTION

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Barbusse ait été conditionné par ces quelques données contextuelles, il reste tout de même un projet urbain classique dans ses études, dans sa gouvernance et dans son déroulé. En revanche, le projet d’aménagement de la Vallée du Bouregreg est tout sauf classique. Ce projet grandiose de 6000 ha a l’ambition de développer 15 km de profondeur de l’estuaire de l’oued20 Bouregreg de l’océan atlantique, et ce en intégrant des territoires des deux villes qui le bordent : Rabat et Salé. Dans l’optique de dépasser la bureaucratie des projets urbains au Maroc surtout dans un projet où deux villes sont impliquées, le Roi a décidé de créer une agence

urbaine ‘l’Agence de l’Aménagement de la Vallée du Bouregreg (AAVB)’ spécialement pour le territoire de cette vallée. L’agence a été créée le 23 novembre 2005 suite au décret du dahir n°105-70 promulguant la loi n°16-0421 relative à l’aménagement et à la mise en valeur de la vallée du Bouregreg. Sur le principe, cette agence, qui regroupe dans son directoire des décideur·e·s des deux villes, des ministres en relation directe avec le projet, a pour but justement de contrecarrer la lenteur procédurale connue de l’urbanisme réglementaire au Maroc22, mais nous allons vite nous rendre compte que ses prérogatives ont pu dépasser cette seule ambition.

DE L’AMÉNAGEMENT DE L A VALLÉE DU BOUREGREG Roi

Président·e de la région de Rabat Salé Kénitra

Maire de Rabat

Maire de Salé

Système de gouvernance à deux têtes

Initiative royale Système de gouvernance à quatre têtes

Wali de la région Rabat Salé Kénitra

Gouverneur·se de Rabat

Nominations royales

Élections

Chef de gouvernement

Gouverneur·se de Salé

AGENCE D’AMÉNAGEMENT DE LA VALLÉE DU BOUREGREG AAVB

20 Oued : fleuve en langue arabe.

Cadre institutionnel de la création de l’AAVB · © Nizar Hajar

CADRE DE LA CRÉATION DE L’AGENCE

21 Textes institutifs de l’AAVB, bouregreg.com 22 MOULOUDI, H. 2010. “La réaction de la société civile dans la production des grands projets urbains au Maroc : entre le soutien inconditionnel et le rejet total”, Les Annales de la Recherche Urbaine, N°106, pp. 48-62.

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : INTRODUCTION

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séquence a été choisie pour sa comparabilité en termes de surface du projet avec le quartier Barbusse à Malakoff et pour le recul sur les projets qui y sont déjà réalisés. Séquences du Plan d’Aménagement Spécial (PAS) · © Nizar Hajar · Ech 1/1000

Aussi, il est indispensable de comprendre le système de gouvernance régionalisée au Maroc pour justifier cette initiative royale. En réalité, deux systèmes de gouvernance sont présents au Maroc : celui issu des élections qu’elles soient communales, régionales ou législatives, qui désigne le chef de gouvernement, les présidents de régions, les maires, etc. En parallèle, un deuxième système déconcentré, dont les nominations sont royales, accompagnent toutes les strates de gouvernance classique du premier système. Dans le cas du projet de la vallée du Bouregreg, avec une présence dans un territoire de deux villes, nous sommes face à une gouvernance à quatre têtes : Maire de Rabat, Gouverneur·e de Rabat, Maire de Salé et Gouverneur·e de Salé. Cette initiative semble être une solution adéquate. Une fois l’AAVB créée, un Plan d’Aménagement Spécial (PAS) a été érigé pour structurer et planifier l’aménagement de la vallée. Aussitôt présenté, le PAS a suscité un tollé de critiques pour son caractère anti-démocratique puisqu’il court-circuite plusieurs lois en multipliant les dérogations et en ratissant les attributions des élu·e·s : dorénavant le·la directeur·rice de l’AAVB hérite des pouvoirs du·de la président·e du conseil communal en termes de dérogations en rapport au code de l’urbanisme et à l’expropriation. Aussi, les pouvoirs des deux agences urbaines de Rabat et de Salé ont été, eux aussi, repris par l’AAVB et les agences ont vu leurs compétences sur le territoire se réduire. Tous ces éléments de non implication des élu·e·s locaux·ales pourraient nous donner une première idée quant à la volonté de faire participer les citoyen·ne·s dans ce grand projet urbain sous haut et réel patronage du Roi. Dans sa planification urbaine, le PAS est divisé en 6 séquences en termes de territoire et de temporalité. Le focus dans ce mémoire se fera sur la Séquence 1 : Bab Al Bahr, se situant à l’embouchure de l’Oued et encadré par les médinas des deux villes. Cette

Une dernière donnée importante à connaître sur le territoire du projet est sa structure foncière qui se caractérise par une domination de la propriété privée à 57% suivie par celle du Habous23 25% et enfin celle du public 18%. Cette domination du privé va impacter la question de l’expropriation et va initier le bras de fer entre l’agence et les habitant·e·s concerné·e·s puisque l’AAVB a hérité de tout le territoire du projet par les pouvoirs qui lui ont été donnés. Les deux projets analysés Barbusse et Bab Al Bahr sont deux projets très contrastés dans 23 Également appelés waqf ou « biens de main-morte », ils désignent un bien foncier ou immobilier inaliénable : il ne peut être vendu ou échangé. Le fondateur bénéficie de l’usufruit du bien durant sa vie. À sa mort, son pouvoir économique est conservé intact au sein du groupe familial auquel il appartient. Lorsque la lignée des bénéficiaires vient à s’éteindre, le bien est affecté à des œuvres charitables ou pieuses que le fondateur a toujours pris soin de désigner dans l’acte constitutif. Le bien rentre ainsi dans la catégorie des habous publics. Le but d’immobiliser le statut juridique d’un bien est de pérenniser le capital au sein du groupe familial et donc la hiérarchie sociale de la famille. Source : Wikipédia.

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : INTRODUCTION

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leurs avènements respectifs. De prime abord, ils apparaissent très antipodes dans leur rapport à la participation citoyenne. Dans le premier, les événements contextuels ainsi que le régime de gouvernance français proposent un environnement propice à la concertation des citoyen·ne·s français tandis que dans le deuxième, les conditions tendent à réduire significativement le rôle des citoyen·ne·s marocains dans l’aménagement du projet. Tous ces éléments pourront nous faciliter la compréhension des enjeux et des rapports de force que vont avoir les différent·es acteur·rice·s dans ces projets urbains.

II·2 · Requalification du quartier Barbusse : une participation simple et constructive sur le papier

II·2·a · Une ambition de rééquiliber le territoire de Malakoff Le projet ambitieux de la requalification du quartier Barbusse s’insère dans une orientation globale d’aménagement du Sud de Malakoff prenant en compte la création des deux nouvelles gares du Grand Paris Express à Châtillon et à Clamart. Dans ce sens, la requalification concerne plusieurs volets : la réhabilitation et la construction des logements dans les cités des Nouzeaux et des Poètes, la végétalisation du quartier, son attractivité commerciale et sa restructuration viaire pour une meilleure mobilité.

Ambitions du projet de RQB · © Ville de Malakoff

Tableau : Éléments techniques de comparaison des deux projets · © Nizar Hajar

Le projet de RQB est porté par la mairie de Malakoff. La ville a prévu de réaliser ce projet sur une dizaine d’années pour des raisons d’étalement de la charge financière mais aussi simplement pour la grandeur du projet urbain. Pour proposer ce plan d’aménagement, la ville s’est armée de plusieurs études importantes portant sur différents sujets: le potentiel paysager, le marché commercial, la propriété foncière, le diagnostic viaire, etc. Dans le plan de masse final, le ‘carrefour’ Barbusse a un rôle important en tant que pivot sur lequel les autres aménagements se développent, et c’est pour cette raison que la réflexion sur son devenir va être intéressante. D’autant plus, qu’actuellement, c’est un rond-point imposant que les Malakoffiot·e·s affectionnent particulièrement pour sa beauté, sa fonctionnalité et son rôle de repère urbain.

MÉMOIRE MÉMOIRE DE DE RECHERCHE RECHERCHE··REGARD REGARD CROISÉ CROISÉ::INTRODUCTION R Q BARBUSSE

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Plan masse du projet de RQB · © Ville de Malakoff

Le rond-point Barbusse, le 21 octobre 2020 · © Nizar Hajar

Pour la réalisation du projet urbain, il est essentiel les rencontres “Malakoff et moi” et ne devrait, par pour la ville de Malakoff de faire accepter le projet conséquent, pas poser de grands conflits par les Malakoffiot·e·s en général et les citoyen·ne·s du quartier Barbusse en particulier24. Sur le papier, le projet vient répondre à des revendications de requalification portées par la population et a été discuté pendant la révision du PLU et pendant 24 D’après les multiples échanges réalisés avec Camille Radiguet, consultante à EES et responsable du projet de RQB.

MÉMOIRE MÉMOIRE DE DE RECHERCHE RECHERCHE··REGARD REGARD CROISÉ CROISÉ::INTRODUCTION R Q BARBUSSE

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SCHÉMAS D’ACTEUR·RICE·S DU PROJET DE REQUALIFIC ATION DU QUARTIER BARBUSSE

MAÎTRES D’OUVRAGE

· DÉPARTEMENT HAUTS-DE-SEINE (ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES) · VILLE DE MALAKOFF (LE PROJET EN ENTIER)

BUREAUX D’ÉTUDES

PARTICIPATION

· CITALLIOS

· ÉTAT D’ESPRIT STRATIS (AGENCE DE CONCERTATION)

· CUSHMAN & WAKEFIELD · CERYX TRAFIS SYSTEM

· CITOYEN·NE·S MALAKOFFIOT·E·S

CONCEPTION ET AMÉNAGEMENT · CATHERINE TRICOT (ARCHITECTURE) · PRAXYS (PAYSAGE) · VERDI (AMÉNAGEMENT) · MALAKOFF HABITAT (GESTION HABITAT)

Schéma des acteur·rice·s du projet de RQB · © Nizar Hajar

II·2·b · Une participation encadrée et planifiée

pour la concertation et la communication pour la mise en œuvre du projet urbain du quartier Barbusse. Cet appel d’offre, gagné par État d’Esprit Stratis, développé en stratégie en 2018 et 2019 est le sujet de mon analyse. Communication : Dans un contexte de reprise de contact avec la population locale ainsi que le démarrage de plusieurs travaux, la communication a été un volet important de développement. Une stratégie complète a été réalisée en commençant par la transformation totale de l’identité graphique en basculant sur une couleur verte attrayante et un slogan original : 100% Barbusse, le Sud ne perd

Après une première phase de concertation menée en interne par la ville elle-même entre 2016 et 2017 (3 réunions publiques et 4 ateliers participatifs sur la mobilité, l’habitat, les commerces et le réaménagement provisoire de la place Barbusse) où la ville a pu présenter via l’architecte Catherine Tricot le plan guide de l’évolution du secteur Barbusse ainsi que les propositions d’aménagement du projet et leur phasage et où les participant·e·s ont exprimé leurs directives d’offre commerciale, d’occupation d’espaces publics, etc ; la ville de Malakoff désirant renforcer sa communication sur le projet et gérer les éventuelles questions et pas le Nord. critiques des citoyen·ne·s, a décidé de lancer un Plusieurs dispositifs ont été mis en œuvre dans la appel d’offre communication sur le projet et la communication

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : R Q BARBUSSE

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sur la concertation sur le projet : des flyers, des lettres d’information, des lettres d’invitation, de l’affichage public et une exposition itinérante.Cette large communication a permis un transfert d’information des décideur·e·s aux citoyen·ne·s mais aussi a sécurisé une importante participation aux événements Nouvelle charte · © EES proposés de concertation. D’après Marie-Hélène, habitante Malakoffiote, même celles et ceux qui

se préoccupent peu du devenir de la ville sont au courant du projet. Les objectifs de cette stratégie de communication étaient d’abord de rassurer et d’instaurer un rapport de transparence entre les citoyen·ne·s et les porteur·se·s de projet mais aussi de valoriser les réalisations à l’échelle de l’ensemble de la ville25. Concertation : Une fois la stratégie de communication en marche, les rendez-vous de concertation ont été annoncés au public dont une grande participation était attendue, ce qui a pu être à la fois stimulant et stressant pour les responsables de la ville. La concertation réalisée s’est tenue en 4 temps : une première réunion publique (le 15/11/18), deux ateliers participatifs (les 20/12/18 et 16/02/19) et

SCHÉMAS DES DISPOSITIFS DE PARTICIPATION DU PROJET DE REQUALIFIC ATION DU QUARTIER BARBUSSE MAÎTRE D’OUVRAGE VILLE DE MALAKOFF

AGENCE DE CONCERTATION ET DE ÉTAT D’ESPRIT STRATIS CONSEIL EN COMMUNICATION

COMMUNICATION

· MISE À JOUR DE L’IDENTITÉ GRAPHIQUE DU PROJET · INVITATION À LA RÉUNION PUBLIQUE DE LANCEMENT · ÉDITION D’UNE LETTRE DE PROJET

CONCERTATION

· RÉUNION PUBLIQUE DE LANCEMENT · 2 ATELIERS PARTICIPATIFS · RÉUNION PUBLIQUE DE RESTITUTION POUR LES SUJETS SENSIBLES

· EXPOSITION ITINÉRANTE SUR LE PROJET

Schéma des dispositifs de participation dans le projet de RQB · © Nizar Hajar 25 Stratégie de concertation et de communication 2018, État d’Esprit Stratis.

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : R Q BARBUSSE

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une dernière réunion publique de restitution (le 04/07/19). La démarche de concertation dans le projet de RQB a été présentée clairement aux participant·e·s, en précisant les marges de manœuvre existantes, à savoir les points sur lesquels ils ou elles pouvaient encore se prononcer, comme : les fonctions et les usages des espaces libérés par la transformation du rond-point ; l’équipement public à la place du centre commercial ; les besoins en commerce ; les accès aux cités ; etc. Toutefois, bien que ces marges de manœuvre aient été définies dès le départ, quelques aménagements et nouvelles affectations n’ont pas été spontanément accepté·e·s par les citoyen·ne·s et ont été une source de conflit et de non adoption du projet à ses débuts. Deux de ces aménagements sont intéressants à analyser : le rond-point Barbusse et la rue Avaulée.

- et de l’attribuer dans l’aménagement de la nouvelle place publique prévue dans le plan d’aménagement. Cette nouvelle place, la ville y est attachée parce qu’elle fait lien avec les différents aménagements prévus tout autour. Les citoyen·ne·s ont exprimé leur mécontentement dès la première réunion publique : · “Pour moi, le rond-point HenriBarbusse est un moment de poésie, notamment l’hiver à Noël” · “Pour ce qui est du rond-point, j’en suis partisan car c’est un excellent régulateur du trafic. Je ne suis pas sûr que les propositions améliorent la situation” · “Ce rond-point, je l’aime beaucoup et j’ai plutôt envie de le garder” · etc26. La ville de Malakoff, consciente de l’importance de cet aménagement ponctuel dans l’aménagement global de l’opération et accompagnée par son agence de concertation et de communication État d’Esprit Stratis, va se lancer dans un travail de persuasion auprès des participant·d·s en mettant en avant toutes les possibilités d’aménagement à réaliser une fois le rond-point évacué, avançant des arguments sur les éventuels nouveaux usages dans la place récupérée, sur l’espace sécurisé pour les enfants, sur l’ouverture visuelle sur le centre commercial, etc. Cette approche va permettre au fur et à mesure de l’avancement des deux ateliers et jusqu’à la dernière réunion publique de “modérer l’ambiance conflictuelle autour du rond-point voire la dépasser”27. Aujourd’hui, les Malakoffiot·e·s ont conscience que la requalification de leur quartier passe impérativement par cette nouvelle configuration du rond-point, bien qu’il·elle·s Localisation du rond-point Barbusse et de la rue Avaulée semblent y être très attaché·e·s. dans le périmètre du projet · © Nizar Hajar · Ech 1/100 · La rue Avaulée : prolongement du boulevard · Le rond-point Barbusse : repère identitaire de Barbusse au-delà du rond-point Henri Barbusse, la ville de Malakoff, fait l’unanimité quant à sa est une rue relativement étroite qui relie le Nord et qualité esthétique et sa fonctionnalité régulatrice du trafic. Toutefois la ville a acté de le transformer 26 Compte-rendu de la réunion publique du 15 novembre en carrefour ou en petit rond-point franchissable 2018, ville de Malakoff. dans l’objectif de récupérer une grande partie 27 Serge Cormier, premier adjoint à la maire de Malakoff, Réunion publique de restitution du 4 juillet 2019, Ville de de sa surface existante - jugée surdimensionnée Malakoff. MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : R Q BARBUSSE

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le Sud de Malakoff et est aussi empruntée par les automobilistes à destination ou en provenance de Paris. Malgré sa petitesse, 8000 voitures y passent tous les jours. Pour la ville, cette rue doit devenir à sens unique pour pouvoir y intégrer des pistes cyclables à double sens en continuité avec les cheminements doux du quartier. Une proposition contestée par les participant·e·s qui ont indiqué que la circulation automobile y était déjà difficile. Ils redoutent que le projet de carrefour n’aggrave davantage la situation28. Pour gérer ce sujet, la ville de Malakoff a tenté une stratégie intéressante profitant du contexte sanitaire en mettant la rue Avaulée à sens unique pendant le confinement en avançant que cela était temporaire et lié à la diminution du flux sachant que le but est officiellement d’habituer les Malakoffiot·e·s à ce nouvel itinéraire automobile. Néanmoins, ces dernier·e·s sont très attaché·e·s à la voiture et sont assez critiques envers la création des pistes cyclables dans le quartier comme en témoignent ces réactions sur la page “Tu sais que

tu viens de Malakoff si …”29 sur une publication abordant le sujet. Cela étant dit, il est certain que ce sujet de la circulation sera encore discuté pendant les prochains rendez-vous de concertation comme le soulignait déjà Serge Cormier pendant la réunion publique de juillet 2019. Les objectifs de la stratégie de concertation pourraient se résumer dans la collecte des paroles des habitant·e·s et des commerçant·e·s et l’articulation avec tous les partenaires du projet : comité de pilotage, services de la ville, agence d’urbanisme, Malakoff Habitat30. Les deux stratégies de communication et de concertation, dans ce projet, sont définitivement complémentaires. Souvent, la communication va venir mettre en évidence subtilement les résultats de la concertation l’orientant au maximum vers la ligne de mire fixée par le maître d’ouvrage. Dans le cas de figure du rond-point Barbusse tous les dispositifs de communication clamaient les avantages et les nouvelles possibilités de la

Débat en commentaire sur une publication Facebook, le 22 octobre 2020 · © Facebook

28 Compte-rendu de la réunion publique du 29 novembre 2016, ville de Malakoff.

29 Une page Facebook dédiée aux habitant·e·s ou anciens habitant·e·s de Malakoff. 30 Stratégie de concertation et de communication 2018, État d’Esprit Stratis.

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : R Q BARBUSSE

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nouvelle place Léo-Figuères qui remplacerait le rond-point Barbusse sans citer ce dernier une seule fois. Pareillement, les avantages des aménagements ainsi que la mise en un sens unique de la rue Avaulée sont mis en avant. Dans ce projet de Requalification du Quartier de Barbusse, l’objectif explicite de la concertation relevé dans les différents supports de communication et éléments de langage est de bénéficier des savoirs citoyens (Nez, 2011) des Malakoffiot·e·s dans la conception commune de l’aménagement : “La ville évolue avec ses habitants et doit être co-construire avec eux. C’est l’ambition de ce projet.” Jacqueline Belhomme, Maire de Malakoff, réunion publique du 15 novembre 2018. En revanche, pour des raisons possiblement techniques et conceptuelles, il me semble que

l’objectif implicite de cette concertation est l’adhésion totale aux grandes orientations de l’aménagement proposé tout en donnant aux citoyen·ne·s une légère marge de décision sur des attributions secondaires. Toutefois, la ville de Malakoff ne peut pas garder le contrôle total sur la démarche de participation puisque d’autres formes moins formelles (échanges sur Facebook par exemple) de participation peuvent réduire l’efficacité de la stratégie de communication. Dans ce sens, la ville grâce à État d’Esprit Stratis assure une veille sur les différents réseaux sociaux, forums et presse pour remonter les informations et les critiques dans le but d’anticiper et de les intégrer dans les dispositifs et démarches futurs.

Communication sur les aménagements futurs · © Ville de Malakoff

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : R Q BARBUSSE

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II·2·c · Une efficacité remise en question face aux limites classiques de la participation Pour juger de l’efficacité ou non de la démarche participative dans ce projet, il faut d’abord en fixer quelques objectifs. Dans l’hypothèse de Bacqué, Rey et Sintomer31, si les objectifs sont de privilégier la gestion de proximité, l’intégration du savoir d’usage et le rapprochement élu·e·s/ citoyen·ne·s, nous pourrions qualifier la démarche participative de la ville de Malakoff d’efficace, surtout que cette proximité a été commencée il y a quelques années déjà avec le dispositif “Malakoff et moi”. En addition, réussir à débloquer quelques sujets épineux sans grandes confrontations et avancer continuellement sur le projet, conforte davantage cette efficacité. Toutefois, la démarche participative dans ce projet a ses limites. Des limites communes à une majorité de projets urbains comme en témoignent chercheur·e·s et professionnel·le·s (Gallart, 2019). La première limite de la participation dans ce projet est la non représentativité des participant·e·s des Malakoffiot·e·s. En réalité, bien que plusieurs dispositifs de communication (distribution de flyers dans les boîtes aux lettres, au pied des immeubles, etc) aient été mis en place pour, justement, éviter de faire participer uniquement les conseils de quartier dont les profils des membres restent assez semblables, une présence considérable de seniors peut être remarquée ainsi qu’un profilage assez classique d’une minorité de la population ayant un capital intellectuel et un accès à l’information et aux sphères de réflexion32. Ce manque de participation des jeunes est lié 31 BACQUÉ, M-H ; REY, H ; SINTOMER, Y. 2005. “La démocratie participative, modèles et enjeux”, Gestion de proximité et démocratie participative, une perspective comparative, La Découverte. 32 Entretien réalisé avec Grégoire Mages, Consultant Senior à État d’Esprit Stratis, chef du projet de la concertation sur la Requalification du Quartier Barbusse à Malakoff.

aussi à un aspect culturel de lier le conseil de quartier et les événements syndicaux directement aux parents. Dans ce sens, les jeunes s’éliminent d’office de la participation surtout sans forte sensibilisation dans ce sens. Dans un entretien réalisé avec Davies, jeune étudiant habitant à Barbusse, il m’a expliqué qu’il pensait qu’il fallait être membre d’une association de quartier ou avoir un certain âge pour participer et qu’il ne savait pas que c’était ouvert au public. Aussi, la tenue des réunions publiques et des ateliers en présentiel disqualifient plusieurs profils de la participation et la privent de la richesse intellectuelle additionnelle que pourraient amener les jeunes cadres, les travailleur·se·s indépendant·e·s et d’autres personnes en manque de temps libre. C’est pour cette raison que plusieurs personnes interrogées exprimaient la volonté d’enrichir le débat à travers des plateformes dématérialisées pour élargir la participation, une pratique qui commence à se répandre de plus en plus dans le milieu de la concertation. La durée du projet urbain et la gestion de la temporalité des rendez-vous de concertation est aussi importante dans un projet urbain. Elles peuvent rapidement devenir une limite de l’efficacité du projet comme me le rappelait Caroline Berrebi, Directrice Citoyenneté, Vie Associative et Événementiel à la ville de Malakoff. Dans le projet de RQB, il y a eu beaucoup de ruptures de contact entre la ville et ses citoyen·ne·s pour des raisons diverses. En novembre 2019 lors d’un comité de pilotage, État d’Esprit Stratis avait alerté la ville de Malakoff sur l’importance du maintien de l’information malgré l’échéance des élections municipales prévues en mars 202033. Cependant, bien que la ville ait été avertie en ce sens, la crise sanitaire liée à la Covid-19 a rétrogradé le projet de RQB en termes de priorité 33 D’après les multiples échanges réalisés avec Camille Radiguet, consultante à EES et responsable du projet de RQB.

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : R Q BARBUSSE

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pour la ville et cela fait approximativement 1 an qu’aucune communication n’a été réalisée. Cette rupture partiellement imposée par le contexte est ressentie négativement par la population. MarieHélène, Malakoffiote et habituée de la participation, me disait : “[...] la dernière phase de concertation remonte à plus d’un an [...] les participants ont certainement oublié ce qu’ils ont proposé, [...] en plus depuis le temps beaucoup de choses ont évolué.” Depuis septembre 2020, la ville de Malakoff a exprimé une volonté de communiquer massivement pour reprendre contact avec les citoyen·ne·s Malakoffiot·e·s, les convaincre que le projet avance dans sa globalité et les faire profiter des espaces publics dans une optique d’urbanisme transitoire pour compenser en quelque sorte les nuisances des chantiers à venir.

II·2·d · Conclusion “Si mon idée est bonne, je ne vois pas pourquoi la ville ne la prendrait pas en compte”. Jules, habitant de Malakoff.

Cette assertion spontanée paraît logique de prime abord, mais en réalité elle est très simpliste dans un environnement de jeu d’acteur·rice·s et de décisions. Le degré de participation des citoyen·ne·s a été fortement lié au degré d’importance de la question concertée (NEZ. 2011). Les citoyen·ne·s ont, d’une part, été largement sollicité·e·s pour se prononcer sur des sujets secondaires et d’autre part, ont vu leur réticence face à la transformation du rond-point Barbusse ou à la mise à sens unique de la rue Avaulée s’estomper face à des arguments possiblement convaincants mais surtout face à des professionnels de la parole et de la persuasion. Cette situation de face à face de Malakoffiot·e·s curieux·ses et de professionnel·le·s armé·e·s d’études a pu déséquilibrer ce débat favorisant facilement la parole de ces dernier·e·s. En plus, le caractère non obligatoire de la concertation a

pu jouer un rôle dans l’ascendance de la qualité consultative de la démarche participative sur celle délibérative (Bacqué, Rey, Sintomer. 2005). Suivant un agenda politique, une stratégie économique et une base scientifique, la ville de Malakoff s’est lancée, comme tout maître d’ouvrage public, dans la démarche participative davantage pour assurer une image de “démocratie de proximité” et faciliter l’adhésion au projet proposé et renforçant la légitimation politique de la ville. L’un n’empêchant pas l’autre, la ville de Malakoff a aussi, dans cet esprit, intégré au maximum les propositions des citoyen·ne·s (plus d’espaces verts dans les cités, déplacement des espaces de stationnement vers un parking aérien, le traitement paysager de la rue Avaulée, etc.) qui n’affectaient par le parti et les grandes lignes du projet de requalification en capitalisant sur leurs savoirs d’usage microlocal (Bacqué, Rey, Sintomer. 2005). En revanche, la ville à travers ses organes de conseil et de communication, a montré, dans les situations de concertation plus tendues, une intelligence stratégique nécessaire dans les projets urbains à enjeux multiples. Consciente de la non possibilité de réussir le projet global sans les projets ponctuels (le rond-point Barbusse et la rue Avaulée entre autres), et consciente de la nécessité de garder la population malakoffiote dans une posture de partenaire du projet plutôt que d’opposition, la ville de Malakoff a réussi, en adoptant une approche pédagogique dans la persuasion, de débloquer la charge conflictuelle qui se ressentait. La ville de Malakoff a su garder la main sur cette concertation en ne subissant pas passivement ses contraintes (Guéranger, Poupeau. 2007). Du point de vue des Malakoffiot·e·s, des frustrations peuvent subsister quelques temps encore mais l’adhésion à l’idée générale du projet semble conquise face à l’argumentaire avancé par la ville. Toutefois, d’autres hypothèses peuvent être

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : R Q BARBUSSE

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émises pour expliquer ce dépassement du focus fait sur certains sujets. Une des hypothèses réside dans l’acceptation sociale des participant·e·s des limites de la participation en tant que concertation plutôt que codécision. Dans cette optique, l’approche des participant·e·s serait de profiter des temporalités de concertation assez ponctuelles pour proposer leurs avis dans des sujets plus ‘discutables’. Cela s’explique aussi par la conception “républicaine” de la politique française qui donne à l’élu·e le statut du seul·e détenteur·rice de l’intérêt général et par conséquent le seul acteur légitime pour prendre des décisions (Nez. 2011). Ce cas de figure de participation est intéressant dans son déroulé de concertation/ persuasion d’événement en événement. Aussi, à mon sens, les projets sujets aux conflits n’ont pas été d’ordre primaire (expropriation, déplacement de population, etc) mais concernaient plus la gestion des espaces publics et des lieux en communs. Ceci étant dit, il y a certes des frustrations mais pas au point de mobiliser des actions collectives protestataires (Nez, 2011) qui pourraient remettre en cause les orientations stratégiques du projet.

des touristes. Le projet Bab Al Bahr voulu en tant que trait d’union entre les deux villes a réussi cette vocation en améliorant structurellement la mobilité grâce à la construction du nouveau pont Hassan II, du tunnel des Oudayas et la mise en service du Tramway traversant les deux villes sur une distance de 20 km. D’après Rachid Alillouch, directeur d’urbanisme de l’AAVB de 2010 à 2015, les projets d’infrastructures sont financés exclusivement par le public, en l’occurrence par l’AAVB et les subventions étatiques. Toutefois, pour la réalisation de projets ponctuels comme la Marina, les projets immobiliers, etc., l’Agence a recours à des partenariats publics-privés (PPP). Cette stratégie de PPP dans plusieurs grands projets urbains internationaux, bien qu’elle soit une solution de montage financier indispensable à la mise en œuvre d’un projet, est critiquée justement par les citoyen·ne·s pour son caractère souvent plus économique que social.

II·3 · Séquence 1 de l’aménagement de la Vallée du Bouregreg II·3·a · Un projet d’aménagement puissant juridiquement et économiquement

Le projet Bab Al Bahr, 1ère séquence de l’aménagement de la vallée du Bouregreg est situé sur la partie la plus animée et la plus fréquentée de la vallée pour sa situation géographique : entre les deux médinas de Rabat et de Salé à l’embouchure de l’océan atlantique. Cette séquence est encadrée par des sites historiques majeurs des deux villes comme la Kasbah des Oudayas à Rabat ou le tombeau de Sidi Ben Acher à Salé. Elle dispose également d’un potentiel paysager intéressant pour un aménagement d’animation et de loisir surtout avec la présence importante

Extrait de la plaquette commerciale de Bab Al Bahr · © bouregreg.com

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Pour se protéger encore plus d’éventuel·le·s recours ou contestations, le Plan d’Aménagement Spécial (PAS) a été accompagné par la loi 16-04 qui a pour but de réglementer les usages des territoires, les vocations et règles d’occupation, etc. Cette loi a eu un rôle important dans la gouvernance du projet puisqu’elle offre au PAS 3 caractères puissants : elle remplace toute disposition figurant dans les documents antérieurs, elle est nonopposable et est déclarée d’utilité publique. En plus, elle a été adoptée sans être étudiée par la commission judiciaire et législative du Parlement ni même validée par le Conseil Constitutionnel. L’importance du pouvoir accordé par cette loi à l’AAVB va s’avérer à double tranchant et contribuer à l’émergence de mouvements contestataires du projet. Dans un premier temps, l’Agence va tenter de mener une démarche participative auprès des habitant·e·s dans un objectif officiel de se concerter et de retenir leurs avis. Possiblement, cette approche a été faite plus dans un objectif de légitimation de l’action de l’aménagement que d’une réelle volonté d’implication citoyenne au vu de son déroulé. En d’autres termes, l’AAVB a demandé à l’Association Bouregreg en 200234 d’organiser une table ronde sur la réflexion citoyenne sur l’avenir de la vallée du Bouregreg qui a réuni des expert·e·s internationaux·ales, des représentant·e·s ministériel·e·s, des académicien·ne·s, des professionnel·le·s et des citoyen·ne·s des deux villes dans le but d’établir un diagnostic institutionnel, historique et urbanistique de la vallée et de définir les grandes orientations d’aménagement. Cette table ronde a été suivie de 5 réunions citoyennes intitulées Chantiers du Bouregreg au siège de l’association traitant 34 Créée en 1986, l’association Bouregreg est une ONG reconnue d’utilité publique : elle s’intéresse au patrimoine, à l’urbanisme et à l’environnement, particulièrement dans la ville de Salé.

5 thématiques différentes : l’assainissement du Bouregreg, sa navigabilité, le tramway de Rabat, le tunnel des oudayas et les articulations du projet avec la médina de Salé. Sur le papier, cette initiative apparaît productive et soucieuse de l’avis des citoyen·ne·s. Toutefois, l’association Bouregreg a non seulement soutenu inconditionnellement le projet mais a aussi participé à sa promotion sans réserves ni critiques. Cette attitude n’est pas très ‘surprenante’ : en effet, le fondateur de l’association est feu Mohamed Aouad, ex conseiller du Roi. A cette époque, son président est Zine El Abidine Alaoui, ancien chargé de mission au cabinet royal, et le président-délégué est Noureddine Chemaou, chargé de mission au protocole royal35. Pour les citoyen·ne·s, le raccourci du conflit d’intérêt a été rapidement établi et a renforcé davantage l’idée que l’approche participative décidée par l’Agence et pilotée par l’association Bouregreg avait un objectif d’acceptation totale de la population sans réelle prise en compte de leurs doléances. Ce dispositif d’invitation de la population à la réflexion sur le projet sera le seul provenant de la volonté du maître d’ouvrage, puisque les autres formes de participation qui ont eu lieu ont été plus en réaction aux mouvements de contestations et aux crises sociales. Enfin, il est nécessaire de rappeler que l’association Bouregreg active à Salé avait son équivalent à Rabat avec une association nommée Ribat Al Fath. Cependant, comme 30% du territoire de l’Agence à Rabat sont constitués de terrains publics non aménagés, il n’y pas eu réellement de débat, et la commune de Rabat a approuvé le projet sans aucune condition..

35 MOULOUDI, H. 2010. “La réaction de la société civile dans la production des grands projets urbains au Maroc : entre le soutien inconditionnel et le rejet total”, Les Annales de la Recherche Urbaine, N°106, pp. 48-62

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l’expropriation dans le quartier Sidi Ben Acher à Salé et les pêcheur·se·s dont l’activité a été DE L’AMÉNAGEMENT DE L Aperturbée. VALLÉE DU BOUREGREG Dans le quartier Sidi Ben Acher en 2007, une s’est présentée pour réaliser un DE L’AMÉNAGEMENT DU BOUREGREG MAÎTRE D’OUVRAGE AGENCE personne recensement en vue de l’expropriation future. Elle a été rapidement expulsée par les habitant·e·s CONCEPTION ET AMÉNAGEMENT BUREAUX D’ÉTUDES touché·e·s dans leur dignité qui se sont aussitôt organisé·e·s notamment PARTICIPATION via l’association FINANCEMENT ADMINISTRATION Bon Voisinage pour contester cette volonté d’expropriation par l’Agence. Cette volonté était · PUBLIC : ÉTAT · WALI·E·S · ENQUÊTE PUBLIQUE : non assumée par l’AAVB qui s’eDANS st défendue en HÉRITAGE PATRIMONIAL · GOUVERNEUR·SE·S AFFICHAGE LES ET TERRITORIAL (FONCIER, · MAIRES COMMUNES DE RABAT ET SALÉ indiquant n’avoir aucun lien avec le recensement. MONUMENT, ETC) · PRÉSIDENT·E·S DE Pour les habitant·e·s· du quartier, l’homologation RÉGION ASSOCIATIONS CITOYENNES du · MINISTRES : PAS en 2008 (8 mois après)CLASSIQUES qualifiant leur quartier PPP · RIBAT AL FATH de zone à restructurer a été la confirmation de · BOUREGREG cette volonté. Par conséquent il·elle·s se sont · PRIVÉ : EMAAR - SAMA · CONTESTATION : mobilisé·e·s en réalisant deux actions importantes DUBAI - EL MAABAR · ASSOCIATION DES HABITANT·E·S · ASSOCIATION DES AVOCAT·E·S : rejoindre un collectif d’associations (17 au total) · BAILLEUR DE FOND : · ÉLU·E·S LOCAUX·ALES DE SALÉ AFD · INPBPMNationale de hostiles au projet via l’Instance Protection des Biens Publics au Maroc (Inpbpm) et avocat·e·s Schéma d’acteur·rice·s desaisir l’AVB ·les © Nizar Hajar pour défendre leurs

SCHÉMAS D’ACTEUR·RICE·S

II - 3 - b · Une participation improvisée par droits. Ces actions ont permis à la fois d’alerter l’agence de l’AVB en réaction aux mobilisa- la sphère juridique sur le caractère abusif de la tions citoyennes. loi 16-04 et de sensibiliser l’opinion publique. Le PAS propose des aménagements et des La sensibilisation menée par l’Inpbpm a permis opérations urbaines mondialement reconnues aux différentes associations d’organiser des sit-in pour être sujets à de grands débats sociaux exprimant physiquement leur mécontentement, ce (relogement, expropriation, etc.) qui concernent qui a rallié plusieurs élu·e·s de la ville de Salé à des milliers d’habitant·e·s. Dans cette première leur cause à l’approche des élections communales. séquence Bab Al Bahr, les réactions citoyennes ont été fortes : l’hostilité aux projets puis la quête du « L’Agence n’est pas obligée de prendre en considération les avis des conseils communaux et compromis (Mouloudi, 2010). Suivant ces réactions, c’est la loi qui le stipule… J’insiste sur le fait que vos l’AAVB a eu des comportements intéressants pour observations seront prises en considération et ça a été effectivement fait ». Lemghari Essakl, directeur répondre aux problématiques et faire avancer de l’AVB lors du conseil communal de Salé en 2008. continuellement le projet, ce qui est important dans un grand projet urbain. Les citoyen·ne·s qui ont montré une grande adversité envers l’Agence et ses projets ont été majoritairement les habitant·e·s concerné·e·s par MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : A V BOUREGREG

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Bien que légalement, l’AAVB n’était pas tenue de solliciter les habitant·e·s ou les associations locales, ces différentes mobilisations et pressions l’ont obligée à adopter une logique de plus en plus ouverte à la concertation et à la négociation et à reculer sur sa possible volonté36 d’expropriation en indiquant dans la version finale du PAS concernant le quartier Ben Acher, que le projet n’impliquera qu’un réaménagement des espaces publics, d’aires de promenade et d’espaces verts et surtout que “la population locale sera maintenue sur place et les constructions existantes seront dotées d’équipements divers nécessaires à leur mise à niveau” (art. 18.1 ZR4). Dans cet exemple, le fait d’avoir conjugué des actions collectives revendicatrices (NEZ. 2001) et d’avoir contracté une contre-expertise par le biais des avocat·e·s, a permis de peser sur le projet urbain en décloisonnant le débat et en l’ouvrant au-delà du cercle classique des décideur·e·s (NEZ. 2011).

usager·è·s de l’Oued,que ce soit les poissonnier·ère·s ou les barcassier·ère·s, ils·elles ont vu leur activité se déplacer et non s’arrêter, ce qui a justifié pour l’agence leur non-indemnisation. Face à cette injustice, les pêcheur·e·s déplacé·e·s se sont également organisé·e·s dans un cadre associatif via l’association Al Yakada37 et ont obligé l’AAVB à improviser des séances de concertation pour l’aménagement du nouveau port et l’amélioration des conditions d’exercice de leurs métiers. Toutefois, d’après Abdelouahed Chehiti - élu, poissonnier, viceprésident de l’association “communiquons pour le développement” et membre d’une association de pêcheur·se·s/poissonnier·ère·s - dans un entretien donné à Hamidi Leïla en mars 201138, ces séances n’ont servi à rien pour deux raisons : les décisions étaient déjà actées par l’AAVB qui venait plus pour informer que pour se concerter, et la malice de l’Agence dans le fait de se faire représenter à chaque séance par une équipe différente. Ce changement continu d’interlocuteur·rice·s complique le suivi du projet et ne fait pas avancer le débat. Pour sa part, l’AAVB communique via ses différents organes, notamment par sa brochure ‘Bouregreg News’ de 2009 : “L’Agence a organisé plusieurs réunions en collaboration avec la délégation de la Pêche Maritime et les représentants des pêcheurs pour se concerter autour de l’ensemble des obstacles qui gênent le bon déroulement de cette activité au niveau du Bouregreg”. Ceci conforte le décalage important entre les ressentis des deux parties prenantes à cette ‘concertation’. Face à cette non considération des Situation de la séquence Bab Al Bahr et des emplacements des projets contestés · pêcheur·se·s - à cause du poids négligeable de ces © Nizar Hajar · Ech 1/500 citoyen·ne·s populaires face à la haute strate de Les pêcheur·se·s, quant à eux·elles, se sont l’agence royale (Mouloudi 2011) -, les pêcheur·se·s senti·e·s lésé·e·s puisque contrairement aux autres 36 L’AAVB a toujours nié le projet d’expropriation en avançant que la personne qui s’est présentée dans le quartier était envoyée par un promoteur immobilier qui avait l’intention d’acheter les terrains et de les revendre à l’Agence.

37 La vigilance en arabe. 38 HAMIDI, L. 2011. “Le projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg : un projet social ?, Focus sur les populations des pêcheurs, poissonniers et barcassiers”, Projet de fin d’études, Polytech’ Tours.

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relèvent aujourd’hui de multiples anomalies dans la conception du nouveau port : une jetée trop basse pour stopper les grandes vagues, une inclinaison importante du quai qui rend difficile le déchargement de la pêche, etc.

Face à ces nouvelles problématiques, les pêcheur·se·s se sont rassemblés en coopérative pour faire valoir leurs droits. Enfin, les poissonnier·ère·s/ restaurateur·rice·s et les barcassier·ère·s ont été indemnisé·e·s entre 2000 et 2500 MAD39 par mois “L’Agence arrivait avec des décisions déjà prises, pour toute la durée de l’arrêt de leurs activités. c’était de la fausse négociation”. Ces dernier·ère·s sont satisfait·es de cette Abdelouahed Chehiti, poissonnier. indemnisation mais reprochent toutefois, la non Aussi, l’AAVB n’a pas pris en considération les frais régularisation de leurs situations professionnelles supplémentaires dus à l’éloignement du nouveau et demandent à être formé·e·s comme promis par port et n’a pas proposé un nombre suffisant de box l’Agence suite aux différentes négociations. aux 108 barques autorisées. Le nouveau port de pêche · © alamy.com

L’activité des barcassiers sur l’Oued Bouregreg · © lematin.ma

39 Enfin, les poissonnier·ère·s/restaurateur·rice·s et les barcassier·ère·s ont été indemnisé·e·s entre 2000 et 2500 MAD par mois pour toute la durée de l’arrêt de leurs activités. Ces dernier·ère·s sont satisfait·es de cette indemnisation mais reprochent toutefois, la non régularisation de leurs situations professionnelles et demandent à être formé·e·s comme promis par l’Agence suite aux différentes négociations

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ACTIONS DES DÉCIDEUR·E·S

EXPROPRIATION ET DÉMOLITION DU QUARTIER CARDONA

D

A

2010

D RENONCE AUX 2008

D’EXPROPRIATION DU QUARTIER SIDI BEN ACHER

GEL DE L’ACTIVITÉ DES BARCASSIERS ET LEUR INDEMNISATION

C CONTESTATION DE L’ARRÊT

+

CONCERTATION DÉSÉQUILIBRÉE ENTRE LE NIVEAU INTELLECTUEL DES EXPERT·E·S DE L’AGENCE ET CELUI DES PÊCHEUR·SE·S

-

CONCERTATION FORMALITÉ ET DÉCISIONS DÉJÀ PRISES

-

D ALLIANCE AVEC INPBPM* :

B

OPÉRATION POISSONNIER·ÈRE·S INDEMNISATION CORRECTE DE 05/08 À 01/10

ORGANISATION 5 SIT-IN

B NÉGOCIATION D’INDEMNISATION

B

D PROSPECTION EN VUE

LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES POISSONNIER·ÈRE·S

ORGANISATION DE SÉANCES DE CONCERTATION AVEC LES PÊCHEUR·SE·S

ET PRESSIONS POUR AMÉLIORER LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES BARCASSIER·ÈRE·S

EXPROPRIATIONS ET MAINTIEN DES HABITANT·E·S

GEL DE L’ACTIVITÉ DES POISSONNIER·ÈRE·S ET LEUR INDEMNISATION

A CRÉATION DE LA COOPÉRATIVE B PRESSIONS POUR AMÉLIORER

2009

ÉLABORATION DU PLAN D’AMÉNAGEMENT SPÉCIAL (PAS)

OPÉRATION PÊCHEUR·SE·S

BOUREGREG POUR LES DROITS DES PÊCHEUR·SE·S

C INTERRUPTION BRUSQUE DE L’INDEMNISATION DES BARCASSIER·ÈRE·S

EFFETS

RÉACTIONS CITOYENNES

C 2006

A DÉPLACEMENT DES PÊCHEUR·SE·S

HABITANT·E·S DU QUARTIER · ASSOCIATION BON VOISINAGE

C NÉGOCIATION D’INDEMNISATION A · FORTE MOBILISATION VIA

L’ASSOCIATION AL YAKADA. · REPROCHE DE MANQUE DE CONCERTATION DANS LA CONCEPTION DU NOUVEAU PORT

VERS UNE PLATEFORME PROVISOIRE

CRÉATION DE L’AGENCE DE L’AMÉNAGEMENT DE L’AVB

2005

PRÉSENTATION DU PARTI D’AMÉNAGEMENT GLOBAL AU ROI

2004

ÉLABORATION DU PLAN D’AMÉNAGEMENT GLOBAL (PAG)

2003

LA TABLE RONDE ORGANISÉE PAR L’ASSOCIATION BOUREGREG

2002

COMMISSION ROYALE POUR L’AMÉNAGEMENT DE LA VALLÉE DU BOUREGREG

2001

C

OPÉRATION BARCASSIER·ÈRE·S

D FORTE CONTESTATION DES 2007

+

INDEMNISATION CORRECTE DE 04/06 À 12/08

+

D

OPÉRATIONS EXPROPRIATIONS RECUL DE L’AAVB SUR L’EXPROPRIATION

+

APPROCHE DE CONCERTATION ET RECHERCHE DE COMPROMIS

+

SOUTIEN DES ÉLU·E·S

+

ACCOMPAGNEMENT SOCIAL IMPORTANT POUR LES HABITANT·E·S DU QUARTIER CARDONA

+

ACTIONS CONSTITUTIVES ET INSTITUTIONNELLES

ACTIONS IMPACTANT LES CITOYEN·NE·S

C B AD

DE MANIÈRE CHRONOLOGIQUE, LES ÉVÉNEMENTS LIÉS AUX DIFFÉRENTES OPÉRATIONS SONT DISTINGUÉES PAR LES LETTRES A, B, C ET D. * INSTANCE NATIONALE DE PROTECTION DES BIENS PUBLICS AU MAROC

Principales étapes d’élaboration du projet d’aménagement, des actions des décideur·rice·s, des réactions citoyennes et leurs effets sur le projet · © Nizar Hajar

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II·3·c · L’accompagnement social, une autre les adaptant aux différent·e·s interlocuteur·rice·s. Plus encore, l’Agence a su en tirer avantage en forme de participation ? L’accompagnement social dans la communiquant dessus via son site internet et Séquence Bab Al Bahr du projet d’Aménagement de la Vallée du Bouregreg a été efficace tant dans la négociation avec les citoyen·ne·s concerné·e·s que dans la communication de l’AAVB. Étant indispensable à la réussite d’une opération urbaine (Mansion, Rachmuhl. 2012), l’accompagnement social permet de soutenir les personnes concernées par un changement dans leur vie, qu’il s’agisse d’un déplacement de leur domicile ou de leurs activités. Dans le projet de Bab Al Bahr, les indemnisations jugées satisfaisantes ont été saluées par les bénéficiaires. Elles étaient nécessaires dans le déblocage du bras de fer engagé par la population face aux différents abus de pouvoir de l’Agence. De ce fait, si l’accompagnement social permet de calmer la révolte, de réussir une transition décente pour les citoyen·ne·s mais aussi et surtout de faire avancer le projet urbain, il peut également être considéré comme une forme de participation citoyenne. L’accompagnement social est en réalité une des formes les plus concrètes de la participation pour son caractère opérationnel et pour sa réponse à une problématique sociale causée par le projet urbain. Dans un autre quartier de la ville de Salé du nom de Cardona, le bon accompagnement social proposé par l’AAVB a permis d’éviter par anticipation une révolte citoyenne liée à l’expropriation du quartier pour le passage du tramway. Les habitant·e·s du quartier ont bénéficié d’un suivi au cas par cas de leur déménagement à leur emménagement en passant par toutes les procédures administratives, économiques et foncières. Cette valeur ajoutée de l’accompagnement social sur l’avancée du projet, l’AAVB l’a comprise rapidement dès les premiers blocages. Elle a dans ce sens enchaîné les accompagnements sociaux en

son dispositif de communication : «L’Agence du Bouregreg place l’action sociale au cœur de son programme de développement qui vise à réhabiliter le site pour le bien-être des citoyens et à promouvoir les divers métiers existant dans la vallée”. Cet usage de l’action sociale au lieu de l’accompagnement social est voulu pour pouvoir y intégrer la participation citoyenne via la concertation dans la communication de l’Agence. Une concertation, certes réalisée, mais également contestée par la partie prenante citoyenne. “Dans le projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg, il y a eu plus d’accompagnement social que de concertation, exemple du quartier de Cardona à Salé”. Rachid Alillouch, directeur d’Urbanisme à l’AAVB de 2010 à 2015

Enfin, l’accompagnement social est une opération très complexe à réaliser, puisqu’il fait face à des situations souvent informelles. Face à cette informalité, des fraudes et des manigances peuvent être mises en place, de la corruption peut prospérer, etc. Le maître d’ouvrage - l’AAVB dans ce cas - doit savoir être flexible dans ses attributions tout en montrant une certaine rigueur et discipline.

II·3·d · Conclusion La participation citoyenne au projet urbain Bab Al Bahr n’a pas été des plus classiques en termes de méthodologie. Souvent improvisée par le maître d’ouvrage (l’AAVB) face aux mobilisations contestataires, elle a cependant permis d’atteindre des résultats satisfaisants à des degrés différents. Ces résultats peuvent être perçus positivement du fait de l’empowerment (Bacqué Biewener 2013) dont ont fait preuve les citoyen·ne·s concerné·e·s, notamment par leur organisation dans des collectifs, associations et coopératives ; par leur

MÉMOIRE DE RECHERCHE · REGARD CROISÉ : A V BOUREGREG

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sensibilisation de l’opinion publique et des élu·e·s locaux·ales. Cet empowerment sous ses différentes manifestations a montré la capacité d’influence des citoyen·ne·s dans la prise de décisions et leur a redonné confiance dans leur droit citadin de faire face aux abus du pouvoir public (Mouloudi, 2010) surtout dans un projet d’initiative royale. Généralement au Maroc, un projet royal n’est pas critiqué de manière spontanée, mais cela n’a pas empêché les habitant·e·s à leur échelle citoyenne et les avocat·e·s à leur échelle juridique de remettre en question la légitimité d’un tel pouvoir donné à cette agence. Cette critique et mobilisation des citoyen·ne·s contre le projet peut être expliquée par plusieurs éléments possiblement additionnels : le projet touche directement leur habitation ou leur gagne-pain, la longue et ancienne tradition de ces activités (barcassier·ère·s, pêcheur·se·s) auxquelles il·elle·s sont très attaché·e·s, le retour d’expérience des modalités de réinstallation du programme Villes sans bidonvilles qui renforcent leurs revendications, etc. D’autres résultats de cette participation peuvent être jugés négatifs car n’ayant pas abouti aux résultats escomptés. Les séances de concertation, par exemple, n’ont pas été productives pour les participant·e·s mais ont seulement permis à l’Agence d’appuyer son approche participative. Cette inefficacité est due, d’une part au déséquilibre des moyens intellectuels et structurels (Mouloudi 2011) de l’Agence d’un côté et des participants de l’autre (pêcheur·se·s, habitant·e·s, etc). Ce déséquilibre a permis à l’Agence de mettre en place des stratégies de persuasion pendant les réunions publiques pour avancer dans la discussion sans prendre en compte réellement les avis des participant·e·s. Dans un deuxième temps, l’intelligence de l’Agence en termes de communication a permis de courtcircuiter toutes les approches citoyennes : aucun·e responsable de l’Agence ne dépasse deux années consécutives

au même poste (Hamidi 2011), chose qui bloque les négociations et oblige à les recommencer à chaque fois qu’un·e nouveau·elle responsable est nommé·e. L’AAVB a pu capitaliser sur l’approche participative héritée - voire imposée - des mobilisations citoyennes en les intégrant pleinement à sa communication sur le projet dans une optique de marketing urbain (Hamidi, 2011). Pour appuyer cette perspective, la dimension sociale du projet à l’Agence est dirigée par la cellule Marketing et Communication ce qui souligne l’importance de cette intégration dans l’acceptation du projet, surtout que ce n’est que la première séquence sur six prévues par le PAS. L’AAVB a tout intérêt à paraître la plus citoyenne possible en vue des futurs aménagements de la vallée. La complexité d’un grand projet urbain met les parties prenantes devant différents enjeux conflictuels : faire passer un tramway est une nécessité de mobilité d’utilité publique mais en même temps implique l’expropriation de terrains présents sur le tracé du réseau. Plusieurs projets conflictuels de cette première séquence Bab Al Bahr étaient dans cette optique d’aménagement, et bien que l’on ne puisse pas satisfaire toutes les parties, l’Agence a pu tout de même être flexible et s’adapter aux revendications malgré le pouvoir indiscutable qui lui a été donné. En même temps, les habitant·e·s et citoyen·ne·s de la vallée ont pu - par leur implication - imposer des conditions, négocier des indemnisations, faire reculer certaines décisions aberrantes, etc. Dans ce sens, cette participation improvisée a tout de même permis d’avancer dans ce projet complexe et ambitieux où se croisent souveraineté royale, gouvernance unilatérale, enjeu politique et mobilisation citoyenne.

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III · Conclusion

les politiques en position de force juridique (qualité uniquement consultative de la participation) ne prendront en considération que les propositions qui ne nuisent pas à leur agenda politique et calendrier du projet. Le cas du projet marocain où les habitant·e·s ont partiellement réussi à intégrer la conception de l’aménagement peut s’expliquer justement par l’instauration de contre-pouvoirs reconnus40 (avocat·e·s, élu·e·s, opinion publique, associations) grâce à la mobilisation. Autre point commun entre les deux projets est la volonté constante d’avancer dans le projet par les différents maîtres d’ouvrage. Une volonté très appuyée par des décisions ingénieuses et stratégiques de la part des commanditaires pour débloquer au mieux les questions sujettes à débat. À Malakoff une approche pédagogique des expert·e·s (architecte, bureau d’études, etc) a permis de faire comprendre les enjeux plus globaux de l’aménagement et les avantages importants de ces transformations. Dans la vallée du Bouregreg, l’accompagnement social était une solution nécessaire face aux répercussions difficiles sur la vie basique des personnes concernées. Dans ces deux projets, il est assez compliqué de juger de la réussite ou non de la participation pour plusieurs raisons : les projets sont aujourd’hui toujours en cours de réalisation et donc les cycles de participation ne sont pas officiellement terminés. La réussite de la participation dépend complètement des objectifs dressés en amont par les porteur·se·s du projet. Pour la ville de Malakoff, l’objectif étant de collecter les avis des participant·e·s et de les intégrer autant que possible dans le projet, on pourrait considérer que la non mobilisation pourrait être synonyme d’acceptation du projet.

Les deux projets étudiés ont beaucoup de points en commun malgré leur différence prononcée en termes de contexte du projet et celui de la participation. L’analyse de ces projets a montré que indépendamment de la volonté des décideur·se·s de faire participer ou non les citoyen·ne·s, ces dernier·ère·s ont la capacité de participer et d’imposer leurs contributions aux projets urbains. À Malakoff, la volonté de la ville de faire participer les Malakoffiot·e·s était franche et a permis un échange d’idées constructives sur plusieurs points de friction où la ville a eu le dernier mot (le retrait du rond point Barbusse par exemple). À tort ou à raison, il est beaucoup trop tôt pour en juger et seul l’avancement du projet pourra le déterminer. Dans la vallée du Bouregreg, la participation a été, en quelques sortes imposée par les Rbatis et les Slaouis (habitants de Rabat et de Salé) puisque de prime abord l’Agence de l’Aménagement de la Vallée du Bouregreg comptait sur sa seule démarche pseudo-participative organisée par l’association Bouregreg comme alibi d’une approche participative. Il a fallu des mobilisations sérieuses de la part de la population locale pour obliger l’AAVB à vouloir discuter en surface les orientations du projet (annulation de l’expropriation par exemple) et en profondeur un accompagnement social important afin de garantir une dissipation des mouvements contestataires. Nous pouvons remarquer que la réaction citoyenne dans les deux projets est différente dans sa forme mouvement protestataire dans l’AVB et discussion encadrée dans la RQB - puisque le projet du Bouregreg touchait dans son aménagement des questions vitales des citoyen·ne·s (gagnepain, habitation) tandis que les Malakoffiot·e·s discutaient de questions plus secondaires comme 40 DEBOULET, A ; BERRY-CHIKHAOUI, I. 2002. “Les la gestion de l’espace public ou la circulation. compétences des citadins : enjeux et illustrations à propos Sans réelle mobilisation de la part des citoyen·ne·s, du monde arabe”. L’Harmattan, L’Homme & la Société MÉMOIRE DE RECHERCHE · CONCLUSION

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Pour l’AAVB, armée de ses pouvoirs ‘anticonstitutionnels’41 et de son statut royal, l’objectif seul et principal était l’adhésion totale au projet, comme pourrait l’indiquer le jeu de rôle réalisé en collaboration avec l’association Bouregreg lors de la table ronde de 2002. Le rejet du projet par les citoyen·ne·s a pu donner lieu à un nouveau cycle de participation, où là l’objectif clair est d’arriver à un compromis42. On pourrait considérer dans un premier temps que l’objectif de l’acceptation totale du projet n’a pas été une grande réussite contrairement au deuxième objectif de compromis, qui lui a été réalisé grâce à un accompagnement social efficace.

La réussite même de ce deuxième objectif pourrait participer à la réussite du premier, celui de l’acceptation. Dans leurs réflexions respectives de la question de la participation, Sherry Arnstein et Françoise NavezBouchanine ont établi des catégorisations pour mieux comprendre et se repérer dans la discipline assez complexe de la participation. Arnstein a dressé un étiquetage détaillé pour pouvoir positionner un projet urbain dans une échelle de la participation tandis que Navez-Bouchanine a approché cet étiquetage par le prisme des marges de manoeuvres. Dans le tableau suivant, on peut comparer les deux projets étudiés selon ces deux échelles.

Séquence 1 Bab Al Bahr - Requalification Aménagemement de la vallée du Barbusse Bouregreg Participation des citoyen·ne·s Coopération symbolique : selon l’échelle d’Arnstein

Type de projet selon ses marges de manoeuvre selon NavezBouchanine44

Projet arrêté ou ficelé (4)

quartier

Coopération symbolique :

entre ‘Consultation’ (1) et ‘Information’ (2)

43

du

‘Réassurance’ (3) Projet ficelé avec marges de manoeuvre (5)

Tableau : Les deux projets selon Arnstein et Navez-Bouchanine · © Nizar Hajar

41 Abdelwahed Ben Messaoud, avocat auteur de la note ‘point de vue sur la loi relative à l’aménagement de la vallée du Bouregreg’ 42 SIROTA-CHELZEN, H. 2018, “La place de la concertation dans la mise en œuvre de projets urbains durables à travers l’exemple de l’agglomération parisienne : territoires, acteurs, représentations”. Géographie, Université Panthéon-Sorbonne - Paris I 43 Arnstein, S.R. (1969), «A Ladder of Citizen Participation», Journal of the American Planning Association, 35 (4): 216– 224 44 NAVEZ-BOUCHANINE, F. 2007. “Projets de résorption de l’habitat insalubre, guide de l’action sociale”, Travail de coopération entre l’Agence de Développement Social (ADS), le Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme (MHU) et l’Agence Française de Développement.

1 · Consultation : légitimante et à peine plus conséquente que l’information, elle n’offre aucune assurance que les attentes et suggestions des personnes consultées seront prises en compte. Il s’agit alors d’un simple rituel le plus souvent sans conséquence. 2 · Information : phase nécessaire pour légitimer le terme de participation mais insuffisant tant qu’elle privilégie un flux à sens unique, sans mise en place de canaux assurant le feedback 3 · Réassurance : elle consiste à autoriser ou même inviter les citoyens à donner des conseils et à faire des propositions, en laissant ceux qui ont le pouvoir, seuls juges de la faisabilité ou de la légitimité des conseils en question. 4 · Projet arrêté ou ficelé : Il s’agit d’un projet pour lequel l’ensemble des paramètres est arrêté (montages technique, financier, institutionnel…). La prise en compte des dimensions sociales repose essentiellement sur un certain nombre de caractéristiques socio-démographiques. 5 · Projet ficelé avec marges de manoeuvre : Le projet est globalement arrêté : la plupart des décisions formelles et institutionnelles sont prises, mais quelques marges de manœuvre demeurent. Ces marges de manœuvre peuvent porter sur des objets différents : par exemple sur l’offre logement, les conditions d’accès ou encore sur des choix d’aménagement urbain.

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La participation citoyenne dans les projets urbains est une démarche pluridisciplinaire et multiscalaire. Sa difficulté réside dans ce jeu d’ajustement entre les différents enjeux liés au projet. En analysant et en décryptant les éléments des projets analysés ainsi que des missions réalisées dans le cadre de mon stage, je me suis rapidement rendu compte de la complexité de cette approche en urbanisme. Il est très compliqué pour un projet urbain de répondre aux besoins de tout un chacun et c’est pour cette raison que la participation rime forcément avec compromis. L’urbaniste doit composer avec les différentes parties prenantes pour proposer un projet où le plus de personnes peuvent s’y reconnaître. Pour se faire et dans une logique de représentativité, il est important localement de réaliser une sensibilisation pédagogique de la participation pour valoriser son utilité auprès du public ciblé. Dans une échelle plus large, un travail important de confiance des citoyen·ne·s dans la sphère politique doit être fait pour renforcer pour croire en la possibilité de fabriquer de la ville. Aujourd’hui, il est encore plus impératif de penser collectivement nos quartiers et nos villes puisque pour une grande partie des projets urbains, nous sommes plus dans le réaménagement que dans l’aménagement. Ce qui implique la nécessité de prendre en considération les usages, les habitudes et la vie quotidienne des citoyen·ne·s des territoires concernés par le réaménagement. Le·la citoyen·ne ne devrait plus se situer au milieu du projet urbain en tant que récepteur53 mais devrait accompagner le projet dès ses premières réflexions. Les démarches participatives classiques n’interviennent qu’une fois les études de faisabilité et les grandes orientations définies par les élu·e·s. Ce moment-là est très important non seulement dans la suite de la démarche de participation mais sur le devenir total du projet. À mon sens, cette phase d’études dite d’expertise, devrait intégrer

autant les citoyen·ne·s en tant qu’expert·e·s des territoires. Cette incubation de l’intelligence collective entre différent·e·s professionnel·le·s, décideur·se·s et citoyen·ne·s aurait tendance à limiter l’approche où l’expert·e conseille le décideur·se à fin de convaincre le citoyen·ne. Cette approche complique davantage la participation dans les projets urbains puisque les orientations peuvent être bien réfléchies en termes de gestion de projet, de financement, et d’études techniques, mais peuvent être en même temps très déconnectées de la réalité vécue par les usager·ère·s. Dans cette optique, les invariants du projet décidés dans ce cadre Top Down peuvent ne pas être acceptés et peuvent aussi créer beaucoup de frustration chez les participants. De plus, les nombreuses études réalisées, dont les dépenses peuvent être considérables, peuvent mettre le maître d’ouvrage dans une situation de non retour bien que les alertes des citoyen·ne·s soient légitimes. Enfin, peut-on déjà considérer la participation citoyenne en tant que telle quand les marges de manoeuvres sont ultra réduites par rapport à l’entierté du projet ? En d’autres termes, la démarche citoyenne de choisir ponctuellement la fonction d’un espace ou l’emplacement d’un arbre est-elle considérable face aux ambitions d’un aménagement de quartier ? Dans cette perspective, la question de courtcircuiter la corrélation importante qui existe entre niveaux de participation et échelles de projet urbain54 pourrait ouvrir de nouveaux horizons où le·a citoyen·ne dans sa définition générale accompagnerait toute la chaîne du projet de sa première réflexion à sa réalisation. ______________ 53 DEBOULET, A ; BERRY-CHIKHAOUI, I. 2002. “Les compétences des citadins : enjeux et illustrations à propos du monde arabe”. L’Harmattan, L’Homme & la Société 54 NEZ, H. 2011.“La démocratie participative en butte à la grande échelle. La participation citoyenne dans l’urbanisme à Paris et à Cordoue”, Métropolitiques

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