Être jeune et vivre à Malakoff, une histoire de genre

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Être jeune et vivre à malakoff Une histoire de genre

Nicolas Le Beulze, Mémoire de maîtrise sous la direction d’E. Pasquier, séminaire «l’autre ici», ensa nantes, septembre 2012



être jeune et vivre à malakoff Une histoire de genre

Nicolas Le Beulze, Mémoire de maîtrise sous la direction d’E. Pasquier, séminaire «l’autre ici», ensa nantes, septembre 2012


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Je souhaite remercier tous ceux qui ont participé directement ou indirectement à l’élaboration de ce mémoire : Je remercie Elisabeth Pasquier pour le soutien apporté tout au long de l’année, Pauline Trochu avec qui j’ai eu le plaisir d’effectuer ce travail en commun, ainsi que les étudiants du séminaire «l’Autre Ici». Merci à tous ceux qui ont eu la gentillesse de m’accorder du temps pour me livrer leurs précieux témoignages : Jean Alémany, Marc Revel, Salvador, Yasmine Leberre, Cyrille Prévaud, Arnaud Théval, ainsi que les jeunes que j’ai pu rencontrer. Merci aussi à papa et maman pour m’avoir aidé à trouver les mots justes, merci à Kévin, Delphine, Alexia, Adeline, Alice, Sébastien, Marie, Estelle, les Lézard Scéniques et tous les autres.

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Table des Matières

INTRODUCTION

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Partie 0 : partir de zéro

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Partie 1 : DU NOUVEAU MALAKOFF AU NOUVEAU MALAKOFF

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Malakoff, un quartier sans histoire? GPV, l’arsenal déployé Portrait chiffré du Malakoff d’aujourd’hui Des équipements tous neufs pour les jeunes L’identité de Malakoff aujourd’hui à un tournant

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Partie 2 : UNE EXPLORATION DES DIFFéRENTES IDENTITéS POUR LES JEUNES DE MALAKOFF

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Une identité sociale stigmate Une identité personnelle «Malakoffienne» La difficulté d’appréhender l’identité des jeunes de Malakoff

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Partie 3 : VERS UNE SEXUATION DES PRATIQUES URBAINES

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Garçons et filles à l’épreuve de leur territoire, coexistence ou séparation? Comment se construit l’autre mixité à Malakoff L’autre sexe ici conclusion

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Bibliographie

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Le contexte global dans lequel s’inscrit cette étude est particulier dans le sens ou elle se situe 7 ans après les émeutes urbaines qui ont secoué la France, avec pour résultat un consensus : plus jamais ça ! Toutefois, malgré les solutions mises en œuvre, on peut toujours croire qu’aujourd’hui rien n’a changé et que tout a continué. L’année 2011-2012 que j’ai consacrée au présent mémoire est sur ce plan, particulière. Le sujet des quartiers d’habitats sociaux est en effet revenu sans cesse dans le débat politique provoqué par les élections présidentielles de 2012 et l’on a vu s’affronter les idées les plus diverses pour tenter de faire se résorber une situation économique et sociale qui ne s’est pas améliorée ces cinq dernières années. On peine toujours autant à agir efficacement auprès de ceux qu’elle touche et les récents évènements survenus dans les quartiers Nord d’Amiens, où le chômage touche deux jeunes sur trois , en sont la preuve0. À Nantes, le quartier d’habitat social Malakoff a suivi la même spirale descendante que bon nombre de grands ensembles français, exacerbée par des spécificités qui lui sont propres. Toutefois, les élus de la ville ont enclenché depuis quelques années un grand chantier urbanistique, économique et social visant à améliorer la situation de ce quartier. S’intéresser à ses jeunes habitants est alors tout à fait pertinent, étant donné que ceux-ci constituent près de la moitié de la population d’un quartier aux multiples ethnies. Toutefois, ceci ne peut se faire sans auparavant prendre en compte l’importance que prend l’imaginaire collectif qu’ils suscitent. À Nantes, être un jeune de Malakoff, renvoie comme dans tout quartier de

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0 Philippe Labbé «Le quartier nord d’Amiens a besoin de travailleurs sociaux», Le Monde, 17 août 2012


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grands ensembles, à une image bien sombre qui doit être impérativement prise en compte dans l’étude du sujet. C’est donc dans cette optique que j’ai souhaité étudier je me suis lancé dans l’étude ces jeunes et leur occupation de l’espace public, phénomène très décrié dans la société contemporaine, et, à partir de la formulation d’une problématique simple «Quelles sont les pratiques urbaines des jeunes de Malakoff?», s’est opérée une réflexion plus dense par le biais de remises en question progressives. «Où? Qui? Quoi?» sont en effet les trois interrogations d’où sont partis les fils qui, par un jeu constant de recherche de justifications et de rebondissements, en sont venus à former la toile du mémoire. «Où?» s’est attaché à questionner le terrain sur lequel l’enquête a eu lieu et il va de soi qu’il présente des spécificités. Par un travail de recherche et d’observations, le début de l’enquête consiste donc à décrire le quartier dans lequel vivent les jeunes de Malakoff et le contexte social et urbain dans lequel ils évoluent. «Qui?» a permis de mettre en exergue l’importance de la crise d’identité. Définir les jeunes de Malakoff est en effet une question complexe qui ne saurait être résolue sans étudier au préalable les multiples facettes interpénétrantes de l’identité d’un individu. Nous nous sommes donc attelés à décortiquer, à déconstruire et reconstruire les multiples définitions et représentations du sujet. «Quoi?» ou «Comment?» a finalement permis de décrire le phénomène en lui-même et de mettre en évidence les pratiques spécifiques à ses jeunes, où il a été nécessaire d’introduire la notion de genre

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partie 0 : partir de zĂŠro

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Partir de zéro

Ayant rejoint depuis 6 mois l’école d’architecture à l’issue d’une formation d’ingénieur, je souhaitais rajouter un peu d’»humain» dans ma formation que j’avais jusque là consacrée à des sciences dures. Le choix de ce mémoire et la formulation de ma problématique sont à l’époque très brouillons, en résumé : «pourquoi les jeunes de banlieue ont la haine?» et pour cause, ma connaissance des quartiers populaires se résume à des lectures d’articles de presse, des livres aux titres provocateurs «La loi du ghetto» de L. Bronner et le visionnage de «la Haine» de M. Kassovitz . Quand je rejoins le séminaire de mémoire «L’autre ici» d’E. Pasquier en septembre 2011, j’embarque donc sans bagage. On me met rapidement en garde sur les dangers des représentations des quartiers populaires et je consacre donc la première partie de mon étude à les analyser. Je m’immerge alors dans une multitude de morceaux de rap et de film qui traduisent la vie des jeunes dans les ‘banlieues» : L’esquive de A. Kechiche, Petits Frères de J. Doillon, L’amour du risque de Fonky Family, Petit Frère d’IAM, La Squale de F. Genestal, Ma 6-T va Crack-er de J-F Richet, Retour aux Pyramides d’X-Men, Le bruit et l’odeur de Zebda, les Lascars de B. Dolivet, etc. Petit à petit, l’abondance des représentations, parfois contradictoires, commence à remettre en question l’idée première que j’avais de ces jeunes. Toutefois difficile encore d’en parler sans les avoir jamais rencontrés. Je choisis donc un territoire, en m’intéressant tout d’abord à Malakoff, à l’époque en plein dans les travaux et en pleins changements et je me rends une première fois sur le terrain. Au début, j’ai un peu les «pétoches». Quand on arrive dans un quartier

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Être jeune et vivre à Malakoff

avec une réputation comme celle-là, et quand on a étudié autant les représentations (parfois violentes), on y va forcément un peu à reculons. Pourtant, le résultat me donne tort et je passe plusieurs heures à circuler partout, à arpenter le quartier de long en large, faire des croquis, etc. Seuls les jeunes m’apparaissent inaccessibles. Ils me surveillent tant que je reste dans le quartier. Et le stigmate est entré dans ma vie... Je lis «Stigmate» d’E. Goffman, «Les Jeunes de la Cité» de J. Bordet, «J’étais un chef de gang» de Lamence Madzou. «Stigmate» se révèle édifiant dans la compréhension des interactions sociales et des phénomènes d’exclusion sociale. Mon point de vue sur les jeunes évolue encore et je comprends maintenant comment les représentations influent directement sur leur façon d’être. Toutefois, la réalité de leur identité de ces jeunes m’est encore lointaine, je n’ai pas encore vraiment commencé mon enquête. Je décide parallèlement d’élargir mon approche de ces jeunes, en réalisant des entretiens avec des acteurs en contact avec eux, du plus lointain en essayant à chaque fois de me rapprocher progressivement. D’abord M. Alémany, proviseur du collège Sophie Germain, en bordure de Malakoff, puis M. Revel de la direction départementale de la sûreté publique, puis un conseiller de la Maison de l’Emploi, jusqu’à arriver au centre socioculturel où je rencontre Salvador, animateur du club Jeunes. À chaque étape, j’en apprends plus sur qui sont les jeunes de Malakoff, quel est leur environnement. Les images que j’avais dans la tête se délitent au fur et à mesure que je discute avec ces gens qui vivent à leur contact. Un moment charnière : le débat lancé par l’association TisséMétisse Fin mars, je suis invité à un débat organisé par Tissé-Métisse à la Maison des Haubans, une association intervenant dans plusieurs quartiers de Nantes sur les questions liées racisme. Celui-ci s’intitule «Je suis une jeune femme de 20ans, et je circule dans un quartier.». À cette occasion, je rencontre plusieurs acteurs, politiques, associatifs, éducateurs, animateurs, mais aussi des jeunes filles de Malakoff et de Bellevue. Celles-ci sont invitées à prendre la parole sur la vie dans leur quartier. C’est la première fois que j’entends parler de la distinction garçons/filles

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partir de zéro

dans la vie ce ces jeunes. La suite de mon étude sera alors essentiellement focalisée sur cet aspect. Je reprend mon enquête avec Salvador, puis Y. Leberre, éducatrice spécialisée à Malakoff pour interroger les pratiques urbaines des jeunes, garçons et filles. En même temps, je m’intéresse à la littérature sur la question «Jeunes filles et garçons des quartiers : Une approche des injonctions de genre « d’Horia Kebabza & Daniel Welzer-Lang et finit d’enrichir ma bibliographie avec «La galère : jeunes en survie» de F. Dubet et «Les Années Banlieues d’Adil Jazouli». Mon enquête se clôt alors sur un atelier que j’organise à la fin de l’année. Inspirée d’une démarche visant à faire parler les habitants sur leur territoire vue lors du 2e semestre, j’organise un atelier me permettant de voir les pratiques des jeunes en leur soumettant un questionnaire oral tout en travaillant sur des cartes du quartier, du quartier élargi et de la ville. Je leur demande tour à tour leur utilisation et leur appréciation de tel ou tel lieu pratiqué que j’avais identifié auparavant avant de leur laisser la parole libre pour qu’ils me parlent plus amplement de ces lieux ou qu’ils me fassent découvrir de nouveaux lieux qu’ils pratiquent. Le temps venant à manquer, je n’ai pu reproduire cette expérience pourtant fructueuse et qui m’a permis de m’entretenir avec des jeunes. Elle m’a en effet permis d’en apprendre encore plus sur eux, leur vision du quartier et leur pratique. La fin a été consacrée à la mise en forme de tous ces témoignages, toutes ces connaissances et toutes ces réflexion et à l’heure où j’écris ces lignes, je suis plus à même de me rendre compte du glissement qui s’est opéré dans ma réflexion sur les jeunes.

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partie 1 : du nouveau malakoff au nouveau malakoff

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Du nouveau Malakoff au nouveau Malakoff

Nous allons tout d’abord porter notre regard sur le territoire de Malakoff. Afin de mieux comprendre les pratiques urbaines des jeunes habitants dans l’espace public, il est à mon sens essentiel d’étudier l’environnement et le contexte historique de Malakoff. La cité de Malakoff bénéficie depuis des dizaines d’années d’appellations multiples : Z.U.P. construite en 1972, objet d’une convention de quartier en en 1991, classé Z.U.S. en 1993, classé G.P.V. en 1999, procédure Z.A.C., A.N.R.U. en 2004 et la liste n’est pas exhaustive. Je n’entends pas ici analyser l’entièreté du projet urbain étant donné sa complexité en termes d’urbanisme et de politique de la ville (cela pourrait faire l’objet d’un autre mémoire à part entière) mais extraire quelques pistes intéressantes quant à mon sujet plus axé sur la place des jeunes dans l’espace public de Malakoff. Je porterai donc mon étude sur quelques axes en lien avec les jeunes : - Une brève histoire du quartier jusqu’à nos jours et son évolution programmée, en particulier l’image du quartier, intimement liée à celle de ses jeunes habitants. - Une analyse des différents lieux et dispositifs publics actuellement mis en place à destination des jeunes dans le quartier.

Malakoff, un quartier sans histoire? La construction de la cité Malakoff débute en 1968

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Être jeune et vivre à Malakoff

non loin de l’actuel canal Saint-Félix, à l’époque appelé Quai Malakoff. Comme tous les grands ensembles construits à cette époque, il s’agit de résoudre la crise du logement que connaît la France. La Z.U.P. du nouveau Malakoff (à l’époque, par opposition à l’ancien Malakoff qui s’étendait le long du quai, près de l’usine LU.) s’étend alors sur 164 hectares dans un territoire enclavé, délimité par la Loire au Sud et par la ligne de chemin de fer qui finit de l’entourer lui conférant ainsi une forme de banane. Jusqu’en en 1972 seront construits près de 2000 logements dans 8 tours de 18 étages et 5 immeubles linéaires courbes de 11 étages, les «bananes». Le quartier présente à l’époque des atouts non négligeables. L’orientation face à la Loire, les grands logements confortables et les loyers peu chers convainquent les gens d’habiter le quartier. C’est à l’époque une véritable petite ville, qui dispose de commerces, d’une école, d’un centre socioculturel et d’équipements sportifs. Jusque dans les années 80, la cité vit paisiblement, ses habitants sont natifs et immigrés du Maghreb, du Portugal et de Turquie. En 1987 et 1989, deux associations d’habitants du quartier sont créées : l’Association des Habitants du Quartier Malakoff (AHQM) et l’Association Culturelle Franco-Maghrébine (ACFM), qui rejoignent l’ALVA, association culturelle portugaise et l’Association Culturelle Populaire Turque On remarque ainsi que la population d’origine immigrée est alors très présente dans le quartier et d’autre part, ces associations qui fédèrent de nombreux habitants du quartier montrent aussi un lien social très fort avec le quartier. La diversité culturelle de la cité est largement mise en avant dans l’image du quartier et l’inter-ethnicité est également mise en avant pour justifier la solidarité, la convivialité, la sécurité et la sympathie qu’on peut y trouver. 1 voir partie sur la maison de l’emploi 2 Chargé d’une mission d’étude sur Malakoff pendant 18 mois pour le Centre d’Etudes et Techniques de l’Equipement (CETE)

3 Ouest France, 6 février 1991

Au début des années 90, le quartier se voit doté d’une mairie de quartier et une permanence de la mission locale1 y est installée. Le quartier compte alors 5000 habitants et le départ des populations les plus aisées vers l’accession privée a contribué à appauvrir le quartier. Alain Laplanche2 rend un rapport sur le quartier dans lequel il décrit un quartier populaire mais pointe la montée du chômage : «la cité compte beaucoup de jeunes et de RMIstes»3. Le quartier fait d’objet d’une convention de ville. La ville de Nantes exprime pour Malakoff la volonté d’établir une liaison

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Du nouveau Malakoff au nouveau Malakoff

avec le centre-ville et d’assurer la stabilité et la cohabitation des groupes sociaux qui constituent le quartier. Le début des années 90 est aussi une période de travaux importante pour Malakoff. Un incendie involontaire4 a fait réagir les bailleurs sociaux et la municipalité quant à l’état du quartier qui lancent une série de travaux sur les immeubles d’habitation : travaux extérieurs, réaménagement des parties communes, réfection des caves, remplacement des portes d’entrées et des boîtes aux lettres. Cette période est aussi essentielle pour les jeunes : Les moins de 25 ans sont alors près de 2500 sur les 6000 habitants du quartier : un espace lecture et un local Service Projet Information Jeunesse s’installent dans les tours pour favoriser l’insertion des jeunes. On voit éclater, en 94-95, les premiers faits de violence marquants de jeunes au centre socioculturel et de comportements plus tendus avec la police à Malakoff5. Les jeunes sont alors très critiques à l’égard du centre socioculturel (CSC) qui propose une action inadaptée à leurs besoins. Ceux-ci réclament un local avec une ouverture plus tardive évitant de « squatter »les halls d’immeubles, une meilleure répartition des bourses aux projets et des séjours moins chers et avant tout de l’emploi. A cette époque, le chômage atteint 18 %. Le centre socioculturel ferme pendant deux ans. L’image du quartier commence à se dégrader. Ces années sont aussi marquées par d’importants travaux visant à poursuivre le désenclavement du quartier : ouverture sur le boulevard de Sarrebruck et la Loire par des percements piétons et routiers perpendiculaires, création de la ligne de bus 58 en direction de Doulon, d’un club jeunes et des jardins familiaux entre la cité et Moutonnerie. Les années suivantes, l’image du quartier devient désastreuse. On ne retient essentiellement du quartier que les troubles causés par les jeunes dont la parole a cessé de résonner dans les médias : incendie d’un bar du centre commercial6, incendie de la piscine7, incendie du CDI du collège George Delatour8. La médiatisation de ces évènements achève d’exclure les habitants du quartier, qui même s’ils ont connaissance de ces faits divers, ne se reconnaissent plus dans l’image qu’on se fait de leur quartier. Ils aiment leur quartier pour sa convivialité, sa solidarité et sa vie culturelle et associative foisonnante :

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4 Presse Océan, 4 février 1992

5 Presse Océan, 17 février 1995

6 Ouest-France, 1er janvier 1998 7 Presse Océan, 26 avril 1998 8 Ouest-France, 1er janvier 1999


Être jeune et vivre à Malakoff

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Du nouveau Malakoff au nouveau Malakoff

Deux articles parus dans Ouest-France le 30 mai 1994 Le quotidien s’attache alors à dresser un portrait de Malakoff. Celui-ci tranche avec le traitement aujourd’hui alloué au quartier. On peut y lire : « Mosaïque ethnique, Malakoff quartier multi-culturel, compte beaucoup d’étrangers. Dans les cages d’escaliers cohabitent Blancs, Beurs, Blacks... On parle toutes les langues, on découvre toutes les cultures. Enquête de toutes les couleurs.» Jean-Marc Ayrault, lors de ses voeux au quartier en 1995 reprendra même les mots de Djamel, 19 ans, jeune de la cité lorsqu’il parle du quartier : «C’est dur de vivre ici. [...] Pourtant si tu as un problème, il y aura toujours quelqu’un pour t’aider.»

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Être jeune et vivre à Malakoff

9 Ouest-France, 31 mai 1999

À Malakoff, on ne vit pas plus mal qu’ailleurs. Un jour, en vacances, une dame était scandalisée en apprenant que j’habitais Malakoff. Je lui ai répondu : «Je ne sais pas où vous habitez mais j’ai aucune envie d’y aller!». Louise, 71 ans9

Les années 1996 à 1999 voient aussi l’arrivée d’un pôle de la Petite Enfance à l’école Saint Martin du Gard, l’arrivée du magasin LIDL au centre commercial, l’ouverture d’un Centre Médico-Psychologique pour les parents rue du Luxembourg, l’implantation d’un système de SEL (Système d’Echange Locale) pour favoriser les pratiques solidaires. Le centre commercial est ouvert sur le boulevard de Sarrebruck. Parallèlement, la situation sociale continue de se détériorer : le chômage franchit la barre des 20% et 52% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Un collectif de chômeurs «Cocktail Malakoff» se constitue pour alerter l’opinion publique sur leur situation. Ils occuperont un temps le centre socioculturel et les logements laissés vacants par Nantes Habitat (bailleur social des immeubles de Malakoff) avant d’être chassés par la police. Le mouvement n’aura pas de suites.

10 http://lenouveaumalakoff.com

En 1999, le Grand Projet de Ville (GPV) fait petit à petit son apparition dans l’esprit des élus. Ceux-ci veulent lancer un grand projet pour modifier radicalement le quartier : créer un «nouveau Malakoff»10. L’année 1999 est aussi le démarrage de la démocratie de proximité, mais celle-ci enregistre une participation moyenne de la part des habitants, pour qui des années de stigmatisation médiatique et d’aggravation de la situation économique et sociale ont plus contribué à éloigner la population des pouvoirs publics et des médias qu’à la rapprocher.

GPV, l’arsenal déployé Le quartier entre en 2001 dans une nouvelle ère. Le Grand Projet de Ville lancé par la communauté urbaine de Nantes Métropole repose sur deux orientations pour le quartier : développer l’attractivité du territoire en assurant mixité sociale et mixité des fonctions et ouvrir le quartier sur la ville en créant de nouveaux franchissements. Sur le plan urbanistique, il comprend deux volets de travaux distincts : Le premier démarré en 2004 sur la partie amont du

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Du nouveau Malakoff au nouveau Malakoff

quartier – et aujourd’hui terminé – a consisté en : - La démolition de la banane Pays de Galle et des tours Sicile et Portugal (294 logements). - La reconstruction de 300 logements sociaux sur le quartier adjacent du Pré-Gauchet proposés aux anciens locataires des immeubles détruits. - La réhabilitation et résidentialisation (sécurisation des entrées, requalification des espaces extérieurs adjacents) des tours Corse, Suisse, Irlande et Hongrie et des bananes Norvège et Suisse - Le réaménagement des espaces publics : espaces structurants (voirie, parvis d’école, squares, mail piéton), ouverture du territoire au Sud sur la Loire par un rondpoint d’accès au centre commercial actuel, ouverture au Nord et à l’Ouest, avec construction d’ouvrages d’art sous les voies ferrées (Pont de la Moutonnerie, de l’Arche, de Malakoff, du Pré Gauchet), création du boulevard de Berlin, réaménagement de la rue du Pont de l’Arche et réalisation du mail Pablo Picasso. Le boulevard de Berlin accueillera à terme un Chronobus qui permettra de rallier Malakoff à la gare Sud. - La construction d’équipements publics : la piscine de la petite Amazonie - Le déplacement d’équipements publics : le collège Sophie Germain, au Pré-Gauchet (anciennement George Delatour, démoli) et la Maison des Haubans, avenue de Berlin (regroupe d’autres services dont le centre socioculturel), Le second démarré en 2009 sur la partie centrale et aval du quartier consiste en : - La démolition partielle de la banane Angleterre (103 logements) - La reconstruction de plus de 104 logements sociaux sur le quartier adjacent du Pré-Gauchet proposé aux anciens locataires des immeubles détruits. - La réhabilitation et résidentialisation (sécurisation des entrées, requalification des espaces extérieurs adjacents) des tours Madrid, Luxembourg I, Luxembourg II, Angleterre I et Angleterre II et des bananes Tchécoslovaquie et Angleterre), - L’aménagement et le réaménagement des espaces publics : aménagement des accès à la Loire et de la promenade le long de la Loire, requalification des espaces libérés (restructuration des circulations, stationnements, espaces de loisirs) par les démolitions - La construction d’équipements publics : un pôle de services

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Être jeune et vivre à Malakoff

publics (Marie annexe, Maison de l’Emploi, Mission locale, associations), - La démolition et le déplacement de l’ancien centre commercial, avenue de Berlin - La restructuration et l’agrandissement de l’école Bergson

11 Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement, Atlas des transformations des quartiers bénéficiaires du programme de rénovation urbaine en Loire-Atlantique à Nantes : Quartier Malakoff - PréGauchet, 2009

12 LAUA, Fiche-projet du Nouveau Malakoff, 2007

13 Le Compas, Rapport CompasTis, Nantes : des chiffres pour débattre, 2011 14 Entretien Maison de l’Emploi

Il comprend aussi des mesures économiques et sociales qui concernent : - L’accès à l’emploi et à l’insertion sociale - La cohésion sociale et la tranquillité - Le système éducatif - La santé - La lutte contre les discriminations11 Malakoff est aujourd’hui en pleins travaux et les dispositifs commencent à être mis en place, notamment au collège et à la Maison des Haubans comme nous allons le voir plus loin.

Portrait chiffré du Malakoff d’aujourd’hui Le quartier Malakoff est aujourd’hui peuplé d’environ 4000 personnes dans un territoire de 164 hectares. La part des jeunes dans la population est relativement importante puisqu’on estime que 50% de la population a moins de 25 ans12. L’occupation des logements révèle une part importante de familles monoparentales 44,8% (40,9% dans le reste de l’agglomération) et une occupation de personnes seules en baisse de 27% depuis le début du GPV pour n’atteindre que 188 personnes aujourd’hui13. La situation économique du quartier montre un taux de chômage qui approche les 30%14 à Malakoff. Même si celui de la métropole augmente aussi, l’augmentation est toujours plus forte dans les quartiers prioritaires de la ville, notamment à Malakoff. La situation sociale montre une part importante de familles vivant avec moins 800€ par mois avec 47% de familles vivant endessous du seuil de pauvreté. Concernant plus spécifiquement les jeunes, les statistiques données par le proviseur du collège Sophie Germain révèlent une situation sociale des enfants scolarisés aggravée : 48% des parents d’élèves sont au chômage et 66% des familles vivent

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Du nouveau Malakoff au nouveau Malakoff

en dessous du seuil de pauvreté. En outre, ils sont près de 40% à vivre avec moins de 200€ par mois.

Des équipements tous neufs pour les jeunes Nous allons maintenant présenter les différents lieux publics actuellement proposés aux jeunes du quartier de Malakoff. Même si ceux-ci ne constituent pas une liste exhaustive, ils ont été retenus ici pour les pratiques fréquentes qu’ils occasionnent et parce qu’ils sont les plus identifiés dans le quartier. Si ceux-ci sont d’ordre institutionnel, ils constituent bien souvent, de par leur fonction, un passage obligé et des usages quotidiens pour les jeunes du quartier. Ceux-ci sont dotés d’importants moyens pour mettre en œuvre des dispositifs pour pallier aux problèmes ordinairement rencontrés sur le quartier : chômage, absentéisme scolaire, pauvreté. Petit tour d’horizon des lieux mis à disposition des jeunes :

Le collège Sophie Germain Le collège Sophie Germain est un des premiers équipements prévu par le GPV. Livré en 2010, il remplace le collège Georges Delatour, détruit depuis, qui était situé en plein cœur de Malakoff derrière la «banane Tchécoslovaquie». Synonyme d’échec scolaire selon M. Alémany (proviseur de l’ancien et du nouveau collège), le collège G. Delatour était un établissement scolaire fréquemment sujet à des violences entre élèves ou avec le personnel enseignant. L’apprentissage ne se faisait pas ou difficilement et l’envie d’apprendre était altérée par la situation des parents, au chômage, qui ne croient plus en l’enseignement. La nouveauté pour changer L’objectif est alors de refaire du collège un lieu de formation et d’apprentissage. L’équipe enseignante s’attèle à développer la mixité sociale dans le collège, qui n’était constitué auparavant que d’habitants de Malakoff. L’image du collège est complètement renouvelée : nouvel établissement hors du quartier, nouveau nom, nouveau programme pédagogique. Le programme pédagogique est aussi modifié pour favoriser l’apprentissage par l’expérience afin de stimuler l’intérêt des collégiens (méthode Charpak). Enfin, un suivi des élèves et de leurs parents (A.F.E.V.15, Malette des parents16) et plusieurs activités extrasco-

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15 Association de la Fondation Etudiante de la Ville : soutien scolaire proposé aux collégiens par des étudiants nantais 16 Soutien aux parents d’élèves de 6e pour l’éducation de leurs enfants. 17 Découverte du métier de pompiers auprès des élèves 18 Dispositif permettant de prolonger les horaires d’ouverture de l’école : des activités culturelles ou sportives sont alors proposées : musique, théâtre, etc.


Être jeune et vivre à Malakoff

Vue aérienne du quartier Malakoff en 2008

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Vue AĂŠrienne du quartier Malakoff - Projet du GPV

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laires (SDIS17, «école ouverte»18) sont mis en place pour empêcher les élèves de décrocher. Aujourd’hui, la pratique du collège a complètement changé. Des mots du proviseur, une meilleure assiduité, la disparition de la violence, le développement de la mixité avec l’arrivée d’écoliers d’autres quartiers de la ville. Perçu à nouveau comme un lieu d’apprentissage, il est aussi un lieu de divertissement grâce aux nombreux loisirs mis en place (musique, salle de jeux, potager, etc.). Une rupture avec le quartier : manifeste d’une volonté de jouer cavalier seul? Le collège se distingue maintenant par une rupture affichée avec le quartier de Malakoff. Après le vécu très traumatisant pour l’équipe enseignante de Georges Delatour, il ressort du discours affiché une profonde envie de se mettre à distance du quartier d’origine. Les paroles du proviseur vont en ce sens : pour lui, «les élèves ne sont plus les élèves de Malakoff, mais les élèves du collège Sophie Germain», ses mots pour qualifier la cité sont d’ailleurs souvent durs : «ghetto», pas le «territoire de la République» et son projet pédagogique visant à maintenir les élèves le plus longtemps possible dans le collège laissent percevoir une tendance à vouloir effacer l’identité des jeunes de Malakoff et à se tenir en dehors des autres acteurs du quartier (associatifs, éducateurs, maison de l’emploi).

La maison de l’emploi La maison de l’emploi regroupe depuis 2008 deux services : la Mission Locale dont le but est d’intervenir dans plusieurs domaines auprès des jeunes et le service «Maison de l’Emploi» qui favorise la recherche d’emploi pour tous. Le service Mission Locale était auparavant implanté dans la Tour Angleterre et date des années 80-90. La création de cette mission fait suite au rapport Schwartz (commandé en 1982 par F. Mitterrand suite à la montée du chômage des jeunes) sur le chômage des jeunes. Celui-ci préconise à l’époque d’intervenir sur plusieurs volets en plus de celui de l’emploi, en partant du principe que l’accès à l’emploi ne peut pas se faire convenablement quand on n’a pas une situation stable : avoir accès à un logement, être en bonne santé et pouvoir se nourrir.

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Les multiples formes de la réinsertion C’est dans cette optique que s’est implantée la Mission Locale à Malakoff. Le quartier, alors classé en Z.U.S. est l’un des plus pauvres de France avec un taux de chômage très important (plus de 30% actuellement) et un revenu médian des plus faibles. Jusque dans les années 2000, la Mission Locale, qui intervient dans plusieurs domaines (emploi, santé, aides sociales, formation professionnelle, aides au logement, sport et loisirs) est le seul interlocuteur institutionnel implanté sur le quartier. Le rapport avec les habitants est alors plus tendu : ceux-ci se sentent abandonnés par la ville. Aujourd’hui, la tension s’est apaisée et le service intervient de plusieurs manières pour lutter contre le chômage des jeunes, principalement ceux sortis du système scolaire prématurément. Il accueille les jeunes de 16 à 25 ans et participe à la construction de parcours pour s’occuper de jeunes qui sont parfois en errance depuis l’âge de 14 ans. Le parcours se construit en plusieurs étapes : - Résoudre la détresse sociale en proposant des moyens d’urgence pour les personnes les plus précaires : aides financières pour se nourrir, logements d’urgence, examens de santé. -Réinsérer les jeunes dans la société. Cela passe par la formation professionnelle des jeunes peu ou pas qualifiés mais aussi leur redonner confiance en soi, proposer des moyens de mobilités. - Aider à la recherche d’emploi, par le biais d’emplois favorisés et d’un suivi de l’insertion des jeunes. Quel avenir pour la Mission Locale? La Mission Locale, qui s’apprête à déménager dans un nouveau local prévu par le GPV est un service qui œuvre énormément pour le chômage des jeunes. En outre, celui-ci agit de concert avec les autres acteurs du quartier : conseillers, animateurs. Il propose des dispositifs très ciblés, spécifiques au quartier (permis à un euro, par exemple) et lutte pour la réinsertion des jeunes. Toutefois, la complexité du dispositif d’acteurs qui financent (qui va des fonds de la ville aux fonds européens) produit des mécanismes administratifs encore très lourds et la situation s’améliore doucement mais sûrement sur le quartier : le salaire médian augmente et le chômage diminue.

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Être jeune et vivre à Malakoff

La Maison des Haubans

19 Délégation en charge de l’animation culturelle pour la ville de Nantes dans certains quartiers

La Maison des Haubans a été ouverte en 2011. Elle regroupe le Centre Socio-Culturel et Maison des Associations. Son histoire est un peu particulière : le quartier ne disposait auparavant que d’un Centre Socio-Culturel situé Rue d’Angleterre, derrière le centre commercial. Le GPV prévoyait alors dans son plan directeur la construction d’un nouveau centre sur l’avenue de Berlin. En 2010, l’ancien Centre Socio-Culturel est détruit dans un incendie. Malakoff se retrouve alors sans locaux pour accueillir les animateurs et les nombreuses associations. Ceux-ci utilisent alors des logements vacants dans les immeubles d’habitations comme locaux. La Maison des Haubans propose aujourd’hui plusieurs actions auprès des jeunes. Tout d’abord, un espace de rencontre et de distraction ouverts aux jeunes 12-20 ans, tous les après-midi de la semaine après la fin des cours : le «Club Jeunes». Il propose aussi plusieurs dispositifs d’aides à destination des jeunes : - La bourse aux projets qui permet à des jeunes aidés par un animateur de monter des projets de séjours individuels ou en groupe auprès de l’ACCOORD19. - Des sorties dans la ville ou dans la région et des séjours en camps de vacances. Par exemple, sorties concert, ciné, sorties à la mer, séjour au Mexique, etc. Les animateurs essaient de développer l’autofinancement chez les jeunes pour réunir l’argent nécessaire à ces projets, - Aide à la professionnalisation et soutien scolaire : permanences CV, le permis à un euro en partenariat avec la Mission Locale, des stages BAFA, etc. Enfin la Maison des Haubans offre des activités moins ciblés à destination des jeunes. Les associations et clubs proposent une multitude d’activités sportives, culturelles et/ou artistiques, une bibliothèque, un espace informatique, etc. En proposant une structure qui regroupe plusieurs facettes : centre de loisirs, vie associative, équipements culturels, la Maison des Haubans affiche une volonté de rompre avec l’ex-centre socioculturel souvent décrié par les jeunes avant les années 2000. Ce lieu montre une diversité des usages et une mixité sociale et intergénérationnelle très développées. En encourageant les jeunes à monter des projets et trouver des activités d’autofinancement, la structure fournit aussi un accompagnement éducatif et entend lutter contre l’errance des jeunes dans l’espace pu-

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blic. Le «Club Jeunes», tenu par des animateurs investis et au fait des pratiques des jeunes est un lieu incontournable dans la vie quotidienne des 12-20 ans du quartier. En outre, l’organisation d’évènements en fait aussi un lieu d’expression pour ces jeunes qui manquent encore de lieux de parole et d’écoute bien définis. Ce lieu a constitué la pierre angulaire de mon travail puisqu’il m’a permis de rencontrer des jeunes par l’intermédiaire des animateurs et des échanges qui y ont eu lieu. Le travail de Pauline Trochu concernant la Maison des Haubans constitue à ce sujet une importante source d’informations pour quiconque souhaiterait en savoir davantage20.

L’identité de Malakoff, aujourd’hui à un tournant Malakoff est un quartier singulier. Nous avons vu à travers le regard de deux journaux locaux (Ouest-France et Presse Océan) comment en l’espace de quelques décennies cette cité est passée de symbole d’un nouvel essor à zone urbaine sensible et s’attache maintenant à redevenir ce qu’elle était à sa création. À partir de 1972, la cité a lentement accumulé les mêmes symptômes qu’ont connus les grands ensembles français : dégradation des conditions de vie avec le vieillissement des logements, aggravation locale du chômage, problème de surpopulation, action sociale et culturelle inadaptée, une population majoritairement d’origine immigrée peinant à s’insérer dans la société, etc. Ce quartier d’H.L.M. nantais connaît toutefois des spécificités. En effet, celui-ci présente un enclavement géographique remarquable avec des frontières physiques infranchissables (fleuve et ligne de chemin de fer) pour d’autres et un accès difficile : le quartier est pendant très longtemps très peu accessible et la question du raccordement au centre-ville reste longtemps en suspens sans être véritablement traitée. Jusqu’en 2000, la situation n’a cessée de s’aggraver pour finalement atteindre une situation d’extrême pauvreté et un sentiment d’exclusion par rapport au reste de la ville. Depuis, la ville a décidé de résoudre les problèmes de ce quartier en enclenchant un Grand Projet de Ville pour la cité et le quartier du Pré Gauchet, qui lui est adjacent. La ville a effectivement démarré de nombreux travaux afin de rattacher le

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20 Mémoire de maîtrise de Pauline Trochu


Être jeune et vivre à Malakoff

quartier à la ville en priorisant la mixité et le désenclavement, concrètement traduits par le percement de nouveaux axes de circulation et de franchissement, la démolition/reconstruction de logements et d’équipements publics et l’amélioration de la qualité des espaces publics à tel point que le quartier a complètement changé de visage. Alors que le quartier compte la population la plus jeune de la ville, l’effort a été accentué pour tenter de répondre aux problèmes rencontrés par les jeunes par le biais de constructions d’équipements publics et la mise en place de mesures sociales particulières à leur attention. Dans le cadre de l’étude, nous avons retenu ceux qui étaient les plus pratiqués par les jeunes du quartier : le collège, la Maison des Haubans, aujourd’hui achevés et la Maison de l’Emploi, qui fait actuellement l’objet d’une nouvelle construction. Ceux-ci ont mis en place des dispositifs spécifiques aux jeunes de Malakoff dans le domaine de l’éducation, des loisirs, de l’emploi montrant des avancées positives pour l’enseignement en Z.E.P. et pour l’animation et les loisirs. Le quartier est aujourd’hui à un tournant, la situation de détresse sociale rencontrée auparavant par les jeunes de Malakoff commence peu à peu à s’améliorer. La modification du quartier entraîne aussi une modification des comportements et des pratiques et ceux-ci, par leur forte présence sur le quartier (près de la moitié des habitants ont moins de 25 ans), continuent d’en constituer le cœur. Toutefois, si dans l’esprit des Nantais, le quartier change, les jeunes de Malakoff font encore référence aux clichés des «jeunes de cité» dans l’imaginaire collectif.

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partie 2 : une exploration des differentes identites pour les jeunes de malakoff

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Une exploration des différentes identités pour les jeunes de Malakoff

Afin d’approfondir le sujet de notre étude, nous allons maintenant nous pencher plus en détails sur les jeunes eux-mêmes. Toutefois, leur identité est loin d’être simple à définir et afin de dresser un portrait plus complet de qui ils sont, nous allons tâcher d’analyser les différentes facettes de leur identité en nous basant sur l’œuvre de Goffman, «Stigmate». En effet, l’identité est un concept qui comprend plusieurs aspects : identité pour soi (ce qu’on pense de soi), identité personnelle (ce qu’on est réellement, comme combinaison de faits biographiques), identité sociale (ce qu’on est aux yeux des autres). Si dans le cas de notre étude, l’identité pour soi peut sembler anecdotique puisqu’elle relève plus du champ de la psychologie pure, l’analyse des deux autres identités est par contre indispensable pour qui souhaite s’attacher à mieux comprendre les mécanismes des «jeunes de cité» et ainsi en dresser un portrait relativement complet.

Une identité sociale stigmate Qu’est-ce que et à quoi sert l’identité sociale? L’identité sociale constitue la première manière d’approcher des individus. Celle-ci est constituée par l’ensemble des informations sociales que nous transmet un individu lors d’une interaction (dialogue, présentation, échange de regards, etc.). Par informations sociales, Goffman, dans Stigmate, entend l’ensemble des caractéristiques pertinentes qui définissent de manière plus ou moins constante un individu et permettent de l’identifier sans le connaître préalablement21 :

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21 E. Goffman, Stigmate, 1975


Être jeune et vivre à Malakoff

L’information la plus pertinente pour l’étude du stigmate possède certaines propriétés. C’est une information à propos d’un individu. Elle touche à ce qui le caractérise de façon plus ou moins durable, par opposition aux humeurs, aux sentiments, aux intentions qu’il peut avoir à un moment donné. De même que le signe par lequel elle se transmet, elle est réflexive et incarnée, c’est-à-dire émise par la personne qu’elle concerne et diffusée au moyen d’une expression corporelle que perçoivent directement les personnes présentes. L’information qui possède toutes ces propriétés, je la nomme «sociale».

Ces informations peuvent donc être transmises par des signes corporels stables et fréquents, comme peuvent l’être la taille, la couleur de peau, le port d’insignes ou de symboles, etc. comme ils peuvent être transmis par des signes plus fugitifs : le langage, la posture. Ainsi, quelqu’un parlant avec un accent différent de ses interlocuteurs sera tout de suite perçu comme ayant une origine différente de ces mêmes interlocuteurs. Il est tout de fois important de remarquer que la notion de stigmate qualifie beaucoup plus l’information sociale puisqu’elle distingue l’information sociale en deux catégories : celle connotée positivement, censée apportée du crédit à celui qui la porte et celle qui jette un discrédit profond sur celui qui la porte : le stigmate, c’est à dire «la situation de l’individu que quelque chose disqualifie et empêche d’être pleinement accepté par la société».

Toujours d’après Goffman, l’intérêt de cette information est qu’elle influe directement sur les interactions entre individus et conditionne ainsi tous les rapports entre les individus stigmatisés et les autres (que Goffman nomme «normaux») : Ainsi, un individu affublé d’un stigmate non visible pourra choisir de révéler son stigmate aux autres ou non lors d’interactions avec eux. Autrement, un individu dont le stigmate est visible verra alors ses relations conditionnées par son stigmate lors d’interactions avec des «normaux» : on attendra de lui qu’il se comporte conformément à la condition qu’impose son stigmate afin de ne pas brouiller l’interaction. Inconsciemment, ce mécanisme opère d’une discrimination à l’égard du stigmatisé puisqu’on ne réagira pas avec un stigmatisé de la même manière qu’avec un non-stigmatisé et le simple fait pour un stigmatisé de vouloir changer cet ordre-là provoquera toutes sortes de réactions (positives ou négatives) à son égard lorsque celui-ci ne se comportera

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pas de la façon attendue. Exemple donné par cet aveugle22 : Ses actes autrefois les plus ordinaires - arpenter nonchalamment la rue, harponner les petits pois dans son assiette, allumer une cigarette - n’ont plus rien d’ordinaire. Il sort du commun. S’il les accomplit avec grâce et assurance, ils soulèvent le même émerveillement qu’inspire un prestidigitateur qui tire les lapins de son chapeau.

D’autre part, qu’il est aussi intéressant d’étudier comment fonctionne le rapport entre la personne et son identité sociale. Ainsi, alors qu’un individu participe inconsciemment de la fabrication ou se voit fabriquer une identité sociale (i.e. réelle ou virtuelle), le stigmate par le discrédit profond qu’il apporte entraîne forcément chez l’individu une réflexion sur la conduite à tenir lors des interactions. «Révéler son stigmate ou le garder caché? S’en extraire, le réduire, le supprimer ou l’affirmer, le manifester? S’aligner sur les «normaux» ou se grouper avec ceux qui partagent le même stigmate?» sont autant de questions et de réflexions qui se posent dans la construction d’une identité sociale nous apprend Stigmate. Et chacune apporte là aussi son lot de conséquences sur la nature qu’auront les interactions, les échanges entre personnes dotés d’un même stigmate ou lors de contacts mixtes. En fin de compte, il est tout autant important d’étudier cette identité sociale avant d’appréhender les autres. Très complexe, puisque fabriquée autant par les personnes extérieures que par soi, celle-ci conditionne tous les rapports et interactions entre individus, en même temps qu’elle peut desservir un individu si elle renvoie à un stigmate. Dans le cadre de mon étude, c’est l’analyse de cette identité sociale des «jeunes de cité», ce stigmate à double-tranchant qui m’a permis d’une part à mieux préparer mon approche des jeunes comme à mieux comprendre certains mécanismes chez les jeunes de Malakoff.

L’identité sociale ambivalente des jeunes Rappelons que les jeunes ont chacun une identité bien distincte et il serait vain de chercher à définir leur identité comme s’ils étaient «tous les mêmes». L’enjeu ici n’est pas de mettre les jeunes dans une catégorie, et de décrire cette catégorie. Mais ceux-ci étant affligés d’un même stigmate, il est intéressant de voir comment ils se rassemblent en groupes sociaux et partici-

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22 Chevigny, in Goffman, Stigmate, 1975


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INVISIBLES, Arnaud Théval, 2008-2012 «Invisibles (2008-2012) s’est développé dans les quartiers nord de Nantes après une année de rencontres et d’échanges avec les « habitants », photographiés dans leurs activités quotidiennes. La transformation des visages, masqués par une image composée à partir de signes photographiés sur la personne, a été l’occasion d’inventer des figures évoquant nos mythologies contemporaines empruntées au cinéma, au manga, aux arts plastiques, et autres fictions urbaines cités par les uns et les autres. Celles et ceux qui jalonnent ce travail, absents de la représentation de la banlieue ou stigmatisés par l’imagerie médiatique, apparaissent ici dans une authenticité non simulée. Toutes ces images, rompant ou jouant avec les stéréotypes les plus éculés, font référence de façon critique à ces accumulations de clichés et de codes, qui génèrent à leur tour des attitudes et des modes, ayant pour conséquence de rendre invisibles ceux-là mêmes qui les adoptent.» ©Arnaud Théval http://www.arnaudtheval.com/

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pent à l’élaboration d’une identité sociale commune, avec leur état, leurs aspirations, leurs rancœurs. Dans le cas des jeunes de cités d’aujourd’hui, on voit très bien que ce ne sont pas seulement les jeunes qui fabriquent leur identité. L’identité sociale des jeunes et leur stigmate est aussi très largement fabriquée par des extérieurs (médias, politiques, etc.) mais aussi par des intérieurs via plusieurs moyens de représentations culturels : c’est le cas du cinéma comme les films de Kassovitz ou Richet, mais aussi d’éléments de la hiphop culture comme la chanson rap, le slam ou le graffiti. Dans ces derniers cas, il est intéressant de remarquer plusieurs choses : tout d’abord, comme ce sont des moyens de figuration, ils permettent de se présenter dans le sens de se définir, c’est à dire, participer à la fabrication de son identité, montrer qu’on existe. Beaucoup de manifestations culturelles (orales ou écrites), d’ailleurs issues du mouvement hip-hop américain largement assimilé par les jeunes des cités lorsque celui-ci perce en France en 1982, participent de la revendication d’une identité, cherchent à se définir. Un exemple parmi d’autres : ce couplet de la chanson «Retour aux pyramides» du groupe X-Men (1996). Il cherche à revendiquer une identité pour les jeunes du quartier des Pyramides à Evry, à l’époque des rivalités avec d’autres cités et d’autres quartiers de Paris. Celui-ci cherche à faire écho aux rancœurs, aux aspirations, à leur réalité, leur ressenti, contribuant de cette manière à prononcer une définition de qui ils sont : Je représente les miens comme Denzel, Ex rookie, frère digne, jamais plein de zèle. Et sur mon polo, des impacts de balles forment mon logo Les autres font rire comme Bozo le clown, Se comportent comme au zoo, Je suis une félonie anti Viking, je crée des colonies black Napoléon, Homme caméléon. Bing, on pille le pays comme Mesrine, On envahit Virgin, les villas et les villes, les piscines, On boit de la tequila. Ma famille, mon cocon, choquons nos ex-colons, Embrochés du cul au cou par des sexes trop longs. Des tresses sous un collant Dim, des Tim, des textes trop longs. Je vois rouge comme les peaux, parqués dans les réserves, Je couche avec les black squaws, squatte leur tipi, pire qu’un hippie, Je respire du pavot, pas vous.

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Je grave la vraie vie dans le pavé, Comme les gars des grottes de Lascaux, comme Vasco de Gama, Je suis à la recherche d’espaces vierges à infiltrer comme Donnie Brasco dans la Mafia, Donc je suis parano, speed comme Martin Payne sous cocaïne. J’ai la haine jusqu’au jean Calvin Klein. Je représente mon clan, j’ai le feeling comme Marvin Gaye. Trop de flûteurs, je suis un king comme Martin Luther. Faut qu’on s’organise, qu’on crée nos propres trucs avant que tout explose.

Dans cet exemple, la proclamation d’une identité des jeunes de la cité des Pyramides est prégnante : l’utilisation récurrente de la première personne du singulier et les nombreux rappels «Je représente les miens», «je représente mon clan» alliée à la fois à des descriptions d’état «je suis parano», «j’ai la haine», d’activités «je respire du pavot», « ainsi que des références à l’histoire coloniale ou au passé des indiens d’Amérique et à des personnes symboliques, comme Denzel Washington, Martin Luther King. «Les autres me font rire comme Bozo le Clown» renvoie directement aux cités rivales, ridicules par rapport aux Pyramides, la cité des X-Men qui abrite les vrais durs : «Sur mon polo, des impacts de balles forment mon logo». Ici la chanson des rappeurs se veut l’écho d’un quartier, une manière de se définir comme «jeune des Pyramides», mais aussi plus largement traduit une identité des «jeunes de cité» revendiquant son histoire, ses icônes, ses aspirations, etc. On voit bien comment ces moyens de représentation culturels participent d’une fabrication de l’identité sociale : pour les jeunes eux-mêmes, ils permettent de s’affirmer dans un environnement qui contribue plus à les exclure et donne une identité au groupe. Goffman décrit bien ce phénomène dans son ouvrage : Il est fréquent que les personnes affligées d’un stigmate particulier financent une publication qui exprime leurs sentiments communs, qui renforce et raffermit chez le lecteur le sens de la réalité de «son groupe», ainsi que l’attachement qu’il éprouve à son égard. C’est là qu’est formulée l’idéologie des membres du «groupe» : leurs plaintes, leurs aspirations, leur politique. On y cite les noms des amis fameux et des ennemis notoires, sans oublier de confirmer au passage la valeur ou l’indignité de ces personnes. On y relate les succès des héros de l’assimilation qui

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Être jeune et vivre à Malakoff

ont su se faire accepter des normaux dans de nouveaux domaines. On y consigne les atrocités, récentes ou historiques, commises par les normaux persécuteurs.

Toutefois, l’identité sociale des jeunes de cité est bien évidemment à double tranchant. Là où, elle participe à la fabrication d’une identité sociale affirmée, celle-ci est la première que nous sommes amenés à connaître lorsque nous portons notre regard sur les jeunes qui vivent en cités. À nos yeux, nous les «normaux» pour reprendre les termes de Goffman, elle renvoie directement au stigmate du «jeune de cité» tel qu’il est aujourd’hui aux yeux de la société. Et c’est ainsi que si nous croisons un individu arborant un signe de l’identité sociale revendiquée par les jeunes de cité (qui peuvent d’ailleurs être multiples : vestimentaire comme le sweat à capuche et les chaussures de sport ou verbal comme le langage), notre jugement s’en trouve affecté puisque dans notre interaction avec lui, nous ne le voyons pas comme un «normal» contribuant ainsi à le déprécier et à le ramener à son stigmate. Le stigmate «jeune de cité» est d’autant plus complexe que leur identité sociale s’est construite en réaction à une situation de détresse et un sentiment d’exclusion. Toute interaction est alors conditionnée par ce sentiment d’exclusion et chercher à réduire ce sentiment d’exclusion contribue en même temps à confirmer qu’il existe. Ce phénomène contribue donc à redoubler le stigmate. Par exemple, c’est ce jeu d’identité sociale et de stigmate qui a rendu complexe mon approche des jeunes de Malakoff. Ceux-ci faisant partie de la catégorie sociale stigmatisée parce qu’ils habitaient Malakoff, m’entretenir avec eux en suivant une posture d’enquêteur sociologue revenait en quelque sorte à les déprécier puisqu’elle participait d’une certaine manière à confirmer le fait qu’ils étaient exclus de la société. C’est pourquoi j’ai plus usé de mon rôle de jeune étudiant et me suis inspiré de techniques d’animation lors des entretiens pour faciliter les interactions. Observations lors d’un entretien avec les jeunes, 06/12

Dès lors, les mécanismes de redoublement de stigmate n’ont cessé de s’enclencher contribuant ainsi à toujours plus confirmer ce sentiment d’exclusion chez les jeunes de cité, alors que chaque contribution culturelle ou médiatique à l’affirmation d’une identité a conduit à une mise au ban de la société de plus en plus aggravée. C’est ainsi qu’à partir d’une construction d’une identité sociale, les jeunes de cité ont, en même temps qu’ils affirmaient cette 48


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identité, contribué à alourdir leur stigmate. La représentation filmique des grands ensembles est à ce sujet très édifiante car elle émane souvent de réalisateurs qui on vécu en cités, qui en connaissent la réalité, qui s’attachent à participer à la construction d’une identité pour ceux qui habitent ces cités, mais qui aux yeux des «normaux» peut apparaître comme encore plus stigmatisante. On peut citer les filmes de Kechiche L’esquive, Doillon Petits Frères, Kassovitz La Haine, mais nous retiendrons ici Ma 6-T va Crack-er de Jean-François Richet.

Etude d’un cas : Ma 6-T va Crack-er, ou comment un film sert et dessert l’identité des jeunes Ma 6-T va Crack-er est le 2e film réalisé par Jean-François Richet déjà auteur de Etat des lieux, très familier des cités des banlieues parisiennes puisqu’il a grandi à Meaux. Lorsqu’il sort le film fait l’effet d’un véritable coup de poing en 1997. Le film est très brut et produit des images plus réelles et privilégie un aspect documentaire, caméra au poing à des plans esthétiques. Au-delà du tournage, le réalisateur met en scène uniquement des personnes issues du milieu qu’il décrit sans comédiens de formations. Dans l’effet qu’il produit, «Ma 6-T va Crack-er» est équivoque. D’une part, celui-ci s’attache à décrire la vie de la cité telle qu’elle est pour ses jeunes. Le film suit particulièrement deux petits groupes de deux générations différentes : l’un au chômage, l’autre scolarisé indiscipliné et qui s’apprête à rejoindre le premier. Richet s’efforce de représenter l’ennui et l’errance dans la cité, la journée comme la nuit, ce quotidien où l’on tourne en rond constitué de non évènements où les jeunes ne savent pas quoi faire, entre drogues et discussions entre potes. Celui-ci s’attache aussi à représenter les altercations avec la police, jeu du chat et de la souris où les rôles s’échangent constamment mais aussi les rivalités ultra-violentes entre cités. En ce sens, Richet décrit la réalité de la vie dans les cités, un constat que les jeunes partagent et qui retranscrit leur quotidien, leur amertume, leur espoir, etc. participant ainsi à l’édifice «identité» des jeunes. En même temps, le film présente des scènes de violences inouïes, parfois incompréhensibles, parfois primales. Les scènes de règlement de compte entre bandes rivales filmées dans un style qui rappelle celui des westerns, les incendies de voitures

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jusqu’à l’émeute finale constituent une représentation de la violence effroyable. Or, si celle-ci est évidemment mise en scène de manière spectaculaire pour l’exagérer, elle apparaît également comme un élément de représentation qui ramène plutôt du stigmate. Dans son film, la représentation que donne Richet est donc plein d’ambivalences : en même temps qu’elle s’attache à dépeindre un portrait pour les jeunes de cité, elle le noircit pour les profanes et rajoute ainsi sa pierre à l’édifice du stigmate. La représentation filmique, dans le cas de «Ma 6-T va Cracker» participe donc, de la même manière que d’autres éléments culturels de la représentation des banlieues, comme le rap, au mécanisme complexe de l’identité sociale.

Une identité personnelle « Malakoffienne » Une identité plus subjective Suite à la définition du stigmate des «jeunes de cités», qui est sensiblement le même quelle que soit le quartier étudié, il convient maintenant de se pencher sur comment définir ces jeunes habitants de Malakoff? Existe-t-il une catégorie «Jeunes de Malakoff»? Si oui comment la définir? Comment l’expliquer? Tout l’enjeu de définir cette catégorie s’est pour moi cristallisé autour de plusieurs difficultés : discuter de l’identité des jeunes s’est révélé plus compliqué que prévu, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il n’était pas simple de discuter de leur identité avec les jeunes eux-mêmes étant donné qu’il n’était pas simple de discuter tout court avec les jeunes (nécessité de passer par un circuit pour mettre en place une confiance et une reconnaissance). D’autre part, même en échangeant avec les acteurs, la question de «l’identité des jeunes de Malakoff» restait un point sensible : Chacun modère sa parole et évite de s’exposer pour bien faire attention à ne pas rajouter sa pierre à l’édifice du stigmate : Vous me parlez de «les jeunes de Malakoff», ben moi j’ai envie de vous poser la question : Quels jeunes? Il y a pas UN jeune de cité! Il y a DES jeunes de cité! Avec une grande diversité en termes de jeunes habitants d’une cité... Cdt de police Marc

Revel

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Une exploration des différentes identités pour les jeunes de Malakoff

On en vient à se demander finalement s’il existe vraiment un dénominateur commun aux jeunes de Malakoff, si on peut vraiment définir une identité ou si comme dans le cas des «jeunes de cités», catégoriser c’est rentrer dans des clichés, stigmatiser et ignorer les spécificités de chacun.

Vers une tentative de définition de l’identité et de déconstruction du stigmate Au cours de l’expérience du mémoire à Malakoff, j’ai eu à cœur de rechercher cette identité que ce soit en questionnant à chaque fois les différents acteurs sur l’identité ou bien en l’observant. Il en ressort finalement, au premier abord, de graves constats sur ce qui contribue à édifier l’identité des jeunes dans les paroles des acteurs : Dans un contexte de chômage permanent vécu par les enfants dans leurs familles, ceux-ci se déconnectent du système scolaire et se désintéressent de l’enseignement dispensé, notamment au collège. Aux yeux du Proviseur, les jeunes sont surtout des enfants en perte de repère qui entretiennent toujours un rapport difficile à l’enseignement avec des problèmes de discipline, d’absentéisme puisque l’école ne leur semble d’aucune utilité. Ils sont tellement en manque de repères... tellement en manque de repères que... Ils savent pas toujours à quoi ça sert l’école.

M. Alémany Lors du déplacement du collège dans le quartier voisin du Pré Gauchet, l’équipe de M. Alémany a remanié le modèle d’enseignement pour l’adapter aux jeunes collégiens mais celui-ci reconnaît que certains problèmes subsistent : les parents étant souvent issus d’une génération ayant suivi des études mais qui finalement se retrouvent au chômage, ceux-ci ont arrêté de croire au système éducatif et par là même ne voient plus l’intérêt d’obliger les enfants à aller à l’école. Et évidemment, quand le premier cadre c’est l’école -ben évidemment c’est un cadre, il faut arriver à 8h et repartir à midi avec ses affaire- pourquoi il viendrait ici à 8h si les parents se lèvent pas parce qu’ils ont pas de boulot. Si ils se lèvent pas, pourquoi le gamin il se lèverait? M. Alémany

Selon d’autres acteurs, le chômage est aussi la raison pour laquelle, en première lecture, les jeunes se tournent vers la

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consommation et le trafic de produits illicites. Si j’avais 20 ans et que j’habitais à Malakoff, que je me retrouve au chômage et que j’ai aucune perspective, c’est vrai qu’on peut être amenés à... On comprend mieux certains agissements sans pour autant les cautionner. Cdt Marc Revel Si on prend tout ce qui est comportement de deal, de consommations de produits illicites etc. Ben on n’a pas un regard moral ou je sais pas comment dire sur les pratiques, par contre, on le sait, on leur dit. Y. Leberre, éducatrice J’en ai quand même pffff ouais, une bonne dizaine, ça fait des années voilà, qu’ils dealent, qui font rien, qui travaillent pas, qui voient pas leur... voilà, autre chose dans leur avenir que ça, quoi.

Salvador, animateur M. Revel invoque aussi comme raison aux comportements de délinquance acquisitive la surexposition aux produits de consommation. Je suis toujours assez impressionné lorsqu’on va faire une perquisition dans un appartement où, de façon artificielle, vous avez sur une population assez jeune, un apport massif d’argent - Le mec, il est dans le bizness, il deale bien, l’argent rentre - c’est de voir à quel point l’argent va être investi dans des conneries. Cette population, c’est un constat que je fais, est super sensible à la publicité, à cette débauche de consommation mercantile.

Cdt Marc Revel Les comportements de violence contre les personnes extérieures comme la police, de rivalités avec les autres cités Nantaises apparaissent aussi, au premier abord, comme des pratiques assimilées aux jeunes hommes du quartier. Maintenant, au niveau de l’identité, il y en a qui défendent l’identité au niveau «ouais c’est nous les meilleurs, c’est nous les plus violents, c’est nous les...». Ca, ça se passe. C’est un truc, vraiment, de préados. Salvador, animateur Vous habitez un quartier et puis tout d’un coup, vous voyez qu’il y a des policiers, vous vous dites «c’est pas bien, ils sont là pour faire chier le monde.» Ben donc c’est drôle de leur jeter des cailloux, c’est aussi tout un phénomène d’image. Cdt Marc

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Une exploration des différentes identités pour les jeunes de Malakoff

On a donc une première définition de l’identité qui rappelle celle du stigmate : violence revendiquée, échec scolaire, désarroi face au chômage, trafics, rivalité entre cités, délinquance, etc. Toutefois, ces éléments restent insuffisants pour définir quoique ce soit et ce serait dangereusement catégoriser que de définir les jeunes habitants de Malakoff par ces attributs. Quand la marge devient la norme D’une part, ceux-ci ne concernent en général qu’une marge de la population étudiée : M. Alémany reconnaît que seule une partie des élèves sont en échec scolaire et la scolarité ne se fait plus depuis le changement de collège dans un environnement de violence. Même constat pour M. Revel et Salvador qui constatent effectivement que le deal et la violence ne concernent qu’»une bonne dizaine d’individus» aux dires de Salvador, «une trentaine» d’après M. Revel. La diversité des situations de chaque jeune ne permet pas d’identifier les spécificités de l’objet de recherche. D’autre part, la notion d’âge est elle aussi complètement absente : de quelle jeunesse s’agit-il quand on évoque les trafiquants de drogue? De quelle jeunesse parle-t-on lorsqu’on parle de ces jeunes. Il est évident qu’un jeune peut rester trafiquant jusqu’à ses 30 ans autant qu’il peut exercer cette activité de manière plus temporaire. Pour chaque cas, l’objet apparaît alors comme un passage, temporaire, non imposé, non identifié temporellement. Les contours de la définition manquent de clarté. Difficile donc de définir convenablement les jeunes de Malakoff quand on ne peut leur mettre un âge. Finalement, on ne parvient pas à définir clairement une entité «Jeunes de Malakoff» sur ces seuls critères, ceux-ci ne font qu’alimenter le stigmate ou rendre compte de phénomènes marginaux et ne constituent pas une réalité partagée par tous. Une identité plutôt construite sur l’attachement au quartier À l’inverse, ce qui fait la construction d’une identité «Jeunes de Malakoff» est plus intimement lié au territoire. L’attachement au quartier apparaît effectivement une composante majeure dans la définition de ces jeunes. Alors que quartier et jeunes habitants sont manifestement liés par le stigmate dont ils sont affligés : aux yeux du reste de la ville, on a souvent ten-

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Être jeune et vivre à Malakoff

dance à assimiler les problèmes inhérents au quartier aux jeunes qui l’habitent (l’importance médiatique apportée aux faits de violence des jeunes dans ce quartier est d’ailleurs édifiante). Toutefois, plutôt que de chercher à se défaire de ce stigmate et de se détacher du quartier, les jeunes revendiquent de manière prononcée leur affection pour le quartier. De part ce lien, l’identité des jeunes est intimement liée à celle de leur territoire : Malakoff. C’est assez intéressant de voir au niveau de Malakoff, parce qu’on a une identité qui est très marquée sur le quartier et il y a une forme d’attachement [...] à Malakoff. Il y a une forme d’identité qui est plus marquée. Ca peut s’expliquer par l’enclavement, réel ou vécu par la population, mais c’est... Quand on aborde le quartier, on peut pas gommer ce côté-là. Cdt Marc Revel

Grandir dans un quartier d’habitat populaire est particulier, plus spécifiquement à Malakoff, qui était jusqu’à il y a peu, un quartier très fermé spatialement et à l’écart de la ville. Dès lors, les jeunes sont incité à peu sortir du quartier et à y passer l’essentiel de leur temps. En outre, l’inadéquation entre les tailles et dispositions des logements et les familles qui les habitent en font des espaces peu adaptés à l’épanouissement des enfants qui prennent très tôt l’habitude de passer un maximum de temps en dehors plutôt qu’à l’intérieur de l’appartement. Les jeunes utilisent ainsi beaucoup les lieux et espaces publics qui leur sont proposés : école, collège, espace public du quartier, centre commercial, espace jeunes, et centre-ville de Nantes occasionnellement. De fait, ceux-ci passent donc la majeure partie de leur temps au sein du quartier, pendant une période qui va jusqu’à la fin du collège, événement qui les oblige bien souvent à changer d’école pour des établissements scolaires dispersés dans l’agglomération. C’est aussi durant toute cette période qu’ils se font leurs amis avec qui ils partageront leur jeunesse jusqu’au collège, eux aussi issus du quartier pour la plupart et fréquentant les mêmes lieux. Parce que le collège, c’est toute la cité. Toute la cité va dans le même collège. Donc ils connaissent les mêmes gens, à part là, il y a 30 ou 40 jeunes d’autre part. Tandis que après, dès qu’ils quittent le collège, ils vont autre part. Autre part que Malakoff. Ils connaissent d’autres gens, d’autres jeunes, même des cités, d’autres jeunes pas de cités. Et c’est là que il se noue un truc. Ils se voient à l’extérieur et ils voient autre chose que les mêmes têtes depuis tout le temps. Salvador, animateur

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Une exploration des différentes identités pour les jeunes de Malakoff

Comment se manifeste cet attachement ? Comment peut-on l’expliquer ? Ce sont les questions que je me suis ensuite posé. Concrètement, quand on regarde un peu le quartier et ses jeunes, on s’aperçoit rapidement à quel point les gens aiment et s’approprient Malakoff, que ce soit par les tags et les graffitis qu’on peut voir dans le quartier ou en parlant avec les gens (acteurs comme jeunes). « Malak’ » ou les enjeux de la toponymie Il est intéressant de regarder par l’étude des noms de lieux comment les jeunes s’approprient et sont ‘attachent à leur quartier. Alors qu’àA l’heure du Grand Projet de Ville, les institutions tendent à donner de nouveaux noms à ces territoires : Malakoff – Pré Gauchet, Euronantes, Gare Sud. Cependant, les acteurs, les jeunes et les habitants ont gardé l’ancien nom pour le nommer : Malakoff. À ce sujet, on remarque, lors des discussions avec les jeunes, que ceux-ci l’appellent très souvent par le diminutif «Malak’», sorte d’abréviation plus affectueuse donnée au quartier. À l’intérieur même du quartier, on remarque en outre que les jeunes ont renommé certaines entités : Ainsi la partie aval du quartier (Sud-Ouest) est appelée «le Village», la partie amont (Nord-Est) est appelée «Miami» et la partie du milieu est appelée «la Frontière». La distinction «Village»/»Miami» s’explique par le fait que la partie Nord-Est est déjà été rénovée et soit donc plus prestigieuse d’où son appellation «Miami» tandis que la partie Sud-Ouest est à l’heure actuelle encore en chantier et hérite donc du surnom moins prestigieux du «Village». À ce propos, Y. Leberre, éducatrice y voit aussi un signe de distinction sociale et ethnique : Cette partie rénové [montrant du bras la partie Nord-Est], ce sont les gens euh ‘fin qui seraient plus riches, on va dire, pour faire rapide. Ca c’est pas moi qui le dis, c’est les habitants. Et puis après, il y a la partie aval, donc toute cette partie-là [montrant du bras la partie Sud-Ouest]. La partie aval est beaucoup occupée par des primo-arrivants. Les primo-arrivants, ce sont essentiellement d’Afrique Noire. Parce que les Magrébins, ou d’origine Magrébine, sont des gens qui sont déjà installés, hein. On en est à la 4e ou 5e génération d’arrivants. Alors que d’Afrique Noire, il y a encore des gens qui arrivent du pays ici. Ils sont plutôt sur la

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Être jeune et vivre à Malakoff

partie aval. Ils sont plus pauvres. Y. Leberre, éducatrice

23 Catherine de Grissac, film documentaire «Territoires

24 Thierry Bulot, Norme(s) et identité(s) en rupture - Migrance, plurilinguisme et ségrégation dans l’espace urbain

On dénombre en outre d’autres appellations de lieux ou d’entités du quartier montrant bien comment les jeunes s’approprient leur quartier : le centre commercial est ainsi appelé plus fréquemment par le diminutif «Centre Co» tandis que les jeunes filles parlent du parc où elles passent du temps comme «le Bassin», sans doute parce que la déclivité qui l’entoure le fait ressembler à un bassin. Aussi, les noms des bâtiments sont identifiés par leur forme (tour ou banane) et leur rue d’appartenance, bien qu’auparavant celles-ci fussent plutôt différenciées par les jeunes selon leur couleur23, par exemple la banane Angleterre désigne l’immeuble qui borde la rue d’Angleterre. On citera aussi de manière plus anecdotique le nom de B-LA employé par certains jeunes du quartier il y a quelques années pour désigner Malakoff. Le surnom aurait été utilisé à l’époque pour éviter de parler de Malakoff dans le cadre de trafic de drogue24. L’existence de tous ces noms dérivés dénote bien le fait que les jeunes sont attachés à leur quartier et se l’approprient en donnant d’autres noms aux différentes entités qui le composent. Que ce soit des lieux qu’ils affectionnent ou pas, les jeunes utilisent des noms de leur cru pour parler de leur quartier. Et malgré le changement de visage du quartier (réfections, destructions, etc.), il est intéressant de voir comment par le biais de la toponymie, les jeunes ont usé des appellations (parfois de références américaines dans le cas de «Miami») pour conserver l’identité qu’ils donnent à leur quartier. À ce sujet, il est intéressant de remarquer que le Centre Socio-Culturel, récemment livré et déjà très apprécié des jeunes n’a pas encore été surnommé... Amour, jalousie, séparation L’attachement des jeunes à « Malak’ » se manifeste aussi lorsqu’on aborde le sujet avec eux. Lorsque je leur demande quelle note ils mettraient à leur quartier, la réponse est sans appel : Moi j’aime bien être là [ndlr : à Malakoff] parce que tu parles avec tout le monde.» Jeune intervenante, débat Tissé-Mé-

tisse L’attachement pour ce quartier où ils passent leur enfance et leur adolescence est manifeste. Pour beaucoup, c’est

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Une exploration des différentes identités pour les jeunes de Malakoff

l’endroit où on passe beaucoup de temps, dehors ou dans les lieux publics, avec ses amis. Mais ce qui frappe aussi, c’est aussi l’attachement qu’ils éprouvent même lorsqu’ils s’en séparent : On a un jeune qui a déménagé maintenant dans un pavillon, près du pont de Cheviré, dans une petite rue, j’sais plus laquelle, bref, il fait : «J’suis bien chez moi, parce que maintenant j’ai un pavillon et tout, c’est grand, j’fais des barbecs, mais j’ai pas mes potes...» Et alors il vient souvent ici et des fois ses potes viennent le samedi, le dimanche quand il fait beau faire des barbecs chez lui. Avant, il traînait tout le temps, voilà, il les voit moins, mais c’est euh... il veut rester euh... ce lien-là ! Parce que ça fait village. Salvador

La plupart du temps, les jeunes qui quittent le collège pour d’autres établissements scolaires plus éloignés se voient contraints de passer moins de temps dans leur quartier. Même si pour eux, c’est aussi vécu comme une ouverture vers les autres jeunes de la ville qu’ils peuvent rencontrer, beaucoup regrettent la période passée à Malakoff et repassent souvent dans les endroits du quartier où ils sont attachés. Enfin, les travaux d’ouverture du quartier sont vécus de manière ambigüe. Même s’ils reconnaissent un intérêt pour le pont, ils regrettent le fait que maintenant tout le monde puisse accéder à leur quartier. Je préférais avant, c’était moins ouvert! Maintenant c’est ouvert de partout, c’est plus comme avant. C’était mieux quand c’était fermé. Là, ils essaient de nous séparer. S, 16 ans Maintenant, avec l’ouverture du pont, les allées-venues d’autres personnes, voilà ça me rassure pas. Surtout avec les détraqués qu’il y a, là dehors... On sait pas sur qui on va tomber. On peut tomber sur n’importe qui. Jeune intervenante, débat Tissé-

Métisse Finalement, ce qui définit plus les jeunes de Malakoff, ce qui est le plus partagé par tous, c’est le rapport au quartier. Ceux-ci le connaissent sur le bout des doigts et se sont approprié les entités qui le composent. On voit aussi que les jeunes entretiennent un rapport au quartier très prononcé, presqu’une relation affective : le sujet revient dans chaque discussion, ils éprouvent souvent du mal à s’en séparer quand ils le quittent et l’ouverture du quartier est vécue chez eux de manière ambigüe,

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presque jalouse. Effectivement, malgré le stigmate qu’il porte, le quartier est devenu la fierté des jeunes et tous se reconnaissent le lien très fort qu’ils entretiennent avec lui. Comment expliquer le fait qu’un quartier, très durement attaqué par les personnes qui lui sont extérieures soit à ce point encensé par ses jeunes habitants ? L’esprit de village comme générateur de lien social fort

25 Le terme n’est pas ici à considérer comme péjoratif mais plus comme un moyen de catégoriser le fonctionnement des relations garçons-filles à Malakoff et reprend le terme de «village» largement utilisé par les habitants de Malakoff pour parler de leur quartier et qui revient souvent dans les entretiens. 26 E. Durkheim, Communauté et société selon Tönnies, 1889 in H. Kebabza & D. Welzer-Lang Jeunes filles et garçons des quartiers : Une approche des injonctions de genre

À Malakoff, la mise à distance sociale que la ville et la société ont opéré à l’encontre du quartier et de ses jeunes (image constamment dégradée, phénomène d’exclusion, etc. ) ajoutée à l’enclavement géographique (réel ou vécu par les habitants) du quartier et à la grande proximité spatiale des gens ont contribué à fabriquer un esprit de village25 , forme de lien social née du rapprochement spatial des habitants26 : La Gemeinschaft, c’est la communauté […] Si la famille est la forme la plus parfaite de la Gemeinschaft, ce n’en est pas la seule […] c’est le fait de vivre ensemble, les uns près des autres, sur un même espace ; c’est aussi la communauté des souvenirs, suite nécessaire d’une existence commune. Ces deux liens sociaux peuvent se développer alors que le premier s’est affaibli et se substituer à lui. Dans ce cas, chacun d’eux donne naissance à une espèce particulière de Gemeinschaft. Il arrive par exemple que, par le seul fait du voisinage et des relations qui en dérivent, des familles jusque-là indépendantes s’agrègent fortement ensemble : alors on voit se produire ce que Sumner Maine a appelé la communauté de village. Quoique cette sorte de communauté soit plus pleinement réalisée dans le village qu’ailleurs, c’est encore elle qu’on retrouve dans la cité ; mais à condition que la cité ne dépasse pas certaines dimensions et ne devienne pas la grande ville de nos jours. À Malakoff, les jeunes grandissent souvent dans le quartier et côtoient les mêmes têtes pendant longtemps. L’absence de brassage, notamment à l’école, les a conduits à tous se connaître plus ou moins bien mais toujours plus que dans d’autres parties de la ville. Dans mon quartier [Malakoff], tout le monde se connaît, tout le monde sait qui tu es, c’est comme un petit village, tout le monde

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Une exploration des différentes identités pour les jeunes de Malakoff

se connait, tout le monde sait ce que tu fais. Jeune interve-

nante débat T-M Ce phénomène où les jeunes se connaissent, et partagent énormément de souvenirs est alors vécu comme un gage de sécurité. C’est comme un village ici, ils se sentent en sécurité Salvador

Il montre comme une connexion plus forte entre les jeunes, qui prennent le temps à chaque fois, de tous se saluer et montrent une solidarité plus développée. Une chose qui me frappe alors que je discute avec Salvador sur le parvis de la Maison des Haubans, c’est que lorsqu’un ou plusieurs jeunes arrivent, ceux-ci prennent le temps de saluer tout le monde présent à ce moment-là, moi y compris : «Salut! Ca va?», serrage de mains. On est bien loin des incivilités que rapportent d’autres observateurs du quartier. Observations

En outre le fait que tout ceci se déroule sur un territoire donné bien défini a permis d’associer le quartier comme entité spatiale aux phénomènes sociaux dont il est le sujet. Expérience partagée et proximité sociale à Malakoff ont contribués à associer, chez les jeunes, attachement au groupe de pairs et attachement au territoire. Pour les jeunes de « Malak’ », le territoire est donc aussi important que les jeunes qui le composent.

La difficulté d’appréhender l’identité des jeunes de Malakoff Nous avons vu combien la définition du sujet d’étude dans notre cas se révélait difficile. L’abondance de la représentation sur les jeunes de quartiers d’habitat populaire a contribué a développé des mécanismes identitaires qui nécessitent le recours au champ de la psychosociologie pour être compris. L’étude de Stigmate d’Erving Goffman constitue dans ce domaine une source d’information importante pour qui souhaite s’attacher à étudier une population telle que celle des jeunes de Malakoff. Les précédentes décennies ont en effet vu se développer un mécanisme de stigmate à l’encontre des jeunes de cité. La construction de leur identité sociale résulte à la fois d’une affirmation

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Être jeune et vivre à Malakoff

d’une identité affirmée par les jeunes eux-mêmes reposant aujourd’hui plus sur une culture issue du mouvement hip-hop américain avec la prolifération des représentations culturelles telles que le graffiti, le rap et le cinéma. Toutefois, cette identité sociale est aussi le fait d’extérieurs : journalistes, scientifiques. Le processus de stigmatisation qui s’est opéré a achevé de faire aujourd’hui de cette population ce qu’elle est devenue dans l’imaginaire collectif. Afin de mieux appréhender les jeunes de Malakoff, il a donc fallu faire abstraction du stigmate qui les affligeait et tenter de dessiner les contours d’une identité plus personnelle. L’enquête produite alors sur le terrain de Malakoff a été pour moi l’occasion de m’entretenir avec eux ou avec ceux qui les connaissaient les mieux, les acteurs du quartier. En extrayant ce qui paraissait le plus pertinent, j’ai ensuite essayé de définir plus spécifiquement ce qui définissait les jeunes de Malakoff, par rapport aux autres jeunes, par rapport aux autres habitants du quartier. Il en résulte un élément de définition relativement important fondé sur l’attachement au quartier. En effet, que ce soit par la toponymie du quartier dans la parole des jeunes ou les écrits présents sur le quartier (graffitis par exemple) ou par le récit de souvenirs, ceux-ci montrent un sentiment d’appartenance au quartier très fort. Ce sentiment très fort s’explique en partie par l’esprit de village qui règne sur le territoire de Malakoff. Les frontières très marquées du quartier et situation sociale ont en effet contribué à le mettre à distance de la ville, agissant comme une distance géographique. Paradoxalement, cet éloignement géographique a contribué à rapprocher ses habitants, y compris ses plus jeunes, dont les souvenirs sont sans détour liés au territoire lui-même.

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Une exploration des diffĂŠrentes identitĂŠs pour les jeunes de Malakoff

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partie 3 : vers une sexuation des pratiques urbaines

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Vers une sexuation des pratiques urbaines

Logements étriqués, besoin de se distancier de la cellule familiale, sont autant de raisons invoquées qui poussent toujours les jeunes à préférer leur espace public. À Malakoff, comme dans beaucoup de quartiers d’habitat social, celui-ci est énormément fréquenté par les jeunes habitants et a donné lieu à des pratiques urbaines qui leur sont très spécifiques. Ceux-ci ont fait de cet espace de proximité leur terrain de sport, leur salon de discussion, leur salle de jeux, etc. Il en va de même pour les lieux publics présents à Malakoff, la Maison des Haubans, le collège, le centre commercial, les squares. Tous ces endroits et ces pratiques font partie de la vie de ces jeunes souvent pendant très longtemps et la représentation qu’on peut en avoir est souvent négative, synonyme de lieux de violence, glauques et mal famés avec en point d’orgue le hall d’immeuble, lieu de galère quotidien des jeunes, arrière-boutique du trafic de drogue, et péage du harcèlement sexuel. Dans ce contexte très stéréotypé des pratiques urbaines, il m’est apparu nécessaire de porter le regard sur les espaces extérieurs et leurs jeunes usagers. Quelles pratiques? Quelle mixité entre les jeunes? Quels rapports? Ce sont autant de questions qui me sont apparues intéressantes à soulever au fur et à mesure de l’étude, notamment aux vues de l’importance accordée par les différents acteurs au sujet de la mixité garçons/filles dans l’espace public du quartier. Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux pratiques en ellesmêmes avant de questionner les rapports garçons-filles, explicatrices en partie de telles pratiques.

Garçons et filles à l’épreuve de leur territoire : coexistence ou séparation?

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Dans un premier temps, nous analyserons les espaces prati-

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Être jeune et vivre à Malakoff

qués distinctement, soient par les filles, soient par les garçons. Ces espaces ne sont pas, à proprement parler, réservés au genre masculin ou au genre féminin, mais ont tendance à être plus ou moins préférés par l’un ou par l’autre. Il en résulte une utilisation séparée de l’espace public, différente selon qu’on est du sexe masculin ou féminin. Il est important de noter que cette ségrégation peut être à la fois spatiale et/ou temporelle. Dans un second temps, nous étudierons les pratiques mixtes, imposées ou non, qui se développent de plus en plus sur le quartier et comment la coexistence amène à un adoucissement des relations entre garçons et filles.

Les gars-statiques... Une distinction importante entre garçons et filles concerne tout d’abord la façon dont chacun appréhende son espace de proximité. Les garçons sont en règle générale beaucoup plus statiques dans l’espace public que les filles. Jusqu’à la fin du collège, leur «territoire de la vie quotidienne» reste en règle générale exclusivement le quartier de Malakoff. Alors les garçons plus stationnaires, c’est parce que... C’est comme un village ici, ils se sentent en sécurité. Ils se sentent en sécurité ici parce qu’après il y a les histoires de rivalités ici, entre quartiers, les petites histoires qui perdurent depuis des années.

Salvador Même si je n’ai pas réussi à obtenir d’entretien avec de jeunes hommes, j’ai pu identifier leurs lieux et pratiques usuelles grâces à mes observations et aux entretiens avec les acteurs. On peut alors effectuer un classement des pratiques principales et des lieux les plus utilisés où la présence masculine est la plus forte selon leur utilisation. Les «postes frontières» Lors d’observation in situ, j’ai pu constater que les jeunes hommes avaient tendance à se regrouper ou du moins stationner dans des endroits-clés du quartier afin de pouvoir observer au mieux les allées et venues à Malakoff. Même si je n’ai pu déterminer s’il s’agissait d’un choix réfléchi (pour être à même d’identifier les nouvelles arrivées) ou s’ils se posaient là inconsciemment à leur guise, le résultat est le même : lorsqu’on déambule dans les deux principaux accès à la partie amont du

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Vers une sexuation des pratiques urbaines

quartier, rue d’Angleterre ou au centre commercial, on est discrètement observé. Cette surveillance masquée des jeunes hommes n’est toutefois pas agressive et tant qu’on n’a pas de comportement offensant, celle-ci n’interfère pas à la libre circulation dans le quartier. Le 5 juillet, nous effectuons avec Pauline un relevé photo du quartier. Lorsque nous empruntons la rue d’Angleterre, je nous sens surveillés et rapidement identifiés comme extérieurs au quartier. Au fur et à mesure que nous passons près d’un groupe de jeunes, les regards nous fixent et les conversations s’interrompent. «Vous faites quoi là?» nous adresse l’un d’eux, de loin. Le ton monte malgré nos explications hésitantes et lorsqu’ils commencent à se diriger vers nous, nous abdiquons et rangeons illico les appareils. La conversation s’interrompt alors et chacun reprend ses occupations. Observations sur le terrain, 05/12

Cette expérience a confirmé mon constat : Dès notre entrée dans la rue d’Angleterre, nous étions observés, toutefois seule notre intrusion (les appareils photos) a dérangé car nous avons pu reprendre librement notre circulation. Cette surveillance est le résultat du sentiment d’appropriation du quartier et par la même de la méfiance de ce qui en est extérieur. Quelqu’un qui arrive comme ça sur le quartier, qu’ils ne connaissent pas, c’est vrai que c’est toujours un peu... C’est une intrusion. C’est comme si on arrivait dans ton jardin et puis qu’on s’amuse à faire des photos. Y. Leberre, éducatrice Les jeunes ici sur le quartier Malakoff sont assez méfiants et assez... des comportements un peu paranoïaques. Enfin, tu vois, ils ont toujours l’impression qu’on les regarde par le menu, qu’on est en train de dénoncer, qu’on est en train de prendre des notes, enfin bon etc., ce qui n’est pas le cas. Y. Leberre, éducatrice

Toutefois la surveillance n’a pas non plus pour seule finalité l’identification des individus qui parcourent le quartier. Yasmine Leberre, éducatrice dans le quartier et de fait, elle aussi observatrice des pratiques urbaines, y voit aussi une forme de protection des habitants du quartier, en veillant sur les habitants de tout âge. Il y a ce phénomène de guetteurs, pas forcément pour des comportements illicites, hein. Mais parce qu’ils ont rien à faire, ‘fin ils ont rien à faire... Parce que il y a une certaine vacuité de com-

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Être jeune et vivre à Malakoff

portement et bon ben ils regardent. Ils regardent, ils regardent et bon ben ils savent. Et moi je trouve qu’ils ont une observation fine. Ca veut dire qu’ils peuvent voir aussi ce qui se passe et ils le commentent entre eux. Moi j’ai toujours été surprise, on dit souvent «les jeunes ils s’occupent pas des vieux». C’est pas vrai, ils regardent tout le monde. Petits, grands, etc. Y. Leberre,

éducatrice Les jeunes hommes utilisent donc énormément ces «postes frontières». En restant campés à plusieurs pendant de longues heures, ceux-ci endossent dans ces lieux le rôle de surveillant. Cette pratique a plusieurs fonctions. La fonction première est de contrôler les venues d’individus extérieurs. Chez les jeunes hommes l’appropriation du quartier est si prononcée qu’elle a abouti à un repli protectionniste sur l’intérieur de la cité. Si la libre-circulation des entrants est tolérée, les jeunes adoptent un comportement méfiant visant surtout à se protéger des intrusions. Toutefois, cette protection ne s’applique pas uniquement à eux-mêmes. Implicitement, ceux-ci participent aussi d’une surveillance des agissements des habitants du quartier. Distraitement surveiller les plus petits qui jouent (très nombreux dans la rue d’Angleterre), jeter un œil sur telle personne âgée qui passe ou intervenir dans les altercations entre jeunes montrent que ceux qui restent stationner au même endroit, forme de galère, ont aussi une utilité sociale. Enfin, même si je n’ai pu l’observer, les «postes frontières» ont aussi une utilité dans les histoires de deal puisque ceux-ci servent pour rabattre les potentiels clients et prévenir de l’arrivée des forces de l’ordre. Cela m’a semblé toutefois plus anecdotique, les comportements de trafic ayant diminué depuis plusieurs années. Les lieux d’échanges/rencontre

27 Il a été détruit lors de l’incendie du centre commercial en 2011

D’autres espaces sont eux aussi très pratiqués par les jeunes hommes. Les cafés sont eux aussi des endroits préférés par les hommes. L’ancien café du centre commercial27 avait alors cet usage social : point de rencontre et lieu de socialisation intergénérationnel. L’endroit était très fréquenté par les hommes jeunes et moins jeunes du quartier. Toutefois, là plus qu’ailleurs, les filles sont mal vues dans ce genre d’endroits. La clientèle est généralement essentiellement masculine.

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Vers une sexuation des pratiques urbaines

J’étais souvent au café, pareil, mais je restais pas des heures. Il fallait que je voie du monde et c’était l’endroit de rencontre. J’voyais les gens que je voulais voir et puis euh voilà c’est comme ça que j’ai connu tous les jeunes. Tous les grands. Ils s’asseyaient à ma table et puis on discutait. C’est comme ça que tu côtoies les lieux publics où ils trainent voilà. Salvador, animateur

Après sa destruction, les jeunes en sont venus à chercher d’autres lieux où ils pouvaient simplement se rencontrer et discuter. Les jeunes ont alors remplacé cet endroit par d’autres : le CSC, comme nous le verrons un peu plus tard, le tabac du centre commercial qui a installé une petite terrasse, d’autres cafés et des kébabs, près de la gare ou dans le quartier de la Moutonnerie. Toutefois la dimension intergénérationnelle et cosmopolite a cessé puisque les jeunes se sont répartis dans ces différents endroits. Les endroits ont perdu un peu de leur dimension sociabilisante pour devenir plus des endroits où se retrouvent des groupes d’amis. Vers Dalby. La Moutonnerie, là ils se retrouvent tous les soirs, tous. Il y en a beaucoup qui se retrouvent au Fast, c’est un kébab, alors là tu risques de rencontrer des gens à chaque fois, voilà. Salvador, animateur

Cette pratique du café par les jeunes de Malakoff est issue des pratiques culturelles Nord-Africaines. Le café devient l’endroit où on passe de longues heures autour d’une boisson chaude à discuter, fumer, jouer aux cartes, etc. Dès lors sa vocation est plutôt sociabilisante, puisqu’elle permet de rencontrer des gens du quartier, amis ou non, dans un environnement à l’abri des regards de l’entourage, participant ainsi à libérer les jeunes de la pression sociale qu’ils peuvent avoir à l’intérieur de la cité. En outre, le café n’est pas un symptôme de la «galère» et sa situation en dehors de Malakoff n’engendre pas les mêmes mécanismes de stigmate que peut avoir le fait de traîner dans un hall d’immeuble. Il est aussi pour certains le moyen de trafiquer à l’abri des regards mais c’est plus pour son rôle social quotidien qu’il fait partie intégrante des pratiques urbaines des jeunes hommes. Même, j’aurais une fille, j’lui dis «Va pas là-bas!», sincèrement. J’lui aurais dit «Va pas là-bas! Pas dans ce café! Traîne dans tous les cafés que tu veux de la ville mais va pas dans ce café!». Et

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Être jeune et vivre à Malakoff

ça fume, ça deale. Non, c’est... Moi j’aurais dit non. Salvador,

animateur Les halls d’immeubles/la galère Enfin, une dernière pratique fréquente identifiée est l’utilisation des halls d’immeubles comme un espace public. Cependant, n’ayant pu accéder qu’une fois à l’intérieur d’un logement, mon expérience de ces endroits reste marginale et ne repose que sur des entretiens avec des acteurs. Un entretien avec un bailleur social m’aurait toutefois permis d’étudier mieux cet usage. Les halls d’immeubles sont les espaces qu’utilisent les jeunes surtout pour les activités illicites : consommation de produits, trafic, violences. Toutefois ces pratiques sont loin de concerner tous les jeunes. De telles pratiques concernent effectivement une faible proportion de la population étudiée, principalement les «galériens», ceux qui «tiennent les murs». Il s’agit ici de jeunes ayant décroché de l’école et ayant plus de difficultés que les autres à se réinsérer (pas de cadre de vie imposé par l’école, absence de formation, mise à la marge des autres jeunes) se tournent vers le trafic pour gagner leur vie. -Donc bientôt, à part ceux qui tiennent les murs depuis longtemps, sinon bientôt ils vont faire leur vie. -Tiennent les murs c’est quoi? -Bah j’en ai quand même pfff ouais, une bonne dizaine, ça fait des années voilà, qui dealent, qui font rien, qui travaillent pas, qui voient pas leur... voilà... autre chose dans leur avenir que ça, quoi.». Mais ça c’est partout pareil. Et jusqu’à ce qu’il y ait le déclic qu’ils veuillent s’en sortir déjà, après c’est du boulot. Parce qu’ils ont des problèmes de justice, des problèmes de tout. Voilà, ils traînent des casseroles énormes. Après, voilà, c’est un travail de longue haleine. Il y en a qui s’en sortent à 30, il y en a qui s’en sortent jamais. Salvador, animateur

Pratiquer les halls d’immeubles, c’est s’installer dans une entrée d’immeuble d’habitations et rester campé là pendant de très longues heures à se cantonner à fumer, boire, trafiquer, discuter parce qu’on est à l’abri des regards. Outre les problèmes d’addiction qu’elles peuvent amener, de telles pratiques se révèlent aussi aliénantes et participent à faire tomber les jeunes dans un cercle vicieux : tomber dans la galère, c’est s’éloigner de la

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société et rendre compliqué la réinsertion donc préférer tenir les murs. C’est pourquoi les travailleurs agents sociaux de Malakoff s’attachent autant à éradiquer et à prévenir ce phénomène chez les jeunes qui touchent aujourd’hui de moins en moins de jeunes hommes.

Des pratiques manifestes d’un repli protectionniste sur le groupe et son environnement Les jeunes hommes ont une pratique plus stationnaire de l’espace public. Les principales pratiques identifiées reflètent bien l’absence de mobilité : se poser au centre co’, rester au café, stationner dans un hall d’immeuble. Et même si la pratique sportive à l’extérieur ou les distractions qu’ils peuvent trouver peut occasionnellement avoir lieu en dehors de la cité, l’importance que le quartier revêt à leurs yeux prévaut. Ceux-ci ne s’aventurent d’eux-mêmes qu’aux abords de la cité, dans le cas des cafés et des kébabs et très ponctuellement dans un périmètre plus éloigné. On remarque aussi chez les jeunes hommes l’importance du groupe de pairs masculins qui pratiquent l’espace souvent en grands groupes d’une dizaine de garçons. La présence féminine n’est pas souhaitée dans le groupe, même si celle-ci est tolérée temporairement (comme nous allons le voir plus tard). Finalement, le phénomène observé reflète une sorte de repli protectionniste sur le quartier : nécessité de surveiller les allées et venues, méfiance de l’extérieur, etc. Le quartier et les potes sont pour les garçons d’une importance primordiale. Les usages identifiés montrent la volonté de protéger le quartier de l’extérieur, que ce soit des jeunes d’autres cités, de la police, ou de toute sorte d’intrusion et la détermination à se replier sur sa bande d’amis et son territoire : le café, le kébab et le hall d’immeuble. Mais en se tournant ainsi vers l’intérieur (le quartier et le groupe de pairs), ceux-ci se ferment aussi à l’extérieur et malgré le confort et la sécurité qu’ils peuvent trouver en restant au cœur de la cité, on comprend mieux que ces pratiques manifestes d’un «alignement sur le groupe»29 peuvent conduire les jeunes hommes à suivre une ligne plus militante, sur la défensive par rapport à la société. C’est ce qui explique par exemple pourquoi ceux-ci

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29 Goffman définit 2 mises en forme de la vie d’un stigmatisé et de son comportement par rapport à la société : l’alignement ‘sur’ et ‘hors’ du groupe. Quand le premier, plus sécessionniste, cherche à gommer le stigmate en l’affirmant et avoir une vie normale en pointant dans le discours des normaux tout ce qui fait que les stigmatisés ne sont pas considérés comme normaux, le second s’emploie à relativiser la condition de stigmatisé et à gommer la tension entre stigmatisés et normaux en mettant l’accent sur l’acceptation de la différence et le dialogue avec les normaux pour favoriser les contacts mixtes.


Être jeune et vivre à Malakoff

Les «Gars-statiques»

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Les Filles mobiles

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étaient gênés par le fait que l’on prenne des photos ou pourquoi. Prendre des photos, c’était pointer le doigt sur le stigmate. Toutefois, l’évolution du quartier et l’action des travailleurs sociaux tendent peu à peu à réduire ces phénomènes, en venant ouvrir le quartier d’une part et rendre le contrôle plus compliqué du fait que plus d’»intrus» sont amenés à pratiquer le quartier. D’autre part, les acteurs, en travaillant sur des activités extérieures et mixtes amènent aussi les garçons à découvrir l’altérité.

...Et les filles mobiles Les filles de Malakoff, à l’opposé, sont beaucoup plus mobiles et prennent beaucoup plus tôt que les garçons, l’habitude de se déplacer à l’intérieur du quartier et à l’extérieur. Celles-ci se dégagent rapidement du quartier, même si elles y sont très attachées, et deviennent autonomes beaucoup plus vite. Leur pratique du quartier se limite bien souvent à des passages «éclairs» et ne stationnent que pour des raisons d’»utilité sociale». Elles cherchent à se détacher du contrôle masculin exercé dans la cité et se glissent dans les espaces laissés vides par les hommes pour faire leur vie. Les filles, il y a très peu d’endroits où elles stationnent. Elles passent. Les garçons, ils s’arrêtent. Les filles, elles s’arrêtent pas. Y.

Leberre, éducatrice Les belles échappées Les filles, elles sont malignes, parce qu’elles sortent dans des endroits où euh voilà elles risquent pas de croiser une personne de la cité. Salvador, animateur

Les filles, durant leur jeunesse, se déplacent énormément. Contrairement aux garçons dont le territoire est plutôt réduit, les filles pratiquent énormément la ville et restent très peu dans le quartier. Elles se déplacent un peu partout dans la ville, avec leur mère ou juste entre copines, à 2 ou 3, quelquefois plus. Dans les endroits que j’ai pu identifiés lors d’entretiens, on retrouve les endroits pour faire du shopping : le centre-ville, le centre commercial Beaulieu, les endroits de distraction : la fête foraine, le centre-ville et les endroits de rencontre comme les autres cités : Bellevue, Clos-Toreau. Le centre-ville, qu’est-ce qu’on y fait? Ben, on y va là-bas entre

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copines. On fait les magasins, on y va pour dépenser de l’argent. Au kébab aussi ou à Cool Burger. Ou pour aller d’un quartier un autre, genre t’habites à Malakoff, tu veux aller à Bellevue, t’es obligé de passer par là. Et pour aller au marché aussi le samedi matin, à la petite Hollande. Qu’est-ce qu’on aime bien d’autre dans le centre-ville? La foire déjà, à côté du château. Quand elle est là, on y va. Ou aussi, t’sais, quand ils mettent la patinoire, on y va aussi. C’est plus pour s’amuser, s’éclater, sortir un peu. A., 14 ans et S., 16

ans Les filles utilisent donc la ville comme moyen de se détacher de la présence masculine trop forte sur le quartier. En pratiquant le centre-ville pour faire du shopping, les filles sont beaucoup plus libres d’exprimer leur féminité qu’au sein du quartier. Et la fête foraine ou la patinoire leur permettent aussi de pratiquer l’espace comme elles l’entendent sans avoir à subir le contrôle des garçons. À l’abri des regards et des réputations, celles-ci peuvent faire plus librement leur vie et faire des rencontres avec d’autres jeunes, notamment dans les autres cités, qui ne sont pas pratiquées par les garçons de Malakoff. La ville et les autres cités sont aussi les lieux qu’utilisent les jeunes filles pour leurs rencontres amoureuses, puisque les relations à l’intérieur du quartier restent jusqu’à la majorité très dangereuses pour celles-ci, puisque non tolérées. S’échapper donc du quartier, est pour les jeunes filles sources d’affranchissement du contrôle exercé par les jeunes hommes. En utilisant la ville pour se retrouver entre filles ou rencontrer des jeunes d’autres cités, celles-ci sont alors libres d’avoir la vie sociale qu’elles pourraient avoir en restant stationnées sur le quartier. Sortir du quartier est aussi une façon de se libérer de l’espace imposé par les garçons : En ville, celles-ci n’ont pas à déambuler en craignant et en évitant la présence masculine et peuvent se constituer elles-mêmes des espaces de distraction, d’échanges et de détente, chose qui leur seraient impossible dans le quartier étant donnée la mainmise des jeunes hommes sur le territoire de Malakoff. La présence sur le quartier s’en trouve alors plus réduite, et le stationnement à Malakoff d’autant plus. Ainsi, A., 14 ans reconnaît quelle ne stationne qu’à la Maison des Haubans ou au «Bassin», le square dans la partie

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amont le soir. Ce constat a même tendance à s’amplifier au fur et à mesure que les jeunes filles grandissent. La plupart disparaissent complètement de la cité à partir d’un certain âge, pour l’éviter autant que possible. On a une déperdition des filles, passé un certain âge, effectivement, les filles, on les voit plus. Elles sont sur l’extérieur. C’est souvent au moment où elles passent au lycée en fait. Quand elles commencent à aller au lycée, c’est 15-16 ans. On les voit plus sur le quartier, elles font leur vie ailleurs et bon, c’est peutêtre aussi bien pour elles. Y. Leberre, éducatrice

D’ailleurs Salvador reconnaît que même si elles sont nombreuses à venir au «Club Jeunes», la plupart des jeunes filles ne pratiquent pas du tout le quartier et passent au maximum leur temps en dehors. Les filles, il y en a beaucoup, elles s’arrêtent pas. Elles font leur vie, mais pas dans le quartier. Le soir, elles rentrent de l’école... à la maison et elles sortent euh, le week-end, mais elles sortent du quartier. Salvador, animateur

On retrouve aussi une pression familiale accrue chez les filles, contrairement aux jeunes garçons, qui doivent accompagner les mères lorsqu’il s’agit de faire les courses pour nourrir le foyer. C’est ce qui explique les déplacements au marché du centre-ville ou au centre commercial ou parfois le fait que celles-ci ne peuvent pas traîner dans le quartier le soir lorsqu’elles grandissent. Quand les filles se faufilent Au niveau du quartier, on retrouve ce phénomène d’évitement de la présence masculine. Ainsi, celles-ci, quand elles sont amenées à pratiquer des espaces comme la rue d’Angleterre ou le centre co’, ne peuvent y stationner et doivent subir la surveillance des garçons. Quand on va là-bas [ndlr : au centre commercial], on n’est pas vraiment cachées. Il y a toujours des gens qui nous regardent! Il y a toujours tous les gars qui sont là! S., 16 ans

En règle générale, cette surveillance n’est pas agressive et ces rencontres sont l’occasion d’échanger un court instant.

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Pour autant, les filles ne restent pas, pour deux raisons. D’une part, de manière naturelle, celles-ci refusent la surveillance des garçons lorsqu’elles se posent. C’est pour cette raison qu’elles préfèrent, quand elles veulent se poser, utiliser des lieux à l’abri du contrôle masculin, comme le «bassin», le square situé dans la partie amont du quartier ou dans leurs propres halls d’immeuble. Ceux-ci ne sont en effet pas pratiqués par les jeunes hommes et constituent donc l’espace «qu’on leur accorde». Ah oui mais il a toujours été accessible le centre co’, au temps où il y avait le café, des fois il y avait des filles qui s’arrêtaient dire bonjour, mais elles restent pas. Voilà. Elles ne restent pas. C’est comme dans les halls, elles s’arrêtent. Les filles que tu as vues [ndlr : au débat de Tissé-Métisse], elles s’arrêtent, elles disent bonjour mais elles restent pas. À part dehors quand il fait beau. Après, il reste, euh, si, il y en a des fois qui sont dans le hall mais que dans leur hall où c’est calme. Des fois, elles sont là, pour discuter, normal. Elles se posent. Où elles peuvent. Salvador,

animateur D’autre part, car leur stationnement n’est pas toléré dans les endroits habituels des garçons. Ces espaces ne sont pas considérés comme des terrains de mixité, comme peuvent l’être d’autres lieux et celles-ci ne peuvent donc pas rester partout elles désirent. «Tenir les murs» par exemple est un comportement proscrit chez les jeunes filles. Il existe une exception de situation pour qu’elles puissent stationner dans des endroits où il ne leur est normalement pas possible : lorsqu’elles s’occupent des plus petits. En fait les filles, elles peuvent pas être comme les garçons. Elles peuvent pas tenir les murs. C’est pas possible. Une fille sur ce quartier-là, elle peut pas tenir les murs. Elle est forcément... si elle est stationnée à un endroit, c’est qu’elle a une utilité sociale, soit elle est dans le loisir, soit elle s’occupe des petits, ou elle est avec les parents, enfin bon ça c’est autre chose. Ou alors, elle est dans un espace de loisirs ou là potentiellement, elle est tolérée, parce que il y a pas de garçons, ou que c’est un espace où il y a que des petits enfants, ‘fin des enfants en bas âge, relativement ya des enfants de 10 ans et des nourrices ou des familles. Pour le reste, elles ne sont pas autorisées à stationner. C’est toujours pareil, il faut qu’elles aient une raison particulière. On ne demande pas de raison aux garçons pour occuper l’espace public, on demande des raisons aux filles. Y. Leberre, éducatrice Le seul endroit où elles sont autorisées à s’arrêter sur le quartier

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dans son ensemble, c’est éventuellement à la banane Angleterre sur les petits murets où ils vont s’assoir, parce qu’elles s’occupent des petits. Elles ont une utilité sociale. Elles s’occupent des petits. Là, elles sont autorisées à stationner, ou si leurs mères sont avec elles, mais s’il y a des garçons, non. Y. Leberre, éducatrice

La mobilité comme moyen de s’affranchir, se construire et s’ouvrir Les filles restent donc toujours en déplacement dans les espaces où sont posés les garçons et on retrouve cette mobilité qui caractérise leurs pratiques à l’extérieur au sein même du quartier. Celles-ci comprennent rapidement en grandissant, que le seul moyen pour elles de s’affranchir du regard masculin, c’est de le fuir ou de ne pas le contrarier. C’est ce qui explique pourquoi les filles, contrairement aux garçons, très stationnaires, sont très mobiles, toujours en déplacement, et se posent rarement. D’autre part, celles-ci n’hésitent pas à élargir leurs pratiques à la ville, en utilisant le centre-ville de Nantes, d’autres quartiers de la ville. Non soumises aux questions de rivalités entre cités, celles-ci sont alors plus libres que les garçons et peuvent sortir du quartier quand elles le souhaitent et n’éprouvent pas, comme les garçons, la nécessité de sortir à 10 ou 15 personnes pour se sentir en sécurité en ville : le groupe de pairs avec qui on traîne lorsqu’on est une fille est beaucoup plus réduit. Cette libre pratique de la ville dans son ensemble participe de la fabrication d’une autonomie et d’une ouverture chez les filles : Celles-ci savent qu’elles sont soumises à plus de pression (familiale, masculine) que les garçons et que cette libre pratique peut s’arrêter subitement. En fonction de cela, celles-ci apprennent très tôt à se constituer en tant qu’adultes, (cela passe par la fabrication de ses limites, l’émancipation de la pression en pratiquant des espaces où elles ne risquent pas de croiser d’autres gens de la cité). Il résulte que les filles nous apparaissent alors beaucoup plus autonomes et débrouillardes que les garçons, mais aussi beaucoup plus ouvertes. Elles sont plus enclins à dialoguer avec des personnes extérieurs, s’intéressent aux problématiques des «jeunes de cité» et s’attachent beaucoup plus à réduire la tension que génère le stigmate. J’y vois là une explication au fait que celles-ci aient accepté de dialoguer avec moi ou au fait que celles-ci œuvrent à défendre leur condition de «jeunes de Ma-

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lakoff» auprès de personnes qui ne sont pas du quartier, comme dans le cadre du débat organisé par Tissé-Métisse. En se tournant vers l’extérieur, celles-ci se replient beaucoup moins sur ellesmêmes que ne le font les gars et participent alors d’un «alignement hors du groupe» plus prononcé, même si elles restent très attachées à leur quartier. Avec l’ouverture du quartier, on ignore encore comment les pratiques urbaines des jeunes filles vont évoluer. D’une part, les possibilités de déplacements se multiplient (2 lignes de Chronobus vont ainsi passer dans le quartier) pour celles qui pratiquent l’extérieur plus que les autres. D’autre part, il m’a été rapporté que certaines jeunes filles ne pouvaient plus autant sortir dans l’espace public car le quartier apparaissait comme moins sûr depuis que celui-ci était plus ouvert.

L’ambivalence de la séparation Les pratiques usuelles des filles et des garçons présentent une distinction importante qu’il est important de décrire et d’expliquer. Entre des jeunes filles moins visibles dans l’espace public mais très présentes dans le débat public et des jeunes hommes pour qui c’est l’inverse, la place de chacun dans le quartier offre à voir un contraste saisissant. Y voir là uniquement un moyen de discriminer les filles serait prendre un raccourci. Cette séparation des pratiques montre à la fois des effets positifs et négatifs. Effectivement, cette non-mixité est intéressante à un âge où les identités se forgent et sont très complexes. Le cas des filles, qui «grandissent» beaucoup plus vite à cette âge-là, parce que leur volonté de s’émanciper les amène à s’ouvrir et se construire est édifiant. Attention alors à ne pas injecter la mixité là où elle pourrait mettre en péril des acquis précieux. D’autre part, les pratiques observées et leur analyse montrent qu’il est légitime de s’interroger sur l’égalité des sexes à Malakoff. Les espaces nous apparaissent très hiérarchisés entre des lieux tenus par les garçons et des filles qui se faufilent. Les pratiques des jeunes filles, plus contraintes que celles des garçons, révèlent une volonté d’échapper du contrôle familial et masculin, d’où la nécessité de travailler sur la condition des jeunes filles sur ce quartier, et cela, les travailleurs sociaux l’ont bien compris.

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« Je suis une jeune femme de 20ans et je circule dans un quartier », association TisséMétisse, 2011 Cette série de photos réalisées à l’occasion d’une exposition organisée à la Maison des Haubans s’attache à donner la parole aux jeunes filles de différents quartiers nantais : Bellevue, Malakoff, Quartiers Nord. Aux travers de prises de vues mises en scène ou saisies sur le vif, les jeunes s’expriment sur leur ressenti, et parlent de leur quotidien dans les quartiers. En parallèle de l’exposition, Tissé-Métisse organise un débat en mars 2012`au centre socioculturel sous même thème invitant jeunes femmes et jeunes hommes à venir s’exprimer quant à la notion de liberté de circulation dans l’espace public. Quels sont les enjeux ou encore qu’est-ce qui se joue et dans quels espaces ? La place des hommes, la place des femmes, la mixité ? Il y a-t-il des espaces réservés, qui exige quoi ? © Association Tissé-Métisse http://www.tisse-metisse.org/

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Comment se construit l’autre mixité à Malakoff Depuis quelques années, les travailleurs sociaux cherchent à introduire plus de mixité chez les jeunes afin d’adoucir les relations garçons-filles. Il faut dire qu’avant la construction de la Maison des Haubans, les pratiques sont essentiellement séparées et les filles ne stationnent même pas dans les lieux publics, comme l’ancien centre socioculturel. Alors, je suis arrivé au CSC, là-bas, il y avait qu’une fille. Parce que c’étaient des «jeunes qui tenaient les murs», structurés, et tout. Alors euh... Pas trop envie d’y aller. Je les comprends. Sal-

vador, animateur Au collège, avec les éducateurs ou à la Maison des Haubans, un important travail s’effectue pour apporter plus de mixité dans les pratiques. Ainsi, au collège, la coexistence est de fait imposée par le statut mixte de l’école républicaine. Les éducateurs comme Yasmine Leberre mettent régulièrement en place des activités et des sorties mixtes pour favoriser les relations entre garçons et filles. Le cas de la maison des Haubans est plus particulier puisque celui-ci était plutôt un lieu de pratiques séparées, puisque tenu par les garçons. Ainsi quand la Maison des Haubans ouvre, les animateurs du club jeunes lancent sans les mettre au courant des camps de vacances jeunes mixtes. Malgré la surprise du début, cela marque le démarrage de l’instauration de la Maison des Haubans comme terrain de mixité.

Quelles pratiques mixtes?

Les pratiques sont souvent le fait des acteurs qui souhaitent la mettre place, plutôt que jeunes eux-mêmes qui sont bien souvent encore ancrés dans des pratiques séparées, les filles cherchant en effet à s’affranchir du contrôle des garçons en même temps que les garçons préfèrent traîner avec leur groupe de pairs. À la Maison des Haubans, des pratiques mixtes réfléchies sont mises en place tout au long de l’année pour améliorer la coexistence entre filles et garçons. Outre les nombreuses activités proposées par les associations (théâtre, danse, sport), les animateurs du Centre Socio-Culturel proposent de nombreuses activités filles et garçons. Tout d’abord, les jeunes, à partir de 12 ans, fréquentent assi-

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dûment le «Club Jeunes» comme lieu de distraction et de discussion. Ceux-ci sont très nombreux à venir quotidiennement au «Club Jeunes» (entre 50 et 60 personnes). C’est un lieu de détente, avec une salle de jeux, accessible à tous. Voilà, par exemple, on ouvre tous les jours à 16h30. Je me sers de cet accueil parce que les jeunes, ils viennent discuter, voilà, se poser, discuter, rencontrer d’autres jeunes, des filles, des garçons et des filles. Maintenant que ça existe, ça, je suis content. Après, dans ces discussions, ça joue aux cartes, ça joue au billard ou ça discute, c’est tout. Salvador, animateur

Ce lieu est très important pour les jeunes, comme pour les animateurs puisqu’il leur permet d’échanger. Pour les filles, c’est l’occasion de discuter avec les garçons sans crainte de ternir leur réputation, puisque les animateurs sont présents, de même que pour les garçons puisque le «Club Jeunes» est un espace caché des regards, où les jeunes peuvent se rencontrer librement. Cela en fait un important lieu de socialisation dans le quartier, où les jeunes peuvent avoir une pratique mixte libre de cet espace. On retrouve aussi d’autres activités mixtes, par exemple, les sorties : ciné, bowling, concerts, parachutisme, saut à l’élastique, etc. Les animateurs, comme les éducateurs organisent aussi des séjours de vacances mixtes, pour leur permettre de s’évader un peu du quartier. Ces séjours sont l’occasion pour les jeunes de se déconnecter du quartier, s’ouvrir un peu à l’extérieur mais aussi altérer les pratiques séparées qui se font ordinairement sur Malakoff : les garçons n’ont plus leurs pratiques de protecteurs du quartier, comme lorsqu’ils trainent à Malakoff. Et c’est aussi pour les jeunes l’occasion d’échanger entre eux.

Une mixité de genre qui se développe

Que ce soit par le biais de la création d’un lieu de détente quotidien, ou avec les sorties et les séjours, les animateurs et les éducateurs font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont pour instiller la mixité ( ?) au fur et à mesure au sein du quartier. Ce travail est d’autant plus complexe que jusqu’à il y a peu le quartier était le théâtre de pratiques séparées bien ancrées avec lesquelles ils faut composer. Les axes de travail ont porté sur plusieurs éléments. D’une part la mise en œuvre de la mixité requiert de négocier

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avec les garçons comme avec les filles. Il s’agit d’éviter que les «grands frères» d’une fille ne soient présents au même moment, au même endroit que celle-ci afin qu’ils ne puissent être trop « contrôlants » avec la jeune fille. Il s’agit aussi d’effectuer un travail avec les «grands frères» pour qu’ils lâchent un peu le « contrôle » des jeunes filles ordinairement exercé dans le quartier. Ces pratiques de surveillance sont alors évitées en proposant des activités mixtes sans la présence de personnes d’une même famille. Les problématiques de «réputation» sont aussi à surveiller étant donné l’effet destructeur qu’elles peuvent avoir et il faut les prévenir ou les désamorcer pour empêcher les règlements de compte. Par exemple, là on avait un séjour au ski. Il y avait des filles, des garçons. Il y avait des filles de 15 ans qui étaient en train de discuter dans les chambres des mecs, assis sur le lit, voilà, tranquille. Deux filles et un mec. Et il y a la petite sœur qui a 13 ans, elle a vu ça, elle a raconté à toute la cité «ouais ils étaient dans le lit.». La petite sœur de la fille. On a eu le grand frère qui est venu nous voir. Il a quoi, 19-20 ans. On lui a expliqué. Simple. Il y avait pas de chaises dans la chambre, ils se sont assis sur le lit, ils discutent. «Mais t’as déjà fait des camps avec nous, tu t’en rappelles pas? -Ah bon, c’est que ça? -Ben oui, c’est que ça.». Mais toute de suite, toute la cité et même les jeunes : «Ouais, c’est pas vrai, ils étaient dans le lit avec quelqu’un!». Alors on a dû tout arrêter le Club Jeunes et expliquer à tout le monde. Parce que c’était parti en vrille sur un truc de nazes, voilà. Salvador,

animateur Concernant les filles, les travailleurs sociaux effectuent davantage un travail qui consiste à faire en sorte qu’elles s’arrêtent plus souvent sur le quartier, au niveau de la Maison des Haubans par exemple. Il s’agit aussi pour les acteurs du quartier de leur apporter une ‘protection’ contre les jeunes hommes, les amener à se sentir moins contrôlées dans leurs faits et gestes. Les animateurs, en particulier tentent à chaque fois de réunir les meilleures conditions pour les jeunes filles, étant donné ce à quoi elles sont souvent exposées. Faire participer aux actions des jeunes filles qui ont pris l’habitude de fuir la surveillance masculine et de s’échapper du quartier se révèle en effet très complexe. Je dois jouer sur plein de tableaux, je dois jouer «Ouais mais tu

ramènes pas mon frère ou les copains de mon frère.». Et voilà,

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les gars, si je ramène un frère, il y a sa petite sœur ou un truc comme ça... C’est très codé et nous, on doit jouer là-dessus pour que la fille s’éclate donc j’emmène pas ses frères. C’est sûr que je les ramène pas. Je dois opter pour autre chose. [...] «Lui, c’est le frère à l’autre, donc il va dans un autre centre.» Salvador,

animateur Un meilleur développement de la mixité passe aussi par la sensibilisation des jeunes aux problématiques que soulève la question du genre dans les quartiers d’habitat social. Pour exemple, l’exposition «je suis une jeune femme et je circule dans un quartier» mise en place au mois de mars à Malakoff, le débat qui a eu lieu le 21 mars et le groupe de travail lancé par l’association Tissé-Métisse sont autant d’efforts effectués pour mener une réflexion souvent absente lorsqu’on étudie les quartiers d’habitats populaires. Le travail déployé à Malakoff (et dans d’autres quartiers) cherche ainsi à sensibiliser les jeunes aux questions de la coexistence dans l’espace public pour chercher à améliorer une mixité qui se développe timidement. Toutefois, celui-ci reçoit encore un accueil mitigé de la part des jeunes. Aucun jeune homme n’a par exemple souhaité participer au débat et quelques jeunes filles ont ressenti une certaine gêne d’être affichées ainsi à la vue de tout le monde dans la Maison des Haubans (lors de l’exposition).

Les enjeux du développement de la mixité Finalement, même si le quartier de Malakoff présente une atmosphère très « virile » par rapport à d’autres cités (les filles ne font par exemple pas la bise aux garçons), la place des jeunes filles dans l’espace public nous apparaît plus développée que dans d’autres quartiers et un véritable travail de recherche de mixité mené de concert par les acteurs du quartier contribue à améliorer leur situation. Même si celui-ci ne contribue pas altérer les pratiques séparées établies, celui-ci vient créer de nouvelles pratiques chez les jeunes. Cela commence à faire quelques années que le Centre SocioCulturel n’est plus le lieu de détente des hommes exclusivement et on observe chez certaines filles l’envie de changer les choses. Elles ont à cœur d’améliorer les relations garçons-filles, que ce soit en prenant du temps pour discuter avec les garçons, en entrant petit à petit dans l’»espace des hommes» ou travaillant sur cette problématique avec les différents intervenants dans le quartier. En proposant une multitude d’actions mixtes imposées

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aux jeunes, on évite ainsi la prédominance des pratiques séparées qui pourrait aboutir à un clivage net des espaces, des pratiques et finalement des deux sexes. Petit à petit, la mixité se faufile dans le quartier et montrent un adoucissement des relations entre jeunes hommes et jeunes filles. Celle-ci, même si elle peine à s’inscrire partout, est acceptée par les filles comme les garçons. Pour exemple, les séjours mixtes proposés par la Maison de Haubans ont été acceptés par les jeunes et pas remis en cause depuis. Les jeunes des deux sexes reconnaissent qu’ils peuvent circuler et discuter plus librement dans le quartier et s’efforcent de dégager une image positive des relations garçons-filles à l’extérieur. Se pencher sur la mixité quand on découvre qu’elle n’est pas un acquis de longue date se révèle finalement très édifiant et le développement de cette thématique est à suivre dans les années qui viennent quand on voit comment les acteurs se mobilisent pour elle. Il reste notamment à voir comment, avec le temps, elle se développe et interagit avec les pratiques urbaines établies et les différentes cultures qui s’expriment à Malakoff.

L’autre sexe ici Finalement, nous avons vu comment le cadre défini à partir de la configuration sociale (hiérarchisation des sexes prononcée) et spatiale (‘distance’ par rapport à la ville, proximité dans le quartier) de Malakoff vient contraindre les pratiques urbaines des jeunes. Dans cet environnement «villageois», les filles sont contrôlées tandis que les jeunes hommes sont contrôleurs. Les pratiques de chacun sont alors très contraires : Dans l’espace public, les garçons stationnaires et visibles ne traînent pas avec les filles mobiles et invisibles. À partir de ces pratiques qu’on retrouve tout au long de la jeunesse de ces habitants du quartier, on voit comment chacun grandit et entre dans l’âge adulte. Chez les filles, très mouvantes, qui élargissent très tôt leur territoire pour fuir la surveillance masculine, on observe une autonomie accrue et une ouverture sur l’extérieur qui les amène à vouloir s’investir beaucoup plus dans le débat public (alignement hors du groupe). Chez les garçons, cela se traduit par un enfermement sécuritaire sur le quartier et un alignement sur le groupe prononcé. Les

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jeunes hommes acquièrent alors un comportement très défensif quant à l’extérieur. La mixité des usages se met alors petit à petit en place dans le quartier pour tenter de remédier à ce cadre contraignant. Les acteurs ont décidé de s’attaquer aux tabous en menant, de concert, des actions mixtes et instaurant des terrains mixtes dans des lieux qui ne l’étaient pas. Même si elle doit être encouragée pour adoucir les relations garçons/filles, l’absolue mixité n’est pas la seule solution. Il faut aussi réfléchir à des espaces pour les filles car pour elles, la mixité ne résout pas tout. Dans le même temps, les garçons doivent être aussi poussés à s’aventurer toujours plus loin à l’extérieur. Le quartier est aujourd’hui à une charnière. On sent que les pratiques changent avec l’ouverture du quartier, même s’il est encore trop tôt pour s’en assurer. Pour les filles, les possibilités de mobilités sont décuplées, (notamment avec l’arrivée du Chronobus) tandis que pour les garçons, l’ouverture amène tous les jours de nouveaux ‘intrus’, rendant les pratiques de surveillance plus complexes. Le désenclavement du quartier peut aussi être vu comme une contrainte de plus pour les jeunes filles, le quartier n’étant «plus aussi sûr qu’avant». L’évolution des pratiques urbaines reste donc un phénomène à suivre dans les années qui viennent : étudier comment les changements que connaît le quartier opèrent ou non d’une modification des pratiques urbaines, observer comment le travail de tous les jours des acteurs du quartier parvient à instaurer petit à petit de la mixité, regarder comment évolue la condition féminine dans ce quartier sont autant d’axes de travail qu’il pourrait être intéressant de continuer.

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Tenter d’étudier les jeunes de Malakoff et leurs pratiques n’est pas chose aisée comme nous avons pu le voir à travers cette étude. Un travail bibliographique, filmique et ethnographique a permis de tenter d’approcher plus précisément cette population et d’appréhender ses usages, nous permettant ainsi de dresser un portrait partiel de ce qu’est la vie des jeunes à Malakoff, loin des représentations dont on peut régulièrement être amenés à se saisir. L’image tient en effet un rôle très important dans l’étude. Le premier volet nous a permis de montrer les singularités du territoire de Malakoff, quartier au départ novateur et qui a vu la situation sociale de ses habitants se dégrader petit à petit. Dans l’imaginaire collectif, la mauvaise image qu’on peut avoir du quartier est intimement liée à celle de ses jeunes habitants et à l’heure du renouveau du quartier, si celui-ci peut avoir un nouveau visage, ses jeunes sont toujours sous le coup d’une représentation proche de celle véhiculée sur les jeunes de cités. C’est à cette image que nous nous sommes ensuite attaqués. La deuxième partie nous a montré combien il était complexe de dresser le portrait des jeunes. La revendication d’une identité sociale comme moyen de s’affirmer dans la société est en effet lourdement pénalisé par les mécanismes de redoublement de stigmate qui a achevé de les discréditer aux yeux du reste de la société. Or, si le stigmate occulte une partie du regard qu’on peut porter sur ces jeunes, sa déconstruction a permis d’appréhender une réalité différente de l’identité des jeunes, beaucoup plus fondée sur un attachement manifeste au quartier que sur une réaction contre ce qui en était extérieur. La dernière partie nous a montré que les pratiques, quant à elles,

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Être jeune et vivre à Malakoff

révèlent la nécessité d’opérer une distinction de genre. Si jeunes garçons et jeunes filles sont d’ardents pratiquants de l’espace public, ceux-ci ne le font pas de la même manière et témoignent d’une relative discrimination sexuée au sein de l’espace public. Visible/invisible, surveillant/surveillé, stationnaire/mobile sont alors autant de couples d’antagonistes étudiés qui, à l’épreuve des différents lieux qui composent l’espace public, nous ont permis de développer sur les causes et les conséquences de cette séparation des usages dans l’espace public. À l’opposé, nous avons cherché à comprendre ce qui faisait alors mixité à Malakoff. Le tournant décisif qui s’opère dans le quartier aujourd’hui et les perspectives d’évolution qu’il amène nous sont encore inconnues et ne nous permettent pas d’achever l’étude ici. Et si le laps de temps dans lequel elle s’est déroulée semble amoindrir sa valeur puisque jeunes et leurs pratiques semblent voués à changer dans les années qui viennent (c’est en tout cas, la volonté affichée), celle-ci nous permet de nous interroger. Quid en effet de la place de ce qui faisait aussi quartier et de ses jeunes habitants dans le nouveau quartier? Que vont devenir la convivialité, la sympathie, la solidarité, la solidarité, le multiculturalisme qui caractérisait Malakoff et ses jeunes à l’heure de la résidentialisation, de la qualification absolue de tous les espaces publics, du brassage de la population? D’autre part, si le nouveau quartier vient bouleverser les pratiques, il nous apparaît qu’il est important de suivre leur évolution, notamment au regard de la mixité et de la non-mixité qui s’opèrent actuellement et qui viennent questionner la place de chacun dans l’espace public.

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Bibliographie Ouvrages Erving Goffman, Stigmate, 1975, 175p,Les éditions de minuit François Dubet, La galère, jeunes en survie,1987, 497p, Points Adil Jazouli, les années banlieues, 1992, 200p, Seuil Lamence Madzou, Marie-Hélène Bacqué, J’étais un chef de gang : Suivi de Voyage dans le monde des bandes, 2008, 245p, éditions la découverte Joëlle Bordet, Les «Jeunes de la cité», 1998, 232p, puf Horia Kebabza & Daniel Welzer-Lang, «Jeunes filles et garçons des quartiers : Une approche des injonctions de genre», Rapport GIP Justice et Délégation interministérielle à la Ville, 2003, 168p

Articles

Pascal Dubernet, «Ne dites pas à ma mère que je suis un jeune de banlieue, elle me croit enfant de la République!», Diversité n°167, janvier 2012, pp 213-214 Denis Merklen et Numa Murard, «Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques? Violences sociales et cuklture de l’écrit», laviedesidées.fr, 7 janvier 2008 Horia Kebabza & Daniel Welzer-Lang, Sylvain Aquatias, «Jeunes de banlieue, entre communauté et société, une approche socio‑anthropologique du lien social», Socio-Anthropologie n°2, 1997, 28p Presse Océan, articles couvrant Malakoff, de 1990 à 2012 Ouest-France, articles courant Malakoff, de 1990 à 2012

Supports vidéos

Catherine de Grissac, Territoires, 2004, 52mn Mathieu Kassovitz, La haine, 1995, 1h35mn Jean-François Richet, Ma 6-T va crack-er, 1997, 1h45mn Fabrice Genestal, La squale, 2000, 1h40mn Abdellatif Kechiche, L’esquive, 2004, 1h57mn Jacques Doillon, Petits Frères, 1999, 1h32 mn Boris Dolivet, Les Lascars, 2000-2007

Sites Internet

Site du nouveau Malakoff : http://lenouveaumalakof.com Le Bondy blog : http://yahoo.bondyblog.fr/

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Mémoire

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NOM PARTIE


Encore les jeunes de cité? C’est vrai que depuis plusieurs années maintenant, le sujet est toujours autant traité. Celui-ci, encore aujourd’hui, choque, scotche, fascine un peu comme un film qu’on va voir au cinéma. Un film dur, avec des vrais méchants et des scènes d’action qui coupent le souffle. On s’attache aux personnages, on les déteste. On est stupéfaits quand ça explose, ça nous ennuie quand il se passe rien. Ca nous prend aux tripes quand quelqu’un sombre, ça nous réconforte quand les héros s’en tirent. On se prend parfois la tête pour essayer de comprendre avant la fin, on est satisfaits quand on y arrive. On reste assis et on regarde. Ca tourne en boucle. Sauf que l’histoire, le scénario, il a tendance à se répéter. À Nantes, à Malakoff, ils ont décidé de changer la bobine. Ils vont mettre la suite. C’est les mêmes personnages mais c’est pas la même histoire. Et alors qu’ils rallument la lumière, que l’équipe de projection ouvre en grand les portes de la salle, ils nous donnent un avant-goût de l’épisode 2 : ce sera plus grand, plus attractif, plus beau. Un film avec un gros budget. Et moi, pendant ce temps-là, je profite de l’entracte pour écrire sur ce que j’ai vu de la fin. Dans ce carnet, j’ai mis ce que j’avais vu, ce que j’avais compris, et puis aussi les questions que je me suis posé. Ce mémoire de maîtrise s’inscrit dans le cadre du séminaire «l’autre ici» dirigé par E. Pasquier et constitue un ouvrage du diptyque constitué avec Pauline Trochu traitant de Malakoff en 2012.


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