No-Stop City.exe

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Mise à jour d’une image radicale

Noël Picaper

Mémoire rédigé sous la direction d’Alexandra Pignol ENSA Strasbourg - 2015 | 2016



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Remerciements

Je remercie Alexandra Pignol, ma directrice de Mémoire, pour la qualité de son suivi, pour son soutien, ses conseils avisés et sa disponibilité. Merci aussi à Hugo Bertrand, Jean-Philippe Degoul et Joffrey About pour nos discussions animées et enrichissantes qui furent autant de bouffées d’oxygène sur ce long parcours de recherche et d’écriture. Enfin, un merci particulier à mes parents qui m’ont transmis tôt le goût de la littérature et des langues étrangères.


Sommaire


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introduction

Démarrage

Décryptage de choc 24 . Racines et branchements 37 . No-Stop 51 . Utopie conditionnée

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Codages plurivoques 66 . Le Projet négatif 76 . Entre virtuel et visuel 86 . Langages contrastés

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Vers une réactivation de No-Stop City 99 . No-Stop City : L’antivirus 108 . La Limite comme actualisation 122 . Obsolescence « off »

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Formatage

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Bibliographie Iconographie Filmographie

conclusion


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« L’Histoire devient un puit sans fond de choses qui peuvent être utilisées indépendamment de leur nature idéologique; en fait, leur idéologie ‘artificielle’ peut être rafraîchie et encore remise en jeu »1. 1. BRANZI (Andrea), Il ruolo della retroguardia, art. cit., cf : ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, pp. 289-336, 542 p.


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Démarrage

La Charte d’Athènes, rédigée en 1933 à l’occasion des CIAM1, fixait les grands principes de l’urbanisme et de l’architecture moderne. D’après ce texte, il était possible de maîtriser la « ville »2 en suivant un système fonctionnel stable. De fait, on s’efforça d’en créer les règles, basées sur des représentations propres à sa logique3. Cette volonté de trouver des solutions permanentes 1. Congrès Internationaux d’Architecture Moderne dont Le Corbusier était un des protagonistes; on est à ce moment là dans un contexte de « ville industrielle ». 2. Dans son interprétation historique évolutive (XVIIIème siècle : la « ville » se substitue à la « cité » selon Jean Claude Perrot); tributaire de l’évolution de l’imaginaire sociétal. C’est à dire la ville fondée sur la co-présence se constituant comme un ensemble organisé, fini avec un noyau dur singulier et insubstituable. Censée, dans sa profondeur, emblématiser l’urbain dans son ensemble. Cf. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 1078-1084, 1127 p. 3. PANOFSKY (Erwin), La Perspective comme forme symbolique : Et autres essais, Les Editions de minuit, Paris, 1976, pp. 37-39, 280 p.


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en réponse à une réalité muable, ainsi que l’idée de façonner des parties spécialisées produisant un seul effet global, sont les traits caractéristiques de l’esprit du siècle passé4. Chaque élément du système mis en place remplissait une fonction bien précise, et leur assemblage devait produire ce qu’on appela la « ville moderne »5. Le rationalisme européen de cette société moderne voyait dans l’idée d’aspiration au progrès celle d’un long parcours menant à une société d’ordre et de développement. Il s’agissait donc là « d’une vision positive, collective et démocratique d’un chemin à parcourir ensemble vers le progrès »6. Tout cela sur toile de fond industrielle/postindustrielle (période de transition sur laquelle nous reviendrons plus tard), et avec l’architecture moderne en guise de cheval d’attaque. Architecture7 qui devait être « capable de prendre en compte les instances sociales et les antagonismes politiques, et de les résoudre positivement en favorisant l’essor d’un progrès technologique, mais aussi esthétique »8, dans un contexte d’après-guerre où une Europe meurtrie cherchait à se reconstruire aussi bien matériellement que politiquement. Seulement, devant un monde devenu aussi complexe, insaisissable et imprévisible que celui de la seconde moitié du XXème siècle, force est de constater, à partir de 1964, 4. BRANZI (Andrea), conférence au Centre Pompidou, Paris, jeudi 1er octobre 2009, url : http://metropoles.centrepompidou.fr/intervenant.php?id=6 5. Nous en resterons au XXème siècle et à notre héritage urbain immédiat (utopie technologique). Il est cependant nécessaire de préciser que la ville moderne se met déjà en place au XVII ème siècle avec les idées rationalistes et l’utopie activiste. 6. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 140, 187 p. 7. « Architecture » entendue ici comme une discipline établissant des principes nécessaires à l’organisation d’un ensemble. Elle est l’art de bâtir mais aussi de structurer et d’agencer. Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 8. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 141, 187 p.


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l’échec du moderne. La ville moderne a laissé derrière elle les traces d’une idéologie visant le bien général qui se targuait de guérir la situation de ses maux par l’alliance de deux fantasmes : la science et la liberté. Elle n’est pas arrivée à maturité car elle n’est pas parvenue à générer sa propre forme, celle de l’équilibre absolu entre ces aspirations. Les théorèmes de l’architecture moderne qui avaient des objectifs sociétaux, furent dans l’incapacité de prévoir et de répondre aux problématiques liées à l’industrialisation forcée et à la discorde monde ouvrier / modèle bourgeois. En cause, leur rigidité et leur cantonnement à des rêves de « ville meilleure » délaissant la réalité immédiate. Ils générèrent ainsi une distance entre politique et culture, laissant filer entre leurs mains les désirs de révolution sociale de la fin des années 60. L’architecture, en tant que système structurant la ville, était absente à ce momentlà. Elle opérait sur un autre front, celui de la recherche d’une utopie9 préférable mais inexistante. Elle contraignait donc cette révolution à ne se réaliser que partiellement faute de lieu (le lieu de la culture; l’architecture comme métaphore du théâtre du jeu de paume pendant la révolution française). Le doigt était mis sur les failles du modernisme. Et à présent, si l’on regarde en arrière, que reste- t-il de notre héritage ? Quels éléments donnaient à la ville moderne sa valeur et devaient se charger de la réaliser ? « Une immense parenthèse bornée par deux barres de logements, des péages d’autoroute, des parkings, un vide spatial sans propriétaire ni habitant, empli seulement de passants transitoires pour lesquels le code de la carte de crédit

9. L’utopie de la ville moderne auto-entretenant sa propre condition. Nous reviendrons plus tard en détail sur la notion « d’utopie » car au centre du travail des Archizoom.


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semble tenir lieu de langage »10. Vision pessimiste que nous propose ici Colin Rowe, critique britannique d’architecture, en cette fin de XXème siècle. Toutefois, n’oublions pas les indéniables apports et qualités des modernes (plan libre, hygiénisme, nouvel emploi de matériaux et autres révolutions architecturales, etc.). Il est indispensable de les garder à l’esprit pour en extraire ultérieurement bon nombre d’éléments qui pourront en être déclinés. Mais l’impact qu’a eu le mouvement moderne n’est surement pas lié uniquement à ses innovations technologiques (malgré leur caractère irréfutable), ni à la forme industrielle qu’il utilisait, mais plutôt à son côté héroïque, porteur de la bonne parole, laissant envisager l’imminence d’un monde meilleur11. C’est en partie en raison de cette démarche utopique que les modernes ont fait de l’architecture une discipline pensant encore détenir les clefs des transformations sociétales, sans se demander si l’inverse était possible. Durant la seconde moitié du XXème siècle, on assiste en Europe à un passage progressif d’une société moderne/ industrielle à une société programmée12. Autrement dit, à une société dans laquelle la production et la diffusion de biens culturels s’emparent de la place centrale qu’occupaient auparavant les biens matériels13. Les rapports de force ont changé ; le pouvoir s’obtient désormais par l’accumulation de la connaissance et de l’information. La 10. ROWE (Colin), KOETTER (Fred), Collage City, traduction de HYLTON (Kenneth), Ed. Supplémentaires, Centre Georges Pompidou, Paris, octobre 1993, pp. 9, 271 p. 11. id. 12. TOURAINE (Alain), La société post-industrielle, Ed. Médiations, 1976, 315 p. 13. Il est important de préciser que nous sommes à ce moment là déjà presque à la fin du XXème siècle. Nous nous détachons de la situation postfordiste (et fordiste).


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capacité à manipuler, issue du savoir, est considérée comme une source de puissance. On ne se dispute plus la direction du processus industriel mais la finalité des productions culturelles (qualité de vie, questions environnementales, questions d’éthique, etc.). L’enseignement, la formation et la recherche sont les rouages de ce système. La production intellectuelle de masse est à présent une des principales énergies figurant le paysage collectif. Paysage qui tend donc vers un réseau de localités s’écartant des anciennes centralités. Cette évolution s’est amorcée suite à divers évènements marquants : la naissance d’internet, le début de l’aire mondiale et de la globalisation, l’apparition d’une classe moyenne instruite (accès au savoir, classe ouvrière devenant propriétaire de biens, etc.), ainsi qu’une autodécision des gens acquise sur leur lieu de travail. Il se peut, aujourd’hui, que la ville moderne, ne soit plus à remodeler; elle est peut-être déjà dépassée tant par son qualificatif que par sa propre définition. La ville telle que nous avions tenté de la définir jusque là, c’est à dire marquée par l’histoire et perçue comme une accumulation de couches successives, semble désormais se construire massivement. La situation est paradoxale. Plus elle se développe moins elle semble contrôlable, prévisible et planifiable. D’un point de vue sémantique, il semble donc désormais plus pertinent, voire nécessaire, d’utiliser la notion de « métropole » dans sa définition la plus contemporaine (et non plus « ville ») quand on cherche à évoquer le résultat urbain14, c’est à dire « un espace urbain qui, tout en permettant la participation des acteurs aux processus d’échelle mondiale, reste une 14. Quand nous parlerons « d’urbain », nous l’envisagerons comme « l’ensemble des géotypes (agencements spatiaux complexes) sociaux caractérisés par le couplage de la densité et de la diversité ». Cf. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 1040-1044 , 1127 p.


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société locale »15. Le concept de ville se serait donc fait déborder par la complexité de l’urbain et par l’objet urbain qu’est la métropole16. Il faut réactualiser des objectifs, ou bien redéfinir le principe même « d’objectifs ». L’individu étant au centre de la définition métropolitaine, il a pris progressivement conscience des limites de l’utopie rationaliste, du visage totalitaire qu’elle pouvait avoir, des dérives des typomorphologies fonctionnalistes (tramage, planification, zoning, etc.), ainsi que des enjeux et des défis à relever concernant ses espaces de vie. De nos jours, la réalité sociétale nous met face à l’imprévisible et à l’imperceptible (nous y reviendrons). La métropole contemporaine s’inscrit dans une échelle qui nous dépasse. Nous ne pouvons en avoir qu’une vision partielle. On utilise ici un concept qui n’a pas de modèle. Mais c’est cette même partialité qui laisse un champ de manœuvre suffisamment large pour l’interroger. Comment engager notre détachement du schéma passé afin de la projeter ? Quelle serait son alternative ou son adaptation possible ? Quel est le rôle de l’architecture dans cette logique ? Il faut s’interroger sur la manière dont est perçue et vécue, à l’heure actuelle, la métropole. Ceci remet en question directement l’acte de projeter et soulève des questions plus profondes sur les représentations17 métropolitaines.

15. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 660-663 , 1127 p. 16. Idée d’une métapole qui perce toutes les échelles. Cf. ASCHER (François), JACOB (Odile), Métapolis ou l’avenir des villes, Flux, Paris, 1996, 350 p. 17. Au sens de « configuration idéale, immatérielle ou stabilisée dans des objets, qui se réfère à une entité autre, de nature idéale ou matérielle, à des fins pratiques de communication, d’illustration, d’action ». Elle est donc une interprétation du réel comprise dans un système cognitif. Cf. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 866-867, 1127 p.


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Les représentations sont nécessaires au décorticage métropolitain. Elles établissent des grilles de lecture qui mettent en évidence différentes entités (flux, densité, diagrammes, mémoires…) et qui, par la suite, développent (mais seulement de façon partielle) un projet métropolitain. Comment établir une vision globale à partir de ces fragments de l’objet urbain ? De nos jours, on tend encore à représenter les processus métropolitains à l’aide d’outils (perspective linéaire,schémas classiques, etc.) qui correspondent à la réalité de l’espace moderne18 et non plus à la réalité immédiate. Pourtant, peuton continuer à penser et à projeter l’urbain si l’on est dans ce décalage ? D’autre part, la figuration19 ne semble désormais plus convenir à nos logiques immatérielles. W Il faudrait se tourner vers d’autres modes de représentation, à d’autres échelles, vers une idée d’abstraction de la métropole. Est-il possible d’envisager une image (au sens de construction sociale, nous y reviendrons plus bas) qui aurait une emprise sur elle ? Comment et par quel angle espérer en approcher une vision synthétique ? Le groupe florentin Archizoom Associati, fondé en 1966, s’y est intéressé. À la croisée entre réalisme socialiste, utopie activiste et Pop art, ils ont développé un projet théorique gravitant autour de ces questions de représentation et de projet : « No-Stop City ». Des années 1960 au début des années 1970, on assiste à un bouleversement de la pratique architecturale en Europe, puis dans le monde. L’objet constructif est abandonné par une partie de la profession, alors que beaucoup le définissait comme étant l’état absolu de la discipline. Cette idéologie 18. PANOFSKY (Erwin), La Perspective comme forme symbolique : Et autres essais, Paris, Les éditions de Minuit, 1975, pp. 37-182, 280 p. 19. « Figuration » comprise comme le « fait de donner d’un élément une représentation qui en rende perceptible (surtout à la vue) l’aspect ou la nature caractéristique ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/


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forte tend vers des pratiques plus artistiques et conceptuelles. No-Stop City est issue de cette mouvance-là. Ce qui émergeait avec la chute du moderne, c’est un monde dur, inexpressif, païen, produit par le conflit entre deux géants en train de s’affronter : le capital20 et la classe ouvrière; les Archizoom se placent au centre politique de cette réévaluation, de cette reconsidération et de cette redéfinition des manières d’agir et de façonner le projet métropolitain. No-Stop City est une image21 radicale, en ce sens qu’elle bouscule les fondamentaux en prenant une place totale, à toutes les échelles du projet, de l’objet domestique au modèle urbain le plus complexe. Tous doivent s’inscrire dans le temps de l’action, le présent22. L’idée de ce mémoire est d’appréhender et d’interroger, à travers No-Stop City, des instruments pour penser et projeter la métropole. Le but étant de restaurer le statut des représentations dans le processus de projet. Peut-on, tout en suivant nos problématiques actuelles, se calquer sur No-Stop City ? Ou bien se servir de ce prisme de lecture archizoomien pour réorganiser le projet ? Peut être mais certainement pas directement car les Archizoom s’inscrivent dans une temporalité 20. Généralement, nous entendrons capital dans notre essai comme « l’ensemble des moyens de production (biens financiers et matériels) possédés et investis par un individu ou un groupe d’individus dans le circuit économique ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 21. « Image » dans une définition proche de ce que Louis Marin définit comme « énonciation puissante d’une absence ». C’est à dire qui manifeste la présence de tout ce qui se dérobe à l’ici et au maintenant et exhibe son statut d’énoncé énonciatif. Le spectateur étant un individu lisant/regardant. Il s’agit d’un sens plus large qui ne la réduit pas au strict domaine visuel mais l’étend au champ des représentations et des constructions sociales. Nous y reviendrons. Cf. MARIN (Louis), Des pouvoirs de l’image, Gloses, Ed. Le Seuil, Paris, 1993, 265 p. 22. « Radicale » définition élaborée à partir du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/


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et un contexte précis. Il faut remodeler cette image radicale. La questionner. Présente-t-elle des composants transcendables ? Doit-on « updater » certaines données ? Si oui, lesquelles ? Quelle mise à jour de ce système peut-on envisager, et saura-t-elle répondre efficacement aux enjeux métropolitains que nous avons évoqués ? Tout au long de l’étude du travail des Archizoom, nous utiliserons le terme de « ville » dans l’optique de s’approprier leur lexique (en effet ils parlent de ville pour désigner le fait urbain) et pour rester dans les mêmes temporalités23. Cependant, nous l’emploierons dans une dimension moins connotée. C’est à dire comme objet et phénomène de représentation24. Le titre du mémoire « No-Stop city.exe »25 fait figure de métaphore de la No-Stop City en tant qu’application à exécuter. L’emploi délibéré d’un vocabulaire emprunté au domaine informatique actuel reste dans cette même logique de juxtaposer une approche théorique des années 1970, avec un registre sémiotique propre à notre début de siècle, de façon à en extirper des similitudes et/ou des oppositions franches. De plus, l’image « No-Stop City » et ses notions tangentes virtualisent26 la réalité métropolitaine en attente d’une actualisation, laissant en suspens un monde des possibles. C’est ce même monde « imaginaire et inaccessible », présent aujourd’hui dans nos projections informatiques, que nous 23. Dès lors que nous évoquerons l’amorçage d’une mise à jour et donc la considération de notre présent immédiat, nous signifierons l’importance de la « métropole ». 24. MORISSET (Lucie K.), BRETON (Marie-Eve), La Ville - Phénomène de Représentation, Presse de l’université du Quebec, 2011, 334 p. 25. « .exe » étant l’abréviation d’une extension de fichier sur Windows pour les fichiers exécutables. 26. « Virtuel » non pas dans le sens d’« immatériel » mais compris dans son association avec la notion d’« actualiser ». Cf. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 1090, 1127 p.


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souhaitons examiner et comparer avec un champ lexical adapté. Autrement dit, mettre en réseau deux temporalités distinctes pour confronter leurs codes. Ainsi, pour envisager la mise à jour27 épineuse et partielle de la No-Stop City, nous décrypterons d’abord la mise en forme et la volonté des Archizoom dans leur projet polémique. Dans quelle temporalité et localité s’inscrit la No-Stop City ? Comment s’organise-t-elle ? Quelle est sa finalité ? Une analyse plus objective de leur démarche permettra ensuite de relever un certain nombre d’éléments et de procédés qui, bien qu’étant placés sous le dénominateur commun de l’« image radicale », se transcendent pour révéler des traits de caractères adaptables et réutilisables d’une époque à l’autre dans des contextes radicalement différents. C’est finalement la confrontation entre cette base de données récoltées et la réalité immédiate qui permettra de déterminer si des adaptations sont envisageables, et/ou si de nouvelles combinaisons peuvent éventuellement jaillir d’une mise à jour de la No-Stop City.

27. « Mise à jour » comprise tout au long du mémoire comme une actualisation, c’est à dire rendre actuel, prêt à l’emploi un élément qui était auparavant virtuel.


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1.

1. Archizoom Associati (de g. Ă d.) G. Corretti, A. Branzi, M. Morozzi, L. Morozzi Bartolini, D. Bartolini, P. Deganello GĂŞnes, Italie, 1969


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Décryptage de choc

Les Archizoom ont pu mesurer l’étendue de la difficulté d’agir sur l’urbain à l’aune des actes de leurs prédécesseurs (échecs du développement urbain des banlieues, de l’aménagement du territoire, etc.). Le contexte des années 1970 a fait perdre au métier d’architecte de la crédibilité. C’est dans ce brouhaha qu’ils tentent de bousculer la pratique du projet avec en perspective une approche analytique et critique. Ils plaident pour l’abandon des méthodes rationalistes en architecture et pour l’acquisition de nouveaux instruments. Ils critiquent la fonction figurative de l’architecture qui prétend soigner les maux de notre société (la figuration comme antidote est un leurre)1. No-Stop City se constituera cyniquement, 1. ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, 542 p.


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en partie dans le but de délivrer l’homme de l’architecture, pour qu’il puisse aspirer à un état neutre dépassant toute figuration. Or comment comprendre, lire et interroger un projet qui se veut transcender les représentations ? *décrypter : « Transcrire en langage clair un message rédigé dans une écriture secrète, chiffrée, dont on ignore le code »2. *choc : « Affrontement plus ou moins violent de personnes ou de choses, l’accent étant mis sur la phase terminale de l’action »3. Pour comprendre la No-Stop City, il faut la décrypter. Autrement dit, en faire une transcription4 limpide en essayant de ne pas tomber dans sa vulgarisation. Cette projection ne sera pas exempte d’une certaine subjectivité étant donné le caractère abstrait et hermétique du propos des Archizoom. Caractère faisant dès lors apparaître une limite de leur oeuvre, mais qui s’avérera nécessaire pour investiguer plus largement le projet5. Faire jaillir des données de ce magma théorique juxtaposera, confrontera et/ou accouplera des éléments. Le résultat de ce décorticage mettra par la suite en évidence des codes, sorte de principes généraux, que nous sonderons et connecterons à d’autres données inscrites dans notre temporalité contemporaine immédiate. Il s’agit finalement 2. Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 3. id. 4. Selon son sens informatique, c’est à dire « recopier des données, avec ou sans changement de code, et les transférer ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 5. Cela nous conduira à nous demander ultérieurement si la subjectivité d’une relecture pose-t-elle vraiment problème ou si, au contraire, elle actualise et met à jour une réflexion ? Un propos théorique ne doit-il pas finalement rester que partiellement lisible ? Une oeuvre théorique peut-elle être un « plug-in » et/ou « plugger » ?


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d’une démarche aux allures empiriques qui, par le relevé d’une multitude chaotique de paramètres et de valeurs, met en exergue des bases et des procédés utiles à la création. La dimension chaotique n’étant pas ici « un état informe, ou un mélange confus et inerte, mais plutôt le lieu d’un devenir plastique et dynamique, d’où jaillissent sans cesse des déterminations qui s’ébauchent et s’évanouissent à vitesse infinie (…) »6. Les chocs entre entités ainsi identifiées par le décryptage de la No-Stop City affineront et enclencheront la mise à jour de cette image radicale.

Racines et branchements No-Stop City apparait progressivement en réponse à la volonté moderne avortée7 de vouloir maitriser la ville en y structurant la croissance urbaine8 mais aussi comme une réaction à la rapide transformation du monde de la production et de la consommation dans un contexte de tensions politiques palpables (échec de la révolution de 1968, critiques marxistes…). En effet, durant les vingt premières années de l’après-guerre, le système fordiste organisé autour du « big business », du « big government », de la production de masse et appuyé par la politique fiscale keynésienne,

6. ANTONIOLI (Manola), Chaoïde, in Le vocabulaire de Gilles Deleuze (sous la dir. Robert Sasso et Arnaud Villani), Les Cahiers de Noesis n°3, Printemps 2003, pp. 55 7. Cet échec inaugure une longue période de doutes et de remise en question. Colin Rowe en parle : « Les fantasmes utopiques s’estompent et, comme si la cible était devenue floue, il s’en est suivi un désoeuvrement dont l’architecte est sans doute encore la victime. L’architecte pouvait-il encore se prendre pour le protagoniste d’une nouvelle culture intégrée ? ». Cf. ROWE (Colin), KOETTER (Fred), Collage City, traduction de HYLTON (Kenneth), Ed. Supplémentaires, Centre Georges Pompidou, Paris, octobre 1993, pp. 65, 271 p. 8. L’architecture moderne étant l’instrument de cette politique comme nous avons pu voir précédemment.


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était au centre des transformations métropolitaines9. Celuici limitait le choix du consommateur tout en rationalisant les moyens de productions et les façons de consommer. Un cadre qui bornait le tout. Cet engrenage avait généré un véritable boom économique. C’est finalement vers le milieu des années 60 que ce mode de fonctionnement s’essouffle. On ne sent plus les principes fordistes capables de dépasser un certain niveau de croissance économique. En réponse à cette crise, une restructuration postfordiste s’engage10. Plutôt que de continuer à suivre des idées rationnelles (obligations familiales, société de masse avec laquelle on doit s’accorder…) les gens commencent à chercher de nouvelles façons de vivre orientées autour de la consommation, dans le but d’assouvir leurs désirs. On entre, à ce moment-là, dans une « conquête du cool »11 telle que la qualifie Thomas Frank. Une nouvelle culture consumériste voit le jour : le « hip consumerism » rejetant toute forme de conformité et utilisant le style et la tendance comme moyens de rébellion. Au moment où cette culture touche, à des degrés divers, l’Europe, un mouvement italien12 d’architecture radicale « Architectura Radicale », berceau des Archizoom, ne manque pas la transition et émerge de ce contexte. Influencé 9. VARNELIS (Kazys), Programming after programm : Archizoom’s No-Stop City, Praxis: Journal of Writing and Building, Issue 8: Re:Programming, 18 Mai 2006, pp. 82-90 10. HARVEY (David), From Fordism to Flexible Accumulation dans The condition of Postmodernity. An enquiry into the origins of cultural change, Cambridge, Mass.: Basil Blackwell, 1989, pp. 141-172 11. FRANK (Thomas), The conquest of cool. Business Culture, Counterculture, and the Rise of Hip Consumerism, University of Chicago press, Chicago, 1997, 298 p. 12. L’industrie italienne n’avait jamais vraiment totalement adopté le Fordisme. Le discours post-fordiste correspondait plus à la réalité immédiate du système italien. De plus, les jeunes architectes italiens étaient en quête de travail dans une branche où le chômage se faisait ressentir. L’Italie était un terrain propice à l’apparition de tels mouvements radicaux. Cf. JACKSON (Lesley), The sixties, Decade of Design Revolution, Phaidon, Londres, 1998, pp. 157-161


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par le « hip consumérisme » et la culture postfordiste, il inaugure une longue période de doutes en ébranlant les certitudes et l’optimisme de la modernité classique. L’architecture est au centre des variations et voit cette contreculture apparaître en son sein (constructions alternatives/ environnementales, mouvements hippies, futurisme, radicaux…). La foi dans le progrès technologique ne résonne plus comme avant. En 1969, l’historien d’architecture Manfredo Tafuri met le plan architectural face à ses propres contradictions. « L’architecture comme idéologie du plan est dépassée par la réalité du plan, dès lors que celui-ci quitte le niveau de l’utopie pour devenir un mécanisme opératoire efficace »13. Selon lui, l’architecte doit se résigner. Il ne peut générer des changements sociétaux par l’architecture. Le capital industriel dépasse l’idéologie architecturale. Cette idée de « dépassement » servira de base à la No-Stop City des Archizoom. Le propos de Tafuri est-il encore d’actualité ? Sommes-nous toujours dans cette même condition ? Pourrat-on s’en détacher ? L’architecture est-elle désormais vouée à n’être que l’ombre du capital et des fluctuations sociétales ? Jusqu’à aujourd’hui, le résultat de cette période de troubles est souvent considéré comme unitaire (on parle d’un mouvement « Architectura Radicale »). Pourtant, il n’est pas uniforme mais constitué de différents courants de pensées et sources d’inspiration. La logique voudrait que l’on parle de « plusieurs » mouvements radicaux avec des approches distinctes (Superstudio, UFO, Archizoom, Haus-Rucker Co…) même si leur substance fondamentale semble être identique. Il s’agit d’ « une réalité composée 13. TAFURI (Manfredo), La crise de l’utopie : Le Corbusier à Alger (partie 1), Chapitre extrait de Projet et Utopie, Architecture et développement capitaliste, Editions Laterza, 1973, url : http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel. blogspot.fr/2012/01/m-tafuri-la-crise-de-lutopie-le.html


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de différentes tendances qui, dans le temps, ont suscité des résultats complètement différents »14. Ces diverses approches entrent en collision, s’influencent et/ou s’interpénètrent15. Bien qu’il y ait une grande variété de manifestations, toutes sont attirées par l’expérimentation des craquèlements de la culture du projet. On cherche à s’émanciper de la culture des modernes et non à en construire une autre. La laïcité16 devient le maître mot. On se recentre sur le réel. L’obstination à vouloir réaliser la ville idéale disparait. Pour Friedrich Engels, théoricien et philosophe socialiste allemand du XIXème siècle, il s’agit de prendre possession de la ville actuelle, de démystifier les logiques mises en place dans la ville de son temps dont il critique le caractère bourgeois (ville bourgeoise…)17. Les Archizoom, avec leur « No-Stop City », se situent dans ce contexte. Ils ont accepté et intégré les logiques de production et de consommation à leur travail, de façon à les démystifier et d’en faire leur propre critique18. Se profile alors l’importance accordée à la tendance et à la nécessité de s’inscrire dans la temporalité de l’instant présent. NoStop City vit avec son temps (ou du moins partiellement, nous y reviendrons). Elle se doit, pour être percutante, 14. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 135, 187 p. 15. Il ne faut pas oublier que la dénomination « Archizoom » est à la base inventée pour imiter phonétiquement un des groupes phares de l’avant garde des années 60 : Archigram. Le suffixe « Gram » devenant le suffixe « Zoom » pour exprimer un « bond » selon le registre de langue des bandes dessinées. Archizoom s’attribut ainsi des allures de parodie d’Archigram. 16. « Laïcité » étant ici synonyme d’ « émancipation » (qui était un des slogans de l’époque) c’est à dire exempté de ses connotations politiques fortes (neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions). 17. ENGELS (Friedrich), La question du logement, Les Éditions sociales, Paris, 1969, 130 p. Les mouvements radicaux conserveront, en partie dans leurs propos, la méthode et le cap politique des pères du Marxisme, Friedrich Engels et Karl Marx (XIXème siècle). 18. BRANZI (Andrea), The Hot House : italian new wave design, Cambridge, Mass.: MIT Press, 1984, 156 p.


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de composer avec les valeurs et les produits de son époque. Ainsi, l’utilisation du mot « image », au sens de « représentation », pour définir ce qu’est la No-Stop City, est légitime. En effet, elle est une construction sociale qui entretient un rapport étroit avec la réalité immédiate du système existant. Les Archizoom aspirent à l’élaboration d’un projet de recherche (comparable dans la mise en forme à ceux de OMA/AMO actuellement) avec l’architecture comme objet d’investigation, contrairement à Superstudio, par exemple, qui utilise les outils architecturaux comme mode opératoire critique19. Malgré cette divergence, tous deux rejoignent une idée phare de l’architecture radicale : considérer la pratique architecturale comme un champ de visions étendu qui dépasse la simple création d’édifices20. Hal Foster, critique d’art et historien américain, identifie un élan commun à cette période : l’idée de renouer avec une pratique perdue dans le but de se déconnecter d’un présent oppressant qui ne fait désormais plus sens21. Une analogie entre le contexte psychologique actuel que nous traversons et le dessein de cette époque-là est possible. No-Stop City pourrait-elle alors être le circuit apte à relier ces deux temporalités ? No-Stop City prend sa source dans des directions variées. Elle pousse la modernité dans ses derniers retranchements, rejette les solutions techniques (plug-ins, architecture modulaire…) et tisse une relation particulière, entre rejet et acceptation, avec le « hip consumérisme ». Ceci révèle la complexité de ce projet théorique et le champ étendu 19. LANG (Peter), Suicidal Desires, in Lang and Menking, Superstudio. Life without objects, Skira, Milan, 2003, pp. 44-48 20. VARNELIS (Kazys), Programming after programm : Archizoom’s NoStop City, Praxis: Journal of Writing and Building, Issue 8: Re:Programming, 18 Mai 2006, pp. 82-90 21. FOSTER (Hal), What’s Neo about the Neo-Avant Garde ?, Vol. 70, The Duchamp Effect, MIT Press, Automne 1994, pp. 7, pp. 5-32


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qu’il balaye. Serait-il le résultat d’une volonté totalisante de la part des Archizoom, lié à un désir d’avoir la main mise sur un large éventail de disciplines et d’influences culturelles ? Ou bien, est-ce que, toujours dans cette idée de « magma chaotique », No-Stop City jaillirait du choc entre tous ces courants ? Aussi violent l’impact soit-il et même si No-Stop City ne peut pas être compris comme un projet linéaire, elle ne rompt pas avec son passé et son présent, bien au contraire. No-Stop City s’inscrit dans la continuité (et l’exagération critique) des recherches entreprises par des urbanistes tels que Ildefons Cerda au XIX ème siècle et Ludwig Hilberseimer dans la première moitié du XXème siècle22. Plutôt que de planifier la ville par la signification symbolique de figures architecturales, Cerda établit l’extension de Barcelone en se focalisant sur un management biopolitique23 de la ville à travers des mesures comme un contrôle démographique, des infrastructures et du zoning. Cette stratégie généra une ville non figurative avec une forme réduite à une grille isotrope articulant les services de distribution. Pour Cerda, la ville était « urbanisme »24, 22. Nous parlons en particulier de ces deux architectes/urbanistes car ils sont dans la même logique que les Archizoom. C’est à dire qu’ils ont théorisé l’urbanisation comme le devenir absolu et inexorable de la ville contemporaine. Ils évoquent tous deux d’une infrastructure qui homogénéise le territoire par son projet (à caractère isotropique). L’urbanisation constitue « les processus de concentration de la population et des activités dans les agglomérations de caractère urbain ». Cf. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 1048-1049, 1127 p. 23. Biopolitique selon la définition de FOUCAULT (Michel) c’est à dire une forme d’exercice du pouvoir qui se définit par rapport aux phénomènes propres à un ensemble de vivants constitués en population. Cf. FOUCAULT (Michel), Naissance de la biopolitique, résumé du cours au Collège de France In Annuaire du Collège de France, 79e année, Histoire des systèmes de pensée, année 1978-1979; Dit et écrits. Vol. III. Gallimard, Paris,1979, 355 p. 24. Cerda donnera naissance à ce terme dans son ouvrage Théories générales de l’urbanisation dont la première vaste application sera le « Plan Cerda » pour Barcelone en 1859.


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un potentiel infini de croissance à travers les moyens de production et de reproduction. La planification urbaine s’infiltra petit à petit dans l’intégralité de la réalité sociale atteignant également l’acte politique. Les écrits et dessins de Hilberseimer donnent une interprétation de l’urbanisme encore plus radicale. Pour lui, les effets du capitalisme sur l’organisation de la ville ne peuvent être réformés qu’en assumant, comme principe d’urbanisme, les conditions culturelles les plus extrêmes du capitalisme que sont les caractéristiques génériques et contextuelles de l’urbain. Il exprime ces conditions dans des plans d’urbanisation (« Vertical City » en 1927 par exemple) se définissant par une forme architecturale sur le point de disparaître, faite d’éléments génériques et reproductibles. La No-Stop City des Archizoom absorbe cet héritage, puis le pousse encore plus loin, en passant par l’amélioration des conditions de travail, pour proposer un modèle dans lequel la classe ouvrière pourraient s’approprier la condition urbaine en soi et pour soi. Les habitants de No-Stop City seraient en mesure de faire face à la réformation de l’environnement urbain, ainsi qu’à la translation imminente d’une architecture régie par les formes rhétoriques du socialisme humaniste vers une architecture comme trame et support politique de vie. Dès lors, on se rend compte que le propos des Archizoom n’est pas exempt d’une certaine volonté politisante. Il est important de considérer aussi No-Stop City comme un manifeste contenant des opinions écrites franches et virulentes, et dont les images, au sens visuel, en sont également l’expression graphique, ou, du moins, le sont partiellement, nous y reviendrons. No-Stop City explicite son activisme politique aux allures marxistes. Nombre de ses traits, comme par exemple son


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idée d’utopie quantitative que nous verrons par la suite, sont l’application de tendances politiques radicales. Un des buts de No-Stop city est de constituer un langage architectural « non figuratif », s’écartant des modèles d’architectures visionnaires que condamnaient les figures influentes du marxisme italien telles que Mario Tronti, Manfredo Tafuri ou Massimo Cacciari. Une influence importante dans le projet des Archizoom a été l’ « Operaismo »25, une tendance de la « nouvelle gauche » italienne avec pour idéologue principal Mario Tronti. Pour l’ « Operaismo », la force de travail est l’absolue contradiction du capital : le travailleur occupe la centralité économique en rendant son labeur indispensable pour le système capitaliste dont la logique est de générer de la plus-value, plutôt que de transformer le système en sa faveur. L’ampleur de la tâche que l’on doit se fixer n’est pas de résoudre les contradictions du système capitaliste mais de les utiliser pour le contrôler. Mario Tronti compare la société à une usine. Pour lui, la libération du système doit se réaliser en son cœur de façon à en prendre possession, et non pas à l’extérieur avec des logiques qui seraient destructrices. La concavité de No-Stop City peut être lue comme une abstraction du principe opéraïste : le « contre par l’intérieur »26. Ainsi, si la subversion contre le système doit venir de l’intérieur, la subversion contre la ville doit aussi venir du même endroit. Cette façon d’agir dont se sont inspirés les Archizoom semble applicable dans notre « ville » actuelle. No-Stop City cherche à développer un urbanisme marxiste 25. AURELI (Pier Vittorio), The project of autonomy : Politics and architecture within and against capitalism, Princeton Architectural Press : New-York, 2008, 80 p. 26. CAPDEVILLA (Pablo Martinez), The Interior City. Infinity and Concavity in the No-Stop City (1970-1971), Cuadernos de Proyectos Arquitectónicos, 2013, pp. 130-132, url : http://polired.upm.es/index.php/proyectos_ arquitectonicos/article/view/2018


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intelligent d’où pourrait naître une cohésion entre l’espace sociétal et l’espace de production. Les titres de leurs publications parlent d’eux-mêmes, par exemple : « Ville, chaîne de montage du social »27. Pour appuyer cela, les Archizoom excluent le monde agricole de leur critique marxiste28 car ils n’envisagent pas d’alternatives extérieures à la ville usine, produit du capital. Au niveau de sa mise en forme, No-Stop City pioche, entre autres, dans des formes expressives extrêmes que les Archizoom arpentent à travers les désillusions du mouvement moderne. Ils explorent les objets impurs, vulgaires et banals de la vie quotidienne, rappelant ainsi par certains aspects l’Arte Povera. Ils s’approprient ces objets à la manière du « ready made » de Duchamp, c’est à dire en les privant de leur fonction première pour leur donner un autre sens. Puis ils les refaçonnent en circuit susceptibles de mettre en crise les critères conventionnels du projet29. « Nous réévaluons la stupidité et la vulgarité intentionnelles en tant que langage artistique unique étranger au mythe de l’intelligence et de l’élégance capitalistes. Dans ce système violent et mystificateur, nous ne croyons pas au pacifisme mais à la trahison quotidienne, au mensonge effréné : nous voulons systématiquement trahir la culture (…) »30. Tout ceci, bien sûr, dans un environnement architectural « non figuratif ». Pop art et Idoles populaires deviennent ainsi des références 27. Revue « Casabella » n 350-351 Juillet-Août 1970 28. Il est important de préciser que le Marxisme sous-jacent du propos des Archizoom leur vaudra bon nombre de critiques. Beaucoup ont considéré que ces derniers ne sont pas « allez jusqu’au bout » de l’utopie marxiste et sont devenues des « ouvriers de la forme . 29. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p. 30. ARCHIZOOM, note manuscrite, (s.d.), avec l’annotation « exposition Modène », Archives Deganello, Milan, 1967. Cf. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p.


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importantes du travail des Archizoom. Leur extrémisation fabrique un « kitsch efficace » qui bouscule et génère un faux luxe critique à l’égard de la « vraie » matérialité prônée par les modernes. Les Archizoom s’attachent à la production de masse, à ses matériaux synthétiques et économiques. Ceci pourrait paraître contradictoire avec les idées marxistes que le groupe prône. No-Stop City se targuerait-elle donc de dépasser les conflits doctrinaux et d’allier communisme et consumérisme ? Pour les Archizoom, la culture pop transforme le quotidien en un art accessible à tous devenant, en un sens, nonélitiste31. On peut aussi y voir un rejet, ou du moins une réadaptation des mutations postfordistes. Andrea Branzi, membre d’Archizoom Associati, attestera d’ailleurs son désir de remettre à jour, dans l’espace de la No-Stop City, tout ce qui a été qualifié de « banalité forcée » et de « vulgarité intentionnelle »32 par le « hip consumérisme ». Cette tendance nivelle la réalité et dissout les catégories culturelles. On est dans une pensée horizontale et dans une société libérée des hiérarchies sociales qui s’accorde donc avec l’héritage marxiste. Elle s’en détache cependant ponctuellement quand elle affirme l’importance de la consommation comme génératrice de forme urbaine, là où le marxisme n’y voit qu’une donnée secondaire. Cette homogénéisation du réel sera retrouvée dans la proposition No-Stop City; ville affranchie de sa « skyline » (fig. 2) et sans centralités ni périphéries. Il est nécessaire d’ajouter que le recueil No-Stop City est moins revendicateur 31. CAPDEVILLA (Pablo Martinez), The Interior City. Infinity and Concavity in the No-Stop City (1970-1971), Cuadernos de Proyectos Arquitectónicos, 2013, pp. 130-132, url : http://polired.upm.es/index.php/proyectos_ arquitectonicos/article/view/2018 32. BRANZI (Andrea), The Hot House : Italian New wave Design, Cambridge, Mass.: MIT Press 1984, pp.54, 156 p.


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2.

2. No-Stop City Perspective linéaire à un point de fuite Archizoom Associati, 1970


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d’influences Pop que ne l’étaient les premiers travaux des Archizoom33. Toutefois, lorsque l’on s’intéresse en détail aux images intérieures et aux ambiances qu’ils proposent, on ressent l’omniprésence de cette esthétique sur-jacente qui enveloppe leur propos. Finalement, la recherche des Archizoom sur l’image de l’objet d’usage et du mobilier évoluera de l’esthétique Pop, presque sérigraphique, vers une construction allégorique toujours plus forte. Nourrie de références culturelles et de figures disparates, elle ira jusqu’à s’aventurer vers des formes éclectiques qui intègrent le goût courant des masses34. Ceci passera par leur lecture passionnée de « l’essai sur l’architecture » d’Etienne Louis Boullée35. Les projets de papier, comme le « Cénotaphe de Newton », du même auteur, sont des exemples de projets pouvant être appréhendés comme des icônes pour la société de consommation. Les Archizoom décèleront de ces formes un monde des possibles qui, par sa combinaison avec leurs autres champs d’investigation, renforcera toute la radicalité de leur objet théorique. Aldo Rossi, architecte italien et figure emblématique de la Tendenza36, qualifiait la démarche de Boullée de : « rationalisme exalté ». Dans No-Stop City, il y a une nécessité similaire de dépasser le fonctionnalisme pour atteindre des instances narratives et poétiques.

33. Les « Dream Beds » et les « Gazebos » (1967) par exemple. No-Stop City englobant l’intégralité de leur travail théorique mais ayant une certaine « processualité logique », tous leurs travaux n’y figurent donc pas. 34. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p. 35. Traduction parue en Italie sous la direction de Aldo Rossi en 1967. 36. Mouvements d’idées que nous ne développerons pas ici mais qui s’organise notamment autour d’une critique des valeurs que les adeptes de l’abstraction prônent.


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No-stop city n’est pas un geste rapide mais le résultat d’une longue incubation. Elle est une base à partir de laquelle on cherche à élargir notre champ de vision pour manipuler d’autres sujets (politiques, culturels, sociaux…). Il ne s’agit pas d’un projet unitaire avec des frontières déterminées. Ce sont plutôt différentes cristallisations d’une idée à ses nombreux stades de développement. No-Stop City s’est développée par étapes à la suite d’expositions, de publications dans diverses revues37, de presse, de participations à des concours… Elle est le réceptacle mis en recueil de la production magmatique des Archizoom. Différentes inspirations et références lui ont permis d’arriver à maturation et d’avoir son aspect « composite ». On voit dès lors, par ce décorticage temporel, la difficulté que va être de concevoir une mise à jour, No-stop City découlant d’un contexte bien précis mais de multiples influences. Elle puise de la matière conceptuelle dans toutes sortes de ramifications afin de se constituer en tant que système. Serait-elle donc en perpétuelle évolution car étant dans une logique de continuité plurivoque ? Il est indispensable de prendre en compte la pluralité d’approches dans cette même dénomination qu’est la « No-stop City » afin d’en saisir les variations et certaines libertés d’interprétation qu’elle offre malgré la fermeté de son propos38.

37. La publication de mars 1971 dans le magazine « domus » ainsi que la participation active des archizoom dans la revue de Mendini « Casabella » marqueront sa précision théorique (dénomination, grilles de lecture, codes, etc.). 38. CAPDEVILLA (Pablo Martinez), The Interior City. Infinity and Concavity in the No-Stop City (1970-1971), Cuadernos de Proyectos Arquitectónicos, 2013, pp. 130-132, url : http://polired.upm.es/index.php/proyectos_ arquitectonicos/article/view/2018


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No-Stop L’inscription spatio-temporelle de No-Stop City déroute. Sa dénomination pluri-sensorielle excite la curiosité. En anglais, « No-Stop » signifie « qui ne s’arrête pas ». Ce serait donc une ville qui s’étirerait à l’infini aussi bien spatialement que temporellement. Une ville dont toutes les activités (flux, mouvements, travail…) n’auraient ni début ni fin. Ce fonctionnement permanent s’inscrirait dans un espace illimité. Comment l’ont-ils figuré39 ? Le recours à l’appellation « No-Stop » ne serait-il pas en contradiction avec l’intention implicite de vouloir figer l’infini40 sur un support ? La représentation, selon sa conception référentialiste et/ ou objectiviste41, de l’infinitude, entendue comme qualité de ce qui est infini, n’est sûrement pas la finalité du travail des Archizoom. C’est plutôt une façon de répondre à une situation projectuelle particulière. Un projet doit se réaliser en un temps donné, dans une parcelle localisée, et selon un cadre architectural précis, lui-même englobé à l’époque dans un contexte de tensions et de mutations. Aujourd’hui, cette situation a tendance à se confirmer, voire même à s’accentuer. Quel visage prend alors No-Stop City en réponse à cet état ? De quelles données spécifiques émerge-t-elle ? Examiner la masse fertile qui forge No-Stop City à ses premiers balbutiements semble alors pertinent dans la perspective d’une future adaptation de leur réflexion. 39. « Figurer » dans son sens premier, c’est à dire donner une forme à quelque chose; la rendre perceptible. Cf. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 40. « Infini » suivant la définition suivante : « Qui n’a pas de borne, soit en ce sens qu’il est actuellement plus grand que toute quantité donnée de même nature (infini actuel), soit en ce sens qu’il peut devenir tel (infini potentiel) ». Cf. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www. cnrtl.fr/ 41. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, 1127 p.


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Quelles intentions animent les Archizoom ? Quelle envergure prend la marque « No-Stop » dans leur processus ? Quels éléments gravitent autour d’elle ? Pour eux, l’architecture doit avoir un nouveau but. Ils souhaitent dépasser les articulations traditionnelles du projet : programmer, construire, meubler. La loi du « bon projet » n’existe pas. Les limites du modernisme sont transgressables et conduisent vers des directions incertaines qu’ils souhaitent emprunter42. Malgré son qualificatif plus ou moins insondable, No-Stop City n’a ni la prétention, ni la volonté de définir le cadre cohérent d’une ville future. Elle veut créer, selon le dessein des Archizoom, « les présupposés d’un nouveau type de connaissance des phénomènes contemporains »43. Elle se veut annonciatrice de la destinée d’un développement capitaliste ayant atteint la forme extrême et définitive de la ville-usine. La lecture de « l’architecture de la ville » de Aldo Rossi leur a permis de cerner les systèmes urbains traditionnels et leur logique. Ils peuvent alors les supprimer et atteindre ainsi la ville contemporaine absolue. No-Stop City veut aussi faire le constat d’un globe désormais entièrement urbanisé. Tout, y compris les régions les plus reculées, est désormais affecté par la société de consommation et par la pollution capitaliste. La ville cesse progressivement d’être un lieu. Elle devient une condition visuelle omniprésente44. Ainsi, No-Stop City met en avant un territoire organisé en intériorités 42. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, 187 p. 43. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, pp. 169, 344 p. 44. CAPDEVILLA (Pablo Martinez), The Interior City. Infinity and Concavity in the No-Stop City (1970-1971), Cuadernos de Proyectos Arquitectónicos, 2013, pp. 130-132, url : http://polired.upm.es/index.php/proyectos_ arquitectonicos/article/view/2018


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sur une étendue incommensurable. Avec pour effet une ville « d’intérieurs » contrairement à la « Hochhaustadt » de Hilberseimer qui se concentre plus sur les extérieurs. Toutefois, lorsque des extérieurs sont représentés, ils le sont toujours succinctement, dans le but d’insister sur leur caractère arbitraire45. Son processus de définition a pour ambition d’obtenir le degré zéro de la forme urbaine. Pour cela, les Archizoom substituent au maillage des rues et des îlots un plan continu et indéfini, comme un « champ neutre », pour ensuite imaginer les formes de vie rendues possibles par ce plan46. Les structures bâties y sont dissoutes dans leurs éléments constitutifs : colonne, ascenseur, mur, etc. La ville y est un système artificiel d’éclairage aux intérieurs à air conditionné. Les différences entre l’intérieur et l’extérieur, la campagne et la ville, la production et la consommation, sont gommées grâce cette surface neutre totale. Cet espace s’étale dans toutes les directions sur une grille représentant le plus générique des ordres possible. Comme nous l’avons vu précédemment, NoStop City s’est construite par appropriation et par déformation d’un certain nombre de références. Le plan continu Archizoomien, élément majeur de NoStop City, ne déroge pas à cette règle. On y retrouve des caractéristiques héritées du plan libre de Mies Van der Rohe, de la destruction des limites conventionnelles de l’architecture expérimentée par Archigram et Banham, de la dissolution de l’objet architectural de Tafuri, de la plastique du monument continu de Superstudio. No-Stop City s’est réalisée en terme d’ambiance, 45. VARNELIS (Kazys), Programming after programm : Archizoom’s NoStop City, Praxis: Journal of Writing and Building, Issue 8: Re:Programming, 18 Mai 2006, pp. 82-90 46. id.


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d’opération, de substance et de reproductibilité grâce à la répétition de conditions : l’éclairage, la communication, l’air conditionné et le transport mécanisé. Ces copies rappellent les œuvres d’art en série, sans centre ni limites de Andy Warhol, chef de file du mouvement Pop Art. NoStop City se veut être une réponse hyperréaliste. La ville doit correspondre à ce qu’elle est47. Elle formalise les conditions qui « font la ville » influencées partiellement par une tendance postfordiste à l’individualisme généralisé. Ce n’est ni une proposition pour une « nouvelle ville », ni une transformation utopique. C’est plutôt la représentation et la conceptualisation de la métropole capitaliste existante, dans laquelle les logiques de production n’étaient plus sectorisées et proliféraient à l’infini. Dans ce scénario, la forme iconoclaste de No-Stop City peut être comprise comme le « memento mori »48 sans merci des spécificités qui font l’architecture, telles que la formalisation et la production de différences. Plutôt que d’expliquer l’instrumentalisation de la ville avec des gestes formels futiles, No-Stop City se consacre à l’exposition radicale des prémices de la modernité, c’est à dire au projet d’une ville générique dans laquelle « vivre » se réduit à des mécanismes biopolitiques49 de production et de reproduction. « No-Stop » commence à prendre tout son sens. Les Archizoom ont ambitionné de transcrire toutes ces interrogations et ces substances de projet en images, au sens visuel du terme (nous reviendrons ultérieurement 47. DOGMA, 11 projects, catalogue of AA publications, MM Artbook, Londres, 2013, 120 p. 48. Locution latine signifiant : « Image mortuaire destinée à rappeler le souvenir d’une personne décédée et qui porte la mention ». En l’occurence, ce qui faisait l’architecture est « mort ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 49. Biopolitique toujours selon la définition de FOUCAULT (Michel) vue précédemment.


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sur l’intérêt et les limites de cette transcription). NoStop City établit une frontière perméable entre le monde de la production picturale et celui des intuitions, des idées. L’écriture graphique employée par les Archizoom à leur débuts rappellent les schémas graphiques de Bruno Munari, mais aussi le projet Disappearing City de Frank Lloyd Wright, ou encore les cartes géographiques dessinées essentiellement avec des signes de ponctuations et typographiques50. En effet, après quelques premières ébauches, les Archizoom décident d’insérer l’ordinateur à leur pratique, ce qui introduira un degré décisif d’abstraction dans le dessin. Ils cherchent à mettre en place un procédé graphique permettant de « donner vie » à leur plan continu et homogène, fondement de No-Stop City. C’est finalement avec la Machine à écrire qu’ils élaboreront leurs premiers plans sur des feuilles de petit format. L’emploi de ce médium n’est pas novateur car il fut déjà utilisé dans de nombreuses représentations scientifiques ou expressions artistiques. Par exemple, lors de balayages photoélectriques pour des relevés aériens et satellites, ou encore dans les poésies concrètes de Pierre et Ilse Garnier (fig. 3), où des paysages figuratifs jaillissent d’une feuille remplie par une composition de lettres. Les Archizoom réutilisent donc une technique de l’Homme Moderne pour rendre une abstraction de leur propos. Cette transcription ne demeura-t-elle pas uniquement partielle ? C’est peutêtre là une limite notable dans leur travail sur laquelle nous nous interrogerons ultérieurement. Cependant, il est intéressant de noter, qu’ils s’approprient la technique d’un système en vue de le détourner. Ils se placent donc dans une continuité logique et pourtant réussissent à nous dérouter en le remaniant intelligemment. 50. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p.


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3.

3. Pikbou poème extrait du recueil Ozieux Pierre Garnier, 1966


43

4.

4. Diagramme d’Habitabilité Homogène Hypothèse d’un langage non-figuratif Archizoom Associati, 1969


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Les Archizoom joueront en permanence sur cet effet de surprise. Il s’agit là d’une démarche peu commune dans les années 1970. Les premiers dessins de No-Stop City sont donc constitués entièrement de lettres imprimées, de ponctuation et de signes typographiques. Les Archizoom ne tarderont pas à leurs donner le titre de « Diagramme d’Habitabilité Homogène. Hypothèse d’un langage non Figuratif »51 (fig. 4). Concrètement, ils s’organisent selon une trame de points de module carré qui dessine une « maille dimensionnelle ». Des systèmes verticaux de distribution et d’installation, disposés à intervalles réguliers et représentés sous la forme de X avec des traits rectilignes, définissent une autre trame de « structure à montant ». Elle comprend neuf des précédents modules. Ces diagrammes indiquent le schéma structurel et de répartition de No-Stop City. Les Archizoom y effacent, à la façon d’un ordinateur avec la commande delete, les figurations architecturales. Ils préfigurent un système homogène, infini par la répétition des ascenseurs et de leurs frontières intangibles. La mise en place d’une grille régulière de circulations verticales, théoriquement infinie, peut se faire librement selon de nouveaux groupements sociaux52. Tout cela sans pour autant générer une structure urbaine à plusieurs plans jaillissant du paysage à la manière des Superstudio et de leur monument continu, les niveaux de NoStop City se développant essentiellement en sous-sol. 51. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, pp. 169, 344 p. 52. BRANZI (Andrea), The Hot House : italian new wave design, Cambridge, Mass.: MIT Press, 1984, pp. 70, 156 p.


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Le titre « Diagramme d’Habitabilité Homogène. Hypothèse d’un langage non Figuratif » est, de par sa sémiologie délicate, complexe. Le mot « Diagramme » a valeur de représentation schématique du plan. On est dans la suggestion et à la fois face à un certain cadre rigide. « Habitabilité » donne des indications quant à la fonction du diagramme. Tandis que « Homogène » vaut pour la répétition identique des structures, tout en accordant une dimension politique marxisante53 aux dessins. Ce diagramme est l’expression d’un habitat rendu possible par les récentes technologies, sans aucune hiérarchie sociale, véritable reflet des thèses marxistes contemporaines sur la diffusion de la forme d’habitation prolétaire. On est donc aussi dans une forme de généralisation de la ville ouvrière. Le sous-titre : « Hypothèse d’un langage non-figuratif »54 fait part de l’intérêt qu’ont les Archizoom pour une remise à zéro des processus créatifs conventionnels (notamment par l’utilisation de matériaux industriels dans leurs œuvres). Ils sont dans l’expérimentation d’un processus de soustraction et d’assainissement graphique. Gilberto Corretti, membre d’Archizoom Associati, note : « une situation homogène est une situation aussi isotrope que celle scandée par une maille rationnelle. La maille cesse d’exister »55.

53. Les architectes d’orientation marxiste parlaient à l’époque de « l’homogénéisation sociale métropolitaine » et donc de la « progressive élimination de l’individualité résidentielle » par ce fait là. Cf. MAGNAGHI (Alberto) 54. On pourra faire une analogie entre la notion de « non figurativité » et le domaine cybernétique. L’ordinateur va être un des moyens de prédilections d’Archizoom car tendant justement vers ce degrés d’abstraction qu’ils recherchent. Cf. SHANKEN (Edward A.), Cybernetics and Art: Cultural Convergence in the 1960s, Ed. From Energy to Information,Palo Alto: Stanford University Press, 2002, pp. 155-177, url: http://www.responsivelandscapes. com/readings/CyberneticsArtCultConv.pdf 55. CORRETTI (Gilberto), Carnet, Archives Corretti Florence, 17 juillet 1970, issu de GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, pp. 172, 344 p.


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Les diagrammes sont dans un mécanisme à priori infini. Les Archizoom ne donnent aucune information sur leurs limites et sur leur localisation. Ils contrebalancent, par ce flou et par la recherche d’une abstraction, l’aspect extrêmement rigide de leurs images. Là encore, la situation est paradoxale. Ils reprennent les codes graphiques liés aux plans classiques et nous renvoient, ainsi à un registre familier pour une certaine catégorie professionnelle, avec son interprétation qui lui est propre. On est donc à nouveau dans une utilisation très rationnelle d’une technique existante à des fins beaucoup plus allégoriques et incertaines. No-Stop City se positionne ainsi sur une bordure impalpable, entre dispositifs hyperrationalisants et concepts purs. Finalement, l’apparition d’une forme de création libre et intarissable ne serait-elle pas due à cette « surrationalisation graphique » ? Toutefois, il faut admettre que ces diagrammes sont critiques face au caractère spectaculaire des « solutions technologiques » influençant l’avant-garde du XXème siècle, et notamment vis à vis des pensées structuralistes, telles que celle d’Archigram ou des métabolites japonais. La technique employée ici est minimaliste et quantitative. Les principes d’extension sans limite de la ville s’observent donc dès les premières images de No-Stop City sous la forme de ces diagrammes. Ils ont pour ambition de traduire visuellement le processus d’urbanisation isotrope, mais aussi l’idée du « Grand Village »56 décrite par McLuhan en 1964. Grand village qui symbolisait l’état du monde moderne, dénué de limites, développé sur la totalité du globe terrestre et existant grâce à toutes les technologies de pointe. Ces diagrammes inspireront la suite de l’écriture de 56. COUPLAND (Douglas), Marshall McLuhan, Trad.: PARE (Jean), Boréal, Paris, 2011, 246 p.


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No-Stop City et donneront lieu à un certain nombre d’autres types d’images et d’inventions. Comme nous l’avons défini au début, No-Stop City n’est pas uniquement spatialement continue. Son appellation évoque également une ville dont l’activité ne s’arrête pas. Ces deux aspects s’entretiennent mutuellement et assurent sa stabilité. Il est donc important de garder en mémoire que cette autre donnée conditionnera tout particulièrement son dessin. Du reste, elle s’accorde aux mêmes notions que le plan continu. Mais comment ce fonctionnement ininterrompu apparait-il en son sein ? Etudions par exemple les intérieurs que conçoivent les Archizoom, tout au long de l’élaboration de leur projet théorique. Ceux-ci sont gérés par ce qu’ils appellent les « Flexible Ceilings »57. Ce sont des systèmes artificiels d’éclairage et d’air conditionné intégrés dans les plafonds. Leur activité permanente permet ainsi de s’abstraire et de se détacher de l’environnement58. Une fois cette condition technique introduite, des parois amovibles y sont disposées. Elles créent une idée d’espace libre et flexible, adaptable à tout type d’événement : « l’open space », héritier direct du plan libre. No-Stop City est donc un « non projet » d’intérieurs développé par étapes59 sur un champ neutre. Tout y fonctionne en adéquation avec la structure diagrammatique mise en place au préalable. Archizoom se sert de la figure du design industriel, en évoquant l’idée de « marchandisation totale des produits et de la vie», pour imaginer des habitations 57. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, pp. 169, 344 p. 58. Les potentialités de ces systèmes sont déjà soulignées en 1969 par Reyner Banham. Cf. BANHAM (Reyner), The architecture of the Well-Tempered Environment, University of Chicago Press 2nd Revised edition, 1984, 320 p. 59. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006,187 p.


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flexibles, démontables, réutilisables, interchangeables et modifiables comme le seraient des armoires. Ces archétypes renvoient à un modèle « hyper-productif » cultivant le travail et la productivité devant toujours se surpasser. Il y a donc là, à la fois une volonté de critiquer la consommation, et une immense potentialité, car en détournant de leur fonctionnalité usuelle le capitalisme, le marché et les produits du quotidien, on les utilise comme outils de réflexion sur le présent immédiat. Les Archizoom spatialisent donc l’émergence, tout particulièrement dans la seconde moitié du XXème siècle, de cette société de la consommation et de la production dans No-stop city. Ainsi, leur ville, en plus d’être perçue comme un espace unique, continu et homogène, ressemble à un grand intérieur éclairé artificiellement, dont le fonctionnement est ininterrompu. La mise en image de cet état passe par l’installation de visionneuses. Ce sont des « boxes » à l’intérieur desquelles des miroirs démultiplient à l’infini des schémas figuratifs conçus sous forme de maquettes (fig. 5). Ce nouveau médium utilise la trois dimensions, il volumétrise l’espace. De plus, le fait de devoir passer sa tête à l’intérieur du dispositif pour avoir accès au projet, fait du spectateur un acteur au centre de la ville. Une impression d’intimité due à la présence d’un seul individu renforce ce sentiment d’appartenance à une expérience. No-Stop City se place entre l’aseptisation spatiale et la forme archétypale de la ville-usine. La limite architecturale est franchie. On est entre abstraction et figuration. Cependant, tout le système reste tenu par le qualificatif « No-Stop ». Même si les Archizoom évoquent un équilibre horizontal des valeurs au sein de leur projet, il y a donc une hiérarchisation des données dans No-Stop City. La donnée : « No-Stop » semble servir de base axiomatique et productive de la ville.


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5.

5. No-Stop City Maquette avec miroirs | Boxes Archizoom Associati, 1969


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Déclic ou résultat espéré ? La notion d’infinitude n’est ni l’un, ni l’autre. Elle est un outil d’investigation, une sorte de dénominateur commun qui se divisera en divers éléments, tous sous tension, et dont la combinaison constituera un tout. Toutes ces entités ainsi générées s’affineront au fur et à mesure de la croissance de No-Stop City par le biais de codes structurants (nous y reviendrons). Les Archizoom jonglent donc entre des figures précises et un propos qui s’articule autour de notions imperceptibles dans leur entièreté. Serait-ce là une limite de leur travail ? Pourtant, dès les prémices de No-Stop City, ils assument leur position. L’emploi délibéré d’un langage abstrait leur permet d’affirmer son caractère complexe et de transformer la rigidité de certains de leur dessins en potentialités d’interprétation. Mais surtout, il va être, de par sa tournure énigmatique, un véritable moteur de création. Il faut donc décrypter en profondeur l’attribut « No-Stop » pour espérer atteindre les concepts qui émergent et gravitent autour de No-Stop City. Un des intérêts de No-Stop City se trouve dans sa capacité à s’assembler et à se désassembler. Les Archizoom ont réussi à fusionner en une seule image60, celle de No-Stop City, un foisonnement d’interrogations et de critiques quant au devenir de l’urbain. L’image devient le projet et le projet devient image. Or, attribuer cette force à une seule image, même si elle est divisible, n’est-ce pas déjà lui donner des contours trop « utopiques » ? Jusqu’à quel degré cette notion a-t-elle donc été utilisée ?

60. « Image » comprise dans son sens plus large de construction sociale. Cf. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 530533, 1127 p.


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Utopie conditionnée Le mot utopie apparait avec Thomas Moore61, philosophe, juriste, historien et homme politique anglais du XVIème siècle. En 1516, il décrit la cité idéale en la qualifiant « d’utopia »62, néologisme grec οὐ- τοπος qui donnera naissance à la traduction française, plus tardive d’utopie, « topos » signifiant le lieu. Le préfixe placé devant cette racine reste ambigu et implique deux étymologies. La première : « ou » qui est en grec privatif, accorde au mot le sens d’un lieu qui n’existe pas. Mais, si l’on considère le préfixe n’est pas « ou » mais «eu» («vrai», «bon»), un second sens peut lui être associé. Avec « topos », il indique alors un lieu de bonheur. L’utopie est donc une idée, celle d’un endroit parfait qui combine les meilleures conditions possibles à la réalisation d’un idéal rêvé. Mais le mot « utopie » ne peut se concevoir que comme absence, comme ce qui n’est pas là, comme un vide sans contour. Thomas Moore parle d’une organisation sociale pensée dans ses moindres détails, mais « libre ». Raisonner en terme d’utopies revient à mettre en place un fonctionnement global capable de donner des contours matériels à cette société. La dimension collective matérialise l’utopie en l’englobant. La définition de l’utopie63 reste cependant à préciser. La découper en plusieurs sens est nécessaire pour percer toutes 61. Tandis que la notion apparait déjà sous le philosophe Platon dans la Grèce Antique. 62. MORE (Thomas), L’utopie ou Le traité de la meilleure forme de gouvernement, traduction de DELCOURT (Marie), présentation et notes de GOYARD-FABRE (Simone), Ed. GF Flammarion, Paris, janvier 1987, 244 p 63. Les utopies classiques, celles de la contemplation et de l’attente de la ville idéale (XVème siècle par exemple) dans une ferveur quasi religieuse ont changé de forme, influencées par le rationalisme newtonien. A mesure que le pouvoir du prince s’effritait une remise en cause progressive du modèle de ville concentrique apparaissait. L’utopie a changé pour tendre vers l’utopie activiste de l’après lumière. C’est à dire une utopie dynamique, catalyseur de transformations et d’évolutions sociétales. Ici nous nous cantonnerons à l’utopie activiste.


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les arcanes de ce concept. A la base, on attribue à l’utopie le fait d’inventer une société qui fonctionne comme une totalité, une entité en soi et pour soi. Puis, dans les années 1970, l’utopie est plutôt marquée par l’émancipation, par le désir de libération. Cette aspiration libertaire parle d’utopie naissant dans le rêve, dans l’interstice. Enfin, la notion d’utopie devient péjorative. Ce qu’on avait pensé comme une libération débouche finalement sur une situation totalitaire et/ou sur la chute d’un système. Là encore, on retrouve le premier sens de l’utopie, cette idée de totalité. Dès lors qu’elle arrive à son apogée ou qu’elle tend vers sa réalisation, le retour à la réalité immédiate la frappe de plein fouet. L’illusion qu’elle entretient attise et motive les esprits batailleurs et égocentriques jusqu’à leur paroxysme. Et lorsque s’éteint cet espoir, la déception est telle que ces obsessions s’emballent et/ou s’effondrent. L’utopie conditionne toute entreprise sérieuse64. Elle se situe entre grandeur et déclin car elle propose une vision monoculaire trop étroite dans le contexte d’une « optique normale ». Elle tient une place plus importante qu’il n’y paraît dans l’élaboration du projet. Si l’on considère l’image No-Stop City, au sens de construction sociale, elle est indivisible et forme un tout qui cherche à englober le nouvel espace urbain total qu’elle propose. En un sens, l’utopie influence le travail des Archizoom. Ils développent No-Stop City autour d’un phasage précis. Dans un premier temps, ils dessinent sciemment65 une utopie élaborée qui, au fil du temps, prend deux tournures. Son premier aspect est celui d’une « utopie libératrice » que l’on cherche ou que 64. ROWE (Colin), KOETTER (Fred), Collage City, traduction de HYLTON (Kenneth), Ed. Supplémentaires, Centre Georges Pompidou, Paris, octobre 1993, 271 p. 65. Dessin orchestré autour de données graphiques et référentielles vues précédemment dans Racines et branchements et No-Stop.


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l’on pense avoir atteint. S’en suit une « utopie totalitaire inquiétante » car elle est, par définition, « absente ». Conséquence : une amplification de son caractère totalisant au détriment de l’idyllique. Nous y reviendrons lors de l’évocation du projet négatif. L’utopie est donc une donnée évolutive que les Archizoom construisent dans le but d’en détourner, ultérieurement, la fonction à leurs fins. Pour eux, l’utopie a valeur de message et d’outil. Ne se sont-ils pas, malgré cela, un peu perdus dans ses tréfonds dangereux ? A ce jeu, ils sont en permanence sur le fil du rasoir, mais gardent l’équilibre. Nous cherchons à étudier ici leur détachement par rapport à la dimension sacrale de l’utopie66. Ils n’ont pas été obnubilés par sa réalisation à tout prix. Ils ont conservé une certaine humilité auto-protectrice. A quel remodelage préalable de l’utopie ont-ils eu recours pour cela ? Comment ont-ils atténué le lien avec elle sans le rompre ? N’a-t-elle pas pris le pas sur leur réflexion à certains moments ? Nous y reviendrons aussi quand nous parlerons de sa difficulté à être retranscrite. Les Archizoom cherchent, dans No-Stop City, à abolir les utopies qualitatives pour laisser place à la seule possible, celle de la quantité. Le conflit social ne se construit pas, d’après Andrea Branzi, membre d’Archizoom Associati, sur des oppositions de systèmes alternatifs, mais sur une négociation dialectique entre un développement équilibré du système et un coût croissant de la force de travail67. On doit donc se placer dans un jaugeage de quantités, un calibrage permanent dépassant complètement l’idéologie et la « qualité ». 66. Il y a dans l’utopie une dimension quasi-religieuse. Etant inaccessible, elle est de l’ordre de l’intangible, du mystique, du divin. Cet aspect là incite les gens à la « vénérer » et à « l’adorer ». 67. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, 187 p.


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A travers l’utilisation de l’utopie ainsi conçue, les Archizoom sont pessimistes. Pour eux, elle est le seul médium scientifique pour l’approche de la stratification indifférenciée de la production, et donc de la réalité. C’est pourquoi No-Stop City correspond alors à une ville sans qualités, à un organisme infini et étendu à l’horizontal. (cf. No-Stop). L’idée qui l’accompagne est celle d’une architecture, en son sein, inexpressive, fruit des logiques expansives du système et de son antagonisme de classe. L’architecture de No-Stop City se veut libératrice. Il n’y a plus de distinction entre extérieur et intérieur, elle n’existe donc plus en tant que médiatrice. Les zonings fonctionnels, ainsi que tous les autres standards, s’accumulent pour, finalement, se dissoudre dans l’espace neutre (cf. No-Stop). L’architecture devient libre d’elle même. Andrea Branzi affirme que « c’est au plus fort de l’intégration que se trouvait la plus grande liberté possible; les limites du système résidaient dans les nouvelles conditions de connaissance et de projet, le seuil zéro à partir duquel tout était possible (et imprévisible) »68. On comprend que par la suppression totale des « qualités », No-Stop City se veuille capable de mettre l’Homme face à son monde, à son environnement immédiat. Il y sera libre de laisser jaillir ses énergies créatrices, politiques et comportementales. Cette situation peut paraître paradoxale. C’est, de fait, au fond du gouffre que l’on trouve la lumière. Le visage de l’utopie que les Archizoom mettent en place est déroutant car il s’agit d’une utopie obtenue par soustraction. En dépit du fait qu’ils tendent vers un état, ils ne sont pas dans une recherche explicite du progrès. L’amélioration technologique 68. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 149, 187 p.


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doit être supprimée au profit de la quantité. Celle-ci sera suffisante pour créer une proposition déstabilisante69. Ainsi, en utilisant l’allure provocatrice de l’utopie, No-Stop City s’en écarte. Les Archizoom donnent une vision extrêmement réductrice du monde et, en même temps, pleine d’espoir car tellement aseptisée que tout y devient possible et envisageable. Il s’agit là d’un jeu sur l’utopie ambiguë. On crée une utopie mais on la déprogramme en la privant de ses valeurs qualitatives. Le système y est minimum mais il permet d’accueillir un maximum de fonctions vitales70. L’utopie serait alors totalisante mais pas totalitaire ? No-Stop City accepte les logiques du système. Elle ne recherche pas l’alternative mais le remodelage dans un but plus réaliste. Elle souhaite remettre la main sur ce que les autres utopies ont fait disparaître des consciences collectives : la considération spatiale et temporelle du présent. Nous l’avons vu, les aspirations utopiques peuvent fracturer la réalité immédiate en détournant les volontés humaines de résultats tangibles. Les Archizoom se battent donc contre une « fiction » à l’aide d’une « fiction » pour une « réalité ». L’utopie y est un défi de quantité et non plus un conflit de qualités. Elle met en évidence la définition ontologique de l’architecture. Quand on décrypte la mise en forme de l’utopie dans le travail des Archizoom, on se rend compte qu’elle se focalise autour de certains modèles. L’usine, la consommation et le supermarché sont les symboles de la configuration urbaine de No-Stop City. L’usine y est un système homogène 69. VARNELIS (Kazys), Programming after programm : Archizoom’s NoStop City, Praxis: Journal of Writing and Building, Issue 8: Re:Programming, 18 Mai 2006, pp. 82-90 70. CAPDEVILLA (Pablo Martinez), The Interior City. Infinity and Concavity in the No-Stop City (1970-1971), Cuadernos de Proyectos Arquitectónicos, 2013, pp. 130-132, url : http://polired.upm.es/index.php/proyectos_ arquitectonicos/article/view/2018


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de services et d’espaces. Le supermarché, lui, est le seul endroit où s’identifient le modèle de l’usine et de la consommation. Il sert de point de référence à l’utopie archizoomienne. Il est le modèle de la ville future et donc de la réalité toute entière, les deux étant catalysées par NoStop City. Sa configuration est privée d’image. C’est à dire dépouillée de toute représentation mentale produite par l’imagination, mais aussi de tout ce qui la qualifie comme « reflet d’une réalité concrète »71. Le supermarché est une structure utopique homogène avec une fonctionnalité intime sublimant la rationalité de la consommation72. Le but étant d’offrir le plus de liberté aux intentions de l’usager. L’utopie des Archizoom se serait donc également construite autour d’entités particulières (usine, consommation et supermarché). Ne voit-on pas là les contradictions d’une utilisation parcimonieuse de l’utopie ? La domination de ces structures que nous pouvons qualifier d’industrielles, sur l’urbain rappelle l’aspect autoritaire d’une utopie aveuglement suivie. Les Archizoom nuancent cela en affirmant que l’utopie qu’ils utilisent est seulement instrumentale. Elle se représente elle même, et non pas comme préfiguration d’un nouveau schéma, mais comme hypothèse critique73. En faisant référence à des archétypes, ils nous confrontent, nous autres spectateurs, à leur système. Les éléments réalistes que sont ces modèles du supermarché et de l’usine sont des points d’accroche dans la réalité immédiate du système. Autrement dit, notre intégration à No-Stop City serait un élément permettant aux Archizoom de se détacher de l’utopie fondamentale. En voulant nous y introduire, 71. Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 72. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, 187 p. 73. id.


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ils établiraient une distance nécessaire à leur propre émancipation et, du coup, à la nôtre. Les Archizoom conçoivent cette libération de l’architecture et des conditions qui font la ville, notamment par des images utopiques. Ils créent des séries de photomontages centrés sur la ville et le territoire (fig. 6 et 7) en réponse aux débats concernant les nouveaux problèmes d’urbanisme (cf. Manfredo Tafuri). Ces collages sur photos rappellent le « rationalisme exalté » de E. L. Boulée, et d’Aldo Rossi, mais aussi les structures surréalistes de Hans Hollein, ou encore les « Earth Works » de Walter de Marie et Richard Long de par leur aspect sculptural. No-Stop City ne représente ni une vision de la ville du futur, ni une analyse conventionnelle de la ville et du territoire ou encore un collage subliminal de fragments. Son unique volonté est de représenter les termes réellement utopiques de la réalité proprement dite. Pour les Archizoom, ces images sont des modèles qui expriment l’impossibilité de toute intervention sur la ville et sur le territoire74, et dénoncent la période de troubles que traversent les critères urbanistiques. Y figurent des édifices apparaissant comme extraordinaires, sublimes, qui s’élancent et/ou se posent sur le territoire. Ils traduisent, par le biais de l’ironie, le malaise d’une génération incapable de se reconnaitre dans la culture architecturale contemporaine, mais ne désirant toutefois pas réduire sa propre création à « une dimension spécifiquement politique »75 , comme souhaitée par Manfredo Tafuri. En effet, l’espace neutre que nous avons étudié auparavant est le résultat de cette 74. Rappelons que ces images ont été faites un peu avant la concrétisation d’une vraie théorie de la No-Stop City. Elles n’en font donc pas directement parties même si elles fonctionnent selon le même principe et si elles ont été des points de départ. 75. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, pp. 151, 344 p.


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6.

6. Photomontages urbains Immeuble de rapport pour centre historique Archizoom Associati, 1969


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7.

7. Photomontages urbains Mégastructure en série d’arches Archizoom Associati, 1969


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désillusion et de cette crise des représentations76. Il ne tend pas à les supprimer en vue d’une meilleure situation, mais à les souligner pour une prise de conscience collective. No-Stop City est l’image d’un monde désabusé devenu nihiliste. Il s’agit d’un projet se voulant représentatif de tensions. Tout est fait pour le rappeler. Par exemple, ce n’est pas la nature de l’habitat qui y est en crise mais sa propre existence comme sphère privée : tout est une maison et rien n’en est une77. La neutralité de l’espace est une notion clef pour les Archizoom. Elle symbolise ce renoncement qui servira de fondation à la mise en place de No-Stop City. C’est par cette base qu’ils affirment leur rejet d’un résultat. En abdiquant, ils s’affranchissent de l’obsession néfaste qu’engendre l’utopie unilatérale. Ce langage d’une absence serait-il finalement le vrai langage de leur utopie ? Il est important de garder à l’esprit le relativisme de l’utopie archizoomienne78. Ils adoptent les postures critiques des écrits marxistes face à l’utopie. No-Stop City est un projet fondé sur des bases rigoureuses et non sur le plan des « joyeuses » utopies. Ceci peut être perçu comme contradictoire puisque les Archizoom prônent à la fois une démarche exacte tout en critiquant l’aspect rationalisant des approches modernes de la ville. Mais c’est cette rigueur qui va leur permettre de manier des notions qui les dépasseraient s’il n’en avait pas. Laissent-ils malgré cela de la place à l’aléatoire ? Peut-être la part de hasard et de spontanéité se trouve-t-elle dans une autre temporalité, plus liée à l’interprétation actuelle que 76. Crise des représentations dans le sens de crise identitaire. C’est à dire que l’individu ne peut se constituer car il y a absence de liens et donc de sens. (définition de représentation cf. Démarrage) 77. VARNELIS (Kazys), Programming after programm : Archizoom’s NoStop City, Praxis: Journal of Writing and Building, Issue 8: Re:Programming, 18 Mai 2006, pp. 82-90 78. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p.


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nous nous en faisons. Nous en parlerons plus loin. En tant que lecteur/spectateur, nous avons un rôle important dans l’élaboration de No-Stop City. No-Stop City s’est construite progressivement à partir de ses propres réalités79. Puis l’ambition des communautés, génératrice d’utopie, a déterminé leur durée. L’utopie est née dans le travail des Archizoom comme la projection d’un idéal. Il faut distinguer l’utopie de l’idéal. L’idéal est une substance vers laquelle on tend, qui nous guide mais que l’on sait inaccessible et qui le restera. C’est une sorte de repère, d’axe du progrès. De par son côté transcendant, il nous empêche d’avoir un comportement déviant qui nous éloignerait de l’objectif. L’utopie, quant à elle, par définition, est irréalisable car elle requiert des conditions techniques qui n’existent pas. Malgré tout certains esprits narcissiques et téméraires peuvent y substituer des précisions artificielles qui les inciteront à essayer de réaliser l’utopie80. L’utopie s’éloigne donc de l’idéal pour se rapprocher du devis. L’idéal nous résigne ou/et nous motive là où l’utopie nous rend aveugle et nous obstine. No-Stop City semble donc être l’expression de ce passage de l’utopie à l’idéal par la projection. Par conséquent, il se pourrait que cette mutation de l’utopie en idéal soit finalement un élément supplémentaire ayant « sauvé » les Archizoom. La mise en forme de No-Stop City, par le projet ou plutôt par le « non-projet », leurs auraient permis de s’extirper des traits périlleux de l’utopie. Ce processus est un tout instrumental indissociable. No-Stop City se veut être entre réalisme extrême et rejet 79. ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, 542 p. 80. FRIEDMAN (Yona), Utopies réalisables, Ed. de l’Eclat, Paris-Tel-Aviv, mai 2008, 250 p.


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intransigeant. Les Archizoom se servent de l’utopie pour dépasser les limites de la politique moderne et de sa façon rigide d’agir, ainsi que celles de la dialectique bon/mauvais ou encore réussite/échec que nous raconte notre vision de l’histoire. Ils vont au delà de ces affrontements, voire de l’aspect tragique des évènements passés et présents. Ils mettent en place une sorte de relativisme éclairé sur lequel nous nous pencherons encore. Les Archizoom sont avisés. Malgré les limites indéniables de leur travail, ils ont trouvé des sentiers suffisamment sûrs pour ne pas tomber dans un totalitarisme obstiné. Et pourtant, No-Stop City entretient, dans son intériorité, un microclimat81 utopique avec ses variations, ses évolutions, ses nouveaux systèmes naissants. Mais existe-il un système sous-jacent qui structure toutes ces données ? Quelle démarche organise l’utilisation de l’utopie ? Quel système uniformise ces pistes de façon à en faire un tout homogène ?

81. CAPDEVILLA (Pablo Martinez), The Interior City. Infinity and Concavity in the No-Stop City (1970-1971), Cuadernos de Proyectos Arquitectónicos, 2013, pp. 130-132, url : http://polired.upm.es/index.php/proyectos_ arquitectonicos/article/view/2018


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8.

8. Diagramme d’Habitabilité Homogène Hypothèse d’un langage non-figuratif Archizoom Associati, 1969


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Codages plurivoques

Comme nous l’avons décrypté, No-Stop City est une combinaison entre une multitude de réflexions provenant d’horizons divers et variés. Elle se définit par sa complexité et par son sens critique. Ce qui est paradoxal puisqu’elle est à la fois un projet avec des intentions précises (critiques, représentations, architecture libératrice, etc.), mais aussi une abstraction impossible à appréhender dans sa totalité. On est dans un processus linéaire car inscrit dans une continuité, mais également dans un avancement beaucoup plus disparate et rhizomatique1 qui s’infiltre dans la réalité sociétale. Cette profondeur indiscernable génère 1. C’est à dire un abandon d’une hiérarchie verticale pour un développement omnidirectionnel horizontal. Cf. DELEUZE (Gilles) et GUATTARI (Felix), Philosophie du réseau (1/4) : Le rhizome, émission france culture, 2013, url : http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-laconnaissance-philosophie-du-reseau-14-le-rhizome-deleuze-et-guat


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une tension. Le fait qu’une entité puisse échapper à nos logiques rationnelles, si bien ancrées dans notre conscience collective, nous paraît inconcevable. Pourquoi ne peut-on pas la cerner parfaitement ? Seraitelle de l’ordre du mystique, du supérieur ? Y aurait-il un certains nombres de données qui se transcenderaient ? *Code : « Système de symboles permettant de représenter une information dans un domaine technique »2. *Coder : « Transcrire un message, une information en échangeant l’écriture courante contre les signes conventionnels d’un code »3. *Codage : « Action de coder »4. *Plurivoque : « Qui a plusieurs valeurs, plusieurs sens »5. Les Archizoom arrivent à donner un sens, subjectif certes, à la neutralité de leur surface, au degré zéro et aux utopies qu’ils créent. Ils développent des stratégies conscientes ou parfois inconscientes qui se révèlent par une activation ultérieure. Ils ont fabriqué toutes les données examinées précédemment, en leur attribuant une série de codes. Ces codes servent de « colonne vertébrale » à No-Stop City. Ils la rendent intelligible, ou du moins apte à être décryptée. Ce sont des process6 qui définissent la base sculpturale essentielle à sa formation. Les codes permettent le décryptage et éveillent notre attention. Ce sont des grilles de lectures subjectives et partielles qui nous offrent des immersions dans NoStop City. Les Archizoom avaient-ils imaginé ce système 2. Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 3. id 4. id. 5. id. 6. Admis par les Archizoom comme « axiomatiques ».


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complexe dans ses moindres détails ? Ceci semblerait contradictoire avec leur conviction et leur désir de tendre vers une représentation du fait urbain la plus neutre et pure qui soit. Peut-être ont-ils mis au point un organisme qu’ils ne maitrisaient pas et qui dépassait leurs codes.

Le Projet négatif Les Archizoom se servent de l’utopie lucidement, parce qu’ils l’insèrent dans une dimension quantitative. La finalité n’étant pas de la réaliser pour résoudre les problèmes de la grande ville, mais plutôt de la représenter, tout en la conditionnant. Il s’en servent dès lors partiellement et utilisent sa façade idyllique comme un leurre pour pouvoir « contre-attaquer » par derrière. Elle présente une dimension cachée sur laquelle ils vont bâtir. Concrètement, ils produisent une architecture de papier qui consiste à réduire à néant l’expression architecturale et à extrémiser les traits de la ville et de l’architecture existantes, en s’appuyant sur des extrapolations positives. Les Archizoom partent du constat de l’existence d’« une condition urbaine totalement homogène, dépourvue de vision d’ensemble »7. Ils entrevoient la possibilité d’agir dans l’hypothèse qu’elle soit centrée sur une demande croissante et irrépressible de surface habitable. Ce que l’on considèrera comme le noyau innovant (sur un plan technique) de cette intervention reste l’intuition d’un modèle de ville8 continue : la No-Stop City, rendue possible par le dépassement voulu9 des systèmes naturels d’aération et d’éclairage. 7. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, pp. 133, 344 p. 8. « Ville » encore une fois ici exemptée de ses définitions connotées. Nous reprenons le vocabulaire employé par Archizoom. 9. Les fameuses « extrapolations positives » que les Archizoom ont amplifié.


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No-Stop City manie ses attributs, ses paradoxes et l’utopie qui la modèle. Elle les les déforme et les met sous tension. C’est un projet à « double-jeu », entre réalité et illusion. La stratégie des Archizoom, qui consiste à amplifier au maximum certaines caractéristiques de No-Stop City, s’organise dans l’espoir de « rendre fou le cerveau du système »10 qu’ils critiquent et cherchent à démanteler. L’architecture à abattre est, pour eux, celle du mouvement moderne. Ils veulent l’éliminer en la contaminant insidieusement par un virus « dystopique » (nous y reviendrons). Les Archizoom développent des espaces « invivables », reflets du devenir de la ville utopique moderne : appartements sans fenêtres, vie souterraine, strict compartimentage des activités (zoning), vue impossible sur un paysage et même sur l’extérieur, extension sans fin de niveaux monofonctionnels. Ce sont les symboles d’un échec lié à une poursuite obsessionnelle d’une condition inexistante. NoStop City, ville radicale, remplace ainsi le projet moderne et ses bonnes intentions par les images d’un « antimonde » où les éléments naturels (lumière, vent, etc.) sont devenus techniques : climatisation systématique, franchissement imperturbable du territoire, extension illimitée, espace total et déqualifié11, etc. Tout ceci est amplifié par la répétition assommante de ce système. Il résulte d’un processus de projet « inversé » et de l’utilisation de nombreuses références empruntées à un Pop-Art névrotique ainsi qu’à de multiples théories urbaines (cf. Racines et branchements )12. 10. Cette métaphore fait allusion à un court-circuit dans un modèle informatique. A partir du moment où le système ne correspond plus au cerveau puisque ses caractéristiques ont été modifié, alors le cerveau s’emballe et le système s’effondre. C’est le principe de l’utopie poussée à l’extrême que nous verrons par la suite. 11. ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, pp. 289-336, 542 p. 12. Avec une reprise plus marquée des travaux (textures répétitives) de WARHOL (Andy) et non pas de LICHTENSTEIN (Roy) ou de OLDENBURG (Claes).


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Tout cela appuyé par une idéologie marxiste et par l’emploi d’un vocabulaire psychiatrique (« oligophrénie », « schizophrénie », « lobotomie architecturale »13, etc.) faisant de No-Stop City une sorte de thérapie de choc14. L’amoralité de ces gestes supprime l’affectif et la qualité, c’est à dire une des formes premières de l’architecture. Cette démarche n’est pas en rupture totale avec le passé. Au contraire, elle l’utilise en questionnant le projet par le projet. On ne cherche pas un système alternatif dans lequel on s’égarerait sûrement, mais on s’accroche au réel et à ses éboulements. On est dans une réflexion bien plus pernicieuse qu’elle n’y paraît. Ils associent leur approche à une théorie du cheval de Troie en référence à la mythologie grecque15. C’est à dire infiltrer et coloniser16 silencieusement et efficacement le système sur le long terme. L’image radicale qu’ils ont conçue avec No-Stop City leur sert à révéler la ville cauchemardesque insoupçonnée du fonctionnalisme et du capitalisme tels qu’ils les ont compris. Mais les Archizoom n’ont pas créé No-Stop City comme leurs prédécesseurs (Hans Hollein par exemple) dans une simple logique de critique du modernisme. Leur démarche va au-delà et a d’autres visées , entre autre celle de redéfinir la ville. Après avoir « refusé de s’engager dans 13. L’ouvrage Naissance de la clinique de FOUCAULT (Michel) a été traduit en Italie en 1969 ce qui permis aux Archizoom de s’approprier ce vocabulaire clinique. 14. ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, pp. 289-336, 542 p. 15. Ulysse et les guerriers grecs pénètrent dans Troie à la suite d’un siège de dix ans par le biais d’un stratagème. En se cachant dans un cheval de bois qui se voulait être une offrande, ils réussirent à pénétrer dans la ville. S’en suivit la dénouement de la guerre. Les Archizoom se veulent métaphoriquement reproduire cette même tactique. 16. CAPDEVILLA (Pablo Martinez), The Interior City. Infinity and Concavity in the No-Stop City (1970-1971), Cuadernos de Proyectos Arquitectónicos, 2013, pp. 130-132, url : http://polired.upm.es/index.php/proyectos_ arquitectonicos/article/view/2018


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la campagne contre le mal », et après avoir déclaré « ne plus croire au bonheur de l’homme »17, ils construisent le malheur en poussant le bien à son paroxysme. Ils pratiquent une inversion des valeurs en poussant celles-ci à l’absurde. Ils réalisent une fiction utopique et montrent son échec (car n’existant pas par définition cf. Utopie conditionnée) pour détruire les utopies actives qui étouffent la réalité immédiate. Ceci reste cependant à relativiser car l’amplification volontairement agressive des qualités de No-Stop City est à double face. Elle montre à la fois un monde privé de tout par l’utopie de quantité mais exprime aussi l’infinité de possibilités projectuelles s’offrant à nous dans cette neutralité superlative. No-Stop City n’a pas l’intention de se positionner dans le conflit spirituel (voire religieux) entre Bien et Mal. Elle se situe dans une reconsidération plus profonde des concepts utilisés pour faire du projet. Pour les Archizoom, il ne s’agit pas de fonder une nouvelle civilisation. Ce ne sont pas des prédicateurs. Ils exposent seulement des projets à « ne pas suivre ». Ils sont dans la critique mais ne donnent pas de solutions. Le territoire « anti-utopien » qu’ils développent à travers la No-Stop City est un endroit dans lequel ils veulent relativiser la conduite « responsable » de l’architecte. Ils y inversent les valeurs de l’utopie et la déniaisent de manière réaliste. On détruit le projet autant que l’utopie dans un environnement aux allures de science-fiction. Un choix projectuel inédit, qualifié de « dystopique », voit le jour. Dès lors, se profilent les limites de leur travail. En 1970 déjà, Alessandro Mendini, architecte italien collaborant momentanément avec les Archizoom et directeur du 17. ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, pp. 289-336, 542 p.


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magazine d’architecture Casabella, évalue la partialité de la contribution de ces groupes radicaux. A quoi bon critiquer si l’on ne fournit pas de solutions ? Ettore Sottsass, designer et également collaborateur ponctuel du groupe, soutiendra leur position en affirmant : « Il faut toujours que quelqu’un sème la panique, si l’on veut que le sens des choses soit sans cesse révélé »18. Phrase qui attisera encore plus la veine radicale des mouvements de cette période historique. Les Archizoom reconsidèrent le réel en donnant une dimension innovante à l’utopie, et ce en s’appuyant sur les dimensions cachées de sa propre définition. Il n’est plus question d’effectuer un trajet du réel vers l’utopie, ce qui serait un « projet solution », mais de l’utopie vers le réel. Lorsque l’on cherche à la réaliser, elle se morcelle et ne ressort pas indemne de son passage de l’intangible au tangible. Matérialiser l’utopie est contradictoire. Ce sont justement ces distorsions que l’on qualifiera de dystopiques19. Il est important pour bien comprendre de ne pas voir les deux notions utopie et dystopie comme figées et indépendantes, mais comme deux éléments contenus l’un dans l’autre. La dystopie naîtrait de l’utopie. Eugène Violletle-Duc, architecte français du XIXème siècle soutenait : « Il n’est pas d’œuvre humaine qui ne contienne en germe, dans son sein, le principe de sa dissolution »20. 18. SOTTSASS (Ettore), Gli Archizoom, Domus numéro 455, Octobre 1967, Cf. ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, pp. 289-336, 542 p. 19. Ou de contre-utopiques. La différence entre ces deux notions étant de l’ordre de la dimension critique. La contre-utopie est un terme plus général définissant une société négative alors que la dystopie se veut être une critique de la société à un instant précis. 20. VIOLLET-LE-DUC (Eugène), Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Tome I, BANCE - MOREL, Paris, 1854 1868, url : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Viollet-le-Duc_-_Dictionnaire_ raisonné_de_l’architecture_française_du_XIe_au_XVIe_siècle,_1854-1868,_ tome_1.djvu/173


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On vulgarise souvent la notion de dystopie en la qualifiant de « contraire de l’utopie » alors qu’il n’y a pas d’opposition frontale entre les deux. Au contraire, la dystopie ne serait pas l’opposée de l’utopie mais une de ses finalités. La dystopie se constate, se pense mais ne s’invente pas. Si l’on veut la matérialiser, il faut au préalable que l’utopie soit pensée, envisagée ou partiellement réalisée. L’une ne va pas sans l’autre, comme nous l’avons exprimé ci-dessus. En outre, elles dépendent toujours d’un contexte socioéconomique et politique précis, d’aspirations temporelles spécifiques. Est-ce que l’on peut donc vraiment envisager de projeter de la dystopie ? Il s’agirait plutôt d’une mise en exergue des failles déjà présentes dans les racines même de l’utopie. Le projet dystopique ne peut être une finalité. Mais alors en quoi le fait de le penser peut-il « élever » notre société sans nous faire tomber dans un pessimisme anti-progressiste ? C’est toute la question que soulève No-Stop City. Etait-elle une simple critique ? C’est en tout cas ce que les Archizoom revendiqueraient. Le projet négatif, véritable code de No-Stop City, dépasse-t-il cette condition ? Vers quelles perspectives ouvre-t-il ? La craquelure urbaine et l’univers de la dystopie peuvent aider à clarifier les couches historiques d’une ville, la dynamique sociale et à imaginer le futur. Les fictions dystopiques alertent le présent de façon sophistiquée. La modernité est à la fois le présent architectural des Archizoom et la dystopie visible. Les résultats de nos actions sur le réel sont incertains. La dystopie permet à l’incroyable, à l’extraordinaire de se produire. Elle donne la chance au héros, capable de vaincre l’ennemi, de réussir là où tout semblait perdu d’avance21. No-Stop 21. CHEN (Darryl), Conférence FA#10 : Beyond Failure, 4 juillet 2013, url : http://www.failedarchitecture.com


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City est un univers qui ouvre sur un champ des possibles dans un hypothétique passage du négatif au positif22. Il semblerait que la critique intentionnelle des Archizoom soit le catalyseur d’une nouvelle façon de projeter. Malgré le fait que les Archizoom n’aient pas été influencé directement par la logique de la pensée négative23 de Kant, leur approche en porte les marques. Elle est la démarche conceptuelle qui permet de révéler la dystopie pour la laisser ultérieurement faire effet. C’est une sorte de « première étape ». La pensée négative n’est pas réellement en opposition avec le projet. Elle est son miroir obscurci, c’est à dire l’envers du décor, ce qui n’était pas prévu. Elle n’a pas pour but de s’y opposer mais de le requalifier en se le réappropriant de manière contradictoire. On tend alors de plus en plus vers une négativité essentielle telle que le prônaient les dadaïstes24. La réponse à la dystopie se trouve dans ses fondements. Elle leur est inhérente. Elle anticipe ses propres solutions et les préfigure. Notre succès se mesure par notre capacité à agir contre un régime oppressif ou/et contre un destin qui semble inévitable. La dystopie est un outil de dessin, un véhicule de reconnaissance nécessaire dans cette situation. Les Archizoom parlent des utopies négatives comme des « images préventives ». L’image renvoie à quelque chose de mystérieux, à un futur qu’on ne connait pas encore. Elle joue sur les impressions et à la fois représente une réalité palpable. Ils instaurent l’idée « d’utopie critique » et non plus uniquement de « critique comme projet », comme le voulait 22. « Positif » selon la définition : « Qui a un caractère direct » (s’opposant à négatif), Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 23. KANT (Immanuel), Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative, Traduction KEMPF Robert, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1997, 66 p. 24. HUELSENBECK (Richard), En avant Dada, l’Histoire du Dadaïsme (1920), Allia, Paris, 1983, 81 p.


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le concept tafurien. C’est peut-être la valeur utopique de la critique qui laisse ultérieurement un champ de manœuvre suffisamment large pour la création. La dystopie n’est, en tout cas, pas un principe d’action. C’est un autre chemin que peut prendre le processus de projet et vers lequel on peut s’orienter. Mieux vaut-il suivre un optimisme naïf ou bien un réalisme dystopique ? Andreï Tarkovski, réalisateur phare du cinéma soviétique, répondait à cela que « le pessimiste est un optimiste bien informé »25. Est-ce que la dystopie offre réellement une vision alternative ? Apporte-telle à la société une productivité bénéfique ? Charles Rennie Mackintosh, architecte britannique, principal représentant de l’art nouveau en Ecosse, parlait d’espoir dans l’erreur honnête et voyait dans l’échec le début d’une nouvelle aventure26. La dystopie est une utopie qui comporte dans sa définition un défaut suffisant pour déstabiliser tout le scénario27. Cette anomalie est une réalité s’accordant à notre rêve le plus idéal, nous permettant de reconsidérer ce qui existe. Le projet utopique est totalitaire, il force la réalité et il l’empêche. La dystopie prouve que le réel ne peut pas être calibré et définitivement fixé. No-Stop City, sous ses aspects francs et contrôlés, offre ainsi un certain degré de relativisme architectural. Les caractéristiques modernes exacerbées y sont angoissantes et nous font revenir avec allégresse à la réalité immédiate. Pris dans ce sens, l’échec du projet utopique n’est pas le 25. TARKOVSKY (Andreï), Entretien accordé à la revue Nouvelles Clés, Paris, 28 avril 1986, url : http://maxencecaron.fr/2010/09/la-derniereinterview-de-tarkovski/ 26. « There is Hope in honest error » est phrase prononcée par l’architecte anglais John Dando Sedding. Elle est devenue par la suite le mot d’ordre de Charles Rennie Mackintosh. 27. CHEN (Darryl), Conférence FA#10 : Beyond Failure, 4 juillet 2013, url : http://www.failedarchitecture.com


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contraire de la réussite. Un dysfonctionnement peut avoir plusieurs aspects, y compris des aspects positifs. Il ne s’agit pas seulement de l’incapacité à fonctionner d’un objet. La dystopie est un principe de réalité qui limite l’action et ruine d’avance le projet totalitaire inhérent à l’utopie. Elle oblige ainsi l’architecte à se questionner sur les limites de son action, et à avoir une pensée de la société contenant d’emblée des interstices dans lesquels une friction prend forme. Dès lors et à présent, comment projeter et de quelle façon? No-Stop City ne semble donc pas être une théorie. Elle trace une autre ligne que pourra suivre le processus de projet. Malgré l’utilité de la dystopie, il faudra mettre l’accent sur les limites de son champ d’action. Il s’agit finalement d’un projet négatif, qui ne peut se penser que dans le contexte de son miroir positif, et en corrélation avec lui. Devons-nous en rester à des représentations dystopiques du projet à la manière de No-Stop City ? Peuvent-elles être le support d’une nouvelle forme de création plus réaliste, plus pessimiste, mais ancrée dans une réalité tangible ? Avec No-Stop City, les Archizoom développent une approche inaugurale. Ils constituent une production à essence négative qui devait permettre une relance théorique et formelle ultérieure28. Ils ont su redonner à l’utopie sa dimension critique qu’elle avait connue au lendemain de la Première Guerre mondiale sous les expressionnistes allemands. Pour Bruno Taut, architecte-urbaniste allemand sous la République de Weimar mais surtout peintre passionné, l’utopie apporte l’inquiétude dans une profession installée. « La pratique m’écœure (…) bâtir c’est mourir »29 28. Cette relance ne se réalisera que partiellement comme nous avons pu le voir précédemment. 29. ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, pp. 290, 542 p.


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déclarait-il. Il faut garder à l’esprit que, même si No-Stop City est une utopie critiquable, elle n’est qu’un outil et non pas une fin en soi. Elle sert l’apparition de la dystopie30. Les Archizoom se sont appropriés l’utopie tout en provoquant l’autodestruction de son aspect totalitaire. Leur approche est déstabilisante et pleine d’ambiguïté. Mais n’est ce pas ce flou sur le sens et l’application de l’utopie qui permet au lecteur/spectateur d’être libre dans son choix d’interprétation. En dépassant la maîtrise d’un concept, ils auraient finalement réussi à se détacher de leur projet théorique, de façon à laisser la société s’en emparer. Il est d’ailleurs paradoxal qu’un projet théorique et illusoire prétende avoir la force de nous faire revenir à une forme de réalité plus « terre à terre », moins individualiste et déconnectée. La stratégie du projet négatif est un code structurant NoStop City. Il est un point d’entrée dans cette ville homogène et continue, une brèche qui nous permet de nous y faufiler. Il reste un repère essentiel, dans cette diffusion large et indéterminée d’éléments déstabilisants (surface neutre, aseptisation, infini, etc.) que même les Archizoom ne sont pas en mesure de maitriser totalement. Ils expérimentent une nouvelle démarche. Ce processus est en permanence appuyé par des images. Il semblerait qu’un va et vient permanent entre représentation visuelle et théorie écrite doive être orchestré pour le faire fonctionner. De là à penser qu’il ne peut pas se concevoir sans une production picturale, il n’y a qu’un pas. D’autant que No-Stop city est un mélange entre critiques écrites, système de raisonnement et création graphique. Un autre code lié à des données 30. Il est intéressant de noter l’importance que les Archizoom accorde à la sémantique. Ils ont, toujours dans leurs logiques, décrypté, fragmenté et refaçonné les mots en s’appuyant notamment sur leur préfixe par exemple dys_, anti_, etc. Tout ceci leur a permis d’être subtiles et précis dans leur démarche.


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visuelles s’associerait alors au code négatif/utopique de façon à façonner une combinaison stable, propice à la bonne croissance de No-Stop City.

Entre virtuel et visuel No-Stop City s’est affinée graphiquement à la suite de nombreuses publications, de concours et d’expositions ainsi qu’aux précisions régulièrement apportées à sa matière théorique par les Archizoom. En 1970 Felix A. Valk, le directeur de la Rotterdam Kunststichting, prend contact avec eux afin de leur proposer une exposition31. C’est un moment crucial pour la formulation graphique de No-Stop City. L’enjeu est de structurer un corpus ainsi que de définir un « programme culturel ». Le matériel idéologique doit être transformé en matériel visuel organisé. Le médium de transmission va devenir une des préoccupations centrales des Archizoom. Il y a dans leur travail différents langages pour différents publics et différents degrés de lecture. Le discours d’ensemble est ainsi restitué progressivement à chaque niveau particulier (temporalité, public, intermédiaire, etc.). Il s’agit d’un processus empirique. Mais quelle valeur attribuent-t-ils à leur matériel visuel. Serait-ce, à la façon du projet négatif, un élément structurant de leur démarche projectuelle et de cette restitution organisée ? Il semblerait que oui, au vu de l’importance quantitative accordé à l’image dans leur recueil. No-Stop City est une image radicale qui se sert de codes visuels qui lui sont inhérents. Quels sont-ils ? Comment se diffuse finalement l’image qu’est No-Stop City ? Et quelles différentes formes adopte ce médium ? 31. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p.


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Au sens premier, l’image forme une copie d’une entité réelle32. Cette conception étroite la rattache plus à l’icône qu’à son sens profond. Icône dont la définition a d’ailleurs dépassé aujourd’hui le cadre strictement religieux pour s’élargir à celle de figure et donc d’une forme de représentation en relation directe avec l’objet représenté (nous ne nous étendrons guère sur le sujet, la réalité étant plus complexe). Si l’on ouvre la définition de base de l’image en affirmant qu’elle est une représentation visuelle abstraite ou concrète, matérielle ou immatérielle, on peut alors l’étendre à de nombreux éléments : paysage, installations diverses, scénographie, etc., et rompre ainsi avec la tradition visualiste. Ainsi, on pourra considérer comme image « toute chose structurée regardable »33. L’image n’est plus un énoncé visuel mais elle porte en elle un éventail plus large de définitions et de modalités. Pour Louis Marin, elle est l’énonciation d’une absence34. C’est à dire qu’elle manifeste la présence de tout ce qui se dérobe à l’ici et au maintenant et exhibe son statut d’énoncé énonciatif. Le spectateur étant un individu lisant/regardant. Il s’agit d’un sens plus large qui ne la réduit pas au strict domaine visuel mais l’étend au champ des représentations et des constructions sociales (cf. Démarrage). Longtemps dominée par le texte, elle prend actuellement tout son sens en s’en émancipant et en devenant, par ses caractéristiques évoquées, un outil fondamental de la construction de la réalité sociétale et des pratiques humaines. No-Stop City est une image. Le champ visuel doit y être vu comme un champ d’investigations. 32. Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 33. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 530532, 1127 p. 34. MARIN (Louis), Des pouvoirs de l’image, Gloses, Le Seuil, Paris, 1993, 265 p.


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Les Archizoom ne cherchent pas à représenter35 le réel de façon la plus réaliste et fiable possible mais de comprendre le principe de construction de la réalité sociétale à travers l’image. Elle ne doit pas être considérée en elle-même et pour elle-même. On tend de plus en plus vers une exploration de la diffusion du visuel, en essayant de comprendre comment il se déploie dans nos sociétés. Dès lors que l’on parle de « diffusion », on se rend compte des potentialités de l’image et de l’efficacité polémique redoutable qu’elle peut avoir. Il s’agit d’un mode d’action d’une efficience pragmatique inépuisable. D’où tire-t-elle son pouvoir de persuasion ? La réflexion sur le pouvoir du visuel dans les disciplines urbaines et architecturales est fondamentale36. Ce sont des domaines dans lesquels se manifestent clairement les liens entre images, réalités construites et actes. Les avancées technologiques comme Internet ont favorisé l’essor d’un visuel inédit considéré comme un mondes à part, alternatif et colonisable37. No-Stop City se dissémine par la transcription graphique. Les Archizoom le savent. Ils investissent le domaine visuel avec leurs idées dès les années 70 dans des buts expérimentaux et de diffusion horizontale. Ils affirment utiliser « un langage classique écrit et un langage graphique plus spécifique à notre discipline »38. 35. Compris comme un processus d’énonciation, un acte créatif qui marque une distance entre l’entité représentée et sa représentation. Contraire de la perception qui est l’expérience immédiate. Cf. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, 1127 p. 36. POUSSIN (Frédéric), Pouvoir des figures, dossier des Cahiers de la recherche architecturales, Monum, Editions du patrimoine, Paris, 2001, pp. 7-80 37. GUELTON (Bernard), Les arts visuels, le web et la fiction, Publications de la Sorbonne, Paris, 2009, 185 p. 38. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, pp. 183, 344 p.


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Les succès des documents visuels dans nos sociétés sont liés à trois pouvoirs39. Celui qui découle du fait que ce sont des instruments de domination de l’espace par leur aptitude à réduire radicalement sa complexité. Pour retranscrire NoStop City, les Archizoom utilisent entre autres, comme nous l’avons vu (cf. No-Stop), des dessins techniques : plans, coupes, axonométries, perspective linéaire (fig. 9). Ceux-là, en plus de spatialiser leur propos, permettent une simplification et une diffusion plus large de la théorie. C’est par les codes de représentations inhérents à ces formes, faisant partie d’un héritage proche qu’une grande partie des spectateurs arrive à se projeter dans leur œuvre. Ils sont une façon de décortiquer leur propre abstraction qui serait, sinon, lisible d’une multitude de manières différentes. Or, la perspective linéaire, par exemple, est, pour Merleau Ponty, l’expression d’une transcription et d’une organisation culturelles de l’espace40. Construite autour des analyses rigoureuses et géométriques du XVIIème siècle, elle est donc différente de ce que l’on qualifierait de perception spontanée. Mais c’est par son influence et son intégration au sein de notre culture qu’elle conditionne notre vision. Elle dirige notre interprétation par ses principes, elle est un produit symbolique41. Il en va de même pour les autres procédés graphiques issus des règles rationalistes. Ainsi cette construction est plus un moyen de toucher l’individu qu’une finalité en soi. Les dessins des Archizoom s’inscrivent dans une temporalité bien précise. Ils étaient calibrés et avaient un but déterminé. No-Stop City voit dans ces outils un moyen d’appuyer techniquement le propos archizoomien. 39. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 530532, 1127 p. 40. MERLEAU-PONTY (Maurice), Le langage indirect et les voix du silence, dans Signes, Paris, Gallimard, 2001, pp. 61-135, 576 p. 41. PANOFSKY (Erwin), La perspective comme forme symbolique : Et autres essais, Les Editions de minuit, Paris, 1975, pp. 37-39, 280 p.


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9.

9. No-Stop City Coupe perspective Archizoom Associati, 1970


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En effet, la perspective linéaire, par exemple, est une image dont tous les points spatiaux sont uniformes. L’espace est alors traitable comme une seule et même entité. S’en servir pour représenter No-Stop City, ne fait donc que conforter visuellement son statut homogène et continu. Un second pouvoir du visuel résulte de l’effet de vérité consubstantiel à l’icône (le principe de vérité de l’icône n’est jamais remis en question contrairement au référent). L’utopie conditionnée que les Archizoom vont utiliser est une incertitude, car impossible à réaliser. Mais elle est précise dans sa représentation par sa nécessité à être convaincante. L’utopie n’est pas réalisable par définition mais sa représentation suffit-elle ? No-Stop City est une image préventive42. Ce projet n’est pas un réel qui serait ailleurs. Il est une proposition fictionnelle s’exprimant dans des dessins extrêmement détaillés qui affirment l’illusion de constructibilité. Le graphisme exact d’un projet absurde crée un étrange effet de réalisme. Les représentations techniques de No-Stop City (plans, coupes, systèmes constructifs, détails de montage, d’assemblage, scène d’intérieur, perspectives ou vues d’inscription dans le site, etc.) servent en partie cette idée. Les Archizoom jouent sur la minutie risible dont fait preuve l’utopie. Ils instaurent une dialectique entre une représentation positive de par son exactitude et un programme négatif puisque utopique puis dystopique. Tout cela pour finalement prouver, que si le programme est irrationnel, le projet échouera même s’il est mené avec la plus grande logique et vérité visuelle. Ils interrogent donc le projet par le projet. Et c’est finalement l’image de ce dernier qui s’autodétruira, prouvant ainsi son caractère irréalisable. 42. ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, 542 p.


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Pour Branzi, le dessin est un produit fini. La réalisation à venir n’est pas nécessaire43. Enfin, l’image offre la possibilité de représenter parfaitement la virtualité spatiale projetée par la figuration en images « aménagistes »44. Bruno Latour, chercheur en sciences humaines contemporain, affirme « Il n’y a rien que l’homme soit capable de dominer : tout est tout de suite trop grand ou trop petit pour lui, trop mélangé ou composé de couches successives qui dissimulent au regard ce qu’il voudrait observer. Si ! Pourtant, une chose et une seule se domine du regard : c’est une feuille de papier étalée sur une table ou punaisée au mur »45. L’histoire des sciences et des techniques se résumerait alors à une série de ruses permettant d’amener le monde sur cette surface de papier. Le processus de projet que développent les Archizoom s’inscrit dans cette idée. Il comporte une phase de précompréhension durant laquelle les cartes et les figures, outre leur caractère informatif fait de données, servent à « euphémiser le foisonnement des phénomènes de l’espace « réel » »46. Elles les rendent plus digestes en les expurgeant et en les simplifiant de manière incontestable. Il s’agit d’une approche cathartique47, c’est à dire purificatrice, libératrice. Par cela, on entend que l’image donne le sentiment que la notion d’espace est raisonnée, 43. ROUILLARD (Dominique), Superarchitecture – Le futur de l’architecture 1950-1970, Ed. de la Villette, Paris, 2004, 542 p. 44. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 530-532, 1127 p. 45. LUSSAULT (Michel), Chapitre 8 : Un monde parfait des dimensions utopiques du projet urbanistique contemporain, pp. 151 dans Utopies Urbaines, édition préparée par EVENO (Emmanuel), presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1998, 164 p. 46. LEVY (Jacques), LUSSAULT (Michel), (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Ed. Belin, Paris, 2013, pp. 530-532, 1127 p. 47. LATOUR (Bruno), Les vues de l’esprit : une introduction à l’anthropologie des sciences et des techniques, Culture technique, numéro 14, 1985, 29 p.


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organisée et potentiellement traitable. L’action devient dès lors possible. Parallèlement, ces figures spatiales crédibilisent l’idée de la pérennité d’un espace structuré. C’est une approche métrologique (mesure), cartésienne qui rend l’espace substituable48. La figuration visuelle peut être considérée, en quelque sorte, comme une supercherie utile à l’action. Elle escamote la variété et l’incessante variation des mondes spatiaux. Imagerie et iconographie sont donc des armes du faireparaitre-vrai. Il est bien difficile de les récuser pour celui qui les reçoit. Il en va autrement du langage qui déguise et travestit49. L’image No-Stop City est donc déclarée factuelle, même si ce n’est pas forcément sa première volonté. Elle n’insinue pas la sédition, la révolte comme le langage peut le faire, car on s’imagine qu’elle expose l’intégralité de l’objet représenté sans les travestissements de l’écrit ou du parler. Elle est censée proscrire les troubles de la connotation, c’est-à-dire les associations d’idées que suggèrent les mots. L’image serait donc une doxa50 puissante, avec un pouvoir de persuasion quasi irrésistible. Elle permet au projet négatif des Archizoom « d’hypnotiser » les gens pour les ramener à la réalité (cf. Le Projet négatif). La dimension iconique de l’image exposerait une vérité transcendant toutes les opinions là où le discours dépendrait essentiellement de la subjectivité de l’énonciateur. Le matériel51 « Idéologie 48. Se substituant à lui-même car la figuration fait croire que sa situation est stable temporellement et par rapport aux autres espaces car, par analogie, graphique les espaces deviennent comparables. 49. GREIMAS (Algirdas-Julien), Du Sens II, Essais sémiotiques, Le Seuil, Paris, 1983, 256 p. 50. C’est à dire un « ensemble, plus ou moins homogène, de préjugés populaires, de présuppositions généralement admises et évaluées positivement ou négativement, sur lesquelles se fonde toute forme de communication. » url : https://fr.wiktionary.org/wiki/ 51. Matériel faisant partie de No-Stop City pour précision.


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et Théorie de la Métropole » envoyé par les Archizoom à Mendini pour son éventuelle publication dans la revue « Casabella »52 (double numéro de « Casabella ») est mise en page rigoureusement pour l’occasion. Quatre petits carrés, chacun contenant une image, sont disposés à côté du texte pour « illustrer le propos ». Ainsi, suite à notre analyse, on peut se demander si le texte n’est pas obsolète ? A-t-il encore une valeur ? Ou leur sert-il uniquement de prétexte pour dessiner librement No-Stop City ? Que doit suivre le spectateur/lecteur ? Malgré les contestations dont elles sont la cible, les images sont toujours dressées en preuves, y compris devant les tribunaux, parce que la critique s’attache toujours au contenu représenté, au lieu de procéder à une critique épistémologique et de rechercher les arrières pensées politiques et sociales que recèle la représentation. Les images sont par principe des objets toujours légitimes. Les gens font confiance à la figure. Tout ce qui est mis en image est visible, sérieux pour le regard. On tend à le considérer dans toute sa réalité y compris quand son contenu relève de la proposition irréalisable. Or, l’imagerie est loin de l’objectivité qu’on lui attribue. Paradoxalement, c’est en partie pour cette raison qu’elle est utile aux Archizoom dans le processus de projet. Elle permet de réduire la complexité du monde et d’en saisir ses enjeux. Mais elle est aussi le catalyseur d’idéologies et d’imaginaires spatiaux. C’est un répertoire qui peut donc nous permettre de comprendre et d’appréhender leur No-Stop City. En dehors de ces « trois pouvoirs », il semble important de mettre l’accent sur une valeur supplémentaire que les 52. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p.


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Archizoom octroient à l’image. L’image radicale qu’est No-Stop City, excite les pensées des gens. Elle active des réalités potentielles, virtuelles qui sommeillent en nous. Roland Barthes assure que toute image est polysémique53. Il sommeille en elle, sous-jacente à ses signifiants, une multitude de signifiés. Le spectateur/lecteur peut alors choisir d’en ignorer certains ou au contraire en choisir. Ce qui peut être mis en parallèle avec No-Stop City, c’est justement cette interrogation qui apparait comme une dysfonction car non prévue. La polysémie nous questionne sur la signification du visuel. Les Archizoom se situent constamment entre une « non-maîtrise » et une « maîtrise » graphique. Ils nous offrent cette dysfonction tout en essayant de la canaliser par des règles de représentations (techniques, ordre, chronologie de développement graphique, analogie texte/image, etc.). L’image a dans ce sens là un aspect maïeutique54. Elle accompagne les spectateurs jusqu’à leur propre interprétation tout en laissant sa subjectivité initiale en retrait. Nous préciserons que cet accouchement spirituel ne sera jamais entièrement objectif, No-Stop City étant née d’une volonté critique. En actualisant ainsi les réflexions qui sommeillent dans l’esprit des gens, les Archizoom placent leur projet théorique entre virtuel55 et visuel. Nous voyons ici ô combien il est difficile d’attribuer une définition précise à l’image. Elle semble avoir une force intrinsèque qui a permis aux Archizoom de rendre NoStop City percutante ainsi que d’affirmer sa radicalité. Ils établissent grâce à elle un langage « non-figuratif » pour 53. ROLAND (Barthes), Rhétorique de l’image, In: Communications, 4, Recherches sémiologiques, 1964, pp. 40-51 54. Non selon sa définition connotée cartésienne mais dans le sens où elle fait accoucher les esprits. 55. « Virtuel » c’est à dire « qui possède, contient toutes les conditions essentielles à son actualisation ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/


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rendre compte du fait urbain. Les Archizoom sont conscients de cette possibilité d’interprétations et d’activations qu’offre le visuel. Il arrive cependant parfois que leur objet les dépasse de par cette liberté acquise, la frontière entre projet critique et interprétation étant mince. Leur propos ainsi diffusé, a-t-il été perçu de la même manière par tout le monde ? Sûrement pas. C’est notamment ce qui fait à la fois l’énergie et la partialité de No-Stop City. Est-elle vraiment comme elle prétend un « langage non-figuratif » ? Ne restreint-elle pas sa propre définition en se servant d’une production graphique ?

Langages contrastés En suivant les Archizoom, on navigue constamment entre des codes qui font sens pour nous ou qui, au contraire, ne nous évoquent rien. Il y a une telle multiplicité de langages56 dans No-Stop City que ce qui devait former un tout doit être décrypté pour être compris dans son sens initial. No-Stop City articule de nombreux éléments à travers son image mais ne semble pourtant pas exister unitairement au niveau de sa représentation. Elle est une histoire que l’on peut conter mais que l’on ne peut pas retranscrire dans sa totalité. Son sous-titre, « Ville comme chaîne de montage social » illustre bien ce tiraillement. Elle est un assemblage productif mais composée d’un nombre indéfini de mailles à sa chaîne. On voit dès lors se profiler les limites d’un tel projet. Or, quelles sont les difficultés de communication et de composition qu’elle éprouve ? Peut-on parler d’un brouillage de son sens 56. Quand nous parlons de « langage », nous parlons de la « faculté que les hommes possèdent d’exprimer leur pensée et de communiquer entre eux au moyen d’un système de signes conventionnels vocaux et/ou graphiques constituant une langue ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/


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profond par l’ambiguïté avec laquelle elle joue ? Ou bien assume-t-elle ces tensions en les incorporant à ses codes ? No-Stop City est, à la base même, construite sur des contradictions. Les Archizoom refusent de mettre en place des « modèles alternatifs ». Ils restent dans une continuité critique du mouvement moderne. Mais comme cette critique n’est pas frontale mais sournoise, ils se doivent alors, dans un premier temps, pour établir leur projet, d’accepter les mécanismes de la « ville moderne »57, fruit du capital58 et se développant à l’intérieur de sa propre logique59. Or, le capital présente des contradictions internes qui s’affrontent : l’équilibre maximal et la quantité maximale. L’équilibre est lié à la relation entre la nature humaine60 et la technique. Il relève donc de l’expérience immédiate alors que la quantité dépend de la production logique. Cependant, les Archizoom ne vont pas chercher à harmoniser technique et nature. Ils dépassent cette quête des équilibres en les fondant ensemble dans un espace continu, infini et homogène. Ce plan unique permet le déroulement des expériences tout en étant la projection immédiate du système de production. Par conséquent, ces contradictions de base ne sont pas visibles dans leur production graphique. Ce qui permet aux images qu’ils diffusent de ne pas rester enchainées à une restitution visuelle des conflits sociaux. Elles peuvent dès lors s’élever et élaborer stratégiquement une critique de la ville moderne. Cependant, pour réussir à ne pas tomber dans un 57. Mécanismes qu’ils amplifieront selon leur idée de « contre » par l’exacerbation utopique (cf. Le Projet négatif). 58. Entendu encore comme accumulation de richesses (matérielles, intellectuelles). 59. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, 187 p. 60. Nous parlons ici de « Nature humaine », c’est à dire « l’ensemble des caractères qui définissent l’homme, considérés comme innés, comme indépendants à la fois des déterminations biologiques et des déterminations sociales, historiques, culturelles ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/


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simple constat du monde, ils ont dû partir de présupposés théoriques. Ils se servent par exemple de la notion « d’infini » (cf. No-Stop) qui nécessite, pour se réaliser, l’intervention « d’un axiome dit de l’infini »61. Ils utilisent donc un outil dont l’existence est permise par une conjecture. Ainsi, les images qui en découleront ne seront que partielles avant même d’avoir été représentées. De plus, dans leur désir de « continuité » temporelle et de diffusion, ils emploient des techniques de dessin (plans, coupes, axonométries, etc.) renvoyant à une époque et à une conception de l’espace précises. Elles sont liées à une perception symbolique62 du réel (cf. Entre virtuel et visuel) obtenue par l’association de règles géométriques qui rompent avec la perception naturelle. En figeant le plan continu, homogène et infini sur une feuille de papier, elles lui font perdre sa « valeur transcendante ». Nonobstant son côté clair, le « langage mathématique » limite et freine en un sens No-Stop City.

Malgré cela, les Archizoom aspirent à construire, à travers leurs images, une théorie et une idéologie de la métropole63. Les images forment un territoire qu’ils cherchent à explorer pour alimenter leur propos critique. C’est un processus de genèse lente basé sur une intuition graphique. La dissolution de toutes les contradictions sociétales dans No-Stop City fait d’elle un immense collage64 dont les expérimentations 61. BELNA (Jean-Pierre), La notion de nombre chez Dedekind, Cantor, Frege : Théories, conceptions et philosophie, Mathesis, VRIN, Ouvrage publié avec le concours du CNRS, Paris, 1996, pp. 94, 377p. 62. ANOFSKY (Erwin), La perspective comme forme symbolique : Et autres essais, Les Editions de minuit, Paris, 1975, pp. 37-39, 280 p. 63. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p. 64. Selon sa définition : « Procédé de composition consistant à assembler et coller sur un support des fragments de matériaux hétérogènes ; œuvre composée selon ce procédé ». définition issue du dictionnaire de français Larousse url : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/.


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produisent des réflexions novatrices, défiant les règles existantes. « Le collage naît de la rencontre entre des réalités différentes sur un plan qui n’y semble pas approprié et l’étincelle de poésie qui surgit du rapprochement de ces réalités »65. Il permet de générer un tout homogène issu d’une friction entre des éléments différents juxtaposés sur un même support66. L’acte de coller se rapproche ainsi, d’une certaine manière, de l’acte de projeter. Peut-être une nouvelle substance de projet naîtra-t-elle de cette opération énigmatique ? Les Archizoom font donc preuve d’une audace subjective en concevant des images qui sont ellesmêmes des outils de conception de No-Stop City. Elles se délivrent de leur signification première et la libèrent ainsi des codes traditionnels. Or, un paradoxe germe de cette situation. Comment les Archizoom peuvent-ils à la fois chercher à établir une théorie précise, minutieusement préparée et se perdre dans les images sans savoir vraiment où aller ? Peut-on « improviser » tout en suivant une démarche cadrée (projet négatif, critique, etc.) ? Cette « libération des images » obtenue par les principes du collage, du photomontage, et autres techniques, font des Archizoom, selon les critiques des analyses marxistes de l’époque, des ouvriers de la forme67. Ceci est une vision péjorative qui montre les limites de leur travail. Manfredo Tafuri lançait un avertissement à propos des « illusions 65. ERNST (Max), citation issue de DIDIER (Laurent), Collage Conception. Du réel à l’imaginaire, Mémoire encadré par LAMY (Philippe), Toulouse, 2008, pp. 4, 30 p., url : http://w3.toulouse.archi.fr/li2a/amc*/archives_2008/ memoires_2008/laurent%20DIDIER%20AMC%20C.pdf 66. On peut préciser en affirmant qu’il s’agirait même plus d’un « montage » que d’un collage étant donné la valeur stratégique que les Archizoom lui ont octroyé. Mais nous ne ferons pas de distinction ici. 67. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p.


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intellectuelles » qui n’utilisent la valeur de l’image que pour définir les conditions d’une architecture libérée68. Les Archizoom se seraient-ils fait déborder par l’aspect artistique de No-Stop City ? Sans parler des « photomontages ». Si l’on considère leurs diagrammes vus précédemment (cf. No-Stop) en tant qu’objet graphique et non plus selon leur premier rôle d’instrument d’étude des formes territoriales, on prend conscience d’une certaine « aura artistique » qu’ont ces dessins. Seulement, le danger du travail qu’ils ont entrepris réside dans la perte de contrôle totale de l’objet produit. Si No-Stop City perd son sens critique, elle perd aussi son identité pour devenir un simple constat du monde. Gilberto Corretti, membre d’Archizoom Associati, affirmait d’ailleurs que « si nous ne lançons pas des bombes, il ne nous reste qu’un seul rôle, celui d’opérateurs formels »69. Finalement, tout cela a contraint les Archizoom à donner une explication de leur procédé dans la revue Casabella. Or, à partir du moment où ils doivent se justifier, c’est que leur production est hermétique et pas suffisamment limpide. Archizoom défend le fait d’utiliser deux types de langages (un langage classique écrit et un langage graphique propre à leur discipline). Ils estiment que le langage classique écrit est un outil d’analyse approuvé alors que le langage graphique permet de dépasser cette qualité par « une élaboration créative de processus lui-même »70. Mais dans ce cas-là, la créativité ne pourrait être représentée que par l’emploi du langage architectural à un niveau explicatif direct, impossible autrement. 68. id. 69. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, pp. 183, 344 p. 70. id.


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La « communication optimale »71, c’est à dire le langage le plus général, accessible et explicite, seul possible, est l’utopie. Ici, comme lorsque nous évoquions le projet négatif par exemple, elle est un instrument et non pas une alternative. Elle se représente elle-même, mais pas comme la préfiguration d’un modèle différent du système (car il n’existe pas de métropole ouvrière), mais en tant qu’hypothèse critique sur le système lui-même (cf. Le Projet négatif). Cependant, cette justification quant au langage basé sur l’utopie reste limitée car elle ne chasse pas le doute que les dessins de No-Stop City représentent « une vision confiante de la jeunesse dans un paysage idéal anthropique, qui doit se travestir en une analyse de la réalité menée avec des instruments disciplinaires, cela pour éviter d’être liquidée comme une énième utopie »72. Peut-être s’agit-il donc là d’un autre point défaillant de la démarche des Archizoom. Un autre aspect chancelant se trouve dans l’intention des Archizoom de développer un langage « non-figuratif ». En effet, certains traits de No-Stop City oscillent entre abstraction et figuration. Ceci en raison de leur mise en image, de leur interprétation ultérieure, mais aussi de la temporalité dans laquelle ils s’inscrivent. Au-delà des contradictions techniques et langagières évoquées cidessus, ce sont parfois certaines images qui, parce qu’elles manient des données inscrites dans une temporalité, semblent cantonnées à des valeurs dépassées. C’est le cas des « internal landscapes ». Ce sont des photographies prises dans un appareil optique 71. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 157, 187 p. 72. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, pp. 183, 344 p.


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fait de miroirs qui représentent différentes façons de vivre la No-Stop City73. Leur espace est constitué de poteaux cylindriques chromés régulièrement disposés, rappelant ceux de Mies Van der Rohe pour le pavillon de Barcelone. Ils soutiennent un plafond fait de panneaux lumineux et de diffuseurs d’air conditionné. Les « internal landscapes » ont un aspect narratif poétique. Ce sont des vues iconiques (fig. 10 et 11) du plan continu qui racontent la vie d’hommes et de femmes nus dans un environnement aseptisé, parsemé d’objets représentatifs de la société de consommation (appareils électroménagers, boîtes de conserve, bocaux alimentaires, moto, etc.). C’est une sorte de scénographie Pop. Mais ces images ne se positionnent pas clairement. On est face à une représentation se voulant abstraite mais qui se construit autour de figures74 précises liées à un imaginaire bien particulier, celui de la société de consommation. De plus, à l’heure actuelle, les objets des internal landscapes n’ont plus la même symbolique que dans les années 70. La consommation a évolué, entrainant les objets avec elle. Ils sont aujourd’hui pour nous des souvenirs, des témoignages historiques d’une époque, mais ils n’ont plus un réel potentiel d’action. Nous ne nous en servons plus car les modes de vie ont changé, ou tout simplement parce qu’ils ne sont plus produits. En réalité, les Archizoom créent des images subjectives car elles montrent la façon de vivre la No-Stop City. Or, si l’on voulait exposer l’infinité de potentialités des différentes façons d’habiter qu’elle offre, il faudrait représenter une multitude de scènes. Par conséquent, l’image finale No-Stop City perd son sens profond radical et devient un produit visuel décoratif. Elle 73. id. 74. La figure étant une étendue déterminée, essentiellement caractérisée par le contour.


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ne se transcende pas car ses aspects abstraits (espace infini par les miroirs, neutralité spatiale, etc.) sont dépassés par la figuration et leur propre temporalité. Le figuratif75 fait sens là où le non-figuratif, l’abstrait76 désoriente, déboussole pour laisser un champ libre d’interprétation. L’abstraction simplifie le monde figuratif pour que l’on puisse travailler le réel77. Mais, dès lors que la figure est dépassée, l’abstraction s’arrête. Les Archizoom, pour parler de leur No-Stop City et de leur champ neutre, passent, même s’ils ne le revendiquent pas, voire même le dissimulent, par la figuration. Comme nous l’avons vu, des objets et des archétypes sont utilisés (tapis roulant, produits de la consommation, usine, supermarché, etc.) pour expliciter les chemins critiques à suivre. Des « notices d’utilisation » sont distribuées aux gens. Ceci s’illustre de manière encore plus franche dans le schéma de montage des habitations temporaires qu’ils ont imaginé pour NoStop City78 (fig. 12). Ce dessin présente douze phases d’installation d’un logement dans une travée. Un chariot récupère un container amené par l’ascenseur, dans lequel se trouve l’ensemble des fonctions nécessaires au logement (armoires, toilettes, appareils électroménagers et salle de bain). Par la suite, le container devient l’entrée. Entretemps, 75. « Figuratif » c’est à dire « qui donne d’un élément une représentation (au naturel ou conventionnelle) qui en rende perceptible (surtout à la vue) l’aspect ou la nature caractéristique ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 76. Ici nous considérons que le « non-figuratif » s’abstrait. « Abstraire » au sens de « dégager d’un ensemble complexe les traits communs aux éléments ou aux individualités qui le composent. Les résultats de cette opération intellectuelle sont : une idée générale, un concept, un symbole, une vue d’ensemble ou une représentation simplifiée ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 77. FALA ATELIER, conférence AKO SA TO : Prezentuje 3, 24 mai 2015, url : https://www.youtube.com/watch?v=Pf19hrf4L3s 78. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p.


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10.

10. No-Stop City - Internal landscapes Photographies | Montages Archizoom Associati, 1970


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11. No-Stop City - Internal landscapes Photographies | Montages Archizoom Associati, 1970


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les parois délimitant le logement ont été fixées. Puis, le logement se meuble de chaises, lits, tables, fauteuils etc. Ce phasage fait référence au monde industriel et à ses chaînes de montage. Il touche le spectateur de par son aspect explicatif. Tout semble si logique et si limpide. Pourtant, c’est une vraie limite quant à la traduction d’un objet théorique. Y compris, limite graphique puisque le fait de tracer un contour aux logements, des cadres, etc. rompt avec le flou presque mystique de No-Stop City. Nous voyons bien que les Archizoom n’arrivent pas à se détacher complètement de la figuration. Dans ce cas, No-Stop City ne leur appartient plus. Force est de constater, après cette analyse, que No-Stop City s’est construite sur des ambiguïtés et des frictions. Bien que l’image soit un médium puissant pour sa transcription et sa propagation, elle ne peut jamais rendre compte de la profondeur d’une pensée. Il y a toujours un remodelage subjectif de la réalité immédiatement perçue79. Il faut la manipuler avec précaution. La traduction de la théorie à l’image visuelle est partielle, tanguant entre abstraction et figuration, entre liberté et critique. Certes, si la valeur critique s’estompe, No-Stop City perd son identité mais se libère de la figuration. Il s’agit là de l’unique perspective possible pour que l’image parvienne à l’annulation de l’identité de l’auteur et laisse l’œuvre ouverte à l’intervention du spectateur. Serait-ce bénéfique ? On peut en tout cas y voir une option de mise à jour où l’on abandonnerait le matériel idéologique de No-Stop City sans pour autant se défaire de certains de ses codes structurants toujours opérationnels (l’utopie comme médium, remise en question du projet par lui-même, etc.). Mais qu’en est-il réellement aujourd’hui ? Où en sommes-nous par rapport à No-Stop City ? 79. NINEY (François), L’épreuve du réel à l’écran : Essai sur le principe de réalité documentaire, de boeck, Bruxelles, 2004, 349 p.


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12.

12. No-Stop City - Plan typologique continu SchĂŠmas de montage des habitations temporaires Archizoom Associati, 1970


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Ve r s u n e r é a c t i v a t i o n d e No-Stop City

Nous avons relevé un certains nombres de principes fondamentaux (projet négatif, pouvoir de l’image, etc.) qui structurent le paysage de No-Stop City. Ce sont des modalités d’action générales qui organisent son squelette. Ces codes s’avèrent aptes à se transcender ou, du moins, être suffisamment abstraits pour nous laisser, aujourd’hui, des champs de manœuvre. Ils ont été, lors de notre exploration, une ligne directrice d’analyse à suivre. De quoi ne pas nous égarer dans l’amas de données. Ces leviers semblent contenir les potentialités nécessaires à l’amorçage d’une mise à jour. Ainsi, en quoi les codes de No-Stop City peuvent-ils interférer dans les problématiques de notre siècle ? Comment les réactiver ? Et que peuvent-ils générer ?


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*Réactivation : « Action de redonner vie à quelque chose. Synon. ranimer, raviver, réveiller. »1. Cependant, à certains niveaux, No-Stop City manque d’assurance à certains niveaux. Elle balance entre volonté politique, recherche formelle, critique idéologique et représentation sociétale. Tout cela soutenu par un processus de réflexion précis pris dans un étau entre abstraction et figuration. Elle est finalement lisible mais impossible à cerner dans sa totalité. Or, cette instabilité est essentielle pour questionner le projet. Elle constitue un objet critique que les Archizoom pensaient maitriser. Et c’est finalement cette « non-maitrise » qui nous permet désormais de base de réflexion. La subjectivité de notre interprétation, associée aux codes des Archizoom, va jouer un rôle fondamental dans ce processus de mise à jour. En effet, l’amorçage d’une mise à jour ne peut se faire que par la réactivation de NoStop City. Mais aujourd’hui où en sommes nous par rapport à elle ? Sa « substance » a-t-elle été interprétée ?

No-Stop City : L’antivirus L’environnement théorisé de No-Stop City se voulait infini, sans différence entre extérieur et intérieur ou/et public et privé. Son espace urbain sur grille isotrope devait être le résultat fictif de l’annulation, grâce aux avancées technologiques, de la polarisation entre centre financier et périphéries résidentielles. L’économie y était basée sur le

1. Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/. Nous précisons ici que No-Stop City n’est pas vraiment « morte » mais est dépassée par sa temporalité. La réactivation serait finalement plutôt un réveil.


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capital2 et la réalité marchande, l’Homme étant vu non pas à travers son caractère social mais à travers sa force de travail. Tout en gardant à l’esprit que « ce modèle urbain, (…) ne représente pas l’alternative à la réalité actuelle, mais représente plutôt la réalité actuelle à un niveau nouveau de conscience critique »3. Or, cette hypertrophie d’une réalité s’est faite distancer par sa propre image. Par la répétitions d’éléments finis, comme les figures de la consommation (cf. Langages contrastés), les Archizoom développent sans en prendre conscience ce que Hegel qualifie de « mauvais infini »4. Le projet perd alors son sens critique et devient prophétique de notre condition urbaine contemporaine (contrôle par la consommation, uniformisation des limites, etc.). Les images des Archizoom se sont dissoutes, en dépit de leur résistance, dans ce qu’elles décrivaient comme étant leur « ville sans limites ». La figuration, dénuée de correspondance avec la réalité immédiate, a muselé No-Stop City, la transformant en simple constat. Il faut croire que son inscription dans une temporalité l’a privée de son statut d’outil critique. Ce qui était de l’ordre du « jeu sur utopie » est à présent réel. L’abstraction et les codes qu’elle contenait n’auront pas suffit. L’utopie s’étant accomplie, elle en a perdu sa propre condition. No-Stop City s’est donc réalisée lors de la désagrégation progressive de la ville dans la métropole5. Nous utilisons désormais le terme de métropole car il permet, dans 2. Nous rappelons encore que « capital » est ici entendu comme l’ensemble des moyens de production (biens financiers et matériels) possédés et investis par un individu ou un groupe d’individus dans le circuit économique. 3. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 182, 187 p. 4. GODIN (Christian), La Totalité. De l’imaginaire au symbolique, Champ Vallon, Seyssel, 1998, pp. 450, 952 p. 5. Tel que nous l’avons défini en introduction (cf. Démarrage).


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l’hétérogénéité caractéristique de notre siècle, et face aux changements rapides et drastiques ambiants, de ne pas figer une réflexion sur l’espace urbain. Or, comment s’est-il finalement affirmé en ce début de siècle ? Quel est donc l’état de notre environnement de vie actuel ? Et quelle forme prend la No-Stop City ? Nous sommes actuellement dans ce que l’on peut appeler de l’« hypermodernité »6, c’est-à-dire « une modernité radicale caractérisée par l’exacerbation et l’intensification de la logique moderne au sein de laquelle les droits de l’homme et la démocratie sont devenus des valeurs incontournables »7. L’accessibilité omnipotente a façonné cette société. Les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) ont modifié la pratique urbaine (mais aussi l’accès à la culture). Nous ne sommes plus dans « la praxis urbaine directe » mais dans quelque chose de beaucoup plus profond qui s’infiltre dans la réalité sociétale. Il s’agit d’un contexte individualiste et hédoniste généralisé qui s’écarte des traditions pour rechercher à tout prix la nouveauté8 et où l’urbain est la traduction spatiale de cette société. La priorité est donnée à soi-même, au « moi je ». Le lieu des échanges est désormais virtuel. « La métropole cesse d’être un lieu pour devenir une condition »9. Condition qui se déploie dans la société par la consommation, ainsi que par ces nouveaux moyens de diffusion et de transmission10. 6. ASCHER (François), La société hypermoderne : Ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs, Edition de l’Aube, Paris, 2005, 301 p. 7. CHARLES (Sébastien), De la postmodernité à l’hypermodernité, Argument, Vol. 8 Numéro 1, Automne 2005 - Hiver 2006 8. id. 9. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 177, 187 p. 10. On est dans une ville qui cherche à être plus flexible en réponse à cette société programmée qui gère ses intérêts de manière beaucoup plus diffuse qu’auparavant.


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Ils ont permis à l’ensemble des couches sociales d’avoir accès à cette hédonisation de la vie. Les rues, les passages et les trottoirs ne correspondent plus que partiellement à des possibilités de connexions humaines. Les relations s’organisent autour d’éléments impalpables (network, réseaux sociaux, sites de rencontres, etc.). La métropole bourgeoise, lieu du visuel, a été dépassée. Aujourd’hui, « l’espace » vide généré par le capital et dans lequel il s’étendait n’existe pas dans la logique d’organisation sociale : « Il n’y a plus de réalité extérieure au système luimême »11. Cette société programmée12 fonctionne selon un schéma de va et vient créatif permanent vers elle-même. Elle s’auto-entretient. Dans ce système, la distance, autrement dit l’épaisseur entre l’individu et le phénomène représenté, n’existe plus. Nous sommes dans No-Stop City. La métropole n’est donc plus la vérification du système. Mais, en agissant selon le même mode que la société qui l’a établie, elle devient le système13. Elle est l’expression même des fluctuations incontrôlées. Elle devient sa propre représentation. L’interprétation est directe, totale et change d’échelle. Le décalage est banni. La ville terminus n’existe plus, la métropole tentaculaire l’a remplacée. Les problématiques s’entremêlent et concernent finalement la totalité du territoire. La définition de la ville a palpité pour tendre vers d’autres sens. La ville dont on parle quotidiennement semble présenter des fonctions sur le plan formel, alors que la réalité en elle est totalement différente. 11. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 178, 187 p. 12. Selon la définition de TOURAINE (Alain), La société post-industrielle, Ed. Médiations, 1976, 315 p. (cf. Démarrage). 13. On peut, dans cette configuration là, effectuer une comparaison semblable à celle d’Italo Calvino qui, dans son livre les villes invisibles, comparait la ville à un organisme vivant qui s’alimente, croît, se régénère et se modifie dans les logiques des temporalités qu’elle suit. Système auquel on ne peut pas imposer de règles trop oppressives car « contre-nature ». L’animal sauvage qu’elle est ne peut être mis en cage.


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Ce réel évident correspond à des phénomènes hétérogènes résultant de la globalisation et à d’autres mutations (comme le travail diffus, le télétravail de la génération high-tech, etc.)14. Elle est devenue une réalité immatérielle métropolitaine sans fin. Elle est sa propre histoire. Histoire riche, constituée d’une accumulation temporelle de couches successives, d’agrégats et de collages15. No-Stop City est désormais un fait. Le champ d’action du marché s’étend sur toute la surface du globe, les télécommunications ont reconfiguré notre perception de l’espace16 et certains équilibres naturels indispensables (par exemple la profondeur des immeubles en rapport avec l’aération et l’éclairage naturel) se sont fait dépasser par des systèmes artificiels tels l’éclairage artificiel ou encore la micro-climatisation, comme le prévoyaient les modèles urbains généraux des Archizoom. Or, affirmer qu’une utopie, en l’occurence No-Stop City, ait pris vie, est, comme nous l’avons vu (cf. Le Projet négatif), contradictoire. Elle cherche à être parfaitement uniforme alors que la réalité en son sein est tout autre. Il est donc important de préciser que ces « nouvelles techniques » (NTIC) trouvent leur légitimité dans le besoin. Elles répondent à une demande. Le réseau lisse, quadrillé et virtuel n’est pas présent partout. L’uniformité métropolitaine génère du vide, des inégalités et des polarités17. Il y a en réalité une hiérarchie de l’urbain. Or, aujourd’hui tout ce 14. BRANZI (Andrea), conférence au Centre Pompidou, Paris, jeudi 1er octobre 2009, url : http://metropoles.centrepompidou.fr/intervenant.php?id=6 15. ROWE (Colin), KOETTER (Fred), Collage City, traduction de HYLTON (Kenneth), Ed. Supplémentaires, Centre Georges Pompidou, Paris, octobre 1993, 271 p. 16. GOLDBERGER (Paul), The Malling of Manhattan, Metropolis, Mars, 2001, pp. 136-139, 179p. 17. BASSAND (Michel), Métropolisation et inégalités sociales, Presse polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 1997, 245 p.


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qui se détache du système est rejeté. La No-Stop City que nous habitons n’admet pas ses craquelures et cherche à les dissimuler. Par exemple, on parle de « franges urbaines » et de « réhabilitation » pour évoquer ces espaces « en marge », tout cela afin de racheter leur gênante vocation terrestre. Ces espaces sont les verrues que l’on ne souhaite pas voir et qui sont pourtant des preuves que l’espace urbain n’est pas univoque, qu’il n’a pas qu’une seule valeur d’usage. On est dans l’amnésie historique où l’on refuse toutes traces, tout témoignage. C’est une sorte de schizophrénie paradoxale car la société refuse de « reconnaitre un milieu physique comme la prolifération naturelle de l’organisation du social »18. On préfère dissimuler l’objectivité d’espace d’usage qu’on a donné à l’espace urbain (permettant l’altérité, la variation et tous ces espaces « autres ») derrière une allégorie figurative, de façon à ne pas révéler les tares du système et autres dysfonctionnements qui n’en sont finalement pas vraiment. Mais, dans cette configuration uniforme, qu’en est-il de l’architecture19 ? Est-elle diluée elle aussi dans le magma métropolitain ? Quel rôle doit-elle y remplir ? En ce début de siècle, l’architecture, par sa forme, se fige et reste en marge du phénomène. Elle devient une simple enveloppe détenant encore des fonctions internes mais n’activant pas l’espace urbain. Elle est la dernière trace de fabrication en ville20. Andrea Branzi estime qu’elle « ne parvient pas à s’imaginer 18. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 185, 187 p. 19. « Architecture » entendue ici comme discipline établissant des principes nécessaires à l’organisation d’un ensemble. Elle est l’art de bâtir mais aussi de structurer et d’agencer. Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ (cf. Démarrage) 20. BRANZI (Andrea), Nouvelles de la métropole froide : design et seconde modernité, Traduit par Christian Paoloni, Les Essais, Centre Georges Pompidou, Paris, 1992, 143 p.


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elle-même comme une réalité abstraite, immatérielle, sensorielle, comme un flux de fonctions et d’informations qui n’ont pas de rapport immédiat avec la forme des structures, mais avec la condition métropolitaine contemporaine, qui n’est pas rapportable à des questions formelles, mais plutôt à des questions physiologiques, génétiques, fonctionnelles de l’organisme humain »21. En effet, elle reste enlisée dans une restitution allégorique des conflits (entre probabilité et définition) par des métaphores visuelles et formelles. Or, Djamel Klouche, architecte-urbaniste travaillant sur les problématiques du « Grand Paris », affirme qu’à présent « la métropole n’est plus un lieu que l’on peut dessiner, mais une condition que l’on peut décrire »22. Elle n’est pas une somme d’architecture. « La typologie comme figuration fonctionnelle »23 n’est plus capable de représenter la société dans sa nouvelle réalité sociale, pas plus que ses aspirations. Ne correspondant pas à la condition urbaine immédiate, l’architecture s’est dissolue dans notre No-Stop City. Une de ses intentions est de permettre à ses usagers de se libérer à l’intérieur d’une figuration extrêmement rigide. Mais si elle n’en a plus les moyens, il faut envisager la possibilité de s’extirper des modèles et de tout ce qui « caractérise l’architecture comme figuration de l’espace »24. Il va être nécessaire de la repenser en tant que structure de support ouverte permettant une liberté créative totale. Mais comment la projeter à présent ? Peut-on imaginer un futur dans un espace qui s’auto-alimente et où l’épaisseur 21. BRANZI (Andrea), Architecture enzymatique, FRAC Centre, 2004, url : http://www.frac-centre.fr/upload/document/journaux_expos/2004/ FILE_4cc945aebc2e9_branzi_32p_v3.pdf/branzi_32p_v3.pdf 22. AUC, Consultation internationale pour le Grand Pari(s) de l’agglomérattion parisienne, Paris, 2008, url : http://www.ateliergrandparis.fr/ aigp/conseil/auc/AUCfsc01.pdf 23. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 178, 187 p. 24. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, pp. 179, 187 p.


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conceptuelle à l’air de ne pas exister ? Le référentiel doit être reconsidéré. Si l’on s’en tient au propos de Djamel Klouche, il semble qu’on ne puisse plus dessiner et donc projeter la métropole mais seulement la décrire. C’est à dire être conscient de la façon dont elle fonctionne, se conçoit et se régénère. Alors, se demander pourquoi chercher à redéfinir des éléments (comme l’architecture par exemple) de l’espace métropolitain ? Qu’apporterait une relecture puisque l’on ne peut plus projeter ? Pourtant, il est indispensable de garder à l’esprit qu’une vision descriptive de la métropole est déjà un projet en soi puisqu’elle est une forme d’abdication devant l’urbain et donc de choix. De plus, il semble important de préciser qu’il n’est pas question ici de réfuter le système ou bien même de proposer une alternative. A la manière des Archizoom, nous devons nous inscrire dans une continuité temporelle tout en questionnant le projet par le projet. C’est en mettant à jour cette façon de procéder que nous trouverons des bases pour ne plus uniquement « subir » notre situation urbaine contemporaine. Ainsi, en suivant ce cadre, et dans l’optique d’une résistance à l’idée d’une condition métropolitaine uniquement descriptive, une prise de position est nécessaire25. Comme nous l’avons vu, la métropole actuelle se caractérise, à l’image de No-Stop City, par son espace infini et son absence de limites. Or, la réalité en son cœur est tout à fait différente. Par conséquent, une forme de résistance pourra consister, en s’appuyant sur les défaillances (vues en partie précédemment : rejet de traces, architecture vide de sens, etc.), de la métropole, de redonner un contour à un espace qui prétend ne plus en avoir. Il s’agit finalement d’une démarche similaire 25. AURELI (Pier Vittorio), The possibility of an absolute architecture, MIT press, 2011, 251 p.


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au projet négatif des Archizoom puisque en acceptant l’utopie No-Stop City comme réalité, on va se servir de ses craquelures dystopiques pour donner un sens nouveau au projet. En affirmant avec force l’existence d’une limite, on actualise leur propos. C’est finalement dans cette distance, dans cet interstice que la substance conceptuelle émergera, la prise de position étant déjà du projet. Mais quelle est l’image de cette limite ? Quel rapport entretient-elle avec No-Stop City ? La métropole est la ville que prévoyait No-Stop City. Nous n’avons plus, à priori, l’utilité du propos critique des Archizoom qui aujourd’hui manque de puissance. En revanche, nous semblons avoir toujours besoin de ses démarches. No-Stop City est, si l’on se réfère aux notions psychanalytiques freudiennes, à la fois un diagnostic et une cure thérapeutique26. Les Archizoom ont, en premier lieu, identifié l’incapacité du capitalisme tardif à s’emparer de la ville bornée. Andrea Branzi s’interroge pour savoir si le capital se pose aujourd’hui encore, comme il y a un siècle27, le problème de la gestion de son image et de son fonctionnement au niveau de la forme urbaine, ou si les transformations qui ont eu lieu et qui sont en cours n’ont pas plutôt transféré sa réalité sur une autre échelle, transformant le concept même de « ville»28. Elles ont généré la mise en place de ce champ neutre pouvant être support du réseau global des télécommunications, ou encore un simple terrain vague physique. Il est, avant tout, support d’images. Ainsi No-Stop City conserve, malgré son échec 26. VARNELIS (Kazys), Programming after programm : Archizoom’s NoStop City, Praxis: Journal of Writing and Building, Issue 8: Re:Programming, 18 Mai 2006, pp. 82-90 27. On parle de la révolution industrielle de la fin du XIXème siècle - début du XXème siècle. 28. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, 187 p.


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en tant que projet critique, une légitimité conceptuelle. Elle permet aux architectes de comprendre comment dépasser le monde des objets physiques pour atterrir au cœur des collisions de codes qui marquent la nouvelle condition urbaine transcendante29. Elle est un filtre applicable sur la métropole, une sorte d’antivirus rétroactif assainissant, miroir de notre état. En étant à la fois support théorique et notre réalité immédiate, elle nous permet de prendre du recul par rapport à notre situation urbaine. Sa neutralité devient un univers des possibles. Et c’est donc par la formulation paradoxale de sa critique que la mise à jour se construira et que nous projetterons le présent. La limite au système urbain existant sera finalement, en s’affirmant avec force, l’image mise à jour de No-Stop City, le processus étant sa réactivation. L’application de cette actualisation commence à émerger. Néanmoins, se constitue-t-elle selon les mêmes principes, les mêmes valeurs et les mêmes codes ? Quelle forme concrète prend-elle ?

La Limite comme actualisation Afin d’amorcer une mise à jour de No-Stop City, il est tout d’abord indispensable de laisser agir les effets imprévisibles de la métropole. C’est à partir de là qu’il sera possible d’observer et de décrypter ce nouvel environnement. Après quoi, il faudra trouver des codes capables de contrer ce système dans le but d’une projection future30 et de la création de cette « limite ». Dans un texte provocateur, le philosophe italien Paolo Virno 29. VARNELIS (Kazys), Programming after programm : Archizoom’s NoStop City, Praxis: Journal of Writing and Building, Issue 8: Re:Programming, 18 Mai 2006, pp. 82-90 30. id.


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évoque l’apparition d’un fascisme contemporain pernicieux, directement lié au pouvoir économique. Ce phénomène orchestre les fluctuations urbaines actuelles de façon à s’auto-représenter en justifiant l’instabilité existentielle comme condition logique de la vie métropolitaine31. Ce fascisme apparait dans ce contexte social issu de la désillusion moderne des modes de travail (ex-modes de production fordistes). Or, aujourd’hui, le besoin de flexibilité que nous pensions indispensable et que nous nous sommes imposés pour investir et contrôler la métropole contemporaine, nous étouffe. Ce modèle urbain informel, qui tend à réaliser la métropole comme seul produit géographique du capitalisme32 et de ses mécanismes de redistribution, est considéré comme son évolution spontanée et naturelle. On assiste à une déformation des structures sociales par l’explosion du fait urbain. Autrefois, dans la cité athénienne (Vème - IVème siècle avant J.-C) par exemple, la citoyenneté avait une prise sur la vie politique. Le citoyen33 disposait d’un statut enviable, privilégié. Il intervenait dans la prise de décisions et dans la constitution de la cité comme acteur politique. Il y avait une véritable relation de réciprocité entre eux deux34. Aujourd’hui, dans l’espace métropolitain, le « citoyen traditionnel » ne fait plus sens. L’individu hypermoderne l’a remplacé. Il se définit de manière indépendante, la ville comme cadre politique n’ayant plus lieu d’être. Celui-ci n’est pas enclin 31. VIRNO (Paolo), Theses on the New European Fascism, Greyroom and Massachusetts Institute of Technology, Numéro 21, 2005, pp. 21-25, 128 p. 32. Entendu comme accumulation de richesses (matérielles, intellectuelles). 33. « Citoyen » au sens de « membre d’une communauté politique organisée ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 34. SCHMITT (Pauline), DE POLIGNAC (François), Athènes et le politique. Dans le sillage de Claude Mossé, Ed. Albin Michel, Paris, 2007, 220 p.


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à la frustration puisqu’il fonctionne par la satisfaction immédiate de ses désirs. Il refuse l’histoire et l’existence de « l’autre » comme nous l’avons vu (les traces et les dysfonctionnements sont dissimulés). Il est dans une logique permanente de dépassement de soi en quête d’Absolu. Cela dit, il présente aussi des contradictions. C’est par cette recherche d’intensité maximale qu’il peut se retrouver dans un excès d’inexistence lorsque la société ne lui permet plus d’être l’individu qu’il est35. L’individualisme démocratique génère des comportements irresponsables. Ils sont le fruit d’une perversion de cette autonomie acquise par les avancées technologiques. Paradoxalement, c’est par ce personnage évoqué que l’on pourra agir. Peut être que certaines individualités peuvent ponctuellement décider de laisser le système revenir à des logiques « citoyennes »36. Aujourd’hui, face aux défis majeurs de notre époque (changement climatique, préservation de la biodiversité, déplétion des ressources naturelles, limitation des écarts de richesse, etc.), l’émergence d’un « citoyen métropolitain »37 va être nécessaire car il s’agit là de problèmes à résoudre à différentes échelles. D’où l’importance de communautés38 citoyennes. Ceci passe par une réinjection de substance politique afin de structurer localement l’espace urbain. « Le Politique » ne sera plus compris uniquement dans son sens étatique mais comme ce qui « organise d’emblée des êtres absolument différents en considérant leur égalité relative et en faisant 35. AUBERT (Nicole), L’individu hypermoderne, Eres, Paris, 2006, 320 p. 36. LECA (Jean), Sur l’individualisme, Chapitre 7. Individualisme et citoyenneté, Presses de Science Po, Paris, 1991, 380 p. 37. RAYSSAC (Gilles-Laurent), Pour l’émergence d’un citoyen métropolitain, Quaderni, 73 | Automne 2010, url : http://quaderni.revues.org/445 38. « Communauté » entendue comme « état, caractère de ce qui est commun à plusieurs personnes ». Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/


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abstraction de leur diversité relative »39. En nous situant sur le contour de No-Stop City, nous prenons une décision politique car dès lors que l’on prend position, on affirme une valeur politique. Mais aussi parce que l’espace politique naît d’une friction entre différentes individualités et donc dans la limite qui les distingue40. Ainsi, on se rend compte que la mise à jour de No-Stop City aura une valeur politisante à l’image. Les Archizoom lors de la composition de leur œuvre ont, eux aussi, eu recours à des idéaux politiques (Marxisme, Opéraïsmo, cf. Racines et branchements). Cette dimension est déterminante pour projeter l’espace métropolitain. Or, quel va être le support de cette intervention ? L’architecture, comme nous l’avons observé (cf. No-Stop City : L’antivirus), oscille entre le fait de se dissiper ou de devenir le point de recherche fondamental d’une nouvelle ère41. Oubliée du système, elle semble être le levier d’une démarche. Les architectes italiens Pier Vittorio Aureli et Martino Tattara, fondateurs de l’agence Dogma en 2002, cherchent actuellement à réinvestir le projet architectural en se focalisant sur ce qui doit être, selon Paolo Virno, sa « juste mission », à savoir rétablir un ordre principal qui redéfinirait des façons d’organiser et de construire l’habitat. Ils ne veulent pas investir le projet urbain en l’appréhendant à la façon de « managers » de l’habitat. Ils adoptent plutôt un point de vue controversé en questionnant un sujet tabou depuis quelques années : la 39. ARENDT (Hannah), Qu’est ce que la politique ?, Ed. Seuil, Points/Essais, Paris, 1995, pp. 43, 321 p. 40. AURELI (Pier Vittorio), The possibility of an absolute architecture, MIT press, 2011, 251 p. 41. VARNELIS (Kazys), Programming after programm : Archizoom’s NoStop City, Praxis: Journal of Writing and Building, Issue 8: Re:Programming, 18 Mai 2006, pp. 82-90


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forme de la ville42. Forme non seulement dans son aspect stricto-sensu morphologique mais aussi politique, qui s’étendrait jusqu’à sa notion de limite. Le sens de « limite » se réfère ici à deux visions : une perception spatiale que l’on pourrait qualifier de « classique » consistant à étudier la croissance urbaine physique de la métropole. Et une autre, plus conceptuelle sur le sens profond de l’architecture, qui se situe entre aspiration, parfois perverse, au progrès, à la nouveauté, et son rôle dans la contre-action à mener face aux gouvernances du « laissez-faire »43 engendrées par les politiques urbaines néolibérales. La richesse du concept de « limite » réside dans cette ambivalence. L’acte de limiter étant une démarcation à la fois plastique et/ou conceptuelle-politique. Si la « limite » représente d’abord l’implantation de l’homme, alors elle prend également un sens de juridiction. Les organisations humaines et les instances de pouvoir se sont développées par une série de divisions spatiales, de nouvelles barrières et d’une hiérarchisation politique illustrant et formalisant le concept de « limite »44. Par son projet « Stop-City », l’agence Dogma étudie et investit donc la notion de limite à travers la nécessité d’une redéfinition formelle du concept de « ville »45. Stop-City se veut être le projet d’une possible limite, imposable à la ville, constituée autour de procédés graphiques et théoriques comparables à ceux qu’utilisaient les Archizoom. 42. DOGMA, 11 projects, catalogue of AA publications, MM Artbook, Londres, 2013, 120 p. 43. Dans le sens où nous subissons notre condition. Le système n’ayant plus de réalité extérieure à lui-même (cf. No-Stop City : L’antivirus) 44. SCHMITT (Carl), The Nomos of the Earth in the international Law of Jus Publicum Europium, Telos Press, New-York, 2003, pp. 79, 377 p. 45. « Ville » dans son sens le moins connoté, c’est à dire comme objet et phénomène de représentation. (cf. Démarrage)


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Il s’agit donc d’une représentation de la ville architecturée par sa limite. Stop-City se réapproprie le travail des Archizoom, la « NoStop City : système d’urbanisation homogène », au moment où celle-ci n’était plus une utopie d’anticipation mais une critique sarcastique d’un état actuel de la métropole. Dogma va se servir de la démarche négative que nous évoquions. On part de No-Stop City, de l’utopie exacerbée (en l’occurrence réalisée), pour aller vers une reconsidération des craquelures (ce qui est réel mais que l’on dissimule) de la métropole, prouvant, entre autres, que l’urbain ne peut pas être calibré. Il s’agit finalement là d’un projet négatif orchestré sur un projet qui se voulait autrefois « négatif ». Avec l’utilisation de « Stop », Dogma, en plus de placer son projet en opposition sémantique avec No-Stop City, se sert d’un mot très présent dans notre quotidien (conduite routière, interdictions, etc.). Ce dernier nous renvoie immédiatement à l’imaginaire de la prudence, de l’ordre et même de l’interdiction. Il nous met sous tension afin d’éveiller inconsciemment notre attention et de souligner un propos ferme. Dogma est, à la façon des Archizoom, dans une provocation pernicieuse qui se veut affirmative et polémique. Stop-City est l’hypothèse d’un langage architectural nonfiguratif pour la ville. En formalisant la frontière séparant l’espace urbain de l’espace vide, ce projet propose une limite absolue définissant la forme superlative de la ville. Stop-City se développe verticalement à la manière d’un archipel d’îles à hautes densités. La répétition d’une unité de base (bloc de 25m d’épaisseur mesurant 500x500m de large et de long) ainsi que la vertu de la limite contribuent paradoxalement à la croissance de l’urbain (fig. 13 et 14).


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Huit blocs abritant chacun 500 000 habitants sont placés atour d’un carré de 3km de côté. Chacun de ces blocs est une « ville dans la ville », un « immeuble cité » autosuffisant, résistant à la caractérisation par un quelconque programme spécifique. Les moyens de circulations mis en place dans ces blocs sont aussi complexes que ceux d’une ville traditionnelle (horizontaux et verticaux, à vitesse variées, etc.). La circulation est, à la manière de celle de la ville contemporaine, un moyen de hiérarchiser l’espace, d’établir des rythmes et de percevoir le fait urbain. L’immeuble cité n’a pas d’élévation, il est l’expression de la distribution libre de ses différents plans, représenté par une masse blanche sans contours sur leurs collages. Le carré de 3km de côté est une large surface végétale comblée par une forêt dense ayant valeur de limite urbaine46. D’un point de vue graphique, Stop-City se sert des mêmes procédés que les Archizoom mais avec des outils technologiques plus performants. Plan masse, plans, coupes, élévations, perspective linéaire et collages sont leur outils. Là encore se posent les mêmes questions que pour leurs prédécesseurs : traduction partielle, codes inscrits dans une certaines temporalité, etc. On peut aussi se demander si la couleur blanche dans leurs collages fait vraiment sens dans l’idée d’une symbolique de « l’absence » ? N’est-elle pas plutôt le résultat d’un emprunt erroné à des « clichés populaires » ? De plus, en conservant la même « façon de faire » que les Archizoom, Dogma ne se détache de NoStop City sur le plan visuel que symboliquement. Leurs images, au sens visuel, présentent les mêmes faiblesses : partialité de la traduction, entre abstraction et figuration47, 46. DOGMA, 11 projects, catalogue of AA publications, MM Artbook, Londres, 2013, 120 p. 47. Entre abstraction et figuration car on a toujours ce décalage entre une structure graphique atemporelle, qui s’émancipe de tout et des valeurs spécifiques à une époque, en l’occurrence la nôtre.


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etc. Il n’y a eu qu’une translation directe, un changement d’échelle. La technique a évolué mais le résultat est resté le même. L’image globale de Stop-City aurait gagnée à s’émanciper des multiples langages et codes archizoomiens (cf. Langages contrastés) ou à les refaçonner, le propos étant dans la continuité de No-Stop City tout en étant radicalement différent. Stop-City représente un modèle urbain qui tente de tramer architecturalement la ville. La proposition de Dogma poursuit cette idée d’architecture sans qualités que nous proposait No-Stop City à une autre échelle (celle de l’urbain), c’est à dire d’une architecture libérée de son image, du style, de son obligation à être extravagante, de sa forme et/ou encore de son histoire. Dogma réinvestit donc, à travers son projet de Stop-City, le langage non-figuratif développé progressivement par Cerda, Hilberseimer et Archizoom puis se l’approprie de manière antithétique. Si chacun de ces penseurs considérait la ville comme un élément infini, sans limites, continu et homogène, Dogma avec le projet de Stop-City définit une frontière séparant l’urbanisation du vide, se positionnant ainsi comme limite absolue et forme de la ville. L’idée principale de la StopCity vient de l’observation du rapport temporel entre la ville dans laquelle nous vivons et travaillons de nos jours, et celle de la révolution industrielle où les usines et leurs employés tenaient une place primordiale. Notre ville actuelle rappelle, de par certains mécanismes, la ville de la révolution industrielle. Si à l’époque la ville-usine dépendait des processus d’assemblage, celle d’aujourd’hui est dominée par des rapports sociaux immatériels omniprésents48 qui intègrent tous les aspects de la communication et de la 48. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, 187 p.


116

13.

13. Stop City Plan masse Dogma, 2007


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14.

14. Stop City Collage Dogma, 2007


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connaissance humaine dans un processus de production. Autrement dit, la ville contemporaine malgré sa complexité croissante, ses contradictions et ses aspects immatériels, a été réduite à une forme « d’usine contemporaine » dont les habitants sont devenus la nouvelle classe ouvrière. Ceci semble évident si l’on prend en considération le fait que, historiquement, le processus capitaliste, auparavant axé sur la production de biens manufacturés, a étendu son champ à des activités tertiaires centrées sur la production de services tels la communication, les transports, l’éducation scolaire, universitaire, et les échanges culturels, etc49. Toujours est-il que la production est redevenue partie intégrante du spectre des activités sociétales. Cette vision est contraire aux représentations positives de la grande diversité d’identités et d’opinions que les architectes, les sociologues et les artistes contemporains ont l’habitude de souligner et d’encourager. Elle est, en fait, plus obscure et réaliste. Elle montre comment le travail et la production ont envahi la réalité sociétale immédiate pour alimenter l’aspiration au déracinement générique et à l’abstraction50. Pourtant, les théories urbaines et les analyses sociales continuent de rejeter cette réalité et stimulent ainsi une image de la ville comme un encombrement sans réelles valeurs mais aussi comme lieu du spectacle, du plaisir et de la consommation. A l’inverse, Stop City, est un modèle de ville dans laquelle les attributs qui caractérisent la production contemporaine et s’y diffusent (généricité, déracinement et abstraction), 49. TOURAINE (Alain), La société post-industrielle, Ed. Médiations, 1976, 315 p. 50. CAPDEVILLA (Pablo Martinez), The Interior City. Infinity and Concavity in the No-Stop City (1970-1971), Cuadernos de Proyectos Arquitectónicos, 2013, pp. 130-132, url : http://polired.upm.es/index.php/proyectos_ arquitectonicos/article/view/2018


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ne sont pas rejetés mais y sont, au contraire, radicalisés à l’extrême, à un degré ostentatoire. Ils deviennent le surplus politique et esthétique tout en conservant leurs particularités. Désormais, leur lisibilité franche tend à stimuler une nouvelle conscience des classes cherchant à définir des territoires d’arrêts dans l’espace urbain continu : les limites. C’est pourquoi l’idée de proposer des projets à échelle de la ville tout entière équivaut à envisager la possibilité d’émergence d’entités politiques particulières délimitant l’urbanisation. Dogma affirme que les entités politiques de l’urbain ne sont pas des produits dérivés de l’identité sociologique (modes de vie, groupes, communautés, cibles sociales…) mais sont plutôt issus d’une recherche d’équilibre des pouvoirs en jeu (échange, dialogue, confrontation, duel…). Parmi ces pouvoirs figure le « pouvoir du travail »51. Il fait référence au fait que tout ce qui existe dans la société doit être source de production et mis en marche. Cela veut dire que les travailleurs, ou plutôt les gens qui s’inscrivent dans cette condition de travail, peuvent potentiellement être en mesure de développer un jugement exclusif, une idée subjective (issue de la production et s’inscrivant dans ce processus de travail omniscient) qui dépasse toutes les frontières culturelles, sociales et politiques. L’extrémisation de la notion de « pouvoir du travail » contenue dans cette architecture fabrique donc ces entités particulières capables de stopper la prolifération de l’urbain en s’imposant à lui. Or, cette subjectivité superlative ainsi produite ne peut pas être provoquée par l’architecture. En revanche, l’architecture peut mettre en tension certains éléments obligeant ainsi les individus à prendre position et à adopter une opinion propre. 51. AURELI (Pier Vittorio), conférence au Centre Pompidou, Paris, jeudi 1er octobre 2009, url : http://metropoles.centrepompidou.fr/intervenant.php?id=1


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C’est précisément à l’intérieur de ce système que StopCity introduit la question de « limite » comme sa propre finalité52. La limite s’interroge, se provoque, s’étend, se diminue et se transforme en permanence, influençant ainsi l’urbain qu’elle conditionne. Ici, le terme « architecture » n’implique plus la croissance, l’extension, la multiplication et la flexibilité mais suggère une pratique qui borne de telles possibilités. Par conséquent, l’architecture n’est pas, pour Dogma, la création du « tout », mais plutôt la génératrice de création. L’architecture comme catalyseur de subjectivité. Cette idée n’est pas sans rappeler le travail de Oswald Matthias Ungers pour son projet Berlin as a green Archipelago. Associé pendant un moment à Rem Koolhaas, ils développèrent ensemble une hypothèse comme quoi la métropole génère des enclaves dont les différences s’accentuent pour finalement être autonomes. Un archipel d’espaces désirables, voyait ainsi le jour53. Finalement, en 1970 No-Stop City prophétisait l’apparition d’une urbanisation totale de la ville. Aujourd’hui, Stop-City en réinvestissant et en réactualisant le travail des Archizoom, suggère le début d’un lent mais inexorable retour à la ville contre l’urbanisation (et donc la métropole). Si les prémisses théoriques de No-Stop City, à savoir la diffusion, l’ubiquité et la quantité, coïncident avec une vision démocratique et libérale de l’urbain, il en est autrement pour Stop-City qui imagine une vie communautaire fondée sur un esprit de rupture, où la ville se détache du lisse et de « l’espace total métropolitain » tout en structurant les limites de la vie urbaine. Ainsi, en s’opposant à la tendance du moment qui 52. DOGMA, 11 projects, catalogue of AA publications, MM Artbook, Londres, 2013, 120 p. 53. HERTWECK (Florian), UNGERS (Oswald Mathias), MAROT (Sébastien), KOOLHAAS (Rem), La Ville Dans La Ville: Berlin: Un Archipel Vert, Lars Müller Publishers, 2013, 160 p.


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esquive une vision politisante de la ville, Stop-City prétend à théoriser une organisation politique de la ville à travers une forme absolue du projet architectural. Nous entendons ici le terme « théorie » au sens de vision et non pas seulement au sens technique. Nous voyons à travers ce travail qu’une mise à jour partielle de l’image radicale « No-Stop City » peut être amorcée malgré les quelques défauts qu’elle présentera en raison de sa difficulté à s’émanciper de l’objet mis à jour (les mêmes critiques qu’à No-Stop City pourront donc lui être faites). Elle se construira selon des procédés similaires à ce que les Archizoom utilisaient (projet négatif, pouvoir de l’image et autres codes) et prendra par la suite la forme de sa propre limite pour tendre vers des images conceptuelles variées. Images qui seront à leur tour relues et réinterprétées par les générations futures. Nous ne sommes pas dans un processus linéaire mais dans un système cycloïdal voire rhizomatique. C’est finalement la démarche de No-Stop City qui peut être mise à jour et non tant son contenu. A présent, si nous considérons le champ lexical emprunté au domaine informatique que nous utilisons, une mise à jour peut s’effectuer uniquement si la machine, son support, n’est pas déjà dépassée. Ainsi, dans quelles situations concrètes l’actualisation de No-Stop City ne pourrait-t-elle pas se faire ? A quoi ressemble notre machine aujourd’hui ? L’obsolescence nous a-t-elle déjà gagnée ?


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Obsolescence « off » L’Homme du XXIème siècle est impatient. Le processus de développement des générations54, qui se réalise par la

culture et par des techniques symboliques, est de nos jours

régulé par des rythmes soutenus55. C’est à dire que l’on ne va

plus attendre que la prochaine génération se construise mais

on va déjà chercher à activer la suivante pour la dépasser, elle et son résultat.

Nous avons modifié notre rapport à

l’espace-temps sans en prendre vraiment conscience. Il

est maintenant radicalement différent de celui du XXème

siècle. A l’ère des transports rapides et des communications simultanées, la vitesse s’impose comme une qualité majeure presque évidente et intuitive56. Elle a dépassé ce

que l’on imaginait possible, atteignant des domaines quasi

« fictifs » (connexion instantanée, télécommunications, etc.). En ce sens, on pourra affirmer que la vitesse est perçue comme un progrès. Aller contre ce progrès, autrement dit ne pas chercher à « accélérer », serait insensé. Au cours de l’histoire, nous n’avons pas cherché à ralentir. Dans

cette optique, il semblerait que No-Stop City soit un projet fondamentalement anti-progressiste. Ceci car elle dresse

un constat, à partir d’une utopie, pour remettre en question

des principes généraux (projet, image, etc.). Elle marque donc, en un sens, une pause nécessaire. Elle prend le temps

d’expérimenter une approche rétroactive, ce qui est vu, ici, comme « contre-productif ». Par contre, dès lors qu’on la

54. Comprises comme l’action d’engendrer un résultat et donc comme catalyseur du développement des populations. Définition issue du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, url : http://www.cnrtl.fr/ 55. SLOTERDIJK (Peter), Interview : Projekte der Ungeduld, 19 Janvier 2011, url : https://www.youtube.com/watch?v=iD_hIr3zem8 56. VIRILIO (Paul), Vitesse et politique : Essai de dromologie, Editions Galilée, Paris, 1977, 151 p


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considère comme une utopie prophétique réalisée (même

si ce n’est pas notre point de vue), en délaissant son côté critique pour conserver uniquement son espace homogène,

infini et continu, elle s’inscrit et répond parfaitement à cette

ère véloce. N’ayant aujourd’hui plus de vraie valeur critique (cf. No-Stop City : L’antivirus), serait-elle alors, dans ce

contexte, indéfiniment actualisable ? Or, pour répondre à

cela, il faut se demander ce que l’importance exponentielle accordée à la vitesse57 a généré dans nos sociétés ?

Paul Virilio souligne le fait que la vitesse finira par

constituer une finalité en soi et occupera, ainsi, une place

prépondérante dans notre réalité. Il crée le terme de « dromologie » pour définir une science qui s’occupe de la notion de vitesse dans notre société, non plus considérée en

tant que « durée »comme jadis, mais évaluée dans l’optique

de la rapidité. Selon Paul Virilio la vitesse est devenue, suite à la théorie de la relativité58 d’Albert Einstein (1915) et de nos avancées technologiques, un absolu avec lequel et dans lequel on peut désormais penser la réalité.

La dromologie est essentielle pour tenter de comprendre ce nouveau rapport que nous avons évoqué. La vitesse se

ressent donc horizontalement dans l’espace métropolitain. Elle affecte désormais tout. On vante maintenant une

action se réalisant rapidement, ou encore un élément étant compréhensible immédiatement. La vitesse a permis, comme nous l’avons vu, la naissance du « Grand

Village » décrit par McLuhan en 1964 (cf. No-

57. D’autres aspects rentrent également en ligne de compte mais nous nous focaliserons ici sur la vitesse et sur l’étude qu’en fait Paul Virilio. 58. Théorie selon laquelle la vitesse de la lumière est un ultime absolu organisant tout notre système.


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Stop), un espace planétaire où tout est immédiat59.

Ceci est une vision optimiste intégrée à nos logiques consuméristes et productivistes où la vitesse semble être un atout. Mais quels sont les défaillances collatérales de

cela ? Que constate-t-on si l’on change de référentiel ? Aujourd’hui, l’Homme ne prend pas le temps de vivre60. Il se concentre sur la finalité de ses actions et non sur

leur processualité. L’aspect sensoriel des évènements est

considéré comme un obstacle de plus à dépasser. Nous ne goutons plus les territoires. Nous sommes dans une

satisfaction efficace et égoïste de notre propre condition

contemporaine par la vitesse. Et ceci s’applique également à la société actuelle dans son ensemble. Le « trop de réalité » auquel nous sommes confrontés, tel que le défini

Annie Le Brun, a fait disparaitre le rêve de notre horizon.

L’information en « temps réel », la connexion permanente donne naissance à un vivant stérile et empêche toute forme de négation61. Or, quelles sont, à terme, les conséquences de

ce mode de fonctionnement ? Les images, et en particulier No-Stop City, en ont elles pâti ?

Nous en prenons conscience, la vitesse influence notre perception du réel. On pourrait même affirmer qu’elle la

contrôle, nous faisant parfois produire de sombres échecs

(cf. krach boursier, hiérarchisation par la vitesse, etc.)62. Elle est un filtre nous faisant aspirer à un idéal qui est le sien,

celui du « toujours plus rapide ». De plus, elle façonne les 59. COUPLAND (Douglas), Marshall McLuhan, Trad.: PARE (Jean), Boréal, Paris, 2011, 246 p. 60. KUNDERA (Milan), L’immortalité, Gallimard, Paris, 1993, 420 p. 61. LE BRUN (Annie), Du trop de réalité, Folio essais, Paris, 2004, 320 p. 62. VIRILIO (Paul), Vitesse et politique : Essai de dromologie, Editions Galilée, Paris, 1977, 151 p


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systèmes (économique, politique, culturel, technologique, etc.) à son image. Par exemple, la démocratie63, autour de laquelle nous avons développé notre identité et dont nous

absorbons les idées depuis notre enfance64, s’y accorde. La

multiplicité d’opinions qu’elle génère s’inscrit dans ces

logiques. Elle vulgarise la quantité. Elle se veut équitable (ou du moins presque) en permettant l’accès instantané à

ce qui la constitue, faisant d’elle, comme tous les autres rouages de notre société, un produit de la vitesse.

Ainsi, on ne peut qu’assister, à travers tout cela, à un remodelage du monde qui déteindra sur tous ses composants. L’image de No-Stop City dans son sens

profond (critique, réflexion sur le projet, sur le médium) ne

correspond pas, comme nous l’évoquions, à cette nouvelle réalité sociétale créée autour de la vitesse. Aussitôt mise à jour, sa nouvelle définition sera déjà dépassée. Plus qu’une

« obsolescence programmée »65, nous parlerons d’une forme « d’obsolescence inconsciente voulue » contre laquelle il semble difficile de lutter. No-Stop City s’inscrivant dans

la continuité du système, elle n’y échappe par conséquent pas. Ce positionnement de base qui faisait sa force, c’est

à dire être dans le système pour le critiquer profondément, l’a finalement enchaîné et rendu obsolète avant d’avoir été mis à jour.

De plus, les images visuelles qui constituent No-Stop 63. Nous ne remettrons pas en question ce système politique ici. Nous restons dans son cadre. 64. LEMASSON (Laurent), La démocratie radicale de Jürgen Habermas. Entre socialisme et anarchie, Revue française de science politique 1/2008 (Vol. 58), pp. 39-67, url : www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2008-1page-39.htm. 65. LATOUCHE (Serge), Bon pour la casse: Les déraisons de l’obsolescence programmée, Ed. Les liens qui libèrent, Paris, 2012, 100 p.


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City n’ont plus, dans ce contexte, cette essence que les

Archizoom cherchaient à leur attribuer. Elles sont relayées au même rang que l’amas informe d’images que nous ingérons

chaque jour sur les réseaux sociaux, dans les publicités et autres plateformes technologiques. L’image à « consommer

tout de suite »66 est le fruit du travail de la globalisation médiatique de ces dernières décennies. Elle nous comble

visuellement selon nos nouveaux critères mais semble avoir perdu sa profondeur et son intensité sémiotique. Pouvons-

nous aujourd’hui encore prendre du recul pour questionner le statut et le sens de l’image ?

Rajoutons à notre éloignement vis à vis de l’image une distance supplémentaire générée par le médium utilisé. Etant depuis toujours une projection sur un écran67, l’image, au sens visuel, n’est donc que « l’image d’une image »68.

Ceci parce-que l’écran la détériore. Il n’est qu’une surface servant d’intermédiaire. Cette relation médium-objet nuit

à l’image car elle n’est plus maîtresse d’elle-même. Elle dépend d’un écran qui est sans énigme, sans articulation. Pour Marshall McLuhan, le vrai message est devenu le médium

en soi et pour soi69. C’est le médium et ses évolutions, qui bouleversent les codes établis pour étendre le champ de la réalité. McLuhan prend l’exemple des médias en affirmant

que ce n’est pas tellement le contenu qu’ils transmettent qui

représente au mieux notre réalité, mais c’est leur existence même qui fait sens. Elle atteste de l’état des technologies de

66. MICHAUD (Yves), Qu’est-ce que la culture ?, Editions Odile Jacob, Paris, 2001, pp. 307, 849 p. 67. « Ecran » compris comme un support, une surface accueillant la projection. 68. KATZ (Stephanie), L’écran, de l’icône au virtuel: la résistance de l’infigurable, Collection ouverture philosophique, Paris, 2004, pp. 19, 268 p. 69. MCLUHAN (Marshall), The medium is the message, in Understanding media : the extension of man, 1964, 18 p., url : http://web.mit.edu/allanmc/ www/mcluhan.mediummessage.pdf


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notre société.

Ceci veut dire que ce sont désormais nos avancés technologiques, dont la vitesse est le catalyseur, qui ont

remplacé nos images en nous les transmettant. Cette idée

insiste donc un peu plus sur le fait qu’une réelle distance néfaste s’est créée et tend à s’amplifier entre notre personne

et les images. No-Stop City ne serait donc plus crédible car ses médiums l’ont devancée.

Nous voyons donc, à travers ces diverses études, la nouvelle

réalité dans laquelle nous vivons et qui efface notre intérêt pour une hypothétique mise à jour de l’image radicale NoStop City. A partir du moment où nous nous détachons de ce qui façonne le langage de No-Stop City (production graphique, retournement du projet, etc.), nous nous écartons

aussi de sa mise à jour. Une actualisation de No-Stop City peut-elle donc, en dépit de ses chances restreintes, s’insérer dans ce contexte « dromologique » ?

La rapidité du monde contemporain, de par cette influence qui tend à être absolue, a de lourdes conséquences néfastes

sur lui. Nous en avons déjà mentionné certaines d’ordre

individuel (aspect sensoriel mourant, individualisme renforcé, notion de temps qui cherche à être dépassée, etc.).

D’autres touchent plus globalement la société (obsolescence, consommation sans limite du visuel, médium qui dépasse

l’objet représenté, etc.). Mais ce qu’il faut également prendre en considération et qui finit de détruire le rêve d’une

future mise à jour de No-Stop City c’est la vulgarisation de cette société. « Issue du haut, la vulgarité est devenue une


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allégorie de l’époque actuelle (…) »70 nous disent Philippe

Trétiack et Hélène Sirven. Vulgarisation qui se nourrit de nos

productions et qui flirte avec le malaise. Elle croît et s’infiltre partout parce-que le nouveau visage du monde dont nous

parlions a fait perdre de la crédibilité aux composants de la

société. Tout est aujourd’hui « mélangé » dans l’intérêt d’un nivellement abrutissant. L’accélération, l’hyper-connexion, le « Grand Village », et donc nos manières contemporaines

de vivre expriment cette vulgarisation. Les représentations se brouillent les unes aux autres et la vitesse intensifie ce phénomène.

Ce qui, par voie de conséquence, a déteint sur l’image de

No-stop City. Elle s’est vulgarisée pour se vider de sens, implosant avec son image lorsque celle-ci a été privée de ce

qui l’élevait au rang de « réelle réflexion ». No-Stop City est autant dépassée que sa mise à jour.

Finalement, après cette analyse « dromologique » des

situations actuelles auxquelles nous sommes confrontées, nous constatons que l’Homme programme son obsolescence.

Il prévoit le surpassement de ce qu’il envisage de projeter. Comme s’il avait développé une sorte d’absolu qui trahit son

humanité en lui indiquant ce qu’il doit suivre avec frénésie.

C’est donc par lui-même que l’homme rend obsolète ce qu’il conçoit71.

Nous créons nous-mêmes, à travers cette voie, les conditions d’échec de la mise à jour de No-Stop City. Elle est dépassée

70. TRETIACK (Philippe), SIRVEN (Hélène), Limite vulgaire, Stock, Paris, 2007, pp. 6, 243 p. 71. ANDERS (Günther), L’obsolescence de l’homme : Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle (1956), Editions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2002, 360 p.


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avant d’avoir vu le jour, son contenu sera devancé par le

médium de diffusion qu’elle utilise et ses codes sont déjà

vulgaires. La mise en jour passe donc en « off », elle s’éteint enterrant avec elle l’image radicale No-Stop City jusqu’à une future surchauffe du système qui la libérera peut-être.


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Formatage

No-Stop City proposait une vision extrême de la civilisation industrielle, comme productrice d’un système décoratif, répétitif, horizontal, se voulant privée d’éléments symboliques, où l’Histoire y était dédramatisée. Il s’agissait d’un système basé sur la répétition des signes, diffus et fluides, à l’intérieur duquel l’architecture et la nature, comme des exceptions, comme des incidents, se dissolvaient et disparaissaient dans l’espace amniotique des métropoles1. Stop City, elle, partait de No-Stop City comme « prophétie réalisée » et voyait en l’architecture une instance capable de répondre à cela en redonnant un contour, une identité, et une

1. BRANZI (Andrea), No-Stop City, Archizoom Associati, Ed. HYX, Orléans, 2006, 187 p.


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forme de lisibilité globale de la métropole2. No-Stop City et Stop City sont toutes les deux des choix politiques. L’une par son constat prévisionnel critique, l’autre par sa résistance exaltée. Il faut donc envisager le fait qu’une remise en question de la réalité immédiate métropolitaine par l’image se construit en partie autour d’une volonté politisante sous-jacente. Les Archizoom et Dogma se posent, selon leur temporalité respective, la question de la légitimité architecturale en rapport au fait urbain et de sa dimension politique. Malgré leurs finalités différentes, ces deux approches ont la même logique et la même organisation (cf. « La Limite comme actualisation »), Stop-City étant un résultat d’une mise à jour de No-Stop City. Dogma prouve ainsi que NoStop City est d’actualité sans l’être. Elle est dépassée par des données représentatives d’une époque antérieure à la nôtre, mais aussi parce qu’elle a perdu son statut d’image critique lors de sa concrétisation. Pourtant, son organisation et son processus de projet semblent encore être sensé, mais jusqu’à un certain point. La mise à jour de cette image radicale politique s’amorce sur ces bases-là. Or, elle s’inscrit forcément dans une temporalité précise. Il y aura donc un instant « t » où elle sera débordée par l’évolution rapide (liée au besoin de vitesse) de la définition de sa propre organisation (cf. Obsolescence « off ») et où elle deviendra obsolète. Mais alors, comment espérer mettre à jour durablement No-Stop City (ou même d’autres images) en vue de projeter la métropole ? Dans un espace métropolitain en perpétuel changement, il faut être capable d’adapter cette mise à jour au même rythme, avant l’apparition de l’obsolescence. 2. DOGMA, 11 projects, catalogue of AA publications, MM Artbook, Londres, 2013, 120 p.


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Mais comment tenir cette cadence ? Andrea Branzi pense qu’il « faut avoir une représentation de notre société comme quelque chose qui se développe à condition de se reformer de manière permanente »3. Elle doit tous les jours produire de nouvelles lois, de nouveaux programmes, de nouvelles règles. Nous devons intégrer cette logique dromologique4 (cf. Obsolescence « off »). On ne peut plus parler en utilisant les programmes des siècles passés. Cette « nouvelle civilisation réformiste »5 doit être capable de produire une énergie dynamique pour pallier à ses propres défaillances. Ainsi, pour répondre aux changements drastiques et véloces de notre ère, il faudrait une mise à jour permanente de No-Stop City qui devrait être instantanée et immatérielle. Outre cette actualisation constante, et pour la conserver durablement, l’architecture ne devrait plus chercher à y réaliser le projet définitif (comme les modernes l’envisageaient), mais plutôt des sous-systèmes imparfaits, incomplets, élastiques. « Une architecture moins portée vers la composition et plus enzymatique »6. Pourquoi ne pas envisager des modèles d’urbanisation et de représentations « faibles »7, qui ne réaliseraient pas une solution formelle permanente mais resteraient réversibles sur une longue durée ? Ne serait-ce pas un début de solution contre l’obsolescence ? Peut-être. Mais difficilement réalisable compte tenu de la grande 3. BRANZI (Andrea), conférence au Centre Pompidou, Paris, jeudi 1er octobre 2009, url : http://metropoles.centrepompidou.fr/intervenant.php?id=6 4. VIRILIO (Paul), Vitesse et politique : Essai de dromologie, Editions Galilée, Paris, 1977, 151 p. 5. BRANZI (Andrea), conférence au Centre Pompidou, Paris, jeudi 1er octobre 2009, url : http://metropoles.centrepompidou.fr/intervenant.php?id=6 6. BRANZI (Andrea), Architecture enzymatique, FRAC Centre, 2004, url : http://www.frac-centre.fr/upload/document/journaux_expos/2004/ FILE_4cc945aebc2e9_branzi_32p_v3.pdf/branzi_32p_v3.pdf 7. id.


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diversité ankylosante d’acteurs et d’intérêts qui rentrent en confrontation face à ce genre d’idées. Peut-être faut-il alors accepter la partialité d’une projection imagée de la métropole. Attention, cela ne veut pas dire être pessimiste. Alors que Manfredo Tafuri croit en une mort ponctuelle et définitive de la discipline architecturale dans les années 70, Archizoom envisage sa mort comme un moyen pour renaître8. Pour Andrea Branzi, la culture moderne (la peinture, la littérature, la musique, etc.) a plongé dans un vide sans sens pour se régénérer, exceptée l’architecture qui n’a jamais pris en main son propre décès et est donc restée derrière les transformations9. Mettre à jour No-Stop City va nous servir à rétablir ponctuellement la valeur de l’architecture dans l’intérêt d’une projection future tout en étant relativiste quant à notre pratique d’architecte. On peut tout à fait rester dans la logique des Archizoom malgré l’obsolescence future de la mise à jour. On peut aussi, à leur manière, utiliser un projet pour lire un présent invisible et questionner des outils (utopie, image, etc.). Ceci semble pertinent pour les appréhender différemment et sortir de nos schémas classiques. Il se peut que les problèmes de notre société n’aient pas besoin de solutions parce que nous ne les avons pas encore inventées10. Le projet ne doit pas seulement répondre à une question, il doit être question par la tension qu’il génère. Colin Rowe prône « une désillusion constructive, une prise en compte de l’ordre et du désordre, du simple et du complexe, de la référence immuable et de 8. CAPDEVILLA (Pablo Martinez), The Interior City. Infinity and Concavity in the No-Stop City (1970-1971), Cuadernos de Proyectos Arquitectónicos, 2013, pp. 130-132, url : http://polired.upm.es/index.php/proyectos_arquitectonicos/ article/view/2018 9. VARNELIS (Kazys), Programming after programm : Archizoom’s No-Stop City, Praxis: Journal of Writing and Building, Issue 8: Re:Programming, 18 Mai 2006, pp. 82-90 10. id.


l’événement aléatoire, du secteur public et du domaine privé, de l’innovation et de la tradition, du geste rétrospectif et de la prophétie »11. La démarche des Archizoom qui consiste à investir le projet, le vocabulaire et les images pour les remettre en question sur leur signification profonde est toujours d’actualité et pourra-t-être utiliser constamment. C’est une démarche fondamentale qui n’a pas besoin d’être mise à jour mais qui pourra être un instrument de mise à jour. No-Stop City est un projet né dans la friction générée par l’association de données pas toujours compatibles. Il s’est constitué par l’observation et la recherche. C’est en quelque sorte un « projet expérimental ». Aujourd’hui, nous nous en emparons sans forcément avoir conscience de son sens critique profond lié à un contexte différent. Nous l’avons vu, celui-ci semble déjà désuet. Pourtant, la liberté d’interprétation graphique que les Archizoom laissent à leurs images, ou qu’ils ont dû laisser faute de maîtrise, permet à chacun, si l’intérêt le gagne, d’établir un lien avec elles malgré la vitesse de consommation abrutissante et l’évolution des intérêts. Pour une personne, No-Stop City va avoir une valeur iconique, pour une autre, une valeur artistique, pour une autre encore, elle sera « démodée » ou même sans valeur, etc. Elle peut être à la fois tout ou rien. De plus, c’est peut être sa radicalité et le fait qu’elle veuille tout englober, qui nous permet aujourd’hui d’y avoir tous accès, peu importe l’angle d’approche. Sa radicalité lui permettrait-elle de résister à l’obsolescence ?

11. ROWE (Colin), KOETTER (Fred), Collage City, traduction de HYLTON (Kenneth), Ed. Supplémentaires, Centre Georges Pompidou, Paris, octobre 1993, pp.31, 271 p.


No-Stop City est un recueil polémique qui aurait donc un sens plus profond. Les Archizoom se seraient fait dépasser par leur propre produit et les changements sociétaux. NoStop City et sa mise à jour sont en train de devenir obsolètes (si elles ne le sont pas déjà). Mais l’image No-Stop City existera toujours parce qu’elle a été, un jour, projetée. De là dériverons, ou ne dériverons pas, des nouveaux programmes que l’on pourra qualifier de mise à jour puisqu’ils utiliseront la substance de No-Stop City. Il y a donc aussi des degrés de mise à jour. Ce Mémoire sur No-Stop City m’a ouvert d’autres dimensions de projet. J’ai pris conscience que c’est peutêtre l’existence même de No-Stop City, et non pas sa mise à jour, qui marque un point fondamental. Peu importe si elle est notre passé, notre présent ou notre futur, elle est là. Et c’est elle qui nous permet d’avoir, aujourd’hui, de nouveaux outils de conception. C’est ainsi qu’à partir de telles images complexes, on arrivera à questionner cette substance créative et vitale de nos sociétés qu’est le projet.


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fig. 2 : No-Stop City, Perspective linéaire à un point de fuite, Archizoom Associati, 1970, url : http://www.gizmoweb. org/2014/04/un-radical-racconta-i-radical/ fig. 3 : Pikbou, poème extrait du recueil Ozieux, Pierre Garnier, 1966, url : http://lieucommun.canalblog.com/ archives/_print_poetes_11___paysages___traductions/ index.html fig. 4 : Diagramme d’Habitabilité Homogène, Hypothèse d’un langage non-figuratif, Archizoom Associati, 1969, url : https://www.pinterest.com/pin/425942077230271671/

fig. 5 : No-Stop City, Maquette avec miroirs | Boxes, Archizoom Associati, 1969, url : https://fr.pinterest.com/ pin/84935142943654580/


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fig. 6 : Photomontages urbains, Immeuble de rapport pour centre historique, Archizoom Associati, 1969, cf. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p. fig. 7 : Photomontages urbains, Mégastructure en série d’arches, Archizoom Associati, 1969, cf. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p. fig. 8 : Diagramme d’Habitabilité Homogène, Hypothèse d’un langage non-figuratif, Archizoom Associati, 1969, url : https://www.pinterest.com/pin/496240452667467668/ fig 9 : No-Stop City, Coupe perspective, Archizoom As.sociati, 1970, cf. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p. fig. 10 : No-Stop City - Internal landscapes, Photographies | Montages, Archizoom Associati, 1970, cf. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p. fig. 11 : No-Stop City - Internal landscapes, Photographies | Montages, Archizoom Associati, 1970, cf. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p. fig. 12 : No-Stop City - Plan typologique continu, Schémas de montage des habitations temporaires, Archizoom Associati, 1970, cf. GARGIANI (Roberto), Archizoom Associati 1966-1974. De la vague pop à la surface neutre, Electa, Milan, Octobre 2007, 344 p. fig. 13 : Stop City, Plan masse, Dogma, 2007, cf. DOGMA, 11 projects, catalogue of AA publications, MM Artbook, Londres, 2013, 120 p.


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