NoĂŠmie Prin
Intelligence Collective
Mémoire de fin d’étude
Master II Design Industriel, promotion 2012 Majeure Design de systèmes et objets interactifs
Directeur de diplôme : Pascal Salembier
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préface Introduction
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I - La complexité dans le monde d ‘ aujourd ‘ hui
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1. Des enjeux complexes
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1a. Les enjeux des entreprises 1b. Les enjeux en recherche et développement 1c. La complexité au cœur de l ‘ industrie
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2. Focus sur la complexité aujourd ‘ hui
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2a. Discerner la complexité 2b. Un nouveau paradigme 2c. La complexité de s ‘ adapter à un futur incertain
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3. Les modèles pour appréhender la complexité 3a. La «simplexité», une représentation de la complexité 3b. L ‘ inspiration du vivant, des mécanismes auto-organisés 3c. Le Web, un système complexe particulier
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II - L ‘ Intelligence Collective pour traiter cette complexité
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1. L ‘ Intelligence Collective, une notion trop galvaudée
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1a. Définition 1b. Les différentes formes de l ‘ Intelligence Collective 1c. L ‘ Intelligence Collective aujourd ‘ hui, à l ‘ aube d ‘ une nouvelle civilisation
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2. Les conditions de l ‘ émergence de l ‘ IC humaine 2a. L ‘ «objet-lien» en circulation 2b. Les personnes 2c. L ‘ environnement
3. Les dynamiques de groupe et leurs freins 3a. Les dynamiques 3b. Les freins : le travail subit, la compétition, et la course à la monnaie rare
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III - Les processus modernes de l ‘ Intelligence Collective
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1. Intelligence Collective entre élus et citoyens
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1a. Le Web politique 2.0 1b. La démocratie participative locale
2. Processus de mise en IC de proximité 2a. Le processus sociocratique : la fin de l ‘ autorité 2b. La construction de l ‘ ontologie collective 2c. Les bases d ‘ un atelier créatif
3. Pratiques ouvertes et collaboration en réseau 3a. L ‘ innovation ouverte : partagée et collaborative 3b. Les pôles de compétitivité, un exemple d ‘ innovation ouverte 3c. Le crowdsourcing : faire appel à l ‘ intelligence de la foule 3d. L ‘ usage du wiki pour collaborer en réseau
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Conclusion
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Remerciements Glossaire Bibliographie
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préface
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omment introduire mon mémoire sans relater ma propre expérience en la matière ? Depuis environ 3 ans, j ‘ ai participé à toute une série de travaux en groupe, certains groupes étaient composés uniquement de designers, et d ‘ autres de personnes issues d ‘ horizons très différents ; de toute évidence, on se comporte différemment selon qu ‘ on est seul ou en équipe. Comment se fait-il que des personnes que je connais, qui sont individuellement brillantes, dès lors qu ‘ elles sont mises dans des situations organisationnelles de groupe ou dans des situations de projets, ont des réactions inattendues et des comportements sensiblement différents de ce que j ‘ avais pu percevoir en dehors de ce contexte de projet collectif ? Cela m ‘ a beaucoup frappé. Quant à moi, dans ces expériences de travail en groupe, j ‘ ai ressenti que j ‘ étais plus à l ‘ aise que dans un travail individuel ; je sens que je peux apporter ma pierre à l ‘ édifice, et participer à la résolution de problèmes complexes que j ‘ aurais été incapable d ‘ appréhender seule . Je travaille également en binôme : étant toutes les deux designers, mais dotées de compétences différentes, nous avons remarqué une complémentarité dans nos actions ; ceci a aiguisé ma réflexion sur le sujet. Chaque expérience professionnelle m ‘ a permis de vérifier la légitimité de mon interrogation sur le travail collaboratif. Récemment ma participation à une séance d ‘ innovation ouverte dans le cadre d ‘ un stage a aussi attisé ma réflexion sur les potentialités du groupe à répondre à une demande complexe. J ‘ ai également vécu l ‘ expérience CPI, un partenariat avec des industriels et des écoles de disciplines différentes pour concevoir un produit innovant. Dans un groupe composé de deux ingénieurs, quatre manageurs, et deux designers, nous avons collaboré sur une problématique réelle amenée par un industriel. C ‘ est en travaillant au sein de ce groupe que la révélation s ‘ est produite : j ‘ ai réalisé au fur et à mesure que la communication et la coordination évoluait, qu’une force émergeait et transcendait nos capacités individuelles. La rencontre des différentes disciplines semble favoriser les échanges et améliorer les
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résultats. J ‘ ai remarqué en revanche que dans un groupe, entre les personnes de même discipline, une certaine rivalité pouvait naître. Au cours de mes recherches, j ‘ ai eu l ‘ opportunité d ‘ interviewer des personnes très diverses concernées par l ‘ Intelligence Collective : le directeur de la prospective de la DATAR, un saxophoniste d ‘ un groupe d ‘ improvisation de jazz, un responsable de développement produit d ‘ une entreprise pharmaceutique et une consultante en innovation ouverte. J ‘ ai notamment eu l ‘ occasion d ‘ assister à un atelier de prospective de la DATAR, où différents acteurs du territoire réunissent leurs connaissances et leurs problématiques pour préparer l ‘ avenir des territoires français. Le constat est clair : c ‘ est l ‘ Intelligence Collective qui semble favoriser la réussite de tous ces projets. Dans mes lectures sur le sujet, j ‘ ai découvert pléthore d ‘ exemples d ‘ initiatives collaboratives dans tous domaines, qui induisent une forte potentialité à résoudre des problèmes complexes : tout cela m ‘ a amené à explorer plus profondément la notion d ‘ Intelligence Collective.
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introduction « Les grands enjeux de l ‘ humanité ne sont pas la faim, la pauvreté, le développement durable, la paix, la santé, l ‘ éducation, l ‘ économie, les ressources naturelles… mais notre capacité à élaborer de nouvelles organisations capables de les résoudre. » Jean François Noubel, La révolution invisible, 2007
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upposer l ‘ existence d ‘ une Intelligence Collective est une hypothèse séduisante. Savoir qu ‘ un phénomène d ‘ émergence se produit lorsque sont réunis ensemble, dans certaines conditions, un ensemble d ‘ individus, reste une hypothèse. Car jusqu ‘ à présent, la science n ‘ a jamais prouvé que des individus réunis ensemble étaient plus intelligents que la somme des individus considérés chacun de leur côté. La mise en avant de cette hypothèse a deux origines :
Une première origine est le philosophe Pierre Lévy qui introduit le terme d ‘ Intelligence Collective en 1994 à travers son ouvrage l ‘ Intelligence Collective, pour une anthropologie du cyberespace. Déjà à cette époque, il décela le potentiel du Web comme l ‘ interconnexion des êtres humains transformant en temps réel l ‘ état de la connaissance dans une création collective de savoirs. Dit autrement, le développement des TIC et des outils collaboratifs en ligne (forums, espaces collaboratifs, etc.) porte les prémisses de la valorisation de cette Intelligence Collective. On suppose à travers le développement de ces outils, que la mise en relation d ‘ un nombre important de personnes, avec des dispositifs adaptés, permet de générer une connaissance et une forme d ‘ intelligence qui n ‘ existaient pas au préalable. Donc le développement de ces technologies et tous les phénomènes sociaux qui l ‘ entoure ont tendance aussi à mettre en avant cette dimension. Le deuxième champ dans lequel la notion d ‘ Intelligence Collective est intervenue
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se trouve dans la théorie de systèmes d ‘ Edgar Morin1: Dès lors que des individus sont ensemble et forment un système, dans certaines circonstances, des qualités émergent qui ne correspondent à aucune des qualités présentes chez eux avant qu ‘ ils se réunissent. Parmi ces émergences, survient le phénomène d ‘ Intelligence Collective qui permettrait d ‘ obtenir des informations ou de générer quelque chose que l ‘ on aurait pas en faisant travailler séparément chacun de ces individus. Un consensus serait la définition de Jean-Michel Penalva : « L ‘ Intelligence Collective est une hypothèse relative à la capacité d ‘ un groupe d ‘ agents cognitifs humains ou artificiels à atteindre dans l ‘ action une performance d ‘ un niveau supérieur2 ». Ne pourrait-on pas aller au delà de cette définition ? Vraisemblablement, l ‘ Intelligence Collective s ‘ adresse autant au domaine économique que social et politique. De nos jours, le passage au Web 2.0 donne lieu à la collaboration d ‘ un grand nombre de gens pour résoudre des problèmes, ce qui était impensable cinquante ans plus tôt. Or, nous n ‘ oserions prétendre que ce phénomène se produit seulement dans la bienveillance, des déviances existent tels que le pair à pair, ou encore le terrorisme, des conséquences manifestes de la puissance de l ‘ Intelligence Collective. En outre, il convient de ne pas oublier que l ‘ union d ‘ « intelligences » peut avoir des conséquences tragiques : elle a permis l ‘ émergence du nazisme. Sans aller jusqu ‘ à ce point, on observe toujours, au sein d ‘ un groupe, des comportements divers : si certaines personnes se sentent galvanisées, d ‘ autres vont se sentir défiées, mises en danger par le groupe . Dans notre société où tout est devenu complexe, dans un contexte de crise économique, sociale et humaine, les hommes et les femmes doivent obligatoirement s ‘ armer d ‘ une puissante stratégie de connaissance. Pour reprendre JF Ballay, « la connaissance d ‘ un individu n ‘ est qu ‘ une goutte d ‘ eau dans l ‘ océan des savoirs3 ». Déjà à la Renaissance, l ‘ infinité des savoirs inquiétait. Dès lors, la rationalisation de la connaissance par la division des compétences et la spécialisation des individus, s ‘ est répandue dans tous les domaines ; c ‘ est ainsi qu ‘ a pu naître la révolution industrielle. Mais maintenant, avec la complexité et l ‘ incertitude du monde qui nous entoure, le 1 Morin Edgar, 1990, Introduction à la pensée complexe, p.21 2 Penalva Jean-Michel, 2006, Intelligence collective, p.2 3 Ballay Jean-François, Ars Industrialis « Le mythe de l ‘ intelligence collective », URL : http://arsindustrialis.org/lemythe-de-lintelligence-collective-0. Consulté le 11 octobre 2011.
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principe de division des tâches, des fonctions et des savoirs trouve ses limites. N ‘ y a-t-il pas des moyens conceptuels pour essayer de traiter cette complexité, sans avoir la prétention toutefois de résorber toute l ‘ incertitude ? Edgar Morin4, à l ‘ aide de la « pensée complexe », nous suggère de croiser les disciplines afin d ‘ affronter cette complexité. En effet, la complexité désigne « ce qui est tissé ensemble5 ». Il nous invite à ne pas seulement considérer les constituants d ‘ un système, mais de penser l ‘ ensemble. Or, l ‘ union de ces disciplines constitue en elle-même un système. Afin que ce système aborde la complexité, il faut que leurs interactions produisent un ensemble qui dépasse la somme des parties. Cet ensemble émergent peut correspondre à l ‘ Intelligence Collective. La réversibilité d ‘ échanges entre les êtres pose des défis propres que les vieilles recettes sont incapables de résoudre, et qui rendent donc nécessaires la mise en œuvre de l ‘ Intelligence Collective. Il s ‘ agit donc de définir les méthodes à employer pour faire émerger l ‘ IC d ‘ un ensemble de personnes aussi vaste soit-il. Comme l ‘ exposent Vincent Lenhardt et Bernard Philippe dans l ‘ Intelligence Collective en action6, la mise en œuvre de l ‘ Intelligence collective nécessite des méthodes, et des conditions. Mais avant d ‘ aborder cet aspect du sujet, il faut que nous commencions par traiter la complexité dans le monde d ‘ aujourd ‘ hui. Une fois cette analyse dressée, nous aborderons la notion d ‘ Intelligence Collective, ses formes, son évolution, et révèlerons les conditions sous lesquelles elle peut émerger, dans un groupe à petite ou à grande échelle. Enfin, nous divulguerons les méthodes et les pratiques d ‘ Intelligence Collective que l ‘ on emploie dans le monde aujourd ‘ hui pour traiter des problèmes complexes ou maîtriser des situations difficiles.
4 Morin Edgar, 1990, Introduction à la pensée complexe 5 ibid, p.21 6 Lenhardt Vincent et Bernard Philippe, 2009, L ‘ intelligence collective en action
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méthodes
INTELLIGENCE COLLECTIVE
complexité traiter la complexité par l ‘ Intelligence Collective
Monde d ‘ aujourd ‘ hui
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Chapitre I
La complexité dans le monde d ‘ aujourd ‘ hui 9
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ous vivons dans un monde débordant de complexité, dans un certain espace qui se trouve entre l ‘ ordre absolu et le désordre absolu, tels des surfeurs naviguant sur des vagues. Le monde est fait de multiples composants, qui interagissent entre eux ; leurs comportements nous semblent compliqués et imprévisibles, pourtant nous cherchons à les comprendre : c ‘ est la « science de la complexité ». Pour aborder cette complexité, aujourd ‘ hui les chercheurs s ‘ accordent à adopter la démarche dite « systémique », en complément de la démarche « analytique » traditionnelle héritée de Descartes. Nous axerons notre étude sur la complexité des enjeux de notre époque en nous restreignant au domaine économique. Ensuite nous élargirons le champ d ‘ approche pour approfondir la notion de complexité, à travers une grille de lecture entre réalité immédiate et analyse conceptuelle.
1. Des enjeux complexes Il y a un grand nombre d ‘ enjeux dans le monde aujourd ‘ hui tous aussi importants les uns que les autres. Dans la complexité se trouve aussi l ‘ incertitude des implications de ces enjeux. La complexité s ‘ accentue avec l ‘ accroissement des inégalités mondiales ; la crise n ‘ est pas seulement économique, elle est systémique en ce qu ‘ elle remet en cause le mode de vie actuel et ses conséquences néfastes pour l ‘ environnement. Une crise écologique en découle donc. C ‘ est également la complexité des organisations humaines, des échanges d ‘ informations, des transactions, de monnaie et de matière. En outre, la population ne cesse de croître : l ‘ ONU estime qu ‘ en 2050, la population mondiale serait de neuf milliard d ‘ individus1. Aujourd ‘ hui 51% de la population est urbaine, et cette tendance se renforce de plus en plus, conduisant aujourd ‘ hui à l ‘ émergence d ‘ immenses mégalopoles, par exemple, vingt-deux millions de personnes dans la seule ville de Séoul. Ce facteur accentue la complexité de l ‘ aménagement du territoire et de l ‘ organisation administrative des territoires. La complexité se manifeste aussi au travers des évènements inattendus de ces dernières années, comme les attentats du 11 septembre ou la révolution dans les 1 « La population mondiale devrait dépasser les 9 milliards de personnes en 2050 », URL : http://www.un.org/apps/ newsFr/storyF.asp?NewsID=18663&Cr=population&Cr1. Consulté le 10 octobre 2011.
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pays arabes. Ce ne sont que quelques exemples de ce monde extraordinairement complexe.
1a. Les enjeux des entreprises Une étude2 récente qu ‘ IBM a mené auprès des dirigeants d ‘ entreprises, nous expose l ‘ état du nouveau leadership dans le nouvel environnement économique qui est né des deux années de crises que nous traversons actuellement. Ils ont pour cela interviewé plus de mille-cinq-cent dirigeants dans soixante-trois pays différents dont cent-cinquante dirigeants en France, couvrant près de trente trois secteurs d ‘ activités. Cette étude montre que le challenge essentiel d ‘ aujourd ‘ hui est de faire face à la complexité. En effet, la complexité est le principal défi qui est à relever par les entreprises. « Les dirigeants nous disent qu ‘ ils opèrent dans un monde beaucoup plus incertain, volatile et complexe3 ». Cette complexité est caractérisée par une interdépendance et une interconnexion croissante entre des tendances lourdes de l ‘ économie d ‘ aujourd ‘ hui comme la mondialisation, la montée en puissance des pays émergents et la nécessité d ‘ augmenter constamment les règlementations ainsi que des facteurs dits externes comme l ‘ explosion de la technologie, l ‘ accès aux compétences et la gestion des problématiques climatiques. « Cette connectivité accrue a en même temps engendré des interdépendances fortes (et trop souvent ignorées) qui rendent souvent difficile la bonne compréhension de toutes les conséquences que peut avoir une décision4 ». La compétitivité Le « global sourcing5», « pratique de l ‘ approvisionnement du marché mondial des biens et services à travers géopolitique des frontières » d ‘ après Wikipédia, va continuer et inclure de nouvelles régions telles que l ‘ Amérique Latine, l ‘ Indonésie, 2 Étude IBM Global CEO Study, 2010, « Tirer parti de la complexité » 3 ibid. p.8 4 ibid. p.14 5 Prieur Élisabeth, Jovelin Emmanuel et Blanc Martine, 2006, Travail social et immigration: Interculturalité et pratiques professionnelles, p.28-35
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l ‘ Afrique. Ces régions s ‘ industrialisent rapidement et vont bientôt rejoindre le club des pays développés comme les géants émergents que sont le Brésil, la Russie, l ‘ Inde, la Chine, ainsi que le Chili, l ‘ Argentine, la Malaisie et le Mexique, entre autres. Avec l ‘ ouverture de tout ces marchés, et sauf événement majeur qui entrainerait le développement économique actuel, la concurrence va devenir de plus en plus intense et donc les profits plus incertains. Les impacts stratégiques sur le travail collaboratif Selon le futuriste Eric Garland6, l ‘ immigration légale est un atout pour les économies de demain. Les économies mures auront besoin d ‘ immigration. Ainsi, les immigrés talentueux deviendront une grande source de compétitivité dans les marchés futurs. Mais il faut s ‘ engager sur ces politiques dès maintenant. Les entreprises, voire organisations en général risquent énormément, si elles ne relèvent pas ce défi. Le choc sera le plus sévère dans les pays où il y a le moins d ‘ hétérogénéité comme les pays nordiques et le Japon. Les Etats Unis, le Royaume-Uni et la France, semblent les mieux préparés pour accueillir et accepter la main d ‘ œuvre de demain. Les gagnants seront ceux qui apprennent à accepter, recruter, former et retenir les immigrés les plus talentueux. Ethnie, âge, valeur, culture, CDI, CDD, vendeur, consultant : tous dans la même entreprise. Certes, la diversité et la mentalité qu ‘ elle implique sont nécessaires pour les marchés globaux du XXIe siècle. Par conséquent, il faut réfléchir à la complexité de la culture d ‘ entreprise. Quand les organisations auront besoin de main d ‘ œuvre, elles intègreront une diversité d ‘ employés comme jamais cela n ‘ aura été le cas auparavant. Des structures entières se sont développées dans un certain nombre de pays émergents qui demandent des experts et des managers, qui puissent monter en compétence et en proposition de valeur. Le travail devra s ‘ organiser à l ‘ échelle de la planète. 6 Garland Eric, « Eric Garland on the future of immigration », URL : http://vimeo.com/1975165. Consulté le 15 octobre 2011.
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La globalisation exigera des entreprises de faire travailler ensemble des équipes qui pourraient être hétéroclites géographiquement et ethniquement. Le management global et le prix croissant du carburant vont finalement normaliser le télétravail. Les outils de communication en ligne sont idéaux pour faciliter la collaboration entre collègues à distance. La culture de l ‘ entreprise change considérablement, évoluant davantage vers le virtuel. La question cependant reste la suivante : comment garder l ‘ esprit de groupe quand toute l ‘ équipe travaille à distance ?
1b. Les enjeux en recherche et développement Changer les processus d ‘ innovation Le domaine des processus d ‘ innovation a beaucoup d ‘ efforts à fournir : les entreprises industrielles ont des centres de recherche et développement (R&D), dans lesquels se concentrent beaucoup de moyens, et dont l ‘ objectif est « l ‘ innovation ». L ‘ innovation industrielle est d ‘ importance considérable. Au fil des années, le coût de la recherche augmente de façon exponentielle7. Depuis les trente dernières années, les coûts ont augmentés de 5% à 10% annuellement. Ces augmentations de coûts sont dues à l ‘ augmentation des coûts de technologie pour les laboratoires, les salaires des employés et également les efforts nécessaires pour pouvoir innover davantage. On observe actuellement que ces coûts augmentent plus rapidement que les chiffres d ‘ affaires, ce qui est particulièrement inquiétant pour un certain nombre d ‘ organisations de moins en moins rentables En même temps, le cycle de vie d ‘ un produit diminue de façon exponentielle. Un produit qui pouvait rester sur le marché pendant cinq à dix ans, aujourd ‘ hui va rester un ou deux ans ; et même dans certains cas, certains produits comme les téléphones portables ou micro-ordinateurs ne restent sur le marché que quelques mois. 7 « Recherche et développement » URL : http://brises.org/notion.php/progres-technique/innovation/invention/ recherche-developpement/notId/34/notBranch/34/. Consulté le 23 septembre 2011.
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5% à 10% par an
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1 ou 2 ans 1à ou 2 ans à quelques quelques mois mois
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cycle de vie d’un produit
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vie d’un la diminution des cycles de vie avec l ‘ augmentation des coûts, on se Sicycle l ‘ ondecompare produit retrouve avec une diminution de la rentabilité due à l ‘ innovation. En effet, « quand une entreprise entreprend un projet d ‘ investissement et qu ‘ elle emprunte pour le 1financer, ou 2 ans elle s ‘ attend à ce que le résultat d ‘ exploitation dégagé par la nouvelle à 8 activité quelquessoit mois supérieur aux charges financières induites par l ‘ endettement ». A long terme, innovertemps devient de moins en moins payant, ce qui est particulièrement inquiétant. Il s ‘ agit donc de pouvoir gérer cette augmentation de coût, de pouvoir réduire les cycles de développement afin d ‘ être sur le marché le plus rapidement possible, compte-tenu que le produit n ‘ y demeurera pas très longtemps ; les phénomènes de mode étant éphémères et les technologies arrivant très rapidement. On doit développer plus rapidement pour s ‘introduire plus vite sur le marché et maîtriser cette augmentation de coût.
La R&D n ‘ est pas la seule source d ‘ innovation. Dans les entreprises de services, même s ‘ il existe depuis peu des petites unités qu ‘ on appelle R&D, ce ne sont pas des centres de recherche au sens classique du terme. Il s’agit plutôt de centres de stimulation d ‘ idées nouvelles : l ‘ innovation est aujourd ‘ hui le véhicule majeur de développement en ce qui concerne les services des entreprises9. Les études d ‘ IBM10 nous montrent que les entreprises qui progressent sont celles qui innovent en permanence, et les entreprises qui n ‘ arrivent plus à progresser suffisamment vite sont celles qui n ‘ ont pas trouvé le moyen d ‘ innover. Beaucoup d ‘ entreprise ont innové à un moment ou à un autre de leur histoire. Elles se sont fait un nom, se sont positionnées durablement, à l ‘ échelon mondial, sur une innovation à un moment donné : l ‘ innovation industrielle a pris ses racines dans le développement 8 Simonnet, Jean-Paul « Effet de levier d ‘ endettement » URL : http://www.lyc-arsonval-brive.ac-limoges.fr/jpsimonnet/spip.php?article67. Consulté le 23 septembre 2011. 9 Étude IBM Global CEO Study, 2010, « Tirer parti de la complexité », p.14 10 Étude IBM Global CEO Study, ibid
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scientifique et technique essentiellement. Mais depuis quelques années, selon Emilie Labidoire11, on voit que cela ne suffit plus. L ‘ entreprise qui est dans les services, innove à un moment donné et développe un concept nouveau, mais ne peut plus en profiter dans la durée. Et même celles qui avaient bâti leur développement sur une innovation sont confrontées à l ‘ obligation de se remettre en cause, de se réinventer constamment, c ‘ est-à-dire de se nourrir d ‘ un développement, d ‘ une innovation permanente. L ‘ innovation colle à la peau des entreprises, elle constitue le véhicule principal de leur développement. Le problème est qu ‘ il faut savoir innover dans les produits et les services. On est en train de découvrir qu ‘ il y a là tout un champ de travail collectif, de travail ouvert. On ne fait plus de l ‘ innovation dans une tour d ‘ ivoire, elle trouve ses racines en groupes d ‘ entreprises, en écosystème, en grappe d ‘ entreprise. Pour étudier toutes ces questions, il est absolument nécessaire que l ‘ entreprise structure ses activités. On ne peut plus faire de l ‘ innovation d ‘ un côté et de la stratégie de l ‘ autre. C ‘ est de la stratégie d ‘ innovation que dépend la stratégie du développement de l ‘ entreprise, les deux sont intimement liées.
1c. La complexité au cœur de l ‘ industrie Les systèmes industriels sont structurés, à première vue, de manière complexe. On trouve des systèmes qui intègrent les technologies hétérogènes de type mécanique, électronique, informatique, optique et qui comprennent un nombre élevé de composants interdépendants. Ils sont complexes. Les secteurs de la défense, les systèmes de télécommunication, les systèmes d ‘ armement, les aéronefs, les navires, l ‘ aérospatial, le ferroviaire, l ‘ automobile, le nucléaire, sont emblématiques et sont confrontés quotidiennement à des difficultés similaires. Avec les contraintes liées à la concurrence forte du marché, les industriels produisent ou gèrent des systèmes et des équipements qui doivent évoluer de plus en plus vite. Ils sont aussi de plus en plus complexes, que ce soit par le nombre croissant d ‘ intervenants, que par le nombre de sous ensembles (mécanique, électronique, informatique) ou encore, par la règlementation de plus en plus contraignante. Il faut ajouter à cela la nécessité d ‘ accélérer la mainmise sur le marché, et d ‘ être réactif dans les phases de maintenance. 11 entretien avec Emilie Labidoire de la société Bluenove, par Noémie Prin, le 29 septembre 2011
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De part leur complexité et leur criticité, ces systèmes nécessitent une gestion rigoureuse, qui soulève différentes problématiques. Les différentes disciplines doivent collaborer étroitement, relier efficacement et de manière transparente les savoirs et les connaissances. Ils doivent être sans cesse en mesure de maîtriser la complexité pour assurer leur fonctionnement. Les défis posés par l ‘ hybridation des technologies : Aujourd ‘ hui, selon le groupe Mecatech12, on assiste à un mélange de technologies que l ‘ on n ‘ avait pas il y a vingt-cinq ou trente ans. À la mécanique on a ajouté l ‘ intelligence et l ‘ électronique : tout cela a complexifié les défis. On ajoute de plus en plus des technologies extrêmement diverses. Il y a des processus où la chimie devient extrêmement importante, il y en a d ‘ autres où on introduit même les connaissances de type biologiques, des couches organiques par exemple. À partir du moment où l ‘ on intègre dans un produit ou dans un processus, un très grand nombre de variétés de technologies et de domaines scientifiques, il est quasiment impossible pour une entreprise de maîtriser complètement cette ensemble de compétences. À cet égard, les entreprises ont besoin de pouvoir regrouper des compétences totalement diverses. Dans l ‘ économie de 2011, il y a toutefois des domaines d ‘ activité où l ‘ on continue de travailler seul, mais la mise en place d ‘ innovations de rupture s ‘ avère extrêmement hasardeuse. À la suite de ces constats, il apparaît que les managers doivent sans cesse adapter, écouter, remettre en cause les modèles de management et les processus d ‘ innovation. Comment l ‘ entreprise peut-elle faire face à ces enjeux complexes, et en tirer parti ? Nous verrons dans le troisième chapitre en quoi l ‘ Intelligence Collective peut s ‘ avérer être un moyen de maîtriser cette complexité.
12 « Présentation - Pôle MecaTech, pôle de compétitivité wallon en génie mécanique » URL : http://www.polemecatech. be/fr/presentation/index.php. Consulté le 6 octobre 2011.
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2. focus sur la complexité aujourd ‘ hui Jusqu ‘ ici nous avons souvent utilisé le mot «complexité», pour définir l’environnent du monde d’aujourd’hui. Il est nécessaire de définir plus précisément cette notion afin de tenter de la maîtriser.
2a. Discerner la complexité Selon Edgard Morin, le mot complexité vient du latin complexus qui signifie « ce qui est tissé ensemble » 13. L ‘ avis unanime des scientifiques confirme la pensée de Daniel Durant14 : l ‘ objet le plus complexe au sein de l ‘ univers datant de 13,7 milliards d ‘ années, est le cerveau humain. Il constitue l ‘ aboutissement de cent millions d ‘ années d ‘ évolution ; il a autant de neurones qu ‘ il y a d ‘ étoiles dans la voie lactée, et chaque neurone possède dix mille connexions. On atteint alors une complexité maximale. La complexité que l ‘ on perçoit dans l ‘ arène des sciences telles que les mathématiques, la physique et la biologie est remarquable, mais celle de l ‘ homme dans la société l ‘ est encore plus. Le défi aujourd ‘ hui est de sortir ce domaine de la complexité des champs des sciences dures, pour approcher de la même manière les sciences sociales afin d ‘ essayer de comprendre ce qui est en train de se passer au sein de la société. Prenons le mot complexité dans le sens courant du terme. On dit souvent: « Ceci est très complexe, cette situation géopolitique est complexe, la situation militaire est complexe. » Cela signifie que l ‘ on n ‘ a pas les connaissances nécessaires pour donner une explication et une description bien claire, on reste dans la confusion. Nous trahissons, en quelque sorte, notre embarras, notre incapacité à expliquer précisément. Plus on dit « c ‘ est complexe », moins on comprend. Nos moyens de connaissance sont insuffisants pour connaître l ‘ objet que l ‘ on a reconnu comme complexe. La complexité est donc un défi à la connaissance. Elle n ‘ est pas un nœud problématique, mais plutôt une notion d ‘ arborescence et d ‘ entrelacement. Nous voyons des éléments sans voir les relations. L ‘ objectif de la connaissance complexe est de mettre à disposition des moyens plus 13 Morin Edgar, 1990, Introduction à la pensée complexe, p.21 14 Durand Daniel, 2002, La Systémique, p.86-90
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puissants pour affronter cette complexité. Toute une série de procédures va donc aider les stratégies de connaissance des individus. Mais ce n ‘ est pas pour autant que cette connaissance complexe arrivera à une connaissance simple, claire et définitive. Parce qu ‘ en cours de route on comprend qu ‘ il n ‘ y a jamais une connaissance totale d ‘ un objet qui est possible. Parce que cet objet est lié à d ‘ autres objets qui sont liés à d ‘ autres objets. À l ‘ époque planétaire où nous vivons, nous nous rendons compte qu ‘ il y a un tissu d ‘ interactions entre les sphères politiques, économiques, démographiques, sociales, et religieuses. Tous les aspects et enjeux sont entremêlés. Et la complexité, c ‘ est tenir compte de cela. Edgar Morin insiste sur le fait qu ‘ il faut appréhender les phénomènes complexes en tant qu ‘ « ensemble ». Cependant, se représenter ce qui est relié ensemble requiert un effort particulier. Cette difficulté occulte les problèmes les plus fondamentaux, les plus globaux et nous rend myope, parfois aveugle. Aujourd ‘ hui les experts sont peut-être très compétents dans un secteur délimité mais ils sont incapables de voir la relation de leur secteur avec les autres secteurs. Et tous ces experts qui fourmillent autour des gouvernants s ‘ enferment eux-mêmes dans une vision unilatérale.
2b. Un nouveau paradigme À partir d ‘ un entretien avec Edgard Morin, Réda Benkirane dans son ouvrage La complexité, vertiges et promesses15 montre à travers les mécanismes de la complexité, qu ‘ aujourd ‘ hui nous avons changé de monde, changé de savoir, nous avons une autre manière de connaître le monde. Mais il va plus loin en montrant, à travers un entretien avec Laurent Nottale16, que la complexité a aussi une face noire par le mécanisme de non linéarité et de non-déterminisme. La science moderne a débuté avec Descartes, Galilée et Newton essentiellement. Elle a d ‘ abord concerné la méthode d ‘ approche de la vision de la vie : « le réductionnisme ». Pour un système qui constitue un tout, la méthode consiste à découper ce tout en parties élémentaires. L ‘ études de ces différentes parties suffit à comprendre le tout. Cette approche est fondamentale dans la science depuis trois siècles : avec ce paradigme dominant et le développement de la technique de calcul différentiel, 15 Benkirane Réda, 2006, La Complexité, vertiges et promesses : 18 histoires de sciences 16 Laurent Nottale est astrophysicien, directeur de recherche au CNRS et Chercheur à l ‘ Observatoire de Paris-Meudon
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d ‘ immenses progrès de la connaissance on été faits. On ramène notre perception de la nature à des équations et on en déduit des lois de la nature : c ‘ est une simplification de la représentation de la nature. Mais aujourd ‘ hui, nous sommes en train de changer de paradigme. Intuitivement, en dehors de tout cela, on sent que la nature fourmille de choses qui ne sont pas des régularités, des uniformités, des invariantes, des symétries, c ‘ est-à-dire des choses qui se ramènent à des notions qui peuvent être mises en équation. Depuis trois siècles, le comportement humain a été fascinant puisqu ‘ on a voulu abstraire un modèle de représentation de la réalité. Et au fur et à mesure que la science avance, aussi bien en physique, en mathématique qu ‘ en biologie, on se rend compte que le monde fourmille de choses irrégulières, rugueuses, incertaines, dont on ne peut parfois rien dire, et qu ‘ on ne peut pas planifier. Il est intéressant de noter à ce propos que la complexité est une notion marquée par ce que Benkirane appelle « le phénomène d ‘ évolution », un phénomène lié au temps. Dans le calcul différentiel qui a été inventé par Leibnitz et Newton, la vision idéalisée du temps et la connaissance à un instant particulier permettent de déduire le passé ou le futur. On est donc dans une science déterministe qui prévoit, le temps serait réversible et calculable. Aujourd ‘ hui, ce qui se passe autour de nous montre qu ‘ il y a beaucoup d ‘ aléas. On passe à un temps fractal, un temps chaotique, un temps plus proche de la vie biologique. C ‘ est un temps où l ‘ avant est irréversible, et l ‘ après imprévisible. En suivant le cheminement de Benkirane, on découvre que finalement le cerveau est « une machine probabiliste ». Cela permet d ‘ échapper à la rigidité d ‘ une solution, mais il reste la peur de l ‘ incertitude et l ‘ impression de complexité.
2c. la complexité de s ‘ adapter à un futur incertain La théorie du chaos nous apprend que la réalité comporte plus d ‘ incertitudes et de hasard que ce qu ‘ on imagine, et que l ‘ individu doit donc faire le deuil de sa capacité à absolument contrôler, maîtriser, planifier les situations de manière exacte.
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Sur la quatrième de couverture du récent ouvrage d ‘ Yvan Maltcheff17, Les nouveaux collectifs citoyens, une phrase résume le postulat de départ du livre : « une vaste transformation citoyenne est en cours, encore peu visible ». Selon la même grille de lecture que Benkirane, on découvre dans cet ouvrage que nous vivons dans un monde marqué par l ‘ incertitude croissante dans tout les domaines et un monde qui correspond à un début de changement de civilisation. Maltcheff nous rend compte que le seul modèle valable pour se représenter les choses est celui de l ‘ émergence. C ‘ est-à-dire, le début de l ‘ apparition de quelque chose dont nous ne savons pas quel va être le résultat, et ne nous renseigne donc pas sur ce qui va se produire. Quand Edgard Morin parle de ces sujets là, il nous parle de «l ‘ improbable». Lorsque l ‘ incertitude croît, l ‘ improbable peut apparaître. Cet improbable, on le voit tous les jours. Par exemple dans les dernières années 2010, 2011, qui avait prévu la crise économique ? Qui avait prévu les révolutions arabes ? Qui avait prévu la crise politique en Grèce ? Et cela ne va pas s ‘ arrêter, au contraire, cela va s ‘ intensifier. Les dirigeants d ‘ entreprises s ‘ attendent à certaines éventualités telles que « le déplacement du pouvoir économique vers les marchés émergents, et s ‘ attendent à plus d ‘ intervention de l ‘ État et à plus de réglementation18 », ce qui renforcera la complexité du monde économique. Dans ce cadre là, le modèle de la chenille et du papillon parait le plus approprié pour appréhender la réalité. La chenille, avant de se transformer, commence par grossir, en absorbant plusieurs centaines de fois son poids, elle se trouve dans la démesure de ce que nous montre aujourd ‘ hui notre société. à ce moment là, il y a un travail double qui apparaît : - la putréfaction du vieux corps, des vieilles structures, - des agents de renouveau qui émergent, qui sont ces cellules dites, imaginales, qui portent une partie de l ‘ image du futur papillon, et dont, l ‘ obsession est de se relier entre elles . Tout cela, sans nécessairement savoir qu ‘ il va faire émerger ce nouveau corps qui s ‘ appelle le papillon. C ‘ est une métaphore extrêmement inspirante de ce que nous sommes en train de vivre. 17 Maltcheff Ivan, 2011, Les nouveaux collectifs citoyens : Pratiques et perspectives 18 Étude IBM Global CEO Study, op. cit. p.16
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À travers cette notion de complexité, marquée par la non-linéarité, l ‘ évolution et l ‘ émergence, beaucoup de choses restent en dehors de notre champ de connaissances. Nous avons accompli d ‘ immenses progrès mais nous découvrons nos propres limites. Ce n ‘ est pas la structure physico-chimique des phénomènes ou des objets que l ‘ on étudie qui importe, mais c ‘ est plutôt leur organisation. C ‘ est-à-dire la dynamique des interactions entre les composants et le fait que des propriétés générales émergent. Il est ainsi question de faire dialoguer les disciplines, car il s ‘ agit de différents phénomènes qui relèvent de différentes spécialités ou disciplines scientifiques. Ceci est à opposer au « réductionnisme », qui a notamment poussé à une ultra spécialisation : on en est arrivé au point où les scientifiques arrivaient à en savoir de plus en plus sur de moins en moins de choses. Avec l ‘ explosion de la connaissance, on a besoin justement de lier les angles entre les différents domaines du savoir.
On constate une fois de plus la nécessité de faire dialoguer les différentes disciplines dans les environnements complexes. Mentionnons en outre que dans son récent ouvrage La Voie19, Edgar Morin revendique la réforme de l ‘ éducation et de la pensée. On enseigne des connaissances mais on ne dit pas que souvent, ce qu ‘ on a cru être la vérité se révèle des siècles après comme une erreur. Nous devrions être éduqués à l ‘ ère planétaire, à affronter les incertitudes, mais aussi à la compréhension humaine ; celle-ci manque non seulement entre les différentes cultures mais parfois même au sein d ‘ une famille. On n ‘ enseigne pas ces problèmes car pour les analyser, il faut rassembler des connaissances venues de disciplines qui sont distinctes. 19 Morin, Edgar, 2011, La Voie : Pour l ‘ avenir de l ‘ humanité
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3. Les modèles qui permettent d ‘ appréhender la complexité 3a. La «simplexité», une représentation de la complexité Alain Berthoz, dans son ouvrage la simplexité20, explique que dans le monde d ‘ aujourd ‘ hui, nous sommes complètement « écrasés par la complexité » : la complexité des relations sociales, des objets techniques, des choses à apprendre. Nous avons montré plus haut que la rapidité avec laquelle il fallait aborder cette complexité est un véritable défi. Or, depuis des millions d ‘ années les organismes vivants se sont trouvés devant la complexité du monde avec la nécessité d ‘ agir rapidement. En effet, la survie demande de capturer une proie ou d ‘ échapper à un prédateur et on n ‘ a pas le temps de faire des calculs compliqués avant d ‘ agir. Entre cette complexité qui nous écrase et cette simplification exacerbée qui ne résout pas non plus le problème, il y a peut-être une troisième voie. Depuis le début de l ‘ évolution, les organismes vivants ont trouvé des solutions pour résoudre des problèmes d ‘ interaction avec l ‘ environnement, de construction de la perception qui ne sont pas simples. Ces solutions exigent parfois des détours, des mécanismes neuronaux relativement compliqués. Elles permettent toutefois aux organismes vivants de réagir très rapidement, de résoudre des problèmes apparemment complexes, en donnant l ‘ illusion de la simplicité : Alain Berthoz utilise le néologisme « simplexité » pour désigner ce mécanisme. Il évoque la « simplexité artificielle » qui consiste à simplifier formellement la complexité « On fabrique des appareils électroniques ou numériques dont on dissimule la complexité par un maniement simple21 ». La perceuse est un objet « simplexe » parce que la complexité de son système est dissimulé par une finition produit simple. La « simplexité » naturelle se manifeste dans l ‘ organisme vivant. Par exemple, au tennis, pour attraper une balle qui vient à 150km/h, le joueur ne dispose que de très peu de temps. Pour résoudre ce problème, les mécanismes neuronaux que nous avons dans notre cerveau, utilisent des réseaux, des mécanismes neuronaux d ‘ anticipation. En effet, le tennisman ne positionne pas sa raquette là où est la balle, mais là où la balle sera. 20 Berthoz Alain, 2009, La simplexité 21 ibid, p.10-11
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simplexité artificielle
simplexité naturelle
Nous sortons d ‘ un siècle où a dominé une théorie qui formalisait l ‘ ensemble des activités humaines comme l ‘ économie, la vie en société et l ‘ éducation. Et au fond, on a oublié le sujet, l ‘ individu. C ‘ était le triomphe des théories de la philosophie analytique, des théories formelles en mathématiques. Pourtant, Berthoz assure que l ‘ on peut reformuler autrement ces théories de la décision, en essayant, non pas de copier le vivant, mais de s ‘ inspirer du vivant. Y a-t-il des leçons à apprendre, des mécanismes à analyser, « simplexes », qui ont sous-tendu l ‘ évolution de la vie sociale et collective ?
3b. L ‘ inspiration du vivant, des mécanismes auto-organisés Dans un documentaire animalier diffusé sur ARTE22, on aperçoit des oiseaux qui s ‘ assemblent en nuée, un phénomène dénommé « flocking » qui a intéressé les physiciens. Ces oiseaux forment beaucoup plus qu ‘ une nuée, ils forment une structure. Comment peut-on à la fois avoir un système auto-organisé et un système structuré ? Dans les systèmes complexes en général, on s ‘ intéresse aux systèmes auto-organisés libres. Cela concerne les systèmes planifiés et produits par les ingénieurs dans les systèmes d ‘ ingénierie que représentent le Web et les systèmes informatiques entre autres. On constate que les systèmes techno-sociaux et les systèmes informatiques ont vécu une accélération de leur complexité absolument phénoménale ces dernières années : la loi de Moore bien connue et d ‘ autres lois et courbes montrent la croissance 22 Documentaire « L ‘ Intelligence Collective, une spécificité animale ? », diffusé sur ARTE le 29 octobre 2010
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nuées d ‘ étourneaux « flocking » (crédits : Anna Galore)
exponentielle des puissances aussi bien hardware, software ou réseau. Cette véritable explosion de la complexité des systèmes informatiques force de plus en plus les ingénieurs à repenser ces systèmes en d ‘ autres termes, malgré eux. « On a ce sentiment que ces systèmes que l ‘ on a fabriqué, nos systèmes artificiels commencent à nous échapper23 ». Ces systèmes commencent à montrer des niveaux d ‘ émergence qui nous dépassent. Il nous semble important de s ‘ y intéresser. Par exemple le Web, que les informaticiens ont conçu, s ‘ auto-organise d ‘ une certaine façon. Localement, chaque administrateur de système dans une entreprise gère l ‘ installation du réseau local, mais il y a un niveau d ‘ émergence à grande échelle qui lui, n ‘ est plus du tout planifié. Aucune autorité ne centralise les connexions. Il y en a une qui centralise les noms de domaines mais pas les connexions. Notons que l ‘ on ne parle pas ici de complexité mais plus précisément de systèmes complexes. La définition même d ‘ un système complexe suscite débat. Si on s ‘ en réfère à la définition de J. de Rosnay, un système est un « ensemble d ‘ éléments 23 Doursat René, « Programmable architectures that are complex and self-organized », Artificial life XI , p.181
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en interaction dynamique, organisés en fonction d ‘ un but24 ». Dans l ‘ ouvrage de Daniel Durand25, on peut considérer un système complexe comme un ensemble de comportements individuels d ‘ un grand nombre d ‘ agents élémentaires interagissant localement, desquels émergent un comportement collectif global et une dynamique décentralisée. Ce sont bien des aspects essentiels des systèmes complexes, et cela concerne aussi bien les systèmes physiques et vivants que les systèmes sociaux (économie, entreprise, famille, politique, etc.). Nous allons nous intéresser aux phénomènes complexes qui nous entourent : des systèmes basés sur les structures humaines qui sont devenus naturellement émergents et des systèmes artificiels qui eux-mêmes deviennent complexes. Un certain nombre d ‘ agents et des règles locales régissent ces systèmes, et un comportement en émerge. Prenons une grande famille de systèmes complexes : ils sont fait d ‘ un grand nombre d ‘ agents, qui suivent chacun des règles assez simples de mouvement, de changement d ‘ activité, et l ‘ émergence est complexe. Ainsi on obtient des formations de motif, telles des tâches ou des rayures dans les dunes de sable, des ondes progressives, des spirales, des nuées d ‘ oiseaux, des bancs de poissons, des troupeaucx de moutons, des colonnes de fourmis ou de termites. Finalement tous ces systèmes sont assez répétitifs, et uniformes. Ils sont « auto-organisés ». C ‘ est dans
formation auto-organisée dans un troupeau de moutons
formation auto-organisée dans un banc de poissons
les organismes biologiques qu ‘ on trouve des systèmes auto-organisés. Une cellule va spontanément, sans qu ‘ on la dirige, se diviser fabriquer un système qui comporte des modules, des segments, des parties à toutes échelles, et qui a une architecture non triviale. Les scientifiques étudient tout cela sérieusement, pour pouvoir ensuite transposer aux systèmes artificiels. C ‘ est ce que l ‘ on appelle de la bio-inspiration. La 24 De Rosnay Joel, 1975, Le Macroscope, cité dans La systémique de Daniel Durand, p.8 25 Durand Daniel, op.cit.
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problématique sur laquelle ils travaillent est donc la suivante : comment peut-on par bio-inspiration, avoir des systèmes artificiels qui soient à la fois auto-organisés et dans des structures non triviales ? En outre, dans le reportage d ‘ ARTE, est évoquée une autre catégorie de système, un contre exemple des systèmes complexes : les foules organisées telles que des orchestres, des foules qui réagissent à un match, ou des armées qui marchent au pas. Ce sont des systèmes également faits d ‘ un très grand nombre d ‘ agents. Ces agents suivent des règles sophistiquées, et pourtant ce ne sont pas tout à fait des systèmes complexes car ils ne sont pas auto-organisés. On ne peut pas vraiment dire que ce sont des systèmes complexes parce que les agents ne se regardent pas les uns les autres mais suivent un stimulus extérieur. Ils sont dirigés de l ‘ extérieur. Dans ce sens, ils ne s ‘ auto-organisent pas. On retrouve la même chose pour les systèmes sociaux et techniques qui ne sont pas du tout auto-organisés. On revient vers le système d ‘ ingénierie traditionnelle, qui fait des merveilles, qu ‘ il s ‘ agisse de mécanique ou d ‘ aviation. On n ‘ a pas l ‘ intention de les faire devenir des systèmes auto-organisés, on ne veut pas que l ‘ avion en plein vol soit créatif et émergent, on voudrait seulement qu ‘ il soit fiable et savoir exactement ce qu ‘ il va faire. Il ne s ‘ agit donc pas de vouloir répandre la bonne parole de l ‘ auto-organisation du système complexe partout, dans tous les systèmes d ‘ ingénierie. Certains nécessitent de rester non-auto-organisés. Après ces quelques mots sur la recherche actuelle en systèmes complexes, revenons au problème qui nous intéresse : d ‘ une part, il s ‘ agit pour les systèmes auto-organisés libres et aléatoires, tels que les nuées d ‘ oiseaux d ‘ essayer de voir comment il pourraient être plus structurés. Mais d ‘ autre part, pour les systèmes très structurés, dirigés de façon autoritaire et exogène par un concepteur, il s ‘ agit de permettre, au contraire, de se libérer de leur concepteur, et de s ‘ auto-organiser. Il ne s ‘ agit pas simplement de comprendre les systèmes complexes naturels (les oiseaux, les fourmis, les cellules, les humain), mais aussi d ‘ intervenir, de fabriquer, de provoquer de nouveaux systèmes complexes, de commencer à fabriquer des pièces et de faire en sorte qu ‘ elles s ‘ assemblent et même qu ‘ elles s ‘ auto-assemblent. Les phénomènes que l ‘ on perçoit dans les systèmes naturels des organismes biologiques, leur capacité de décentralisation et d ‘ autonomie sont des propriétés fascinantes. Comment peut-on les exporter du naturel et les importer dans l ‘ artificiel ? Sera-t-il donc un jour possible de reproduire artificiellement toutes les propriétés des systèmes naturels ?
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Des scientifiques de l ‘ Université de Stanford26 ont cherché à comprendre comment les fourmis trouvent toujours le plus court chemin pour atteindre leur nourriture. Ils commencent par proposer un modèle très simple où des fourmis qui n ‘ ont pas de représentation globale de l ‘ espace, et n ‘ ont pas beaucoup de communication entre elles, trouvent collectivement le plus court chemin pour aller chercher leur nourriture et alimenter la fourmilière. On part d ‘ un principe très simple : une fois qu ‘ une fourmi a trouvé une source de nourriture, elle laisse dans l ‘ environnement une phéromone que les autres fourmis vont pouvoir sentir. Les fourmis, au départ étaient dispersées de manière aléatoire. Dès qu ‘ elles trouvent une trace de phéromone, elles vont la suivre avec une certaine probabilité et donc avoir plus de chance de trouver la source de nourriture. On a donc un exemple de système complexe où des agents qui sont très simples, qui agissent pratiquement de manière aléatoire, qui ont très peu d ‘ interaction entre eux à part des traces qu ‘ ils ont laissés dans l ‘ environnement, parviennent pourtant à effectuer une tâche assez complexe qui est de trouver le plus court chemin vers la source de nourriture la plus proche pour amener la nourriture le plus efficacement à la fourmilière. Les traces laissées dans l ‘ environnement et qui permettent aux agents de se coordonner sont des traces dites « stigmergiques ». On a des phénomènes de renforcement. C ‘ est-à-dire, plus des fourmis passent, plus elles laissent de phéromones, plus il y a de phéromone, plus les fourmis passent et elles trouvent ainsi les chemins les plus rapides. On a appelé ce phénomène « l ‘ intelligence en essaim » où collectivement des individus très simples peuvent résoudre des problèmes d ‘ un très grand niveau de complexité et dont ils n ‘ ont eux-même aucune représentation globale. Cependant, les fourmis ont un comportement un peu stochastique. De temps en temps elles se perdent parce qu ‘ elles explorent de manière aléatoire pour trouver leur nourriture plus efficacement. Au lieu de se polariser vers la source la plus lointaine, une fourmi qui se se perd et qui trouve une source plus proche, va entrainer les autres.
26 Documentaire diffusé sur ARTE, op. cit.
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3c. Le Web, un système complexe particulier David Charvalarias, chercheur au CNRS nous explique sur France Culture27 les caractéristiques du Web par rapport à d ‘ autres systèmes complexes. On retrouve notamment, des similitudes avec l ‘ exemple précédent. Prenons l ‘ exemple classique de l ‘ affichage de l ‘ information sur le trafic routier à Paris (capture d ‘ écran ci-dessous) : l ‘ automobiliste va modifier son comportement
traffic de Paris en temps réel (www.sytadin.fr)
en fonction de ce qu ‘ il voit et éventuellement diminuer le taux de congestion : c ‘ est une rétroaction du global, sur l ‘ individu. On a donc cette composante dans le Web : certains ont même parlé de « cerveau global ». En effet, avec autant d ‘ entités en interaction, à chaque fois qu ‘ on passe un seuil critique (de l ‘ ordre de dix milliards d ‘ entités en interaction), quelque chose émerge. S ‘ en suivent des spéculations sur la question « Un jour le Web aura-t-il une conscience ? » Dans cette perspective, on peut dire que le Web, en soi, est le support d ‘ une Intelligence Collective qui réunit les paramètres similaires aux systèmes complexes : 27 Chavalarias David, dans une émission de Xavier de la Porte, diffusé sur France Culture le 22 janvier 2011 de 11h à 12h
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- un nombre important d ‘ éléments qui interagissent entre eux ; - « des rétroactions positives ou négatives28 ». Le trafic, par exemple, est une rétroaction négative : si on voit une congestion, on va l ‘ éviter, et cela permettra de faire disparaître la congestion. Il y a d ‘ autres rétroactions qui vont être positives, comme les mécanismes de recommandation : plus on recommande un livre, plus les gens vont s ‘ y intéresser et être susceptibles de le recommander. - On constate également une sorte d ‘ auto-organisation, émergence de groupe, un foisonnement décentralisé mais qui cependant crée des structures. Par ailleurs, le Web a une particularité par rapport aux fourmis ou d ‘ autres systèmes complexes organiques : il est social. Selon David Chavalarias, on ne peut donc pas aborder le Web comme un système complexe semblable aux autres. On a vu que les fourmis avaient un comportement collectif émergent, même chose pour les abeilles. Une foule a aussi des comportement collectifs que les scientifiques ont modélisé. N ‘ y a-t-il pas des comportements qui échappent à cette approche ? On pourrait se demander si une analogie serait envisageable entre le comportement de la fourmi et le comportement des humains. Le Web pourrait être le support de ce que David Chavalarias appelle la « cognition sociale », qui est un cas particulier d ‘ Intelligence Collective. La « cognition sociale » serait un processus dans lequel non seulement les agents : - changent leur environnement, - réagissent au changement dans l ‘ environnement, - mais peuvent éventuellement se différencier selon des choses très précises. Leur trace individuelle se différencie de manière extrêmement diverse. Parallèlement à des évolutions de structures sociales ou d ‘ interaction, il y a aussi les identités des agents pris au sens large comme les croyances et les valeurs qui vont se différencier dans ce processus. Ceci a une conséquence importante. Contrairement aux fourmis qui étaient préconçues pour suivre un type de phéromone et le reconnaître pour déterminer son action, dans un système où on a la co-évolution des entités elles-mêmes qui forment ce système, la notion même d ‘ information de ce qui est à rechercher ou ce qui est intéressant ou signifiant pour les agents, va évoluer et va être un produit du processus. 28 Chavalarias David, op.cit.
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Déjà, le Web en tant que médium, permet d ‘ observer ces formations de groupe, ces formations de préférences et de culture locale. Par exemple, sur Facebook, n ‘ importe qui peut créer une page sur un sujet et les utilisateurs intérressés s ‘ abonnent à cette page et forment ainsi un groupe d’intérêt commun. On peut se demander si l ‘ influence de plus en plus prégnante du social sur tout se qui se passe sur le Web, par des feedback positifs, des retours d ‘ informations et des agrégations d ‘ informations, biaisent la notion même d ‘ information. Que veut dire l ‘ information quand on va sur le Web ? Pour nous amener vers cette réflexion, on peut prendre quelques exemples. Le mécanisme de recommandation : lorsque l ‘ on demande un livre précis sur Amazon, le site nous recommande quatre autres livres avec des indications nous informant du nombre de personnes qui ont apprécié ces livres là. Nous pouvons penser à priori que cette information est valable car les gens qui ont noté ces livres sont censés nous ressembler, donc le meilleur livre est celui-là. Des chercheurs29 ont réalisé une expérience sur un marché culturel artificiel qui met en doute ce mécanisme ; la question est de savoir si « les préférences des internautes sont indépendantes ». Ils ont proposé une plateforme où les internautes pouvaient écouter des musiques parmi dix-huit groupes possibles et une cinquantaine de chansons au total. Si un internaute aime une chanson, il peut la télécharger. Ils ont réalisé plusieurs expériences basées sur un échantillon de deux-mille ou trois-mille utilisateurs puis ils ont identifié quelles étaient les chansons les plus téléchargées. Il y a plusieurs conditions expérimentales, que l ‘ on peut regrouper en deux grandes catégories. La première : les utilisateurs connaissent le nombre total de téléchargements pour une chanson donnée. On leur donne un indice des préférences des autres utilisateurs pour cette chanson. La deuxième : ils ne sont pas informés du nombre de téléchargements. Si on examine les résultats, on se rend compte que les chansons qui auront du succès vont changer complètement d ‘ une expérience à l ‘ autre. Ainsi, le fait de rajouter la condition de l ‘ influence sociale, et le fait d ‘ augmenter la force de cette influence 29 Salganik et al.Mattew J, « Experimental Study of Inequality and Unpredictability in an Artificial Cultural Market », Science Magazine du 10 Février 2006 Vol. 311 Fev. 06.
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sociale en proposant de classer ces chansons par taux de téléchargement, augmente l ‘ imprédictibilité sur le résultat final. La conclusion de ces chercheurs est que l ‘ influence sociale qui ici, est restreinte uniquement à des indices du nombre de chansons téléchargées, augmente à la fois les inégalités dans les taux de téléchargement de chaque chanson et l ‘ imprédictibilité. Cela sous entend que l ‘ on pourrait être influencé par ce que l ‘ on voit chez les autres. Le support Web devient de plus en plus social, car il y a de plus en plus de retours de ce qu ‘ ont fait les autres utilisateurs. L‘ information que l ‘ on nous présente est personnalisée par rapport à notre historique. De ce fait, on multiplie ces notions de dépendance au chemin, puisque l ‘ information présentée dépend de ce qui s ‘ est passé auparavant et éventuellement des contingences passées. Cela pose donc la question suivante : les évaluations sociales et même les informations tirées de la topologie du Web, sont-elles des informations ou alors des choses qui vont être purement contingentes par rapport à ce qui aurait pu se passer ? On retrouve dans le Web d ‘ autres similitudes avec l ‘ exemple des fourmis, comme la « production décentralisée de l ‘ information ». Grâce au Web 2.0 qui est participatif, on peut déposer des traces dans l ‘ environnement qui vont orienter d ‘ autres personnes (exemple : Wikipedia, blogs, etc). On a souvent des rétroactions du collectif vers l ‘ individu, mais dans ce cas c ‘ est l ‘ apport de l ‘ individu à la collectivité. On peut penser au Web comme un grand média stigmergique, où les gens laissent des traces qui permettent un certain nombre de coordinations. Cependant, l ‘ influence sociale peut être nuisible au choix intelligent : toutes les parties d ‘ information que l ‘ on considère comme des valeurs sont en fait purement contingentes : nous pouvons être facilement trompés sur la qualité d ‘ un produit ou d ‘ un article. Une soi-disant recommandation peut aboutir à une agrégation de spams qui manipule nos comportements. En cela, nous rejoignons le point de vue de Karl Popper30 qui réfute la théorie selon laquelle nous pourrions enrichir notre connaissance à partir de l ‘ expérience des autres. En effet, la validité ou la qualité d ‘ une information sur un blog est par essence même discutable puisqu ‘ elle vient d ‘ internautes qui ne font que partager une opinion. On se souvient de la photo du corps de Ben Laden 30 Popper Karl,1979, La connaissance objective, p. 39-78
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qui s ‘ avérait être un canular. Et quel crédit accorder aux commentaires du genre : « Excellent article, merci » ? Rien ne prouve leur origine, ils peuvent être assimilés à des spams. À partir de ces considérations, nous pouvons dire que le Web est un système complexe artificiel créé par l ‘ humain dont le comportement émergent lui échappe. Il peut s ‘ en dégager une désinformation et une propagande incontrôlable. Nous verrons cependant en troisième partie, les raison pour lesquelles il est, dans certains cas de figure, le support d ‘ une Intelligence Collective.
À la suite de ces constatations, il apparaît que le terme de complexité peut-être rattaché à tout un ensemble de découvertes scientifiques qui ont été essentiellement réalisées dans les sciences exactes telles que les mathématiques, les sciences physiques. Mais aujourd ‘ hui, le mot « complexe » est sans doute le qualificatif le plus adéquat pour désigner à la fois la situation de l ‘ humanité, la situation de notre économie, la situation de la biosphère, mais aussi la politique internationale, le rapport entre les cultures, etc.. Les entreprises ont bien pris conscience que leur environnement est de plus en plus complexe. Entre la pression de la concurrence , le renouvellement accéléré des produits, les nouvelles technologies, elles sont obligées de repenser sans cesse leur organisation et leur processus d ‘ innovation. Edgar Morin nous suggère d’aborder ces enjeux complexes par l ‘ interdisciplinarité. Mais comment faire travailler ensemble ces acteurs de différentes disciplines et de différentes cultures ? Comment chacun trouve-il sa place et sa contribution à la communauté ? Comment fait-on circuler l ‘ énergie ? Comment garder l ‘ esprit de groupe quand tous les membres de l ‘ équipe travaille dans des lieux différents, depuis leur domicile ou depuis l ‘ autre bout du monde ? La simplexité semble être l’aboutissement du traitement d’un problème complexe. Mais comment faire naître la « simplexité » ? Les scientifiques ont découvert des systèmes complexes dans la nature avec des caractéristiques telles que l ‘ auto-organisation et l ‘ émergence d ‘ architectures
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structurées. Qui a-t-il à tirer de la bio-inspiration ? Pourrait-on imaginer importer les propriétés des systèmes naturels dans nos organisations humaines ? Serait-il possible d ‘ auto-organiser nos organisations, actuellement dirigées et gouvernées par une élite ? En quoi ce changement serait-il nécessaire ? Nous avons démontré antérieurement que l ‘ homme pouvait construire des systèmes complexes comme le Web dont l ‘ auto-organisation qui en émerge lui échappe. Nous verrons comment l ‘ Intelligence Collective permet d ‘ exploiter le Web de manière à ce que la collectivité puisse bénéficier de ses fruits.
crédits : Sean and Yvette
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Chapitre Ii
L ‘ Intelligence Collective pour traiter cette complexité 35
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A
près une tentative de définition de l ‘ Intelligence Collective (IC), nous en exposerons les différentes formes, puis nous démontrerons l ‘ existence de prémices d ‘ un changement de civilisation grâce au Web 2.0, qui laisse présager tout le potentiel de l ‘ IC.
1. L ‘ Intelligence Collective, une notion trop galvaudée 1a. Définition La notion d ‘ Intelligence Collective est victime d ‘ un effet de mode, elle est utilisée à tord et à travers. Pour bien se mettre d ‘ accord sur ce qu ‘ est l ‘ IC, nous allons tenter de la définir logiquement en commençant par explorer quelques points de vue d ‘ auteurs, experts en Intelligence Collective. Pierre Lévy propose la définition suivante qui présente les caractéristiques de l ‘ IC : « une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences1 » ; il ajoute ensuite, « le fondement et le but de l ‘ Intelligence Collective, sont la reconnaissance et l ‘ enrichissement mutuels des personnes ». Jean-François Noubel, fondateur du IRIC2 propose une définition plus large : « L ‘ Intelligence Collective est la capacité d ‘ un groupe de personnes à collaborer pour formuler son propre avenir et y parvenir en contexte complexe3 » ; Comme le montre la définition de Pierre Lévy, l ‘ Intelligence Collective est : - « partout distribuée » ; en effet, une seule personne ne peut pas tout savoir ; chacun a des savoirs, des connaissances, des expériences différentes et peu apporter sa pierre à l ‘ édifice ; - « sans cesse valorisée » car elle permettrait de transcender les limites des intelligences individuelles. Pour approfondir ce propos il semble primordial de préciser le sens des mots «intelligence» et «collectif» qui constituent le terme d ‘ Intelligence Collective.
1 Lévy Pierre, 1997, L ‘ intelligence collective: pour une anthropologie du cyberspace, p.29 2 Institut de Recherche en Intelligence Collective 3 Noubel Jean-François, 2004, L ‘ intelligence collective, la révolution invisible, p.21
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Le mot «intelligence», selon Jacques Rancière4, dans le Maitre ignorant, viendrait étymologiquement de inter legere : inter qui signifie « entre » et legere, « cueillir, choisir, lire ». Ainsi, l ‘ intelligence consiste à « relier les choses entre elles, à lire entre les lignes ». On imagine souvent que l ‘ intelligence est le QI, c ‘ est-à-dire des capacités que l ‘ on peut quantitativement « normer » : si le quotient calculé est supérieur à une certaine valeur, on en déduit que vous êtes intelligent. Le problème est que l ‘ on mesure seulement certaines aptitudes. Or, Howard Gardner5 nous montre que le QI, qui a été établi après la seconde guerre mondiale pour la sélection des recrues de l ‘ armée américaine, est une mesure extrêmement limitative. Elle est essentiellement basée sur les aptitudes grammaticales et mathématiques et correspond uniquement à ce que l ‘ on nous apprend à l ‘ école. Howard Gardner montre en revanche que l ‘ intelligence est la capacité à se connecter selon les sujets et qu ‘ elle est multiple. Il y a, certes, l ‘ intelligence rationnelle, sociale mais il y a aussi l ‘ intelligence linguistique, musicale, spatiale, kinesthésique. Certaines personnes sont capables de sentir les choses, non pas par rapport à des mathématiques, de la physique ou de la grammaire, mais par rapport à une certaine forme d ‘ intuition, ou une capacité à rentrer en contact avec des choses, sentir des formes, des espaces. Prenons l ‘ exemple des pilotes de Formule 1 : ils conduisent certes très bien, mais leur force est due à leur capacité à mémoriser le circuit. Et donc, lorsqu ‘ ils le font plusieurs fois de suite, ils anticipent, ils savent à quel moment il va falloir négocier un virage ; ils gagnent donc une fraction de millième de seconde précieuse. Il y a une multitude d ‘ exemples similaires. Par exemple, les personnes sourdes développent une meilleure aptitude au niveau des autres sens que l ‘ ouïe. Gardner ajoute que ces « intelligences spécifiques [...] n ‘ existent pas comme entités physiquement vérifiables, mais seulement comme des constructions scientifiques opératoires6 ». Pour autant, l ‘ IC n ‘ est pas l ‘ apanage des êtres disposant d ‘ une intelligence rationnelle supérieure. Le deuxième mot constitutif de l ‘ Intelligence Collective est celui de « collectif » qui renvoie à la notion controversée de « sagesse des foules ». « Un large groupe pris 4 informations recueillies dans l ‘ ouvrage : Nghiem Thanh, 2010, Des abeilles et des hommes : Passerelles pour un monde libre et durable, p.90 5 Gardner Howard, 1997, Les formes de l ‘ intelligence 6 Gardner Howard, 1997, Les formes de l ‘ intelligence, p.77
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au hasard serait en mesure d ‘ explorer et de débattre plus de solutions que des experts habilités à prendre seules les décisions7 ». Dans son ouvrage Wisdom of crowd traduit par « la sagesse des foules », James Surowiecki a écrit en 2005 sur cette notion, très controversée, puisqu ‘ au XIXe siècle, on avait très peur des foules car elles correspondaient à la commune, au mouvement de foule, au lynchage, etc. Comme le pensaient beaucoup de gens à cette époque, Gustave LeBon8 écrit en 1895 que les foules étaient stupides. A partir de 2000, il y a eu une inversion du phénomène avec notamment Surowiecki puis également Howard Reingold dans Smart Mobs9. Ces auteurs ont commencé à montrer que les foules pouvaient avoir une intelligence spontanée, extrêmement puissante parce qu ‘ elle était beaucoup plus proche des choses qui se passent sur le terrain ; on l ‘ a vu récemment en Tunisie ou en Egypte. Les foules ne sont pas plus intelligentes au sens où elles sont plus expertes, une foule ne va pas déclamer une théorie d ‘ astrophysique. En revanche, si on demande à des gens de repérer ce qui s ‘ est passé sur des choses courantes, on a plus de chance d ‘ obtenir une expertise de la foule : en effet, on a beaucoup de personnes différentes qui observent avec leurs yeux ce qui se passe autour d ‘ eux, on a donc des chances qu ‘ elles identifient beaucoup plus de choses que quelque soi-disant experts. Les raisons en sont : la multiplication des paires d ‘ yeux, la diversité des personnes, leur indépendance, leur liberté de dire leur pensée. Surowiecki10 démontre également que les foules peuvent être plus intelligentes que trois ou quatre experts, mais sous un certain nombre de conditions ; il nous cite une expérience pertinente, celle du « Bœuf de Galton 11 ». Lors d ‘ un concours agricole, Francis Galton récupère les données des paris de huit cent personnes qui devaient deviner le poids d ‘ un bœuf qu ‘ on allait « écorcher et débiter ». Ils voient simplement le bœuf et doivent deviner combien il va peser quand on l ‘ aura écorché. Galton prend les huit-cent paris et calcule la médiane : le poids qu ‘ il trouve avec cette médiane est à une livre près, le poids du boeuf. Cet exemple illustre cette sagesse des foules mais ce n ‘ est pas à proprement parler de l ‘ IC. Ici on évoque une moyenne qui résulte d ‘ une multitude de paris, ou de réponses différentes, comme la multiplication des points qui peut faire apparaitre un point de vue, mais il n ‘ y a pas d ‘ intention au départ, il n ‘ y a pas d ‘ objet qui va être construit 7 Nghiem Thanh, 2010, Des abeilles et des hommes: Passerelles pour un monde libre et durable, p.93 8 LeBon Gustave, 1895, Psychologies des Foules 9 Rheingold Howard, 2000, SmartMobs (traduction française : 2005, Foules intelligentes: la nouvelle révolution sociale) 10 Surowiecki James, 2008 , La Sagesse des foules 11 Surowiecki James, op. cit. p.17-19
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par le collectif. Il s ‘ agit d ‘ une simple agrégation d ‘ intelligences individuelles. Par ailleurs, l ‘ Intelligence Collective ne se réduit pas à la collaboration qui concerne « un groupement de personnes qui co-construisent12 », ni à la coopération qui suppose essentiellement d ‘ aider les autres en apportant ses propres connaissances ou de partager des ressources. De tous ces constats et des analyses recueillies dans ce mémoire, il ressort que la définition proposée par Wikipédia est tout a fait pertinente : l ‘ IC « désigne des capacités cognitives d ‘ un groupe résultant des interactions multiples entre ses membres ou agents »13 afin d ‘ en atteindre un objectif dans un environnement complexe. Elle est avant tout caractéristique du « vivant social 14». Lorsqu ‘ on prend un petit collectif, par exemple une équipe de foot15, les onze joueurs constituent une équipe, un tout, qui dépasse la somme des parties. L ‘ Intelligence Collective est un tout, une conscience émergente qui résulte des interactions entre les personnes.
La mobilisation de cette IC doit permettre d ‘ obtenir des informations, des résultats ou de générer quelque chose que l ‘ on n ‘ aurait pas en faisant travailler séparément chacun de ces individus. Cela revêt une importance considérable, en particulier dans les domaines des sciences molles, où il y a un grand nombre d ‘ incertitudes. On essaye de bâtir des hypothèses et de vérifier si elles sont justifiées. La seule manière 12 Zara Olivier, Le management de l ‘ intelligence collective: vers une nouvelle gouvernance, p.40 13 Wikipédia « Intelligence collective », URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Intelligence_collective. Consulté le 2 mars 2011. 14 Noubel Jean-François, op. cit. p.12 15 Ribot Jean-Christophe, « Football, l ‘ intelligence collective », diffusé sur France 5 en juin 2006
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de dire qu ‘ une hypothèse est fondée, est justement d ‘ avoir un collectif, qui, par le consensus ou par une majorité relative finit par déduire que cette hypothèse est plus fondée qu ‘ une autre.
1b. Les différentes formes de l ‘ Intelligence Collective
animale
humaine
artificielle
IC en réseau
IC de proximité
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L ‘ IC est observable dans trois grandes catégories : les systèmes animaliers, artificiels et humains. Chez les animaux, il s ‘ agit essentiellement de ce que l ‘ on appelle l ‘ intelligence en essaim ou l ‘ intelligence distribuée. On pourrait illustrer ce phénomène à travers le modèle des fourmis décrit dans le chapitre précédent16. Mais elle se manifeste également chez les autres insectes sociaux de type abeilles, termites et chez les mammifères comme les nuées d ‘ oiseaux, les bancs de poissons. Il s ‘ agit d ‘ un collectif d ‘ animaux qui poursuivent ensemble un but, sans forcément l ‘ énoncer. Un comportement intelligent émerge de l ‘ essaim, pour se diriger vers sa cible (sa nourriture, sa proie, etc.).
Il est intéressant de noter à ce propos, que lorsque l ‘ on étudie les auteurs actuels qui écrivent sur l ‘ Intelligence Collective, on constate que ce sont des modèles de ce type qui ont influencé leurs pensées. Dans les années 70, des chercheurs ont découvert que des animaux apparemment simples comme les insectes sociaux fabriquaient des choses assez étonnantes. Par exemple les fourmis construisent des ponts, des pièges, des immenses dômes comme fourmilières dans lesquels ont trouve des cimetières, des fermes avec des petits pucerons qu ‘ elles vont traire pour obtenir du lait pour leurs petits. Les chercheurs qui ont étudié ces phénomènes, se sont rendus compte que l ‘ Intelligence Collective qui émane d ‘ individus assez simples, des animaux frustres comme des fourmis, créent au final, une propriété d ‘ un groupe qui est bien supérieure. 16 Cf p.25 l ‘ étude des système complexes chez les fourmis
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Intéressons-nous à présent à l ‘ IC artificielle, conçue par les scientifiques, depuis ces vingt dernières années. Comme nous l ‘ avons évoqué dans le chapitre précédent, la bio-inspiration permet de concevoir des systèmes complexes artificiels. On a modélisé les comportements des sociétés d ‘ insectes à partir de règles extrêmement simples : des décisions binaires (oui-non) et le dépôt de phéromones en présence de nourriture. De ce comportement basique, émergent des comportements d ‘ ensemble, extrêmement sophistiqués. Ce modèle est par exemple utilisé pour trouver des routages d ‘ information sur internet, pour dessiner des circuit imprimés, ou pour fabriquer des puces électroniques. L ‘ étude de l ‘ auto-organisation des systèmes complexes par la bio-inspiration17 permet concrètement de réaliser ce que l ‘ on appelle de la « swarm robotique18 »
« Swarm robotique »
(la robotique en essaim). Il s ‘ agit de petits robots qui ne sont pas très performants individuellement mais qui s ‘ assemblent comme des pièces de puzzle pour former des collectifs, des « super organismes robotiques ». Il est alors intéressant de se demander comment ces systèmes de robots pourraient former un organisme, une structure particulière qui pourrait avec ses bras, formés chacun de plusieurs robots, exécuter une action. En outre, si l ‘ on projette cette image dans une topologie un peu plus grande, on pourrait peut-être envisager que ce modèle puisse s ‘ appliquer aux réseaux comme le Web, réseau de pages, d ‘ applications et d ‘ utilisateurs. Il est également intéressant de se demander comment on peut faire en sorte qu ‘ au sein du Web, il se forme un certain réseau, qui n ‘ est pas un réseau aléatoire où tout le monde est connecté à 17 Cf p.23 l ‘ étude de l ‘ auto-organisation des systèmes complexes naturels 18 Documentaire « L ‘ intelligence collective, une spécificité animale ? » diffusé sur ARTE le 29 octobre 2010
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tout le monde mais qu ‘ il ait une architecture intéressante pour certaines finalités. Parmi les systèmes humains, on distingue deux formes d ‘ IC : • L ‘ IC « originelle », selon Jean-François Noubel19 que nous préférerons plutôt appeler « Intelligence Collective de proximité ». Il s ‘ agit d ‘ une intelligence que l ‘ on trouve dans les groupes où les membres sont réunis physiquement. Les interactions entre eux exigent que les uns soient proches des autres et qu ‘ ils aient tous une vison holoptique du groupe. En effet, JF Noubel appelle l ‘ holoptisme20 la caractéristique révélatrice de cette intelligence. Tout le monde l ‘ a connu un jour : elle se trouve dans les groupes de petite échelle, de deux à trente personnes. Ces personnes sont en « reliance » les uns aux autres et sont reliés au tout qui émerge du groupe. Par exemple, dans une équipe de sport ou un groupe de jazz, chaque joueur sait ce que fait son équipe. Il peut parler de son équipe comme d ‘ un tout, il en a la sensation, une relation de conscience intériorisée avec cette équipe. Cette propriété est très importante, car elle qualifie le bon joueur. Un bon joueur se caractérise non seulement par sa capacité technique mais aussi par sa capacité de « reliance ». Cette propriété est importante à plus d ‘ un titre, notamment parce qu ‘ en holoptisme, à la fois chacun est en souveraineté individuelle, complètement unique dans sa zone d ‘ expertise, et chacun sert le tout. Il n ‘ y a pas de contradiction entre le collectif et l ‘ individuel. On peut être soi-même, et en même temps on sait quoi faire puisqu ‘ on a accès au tout. Et le tout se configure en fonction de qui nous sommes les uns par rapport aux autres dans notre souveraineté. Finalement le débat d ‘ opposition entre l ‘ intérêt individuel et l ‘ intérêt collectif, ne se joue pas dans le contexte holoptique. À cet égard, Pascal va même jusqu ‘ à penser qu ‘ il est « impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus de 19 Noubel Jean-François, op. cit. p.2 20 Noubel Jean-François, op. cit. p.8
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connaître le tout sans connaître les parties21 » Par contre, ce débat se joue dans le contexte des organisations pyramidales, qui ne sont pas holoptiques mais panoptiques ; Michel Foucault22 nomme cette architecture « le panopticon » ; il prend pour exemple la prison de la Santé : une personne au centre de la prison voit toutes les ailes de la prison. Autrement dit, le « panoptisme » c ‘ est la structure de la montagne : étant en haut, on voit tout sans le détail, étant en bas on voit le détail mais le tout reste inaccessible. En somme, tout le monde, quelque soit l ‘ attitude dans laquelle il se trouve, n ‘ a qu ‘ une vision partielle de l ‘ ensemble. C ‘ est aujourd ‘ hui le cas pour les grandes organisations à structure pyramidale : depuis très longtemps, depuis l ‘ invention de l ‘ écriture, elles ont du abandonner l ‘ holoptisme, parce qu ‘ on ne peut le trouver que dans les petits groupes. On trouve également des exemples de situations holoptiques chez certains animaux, comme les groupes de dauphins qui chassent ensemble. Pour J-F Noubel, la question d ‘ évolution de l ‘ IC à se poser est : « Les grandes organisations peuvent-elles bénéficier de telles propriétés ou sont-elles définitivement condamnées par leur masse ? » L ‘ organisation peut déjà être globale parce qu ‘ elle est reliée au reste de la planète, mais elle pourrait l ‘ être également dans un contexte holoptique. En tant qu ‘ individu, en tant que personne, on aurait accès au tout émergent de cette grande organisation. • L ‘ IC « en réseau » dans les systèmes humains ; par réseau nous entendons l ‘ internet, les intranet, mais aussi les réseaux d ‘ entreprises tels que les pôles de compétitivité. Il s ‘ agit d ‘ une Intelligence Collective où les gens se trouvent à distance les uns et des autres. Il peuvent être un très grand nombre. Il se trouve que le Web 2.0 est l ‘ endroit où ce phénomène est le plus répandu. On l ‘ a vu récemment avec la Tunisie et l ‘ Egypte. Cette 21 Blaise Pascal, 1963 , Pensées, , p.527 22 Foucault Michel, 1975, Surveiller et punir, p.206-209
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technologie aurait été un formidable outil de communication qui aurait permis aux populations d ‘ organiser leur révolution. Il y a pléthore d ‘ autres pratiques que nous aborderons dans le dernier chapitre. Mais nous allons préalablement retracer l ‘ histoire de cette nouvelle forme d ‘ Intelligence Collective pour comprendre le potentiel de son devenir.
1c. L ‘ Intelligence Collective aujourd ‘ hui, à l ‘ aube d ‘ une nouvelle civilisation Manuel Castells nous apprend dans La société en réseaux23 que la parole a été le grand médium de communication des chasseurs-cueilleurs et pour cause, ils n ‘ avaient rien d ‘ autre. Ainsi, du bouche à oreille, l ‘ écriture a été structurante pour cette société ; les grandes civilisations hiérarchiques égyptiennes ou romaines n ‘ ont pu se construire qu ‘ avec, ce qui a permis de mémoriser et consolider l ‘ ensemble de leur culture. Puis la révolution industrielle s ‘ est faite avec l ‘ invention de l ‘ imprimerie qui a permis la diffusion de la connaissance jusqu ‘ alors réservée aux lettrés, qui n ‘ étaient qu ‘ une toute petite partie de l ‘ humanité ; la plupart des gens, ne sachant ni lire ni écrire, recevaient la connaissance mais ne pouvaient absolument pas s ‘ en emparer, la transformer, lui apporter des éléments nouveaux. L ‘ imprimerie a permis la diffusion extrêmement large de la connaissance, mais dans une logique d ‘ un point vers tous les autres. En effet la télévision, la radio, tous ces médias diffusent d ‘ un point vers tous les autres. Le développement d ‘ internet, tout comme celui des réseaux de téléphonie, et ceux des transports ont fait exploser les communications des êtres humains sur l ‘ ensemble de la planète. Aujourd ‘ hui les communications, ne se limitent plus à de simples échanges éphémères de paroles ou d ‘ écrits. Désormais il est possible d ‘ enregistrer le savoir, les témoignages, les opinions et les créations de centaines de millions et bientôt de milliards d ‘ individus. Ainsi après les traditions orales et l ‘ imprimerie, le XXIe siècle s ‘ ouvre sur une nouvelle ère sur laquelle la mise en commun des talents de chacun des habitants de la terre devient théoriquement réalisable. En pratique, cette nouvelle possibilité d ‘ expression, libérée de la plupart des censures est déjà à la portée de la quasi totalité des citoyens des pays développés et démocratiques. Internet développe ainsi des volumes d ‘ échanges qu ‘ ils soient sociaux, culturels ou commerciaux, sans 23 Castells Manuel,1998, La société en réseaux: l ‘ ère de l ‘ information, p.51-91
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commune mesure avec ceux des siècles précédents. Il y a dix ans en 2000 il existait trois-cent millions d ‘ internautes soit 6%24 de la population de la planète à ce moment là. Aujourd ‘ hui ils sont plus de deux milliards, soit 30,2% de la population mondiale actuelle. En une décennie, la proportion d ‘ individus connectés a ainsi été multipliée par dix. Ce qui va émerger d ‘ une telle mise en relation, d ‘ un aussi grand nombre de personnes, reste encore peu étudié. Pourtant le sociologue Pierre Lévy a perçu dès les années 1990, l ‘ émergence d ‘ une Intelligence Collective. Nombreux sont ceux qui à cette époque doutaient du potentiel réel d ‘ internet. Aujourd ‘ hui, certains, plus rares en doutent encore, malgré l ‘ apparition des premières manifestations de ce que présentait Pierre Lévy. Internet a montré qu ‘ il n ‘ était pas une mode passagère ; il engendre de véritables sources de savoirs collectifs (exemple : l ‘ encyclopédie Wikipedia). Pour autant, peut-on parler d ‘ une véritable Intelligence Collective en cours de création ? Et si tel est le cas, à quoi peut-elle servir ? À quoi et aussi à qui ? Aux citoyens ou aux marchands ? Aux démocrates ou aux terroristes ? Le XXIe siècle connaît-il grâce aux réseaux de communication une véritable révolution de la connaissance à la portée de tous ? Ou bien une concentration des pouvoirs entre les mains des plus puissants, c ‘ est-à-dire, des mieux informés ? La grande nouveauté qui change la nature même de notre civilisation, c ‘ est le Web 2.0. En effet chaque personne peut devenir émetteur et récepteur. Une vision est en train de se construire d ‘ une humanité de deux milliards d ‘ êtres humains interconnectés et interagissant et transformant en temps réel l ‘ état de la connaissance dans une gigantesque interaction et co-création. Le Web n ‘ est pas une grande bibliothèque comme beaucoup le disent, ni une société de l ‘ information comme cela était le cas avec les autres médias. Aujourd ‘ hui 24 « World Internet Usage Statistics News and World Population Stats », URL : http://www.internetworldstats.com/ stats.htm. Consulté le 17 octobre 2011
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le Web surtout une plateforme où chacun se relie à d ‘ autres de manière légitime, ou anticonstitutionnelle, certes, mais la reliance se fait sur le sens avec d ‘ autres personnes. Dans la société agraire, on se rencontrait sur la proximité et puis aujourd ‘ hui on peut se rencontrer sur le sens. Nos pratiques de vie changent. L ‘ autre aspect de ce changement de civilisation, comme l ‘ avait prédit Pierre Lévy25, c ‘ est qu ‘ internet donne aussi énormément de pouvoir à chaque individu. Il n ‘ y a eu aucune époque où un individu pouvait s ‘ adresser au public ; un internaute peut par exemple ouvrir une session vidéo sur Youtube et y diffuser ses pensées, ses réflexions. Sa vidéo peut faire le tour de la planète, sans aucune limite à son audience. Un changement de civilisation est donc objectivement observable, depuis l ‘ avènement du Web 2.0. On peut voir sur le Web que nos opinions peuvent se connecter, se relier et s ‘ actualiser les unes entre les autres. Il y a donc un fait civilisationnel qui va de pair avec la technologie. Autre fait observable : la société civile se prend en charge, construit des actions qui sont extrêmement complexes sans qu ‘ il y ait une autorité centralisé élue et autoproclamée qui décide de tout cela. C ‘ est-à-dire que ce sont des actions qui, non seulement émergent mais qui se coordonnent d ‘ elles-mêmes et avec une société qui prend conscience d ‘ elle même à travers ces outils. D ‘ un autre coté, de nombreuses critiques d ‘ internet craignent que tout le monde puisse produire et prétendre participer à cette création collective. Tout le monde semble pouvoir y participer à égalité, mais tout devient manipulable. Pour penser ou pour dire le cyberespace, on utilise d ‘ ailleurs constamment un vocabulaire marin « on navigue sur le Web », qui évoque le flou. Pierre Lévy parle souvent de l ‘ Intelligence Collective comme une sorte de phénomène d ‘ auto-création. L ‘ Intelligence Collective sur le Web est inquiétante car tout est noyé dans une sorte d ‘ océan. À cet égard, Stephane Foucart exprime ce point de vue dans un article du Monde sur la science de l ‘ ignorance, appelée « agnotologie26 » : il prétend que plus on entretient des pensées différentes, plus on entretient des connaissances instables. Peter Galison renforce ce point de vue : « Instrument de l ‘ accès au savoir, Internet est aussi devenu, 25 Lévy Pierre, op.cit. p.93 26 Stephane Foucart, samedi 4 juin 2011, Le Monde, « L ‘ ignorance : des recettes pour la produire, l ‘ entretenir, la diffuser »
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paradoxalement, une pièce maîtresse du dispositif agnotologique27 ». De toutes ces considérations, il ressort qu ‘ aujourd ‘ hui, internet est un réseau distribué où les gens peuvent produire leur information et l ‘ utiliser ; donc ils sont à la fois producteurs et consommateurs. Cependant, le Web est partagé entre la culture de l ‘ ignorance et la valorisation d ‘ une Intelligence Collective.
2) Les conditions de l ‘ émergence de l ‘ IC humaine Nous avons défini l ‘ IC en tant qu ‘ un tout émergent d ‘ un groupe, qui a d ‘ autres propriétés que chacun des membres n ‘ a pas individuellement. Un collectif peut produire des choses inintéressantes, mais l ‘ Intelligence Collective est un phénomène qui existe sous certaines conditions et identifiable à travers des symptômes spécifiques. Rappelons brièvement que James Surowiecki a démontré qu ‘ une foule pouvait être intelligente, à travers des expérimentations où les agents n ‘ interagissaient pas entre eux (une condition qui différencie la sagesse des foule de l ‘ Intelligence Collective). En 27 Galison Peter, samedi 4 juin 2011, Le Monde, « L ‘ ignorance : des recettes pour la produire, l ‘ entretenir, la diffuser »
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faisant la moyenne des prédictions de chacun des agents, il prouve que cette moyenne est plus intelligente que les prédictions de chacun des agents. Cette théorie se tient uniquement sous certaines conditions : le nombre élevé d ‘ agents, l ‘ indépendance et la diversité. Qu ‘ en est-il pour l ‘ IC, différente de la sagesse des foules, où les agents peuvent interagir entre eux et échanger des reflexions ? L ‘ indépendance et la diversité sont en effet requises, mais il y a bien d ‘ autres propriétés qu ‘ ont identifié les sociologues, les chercheurs, animateurs et autres experts en IC. Ils considèrent que l ‘ IC ne survient pas au sein d ‘ un groupe lorsque les symptômes résultants de conditions à respecter ne sont pas identifiables. Les conditions que nous allons aborder à présent sont communes à l ‘ IC de proximité et en réseau. Peut-être sont-elles moins visibles dans l ‘ IC en réseau, car celle-ci commence à peine à se développer.
2a. L ‘ « objet-lien » en circulation Les individus doivent être liés par ce que l ‘ on appelle « l ‘ objet lien ». Il s ‘ agit d ‘ un objet circulant, un but partagé, l ‘ objet qui fait le lien entre les individus, qui est énoncé, que tous les participants connaissent. Il fait notamment partie des éléments qui motivent un collectif vers quelque chose qui les dépasse. Pierre Lévy a introduit cette notion « d ‘ objet-lien » en 1994 : « Les joueurs font du ballon à la fois un index tournant entre les sujets individuels, un vecteur qui permet à chacun de désigner chacun, et l ‘ objet principal, le lien dynamique du sujet collectif. On considérera le ballon comme un prototype de l ‘ objet-lien, de l ‘ objet
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catalyseur d ‘ Intelligence Collective28 ». J-F Noubel en distingue trois sortes : les « objets-art » : « leur existence provient d ‘ un acte créateur » Il s ‘ agit par exemple de la page dans Wikipedia, une mélodie pour un groupe d ‘ improvisation en jazz ou un projet de construction d ‘ une maison. les « objets-monstres »29 : « tous contre un ; le danger, l ‘ ennemi, la maladie sont des objets-monstres faciles à objectiver, ce qui en fait de forts mobilisateurs de collectifs ». Un projet d ‘ ONG peut-être un «objet-monstre». les «objets miam-miam» : « tous pour un. Ce sont les l ‘ objets-proies que l ‘ on veut attraper et incorporer à soi, souvent en contexte de compétition du fait de leur rareté. L ‘ argent, la propriété, la notoriété, le pouvoir, le temps, l ‘ attention, l ‘ or, le pétrole sont des objets miam-miam30 » Le ballon de football en est aussi un exemple. Le sens est un objet lien. Nous avons vu antérieurement que le Web 2.0 permettait de se rencontrer sur le sens. L ‘ Intelligence Collective commence donc par un objet partagé, un objectif commun que l ‘ on poursuit collectivement.
2b. Les personnes // Des intelligences individuelles variées Comme le rappelle Pierre Lévy31, l ‘ IC humaine n ‘ est pas une fourmilière où chaque individu est stupide. L ‘ IC est un espace qui évolue avec le savoir des autres et requiert notamment une intelligence émotionnelle. Dans le cerveau, ce n’est pas le nombre de neurones qui contribue le plus aux capacités cognitives, mais plutôt la quantité des connexions entre neurones, les synapses. De telle manière, l’IC ne survient pas grâce à la somme d’intelligences, mais plutôt au croisement et à la complémentarité de celles-ci. Par exemple, Renaud Libert32 estime le jazz doit parler au ventre comme à la tête. Le ventre est souvent associé 28 Lévy Pierre, 1994, Zero News Datapool, « L ‘ Intelligence Collective et ses objets », URL : http://www.t0.or.at/levy/ plevy.htm. Consulté le 5 juillet 2011. 29 JF Noubel, op. cit. p.24 30 JF Noubel, op. cit. p.24 31 Lévy Pierre, op. cit. 32 entretien avec Renaud Libert, saxophoniste, membre d ‘ un groupe d ‘ improvisation jazz et gérant de l ‘ organisation de festival Quaijazz par Noémie Prin, le 12 septembre 2011
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à la pulsation, le rythme, ce que jouent la basse et la batterie. La tête est associée à l’harmonie : les accords du piano et le développement du soliste. Toute la beauté d’un morceau de jazz se trouve dans l’union de ces deux parties. Au lieu d’avoir la tête qui joue d’un côté et le corps qui joue de l’autre, quelque chose se produit de manière commune où le ventre parvient à être en accord parfait avec la tête, et la tête répond à ce qui se passe au niveau du corps. De cette union là, naît une sorte de résonance. En effet, si chaque musicien joue de manière déphasée par rapport aux autres, la musique s’annule. Le son va s’amplifier à un certain moment parce qu’il est en phase avec un autre son. Il s’amplifie au sens émotionnel et la musique devient plus riche et plus sincère. De cette richesse naît des idées nouvelles et tout à coup, il se passe quelque chose d’exceptionnel, de jubilatoire à l’unisson dont les musiciens et les spectateurs prennent conscience. // La diversité - La diversité des disciplines. Selon les théories de la complexité explicitées dans le premier chapitre, l ‘ interdisciplinarité permettrait de relever les défis complexes. Une conception de produits complexes tels que les services de téléphonie mobile chez Orange33, nécessite de mobiliser l ‘ IC avec une diversité d ‘ acteurs afin de « simplexifier » l ‘ outil. L ‘étroite collaboration entre ingénieurs, ergonomes et designers avec la participation de l‘ usager lui permet d ‘ être facilement utilisable par l ‘ homme. - La diversité des connaissances. Les gens de même discipline peuvent générer de l ‘ Intelligence Collective, si leurs connaissances sont différentes, et si une alchimie se crée entre eux. - La proportion de femmes. Le MIT a prouvé dans une étude menée sur les groupes de travail en entreprise que le nombre de femmes pouvait augmenter « l ‘ efficacité de la résolution d ‘ un problème compliqué34 ». // L ‘ absence d ‘ autorité. Le « facilitateur », (ou « modérateur » pour l ‘ IC en réseau) facilite et gère les interactions 33 Observation de mon expérience en stage chez Orange Labs, 2010-2011 34 Science Daily « Collective intelligence: Number of women in group linked to effectiveness in solving difficult problems », URL : http://www.sciencedaily.com/releases/2010/09/100930143339.htm. Consulté le 19 mars 2011, traduit par Noémie Prin
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entre les personnes, mais aucune forme de hiérarchie n ‘ est présente. L ‘ exemple le plus parlant ce sont les forums sociaux-mondiaux comme ceux que l ‘ on voit à Porto Allègre, des centaines de milliers de gens qui vont se réunir de manière complètement spontanée. Une charte a été édictée par les organisateurs de ce forum qui énonce les raisons du rassemblement, les objectifs, les rôles dans l ‘ écosystème, qui fait quoi. On a donc uniquement, dans l ‘ organisation du forum, une sorte d ‘ écosystème comme dans Wikipedia, avec des animateurs. Ce ne sont ni des chefs, ni des censeurs, mais des gens qui vont faciliter les interactions entre les personnes.
2c. L ‘ environnement // Un nombre limité pour l ‘ IC de proximité Stephane Cordobès, responsable de la prospective de la DATAR35, est amené à organiser des ateliers, qui mobilisent l ‘ IC. En matière de prospective, on considère que le nombre optimal se situe entre huit et quinze personnes. En dessous de huit, la dynamique collective ne se manifeste pas, c ‘ està-dire que l ‘ on se retrouve avec des groupes qui sont « mous ». Au dessus de quinze, il devient très difficile de générer un phénomène collectif ; cela produit plutôt un phénomène de foule qui est très difficile à organiser, à gérer, où les gens vont parler sans qu ‘ il y ait émergence d ‘ IC. En effet, si l ‘ on joue au football à cent personnes, il est très difficile de courir derrière la balle. // Des ressources et une vision partagée On a vu dans la partie précédente que l ‘ holoptisme était la grande caractéristique de l ‘ IC de proximité, mais c ‘ est avant tout une condition pour la faire fonctionner. Les chercheur de l ‘ IRIC recherchent à appliquer cette condition sur l ‘ IC en réseau, pour un grand nombre de personnes, afin d’en accroître son efficacité.
35 Cordobès Stephane, directeur de la prospective à la DATAR, interviewé le 20 septembre 2011
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// Un espace de communication et d ‘ échange Selon, les expériences de Gilles Amado et André Guittet, la structure de groupe optimale serait l ‘ étoile (schéma ciE contre). « Le temps pour trouver la solution est plus faible, F le nombre de messages est plus réduit, il y a moins d ‘ erreur, et l ‘ organisation est plus stable, avec différenciation d ‘ un G rôle central36 ». Cela ne signifie pas que B ne peut pas communiquer avec D. Il s‘ agit d‘ une structure holoptique H : tout le monde peut communiquer avec tout le monde et chacun peut percevoir la communication du groupe pour A pouvoir rebondir sur les dits des autres. Les échanges sont gérés par un « facilitateur » pour mieux coordonner les (facilitateur) interactions.
D C B
36 Amado Gilles et Guittet André, 2009, Dynamique des communications dans les groupes, p.60
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3. Les dynamiques de groupe et leurs freins Lorsque l ‘ on mobilise l ‘ Intelligence Collective, on mobilise les sources d ‘ énergie des participants. Cette dynamique se révèle peu à peu dans un groupe. On la trouve surtout dans l ‘ IC de proximité, mais parfois aussi dans l ‘ IC en réseau. En revanche, la compétition, le besoin de richesse, et l ‘ égo limitent les capacités de reliance des individus.
3a. Les dynamiques // L ‘ alliance L ‘ alliance est beaucoup plus qu ‘ un contrat. D ‘ après l ‘ expertise du coach en IC, Vincent Lenhardt37, l ‘ alliance est l ‘ accord sur les finalités, la fidélité. En ce qui concerne l ‘ IC de proximité, une étude du MIT révèle que les groupes peuvent atteindre un haut niveau d ‘ Intelligence Collective lorsque les membres du groupe ont intègré les principes suivants : - « l ‘ égalité dans la prise de parole38 » - « l ‘ implication de chacun est gérée de manière fluide » - « chacun accepte les faiblesses et les points forts de chacun », - « les membres du groupe ont une certaine empathie et une capacité à cerner les émotions des autres ». L ‘ alliance permet de gérer l ‘ absence d ‘ autorité. Les individus construisent ensemble une perspective de transformation démocratique ; ce ne sont pas quelques-uns en haut de la pyramide qui diraient aux autres quel est le chemin à suivre. Pour Renault Libert39 l ‘alliance est indispensable pour l’intelligence du jeu en groupe d’improvisation jazz. La meilleure solution pour faire naitre quelque chose de riche est de faire en sorte que tout le monde respecte les règles. L’avantage du jazz, par rapport à un débat politique c’est que l’on peut introduire un degré de liberté dans ces règles. Si cette règle là est respectée, ou si on en respecte les fondements par la liberté individuelle, à un moment donné dans le jeu collectif, quelqu’ un peut prendre une 37 Lenhardt Vincent et Bernard Philippe, 2009, L ‘ intelligence collective en action, p. 41, 77 38 Brooks David, « Amy Chua Is a Wimp », The New York Times, 17 janvier 2011, traduit par Noémie Prin 39 entretien avec Renaud Libert, op. cit.
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liberté qui n’ aille pas à l’ encontre de ce que les autres jouent. Il va même les induire et les encourager à explorer d’autres terrains musicaux. Mais les musiciens ont des valeurs de base qu’ils partagent tous. L’ improvisation collective en jazz est une musique intelligente au sens du partage d’une culture commune, une capacité à avoir les mêmes règles, les mêmes codes, les mêmes valeurs et faire en sorte que de cette communion là puisse naître quelque chose qui soit harmonieux, intérressant, profond, émotionnel, sensible, qu’il y ait du sens. Si tout le monde met sa compétence, son expérience au profit de la collectivité, il naîtra quelque chose de plus fort et de plus profond. Ceci est vrai pour toutes les musiques, pour toutes les formes d’art en groupe. // L ‘ indépendance des opinions « À la différence des fourmis nous sommes heureusement des décideurs indépendants40 ». Chacun doit être en mesure de dire ce qu ‘ il pense et non pas suivre la langue de bois. Il est plus aisé de ne pas se laisser influencer dans les espaces collaboratifs en ligne. En effet, comme le souligne Maltcheff, l ‘ indépendance dans l’IC en réseau consiste plutôt à « penser localement et agir globalement41 ». // L ‘ état conscient contre l ‘ état chaotique Selon Ivan Maltcheff, l ‘ état conscient42 entre les individus est important dans la dynamique collective. à partir du moment où l ‘ on est en état conscient dans une situation, on ne subit plus. Un état conscient accompagne la construction, ce qui est différent d ‘ un état chaotique sur lequel il n ‘ y a plus de point de repère. Chacun peut l ‘ éprouver et le comprendre, à titre personnel. S ‘ il est dans la difficulté, il se fait accompagner, ce n ‘ est pas tout à fait la même chose que s ‘ il est laissé tout seul, complètement désemparé, sans aucun repère. La démarche consciente, selon Maltcheff, permet de faire émerger les meilleurs talents, dans le cadre d ‘ une perspective co-construite, en essayant de prendre en considération les difficultés des uns et des autres, et d ‘ atténuer les phases délicates de la destruction collective. // Le rêve commun En revanche, Ivan Maltcheff évoque une apparente contradiction avec l ‘ état conscient : « le rêve éveillé est un travail circulaire sur la vision, la construction d ‘ un futur 40 Nghiem Thanh, op.cit. p.93 41 Maltcheff Ivan, 2011, Les nouveaux collectifs citoyens: Pratiques et perspectives, p.108 42 ibid
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désirable43 ». Dans le rêve, on a toutes les potentialités créatrices. Pouvoir rêver, c ‘ est en grande partie ce qui fait que l ‘ on est humain. Le rêve renvoie à notre pouvoir créateur, cocréateur ; se connecter avec le rêve, c ‘ est se connecter avec l ‘ essence profonde de chacun d ‘ entre nous ; mais à la grande différence d ‘ un rêveur solitaire, ce qui est interpellant, mobilisant, et donne de l ‘ enthousiasme, c ‘ est la capacité de rêver ensemble. D ‘ ailleurs, il et fort probable que les plus grandes innovations, que ce soit dans le domaine scientifique, philosophique ou culturel ont démarré à partir du rêve d ‘ un certain nombre de personnes. Pour preuve, on dit que « ce rêve va devenir réalité ». Rêver, c ‘ est connecter les matrices de l ‘ esprit avec des choses que nous portons, dont nous ne sommes pas nécessairement conscients, mais en tous cas on se les imagine et on se les représente . Grâce à un certain nombre de processus, le rêve permet de faire émerger et de modifier complètement le réel. Ainsi, le rêve est le plus puissant accès à la co-création collective. « Commencer à rêver seul c ‘ est toujours le début d ‘ un rêve, commencer à rêver à plusieurs c ‘ est le début d ‘ une réalité44 ». Bachelard a réussit à capter l ‘ essence des éléments, et dans son expression, quand on lit La poétique de l ‘ espace45, on constate qu ‘ il a réussi à ramener des matériaux de l ‘ imaginaire et il nous permet de les réintégrer dans le réel, et ensuite, de partir avec les éléments du réel dans l ‘ imaginaire. Bachelard a réussi ce tour de force : lever le brouillard sur les univers et permettre la coexistence des différents univers. // La joie Nous avons évoqué dans le paragraphe précédent qu ‘ il est enthousiasmant d ‘ avoir des projets pour pouvoir établir cette interaction entre les parties conscientes et celles qui sont imaginaires, car tout commence par un rêve. Ivan Maltcheff porte notamment ses réflexions sur «le plaisir et la joie comme moteur»46 pour agir en groupe. D ‘ ailleurs, une citation converge avec ce que Maltcheff développe quand il parle des nouveaux moteurs. « Quand il y a de la joie, la chute devient l ‘ envol47 » En ce qui concerne la joie, on est pas du tout dans un sentiment factice et artificiel. On est dans la connexion profonde de l ‘ être ensemble, dans quelque chose d ‘ extrêmement incarné et pas du tout théorique, voir même de non philosophique. I.Maltcheff a animé 43 ibid, p.58 44 Maltcheff Ivan, op.cit. p.61 45 Bachelard Gaston, 1961, La poétique de l ‘ espace 46 Maltcheff Ivan, op.cit. p.117 47 Bilien Jean-Yves, 2010, Marc Vella, « l ‘ éloge de la fausse note »
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des dizaines de groupes où il a vu le rayonnement des personnes lorsqu ‘ elles se mettaient ensemble dans une perspective de co-création collective de transformation (Les groupes qu ‘ il évoque dans l ‘ ouvrage sont en général des associations à projets citoyens). Elles connectaient une partie de leur être profond et elles arrivaient à l ‘ exprimer, tout simplement. On est pourtant autour de projets concrets, et non pas du tout dans de la thérapie. Quand une personne exprime aux autres ce qu ‘ elle veut dire, qu ‘ elle parvient à partager une émotion, elle change, elle progresse. Il s ‘ agit d ‘ une révélation presque magique, qui produit de la synergie. On rejoint la définition de l ‘ IC de Pierre Lévy quand il parle de « l ‘ enrichissement mutuel des personnes ». L ‘ intelligence Collective se révèle au grand jour si le groupe parvient à atteindre cette synergie. I. Maltcheff évoque même la joie comme un besoin vital « Un groupe [...] qui ne génère pas du plaisir et de la joie est condamné à brève échéance48 ». // Et l ‘ enthousiasme dans tout cela ? L ‘ enthousiasme fait le pont avec ce qui a été dit précédemment. Etymologiquement il correspond à « la joie de l ‘ âme », l ‘ âme non pas au sens religieux, mais une sorte d ‘ intériorité. Comme le fait comprendre Ivan Maltcheff, l ‘ enthousiasme est 48 Maltcheff Ivan, op.cit. p.118
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lié à l ‘ optimisme, de se dire que l ‘ objectif sera atteint, si l ‘ on est ensemble. Malgré l ‘ effondrement, la souffrance potentielle et croissante de ce que nous voyons autour de nous, en parallèle nous devons être de plus en plus nombreux à être habités par cet enthousiasme. L ‘ important est de savoir que l ‘ on n ‘ est pas seul, on est relié, et au fond c ‘ est une force extraordinaire qui est en route.
3b. Les freins : le travail subi, la compétition, et la course à la monnaie rare Maltcheff évoque en revanche que les logiques sacrificielles du travail de groupe touchent à leur fin49. C ‘ était un modèle qui nous a amené jusqu ‘ ici, mais aujourd ‘ hui on ne peut plus fonctionner sans réveiller ces moteurs en nous. Cela veut dire aussi qu ‘ en travaillant sur la joie, il y a un travail sur nos ombres, sur tout ce qui ne va pas, cela fait partie du chemin. Cette joie profonde de faire un chemin ensemble et pouvoir commencer à s ‘ exprimer, on la retrouve autour de projets, pourvu qu ‘ ils soient concrets et motivants. Plus fondamentalement, on devrait quitter progressivement les rives du monde du travail subi, le travail qui est souvent assimilé dans notre société à de la souffrance, pour tendre vers une réalisation de soi au service d ‘ un collectif. Effectivement une sorte de « réalisation de soi au service de.. » devrait graduellement guider à la fois nos processus éducatifs et nos processus de construction de l ‘ « être ensemble », comme le suggère Edgar Morin dans La Voie50. Voici deux choses qui méritent d ‘ êtres lues, mais aussi partagées : Aujourd ‘ hui on s ‘ est aperçu que la joie est une autre organisation de l ‘ architecture des neurones dans le cerveau d ‘ un être humain, et que lorsqu ‘ il est animé par la joie il ne voit pas les mêmes choses que quand il est animé par la tristesse. Ce n ‘ est parce qu ‘ un groupe traite des problèmes complexes et difficiles que la joie au contraire ne doit pas être présente. Pour Maltcheff, être joyeux s ‘ avère même un devoir de responsabilité lorsque la situation est difficile pour pouvoir justement trouver une solution. On peut penser souvent que l ‘ on est dans un environnement où la communication 49 Maltcheff Ivan, op.cit. p.101-118 50 Cf chapitre 1, p.21
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ambiante est plus que mortifère. Ce sont des énergies de mort, de drame, de souffrance, du matin au soir et du soir au matin. Ceux qui construisent la réalité, c ‘ est-à-dire les médias, fabriquent une forme de réalité à travers le choix d ‘ un certain nombre d ‘ éléments qu ‘ ils mettent en perspective et auquel ils donnent du sens. Dans la coopération, il y a des principes effectivement de joie, de partage, qui sont au cœur du processus. Effectivement, on peut s ‘ interroger : n ‘ y aurait-il pas une révolution à faire, dans les systèmes éducatifs, tel que le suggère Edgar Morin ? Evidemment, elle ne se fera pas en un an ou deux, mais dès maintenant nous devons être en capacité de porter cette perspective. Il faut d ‘ abord incarner ces idées dans des petits groupes et commencer à comprendre comment on fait fonctionner ces principes de joie. Précisons que le mot travail est souvent employé et lorsque l ‘ on recherche son origine, il est important de noter que le mot ne peut pas être joyeux. Travail vient du mot latin tripalium qui signifie « torture ». On peut donc comprendre que même inconsciemment, aller au travail ne génère pas d ‘ enthousiasme et de joie. Alors que, si on change le mot, le travail, tel qu ‘ on l ‘ a évoqué ici, peut-être non seulement un outil d ‘ intégration sociale comme on nous en parle sur le plan économique, mais aussi un processus de réalisation de soi. Nos systèmes éducatifs devraient nous aider à construire cela. Or, aujourd ‘ hui, ce n ‘ est pas tout à fait la perspective qui nous est donnée. Une transformation assez importante est à effectuer, un passage à un autre monde. Si les membres de l ‘ équipe sont dans un esprit de compétition l ‘ IC pourra difficilement se révéler au grand jour. Pour J-F Noubel51, nous ne pouvons pas d ‘ un côté collaborer, être en synergie, faire des énergies durables, mettre en commun nos idées et nos ressources, et de l ‘ autre côté, continuer à nous entre-tuer pour de la monnaie rare. Les monnaies actuelles, les euros, les yens, les dollars, sont des monnaies rares. Ce n ‘ est pas un jugement, c ‘ est un nom technique. Elles manquent tellement que les gens sont en compétition. Cela donne une idéologie de la compétition qui a prévalu dans l ‘ ère industrielle mais dont nous sortons aujourd ‘ hui : nous devons créer des monnaies qui ne favorisent non pas la rareté ou la compétition, mais qui créent de la synergie. l ‘ argent rare tel qu ‘ on le connaît n ‘ est plus du tout adapté. L ‘ innovation 51 Noubel Jean-François, op.cit. p.19-28
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sociale est donc profondément liée au système monétaire qui est au cœur des travaux de l ‘ IRIC.
L ‘ IC est un tout émergent d ‘ un système humain, artificiel ou animalier qui dépasse la somme des parties. Pour que l ‘ IC se manifeste, il y a plusieurs grandes conditions : • le fait de se regrouper pour collaborer vers un objet qu ‘ on va construire ensemble, • des savoirs et des intelligences complémentaires, • la diversité des connaissances et des compétences, • un nombre limité à quinze personnes pour l ‘ IC de proximité, • des ressources et une vision partagée, • une structure adaptée à l ‘ interaction, • l ‘ absence d ‘ autorité, • l ‘ indépendance des opinions, • le rêve commun, la démarche consciente, la joie et l ‘ enthousiasme. Favoriser l ‘ IC requiert particulièrement de créer l ‘ alliance entre les acteurs, et celle-ci ne peut se faire que par l ‘ ensemble des visions partagées : par l ‘ holoptisme. Il importe de rappeler qu ‘ un groupe qui n ‘ installe pas la joie et le plaisir dans son processus de fonctionnement, est un groupe qui est condamné à disparaître. Cela ne veut pas dire qu ‘ il ne doit pas y avoir d ‘ effort, c ‘ est essentiel et cela fait partie du cheminement. Même dans des moments difficiles, des désaccords et des émotions fortes, incarner la joie, permet de commencer à avoir effectivement des réponses concrètes. Instaurer ces conditions dans un groupe l ‘ IC s ‘ avère difficile, particulièrement au sein d ‘ un environnement complexe, d ‘ autant plus que le groupe lui-même forme un système complexe. C ‘ est pourquoi des processus existent et des pratiques où ces conditions sont présentes que nous développerons par la suite.
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D ‘ ores et déjà, nous avons une idée précise de la notion d ‘ Intelligence Collective, et nous avons identifié les conditions inhérentes à son existence. Cependant, la mobilisation de toutes ces conditions s ‘ avère compliqué. Il s ‘ agit donc à présent de montrer des exemples concrets des processus de mise en œuvre de l ‘ IC aujourd ‘ hui ou des méthodes qui facilitent sont émergence. Nous développerons ainsi les formes où elle se manifeste, en explicitant comment ces pratiques peuvent aider à aborder la complexité.
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Chapitre IiI
Les processus modernes de l ‘ Intelligence Collective noemie.prin@gmail.com 64
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ans ans un un monde monde complexe, complexe, les les gens gens réunissent leurs compétences pour toutes des problèmes, créer, innover, toutes sortes sortes de de motivations, motivations, résoudre comme résoudre des problèmes, créer, négocier, décider, transmettre la connaissance ou l organiser ‘ i nformation, innover, négocier, décider, transmettre la connaissance, l ‘ information, la vie en société. Par la quelles appelle à l ‘ IC aujourd ? Comment ou encore organiser vie enpratiques société. fait-on Par quelles pratiques fait-on‘ huiappelle à l ‘ IC les entreprises procèdent-t-elles pour gérer collectivement la complexité ? Comment aujourd ‘ hui ? Comment les entreprises procèdent-t-elles pour gérer collectivement la collabore-t-on en réseau pour innover ? complexité ? Comment collabore-t-on en réseau pour innover ? Autant de questions, auxquelles nous tenterons de répondre à travers divers Autant de questions, auxquelles nous tenterons de répondre à travers divers exemples tels que la politique participative, l ‘ innovation en réseau, l ‘ innovation exemples tels que la politique participative, l ‘ innovation en réseau, l ‘ innovation ouverte en entreprise, le crowdsourcing. Ce chapitre invite également à comprendre ouverte en entreprise et le crowdsourcing. Ce chapitre invite également à comprendre des outils pour mettre en oeuvre l ‘ IC, que ce soit en réseau ou au sein d ‘ un groupe de certains outils pour mettre en oeuvre l ‘ IC, que ce soit en réseau ou au sein d ‘ un gens réunis en chair et en os. groupe de gens réunis en chair et en os.
1. 1. IC IC entre entre élus élus et et citoyens citoyens «Pour qu ‘ il y ait mouvement de haut en bas, il faut qu ‘ il y ait en même temps une capillarité de bas « Pour qu ‘ il y ait mouvement de haut en bas, il faut qu ‘ il y ait en même temps une capillarité de bas en haut.11 » en haut. »
Michel Foucault Michel Foucault
La politique est complexe. On observe que le débat politique n ‘ est plus l ‘ apanage La politique est complexe. On observe que le débat politique n ‘ est plus l ‘ apanage des élus politiques et des journalistes. Les citoyens se sentent concernés par des élus politiques et des journalistes. Les citoyens se sentent concernés par les les problèmes de la société: ils veulent pouvoir participer à leur résolution et aux problèmes de la société : ils veulent pouvoir participer à leur résolution et aux décisions politiques. Le monde d ‘ aujourd ‘ hui propose plusieurs moyens de rendre décisions politiques. Le monde d ‘ aujourd ‘ hui propose plusieurs moyens de rendre le citoyen actif par l ‘ IC. Nous évoquerons l ‘ IC en réseau à travers le modèle du Web le citoyen actif par l ‘ IC. Nous évoquerons l ‘ IC en réseau à travers le modèle du Web politique, tendance incontournable du XXIe siècle, ainsi que l ‘ IC de proximité à travers politique, tendance incontournable du XXIe siècle, ainsi que l ‘ IC de proximité à travers le modèle du théâtre législatif, une nouvelle forme de démocratie participative. le modèle du théâtre législatif, une forme de démocratie participative.
1a. Le Web politique 2.0 1a. Le Web politique 2.0 L ‘ usage des nouvelles technologies, notamment internet, a bouleversé la façon dont L ‘ usage des nouvelles technologies, notamment internet, a bouleversé la façon dont les politiques se positionnent et la manière dont ils communiquent. les politiques se positionnent et la manière dont ils communiquent. Les auteurs du Web Social22, nous rappellent qu ‘ il y a encore quelques années, les Les auteurs du Web Social , nous rappellent qu ‘ il y a encore quelques années, les politiques avaient l ‘ habitude de prendre la parole, de développer des messages, de politiques avaient l ‘ habitude de prendre la parole, de développer des messages, de 1 « Le jeu de Michel Foucault » (entretien avec D. Colas, A. Grosrichard, G. Le Gaufey, J. Livi, G. Miller, J. Miller, J.-A. Miller, C.Millot, G. Wajeman), Ornicar ?, Bulletin Périodique du champ freudien, no 10, juillet 1977, p. 62-93. 2 Proulx Serge, Millerand Florence et Rueff Julien, 2010, Web Social : Mutation de la Communication, p.52-60
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donner leur idées, dans des émissions de télévision, lors de tribunes, lors de grands meetings. En effet, l ‘ interaction avec les citoyens n ‘ existait pas, elle était différée. On la mesurait à travers des sondages, et à travers un certain nombre d ‘ outils. Avec l ‘ ère d ‘ internet, on est passé d ‘ un mode vertical descendant à un mode conversationnel. Les politiques gèrent le débat, mais avec un léger différé. Le Web politique s ‘ est déclenché en Corée du Sud, avec la plateforme OhMyNews en 20013. OhMyNews est une initiative citoyenne qui a permis à la Corée du Sud et à des citoyens de poster un mix d ‘ informations, tel qu ‘ on peut le voir aujourd ‘ hui en France sur LePost.fr. Ils avaient donné la possibilité aux citoyens de poster une information qui était ensuite validée par la rédaction, puis éditée et classée dans différentes thématiques. En l ‘ espace de quelques mois, cinquante-mille internautes Sud Coréens y ont contribué. Ce phénomène a été majeur lors de l ‘ élection présidentielle au milieu des années 2000. Le président élu Sud Coréen, dans son discours d ‘ investiture a d ‘ ailleurs remercié OhMyNews pour sa contribution à la vitalité du débat. Il est apparu, ensuite aux Etats-Unis en 2003 dans l ‘ opposition, très minoritaire, à la guerre en Irak. En réalité, dans tous les cas, il y a un problème d ‘ offre politico-médiatique. Les médias, au fond, diffusent une information majoritairement unanime. Les citoyens ont un regard de défiance à l ‘ égard de la classe politique et de la classe médiatique et font l ‘ expérience d ‘ aller chercher l ‘ information alternative sur internet. À l ‘ occasion de cette recherche d ‘ information alternative, les citoyens font deux autres expériences : - Ils se rendent compte que le Web n ‘ est pas seulement un média d ‘ information, mais qu ‘ il est surtout un espace de débat public. Des milliers de citoyens actifs vont effectivement échanger, contre expertiser, et construire des débats, qui peuvent être parfois superficiels avec des commentaires sans intérêts. Mais il y a aussi des débats avec un niveau de contre-expertise extrêmement intéressant. - Des nouveaux modes d ‘ organisation politique ont émergé à cette occasion, autour du Web citoyen. Le site internet Moveon.org serait, selon MediaPart4, le déclencheur de la démocratie 2.0 aux Etats-Unis, il cherche à accompagner le changement culturel, social et politique en s ‘ appuyant sur le Web. Aujourd ‘ hui des sites français s ‘ en inspirent. 3 Eilée Taïké, 2005, « OhmyNews : la renaissance du journalisme », URL : http://aristippe.over-blog.com/ article-4499916.html. Consulté le 5 octobre 2011. 4 Truffy Vincent, « Les dessous de la campagne d ‘ Obama, par Howard Dean », MediaPart, le 5 avril 2009
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OhMyNews LePost.fr
MoveOn
LePost.fr : commentaires d ‘ un post
siteWeb de Barak Obama pour sa campagne en 2008
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Cela change donc profondément la sphère du débat public, mais cela modifie notamment la manière dont on organise un mouvement politique. Aux Etats-Unis, Howard Dean qui a réussi à avoir une investiture face à John Kerry, s ‘ est servi de méthodes pour lever des fonds. Il a ainsi préparé le terrain à Barak Obama, et toute la campagne de Barak Obama a été préparée en 2004 à travers le Web politique. Le parti démocrate a exploité au mieux tous les potentiels d ‘ internet.
Ensuite, l ‘ acte fondateur du Web-politique en France, est apparu en 2005 à l ‘ occasion du traité constitutionnel européen et de son débat. Il s ‘ est produit une vraie rupture. Les politiques ont réalisé que le débat et la passion politique existaient également sans eux. En effet, les deux se développent sur la toile entre citoyens qui mènent et organisent des conversations. Ils ont ainsi la possibilité de devenir véritablement actifs. Une irruption apparait dans la vie politique de citoyens connectés, de citoyens actifs et de citoyens bruyants qui prennent la parole et qui ont la possibilité de prendre la parole de manière aussi forte, aussi audible, que certains des hommes politiques. Il y a également une attente du citoyen pour se réapproprier le débat politique. Certains se croient soumis à une pensée unique, dans les médias, les discours politiques alors qu ‘ ils veulent exprimer d ‘ autres idées. Soyons aussi conscient que le Web est également l ‘ espace de la diversité, et que cette diversité nous enrichit et favorise l ‘ IC.
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Ainsi, le débat citoyen prend corps sur internet. Comment fait-on usage du Web pour porter la voie militante et comment inscrit-on cela dans une méthode de communication ? Certains politiques sont loin d ‘ être tous convaincus de l ‘ utilité d ‘ internet, et sont très loin de pouvoir l ‘ apprivoiser ; mais aujourd ‘ hui un candidat quel qu ‘ il soit ne peut plus se permettre de ne pas être présent sur la toile. On rentre notamment dans une sphère conversationnelle qui exige d ‘ ouvrir le dialogue, l ‘ assumer, écouter, digérer cette masse d ‘ informations et en sortir une synthèse opérationnelle. Cela implique aussi d ‘ accepter la critique, ce qu ‘ un homme politique peut avoir des difficultés à assumer publiquement. En effet, lorsqu ‘ on a ouvert un espace de dialogue, doit-on accepter d ‘ être critiqué ? Il y a des règles de modérations simples à imposer qui sont : ni insulte ni diffamation, ni propos qui porteraient atteinte à l ‘ ordre public. Un politique ne lance pas une campagne de communication et ne réagit pas à une crise de communication sans avoir au minimum une grille de lecture et une méthodologie à appliquer. Pour être présent efficacement il faut se poser la question des codes d ‘ internet. Prenons à présent l ‘ exemple d ‘ un cas concret. Lorsqu ‘ Alain Lambert (Ancien Ministre du budget et Sénateur de l ‘ Orne) a ouvert son blog en 20055, il était l ‘ un des premiers politiques à se lancer dans la blogosphère avec curiosité et enthousiasme. Il a perçu que l ‘ interactivité du Web donnait un nouveau souffle au débat public, une nouvelle dynamique très réactive. Cet outil de partage regorge d ‘ idées, de contradictions. Néanmoins tout ne peut pas être dit. Il y a certaines règles qui doivent être suivies dont celle, essentielle, du respect d ‘ autrui. C ‘ est l ‘ une des raisons pour lesquelles certains politiques, comme Alain Lambert ont rédigé une charte des bonnes pratiques pour leur blog, un contrat social de confiance qui est conclu avec tous les internautes qui s ‘ y rendent. Ses équipes diffusent des informations et s ‘ investissent beaucoup, mais il reste maître des contenus qui sont publiés et de tous les échanges. Il considère que cette aventure 2.0 est incontournable pour les élus. Ils peuvent s ‘ emparer d ‘ internet comme un outil puissant, très facile à utiliser et surtout très peu couteux par rapport aux médias traditionnels. 5 Lambert Alain interviewé par Gaucher Erwann « Les politiques ne connaissent pas les réseaux sociaux, et c ‘ est un vrai problème » Le blog d ‘ Alain Lambert, Ancien Ministre du Budget et Président du Conseil général de l ‘ Orne http://www.alain-lambert-blog.org, Consulté le 7 octobre 2011.
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Les applications Web tels que les blogs, les réseaux sociaux et les forums sont des espaces où fourmille l ‘ IC en réseau. Certains élus s ‘ y mettent déjà, avec une très grande facilité et ce ne sont pas toujours les plus jeunes. D ‘ autres sont un peu plus réticents, car ils voient internet comme une contrainte ou peut-être même un peu de temps perdu, pourtant Barack Obama a montré la voie au moment de sa campagne présidentielle puisqu ‘ il a été numériquement exemplaire. Un élu français ne peut pas échapper à cette révolution démocratique et technologique. Il devient « homme politique 2.0 » en décidant de développer son influence sur la toile. Il doit ainsi être présent, échanger et participer afin de se rendre le plus accessible possible, même si beaucoup de conseillers l ‘ aident dans l ‘ ombre. Au fond, ce qui a le plus bouleversé le champ politique c ‘ est le fait que, grâce à internet, la société civile s ‘ y est largement invitée, au service de la démocratie. Aujourd ‘ hui elle prend le pouvoir en exerçant une pression très forte sur les politiques qui bouleverse aussi la manière dont ils doivent réfléchir, penser, faire des discours et s ‘ organiser. Les journalistes sont impactés de la même manière. Aujourd ‘ hui, une pression sur les réseaux sociaux et les blogs pèse sur eux et les oblige à être au moins aussi critiques que les citoyens.
Finalement, la distribution de la parole qui n ‘ est plus monopolisée par le haut, la charte des blogs, la diversité et l ‘ interaction sont les prémisses d ‘ une Intelligence Collective qui est en train de naître dans la sphère politique. Elle est observable sur le Web, mais peut-elle apparaitre dans le monde matériel ? « Les institutions prétendument représentatives de la République sont composées essentiellement de mâles, blancs, de cinquante à soixante-cinq ans... dont une proportion importante s ‘ appelle Michel ou Jean-Pierre, signe de leur origine et de
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leur génération6 ». Antoine Vieillard, conseiller municipal de la minorité à Saint-Julienen-Genevois, montre que des efforts sont à envisager au niveau du corps politique français. « De toute évidence la politique perd beaucoup d ‘ Intelligence Collective à trop concentrer la parole à quelques uns ». En effet, la monopolisation de la parole, le manque de diversité humaine et la proportion minoritaire de femmes élues sont des éléments défavorable à l ‘émergence de d’une Intelligence Collective, pourtant nécessaire. Néanmoins, quelques formes de démocratie participative exploitant l ‘ IC commencent à voir le jour dans le monde matériel.
1b. Le théâtre législatif, un exemple de démocratie participative « Nous les humains, sommes les acteurs d ‘ un spectacle que nous nous donnons à nous-même. Le théâtre et ses dépendances, la scène et la salle, ont été fournis par la nature. Il nous reste à en faire le lieu d ‘ une comédie ou une tragédie dont nous imaginerions les épisodes et dont nous écrirons les rôles, y compris les interventions de l ‘ inévitable Deus Ex Machina7 ». Albert Jacquard
Montrer la complexité d ‘ une situation et faire appel à l ‘ Intelligence Collective pour trouver des solutions : telle est l ‘ ambition du théâtre législatif. Il s ‘ agit d ‘ un outil convivial de démocratie participative en IC de proximité, dont la méthode simulation d ‘ une innodation fait évoluer les rapports entre théâtre législatif de l ‘ association eCohérence les citoyens et les institutions. Il fut créé par l ‘ homme de théâtre brésilien, Augusto Boal, père d ‘ un théâtre ouvert et engagé qu ‘ il a appelé « le théâtre de l ‘ opprimé ». « À travers le théâtre de l ‘ opprimé, 6 Vielliard Antoine « L ‘ intelligence collective... la politique française et le Conseil Municipal de Saint-Julien-enGenevois : Portevoix à Saint-Julien-en-Genevois ». URL : http://antoinevielliard.hautetfort.com/archive/2010/10/05/lintelligence-collective-la-politique-francaise-et-le-conse.html. Consulté le 28 septembre 2011. 7 « Albert Jacquard soutient le projet », URL : http://www.eaudurable.org/actualites/59-soutient-jacquard. Consulté le 12 septembre 2011.
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vous pouvez mieux comprendre le monde dans lequel vous vivez, vous pouvez repérer vos oppressions, lutter contre elles et vous libérer des oppressions. C ‘ est possible, c ‘ est entre nos mains8 ». Le théâtre de l ‘ opprimé est aujourd ‘ hui utilisé dans le monde entier, par des femmes et des hommes désirant résoudre des problématiques de leur société. Par le théâtre participatif, ils apprennent des uns et des autres comment faire évoluer leur comportement et les règles sociales. Qu ‘ il s ‘ agisse de problèmes concernant les incendies, les inondations, la pollution, les fléaux sociaux, etc. Sur scène, les comédiens permettent au public, constitué de citoyens, d ‘ élus politiques de réfléchir à des propositions collectivement. Dans cette optique, l ‘ association eCohérence propose d ‘ innover dans l ‘ écocitoyenneté active à travers un événement baptisé Eau Durable9, qui utilise le théâtre législatif, pour favoriser la gestion durable de l ‘ eau, qui est un des enjeux majeur du XXIe siècle. Il s ‘ agit d ‘ une concertation expérimentale qui a pour objectif de favoriser l ‘ Intelligence Collective entre élus, techniciens, artistes, jeunes et citoyens du bassin de la Syane. Ensemble, ils œuvrent pour la préservation de l ‘ eau et des milieux aquatiques. L ‘ initiative est issue du Conseil de Développement de la région et l ‘ association de théâtre est là pour tenter de faire émerger des idées. La compagnie des échomédiens enquête au préalable sur le terrain, pour ensuite mettre en scène la complexité locale de l ‘ eau à travers huit séances de théâtre législatif. Pour créer une dynamique participative conviviale, la séance débute par des jeux. La mise en scène montre les problématiques en partant de la vie de tous les jours. Par exemple ils sont dans une salle de bain et ils théâtralisent une situation non responsable de consommation d ‘ eau excessive. Ensuite, les observations du public et les précisions des experts permettent de faire un diagnostique partagé. Puis les spectateurs s ‘ entraînent à être le changement qu ‘ ils veulent voir dans le monde, en montant eux-même sur scène, pour exprimer leurs idées. Les situations mises en scène dépassent la responsabilité individuelle et nécessitent une gestion publique. Les citoyens proposent aux techniciens et aux élus, des pistes 8 Boa Augusto, verbatim tiré d ‘ un enregistrement de « l ‘ Atelier Théatre législatif » à St Étienne-les-Orgues, le 17 juillet 2005 9 www.eaudurable.org
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d ‘ action, des applications ou des projets de loi. À l ‘ issue de la séance, les élus s ‘ en saisissent pour proposer des changements sur le territoire. Ces propositions sont soumises à un débat, puis à un vote. Delphine Gouaty nous en révèle quelques unes, à la suite d ‘ une séance de théâtre législatif: « Une douzaine de propositions ont été votées par le public. La facturation de l ‘ eau progressive plutôt que dégressive a suscité l ‘ approbation de tous. » « Des idées originales comme celles d ‘ un slow food, aux saveurs traditionnelles, des machines à laver sans lessive, ou des toilettes sèches ont également été bien accueillies par le public10 ». Le théâtre législatif apparait comme un outil profitable à deux niveaux: - Pour les élus, les ingénieurs, les techniciens des administrations qui parviennent à voir les problèmes qui sont évoqués par la population, les problèmes du quotidien qu ‘ eux même n ‘ avaient pas perçu. - Pour les habitants des quartiers, qui s ‘ approprient des problématiques, peuvent les intégrer et obtenir des résultats. Au fond, l ‘ intérêt du théâtre législatif réside dans la participation active des citoyens qui ne sont généralement jamais consultés. L ‘ IC émerge notamment grâce à l ‘ hétérogénéité du groupe de participants. En effet, toutes les tranches d ‘ âge y sont impliquées, toutes les spécificités, des experts aux simples citoyens. Cela prouve que toutes les actions intelligentes ne viennent pas forcément des gens qui sortent de l ‘ ENA. Par le théâtre, les messages passent plus facilement que par des grands discours pour faire comprendre la nécessité du changement. Thanh Nghiem s ‘ intéresse également aux territoires comme lieu où s ‘ incarne le changement11. Le territoire est une manière de voir les choses, de rassembler les gens. Dans cet endroit, les idées des individus peuvent donc se retrouver, dans un espace matériel, concret. D ‘ où la naissance de ce que T. Nghiem appelle les TICA, les « territoires intelligents et les communautés apprenantes12 », des endroits qui permettent aux gens de se rencontrer et de partager des idées, une sorte de « hub » créatif, dans lesquelles les citoyens peuvent se retrouver, mettre en commun des savoirs, et créer 10 Gouaty Delphine, « Les Echomédiens ont fait réagir le public », Journal Nice Matin du 18 février 2009 11 Nghiem Thanh, 2010, Des abeilles et des hommes: Passerelles pour un monde libre et durable, p.155-160 12 ibid, p.155
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ainsi un autre mode de vie durable, en partageant ces recettes là. Aujourd ‘ hui ces « hubs » se traduisent en partie par des conseils de quartier, des maisons populaires, et par le théâtre législatif. Ainsi le territoire est un outil d ‘ IC et peut devenir un objetart de l ‘ IC en combinant des apports humains pour le développement durable.
2. Processus de mise en IC de proximité Une organisation humaine comprend bien des aspects, bien des composantes. Il s ‘ agit d ‘ abord d ‘ un ensemble de personnes qui ont besoin de travailler ensemble. On pourrait l ‘ illustrer comme un système complexe nerveux. Il y a des neurones qui nécessitent des synapses entre eux pour fonctionner. Si l ‘ on veut générer l ‘ Intelligence Collective dans une équipe, certaines problématiques surgissent : Comment prendre une décision collectivement en mettant tout le monde d ‘ accord ? Comment faire circuler l ‘ énergie dans une organisation comme dans une équipe de football où l ‘ on se passe le ballon ? Comment faire en sorte que les personnes se sentent concernées, impliquées, qu ‘ elles collaborent ? Comment innover avec un groupe de personnes ? Beaucoup d ‘ ouvrages traitent de ces questions à travers une diversité de méthodes. Nous choisirons d ‘ en expliciter certaines telles que la construction de l ‘ ontologie collective, puis la sociocratie, un mode de décision collective pour les réunions, puis nous énoncerons les règles d’or d ‘ une séance de créativité collective inhérentes à un processus d ‘ innovation.
2a. La construction de l ‘ ontologie collective Dans le premier chapitre, nous évoquions l ‘ enjeu de devoir faire travailler une équipe hétéroclite et multidisciplinaire afin d ‘ aborder une situation complexe. On pourrait dire que la caractéristique d ‘ un projet complexe est généralement de faire travailler des personnes de disciplines différentes, qui habituellement, lorsque ce projet n ‘ existait pas, ne travaillaient pas ensemble. On a donc souvent des personnes qui sont de cultures et de nationalité différentes, qui ont beaucoup de différences du fait qu ‘ elles ne sont pas habituées à travailler ensemble. Pourtant, le projet, pour sa raison d ‘ être nécessite que ces personnes puissent communiquer, fassent émerger de l ‘ IC, quelque chose qui les dépasse. Les acteurs de cette Intelligence Collective vivent dans un certain degré de chaos, dans
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une très grande incertitude, dans des changements permanents qui assument des contradictions continuelles. Comment ces personnes peuvent-elles garder une certaine estime de soi ? En effet, dans tout le travail transformationnel auquel oblige le processus de mise en IC, les transformations identitaires, le travail de cohésion d ‘ équipes, la mise en place de projets transverses bousculent, et provoquent beaucoup d ‘ inconfort. L ‘ objectif de la construction de l ‘ ontologie collective, tel que le décrivent Vincent Lenhardt et Bernard Philippe dans L’Intelligence Collective en action13 est de mettre à l ‘ aise les participants du groupe dans la complexité de leur environnement. Les acteurs doivent, dans cette complexité, développer leur tolérance au chaos et doivent apprendre à ne plus être sur des rails définis par une hiérarchie, mais à être contributeurs de la création d ‘ un espace dans lequel l ‘ ensemble peut s ‘ harmoniser et « danser ». Cela suppose une capacité de mouvement, de positionnement continuel. D ‘ où la nécessité profonde de transformer des acteurs qui sont souvent des « langoustes14 », dotés d ‘ une carapace qui leur sert de substitut de colonne vertébrale, en vertébrés et en danseurs. Par conséquent, le point clé est le travail sur la construction de leur identité qui soit à la fois souple, ferme et résistante, mais qu ‘ ils ne soient pas enfermés dans leur jeux de pouvoirs et dans leur représentation. Pour permettre aux acteurs d ‘ être performants, la construction de l ‘ ontologie collective doit se nourrir de leur propre énergie. 13 Lenhardt Vincent et Bernard Philippe, 2009, L ‘ intelligence collective en action, p. 147-153 14 ibid, p.156
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Qu ‘ est-ce qui fait que l ‘ équipe est performante et qu ‘ elle fonctionne ? Will Schutz15 a développé cette problématique, dont il s ‘ aperçoit que le point fondamental qui constitue une équipe performante n ‘ est pas d ‘ avoir un bon chef. Dans une équipe performante, les participants peuvent dire leurs peurs, leurs besoins, ils sont capables d ‘ aborder leurs points faibles, les sujets qui fâchent, et traiter le syndrome de l ‘ évitement amical. Quand il y a de la poussière sur le tapis, peut-on dire que l ‘ on va la nettoyer ensemble ? Comment créer cette équipe performante ? Pour V. Lenhardt et B. Philippe, l ‘ être humain, son être profond, est un être capable ou pas de relations. Pour chacun d ‘ entre nous notre relation a été névrosée à la suite d ‘ épreuves vécues, dans notre enfance, qui font que l ‘ on est plus ou moins résiliant. On a peut-être été blessé dans la relation avec la figure d ‘ autorité, la figure maternelle, la figure des frères et soeurs, etc. Nos relations sont donc parasitées par tous ces souvenirs, par toutes ces mémoires. On retrouve effectivement la même chose dans l ‘ entreprise. La peur d ‘ être dans l ‘ équipe, la peur d ‘ être dans un grand groupe, la peur de s ‘ exprimer devant l ‘ autorité, etc. Comment réparer toute cette problématique ? Le travail de construction identitaire va procéder de trois éléments qui sont totalement concomitants. Il s ‘ agit d ‘ abord de se déconstruire, c ‘ est-à-dire remettre en cause sa représentation, la façon dont l ‘ on voit son métier, prendre des distances par rapport à sa culture, par rapport à son scénario, sa carte mentale et donc, enlever des choses qui ne conviennent plus. On trouvera cependant un besoin de réparation. Il y a en effet des blessures qui n ‘ ont pas été traitées et qui ont été couvertes par « la carapace de la langouste ». Il s ‘ agit d ‘ apprendre de nouveaux comportements, faire un véritable travail d ‘ apprentissage, et sans cesse le remettre en cause car l ‘ environnement change, les contraintes sont nouvelles, l ‘ incertitude, les événements bousculent, etc. Les mots d ‘ ordre sont donc : déconstruction, réparation et reconfiguration en permanence. Will Schultz dans L ‘ élément humain, exprime cela à travers la notion des trois dimensions de toute relation, qui se vivent dans une relation d ‘ équipe comme dans une relation interindividuelle. Il parle de l ‘ inclusion, du contrôle et de l ‘ ouverture. Il utilise la métaphore des trois couleurs fondamentales : Avec le rouge, le bleu, le jaune, on peut traiter toutes les nuances de la lumière en peinture. Avec ces trois concepts l ‘ inclusion, le contrôle et l ‘ ouverture, on peut diagnostiquer les différentes relations et savoir à quel stade la relation est arrivée. Au cœur de ces trois piliers, se trouve l ‘ émergence et de la capacité relationnelle des acteurs et de l eur ontologie. 15 ibid, p. 128-152
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Derrière le concept d ‘ inclusion, on trouve un travail considérable à faire en permanence, et que l ‘ on doit cultiver. Il s ‘ agit de savoir inclure les personnes, savoir comment les reconnaître, faire en sorte que les gens se sentent pris en compte, respectés, qu ‘ ils communiquent, et leur donner le sentiment profond d ‘ appartenance de l ‘ équipe. Il n ‘ y a pas d ‘ engagement s ‘ il n ‘ y a pas reconnaissance et appartenance. L‘ engagement doit conduire à un partage du souci du bien commun. S ‘ il n ‘ y a pas de travail d ‘ inclusion qui vise à créer l ‘ enjeu dedans/dehors, pour que les collaborateurs soient ensemble dans la relation, il n ‘ y aura pas ce sentiment, nécessaire aux personnes de se sentir important. Important dans le sens exister, être vivant, avoir de l ‘ énergie, savoir que l ‘ on compte pour les autres, avoir sa place dans le groupe.
L ‘ enjeu du contrôle est de clarifier les règles du jeu. Tant que les règles du jeu ne sont pas claires, il n ‘ y aura pas de contribution à la production. Nous n ‘ oserions pas intervenir, par peur de sanction, de rejet, de ne pas se faire comprendre ; si une chose reste incomprise, le montrer nous place dans une position de faiblesse, de celui qui n ‘ est pas sérieux et qui n ‘ a pas étudié le dossier. Il est donc nécessaire de créer les conditions d ‘ un leadership, des règles du jeu communes, où chacun se sent reconnu comme compétent. Même si le sujet n ‘ est pas de son domaine, même s ‘ il n ‘ a pas toutes les informations sur le sujet, malgré cela, chaque individu a des compétences particulières que d ‘ autres n ‘ ont pas. Il s ‘ agit ainsi de créer un climat de compétences, tout à fait indispensable pour la création de valeur. Sans cela, le groupe ne s ‘ investit pas. Des groupes se construisent une charte de bonne conduite, selon certaines
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valeurs qu ‘ ils s ‘ approprient, (exemple : Accord Toltèques pour un laboratoire R&D d ‘ une grande entreprise pharmaceutique16). Enfin, le résultat de l ‘ inclusion et du contrôle, est l ‘ ouverture. L ‘ ouverture, est la capacité de se sentir proches des autres, et de soi-même. C ‘ est-à-dire accéder au dessous de la surface de flottaison de l ‘ iceberg que l ‘ on est et que sont les autres. On peut accéder aux non-dits, à l ‘ intelligence émotionnelle, aux points faibles, on peut dire qu ‘ il y a des problèmes sans se faire sanctionner. Créer ces conditions d ‘ ouverture, c ‘ est croire, en plus d ‘ être important et compétent, que les personnes sont dignes d ‘ être aimées, qu ‘ elles ont de la valeur. Ces croyances profondes, sont toujours fragiles mais elles se développent. Ainsi, à travers les notions de charte relationnelle et comportementale, qui permettent à chacun d ‘ aller au plus profond de lui même et de faire émerger tous ses talents, on peut réussir à faire émerger une énergie collective, un « nous » collectif, une raison d ‘ être qui inclut et qui transcende les talents de chacune des personnes qui constitue le groupe. Notons que pour Schutz, développer ces trois piliers conduit à ce qui est essentiel pour l ‘ entreprise : que les personnes se sentent existantes, importantes, qu ‘ elles se sentent compétentes, responsables afin de prendre en charge des problèmes. Dans l ‘ ouverture, elles se développent en se sentant dignes d ‘ être aimées, ayant une valeur inconditionnelle. Par conséquent, elles peuvent montrer leur points faibles, puisqu ‘ elles savent que tout le monde peut-être ouvert et conscient. Rendre des personnes responsables, actives, pleines d ‘ énergie et conscientes, est à souhaiter pour les acteurs de l ‘ entreprise qui ont à travailler dans la complexité et dans toutes les contradictions de l ‘ IC. Pour reprendre Ivan Maltcheff17, il faut garder l ‘ idée qu ‘ au fil du temps, le groupe chemine et apprend. Pour progresser, il y a quelques règles simples comme consacrer des temps qui sont uniquement dédiés à se regarder et savoir comment on « pédale ensemble ». Se regarder pédaler consiste à émettre quelques principes importants : la cohérence, le respect de l ‘ autre, la circulation de la parole et l’écoute. L ‘ idée n ‘ est pas de s ‘ arrêter à chaque réunion, mais il y a certains temps où il faut que le groupe puisse prendre du recul et se regarder fonctionner. Ainsi, le groupe développera peu 16 Lecointre Thierry, responsable de développement produit d ‘ une grande entreprise pharmaceutique, interviewé le 26 septembre 2011 par Noémie Prin 17 Maltcheff Ivan, 2011, Les nouveaux collectifs citoyens : Pratiques et perspectives p.57-66
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sécurité ontologique estime de soi au sein de l’équipe
contrôle
inclusion
règle du jeu
dedans /dehors
contribution à la production
exister avoir de l’énergie être important
être responsable être compétent
ouverture
reconnaissance appartenance engagement dévouement au bien commun
être aimable être conscient
capacité de résolution de problème
création de valeur
enjeux de l’entreprise
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à peu des techniques, et une IC de cœur et d ‘ esprit se mettra en route et imaginera des façons de faire qui lui seront propres.
2b. Le processus sociocratique : la fin de l ‘ autorité « Sociocratie : Ce terme signifie littéralement la gouvernance du socios c ‘ est-à-dire des personnes qui entretiennent des relations significatives entre eux. La démocratie, en comparaison, c ‘ est la gouvernance du demos, la masse des gens qui n ‘ ont pas grand-chose en commun en dehors de certaines valeurs de base18 ». Buck John A. et Endenburg Gerard
La sociocratie est à la fois une architecture organisationnelle basée sur l ‘ IC, et repose sur des fondements qui s ‘ intègrent notamment à la construction de l ‘ ontologie collective. En effet, il existe au sein de la sociocratie, des modèles et des processus très concrets qui permettent de créer un contexte dans lequel chaque individu se sent suffisamment en sécurité et à l ‘ aise pour pouvoir exprimer son point de vue et faire émerger tous ses talents. L ‘ organisation sociocratique est née dans les années 1970 en Hollande19, quand un ingénieur en électrotechnique, Gérard Endenburg a repris son entreprise familiale, entreprise d ‘ électrotechnique dans le secteur des chantiers navals. Il a découvert une société qui fonctionnait d ‘ un point de vue économique, mais à l ‘ intérieur de laquelle l ‘ ambiance et la manière de travailler, fourmillaient d ‘ oppositions multiples. Il a donc décidé d ‘ arrêter temporairement le développement économique de son entreprise pour se consacrer uniquement à sa structure sociale. Il a appliqué ce qu ‘ il savait de ses études d ‘ électrotechnique, de ses connaissances en cybernétique et en théorie de l ‘ information, pour bâtir, le système de fonctionnement de la sociocratie. En appliquant la sociocratie dans sa propre entreprise, les problèmes de fonctionnement psychologiques et de communication qu ‘ il y avait au sein de l ‘ organisation se sont 18 Buck John A. et Endenburg Gerard, 2004, La sociocratie, Les forces créatives de l ‘ auto-organisation, traduit par Gilles Charest, p.3 19 ibid p.5
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résolus, et l ‘ efficacité s ‘ est considérablement améliorée. En effet, la sociocratie a abouti à une diminution du nombre de réunions, une plus grande efficacité des prises de décisions, ainsi qu ‘ une mobilisation des salariés à tous les niveaux de l ‘ entreprise. Partant de sujets et de concepts complexes, il a abouti à un système suffisamment simple, pour que la sociocratie puisse être utilisée dans des contextes différents. En effet, comme l ‘ évoque Gilles Charest dans La démocratie se meurt, vive la sociocratie20 l ‘ organisation sociocratique s ‘ adresse à un ensemble de personnes que ce soit une entreprise, une organisation, une famille, une communauté ou une équipe de projet. On peut représenter la sociocratie de différentes manières mais nous aiguillerons notre propos par rapport à l ‘ entreprise et la gestion de projet. Parmi les fondements du projet sociocratique inventés par Endenburg21, nous allons nous intéresser à ceux qui favorisent l’IC : l ‘ organisation en cercle, l’ouverture et la clôture d’une réunion, le cadre de sécurité et le processus de prise de décision via le consentement. // L ‘ organisation en cercles Dans une organisation, il y a des organigrammes avec une hiérarchie. Dans le modèle des entreprises par exemple, un patron est à la tête de la pyramide, ensuite au niveau inférieur on a le directeur financier, le directeur commercial, le DRH, le directeur de la production, directeur de la communication, directeur marketing, etc. Tandis que dans une organisation sociocratique, le patron et tous les directeurs forment un cercle. Puis on procède de la même manière avec le directeur de la production, si l ‘ entreprise a par exemple trois usines, on crée un autre cercle, constitué du directeur de la production et les trois directeurs d ‘ usines. Dans une usine, on a le directeur délégué d ‘ usine, avec, si il y a trois ateliers, les trois chefs d ‘ atelier qui forment un cercle, et ainsi de suite. 20 Charest Gilles, 2007, La démocratie se meut, vive la sociocratie 21 Endenburg Gerard, 1998 , Sociocracy : The Organization of Decision Making
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Derrière la notion de cercle, on a la notion d ‘ équivalence, qui est fondamentale dans la sociocratie. Lorsque l ‘ on est dans un cercle, pour prendre des décisions politiques et des orientations, chacun a la même valeur. On partage le pouvoir, personne n ‘ a plus le pouvoir que l ‘ autre. On est ensemble pour prendre des décisions. Le modèle d ‘ organisation pyramidale, est un modèle parfaitement adapté pour l ‘ exécution des tâches. En revanche, pour la prise de décisions, il est inadapté. L ‘ enjeu principal de l ‘ entreprise pour sa pérennité est la création de valeur. La communauté humaine de l ‘ entreprise ne sera féconde que si l ‘ ensemble de ses acteurs participent au bien commun. Tout l ‘ écosystème de l ‘ entreprise doit être dans une logique de gagnant-gagnant. L ‘ entreprise est capable d ‘ assumer la résolution de problèmes. C ‘ est-à-dire d ‘ enlever les obstacles qui empêchent d ‘ atteindre les objectifs et de vivre les valeurs. La nature des problèmes, aujourd ‘ hui est tellement complexe qu ‘ un seul homme, aussi extraordinaire soit-il, ne peut pas appréhender seul la situation et les solutions à trouver. Il est important que dans ce processus de décision, de maturation de la prise de décision, on puisse profiter de l ‘ IC, c ‘ est-à-dire, faire émerger un processus à plusieurs pour pouvoir intégrer cette complexité et faire émerger une proposition globale. Une fois que la décision est prise, on a besoin d ‘ un chef pour l ‘ exécuter. // L ‘ ouverture et la clôture d ‘ une réunion Lorsque l ‘ on démarre une réunion dans une architecture d ‘ Intelligence Collective, on se met en cercle. L ‘ architecture visible a un impact sur la communication, sur la communauté. Pour ouvrir la ronde, qui « ressemble aux quelques minutes que les musiciens d ‘ un orchestre prennent pour accorder leurs instruments juste avant le concert22 ». Chacun révèle s ‘ il y a quelque chose qui l ‘ empêche d ‘ être complètement présent dans l ‘ espace. Supposons qu ‘ une personne ait un problème. S ‘ il n ‘ en parle pas, les autres qui le connaissent ne vont pas comprendre ce qu ‘ il lui arrive, et vont consacrer une grande partie de leur énergie à se poser la question, à interpréter ce qui a pu se passer. 22 Buck John A. et Endenburg Gerard, op.cit, p.7
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Dès lors, tout le monde ne sera pas complètement présent à la réunion. Le but du jeu est d ‘ être présent. Le fait que la personne annonce son problème permettra de la détendre et de prendre de la distance par rapport à cet événement. Lors d ‘ un tour de clôture, il s ‘ agit simplement de dire pourquoi on a apprécié ou non la réunion. Ce tour est important pour se donner une chance d ‘ avoir une évaluation. Il n ‘ y a pas de réunion parfaite, on peut toujours saisir des points négatifs et les améliorer pour la prochaine réunion. C ‘ est donc à la fois un temps d ‘ évaluation de ce qui vient de se passer, et un temps symbolique qui ferme l ‘ espace afin que tout le monde puisse s ‘ ouvrir à ses occupations sur d ‘ autres espaces. // Le cadre de sécurité Pour qu ‘ un cercle fonctionne, il est fondamental que chacun des membres se sente en confiance, et pour qu ‘ il se sente en confiance, en amont des processus sociocratiques, on a besoin de poser un cadre. Un cadre dans lequel chacun se sentira suffisamment en sécurité pour pouvoir « poser les choses » dans une étape. La difficulté majeure que l ‘ on rencontre dans tout type d ‘ organisation, que ce soit la famille, une association ou une entreprise, est de faire en sorte pour que chacun des membres qui constituent ce cercle puisse être à l ‘ aise pour « poser les choses ». La co-création d ‘ un cadre de sécurité est donc indispensable. Une règle consiste à ce que chacun ait son tour de parole, afin de garantir que les personnes introverties puissent aussi s ‘ exprimer. Cela permet d ‘ avoir le point de vue de tout le monde, sans que les extravertis parlent au détriment des introvertis. Souvent les introvertis ont souvent beaucoup de choses à dire mais dans les formats habituels de réunion et de façon de fonctionner elles n ‘ ont pas l ‘ espace pour le dire, ce qui est dommage car on perd 80% de la matière de l ‘ IC. L ‘ équipe doit se positionner physiquement en cercle, de préférence sans table au milieu pour que la communication soit fluide. Un animateur est présent. // Le processus de décision Lors d’une réunion, une personne vient dans le processus de décision avec une proposition concrète, qui est écrite. L ‘ animateur lui demande de lire la proposition, dans un premier temps. Une fois la proposition lue, on s ‘ assure que tous les membres du cercle, ont bien compris la proposition, qu ‘ il n ‘ y a pas de zone d ‘ ombre. Le sens de la première étape est donc de clarifier. Quand la proposition a été énoncée, quand elle est écrite, quand les gens ont pu la lire avant, une fois qu ‘ elle est claire pour tout le
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monde, on passe à une deuxième étape. La sociocratie parle de « réaction », mais on peut aussi parler de « tour d ‘ expression » où chacun prend successivement la parole. L ‘ animateur fait circuler la parole. Un premier individu prend la parole et s ‘ exprime. Il dit en quoi cette proposition répond à ses besoins et en quoi cette proposition est incomplète par rapport à ses besoins, il commence à faire des suggestions. Les autres individus prennent ainsi la parole successivement. Au fur et à mesure, des éléments de suggestion par rapport à des manques sont mis en avant. Le « proposeur » les notes soigneusement, ou se fait aider pour les inscrire sur un tableau. Puis on rentre dans un processus de coopération, on va additionner tous les points de vue pour bonifier, pour améliorer la proposition de départ. Ainsi la proposition de départ se voit enrichie par la proposition des uns et des autres. Chacun apporte son talent, sa couleur, sa richesse et son point de vue. La grande différence avec les anciens systèmes, réside dans le fait que l ‘ on n ‘ est plus dans le débat argumentaire, où quelqu ‘ un a tord, l ‘ autre raison et veut absolument défendre son point de vue. Dans le processus sociocratique, on sait que la proposition est complexe, alors on va écouter chacun pour bonifier la proposition, en intégrant les éléments de réponse de chacun et construire une proposition qui soit la plus complète possible. Quand on a terminé le tour de « réaction » de tout ce qui a été dit, le « proposeur » représente sa proposition, la bonifie avec tout ce qui aura été dit. On prend ainsi la décision. On ne demande pas aux personnes si elles sont d ‘ accord, car le fait qu ‘ elles disent « non » provoque un blocage. On leur demande plutôt si elles ont une objection, ou plutôt si elles consentent à la proposition telle qu ‘ elle est en état. L ‘ animateur fait ainsi le tour des personnes en demandant aux participants un par un, si ils ont une objection. Une objection n ‘ est pas une obstruction : si quelqu ‘ un n ‘ est pas d ‘ accord, il se justifie. Dans ce cas, on en profite pour modifier la proposition en intégrant la suggestion de cette personne. La deuxième nature d ‘ objection est certainement la plus profonde et la plus importante dans le processus sociocratique. Une personne peut vouloir objecter quelqu ‘ un, non pas parce que la proposition est incomplète, mais parce que dans l ‘ exécution de la décision, elle aura des difficultés à la mettre
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en oeuvre, et elle dépasse ses limites. L ‘ idée sous-jacente, est liée à l ‘ organisation systémique. Un système ne peut fonctionner que si tous les éléments de ce système peuvent tolérer la décision qui sera prise et vivre avec. Si un des éléments du système ne peut pas vivre avec la décision qui sera prise, le système ne fonctionnera pas. Il est donc préférable de le savoir sur-le-champ. Et si jamais un individu s ‘ objecte parce qu ‘ il a une limite, le groupe trouve une autre proposition pour son cas de figure. On voit bien que ce processus permet de poser ses limites dans l ‘ authenticité, et cela permet de traiter des sujets qui n ‘ auraient pas été traités par ailleurs. L ‘ enjeu derrière ce processus sociocratique est la coopération et l ‘ IC. En mettant en place une structure qui permette à toutes les personnes de se sentir suffisamment en sécurité pour prendre leur place pour faire émerger leur couleur.
2c. Les bases d ‘ un atelier de créativité collective Lorsque l ‘ on parle de processus d ‘ innovation, la créativité est essentielle, un élément que l ‘ on retrouve à différentes étapes du processus d ‘ innovation. L ‘ objectif pour le moment, est de présenter les concepts de base de la créativité que l ‘ on retrouve chez divers auteurs experts sur le sujet, tels qu ‘ Isabelle Jacob23, G. Amado et A. Guittet24. Il ressort de ces ouvrages certains éléments essentiels pour réussir une séance de créativité. Nous allons les évoquer un à un. Le premier pré-requis est d ‘ avoir une cible bien définie qui montre l ‘ objectif que l ‘ on veut atteindre d ‘ une façon réaliste. Si la cible est mal cernée, trop vaste, très vague, les participants auront des difficultés à pouvoir générer des idées vraiment pertinentes. On essaie d ‘ être le plus clair et le plus précis possible. Pour vérifier, on présente la cible à différentes personnes, et si celles-ci l ‘ interprètent d ‘ une façon différente, cela signifie qu ‘ il faut la retravailler. Deuxième pré-requis, choisir des participants divers, même des personnes totalement étrangères au domaine de la problématique. Comme dans une équipe de football, où on a plusieurs types de joueurs, on a plusieurs rôles, plusieurs spécialistes, dans une séance de créativité, on évite de choisir des participants qui se ressemblent, qui ont 23 Jacob Isabelle, 2011, Lumières sur la créativité 24 Amado Gilles et Guittet André, 2009, Dynamique des communications dans les groupes, p.190-197
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la même fonction. On a besoin d ‘ une équipe pluridisciplinaire ou multi-fonctionnelle, des gens complémentaires dans leurs connaissances et dans leur façon de penser. Il est important d ‘ avoir des spécialistes mais aussi des « monsieur tout le monde » qui sont là en tant qu ‘ usager. Intégrer une diversité de personnes dans le groupe est parfois difficile à accepter pour les personnes habituées à innover entre eux. Mais si tout le monde pense de la même façon, le groupe converge trop rapidement vers les solutions. Plus l ‘ équipe est variée plus la qualité des idées est élevée. L ‘ idéal serait donc de prendre des personnes qui vont se défier, et produire des collisions entre les différentes idées. Comme au football, on ne peut pas être trop nombreux, le nombre de participants que l ‘ on devrait viser serait entre six et douze personnes, idéalement huit. Au dessus de douze, le groupe devient de plus en plus difficile à gérer, on risque que certaines personnes participent moins. Si on a besoin d ‘ impliquer plus de personnes, on forme plusieurs groupes d ‘ activité, pour être sur d ‘ avoir un nombre optimal de personnes qui participeront. Le troisième pré-requis est d ‘ organiser sa séance au préalable, à savoir : - Choisir un animateur qui connaît son rôle. Tout le monde ne peut pas animer une séance de créativité. On peut choisir un animateur externe, qui a des compétences, ou on développe en interne les compétences de certaines personnes intéressées, qui démontrent une certaine habilité à animer des groupes. - Une salle appropriée. Cela semble trivial mais cette condition est pourtant très importante. Parfois la salle est trop petite pour la quantité de personnes présentes. La salle doit être d ‘ une grandeur raisonnable pour pouvoir utiliser la surface des murs et pour que chacun puisse se déplacer. En effet, on demande souvent au participants de se mettre en scène ou de se lever pour écrire leur idées, etc. - Un agenda préparé. On doit savoir quelle activité pratiquer pendant combien de temps et à quel moment. « Il est évident que plus le problème est complexe, [...] plus le temps sera une garantie de pouvoir traiter le problème dans sa globalité25 ». - Si l ‘ agenda est préparé raisonnablement, on doit être en mesure de savoir quel type de matériel on doit avoir sur les lieux. Il peut s ‘ agir de post-it, des marqueurs des autocollants si l ‘ on prévoit des multi-votes par exemples. Toutes sortes de matériels pour toutes sortes d ‘ activités. 25 Jacob Isabelle, op. cit. p.106
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Le quatrième pré-requis est l ‘ utilisation d ‘ outils variés. Le brainstorming est le plus populaire. En revanche il y a une panoplie d ‘ autres outils ludiques, Guy Aznar26 en propose une centaine. Si on organise des séances de créativités régulières, il est important de varier ces outils là, pour ne pas que les participants s ‘ ennuient à toujours faire les mêmes activités. Lorsque l ‘ on planifie une journée ou une demi-journée de séance de créativité, il est encore plus important de varier les outils pour pouvoir entretenir l ‘ intérêt des participants et pouvoir optimiser les résultats. Dans les outils que l ‘ on utilise on parle souvent de « mapage de problème », de déclencheur aléatoire, de pavé dans la mare, pour déstabiliser les participants, etc. Dernier pré-requis, respecter les règles de la créativité. Pour avoir des résultats, il faut suivre un certain modus operandi : -Viser la quantité. Des études du scientifique Roger Gaudreault le démontrent : « Un bassin de soixante bonnes idées donne lieu à sept projets, qui ne produiront qu ‘ un seul succès commercial27 ». Penser le processus d ‘ innovation comme un entonnoir. Il faut parfois organiser plusieurs séances pour atteindre des chiffres de soixante idées. - Prévoir plusieurs cycles : lorsque l ‘ on parle de pensée divergente, on génère les idées à foison, en remue méninge de façon à obtenir un maximum d ‘ idées. Pour réussir cet exercice, chacun doit différer son jugement, ne pas juger au fur et à mesure des idées et butiner positivement sur les idées des autres. Chacun doit s ‘ efforcer d ‘ écouter attentivement les autres. En effet, la créativité opère lorsque le cerveau enregistre toutes les idées écoutées et inconsciemment, il peut générer des combinaisons d ‘ idées. 26 lire : Aznar Guy, 2005, Idées : 100 techniques de créativité pour les produire et les gérer 27 Gaudreault Roger évoqué par Tison Marc dans l ‘ article « Comment mettre sur pied une usine à idées » URL : http:// lapresseaffaires.cyberpresse.ca/portfolio/pme/201110/11/01-4456072-comment-mettre-sur-pied-une-usine-aidees.php. Consulté le 11 octobre 2011
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On doit être positif, attentif, ouvert pour pouvoir rebondir sur les idées des autres. L ‘ animateur doit veiller à ce que l ‘ on évite de dire tout haut ses pensées sceptiques. Lors de la pensée divergente, il peut multiplier les activités pour approfondir la recherche comme travailler les analogies, l ‘ imagination de clients fictifs, le rêve éveillé. Quand on a un panel d ‘ idées assez large, on ferme l ‘ entonnoir en utilisant la pensée convergente, on sélectionne les idées. Les participants doivent être plus pragmatiques, dans le jugement. Notons qu ‘ à cette étape, un designer peut commencer à dessiner pour donner une vision de l ‘ idée, pour pouvoir juger de sa pertinence et l ‘ enrichir. L ‘ animateur décide du moment de transition. « Il doit toujours être en mesure d ‘ identifier s ‘ il est dans le phase d ‘ ouverture, de divergence ou de fermeture, de convergence28 » Il est estimé nécessaire d ‘ organiser plusieurs cycles de pensées divergentes et convergente, pour pouvoir atteindre un nombre d ‘ idées suffisamment intéressantes. - Prévoir un processus complet : prendre le temps de cerner l ‘ objectif pour pouvoir identifier les bonnes solutions. Pour I.Jacob, cette étape nécessite un « retour au problème » ainsi qu ‘ une « reformulation du problème29 ». Une fois que la solution est trouvée, elle nécessite d’être bonifiée et retravaillée, en pensant à tous les facteurs et les conséquences inhérentes à cette solution. Nous avons fini de survoler les grands concepts des séances de créativité. Il importe toutefois de ne pas perdre de vue que l ‘ efficacité de la séance dépend des relations et de la communication entre les personnes. Pour reprendre les mots d ‘ Amado et Guittet, « Si les participants travaillent en synergie, leur forces vont s ‘ ajouter, s ‘ accumuler. Dans le cas contraire, les idées sont détruites dans une argumentation défensive 30 ». Il peut certes y avoir des blocages d ‘ ordre émotionnel, socioculturel et méthodologiques mais l ‘ animateur doit être en mesure d ‘ y échapper.
28 Jacob Isabelle, op.cit, p.97 29 ibid, p.97 30 Amado Gilles et Guittet André, op.cit. p.191
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J-F Noubel distingue deux limites dans l ‘ IC de proximité31 par rapport à l ‘ IC en réseau : la première est d ‘ ordre numérique ; plus le problème est complexe, plus l ‘ on a besoin de participants ; la deuxième est d ‘ ordre spatiale, les participants sont obligés de se retrouver dans un endroit unique.
3. Pratiques ouvertes et collaboration en réseau Les sociétés les plus innovantes de la planète ont adopté une logique d ‘ innovation ouverte qui leur permet d ‘ affronter la complexité du monde d ‘ aujourd ‘ hui et leur procure une puissance d ‘ innovation que d ‘ autres n ‘ ont pas. Qu ‘ est-ce que l ‘ innovation ouverte ? En quoi fait-elle appelle à l’IC ? La collaboration devient aujourd ‘ hui fondamentale pour l ‘ entreprise et apparaît comme passerelle pour l ‘ innovation. En l ‘ espace de quelques années, internet a vécu une véritable mutation avec l ‘ avènement du Web 2.0 et les réseaux sociaux : blogs, tags, wikis, services Webs, comment peut-elle exploiter les plateformes participatives pour étendre son capital innovation ? Comment s ‘ enrichir de la collaboration interne ? Au delà du monde de l ‘ entreprise, internet foisonne d’espaces de création collective au service l’intérêt général, comme Wikipedia.
3a. L ‘ innovation ouverte : partagée et collaborative L ‘ innovation ouverte est un phénomène de fond. Les enjeux que nous avons identifiés dans le premier chapitre, démontrent que l ‘ innovation est aujourd ‘ hui le levier de croissance probablement le plus important pour les entreprises. Le mode d ‘ innovation des entreprises est en train de changer parce que le monde est complexe, et les moyens de plus en plus limités. Les entreprises ont en effet d ‘ une part, des contraintes budgétaires sur leur propre capacité de recherche et développement, et d ‘ autre part, à l ‘ extérieur, les challenges sont de plus en plus complexes avec la globalisation, les contraintes liées au développement durable, les nouvelles technologies de plus en plus compliquées à intégrer. Emilie Labidoire32, consultante chez Bluenove, société de conseils et de services en innovation ouverte et collaborative, constate qu ‘aujourd ‘ hui l ‘ entreprise n ‘ a plus d ‘ autre choix que 31 Noubel Jean-Francois, 2007, L ‘ intelligence collective, la révolution invisible, p.9 32 Labidoire Emilie, Bluenove, interviewée le 29 septembre 2011 par Noémie Prin
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e n t r e p r i s e
innovation ouverte
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d ‘ apprendre à innover de manière plus ouverte. L ‘ innovation ouverte est un concept qui a été introduit et popularisé par un professeur américain de Berkeley, Chesbrow. Il s ‘ agit d ‘ impliquer dans son processus d ‘ innovation, son écosystème de partenaires extérieurs, constitué de PME innovantes dans le domaines des TIC, des laboratoires de recherche, des universités mais aussi impliquer ses clients et ses fournisseurs. Grâce aux outils collaboratifs du Web 2.0, elle peut désormais s ‘ ouvrir en interne, en impliquant dans le processus d ‘ innovation, l ‘ ensemble de ses collaborateurs au delà du périmètre du département de la recherche et du développement. Les outils de l ‘ innovation ouverte existent depuis trente ans, mais la nouveauté aujourd ‘ hui sont les entreprises qui font appel au grand public, pour recueillir des idées d ‘ innovation. Pour innover et trouver des idées, les designer ont le réflexe d ‘ aller observer le consommateur dans sa vie quotidienne. Pour transformer les idées en projet innovant, ils les confrontent à un groupe de consommateurs afin d ‘ en optimiser leur « utilisabilité ». Les meilleurs exemples, ce sont les designers de laboratoires qui travaillent avec des usagers extrêmes, des handicapés. Ces situations font que la personne handicapée crée une logique d ‘ innovation à laquelle ils n ‘ avaient pas forcément pensé. La participation de la personne crée une nouvelle manière de voir le problème. Il suffit qu ‘ il parle de son quotidien, et cela crée quelque chose en matière de conception de l ‘ objet qui produit un déclic. En effet l ‘ essentiel de la motivation pour une innovation se situe aujourd ‘ hui non seulement dans la relation au client ou au consommateur, mais aussi dans son intégration au processus d ‘ innovation. On puise ensuite dans les ressources de la technologie pour innover mais la technologie n ‘ est pas le moteur principal de l ‘ innovation. Les organisations ne sont plus toujours dans une logique descendante ; le marché peut être à l ‘ origine de l ‘ innovation, apporter des idées que l ‘ entreprise ensuite peut développer. Bluenove est une société qui aide les entreprises à se transformer, à changer et à mettre en œuvre le processus d ‘ innovation ouverte. Il s ‘ agit, de trouver les acteurs innovants dans le domaine de l ‘ entreprise ou dans un domaine connexe, de type laboratoire de recherche, start-up ou autre grand groupe avec qui envisager des partenariats. Leur étude menée en mai 201133 révèle que beaucoup d ‘ entreprises ont compris l ‘ enjeu de l ‘ innovation ouverte, « 90% sont même d ‘ accord pour déclarer qu ‘ aujourd ‘ hui l ‘ intelligence est avant tout collective34 », en étant toutefois 33 Bluenove, « Les grandes entreprises françaises et l ‘ Open Innovation », Mai 2011 34 ibid
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conscientes de la complexité à gérer la propriété intellectuelle. En effet, elles estiment que la propriété intellectuelle ne doit plus être considérée comme un frein à l ‘ innovation, car elles ont les moyens de la prendre en charge. Les entreprises qui ont adopté l ‘ innovation ouverte proviennent de secteurs aussi variés que les TIC, la cosmétique, la pharmacie, les médias, l ‘ énergie, etc. Pour donner un exemple Bluenove a animé un concours d ‘ étudiants pour Suez environnement pour inventer de nouveaux concepts dans la ville sur des enjeux dédiés à l ‘ énergie. Les étudiants se sont mélangés aux collaborateurs de Suez afin de travailler ensemble . Concrètement, Bluenove recrute les personnes et les implique dans des ateliers créatifs qui suivent une démarche telle que celle décrite dans la partie précédente. En réseau, elles utilisent des plateformes comme Bluekiwi, Sharepoint, ou des plateformes comme Innov ‘ art qui sont dédiées à la gestion des idées.
3b. Les pôles de compétitivité, un exemple d ‘ innovation ouverte Un pôle de compétitivité réunit des PME, des grandes entreprises, des universités et des centres de recherche, dans un but de réunir les efforts, afin de développer des technologies de pointe dans des domaines choisis. Dans un pôle de compétitivité, les entreprises intègrent de la « porosité » en amont de leur processus d ‘ innovation. Le pôle Mecatech35, par exemple entre aujourd ‘ hui dans le modèle de l ‘ hybridation technologique. Une entreprise ne réalise plus toute seule dans son coin de la mécanique et une autre de son côté de la physique. Dans ce pôle, toutes les disciplines se croisent, pour notamment mettre en oeuvre du biomimétisme, c ‘ està-dire de reproduire et adopter des propriétés de la nature parfois singulières et exceptionnelles comme la résistance des toiles d ‘ araignées. Pour reproduire ou appliquer cette propriété sur une hybridation technologique, les entreprises ont besoin de regrouper leurs compétences, plutôt que d ‘ avoir à traiter avec chacun des partenaires individuellement. Le fait d ‘ avoir regroupé tous ces partenaires potentiels sous un même pôle leur facilite la communication, ils ont un interlocuteur global : le pôle, qui va automatiquement les mettre en relation et coordonner les projets. Aujourd ‘ hui des centaines d ‘ entreprises, plus de cinquante laboratoires universitaires, une quinzaine de centres de recherche participent à des pôles tels que celui-ci. Le 35 « Présentation - Pôle MecaTech, pôle de compétitivité wallon en génie mécanique », . URL : http://www.polemecatech. be/fr/presentation/index.php. Consulté le 6 octobre 2011.
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nombre de pôles augmente ainsi que le nombre de partenaires dans ces pôles, ce qui prouve l ‘ efficacité de tels regroupements et la nécessité des entreprises surtout pour les PME, d ‘ adopter cette démarche afin de développer leur capital d ‘ innovation. Néanmoins il y a encore des entreprises qui sont dans des positions de soustraitance classiques, qui ne sont pas nécessairement dans des technologies de pointe et qui se positionnent dans le secteur du service. Mais il est évident que si on veut saisir les ruptures que l ‘ on voit aujourd ‘ hui notamment liées aux hybridations des technologies, on doit entrer dans une structure qui implique nécessairement la notion de réseau. En conclusion, nous pouvons affirmer qu ‘ au niveau du management de l ‘ innovation, l ‘ entreprise en interne s ‘ est ouverte en évoluant vers des équipes pluridisciplinaires. Auparavant, elle était dans des logiques de relais, le projet passait des ingénieurs, aux marketeurs, puis aux communicateurs. On peut également ajouter que l ‘ intégration d ‘ un designer dans une équipe de R&D entre dans cette logique d ‘ innovation ouverte. Innover dans certains cas de figure, peut-être synonyme de « simplexifier » un produit, un service. La collaboration du designer est donc indispensable.
3c. Le crowdsourcing : faire appel à l ‘ intelligence de la foule Le crowdsourcing est un cas particulier de l ‘ innovation ouverte pour l ‘ entreprise mais on trouve notamment du crowdsourcing au bénéfice de la communauté. Alors que certaines entreprises délocalisent à l ‘ étranger pour produire moins cher, d ‘ autres font également appel à la plus grande population active au monde, les internautes. Ce phénomène qui consiste à utiliser les ressources et les utilisateurs d ‘ internet, est baptisé « crowdsourcing », littéralement : « approvisionnement par la foule ». Il s ‘ agit de la mise en commun de compétences pour atteindre un but précis et tout cela de façon gratuite ou presque. On peut qualifier le « crowdsourcing » d ‘ IC en réseau. Le plus ancien exemple de crowdsourcing est Windows qui, dans ses premières versions, recevait une quantité de retours importants de la part de toutes les personnes qui installaient Windows, comme les responsables informatiques les ingénieurs, les développeurs. Et qui, à chaque fois qu ‘ il y avait un problème, remontaient l ‘ information vers Microsoft, trouvaient parfois même des solutions au problème. Le « crowdsourcing » généralise ce modèle à tous les champs d ‘ activité où
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l ‘ externalisation à grande échelle peut représenter des économies. Qu ‘ il s ‘ agisse aujourd ‘ hui de chercheurs indépendants qui mettent leur neurones au service d ‘ entreprises pharmaceutiques, de photographes professionnels qui complètent leur revenus en vendant des clichés sur des plateformes collaboratives, ou tout simplement de n ‘ importe quel internaute qui met sa créativité à la disposition de la communauté, le crowdsourcing représente une aubaine pour tous, et un débouché pour de nombreux talents. Cela permet de faire travailler des personnes à faible coût pour l ‘ entreprise, voire gratuitement, mais ces personnes sont motivées par ce qu ‘ elles font. On peut diviser n ‘ importe quelle tâche en de toutes petites tâches que les internautes vont pouvoir réaliser. On peut prendre comme exemple : Mechanical Turck d ‘ Amazon36 : Les internautes ont une tâche répétitive à faire que les machines ne peuvent pas faire, comme « taguer » des photos. Chaque photo peut être « taguée » par différentes personnes pour un centime.
L ‘ équipe de Bluenove travaille également sur une approche de « crowdsourcing ». Elle gère des communautés innovantes sur des plateformes collaboratives pour un concours d ‘ idées ou pour mobiliser les internautes sur des thématiques innovantes. Par exemple, ils ont mis en place un concours pour Microsoft où il a fallu mobiliser l ‘ écosystème des développeurs en France pour qu ‘ il créent des applications innovantes pour « Windows phone ». Aujourd ‘ hui des sociétés proposent des plateformes collaboratives dans les communautés innovantes comme Innocentive37, Hypios38. Il s ‘ agit de plateformes où sont référencés des experts dans plusieurs domaines qui sont mis à disposition lors d ‘ un appel à idées. Lorsqu ‘ une entreprise est en butée 36 https://www.mturk.com/mturk/welcome 37 www.innocentive.com 38 www.hypios.com
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technique ou logique sur une problématique précise, elle peut ainsi contacter un expert pour résoudre son problème. Dans ces cas de figure du crowdsourcing, l ‘ entreprise bénéficie de l ‘ intelligence de la foule mais dans pléthore d ‘ autres cas, c’est la communauté qui est bénéficiaire. La traduction est un exemple phénoménal de crowdsourcing à l ‘ initiative de la communauté et au bénéfice de celle-ci. Actuellement, toute une série d ‘ ouvrages sont traduits par des utilisateurs de façon très rapide. Le plus récent et le plus populaire est la traduction en chinois de la dernière version d ‘ Harry Potter. Elle était arrivée en anglais, et dans la semaine qui a suivit, des centaines de fans chinois sont parvenus à traduire le livre en chinois, tout à fait gratuitement et bénévolement. Facebook a été traduit dans soixante-dix langues gratuitement par les internautes qui traduisaient à chaque fois une phrase. On trouve également le crowdsourcing dans le domaine du journalisme. OWNI39 est un site de journalisme qui met à contribution des amateurs pour produire du contenu informationnel. On sort du cadre unique de la conversation que l ‘ on pouvait trouver dans le journalisme citoyen. Sur ce site on produit une enquête ou on traite des données pour arriver à un résultat. L ‘ intérêt pour les journalistes de se pencher sur le crowdsourcing est de faire appel à l ‘ audience pour récupérer des compétences qu ‘ eux mêmes n ‘ ont pas, comme par exemple, traduire rapidement des documents étrangers. L ‘ autre intérêt est de renforcer les liens avec l ‘ audience. Avec un effort collectif autour d ‘ une tâche précise, on arrive à créer un sentiment d ‘ appartenance. Pour organiser le crowdsourcing, on ne demande pas simplement aux utilisateurs de venir raconter leur histoire. • La première clé est de mettre en place des interfaces spécifiques qui vont permettre aux utilisateurs de faire la tâche efficacement et de penser l ‘ interface comme une expérience qui apporte de la valeur à l ‘ internaute. Pour cela, les interfaces se doivent d ‘ être ludiques : on établit un système de points, on met les internautes en compétition entre eux et on crée un peu d ‘ amusement. Selon Jane Mc Gonigal, le jeu améliore notre PERMA : « Positive, Emotion, Relationship, Meaning, Accomplishment40 » le concept de « gamification » stimule une motivation et un engagement pour l ‘ internaute. À cet 39 www.owni.fr 40 Conférence de Jane Mc Gonigal, RSLN Microsoft, le 16 septembre 2011
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égard, des chercheurs de l ‘ université de Washington, ont développé le jeu en ligne nommé Foldit41 pour contribuer au traitement de maladies comme le VIH, le cancer ou Alzheimer. Il s ‘ agit d ‘ un jeu de type puzzle dans lequel les combinaisons des joueurs peuvent apporter Foldit, un jeu basé sur le crowdsourcing de réelles solutions pour la manière dont les protéines pourraient être pliées. En trois semaines seulement, les internautes sont parvenus à déterminer une structure d ‘ enzyme applicable. Cet exemple montre que par la « gamification », le crowdsourcing pour pourrait être une manière de résoudre des problèmes complexes que l ‘ on trouve dans les sciences et l ‘ ingénierie. • L ‘ autre clé fondamentale est d ‘ avoir des tâches qui soient les plus simples possible pour que n ‘ importe qui, n ‘ importe quand avec très peu de prise en main puisse y participer. Pour terminer, sans doute faut-il tenir compte des limites du crowdsourcing, telles que la validité des informations, reproche que l ‘ on entend souvent concernant le crowdsourcing du journalisme. En effet certaines critiques disent que les journalistes sont les seuls habilités à pouvoir dire ce qui est vrai et à valider les informations. Cela reviendrait à penser que les interfaces de crowdsourcing ne sont pas au point, tandis que certaines initiatives de crowdsourcing fonctionnent très bien. La meilleure d ‘ entres elle est Wikipedia. Le but à atteindre lorsque l ‘ on veut faire une interface de crowdsourcing est d ‘ arriver à avoir un système aussi complexe que Wikipedia, qui a été le seul système juridique, créé ex nihilo en moins de cinq ans. Des experts permettent de faire en sorte que l ‘ information de Wikipedia soit, au moins aussi juste que dans les encyclopédies classiques. Il suffit de mettre en place des interfaces, comme Wikipédia qui permettent de valider les informations. 41 www.fold.it
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3d. L ‘ usage du wiki pour collaborer en réseau On suppose que la mise en relation d ‘ un nombre important de personnes, avec justement des dispositifs adaptés, permet de générer une connaissance et une forme d ‘ intelligence qui n ‘ existait pas au préalable. En effet, le développement des TIC, avec tous les phénomènes sociaux qui les entourent a tendance aussi à mettre en avant cette dimension. On rentre donc sur le terrain du Web 2.0, qui a permis l ‘ interaction simultanée d ‘ énormément de personnes. Wikipedia est une encyclopédie en ligne qui est alimentée et lue par des millions de personnes. Elle constitue désormais la référence principale parmi les encyclopédies. Mais il y a également bien d ‘ autres phénomènes : • D ‘ abord les wikis, ces petits logiciels qui permettent à tous le monde de lire, d ‘ écrire, et qui garde les anciennes versions de ce qu ‘ on a transformé, originellement conçus pour Wikipédia, ils sont utilisés pour d’autres applications. • Les modes de communication qu ‘ on qualifie de « pair à pair », qui permettent de partager une mémoire sans serveur central, chacun partageant avec d ‘ autres du même réseau ce qu ‘ il a dans le disque dur de son ordinateur. Cela sert pour la musique mais aussi pour les textes et d ‘ autres domaines également. • Les processus dans lesquels les gens se permettent d ‘ indexer ou de « taguer », c ‘ està-dire de désigner par des étiquettes des ressources qu ‘ ils trouvent intéressantes sur le Web : ils permettent ainsi, non seulement de les retrouver facilement euxmême, mais également aux autres de les retrouver facilement. C ‘ est une prise en charge collective, un moteur de recherche collectif. • Les jeux en ligne multi-participants, dans lesquels la collaboration fait la différence, entre les joueurs qui gagnent et les joueurs qui perdent. Ces jeux d ‘ IC en réseau sont en train de se développer aujourd ‘ hui. Grâce au Web 2.0, le monde possède un outil d ‘ échange, de partage du savoir, ou d ‘ accumulation de mémoire commune, dans lequel chacun peut aller puiser. Le Web 2.0 est en train de pénétrer tous les milieux : l ‘ entreprise, l ‘ éducation, la culture, etc. Ivan Maltcheff décèle également une vertu de reliance : « La toile rend visible une
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partie de ce qui auparavant était invisible. L ‘ interconnexion des pensées, des idées des réactions instantanées d ‘ une partie de l ‘ humanité 42 ». En entreprise, on utilise les outils du Web 2.0 en interne pour animer des dynamiques collaboratives notamment pour en tirer des bonnes idées en interne avec ses propres collaborateurs. La création et la modification de contenu collaboratif devient une tâche essentielle dans l ‘ entreprise à la fois pour documenter et archiver de l ‘ information tacite, mais aussi pour mieux partager cette information. Des outils permettent d ‘ avoir une transparence sur un projet et une même vision à l ‘ instant « t » de ce qui se passe, comme les plateformes Bluekiwi, Sharepoint, etc. Jérôme Delacroix43 a identifié en 2005 la manifestation d ‘ une IC en réseau dans l ‘ entreprise, à travers le wiki, dont nous allons à présent expliciter le mode de fonctionnement. Voici d ‘ abord quatre exemples réels de cas d ‘ utilisation de contenus collaboratifs. • La rédaction et le partage de documentation dans le cadre de veille technologique et de veille concurrentielle : l ‘ important est de pouvoir centraliser l ‘ information très simplement et surtout très rapidement. • La rédaction de procédure technique : elle n ‘ a de sens que si elle est partagée par tous et qu ‘ elle évolue constamment à chaque modification. Dans ce cas ce sont les utilisateurs, eux même qui maintiennent à jour la documentation. • La création du glossaire d ‘ un vocabulaire métier : il n ‘ est vraiment pertinent que s ‘ il est partagé, ajusté et complété par tous les collaborateurs. • Dernier exemple : la rédaction collective de compte-rendus de rencontre, de groupe de travail ou de séminaire. Celle-ci nécessite de garder des traces écrites archivées et partagées. Dans ce cas il faut bien noter que ces informations sont bien intrinsèquement partagées, et non plus stockées dans chacune des boites mails des collaborateurs présents ou réunis. L’outil idéal est le wiki : un outil simple et rapide de création collaborative de contenu. Son nom provient d ‘ ailleurs du terme wiki wiki signifiant « rapide » en hawaiien.
42 Maltcheff Ivan, op. cit, p.109 43 Delacroix Jérôme, 2005, Les wikis: espaces de l ‘ intelligence collective p.51-64
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Expliquons maintenant son fonctionnement : tout se passe dans un navigateur Web. On consulte les pages du wiki comme n ‘ importe quelle page internet. Aucun outil n ‘ est à installer, ni à connaître. Dans l ‘ entreprise, les collaborateurs doivent s ‘ authentifier, à la fois pour identifier les personnes acteur dans le domaine abordé, mais aussi pour les responsabiliser et contrôler un minimum l ‘ activité sur le wiki. Le principe essentiel est d ‘ avoir la consultation et l ‘ édition qui se passent quasiment sur la même interface. En effet, lors de la consultation des pages, un simple clic sur le bouton « edit » permet de modifier, compléter, ou créer de nouveaux contenus. Enfin, un clic sur le bouton « save » permet de sauvegarder la page, de la mettre en ligne, de l ‘ archiver et de créer l ‘ historique des modifications apportées. En résumé, cela se passe en trois phases : consulter, éditer et sauvegarder. Il n ‘ y a aucune connaissance préalable à avoir de la part du collaborateur et tout est complètement transparent. Ce sont cette simplicité et cette rapidité qui font du wiki un outil extrêmement efficace et propice à l ‘ IC. Pour compléter cette efficacité dans l ‘ usage, chaque modification peut être automatiquement incluse dans un flux RSS, afin d ‘ alerter d ‘ autres collaborateurs. Il est bien possible que le succès que Jérôme Delacroix connaît dans l ‘ entreprise vient du fait que quasiment toutes ces initiatives viennent des collaborateurs euxmêmes. Peut-être que le facteur clé de cette réussite est avant tout l ‘ autonomie des choix et l ‘ évolution, couplé au fait que ces outils du Web 2.0 soient accessibles techniquement. La création collaborative à l ‘ aide de wiki semble être l ‘ un des premier usages de Web 2.0 qui s ‘ est implanté dans l ‘ entreprise.
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Aujourd ‘ hui, l ‘ entreprise a la capacité par l ‘ innovation ouverte d ‘ innover plus intelligemment et plus rapidement en sachant mobiliser son propre écosystème. L ‘ innovation ouverte constitue un enjeu stratégique dans la mesure où le succès d ‘ une entreprise réside dans sa capacité à innover. Si elle sait mettre en oeuvre l ‘ IC en conjuguant des chercheurs, des consommateurs, des étudiants, des intermédiaires, des partenaires, et des designers, elle obtient une capacité de proposition qui sera sans précédent par rapports à ses concurrents. L ‘ IC en réseau est essentielle aujourd ‘ hui pour amplifier cette logique d ‘ innovation, ainsi que pour nourrir les contributions des individus autour d ‘ un projet. Néanmoins elle connaît certaines limites : un défaut d ‘ holoptisme, d ‘ osmose et d ‘ état d ‘ esprit d ‘ équipe, un renforcement de l ‘ isolement des collaborateurs, ainsi que l ‘ exploitation abusive du télétravail. Wikipédia nous prouve à quel point les internautes ont envie de partager, et besoin de s’entraider. A l ‘opposé, les écrans de télévision et d’ordinateur ont souvent tendance à anonymiser les gens, à rompre les mécanismes d’entraide et d’échanges d’autrefois (on passe plus de temps chez soi). Internet est un formidable outil de socialisation, mais contribue aussi à l ‘isolement physique. De nouveaux formats d’entraide mutuelle sont donc nécessaires.
De tous les constats de ce chapitre, il ressort que l ‘ IC est exploitée de diverses manières ; elle est nécessaire à tout point de vue dans des environnements complexes où toutes les disciplines sont liées. Qu ‘ il s ‘ agisse de politique, de développement durable, d ‘ une entreprise, de la science, du journalisme, de la culture, les prouesses de l ‘ IC laissent présager un nouveau paradigme de partage, de métissage culturel. Nous insistons bien sur le fait qu ‘ il est essentiel de croiser les disciplines et de créer des espaces holoptiques.
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conclusion
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raiter les problèmes posés par la complexité implique dans un premier temps de la prendre en compte, de reconnaître que l ‘ on ne peut pas la maîtriser seul, pour ensuite s ‘ épanouir vers une Intelligence Collective. Croiser les disciplines, faire contribuer des compétences diverses y compris celle du designer sont les premiers atouts pour « simplexifier » les problèmes. Il existe des méthodes et des pratiques d ‘ IC pour faire travailler ensemble des acteurs de différentes disciplines et de différentes cultures, pour que chacun trouve sa place et sa contribution à la communauté, pour que l ‘ énergie circule. Les expériences actuelles confirment les règles que les auteurs et sociologues avaient repérées. L ‘ IC ne se manifeste dans un groupe que sous certaines conditions : la diversité des acteurs et de leurs compétences, le partage des ressources, l ‘ absence d ‘ autorité hiérarchique, l ‘ indépendance des opinions, la joie et l ‘ enthousiasme. D ‘ autres règles facilitent le travail comme l ‘ organisation en cercle, la prise de décision par consentement et la mise en place d ‘ une alliance, d ‘ une charte relationnelle. La cohésion de l ‘ équipe est d ‘ importance primordiale : en effet les acteurs sont interconnectés, ils sont tous conscients, chacun à son propre niveau, des enjeux collectifs et de la complexité qu ‘ ils ont à traiter. Tout le monde est co-responsable de tout le monde. Ils doivent partager le même cadre de référence, le même langage, les mêmes valeurs, un certain nombre d ‘ objectifs et d ‘ éléments de vision. Pour prendre une image, l ‘ esprit d ‘ équipe bat comme un cœur et l ‘ IC nourrit chacun avec le sang de ce cœur qui passe par les artères. La mise en Intelligence Collective induit une transformation ontologique de l ‘ ensemble des acteurs qui pulvérise progressivement les egos qui sont parfois pris dans des contradictions continuelles. À ce titre, il apparaît essentiel pour les petits groupes, de consacrer des temps spécifiques pour prendre du recul, des temps dédiés à la réflexion sur l’état de fonctionnement du groupe afin de pouvoir améliorer sa performance.
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L ‘ IC est aussi une discipline de recherche1 qui vise à comprendre comment les organisations humaines et animales fonctionnent, comment les synergies se créent dans ces organisations et entre les individus qui les composent. Cette science nous donne un regard extrêmement intéressant sur ce type de question. D ‘ un processus apparemment complexe d ‘ un groupe d ‘ individus peut émerger l ‘ auto-organisation. Il apparaît en effet que l ‘ organisation d ‘ une IC humaine, porte les prémices de l ‘ autoorganisation chez les animaux sociaux. Chaque être a la même valeur et forment un tout surpuissant. En outre, le concept d ‘ IC est de plus en plus exploité par l ‘ entreprise, la politique et les médias. Dans ce monde complexe, elle devient indispensable pour la croissance de l ‘ entreprise, pour faire évoluer la société, et pour comprendre la complexité de notre monde. Les entreprises prennent effectivement conscience de la complexité de leur environnement. Entre la pression de la concurrence, le renouvellement accéléré des produits, les nouvelles technologies, la globalisation, les contraintes budgétaires sur leur recherche et développement, elles ont de moins en moins de moyens. Le mode d ‘ innovation des entreprises entre désormais dans le paradigme de l ‘ IC. L’IC peut se mettre en œuvre à différents niveaux de l’organisation : au niveau d’une équipe de projet, d’une séance de créativité, au niveau de la gouvernance de l’entreprise, au niveau d’un processus d’innovation ouverte. En effet, pour développer le capital innovation, l ‘ ouverture associée à l ‘ IC semble être le maître mot. Elle peut être jouée à plusieurs niveaux ; d ‘ abord en ouvrant le département R&D à toute l ‘ entreprise, ensuite en ouvrant l ‘ entreprise à son écosystème. On co-innove avec ses partenaires, ses clients et même ses concurrents. Les technologies du Web 2.0 paraissent indéniables pour créer de l ‘ innovation collaborative et participative. On peut innover dans un écosystème mondial par le « crowdsourcing », en consultant les utilisateurs et en exploitant les réseaux sociaux. Toutefois, il s ‘ avère qu ‘ internet d ‘ une certaine manière isole les collaborateurs. Garder l ‘ esprit de groupe quand tous les membres de l ‘ équipe travaillent dans des lieux différents, de leur domicile ou à l ‘ autre bout du monde, est souvent très difficile. Il est toutefois probable que les modifications qu ‘ internet apporte sur la société fassent émerger des variétés nouvelles d ‘ échanges, de coopérations et permettent 1 L ‘ IRIC, le CCI au MIT, la chaire de recherche de l ‘ Université d ‘ Ottawa
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d ‘ exploiter la capacité de « reliance » de la foule dans le monde matériel. En outre, cette création d ‘ IC, à travers le Web 2.0, permet d ‘ enrichir le débat politique, et de renforcer le lien entre citoyen et l ‘ élite politique. Ce même lien, à travers le théâtre législatif, apparaît comme une clé possible d ‘ un changement au niveau des collectivités locales. Il ne faut toutefois pas en déduire que l ‘ IC est la clé pour résoudre tous les problèmes. Elle est limitée lorsque les tricheurs manipulateurs dérogent aux règles. Dans certains contextes, l ‘ IC n ‘ apparaît donc pas comme la panacée. Méfions-nous, du galvaudage de cette notion : l ‘ IC en politique peut parfois être un alibi pour se donner bonne figure vis à vis des médias et des citoyens, les décisions étant déjà prises par ailleurs. Insistons encore sur la finalité de l ‘ IC qui est de produire un « objet-lien ». Ce chemin s ‘ achève sur une vue d ‘ ensemble de l ‘ IC ; il reste maintenant à porter ma réflexion sur la pratique, la mise à l ‘ épreuve du réel. À travers cette étude, j ‘ ai tenté de mettre en avant des moyens possibles pour éveiller l ‘ IC. Celle-ci permet de pouvoir mieux gérer des situations complexes, d ‘ innover, de créer de la valeur, de résoudre des problèmes complexes, de faire évoluer la société, de valoriser les compétences de chacun. La liste est non exhaustive, mais de manière générale, elle permet de réaliser des prouesses que les gens, pris séparément, non-interconnectés, ne sont pas capables de réaliser. Dès lors, comment en tant que designer puis-je exploiter la notion d ‘ Intelligence Collective dans le monde d ‘ aujourd ‘ hui ? Comment assumer cette notion dans ses fuites, son caractère fluctueux, sa véhémence et sa générosité ?
+ problème complexe
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Intelligence Collective
= solution
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Dans un monde complexe de crise économique, sociale et humaine, où la réunion collective n ‘ aboutit souvent à rien de concret, il est légitime de me questionner sur ma contribution dans ce domaine et de réfléchir au devenir possible de l ‘ IC. Comment le design pourrait-il être créateur d ‘ une Intelligence Collective, apporter cette plus-value d ‘ intelligence dans notre monde ? Quatre directions génératrices d ‘ opportunités créatives se hissent à l ‘ issue de ce chemin : la mobilisation de l ‘ IC au service de l ‘ intérêt général, le croisement entre l ‘ IC artificielle et l ‘ IC humaines ou entre l ‘ IC en réseau et le monde matériel, ainsi qu ‘ une réflexion sur les espaces augmentés d ‘ IC. Mobiliser l ‘ IC au service de l ‘ intérêt général À travers l ‘ étude de la politique participative ainsi que l ‘ étude du crowdsourcing, l ‘ IC apparaît comme un pilier possible de l ‘ intérêt général. Le grand public a montré un intérêt pour participer bénévolement à des défis complexes. La cocréation d ‘ un « objet-lien » peut-elle s ‘ appliquer dans le monde matériel pour le bien commun ? Le designer pourrait ouvrir des portes, outiller l’initiative citoyenne pour donner vie aux espaces du bien commun, en créant des lieux d’initiatives libres. Plus les acteurs sont nombreux plus l ‘ IC est de plus en plus complexe à mettre en œuvre. Comment faire dialoguer un grand nombre de partiesprenantes dans un débat constructif ? Il serait intéressant d ‘ établir l ‘ IC entre les générations, au sein d ‘ un quartier, d ‘ une copropriété, afin de créer un lien familial ou de favoriser l ‘ entraide interpersonnelle. Pourrait-on détourner les non-sens collectifs, tels la surconsommation, les embouteillages, les files d ‘ attentes, en Intelligence Collective ? Croiser IC artificielle et IC humaine A priori, il semble que les scientifiques aient mis au point des systèmes d ‘ IC artificielle en essaim sous formes de communautés auto-organisées de robot. Si, à l ‘ heure actuelle aucun usage n ‘ exploite vraiment cette technologie, le designer peut saisir l ‘ opportunité des champs d ‘ actions pour lui donner du sens. Comment des individus et des objets intelligents pourraient être connectés afin qu ‘ ils agissent plus
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efficacement qu ‘ aucun individu, groupe ou ordinateur auparavant ? L ‘ Intelligence Collective en réseau dans le monde matériel Comment produire du « crowdsourcing » dans le monde matériel ? Peut-on agréger des actions individuelles, des données locales au service des autres ? Sachant que la rupture relationnelle causée par le télétravail et la globalisation étouffe l ‘ esprit d ‘ équipe que l ‘ on peut retrouver au contraire dans l ‘ IC de proximité, comment le design peut-il créer du lien entre les collaborateurs éloignés par la distance ? L ‘ IC en réseau pourrait-elle se révéler au grand jour dans un contexte holoptique ? Comment intégrer l ‘ holoptisme (la capacité à voir la totalité) dans une grande organisation pour doper son IC ? Comment créer ce contexte où tous les acteurs de l ‘ organisation auraient accès au tout émergent de cette grande organisation ? Les espaces augmentés d ‘ IC Sachant qu ‘ il existe des règles pour créer du « 3 » à partir d ‘ un « 1+1 », le designer pourrait valoriser cet écart et créer les conditions favorables à son émergence. Cela impliquerait de matérialiser l ‘ IC. Par exemple, des espaces interactifs permettraient d ‘ augmenter le niveau d ‘ Intelligence Collective ; une cartographie sociale émergerait des interactions. Il s ‘ agit non seulement de voir notre expérience individuelle mais aussi de voir ce qui se trame, se qui se crée au niveau collectif.
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remerciements
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m ‘ ont soutenue et écoutées à la rédaction de ce texte. Merci à : Anne-Cécile Leroux, pour ses corrections, Chloé Oternaud, Chloé Payot, Laure-Anne Puijalon et toute ma classe pour le partage de leurs réflexions sur mon sujet, David Ferre, Dominique Sciamma, Sylvie Tosolini, Isabelle Garron, Anissa, et Thibault pour leur accompagnement dans cette recherche et leur enseignements méthodologiques, Catherine Lenglet pour la schématisation et son expertise en IC, Citial Bocher pour son aide sur la PAO, Ma famille pour son soutien, Emmanuel Berthier et Stephane Cordobès pour m ‘ avoir accueillie au sein de la DATAR, Emilie Labidoire, Renaud Libert et Thierry Lecointre pour m ‘ avoir accordé un entretien Pascal Salembier, pour l’intérêt qu’il porte sur mon projet et ses précieux conseils.
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glossaire
notions & néologismes agnotologie : « L ‘ agnotologie est la science de la cultivation de l ‘ ignorance. » (Le Monde) bio-inspiration : « La bio-inspiration est un changement de paradigme en ingénierie qui amène les ingénieurs à s ‘ inspirer de la nature pour développer de nouveaux systèmes artificiels. » (Wikipedia) biomimétisme : « Le biomimétisme est une démarche consistant à reproduire artificiellement des propriétés essentielles d ‘ un ou plusieurs systèmes biologiques. » (Wikipedia) chaos : « État de confusion générale, ensemble de choses sens dessus dessous et donnant l ‘ image de la destruction, de la ruine, du désordre. » (Larousse) crowdsourcing : « Le crowdsourcing (en français, externalisation ouverte) est un des domaines émergents du management de la connaissance : c ‘ est le fait d ‘ utiliser la créativité, l ‘ intelligence et le savoir-faire d ‘ un grand nombre de personnes (des internautes en général), en sous-traitance, pour réaliser certaines tâches traditionnellement effectuées par un employé ou un entrepreneur. » (Wikipedia) complexité : «Caractère de ce qui se compose d ‘ éléments différents combinés d ‘ une manière qui n ‘ est pas immédiatement saisissable» (Larousse) gamification : «La gamification (ou ludification) transfert des mécanismes du jeu dans d ‘ autres domaines, en particulier des sites Web, des situations d ‘ apprentissage, des situations de travail ou des réseaux sociaux. Son objet est d ‘ augmenter l ‘ acceptabilité et l ‘ usage de ces applications en s ‘ appuyant sur la prédisposition humaine au jeu.» (Wikipedia) holoptisme : Capacité à ce que tout le groupe puisse voir la totalité. Intelligence Collective (IC) : capacité cognitive d ‘ une communauté résultant des interactions entre ses membres qui dépasse la somme des intelligences individuelles, pour atteindre un objectif dans un environnement complexe. Innovation Ouverte : (ou Open Innovation) est «une stratégie qui repose sur la vision qu ‘ il est aujourd ‘ hui plus facile de détecter et d ‘ impliquer dans son processus d ‘ innovation l ‘ ensemble de l ‘ Intelligence Collective de son écosystème d ‘ acteurs
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externes» (bluenove.com) panoptisme : «Se dit d ‘ un édifice dont on peut, d ‘ un poste d ‘ observation prévu à cet effet, surveiller tout l ‘ intérieur» (Larousse) reliance : Capacité des individus à se relier entre eux. simplexité : Système complexe donnant l ‘ illusion d ‘ être simplifié. stigmergique : Caractérise un individu utilisant «une méthode de communication indirecte dans un environnement émergent auto-organisé, où les individus communiquent entre eux en modifiant leur environnement.» (Wikipedia) utilisabilité : « Le degré selon lequel un produit peut être utilisé, par des utilisateurs identifiés, pour atteindre des buts définis avec efficacité, efficience et satisfaction, dans un contexte d ‘ utilisation spécifié. » (ISO 9241-11- iso.org)
abréviations CCI : Center for Collective Intelligence du MIT CPI : Création d ‘ un Produit Innovant ENA : Ecole Nationale d ‘ Administration IC : Intelligence Collective IRIC : Institut de Recherche en Intelligence Collective, fondée par Jean-François Noubel MIT : Massachusetts Institute of Technology PME : Petites et moyennes entreprises QI : Quotient Intellectuel R&D : Recherche et Développement TIC : Technologies de l ‘ Information et de la Communication
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bibliographie
Ouvrages lus • Amado Gilles et Guittet André, Dynamique des communications dans les groupes, Armand Colin,2009, 205 p. • Benkirane Réda, La Complexité, vertiges et promesses : 18 histoires de sciences, Editions le Pommier, 27 avril 2006, 411 p. • Berthoz Alain, La simplexité, Odile Jacob, 17 septembre 2009, 260 p. • Buck John A. et Endenburg Gerard, La sociocratie, Les forces créatives de l ‘ auto-organisation, texte traduit par Gilles Charest, Eburon, 2004, 28 p. • Delacroix Jérôme, Les wikis: espaces de l ‘ Intelligence Collective, M21 Editions, 2005, 204 p. • Durand Daniel, La Systémique 9e éd., Presses Universitaires de France - PUF, 20 janvier 2002, 127 p. • Jacob Isabelle, Lumières sur la créativité, TheBookEdition, 2011, 222 p. • Lenhardt Vincent et Bernard Philippe, L ‘ Intelligence Collective en action, Pearson Education France, 2009, 186 p. • Lévy Pierre, L ‘ Intelligence Collective: pour une anthropologie du cyberspace, La Découverte, 1997, 245 p. • Maltcheff Ivan, Les nouveaux collectifs citoyens: Pratiques et perspectives, Editions Yves Michel, 13 juin 2011, 176 p. • Nghiem Thanh, Des abeilles et des hommes: Passerelles pour un monde libre et durable, Bayard Centurion, 16 septembre 2010, 175 p. • Noubel Jean-Francois, L ‘ Intelligence Collective, la révolution invisible, 2007, 44 p. • Rheingold Howard, Foules intelligentes: la nouvelle révolution sociale, M21 Editions, 2005, 306 p. • Surowiecki James, La Sagesse des foules, Jean-Claude Lattès, 9 avril 2008, 384 p.
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Ouvrages lus partiellement • Bachelard Gaston, La poétique de l ‘ espace, Presses universitaires de France, 1961, 238 p. • Blaise Pascal, Pensées, Oeuvres Complètes, Seuil, 1963, 676 p. • Castells Manuel, La société en réseaux: l ‘ ère de l ‘ information, Fayard, 1998, 613 p. • Charest Gilles, La démocratie se meurt, vive la sociocratie, 2007 • Endenburg Gerard Sociocracy : The Organization of Decision Making, Eburon, 1998, 264p. • Foucault Michel, Surveiller et punir, Gallimard, 1975, 360 p. • Gardner Howard, Les formes de l ‘ intelligence, Odile Jacob, 1997, 484 p. • LeBon Gustave, Psychologies des foules (1895). Réédition : Paris, Presses Universitaires de France, Collection «Quadrige», 1988 • Penalva Jean-Michel, Intelligence collective, Presses des MINES, 2006, 77 p. • Popper Karl, La connaissance objective, Flammarion, 1979, 578 p. • Proulx Serge, Millerand Florence et Rueff Julien, Web Social: Mutation de la Communication, PUQ, janvier 2010, 396 p. • Ray Paul H. et Anderson Sherry Ruth, L ‘ émergence des créatifs culturels, Yves Michel, 2 février 2001, 512 p. • Zara Olivier, Le management de l ‘ Intelligence Collective: vers une nouvelle gouvernance, M21 Editions, 2008, 273 p.
Films (documentaires) • Bilien Jean-Yves, Marc Vella, l ‘ éloge de la fausse note, production BigBangBoum Films, 2010, 50mn • Kesner, Jakob, L ‘ Intelligence Collective, une spécificité animale ? diffusé sur ARTE le vendredi 29 octobre 2010 à 22:00, 2008, 43mn • Ribot, Jean-Christophe, Football, l ‘ Intelligence Collective, diffusé sur France 5, Production : France 5 / Mosaïque Films / Pois Chiche Films, première diffusion en juin 2006, 52mn
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Emmission de radio • Boa Augusto, verbatim tiré d ‘ un enregistrement de l ‘ Atelier « Théatre législatif » à St Étienne-lesOrgues, le 17 juillet 2005
Pages internet • Ballay Jean-François « Le mythe de l ‘ Intelligence Collective | Ars Industrialis », URL : http:// arsindustrialis.org/le-mythe-de-lintelligence-collective-0. Consulté le 11 octobre 2011. • « Intelligence collective », Wikipédia , URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Intelligence_collective. Consulté le 2 mars 2011. • Lévy Pierre, 1994, Zero News Datapool, « L ‘ Intelligence Collective et ses objets », URL : http://www. t0.or.at/levy/plevy.htm. Consulté le 5 juillet 2011. • « World Internet Usage Statistics News and World Population Stats », [s.d.]. URL : http://www. internetworldstats.com/stats.htm. Consulté le 17 octobre 2011. • de VILLEPIN Dominique « Les moutons et les abeilles. » Le blog de Dominique de VILLEPIN, URL : http:// www.dominiquedevillepin.fr/2011/09/29/les-moutons-et-les-abeilles/. Consulté le 2 octobre 2011. • Lambert Alain interviewé par Gaucher Erwann« Les politiques ne connaissent pas les réseaux sociaux, et c ‘ est un vrai problème » Le blog d ‘ Alain Lambert | Ancien Ministre du Budget et Président du Conseil général de l ‘ Orne http://www.alain-lambert-blog.org, Consulté le 7 octobre 2011. • « Les dessous de la campagne d ‘ Obama, par Howard Dean », URL : http://blogs.mediapart.fr/edition/ obamamccain-quelle-amerique/article/050409/les-dessous-de-la-campagne-d-obama-par-howar. Consulté le 7 octobre 2011. • Tison Marc « Comment mettre sur pied une usine à idées »URL : http://lapresseaffaires.cyberpresse. ca/portfolio/pme/201110/11/01-4456072-comment-mettre-sur-pied-une-usine-a-idees.php. Consulté le 11 octobre 2011. • Mechanical Turk d ‘ Amazon https://www.mturk.com
Articles de presse • Brooks David, The New York Times «Amy Chua Is a Wimp», 17 janvier 2011 • Foucault Michel «Le jeu de Michel Foucault» (entretien avec D. Colas, A. Grosrichard, G. Le Gaufey, J. Livi, G. Miller, J. Miller, J.-A. Miller, C, Millot, G. Wajeman), Ornicar ?, Bulletin Périodique du champ freudien, no 10, juillet 1977, pp. 62-93. • Salganik Mattew J., «Experimental Study of Inequality and Unpredictability in an Artificial Cultural
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Market», Science Magazine, 10 Février 2006 • Massachusetts Institute of Technology «Collective intelligence: Number of women in group linked to effectiveness in solving difficult problems», ScienceDaily, 30 Septembre 2010, http://www. sciencedaily.com/releases/2010/09/100930143339.htm, Consulté le 19 mars 2011.
Dossiers d ‘ étude • Étude IBM Global CEO Study, Tirer parti de la complexité, 2010, 76p. • Bluenove, Les grandes entreprises françaises et l ‘ Open Innovation, Mai 2011
Mes entretiens • Cordobès Stephane, directeur de la prospective à la DATAR, interviewé le 20 septembre 2011 • Labidoire Emilie, consultante en innovation ouverte et collaborative chez Bluenove, interviewé le 29 septembre 2011 • Lecointre Thierry, responsable de développement produit d ‘ une grande entreprise pharmaceutique interviewé le 26 septembre 2011 • Libert Renaud, saxophoniste, membre d ‘ un groupe d ‘ improvisation jazz et gérant de l ‘ organisation de festival Quaijazz interviewé le 12 septembre 2011
Conférence • Mc Gonigal Jane, conférence sur la « gamification », RSLN Microsoft, le 16 septembre 2011
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Crédits • L ‘ intégralité des dessins, graphiques et graphismes à été réalisé par Noémie Prin. • Images en license Creative Commons : http://www.flickr.com/photos/m4mboo/6327582813/sizes/z/in/photostream/ http://echomediens.free.fr/docs/eCoherence-Theatre-Legislatif.pdf http://www.behance.net/gallery/Crowd-Installation-for-Irish-Blood-Transfusion-Service/590479 • Autres images empruntés sous l ‘ autorisation de l ‘ auteur : http://www.artfromcode.com/ http://annagaloreleblog.blogs-de-voyage.fr/tag/%C3%A9tourneaux http://www.sytadin.fr http://www.flickr.com/photos/34267323@N05/3248952529/
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Diplômes 2012 Intelligence Collective
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L ‘ Intelligence Collective (IC) est une propriété des êtres vivants. On peut la définir comme un tout émergent au sein d ‘ une communauté résultant des interactions multiples entre ses membres pour atteindre un objectif. Dans notre société où tout est devenu complexe et incertain, dans un contexte de crise économique, sociale et humaine, les organisations doivent obligatoirement s ‘ armer d ‘ une puissante stratégie de connaissance. Le principe de division des tâches, des fonctions et des savoirs de la révolution industrielle trouve ses limites. Ceci pose des défis propres que les vieilles recettes sont incapables de résoudre et qui rendent donc nécessaire la mise en œuvre de l ‘ IC. Croiser les disciplines, faire contribuer des compétences diverses y compris celle du designer sont les premiers atouts pour « simplexifier » les problèmes. Aujourd ‘ hui, le Web 2.0 offre un moyen d ‘ innover par le « crowdsourcing », en exploitant l ‘ intelligence de la foule. On suppose que la mise en relation d ‘ un nombre important de personnes, avec des dispositifs en ligne adaptés, permet de générer une connaissance et une forme d ‘ intelligence qui n ‘ existaient pas au préalable.
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