Des habitats précaires Bruxellois: laboratoires d'espaces et de vies

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L A B O R A T O I R E S D ’ E S PA C E S E T D E V I E S Noemi Giovannetti

D E S H A B I T A T S P R É C A I R E S B R U X E L L O I S : L A B O R A T O I R E S D ’ E S PA C E S E T D E V I E S

D E S H A B I TAT S P R É C A I R E S B R U X E L LO I S :

Noemi Giovannetti


Ecole supérieure des Arts ESA Saint-Luc Bruxelles Architecture d’intérieur Finalité Design d’innovation sociale

D E S H A B I TAT S P R É C A I R E S B R U X E L LO I S : L A B O R A T O I R E S D ’ E S PA C E S E T D E V I E S

Travail de Fin d’études présenté par Noemi Giovannetti Promoteur Rafaella Houlstan-Hasaerts année academique 2017 | 2018



NB. LA quasi-totalité des photos et schéma ont été produits

par l’auteur. Pour éviter les répétitions, quand l’image est de l’auteur, ceci n’a pas été mentionné chaque fois. En cas contraire, la source a toujours été indiquée dans la légende en bas de l’image meme.


SOMMAIRE A v a n t - p r o p o s . . . p. I n t r o d u c t i o n . . . p. PA R T I E

1 : NOTES LIMINAIRES

I.1 Définitions ... p. 15 I . 1 . 1 O rigine du mot I . 1 . 2 L e Symb ole I . 1 . 3 Ty pologie s I.2 Le squat comme mouvement social urbain ... p. 33 I . 2 . 1 L es mouv e me nts s ocia ux en Eur o p e . . . I . 2 . 2 L ’expé r ie nce à Br u xe lle s .. . p . I.3. Le squat lié au cadre social fragile de Bruxelles ... p.65 I . 3 . 1 S quat, pa u v r e té e t r isq u e d’ e xc l us io n s o c ia l e I . 3 . 2 L o ca tion, pa u v r e té e t e x cl us io n s o c ia l e à B r uxe l l e s I . 3 . 3 N o mb r e limité de loge me n ts s o c ia ux e t ha bita tio ns vides I . 4 . L a pe rc ept i o n du squat entre ap p arence e t r é a lit é . . . p. 8 1 I . 4 . 1 L a l oi a nti-sq u a t (2017) I . 4 . 3 Quelq u e s pr é cis ions j u r idi q ue s s ur l e s te r r a ins

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PA R T I E

2 : VIVRE AUTREMENT

II.1 Le squat et la ville ... p. 99 II.1.1 Acteurs dans la gentrification ou protecteur? L’occupation et le quartier II.1.2 L’occupation crée de nouveaux biens communs dans la ville? II.1.3 Un rythme urbain différent II.1.4 Convention d’occupation temporaire une réponse à plusieurs problématiques II. Habiter différemment ... p.125 II.2.1 Fonder son propre habitat II.2.2 Occupation – installation – habitation II.2.3 La poétique des détails. Une petite plongée dans une anthropologie d’un espace alternatif II.2.4 Innovation sociale. Une architecture vernaculaire urbaine ?

PA R T I E

3 : ETUDE DE CAS

III.1 Introduction : des habitations précaires qui font réfléchir ... p. 163 III.2 Squat-refuge. La ville qui exclut ... p. 167 L e b u reau de p o l ice. Un toit prov isoire pour d e s s a n s - pa pie r s III.3 dans

La ville dans un bâtiment. Dynamiques urbaines reproduites un immeuble ... p. 183 I I I . 3 . 1 Hier : l’hôte l Ta ga wa . Un a nc ie n s q ua t e mbl é ma tiq ue I I I . 3 . 2 Aujou r d’hu i : le commis s a r ia t de p o l ic e fé dé r a l . U n n o uveau pr oj e t de commu na uté d a ns une c o q uil l e de no ix

III.4 « La liber té de se débrouiller ». Une architecture vernaculaire urbaine ... p. 245 L ’ e n t r e pôt de c hâssis. Une a rchitectur e c on s t r uit e à l ’ ima g e d e s on habit a nt

C o n c l u s i o n . . . p.281 B i b l i o g r a p h i e . . . p. 286



AVA N T- P R O P O S Cher Lecteur,

Ce mémoire n’a pas été une mission facile. Quand je me suis retrouvée devant le choix d’un thème pour le mémoire, j’étais plutôt intéressée par la question du sans-abrisme à Bruxelles. Cependant, en creusant un peu plus sur les statistiques des sans-abris et des mal-logés, je me suis trouvée face à la question émergente des squats et de la loi anti-squat à Bruxelles. Je me suis passionnée pour le sujet des occupations et des habitats précaires et j’ai commencé à l’étudier. Mais… Je me suis retrouvée dans un trou noir! Ma volonté était de rentrer dans cet univers mystérieux, comprendre comment fonctionnait l’organisation sociale et spatiale de ces mondes parallèles à la ville « ordinaire ». Les premiers mois, j’ai eu des difficultés à trouver des personnes disponibles - n’oublions pas que c’est un sujet épineux parce qu’illégal - et il a ensuite été compliqué de gagner la confiance des habitants qui devaient me laisser entrer dans leur intimité. Au cours de cette année j’ai fait d’innombrables rencontres. Parfois très éphémères et parfois très profondes. Toutes les personnes rencontrées m’ont dévoilé un partie de leur histoire, allant parfois jusqu’aux détails de leur intimité. D›autres fois, je me suis retrouvée dans des situations un peu dangereuses, car les gens se sentaient menacés par ma présence, jugée intrusive. Et j’ai également découvert des conditions de vie vraiment précaires, difficiles à décrire avec des mots. En bref, c’était une expérience pleine d’émotions sur tous les fronts, tant humains que professionnels.

Durant toute cette année d’atelier, j’ai travaillé la question du logement précaire et des personnes sans-abri. En particulier, cette expérience de recherche en parallèle m’a vraiment aidé à grandir au niveau professionnel. Elle m’a permis d’approfondir la dimension de la domesticité, observer les détails de sphère intime qui se matérialisent dans l’espace et l’inventivité incroyables des solutions que les usagers peuvent appliqué à un endroit. En plus des histoires, des rêves et des vies des habitants, la découverte de techniques innovantes et de formes architecturales insolites, libérés du cadre classique de la ville, vont rentrer dans mon bagage d’architecte et de social designer. À cause des situations, des contextes et des occupations de bâtiments différents, cette recherche pourrait être infinie. Toutefois, j’ai l’envie de vous proposer un petit aperçu de cet univers pour que vous puissiez bâtir votre opinion. Cette recherche est présentée un peu de manière éclectique, car j’ai essayé de transmettre, à travers la diversité des styles narratifs, des photographies et des dessins, cet univers si complexe et difficile à dévoiler. Bonne lecture !



INTRODUCTION Les squatteurs ont mauvaise réputation. Ils incarnent l’angoisse de nos sociétés modernes vis-à-vis du parasitisme. Parce qu’ils s’emparent d’un bien appartenant à autrui, les squatteurs sont vus comme des profiteurs. Parce qu’ils sont mobiles, ils sont assimilés aux vagabonds. En contrevenant au droit de propriété, ce sont aussi l’ordre public, les libertés individuelles et la sécurité qu’ils semblent menacer. » 1

Ce mémoire porte sur le monde complexe et diversifié du squat. Un univers qui est traversé par des conflits, pas seulement d’ordre politique et juridique, mais également d’ordre moral, éthique et culturel vis-à-vis de la société. L’intérêt pour ce sujet trouve en grande partie ses racines dans l’actualité belge. En effet, le 18 octobre 2017, le gouvernement fédéral adopte une loi dite anti-squat. Celle-ci pénalise l’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier et expose les squatteurs à des peines de prison : là où l’acte de squatter était uniquement traité au civil, il pourra maintenant aussi faire l’objet d’une procédure pénale. Dans une société qui fait grand cas de la propriété privée, où les squatteurs sont souvent vus comme des menaces pour l’ordre urbain, cette nouvelle loi n’a rien d’étonnant. Cependant, elle semble aussi contrevenir à rendre difficile une pratique qui a constitué pendant plusieurs décennies une solution à la crise du logement et à la précarisation que connaît Bruxelles, où, malgré les besoins sans cesse augmentés, plus de 15000 (jusqu’à 30000 !) unités de logements sont vides2 et la production de logement sociaux est somnolente3. Dans le même ordre d’idées, cette loi entre en conflit avec l’article 23 de la Constitution belge censé garantir à chacun un droit au logement. Mais plus que tout, cette loi occulte et criminalise une pratique qui, depuis son essor, a constitué un laboratoire d’espaces et de vies, des formes alternatives d’habiter.

Avec en tête ce constat, le but de ce travail est double. Tout d’abord, il s’agit de tenter d’ouvrir la boîte noire de ces « utopies urbaines »4, qui sont souvent sources de préjugés, « diabolisées » par la société, s’agissant d’espaces énigmatiques au fonctionnement complexe. En partant du terrain, de squats et d’occupations précaires dans leur réalité concrète, en donnant voix à leurs habitants, la volonté est d’en faire une analyse détaillée pour montrer – et 1   BOUILLON Florence, Les Mondes du Squat, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), 2009, p. 244, p.1 2   Communa asbl, http://www.communa.be/missions/ 3   DAWANCE Thomas, Le squat collectif autogéré, une réponse à la crise urbaine, dans la Revue nouvelle, février 2008, 30-41p. 4   BOUILLON Florence, Le squat : problème social ou lieu d’émancipation ?, Éditions Rue d’Ulm, coll. « La rue ? Parlons-en ! », 2011, p. 51


non pas démontrer – comment ces lieux peuvent, en réalité, être une source surprenante d’innovation sociale, urbaine et architecturale. En effet, dans leur lutte contre la standardisation de modes de vie et du cadre bâti, les habitants de ces lieux façonnent leur espace intime selon leurs rêves, envies et modèles idéaux. Par conséquent, les habitants trouvent des formes et des solutions qui sortent des figures architecturales habituelles, car les gestes de réappropriation deviennent un miroir du désir. Dans ce contexte, on retrouve le deuxième but : comment pouvons-nous apprendre de ces lieux, notamment dans le cadre de métiers créatifs? En d’autres termes, les analyses de cas ont aussi pour but d’être une source d’inspiration pour des architectes, architectes d’intérieur, urbanistes, designers... L’art de la débrouille, les techniques du bord utilisées, les systèmes de récupération, la reconversion d’objets en d’autres formes et fonctions, la vision différente de la sphère du quotidien sont des souffles d’air frais pour ce métiers.

Pour atteindre ces objectifs, la recherche a commencé sur le terrain. De fait, la démarche et la méthodologie utilisées sont plutôt inductives, puisqu’une immersion a précédé une grande partie de ce travail. Il y a principalement quatre terrains. Chacun a une spécificité qui aide dans l’élaboration du mémoire. Le premier, le squat-refuge, il s’agit d’une occupation illégale d’un ancien commissariat par des sans-papiers ; le lecteur est plongé dans une situation très précaire qui se reflète également dans l’espace. Dans la deuxième partie, deux squat-ville – un du passé et l’autre actuel – sont analysés, c’està-dire des microcosmes au sein d’un immeuble qui vivent et s’organisent de manière autonome. Enfin, un cas qui représente le squat-laboratoire : un atelier où les habitants ont construit leur espace intime selon leurs rêves et complétement façonné à leur image. Les retranscriptions des entretiens, les descriptions détaillées, les photographies et les dessins, qui mettent en relief certains points, donnent corps aux personnes et aux espaces. Ces « relevés » du terrain ont ensuite été analysés et objectivés en les ancrant dans un contexte historique et en mobilisant une série de sondes théoriques, issues notamment de la sociologie urbaine et de l’anthropologie de l’habiter. La première partie du mémoire définit le phénomène du squat, le classifie en typologies, raconte brièvement ses racines historiques et le met en relation avec le cadre social fragile de Bruxelles.


La deuxième partie est divisée en deux chapitres : un qui observe le phénomène de l’habitat précaire au niveau macroscopique et l’autre, au contraire, microscopique. Dans un premier temps, le travail rentre dans le sujet et le situe en rapport à la ville. Le phénomène est regardé par rapport aux dynamiques urbaines : comment ces formes urbaines autonomes s’installent dans le cadre urbain ? Quel rapport instaurent-elles avec le quartier ? Quel rôle jouent-elles dans les transformations de la ville ? Participent-elles à la dégradation de la ville, ou plutôt sont-elles une forme de protection ? Dans un deuxième temps, ces espaces sont observés avec une loupe pour rentrer dans le détail de la vie quotidienne. Le type d’occupation influence la vie de ses occupants ? Comment les espaces sont-ils organisés et aménagés ? Comment la débrouillardise des habitants s’applique à un lieu qui, à la base, possède une programmation différente et complétement inhospitalière pour la fonction domestique ? Dans cette partie, le lecteur est amené à une série de pistes de réflexion qui seront approfondies dans la troisième partie.

La dernière partie explore ces habitats alternatifs. Le lecteur trouve quatre cas d’étude observés dans le détail, tous avec des caractéristiques différentes5. Les cas d’études sélectionnés permettent une petite plongée dans cet univers et ils immortalisent, quelque part, en un temps t, une réalité sociale et architecturale dans le panorama bruxellois. On rentre, ici, dans le cœur de l’analyse sociale et spatiale de ces territoires domestiques. On les observe et on constate « une forme prototypique de réalisation d’une microsociété solidaire et désaliénée »6. Les éléments recueillis aident à examiner plus en profondeur les questions comme l’intimité, le seuil du « chez-soi », les détails des objets et aussi le rapport entre espace privé et espace public, mais aussi la mise en pratique et en espace de valeurs telles que la convivialité, la solidarité.

5   Malheureusement, dans l’espace concis du mémoire, tous les entretiens et les lieux visités n’ont pas été développés. Seuls l’ont été ceux pour lesquels la matière était suffisante pour pouvoir approfondir l’analyse. 6   BOUILLON Florence, Ibid.[4] p. 12



PA R T I E U N E Notes Liminaires



I.1. DĂŠfinitions

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16


I.1.1 Origine du mot

« À l’instar du bidonville, du logement insalubre ou du ghetto, le

terme squat est souvent utilisé de manière péjorative »1

L’origine étymologique du mot squat provient du latin vulgaire

coactīre, qui veut dire comprimer2 ; à partir de 1250-1300 le mot résulte d’un mélange entre l’ancienne langue française3 et

l’anglais. Plus précisément, il est issu du verbe esquatir ou esquater en français, qui signifie aplatir, comprimer, également dérivé de

quatir, se cacher et le Middle English squatten, retransformé ensuite en squat au XVe siècle en anglais4.

À la fin du XVIIIe siècle, période d’exploration et de colonisation,

le mot prend une nouvelle signification, c’est-à-dire « le colon ou colonisateur qui occupe la terre sans titre légal » (1788) et ensuite -en 1800, il se réfère également aux pionniers qui s’installaient

sur des terrains inoccupés. À partir de la fin du XIXe siècle, 1880, le terme apparaît avec une différente connotation, en référence

aux sans-abri ou pauvres qui occupent les bâtiments inhabités ou abandonnés5.

C’est seulement dans les années 70 que le terme prend la

signification d’habitation occupée illégalement6.

1   BOUILLON Florence, Les Mondes du Squat, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), 2009, p. 244, p.4 2   squat. (n.d.).Wordreference.com. Retrieved March 27, 2018 from Wordreference.com website http://www.wordreference.com/definition/squat 3   squat. (n.d.). Dictionary.com Unabridged. Retrieved March 27, 2018 from Dictionary. com website http://www.dictionary.com/browse/squat 4   PECHU Cécile, Les squats, Paris, Presses de Sciences Po, Collection Contester n°8, 2010 5   squat. (n.d.).Wordreference.com. Retrieved March 27, 2018 from Wordreference.com website http://www.wordreference.com/definition/squat 6   PECHU Cécile, Les squats, Paris, Presses de Sciences Po, Collection Contester n°8, 2010

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« À l’instar du bidonville, du logement insalubre ou du ghetto, le

terme squat est souvent utilisé de manière péjorative »

L’origine étymologique du mot squat provient du latin vulgaire

coactīre, qui veut dire comprimer ; à partir de 1250-1300 le

mot résulte d’un mélange entre l’ancienne langue française1 et

l’anglais. Plus précisément, il est issu du verbe esquatir ou esquater en français, qui signifie aplatir, comprimer, également dérivé de

quatir, se cacher et le Middle English squatten, retransformé ensuite en squat au XVe siècle en anglais.

À la fin du XVIIIe siècle, période d’exploration et de colonisation,

le mot prend une nouvelle signification, c’est-à-dire « le colon ou colonisateur qui occupe la terre sans titre légal » (1788) et ensuite -en 1800, il se réfère également aux pionniers qui s’installaient

sur des terrains inoccupés. À partir de la fin du XIXe siècle, 1880, le terme apparaît avec une différente connotation, en référence

aux sans-abri ou pauvres qui occupent les bâtiments inhabités ou abandonnés.

C’est seulement dans les années 70 que le terme prend la

signification d’habitation occupée illégalement.

Aujourd’hui, le mot squat est défini par le CNRTL (Centre National

de Ressources Textuelles et Lexicales) comme une « occupation

illégale d’un local, d’un immeuble ». Ou encore, « occuper un local attribué à d’autres personnes », et en général, l’action de squatter

se réfère à l’ « action d’occuper illégalement un local vide, un immeuble inoccupé », apparemment sans l’accord du propriétaire. Le dictionnaire Larousse définit le squatteur comme une « personne

sans abri qui occupe illégalement un logement vacant ou destiné

à la destruction ». Dans cette définition, la notion d’espace et celle 1   squat. (n.d.). Dictionary.com Unabridged. Retrieved March 27, 2018 from Dictionary. com website http://www.dictionary.com/browse/squat

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d’humain sont intimement associées. En effet, la définition du

squat est fortement liée au positionnement de ses habitants, à leur caractérisation, leur but et leur situation dans la société.

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I.1.2 Le Symbole

À partir des années 90s, le symbole qui caractérise souvent les

mouvements squat est un cercle avec une flèche zigzaguée. La

flèche, alias le squat ou le mouvement, est comme un éclair qui fend la structure fermée de la ville et sa maille urbaine (cercle). Autrement dit, l’action sociale casse le cercle, elle détruit la cage, représentée par le cloisonnement de la ville, et elle organise un nouveau mouvement politique2.

Dans un blog, Vandana Jain3 écrit que ce symbole international,

ou Kraakteken (traduit du néerlandais en français comme grincer/ hurler), provient de l’ancien American Hobo sign langage. Plus précisément, dans la langue américaine, le cercle avec une flèche à l’intérieur voudrait dire « tu es sur le bon chemin ». Le symbole commence à avoir du succès et à être médiatisé à partir du 1979,

quand le numéro 28 du magazine néerlandais Bluf !, le journal des

contestations urbaines liées aux mouvements squat, le représente

sur sa couverture. Ensuite il se propage en Allemagne et dans le reste de l’Europe également.

En navigant dans d’autres blogs4 qui suivent la cause de

squatteurs, certains voient le symbole comme un « N » qui peut porter

d’autres

significations.

Une

première

interprétation

comprend la lettre comme l’initiale du mot « Nazis », qui voudrait signifier « nazis dehors ! ». Une autre affirme que le symbole enlève 2   ZACCURI Mauro, http://www.radioclash.it/tes�/recensioni_b/posse.htm 3   JAIN Vandana, https://sites.google.com/site/housemagicbfc/about/symbols-and-icons, 2009, 1:08 PM 4   RIDDLE Prentiss, http://aprendizdetodo.com/language/?item=20021220, 2002

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le mauvais sort et, enfin, d’autres qui soutiennent que le « N » signifie « Nomade urbain » -c’est-à-dire les squatteurs qui sont, après tout, un mouvement nomade urbain.

En conclusion, le symbole est souvent dessiné au moment

de l’occupation, pour déclarer que le lieu a été libéré de l’emprisonnement de la ville.

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I.1.3 Typologies

« Le squat a différents visages »

5

. Il peut être un lieu de

sédentarisation ou seulement une étape dans un chemin nomade ou, pour d’autres, il peut représenter seulement un point de

références pour des activités artistiques ou politiques. Le squat peut être considéré également comme un choix de vie ou bien

comme une nécessité d’urgence, ainsi qu’un espace individuel,

partagé ou familial. Certains recherchent une médiatisation et d’autres préfèrent rester dans l’ombre. Quoi qu’il en soit, dans le centre-ville ou en périphérie, politisé ou au contraire apolitique,

en rentrant plus en profondeur, on comprend que le squat a une multitude de facettes, et qu’il est compliqué à cerner en restant dans une position extérieure.

Plusieurs chercheurs ont proposé des typologies de squat,

classification basée principalement du point de vue sociologique et anthropologique. Par exemple, Cécile Péchu, dans son analyse essentiellement historique, repère trois macro-typologies qui sont

le squat d’urgence, le squat politique et celui artistique6. Comme le nom le suggère d’emblée, les trois ont des buts différents : le

premier est la réponse à la demande du logement, le deuxième

souligne une mobilisation sociale et une action collective, et le troisième une nécessité de liberté d’expression que le cadre normal d’un logement ne pourrait pas satisfaire.

5   BOUILLON Florence, Les Mondes du Squat, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), 2009, p. 244, p.6 6   PECHU Cécile, Les squats, Paris, Presses de Sciences Po, Collection Contester n°8, 2010

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Néanmoins, les classifications s’entrecroisent ; Florence Bouillon7

distingue, ainsi que Péchu, deux types fréquents de squat, c’està-dire ceux d’activité, politique et artistique, et ceux de pauvreté. Dans les deux cas, ils sont avant tout des squats d’habitation, « des

espaces dont la vocation première est d’héberger »8, toutefois avec deux

nuances différentes. En effet, le premier cas a comme préoccupation première de créer une communauté soudée et capable d’organiser

une vie collective ; dans le deuxième cas la priorité est l’habiter

sous un toit, plutôt que dans la rue. Enfin, Bouillon différencie également squat de passage et squat de sédentarisation. Le premier

n’est occupé que durant une courte période, souvent pendant la période hivernale, donc « on n’habite pas à proprement parler dans

le squat : on s’y abrite, on s’y repose »9. Le lieu sert uniquement de

toit et les individus ne se l’approprient pas, ne le transforment

pas, parce qu’ils n’ont pas d’intérêt à y projeter leur personnalité.

Dans ce type de squat, Bouillon mentionne aussi la présence de squat payant, c’est-à-dire que l’individu est hébergé en contrepartie

d’un échange, pas seulement de caractère monétaire, mais aussi de troc (par exemple des cigarettes)10. Dans le squat de sédentarisation

par contre, c’est-à-dire dans un domicile plus ou moins stable, l’appropriation et la customisation deviennent cruciales pour récréer un chez-soi, pas seulement avec des objets personnels,

mais aussi à travers des modifications plus importantes au sein de l’habitation. En outre, avec le squat de privation -qui concerne les personnes très pauvres et sans-abri, et le squat politique -qui s’inscrit dans les mouvements anti-état et dans une forte action

politique, Hans Pruijt11 ajoute également le squat comme habitation 7   BOUILLON Florence, Les Mondes du Squat, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), 2009, p. 244 8   Ibidem, p. 17 9   Ibidem, p. 46 10   Idem, p.53 11   PRUIJT Hans, The logic of urban squatting, dans International Journal of Urban and

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photo du livre PECHU Cécile, Les squats, Paris, Presses de Sciences Po, Collection Contester n°8, 2010, p. 16-17

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alternative, le squat entrepreneurial et le squat de conservation. Le squat comme habitation alternative a comme but principal de

vivre différemment le cadre du logement. En d’autres termes,

squatter devient une solution alternative pour construire une communauté, s’approprier à sa guise l’espace ou encore avoir un atelier dans son habitat. Souvent cette alternative est choisie par

la classe moyenne, les étudiants ainsi que les artistes. Le squat entrepreneurial prévoit l’implantation de centres sociaux, bars,

soirées, et en général d’ infrastructures qui sont ouvertes aux quartiers et à la ville aussi. Fréquemment ils sont fréquentés par un vaste panorama de couches sociales, de la classe moyenne aux

« personnes vivant en marge de la société »12. Enfin, le squat a comme

priorité de sauvegarder le paysage et/ou le patrimoine urbain. Le

but est en effet de prévenir les grandes transformations urbaines

ou la spéculation immobilière. L’opportunité de ce type de squat

naît grâce à l’occupation de bâtiments vides, en particulier les bâtiments historiques ou les quartiers populaires, pour empêcher

les travaux de démolition. De même, dans ce cas-ci, les squatteurs ont des provenances différentes ce sont notamment des activistes, mais aussi des professions spécifiques ainsi que des architectes, des urbanistes ou des historiens.

En ce qui concerne cette recherche-ci, les terrains visités ont

été classifiés de manière différente, car l’œil et la casquette de l’observatrice sont plutôt ceux de l’architecte. Il est important

de faire une distinction par rapport aux autres auteurs puisque

la classification, si elle prend en compte le point de vue

anthropologique et/ou sociologique, donne prioritairement la voix à l’aspect architectural. En autres termes, la recherche vise Regional Research, Urban Research Publications Limited, Blackwell Publishing, Oxford, volume 37.1, January 2013, p. 19-45 12   Ibidem, p. 30

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à analyser et établir une différentiation en se focalisant sur les appropriations de lieux, qui sont déterminés par la typologie de

bâtiment autant que par ses habitants. Les terrains sont ainsi

différentiés en squat-refuge (c’est-à-dire squat d’urgence), squat-ville

et squat-laboratoire (c’est-à-dire squat d’artiste)13. Dans le premier, pareillement Bouillon, le squat s’installe dans l’ombre, il est refermé

sur lui-même et ses habitants afin d’éviter les dénonciations.

Conséquemment, les espaces sont très peu investis par les habitants -par le minimum indispensable de chambres, pas seulement parce

qu’ils vivent constamment sous la menace d’une expulsion, mais aussi parce qu’ils sont propriétaires de très peu d’objets et que

ceux-ci occupent le volume d’un sac à dos. Dans le cas du squatville, il s’agit d’un grand immeuble qui héberge une soixantaine

d’individus de toutes sortes, étudiants, familles, SDF, travailleurs, etc. Normalement, « chaque étage a sa propre personnalité »14.

L’organisation fonctionne de manière autonome par niveau, avec

ensuite une macro-organisation qui gère l’ensemble. Dans ce cas, l’appropriation est de « type sédentaire » et, pour la plupart de

situations, les habitants s’organisent de manière naturelle selon des éléments en commun. Par exemple, les familles dans les étages

centraux, ceux-ci étant plus chauds et plus calmes15, les étudiants dans les derniers niveaux pour pouvoir organiser des fêtes, ou encore

les membres qui gèrent l’ensemble de l’habitat dans les premiers

étages pour garantir un accueil et une présence à l’entrée16. En

conséquence, l’appropriation des espaces change en fonction de 13   Pour être plus précis, les terrains analysés, nommés ici comme squat-ville et squatlaboratoire, sont des occupations, c’est-à-dire qu’ils ont tous des baux d’occupation précaires avec les propriétaires de l’immeuble. Toutefois, dans ce paragraphe, j’ai utilisé le terme “squat” pour pouvoir faire un parallélisme avec les autres auteurs. La différence entre squat et occupation est expliquée au lecteur dans le paragraphe successif. 14   DERAOUI Saïd, entretien le 14 Février 2018 15   VERBOCKHAVEN Johanne et ROTTIERS Tim ont confirmé cette disposition pendant les interviews avec moi, entretien le 14 Décembre 2017 et le 9 Mars 2018 16   VERBOCKHAVEN Johanne interview 14 Décembre 2017

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ses habitants : par exemple, les familles : par exemple, les familles

modifient plutôt les parois et la disposition des chambres suivant le degré d’intimité requis et la praticité pour les enfants ; les

étudiants, eux, investissent souvent l’espace à travers des couleurs,

des éléments rajoutés, des graffitis, etc. Enfin, l’analyse de terrain a amené à la distinction d’une troisième catégorie ; dans celle-ci,

par simplification nommée ici squat artistique, les habitants vivent

souvent dans des lieux insolites, par exemple un ancien entrepôt de châssis, et, à cause de « l’inhospitalité » du lieu, ils sont poussés à

bouleverser l’espace avec grandes transformations. Ils donnent ainsi libre cours à leur créativité et à leur capacité de « débrouille », par exemple en construisant des cabanes, ceux que la loi en Belgique

nomme « des habitats légers », et en reproduisant un univers cousu à leur personnalité.

Dans tous les cas, le fait de cristalliser le squat à un seul préjugé

et donc à une seule image est erroné. Il existe plusieurs univers du squat et, comme les terrains vont démontrer dans la deuxième

partie, l’appartenance à une « typologie » n’exclut pas l’autre : il existe plusieurs laboratoires de vie rassemblés dans un seul espace.

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les typologies de squat

29


autres motivations du squat et resumé ... « Quand j’ai terminé mes études de beaux-arts à Paris, j’avais déjà

côtoyé les squats grâce à des amis, mais c’était très bourgois. Par contre,

quand je suis arrivé à Bruxelles, celle-ci avait la réputation d’avoir

encore des squats « authentiques », grâce aux espaces industriels vides.

Il y avait tellement d’espaces vides, qu’on sentait vraiment un but artistique. Donc quand je suis partie de Paris, je me suis orienté sur Bruxelles parce que c’était ici que l’on trouve encore de l’art caché, dans

les espaces et les interstices du système. C’était ça qui m’attirait, après

je sais que c’était de l’utopie : Bruxelles le lieu de l’art anticonformiste

! Arrivée à Bruxelles, j’ai vécu à quatre dans un énorme atelier artistique, genre 200 m2 et avec une structure à plateau libre, qui était une ancienne usine, vers Anderlecht. Et du coup on s’était tous fabriqué des mezzanines faits par des étudiants en art .»

1

« Je fais partie du collectif Piratons Bruxelles, on est un petit collectif

autonome on est une quinzaine de personnes, c’est un collectif de

squatteurs et squatteuses. Et on a une manière de squatter qui est assez radicale. En effet, on se réapproprie les maisons vides avec « la force

», on rentre dedans sans un consensus préalable avec le propriétaire.

Seulement après on essaye de négocier avec le propriétaire s’il est d’accord. Pour nous, le squat est plutôt un outil, un squat par nécessité,

mais aussi pour conviction, entre nous il y a qui est précaire, mais aussi qui l’a choisi de vivre en squat pour revendication politique. Nous

sommes anarchistes, on l’affiche et on le revendique. Du coup, on milite bien au-delà du squat, nos luttes sont beaucoup plus larges. »2

1   Entretien avec Salomé, le 24 Mars 2018 2   Entretien avec Vick, le 12 Décembre 2017


Comme on a déjà défini dans le paragraphe Typologies, le thème

de la pauvreté n’est pas suffisant pour expliquer la complexité du phénomène du squat dans les sociétés développées, comme

Bruxelles. Par rapport à cet aspect, la littérature développée autour

de cas européens, démontre une grande variété de squats possibles. Plus précisément, les configurations du squat diffèrent au moins en ce qui concerne les caractéristiques des personnes impliquées, le

type de bâtiments intéressés, les expectatives sociales et les besoins des squatteurs, l’idéologie qui soutient le mouvement, les schémas de mobilisation et d’organisation.

Pour aider le lecteur, on peut résumer au moins les suivants

typologies déjà susmentionnées:

a. le squat basé sur l’indigence et précarité, qui a à la base la privation

économique et le besoin de base de trouver un logement, et qui a été objet de la description précédente ;

b. le squat comme une stratégie alternative d’habitation qui n’a pas

à la base une nécessité économique, mais plutôt un besoin social et culturel de vivre en manière différente ;

c. le squat entrepreneurial a à la base le besoin de mettre en place

des opportunités sans avoir besoin de grandes ressources ni avoir le

risque de s’enliser dans la bureaucratie. Un exemple dans ce domaine

est donné par les centres sociaux occupés, surtout développés en Italie et en Espagne ;

d. le squat pour la conservation est utilisé comme tactique pour la

préservation d’un paysage urbain contre une transformation planifiée centrée sur l’efficience, pour exemple dans l’utilisation du terrain pour avoir le maximum de la rente urbaine.

e. le squat politique qui a à la base un besoin de contraposition aux

valeurs des économies et sociétés centrés sur le marché et le profit.


32


I.2 Le squat comme mouvement social urbain

33


34


I.2.1 Les mouvements sociaux en Europe Le squat en tant que mouvement social urbain se développent

dans les grandes villes européennes surtout depuis les années 7017.

La source du mouvement est due à une multiplicité d’idéologies et de sujets sociaux qui changent dans le temps et en conséquence de

la transformation du contexte urbain . Par exemple, dans les débuts du mouvement urbain, les théories de référence sont surtout celles des mouvements anarchistes, ou de la gauche européenne -avec ses

racines historiques et philosophiques, en commençant par la théorie

de Marx et d’Engels sur la critique de l’économie capitaliste18. A

partir de ces idéologies, le squat se développe avec ses contenus alternatifs au modèle socio-économique dominant, en proposant une organisation sociale différente. A ce propos, un exemple

emblématique est le cas de Cristiania à Copenhague au Danemark,

fondée en 1971 par un groupe de hippies qui, après l’occupation

d’un vaste nombre de bâtiments militaires abandonnés, y annoncent le but d’un État libre. Christiania est un exemple unique dans le

monde, en raison de sa durée dans le temps et de ses dimensions en terme d’espaces occupés et du nombre de personnes impliquées (mille résidents) 19.

17   Gianni Piazza, Il movimento delle occupazioni di squat e centri sociali in Europa. Una introduzione, « Partecipazione e conflitto », n.1, 2012, https://www.researchgate.net/publication/283642515_Il_movimento_ delle_occupazioni_di_squat_e_centri_sociali_in_Europa_Una_introduzione_in_ Partecipazione_e_Conflitto_n12012 18   Pour une analyse historique du squat et de l’idéologie à sa base, voir Thomas Dawance, L’histoire du squat, Mémoire universitaire de fin d’études (98-99) pour l’Institut Supérieur d’Architecture Saint-Luc, http://www.habiter-autrement.org/07. squat/03_sq.htm 19   Centrée sur l›autodétermination et la propriété collective, elle est devenue célèbre en Europe pour ses bâtiments colorés, l›interdiction de la circulation d’automobiles

35


En plus, le mouvement des squatteurs est soutenu par le manque

de logements à prix abordables pour une population pauvre, et par la croissance d’espaces laissés vides. En Hollande, par exemple, le squat est né dans les années 60s pour la raison qu’on vient de

décrire : il était considéré comme un mouvement politique anti-

spéculation et il avait aussi acquis un statut légal (exigeant la permission de l’occupant pour entrer dans un bâtiment) ; toutefois,

dans le années ’80 le mouvement a vu une croissance de l’idéologie anarchiste et à partir d’une nouvelle loi approuvée dans le 2010 le squat a été privé du statut de légalité20.

En Allemagne, l’histoire du squat a aussi des aspects relevants.

Entre 1967- 1977, Berlin-Ouest vit ce qui est connu comme la « décennie rouge », qui commence avec les révoltes étudiantes de ’68, le développement concomitant des mobilisations contre

la guerre atomique, les mouvements anarchistes et alternatifs

au modèle capitaliste et consumériste, jusqu’à la formation des groupes extrémistes de résistance armés, comme l’Armée Fraktion.

Dans le contexte des nouveaux phénomènes d’activisme c’est surtout à partir des années 80s que le squat comme mouvement

sociale urbain se développe pour l’occupation de maisons vides et inutilisées. Comme dans le cas de la Hollande -et de Bruxelles qu’on

verra plus avant- ces espaces vides étaient souvent engendrés par la recherche de profits spéculatifs (dérivant des fonds publiques en

Allemagne) pour la démolition et la reconstruction ultérieure des

maisons abandonnées. Dans ce contexte, l’on assiste à la naissance et le manque de police, mais aussi pour la libre circulation des drogues légères. Cependant, comme dans le cas de tous les mouvements de squatting, même l’histoire de Cristiania est complexe et est affectée par de nombreux efforts de démantèlement par le gouvernement danois. En 2011, un accord a été conclu prévoyant le droit d’usufruit sur la zone occupée de 35 hectares, à condition que les habitants achètent le complexe résidentiel pour 76,2 millions de couronnes danoises, soit environ 10,2 millions d’euros. (https://it.wikipedia.org/wiki/Christiania) 20   https://en.wikipedia.org/wiki/Dutch_squatting_ban

36


d’un mouvement social de contestation du développement socioéconomique -qui engendrait un nombre croissant de personnes

dans la recherche infructueuse d’un logement à prix abordable, face

à une contemporaine croitre de logements vides. Le squat n’est

qu’un des nombreux exemples de mouvements de contestation urbaine qui se développent pendant les années 80s autour des

nouveaux thèmes et des approches alternatives de vie : groupes

environnementaux, punks, mouvement arc-en-ciel, protection des migrants, droit d’habitation, parité de gendre, etc. . En Allemagne,

le squat conduit à la reprise des bâtiments ou des quartiers entiers, comme dans le cas de Kreuzberg, à proximité du mur et peuplé par

de nombreux travailleurs d’origine étrangère: grâce à l’occupation, cet espace, qui était peu peuplée et en ruines, est devenu actif

et vivant. Les occupations d’immeubles en 1981 avaient rejoint

le nombre de 165 maisons avant le lancement d’une campagne de répression contre ce phénomène, qui atteint des tons tellement exaspérés qu’ils vont jusqu’ à provoquer un mort21. À la suite

de cet épisode traumatique, les mouvements de squatteurs de

Berlin-Ouest ont commencé à diminuer mais dans les années 90s les squats se déplacent à Berlin-Est, avec de nouvelles tentatives d’expérimentation de modes de vie alternative à la logique

capitaliste, mais aussi pour développer des expériences d’artistes.

Après une réponse répressive initiale avec la mise en liquidation des expériences réalisées22,

on assiste à des changements sous

l’influence de l’architecte Hardt-Waltherr Hamer, qui soutenait qu’il valait mieux rénover plutôt que construire de nouveaux espaces

21   Klaus-Jurgen Rattay, à peine adulte, a été tué dans une combat le 22 septembre 1981. 22   Michele Civiero, Come nacque il movimento delle case occupate a Berlino degli anni ’80 e ’90, 18 marzo 2016, https://berlinocacioepepemagazine.com/come-nacque-il-movimento-delle-caseoccupate-a-berlino-degli-anni-80-e-90-0121/).

37


(Behutsame Stadterneurung ou renouvellement urbain prudent).

La mise en place d’une nouvelle vision de développement urbain est influencée aussi par l’existence d’un patrimoine de 180 000

maisons de propriété incertaine ou inconnue (Eigentumsfrage), puisque les anciens propriétaires n’avaient pas été retrouvés ou

s’ étaient désintéressés de la possession de bâtiments en mauvais

état. Il s’agissait d’un contexte qui ouvrait un conflit social latent entre une possible utilisation sociale des immeubles et l’intérêt de la grande propriété immobilière vers l’acquisition massive de

bâtiments et la conséquente gentrification de zones entières de la

ville. Face à cette situation, l’administration a tenté de conduire une négociation entre les acteurs sociaux en cause (l’administration elle-

même, les occupants et les grandes immobilières), en reconnaissent de facto le squat23.

En Italie et en Espagne le squat a ses racines surtout dans les

mouvements

de contestation des années 1970 qui portent des

jeunes à occuper et s’installer dans des immeubles des centres-

ville, donnant lieu aux « centres sociaux autogérés ». Issues surtout de ce qu’on dit en Italie « mouvement autonome » (au dehors des organisations de partis politiques où des syndicats), ils

proposent l’organisation d’activités culturelles et politiques gérées collectivement, pour exprimer une résistance au libéralisme et la recherche d’un autre mode de vie. En général, les centres sociaux

ne sont pas refermés sur eux-mêmes mais cherchent à offrir des activités à l’extérieur.

L’excursus sur les différentes expériences européennes pourrait

encore se poursuivre puisque nombreuses villes d’Europe centrale,

septentrionale et méridionale, sont riches d’expériences du squat. 23   Agostino Petrillo, Crisi dell’abitazione e movimenti per la casa in Europa, in TUTracce Urbane. Italian Journal of Urban Studies, n. 1, 2017, in https://ojs.uniroma1.it/ index.php/TU/article/view/13931).

38


Cependant, ce n’est pas l’objet de ce mémoire : les exemples cités

ont pour seul but de rappeler la complexité, le contenu social,

politique et culturel du mouvement des squatters, qui au cours du temps s’enrichit de thèmes et de l’adhésion de sujets sociaux nouveaux, comme les migrants ou les artistes.

Comme les cas emblématiques précédents l’ont montré, le

changement du contexte urbain marque le contenu et la dimension du phénomène des occupations en les diversifiant. Avec le néolibéralisme, l’idée d’une offre de bâtiments publics, à caractère

social, à côté de l’offre privée, est devenue de moins en moins forte, en raison des efforts déployés pour contrôler et réduire les dépenses publiques des pays européens. Une fois de plus, la

conséquence se marque par la réduction de la disponibilité de

logements abordables pour une partie croissante de la population (comme dans le cas des jeunes).

La conséquence des phénomènes décrits est un augmentation de

la gentrification dans la plupart des villes européennes, avec le changement radical de la composition sociale de quartiers entiers24. L’exposition synthétique qu’on vient de faire montre que le squat

actuel est un mouvement qui a pris des connotations de plus en plus

complexes, où les thèmes sociaux, culturels, politiques, artistiques

et environnementaux se mêlent et transforment continuellement la caractérisation du mouvement urbain à la base du squat. En plus, le squat prend des caractéristiques différentes dans les villes où il s’affirme et dans les différents moments historiques. Par exemple,

en Italie et en Espagne -et plus généralement dans le sud d’Europe,

le squat prend surtout la forme des centres sociaux, tandis qu’en Europe continentale et septentrionale, il prend l’aspect des 24   Petrillo in TU-Tracce Urbane- Italian Journal of Urban Studies, n. 1, 2017, https:// ojs.uniroma1.it/index.php/TU/article/view/13931

39


occupations, afin de permettre l’accessibilité à un logement. Structure et taille de la ville, évolution de contexte urbain,

pratiques de participation aux processus décisionnels, organisation et décentralisation régionale de l’État, influencent à leur tour

l’activité des squats. Toutefois, le processus de gentrification qui a touché la majorité des villes européennes, surtout les capitales

et les grandes villes, constitue le contexte nutritionnel dans lequel

le phénomène du squat se renforce. Dans la plupart des villes européennes, y compris Bruxelles, ce processus

aviens avec la

transition de la ville fordiste à la ville postfordiste: dans ce passage, la dynamique urbaine typique de la période industrielle, centrée

sur la construction de quartiers ouvriers, devient substituée par le réaménagement des quartiers centraux et l’expansion incontrôlée des banlieues, dans un progressif procès de sprawl urbain25. Avec

le sprawl les banlieues s’éloignent progressivement du cœur de la

ville, provoquant un risque progressif de formations de ghettos et d’enclaves de population à haut risque d’exclusion sociale, souvent avec des conditions de vie et d’habitation précaires.

25   Nico Bazzoli, L’imborghesimento della città postfordista: gentrification e movimenti sociali, http://www.globalproject.info/it/produzioni/limborghesimento-della-cittapostfordista-gentrification-e-movimenti-sociali/18453, 18/12/14.

40


41


42


I.2.2 L’expérience à Bruxelles L’histoire du squat bruxellois est étroitement liée à la

transformation urbaine de la ville, qui a connu un fort élan,

particulièrement depuis la fin des années soixante. Au cours de ces

années, Bruxelles devient un lieu de localisation des institutions européennes, ce qui encourage un processus d’investissement

immobilier très fort, associé à une transformation postfordiste du contexte urbain. Comme dans les autres villes européennes,

ce processus se caractérise par la croissance des investissements immobiliers et le développement simultané du sprawl, avec une gentrification croissante des quartiers. Particulièrement

depuis

les

années

1970,

l’activité

d’investissement immobilier à Bruxelles augmente au point de

créer ce phénomène connu sous le nom de bruxellisation, terme qui

s’applique désormais à d’autres contextes urbains affectés par le même comportement spéculatif: “Le concept de « bruxellisation »

réfère à un mode de régulation urbanistique toujours d›actualité, caractérisé par des stratégies de gel spéculatif et de dégradation

volontaire de larges ensembles patrimoniaux, entreprises par des promoteurs immobiliers pour faciliter l›implantation d›immeubles

monofonctionnels exclusivement destinés à la fonction tertiaire »26.

Devant la résistance de la population locale, « des îlots entiers 26   SQUATS à Bruxelles : inventaire et géographie, p. 1, www.towards.be/site/IMG/doc/ txt_SQUATS_de_Alice.doc. Voir aussi Thomas Dawance, Squats contre bruxellisation : chronique d’une lutte urbaine, 2003 ; Mathieu Van Criekingen et al., Itinéraire de la rénovation des quartiers anciens à Bruxelles, guide «Hommes et paysages» n° 32, Société Royale Belge de Géographie, Bruxelles, 2001.

43


44

le processus de Bruxellisation


d’immeubles d’habitation étaient acquis et laissés à l’abandon jusqu’à ce que les derniers habitants fuient et que le permis de

construire soit octroyé de guerre lasse. La méthode du pourrissement fut ensuite généralisée à l’ensemble de la ville, où le nombre de

mètres carrés de bureaux a quintuplé en une vingtaine d’années : il est passé de 615 000 m2 en 1949 à 3 300 000 m2 au début des années 1970 »27. La

bruxellisation

est

principalement

tirée

de

l’activité

d’investissement pour la construction de bureaux et de zones d’administration, surtout pour les bureaux de représentation de sociétés internationales et des activités financières.28 La

transformation de vastes zones de quartiers anciens de la ville est décidée et gérée verticalement, avec une approche top-down,

et elle détermine une élimination progressive des populations de

résidents qui se sentent progressivement plus distantes des centres décisionnel s; ce qui a pour conséquence le démarrage de formes d’opposition civile, plus ou moins fortes, avec la naissance d’une multiplicité d’associations et de formes de lutte dans lesquelles le mouvement urbain bruxellois se concrétise.

Certains moments sont importants dans la formation de ce contexte

d’opposition sociale à la bruxellisation, puisqu’ils conduiront dans les années 70 à la formation de squats des bâtiments abandonnés. Une première rupture avec les populations locales peut être

identifiée dans l’opposition au Projet Manhattan, lancé dans les années 70 pour moderniser une vaste zone au nord de Bruxelles. Le projet s’insérait dans un réseau mondial de World Trade Centers, dont les tours Tween Towers de New York constituaient le hub 27   https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruxellisa�on, sans p. 28   41 ans urbanism et lottes urbaines et alors?, Bruxelles en mouvements, Périodique édité par Inter-Environnement-Bruxelles, fédération de comités de quartier et groupes d’habitants, n°274 – janvier / février 2015.

45


le plus important, et représentait l’esprit moderniste, d’inspiration

américain; à Bruxelles, le projet était soutenu par une large coalition entre les autorités de l’arrondissement et la presse29. Cet

événement « roused suspicions that town authorities and building contractors were forcing on the city an architectural and economic

blueprint foreign to its heritage »30 .De plus, très rapidement il y a

eut prise de conscience de l’échec du projet31 : au milieu des années

soixante-dix, seulement trois tours de bureaux, quelques blocs de logements sociaux et un terminal de bus avaient été construits, et ils étaient entourés de grands terrains vacants, coupés du reste

de la ville. Quand plus tard la construction a repris sur initiative privée et étatique, les nouveaux projets ne suivaient plus le plan directeur original de Manhattan.

Au niveau politique, l’échec du projet Manhattan a cimenté la

coalition de comités de quartier. Par exemple, il avait soulevé l’hostilité des habitants expropriés à cause du retard

dans la

préparation de nouveaux logements sociaux qui leur avaient été promis. L’échec du projet

a donc stimulé la croissance du

militantisme des résidents qui s’ est combiné avec des initiatives similaires dans d’autres quartiers ouvriers, et a marqué le point

de départ d’un mouvement à l’échelle de la ville : « Il a fallu 29   C. Den Tandt, Brussels’s “Manhattan Project:” The International Style and the Americanization of European Urban Space, http://www.academia.edu/6700762/ Brusselss_Manhattan_Project_The_International_Style_and_the_Americanization_of_ European_Urban_Space, Université Libre de Bruxelles, (August 2002).

A. Martens, Dix ans d’expropriations et d’expulsions au Quartier Nord à Bruxelles (19651975) : quels héritages ? Brussels Studies, 29, 2009, https://journals.openedition.org/brussels/685 30   C. Den Tandt, p. 1 (trad. : cet événement a suscité des soupçons que les autorités municipales et les entrepreneurs en construction forçaient la ville d’un projet architectural et économique étranger à son patrimoine) 31  Le projet avait attiré moins d’investisseurs privés que ses promoteurs ne l’avaient espéré, et avec la crise pétrolière de 1973, le principal promoteur a fait faillite.

46


photo prise du dossier De Noordwijk - Van krot tot Manhattan http://www.quartiernord.be/docs/de_grote_ stad_een_geplande_chaos.pdf

47


moins de dix ans pour que Bruxelles devienne « la ville aux cent comités d’habitants ». Des comités qui sont parvenus à organiser

une forme de contestation et d’action urbaines inédite, lucide, coordonnée, qui pose publiquement et sans ambiguïté le problème

de la démocratisation des processus de décision. Des batailles essentielles ont été gagnées, dont la portée dépasse le cadre d’un

régionalisme étroit » 32. Selon Culot, cela a été l’effet de différentes composantes , et une de celles-ci est constituée par « les agressions

systématiques dont Bruxelles est l’objet depuis la fin des années 50 : autoroutes urbaines, expropriations massives de zones d’habitat

au profit d’opérations spéculatives (le seul projet du quartier nord nécessite le déplacement de 10 000 personnes, la population du centre historique est passée en quelques décennies de 150 000

habitants à moins de 50 000 aujourd’hui), « pourrissement » des quartiers anciens, déménagement des industries, destruction des espaces verts, etc. »33.

L’action d’activisme urbain prend de l’ampleur et se

développe en 1969 après la bataille des Marolles, quartier ouvrier intéressant un projet immobilier destructeur: ici l’Etat avait projeté d’exproprier toutes les habitations pour étendre les archives du palais de justice… ! Les habitants

de quartier (les Marolliens) ont entamé une

contestation contre les promoteurs du projet de bruxellisation,

donnant lieu à un premier mouvement social urbain, pour sauver

leur quartier. «Dans la rue et à toutes les fenêtres, les calicots crachent des slogans plus explicites que jamais : « On a marché sur

la lune mais on ne marchera pas sur la Marolle », « La Marolle aux 32   M. Culot, La ville aux cent comités d’habitants, Le monde diplomatique, Février 1978, p.18 33   idem

48


photo source Bruxelles Anecdotique https://zineke21174475.wordpress.com/ category/les-marolles/

49


Marolliens », « Luttons pour sauver nos maisons »… Les médias relaient largement les protestations des habitants. … Sous la

pression populaire. … le projet est avorté le 13 septembre 1969 ».

34

Cet épisode représente un moment important dans l’histoire

des mouvements urbains bruxellois, car il constitue un succès

dans l’action de résistance de la population locale aux plans d’aménagement urbain décidés d’en haut et non partagés par la

population. Le succès des actions menées par les mouvements sociaux urbains alimente un domaine de sensibilité croissante vers

la ville et sa croissance, le logement et le droit au logement, la participation civile aux décisions regardant la vie de la ville35.

D’autres quartiers de Bruxelles sont le théâtre de contestations

urbaines comparables à celles qu’on vient de décrire pour le quartier nord et pour les Marolles. Par exemple, le quartier Léopold ou celui

de la Gare du Midi, intéressés à un intense procès d’urbanisation même contre l’acceptation des habitants du quartier et avec des résultats contradictoires sur le plan économique et social 36

La progressive réaction de la population locale contre les projets

d’urbanisation a porté à la constitution de différents comités jusqu’à faire devenir Bruxelles « la ville aux 100 comités de quartiers »37.

Les mouvements ajoutent de nouveaux sujets à la discussion sur la ville, sur son organisation et son développement, tels que le 34   35   M. Culot, La ville aux cent comités d’habitants, Le monde diplomatique, Février 1978 36   Par exemple, pour la gare du Midi le dernier projet d’urbanisation a porté « 20 années de menaces, de spéculation, de procédures, de promesses non tenues sur le plan social, pour que les autorités publiques viennent à bout des expropriations nécessaires à leur projet. … la reconstruction du quartier n’est pas encore totalement achevée et aucun des 300.000 m2 de bureaux construits n’a été occupé par une seule société internationale venue s’installer à Bruxelles », voir 40 Ans de lutte urbaine, cit., p. 18 37   40 Ans de lutte urbaine, cit., P.34

50


thème de l’environnement ou de l’inclusion sociale, de plus en plus important face au flux migratoire et au phénomène croissant de

la pauvreté urbaine. Face à la croissance du mouvement urbain, les mesures de concertation sont souvent retenues insuffisantes,

surtout par les nouvelles générations ayant grandi dans un climat de démocratie participative, cependant jugé insatisfaisant.

C’est dans ce contexte social qui vient d’être décrit que le squat

prend de l’élan, surtout à partir des années 90 : « C’est en général

à ces pratiques (d’urbanisation) que les squats s’opposent, même si cette revendication purement «urbanistique» se double, selon les

cas, d’autres considérations – droit au logement, réappropriation de l’espace, défense des sans-papiers, etc.»38.

Comme d’autre

mouvements sociaux urbains, le squat montre « une logique d’économie sociale locale et une insertion dans le quartier et dans

la ville par toutes sortes d’activités, et une critique urbanistique du lieu ... avec l’intention de résister aux projets urbanistiques

qui justifiaient que ces bâtiments soient vides, sans compter les menaces d’expulsion… ! »39

Il n’existe aucune source statistique fiable concernant le nombre

de squats à Bruxelles, ni une histoire complète de ces expériences comme mouvement social urbain ou comme réponse individuelle

au manque de logement. Toutefois, la littérature disponible met

en évidence le fait qu’il y eut à Bruxelles une grand quantité d’occupations illégale, sans contacts et droits, à cause du grande 38   Alice Romainville, SQUATS à Bruxelles : inventaire et géographie, www.towards.be/ site/IMG/doc/txt_SQUATS_de_Alice.doc 39   Solidarité « froide » et « chaude », autogestion et gestion de l’exclusion

dans des squats à Bruxelles, propos de Thomas Dawance recoltés par Namur Corral et Jean Claude Mullens, in Action, quoi !, 9 mars 2011, http://www.iteco.be/revue-antipodes/De-l-individuel-au-collectif/Actionquoi

51


nombre d’individus affectés de diverses manières par des difficultés

d’accès au logement. Ces occupations pouvaient être individuelles, clandestines

et

isolées,

ou

reposer

sur

des

organisations

collectives40. Pour Dwance, les occupations rejoignent un nombre

important et « … sont alors bien plus qu’un refuge éphémère et

permettent d’expérimenter de nouveaux modes d’habiter dans un

processus participatif et revendicatif »41. Toutefois, les informations

disponibles sont limitées et la limitation est d’autant plus forte que l’on recule dans le temps, en raison du terrain juridique flou dans lequel se trouve le mouvement d’occupation des immeubles.

Sur la base d’une multiplicité d’informations fragmentaires

disponibles, il semble que le mouvement urbain du squat a comme point de départ l’occupation de l’Hotel Central à la Bourse en 1995 ; cet événement est considéré comme étant un moment

très important de convergence de différents acteurs sociaux et de différentes idéologies, qui a comme conséquence cette première action opérative d’occupation. Dans les années de son commencement

et jusqu’à la fin des années ’90, le squat est

surtout orienté à l’occupation d’espaces vides par des collectivités

de protestation urbaine qui ont pour premier but de contester la

typologie du développement urbain de Bruxelles ; les actions sont finalisées au soutien de la protestation des habitant des quartier différents, et en même temps elles visent à lancer des initiatives pour la revitalisation des quartiers population sur le thème du

et la sensibilisation de

la

développement urbain. Le modèle

suivi a le Centre Social comme point de référence, sur la base des

expériences conduites en Espagne et en Italie. A partir de la seconde moitié des années 2000, les informations disponibles montrent 40   T. Dwance, Le squat collectif autogéré, une réponse à la crise urbaine, La Revue Nouvelle, Février, 2018 41   Ib. p.31

52


un intérêt du mouvement aussi vers des formes d’habitations

collectives répondant à l’urgence de trouver un logement à coût acceptable de la part d’ une population aux moyens économiques

limités, ou sans droits comme dans le cas des sans-papiers, ou encore avec des besoins de pratiquer des modèles de vie alternative

au modèle capitaliste et individuel dominant. Plus récemment, les thèmes environnementaux unis au besoin de réappropriation des espaces urbaine peu ou mal utilisé, s’est étendu aussi aux formes

d’occupation d’espaces vides pour créer des jardins, des potagers, ou simplement pour améliorer le contexte urbain. Le prospect suivant

offre une synthèse des principales actions du squat à

Bruxelles sur la base des sources disponibles42.

42   Informations dérivant surtout de 40 ans de lutte, cit. et de l’occupation temporaire des bâtiments vides, cit.

53


TIMELINE 1995 : Hôtel Central, à la Bourse, penché sur

des exemples étrangers comme celui des squats

berlinois. Avec cette action, autour d’une question

urbaine qui regardait 34 hectares vides en centreville, s’est rassemblé un milieu culturel bruxellois

néerlandophone et francophone, des squatteurs, des urbanistes, des individus non organisés, qui allaient

marquer le débat urbain pendant les deux décennies suivantes , et expérimenté des pratiques encore peu

répandues à Bruxelles. Il est considéré comme étant le point de départ du mouvement urbain à Bruxelles43

1996 : occupation d’un terrain vague sur le

boulevard Jacqmain (actuel Théâtre national) par la Fondation Legumen, qui y installe un potager

1997 : convention d’occupation précaire d’une

salle vidée du centre-ville abandonnée par une banque et création du Cinéma Nova, qui

depuis

1998 organise chaque été le festival PleinOPENair, pour mettre en lumière des enjeux urbains

1998 : occupation d’un ancien bâtiment des

Mutualités Socialistes dans le centre ville de

Bruxelles, rue Philippe de Champagne, pour y développer des activités politiques et culturelles. Il

sera vite évacué par la police. Quelque mois après,

occupation du numéro 4 de l’avenue de la Porte 43   From Hotel Central to Picnic the Streets: small panorama of urban activism in Brussels, 4/1/2016, http://community.dewereldmorgen. be/blog/lievendecauter/2016/01/04/from-hotel-central-to-picnicthe-streets-small-panorama-of-urban-activism-in-brussels


de Hal par le Collectif Sans Nom, pour reprendre le projet de « Centre Social », sur la base des expériences de centres sociaux autogérés en Italie et

en Espagne. Le Collectif Sans Nom sera expulsé en début septembre 1998. 44

2001: occupation symbolique du buffet de la gare

à la place du Luxembourg par le collectif BruXXel

pour soutenir le combat des habitants contre les projets d’extension des bâtiments européens.45

2003 : occupation de l’Hotel Tagawa, situé sur

l’avenue Louise, au n° 321. En février 2003, après

12 ans d’inoccupation du lieu. Cette occupation, qui se termine en 2007, a aussi le but du présenter

à l’opinion publique la question du respect du droit au logement de tous. L’occupation donne lieu à la création d’une asbl (321 Logements), qui

dialogue avec le propriétaire et les pouvoirs. Près de 200 personnes (près de 60 simultanément) ont

eu la possibilité d’obtenir un logement accessible

et un mode moins individualiste. Quand en 2007 un jugement est prononcé, le juge reconnaît

l’occupation comme légale jusqu’à la réclamation du propriétaire46

44   https://www.semiraadamu2018.be/1998-2/?print=print 45   D. Couvreur, Quartier européen Occupation symbolique

place du Luxembourg Au buffet de la gare de BruXXel PROGRAMME, 16/10/2001, http://www.lesoir.be/archive/

recup/%252Fquartier-europeen-occupation-symbolique-place-duluxemb_t-20011016-Z0L1U5.html 46   L’occupation temporaire de bâtiments vides. Solution d’urgence et modèle pour l’avenir, Dossier trimestriel du RBDH, n. 51, 2013


2005 : à partir de l’obtention de la gestion de

deux logements voués à la démolition appartenant à la SISP Sorelo, des conventions d’occupation temporaire entre Convivence/Samenleven et les

occupants ont été signées, grâce à la reconnaissance de la forte insalubrité de leur domicile d’origine.

Après la démolition des bâtiments, en 2008 deux autres logements d’urgence sont aménagés à en 2012 remplacés par un autre situé à 1000 Bruxelles47.

2007 : occupation par 65 habitants du siège du

Ministère de l’enseignement, le bâtiment situé 123

rue Royale, abandonné par la Région Wallonne. Les squatteurs se sont constitués en association, l’asbl Woningen 123 Logements (anciennement «

321 Logements »), et après 48 heures d’occupation

illégale, ils concluent avec le propriétaire (la Région wallonne) un accord, qui prévoit un préavis en cas

d’expulsion et permet aux squatteurs de concrétiser des projets48. « Cette convention est une première par

la taille de l’institution, mais surtout vu le contenu résolument social de la convention. En effet, elle fixe la gratuité de l’usage et limite le paiement des

charges à leur moitié. Elle détermine aussi une durée

de préavis de six mois là où les contrats de bail en prévoient trois, tandis que les sociétés commerciales

de gardiennage la limitent souvent à 15 jours …. De

plus, celui-ci ne peut prendre effet que si la Région 47   idem 48   http://www.bxlbondyblog.be/vie-squat-bruxelles/ Le squat, un monde pas comme les autres , Bruxelles Bondy blog, 4 décembre 2014


wallonne décide de le vendre ou obtient un permis

d’urbanisme. Le principe d’un accompagnement associatif est également convenu »49.

2009 : occupation du Cloître du Gésu, qui avait

déjà été occupé en 2007 pour un mois et demi (nommée La Comète), à la suite de l’expulsion du Tagawa. L’occupation trouve un support par Unions des Locataires des

les

Marolles et de Saint-

Gilles, qui reconnaissent l’urgence sociale des

occupants : « En grande majorité très précaires, ce sont ainsi beaucoup de sans-abris, de sans-papiers, et d’étrangers au parcours difficile qui trouvent refuge

dans cette ancienne congrégation jésuite. Cette

occupation est coordonnée par un agent contractuel subventionné (ACS) pour plus de 150 habitants et

par l’implication de quelques autres asbl actives dans le quartier »50. En 2011, les occupants signent

avec le propriétaire une convention d’occupation temporaire (la fin est prévue à en 2013)51.

2009 : occupation du Rue des Plantes à Schaerbeek,

qui représente la première initiative d’occupation

poussée par le propriétaire, la coopérative E.MM.A, qui propose à W123L et à la FéBUL l’occupation du bâtiment qu’elle vient d’acquérir. Une partie

du bâtiment était déjà occupée, mais le reste était

l’objet de travaux de remise à neuf et attendait la fin des démarches administratives nécessaires aux 49   L’occupation temporaire, cit., p.13 50   L’occupation temporaire, cit., p. 14 51   idem


travaux.La coopérative propose donc que les cinq appartements disponibles soient occupés sous le

régime de la convention avec une fin de l’occupation à Juin2010. Toutefois, les occupants ont passé quatre années dans les cinq appartements en terminant

l’occupation en 2013, et le relogement des occupants dans des logements privés. Cette expérience est

importante pour sa modalité de réalisation, qui a intéressé aussi les médias dans le but de convaincre la commune de Schaerbeek à accepter l’initiative, et

elle

encouragera

aussi

d’autres

initiatives

d’occupation similaires, comme celle de la rue du Progrès52

2009 : occupation avec contrat d’un bâtiment qui

devait à terme être démoli dans le cadre de l’extension

du chemin de fer Rue du Progrès. L’initiative est encouragée par Infrabel et le commune de Schaerbeek

et vise à éviter du squat sauvage, le vandalisme et l’insécurité pendant l’attente et lors des travaux. L’asbl

W123L, soutenue par la FéBUL, prend en

charge les occupations, qui sont gérées par une

convention entre l’opérateur public et l’association en charge de l’encadrement et du suivi des habitants

et des futurs occupants, dont l’attribution s’est faite pour moitié par W123L, et pour le reste par l’Union des Locataires Quartier Nord.

En 2011, le projet est étendu à la poissonnerie

du quartier ainsi qu’à huit maisons supplémentaires. 52   idem


Au fur et à mesure que les maisons sont expropriées,

W123L les prend en charge et leurs habitants sont dans la mesure du

possible intégrés au projet

d’occupation plutôt que d’être dans l’obligation de partir. Le nombre d’occupants est toujours plus important et l’asbl obtient le financement par

Infrabel d’un accompagnateur, pour la gestion du projet ; en même temps la durée du préavis pour

terminer l’occupation est rallongée (de trois à six mois) pour permettre aux habitants de se reloger53.

2010 : Foyer Etterbekois (CPAS /Commune

d’Etterbeek). Une convention est signée avec l’accord

de la SLRB entre la commune d’Etterbeek, le CPAS, et le Foyer Etterbeekois. La convention a été signée sur

base d’un prêt à usage pour huit appartements et pour une durée de trois ans tacitement reconductible54.

2010 : occupation de 52 maisons qui se

libérèrent au fur et à mesure de l’attente de travaux.

L’occupation est sollicitée par la SISP Ieder Zijn Huis

et FéBUL sur la base d’un projet de convention au

but inspiré de celle du 123 rue Royale. Après la mise sur pied d’un groupe de travail spécifique par le

Secrétaire d’État au logement, l’organe de tutelle de

SISP (SLRB) adopte sa propre convention type pour la proposer à l’attention de l’ensemble des SISP de la

Région. « La réflexion politique de la SLRB va donc

plus loin que le simple accord de principe donné à 53   idem 54   Le prêt à usage, ou commodat, est déterminé par son

caractère essentiellement gratuit, idem p.19


Sorelo quelques années plus tôt. En juin 2010, la

SLRB accepte enfin que l’occupation commence dans deux des maisons de l’avenue Villon (Evere). Le

projet prend le statut d’expérience-pilote et définit

les grandes lignes d’une structure d’encadrement des occupations temporaires dans le logement social »55. 2010 : le Foyer Forestois propose à FéBUL et

à W123L l’occupation temporaire du site dit des

«blocs jaunes » (à Forest) alors que les travaux sont programmés et que la plupart des locataires ont déjà

été relogés. Il faut plus d’un an de négociation pour faire accepter à la SISP le principe d’occupation, avec la conséquence que de nombreux logements ont été vandalisés, rendant l’investissement nécessaire à

leur réaffectation trop important pour l’association

et les futurs habitants. Néanmoins, des logements, protégés par la présence des habitants, étaient dans un état relativement bon et l’occupation débute

en décembre 2010, même s’il y a un conflit sur le

respect du Code du Logement entre l’architecte du

SLRB et le technicien de l’AIS Quartiers56. A la fin du

2017 les travaux n’étaient pas encore commencés et l’occupation était encore en pied57

55   Ibidem, p. 15 56   idem 57   R. De Wulf, Forest: Les blocs jaunes en chantier, DH.BE, 12/10/2017, http://www.dhnet.be/regions/bruxelles/forest-lesblocs-jaunes-en-chantier-59de5c5fcd70be70bcef1039


2013 : l’ASBL Communa conclue

un contrat

d’occupation temporaire portant sur un immeuble de bureaux en attente de permis d’urbanisme. Une

quinzaine d’habitants ont occupé l’immeuble situé

dans le quartier de l’université et y ont développé,

pendant plus de 6 mois, de nombreuses activités culturelles

(théâtre,

expositions,

débats,

etc.)

Aujourd’hui, le contrat a pris fin et les habitants ont quitté le lieu, dans le respect des délais prévus58

2013 : occupation d’ une maison de la cité Volta

de propriété du Foyer Ixellois. L’occupation a été conduite face à l’urgence de l’arrivé de l’hiver par le collectif Leeggoed, qui rassemble plusieurs

associations et une quinzaine de personnes à la recherche d’un logement ;

après un effort sans

succès, elles obtiennent le permis d’occupation temporaire par le propriétaire. Après une expulsion,

sous l’impulsion du Secrétaire d’État au logement, le Conseil d’Administration du Foyer Ixellois rend un avis favorable à l’occupation de trois appartements59

2013 : la commune de Forest rencontre le CPAS

du Foyer Forestois dans un objectif qui vise à

octroyer la convention d’occupations temporaires,

pour pallier le manque de logements d’urgence et éviter le relogement des habitants dans un hôtel. 58   40 ans cit. 59   L’occupation temporaire, cit.


2014 : non loin de l’observatoire d’Uccle, vivent 10

locataires dans une villa de l’avenue des Statutaires. Cette maison était auparavant laissée vide par le

propriétaire ; des membres de l’ASBL Communa l’ont contacté afin de réaffecter le lieu, pour héberger ces

personnes à la recherche d’un logement à un prix

abordable. Uccle: Un squat légal pour lutter contre les logements vides, 03 mars 201660,

2018 : 10-15 habitations ont été répertoriées,

sans compter les squats discrets61

60   http://www.dhnet.be/regions/bruxelles/uccle-unsquat-legal-pour-lutter-contre-les-logements-vides56d757793570ebb7a8e8480c

61   L. d’Estienne d’Orves, Le squat, une solution à la crise du logement ? – FPS 2018, Castellano, 2018, http://www. femmesprevoyantes.be/wp-content/uploads/2018/06/Analyse2018-squats. pdf et http://www.bxlbondyblog.be/vie-squat-bruxelles/

L’histoire fragmentaire et incomplète reconstruite montre

l’augmentation d’importance du phénomène du squat qui a progressivement acquis une nature « institutionnelle », à travers les contrats d’occupation temporaire, qui ont graduellement intéressé

des institutions publiques et des agents sociaux. Face au la manque d’offre d’habitations sociales, il émerge une certaine tendance à remplacer cette manque avec des formes alternatives, comme le contrat d’occupation. Néanmoins, le squat a aussi été l’ objet de

la récente loi anti squat. C’est donc l’évidente ambigüité de l’Etat et des agents publics envers le mouvement du squat, puisqu’il est

évident que la loi anti-squat peut ralentir le procès qui porte à la définition des contrats d’occupation.

62


63


64


I.3. Le squat liĂŠ au cadre social fragile de Bruxelles

65


une tente de sans-abri Ă la sortie de metro Horta, Saint Gilles

66


I.3.1 Squat, pauvreté et risque d’exclusion sociale « Le pauvre doit vivre illégalement ou mourir légalement ! »62 Définir le squatter est une opération très difficile compte tenu

de la multiplicité d’aspects que le phénomène présente, même s’il est limité à un spécifique contexte urbain et en particulier, à celui

de Bruxelles. La complexité du phénomène est due à la multiplicité des projets qui motivent l’action des squatteurs: de la recherche

d’un logement à des conditions économiques abordables jusqu’à

l’adhésion aux idéaux politiques critiques du modèle capitaliste de vie, en passant par la recherche d’un modèle communautaire de

vie alternative à l’individualisme prévalant dans le contexte urbain contemporain63. Face à cette complexité, la réaction politique au phénomène peut être très différenciée et également complexe:

d’une tacite acceptation du phénomène, à l’effort de le reconduire dans une dimension de légalité grâce à la convention d’occupation temporaire, jusqu’à la récente loi anti-squat.

Si définir le squatteur n’est pas chose aisée, il est encore plus difficile

de donner une évaluation quantitative du phénomène, puisqu’ en Belgique, comme pour toutes les autres formes de sans-abrisme, il existe très peu de chiffres officiels. De fait, comme dans les autres

pays d’Europe, le manque en Belgique de données certaines est dû à la difficulté de définir le sans-abrisme64, vu les différentes

formes de ce problème et les difficultés de rencontrer les personnes 62   L’abbé Pierre dans DAWANCE Thomas, Le squat collectif autogéré, une réponse à la crise urbaine, dans la Revue nouvelle, février 2008, 30-41p. 63   Hans Pruijt 2011, The logic of urban squatting 64   Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, http://www. luttepauvrete.be/chiffres_def_sans_abri.htm

67


touchées. En conséquence, pour les squatteurs, au bord de

l’illégalité, la récolte des informations est encore plus difficile. Les chiffres disponibles sont des estimations qui donnent uniquement

une idée générale de la problématique du sans-abrisme et du squat ; cependant le nombre réel est bien plus élevé. Pour avoir une idée,

le tableau XX transmet la portée du phénomène, qui a augmenté

en manière très sensible en deux ans seulement d’observation, de 2014 à 2016. Les deux formes d’occupations négociées et du squat

ont eu une croissance respective de 42,5% et de 39,1% par rapport à 2014. De plus, avec un nombre total de 862, ils constituent

le groupe le plus nombreux, encore plus relevant que celui des

maisons d’accueil. Bien qu’ approximatives, les données donnent l’image d’un phénomène très relevant.

Tableau 1 – Évolution du nombre de personnes dénombrées par la

Strada lors des dénombrements 2014-2016 en Région bruxelloise, par catégorie. N2014 = 2.603; N = 3.386

tableau 1 Source: Mondelaers Nicole (2017), Double dénombrement des sans abri et mal logées en Région de Bruxelles-Capitale -7 novembre 2016/6 mars 2017, Centre d’appui du secteur bruxellois de l’aide aux sans abri-la Strada, figure 3, p. 25 in http://www.luttepauvrete.be/chiffres_sans_abri.htm

68


À tous égards, le phénomène du squat est lié au thème de la

pauvreté urbaine et au risque d’exclusion sociale. Entre autres, le squat naît de la difficulté d’obtenir une habitation fixe qui est un élément crucial dans la stabilité de vie d’un individu. Cette difficulté est, en elle-même, un des éléments le plus évidents du

risque d’exclusion sociale de cette partie de la population. Ainsi, les squatteurs manquent d’une habitation fixe et même dans l’acte

de squatter, comme acte qui n’est pas reconnu, ils confirment la précarité de l’habitation -et donc, la précarité de vivre. Comme

il a été observé par Noémie, une squatteuse de 29 ans, qui grâce

au squat a pu construire son indépendance de vie et de travail: « … vivre en squat, c’est quand même vivre dans l’instabilité permanente. Après avoir investi un lieu, il faut souvent déménager et en trouver un autre »65 .

La crise financière et économique qui a investi l’Europe à partir

du 2009 a créé une situation où plus de gens sont sans logement, alors que le nombre de bâtiments appartenant à la minorité des propriétaires reste vacant, en attente de hauts rendements. Le

«marché» ainsi que le système politique et juridique favorisent ces propriétaires et stigmatisent ceux qui luttent pour trouver un

abri. Dans cette situation, occuper illégalement devient une des possibles réponses de la part d’une population économiquement faible.

La crise migratoire, qui intéresse les pays de l’Union

européenne, est également un autre aspect qui fait croître le phénomène des sans-abri. Un grand nombre de personnes ayant besoin d’une protection internationale arrivent dans l’UE pour y demander l’asile. Les pays de l’Union européenne n’ont pas une politique commune de reconnaissance de droits

migratoires et

65   F. Eveno, Quand squatter à Bruxelles rime avec abondance urbaine, Vice, 11/6/2018, in https://www.vice.com/fr_be/article/gymnzq/quand-squatter-a-bruxelles-rime-avecabondance-urbaine

69


cela amène une migration irrégulière66. Comme l’on verra dans

un des terrains67, les sans-papiers et les demandeurs d’asile qui

vivent à Bruxelles sont nombreux et représentent aussi un aspect important du sans-abrisme. Dans cette situation l’occupation d’un immeuble vide est une alternative. L’actualité bruxelloise est témoin depuis quelques années de ce phénomène. Par exemple, en

2014, Molenbeeck-Saint-Jean a vu l’occupation d’un bâtiment de la part d’une centaine d’immigrés sans papiers68. Ou, en 2018 : « une

centaine de membres du collectif la Voix des Sans-Papiers a investi

samedi soir l’aile vide d’un internat situé rue Victor Rousseau à Forest.

Plus tôt dans la journée, le groupe avait dû quitter un hôtel désaffecté du centre-ville qu’il occupait depuis fin 2017. Faute de solution de ré-

hébergement, il a dû se résoudre à occuper un nouveau bâtiment à Forest sans l’aval de son propriétaire»69.

Donc, pauvreté et risque d’exclusion sont certainement liés

au phénomène qu’on observe, comme cela a été analysé par le

Service de Lutte contre la Pauvreté : la précarité et l’exclusion sociale de « certaines personnes en situation d’extrême pauvreté (qui) n’ont pas d’autre solution pour trouver un toit que d’occuper des immeubles vides »70.

66   Entretien avec Simon de La Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés, le 2 Février 2018 67   Dans, II.1. Squat d’urgence. La ville qui exclut, p.XX 68   BELGA, Ouverture d’un squat politique de sans-papiers à Molenbeek, dans l’avenir. net, publié le 8/7/2014, https://www.lavenir.net/cnt/dmf20140708_00500900 69   BELGA, « Une centaine de sans-papiers retrouvent un logement à Forest mais sans autorisation », dans Le Soir.be, mis en ligne le 3/03/2018 à 21:53, http://www.lesoir. be/143384/ar�cle/2018-03-03/une-centaine-de-sans-papiers-retrouvent-un-logement-forestmais-sans 70   Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l ’exclusion sociale, Rapport bisannuel 2016 – 2017, Citoyenneté et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, p.98

70


I.3.2 Location, pauvreté et exclusion sociale à Bruxelles Comme susmentionné, si

’on considère le squat comme un

aspect lié au risque de pauvreté et d’exclusion sociale, il faut se demander quel est le contexte général de Bruxelles à la base de ce phénomène. À ce propos, selon les statistiques définies par le

système statistique européen Eurostat71, en 2017, 15,9 % de la

population en Belgique était considéré comme population à risque sur le plan de la pauvreté72.

Si l’on examine d’autres données, on peut constater qu’il y a une

relation entre pauvreté et logement : pour la Belgique entière, le risque de pauvreté est relevant pour les locataires (36,2%) et il est

significativement plus élevé comparé au risque moyen de l’Union

Européenne (27,6%).73 En plus, dans les quinze dernières années,

la menace pour les locataires a augmenté (tableau 2). Les données soulignent indirectement l’existence d’une difficulté économique dans l’accès au logement pour la Belgique.

71   Eurostat considère à risque de pauvreté le sujet avec un revenu net qui est <60% du revenu net moyen du pays 72   EU-SILC (Statistics on Income and Living Conditions), 17/5/2018 https://statbel. fgov.be/fr/themes/menages/pauvrete-et-condi�ons-de-vie/risque-de-pauvrete-ou-dexclusionsociale). 73   EU-SILC (Statistics on Income and Living Conditions), 2016

71


tableau 2 source: http://www.lalibre.be/actu/belgique/pauvrete-le-fosse-se-creuse-entre-leslocataires-et-les-proprietaires-5919adfbcd702b5fbe95968b

A Bruxelles, les études disponibles sur la pauvreté soulignent que

le risque de pauvreté est, en termes généraux, encore plus relevant que celui présenté par l’entièreté du pays. En 2017, environ un

tiers des Bruxellois (31%) disposent d’un revenu inférieur au seuil de risque de pauvreté74. Pour Bruxelles, donc, le risque pour les

locataires s’élève au double si on le compare au reste du pays. En conclusion, dans la Capitale, il y a un risque significatif de pauvreté

et d’exclusion sociale, qui constitue une donnée importante pour comprendre la présence du phénomène du squat à Bruxelles.

74   Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles, Baromètre social : près d’un tiers des Bruxellois sous le seuil de risque de pauvreté, in BXL, 14/11/2017 https://bx1.be/ news/barometre-social-pres-dun-�ers-bruxellois-seuil-de-risque-de-pauvrete/

72


le passage Gare du Midi hĂŠberge nombreaux sans-abris

73


74


I.3.3 Nombre limité de logements sociaux et habitations vides 75

Pour en revenir au thème du squat, à la base du phénomène, il

y a la pauvreté et la faiblesse sociale d’une partie de la population,

qui demande une habitation à prix accessible. Toutefois, il est aussi évident que la présence de plusieurs aspects concomitants

l’influencent. Entre autres, il y a l’offre insuffisante de logements

sociaux par rapport à la demande des locataires, et l’existence

d’habitations vides disponibles. Ce sont des éléments qui jouent en faveur des squatteurs.

La tabeau 3 montre, qu’en Belgique pour l’année 2015, l’offre

d’habitations sociales a une valeur plutôt contenue en comparaison à d’autres pays développés.

Pour Bruxelles la situation ne diffère pas du reste du pays: on

registre un déficit de logements accessibles financièrement pour les

personnes à bas revenus et en même temps il y a aussi une manque de logements sociaux. Cet aspect est évident dans la tableau 4, qui montre que, pour les années 2012-2016, la liste d’attente de

demandeurs de locations sociales est très longue et elle montre une augmentation :

75   Ce paragraphe a été rédigé à partir des données recueillies dans Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l ’exclusion sociale, Rapport bisannuel 2016 – 2017, Citoyenneté et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, internet rapport

75


tableau 3 source: Pourcentage de logements sociaux loués par rapport au marché total du logement, certains pays membres de l’OCDE, 2015

OCDE, La base de données sur le logement abordable dans http://www.luttepauvrete.be/chiffres_logements_sociaux.htm

tableau 4 : Nombre de logements sociaux loués et de ménages sur liste d’attente, 3 Régions, 2012-2016 Source : sur base du tableau dans : Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale (2017). Citoyenneté et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques. Rapport bisannuel 2016-2017, p. 93 dans http://www.luttepauvrete.be/chiffres_logements_sociaux.htm

76


Face à l’évident manque d’habitations à prix accessible, on

registre une large disponibilité d’immeubles publics et privés qui

restent inoccupés pour longtemps. À Bruxelles-Capitale l’on estime que 15.000 à 30.000 logements sont inoccupés76. La situation est

encore pire selon le Rassemblement Bruxellois pour le droit à l’habitat (93000 logements vides, 1/5 du parc immobilier régional).77

La grande quantité d’immeubles vacants ne peut pas être justifiée par l’inoccupation structurelle des logements en attente ou en cours de rénovation, ou par l’inoccupation temporaire entre

deux déménagements. Les communes peuvent utiliser plusieurs instruments législatifs pour combattre l’inoccupation (primes

de rénovation, droit régional de préemption, droit de gestion

publique pour longue inoccupation, etc.). Malgré l’existence de deux outils fiscaux coercitifs pour lutter contre la vacance immobilière78, ces solutions restent des mesures impopulaires qui

ont des répercussions sur le niveau de consensus et de votes dans les élections administratives et politiques.

L’occupation et le squattage d’un immeuble vide sont des

possibles réponses au besoin d’habitation d’une population

faible au niveau économique : « certaines personnes en situation

d’extrême pauvreté n’ont pas d’autre solution pour trouver un toit que d’occuper des immeubles vides. Parfois pour une très courte période, mais parfois en s’installant dans la durée »79.

Le squat peut offrir un logement pour la vie privée, mais, très

souvent, aussi un espace de travail qui ne serait pas accessible avec 76   Communa, http://www.communa.be/missions/ 77   RBDH, Bruxelles ignore tout de « ses » locataires… Et surtout des plus pauvres!, Dossier trimestriel,01-02-03 2015, p. 4, http://www.le-forum.org/uploads/images/etude_rbdh. pdf 78   une amende administrative régionale et une taxe communale 79   Service de lutte contre la pauvreté, La précarité et l ’exclusion sociale, Rapport bisannuel 2016 – 2017, Citoyenneté et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, p.99

77


une location de marché . Sous ce côté, même si précaire, comme

observé dans les interviews du terrain, le squat représente un aspect très relevant d’intégration sociale pour une population à risque

d’exclusion : la possibilité d’organiser un travail souvent en propre dans l’espace du squat, comme l’on verra dans la recherche sur

terrain des pages suivantes, c’est un élément très important pour l’intégration des sujets qui prennent le difficile choix de squatter.

78


79


80


I.4 La perception du squat entre apparence et rĂŠalitĂŠ

81


Communa lors d’une nouvelle ouverture d’une occupation temporaire: tout le quartier a été invité à participer au projet. Saint-Gilles, 2017

82


I.4.1 Apparences vs réalité ?

« Pourquoi je le fais ? Ben, j’adore les idéaux et les motivations qui

sont derrière le squat et le fait de vivre ensemble. Maintenant, je ne

pourrais plus vivre toute seule. C’est vraiment hyper chouette l’idée de rentrer chez moi et il y a toujours des copains qui sont là, mais nous avons aussi nos espaces personnels. Bien évidemment, c’est aussi pour

motivations financières : je n’ai pas le moyen de payer un loyer, je gagne que 800 € par mois et je n’ai pas envie de mettre tout mon argent dans un loyer. C’est vraiment contre mes principes. »80

En général, comme l’on peut s’attendre d’une société et d’une

culture qui a à la base la liberté individuelle, la défense des règles du marché et de la propriété privée, le contexte bruxellois est

évidemment plus orienté à protéger le droit de la propriété plutôt

que le droit d’avoir un logement. Dans le cas spécifique du squat, les deux droits sont apparemment en conflit. Si le squat a comme point de départ une occupation abusive d’un lieu de propriété, privée

ou publique, c’est normal rencontrer une démarche qui mire à

stigmatiser le squat à travers des lois plus dures envers les squatteurs. Il n’est pas donc surprenant qu’une progressive affirmation de

cette approche ait porté à la récente loi, voté le 5 octobre 2017 par le Parlement Fédéral, pour rendre pénalement répréhensible

l’occupation d’un immeuble sans l’accord du propriétaire. Avant la loi anti-squat, les propriétaires d’un immeuble abusivement occupé

avaient déjà la possibilité de libérer l’immeuble, aujourd’hui la

nouvelle loi durcit et affirme une radicalisation sur le jugement des squatteurs. La loi est le résultat des années de débats sur une 80   Entretien avec Vick, le 12 Décembre 2017

83


multiplicité de thèmes qui touchent ce phénomène. A ce propos: « nombre de questions politiques et sociales sont concernées par cette

pratique : politique de la ville, spéculation immobilière, accès au

logement, pauvreté et précarité, morphologie des quartiers, rapports de proximité, sécurité etc. Dès lors, on le devine aisément, il n’y a pas

de discours unifié sur le sujet et c’est dans le conflit et la pluralité de voix que la pratique du squat a soudain été envisagée comme un «

problème social » tout d’abord, un problème social « inacceptable »

ensuite, pour enfin devenir une infraction à part entière »81. Le débat

politique et législatif sur le squat dépasse les confins du Belgique pour intéresser une bonne nombre de pays Européennes, avec des

positions différentes, plus ou moins fortes contre le squat et pour protéger le droit de propriété privé de l’appartement : par exemple, en France la loi est surtout centrée sur la possibilité de libérer

rapidement l’immeuble, au Royaume Uni le squat est une infraction pénale et au Danemark, il est pénalisée pour les habitations civiles mais il est admis pour les bureaux à condition qu’un espace soit vide depuis plus de six mois82. En général, on peut observer que

dans le dernières années il y a une radicalisation contre le squat dans la plupart des pays européens.

« Quand tu rentres chez nous, ce n’est pas comme l’image des squats

que les gens ont d’habitude, limite c’est vraiment comme rentrer dans

une collocation. On s’est choisi mutuellement, on n’habite pas avec 81   M.-S. Devresse, La pratique du Squat aujourd’hui pénalisée en Belgique. Retour sur un débat parlementaire, Cahiers du Crid&p, février 2018, sans p.. https://uclouvain.be/ fr/ins�tuts-recherche/juri/cridep/actualites/la-pra�que-du-squat-aujourd-hui-penalisee-enbelgique-retour-sur-un-debat-parlementaire.html#_�n8 82   Amende et peine de prison : en Angleterre, le squat devient un délit, https://www.

nouvelobs.com/rue89/rue89-monde/20120901.RUE2157/amende-et-peine-de-prisonen-angleterre-le-squat-devient-un-delit.html La stigmatisation des squatteurs dans les médias catalansAnalyse critique du discours d’éditoriaux et d’articles de presse, French Journal for Media Research, 4 2015, http://frenchjournalformediaresearch.com/index.php?id=516#tocto2n1

84


n’importe qui »83. L’image donnée par Vick donne l’inverse de la

radicalisation de la vision négative du squat qui a été bien résumé par l’Union des Locataires de Saint-Gilles asbl : « L’imaginaire collectif les conçoit comme des drogués alcooliques sans abri, voire

sans papiers, qui occupent en groupe d’infâmes logements coupe-gorge

honteusement délabrés pour s’oublier dans le néant du non-agir et s’évader par les drogues. Mais, cette caricature dessert la réalité »84.

Plutôt, comme nous l’avons rappelé précédemment, le phénomène est complexe et présente une multiplicité de composantes en termes de groupes, idéologies, modalités d’action, intensité de besoins

sociales. Même si sa compréhension exige une prise de distance

critique, cette distance n’est pas facile à être trouvée : le thème

touche la délicate question de la propriété privé de l’habitation. Cela regarde directement les intérêts d’une partie de la population,

souvent avec des revenus moyen-supérieur, qui sont plus intéressé aux investissements immobiliers. La complexité n’est pas en général

comprise et « L’image du squatteur » fait peur. En effet, lorsqu’on

interroge la population, le vocabulaire utilisé pour décrire le squat et le squatteur est fréquemment péjoratif : « drogué », « marginalité », « violence »... »85.

« Une des premières choses que nous faisons est de prendre des photos

partout, comme un sort d’état des lieux, pour après montrer que nous avons fait des améliorations. »86.

Cependant, pour faire face à l’image négative du phénomène 83   Entretien avec Vick, le 12 Décembre 2017 84   Union des Locataires de Saint-Gilles asbl, 20/1/2012, http://ulsaintgilles.canalblog. com/archives/2012/01/20/23512496.html 85   Cécile LOUEY, L’occupation des squatteurs militants. Le squat comme outil d’expérimentation sociale, Licence 3 Sociologie Spécialité « Questions urbaines », Université de Bordeaux, 2011, p.7, http://www.jeudi-noir.org/wp-content/ uploads/2011/03/Loccup-action-des-squatteurs-militants.-M%C3%A9moire-L3-sociosp%C3%A9-questions-urbaines.-Mai-2011..pdf 86   Entretien avec Vick, le 12 Décembre 2017

85


de la part de la population, qui connait peu le phénomène et qui

a peur de la violation des droits de propriété, il y a un intérêt

croissant sur le squat de la part de certaines associations. Cela travaillent avec des autorités locales pour trouver une forme de

reconnaissance, par exemple, en essayant d’encadrer le squat dans

des projets d’occupation87. Ainsi, il y a un milieu associatif qui tend vers une vision différente du squat et qui travaille pour obtenir des réponses législatives ou, au moins, d’établir une forme de

régularisation par la concertation entre squatters et propriétaire. En général, les exemples à Bruxelles sont nombreux et regardent différentes forme de reconnaissance du phénomène. Les actions

s’agissent de l’obligation du propriétaire à rendre un immeuble vide

habitable jusqu’à la concertation pour sensibiliser le propriétaire

du bien occupé qu’une occupation peut lui être bénéfique : « en

effet, le bien est entretenu, chauffé, un revenu locatif peut être généré et l’occupation évite que le bien soit soumis à des taxes d’inoccupation.

Pour le quartier également, l’occupation peut se révéler bénéfique, dans le sens où une activité communautaire est généralement mise

sur pied. Certaines asbl, telles Bruxelles-Initiative qui a participé à la concertation, se spécialisent dans le développement de l’occupation ‘clef sur porte’ destinées aux propriétaires, en proposant des exemples de

contrats d’occupation temporaire. … Ces associations ont également pour vocation de signaler aux autorités locales l’existence d’immeubles vides qui pourraient être réquisitionnés conformément à la loi »88.

87   Notamment Communa: « Pour pallier les conséquences négatives de la vacance immobilière, Communa réhabilite les espaces inutilisés en les mettant temporairement à disposition de projets citoyens qui y font fleurir des laboratoires de pratiques urbaines. Ces lieux hybrides partagés entremêlent culture et création, activités économiques innovantes, vie associative et habitat groupé. Tout en favorisant l’innovation et la mixité socio-culturelle, Communa endigue le phénomène de vacance immobilière à la source et la transforme en une opportunité de développement local », http://www.communa.be/ missions/ 88   Service de lutte contre la pauvreté, La précarité et l ’exclusion sociale, Rapport bisannuel 2016 – 2017, Citoyenneté et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, p.99

86


I.4.2 La loi anti-squat (2017)

La nouvelle loi du 18 octobre 2017 (M.B. 6.11.2017, inforum

n°315.209), connue comme “loi anti-squat”, est entrée en vigueur le 16 novembre 2017 avec un grand écho et nombreuses discussions

qui ont aussi porté à une mobilisation contre son approbation. En effet la loi représente une innovation importante dans le contexte législatif qui regarde cette matière puisque offre, au détenteur d›un droit ou d›un titre sur un bien immobilier, plus de possibilités

pour agir de manière rapide et efficace contre les squatteurs des

habitations, des bâtiments et locaux commerciaux, des bateaux de plaisance et des caravanes. Avant l’approbation de la loi, contre le squat d’ une habitation le propriétaire pouvait seulement demander

l›expulsion des squatteurs avec une procédure civile. Occuper un

bâtiment habité sans autorisation était déjà illégal mais seulement

si l’occupation était réalisée avec la force ou la violence, tandis que depuis la nouvelle loi c›est aussi un crime si la permission

d’habitation n›a pas été obtenue ; en plus le squat est illégal aussi dans le cas de propriétés vacants.

Le ministère public peut alors émettre une ordonnance

d’expulsion exigeant que le squatteur quitte la propriété dans les huit jours. De plus, l’auteur risque d’être condamné à un mois d’emprisonnement et à une amende. Ignorer l’ordre d’expulsion

peut être sanctionné par une peine d’emprisonnement allant jusqu’à un an et une amende. Avec la nouvelle loi, l’occupation illicite d’un bien ou le séjour dans un immeuble inhabité constitue dorénavant

une infraction pénale, avec une lourde amende et l’arrestation du

87


88


squatteur89. En plus, la loi introduit des changements aussi dans les procédures

civiles pour expulser rapidement les squatteurs des immeubles. À ce propos, si avant l’approbation de la loi le propriétaire pouvait activer une procédure d’expulsion auprès du juge de paix, avec la nouvelle loi cette procédure civile est accélérée. (de deux à

huit jours pour le comparaître du propriétaire devant le juge de paix qui si juge la demande fondée prononcerai d’un jugement

d’expulsion, qui pourra être mis en œuvre à partir du huitième jour suivant sa signification). Seulement en cas de circonstances exceptionnelles et graves (par exemple en période hivernale), la

mise en œuvre du jugement peut être postposée d’un ou six mois (six mois si le propriétaire est une personne morale de droit public).

La rapidité de la nouvelle procédure civile est l’innovation plus

importante sur ce côté. Comme il a été observé : « Auparavant, le propriétaire pouvait déjà s’adresser à un juge de paix, cependant

la procédure était longue, tandis que le propriétaire regardait impuissant l’occupation de son immeuble par des squatteurs – occupation souvent accompagnée de destructions. Si le propriétaire souhaitait une solution rapide, il devait introduire une procédure en référé devant le tribunal de première instance. Le propriétaire

devait pour cela prouver l’urgence, ce qui était difficile lorsque le

bien était inhabité, et le juge des référés prononçait une mesure

temporaire en l’attente d’un jugement sur le fonds. Dorénavant, l’urgence est présumée dans la procédure civile devant le juge de

paix et celui-ci juge sur le fond de l’affaire. De plus, la nouvelle loi prévoit une possibilité d’évacuation des biens du squatteur qui

89   Stefaan Van Dyck et Jasmina Sadek , La nouvelle “loi anti-squat” offre, sur le plan civil, une plus grande marge de manœuvres aux propriétaires, 21/11/2017, in lexgo.be, https://www.lexgo.be/fr/articles/droit-civil/droit-des-biens/ la-nouvelle-iloi-anti-squati-offre-sur-le-plan-civil-une-plus-grande-marge-de-manuuvresaux-proprietaires,115611.html

89


se trouvent encore dans l’immeuble. »90. Mais la loi a un autre

aspect très important puisqu’elle introduit aussi l’infraction pénale

qui peut être appliquée si le squatteur refuse de se confirmer à

l’ordre d’expulsion du Judge de paix. Dans ce cas, le squatteur peut être arrêté et condamné de 1 à 8 jours de prison et il risque

une amende (de 26 à 100 euros). Ignorer l’ordre d’expulsion peut

être sanctionné par une peine d’emprisonnement allant jusqu’à un an et une amende91.

Si les mesures contre le squat étaient objet de discussion

à partir du 2014 (accord de gouvernement), c’est surtout dans

le mars du 2017 que la question est revenue sur la scène jusqu’à l’approbation de la nouvelle loi92. Ce processus est la conséquence d’un débat qui a suivi un cas concret qui a mobilisé les médias et l’opinion publique en faveur des propriétaires et contre les

squatteurs. À Gand, où un habitant, propriétaire de sa maison et

séjournant pour deux mois au Vietnam, avait retrouvé son logement occupé par une famille, qui l’avait louait par un intermédiaire, à

qui elle payait un loyer, mais qui avait opéré en manière illégale. Le cas a fait un grand scandale pour deux raisons : les propriétaires ont dû attendre trois semaines avant que le Juge de paix décide et que la police puisse évacuer le lieu ;

deuxièmement, « les

«locataires» étaient eux-mêmes des victimes puisqu’ils ont payé

un (faux) loyer à quelqu’un qui s’est manifestement introduit dans l’habitation par effraction »93. Toutefois, est-elle la loi anti90   Idem 91   JAMAER Julie, HELSEN Pieter, Squatting is now punishable: What are your options as owner?, Monard Law, 16.11.2017 https://www.monardlaw.com/web/guest/home/-/ asset_publisher/3DwqCLLTN4YX/content/kraken-voortaan-strafbaar-wat-zijn-uwmogelijkheden-als-eigenaar-/maximized 92   HOFMANN Pauline, La loi anti-squat qui raccourcit les délais d’expulsion a été approuvée, le soir.be, 5/10/2017, http://www.lesoir.be/117877/article/2017-10-05/laloi-anti-squat-qui-raccourcit-les-delais-dexpulsion-ete-approuvee 93   CORBIAU Francois, Loi anti-squat: quand le fédéral criminalise le droit au logement, Alter Échos n° 452, 2 octobre 2017, https://www.alterechos.be/loi-anti-squat-quand-le-

90


squat et une « multiplication récente des lourdes condamnations de squatteur.euse.s » 94 l’avant-goût d’une répression totale de ces formes urbaines alternative ?

En résumé : que dit la loi anti-squat? Le propriétaire d’un immeuble occupé pourra désormais se

rendre devant le juge de paix afin que celui-ci ordonne l’expulsion de l’occupant. Le propriétaire pourra introduire immédiatement

une plainte auprès du parquet contre le squatteur et demander

que le procureur du Roi ordonne son expulsion. Le dépôt de la plainte est nécessaire pour que le fait de «squatteur» soit considéré

comme une infraction. Si l’occupant n’évacue pas les lieux malgré l’ordonnance du procureur, le propriétaire pourra engager une procédure devant le juge de paix. Si celui-ci ordonne l’expulsion, le refus de s’y conformer sera considéré comme une infraction et

le squatteur pourra le cas échéant être arrêté. Il risque alors une amende s’élevant de 26 à 100 euros et un à huit jours de prison .

https://www.alterechos.be/loi-anti-squat-quand-le-federal-criminalise-le-droit-au-logement/

federal-criminalise-le-droit-au-logement/ . 94   [Squat!net], Conventions d’occupation et anti-squat en Belgique, 2 Janvier 2018, https://fr.squat.net/2018/01/02/conven�ons-d-occupa�on-et-an�-squat-en-belgique/

91


I.4.3 Quelques précisions juridiques sur les terrains… Maintenant, il est nécessaire de faire quelques spécifications par

rapport aux terrains que le lecteur trouve dans la deuxième partie. En effet, les terrains analysés, à part le premier (II.1. Squat d’urgence.

La ville qui exclut) rentrent tous sous une convention d’occupation, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas des squats in stricto sensu parce qu’ils ne sont pas illégaux. Plus précisément, en Belgique il existe une

convention d’occupation, ou bail précaire, c’est-à-dire « il s’agit de régler une situation juridique de manière temporaire et provisoire, dans l’attente d’un règlement définitif »1. En d’autres termes, il s’agit d’un accord entre les occupants, qui n’ont pas l’obligation d’être représentés par une association, et le propriétaire du bâtiment2.

À travers cette convention, d’habitude, le locataire paie seulement

les charges (« Le prix peut être fixé librement »3) qu’il consomme

et il est engagé à faire une bonne maintenance du bâtiment. Normalement, la loi de loyer (Art. 3 §.6) ne fixe pas un minimum de durée4, mais lui donne un maximum, c’est-à-dire moins de trois

ans, car ensuite le bail devient un accord « classique » de neuf ans. En outre, le propriétaire a le droit de disposer de son bien

à tout moment et avec un préavis très court5. Il faut savoir qu’en 1   I. SNICK et M. SNICK, Occupation précaire, loc. cit., p. 14, n° 2.2, dans DAUPHIN Sophie, Le contrat d’occupation précaire Une figure juridique qui s’inscrit dans l’air du temps, mémoire en Master en droit – Finalité Justice civile et pénale, Faculté de droit et de criminologie (DRT), UCL, Année académique 2015-2016, p. 76 2   SQUAT!NET, Conventions d’occupation et anti-squat en Belgique, Janvier 2018, https:// fr.squat.net/2018/01/02/conven�ons-d-occupa�on-et-an�-squat-en-belgique/ 3   DAUPHIN Sophie, p.35 4   https://www.lebonbail.be/ar�cles/le-bail-de-courte-duree 5   « le concédant du droit d’occupation précaire peut mettre fin à tout moment à la convention » et de « de quérir son bien à tout moment » DAUPHIN Sophie, 2015-2016, p.9 et p.27

92


Belgique deux outils fiscaux coercitifs existent pour lutter contre la vacance immobilière, une amende administrative régionale et

une taxe communale6 qui oblige son propriétaire à payer, après un an, 500 €/m2 de façade/mois7 ; en conséquence, le bail précaire

peut devenir une solution intermédiaire intéressante comme échappatoire à la taxation.

De fait, ce n’est pas pour hasard qu’il y a des associations qui

profitent du créneau des bâtiments vides pour en créer des projets

d’occupation temporaire. À Bruxelles, c’est le cas, par exemple, des

asbl Woningen123Logement ou Communa8 qui prend contact avec les propriétaires, ou vice-versa, pour l’utilisation du bien et l’investit

avec des missions éphémères, jusqu’à quand le propriétaire décide

d’en reprendre possession. Ce binôme est avantageux pour les deux

partenaires : d’un côté le propriétaire évite de payer la taxation et

son bâtiment est entretenu, et de l’autre côté Communa a l’occasion d’avoir de l’espace à donner pour de nouveaux projets.

En conclusion, comme susmentionné, la majorité des terrains

analysés dans la deuxième partie s’inscrivent dans le cadre d’une

occupation précaire. Par ailleurs, les occupations précaires portent pour la plupart en eux l’« ADN squat »9 et constituent l’évolution d’un

mouvement arrivé aujourd’hui à maturité, cherchant à maintenir l’équilibre entre engagement social et politique radical et nécessité

de stabilisation. Rétrospectivement, le fait d’avoir trouvé des cas

plus « sédentaires » a permis de découvrir des univers d’habitat beaucoup plus investis, en termes d’appropriation du lieu, qui enrichissent davantage la recherche grâce à leur complexité.

6   DAUPHIN Sophie, Le contrat d’occupation précaire Une figure juridique qui s’inscrit dans l’air du temps, mémoire en Master en droit – Finalité Justice civile et pénale, Faculté de droit et de criminologie (DRT), UCL, Année académique 2015-2016, p. 76 https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/fr/object/thesis%3A3817/datastream/PDF_01/view 7   SQUAT!NET, Conventions d’occupation et anti-squat en Belgique, Janvier 2018, https:// fr.squat.net/2018/01/02/conven�ons-d-occupa�on-et-an�-squat-en-belgique/ 8   http://www.communa.be/qui-sommes-nous/ 9   BREVIGLIERI Marc, 2018

93



PA R T I E D E U X Vivre Autrement


« Ainsi le squat se fait-il porte d’entrée pour comprendre comment

se tisse un habitat dans des espaces, et sur des territoires supposés inhabitables »

BOUILLON Florence, 2009 p. 9

96


« La première fois que j’ai ouvert un squat, c’était parce

que le logement à côté de mon kot était vide et je devais

héberger les parents de ma copine pour une longue période – elle était espagnole et son père venait en Belgique se faire opérer. Chez moi il n’y avait pas d’espace »1.

Squatter signifie occuper un espace, souvent un

immeuble, sans l’accord de son propriétaire. L’action de squatter peut partir, comme on a déjà analysé, d’une

problématique de précarité et de pauvreté, d’une action

politique contre le système de la ville et, enfin, pour des raisons d’émancipation, par exemple artistiques. Squatter peut également satisfaire certaines exigences d’habitat communautaire : une philosophie de vie autogérée,

collective et d’entraide. Enfin, c’est aussi habiter au sens plein du terme : c’est être libre et responsable dans son

lieu de vie. C’est pouvoir y faire ce que l’on veut sans se référer au propriétaire2.

1   Entretien avec Thomas Dawance 2   Le squat de A à Z,

97



II.1 Le squat et la ville


AllÊe du Kaai, promoteur d’une progressive gentrification le long du canal?

100


II.1.1 Acteurs de la gentrification ou protecteur ? L’occupation et le quartier Les squatteurs répondent à leurs nécessités primaires, pas

uniquement le droit d’avoir un abri, mais aussi la nécessité d’avoir un atelier, une chambre à musique, un bar, une salle de concert, des espaces collectifs pour manger, faire des activités artistiques, sportives et culturelles. Ils fabriquent leur habitat en suivant les

désirs et les idéaux. Les squatteurs « fabriquent la ville »3 également.

Ils s’impliquent et ils s’ouvrent dans le quartier. Ils ont besoin d’être

reconnus et acceptés par le voisinage à travers une participation active du quartier : tables d’hôtes, concerts, potager collectif,

projections cinéma, soirées et événements culturels sont souvent

les moyens utilisés par les habitants. Dans la majorité des cas, cette tacite acceptation leur donne une protection et une reconnaissance ; de fait, le quartier joue à la fois comme un espace de défense, de

ressource et de sociabilité. C’est pourquoi l’occupation demande

toujours une grande capacité d’adaptation à l’environnement où elle s’installe et une communication directe et claire avec les

voisins. Ces deux facteurs produisent une interconnaissance qui amène à une réduction des risques de délation et par conséquent d’expulsion directe.

L’installation de ces hétérotopies4 urbaines dans certains

quartiers parfois crée une contradiction. D’un côté, ces habitants particuliers sauvent le quartier de grandes transformations urbaines, ou simplement de la création d’un projet que les voisins 3   BOUILLON Florence, p. 177 4   FOUCAULT Michel, conférence « Des espaces autres », 1967 : c’est-à-dire des espaces différent, « une localisation physique de l’utopie et des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire »

101


n’aiment pas. Par exemple, comme l’on verra dans le terrain du

Commissariat, l’occupation préserve un îlot entier d’un nouveau projet résidentiel amené par la grosse compagnie immobilière AG

Real Estate. En autres termes, les occupations préservent le status quo du quartier, elles le protègent de transformations brusques, ou du moins elles ralentirent les processus, ou encore elles font prendre conscience de l’existence de projets urbains, fréquemment

incontrôlables par les habitants mêmes du quartier. Mais, de

l’autre côté, l’ouverture vers le quartier, la création d’activités

pour un vaste public, la participation, la mixité sociale amenée par l’occupation et la préservation d’un lieu vacant déclenchent ou font partie du processus même de gentrification puisqu’ils introduisent

de nouvelles dynamiques dans le quartier. Par exemple, à Bruxelles, le long du canal, à part la présence de Tour et Taxis5,6, des projets d’occupation précaire, notamment le centre social Barlok

et l’asbl Toestand, jouent un rôle important dans la dynamique de cette partie du quartier à travers des activités culturelles et

d’agrégation. De fait, les deux projets ont le mérite d’avoir amené des activités culturelles alternatives, ainsi qu’une mixité sociale

et une dimension de « proximité » dans une zone du canal qui était plutôt sans vie et caractérisée par une échelle monumentale et sectorielle. Toutefois, ils voient bientôt leur fin pour laisser la

place à un vaste programme de développement urbain, qui laisse moins de place à ce genres d’activités alternatives, mais tend

plutôt vers une action de gentrification du quartier7. Le promoteur 5   Zone qui est plutôt investie pour des projets commerciaux ou culturels « chics » et accessible qu’à la classe moyenne-haute, par exemple Bruxelles Design Market ou Art Brussels 6   Zone qui est plutôt investie pour des projets commerciaux ou culturels « chics » et qui ne sont accessible qu’à la classe moyenne-haute, par exemple Bruxelles Design Market ou Art Brussels 7   Voir le projet sur http://www.adt-ato.brussels/fr/zones-strat%C3%A9giques/tour-et-taxis/ et https://weinvest.be/projects/riva

102


103


immobilier Extensa, porteur du projet, prévoit « 1.850 unités de logement, 150.000 m2 de bureaux, 37.000 m2 d’espaces publics,

37.000 m2 de commerces ainsi qu’un parc de neuf hectares »8.

Dans la grande manœuvre urbaine, en collaboration avec Beliris, Bruxelles Environnement va transformer ce quai en un parc public de 3,20 ha. Par conséquent, dans l’attente du parc, les initiatives de

l’asbl Toestand et de Barlok impliquent la population et créent une

dynamique sociale, là où elle n’existait pas : grâce à leur présence sur le terrain, ils ont été capables de transformer ce no man’s land en

un lieu de rencontre ludique et informel, où des initiatives sociales,

culturelles et sportives peuvent être développées et soutenues9. Bien évidemment, ce processus de revitalisation a été bénéfique

pour la population ; cependant, Beliris, Bruxelles Environnement et les autres investisseurs en ont bénéficié également : cette initiative

a sûrement favorisé l’augmentation de la valeur du territoire, grâce

à une nouvelle image forte, pour les futurs projets10. En conclusion,

les occupations, malgré elles, jouent souvent un double rôle en tant que défenseur de la dynamique existante, mais également en

tant qu’acteur d’une possible transformation et gentrification du quartier à cause leurs initiatives innovantes.

8   https://blog.weinvest.be/home/renova�on-gare-mari�me 9   http://toestand.be/fr/alleedukaai/toekomst/ 10   « Si le terrain a un important passé industriel, le projet veut surtout donner une image forte et positive du quartier en incluant détente, loisir urbain et mixité sociale. Ce projet s’inscrit également dans une dynamique plus globale du quartier qui développe son caractère résidentiel et qui réaménage les espaces publics […] L’initiative qui connait un franc succès permettra à la zone d’être déjà connue du public en perspective de la construction du parc », dans L’Avenir.net, « Un nouvel espace vert et récréatif au Quai des Matériaux », 12/03/2015 à 14:56, https://www.lavenir.net/cnt/ dmf20150312_00615367

104


Les habitants du quartier sont invités à participer les activités dans ces lieux et à donner leur avis. Une forme d’architecture participative?

105


ces lieux extra-ordinaires créent des nouveaux biens communs en terme d’usage ouvert à la ville

106


II.1.2 L’occupation crée de nouveaux biens communs dans la ville? Les occupations et les occupants ont la faculté de réinterpréter la

ville, en particulier ils attribuent une autre valeur à des pratiques et des espaces, non-lieux, en transformant ceux-ci en lieu de

vie et en bien commun, c’est-à-dire en transformant leur valeur marchande en une valeur d’usage. « Au moment de l’occupation, les

squatters font irruption dans l’ordre de la ville. En transgressant un

des droits fondateurs de nos sociétés libérales – le droit de propriété

–, ils font entendre haut et fort leurs critiques et leur appel à un autre ordre social »11. Tout d’abord, il faut revenir un peu en arrière et

définir les droits de propriété. Selon le raisonnement économique

et juridique le plus partagé, ils définissent la nature même des droits de propriété12 :

• Le droit de profiter du bien / ressource de manière exclusive; • Le droit d’exclure les tiers de l’accès à l’usage des avantages de

la ressource;

• Le droit de transférer le bien à d’autres avec sa valeur marchande,

de façon permanente ou temporaire, mais toujours librement et sans contrainte.

Donc, du point de vue économique, le bien doit toujours être utilisé

de façon optimale pour soi. Bien évidemment, le squatteur enfreint

ces règles en occupant sans permission des lieux abandonnés, de 11   PATTARONI Luca, Les friches du possible, petite plongée dans l’histoire et le

quotidien des squats genevois, Genève, Editeur: Gregorio Julien, Publié dans: Squats, p. 97

12   Ce paragraphe est rédigé à partir d’un entretien et dialogue avec l’économiste Enrico Giovannetti, qui s’occupe des politiques territoriales, Université de Modène.

107


plus, il s’affranchit des règles du droit de la propriété et montre

les lacunes de cette théorie. En effet, outre que la question de

la pauvreté et du droit au logement, le phénomène du squat est

souvent une réponse active, en particulier à Bruxelles, à une autre violation des principes mêmes du droit de propriété, c’est-à-dire

la spéculation engendrée par la dégradation du bien, qui amène une conséquente détérioration de la ville. De fait, généralement, le

droit de propriété lui-même devrait aider à la préserver contre la dégradation. En revanche, la spéculation détruit l’environnement et les conditions de l’habiter et donc elle détruit également les

valeurs des droits de propriété des autres propriétaires. Ainsi, si le « Marché est libre », les squatteurs occupent et ils s’approprient ces chancres urbains et les transforment en une nouvelle ressource, d’habitat ou d’espace communautaire.

Par rapport à cette appropriation, il est intéressant de réinterpréter

la théorie de Elionor Ostrom, prix Nobel de l’économie en 2009, sur

l’action collective et la gestion des biens communs ainsi que des biens

publics, aussi bien matériels qu’immatériels13, avec la démarche des squatteurs dans la ville. En d’autres termes, en extrémisant

la logique de l’occupation, les occupants se réapproprient des « vides urbains » et ils les transforment en Biens Communs, c’est-àdire qu’ils font une gestion en commun de ces biens. En d’autres

termes, à partir d’une ressource privée et exclusive (l’espace du

bâtiment), grâce à leurs initiatives ouverte à la ville, ils en font profiter un plus large public. Cette théorie est renforcée suite à

une analyse spatiale, où on constate que les espaces communs ont une place cruciale dans le moment de l’installation, dans le 13   Elinor Ostrom, La Gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles [« Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action »], De Boeck, 2010, 300 p.

108


moment de l’habitation et dans la vie quotidienne : « le moment de

l’installation, en visant une forte collectivisation des activités, a équipé les parties communes dans le sens de leur « accessibilité au public », de

leur capacité à recevoir des gens d’horizons différents. Pratiquement, cela a consisté à donner une visibilité à la fonctionnalité des lieux afin d’en orienter a priori l’utilisation, d’y rendre évident un certain usage, y

compris pour un public de passage »14. Par conséquent, l’ameublement

également est affecté par cette logique du Bien Commun et par exemple : « Les cuisines collectives sont souvent des parties communes

conçues dans l’idée d’une convivialité étendue aux visiteurs externes. Les accessoires de cuisine y sont mis à la visibilité de tous : jamais

rangés au fond d’un tiroir, ils sont placés sur des étagères et disposés de manière à faciliter un usage simple et direct »15 . En plus, comme l’on

verra dans le terrain d’Ateliers Merlins, dans la planification du lieu,

souvent le bien commun, c’est-à-dire l’espace commun, est garanti avant l’espace privé, car la collectivité et la mise en commun sont

l’identité même de l’occupation. Breviglieri raconte que même les

animaux ont les droits de circuler dans tous les espaces, dans les chambres aussi, car les espaces sont considérés communs16.

En conclusion, les acteurs de ce processus occupent pour résister

à la spéculation, ils luttent pour se réapproprier des espaces

urbains et ils utilisent la rue comme scène de leur action. De fait, les habitants n’occupent pas uniquement l’immeuble, mais ce geste

14   BREVIGLIERI, M. & PATTARONI, L, « Le souci de propriété. Vie privée et déclin du militantisme dans un squat genevois », in Morel, A., La société des voisins, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, coll. « Ethnologie de la France », 2005, 275-289. 15   Idem 16   Lors de la conférence conférence le 27 Avril 2018, au MetroLab, Bruxelles : l’histoire d’un chat, récupéré de la rue, qui circulait partout dans le squat, aussi dans les chambres privées. L’animal a causé beaucoup de tensions parce que dans la logique du squatteur, même les animaux ont le droit de circuler librement dans l’espace, mais pour d’autres le fait que le chat dormait sur leur lit était une invasion de leur intimité.

109


est une revendication d’une portion du territoire, une rue ou un quartier et elle interpelle la ville entière : ils prennent place dans

celle-ci et ils se réapproprient des espaces17. Suite à ce processus

d’appropriation, cela sont mis en commun, pas seulement dans

une dimension plus intime, c’est-à-dire de la convivialité et de la communauté, mais aussi, petit à petit, ils vont appartenir à toute la ville grâce aux initiatives sociales, qui créent de nouvelles

dynamiques urbaines et qui transforment le lieu en un bien commun.

17   BOUILLON Florence, 2009 p. 184

110


les Brasseries Atlas lors d’un événement ouvert au public. Le lieu est aménagé pour accueillir une conférence

111


des nouveaux Landmarks ?

112


II.1.3 Un rythme urbain différent

« Nous habitons tous quelque part, mais la localisation n’est jamais

neutre, dans aucune société »18

La ville est une cohabitation entre plusieurs horizons de toutes

sortes qui sont obligés de cohabiter. Le tout crée un système qui est ordonné par une institution des espaces, une distribution sociale et

politique de la vie à travers ses rôles19 qui s’expriment évidemment dans des espaces bien précis. Les occupations précaires démontrent

les faiblesses et les lacunes de la relation étroite entre l’organisation

théorique des villes et la réalité de leur pratique. En d’autres termes, ces réalités brisent les caractéristiques imparfaites de la

ville, parmi lesquelles la ségrégation sociale, la normalisation des styles de vie, la standardisation des formes, le zoning, le manque de convivialité et un déterminisme architectural.

Rentrer dans une occupation est une expérience. Une occupation

crée une rupture dans la ville, on rentre dans une espace

ambigu, une parenthèse dans la réalité urbaine, qui a ses propres

rythmes. En d’autres termes, les occupations temporaires sont des hétérotopies urbaines20, car elles créent des ruptures, elles

s’opposent à l’ « espace isotopique »21 de la ville, tout en hébergeant 18   SEGAUD Marion, p. 76 19   PATTARONI Luca, La ville plurielle: quand les squatteurs ébranlent l’ordre urbain, in Bassand M., Kaufman V., Joye D., Lausanne, Enjeux de la sociologie urbaine (2e éd.), 2007, PPUR, 283-314 p.21 20   FOUCAULT M., 1967 21   LEFEBVRE Henri, La production de l’espace, Paris, 4ème Editions Anthropos, 1974, 485 p. pour considérer la définition de Lefebvre de hétérotopie, c’est-à-dire des espaces qui diffèrent des « isotropies ». Cela indiquent une centralité qui organise l’espace autour d’elle selon un ordre homogène.

113


un imaginaire physiquement et spatialement matérialisé. « Il

s’agit d’une nébuleuse de groupes qui utilisent également les espaces interstitiels pour produire des événements urbains, le plus souvent

ponctuels. Tous ces groupes récupèrent en les valorisant ces déchets urbains pour les transformer temporairement »22. Habiter dans un commissariat de police abandonné depuis une dizaine d’années,

dans un ancien entrepôt de châssis, dans une brasserie, ou encore dans un ancien hôtel de luxe semble être de l’ordre de la rêverie ;

toutefois ce sont les chancres urbains visés par les squatteurs. En

transgressant l’ordre établi de la ville, les squatteurs ouvrent « des espaces différents, ces autres lieux, une espèce de contestation à la fois mythique et réelle de l’espace où nous vivons »23. À partir de

ces parenthèses urbaines non-lieux, grâce à leur quotidien, ils les

transforment en lieux. Les squatteurs n’occupent pas uniquement par nécessité, mais pour vivre « autrement ». Ils veulent donner vie à des projets communautaires, ludiques, artistiques, culturels,

en démontrant que, malgré leur condition économique précaire, tout le monde peut se permettre d’avoir une vie sociale et paisible. En particulier, ils questionnent les modes de vie et recherchent

des espaces alternatifs, pour pouvoir élargir le cadre du quotidien.

Les squatteurs mettent en discussion la base même de l’habitat urbain en tentant de mettre en œuvre pratiquement des valeurs

telles que « la solidarité, l’autogestion, la convivialité et la créativité »24. Enfin, parmi les slogans, ils se rapportent à la lutte

contre la standardisation, l’individualisation de la société et les 22   DAWANCE Thomas, Le squat collectif autogéré, une réponse à la crise urbaine, dans la Revuenouvelle, février 2008, p. 36 23   FOCAULT Michel, « « Des espaces autres » », Empan, 2004/2 (no54), p. 12-19. https:// www.cairn.info/revue-empan-2004-2-page-12.htm 24   PATTARONI Luca, Les friches du possible, petite plongée dans l’histoire et le

quotidien des squats genevois, Genève, Editeur: Gregorio Julien, Publié dans: Squats, p. 100

114


politiques de normalisation25, et ils se dirigent vers un système

autogéré, personnalisé, démocratisé, où chaque individu est libre de s’exprimer, pas uniquement à travers la parole, mais bien à

travers son propre espace physique. Dans certain cas, dans un seul

bâtiment26, on retrouve un microcosme autogéré, qui s’organise,

vit et se modifie. Tout le monde cohabite avec son style et son rythme, l’étudiant à côté du travailleur, le SDF à côté de l’artiste, l’architecte à côté du plombier. Dans ce contexte les imperfections

urbaines sont laissées de côté, par exemple la ségrégation urbaine

ou l’isolement social, pour laisser la place à une démocratisation qui est tout d’abord décernée par une organisation de l’espace qui essaie de trouver une égalité pour tout le monde.

Comme on l’a déjà mentionné, la dimension communautaire,

interne ou externe, occupe un rôle crucial. De fait, à l’encontre des « tyrannies de l’intimité »27, ces hétérotopies sortent des règles

de cette société plus « individualiste », à la faveur de rencontres,

du devoir d’hospitalité, de la circulation et de la convivialité :

« c’est aussi grâce à l’outil squat qu’on arrive à faire toutes les activités qu’on fait, ce sont vraiment des espaces d’autonomie, où on peut faire plein choses, genre repas, projections, soirée, de la musique, etc. moi,

le squat je le vois vraiment comme un ensemble des univers différents, qui sont libérés des liens institutionnels, de la hiérarchie de plein de

règles »28. Les squatteurs s’approprient du « droit à la ville » et ils la transforment en lieu de rencontre et jouissance29. Ils s’ouvrent

vers le quartier et à l’entièreté de la ville, grâce à leurs initiatives. 25   BREVIGLIERI, M. & PATTARONI, L, « Le souci de propriété. Vie privée et déclin du militantisme dans un squat genevois », in Morel, A., La société des voisins, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, coll. « Ethnologie de la France », 2005, 275-289 26   Par exemple les deux terrains dans le terrain du Commissariat 27   Terme pris de SENNETT Richard 28   Entretien avec Vick, le 12 Décembre 2017 29   LEFEBVRE Henri

115


Quand les squatteurs occupent un lieu, ils créent une coupure

dans l’organisation du quartier. Par exemple, la très connue

occupation 123 à rue Royale à Bruxelles s’installe dans un quartier qui est pour le 80% composé par des bureaux ou des commerces. Pas tellement du point de vue typologie architectonique puisque l’aspect reste inchangé, l’occupation agit plutôt au niveau fonctionnel

et de mixité sociale. La situation de précarité dans d’autres cas d’occupation30 stimule l’entraide entre les voisins et sensibilise

même les quartiers les plus aisés. Dans tous les cas, ces dimensions

à part entière deviennent un pont, un lien de communication entre deux univers opposés : par exemple, dans un quartier de finance où des hommes habillés en costume, on retrouve ainsi des étudiants,

des artistes, des familles, des personnes en situation précaire. Les habitants aident à réanimer la zone, sensibilisent le voisinage

et ils surveillent activement et ils animent un quartier destiné à la monotonie fonctionnelle. Ils rétablissent une personnalité au quartier, et parfois ils en deviennent un landmark.

En plus de la dimension politique qui fait écho à la ville et ses

institutions, les squatteurs se réapproprient de la dimension spatiale externe, à travers l’occupation d’un espace au cœur de la réalité urbaine, mais aussi à l’interne. De fait, dans leur aménagement ils trouvent des solutions et des formes innovantes, qui sortent de celles imposées par la société, comme l’on verra dans le terrain des

Ateliers Merlin, où les habitants ont transformé un ancien entrepôt de châssis en petit village de cabanes. Dans une société qui ne

développe pas les conditions pour avoir une sensibilité envers la

perception de l’espace31, ces habitants alternatifs s’affranchissent

des règles communes et ils construisent un leur savoir-faire 30   comme l’on verra dans le terrain d’analyse des sans-papiers 31   Séminaire et atelier Tony Garnier, Cahier 66-67, l’espace et l’individu, la famille, le groupe, la communauté, Paris, E.N.S.B.A., 1969, p. 80

116


systématique de l’espace. À travers leur débrouillardise et leur

crativité dans la manière de se comporter, d’utiliser et de modeler un espace à la base inhabitable, ils se réapproprient de la dimension spatiale et ils s’épanouissent puisqu’ils deviennent maître de leur espace domestique.

117


118


II.1.4 Convention d’occupation temporaire une réponse à plusieurs problématiques Comme mentionné dans la première partie, la majorité des

terrains sont liés à une convention d’occupation précaire. Celleci pourrait éviter non seulement la crise du logement, mais aussi

le problème de la vacance immobilière. Le passage à l’occupation temporaire permet d’obtenir un logement avec un coût bien plus

abordable que sur le marché privé. En plus, ces conventions contiennent une série de conditions qui offrent certaines garanties

au propriétaire comme aux occupants : d’un côté, des allégements fiscaux pour le propriétaire, en plus de l’entretien de son bien ; et de l’autre côté, une importante sécurité pour les occupants, lesquels ont le droit de rester minimum six moins et d’avoir une

garantie de salubrité du lieu, éléments qui jouent un rôle important

pour la stabilité des habitants. De plus, grâce aux conventions, les squatteurs sont obligés de passer à travers des asbl ou des

associations qui encadrent le processus, et qui souvent prônent des projets solidaires et communautaires, où chaque habitant est valorisé pour ses compétences et intégré dans un contexte social.

La volonté partagée d’intégrer et de faire participer à la vie des « occupations » mais aussi du quartier, devient le dénominateur commun de ces réalités32.

32   Cette partie a été rédigé à partir de FANOVARD Julia, Convention d’occupation précaire et temporaire à Bruxelles Une solution à la crise du logement ?, AU QUOTIDIEN, n° 21, 2017, http://www.cpcp.be/ medias/pdfs/publica�ons/analyse2017-32aq21fanovard-conven�onsoccupa�onprecaire-04final. pdf RBDH, L’occupation temporaire de bâtiments vides. Solution d’urgence et modèle pour l’avenir, Dossier trimestriel du RBDH «Art.23 . Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine . Ce droit comprend le droit à un logement décent.», Bruxelles, n°51, 2013, http://www.rbdh-bbrow.be/IMG/pdf/ar�cle_23_51_fr_web.pdf

119


Dans les terrains d’analyse, on remarque que les occupations

temporaires constituent des réponses différentes à un vaste

panorama de problématiques. Dans le premier cas, on trouve une situation qui est encore dans la précarité totale, car les habitants, tous de sans-papiers, n’ont pas encore obtenu une convention avec le propriétaire. Le fait qu’ils ne soient pas encore légalisés a un grand impact dans la vie du quotidien, en particulier dans

leur stabilité, l’installation et l’appropriation de l’espace et les rapports avec le voisinage. De fait, les espaces sont lugubres et froids, les habitants ne s’investissent pas dans leur lieu de vie, qui

reste inhospitalier. Heureusement, une nouvelle asbl est en train

d’officialiser l’habitat ; dans l’avenir le projet prévoit une ouverture

vers le quartier à travers de table d’hôte, des ateliers avec les

enfants et de projections cinéma. Dans ce cas précis, la légalisation est très importante parce qu’elle permettrait de répondre à la forte exigence d’une intégration sociale entre les migrants et le

contexte dans lequel ils se sont installés. En regardant le panorama bruxellois (mais européen également), la question de la migration et, plus particulièrement, de l’hébergement des migrants dans

les villes, devient de plus en plus un nœud de réflexion qui n’est

pas anodin. Les migrants qui arrivent en Belgique sont souvent en « transition »33, en passage vers l’Angleterre ; à l’écart de

la société, souvent ils sont obligés de vivre dans la rue, dans des conditions misérables ou dans les mains de marchands de sommeil. Dans plusieurs cas, par exemple le collectif La Voix de Sans-Papiers, l’occupation temporaire d’un bâtiment s’est révélée

une solution précieuse pour la sécurité de beaucoup de personnes.

Un système d’institutionnalisation plus fluide envers ce type de convention temporaire permettrait premièrement de donner un 33   Entretien avec Simon de La Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés, le 2 Février 2018

120


abri à plusieurs personnes en conditions misérables, d’où peuvent surgir plus facilement des épisodes de délinquance ; deuxièmement exploiterait l’ampleur du parc de logements vide et troisièmement

consentirait une meilleure intégration dans les quartiers, car les

habitats sont encadrés par une dynamique légale et d’ouverture vers la ville.

Dans les autres terrains, effectivement supportés par la

convention d’occupation, beaucoup plus d’expériences peuvent être réalisées et d’autres questions problématiques sont en partie

résolues. Par exemple, avant dans l’ancien hôtel Tagawa (ou dans l’actuel 123) et aujourd’hui dans la Communauté de rue de Noyer34,

à part l’hébergement d’une soixantaine d’habitants avec situation ménagère compliquée, la convention consent la création d’une

vraie vie communautaire, tout en considérant un rôle crucial pour la mixité sociale. La vie à l’intérieur est un miroir d’un microcosme

autogéré, où des activités artistiques, culturelles, sportives,

musicales se produisent en accueillant le quartier qui l’entoure.

Le bâtiment était dans un point mort depuis plusieurs années et le collectif Noyer a relevé le défi en le transformant en lieu inclusif

et animé, où dans certains cas ils ont réussi même à éliminer une situation de forte marginalité et stigmatisation sociale.

Enfin, les derniers terrains cherchent des endroits improbables

pour donner lieu à des habitats et des ateliers artistiques. À cet

égard, parfois, la forme d’occupation devient une alternative à la stigmatisation de la précarité des jeunes et elle est protagoniste

d’un important processus donné à partir de l’espace, lequel

est crucial pour leur émancipation. Le fait d’avoir à disposition beaucoup d’espace et surtout la possibilité de l’exploiter à leur

guise, sans avoir de contraintes, crée un environnement créatif où 34   Chapitre III.3.2

121


les habitants sont amenés à avoir une logique d’ « expérimentation

dans laquelle les sujets agissent en produisant des projets et des

actes »35. L’espace disponible et vide, dans la plupart des cas très

vaste comme dans une ancienne usine ou un lieu de production industrielle, est privé des contraintes architecturales, facteur qui

amène des formes intéressantes. La débrouillardise inévitable de

ces lieux amène l’habitant dans un processus de développement personnel vers la découverte et l’apprentissage. Cependant, tout

cela est possible si les occupants ont un minimum de garantie de stabilité, c’est-à-dire le temps pour s’installer et vraiment

profiter des potentialités de l’endroit : la convention d’occupation temporaire est une réponse à l’instauration pour ces initiatives.

35   ESTANY LLOBET Marta, « Le squat : un espace de socialisation et une alternative à la stigmatisation de la précarité des jeunes », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], hors série | 2010, mis en ligne le 17 mars 2010, consulté le 01 août 2018. URL : http:// journals.openedi�on.org/sejed/6628

122


plan de Rue de Goujons, les occupants gèrent leur programme et l’oganisatino de l’espace

123



II.2 Habiter diffĂŠremment


126


II.2.1 Fonder son propre habitat

« Nous repérons les bâtiments en nous baladant par les rues. Il

y a partout des maisons vides, parfois deux dans la même rue, c’est

fou ! Plus précisément, nous prenons des cartes des Bruxelles, nous les photocopions et nous faisons des repérages et notons les maisons. Ça

se repère assez facilement : il y a des poussières sur les vitres, il y a des

toiles d’araignées sur la porte ; les maisons sont vraiment en train de se détériorer. Parfois on regarde aussi à l’intérieur de la boîte à lettres

pour voir si c’est sale ou par les fenêtres. Et on met des témoins, un témoin en papier qui va dans la porte, et on revient deux semaines plus tard pour voir si c’est toujours là ou pas »36.

« Le Squat de A à Z » est un vrai manuel disponible sur internet

pour pouvoir ouvrir et fonder son propre squat37. Dans ses pages

on découvre un guide pas à pas pour fonder son propre habitat, de l’électricité à l’eau, avec quelques astuces aussi concernant les questions juridiques. La guide explique les indices qui décèlent

si la maison est vide, comment la repérer : il faut regarder les détails, la poussière, des vieilles pubs, un tas de feuilles mortes

devant la porte, comme Vick et d’autres le racontent également dans leurs interviews. Sont conseillés les meilleurs moments et les

techniques pour percevoir comment rentrer dans une maison et ne pas se faire repérer par le voisinage : des excuses prêtes pour

les voisins, cacher la lumière des lampes, contrôler les systèmes de

sécurité avant de forcer la porte, des dispositions sur le crochetage, etc. ; après le repérage, on passe à l’action. Après l’ouverture, le 36   Entretien avec Vick, le 12 Décembre 2017 37   Le squat de A à Z, sur squat.net et https://infokiosques.net

127


signe de l’abandon

processus d’installation commence. Le manuel guide par rapport à des éléments compliqués comme l’eau et l’électricité : il explique

où pourrait se trouver le boîtier, comment l’activer, quels sont

les passages pour consulter les compteurs et les fusibles. Dans les terrains, on remarque qu’il y a toujours des figures spécialisées

dans les différents travaux de maison; les occupants ont souvent un réseau de gens à disposition qui peuvent les aider. Enfin, la guide suggère comment se rapporter au voisinage à travers des

détails -par exemple mettre un nom sur la sonnette pour rassurer les voisins, et aux policiers –en mentionnant ce qu’il faut dire et ne pas faire.

Si la fondation de l’habitat a réussi, dans la plupart de cas

analysés, les squatteurs commencent à tisser un lien avec le quartier, la réaction des voisins dépend énormément du type de quartier où ils se sont installés :

« Dans notre philosophie, nous donnons beaucoup d’importance à

tisser des liens avec le quartier. Les ateliers qu’on fait sont ouverts, avec des projections une fois par semaine au moins. Nous faisions aussi des « squat-dating », c’est-à-dire que tous les gens intéressés par le

128


squat pouvaient venir et se rencontrer, parce qu’il est en effet quasiimpossible de squatter tout seul, il faut être un groupe. Après deux

ou trois semaines, nous essayons de faire une petite bouffe avec les voisins, nous les invitons. Mais parfois c’est compliqué et cela prend

du temps ; il faut trois ou quatre invitations avant que les gens ne viennent et ne s’habituent à nous. En effet, le problème est que Bruxelles

est une grande ville et les gens ne sont pas habitués à partager et à être invités chez les voisins. Nous réalisons des invitations, et ensuite

nous organisons une petite projection de film. Seulement parfois nous imprimons 150 flyers et il n’y a que trois voisins qui viennent… Mais

nous sommes déjà contents. L’acceptation du squat dépend vraiment du quartier ; dans le quartier populaire nous sommes mieux acceptés, parce que les gens savent ce que veut dire la précarité et les loyers chers.

Les gens sont cordiaux et contents qu’il y ait des choses qui bougent

dans le quartier ; ce sont surtout de petits gestes. Au contraire, dans le

quartier très bourgeois, les gens sont très méchants et ils sont contents qu’on s’en aille. Moi, j’ai déjà été blessée et bouleversée par des voisins

qui n’avaient rien à faire de nous alors qu’on risquait de dormir dans la rue ».

38

Dans les analyses faites et les cas rencontrés, on peut constater

que le type de projet d’occupation influence fortement le choix

typologique du bâtiment. Par exemple, pour les squats à connotation plutôt artistique, la tendance est de chercher des endroits avec

de grands plateaux libres pour pouvoir remodeler entièrement

l’espace et laisser beaucoup d’espace à son propre atelier. L’espace « domestique » est fusionné avec l’espace de travail artistique,

c’est-à-dire que l’on trouve un lien direct entre les espaces de la vie quotidienne tendant à faire partie du processus créatif. On

vit là où on expose, on travaille, on réalise des performances, on 38   Entretien avec Vick, 12 Décembre 2017

129


invite le public. Les rythmes de vie sont dictés par l’activité. La

typologie industrielle est la plus adaptée pour ce type de projet. Par exemple, à Bruxelles, la zone d’Anderlecht est riche d’espaces

industriels vides. . Les anciennes Brasseries Atlas, à Anderlecht,

accueillent un groupe d’artistes-performeurs qui exploite les énormes capacités d’espace à disposition pour l’investir dans

leurs projets. Ainsi que les Ateliers Merlin ont choisi un bâtiment complètement vide qui était un entrepôt de châssis pour avoir une grande liberté d’appropriation et ne pas être contraints. Rue

du Goujons également, les anciennes usines de filature Le Vesdre

ont été squattées pour longtemps et aujourd’hui la société de développement régional Citydev a racheté l’immeuble (on parle de

90.000 m2 !) pour en créer une plateforme sociale, culturelle pour les artistes, artisans et jeunes créatifs de la région. L’école ERG

exploite ces espaces encore bruts pour des expositions des élèves, lesquels peuvent investir l’espace comme ils veulent. Comme les

espaces industriels présentent souvent des grandes plateformes libres, l’occupant a moins de contraintes physiques et il est moins

influencé par une forme architecturale particulière, donc plus

libre de créer son propre monde. En plus, étant donné que le

130


Brasserie Atlas lors d’un événement, le public est invité à participer à l’occupation du lieu

131


but principal de ce genre de projets est l’activité artistique, tous les problèmes liés au domaine domestique, tel qu’eau, salubrité, électricité et chauffage passent au deuxième plan, tandis que dans les occupations où le logement est le premier but tous les éléments

mis en évidence sont cruciaux. Il faut préciser, de fait, que ce type d’occupation est souvent animé par des jeunes qui viennent d’une couche aisée de la population, qui ont la possibilité et la volonté d’expérimenter cette vie39.

Par contre, dans les terrains, on verra que pour un grand projet

politique et social d’habitation collective le bâtiment choisi va être

plutôt du type bureau ou commercial, c’est-à-dire, un immeuble sur plusieurs étages, avec une disposition modulable et facile à retransformer, par exemple en bougeant des cloisons de séparation pour amplifier ou rétrécir des espaces qui peuvent devenir chambres

ou espaces communs. Ainsi que le 123 qui est en plein quartier CBD40 bruxellois ou le Commissariat qui occupe un entier îlot proche du

cinquantenaire à Schaarbeek, ces lieux sont souvent au cœur de la

ville ou dans des points stratégiques. Leur message a également une volonté politique envers la ville : montrer une « autodétermination

des modes de vie par une autogestion du cadre bâti, couplée à

une lutte contre la standardisation et la valorisation d’attitudes spontanées et créatives » 41. Donc, ces lieux sont esthétiquement

ostentatoires et ouverts vers la ville avec un vaste programme

d’initiatives. Comme l’on verra dans la partie trois, à l’intérieur de ces lieux, il y a un petit microcosme autonome qui s’organise dans le grand espace et chaque étage a sa personnalité42 : c’est une ville 39   Entretien avec Salomé, 24 Mai 2018 40   Central Business District 41   PATTARONI Luca, La ville plurielle: quand les squatteurs ébranlent l’ordre urbain, in Bassand M., Kaufman V., Joye D., Lausanne, Enjeux de la sociologie urbaine (2e éd.), 2007, PPUR, 283-314 p. 42   Entretien avec Said (co-fondateur du 123)

132


dans la ville, avec rues, quartiers et maisons. Au contraire, dans les

occupations animées uniquement par une nécessité de logement, le bâtiment est choisi de façon qu’il soit le plus discret possible et l’intervention est restreinte au minimum habitable.

133


134


I I .2 .2 Occ up ati on – i nsta l l a t i o n – ha b i t a t i on

« Mon chez-moi commence vraiment dès qu’on rentre. Voilà, ça c’est

la maison qu’on habite. Au début on n’a aucune affaire, souvent on les amène petit à petit, parce que chacun de nous les perdons pour chaque

expulsion et tu peux meubler une maison en une semaine, il y a plein truc dans les rues ! par exemple, dans le dernier squat où j’ai habité, où

on s’est fait expulser il y a trois semaines, en deux semaines nous avions

un salon, une cuisine, alors que c’était vide à la base. Le moment du début est très chargé et très beau parce que nous dormons tous dans la même pièce, souvent au sol, et on se crée de trucs avec des planches et des choses qu’on ramène »43.

Pattaroni énumère cinq étapes majeures qui font partie de

l’univers du squat : occupation, installation, habitation, évacuation et perpétuation. Dans les cas ci présentés, la majorité sont des occupations précaires, donc une certaine stabilité est assurée et les étapes plus importantes sont le trois premières.

L’occupation est représentée, comme déjà susmentionnée dans

le paragraphe précédent, par la recherche du lieu convenable au type de projet, l’ouverture, l’évaluation du bâtiment et ensuite les premières procédures pour contacter le propriétaire pour une

possible convention. Parfois trouver un lieu convenable est très compliqué:

« tu rentres dans les maisons et tu as l’impression que le temps s’est

arrêté. Il y en a aussi certaines où faire les travaux coûte trop cher.

D’autres sont vraiment insalubres, mais parfois c’est le propriétaire qui

utilise ça comme excuse, mais nous avons déjà habité des maisons, 43   Entretien avec Martin, 14 Mars 2018

135


considérées comme « insalubres », qui ont vraiment tout parfait. Nous en faisant le squat soignons la maison. Tu peux imaginer, il y a aussi

des propriétaires qui laissent les fenêtres des toitures ouvertes pour que les pigeons puissent rentrer et faire le plus vite possible des dégâts et ils

rendent la maison insalubre. Ils préfèrent les pigeons aux squatteurs ! Parfois, nous passons deux ou trois semaines à nettoyer toute la maison. Ça nous arrive aussi de rentrer dans certaines maisons qui sont trop insalubres et on est obligés de repartir, nous ne pouvons pas investir trop d’énergie si nous nous faisons expulser la semaine d’après ».

Suite à ce processus assez délicat, le lieu est prêt pour commencer

son histoire et le moment de l’installation peut commencer. Dans

le premier temps, il faut gérer les questions fondamentales, c’està-dire nettoyer, positionner des matelas, l’eau et l’électricité pour satisfaire les exigences primaires, dormir, se laver et cuisiner: «on a

passé bien une semaine sans eau, il y avait uniquement un robinet extérieur, et on s’éclairait avec les bougies». La quotidienneté est

dictée par des conditions d’urgence. Le bâtiment est découvert petit à petit. Les espaces communautaires ainsi que la cuisine sont parmi les premiers à être installés. De fait, rentrer dans un

immeuble inconnu est psychologiquement stressant et seulement dans un deuxième temps, quand les occupants acquièrent une

majeure familiarité avec l’endroit, la définition des espaces privés

commence. « La territorialité avant de s’exprimer par l’attachement

à un lieu particulier, est d’abord rapport entre les hommes »44. En

d’autres termes, étant donné qu’au début le bâtiment est un lieu

inhospitalier, il n’y a pas vraiment de sens d’appartenance et le sens d’identité est tout à construire, en particulier dans un endroit

qui n’est pas prévu pour l’habitat. Peu à peu , de façon plus ou

moins démocratique les occupants - «occupants», car ils n’habitent 44   RONCAYOLO Marcel, La ville et ses territoires, Paris, Gallimard, 199, p.195

136


pas encore vraiment le lieu - démarquent leurs espaces intimes. L’organisation et l’installation, comme l’on verra dans la partie

trois, sont réfléchies selon des dynamiques « urbaines », dans le

sens que leur logique, de manière métaphorique, (me) rappelle

celle de la ville. Les administrateurs de l’occupation s’installent au cœur de la ville, c’est-à-dire dans les étages plus bas, là où il y le plus d’espaces communs et d’institutions – le centre-ville, la mairie, les espaces publics, places et parcs – pour activer le lieu

avoir un majeur contrôle sur celui-ci. Les travailleurs solitaires

dans les étages en plus décentralisés, parce que leur rythme de vie est plutôt adressé vers l’extérieur – comme dans des zones

à proximité de celles centrales, ainsi que la gare – et la maison

est vécue plus comme un passage. Les familles qui s’installent dans les étages un peu plus périphériques au calme – quartiers

résidentiels – pour avoir plus d’intimité et autonomie. Enfin, les

137


étudiants ou les artistes qui se placent un peu partout, mais dans des lieux – les endroits spécifiques tels les théâtres, les musées,

les expositions - qui rendent distinctifs par leurs initiatives. Enfin, dans chaque étage on retrouve des espaces communs ou partagés – des places –, telles les cuisines ou les salles de bain. Un peu comme une ville, en général, l’espace de l’immeuble est parcellisé

en unités, pour faciliter une distribution plus équitable à tout le

monde. Par exemple, dans le cas du Commissariat, chaque habitant a à disposition trois modules-espaces, qu’il gère indépendamment :

certains en font un atelier ou une chambre d’amis, d’autres louent l’espace, etc. Ou encore dans l’ancien Tagawa, les familles avaient un demi-étage pour pouvoir créer les chambres pour leurs enfants.

Les analyses clarifient qu’habiter, c’est aussi entretenir ces

lieux, les maintenir en bon état. On passe d’occuper les lieux de la première phase à s’occuper des lieux. On investit un peu moins

les espaces communs, pour se concentrer plutôt sur son propre espace d’habitat, désormais familier par l’usage quotidien. Les

occupants s’occupent du lieu dans le sens qu’ils y consacrent du temps, ils observent la conformation de l’espace, sa configuration, son intérieur, la luminosité, les caractéristiques et les détails qui doivent cohabiter avec leur façon de vie. Ainsi, l’occupant passe

d’une appropriation essentielle et fonctionnaliste, c’est-à-dire

établir les fonctions bases de l’habitat, dictées par l’urgence et la survie du début, à une appropriation esthétique, qualitative

des lieux. C’est ainsi que des plantes, des objets de décoration apparaissent et animent la pièce avec la personnalité de l’individu,

qui devient habitant. Son espace intime évolue donc à maison,

visible dans l’organisation spatiale. Avec le passage d’installation à habitation, une communauté «idiorythmique »45 se crée : le lieu se 45   Barthes R., Comment vivre ensemble : simulations romanesques de quelques espaces

138


transforme, d’endroit invivable à une place où chacun peut vivre à son rythme et à son style46.

quotidiens. Notes de cours et de séminaires au Collège de France, 1976-1977 46   PATTARONI Luca, Les friches du possible, petite plongée dans l’histoire et le quotidien des squats genevois, Genève, Editeur: Gregorio Julien, Publié dans: Squats, p. 95-119

139


140


II.2.3 La poétique des détails. Une petite plongée dans une anthropologie d’un espace alternatif « Les espaces que j’habite sont pour moi des manières de m’installer

dans le monde, ils y dessinent en quelque sorte la carte de mon existence, selon une cartographie toujours évolutive, au gré de mes initiatives,

des événements qui m’affectent, des racontes et des histoires dans lesquelles j’entre et sors »47.

Ugo La Pietra disait « habiter c’est être n’importe où chez soi »48.

La Pietra dans son projet Attrezzature Urbane per la Collettività49,

à travers une série d’enquêtes sur les objets urbains trouvés dans

la ville de Milan et leur analyse, reconvertit ceux-ci en objets domestiques. Il tente de manière ironique de mettre en évidence la différence profonde entre notre espace privé, qui exprime notre

identité, et l’espace public, caractérisé plutôt par des objets et des

instruments qui expriment la violence et la séparation. A travers des fines modifications, La Pietra convertit une barrière en banc public,

une lumière signalétique en abat-jour, ou un plot en mange-début. Dans son idée, l’architecte tente de transformer ces objets pour

que les citoyens se les approprient. Les habitants des occupations précaires font de même : comme on l’a déjà dit, ils transforment un endroit rude en espace domestique, confortable et familier. Parfois à travers le gros-œuvre, parois cassées, murs construits,

reconversions, mais, la plupart du temps, les transformations sont subtiles, discrètes, ingénieuses telles que celles de La Pietra.

47   BESSE Jean-Marc, Habiter: un monde à mon image, Flammarion, Paris, 2013, p. 157 48   LA PIETRA Ugo, « Abitare è essere ovunque a casa propria » 49   Trad. « Equipement urbain pour la communauté »,

141


Ce processus matériel et symbolique d’appropriation50 est

indispensable pour créer un sentiment d’appartenance et une

externalisation de sa personnalité. Cette démarche personnelle sert

également pour distinguer son propre espace intime de l’espace communautaire51, car dans ces espaces, plus qu’ailleurs, les

habitants s’impliquent pour rendre vivable l’espace. En quelque

sorte, il y a une contradiction qui se crée puisque d’un côté il y a la grande liberté de modifier l’espace, mais de l’autre côté il y

a la question cruciale de la temporalité : « c’est comme l’épée de

Damoclès qui entre à faire partie de ton quotidien »52. Comme on

le verra dans la troisième partie, la temporalité de l’occupation joue un rôle crucial dans l’appropriation de l’espace et elle définit

deux approches opposées. Une personnalité qui investit l’espace, insouciante du lendemain, c’est-à-dire avec plein d’objets et

mobilier -chaque coin est chargé d’objets, sur les parois des cadres et des photos apparaissent, et parfois des grandes constructions

sont faites. L’autre personnalité, laisse au contraire de côté

les grands mobiliers, car plus difficiles à transporter dans une

pérégrination, et ce sont uniquement les objets indispensables ou

importants du point de vue affectif qui sont amenés. Dans ce casci, les parois ne sont pas (ou très peu) investies, on trouve peu

d’objets, mais soigneusement choisis. En outre, dans beaucoup de

cas, la récupération dans la rue est un moyen très important pour répartir à zéro et meubler son habitat ; ainsi le dessin du projet

d’aménagement est impulsif, non réfléchi à l’avance, car il dépend des objets et des matériaux récupérés.

50   NB. L’analyse de l’espace ne s’arrête pas à ce paragraphe, mais elle continue tout le long de la partie trois. 51   LAWRENCE R.J. « What makes a house a home? », Environment and Behaviour, vol 9, 2, 1987, 154-168 p. 52   Entretien avec Thomas Dawance, 4 Mars 2018

142


une diffĂŠrente vision des objets qui sont convertis en outre fonction

143


Les écrits de Laurent Thévenot53 sur l’action au pluriel font écho

aux cas étudiés pour les occupations temporaires. Dans son œuvre, l’auteur explique l’engagement de l’individu qui façonne son

environnement à travers une situation idéal-typique, l’installation

des voyageurs dans un wagon de train : « cette situation de transport, des plus banale, nous intéresse parce qu’on y sort d’un « chez-soi »

durable tout en s’aménageant pour un temps un chez-soi de fortune. Elle provoque un grand écart entre des modes différents d’engagement,

entre l’utilisation d’un habitacle fonctionnel préparé pour un utilisateur anonyme et l’aménagement d’un espace personnalisé accommodé pour ses aises »54. Ainsi que les voyageurs font irruption dans le dispositif

impeccable du wagon, les occupants font le même dans le bâtiment vide et « ils sèment un désordre portant témoignage de leur prise

en main des lieux »55. En outre, quand les occupants conquièrent l’endroit (ainsi que les voyageurs les wagons de la SCNF), en

particulier dans des immeubles commerciaux et bureaux, l’espace est complètement standardisé, c’est-à-dire que l’aménagement nécessité encore plus d’ingéniosité pour « domestiquer » le lieu.

Par exemple, Juliette56, une des habitantes du Commissariat, pour

cacher son espace soin, a utilisé la tablette de la fenêtre et au lieu d’avoir une armoire fermée elle utilise les stores de la fenêtre.

Toujours dans ce cas d’étude, Malo utilise un placard celé dans son espace pour pendre aux câbles existants un jambon.

Bachelard parlait de poétique de l’espace, dans ce contexte on

parlera aussi d’une poétique de l’objet. En autres termes, dans ces espaces dénués d’âme, l’objet amené par l’habitant est crucial puisqu’il est une forme de repère : «il n’y a pas d’espace au sens 53   THEVENOT Laurent, L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, La Découverte, « TAP/Politique et société », 2006, 312 p. 54   Ibidem, p. 24 55   Ibidem, p.25 56   Chapitre Commissariat, p.

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la rĂŠinterpretation de la tablette de la fenetre comme espace soin

145


véritable du terme sans aménagement »57, c’est-à-dire que les objets prennent place et ils créent des lieux physiques, mais aussi

symboliques. Il s’agit des détails et pour s’en apercevoir il faut bien ouvrir les yeux et l’esprit. De fait, en analysant les terrains

d’étude, il y a des éléments qui se reproduisent assez souvent

dans les habitat-maisons des occupants. Par exemple, celle qu’on appellerait ici la logique du tapis : dans l’espace confiné d’une pièce qui doit représenter la maison entière, le tapis joue un rôle

fondamental, il définit des limites invisibles. En autres termes, il crée une pièce dans la pièce et contribue à l’organisation de

l’espace. Malo58 a un grand tapis dans sa chambre qui symbolise la

pièce où il pratique ses massages. On distingue un rituel quand on rentre dans l’espace-tapis : souvent on s’assit par terre, on s’enlève les chaussures et on reconsidère le sol comme espace de travail,

repos ou loisir. Le tissu a également une fonction importante, c’està-dire de garder la chaleur et de personnaliser le sol, qui est froid

et sans âme. Dans une pièce-maison on peut retrouver plusieurs

tapis, et si l’on regarde bien, ils sont positionnés pour distinguer

et souligner la division des fonctions : un pour la salle à manger, un autre pour le salon et un dernier pour la chambre à coucher.

Étant donné que les chambres-habitations à disposition ne sont pas cloisonnées (pour ne pas perdre de la surface), tout est visible, et le positionnement des tapis aide dans la lecture de l’espace.

De manière similaire, les tables jouent également le rôle de

distributeur de l’espace. De fait, malgré l’habitant pourrait utiliser

une seule table pour toutes les fonctions pour gagner de la surface,

on retrouve une table qui définit chaque fonction : pour manger,

pour travailler, une table basse, une table de nuit, un bureau, 57   GODIN C., MUHLETHALER L., Edifier: l’architecture et le lieu, Lagrasse : Verdier, 2005, p. 35 58   Idem

146


147


une pour la cuisine et une pour d’autres activités. Par exemple,

on remarque que la table de nuit trouve une place importante ; toujours présente, elle a une aura particulière puisqu’elle garde précieusement les éléments le plus intimes. C’est intéressant

d’observer comment les habitants, nonobstant ils luttent contre la standardisation de vie, ils reproduisent le même cheminement

et organisation spatiale d’une maison classique. Probablement, en

reproduisant ces modèles, ils retrouvent une sécurité domestique

dans ces lieux inhospitaliers. Toutefois, parfois ces liens sont beaucoup plus subtils, ils sont presque de l’ordre symbolique et

un accord entre habitants : « tu sais, je partage l’espace avec un type.

De ce côté ici moi j’ai mon atelier avec mes œuvres. Quand je veux que personne ne rentre dans cette zone-ci, ça suffit que je mette la

chaise comme ça et je bloque un peu le passage. Ça marche, personne n’entre ! »59

Dans la poétique des objets, les plantes aussi ont leur place. Elles

donnent tout de suite une dimension domestique et elle rentre à 59   Entretien avec Marc, 7 février 2018

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faire partie, comme susmentionnée, de l’occupation d’entretenir le

lieu pour l’habiter. Étrangement, dans les cas analysés, il manque la présence des photos de famille : dans aucun cas on ne les a trouvées. Toutefois, l’arrivée du smartphone a probablement déterminé la fin

de l’impression photo et son exposition dans un espace physique. Ce processus est devenu obsolète et c’est le téléphone qui a pris

le relais du rôle d’album photo de famille. Plutôt que cela, ce sont les objets qui représentent l’univers sentimental et familier, ils conservent la mémoire et ils créent des zones où l’histoire de

l’habitant est concentrée. Par exemple, dans la chambre de Malo, une petite table blanche est positionnée au centre de la baie vitrée.

C’était la table de son enfance, là où il prenait le petit-déjeuner, encore aujourd’hui elle garde la fonction et le souvenir.

Enfin, en rentrant dans ces lieux, on est capable de percevoir

une dimension impalpable, celle de la poétique des objets qui

détermine une logique importante dans l’espace informel des

occupations. Ainsi la pièce-maison devient « un lieu privilégié de la spontanéité »60.

60   MOLES A.A., ROHMER E., Psychologie de l’espace, Casterman; Édition : 2e éd, 1996, 245 p., p.49

le processus d’appropriation

149


150


II.2.4 Innovation sociale. Une architecture vernaculaire urbaine ? « Pour le bricoleur, l’espace qui l’entoure et ce qu’il contient ne

sont pas neutres et dans une indifférence homogène. Couvert de traces

et de signes, l’environnement a un visage, des reliefs et des plis, une physionomie porteuse de sens et des valeurs »61.

Malgré l’illégalité de leur pratique, si on considère le côté positif,

les squatteurs de ces lieux développent aussi des savoir-faire et des

compétences62 surprenantes, ainsi qu’innovantes. Souvent c’est un chemin que l’habitant parcours avec l’aide d’un réseau d’autres

« spécialistes » : une espèce « d’école de débrouillardise », un

savoir-faire que l’on apprend par transmission et l’on affine selon chaque personnalité. En autre termes, le squat lui-même est une

« formation » amené grâce au contact des autres, des espaces, de la situation, et à travers le « faire » de nouveaux savoirs et savoir-faire et où l’on développe de nouvelles compétences et capacités. Il peut s’agir de compétences urbaines à repérer les dynamiques de la ville, sa géographie, sa population, ses quartiers, ses interstices et

aussi ses aspects juridiques, mais aussi de capacités de médiation,

comme lorsqu’ils tentent d’établir des liens entre leur occupation et le quartier. De fait, ils requalifient le lieu au niveau physique

et spatial, mais également social grâce à leurs initiatives ouvertes au public. Avec un peu d’expérience, ils développent leur capacité d’attention et deviennent capables de localiser des endroits qui

peuvent devenir leur habitat, les ouvrir et s’en approprier. Pour 61   BESSE Jean-Marc, Habiter: un monde à mon image, Flammarion, Paris, 2013, p. 37 62   BOUILLON Florence, Les Mondes du Squat, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), 2009, p. 244

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accomplir ce processus, ils possèdent ou acquièrent des habiletés techniques spécifiques, c’est-à-dire des pratiques manuelles et artistiques qui se matérialisent dans une production de l’espace,

parfois même dans des espaces complètement vides : l’aménagement

d’intérieur, la production de mobiliers, réparations, constructions, récupération, etc. En autres mots, ils fabriquent une nouvelle quotidienneté.

Michael Rakowitz avait créé en 1998 paraSITE63, une tente

gonflable en auto-construction avec des sachets en plastique qui exploitent le système d’aération de l’air conditionné. L’artiste a analysé les « ressources » que la ville pouvait offrir pour construire un abri. De la même manière, l’artiste La Pietra mentionné précédemment reconvertit les objets urbains disponibles pour en

créer des objets d’utilité domestique. Ainsi, de façon similaire, 63   http://www.michaelrakowitz.com/parasite/

photo : Michael Rakowitz, paraSITE, 1998 http://www.michaelrakowitz.com/parasite/

152


les squatteurs utilisent les éléments qui les entourent et ils créent

leur habitat. Pourrait-on parler d’architectes et d’une architecture

vernaculaire urbaine? Si on considère la définition de base

d’architecture vernaculaire : « L’architecture vernaculaire est un type d’architecture propre à un pays, un territoire ou une aire donnée et

à ses habitants »64. Elle est « souvent définit comme une architecture

sans architecte le bâti vernaculaire a été façonné au fil des siècles

64   https://fr.wikipedia.org/wiki/Architecture_vernaculaire

photo : Ugo La Pietra, Riconversione progettuale, “Attrezzature urbane per la collettività”, 1979 https://ugolapietra.com/anni-70/arte-nel-sociale/#&gid=psgal_954_1&pid=6

153


par la somme de connaissances accumulées dans un lieu défini. »65

Dans ce cadre, le territoire est la ville. À partir de l’occupation d’un bâtiment vide, chancre urbain, mais qui est déjà considéré par les squatteurs comme une ressource disponible et exploitable. La

récupération des objets dans la rue n’est pas seulement une nécessité,

mais également une revendication. Toutefois, elle représente à part entière une ressource disponible partout à Bruxelles, qui pourrait faire partie d’un système d’économie circulaire. Comme on le verra

de manière flagrante dans les Ateliers Merlin, de la même manière

que des matériaux locaux, et des configurations spatiales adaptées au climat et aux modes de vie de communautés caractérisent

en partie l’architecture vernaculaire, dans le cadre urbain, la

typologie des bâtiments squattés, la disponibilité des matériaux sur les chantiers et des objets récupérés déterminent la logique de construction et l’esthétique du design de l’habitat « occupé ».

Cette modalité de vie, récupération, transformation, reconversion

change l’esprit d’observation et d’utilisation des objets. Ci-dessous

quelques exemples - repéré sur les terrains - d’utilisation alternative d’objets récupérés.

65   https://vernaculaire.com/larchitecture-vernaculaire-aujourdhui/

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En conclusion, des vrais laboratoires de vie, mais aussi des

laboratoires de solutions inventives, de débrouillardise et de savoirfaire alternatif, ces lieux analysés sont source d’inspiration pour les

architectes et les autres professions pour la conception de l’espace.

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PA R T I E T RO I S Etude de cas


162


III.1 Introduction : des habitations précaires qui font réfléchir Plusieurs questions ont déjà été abordées au cours de la première

et de la deuxième partie. Le lecteur les retrouvera également tout

au long de cette partie. Les pages suivantes ont plusieurs styles d’écriture et de narration différents. De fait, la recherche sur le terrain a rencontré un univers tellement varié et complexe d’acteurs et situations, que l’éclectisme narratif (délibérément laissé ainsi) donne déjà une idée sensible de cette complexité. Parfois le lecteur

trouvera la retranscription totale d’une interview qui nous permet

de plonger dans un espace qui n’existe plus, parfois il trouvera une lecture et analyse personnelle de l’auteur ou enfin un mélange entre les deux.

Ces univers diversifiés et difficiles à pénétrer sont matière à

réflexion pour les concepteurs de l’espace. Leur analyse spatiale, les techniques utilisées pour survivre et habiter dans un espace sauvage, les détails de la sphère domestique et du quotidien,

sont tous des éléments que nous, concepteurs, tendons à oublier

à cause de notre confort et qui, par contre, peuvent être source d’inspiration. À part la question de la précarité du logement, sérieuse

problématique dont architectes, urbanistes et designers devraient

tenir compte dans leur profession, ces cas deviennent un point de départ pour comprendre certaines nécessités, volonté et situations

des habitants. Habiter est une activité qui dépasse la portée de l’architecte dit Ivan Illich, il y a une distinction entre habiter et être

logé. « Habiter est un art vernaculaire »1. Observer activement ces

espaces a permis d’ouvrir les yeux sur des questions d’organisation 1   BESSE Jean-Marc, Habiter: un monde à mon image, Flammarion, Paris, 2013, p. 160

163


sociale et spatiale et comment les habitants s’organisent de manière autonome. De fait, ces espaces, vides et libérés des contraintes

architecturales, sont des vrais laboratoires d’expériences et l’on remarque directement les besoins des habitants.

Le point de vue dans cette partie est, plus ou moins,

intentionnellement laissé neutre, pour laisser au lecteur le soin de créer sa propre opinion à ce sujet. La volonté est d’écrire une

partie plus sensible qui puisse transmettre ce que l’auteur a vécu. Les dessins et les photographies ont souvent été pris rapidement,

quelques fois de manière cachée, car en rentrant dans ces espaces, on rentre dans l’intimité des habitants, et capturer de tels moments est une entreprise relativement compliquée...

164


photo : Noemi Giovannetti, 2018 oeuvre d’art Edoardo Cucciarelli Insicure, 2018 lieu: commissariat de Police à Schaarbeek

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III.2 Squat-refuge. La ville qui exclut Le bureau de police. Un toit provisoire pour des sans-papiers



Le bureau de police. Un toit provisoire pour des sans-papiers 2

« On se contente alors du minimum : de quoi cuisiner, un canapé-

lit, des matelas à même le sol, une armoire, une table et une télévision. On n’ « habite » pas alors à proprement parler dans le squat : on s’y abrite, on s’y repose. Mais on n’y projette rien de son identité, on ne s’approprie guère les lieux. Les familles continuent d’habiter le voyage, le mouvement, à un moment donné, cette mobilité »3.

Ce chapitre illustre le squat lié au cadre social et fragile de

Bruxelles4, en particulier à l’actuelle vague migratoire. Dans ce terrain, le lecteur aura uniquement un bref aperçu de la vie de

ce lieu ; réussir à y entrer n’a pas été une condition facile. Dans

cette occupation, il y a uniquement des sans-papiers qui vivent dans l’ombre et illégalement, dans l’ancien commissariat de police

à Schaarbeek. Trois personnes avec des papiers réguliers se sont

engagées dans la bataille pour les migrants et les sans-papiers, et ont créé une petite asbl avec les habitants -pour bénéficier de plus

de garanties. « Ça fait déjà deux fois qu’on essaie d’occuper ce

bâtiment qui était abandonné depuis déjà quinze ans. Maintenant on habite ici depuis six mois. »5. Ninon raconte qu’ils ont la chance

d’occuper un immeuble qui appartient à la Région ; de fait « les

expulsions ne se font pas de manière violente. Avant on occupait une maison abandonnée qui était d’un privé, mais quelques jours après ils sont arrivés avec des battes de baseball ! Par contre, c’est 2   Ce chapitre a été rédigé à partir de l’interview avec Ninon, le 11 Mars 2018 3   BOUILLON Florence, Les Mondes du Squat, Paris, Presses Universitaires de France

(PUF), 2009, p. 244, p. 46

4   Problématique présentée dans la première partie 5   Ninon

169


très compliqué d’obtenir une convention pour ici parce que c’est

vraiment très politique ! ». Pour l’instant, la police sait qu’ils sont dans le bâtiment, mais ils vivent cachés parce que c’est la permission des pompiers qui donne le droit de rester dans un lieu. Cependant,

pour organiser une visite, on se trouve devant une difficulté, car

cela coûte cher, et en cas de refus, les habitants seront vraiment obligés de partir en trois jours. Le bâtiment a été trouvé grâce à

« une des missions du soir », c’est-à-dire le fait de mettre une cale dans la porte et revenir quelques jours après pour observer si elle

est restée dans la même position. Ninon affirme que pour les sans-

papiers c’est l’unique solution et il est de plus en plus dur de trouver

des bâtiments, parce qu’il y a beaucoup de gens qui cherchent,

et la nouvelle loi anti-squat a aigri encore plus la situation. Les habitants sont onze, et parmi eux, il y en a qui cherchent à avoir des papiers officiels depuis plus de dix ans… ! Pour la majorité, il

s’agit d’ hommes seuls ; une dame plus âgée et une famille avec

trois enfants vivent également là. Ils se sont choisis eux-mêmes après des années de précarité, et « nomadisme » est désormais le

groupe qui s’est formé ; ils sont devenus comme une petite famille.

Les « le SDF ne sont pas acceptés parce que souvent ils boivent, et

ici le 90% sont musulmans, ils n’acceptent pas l’alcool » et donc ils restent soudés et enfermés dans leur situation fragile.

L’entrée dans le bâtiment se fait par le comptoir de réception de

garde, l’atmosphère semble congelée : tout est encore en place, la vitre, le hygiaphone, le microphone du parloir ; derrière la chaise

de bureau et les vieux écrans d’ordinateur. Sur la vitre est affiché

un tableau avec les noms de tous les habitants, « c’est pour être de

garde, étant donné qu’on est ici encore illégalement, il faut toujours que quelqu’un soit présent parce que si non on est expulsés direct. Et ils passent vraiment à l’improviste ! ». La famille, elle, habite au

170


rez-de-chaussée, ce qui lui permet une toilette plus privative. Ils

sont derrière une porte de secours qui conduit au garage. Ils utilisent des armoires encastrées, qui à l’époque contenaient des dossiers, pour déposer leurs affaires, nourriture, casseroles, vêtements. Seulement un tissu tendu devient la paroi qui sépare leur habitat

du couloir de passage. Heureusement pour les squatteurs, dans des immeubles assez grands et publics comme le commissariat central,

les compteurs d’eau et d’électricité sont constamment ouverts.

Pour les « occupants », il a été facile de s’en approprier. De plus, un des habitants, Bachir, connaît très bien les systèmes d’électricité,

et il a mis en place un nouveau système. En marchant, on remarque des câbles électriques qui grimpent un peu dans toutes les surfaces

disponibles : une rampe, un vieux radiateur, la carcasse du fauxplafond sont les supports pour le nouveau système électrique. Des

171


anciennes banderoles de police indiquent le chemin, plusieurs portes sont fermées, ainsi que les deuxième et troisième étage, parce que déclarés trop insalubres.

Au premier étage, chaque habitant possède une « chambre-

habitation », privée qu’il ferme à clé. Toutes les portes sont définies

par un petit post-it qui indique la fonction. On a l’impression de retrouver le même langage que dans l’ancien bureau de police, où toutes les fonctions devaient être indiquées : une petite clé pour

l’ « habitation », une casserole pour la « cuisine » et une télévision

pour l’espace « salon ». La clé dessinée, anonyme, nous rappelle que derrière cette porte-barrière se protège un chez-soi qui reste

un mystère, isolé « des autres, le monde, le public, le politique »6. 6   PEREC Georges, Espèces d’espaces. Journal d’un usager de l’espace, Paris, Denoel/ Gonthier, 1976, p. 54

172


Rien ne peut filtrer, tout reste dans l’anonymat ; même le prénom de l’habitant n’est pas écrit sur ce petit papier par crainte de graver

une condition qui en réalité reste fragile. À différence de l’autre

173


Commissariat7, où les portes deviennent un étendard de chez-soi, ici l’espace reste étranger, incertain, uniquement une étape « d’une

trajectoire migratoire dont il n’est qu’un moment »8. Comme règle

commune ils ont établi de manger ensemble pour pouvoir avoir un moment communautaire, au moins le soir. Les pièces indiquées

par le petit papier « cuisine » et « salon » sont les seules pièces

accessibles. La cuisine sans fenêtre est divisée en deux : un rideau

mal tendu sépare et cache une chambre. Derrière le rideau, c’est 7   Cf. II.2.2 Aujourd’hui : le commissariat de police fédéral. Un nouveau projet de communauté dans une coquille de noix 8   BOUILLON Florence, Les Mondes du Squat, Paris, Presses Universitaires de France

(PUF), 2009, p. 244, p. 46

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la dame plus âgée, la plus vulnérable au froid ; dans cette position elle peut profiter de l’inertie de la chaleur de la cuisine. Ainsi que le

reste du bâtiment, la cuisine n’est pas investie : tous les ustensiles

et la nourriture se trouvent dans des boites, les assiettes sont posées sur la table, la majorité des éléments ne sont pas rangés, prêts à être embarqués d’urgence. « Une des premières manières d’être

bien, se fonde sur le fait d’aménager son logement en vue d’en faire

un cocon protecteur, de s’y sentir bien »9, dans cette occupation

les habitants n’habitent pas, ils s’abritent uniquement, d’autant

plus qu’ils sont dans une situation d’illégalité. L’espace reflète

cette condition. Par exemple, toujours dans la cuisine, la table et les chaises sont occupées par des objets qui ne permettent pas de

s’assoir tranquillement autour. On ne retrouve pas une atmosphère

de quotidienneté tranquille. La (non)-réappropriation de l’espace

est complétement vissée au caractère fonctionnel de l’habitat. Le décor est un surplus, quelques plantes sont déposées timidement

dans deux coins du couloir, une guirlande de lumière éclaire une

partie de la cage des escaliers, c’est tout. Dans le salon également 9

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photo : Noemi Giovannetti, 2018 la pauverté d’appropriation des lieux causée par l’insicurité de l’avenir



meme les objets d’utilisation du quotidien sont mis dans des dispositifs pour etre pret pour s’en aller

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l’atmosphère est froide, éclairée par la lumière des néons de bureau. Une armoire conserve quelques objets hétéroclites. Récupérés ou donnés, ces objets n’appartiennent pas vraiment aux habitants, ils servent plutôt à donner une illusion d’ameublement et de décor personnel, ils aident à donner à ce lieu rigide un peu de couleur.

Dans ces pages, on constate comment la question de la temporalité,

due à l’insécurité de l’illégalité, influence la réappropriation de

l’espace. Les interventions sont minimales et même les objets du quotidien sont placés dans des dispositifs prêts à être récupérés en

cas d’expulsion. D’où l’importance d’une convention d’occupation temporaire qui permettrait aux habitants d’investir au mieux l’espace pour leur confort spatial, mais aussi psychologique.

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photo : Noemi Giovannetti, 2016 oeuvre de A MODEL, de Enmodel, Biennale d’Architecture Venise 2016


III.3 La ville dans un bâtiment. Dynamiques urbaines reproduites dans un immeuble

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« Motel de composition modulaire, autrefois sous la dénomination d›Hôtel Mac Donald, puis d›Hôtel Tagawa, conçu en 1965-1966 par les architectes Marcel Lambrichs et Jacques Van de Putte. » Hôtel Tagawa; Avenue Louise 321-323-325 source: Irismonument.be


III.3.1 Hier : l’hôtel Tagawa. Un ancien squat emblématique Bien que l’histoire de l’Hôtel Tagawa prend fin il y a dix ans,

les informations le concernant ne mentionnent pas vraiment la vie des habitants. Les informations trouvées sur internet, parce

qu’ailleurs inaccessibles, sont fragmentées et elles racontent le

début de l’occupation et sont le précurseur d’un modèle toujours

existant à Bruxelles. L’histoire de ce lieu reste uniquement dans les souvenirs d’une génération. D’autre part, pourquoi mémoriser

la vie au sein d’une ancienne occupation? Pourquoi s’intéresser et documenter ses espaces de vie? Dans cette partie, ma recherche essaye de conserver une réalité qui appartient au passé bruxellois : l’Hôtel Tagawa et l’histoire de ses habitants ; Il s’agit d’un important témoignage du passé, ils sont une trace. Ils conservent

une « attitude spontanée et créative dans le cadre bâti »10.

Par conséquent, pour les raisons susmentionnées, ce chapitre est

une brève collection sensible de quelques interviews de personnes qui ont vécu cette expérience et qui étaient disposées à me raconter leur histoire personnelle...

10   PATTARONI Luca, La ville plurielle: quand les squatteurs ébranlent l’ordre urbain, in Bassand M., Kaufman V., Joye D., Lausanne, Enjeux de la sociologie urbaine (2e éd.), 2007, PPUR, 283-314 p.21

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« Le propriétaire était un spéculateur qui laissait son immeuble se

dégrader pour après faire de meilleurs investissements. On a décidé de l’occuper. Je me souviens on a déménagé le jour plus froid de l’année, le

1er février. Du coup, aux policiers qui étaient là, on avait dit qu’on devait

faire un Reality Show, une série télévisée à l’intérieur du bâtiment. Et ils nous ont laissé passer et pour quelques semaines les voisins nous

considéraient comme une équipe de tournage ! »11. C’est ainsi que

l’histoire d’une occupation, qui a écrit un important passage dans

les anciennes occupations bruxelloises, a commencé. A partir du 1er février 2003, l’ancien hôtel luxueux de quatre-vingts chambres a été squatté jusqu’au 200712. Le bâtiment était situé au 321

avenue Louise. Aujourd’hui, on retrouve encore les traces du grand immeuble, qui a été retransformé, en 2016, en quatre appartements,

64 apparts-hôtels et une surface commerciale13 par la société des architectes Altiplan. Malgré le fait que l’Hotel Tagawa a fermé ses

portes il y a dix ans, l’histoire de ce lieu est encore actuellement gravée dans la mémoire de certains : « je me souviens que j’allais faire

des fêtes là-bas », « il y avait plein d’activités, artistiques, culturelles, le lieu était impressionnant.»14. En outre, l’ASBL « 321 Logements »,

née de cette expérience en 2004, vit encore aujourd’hui sous le

nom de « Woningen 123 Logements ». L’association conclut des conventions d’occupation temporaire en logeant des centaines des personnes en difficulté ménagère. Dans le même style de l’ancien

Hotel Tagawa, aujourd’hui le 123 à rue Royale occupe un ancien immeuble administratif appartenant à la Région wallonne et 11   Entretien avec Thomas Dawance le 4 Mars 2018 12   DAWANCE Thomas, Le squat collectif autogéré, une réponse à la crise

urbaine, dans la Revue nouvelle, février 2008

13   http://www.altiplan.eu/fr/project/tagawa/ 14   Entretiens avec Bruno et Bénédicte. En particulier, l’ancien Hotel

Tagawa était répandu parmi les lieux artistiques et les écoles d’art et d’architecture.

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projet du group Altiplan pour l’ancien batiment Tagawa source: http://www.altiplan.eu/project/tagawa/

il est considéré « une tour de Babel bruxelloise »15 : l’immeuble est capable d’héberger une soixantaine d’habitants en conditions précaires. Cependant je ne parlerai plus de cette occupation, qui est déjà très médiatisée et racontée.

15   CARLOT Philippe, Le 123 rue Royale à Bruxelles : une expérience d’habitat groupé solidaire vieille de huit ans, dans rtb.be, Publié le jeudi 28 mai 2015 à 15h22, https://www.rtbf.be/info/regions/detail_le-123-rue-royalea-bruxelles-une-experience-d-habitat-groupe-solidaire-vieille-de-huitans?id=8992075

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L’ancienne tour de Babel : Le Tagawa était établi sur onze étages. Au rez-de-chaussée, il

y avait l’entrée principale et un grand espace commun, où tous les événements étaient organisés. Les autres étages hébergeaient un large spectre d’habitants et un nombre variable de cinquante-

soixante personnes. Il y avait des horizons très hétéroclites à l’intérieur. Militants politiques pour la cause du droit au logement, étudiants, artistes, familles, réfugiés,

personnes émargeant au

chômage ou au CPAS et des travailleurs : « les gens venaient d’un peu partout en disant ‘Bruxelles nous appartient ! »16. À l’intérieur

de l’immeuble, les habitants s’organisaient de manière autonome

sur les étages, et ils se disposaient naturellement par « typologie d’habitant »17. Par exemple, les familles créaient leur nid du

sixième ou huitième, puisque les étages gardaient plus la chaleur, et la disposition des chambres, -comme l’on verra dans l’histoire

de Johanne, permettait de scinder l’étage en deux18 et de privatiser

l’espace de manière plus facile. Par contre, le dernier étage, le onzième, était réservé aux étudiants et aux artistes. « Le groupe

artistique Farmprod était là-haut, beaucoup de gens venaient au Tagawa grâce à leur travail artistique. Il était l’étage le plus isolé ; de fait, certains habitants avaient créé des soirées un peu plus privatives et on ne sait

pas trop ce qu’il passait là-bas. Je me souviens qu’à un moment on avait dû mettre à la porte quelqu’un parce qu’il faisait des trafics pas très

légaux. »19. Enfin, les habitants qui étaient les plus impliqués dans

l’association, préféraient rester aux étages plus les plus proches du rez-de-chaussée, c’est-à-dire sur une position stratégique qui

16   Entretien avec Johanne, le 12 Decembre 2017 17   Comme on le verra dans le chapitre suivant. 18   Un appartement pour une famille était composé de quatre chambres

individuelles qui étaient communicantes. 19   Entretien avec Said Deraoui

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permettait de contrôler les passages dans le bâtiment. Quant à l’association asbl « 321 Logements », elle s’est créée

en 2004, à la suite d›un tragique accident: lors d’une soirée, les escaliers extérieurs de secours se sont écroulés. Depuis cet épisode,

un noyau décisionnel s’est créé pour établir des règles et cadrer

-non seulement les habitants, mais aussi les activités. « Il y a eu une vraie réorganisation culturelle : on a ouvert un espace galerie pour des expositions, et même les soirées consistaient en petits concerts »20. Le

noyau « était très très soudé, il était fédéré autour des droits au logement

et à la volonté d’exister en tant que nouvelle expérience bruxelloise. On croyait vraiment dans l’entraide des situations de vie qu’on voyait

similaires à la nôtre : l’Hotel Tagawa n’est pas terminé en tant que squat, mais vraiment en tant que projet social ! »21. Et ainsi, l’association

« Woningen 123 Logements » continue à faire vivre les mêmes

valeurs aujourd’hui qu’il y a dix ans, grâce à l’occupation temporaire de la Rue Royale. Toutefois, on remarque une contradiction : puisque l’Hôtel était devenu désormais une association, le noyau

demandait une participation financière pour couvrir les coûts de l’eau chaude et de l’électricité… Par conséquent, « on n’accueillait

pas les SDF parce que les habitants payaient une contribution de 150€

par mois ». De fait, à part la question économique, le SDF a souvent besoin d’un suivi psychologique, et il est très compliqué de réussir à « intégrer » ses habitants22.

Ensuite, une association interne d’habitants a été créée pour régler

toutes les questions regardant la gestion des nouveaux locataires, 20   Entretien avec Johanne 21   Idem 22   Néanmoins, on verra dans le deuxième chapitre, Aujourd’hui : le

commissariat de police fédéral. Un nouveau projet de communauté dans une coquille de noix, le cas inverse, l’histoire d’un sans-abri qui a trouvé son rôle social à l’intérieur de la communauté des habitants.

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et le tout était ensuite approuvé par le noyau de l’ASBL. Pour pouvoir accéder à l’intérieur de l’Hôtel, il fallait d’abord présenter

la demande au sein de l’association, « l’ASBL permettait d’éviter un

système de cooptation entre potes »23 ; ensuite, le candidat était mis sur une « liste d’attente » et il devait participer plusieurs fois aux activités de

la communauté afin d’ être intégré en son sein. En outre, chaque jeudi une assemblée générale des habitants avait lieu et toutes les décisions

étaient votées de manière « plus ou moins démocratique »24. Dans

ces occasions « on discutait de tout, parfois des heures sur rien…

mais c’était quand même important parce qu’étant l’unique vrai moment d’interaction entre tous les habitants. Toutes les décisions

passaient par là, à exception des plus urgentes ; celles-là c’était nous, le noyau, qui répondions au plus vite »25.

Après quatre ans d’occupation, l’histoire de l’Hotel Tagawa arrive

à sa fin : « Le 2 janvier 2007, les habitants de l’hôtel Tagawa ont été

condamnés, d’une part à quitter, pour le 31 janvier au plus tard, les lieux où ils résident depuis près de quatre ans, et d’autre part à payer

la somme de 18591,23 euros au propriétaire de l’immeuble à titre de dédommagements divers26. Cette décision risque fort de marquer la fin

d’un projet social créatif, d’un lieu de vie autogéré et, surtout, d’un logement décent pour 50 personnes (isolés, familles et enfants). Depuis le 1er février 2003, date de son arrivée à l’hôtel Tagawa, l’ASBL «

321 Logements », active dans la gestion du lieu, a fourni un logement transitoire à près de 200 personnes précarisées. Elle n’a eu aussi de

cesse de participer à la vie associative bruxelloise (RBDH, Réseau 23   Johanne 24   « Plus ou moins démocratique parce qu’il y avait certaines

personnalités, notamment le président de l’association, qui poussait plutôt pour des décisions plutôt que d’autres », Johanne 25   Interview avec Johanne 26   Heureusement pour les familles et pour l’asbl, la somme n’a pas été réclamée par la société qui avait repris l’immeuble. (Johanne Verbockhaven, http://joverbockhaven. wixsite.com/lavieapres/about-me)

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Citoyen, Plein Open Air, …), d’organiser des débats, des expositions,

des concerts, des tables d’hôtes, … En quatre ans, l’Hôtel Tagawa a été reconnu à maintes reprises comme un projet social innovant et a vu sa réputation s’étendre au sein du monde associatif européen »27 .

27   Conférence de presse organisée par l’ASBL 321 logements, mercredi 17 janvier 2007 à 9h30, conférence de presse à l’Hôtel Tagawa, https://old. squat.net/fr/news/bruxelles180107.html

une pièce de l’ancien Tagawa, photo de Johanne Verbockhaven http://joverbockhaven.wixsite.com/lavieapres

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photo: Noemi Giovannetti lors d’un rendez-vous Skype avec Johanne qui m’a raconté son histoire. Dans cette photo: l’ « étage de famille». L’étage était divisé en deux pour héberger deux fammilles

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Johanne « … la maison est une des plus grandes puissances d’intégration pour

les pensées, les souvenirs et les rêves de l’homme. Dans cette intégration, le principe liant, c’est la rêverie. Le passé, le présent et l’avenir donnent

à la maison des dynamismes différents, des dynamiques qui souvent interfèrent, parfois s’opposant, parfois s’excitant l’un, l’autre. »28

Étant donné que l’occupation Tagawa n’existe plus, la recherche

dans cette partie du chapitre propose la retranscription détaillée des souvenirs d’une habitante de l’Hôtel, Johanne. Le chapitre

propose au lecteur de se promener au cours d’ un parcours qui

décrit un processus d’appropriation d’un espace vis-à-vis d’un lieu qui est à la base a une autre « programmation »29. Dans ses mots, qui sont de l’ordre du souvenir, Johanne montre « comment le chez-soi exprime un espace propre, celui de l’intimité qui est

aussi identité »30. En particulier, ce processus devient fondamental

dans un espace, un non-lieu, hostile à la fonction de l’habitat : grâce à l’appropriation et à l’usage du quotidien qui produit des

solutions vernaculaires à travers peu de moyens, ces non-lieux se

transforment en lieux. L’histoire de Johanne est un témoignage

important d’anthropologie de l’espace dans un lieu disparu, ses paroles en font une description précise: « on peut saisir [de ce

qui définit la maison] au niveau de la vie quotidienne, en regardant par exemple les significations et les localisations des objets et des

meubles dans les pièces, ou bien en suivant les activités domestiques les plus simples »31. Dans l’histoire de Johanne nous trouvons des 28   BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1967, p.26 29   RAYMOND Henri, L’architecture, les aventures spatiales de la raison,

Collection Alors :, Paris, CCI/ Centres Georges Pompidou, 1984, p. 153 30   SEGAUD Marion, Anthropologie de l’espace. Habiter, fonder distribuer, transformer, Collection U Sociologie, Armand Colin, 2007, p. 73 31   Ibidem, p. 75

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informations précieuses : plus précisément, dans ses mots où l’on ne retrouve pas seulement une description détaillée de l’espace,

mais aussi un morceau de vie du quotidien qui réfléchit sur les conditions de vie d’autres occupants du Tagawa.

Plus que jamais dans ces lieux, c’est-à-dire des espaces

abandonnés, l’appropriation et l’ameublement ne deviennent

fondamentaux que parce qu’ils ont une importante fonction de repère32. De fait, finalement, le processus d’ameublement est représenté par « les objets qui entourent l’individu et font partie de son environnement »33. Ils servent comme unité de mesure et échelle

intermédiaire pour l’individu entre sa propre dimension et celle

de l’espace où il se trouve. Pour Johanne, comme d’autres dans les mêmes conditions, l’individualité de ces objets est perçue et

ne sert souvent pas seulement à personnaliser l’espace, mais aussi

(et surtout) à le symboliser complètement. Ce n’est pas un hasard

si les « pièces »34 sont, à vrai dire, uniquement une organisation

mentale de l’habitant, mais qui deviennent cruciales quand il s’agit de rendre le lieu vivable. De fait, dans tous les terrains et les

interviews on remarque toujours la ferme nécessité de diviser et ordonner l’espace à travers parfois les meubles, mais également à travers des objets bien précis, par exemple des plantes, des tissus,

etc. Dans ces types de lieux, la conception d’un espace flexible ou multifonctionnel n’est pas envisagée et ne peut l’être en raison de l’importance de créer un repère dans un espace déjà à la base

neutre ou hostile à l’habitat. Enfin, grâce à Johanne, on saisit une compréhension réelle de la vie à l’intérieur de l’ancien Tagawa : les 32   Séminaire et atelier Tony Garnier, Cahier 66-67, l’espace et l’individu, la

famille, le groupe, la communauté, Paris, E.N.S.B.A., 1969, p. 50

33   Idem 34   J’utilise les guillemets parce qu’ il ne s’agit pas vraiment de pièces,

mais d’une pièce-chambre unique qui a été organisée mentalement par l’habitant.

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comment les habitants s’approprient de l’espace avec des petits gestes, photo de Johanne Verbockhaven http://joverbockhaven.wixsite.com/lavieapres

difficultés du lieu, et les logiques de « domestiquer »35 un espace

pour en faire un chez soi. En d’autres mots, grâce à son histoire,

on est capable de tisser le « lien entre le concret et l’abstrait et on a une perception de toute sa profondeur, autrement dit de sa dimension symbolique »36.

35   Dans ce cadre je force le terme « domestiquer » dans le sens de l’étymologie dénominative de domestique « qui concerne la vie à la maison ou qui appartient à l’environnement familial : le lieu est transformé par son habitant en « familier, ami, intime ». « Empr. au lat. class.domesticus « de la maison, de la famille » [CNRLT_ http:// www.cnrtl.fr/etymologie/domestique] 36  Séminaire et atelier Tony Garnier, Cahier 66-67, l’espace et l’individu, la famille, le groupe, la communauté, Paris, E.N.S.B.A., 1969, p. 76

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Boudon analysait les habitants de Pessac et questionnait une

architecture préétablie ; ici, à travers les mots de Johanne, on comprend de quelle manière elle a réussi à s’approprier la boîte rigide du Tagawa.

les petits détails sont cruciaux pour «domestiquer» son espace de vie au Tagawa, photo de Johanne Verbockhaven

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« … Je suis arrivée au Tagawa parce que c’était un choix de vie.

C’était hors discussion de mettre la moitié de mon salaire dans un loyer. Je voulais continuer ma recherche artistique et grâce à l’Hôtel Tagawa j’ai pu arriver là où je suis…

… Le facteur vraiment compliqué dans l’aménagement de l’Hôtel

Tagawa était le fait qu’il n’était pas du tout pensé et construit pour être habité pour le long terme ! Cela influence énormément l’architecture

du bâtiment et l’architecture d’intérieur en tant que telle. Ce facteur conditionne la façon dont tu l’habites et dont tu l’investis en tant

qu’habitant. On vivait souvent en mode survie . Je pense qu’il y a,

au-delà de mes projections, une grande adaptation à l’espace. Celleci pour moi n’était pas toujours évidente, pas toujours agréable en y

réfléchissant rétrospectivement. J’étais une nomade du Tagawa, avant d’arriver au sixième, j’ai sauté un peu partout. Mais à la fin, nous on s’est établi au sixième étage parce qu’on était une famille et on avait

un demi-étage. Les ascenseurs étaient dans la partie centrale de l’hôtel,

mais ils n’étaient plus utilisés. Tu dois imaginer l’hôtel comme un grand bloc carré, très vitré partout. Il y avait une forte interaction entre partie intérieure et partie extérieure. Cet aspect, par exemple, tu ne l’as pas dans

une maison normale, c’est-à-dire une fenêtre qui prend toute la hauteur. Donc voilà, la chambre-appartement était divisée principalement en deux parties : la face avant, côté rue, et la face arrière vers la cour intérieure. La partie centrale était faite de couloirs, partie derrière, et des ascenseurs, partie devant. Et sur l’arrière il y avait les escaliers de

secours et la porte incendie. Les accès ascenseur étaient condamnés et nous utilisions uniquement les escaliers de secours qui étaient plongés

dans l’obscurité en permanence. Il y avait uniquement des lampes

économiques comme ça, genre guirlande. Moi, en tout cas, je garde dans ma mémoire au niveau de la lumière une image très contrastée. L’obscurité des couloirs et de cette cage d’escalier, qui pourtant était

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notre axe principal, la colonne vertébrale d’accès pour chacun et son

habitation. Au contraire, quand on rentrait dans les parties habitées une explosion de lumière. C’était vraiment un lieu contrasté au niveau

de la lumière… Donc le sas de cette cage d’escalier à l’arrière était

notre porte d’entrée. Quand on arrivait un peu essoufflé et fatigué au sixième étage, le couloir se répartissait de gauche à droite, chaque côté

avait la moquette partout des années 80 – immonde ! – il ne faut pas oublier que tout l’hôtel était assez kitsch, avec la moquette et le papier

peint improbable à certains endroits. Nous avions assez de la chance, notre chambre était assez sobre. Le sixième étage était l’étage dédié aux familles. Dans la partie de gauche, il y avait quatre chambres, deux à l’avant, deux à l’arrière, une famille, et puis deux à l’avant et deux à

l’arrière, une autre famille. Moi, j’étais côté droit. Donc une fois que

l’on rentre dans le couloir, on avait installé la cuisine à l’avant, côté Louise, sur une pièce et une autre partie, une pièce un peu salon-bureau,

puis une autre pièce plus d’entreposage. Puis à l’arrière il y avait une chambre et puis une autre chambre. Mon ex-conjoint à l’époque avait

une fille qui venait un week-end sur deux ; donc cette pièce-là jouait le rôle de chambre d’amis. Celle-ci on l’utilisait aussi comme sorte de salon-bureau. De plus, on se répartissait les chambres aussi selon les

moments de l’année ; s’il faisait beau et lumineux, l’hiver cette pièce était bien plus agréable à vivre que la pièce de devant qu’elle qui était

assez froide, parce que l’ensoleillement sur le côté avenue Louise était assez limité… Finalement, on se retrouve avec ces 4 anciennes chambres

d’hôtel, qui étaient assez grandes au niveau du volume, chacune avait une salle de bain privée ; on avait quatre salles de bain, en marbre

chacune. Disons que dans l’immeuble chacun avait sa propre salle de bain ; pour cette raison, occuper un ancien hôtel était pratique !

Donc, notre chambre sur l’arrière était vraiment agréable, très

lumineuse et très calme : quand on ouvrait la fenêtre au printemps et

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Plan dessiné à la main par Johanne des deux pièces réliées qui faisaient chambre à coucher et salon

en été on entendait les oiseaux chanter. C’était vraiment jour et nuit entre l’avant et l’arrière : avenue Louise, très frénétique, et le derrière très paisible. La chambre en tant que telle : il y avait un court couloir

avec un petit meuble, installé par l’hôtel, une petite penderie avec une étagère, et ici on rangeait nos vêtements. Ce meuble était en bois plaqué

acajou, qui n’était pas trop mal. Ensuite, on avait un très grand miroir et directement après la salle de bain, qui avait partout des revêtements

en marbre… ah non, attends, je me trompe, cette salle de bain était grande et elle avait un levier transversal dans le fond de la pièce, un très

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très grand miroir. Et puis on avait la baignoire d’un côté, et la douche de

l’autre, avec un renfoncement. Tout était carrelé. On avait une douche séparée, donc on pouvait choisir soit douche, soit bain. Mais la question ne se posait même pas, parce qu’il n’y avait pas d’eau chaude. On avait un mini-chauffeur pour faire une mini douche rapidos, mais on l’a eu

tard, quand j’étais déjà enceinte. Donc on utilisait de grandes casseroles d’eau chaude dans notre cuisine, qu’on devait ramener de la cuisine,

pour se laver comme ça. Parfois, on prenait des douches froides, ou alors parfois on courait à droite et à gauche chez des copains ou chez

les parents, ou encore on allait au gym de l’ULB où il y avait des douches, mais après on s’est fait chopper, donc c’était fini…

Mais tu sais, on avait vraiment très peu de mobilier… on avait une

machine à laver et on l’avait placée dans la pièce de devant, qui était

plus notre buanderie ; ici on stockait le linge. Mais dans notre salle de bain personnelle il n’y avait pas plus, juste nos choses personnelles :

gel douche, serviettes de bain, enfin les produits que tu utilises dans

la vie de tous les jours. Ensuite, quand on passait ce petit couloir il y a avait notre chambre qui s’ouvrait avec un assez grand volume,

et il y avait une grande baie vitrée. Celle de la chambre ne prenait pas tout le mur, il y avait une partie avec un retour (une tablette de fenêtre) et là-dessous il y avait des plantes, quelques photos, ces genres

de choses… ensuite, sur la partie de droite il y avait mon bureau, qui était construit avec une plaque vitrée qu’on avait récupérée dans une

salle de bain, c’était une porte de baignoire. Nous utilisions ça et on en avait récupéré trois : deux pour notre cuisine, une comme table et

l’autre comme bureau. Ici j’avais mon ordinateur, toutes mes affaires pour travailler, une chaise de bureau. Puis, effectivement, on a travaillé pour réduire le volume de la pièce. Surtout pour préparer la naissance

d’Alina et l’arrivée de l’hiver. Si tu as la pièce devant toi et le couloir derrière toi, tu as la fenêtre devant toi avec le rebord, mon bureau est

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sur la droite, et sur la gauche il y avait un petit meuble avec de petits tiroirs en bois ; et il y avait un retour avec un espace où le lit était posé.

Une espèce d’alcôve où nous avions mis le lit aussi. Donc de cette alcôve on a tiré des câbles, de grands tendeurs qui traversaient la pièce et on

a aussi tendu des câbles de l’autre côté, du mur au mur. On avait deux câbles qui se croisaient au milieu de la pièce, ensuite moi j’ai cousu

une série de tissus que j’avais récupérés et j’en avais fait une grande tenture, style patchwork, que l’on venait accrocher aux câbles et qui

faisait facilement 2/2,50 m de haut. Ils faisaient deux mini-chambres dans la chambre. Et à l’intérieur d’une de ces mini-pièces, il y avait

l’alcôve avec un très grand lit de deux personnes. On avait un autre lit, et à côté, une petite table de nuit avec une lampe de chevet. Quand on attendait la naissance de ma fille, on avait installé deux petits meubles sur lesquels il y avait une table à linger et un autre meuble, qu’on avait

reçu, avec un milliard de trucs, tous pour le bébé. Ah oui! En plus, vu que la salle de bain était difficile à chauffer, on lui donnait également son bain dans cette petite pièce ; il y avait sa petite baignoire qui était

là et un lit à barreaux, mais qu’on n’a jamais utilisé. Tout était mis un peu à la suite de l’autre et puis on avait un chauffage électrique et un

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Photo de Johanne, l’utilisation des tissues pour réduire la pièce

thermomètre pour « checker » si la température était acceptable. On

était super contents quand on était entre 18° et 20°, c’était la grande

fête ! c’était assez cosy. Le tissu était très coloré, moi j’avais fait une lampe en papier japonais qui donnait une lumière assez cocoon… le mur derrière était blanc et on s’est amusé à faire la silhouette de

mon corps et de ma grossesse, et puis la silhouette du papa. Le lit que

j’avais reçu était énorme, c’était un monument en soi, il était formé de deux lits d’une personne. Le cadre était plat e, il faisait le tour, un peu

style japonais. Il était tellement grand que chacun de nous avait son propre lit presque, tout était surdimensionné, je n’ai jamais eu un lit si

grand, même après ! Notre fille dormait au milieu de nous, elle avait un coussin d’allaitement, et la nuit on le lui mettait entre nous deux.

Je lui avais fait un petit mini lit dans le grand lit, un espace sécurisé. Elle dormait avec une petite couverture et c’était pratique et rassurant

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Photo de Johanne, espace alcove

de l’avoir juste à côté. Ensuite on avait une double porte avec sa chambre à côté et celle-ci

avait plus au moins le même volume, mais la configuration était

différente, dans la mesure où celle-là avait une grande porte-fenêtre

qui arrivait du sol au plafond. Quand il faisait beau, on ouvrait grand,

et le dehors communiquait avec la pièce, le tout devenait une sorte de terrasse. Cette grande baie vitrée était également encadrée dans une sorte d’alcôve. Et là on avait récupéré un canapé deux places de chez

mes parents et une plante. De l’autre côté, il y avait une petite étagère

et un bureau de mon ex-compagnon. Après le canapé, transversalement venait un lit d’une personne qui faisait la chambre d’ami. C’est difficile

à te raconter, parce que celui-ci était un espace vraiment fluctuant selon les besoins et selon la saison. L’hiver était vraiment rude, donc on

mettait ce lit dans notre chambre, au-dessus d’une tablette. L’hiver on

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ouvrait les tentures et on essayait de chauffer toute la pièce, et alors on dormait à quatre. Dans l’autre pièce, le mur de retour avant le couloir,

il y avait une armoire à deux portes de rangement et de suite il y avait le minibar. Celui-ci était composé d’un petit évier, une étagère au-dessous, qui servait pour les alcools et les verres, et à côté il y avait un espace pour le frigo. Donc il y avait deux doubles portes dans le mur et on

utilisait évidemment la partie de l’armoire, le minibar étant plutôt pour l’entreposage. Il y avait aussi une troisième salle de bain et une toilette qui étaient des espaces condamnés, parce que jamais utilisés. J’avais également isolé avec des tissus cette partie ici, histoire de préserver la

chaleur le plus possible. Forcément dans notre chambre il y avait aussi des tentures aux fenêtres pour garder la chaleur… mais en effet, moi j’ai essayé de combler par les couleurs l’austérité du lieu, j’étais assez attentive aux lumières, aux ambiances et aux couleurs, pour essayer de donner un peu de couleur à notre lieu de vie.

Dans la partie avant, la structure était pareille. Ici, on avait notre

cuisine. Il y avait un petit couloir d’entrée et là la salle de bain était

utilisée pour faire notre vaisselle. Le revêtement, je pense, était tout en marbre, parce qu’on a cassé et ébrêché beaucoup de vaisselle. Sur la baignoire on avait décroché le retour vitré de la baignoire pour le

mettre dessous et là ça servait comme égouttoir et on déposait notre vaisselle là. Donc les deux éviers servaient pour faire la vaisselle. On

en avait beaucoup qui s’accumulaient parce que tu vois, à chaque fois il fallait réchauffer des casseroles d’eau… en effet, cette pièce n’était pas très chouette, elle était super bordélique, bref… faire la vaisselle

était toute une expédition ! il y avait une autre toilette, mais elle était

condamnée également, on ne l’utilisait pas. Tu dois t’imaginer que tout était standard.

La cuisine s’ouvrait dans l’autre pièce et nous on avait récupéré et

mis les verres sur des tréteaux pour faire une grande table à manger

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La flexibilité dans l’utilisation des espaces qui à la base ont une autre fonction: la salle de bain est utilisé pour la vaisselle http://joverbockhaven.wixsite.com/lavieapres

carrée, où dix personnes peuvent facilement s’installer. Et puis il y avait

des teintures bleu assez vif avec des fleurs jaunes, pour rendre le tout

plus joyeux. Il n’y avait pas deux pièces dans l’hôtel qui étaient les mêmes au niveau de la déco dans l’hôtel. Dans cette pièce-là, il y avait

dans le mur face à la fenêtre un élément de décoration bizarre qui ressortait de six, sept centimètres, qui faisant une espèce de volte ; celuici prenait toute la hauteur et la largeur et nous on l’avait peint d’un

jaune-orange qui flashait dans toute la pièce. La cuisine fonctionnait au

gaz, avec des bonbonnes et on avait mis une espèce de plan de travail , qui venait d’une autre salle de bain ou… je crois qu’on a du décrocher les portes en verre de la salle de bain et des minibars partout dans

l’hôtel ! Non, le plan de travail de la cuisine était en bois, qui venait d’une porte d’un meuble quelque part. La cuisine était géniale, elle était

super grande ! Il y avait un énorme plan de travail de chaque côté qui allait sur deux étages où l’ on déposait sur des casiers de bières servant

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de structure, toutes les choses pour la cuisine… idem, sur le mur en face ; on avait refait un petite étagère avec plutôt de la vaisselle. On

avait beaucoup d’espace de rangement et tout était ouvert. J’aime bien les espaces comme ça où tu vois tout très ouvert, tu vois ta casserole, tu vois tes trucs, tu ne dois pas chercher. Tu ne dois pas ouvrir 36000

portes, tout est ouvert37. Mais c’était très cosy, à noël on avait mis le sapin ! Il y avait aussi un petit fauteuil… la cuisine n’était pas très lumineuse parce qu’on avait des arbres qui arrivaient jusqu’à cette

hauteur-là. Enfin on avait aussi des petites jardinières accrochées à

l’extérieur dans l’espèce de balcon-barrière de sécurité. C’était vraiment un lieu agréable. Le matin tu restais là, tu prenais un café. Maintenant

que j’y repense, j’ai vraiment de très bons souvenirs sur cette partie-là

du building, le matin. On avait aussi un bananier, on avait pas mal de plantes, on essayait vraiment de rendre ce lieu agréable et coloré. Il y

avait aussi des collages des anciens magazines dans les deux retours

de fenêtre, qui appartenait aux anciens habitants. Tout était assez graphique. Et il y avait encore des rideaux. Ici c’était très peu chauffé et en hiver ça pelait ! La pièce de côté était vraiment peu investie. Pour

un moment, il y avait eu notre canapé mais elle était trop bruyante et on tout bougé. Je n’ai pas vraiment beaucoup de souvenirs. Voilà… en tout cas, cette expérience de deux ans m’a appris beaucoup de choses.

La vie quotidienne était éprouvante, après ce temps, elle affecte ton psychisme, tu restes dans un stade de survie. En particulier quand il

fait froid. Ensuite tu apprécies la vie quotidienne dans la « normalité », comme une douche chaude. Mais, je ne regrette pas du tout, disons que

cette quotidienneté difficile m’a ouvert les yeux sur une autre manière de vivre… »

37   BREVIGLIERI Marc, conférence le 27 Avril 2018, au MetroLab, Bruxelles : à confirmer la « philosophie de la circulation », tout est lisible, les objets sont bien en apparence et tout est explicite. Il n’y a pas une « logique du tiroir », c’est-à-dire que rien n’est « caché » et que le premier visiteur est capable de se servir de façon autonome.

206


la liberté dans l’appropriation des lieux http://joverbockhaven.wixsite.com/lavieapres

L’organisation du grand bâtiment est bien définie, avec une

répartition très régulière des différentes chambres

entre les

habitants. Cette répartition est réglée de manière à pouvoir répondre aux exigences complexes des familles, compte tenu de la possibilité

d’avoir des enfants, d’accueillir des personnes qui viennent de

l’extérieur ou de conduire une activité de travail dans un bureau privé. De plus la répartition par étage suit une règle répétitive en ce qui concerne le nombre de chambres pour chaque famille, suivant un critère de démocratie interne qui permet d’éviter le plus

possible les discussions sur la distribution de l’espace personnel. De

ce point de vue, la communauté déploie une bonne organisation, qui constitue la base fondamentale du bien-être quotidien.

Nous observons que la communauté attribuait une plus grande

attention à la famille et à ses exigences, compte tenu de la présence des enfants.

207


L’organisation de l’espace intérieur montre un grande capacité

d’adaptation des formes anonymes des grandes espaces disponibles, souvent typiques de ces typologies d’hôtel, aux exigences privées de

la vie quotidienne d’une famille. Tout est réalisé avec les matériaux

simples et vernaculaires que les squatteurs utilisent d’habitude. Peu de meubles -en grand partie récupérés, montrent d’un côté la capacité de s’adapter, et de l’autre l’effort de valorisation pour

l’organisation de la vie quotidienne : les plantes, les photos, les plaques vitrées récupérées dans une salle de bain sont des éléments très importants pour personnaliser l’espace, l’organiser avec une table la cuisine ou un petit bureau…

De plus, on peut constater que le travail sur l’espace est un

élément fondamental pour créer une ambiance familiale. On voit alors une recherche visant à réduire celui-ci par la construction de

tentes -avec des tissus récupérés et cousus dans ce but, et tendus sur des câbles, eux-mêmes devenant un élément important pour la division de l’espace. En particulier, la naissance d’un nouvel enfant

ou la nécessité d’organiser un espace pour un autre enfant, sont des éléments qui stimulent la délimitation des espaces privés adaptés à ces occasions.

Il est aussi intéressant de voir que l’espace disponible change

pendant les saisons pour valoriser la lumière, comme source importante de bien-être, ou pour améliorer les conditions de température, en suivant les condition naturelles offertes par l’exposition à la lumière (à chaque saison). D’une manière plus générale, la lumière joue un rôle essentiel dans la division des

grands espaces de l’hôtel, et en particulier dans la séparation de

l’espace public du privé ; cela se remarque de façon évidente par

le passage des escaliers -très obscurs à cause de la forte limitation

d’illumination naturelle et artificielle, aux espaces privés -qui sont

208


au contraire lumineux pour s’ouvrir sur la dimension familiale.

Enfin, un autre aspect très intéressant est la capacité d’appréciation

de la lumière comme élément, peut-on dire, régulateur de la vie quotidienne : elle dévide les espace, donne chaleur, délimite la dimension familiale.

Les espaces, si bien délimités, répondent à plusieurs fonctions,

comme dans le cas de la cuisine qui sert aussi de salle de bain

pour le chauffage de l’eau, alors qu’à son tour la salle de bain est utilisée pour faire la vaisselle… L’espace est donc délimité,

mais pas sur le plan de la fonction, comme c’est le cas dans les habitations traditionnelles.

Dans la mémoire de Johanne émerge aussi un aspect très

important : le manque de structure minimale de base, en particulier

concernant le chauffage. On a constaté aussi l’évident effort fourni par les occupants, en vue d’améliorer cet aspect, notamment par

l’utilisation d’éléments vernaculaires minimalistes, comme les

rideaux ou les tentes ; mais le manque d’éléments structuraux de base représente un aspect très important, difficile à corriger si le

bâtiment n’a pas été construit en tenant compte de celui-ci, et la

mémoire de Joanne est claire : « Ici c’était très peu chauffé et en hiver ça pelait ! »

Toutefois, cette expérience de vie communautaire est un élément

de la mémoire de Joanna comme un aspect culturel qui reflète une force de perspective : « cette expérience de deux ans m’a appris beaucoup de choses. Ensuite tu apprécies la vie quotidienne dans la «

normalité », comme une douche chaude. Mais, je ne regrette pas du tout, disons que cette quotidienneté difficile m’a ouvert les yeux sur une autre manière de vivre… »

209


Bien que dix ans se soient écoulés, Johanne a une telle capacité à

saisir le détail spatial que l’interview mérite d’être réécrite en tant que tel. Son témoignage crée progressivement une image très claire qui met le lecteur en mesure de découvrir une partie de l’histoire

de l’hôtel Tagawa. En lisant ses mots, on prend conscience du mode

de vie compliqué qui entre en contact direct avec l’espace dans lequel vit l’habitant au quotidien. La débrouillardise et l’ingéniosité

avec laquelle l’environnement est façonné attire immédiatement le regard : ainsi les premières nécessités émergent immédiatement,

telles que le chauffage et la lutte continue contre le froid, la possibilité de prendre une douche chaude, la lumière ou la question de l’intimité. Enfin, il est frappant de sentir la sensibilité de l’usager

vis-à-vis de son espace de vie, et en particulier, la sensibilité technique et esthétique avec laquelle ils agissent activement pour modifier le cadre bâti.

210


le témoignage d’une naissance gravé sur le mur, mais dans la temporalité d’un lieu qui n’existe plus quhttp://joverbockhaven.wixsite.com/lavieapres

211


212


III.3.2 Aujourd’hui : le commissariat de police fédéral. Un nouveau projet de communauté dans une coquille de noix Habiter est une activité qui dépasse la portée de l’architecte. Habiter

est un art vernaculaire38. À l’intérieur des espaces construits par les

architectes, d’autres espaces se configurent et se développent : les espaces

de vie des habitants. C’est une autre géométrie qui se superpose à la première et les significations ainsi que les mesures spatiales diffèrent profondément39.

Le bâtiment s’étend devant moi comme un mur imposant et inaccessible.

Un édifice énigmatique qui ne laisse rien fuiter de sa vie intérieure, juste une porte avec une plaque en bois et une série des sonnettes sans noms

en guise d’accueil. La sortie d’un habitant me permet de me faufiler à l›intérieur: les antiques vestiges d’un poste de police. Je me retrouve

seule en face d’un panneau de signalisation des étages à moitié effacé qui me laisse sans réponse. Je suis dans une ancienne salle d’attente transformée en bar. J’attends: qui habite cet immense château?

38   ILLICH Ivan, Dans le miroir du passé, Paris, Descartes&Cie, 1994, p. 66 39   BESSE Jean-Marc, Habiter: un monde à mon image, Flammarion, Paris, 2013, p. 160

213



Histoire du bâtiment Situé à quelques centaines de mètres du parc du Cinquantenaire,

un bâtiment assez imposant occupe un îlot entier. Il s’agit d’un

ancien immeuble construit dans les années 80 pour accueillir le bureau de police fédérale. Suite aux attaques terroristes, en 2012, le sentiment croissant d’insécurité et le manque d’espace pour

les opérations ont poussé la Police fédérale à se déplacer vers un

nouveau site40. Le bâtiment paraît abandonné et, de fait, il est resté

vide depuis 2012. À ce moment, il y a eu une vente publique, mais aucun investisseur n’était intéressé, Finalement, par le marché

privé, le groupe AG Real Estate, un géant immobilier dans le contexte bruxellois, achète le bâtiment et propose au quartier plusieurs projets à la place du commissariat, ainsi que des tours d’habitation,

mais qui sont systématiquement refusées par la population à cause de leur impact41. Après six ans de vacance, le bâtiment est confié

entre les mains d’un nouveau groupe, REGNUM, qui est intéressé

par la création temporaire d’un projet d’occupation précaire, c’està-dire l’établissement d’un noyau communautaire mixte. De fait,

le projet concerne une soixantaine d’habitants de toutes sortes de provenances, qui ont rejoint le projet mois après mois, familles

dans une situation précaire, étudiants, musiciens, artistes, SDF,

travailleurs, etc. qui cohabitent harmonieusement dans le même immeuble.

Le projet a pour mission d’offrir un possible exemple d’inclusion

et de mixité urbaine, ainsi que de répondre à la question de

l’intégration dans le développement urbain. NOYER - Communauté et Culture voudrait livrer un modèle vers un chemin durable à 40   MEUNIER Juliette, entretien le 9 Mars 2018 41   MEUNIER Juliette, SCHUSTER Michael, Noyer community & culture in a nut-shell. An offer to the City of Brussels, its citizens and political responsibility, http://cargocollec�ve.com/ infonoyer/info-noyer

215


travers une transformation créative, une collaboration politique et une coopération intersectorielle. Ce projet a rencontré l’accord des voisins, qui préfèrent ce type de proposition -qui instaurent des dynamiques sociales et culturelles dans le quartier, plutôt qu’un nouvel immeuble résidentiel imposant : « Le parc et ses environs

devraient être attrayants et animés, un espace social pour le

quartier et plus en général pour la ville, grâce à sa diversité et sa mixité. Dans cet immeuble, je vois un mélange incroyable qui a un

impact sur la communauté locale… C’est merveilleux à voir ! Cet endroit a enfin trouvé un bon usage. »42

Les habitants sont vinculés par des contrats d’un an avec AG

Real Estate, c’est-à-dire que le loyer mensuel à payer est de 250€

par personne, dont une partie de l’argent pour l’organisation des activités, comme les tables d’hôtes, événements musicaux, mais aussi pour des petites réparations. Ensuite, l’organisation interne

est divisée par étage : chaque niveau a un représentant qui capte les nécessités de ses habitants, et postérieurement il y a un

organisateur qui gère l’ensemble du bâtiment, à qui tout le monde doit se rapporter, en l’occurence Juliette Meunier, laquelle est

payée et chapeautée par l’association REGNUM, l’administrateur légal du bien.

Le bâtiment L’ancien bâtiment de la police fédérale est un bloc avec une cour à

l’intérieur composé de quatre étages, qui se situent symétriquement

par rapport à un axe central. La façade apparaît avec des lignes droites, l’alignement de fenêtres est partout égal avec des cadres

métalliques, le rebord noir est étroit, avec une balustrade en béton.

La circulation horizontale est un circuit continu avec la circulation 42   Ibidem, p. 9

216


verticale au centre, grâce aux escaliers de secours qui sont l’unique

moyen d’accès aux étages. Le plan forme un C et toutes les fonctions sont miroitées, chaque étage possède deux cuisines et

deux salles de bain par côté. La structure classique en béton armé permet une grande flexibilité et réadaptation de l’espace puisque l’aménagement intérieur a un impact léger sur la structure et forme

un grand plateau libre. Les bureaux des policiers étaient divisés

par des cloisons classiques de séparation, faciles à restructurer et à agencer dans le cas d’un habitat temporaire.

217


Dans l’organisation interne des habitants, chaque individu a

droit à trois modules, c’est-à-dire à trois espaces bureaux, plus ou

moins 50 m2, qu’il aménage à sa meilleure convenance. L’habitant

peut également décider d’en garder seulement deux, mais souvent la troisième pièce est utilisée comme « pièce bonus ». Par exemple

les artistes l’utilisent pour en faire un atelier, d’autres pour une chambre d’amis ou encore une garde-robe ou un cagibi. Au début, l’organisation des modules prévoyait entre chaque habitation un

espace vide, qui servait comme espace-tampon pour combler la mauvaise isolation acoustique et donner une meilleure intimité

aux habitants. Cependant, de nouveaux habitants sont arrivés et très vite ces espaces ont été occupés et remplis par de nouvelles

histoires. Aujourd’hui tous les interstices sont occupés par la vie des gens.

À l’arrivée de l’association, le bâtiment a subi différentes

transformations pour pouvoir accueillir la fonction d’habitat.

Par exemple, les sanitaires nécessaires et cuisines communes, au

moins quatre par étage, ont été installés. Certaines cloisons ont été abattues. Des chauffages électriques ont été branchés et d’autres

parties du bâtiment fermées pour éviter l’accès. Dans le cadre de

la réaffectation, beaucoup de matériaux de récupération ont été utilisés, ainsi que des palettes, du bois recyclé, de vieilles portes

pour des cloisons, mais également pour les détails : par exemple un vieux pinceau, destiné à créer une poignée de porte.

L’organisation des plans est assez homogène, à part le premier

et le dernier étage, qui accueillent surtout des activités publiques et communautaires ; le reste de l’immeuble est principalement

consacré à la fonction résidentielle. Le rez-de-chaussée accueille

d’un côté une partie très publique : une salle de concert et un bar, un « bureau » ouvert seulement deux jours par semaine pour gérer

218



en ordre d’image, rez-de-chaussée, deuxième, troisième et quatrième étage, source Juliette Meunier

les dynamiques de la communauté, et le hall d’entrée avec une kitchenette et des petits salons. Cette zone permet un espace flexible

et libre pour accueillir les invités des habitants, une alternative à leur chambre privée, évitant ainsi des conflits à cause du bruit. De l’autre côté, la zone a été complètement privatisée par une famille, pour créer un espace un peu plus intime et un accès direct à la salle

de bain. Pour finir, le dernier espace est occupé par des étudiants,

qui voulaient une connexion avec le parc à l’extérieur, -pour expérimenter des bacs à potager, et des travailleurs. Le premier,

220


deuxième et troisième étage sont les plus densément habités, et chacun a son espace-vie.

« L’organisation des gens se fait naturellement et elle imite un peu la

ville à l’extérieur »43, c’est-à-dire les individus de la même culture et

provenance ont tendance à se ressembler dans la même zone, ainsi

que les étudiants ( avec les étudiants), les travailleurs (avec les travailleurs), etc. Le tout vit de façon plus ou moins harmonieuse et respecte la diversité culturelle présente dans l’immeuble.

De fait, à l’intérieur du bâtiment, malgré son organisation par

« types d’habitants », il existe une réelle diversité. « Il est arrivé cet

octobre en disant qu’il n’aurait plus survécu un autre hiver. C’est ainsi qu’on l’a accueilli, j’ai donné un de mes espaces. »44. Juliette raconte l’arrivée du premier sans-abri à l’intérieur de la communauté. « Au

début, il buvait beaucoup et il faisait de crises dans les couloirs, il criait, il s’énervait… toutefois, après un moment d’adaptation, il a trouvé sa

place, il a son rôle dans la communauté ! ». Elle raconte qu’il ne peut pas nettoyer « il a le dos cassé à cause du froid subi dans la

rue » ; cependant, grâce à l’intégration dans la communauté, il a trouvé de nouvelles activités pour lui auxquelles il s’est adapté, par exemple la récupération de la nourriture à la fin des marchés, ou la gestion de la sécurité du bâtiment. Ainsi, tacitement, « l’organisme-

vivant communautaire » trouve un rôle à tout le monde. Dans les niveaux plus « résidentiels », l’interaction entre habitants se

fait surtout dans les cuisines, au moins deux pour chaque côté de l’étage. Souvent, les habitants qui ont trois modules ont une

petite cuisinière personnelle dans leurs chambres. Cependant, les

chambres manquent d’eau courante, sont obligés d’aller dans les salles de bains ou dans les cuisines pour laver la vaisselle. 43   MEUNIER Juliette, entretien le 9 Mars 2018 44   idem

221


À part la fonction résidentielle, dans le bâtiment, des activités

autonomes portant une nouvelle dynamique se sont créées. Par

exemple, au premier étage, une dame a exploité une des cuisines pour créer une espèce de petite restauration nocturne avec cuisine africaine pour les travailleurs qui rentrent seuls le soir et

ne

veulent pas cuisiner. Pour un prix très modéré, ils reçoivent un

repas chaud et « la possibilité de passer une soirée en compagnie en fumant et en écoutant la musique »45. Les taches sont principalement

le nettoyage des salles de bains et des cuisines, et le planning des

tours sont affichés sur un papier qui est attaché à côté de la porte, comme une liste qui doit être remplie. 45   MEUNIER Juliette, entretien le 9 Mars 2018

222


Visite du bâtiment Pour rentrer dans le bâtiment, il faut introduire un code ; une

fois rentré, on se retrouve dans un hall d’entrée très lumineux, éclairé grâce à une grande verrière. De chaque côté on trouve des

portes qui mènent vers une direction numérotée, mais elle n’est pas expliquée. Un peu partout, les parois sont utilisées comme tableau

d’affichage, c’est-à-dire de petites annotations communiquent les

activités au sein de la communauté : des cours de yoga, un cours de dessin vivant, ou encore des annotations d’ordre pratique ( par exemple la gestion des poubelles ou l’horaire de la commune). En

suivant le couloir central, on se trouve au centre d’un carrefour qui porte vers trois couloirs. Au centre de cette pièce, l’ancien accueil

223


de la police, visible par une enseigne directionnelle à moitié effacée, a été transformé en bar-cuisine remodelé avec de vieilles planches

en bois, et là où se trouvaient des bancs faisant fonction de salle

d’attente, les lieux ont été convertis en petits salons. Des gens passent et se saluent cordialement, habitués à voir de nouveaux

visages. D’autres passent et ouvrent un vieux frigo qui ronfle sur un

côté du bar : dessous il y a une note : « servez-vous, il y a les restes de la table d’hôte ! ».

Sur la gauche, une porte rouge amène dans les cages des

224


escaliers de sécurité, c’est l’unique moyen pour monter à l’étage,

les ascenseurs à côté dorment ou servent de cagibis. La guide passe

tout de suite au quatrième étage : « Les autres étages sont un peu

plus privés, tu vois… c’est mieux si on va direct au quatrième »46. Les

escaliers sont nus et exempts de décoration. En arrivant à l’étage,

le palier d’entrée est un dépôt d’objets abandonnés dans les coins,

et de poubelles prêtes à être sorties. Les couloirs sont très sombres, mais ils transmettent une effervescence secrète. A « L’étage des artistes »47, le quatrième, des portions des couloirs sont peintes.

Chaque porte « casse l’espace, le scinde, interdit l’osmose, impose le

cloisonnement : d’un côté il y a le chez-moi […] et de l’autre côté il y a les autres »

48

. Déjà à partir de cette surface, la personnalité

de l’habitant est exprimée et celle-ci devient une déclaration du « chez-soi », une sorte d’aperçu de la personne. Toutefois, l’univers des habitants sort aussi à l’extérieur à travers une appropriation de cet espace neutre et froid du bâtiment de police. Il y a un dialogue

entre la surface verticale de la porte, qui détermine le chez-soi, et l’espace-commun du couloir . « Ici, dans le couloir, je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a plein de petites choses marquées un peu

partout, des choses assez poétiques, il y a des messages, des dessins. Il

y a une communication tout-à-fait non verbale qui se passe en effet. Il

faut être attentif. Le lieu et les choses parlent. Par exemple, là au bout, ils ont reconstruit une porte, mais qui est une espèce de barricade, les

gens de ce côté-là se sont barricadés ! Alors que oui, c’est juste une

porte en bois, mais pour moi ça raconte autre chose, tu vois… il y a vraiment une communication par le mur, par les parois verticales, cela devient un support direct» 49.

46   RAULT Martin, visite et entretien le 2 mars 2018 47   MEUNIER Juliette, 2018 48   PEREC Georges, Espèces d’espaces. Journal d’un usager de l’espace, Paris, Denoel/ Gonthier, 1976, p. 54 49   BARA Malo, entretien le 12 Mars 2018

225


les parois , les portes et les murs parlent d’une communication non verbale


chaque porte exprime la personalité de son habitant derrière

Les seuils des portes dans un contexte de « ville dans la ville »

jouent un rôle crucial. Ils sont le premier point de contact entre l’espace privé et l’espace public, mais surtout « l’une des premières

conditions spatiales concrètes et symboliques de la rencontre humaine »50.

Plus encore que dans la ville et ses trottoirs, ici « les seuils sont des lieux d’une sociabilité particulière. S’y effectuent les rituels de

l’accueil et la prise de congé, propres à l’hospitalité. S’y déroulent

aussi les rites de voisinage qui vont du bavardage à l’entretien en

commun »51 du couloir. Cette zone est de transition, elle aide à

établir des proximités ou des distances entre les habitants ; c’est un premier « espacement habitable »52.

L’espace commun est composé de trois pièces, qui ont été unies : 50   BESSE Jean-Marc, Habiter: un monde à mon image, Flammarion, Paris, 2013, p. 53 51   idem 52   Idem

227


une cuisine, une salle à manger et un salon. Les matériaux sont de récupération ; par exemple, on voit une vieille table à repasser

comme table basse, et la principale source de décoration, ce sont les tissus. Ceux-ci sont présents un peu partout dans l’immeuble, dans les chambres privées ainsi que dans les espaces communs : ils

jouent un rôle fondamental pour l’isolation acoustique et contre

le froid également. Les parois sont investies par les habitants avec des mots, des recettes de cuisine, des dessins. « Ce monde d’objets

est plein d’esprits »53 et la pièce est décorée par l’énergie de tout le monde, un morceau d’histoire de chacun est présent ici.

En face de la cuisine, il y a la « salle bleue ». Il s’agit d’une

salle polyvalente que tout le monde peut utiliser -en la réservant grâce à un tableau dessiné sur le mur. C’est une grande pièce, assez

lumineuse, obtenue par l’unification de trois grands modules. À 53   BESSE Jean-Marc, Habiter: un monde à mon image, Flammarion, Paris, 2013, p. 154

228


l’intérieur se passent beaucoup d’activités, des cours de sport, de

musique, des ateliers de toute sorte, et tous les habitants ont le droit d’y participer.

la différence d’appropriation d’une cuisine à l’autre selon la personlité de ses habitants

229


La chambre de Malo Nettoyer vérifier essayer changer aménager signer attendre imaginer

inventer investir décider ployer plier courber gainer équiper dénuder fendre tourner […] arracher trancher brancher cacher déclencher actionner installer bricoler installer54…

« Depuis le printemps 2016, j’ai déménagé cinq fois, donc maintenant

je suis dans un mood qui me dit que j’ai besoin de pas grande chose

pour vivre, beaucoup de choses je peux les donner, et je pourrais

repartir quand je veux et vivre où je veux. Après tu vois, la table là près de la fenêtre, c’est la table sur laquelle je mangeais quand j’étais petit

avec ma famille et elle me suit depuis que je suis à Bruxelles. Donc il

y a quand même des éléments qui sont très importants, genre un peu plus de l’ordre du spirituel. D’autres choses qui peuvent être

facilement distribuées. Tu vois, habiter dans un lieu et partager

un espace de vie pour moi a quelque chose de spirituel. La vie en communauté elle est vraiment spirituelle : qu’est-ce qu’on fait dans une ville ? Qu’est-ce qu’on fait dans un habitat comme ça ? »55 .

La chambre de Malo apparaît très minimaliste. Quelques meubles

bien choisis, peu de vêtements, très peu d’objets, « tu apprends à

devenir minimaliste quand tu bouges autant de fois que je l’ai fait !

Parce que quand tu n’as pas de bagnole, ben… tu fais vite une sélection, tu as moins de place carrément ». La majorité des objets ont été

récupérés dans des marchés ou dans la rue. Une décoration presque invisible investit les murs, un petit cadre, pour couvrir un trou, une vieille carte postale avec un paysage caribéen, et une petite peinture. La chambre de Malo est un mélange entre minimalisme

et spiritualité : « l’objet-décor » joue un rôle crucial dans « la vie de 54   PEREC Georges, Espèces d’espaces. Journal d’un usager de l’espace, Paris, Denoel/ Gonthier, 1976, p. 51-52 55   Idem.

230


231


l’habitant face à l’architecture »56, puisqu’il peut assumer, comme dans le cas de Malo, une valeur de « ressemblance, de capacité expressive et éventuellement de la métaphore »57. Dans sa piècemaison les objets sont sélectionnés avec soin et la plupart ont une

forte valeur symbolique. De plus, le positionnement des choses

a une grande importance, parfois plus que l’objet en lui-même :

« Je crois dans le Feng Shui, c’est pour ça que le lit est orienté comme ça. Mais il y a la porte, donc j’ai créé un petit obstacle pour éviter de

rentrer directement dans mon lit ». Un fil qui relie deux points sur le plafond pend près du lit, il a une double fonction : faire sécher le linge et recréer un espace plus fermé pour avoir plus d’intimité

ou servir quand il fait très froid. Son armoire est simplement une

cornière trouée en métal récupéré et accroché au plafond. L’espace

derrière de la porte forme un lieu plus discret et joue le rôle du hall d’entrée, là où on dépose les chaussures et les sacs. Dans le fond

de la pièce, d’autres espaces de rangement sont les deux cagibis 56   RAYMOND Henri, L’architecture, les aventures spatiales de la raison, Collection Alors :, Paris, CCI/ Centres Georges Pompidou, 1984, p. 236 57   Ibidem, p. 237

232


rentrés dans les murs de chaque côté,

ils cachent aussi des surprises : « dans celui-là il y a un jambon qui pend, je

le sors pour les occasions spéciales, comme anniversaires, fête… ».

Deux tables suggèrent une division

entre le coin à manger et à vivre, et le

coin bureau. Même si elles sont très proches, on distingue tout de suite des fonctions très différentes. La petite

table en face de la fenêtre, celle qui provient de son enfance, est chargée

d’une auréole d’intimité : « les objets

de notre univers familier sont aussi de petits lieux où la mémoire est

concentrée »58. Ici Malo lit, écrit,

prend soin de lui, de temps en temps mange et l’observe dehors ;

en autres termes, celui-ci est un espace beaucoup plus contemplatif et lié à l’intériorité. L’autre table, positionnée perpendiculairement

à la première, est l’espace production et de travail. Un écran d’ordinateur occupe la majorité du plan et il est intéressant de

remarquer que derrière le bureau, Malo a affiché la carte postale

avec le paysage idyllique, en imitant les attitudes des bureaux, où on décore son propre espace de travail.

Un grand tapis au centre de la pièce est l’élément le plus voyant.

Celui-ci est le lieu le plus public de sa chambre et instaure une pièce dans la pièce : « ici c’est où j’invite et je fais les massages

shiatsu ». Il est positionné dans le coin de la chambre et les parois en sont quasiment nues, pour laisser complètement l’espace au 58   BESSE Jean-Marc, Habiter: un monde à mon image, Flammarion, Paris, 2013, p. 156

233


soin, et ne pas distraire le patient et le masseur. Malo crée un service-troc à l’intérieur de la communauté : « je t’offre un massage et tu m’offres un autre service ».

A côté de la porte, il y a des cadres posés à terre, qui sont prêts à

être affichés, ou prêts à partir ailleurs : cette tension entre stabilité et instabilité, entre s’installer et repartir domine la chambre de Malo et ses objets.

le tapis-pièce où Malo fait ses massages, un lieu «sacré» où l’attitude est différent par rapport au reste de la pièce

234


La chambre de Juliette « J’ai déjà déménagé deux fois à l’intérieur de l’immeuble. Une fois

j’étais trop près de la cuisine africaine improvisée de Michelle et je

puais tout le temps la friture. La deuxième fois, les gens savaient trop où j’habitais59 et donc il n’y avait plus d’horaires… les gens venaient

toquer à ma porte en continuation ! Du coup j’ai décidé de déménager, sans que personne ne le sache, au quatrième étage, dans le coin. Depuis je suis très calme et les gens ont pris mon acte comme signe de respecter

les horaires du bureau60. Ici, parfois les gestes sont plus signifiants

que mille paroles… »61 . Juliette habite dans un module-coin au quatrième étage. À la différence d’autres habitants, elle n’a pas

voulu casser la paroi du module voisin pour créer une chambre

d’amis et sa garde-robe. De plus, elle avait aussi un autre module

qui lui appartenait, mais elle l’a laissé au sans-abri qui avait frappé à la porte il y a quelques mois. Malgré certaines logiques d’organisation de l’espace qui se ressemblent, l’atmosphère dans la chambre de Juliette est complètement différente par rapport à celle de Malo. Plus semblable à un mini-appartement dans une seule

pièce, l’espace de Juliette est totalement investi, pas de grosses constructions, mais plutôt beaucoup de meubles récupérés.

« Il est essentiel de comprendre que l’espace à caractère fixe constitue

le moule qui façonne une grande partie du comportement humain »62 :

Juliette a un aménagement assez explicite qui reproduit le cheminement d’une maison.

En rentrant, l’espace autour du

pilier portant joue le rôle du hall d’entrée : le support devient un

portemanteau, un rangement pour les sacs et les chaussures, une 59   Juliette est la gérante générale de l’immeuble et la personne de référence 60   Un univers des signaux tacites s’instaure à l’intérieur de l’immeuble, qui devient un vrai organisme vivant qui s’adapte aux situations le plus disparates. 61   MEUNIER Juliette, 2018 62   HALL T. Edward, La dimension cachée, Editions du Seuil, 1971, p. 136

235


chaque chambre à son cheminement

zone miroir et, en général, un lieu pour déposer tous les objets qui

se projettent vers la vie extérieure, comme un caddy pour aller faire les courses. Le lit a été déplacé temporairement en face de la porte,

mais avant il était caché derrière une petite librairie, comme chez Malo, pour donner un peu plus d’intimité. Ainsi que la première

chambre, un concept, qui est très répandu également dans l’univers

de Juliette et qui répartit les fonctions des espaces, ce sont les tables. En total, il y en a huit, chacune est animée différemment ; on retrouve la même « philosophie du tapis », c’est-à-dire un élément

fondamental qui rythme et circonscrit les espaces, en créant des

« chambres », sans l’aide d’une paroi. On peut donc distinguer trois espaces principaux : le premier se découvre après le lit, c’est un

salon avec quatre fauteuils et une table basse au centre ; le deuxième est l’espace « salle à manger », un peu au centre de la pièce ; et le

dernier est l’espace concentration et loisir63, là où se trouvent ses 63   Juliette étudie et joue de la musique

236


la chambre de Juliette est une petite-maison dans une seule pièce et le visiteur est vite amené à oublier le gabarit de base du Commissariat. Seulement dans un deuxième temps, il s’apperçoit de plafond et de la moquette qui sont standard partout


l’entrée de Juliette est répresentée par le pilliers qui determine «la zone d’entrée»


instruments. Chez Juliette, le tout a une logique très rationnelle et fonctionnelle : par exemple l’espace bureau avec l’ordinateur se trouve en face du piano, à l’extrémité la plus éloignée de l’entrée

de la pièce, et donc au calme; là où le bâtiment ménage un coin très lumineux avec deux fenêtres, elle a créé un espace-véranda

avec beaucoup de plantes. Enfin, en rentrant sur la gauche, il y a le coin cuisine. La tablette de la fenêtre est utilisée pour déposer deux plaques chauffantes et, à côté, un meuble sert de plan de travail, associé à une table un peu plus loin. Un petit frigo sert de support

à un bidon d’eau pour une utilisation précaire. En autres termes, comme le suggère Breviglieri, il y a chez Juliette une « philosophie

de la circulation »64, dans le sens où tout est lisible, les objets sont 64   BREVIGLIERI Marc, conférence le 27 Avril 2018, au MetroLab, Bruxelles. « Les squatteurs n’aiment pas l’élément du tiroir. Dans la logique d’une circulation et un nomadisme libre, les squatteurs créaient des meubles ouverts et bien visibles, ainsi les nouveaux habitants ou même les passants ne sont pas obligés de fouiller dans la ‘logique tiroir’, mais tout se retrouve tout de suite accessible»

239



bien en apparence et tout est explicite, il n’y a pas une « logique du tiroir »65, mais tout est à disposition, par exemple les deux meubles-

étagères ouverts montrent la vaisselle, les ustensiles de cuisine et la nourriture. Dans cette pièce-maison, l’observateur est obligé

de faire une distinction entre « occuper un lieu et s’occuper d’un

lieu »66. De fait, l’espace de Juliette est très soigné. Elle ne remplit

pas seulement l’espace intérieur « à disposition », mais au contraire

elle s’occupe du lieu dans le sens qu’elle s’en soucie. Habiter c’est, en quelque sorte, entretenir les lieux et Juliette prend parti « de ses mouvements intérieurs et aussi des aspérités, de ses qualités et de

ses rythmes propres »67. À travers des détails. En autres mots, elle

a créé de la « sympathie »68 avec ce lieu qu’elle a transformé tout

simplement en sa maison. Par exemple, l’espace soin on le retrouve dans la pièce à côté, derrière des stores à bureau ouvrables. Dans

ces lieux à la base inhospitaliers, entre le « lieu dominant »,69

des contradictions se créent et notamment avec les habitants. Déposés sur le support de la tablette de fenêtre, on distingue tous les produits de beauté les plus intimes qui peuvent être cachés

à convenance. « Un design orienté vers l’utilisateur ménage dans l’objet des possibilités de personnalisation »70 ; l’utilisation de

Juliette de l’appui de fenêtre comme « coin-soin » est un exemple

d’appropriation d’un élément de l’espace qui à la base avait une autre « programme »71. La création d’un chez-soi suppose « avant

tout de s’assurer d’un entourage afin que les choses s’y fassent d’elles-

65   Idem. 66   BESSE Jean-Marc, Habiter: un monde à mon image, Flammarion, Paris, 2013, p. 29 67   Idem. 68   Dans le sens grec tu terme sympátheia, der. de páthos ‘affection, sentiment’, et avec le préfixe syn- qui signifie « ensemble/avec » 69   LEFEBVRE Henri, La production de l’espace, Paris, Anthropos, p.15 70   THEVENOT Laurent, L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, Editions La découverte, 2006, p. 28 71   RAYMOND Henri, L’architecture, les aventures spatiales de la raison, Collection Alors :, Paris, CCI/ Centres Georges Pompidou, 1984, p. 153

241


mêmes »72. Le dispositif spatial devient un support customisé par

son habitant afin que les gestes du quotidien ainsi que les objets impliqués soient « apprêtés et laissés à portée de main, comportant dans leur disponibilité l’amorce aimable de gestes familiers »73.

Le bâtiment devient une ville, avec ses rues, ses quartiers et ses

maisons: les couloirs, les étages et les chambres. La dynamique à l’intérieur est également urbaine. Les habitants de ce petit microcosme se divisent selon leur origine, leur métier et leurs

intérêts. Cela crée les zones résidentielles, aux étages centraux, les quartiers artistiques -au dernier étage et le centre-ville au rez-de-

chaussée, où on trouve de nombreuses activités communes. Cette dynamique de ville-bâtiment se reflète même dans les pièces des

habitants. Voici l’entrée, la cuisine, la salle à manger et enfin la

chambre ... la reproduction d’un modèle d’organisation spatiale d’une maison dans un bureau. Le Commissariat est un organisme

vivant et en constante évolution: en le regardant, le lecteur voit une société en miniature qui vit de manière autonome, avec ses

règles juridiques, sa structure sociale, son fonctionnement urbain et son esthétique architecturale.

72   THEVENOT Laurent, L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, Editions La découverte, 2006, p. 26 73   Idem

242


la rÊappropriation de Juliette de l’espace inhospitalier du Commissariat



III.4 « La liberté de se débrouiller ». Une architecture vernaculaire urbaine



III.4 L’entrepôt de châssis. Une architecture construite à l’image de son habitant « Jadis, les procédés de production étant simples, le sentiment de

la qualité était développé de la même façon chez les deux parties. Maintenant, le mode de fabrication est un mystère, les formes sont adaptées aux possibilités de machines spéciales […] Devant ce décalage

et les changements trop rapides, les gens ne peuvent plus faire preuve d’initiative et faire « leur » le logement qu’ils occupent, car « leurs

capacités d’expression naturelle et artistique se dérobent, ils ne se

sentent aucun contact avec les choses qui les entourent et la façon dont elles sont agencées »74.

Les Ateliers Merlin : Au début, il y a deux ans et demi, il y avait trois architectes,

chacun a amené un ami. Ils étaient cinq et ils ont commencé, à

travers Facebook, à chercher de nouveaux habitants, jusqu’arriver

à huit personnes qui habitent aujourd’hui dans ce qu’ils nomment « Les Ateliers Merlin ». La volonté initiale était celle d’habiter

dans un hangar et questionner les formes d’habitat et les besoins

: « comment peux-tu adapter toi-même tes besoins à ton propre environnement ? ».

Les habitants payent un loyer avec une convention d’occupation

temporaire, cependant leur statut est illégal puisque l’espace est

un ancien entrepôt de châssis, donc, à la base, il n’est pas affecté à la domiciliation et à l’habitation. L’unique condition que le

propriétaire a imposée est de le restituer en état de départ. En 74   BROCHMANN O., dans Séminaire et atelier Tony Garnier, Cahier 66-67, l’espace et l’individu, la famille, le groupe, la communauté, Paris, E.N.S.B.A., 1969, p. 78-79

247


conséquence, les occupants ont créé une asbl pour avoir une

couverture et, dans le statut de l’asbl ils déclarent qu’ils prototypent et testent de l’habitat léger : « en gros on dit qu’on fait des cabanes, mais on habite ici ! ». De fait, initialement, ils avaient peur de s’ouvrir au quartier et inviter des personnes, ils vivaient avec discrétion dans

le quartier. « On ne disait pas qu’on habitait dans le quartier, mais en même temps, les voisins le savaient parce qu’ils nous voyaient tout le

temps ici. Donc ça fait seulement six mois qu’on a invité les voisins à participer à une soirée dans notre atelier. »

Comme phase initiale, les habitants ont dessiné leur plan et

évalué ensemble l’organisation de l’espace. Premièrement, ils ont

construit la cuisine, la salle de bain et les espaces communs ; ensuite ils ont commencé à fonder leurs chambres privées parce qu’elles

répondaient aux exigences « normales »75, néanmoins en ayant

toujours à l’esprit la question « de quoi on a réellement besoin ? ». L’espace était particulièrement approprié à ce type de réflexion, car complètement vide. Il y avait uniquement les murs et le gabarit du

hangar : « tout était à créer et à inventer ! ». Les habitants de l’Atelier

ont fait d’un espace un lieu de vie. Chacun a fait des propositions

qui avaient comme objectif de créer un espace à la fois de vie et de travail. Dans la communauté actuelle, il y a deux architectes, une

designer urbaine, deux ingénieurs, un garçon qui travaille dans la construction -et l’événementiel, et une musicienne, tous entre 23 et

30 ans. La volonté des habitants était d’avoir beaucoup d’espaces pour exercer plein d’activités et « ne pas se restreindre à un garage ». Il n’y a pas plus des règles communautaires établies qu’une

collocation, à l’exception de l’interdiction de fumer à cause du

risque d’incendie dans l’atelier bois. En outre, à partir de 19h il n’y a plus aucune machine qui ne tourne pour le respect des voisins, 75   Lydwine

248


et ne pas se faire remarquer : « le fait d’avoir un horaire limite est

très important parce qu’en ayant l’atelier juste à côté autrement tu ne t’arrêtes jamais ! ». L’atelier bois est la pièce qui accueille le visiteur et qui prend une bonne partie du rez-de-chaussée. Pour

souligner encore plus l’importance de cette connexion espace de

vie et espace de travail, l’atelier est séparé du salon uniquement par une grande bâche en plastique transparent.

Au début de son expérience, Lydwine76 faisait de la scénographie

théâtrale et de la musique ; par conséquent, elle avait besoin d’un grand espace atelier pour le faire. Toutefois « j’imaginais qu’une solution pouvait être le squat, mais celui-ci ne m’attirait pas du

tout. Ainsi Lydwine a trouvé l’annonce sur Facebook par rapport aux Ateliers Merlin. « Chaque fois qu’on mettait l’annonce de l’appart,

il y avait toujours les écoles d’art qui répondaient, mais nous on ne

voulait pas que ça puisse devenir un ghetto d’artistes. Pour nous la multidisciplinarité et la variété des gens étaient trop importantes, et une

valeur à respecter. On ne voulait pas du tout une homogénéité et cet

aspect devint donc un critère pendant la sélection de nouveaux colocs, permettant de voir à quel point on est complémentaire ». L’aspect d’avoir un atelier partagé, de pouvoir construire son propre habitat,

la disponibilité d’un grand espace et d’une salle de musique, ce

sont les facteurs communs qui ont regroupé les habitants. Chacun dans la communauté a son propre rôle et il est « spécialisé » dans

un domaine : « M. est électricien et il nous a aidé à refaire le système électrique. R. est plus tout ce qui est carrelage et plomberie, P. est

hyper bricoleur et il est l’homme à tout-faire, A. est designer et elle

est en train de faire le plan pour l’escalier de la mezzanine, L. est

menuisier, G. est architecte et maniaque de la sécurité… Chaque mois 76   Lydwine est la protagoniste de cette histoire, car elle a été mon interlocutrice principale. Donc, dans ce chapitre, sa chambre est la plus développée au niveau de son intérieur.

249


on fait ‘dimanche Merlin’ où on se dédie à un projet commun que tous ensemble on construit ».

Lydwine raconte qu’elle a réussi à construire son habitat

idéal : « c’est hyper chouette de créer sa propre chambre sur mesure, maintenant elle est même bien plus que l’idéal. En plus c’est hyper

gratifiant d’être capable de vivre dans un espace que tu as construit toimême, parfaitement adapté à toi ». Toutes les chambres ont un style complètement différent qui reflète la personnalité de son habitant.

Chaque fois qu’il y a un nouveau colocataire qui arrive, « c’est

intéressant de voir comment il transforme et investit l’espace toujours de manière différente ». Il y a une sorte de convention qui établit les règles pour les nouveaux arrivés : soit il reprend la chambre telle

quelle est, soit il doit la détruire pour construire un nouvel espace à partir de zéro. Toutefois, trouver un nouvel habitant qui prend la responsabilité de construire totalement son environnement est très difficile ; normalement il préfère trouver une chambre déjà faite. La visite En général, l’environnement de l’Atelier change en fonction de

la disponibilité des matériaux qu’ils trouvent. Parfois, ils passent à côté des chantiers et récupèrent des poutres inutilisées ou des

planches en bois avec lesquelles ils ont construit une mezzanine

dans l’espace commun. « Pour construire ma chambre j’ai mis quatre mois parce que j’avais pas tous les matériaux » ; ainsi dans le processus

de conception, il y a une importante phase de « prospection », car les plans et le dessin changent en fonction du moment et du type de matériaux trouvés.

Le froid, comme dans toutes les autres occupations, est l’élément

le plus problématique, surtout s’il est combiné avec le système électrique qui ne permet pas d’installer des chauffages individuels

250


l’espace atelier, photo de Lydwine

dans chaque chambre. L’isolation de la majorité des chambres est

faite par d’abord une couche de laine de roche, puis des cartons, et plus extérieurement des panneaux de bois récupérés sur chantier. Dans l’Atelier, le froid crée un paradoxe : malgré le fait que la chambre est construite pour être l’environnement parfait, les

habitants ne passent presque jamais leur temps à l’intérieur de celle-ci, mais préfèrent être près du poêle dans l’espace commun. Cette occupation rappelle une structure de fondation d’un village

vernaculaire : « température – froid : […] on essaye de chauffer l’habitation le mieux possible, ce qui implique de grands éléments de

chauffage que l’on trouve souvent au milieu de la maison »77. Le fait qu’il n’y ait qu’un seule poêle « c’est chouette parce que ça crée un

77   RAPOPORT Amos, Pour une anthropologie de la maison, Collection Aspects de l’Urbanisme, Dunod, 1973, p. 133

251


l’espace salon qui est directement liés avec l’espace atelier. L’unique division est une bache transparente qui est enlevé selon la saison, Photo Lydwine

252


vrai effet communautaire parce qu’on est obligé de se rassembler autour du chaud et la cuisine devient un important lieu de rassemblement ».

De fait, la pièce centrale cuisine-salon, ainsi que l’atelier-bois situé à l’avant, occupent la plus grande partie du rez-de-chaussée. En plus de l’isolation et du rassemblement de locataires, il y a quelques stratagèmes qui aident à

garder la chaleur centrale.

Par exemple, ils ont bricolé un système à poulie avec une brique comme contrepoids, derrière la porte qui donne accès aux chambres à l’étage, pour obliger à refermer cet espace. Les deux grandes

bâches transparentes servent aussi à garder la chaleur et faire une

plus petite pièce enfermée ; le plastique ne disperse pas la chaleur

en créant un « effet de serre ». Derrière la bâche dans le fond, il y a

un petit espace tampon qui se crée et donne un peu plus d’intimité à la chambre arrière. Pendant l’été les deux grandes bâches sont relevées.

La première pièce visitée est la salle de musique, une petite boîte

insonorisée dans le salon, construite par un moulage des planches en bois, rembourré de laine de roche. A l’intérieur, plusieurs

instruments musicaux appartiennent à quatre des habitants. Malgré la présence de cette pièce, elle n’est pas utilisée autant

que l’on pourrait imaginer : « j’avais cette croyance qu’une fois que

tu l’as à portée de main tu vas l’utiliser tous les jours, même histoire avec l’atelier, mais ce n’est pas du tout le cas. Il faut quand même de la discipline. C’est l’apprentissage aussi de se dire que l’on n’a pas forcément besoin d’un atelier chez soi ». En sortant de la salle, on longe un couloir plutôt étroit qui est délimité par les parois de

deux chambres. À droite, P. voulait construire une serre, donc il a créé une grande baie vitrée dans la partie vers le fond de la pièce. Toutefois son concept allait contre la notion de l’intimité, et donc il

a dû mettre des rideaux. Ensuite il a construit son lit surélevé pour

253


gagner de l’espace de rangement dessous, comme dans la majorité des chambres. La structure principale est faite avec des chutes

des planches en bois et des panneaux en OSB. La forme rappelle celle symbolique d’une maisonnette qui occupe l’espace neutre du

hangar. Celle-ci semble presque confirmer les mots de Rapoport sur l’importance du symbole « maison » : « ‘le toit’ est un symbole du home. […] Une étude a souligné l’importance des images, c’est-àdire des symboles, pour la forme de la maison, et a observé que le toit

en pente est un symbole de l’abri, alors que le toit plat ne l’est pas »78. La chambre en face a été construite par un habitant qui n’est plus 78   Ibidem, p. 185

la pièce-serre

254


là. Pour la structure de sa chambre, il s’est inspiré des architectes

japonais Katsuya Fukushima et Hiroko Tominaga de FT Architects :

une série de petites sections de bois, habituellement utilisées pour construire du mobilier, créent une maille structurelle qui permet de libérer l’espace dessous. La structure, en plus d’être légère,

modulaire et avec des qualités esthétiques, permet d’utiliser les

chutes de bois qui sont trop petites pour être employées ailleurs.

En plus, la structure, qui rappelle le cadre d’une « boîte vide », peut être remplie avec des espaces de rangement. De fait, l’ancien

locataire avait construit à intérieur de celle-ci des petites étagères.

255


la pièce-japonaise

Malgré le fait qu’il ne soit plus là, cet élément de la chambre a gardé la même fonction pour le nouveau colocataire.

En suivant Lydwine, elle ouvre une porte qui amène au premier

étage, où le reste des chambres sont localisées. La liberté de ne

pas être contraint à une architecture existante et de trouver des solutions dans un espace à la base inhabitable aide à réfléchir aux potentialités de chaque méandre de l’espace. Par exemple, le vide

sous l’escalier conserve encore les traces d’une ancienne douche ;

le choix improbable devient logique si on imagine que les habitants sont arrivés dans un hangar complètement vide : à ce moment-là,

256


la douche dans le vide sous les escaliers

l’espace obtenu sous l’escalier devient le plus propice à créer un lieu intime, car il est le plus facile à enfermer.

En montant les escaliers, on remarque quelques décorations,

récupérées dans la rue. Un cadre sans peinture, un miroir, des anciens skis transforment cet espace de transition sans personnalité en un

lieu avec une atmosphère familiale. Les locataires se réapproprient des objets trouvés et leur donnent une histoire personnelle en

reproduisant des actions d’aménagement « ordinaires »: on pourrait

s’imaginer que le cadre peut accueillir une photo de famille, ou les

257


skis appartenir anciennement à un ancêtre. Il semble que ce palier est un lieu crucial puisqu’il délimite le passage entre espace privé

et intime des chambres, et l’espace public des communs. Dans ce cas, le miroir présent dans les escaliers devient symbolique du passage : très souvent positionné avant la porte d’entrée, il sert à se regarder avant de sortir dans l’espace public.

Arrivés à l’étage, on a l’impression de rentrer dans un village

en miniature : une ruelle centrale avec des maisonnettes toutes différentes, un fauteuil posé sur une des façades qui sert de

banc public sur une place imaginaire, un lampadaire urbain récupéré éclaire le chemin, et un chantier d’une future maison en

construction. Toutes les installations expriment une personnalité différente. La première « maison » que l’on rencontre est celle de

258


Lydwine. L’appropriation de l’espace commence déjà à l’extérieur

de sa chambre où elle a mis un canapé, des plantes accrochées et une petite cage à oiseaux, qui accentuent l’effet d’« extériorité »

de l’espace. Au contraire, un porte-manteau, un petit cadre et une clé attachés à côté de la porte nous indiquent le hall d’entrée et le seuil de la sphère intime. Lydwine a utilisé l’espace extérieur

et “public” comme une extension de l’espace privé à travers

l’utilisation d’objets symboliques qui redéfinissent l’espace. Le

canapé placé à l’extérieur de la « maison » crée une nouvelle zone, ouverte au dialogue et propice à l’échange et à la rencontre79.

A l’intérieur, elle a créé deux étages: une mezzanine qui voulait être une chambre d’amis, mais qui est devenue un « dépotage des 79   Ugo La Pietra, « La riappropriazione della città », 1977

259


brols ». Sa chambre est l’unique à profiter de la lumière naturelle qui rentre directement. Même dans cet élément architectural

préétabli, elle a apporté une personnalisation : elle a récupéré un des quatre carreaux et l’a rendu amovible « j’ai créé mon petit hublot

personnel, que j’ouvre quand j’en ai envie ». Étonnement, malgré la

plus-value de la lumière directe, personne ne voulait cette position, car trop « publique », c’est-à-dire trop près des escaliers ; les autres préfèrent avoir une place plus privative vers le fond de l’étage. Lydwine a tout construit elle-même, l’unique élément acheté est le

lit qui vient d’IKEA. Par rapport à d’autres chambres, elle a passé

beaucoup de temps à la finition de son isolation, la difficulté était

surtout l’irrégularité du mur. Elle a utilisé surtout du bois comme

matériaux, de vieilles planches d’un parquet, de petites lattes en quick-step, et un vieux bardage pour le mur. Elle est très fière

de sa construction, en particulier la tablette tout le long du mur

260


et sa mezzanine : « chaque matin, quand je me réveille, je me dis ‘wow ! J’ai réussi à faire tout ça, toute seule !’ » De fait, par exemple, les planches récupérées d’un vieux parquet « étaient noires, j’ai passé énormément de temps à les poncer et regarde, la couleur

du bois je la trouve magnifique ! ». Encore plus impressionnant, pour construire la mezzanine, Lydwine a utilisé des livres comme

support de construction pour monter les poutres une à une, elle les alignait et elle ajoutait un livre fur et mesure. Comme finition

à l’extérieur de sa chambre, elle a trouvé des vieux châssis de

fenêtre, qui deviennent un élément marquant et qui donnent un charme urbain à « sa façade » : « je préférais avoir le côté esthétique

plutôt que pratique. Du point de vue de l’isolation acoustique, ça ne va pas du tout, il y a des carreaux qui sont cassés, donc on entend tout,

mais c’est joli ! ». En rentrant dans sa chambre, on passe au-dessous

de l’échelle et à côté de l’armoire, cet espace sert encore de hall

261


d’entrée et de seuil : l’échelle est transformée en porte-écharpes

pour l’hiver et à côté de la porte un portemanteau, derrière la porte les chaussures. « Ces espaces concrets, plus ou moins marqués,

peuvent aussi être virtuels. La manière dont ils sont traités, traversés, transgressés, annulés permet à l’observateur averti de comprendre bien

des choses du logement ».80 On passe le seuil invisible et on se trouve devant le lit. Malgré la longue tablette, à côté du lit il y a une table de nuit, qui est une présence incontournable dans presque toutes

les occupations visitées. De fait, cet élément ordinaire n’acquiert

pas seulement une fonction pratique, pour déposer une lampe ou un livre, mais surtout une valeur symbolique : importante comme les fondations d’une maison, la table de chevet est un repère crucial

pour l’habitant puisqu’elle contient les objets les plus personnels et elle assume le rôle du bastion de sécurité de l’intimité81. Ces

possessions sont précieuses et racontent un besoin d’être sécurisées, dans les « rituels de fondation » d’une habitation-chambre, la table de chevet joue un rôle de première pierre fondatrice.

En face du lit on trouve le bureau. Imaginant d’ouvrir une

fenêtre pour s’inspirer, Lydwine a créé une ouverture sur la paroi

comme si au-delà il y avait un paysage imaginaire. Sur son bureau, cachés dans un coin serré contre le mur il y a quelques bijoux et les produits de soin, et pas loin un miroir déposé à terre. Un peu

comme avec le cas de Juliette82, dans l’armoire de Lydwine, il y a

un petit placard fermé qui contient une série de boîtes fermées, une pour des médicaments, une autre pour des bijoux plus précieux.

80   SEGAUD Marion, Anthropologie de l’espace. Habiter, fonder distribuer, transformer, Collection U Sociologie, Armand Colin, 2007, p. 144 81   DEI Fabio, Il Sacro domestico. Religione invisibile e cultura materiale, extrait de LARES Quadrimestrale di studi demoetnoantropologici, a. 80 numero monografico - «Culture domestiche. Saggi interdisciplinari» a cura di Valentina Lusini e Pietro Meloni, 2014, http://fareantropologia.cfs.unipi.it/wp-content/uploads/2017/01/2014-Il-sacro-domes�co.pdf 82   Cf: Chapitre II.

262


le processus de construction de la chambre de Lydwine, photo de Lydwine


Si on soulève le regard, Lydwine a construit un petit présentoir

avec ses mythes des grandes chanteuses, musiciennes et artistes.

En observant sa chambre, il y a plusieurs de ces icônes accrochées

un peu partout : derrière la porte, à côté et au-dessus du lit, à

l’entrée et sur le bureau. Étrangement, il n’y a pas, comme dans la majorité des cas analysés, des images de la famille. Est-ce une

déclaration d’autonomie par rapport à celle-ci ? Le fait d’avoir les

photos sur son portable est-il suffisant ? Est-ce que le GSM est devenu le conservateur des souvenirs qui nous permet de ne pas

264



devoir les afficher dans l’espace? Ou, au contraire est-il devenu une extension de notre intimité ?

La chambre de Lydwine, avec sa simplicité et sa rigueur reste

assez énigmatique et introvertie, elle laisse filtrer seulement une personnalité discrète et pleine de déférence pour ses idoles.

266


A côté de celle-ci, il y a « le chalet suisse »83. De fait, à cause du

revêtement extérieur avec de petites lattes en bois horizontales, la

façade rappelle la toiture d’un chalet de montagne. Par conséquent, à l’intérieur, malgré la perte de volume, P. a préféré garder l’aspect

mansardé. Le choix de la toiture en pente est déterminé aussi pour capter la lumière par une fenêtre de toit improvisée, l’unique

source d’éclairage naturel. En effet, quand ils sont arrivés dans l’entrepôt, le toit était constitué uniquement d’une tôle ondulée

et opaque ; les locataires ont dû isoler le tout en laissant quelques parties libres pour la lumière, « l’étage nous a pris 4, 5 mois pour

tout isoler ». Toutes les chambres prennent en considération cet aspect, même s’il est affronté avec des techniques différentes. A

part l’extérieur du « chalet », qui est très élaboré, et à différence de Lydwine, la technologie utilisée ici est très simple : l’entièreté

est construite en carton, les parois, le toit, et toutes les finitions intérieures sont construits avec du carton alvéolaire peint en blanc.

Le choix du carton lui permet de mieux conserver la chaleur par rapport au bois. On rentre par une porte oblique, la chambre est

très petite, vite occupée en longueur par un grand lit et sur les côtés

par un large bureau et une vieille armoire avec un grand miroir.

Les dimensions sont tellement étroites que P. utilise son lit comme chaise de bureau. Celui-ci est l’objet dominant de la pièce : sur le

plan de travail, on trouve plein d’objets puisqu’il n’y a pas d’autre

espace de rangement. On remarque sur un côté du « toit » un petit trou : « dans les autres chambres, on a dû créer un mini-système de

ventilation puisqu’il n’y a pas vraiment d’aération. On l’a fait pour

essayer d’avoir un mouvement d’air naturel ». C’est impressionnant

de voir l’attention des locataires pour les détails, qui ne sont pas seulement esthétiques, mais aussi techniques. 83   Défini ainsi par Lydwine

267


l’attention aux dÊtails: le trou pour la ventilation

268


phot de Lydwine, la chambre avec les brick en verre

A côté du « chalet », il y a une « maison en chantier », celle de la

nouvelle locataire qui est en train de la construire petit à petit. En face, une autre chambre est entièrement construite en bois, comme

une petite cabane, grâce à un bardage avec de fins listels en bois. « Le bâti vernaculaire utilise les ressources locales où il se développe et intègre l’ensemble des contraintes naturelles, qu’elles soient climatiques et environnementales […] Les matériaux, la forme et les techniques

utilisées sont choisis en fonction de leur capacité naturelle […] »84,

dans cette pièce, l’habitant a utilisé des briques de verre pour

avoir de la lumière et elle les a transformées en leitmotiv décoratif

de sa chambre. Comme une architecture vernaculaire, l’idée de briques en verre est arrivée après avoir repéré la disponibilité de ce 84   Définition du site https://vernaculaire.com/larchitecture-vernaculaire-aujourdhui/

269


« l’étage nous a pris 4, 5 mois pour tout isoler » (Lydwine)

270


matériau, qu’elle a récupéré sur chantier : « l’expression vernaculaire

désigne une construction façonnée par l’homme en harmonie avec son

environnement, adaptée à sa situation géographique, son terroir, sa culture et ses habitants. Reflet de l’identité territoriale et des contraintes qui y sont liées, elle varie donc radicalement en fonction du relief, du climat, des ressources régionales, de la culture locale, mais également

du mode de vie des citoyens et des choix politiques des États »85.

Cependant, malgré l’utilisation de ce matériau, la chambre reste sombre : de fait à l’intérieur de celle-ci on n’y trouve pas de bureau pour travailler, mais uniquement l’espace-lit.

Tout au fond, on trouve les deux dernières chambres. La première

à gauche est construite comme une boîte en OSB. De même que

dans la chambre de Lydwine, il y a une mezzanine qui est utilisée

comme une sorte de grenier par son habitant, et le lit est placé audessous. En face, une vieille télévision qui ne fonctionne pas à cause du système d’électricité trop faible, est transformée en étagère. L’autre côté de la chambre est occupé par une longue penderie. De

l’autre côté, des caissettes à fruits accrochées à la paroi servent de librairie. Au niveau de la lumière, le locataire a ouvert un espace-

fenêtre qui communique avec la chambre à côté où se situe un puits de lumière. Celle-ci a été conçue pour donner l’impression

d’être sur un bateau. De fait, un niveau rehaussé dans la pièce se

vide pour laisser la place au matelas encastré dans le fond, et il se remplit pour devenir une estrade avec une autre fonction. Dans

le coin, de petites étagères supportent des vases avec des plantes,

comme sur une terrasse, et d’autres compartiments sont cachés par des rideaux rouges. La forme de la chambre étroite est renforcée

par cet ameublement, l’uniformité du matériau bois appliqué avec rigueur l’est dans le même sens, l’idée de créer une multitude de 85   Idem

271


le chantier et la chambre avec les cassettes Ă fruits


la chambre bateau


« la douche et la salle de bain c’est la pièce qu’on a mis plus longtemps à construire, presque huit moins! ça a été un défi fou! » ( Lydwine)


schéma des «maisons»


La sauna privative des Merlins



compartiments celés, et la peinture de la vague japonaise renforcent son concept de rentrer dans un bateau.

« Cet urbanisme spontané et ces constructions spontanées représentent

certaines valeurs qui manquent aux bâtiments dessinés par des architectes, et expriment quelque chose sur les modes de vie »86. Non

contents de leurs constructions personnalisées, comme exemple

culminant de l’ « art de la débrouille », les Merlins ont également

construit un jardin partagé et un sauna dans leur terrasse. Le sauna a été construit en deux jours avec un rassemblement de chutes de matériaux de toutes sortes : « la différence entre la maison populaire et la maison dessinée par un architecte peut aussi nous donner un aperçu des besoins des valeurs et des désirs du peuple »87. Ainsi les

Ateliers Merlin nous donnent un aperçu de l’utopie de vie de chaque habitant qui arrive à la matérialiser en espace physique.

86   RAPOPORT Amos, Pour une anthropologie de la maison, Collection Aspects de l’Urbanisme, Dunod, 1973, p. 175 87   Ibidem, p. 176

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projet avec Leslie Midy, «le vide»: Quelle est l’architecture du vide?

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CONCLUSION « En employant le terme de «nomades», il – Radkowski – a l’intuition du changement essentiel qui est en train de se produire, y compris par rapport au nomadisme traditionnel. Cela, parce que non seulement la modernité nous a privés des multiples repères que leur milieu traditionnel fournissait aux sédentaires, ces civilisations du milieu, mais parce qu’elle a vidé de sens la notion même de lieu »7 . Le phénomène des squatteurs et des habitations temporaires ont la capacité de questionner deux grands domaines en même temps : d’un côté la ville et ses dynamiques urbaines et, de l’autre côté, l’habitat et ses formes architecturales.

La ville se développe de manière frénétique et ses mailles parfois se fissurent en laissant des traces dans le cadre bâti, comme les vides urbains ou les bâtiments délaissés. Les squatteurs utilisent ces fissures pour créer leur espace de vie. A la base, une des questions posée était : faut-il vraiment criminaliser pénalement les acteurs de ce processus ? L’observation sur le terrain et le contact direct avec les protagonistes de ce phénomène ont fourni une base de données nécessaires pour que le lecteur puisse se faire sa propre opinion et répondre à cette question. Attention, cette recherche ne veut pas être un parti pris en faveur de squatteurs, car, d’un coté ces « pirates urbains » sont capables de voler l’intimité de certaines personnes. Toutefois, à travers les rencontres faites et les endroits visités ce qui émerge avec force ce sont des habitations précaires qui représentent des vraies laboratoires de vies et d’espaces. D’autre part, l’existence de ces réalités devons-nous les considérer comme une menace ou plutôt comme une solution de secours par rapport à des politiques urbaines non inclusives ? En outre, est-ce que les initiatives d’intégration et mixité sociale proposées par le gouvernement sont-elles ajustées pour répondre aux besoins d’une société difficile à cibler ? La recherche démontre, quelque part, que ces initiatives spontanées et informelles arrivent à accomplir ces missions à travers une vaste intégration au sein de leurs réalités autogérées. De l’autre côté, du point de vue du social design et de l’architecte d’intérieur est-ce que les modèles d’habitat dont la société se porte garante correspondentils aux vraies nécessités de l’usager ? Ou plutôt, sont-ils encore un fantôme de l’architecture moderne qui créait un certain degré de déterminisme entre 7préface de BERQUE Augustin, dans RADKOWSKI Geourge-hubert, Anthropologie de l’habiter. Vers le nomadisme, PUF, 2002, p.12-13


l’homme et son environnement intime ? Pourquoi alors l’analyse des occupations précaires, plutôt que n’importe quel espace domestique ? La réponse se trouve dans la liberté des habitants de façonner leur espace de vie à leur guise. Dans ce cadre plus autonome, l’architecte d’intérieur - qui s’occupe de la relation directe entre l’humain et son environnement - peut vraiment distinguer les vraies nécessités, les rêves, les envies, la reproduction des modèles familial et des utopies architecturales des usagers vis-à-vis de leur espace domestique. A partir des lieux qu’il occupe, l’habitant écrit son « histoire spatiale ». C’est dans ce contexte, où les occupants doivent faire front à un lieu inhospitalier et le transformer en leur lieu domestique, qu’on retrouve des idées innovantes et des astuces ingénieuses faites avec les moyens du bord. Une architecture vernaculaire urbaine, c’est-à-dire une architecture non standardisé et pragmatique, qui nous apprend l’art de la récupération dans la rue et la reconversion de ces matériaux à disposition de la ville pour aménager leur habitat.

Cette recherche pourrait toujours être différente puisqu’elle change selon les contextes sociaux, urbains et architecturaux. En d’autres mots, ces espaces se transforment puisqu’ils sont liés à l’histoire des habitants qui est toujours différente et à la morphologie du bâtiment qui change à chaque fois. Le passage dans ces univers nous ouvre les yeux, nous rend plus attentifs aux détails, aux objets et aux caractéristiques spatiales, et, enfin, nous donne une différente sensibilité applicable dans la conception d’un projet. Entre autres, cette recherche donne des pistes des réflexion sur deux fronts. D’un côté, au lieu de traiter la problématique du logement précaire dans la recherche des nouvelles formes, elle explore des solutions à disposition de la ville : quel processus, techniques, ressources déjà existants autour de nous ? « R. Sommer nomme de design social, mouvement qui combinait la participation des destinataires du projet, la dimension « développement durable » et une préoccupation humaniste au sens large du terme »8. Quelque part, dans ces habitats précaires on trouve un aspect d’innovation sociale. Les habitants participent de manière active et durable à leur environnement. C’est dans ce processus participatif que les résidents construisent activement leur habitat et acquièrent en parallèle un savoir-faire technique. Ce processus le rend acteur actif de leur espace intime et également du microcosme communautaire. La ville génère des enveloppes 8   SEGAUD Marion, 2010, p. 12


structurelles et l’individu s’en approprie l’espace en fonction du temps, de ses ressources et capacités. Ce processus nous rappelle les projets d’Aravena, After Quinta Monroy et Villa Verde, qui offrent aux habitants un gabarit de base et un espace libre dont chacun, dans le temps, peut exploiter, développer et utiliser comme il entend, selon ses possibilités. Enfin, de l’autre côté rentrée dans l’intimité au sein de la précarité ouvre des nouvelles perspective sur le sens et l’importance des objets, qui créent un lien tacite entre l’individu et son espace de vie. En effet, une table de nuit ou un tapis ont une valeur fondamentale parce qu’ils vont au-delà de leur fonction propre : ils construisent l’importance de se sentir chez soi. Le rôle crucial des concepteurs est de comprendre l’histoire de l’habitant pour comprendre son univers qui se matérialise de différentes formes dans l’espace. L’histoire donne les clés pour ouvrir le significat symbolique des éléments matériels et spatiaux.


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merci à ma promotrice Rafaella Houlstan-Hasaerts, qui a, dès le début, cru dans ce mémoire. merci à mes parents qui supportent toutes mes choix merci à Jérémy à son amour et sa patience merci à Andrea qui me guide, meme si loin merci à Chiara, ma source de paix et conseils merci à tous les interlocuteurs de ce mémoire, sans lesquels cet oeuvre n’aurait pas pu exister merci à Kim, Leslie et Tamara pour ces deux années scolaires très intenses ... et un remerciment spécial à Olga, qui me regarde de là-haut et qui m’a transmis l’amour pour l’observation du détail.




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