Noire n°32 - Impériale Antiquité

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L'ÉDITO DE CÉCILE Juin 2021

COUVERTURE : ARMELLE GOUYET


SOMMAIRE IMPÉRIALE ANTIQUITÉ

DOSSIER

CULTURE

ILLUSTRATION DOSSIER : ORPHNE ACHERON


DOSSIER


À TABLE ! Cuisiner et boire à l'Antiquité Dolorès

Manger et boire sont des nécessités. Cependant, bien manger et bien boire est une habitude que beaucoup de personnes partagent, voire une passion ou un art ! Alors que nous mettions à nouveau une recette médiévale à l'honneur dans notre précédent numéro, c'est l'heure de passer en revue les coutumes antiques. Aujourd'hui, il est temps de s'attarder sur les manières romaines, et plus particulièrement gallo-romaines ! Ce dernier terme signifie d'ailleurs peu de choses... Les peuples gaulois, entièrement conquis par l'empire romain au cours du Ier siècle avant notre ère, deviennent peu à peu des individus romains comme les autres groupes humains romanisés un peu partout à ce moment-là... Les habitudes se transmettent peu à peu, et voilà que nos Gaulois se retrouvent Romains, même à table !

DES SOURCES PASSIONNANTES

espèces animales élevées ou chassées ainsi que la manière de les préparer.

On dispose de nombreuses sources pour étudier et transmettre l'image de cette cuisine, qui forment un puzzle bien rempli mais incomplet. L'archéologie ainsi que l'étude des images et des textes historiques nous permettent d'obtenir une image assez large de ces habitudes alimentaires et gustatives.

L'iconographie, par l'étude des images, n'est pas toujours très fiable. La peinture peut illustrer les Xenia, ces cadeaux comestibles sous forme de nature morte qu'on offre lorsqu'on invite quelqu'un chez soi. Cela traduit le concept d'hospitalité. On peut aussi voir, sur les enseignes de taverne, des annonces de ce qu'on peut y manger. Les mosaïques illustrent parfois des ustensiles, ou le motif du « sol non balayé », parsemé de restes de nourriture comme il devait l'être à la fin d'un banquet ! De nombreuses images sont issues de monuments funéraires, ce qui ne représente pas forcément le quotidien des individus, mais où on peut voir les professions de ceux-ci de leur vivant, par

On peut ainsi apprendre des céramiques par exemple : celles qui ont servi à cuisiner, à exporter des aliments ou encore à stocker ou manger à table, grâce à l'archéologie. Les carporestes, c'est à dire les graines, sont étudiés minutieusement car ils sont une bonne source d'information. L'archéozoologie permet d'identifier les

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des recettes de grande qualité. Malheureusement, la majorité ressemblent plutôt à des aide-mémoires, car elles ne comportent ni proportions ni temps de cuisson. C'est malgré tout une bonne base pour de nombreux cuisiniers actuels ou chercheurs qui ont tenté des expérimentations ayant pour but de retrouver le goût de l'Antiquité.

exemple un boucher. De nombreux textes évoquent l'alimentation de près ou de loin, comme les traités d'agronomie (Caton, Varron, Virgile, Pline l'Ancien, Palladius) ou le Satyricon de Pétrone, mais aussi un livre qu'on a quasi intégralement, intitulé L'art culinaire (De re coquinaria) de Marcus Gavius Apicius. C'était un aristocrate amateur de plats raffinés qui vivait sous Tibère (entre le Ier siècle avant et le Ier siècle après notre ère). Le personnage, qui est bien évoqué dans les textes, a réuni ces recettes mais il n'était lui-même pas cuisinier ! En fait, le métier de cuisinier professionnel n'existe pas vraiment à l'époque. Ce sont souvent des esclaves qui travaillent dans les maisonnées et quelques aristocrates qui s'intéressent à la cuisine comme une passion. Son statut est un peu comparable à celui d'artiste. Les meilleurs étaient cependant formés dans des écoles, où ils étudient par exemple les saisons pour cuisiner en fonction de celles-ci, l'architecture pour agencer la cuisine, la médecine ou encore les arts de la table.

IL Y A 2000 ANS... Ce

qui est légèrement problématique, c'est que ces recettes sont de toute manière difficiles à reproduire car certains produits n'existent plus ! Le silphium, qu'on voit par exemple représenté sur les monnaies et pourtant déjà rare à la fin de l'Antiquité, n'existe plus. Sa sève était un condiment utilisé à l'époque romaine pour cuisiner mais aussi comme médicament (contre la toux, la fièvre, l'indigestion et bien d'autres maux). Le silphium apparaît donc autant dans le livre d'Apicius pour assaisonner viandes et poissons que dans des traités de médecine ! D'autres sont simplement difficiles à trouver, comme les baies de myrte, ou bien moins conseillées qu'à une certaine époque. La rue, ou herbe de belle-fille, largement mentionnée dans les recettes se trouve être un poison à forte dose et une plante abortive. On évite, donc.

Le livre d'Apicius a été recopié de nombreuses fois, et des recettes se sont ajoutées au fil du temps, jusqu'à sa version connue du IVe siècle. Par ailleurs, il ne reflète pas vraiment les plats du peuple mais plutôt

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D'autres produits courants à l'époque existent encore mais ils ont simplement évolué au cours des siècles. Par exemple, le navet, âcre à l'époque et beaucoup plus dur, devait être longuement bouilli. La carotte, qui était blanche auparavant, est devenue orange au cours du Moyen Âge.

et elles sont maintenant cuites sous forme de pain qui sert à l'alimentation de base. C'est surtout le cas du blé, mais on cultive aussi l'orge qui peut être mangé en bouillie ou en galette et qui sert aussi à brasser de la bière. Le millet ou le seigle sont aussi présents. On cultive aussi davantage de lentilles, car les légumineuses sont centrales dans l'alimentation : petits pois, fèves, vesces (qu'on ne connaît pas car elles ne sont plus très consommées après le Moyen Âge).

A part ça, le contenu des courses pour les Romains n'est pas si éloigné du nôtre. Des céréales et des légumineuses en grande quantité, des légumes et des fruits, des produits laitiers, des condiments divers, des viandes, poissons, coquillages, etc.

Du côté des légumes, on a déjà mentionné le navet et la carotte, mais il faut y ajouter le panais, le céleri branche, la betterave et le chou. Dès la conquête, on cultive aussi beaucoup plus de cucurbitacées. On mange des artichauts, crus ou cuits, du concombre qui aurait apparemment été le légume préféré de Tibère et qui était presque inconnu en Gaule avant la conquête, ainsi que les asperges qui sont cultivées. Cela reste un met raffiné bien qu'il soit accessible, qui a le rôle d'une entrée.

On consomme cependant de manière légèrement différente avant et après la conquête romaine, du fait de l'acclimatation de nouvelles espèces végétales et de l'importation depuis l'Empire romain de nouveaux aliments. Les céréales cultivées servaient à manger des galettes auparavant,

Comme nous, les fruits étaient souvent consommés en dessert, donc en fin de repas. Ils étaient peu cultivés par les peuples gaulois et c'est une vingtaine d'espèces d'arbres fruitiers différents qui habillent les paysages gallo-romains après la conquête. L'archéologie et les recettes attestent la consommation de cerises, prunes, quetsches, pêches, melons, figues, dattes, raisin à déguster et pas seulement pour la production de vin, mais aussi de noix, surtout pour produire de l'huile. Comme pour les légumes, certains fruits sont bien différents de ceux qu'on connaît aujourd'hui, comme la pêche qui était bien plus dure.

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de nos bouillon-cubes contemporains, prend la forme du hallec (hallex / allec). La cuisine romaine est souvent sucrée-salée, mais jamais piquante. L'ail, quant à lui, est réservé à l'alimentation populaire et on ne le retrouve pas dans la cuisine raffinée. La cuisine d'Apicius, mentionné plus haut, représente plutôt celle de l'élite, avec beaucoup d'ingrédients concernés, de 7 à 13 selon les recettes. Finalement, le passage d'une alimentation typiquement gauloise à la gastronomie romaine se traduit par une utilisation beaucoup plus fréquente d'huile d'olive et de garum notamment.

Jusque là, rien de bien original. Ce qui fait l'essence de la cuisine antique, plus précisément romaine, ce sont les différents condiments qu'on retrouve dans les plats. Les ingrédients les plus courants sont le poivre, le garum, l'huile, le miel, la livèche, le vinaigre, le cumin, la rue et la coriandre. On n'utilise pas vraiment de sel dans la cuisine, mais le garum est omniprésent pour saler et assaisonner les plats. Il s'agit d'un jus, semblable à du nuoc mam asiatique, obtenu à partir de chair de poisson macérée. Il en existe autant de bas de gamme que de luxe, selon si on utilise les entrailles du poisson ou des parties plus nobles. Un garum raffiné peut coûter aussi cher qu'un parfum ! La version plus solide, l'équivalent

Mouton, chèvre, porc, bœuf et poulet sont toujours au menu mais les proportions changent avec le temps et en fonction des zones géographiques. Certaines espèces

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les papilles romaines, et leur avantage est de se conserver très bien, jusqu'à 24 jours après leur collecte sans température excessive. Elles voyagent parfois très loin, peut-être dans du vinaigre et sans leur coquille ! Ensuite, la consommation diffère selon le littoral, évidemment : bulots, palourdes, ou encore le peigne glabre, aujourd'hui disparu. Ce qui peut nous paraître étrange, c'est que certains coquillages ne sont pas consommés partout, même quand il y en a à proximité, et d'autres ne sont absolument jamais consommés malgré leur accessibilité (bigorneaux, couteaux). S'agit-il d'une question de goût, de tradition, ou encore d'interdit religieux ?

typiques de la période gauloise ne semblent plus être consommées, comme le cheval et le chien, tandis que l'oie domestique s'impose dans le spectre alimentaire. On continue en parallèle de l'élevage la chasse de gibier sauvage (oiseaux, cervidés, sangliers). Alors, oui, la cuisine romaine peut nous paraître extravagante aujourd'hui, car le plat de luxe par excellence était le loir par exemple, cet adorable petit rongeur, et on mangeait également du paon, de la langue de flamant rose ou encore des vulves de truie. On ne dit pas qu'on aime pas avant d'avoir goûté ! A moins, comme moi, d'être végétarienne... Si on utilise le garum à table, pour saler les plats, on utilise tout de même le sel pour la conservation des aliments. C'est notamment le cas des poissons, qu'on conserve en filet ou en pièce entière dans du sel. On obtient alors un poisson dur, qu'on va pouvoir stocker et transporter, et dessaler dans de l'eau pour le consommer. On peut aussi en faire une saumure : on transporte alors le poisson dans son eau salée directement. Fumé, séché, en marinade : tout est possible. On alterne alors entre poissons frais et poissons conservés dans l'alimentation quotidienne, et beaucoup de poissons d'eau douce comme de poissons marins sont présents à table.

Parmi ce que les animaux ont à leur offrir, il y a bien sûr les œufs et le fromage. Il est toutefois difficile de savoir sous quelle forme ! Peut-être s'agissait-il principalement de fromage frais aux herbes, de type

Avant la conquête, les moules étaient déjà beaucoup mangées, les autres coquillages moins. On en consommait surtout sur le littoral et très peu ailleurs. La mode romaine l'emporte ensuite et la consommation se diffuse vers les terres. Les coquillages se conservent mieux que le poisson, ce qui facilite la tâche. Les huîtres sont adorées par

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faisselle. C'est en tout cas ce que semblent signifier les récipients en vannerie retrouvés. Le beurre était, quant à lui, déjà connu des Gaulois. Sans doute ont-ils continué à l'utiliser après la conquête.

forme dépendent bien sûr des moyens de chaque foyer. Dans une domus, c'est à dire la maison urbaine d'une famille plutôt aisée, on trouve de grands fours, des plans de travail, des niches pour stocker le bois... Pour les populations plus pauvres, la cuisine peut se faire dans un local non dédié, par exemple sur un simple foyer de sol, une habitude gauloise.

DE LA CUISINE A LA TABLE La vaisselle nous donne des indications sur la manière de cuisinier les aliments ou de les cuire : les mortiers pour piler les épices et les herbes, objet typiquement méditerranéen, des plats à gâteaux ou à flans pour une cuisson au four (s'ils ont bien été utilisés « à la romaine »), les marmites pour les plats en sauce, des bouilloires qui servent à assainir l'eau ou à couper le vin ! Le pot à cuire traditionnel reste, associé à la cuisson bouillie, tandis que la poêle reste peu présente en Gaule.

Les banquets allongés nous viennent de la mode grecque, que les Romains ont repris et transmis lors de l'assimilation des populations de territoires conquis. On appelle un triclinium les trois banquettes qui forment un U où on s'allonge pour dîner. C'est l'équivalent de notre salle à manger ! Les places sur les différentes banquettes ne sont pas dénuées de sens : certaines sont réservées aux hôtes, d'autres aux invités qu'on souhaite honorer, etc.

V&B : LES ORIGINES

En effet, avant la conquête romaine, les peuples gaulois avaient pour habitude de manger les céréales sous forme de bouillie ou de galette, et la viande bouillie. Ces habitudes alimentaires ne disparaissent pas mais la cuisson de céréales sous forme de pain ou la cuisson plus seulement bouillie de la viande deviennent la norme. La viande semble plus couramment mijotée que bouillie ou grillée, même si ces évolutions s'étalent sur le long terme.

Mais que sert-on à boire à nos invités ? En Gaule romaine, on boit de l'eau, comme tout le monde. Du lait, aussi, notamment de brebis, qui sert autant à se désaltérer qu'à produire du fromage. Côté alcools, les Gallo-romains avaient les mêmes goûts que moi puisqu'ils buvaient surtout de la bière et

D'ailleurs, on mange chez soi mais pas uniquement. Les auberges sont bien connues par l'archéologie. Il y a aussi ce qu'on appelle les thermopolia, « acheter chaud », soit l'équivalent de la street food d'aujourd'hui ! Chez soi, la cuisine et sa

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hydromel d'un essaim de miel rempli d'eau de pluie. L'hydromel comme la bière ont sans doute continué à être consommés, malgré l'arrivée du vin dans leur vie.

du vin ! On consommera des alcools forts plutôt au Moyen Âge. Malgré la conquête romaine, avec la consommation généralisée du vin et une culture de la vigne de plus en plus étendue, la bière connaît toujours un franc succès en Gaule. C'est d'ailleurs l'un des éléments qui leur vaut une image de barbares, cette bière vue comme « une liqueur nauséabonde faite à partir d'orge ayant pourri dans de l'eau » selon Denys d'Halicarnasse (Ier siècle avant notre ère). Les Gaulois brassaient de la bière, portant différents noms selon le type : le kourmi (orge fermenté), le korma (froment fermenté avec du miel) et la cervesia (à base d'épeautre).

La vigne est cultivée en réalité bien avant la conquête romaine en Gaule. La ville de Marseille, créée aux alentours de 600 avant notre ère, met déjà en place une viticulture en parallèle d'une oléiculture : on y a donc du vin et de l'huile ! La ville a même son propre format d'amphores pour exporter ses produits. Bien sûr, le climat méditerranéen et la baie abritée aident beaucoup, et la production de vin ne gagnera donc pas tout le territoire gaulois. Toutefois, au fil des siècles, production et consommation se répandent de plus en plus, si bien que le vin est déjà assez répandu lorsque l'Empire romain s'en mêle. La conquête ne fera qu'accélérer le processus et ancrer pour de bon cette boisson dans les habitudes.

De plus, on consomme bien sûr de l'hydromel, typique de la Gaule mais aussi le plus simple alcool à réaliser ! La légende voudrait qu'on ait récupéré le premier

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Cet article, très synthétique, a pour source principale les cours d'archéologie antique dispensés par l'archéologue Martial Monteil à l'Université de Nantes, dont les thématiques m'ont souvent passionnée. Il existe de nombreuses recettes sur internet pour tenter de cuisiner chez soi « à la romaine », mais aussi un livre dédié et plutôt connu, premier de la liste des sources cidessous. Ne l'ayant pas en ma possession, j'ai choisi un autre moyen pour vous faire une petite idée d'un menu gallo-romain, en page suivante... Bon appétit !

Dès l'Antiquité, le cépage est modifié à partir de la vigne sauvage (vitis vinifera sylvestris). Celle-ci a un rendement difficile, c'est un fruit petit au goût acide, et sa reproduction par clonage a donc permis de stabiliser son caractère génétique pour créer une vigne domestiquée (vitis vinifera vinifera). A l'époque, on cultive une centaine de cépages différents ! L'archéologie et les textes nous permettent d'obtenir de nombreuses et précieuses informations sur ces activités. L'iconographie, quant à elle, est intéressante mais il faut rester prudent(e). La vigne est bien évidemment liée au dieu Bacchus. Il faut donc éviter de confondre des représentations du Dieu et celles d'une activité artisanale ou d'une coutume quotidienne. Toutefois, le motif de la vigne est souvent représenté sur les mosaïques et les sculptures.

SOURCES Pour aller plus loin :

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Qu'y a-t-il au menu, ce soir, à Ratiatum ? Alors que je réunissais toutes mes sources pour cet article, je m'aperçois qu'un ancien camarade de fac d'archéologie se réoriente en études de cuisine. Pour un projet interdisciplinaire, il a choisi de créer un menu entièrement inspiré de ce qu'auraient pu manger les habitants de Ratiatum, un site archéologique très bien renseigné pour l'époque antique, près de Nantes. En s'inspirant des techniques connues de cuisson, des assaisonnements habituels, des produits consommés par les Galloromains et des restes animaux découverts par l'archéozoologue Aurélia Borvon sur le site de Rezé, Tristan Bargain a créé ce menu et nous a autorisées à vous le diffuser ! Comme tout projet de ce type, il faut bien sûr garder à l'esprit que c'est ce qui a pu être mangé mais nous n'en serons jamais complètement sûrs. Un peu d'imagination ! • Entrée : crevettes laquées au miel et nuoc-mam sur taboulé de millet (ou blé, en l'occurrence) aux concombres, coriandre, pignons de pin torréfiés et vinaigrette avec la laque vinaigrée • Plat : mijoté de bœuf aux lentilles sauce réduction de porto aux figues • Dessert : semoule fine cuite dans du lait avec des noix, pignons de pin, pruneaux séchés, poivre, huile d'olive et prunes déglacées au miel



Je suis venu ici pour témoigner de la vérité, pour mettre la balance dans sa position exacte à l'intérieur du royaume des morts.

O Celui qui est haut sur son pavois, Maître de la couronne-atef, à qui on a donné le nom de Maître des souffles, sauve-moi de tes messagers faiseurs de plaies, instigateurs de sanctions, qui sont sans indulgence ; car j'ai pratiqué l'équité pour le Maître de l'équité.

Je suis pur, mes membres antérieurs sont purifiés, mes membres postérieurs sont purifiés, mon torse a été dans la fontaine de l'équité, il n'y a pas en moi de membre exempt d'équité.

Je me suis lavé dans la fontaine du Sud, j'ai fait halte dans la ville du Nord, la campagne des sauterelles, dans laquelle se lave l'équipage de Rê à la deuxième heure de la nuit et à la troisième heure du jour, et dans laquelle les dieux se complaisent à passer nuit et jour. Chapitre 125 Le Livre des morts des Anciens Égyptiens


ANTIQUITÉ MYSTIQUE

Plongée au cœur des cultes à mystères Corail

Il est notoire d'imaginer et surtout d’interpréter le monde antique comme une période riche en diverses divinités et de théogonies polythéistes. De l'ancienne Mésopotamie au bassin méditerranéen, de nombreuses croyances ont vu le jour et se sont rencontrées dans un melting-pot des plus savoureux. au christianisme du premier siècle, ces nouvelles célébrations en marge de la société se développaient et se déployaient dans le cadre cosmopolite du gigantesque Empire Romain, traduisant l'attrait certain des populations vers un Orient séduisant, nouveau et riche de rites étranges.

Toutefois, et plus spécifiquement dans l'Antiquité gréco-romaine, à côté de la religion officielle, publique et souvent d’État, il existait d'autres cultes réservés à des communautés spécifiques, plus ou moins clandestins. Appelés « mystères », ils tirent leur étymologie du grec ancien mustêrion qui signifie « chose secrète » ou qui désigne directement une « cérémonie religieuse secrète ». Ces derniers étaient naturellement dédiés aux mustès, soit les « initiés », ceux qui savent et qui font l'expérience du sacré. L'origine même du mot nous révèle donc quelque chose d'important quant à la nature de ces cultes tout particuliers qui pouvaient exister dans cette époque foisonnante. Parallèlement

Officiellement, les cultes à mystères se définissent selon ces critères : il faut qu'ils soient présents dans l'Antiquité grécoromaine, qu'ils aient une origine orientale comme nous l'avons auparavant énoncé, il faut qu'ils soient bien évidemment clandestins, en marge de la société, qu'ils comportent plusieurs étapes d'initiation et plus étrangement, une croyance qui s'exerce

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Pausanias ou encore l'apôtre Paul dans le Livre des Actes des Apôtres.3

autour d'une idée de mort puis de résurrection. D'Ernest Renan à Franz Cumont, beaucoup d'experts se sont confrontés à ces mouvements religieux très singuliers et ont souvent interprété ces parareligions sous un aspect dit « évolutionniste »1 : les religions dites « orientales » étaient vues comme un symptôme voire comme une cause de la fameuse décadence de l'Empire. De même, il n'est pas inintelligent d'y positionner les fameuses interpretatio graeca et interpretatio romana2 qui consistaient à réinterpréter, et parfois, à assimiler dans une forme de syncrétisme colonial les dieux étrangers comme des retranscriptions des dieux du panthéon italique et hellénique. L'exemple grec illustre presque parfaitement cette idée de pluralité déique car il était courant dans certaines cités comme Athènes, de construire un temple pour les divinités inconnues (Agnostos Theos), de crainte que l'on oublie de vénérer une divinité mineure qui ne s'est pas encore révélée, comme le témoigne

C'est donc à travers ce contexte que l'on va parcourir l'horizon de quelques uns de ces cultes mystiques, propres à l'Antiquité. I – LE CULTE DE MITHRA Le culte de Mithra, appelé aussi mithraïsme, était un culte à mystères apparu en Perse autour du IIe siècle avant Jésus-Christ et qui atteignit son apogée durant le IIIe siècle de notre ère. Bien reçu et souvent apprécié des soldats romains, il se pratiquait à l'origine dans des lieux naturels, comme des grottes avant de s'établir dans des structures artificielles pouvant les imiter : souvent obscurs et sans fenêtre, les temples que l'on nommaient « mithraeum » étaient exigus et ne pouvaient accueillir plus d'une quarantaine de personnes. Son récit mythique quoi qu'un peu complexe dans le développement de sa légende, fait étalage

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d'une série de symboles très divers, comme le taureau avec lequel le héros Mithra entame un voyage appelé transitus, la vigne, le sang, le vin, le scorpion, le Soleil... De nombreuses interprétations de ce culte se confrontent : Cumont y voit par exemple l'illustration d'une tauroctonie, tandis que David Ulansey y devine une explication mythique des signes astrologiques et d'un symbolisme autour de la puissance divine régnant sur l'ordre même de l'univers.

l'initiation. Néanmoins, à partir du principat d'Auguste (Ier siècle), le héros Mithra commença à être mal perçu par les autorités impériales : trop exotique, Mithra fut désigné comme non intégrable au panthéon romain, au contraire des déesses Cybèle et Isis. II – LE CULTE D'ISIS ET D'OSIRIS Directement importés d’Égypte, les cultes d'Isis et d'Osiris ont longtemps été l'exemple par excellence d'une para-religion orientale dans la société romaine. Plutôt bien acceptés des autorités et largement diffusés au sein de l'Empire pendant la période ptolémaïque, ils se déroulaient au sein de soirées nocturnes bien évidemment secrètes et uniquement dédiées aux initiés, au cœur des temples isiaques. Toutefois, il était fait mention de

L'initiation du mithraïsme comportait une hiérarchie sur sept degrés différents : Corax (le corbeau) ; Cryphius ; Miles (le soldat) ; Leo (lion) ; Perses (persan) ; Heliodromus (émissaire du Soleil) et Pater (le père). Chaque titre et chaque niveau possède ses propres attributs et d'une nouvelle compréhension au mysticisme ésotérique du culte. Toutefois, les femmes étaient exclues de

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comme pour y matérialiser le royaume des morts égyptien, la Douât. Heure par heure il suivait le cours de la barque solaire et c'était au milieu de la nuit, à la douzième heure qu'il pouvait s'incarner comme Osiris avant de renaître le matin comme Rê, symbole d'un soleil régénéré.

façon assez courante de fêtes publiques en pleine journée, qui rendaient hommage aux exploits de la déesse : prières, libations, sacrifices et banquets, le culte s'entourait d'une pratique plutôt commune dans sa face diurne. Bien que sans doute infondés, les propos d'Hérodote décrivaient déjà au Ve siècle avant notre ère, un genre de mise en scène théâtralisée opéré par les grecs autour de la Passion d'Osiris, de sa mort à sa résurrection, plus ou moins liée au culte de Déméter célébrée à Éleusis dans la région attique. Les Métamorphoses (ou L'Âne d'or) d'Apulée nous offre au IIe siècle un témoignage déguisé en récit romanesque de ce que pouvaient être ces cultes dans le livre XI : les initiés étaient vêtus de vêtements initiatiques de couleur noire au nombre de dix-neuf (douze stolae pour représenter les douze heures de la nuit et du jour et sept heptastolos pour les sept planètes astrologiques) alors que le nouvel arrivant était conduit dans des cryptes souterraines,

III – LE CULTE DE DIONYSOS Le cas de Dionysos est très particulier au sein du panthéon gréco-latin : il ne fait pas directement partie des dieux autochtones aux deux régions et il est probablement le résultat d'un syncrétisme opéré au contact de l'Orient - il est notamment assimilé au dieu étrusque Liber dans la péninsule italique et il serait probablement la version hellénisée du dieu Shiva. Ses attributs sont divers et souvent semblables d'une culture à l'autre : souvent relié aux cultes entourant les questions de croissance, de fertilité, de régénérescence, de résurrection (il serait père et fils de lui-même), de vitalité, d'abondance mais aussi de colère débridée

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et de frénésie orgiaque, on lui a longtemps prêté l'élément du feu (et par extension du vin, boisson considérée comme une « eau de feu ») et des animaux comme le taureau ou le bouc. Tout comme Mithra, ce dernier était fréquemment représenté coiffé d'un bonnet phrygien pour exprimer son origine orientale et il avait pour emblèmes deux attributs doubles : un phallus dressé pour sa face masculine et le foyer de la maison pour sa face féminine. Célébré dans les théâtres grecs, son culte offrait un spectacle tout à fait saisissant : masques, tambours, danseurs et flûtes, c'est tout un ensemble qui se mettait en place pour livrer aux initiés une expérience de transe totale. Les prêtres entamaient durant les cérémonies des hymnes religieux appelés dithyrambes, accompagnés de chants dissonants et syncopés. Ainsi, Dionysos, dieu de l'extase et de l'ivresse, était celui par qui il était permis à ses fidèles de dépasser la mort et de s'engendrer eux-mêmes à travers le vin car la boisson était vue à l'époque comme un breuvage védique qui était censé aider à conquérir l'immortalité.

pourvoyant très vite comme des prétextes parfaits pour toute forme de débauche, il arriva en -186 un scandale qui offusqua la capitale romaine : suite à un concours de circonstance, le Sénat romain fut mis au courant de ce culte à mystères opérant au sein de sa cité et craignant que l'hystérie collective prônée au cœur de ces liturgies dépravées puisse offrir le contexte idéal pour la formulation d'un complot contre la République (et ainsi fragiliser profondément la cohésion politique et sociale de Rome), la secte subit une répression brutale et fut totalement interdite derrière les remparts de la Cité Éternelle.

Fêté à Rome sous la forme de festivités appelées « bacchanales », ces liturgies inspirées des Dionysies grecques, se transformaient très vite sous l'effet de l'ivresse en orgies nocturnes incontrôlables et orchestrées par des prêtresses nommées « Bacchantes ». Ces cérémonials se

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IV – LE CULTE DE CYBÈLE

V – LES MYSTÈRES D’ÉLEUSIS

A l'image de Dionysos, Cybèle est une divinité d'origine phrygienne (Asie Mineure, Turquie Actuelle) et considérée comme gardienne de la vie sauvage. Appelée autrefois Magna Mater (la « Grande Mère »), elle était présentée comme une des principales divinités antique du ProcheOrient et on lui prêtait de très nombreux secrets et savoirs.

Les mystères d’Éleusis étaient le parangon ultime des cultes à mystères dans le monde antique. Rites trinitaires dédiés tout à d'abord au trio chthonien DéméterPerséphone-Hadès, ils rejoignent dans leurs formes globales les différentes philosophies qui entourent les Enfers, la nature sauvage et

Cette religion rendait principalement hommage aux pierres, au pin et aux fauves. Certains rites impliquaient même jusqu'à la mutilation génitale de ses prêtres durant des cérémonies particulièrement sauvages, comme une représentation du mythe de Cybèle et d'Attis4. En Phrygie, des hommes en armures appelés « Corybantes » s'employaient à célébrer la déesse en dansant et en jouant du tambourin, du cor, des flûtes et des cymbales jusqu'à donner, disait-on, des épisodes de transes semblables à des possessions. A Rome, où la divinité prit une place extrêmement importante durant la deuxième guerre punique, il était de coutume durant le mois d'avril, d'instiguer une procession vers le mont Palatin où se situait son temple. La statue de la déesse était alors brancardée et transportée durant le trajet durant lequel plusieurs musiciens et danseurs accompagnaient le cortège.

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l'aspect résurrecteur du retour du soleil sur le monde et les hommes. Ces mystères comprenaient également une phase cérémonielle en l'honneur de Dionysos (assimilé alors à la déité grecque mineure Iacchos) et ils étaient célébrés dans le temple de Déméter à Éleusis, non loin d'Athènes. De nature très spirituelle et ésotérique, l'initiation de la secte comprenait également plusieurs degrés et elle s'ouvrit durant les siècles à tous les genres et toutes les origines, bien qu'elle fut détenue pendant un temps au concept d'immortalité aristocratique et sacerdotale. Originaires de Crète durant l'ère préhistorique, les mystères prirent un élan incroyable durant l'Empire Romain et perdurèrent de façon séculaire, au point où même l'empereur Hadrien lui-même (Ier et IIe siècle après Jésus-Christ) reçut les deux degrés d'initiation.

n'hésitait pas à s'entourer de tout l'apanage religieux nécessaire. L'épi de blé fraîchement moissonné devenait une preuve hiérophanique et l'expérience de cette connexion au sacré passait pour être la plus vénérée et respectée du monde antique.

Toute l'essence des mystères d’Éleusis reposait sur une notion très précise de secret intime dans lequel l'initié était plongé : de nombreuses étapes purificatrices, de très nombreuses libations et procédures rituelles lustratoires préparaient le récipiendaire à se consacrer d'une façon très personnelle à l'enseignement qu'il allait recevoir. On cherchait à éveiller chez eux des états d'âmes précis et des sentiments réels pour la secte.

Bien entendu, il me restait encore énormément de cultes à mystères à partager : Orphisme, culte de la Bona Dea ou du Sol Invictus et pourquoi pas, le christianisme primitif, sans oublier les différents courants religieux hébraïques comme les ascètes de la Mer Morte, il m'était (presque) impossible de dresser un portrait total et complet de chacun. Néanmoins, j'espère que ce petit tour introductif au cœur de ces mysticismes antiques vous aura donné assez de matière pour nourrir votre curiosité !

Poésies, formules magiques, breuvages, jeûnes et objets de dévotion, le culte trinitaire

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PETITE APOLOGIE DU LATIN Pourquoi apprendre des langues mortes aujourd'hui? Corail

Rendement. Utilité. Programme. Efficacité. Je ne sais pas ce qui l'en est pour vous, mais en ce qui me concerne, j'associe volontiers ces termes à notre société actuelle. Toujours plus rapide, toujours plus consommatrice, il est rare aujourd'hui, et dans tous les aspects de notre vie, que l'on ne nous demande pas de reproduire un schéma d'accomplissement déterminé et productif. Notre existence se doit d'être performante et performative. Quel est l'intérêt professionnel d'apprendre et de raffiner sa pensée à la philosophie ? Pourquoi faire de longues études, de la recherche ? Pourquoi continuer à se tourner vers l'Histoire et notre passé alors que le futur scientifique nous tend les bras ? Pourquoi apprendre encore des langues mortes ? En dehors de l'attrait purement personnel que l'on peut ressentir autour de la question des langues mortes, il n'est pas idiot de se poser cette question. Que pouvons-nous répondre de plus qu'un vague « j'aime bien » quand on nous pose la fameuse question : « à quoi ça sert ? ». Oui, à quoi ça sert d'apprendre une langue morte, une langue qui n'est plus (ou presque) pratiquée ? Ancienne étudiante en Lettres Anciennes, j'ai naturellement été confrontée aux langues mortes pendant presque dix ans, à divers niveaux : latin, grec, ancien français... Aujourd'hui, c'est l'hébreu biblique qui

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s'ajoute à mon voyage estudiantin et universitaire. J'ai fait des langues mortes et des civilisations antiques, mes spécialités professionnelles et personnelles. Et je dois bien avouer qu'en dehors de mes goûts propres, j'en tire un bénéfice bien supérieur, et ce, pour plusieurs raisons. Donc accrochez-vous, voici mon petit top façon Schopenhauer (ou Topito selon vos références) des raisons pour lesquelles il est encore important d'étudier les langues mortes.

d'empires, de civilisations qui sont à l'origine même de nos sociétés et de nos modes de pensée. Comprendre, s'intéresser à ces périodes c'est prendre un recul vis à vis de nos propres siècles et observer de façon plus claire ce qui fait notre civilisation. La langue (et le langage) sont des vecteurs incontournables d'expression et de connaissances. Étudier ces langues antiques nous donne un accès direct à la mémoire de ces périodes de l'Histoire et de ce que furent nos ancêtres et nos terres : pourquoi la République ? Pourquoi la démocratie ? Pourquoi la morale, pourquoi la religion ? D'où proviennent nos technologies, de quoi sont-elles les améliorations ? La démesure et la grandeur presque mégalomaniaques du monde antique irriguent en permanence notre culture, qu'elle soit littéraire, artistique

I – L'ANTIQUITÉ EST À LA SOURCE DE NOS CIVILISATIONS MODERNES. L'Antiquité est une ère historique qui regroupe un nombre immense de peuples,

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autoritaire qui gouverne un pays à l'aide de son armée un dictateur ? Quel est le lien entre les institutions mafieuses du sud de l'Italie et les latifundia romaines ?

III – MAÎTRISER UNE LANGUE MORTE C'EST APPROFONDIR LA NÔTRE. Il est indéniable que maîtriser une à deux langues mortes va apporter un éclairage différent sur notre façon de s'exprimer. En plus d'y apporter un certain (r)affinement, cette maîtrise va permettre de déstructurer le langage et ses codes, de totalement reformer sous un jour nouveau le vocabulaire, l'enrichir de manière substantielle et par dessus tout, initier une précision inédite dans sa façon de conceptualiser notre monde. Bien choisir ses mots, c'est redessiner sa pensée. Mieux penser, c'est mieux comprendre. Soi-même et les autres. ou politique. C'est un parcours à reculons que l'on effectue, à travers treize siècles d'histoire.

IV – COMPRENDRE LES CODES D'UNE CIVILISATION, C'EST AVOIR ACCÈS À UNE PART IMPORTANTE DE CULTURE.

II – COMPRENDRE D'OÙ L'ON VIENT C'EST COMPRENDRE NOTRE MONDE.

Nous l'avons vu plus haut, notre culture moderne et plus ancienne est constamment abreuvée d'exemples et de références aux épisodes antiques. Des structures architecturales classiques en colonnades aux peintures de Nicolas Poussin en passant par le Consulat napoléonien, les langues mortes et par extension les civilisations anciennes, donnent un accès direct à un pan de culture générale inégalable. Que ce soit pour vousmêmes ou pour briller en société, il serait dommage de vous priver de cet apport

Toujours dans cette ligne de compréhension civilisationnelle, il n'est pas tout à fait inutile de saisir avec finesse toute la richesse de notre patrimoine ancien et moderne. De manière plus triviale, saviez-vous que la marque sportive « Nike » vient directement du mot grec « Nikè » qui signifie « victoire » ? Ou encore, pourquoi les produits d'entretien « Ajax » s'appellent ainsi ? Pour quelle raison appelle-t-on un dirigeant

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apprendre une langue ancienne, c'est prendre son temps. S’octroyer le temps, l'énergie lente et presque contemplative d'une langue qui n'existera pas ailleurs que dans votre bouche et à travers votre main. Vous êtes un résistant de la dernière heure et grâce à votre geste, vous faites vivre et revivre une forme d'éternité. Et ça, c'est quand même vraiment la classe. C'est donc pour toutes ces raisons que je ne saurais plus vous suggérer que de vous mettre aux langues mortes. Mieux comprendre, mieux penser ou poursuivre un but presque à contre-courant de la tendance actuelle, il n'y a pas de plus grands bénéfices que de s'y mettre. N'ayez pas peur de vous transformer en un virulent Démosthène, de vous délecter de la rhétorique parfaite de Cicéron ou de jouer au petit génie façon Baudelaire, vous êtes l'héritier d'une tradition millénaire. A vous de poursuivre son œuvre éternelle !

incomparable. Ne passez pas à côté de l'occasion de vous faire mousser en expliquant à votre crush ultime d'où vient l'expression « alea jacta est », comment abrévier « et cetera » sans faute, ou encore le sens caché de votre tatouage « Carpe Diem » !

V – APPRENDRE UNE LANGUE MORTE, C'EST PÉTER LA CLASSE. D'un point de vue beaucoup moins sérieux et plus trivial, c'est toujours très tendance voire un peu rebelle - aujourd'hui de maîtriser et de comprendre une langue morte. En effet, là où notre société nous pousse au plus rapide et au plus efficace comme mon laïus introductif le spécifiait,

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LES SEPT MERVEILLES DU MONDE ANTIQUE Liste revue et corrigée par l'équipe de Noire L'équipe de Noire

Saurez-vous dresser la liste complète des Sept Merveilles du Monde Antique ? Allez, je vous aide un peu. Il y a la Pyramide de Khéops à Gizeh en Egypte, les jardins suspendus de Babylone en Assyrie (actuel Irak), la statue chryséléphantine de Zeus à Olympie (Grèce), le temple d'Artémis à Ephèse (Turquie), le tombeau de Mausole («mausolée») à Halicarnasse en Turquie, le colosse de Rhodes sur l'île grecque du même nom et la tour-fanal de Pharos (Phare d'Alexandrie). Vous l'avez sans doute remarqué : ces bâtiments formidables se situent tous dans le bassin méditerranéen ou pour être plus précise, à l'intérieur des frontières dessinées suite aux conquêtes d'Alexandre Le Grand.

ET JE DIS: «HORMIS LE SUBLIME OLYMPE, L’ŒIL D’HÉLIOS VIT-IL JAMAIS UNE CHOSE SEMBLABLE!

Cette liste est souvent attribuée à Hérodote, un historien grec du Ve siècle. Bien que cet érudit ait été vivement intéressé par les constructions extraordinaires, c'est pourtant un certain Philon de Babylone qui, le premier, a écrit un topo sur ce sujet à la fin du IIIe siècle avant J-C : De septum spectaculis ou De septum mundi miraculis (sans le phare d'Alexandrie, cela dit). Il est repris au IIe siècle dans une épigramme du poète Antipater de Sidon.

Pour ce premier article collaboratif de notre équipe de choc, nous sommes parties d'un triste constat. De toutes les merveilles mentionnées dans cette fameuse liste, seule la Pyramide de Khéops est encore debout. Les autres ne sont hélas visibles qu'en gravures et illustrations. Sans pour autant vouloir réécrire l'histoire, nous nous sommes donc amusées à mettre au point notre propre inventaire de ces incroyables édifices antiques et cette fois, ne pas se limiter aux frontières définies par les victoires d'Alexandre Le Grand.

J'AI CONTEMPLÉ LE REMPART DE LA SUPERBE BABYLONE OÙ PEUVENT COURIR LES CHARS, LE ZEUS DES BORDS DE L’ALPHÉE, LES JARDINS SUSPENDUS, LE COLOSSE D’HÉLIOS, L'ÉNORME TRAVAIL DES HAUTES PYRAMIDES, L’OPULENT TOMBEAU DE MAUSOLE; MAIS QUAND JE VIS LA MAISON D’ARTÉMIS QUI S’ÉLANCE JUSQU'AUX NUES, TOUT LE RESTE FUT ÉCLIPSÉ,

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La pyramide à degrés de Djéser à Saqqarah, Egypte (Cécile) En Basse-Egypte, près de Memphis se trouve une curiosité qui m'a toujours fascinée: une pyramide qui ne ressemble pas du tout à celles qui surplombent Le Caire. Même si elle est moins impressionnante que ses sœurs, elle a pourtant des atouts. C'est en effet la première pyramide égyptienne ayant été construite, vers 2600 avant J.-C. Auparavant, les pharaons étaient inhumés dans des mastabas (je ne saurais que trop vous conseiller de vous référer à mon article dans le numéro 15 : Le culte de la mort en Égypte Ancienne). Pour résumer, il s'agit d'une sorte de tombeau tout-en-un, avec le temple en haut et le sarcophage installé dans une chambre funéraire souterraine scellée. Il était prévu que la dernière demeure du roi Djéser (IIIe dynastie) soit aussi un mastaba. Pour ce faire, il se tourna vers Imhotep. Ce personnage occupait le poste important de Grand Vizir à la cour de Djéser. Outre sa fonction politique, il était vivement intéressé par l'architecture ainsi que la médecine (il a rédigé un traité sur le diagnostic et le traitement des plaies), la religion (il est à l'origine d'une réformation du culte, en introduisant le mythe d'Osiris). Imhotep était par conséquent tout désigné pour cette tâche. En cours de route, il eut l'idée de donner un peu plus de clinquant à la dernière demeure de son roi, en construisant un monument au-dessus de la chambre funéraire et puis, tant qu'on y est, toute une nécropole où l'on pourrait honorer le défunt. Ce complexe nous est parvenu, malgré quelques turbulences (tremblement de terre en 1992), on peut donc encore admirer ses superbes colonnades, chapelles et temples dont les silhouettes majestueuses se découpent sur l'horizon désertique égyptien.

Pompéi, Italie (Cécile) La cité romaine de Pompéi était florissante. Mais quelle idée d'aller s'installer sur les contreforts du Vésuve, qui pouvait menacer à tout moment d'exploser ? C'est pourtant sur ces terres fertiles qu'au VIIIe ou VIIe siècle avant J.-C. le peuple Osque décide de fonder une ville. Annexée au fur et à mesure du temps par différentes civilisations comme les Samnites puis les Romains,


Pompéi acquiert au fil du temps une position stratégique en Campanie, proche de la mer. Malheureusement, des signes avant-coureurs présagent un funeste destin pour la ville : la terre gronde une première fois lors d'un séisme en 62 après J.-C. La catastrophe met à mal l'économie de la ville et paralyse le réseau thermal. Vingt ans plus tard environ, le 24 août 79 (date disputée), c'est le Vésuve qui éclate, déversant depuis sa caldeira une pluie de cendres sur la ville, ainsi qu'une nuée ardente et une coulée de boue. C'est grâce à Pline Le Jeune que nous savons aujourd'hui comment l'éruption s'est déroulée, car il en fait une description détaillée dans une de ses lettres. Mais je ne pense pas vous apprendre quelque chose à ce sujet. La boue, venant s'immiscer dans tous les recoins de la cité, s'est figée et a cristallisé le moment dans l'histoire. Les restes de Pompéi ont pu de ce fait être redécouverts au XVIIe siècle, démontrant à la fois les horreurs causées par l’événement tout en offrant un témoignage puissant de l'époque à laquelle où il a eu lieu. Cette tragédie a permis une conservation hors du commun des bâtiments et du quotidien des habitants. Le plus saisissant sera de découvrir les corps prostrés, vaincus par la force de la nature, grâce aux moulages en plâtre réalisé par Giuseppe Fiorelli en 1860. Les fouilles archéologiques successives ont permis de mettre au jour de nombreuses constructions que ce soit temples, marchés à viandes et poissons (macellum) ou encore les villas des notables. Certaines d'entre elles sont célèbres, comme la Maison du Faune dont les murs sont parés d'une sublime mosaïque de la bataille d'Issos, avec une représentation d'Alexandre Le Grand (oui, encore lui !). Il y a aussi la maison du poète tragique, où le sol est décoré d'une autre mosaïque (c'était la mode) que vous avez sans doute vue dans vos livres de latin : Cave canem ! (Attention au chien). Et puis bien sûr, le lupanar, orné de fresques oléolé et meublé de lits en pierre, témoins silencieux de l'activité du lieu. Aujourd'hui, la ville revit sous les pas des nombreux visiteurs qui se promènent le long de la Via Dell'Abondenza, non sans émotion.


Petra, Jordanie (Cécile) Dans Coke en Stock, Tintin et le Capitaine Haddock arrivent à cheval dans une cité sortie tout droit de l'imagination d'Hergé : Khemed. Sur une des planches, on aperçoit un temple qui ressemble en tout point à la Khazneh de Petra. Petra se trouve en Jordanie. C'est une ancienne agglomération, aujourd'hui site archéologique et touristique prisé, qui existe depuis la fin du VIIIe siècle avant J.-C. Plusieurs peuples se sont succédé en ce lieu depuis la Préhistoire mais ce sont les Nabatéens, qui en furent les bâtisseurs. Ce peuple vivait essentiellement du commerce et échangeait volontiers avec les Romains ou les Grecs leurs épices et aromates. La cité, idéalement placée sur la route des caravanes, s'est massivement enrichie et c'est au cours du Ier siècle qu'elle prend de l'ampleur pour devenir un véritable pôle important de cette région. Les Nabatéens commencèrent alors à creuser la roche et à bâtir des monuments incroyables, comme la Khazneh déjà citée (qui était sans doute la sépulture d'un roi ou d'une reine) ou encore l'Ad Deir, une sorte de temple dédié au roi divinisé Obodas Ier. De manière surprenante, la ville comporte un théâtre romain sans doute pour plaire à ses voisins ou se conformer à leur mode de vie. A son apogée, Petra était peuplée de 25000 habitants. Le site a été redécouvert en 1812 par Jean-Louis Burckhardt, un voyageur suisse qui s'était déguisé en arabe pour pouvoir visiter le coin sans être inquiété (la situation politique était tendue à l'époque). Afin d'être autorisé à fouler les rues de Petra, il se fait passer par un pèlerin voulant sacrifier une chèvre devant le temple. Il consignera plus tard ses observations dans un livre Travels in Syria and the Holy Land, paru à titre posthume en 1822. Aujourd'hui, Petra n'est plus autant visitée. La Jordanie est encore difficile d'accès. Je regardais le site du Ministère des Affaires Étrangères qui, outre le COVID, nous incitait à être très prudent en Jordanie en mars 2021 pour cause probable d'attentats. Toutefois, cela ne m'arrêtera pas, je visiterai un jour cette cité accrochée à flanc de rocher.

Les géoglyphes de Nazca, Pérou (Cécile) C'est bien à l'Antiquité que le peuple Nazca a eu l'idée folle de tracer des lignes sur le sol. Ce peuple vivant au Pérou entre 300 avant J.-C. et 800 après J.-


C. a donc réalisé dans les collines entre les villes de Nazca et Palpa, des géoglyphes de toutes formes, animales et géométriques, dont l'origine et la création font encore l'objet de nombreuses théories. Ces œuvres monumentales sont empreintes de chamanisme, religion locale cherchant à établir une connexion entre les hommes et les esprits et peut-être un autre moyen de créer ce lien. Mais comment ont-ils fait pour faire en sorte que le tracé corresponde par exemple à un animal et ce, sans réelle possibilité de pouvoir prendre de la hauteur ? Depuis les collines alentours, on peut déjà distinguer les formes, mais ce n'est pas évident à voir. En réalité, les Nazcas ont remarqué que sur le dessus du sol, les roches étaient plus foncées qu'en dessous. Par effet de contraste, ils peuvent donc créer des dessins. Afin de pouvoir réaliser des images gigantesques (parfois longues de plusieurs kilomètres), ils ont vraisemblablement utilisé la technique du carroyage. En tendant des cordes, ils parviennent à créer une grille composée de carrés de taille identique. Ensuite, en s'aidant d'un modèle, ils déblayent les roches d'une certaine façon dans chaque carré de manière à ce que les roches les plus claires forment le dessin et les roches sombres permettent de le faire ressortir, comme un négatif. D'autres théories, notamment celle évoquée dans le bouquin de Erich Von Däniken Chariots of the Gods (1968), indiquent que les géoglyphes ont été créés pour les extraterrestres, comme piste d’atterrissage ou dans le but de leur envoyer un message. Que les théories soient ufologiques ou plus terre-à-terre, ces lignes restent fascinantes et mystérieuses, à mon avis!

Les bas-reliefs de Ninive, Irak (Anaïs) Quand on parle d’Antiquité, on pense principalement à la période gréco-romaine et à des territoires plutôt restreints, c’est-à-dire l’Italie et la Grèce actuelles. Même l’Egypte Antique qui est très prisée dès qu’il s’agit d’archéologie semble un peu hors du temps, comme si elle avait sa propre temporalité, son propre espace qu’on sépare du reste de l’Histoire (aliens obligent, je suppose). C’est une longue période très étudiée, mais qui semble aussi très cloisonnée et résumée à des personnages influents et des événements


importants. C’est pourquoi je voulais sortir un peu de ça et proposer une merveille liée à un tout autre empire, l’empire néo-assyrien. On se retrouve alors au Proche-Orient, en Irak, durant le VIIIe siècle avant notre ère. L’art assyrien est reconnu pour ses palais gigantesques et ses sculptures et bas-reliefs, les taureaux acéphales en étant les plus grands représentants. Chaque palais et citadelle étaient décorés de plaques murales, appelées orthostates, représentant principalement des scènes mettant en valeur la puissance tant physique que spirituelle des rois. Dans le palais dit « du nord », construit par Assurbanipal, c’est une scène de chasse qui fait notamment parler d’elle. Motifs récurrents puisque symboliquement, ces corps à corps représentent la victoire du souverain sur la nature. Le roi est au cœur de ces œuvres avec pour compagnons des figures apotropaïques, induisant sa légitimité en tant que souverain tout en permettant de repousser le mal du palais. Ces bas-reliefs sont actuellement au British Museum et un grand nombre de plaques sont visibles virtuellement, on vous invite donc à y jeter un œil. Une salle est également réservée à l’art assyrien au Louvre, dont deux taureaux acéphales, des œuvres autant impressionnantes de par leur taille que par le travail de sculpture unique et précis.

L'armée de terre cuite, Chine (Dolorès) Ce qu'on appelle Antiquité est en réalité une période qui s'étire et existe différemment selon les zones géographiques. Chacun son histoire et son Antiquité ! En ce qui concerne le pays dont il est question ici, on parle de Chine ancienne ou antique pour la période qui s'étend de 1600 à 221 avant notre ère. A ce moment, on invente l'écriture, on développe les artisanats des métaux, et tant l'histoire du pays que ce


que l'archéologie nous a laissé forment un ensemble fascinant. Découverte en 1974, l'armée de terre cuite est en réalité un vestige du moment de passage de cette ère ancienne à ce qui devient la Chine impériale en ce milieu de IIIe siècle avant notre ère. Cela correspond grossièrement, de l'autre côté du monde, à la Gaule celtique, à une montée en puissance de Rome en Italie et à la construction du phare d'Alexandrie en Egypte, par exemple ! L'armée est commandée par le tout premier empereur, le puissant conquérant, dit aussi cruel que raffiné, Qin Shi Huang. Il réunit les différents territoires de Chine et standardise les écritures, les monnaies et bien d'autres choses, mais il est aussi à l'origine de l'exécution des érudits qui ne sont pas d'accord avec lui. Les corps figés de l'armée de terre cuite sont une unité d'élite, vouée à protéger Qin Shi Huang une fois la mort venue, une perspective qui le terrifie. De son vivant, il cherche à se rendre immortel, en parallèle de la préparation de ce mausolée bien gardé. On parle d'armée car cavaliers et fantassins y sont omniprésents avec de véritables armes entre leurs mains, mais il y a aussi parmi les silhouettes des civils : membres de l'administration, musiciens, acrobates ! Un vrai petit village de plusieurs milliers de statues, à l'époque peintes de nombreuses couleurs qui se sont effacées avec le temps. Les chercheurs se posent encore la question : la statuaire grecque a-t-elle influencé cette merveille ? L'analyse des techniques utilisées ou encore des ADN présents dans les environs semblent poser la question.

Sainte-Sophie, Turquie (Corail) Je dois avouer avoir longuement réfléchi sur ce qu'était et sur ce que devait être une merveille du monde pour moi. Je l'ai tout d'abord sélectionnée sur un critère qui me semblait être indispensable : elle doit représenter l'humanité. Bien. Maintenant à partir de quel angle ? Ingénierie, mécanique, art ? Qu'est-ce qui, à mes yeux, détermine le génie humain ? Grandeur, durée dans le temps ? Qu'est-ce qui incarne le mieux le


caractère international d'une merveille ? Doit-elle être moderne, antique, de pierres, de lettres ou d'esprit ? Tant de questions et tant de choix. C'est alors que j'eusse une épiphanie. Quelle merveille du monde, rassemble Histoire, esprit, ingénierie, art et qui est au cœur des pensées et des civilisations depuis le IVe siècle de notre ère ? Sainte-Sophie, bien évidemment. Tout d'abord église, puis mosquée, musée et de nouveau mosquée, Sainte-Sophie, « sagesse de Dieu » en grec, fut au centre de la vie religieuse de nombreux empires (romain, byzantin et ottoman) et son immense beauté n'a cessé d'émerveiller des générations d'être humains jusqu'à devenir en 2019, le deuxième musée le plus visité au monde.

Sans vous en rendre compte, vous avez fait le tour du monde sans bouger de votre canapé. C'est pratique quand même l'imagination! C'est aussi grâce à leur imaginaire que nos lointains ancêtres ont pu réaliser ces œuvres aussi incroyables que magnifiques, dont certaines semblent difficiles à reproduire de nos jours, surtout en se servant des mêmes techniques. Toutes ces merveilles ont mis des années à voir le jour, voire des décennies et sont désormais des joyaux de notre patrimoine mondial. Grâce à l'UNESCO, nous n'oublions pas le travail des civilisations passées. Qu'allons-nous laisser à la postérité ? L'opéra de Sydney, le Burj Khalifa, le musée Guggenheim de Bilbao ? Chacun pourra dresser sa propre liste, c'est sûr !


CULTURE


FREUX, CHOUCAS ET CORNEILLES

Petite histoire du corbeau Cécile

Quand on parle du corbeau, on pense tout de suite à son croassement sinistre, ses ailes noires et sa propension à se repaître de chair morte. Pour autant, pour citer Georges Brassens, cet animal à mauvaise réputation ne fait de tort à personne. Que cache-t-il sous ses plumes ? Quel est son empreinte sur les arts et la littérature ? Découvrons ensemble quelques facettes de ce volatile fabuleux ! Dans Alice au Pays des Merveilles, le Chapelier Fou pose cette devinette : « Pourquoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ? ». Bonne question, n'est-ce-pas ? Il y a beaucoup de formes de bureaux différentes, tout comme il existe de nombreuses espèces de corvidés. Si le nom corbeau est couramment utilisé (terme vernaculaire) pour désigner tout ce qui ressemble de près ou de loin à un gros oiseau au plumage noir, c'est pourtant le terme « corvidé » qu'il faudrait utiliser. Les corvidés sont des passereaux (comprenez : volatiles arboricoles de petite taille, sautillants), connus pour leurs grandes capacités d'apprentissage et leur absence totale de chant, communiquant plus volontiers par cris. On reconnaît de nombreuses espèces dans cette famille d'oiseaux, comme par exemple la corneille mantelée, la pie bavarde ou encore le corbeau calédonien. Pourtant, ils ne ressemblent pas du tout au corbeau que vous imaginez dans votre tête. Quelques espèces sont à rapprocher de cette image, telles que

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le choucas des tours, la corneille noire ou encore le grand corbeau.

couples de corbeaux sont très fidèles et restent ensemble jusqu'à leur mort. En termes de longévité, le grand corbeau, par exemple, bat des records car il n'est pas rare qu'il atteigne l'âge de quarante ans. Les corbeaux sont omnivores, c'est-à-dire qu'ils peuvent se délecter de céréales, de vers ou de détritus ou des charognes pourrissantes (souvenezvous de notre test « animal-totem » sur Instagram !).

Le choucas des tours n'est pas très grand. Derrière son œil bleu pale, sur son cou, on distingue un col de plumes gris. Son bec est plutôt court et pointu. De son côté, la corneille noire a la queue toute droite, son bec est long et ses plumes ont l'aspect parfois écailleux sur le dos mais luisant sur tout le reste du corps. Le grand corbeau (corvus corax) quant à lui, mesure 64 centimètres de haut en moyenne et possède une longue queue étagée. Ces trois spécimens se croisent

La relation de l'homme avec le corbeau n'a jamais été de tout repos. Tantôt adulé, tantôt détesté, c'est un animal qui nous a, malgré

facilement dans nos régions d'Europe de l'Ouest. Désormais, vous saurez les différencier quand vous les rencontrerez, chers lecteurs !

tout, toujours côtoyés. Dans la mythologie scandinave, le volatile occupe une place de choix... sur les épaules du dieu Odin. Deux fiers oiseaux, Huginn et Muninn, y ont effectivement élu domicile en échange d'un petit service. Chaque matin, ils s'envolent dans le but de récolter les nouvelles des Neuf Royaumes, afin de les rapporter au roi des dieux nordiques.

En général, les corbeaux se regroupent en bande durant leurs premières années d'existence jusqu'à ce qu'ils rencontrent leur moitié. Ensuite, ils chercheront à nicher. Les

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Dans le Grímnismál, un des poèmes de l'Edda Poétique, on peut lire ceci :

catastrophes : guerres, famines ou épidémies (cf mon article La grande pestilence dans notre numéro précédent). Il arrivait même qu'on lui prête des intentions maléfiques.

HUGINN ET MUNINN VOLENT CHAQUE JOUR AU-DESSUS DU SOL IMMENSE.

A

contrario, chez les amérindiens, le corbeau est un symbole puissant, synonyme des changements de saison (passage de l'hiver au printemps). D'alignement neutre, il possède en effet des caractéristiques à la fois bénéfiques et malfaisantes. Selon une légende célèbre de ce peuple, pour avoir volé le soleil, il sera condamné à arborer un plumage noir de jais. On le connaît sous différents noms selon les tribus : Chulyen ou Hemaskas, par exemple. C'est le 7ème esprit totem de la roue de la vie des chamans, qu'on associe au signe astrologique de la balance et au début de l'automne. Si vous êtes corbeau, vous êtes à la fois social et solitaire, querelleur, indécis, tête en l'air, raffiné et TRÈS bavard.

Dans la religion nordique ancienne, Huginn est associé à la réflexion (en tant que pensée et reflet du miroir) et Muninn à la mémoire. Odin est d'ailleurs appelé le Hrafrass (l'Ase des corbeaux). C'est sans aucun doute en hommage à ces deuxlà que Ragnar Lodbrok fit broder un corbeau sur la voile de son langskip, afin d'être protégé lors de ses voyages (cf notre dossier sur les Mondes Scandinaves dans le numéro 21). Dans une autre histoire, en France cette fois, on raconte que la ville de Lyon aurait été fondée par deux princes ayant tracé un cercle sur le sol et dans lequel se serait posée une nuée de corvidés, marquant l'approbation du dieu Lug quant à l'emplacement choisi.

Dans le précédent numéro, on vous proposait de lire en double page La ballade des pendus de François Villon (avec une magnifique illustration de Le Miroir Fou). Aux vers 23-24, il est fait mention de notre oiseau en ces termes : "Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez Et arraché la barbe et les sourciz". Lorsque ce volatile est cité dans la

Pourtant chéri pendant l'Antiquité, le corbeau devint la bête noire des contemporains du Moyen Âge, qui, très superstitieux, n'ont eu de cesse de le chasser et de l'accuser de tous les maux. Il était effectivement aisé de le désigner coupable car il était souvent sur les lieux de terribles

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littérature, c'est le plus souvent pour créer un effet macabre, mais pas seulement. Il inspire beaucoup d'auteurs, notamment les poètes, qui n'ont pourtant pas le monopole du passereau.

est à l'origine de tout ce raffut. Il répète « Jamais plus » à l'infini. Son croassement lugubre est un avertissement : rien ne survit à la mort. Même les rêves meurent. Le thème fantastique de ce poème vient renforcer l'ambiance macabre avec un champ lexical qui fait froid dans le dos. Mort et corbeau, deux thèmes qui vont décidément bien ensemble !

Par exemple, vous connaissez sûrement la fameuse fable de Jean de La Fontaine "Le corbeau et le renard".

Dans le cas du poème Les corbeaux d'Arthur Rimbaud, ces oiseaux sont loin d'être des sombres hérauts de la Grande Faucheuse comme chez Poe. Au contraire, les corvidés sont glorifiés et associés à la fois au passage des saisons (du corbeau aux fauvettes de mai) et à l'importance du devoir de

MAÎTRE CORBEAU SUR UN ARBRE PERCHÉ TENAIT EN SON BEC UN FROMAGE. MAÎTRE RENARD PAR L'ODEUR ALLÉCHÉ LUI TINT À PEU PRÈS CE LANGAGE... (Ce thème est également repris dans le Roman de Renart, où c'est le goupil Renart qui tente d'amadouer le fier Thiercelin). Ici, La Fontaine magnifie les défauts humains à travers la loupe de l'anthropomorphisme (le fait d'attribuer des traits humains aux animaux). Plaisante et pratique, cette manœuvre permettait effectivement à l'époque de faire passer des messages politiques sans pour autant s'attirer les foudres des personnes visées. Le corbeau représente donc la noblesse, se refusant à partager son cheddar avec les pauvres affamés, remplacés dans le texte par le renard. Notre corvidé est montré en dindon de la farce, victime des flatteries de l'astucieux renard. D'autre part, dans une autre œuvre, Le corbeau, d'Edgar Allan Poe, c'est la mort qu'il symbolise. Le narrateur endeuillé, rêve à sa dulcinée décédée. Il se fait soudain importuner par des bruits étranges, presque surnaturels. C'est un corbeau, bien sûr, qui

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mémoire, du souvenir des morts au combat. Ces passereaux deviennent donc dans le texte les crieurs de devoir. C'est étonnant de mettre sur un piédestal un animal d'habitude honni. Pourtant, cette image permet d'insister encore plus sur l'importance de ne pas oublier notre passé. Le poète fait ici référence aux combattants de la guerre franco-prussienne, comme il l'avait déjà fait dans un autre poème, Le dormeur du val, que vous connaissez sans doute (il y est question d'un homme endormi qui n'est autre que la dépouille d'un soldat tombé lors de la bataille de Sedan).

tragiquement alors qu'ils sont agressés dans la rue. Ressuscité par un corbeau, Draven va traquer ses meurtriers et se débarrasser d'eux un par un. Ce personnage prend les traits de l'animal (corpse paint, vêtements noirs) et incarne la mort vengeresse. Ce qui frappe surtout dans ce long-métrage, ce n'est pas tant le scénario ou le jeu d'acteur, c'est plutôt l'ambiance. L'univers y est sophistiqué, romantique, rock. Les couleurs sont très tranchées. Seuls le noir, le blanc et le rouge y sont admis. Il pleut tout le temps dans cette ville (à l'instar de Seven) qui renforce bien sûr le sentiment anxiogène. La bande-son est

Il n'y a pas que dans la littérature que le corbeau déploie ses ailes. Je suppose que vous avez tous vu le film The Crow (1994) d'Alex Proyas avec Brandon Lee, le fils de Bruce. Si ce n'est pas le cas, je vous conseille d'y jeter un œil, c'est culte ! Adapté du comic éponyme de James O'Barr, c'est une histoire de vengeance où le héros, Eric Draven, et sa fiancée Shelly meurent

magnétique, empruntant des morceaux comme Burn de The Cure ou encore Dead Souls de Nine Inch Nails, qui ont beaucoup tourné sur les platines des goths (tmtc). La tragédie du film, ce n'est pas la mort fictive de Shelly et Eric, mais bien le décès prématuré de l'acteur principal lors du tournage, ce qui a sans doute contribué à construire sa légende. Et oui ! Brandon Lee a

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succombé le 31 mars 1993, des suites d'une hémorragie dans l'abdomen provoquée par des balles censées être à blanc et tirées lors d'une des scènes de The Crow.

suivis d'une douce mélopée. Le groupe démontre avec aisance que même si le cri de l'animal n'est pas considéré comme un chant de manière scientifique, il peut pourtant être harmonieux et mettre en place une atmosphère particulière. Le lien entre black metal et corbeau semble tout d'un coup évident, lorsqu'on entend les morceaux de Sale Freux. D'autant plus avec la voix de Dunkel, analogue au craillement, qui se fond complètement avec celles de ces animaux qu'il admire tant.

Entre le gothique et le metal, il n'y a qu'un pas, que je franchis sans hésiter. Si le metal s'imprègne souvent de symboles puissants, il était logique que le corbeau soit repris lui aussi. Sale Freux, notamment, travaille beaucoup sur cette figure. C'est un groupe de black metal breton porté par Dunkel (voix, presque tous les instruments) et Aciretose (batterie). Dans une interview accordée à nos confrères de Horns up (je vous mets le lien à la fin, promis), Dunkel de Sale Freux confie avoir eu comme animaux de compagnie deux choucas des tours avec lesquels il a partagé des liens durables, les considérant meilleurs familiers que le « traditionnel clebs familial ».

Outre que l'art, le corbeau défraie souvent la chronique dans des affaires sordides. On n'y pense pas forcément de prime abord, mais c'est pourtant le nom du volatile qui est utilisé pour désigner les auteurs anonymes de lettres affreuses, écrites dans le but de nuire, de dénoncer ou de dévoiler des indices dans des cas judiciaires. Par exemple, au lendemain de la découverte du corps du petit Grégory, les parents du petit garçon (Monsieur et Madame Villemin) reçoivent

L'album L'exil, sorti en 2012, offre en ouverture des croassements de corbeau

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Freux, ce sont des animaux intelligents, sociables qui peuvent vivre en harmonie avec l'homme, voire entretenir des liens amicaux avec eux. Il existe un dicton célèbre allemand : "D'un traître, le corbeau ne veut pas." A mon avis, c'est la pure vérité, le corbeau est fidèle jusqu'à la mort ! Fidèles comme vous chers lecteurs, qui nous suivez à chaque numéro.

une lettre qui glace le sang : J'ESPÈRE QUE TU MOURRAS DE CHAGRIN, LE CHEF. CE N'EST PAS TON ARGENT QUI POURRA TE REDONNER TON FILS. VOILÀ MA VENGEANCE, PAUVRE CON. Ce n'est pourtant pas la première fois que ce type de lettre est écrite. Déjà, dès 1943, Henri-Georges Clouzot réalise un long métrage intitulé Le corbeau dans lequel un auteur anonyme révèle dans des missives acides les petits travers des notables d'un petit village, semant la zizanie. Si, effectivement, le film s'inspire directement des dénonciations anonymes sous l'Occupation, il prend source également dans un fait divers de 1917 intitulée L'affaire du corbeau de Tulle. Angèle Laval, une habitante de la cité corrézienne, a composé de nombreux épîtres médisants sur ses voisins (on a retrouvé des centaines de courriers !). Lors de son procès, on la compare à un corbeau : "Elle est là, un peu boulotte, un peu tassée, semblable sous ses vêtements de deuil, à un pauvre oiseau funèbre qui aurait déployé ses ailes." C'est ainsi que l'expression est née.

Je dédie ces mots à Henri, mon grand-père, qui aimait tellement les oiseaux et la nature.

SOURCES Pour aller plus loin :

Le corbeau est-il pour autant un animal de malheur ? Si j'en crois mon expérience personnelle, non. Bien avant que je naisse, mes grands-parents ont recueilli une corneille noire qu'ils ont appelé Gaston. Il était libre de partir quand il le souhaitait, pourtant il restait. Il appréciait suivre mon papy dans le jardin. Il faisait partie de la famille. J’aimais beaucoup l’observer, il m’était très sympathique. Par conséquent, je suis entièrement d'accord avec Dunkel de Sale

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HYPNOSE : ENTRE ART ET SCIENCE Une relecture inédite au musée d'arts de Nantes Dolorès

Lorsque la réouverture des musées a été annoncée, je n'ai pas mis longtemps à réserver un créneau pour l'exposition Hypnose que j'attendais de visiter avec impatience. Le musée d'arts de Nantes, rénové depuis peu, propose toujours de très belles expositions qui sont, tant sur le fond que sur la forme, aussi pertinentes qu'aérées et esthétiques. Hypnose ne déroge pas à la règle, et c'est une petite heure d'immersion dans un état de conscience étrange qui nous est proposé ici.

L'exposition est, rappelons-le, proposée par un musée d'arts, ce qui explique ce parti pris : montrer les liens qu'entretiennent les pratiques artistiques et l'histoire de l'hypnotisme, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours. Le sujet, inédit pour une exposition, traite donc d'histoire de l'art, des sciences et des cultures populaires, de romantisme et de

psychédélisme, à photographie, cinéma, loin d'être exhaustive. l'hypnotisme dans l'art de la visite.

travers peinture, danse et la liste est Ce rôle majeur de se révèle ainsi au fil

Pour la première fois, le terme hypnotisme est utilisé en 1843. Pourtant, la pratique

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connaît ses balbutiements bien avant, dès les années 1780. Franz Anton Mesmer, un médecin allemand qui se balade un peu en Europe, s'inspire fortement des thérapies électriques pour créer ses traitements collectifs. Il utilise un harmonica de verre, instrument présent dans l'exposition, pour guider ces séances qui s'apparentent à des spectacles publics de guérison. Il est persuadé qu'un fluide universel, le « fluide magnétique » existe et que les pathologies apparaissent lorsque celui-ci est mal distribué ou perturbé.

se diffusent. Un disciple de Mesmer, le marquis de Puységur, évoque le somnambulisme artificiel. Nous sommes en plein dans la première partie du XIXe siècle, marquée par le romantisme qui voit la figure du somnambule et son charme comme le modèle idéal de l'artiste. C'est ça, l'innovation ! Pour beaucoup, comme le sculpteur et dessinateur Théophile Bra qui s'intéresse à l'automatisme. On découvre aussi le superbe tableau La Somnambule de Maxmilián Pirner (1878) qui pose une certaine ambiance.

Son idée est contestée par des commissions royales et sa démarche est tournée en dérision par beaucoup mais tout cela reste dans les esprits et des solutions alternatives

Le XIXe siècle devient alors l'âge d'or de l'hypnose médicale. Côté art, on croit au pouvoir de l'imagination au service d'une créativité augmentée sous états modifiés de

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conscience, qui devient central dans le discours esthétique et la production artistique. On illustre les crises hystériques des hôpitaux, le travail de Martin Charcot fascine par ce que l'exposition appelle cette chorégraphie des corps nerveux, expressifs, automates. Le cinéma des premiers temps s'en empare dès 1900, Auguste Rodin fait venir dans son atelier une jeune danseuse magnétisée, les formations des artistes impliquent de s'y intéresser. Les liens entre la science et l'art sont de plus en plus ténus.

l'esthétique psychédélique des années 60. Différents mouvements prennent vie, de l'art cybernétique (et sa variante l'Op Art) au mouvement littéraire de la Beat Generation (Brion Gysin et William Burroughs). C'est aussi l'ère de la Dream Machine, qui donne une pulsation lumineuse censée reproduire le rythme d'endormissement du cerveau.

La Première Guerre mondiale marque profondément tout le monde et une manière de se libérer des traumatismes est perçue à travers l'hypnose. Les expériences surréalistes de l'écriture automatique (1919) et des séances collectives de sommeil (1922) naissent. Tout cela est pourtant, en parallèle, condamné par la psychanalyse. On crée les dessins automatiques (René Crevel et Robert Desnos) qui mêlent de manière poétique images et mots amenés dans une mise en veille de la conscience ordinaire. L'essor du cinéma lui fait se rapprocher du sujet. D'un côté, la figure du magnétiseur malfaisant, docteur gourou et meneur de foules, est absorbée par le cinéma expressionniste. Cela permet également d'en faire la critique. De l'autre côté, c'est la danse automatique et étrange de Mary Wigman qui intrigue à l'écran. Finalement, l'hypnose devient possible sans même utiliser de suggestion verbale extérieure ! On parle de stimulation des sens, plus corporelle et mécaniste, et ce nouveau palier trouve un certain relais dans

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Les années 70 sont synonyme de révolution de l'hypnose : les écrits du psychiatre américain Milton Erickson sont publiés, des conférences sont données. Les séances deviennent plus collectives, créatives et on pense plus vers un processus d'identifications multiples : l'expérience de l'altérité en étant un(e) autre sous état modifié de conscience, projection identitaire, dans une recherche de potentiel créatif (Matt Mullican) ou autour des ressorts psychologiques (Larry Miller). L'hybridation des pratiques (photographie, performance, vidéo, film, installation) permet de continuer à faire prendre corps aux imaginations.

inspirées des formes d'art les plus marquées par l'hypnose dans l'histoire. Le point fort de l'exposition reste la variété des sujets visuels proposés. Photographies, affiches de cinéma, extraits de films, peinture, objets et livres anciens, dessins étranges, installations de grande ampleur et même de simples feuilles de texte. VOUS ÊTES LE PERSONNAGE PRINCIPAL D'UN ROMAN INITIATIQUE SITUÉ DANS UN CENTRE COMMERCIAL (PRESQUE) INFINI. TOUT COMMENCE DANS L'ARRIÈRE-CUISINE D'UN KFC CLANDESTIN. APRÈS PLUSIEURS ÉPISODES SALÉS, UNE RENCONTRE DÉCISIVE, UN DUEL FRATRICIDE ET PEUT-ÊTRE UNE RÉSURRECTION, VOUS PRENEZ ENFIN VOTRE ESSOR.

L'hypnose devient peu à peu, et elle est toujours aujourd'hui, un outil, un médium à part entière pour l'art. Celui-ci s'axe parfois plus sur les protocoles et les techniques, parfois sur la déconnexion psychique, ou encore sur les nouvelles pratiques de transmission.

MARCEL DUCHAMP EST UN SURICATE DU DÉSERT DE KALAHARI DONT, AVEC UN PEU DE RUSE ET TROIS MORCEAUX DE SUCRE, VOUS PARVENEZ À GAGNER LA CONFIANCE ET L'AMITIÉ. IL VOUS ENTRAÎNE DANS UNE SÉRIE D'AVENTURES SANS QUEUE NI TÊTE MAIS RICHES D'ENSEIGNEMENTS DIVERS.

L'exposition, qui prend place au niveau -1 du Cube du musée, se prolonge d'une installation contemporaine réalisée exclusivement pour l'occasion, dans la Chapelle. On y découvre l'art de Tony Oursler, artiste américain, dans une installation qu'on peut voir comme une synthèse et une apothéose spectaculaire de l'exposition Hypnose. Ses différentes parties du puzzle (vidéo, objets, figurines animées, sculptures et écrans) sont de constantes références qui donnent vie aux propos évoqués dans l'exposition. Magnétisme animal, culture numérique, sommeil... Tout est là. On déambule entre inquiétude et humour dans ces œuvres étranges fortement

On passe d'un espace de peinture à celui animé par le cinéma, puis on prend part à l'expérience : les illusions d'optique, fixes ou en mouvement, commencent à nous faire marcher un peu moins droit et voir un peu moins normalement. Rien de bien dangereux, mais le fil de l'exposition rend l'immersion de plus en plus efficace.

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POUR COMPLÉTER SA VISITE Je regrette peut-être simplement un manque de définitions, une absence d'introduction un peu plus scientifique et un discours parfois un peu complexe au niveau des terminologies et des manières de formuler. Les textes sont absolument importants mais parfois un peu obscurs ou flous. Certes, nous savons alors tout de l'art inspiré, impressionné et immergé dans l'hypnose. Mais, l'hypnose, c'est quoi ? Comment ça marche ? Peu de réponses seront apportées par l'exposition. Pourtant, il aurait peut-être fallu commencer par ça. « État de passivité semblable à celui du sommeil, artificiellement provoqué, chez un sujet qui reste en partie conscient, par des manœuvres de suggestion ou par l'absorption de produits chimiques (dans ce dernier cas, on dit plutôt narcose). »

Dictionnaire TLFi

Bien sûr, il faut distinguer les différentes formes qui coexistent : l'hypnose directe, dite aussi classique ou traditionnelle, qui prend la forme d'une relation d'autorité entre le thérapeute et le patient, l'autohypnose qui porte bien son nom, mais aussi l'hypnose ericksonienne. Cette dernière es bien plus répandue aujourd'hui et elle propose une relation d'accompagnement sans posture autoritaire. Il reste également l'hypnose de spectacle, qui pousse l'autorité à son paroxysme pour le divertissement. Il est le premier à avoir créé un diplôme d'hypnose médicale, Jean-Marc Benhaiem

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émotions, ainsi que la création d'une petite bulle intérieure qui permet d'oublier ce qui n'est pas au centre de l'attention dont les émotions négatives et de s'ouvrir à la suggestion. Les régions activées prouvent aussi que le patient pense réellement voir, ressentir, bouger, tout en étant scotché à son siège les yeux fermés !

est médecin hypnothérapeute. Selon lui, l'hypnose fonctionne en deux étapes. Tout débute par une phase de relaxation, puis on provoque une confusion chez le patient qui lui permet de désactiver son selfcontrol, par exemple en utilisant une phrase alambiquée sur laquelle il va se concentrer sans se rendre compte qu'il abandonne ses certitudes. Il faut aussi alimenter la transe hypnotique pour éviter que le patient revienne naturellement à son état de conscience normal, au bout de 10 à 15 minutes.

On imagine ainsi toutes les prouesses dont on peut être capable une fois dans cet état. D'où l'idée de soigner son stress, ses douleurs chroniques, ses addictions par l'hypnose, une efficacité validée par l'INSERM depuis quelques années. On peut même remplacer l'anesthésie générale par l'hypnosédation, dans certains cas !

Le but ? Être accompagné pour élargir sa perception vers des solutions dont le patient est déjà conscient intérieurement. On l'utilise depuis longtemps, vous l'avez compris, mais ce n'est que depuis quelques années que la science nous a offert des preuves concrètes des changements majeurs du cerveau sous hypnose.

Finalement, si l'hypnose a longtemps été une pratique qu'on rangeait dans l'occultisme et qui a nourri les pratiques artistiques par son aura ou sa démarche, c'est bien la science qui s'en empare aujourd'hui plus que jamais.

Pour résumer, différentes parties sont touchées et cet impact amène une perte du sens critique, un détachement de soimême vis à vis de ses actions, une attention extrêmement focalisée sur son ressenti et ses

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RENCONTRE AVEC AUDREY BASSET - SE FAIRE FOOD Du rock dans ta casserole Cécile

Vous l'avez compris, à Noire, nos petits péchés mignons sont le metal et la bouffe. Il existe une autre personne sur la toile qui partage ces passions : Audrey Basset alias sefairefood. Cette autodidacte multitâche en a dans son frigo. Tout un tas de recettes vous attendent sur son blog, son Instagram, ses podcasts ou ses livres Cook and Roll. « Style panthère », « Marilyn Manchon » et autres « Shakshouka Ponk » donnent le ton. Une rencontre épique entre Rennaises, avec des éléments perturbateurs félins et des problèmes techniques, c'était rock and roll jusqu'au bout. Spoiler : ne lisez pas si vous avez la dalle ! Cécile : Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

suis dit que j'allais commencer à faire un blog fooding. De fil en aiguille, j'ai

Audrey : Moi, c'est Audrey. Mon petit nom de scène c'est sefairefood. J'ai choisi ce nom parce qu'il est drôle et qu'il me correspond. C'est exactement l'état d'esprit rock, décalé que j'aime avoir. Je suis donc auteure culinaire, depuis, là j'attaque ma troisième année et troisième livre. Ma spécialité c'est les jeux de mots, puis le thème rock, pour mes deux premiers livres en tout cas. Je vais évoluer ensuite sur d'autres thèmes. C. : D'où te vient cette passion pour la cuisine ? A. : Déjà, à la base, je n'ai pas fait du tout d'études de cuisine. Moi, je suis plus une créative, d'ailleurs j'ai fait une école de graphisme : LISAA à Rennes. J'ai été ensuite webdesigner, puis après directrice artistique dans une agence de com. Je me suis ensuite lancée dans la cuisine car j'adore ça. Je me

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bouquin de cuisine sur le cinéma. C. : Il y a déjà pas mal de livres de recettes sur le cinéma. On pense forcément à Gastronogeek ou les bouquins de cuisine Star Wars. Qu'est-ce que ton livre aura de différent des autres ? A. : Oui, en effet, je cherche à faire quelque chose qui n'existe pas. Il y a des idées qui tournent un peu dans dans ma tête. En plus là, comme Cook And Roll, je pars sur deux tomes sur le cinéma. Je vais toujours prendre des recettes par rapport aux jeux de mots que je pourrais faire. Je vais faire en sorte que ce soit assez varié, vraiment que ça plaise à tout le monde. Comme j'ai pu faire avec le metal dans Cook and Roll, j'ai essayé de toucher à pas mal de styles, que ce soit des films actuels ou plus anciens. Pendant le

commencé à avoir des idées avec des jeux de mots. Les livres de cuisine, je trouve ça trop simple. Surtout lorsqu'il s'agit de proposer une recette, la photo de la recette, tout cela en rapport avec la mode du moment. Moi, je voulais mêler la musique et l'image dans un seul et même concept. C. : C'est génial, parce que tes études te servent aussi dans ce concept fooding ! Tu as réussi à monter un truc avec toutes tes passions. A. : Alors c'est clair qu'il y a beaucoup de boulot derrière. Il faut essayer plusieurs fois, il ne faut pas baisser les bras et travailler, travailler, travailler... D'ailleurs, en ce moment, je suis sur un nouveau projet de

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confinement, on a regardé pas mal de films et on a aussi cuisiné, donc ce sont deux concepts qui ne sont pas si éloignés. C. : C'est aussi une belle manière d'inviter les gens à retourner dans les salles de cinéma. A. : Et puis aussi, revoir des films qui ne sont pas de notre génération. Il y a des films que j'ai vus pour le bouquin, genre les films de Chaplin. Quand tu remates ça, tu ne peux que faire le lien avec la situation dans laquelle on est aujourd'hui. La société des années 30 est malgré tout très proche de nos problématiques sociales ! C'était hyper intéressant même pour moi de me nourrir de ce que j'aime et de m'en inspirer pour mon travail. La culture, c'est de la nourriture, finalement ! C. : En parlant de passion, de culture, d'où te vient cette passion pour le metal, tu as toujours aimé ça ?

voit sur Instagram et t'es pas obligée d'être considérée non plus comme un « garçon manqué ». Souvent, on nous dit ça.

A. : Toujours ! Forever ! Très jeune, j'écoutais déjà les concerts de Korn, de nu metal. J'ai commencé, on va dire, au collège, beaucoup de rock et je suis passée au metal ensuite. On me disait que ça allait me passer. C. : Oui, c'est vrai, on nous dit toujours ça !

C. : On en a parlé plusieurs fois dans Noire, de la place de la nana dans le metal. On a le droit d'être comme on est et d'écouter la musique qu'on aime, comme on en a envie.

A. : Je pense qu'il ne faut pas juger les gens par rapport à un style. Je suis contente de représenter un style différent, surtout en étant une nana. A partir du moment où on écoute du metal en étant une nana, on n'est pas prise au sérieux. Quand tu es une meuf, tu n'es pas obligée d'être la bimbo comme on

A. : On voit aussi pas mal en ce moment ce look un peu witchy. C'est vrai qu'aujourd'hui, c'est plus facile d'assumer ce look un peu gothique, un peu metal, tatouages, piercings, parce que ça a changé et heureusement. À l'époque, j'étais la seule metalleuse, la seule qui écoutait du Marilyn

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la gueule, avec ou sans message derrière. C. : Oui effectivement, on voit que le metal se détache de cette image trash et porte des valeurs qui font évoluer la société, souvent dans le bon sens. A. : Le discours est de plus en plus écolo, féministe. Si ça peut faire aider à faire évoluer les choses, tant mieux. C. : Et donc t'écoutes tout ça quand tu cuisines ? Ou alors tu as une playlist spéciale cooking ?

Manson ou du Cradle of Filth. On ne me prenait pas trop au sérieux avec ça, on me disait que c'était pour me donner un genre. C'est difficile d'avoir une légitimité en tant que nana, quand tu n'es pas dans les codes.

A. : Il y a toujours une compil metal qui traîne, de Korn, de Linkin Park... C'est générationnel. J'aime bien écouter du metal féminin, des growls de fou comme Arch Enemy. Les meufs, elles font une vraie

C. : Les filles ne comptent pas pour des prunes! Tiens, d'ailleurs, quels sont tes groupes de metal préférés ? Peut-être plus dans la scène actuelle ? A. : Oui, on peut peut-être partir sur la scène actuelle. C'est périodique, j'écoute énormément de choses toute la journée. Quand je crée mes recettes, j'écoute de la musique. Quand je poste sur Instagram, j'écoute de la musique. Quand, le soir, je fais des montages Youtube ou en soirée avec des potes, j'écoute aussi de la musique. J'écoute en fait des tonnes de groupes par jour. C'est des compilations sans fin! En ce moment, par contre, j'écoute en boucle Fortitude, le dernier album de Gojira. C'est un groupe français que j'adore, aussi bien au niveau de la musique que de leur discours. Ils sont bourrés de talent, sont versés dans l'écologie. Je trouve que le metal ça évolue. On est plus dans l'idée de juste se défoncer

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performance, elles montrent c'est pas que pour les mecs. valoriser. Le Hellfest dit aimeraient avoir de plus en féminins sur scène.

que ce chant-là, C'est cool de les souvent qu'ils plus de groupes

C. : Pour reparler cuisine, toi tu es plutôt bec sucré ou bec salé ? A. : Salé ! Plus ça va, plus je me désintoxique du sucre. Je ne sais pas pourquoi, du jour au lendemain. Quand je vais manger un truc sucré, je veux manger un truc exceptionnel. Avec de la praline, de la noisette, des noix de pécan, du caramel... C'est le genre de choses qui me parlent. Ou, a contrario, beaucoup de fruits rouges, mais, sucrés naturellement. Niveau dessert, je table souvent là-dessus. J'aime bien le mélange chocolat et fruits, c'est encore meilleur ! C. : Je suis entièrement d'accord avec toi ! A. : Je ne prends pas de petit déjeuner, je ne bois pas de lait... On est vraiment en détox sucre ! C. : Moi aussi, je supporte de moins en moins le sucre. En fait, dans toute la bouffe que tu achètes, même si forcément, on essaye d'acheter le plus souvent frais, dès que c'est fabriqué en usine, tu sens tout de suite le sucre dans ta bouche. A la fin, tu as peur de choper le diabète directement ! A. : C'est clair, tu sors en triple pontage ! Quand tu regardes les premiers ingrédients sur la liste, t'as du sucre à chaque fois. Je n'achète plus, c'est beaucoup trop sucré. J'ai vraiment pris l'habitude, par rapport à ça,

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A. : C'est vrai, quelquefois, c'est chiant, j'ouvre le frigo, ça arrive que je n'aie pas l'inspiration. Surtout quand tu es en mode cuisine végétarienne. Il y en a marre aussi du tofu. Quand tu vas au restaurant par exemple, et qu'il propose un plat végétarien, il n'est pas forcément très réussi. C'est pour cette raison que je vais rarement au resto. Par exemple, quand il y a un burger végétarien, ils mettent une galette de pomme de terre surgelée au milieu, je préfère cuisiner chez moi un steak de haricots rouges. C'est pour ça aussi que j'ai écrit des livres de cuisine végétarienne, si ça peut donner des idées aux restaurants non végétariens. Par contre, je ne veux pas que ça soit marqué sur la couverture de mes bouquins « cuisine végétarienne », afin que ça puisse plaire au plus grand nombre et qu'ils ne soient pas rangés dans l'étagère cuisine végétarienne. Je trouve que cela empêche la découverte. Mon concept, c'est on aime le rock, on aime la bouffe, j'en fais un bouquin. Je veux montrer une autre manière de cuisiner. Je veux pas rentrer dans ce débat-là, entre les anti, les végétariens. Et puis j'ai autre chose à faire que de surveiller ce que les autres personnes mangent.

de tout faire moi-même ! C. : D'ailleurs, qu'est-ce qui te plaît le plus dans la cuisine ? C'est de créer, de partager ensuite ? Raconte-moi ! A. : Il ne faut pas se le cacher, c'est de manger ! Je ne veux plus manger de trucs rapides industriels, c'est le pire. Il faut respecter son corps. En général, le soir, je me dis « ce soir, j'ai envie de manger quoi ? », ensuite j'ouvre mon frigo et j'invente avec ce qui me tombe sous la main. C'est comme de la peinture, tu crées avec ce que tu vois. Comme un tableau, tu mélanges les couleurs. Pour moi, c'est exactement la même chose.

C. : Éviter, en gros, de se mettre une étiquette pour plaire à d'autres palais. A. : Oui, voilà ! J'ai la chance d'avoir autour de moi différents types de personnes qui n'ont pas choisi le même chemin que moi. Ça arrive que parfois, des gens s'excusent de ne pas être végétariens. Je leur dis « pourquoi tu t'excuses ? Tu manges ce que tu veux ! ». Moi, je ne veux pas qu’on me dise quoi manger,. Si vous aimez mes

C. : Quand on n'a pas envie de cuisiner comme moi, c'est encourageant, parce qu'on part de la même idée finalement : je cuisine parce que j'ai envie de manger, c'est tout simple !

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recettes tant mieux, si cela ne vous plaît pas, et bien chacun fait bien ce qu’il veut. C. : Comment es-tu devenue végétarienne ?

les ai rencontrés, j'ai dit « tiens, au fait, j'ai un petit projet à vous montrer ! ». J'ai essayé un premier projet, qui n'a pas été accepté, un deuxième projet pareil. Et j'ai tenté de leur proposer Cook and Roll. Jamais je n’aurais pensé que ce serait un sujet qui les intéresseraient. J'ai eu rendez-vous avec eux très rapidement, genre le lundi suivant, ce qui m'a laissé le weekend pour préparer une mini maquette, mais ils ont quand même accepté. Pour le nouveau bouquin sur le cinéma, j'ai que cinq mois pour tout finir, alors que j'ai d'autres activités en même temps comme les podcasts ou les vidéos, j'ai aussi des projets en tant que graphiste, sans compter la photographie culinaire, ma compta...

A. : J'ai vu beaucoup de reportages, c'est le parcours classique en fait. C'est aussi dû à des problèmes de santé, pendant un moment, j'ai eu des soucis avec le gluten. A force d'en consommer, on devient malade. Quand tu te rends compte que le matin tu manges du pain, le midi tu manges un sandwich et qu'en réduisant ça tu vas beaucoup mieux, tu prends conscience qu'il y a un vrai problème au niveau de la pollution des sols, l'exploitation des animaux, l'élevage intensif, la mainmise de l'agroalimentaire... J'ai du mal à cautionner cela maintenant. Après, il faut savoir aussi s'adapter, il y a certains peuples qui n'ont pas la possibilité de choisir leur nourriture, c'est un point de vue très européen. Quand j'ai été au Vietnam, j'ai compris que malheureusement là-bas, ils mangent ce qu'ils ont, ce n'est pas possible d'aller leur casser les couilles en leur disant qu'ils ne faut diminuer leur consommation de viande ou du poisson.

C. : Tu es heureuse et ça se voit ! Franchement, bravo pour tout ça ! A. : Oui, ça va plutôt pas mal en ce moment ! C. : Un petit mot pour nos lecteurs ? A. : S'ils aiment le rock fort, les jeux de mots capillotractés et la batterie de cuisine, ils vont adorer mes recettes !

C. : Peux-tu nous raconter l'aventure de ton premier livre ? De l'idée à la publication ?

SUIVRE SE FAIRE FOOD

A. : Alors, l'idée est venue il y a déjà quatre ans. Quand tu écris un bouquin, tu as l'idée au moins un an à l'avance. Petit à petit, j'ai commencé à écrire le livre, trouver des jeux de mots. J'ai proposé plusieurs fois mon concept à des éditeurs. Pour l'histoire avec les Editions Ouest France, je faisais une mise en page du livre pour mon amie et lorsque je

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LES FLEURS DU MAL... ...ou le nouveau procès de la déviance artistique Corail

Autrefois

décriée comme élément de perversion sociale, la déviance artistique est aujourd'hui un élément fondamental de chaque mouvement créateur. Au-delà de son aspect pédagogique que l'on développera plus tard, il n'est pas inintéressant d'y apporter une définition afin d'éclaircir notre propos.

I – PRO DEVIUM La nécessité libératrice

Dérivée du verbe « dévier », la déviance tire son étymologie première du préfixe dé- et du mot latin via, signifiant route, voie. Dévier, ou encore deviare dans sa forme la plus puriste, est donc l'acte de sortir de la voie, de sortir du chemin et par extension sémantique, s'écarter du droit chemin. Ainsi, en s'écartant de ce droit chemin, le déviant affirme une transgression à des règles établies et connues, que l'on peut tout aussi appeler « morale » ou encore « éthique », bien que ces concepts de philosophie générale ne soient pas tout à fait identifiés aux mêmes présupposés.

Autant d'un point de vue éducatif que d'une nécessité primaire, la déviance est un atout insolvable, indissoluble de la nature humaine. À chaque civilisation, sa notion de déviance. À chaque religion, croyance, morale sociale et éthique personnelle, sa façon de sortir du chemin. Et l'art n'est pas exempt de cette notion, bien au contraire. Je pense même que l'on peut le catégoriser comme élément primaire d'expression déviante : musique, littérature, cinéma, poésie, peinture... Peuton vraiment trouver un véhicule de pensée et d'expression qui ne soit pas lié de près ou de

Bien. Maintenant que l'idée globale de la déviance est assumée, passons à son caractère artistique, et en quoi ce dernier est toujours sujet à un procès.

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Sûreté publique du Second Empire accuse Charles Baudelaire et son œuvre d' « outrage à la morale publique » et d' « offense à la morale religieuse ». L’œuvre est finalement défendue comme ostensiblement provocante à des fins de condamnations implicites de la part du poète. Baudelaire et sa maison d'édition sont condamnés à la suite du procès pour délit d'outrage, à respectivement 300 et 100 francs d'amende et doivent supprimer du recueil 6 pièces : Les Bijoux, Le Lethé, À celle qui est trop gaie, Lesbos, Femmes damnées et Les Métamorphoses du Vampire. Tout comme pour Madame Bovary de son ami Flaubert, le couperet de la censure tombe sur Les Fleurs du Mal. Peu soutenu par son entourage artistique, son œuvre ne sera au final totalement réhabilitée qu'en 1949 : « les poèmes faisant l’objet de la prévention ne renferment aucun terme obscène ou même grossier et ne dépassent pas, en leur forme expressive, les libertés permises à l’artiste ; que si certaines peintures ont pu, par leur originalité, alarmer quelques esprits à l’époque de la première publication des Fleurs du Mal et apparaître aux premiers juges comme offensant les bonnes mœurs, une telle appréciation ne s’attachant qu’à l’interprétation réaliste de ces poèmes et négligeant leur sens symbolique, s’est révélée de caractère arbitraire ; qu’elle n’a été ratifiée ni par l’opinion publique, ni par le jugement des lettrés ».

loin à la construction artistique ? Des athlètes olympiques de l'antiquité grecque à l'établissement chrétien de sites religieux sur l'ancien sanctuaire d'Olympie, une idée entre en scène : celle de la pureté. L'un défendait la grandeur d'un corps parfaitement athlétique et sain, savant mélange d'esprit et de muscles qui était autrefois sublimé et consacré presque religieusement durant des jeux ; l'autre enfouit et enterre les preuves païennes d'un culte jugé « licencieux » par l'abondance des représentations physiques et de nudité masculine, tout en songeant à purifier l'âme de ses aspects terrestres. Car là où l'Antiquité polythéiste rendait hommage à la beauté parfaite de la chair, le Moyen-Âge chrétien voit dans le corps humain ses flétrissures et son pourrissement prochain. Seule l'âme doit être sauvée. Entre orgueil et luxure, l'idée de l'impur judéo-chrétien vient remplacer les préoccupations humaines en les recadrant autour d'un chemin précis et dogmatique. De la culture populaire et non spécialiste, il nous est aisé de nous souvenir du Malleus Maleficarum, de l'Inquisition, des guerres de religions entre catholiques et protestants au XVIIe siècle, des grands schismes de 1054 et du XIVe siècle européen ou encore des œuvres littéraires et cinématographiques Le Nom de la Rose, où l'idée de « pureté » et surtout de déviance tend ses racines dans le conscient collectif comme une transgression aux règles rigides d'une morale jugée bien trop hypocrite. Et ce n'est pas la censure et le procès des Fleurs du Mal en 1857 qui viendront mettre un frein à cette idée.

Donc ? Quel est l'intérêt de la déviance manifeste et condamnée des Fleurs du Mal ? Pourquoi s'y attarder encore aujourd'hui ? Et bien parce que cette question soulève encore de nos jours d'importantes idéologies et

En effet, le 7 juillet 1857, la direction de la

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mouvements artistiques dans leur ensemble. Que penser de la Merde d'Artiste de Piero Manzoni ? Du Piss Christ et de Shit (Self Portrait) d'Andres Serrano ? Comment interpréter les œuvres éminemment sexuelles et phalliques de Giger ? Quel bénéfice tirer de l'enregistrement de Death – Pierce Me du groupe de black metal suédois Silencer, quand le chanteur Nattramn se fait volontairement vomir et se scarifie les poignets et les mains durant ses chansons ? Davantage même, que tirer des mouvements black metal, qu'ils soient DSBM ou purement sataniques ? Que retenir des agissements déviants et souvent controversés de ses adeptes ? Entre meurtres, folie psychique, maladies mentales, misanthropie extrême et délires mystiques, bien des artistes considérés comme borderlines ou totalement déviants à l'image de Van Gogh par

exemple, tirent leurs succès de cette imagerie et cette idéologie de violence morale. Comment expliquer aujourd'hui la volonté archéologique de restaurer et conserver minutieusement les nombreux graffitis obscènes et pornographiques trouvés dans la cité antique de Pompéi ? Car comme pour le reste, ces œuvres sont des témoins. Des témoins sensibles, des témoins dérangeants de la fragilité humaine. Ils sont les représentants d'une psyché dissimulée et discrète. En se confrontant à leur expérience directe, elles nous servent de modèles, d'émanations cathartiques aux émotions les plus frénétiques et douloureuses : comme un miroir, comme le reflet de ce qui traverse et de ce que la morale sociétale réprouve, nous

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pire exemple de cruauté et d'atrocité à l'horreur signée black metal qui vient, contre toute attente, signer un mode de pensée et de conduite inflexible et puriste, la déviance est synonyme de liberté et de sensibilité. La transgression volontaire est avant tout un cri, celui de l'être contre le paraître. C'est un affranchissement rebelle et contrôlé qui vient redéfinir les contours de notre propre conception de la réalité et de notre projection dans cette même réalité. Le déviant est donc d'abord, une ligne transversale au droit chemin. Des scandales de viols et de pédophilie dans l’Église Catholique à la perversion capitaliste d'un monde qui se voulait libre, le déviant est synonyme aussi d'éducation. Il est là pour nous permettre de comprendre, de grandir, de s'ouvrir. Il est comme le serpent biblique, à la fois corrupteur et douloureux, c'est avec lui que s'ouvrent nos yeux à la connaissance et à la liberté. Car n'est-ce pas par des actes destructeurs et d'immenses colères que le petit enfant affirme à ses parents, à son monde, son identité propre ?

entretenons ces œuvres comme porteuses de nos sentiments humains. Colère, douleur, rage, impuissance, agressivité. Viols, incestes, blasphèmes, sang et entrailles. L'épouvantable devient cinématographie horrifique, le frisson la clé de nos cauchemars. La déviance est donc notre schéma de résolution des conflits intérieurs qui nous menacent et notre moyen de conserver notre humanité jusqu'à l'infime. Même la réponse du « pur » et du « parfait » viennent entériner cette nécessité : combien de dystopies reprennent l'idée d'une société pensée irréprochable qui, au final, regroupe en son sein les pires expériences eugénistes ? La volonté de la pureté et la rigidité du cadre qui entoure ces concepts influencent grandement le positionnement moral et éthique de chacun. De chaque côté de la balance, un pas pour se retrouver. De l'empire nazi aux idées de perfection humaine qui finalement créera le

II – CONTRA DEVIUM La fascination abjecte Nous l'avons vu. La déviance apporte de nouvelles facettes à la conception humaniste et profonde de l'homme. En dehors de son aspect blasphématoire et contre-sociétal, elle apporte cette idée de sensibilité personnelle à une conjecture parfois trop fermée de la société dans laquelle nous évoluons. Mais en dehors de ces idéologies dénonciatrices souvent intimes, la déviance offre à notre vision son exemple nu : bien que partagée

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des perversions incestueuses et violentes du troisième, tous les trois regroupent en leur sein une violence extrême assimilée à une destruction de leurs victimes sur lesquelles s’exercent leur domination, quand elle n'est pas tournée contre eux-mêmes. L'art est bien plus pour eux qu'un moyen cathartique de figurer dans le réel leurs fantasmes déviants. Il ne s'agit plus d'un élément symptomatique d'une psyché abîmée et fragile mais d'une véritable conséquence. Leurs œuvres, leurs héritages, sont des reflets concrets de leurs

par tous, elle reste peu exprimée par l'ensemble de l'humanité de façon directe. C'est tout l'enjeu de l'inconscient freudien et des notions de « moi » et « surmoi » élaborées au début du XXe siècle. Bien que ces instincts participent à un acte libérateur dont on peut retrouver la trace jusque dans les mythes antiques et les constructions spirituelles qui régissaient les notions de raison et pulsions, il est nécessaire selon moi, de repenser la place sociale et archaïque de l'humanité. Comme l'ont prouvé de nombreux ethnologues, anthropologues, archéologues et de nombreux scientifiques animés par le logos, l'Homme est par son essence un animal social et grégaire. Les premiers récits de constructions sociétales comme le Pentateuque, regroupent ces idées de constructions pénales et judiciaires autour de l'homme juste et de l'homme injuste. Il en va de notre propre survie que de ne pas trop s'attarder et écouter la déviance des œuvres dont nous avons pu parler précédemment. Car là où l'étymologie latine que nous évoquions plus tôt nous parle de transgression, cette dernière signifie également « se perdre ». Celui qui s'écarte trop du chemin, se perd. Et se perdre, c'est aussi mourir. En effet, quelle place donner aujourd'hui à des auteurs comme Renaud Camus, le Marquis de Sade et Baudelaire ? Le racisme flagrant du premier nourri à la haine de l'autre, le vice sexuel et dépravé d'un auteur violeur qui fait à son tour l'apologie du viol chez le deuxième et la misogynie associée à

conceptions mentales. Plus que de s'écarter du chemin dans un esprit de liberté, ils se perdent totalement dans une réalité qu'ils conçoivent violente. De ce fait, quel plaisir tirer de la contemplation de leur art ? Quel

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dans un esprit d'accord tacite. Bien que très souvent subjectif comme nous le rappelle l'adage latin « de gustibus et coloribus non disputandum », cette notion se rajoute dans l'accord parfait de l'esprit et des sciences, comme le prouve le nombre d'or par exemple. Ou encore la conscience et l'accointance idylliques entre mathématiques et poésie à l'image des poètes de la Pléiade, de l'Edda poétique ou encore la métrique parfaite d'Ovide et de Virgile. La perfection d'écriture régie par des règles strictes pousse alors le créateur dans un dépassement performatif au service de la Beauté.

plaisir peut-on trouver à l'évocation sublime d'une image d'amour transformée en charogne puante ? Poussée à l'extrême dans son obscénité et son insulte, peut-on imaginer un amour sain construit dans de telles projections ? Les Fleurs du Mal pullulent de ces exemples : de la mise en avant du meurtre et de ces idées mortifères, Baudelaire nous offre entre autres Abel et Caïn, La Mort des Amants, La Mort des Pauvres, La Mort des Artistes, La Fontaine de Sang ; quand il nous exhibe pas ses prières glorieuses à Satan (Le Reniement de SaintPierre, Les Litanies de Satan, Gloire et louanges à toi Satan, La Destruction...) ou des spectacles libidineux emprunts de sodomie et de misogynie flagrante (Le Vin de l'Assassin, Les Bijoux, La Femme Impure...) ou encore, de désespérance dépressive (Le Goût du Néant, Spleen, Alchimie de la douleur, L'Héautontimorouménos, L'Irrémédiable...). Alors, comme pour le film de Todd Phillips sorti en 2019, est-il nécessaire de s'attarder sur l'aspect subversif et irrévérencieux de la déviance artistique ? Ce n'est pas mon avis. Le sublime, bien que forcément hyperbolique sur tous les degrés, nous donne de quoi nous émerveiller également. De la beauté exquise et pointue du Parnasse au génie incontesté de Mozart, la Beauté comme on la définit naturellement promet une vision nouvelle et apaisée des rapports humains à sa société. Tout comme le meurtre est condamné par chaque entité et civilisations, il existe des points communs sur lesquels la sensibilité du Beau s'arrange

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l'égarement humain est compris, accepté et pardonné. C'est au sein de nos méandres intérieurs que la pensée chrétienne mais aussi bouddhiste, nous implorent à toujours revenir vers l'intérêt de l'Autre avant de le nôtre, et de construire avec lui, dans l'affranchissement désintéressé de nos propres limites, un monde plus sain.

C'est alors que les adeptes de la déviance me diront que ce n'est qu'une histoire deforme et non pas de fond, et que la poésie baudelairienne, en plus de servir les règles de l'Art, sont au paroxysme de leur genre et l'exemple même donné aux Poètes Maudits comme le furent Verlaine et Rimbaud. Que la beauté d'une personne peut résider dans son être et non pas dans son paraître. Ce à quoi je répondrais ceci : le procès de la déviance est un procès d'intentions. Car là où Tchaïkovski par exemple, cherche à créer le sublime dans ses compositions magistrales, le déviant touche avant tout à l’exécrable et l'abject – terme ici utilisé dans son sens premier ab- / -jactare, jeter loin de soi. Le Beau, comme il est entendu dans son sens commun, est avant tout une offrande extrapersonnelle, qui cherche à desservir l'esprit dans sa gloire et lumière ; la Déviance elle, exhibe toujours sa dimension intra-personnelle et égoïste. Elle n'est que la surenchère de pensées autolâtres qui s'acharnent sur un modèle perverti de la réalité dans un acte masturbatoire et individualiste. Ce n'est pas pour rien que les récits bibliques du Nouveau Testament notamment, tendent à considérer l'homme comme dépositaire et gardien du « juste ». Car à la ressemblance de son Dieu humilié, battu, mort et crucifié, l'horreur et

La déviance est donc à mes yeux, unique nécessité éducationnelle et d'expression personnelle mais elle n'est pas, et ne doit pas être un objet de fascination. Se complaire dans l'expression de sa déviance (ou de la déviance d'autrui) est un exercice dangereux, qui tend à l'égocentrisme pervers dans sa définition la plus stricte. Car le pervers est bien celui qui projette ses fantasmes autour d'un monde narcissique et dans lequel il assujettit par la violence (physique, morale, artistique) l'Autre dans ses concepts dominateurs. Comme l'enfant en crise que l'on gifle, la réponse première est le choc traumatique. L'enfant se tait non pas par respect ou par volonté, mais bien parce que tout son être se trouve plongé dans un état de choc. Le déviant cherche donc à provoquer une réaction viscérale de l'Autre à ses désirs ainsi exposés, que son

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intention relève de la critique ou de l'expression mouvementée de ses sentiments. Sa jouissance intervient dans un cadre de conquête et d'adhésion psychologique, à la fois révélatrice d'une fragilité et d'un mensonge, celui de la déformation volontaire – ou non – du monde qui l'entoure. En conclusion, plus que l'apologie de la normopathie, mon point de vue se positionne davantage autour d'une conception « cum devium ». Concernée par la pensée aristotélicienne dans son ensemble, c'est la modération globale que je défends et surtout, l'idée de se défaire de la pensée narcissique qui resurgit à travers la conquête de soi-même. Plus que de discriminer la déviance et ses caractéristiques artistiques, c'est en suivant son accompagnement que l'on parviendra à se réaliser profondément, dans notre individualité comme dans notre ensemble sociétal.

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ENTREVUE AVEC ALT236

Vous avez dit Dark Art ? Anaïs

On parle régulièrement d’Art et notamment de son côté sombre, que ce soit à travers le Romantisme Noir ou les œuvres d’écrivains comme Mary Shelley. On y aborde la mort, mais aussi la poésie, on y questionne la beauté et les théories classiques. De façon plus contemporaine, on pourrait parler de Dark Art, mais qu’est-ce que ce terme signifie vraiment ?

J’ai eu le plaisir d’en discuter avec notre cher Alt236, vidéaste qui a fait de ces univers obscurs ses terrains de fouille. Vous êtes peut-être déjà tombés sur un de ses Mythologics, format où ils nous embarque dans des mythologies aussi originales que complexes, ou ses Stendhal Syndrome qui abordent des sujets et des concepts passionnants inhérents à l’Art. Il creuse les tréfonds des Arts sombres avec sensibilité et passion et c’est pour ça qu’on avait à cœur

de faire cette interview que voici. Un échange super intéressant et enrichissant où il nous partage sa vision de l’Art et de son travail. Anaïs : Salut Alt, peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore ? Alt236/Quentin : Je m’appelle Quentin, j’ai 40 ans et je suis vidéaste sur Youtube. Je fais des analyses d’images, de peintures, de

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trésors cachés. J’aime beaucoup voir l’imaginaire comme un lieu presque existant, dans lequel on pourrait se promener, c’est vraiment ça l’idée que je voulais convoquer.

films, de jeux vidéo et j’essaye de créer des liens entre différentes œuvres ; analyser la symbolique, la démarche des artistes ou des créateurs et créatrices. Et voilà, ça fait 5 ans que je fais ça et que ça me passionne.

A : C’est super intéressant, on est deux archéologues dans l’équipe et j’avoue que pour ma part, ça m’a de suite parlé quand j’ai vu cette description. Je trouve la comparaison vraiment pertinente, tout en étant originale.

A : Tu te décris aussi comme un archéologue de l’imaginaire sur certaines plateformes, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ? Quel parallèle tu fais entre ton travail d’analyse et l’archéologie ?

Q : Trop bien, mortel ! Ce qui va avec le fait que j’utilise un champ lexical de l’ordre de la découverte, du jargon de l’archéologue, de l’aventurier. Tu trouves des choses similaires, comme le rapport au temps. Tu redécouvres des choses oubliées parce qu’elles sont enfouies et on les regarde avec un œil nouveau. Tu essayes de retrouver l’émotion de l'archéologue, mais avec quelque chose de fictif, en l’occurrence l’imaginaire des humains, qui est totalement mystérieux et rempli de magie. Même si tout ça n’existe pas, le cerveau humain a pu l’inventer et, en soi, c’est déjà complètement fascinant.

Q : Merci de poser la question, c’est cool (rires). Alors, c’est un grand mot, je suis archéologue de rien du tout et surtout je n’ai pas de formation universitaire qui supposerait que je sois docteur Jones. Par contre, j’aime l’idée d’aborder les univers imaginaires comme des territoires, des endroits, et explorer des liens un peu cachés entre deux œuvres. Un hommage qu’a fait un artiste en mettant, par exemple, dans un des plans de son film, la peinture d’un autre. Direct, ça me parle et je vais essayer de voir pourquoi il a mis ça. C’est un peu comme si tu passais au tamis des choses et que d’un coup, il y avait un truc qui te saute au visage. Donc j’aime beaucoup cette idée de voir l’exploration et l’analyse comme une aventure où tu essayes de trouver des petits

A : Et d’un point de vue rigueur scientifique, tu as un angle d’approche également similaire à l’archéologie ? Comment se

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passe ton travail de recherche ?

ne parle jamais de choses que je n’aime pas.

Q : Pour le travail de recherche, quand j’écris un épisode je n’en fais pas. Je vais d’abord écrire tout ce qui me vient, de but en blanc. Je ne sais pas toujours tout, mais en regardant quelque chose, même si tu n’as pas un bagage culturel incroyable, tu peux ressentir des choses, comprendre le langage qui est parlé à travers l’œuvre. Donc je pars de ça, de l’émotion qui n’est pas filtrée par l’approche universitaire (où il s’agirait de ne pas dire de bêtises et d’avoir un discours docte). C’est après, quand je sens qu’il y a des choses qui pourraient être creusées, des notions que je ne maîtrise pas, que je vais faire une recherche. Mais ce n’est vraiment pas un travail où j’irais collecter toutes les infos qu’il y a pour ensuite les mettre en forme. C’est pour ça que les vidéos ne sont jamais vraiment de la vulgarisation, dans le sens où j’expliquerais ce qu’il faut voir ou comprendre. C’est plutôt partager ce que j’y ai vu. Ça paraît être une nuance invisible, mais pour moi ça change tout parce que l’audience ne reçoit pas mes vidéos comme le point de vue final à avoir sur le truc. J’utilise beaucoup le conditionnel, je parle dans un langage un peu métaphorique, parfois un peu sensible. C’est vraiment une expérience, la beauté où qu’elle soit, y compris dans les choses plutôt sombres. Inviter à l’expérience esthétique et émotionnelle, sensitive, plutôt que de montrer que j’ai fait des recherches hyper solides. Je ne me risque jamais à essayer d’avoir raison ou de donner un avis définitif. D’un côté ça me protège des gens qui peuvent dire que je dis n’importe quoi et d’un autre, je trouve ça plus intéressant. C’est aussi pour ça que je

A : C’est en partie ce que j’aime dans tes vidéos, on est loin des théories qu’on voit en Histoire de l’Art. On n'y montre souvent qu’une seule vision, très rigide et qu’on peut décalquer un peu partout. C’est vraiment dommage. Q : C’est même un peu triste qu’une œuvre ne donne qu’une lecture, ou alors ça serait vraiment une œuvre un peu basique, un peu rentre-dedans et qui ne laisse pas de place à l’imaginaire de chacun. Je te rejoins complètement, il faut plutôt être dans ce rapport sensible, un peu fragile, de tâtonnement, plus que d’affirmer un truc. On parlait d’explorateur tout à l’heure, mais il y aussi le coté enquêteur. J’aime bien raconter les choses et essayer d’amener dans une narration, donner un coté immersif. En plus, j’ai la chance de composer mes musiques moi-même, ce qui permet d’avoir une mainmise sur l’émotion que tu veux mettre en arrière-plan. La musique est super importante dans la perception que tu peux avoir d’un passage de texte. Elle permet de mettre dans une ambiance. C’est vraiment plus un petit voyage, toute dimension gardée. Un voyage un peu intellectuel et aussi d’émotions. Ça ne m’est pas venu dès le début, mais en avançant dans la vidéo, je me suis aperçu que c’était vraiment ce que je voulais faire plutôt que d’aller délivrer une somme d’infos. Je le fais un peu, mais j’essaye de le maquiller un peu. A : D’autant plus que tu abordes une forme d’Art un peu spéciale, très sombre et

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souvent controversée de par certains de ses aspects glauques, avant-gardistes voire violents ; qui semble casser les codes classiques et s’éloigner d’une définition de l’Art qui se doit d’être beau. C’est un sujet qui fait débat et également au sein de notre équipe, comment définirais-tu ce style si particulier ? Q : J’aimerais tellement avoir votre avis aussi, parce que ça fait également débat avec moi-même. Il y a un terme que tu dois connaître qui est celui de Dark Art, qui est un peu bâtard, sans aucun mépris. Parce que ça regroupe autant des trucs très amateurs, comme du Goya, Bosch et Clive Barker. C’est un peu fourre-tout. Ça court sur plusieurs siècles, c’est des artistes qui se répondent. Giger a vu du Bosch, a lu du Lovecraft. C’est un dialogue entre artistes, au fil des siècles, sans jamais s’être vraiment formé comme un mouvement. Le seul truc que je trouve en commun, c’est la recherche d’émotions et de beauté dans des choses qui sortent des canons esthétiques définis qui sont censés être beaux, agréables à l’œil. Quand Goya fait Saturne dévorant un de ses fils, c’est magnifique, mais tu peux pas dire que c’est beau, mais en même temps ça l’est. C’est des gens qui ont exploré le versant sombre de l’art, tout en essayant de le sublimer et d’explorer un truc qui a autant le droit de citer que cet idéal... Enfin c’est très dur à définir, il y a pas vraiment de bouquin qui soit sorti, ni de compilations ou d’études. Le seul truc qui s’en rapproche ça serait le Romantisme Noir. Mais c’est compliqué

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parce que tu pourrais aussi y retrouver les peintres flamands... C’est ça qui me fascine, parce que tout ça vibre ensemble. C’est très difficile de mettre le doigt où ça commence, où ça se termine. Et ça se trouve la moitié des artistes cités ne se retrouveraient pas làdedans.

c’est difficile de savoir ce qu’il se passe dans sa tête et pourquoi il le fait. A : La question de l’éthique se pose aussi régulièrement. Est-ce éthique de faire et regarder un art qui peut être déviant ? Ça me fait un peu penser au débat autour du Dark Tourism, même si j’y décèle plus facilement les problématiques, où la frontière entre démarche « intellectuelle » et voyeurisme malsain est très fine. Le Dark Art miserait aussi sur le choc et la fascination morbide et les artistes seraient eux-mêmes un peu déviants.

A : Il y a aussi un aspect revendicateur et de véritables prises de position de la Dark Art. Il n’a pas vraiment vocation à choquer pour choquer, c’est rarement de la violence gratuite, il y a toujours une critique ou une recherche derrière. Q : Je te rejoins, rien n’est jamais gratuit, après est-ce que c’est une dimension politique, de contestation ou par raisons esthétiques ? Ce sont des artistes qui interrogent les ténèbres, la mort, l’absence de Dieu ou, au contraire, ses tourments, par exemple quand Bosch représente les Enfers,

Q : Je ne suis pas du tout d’accord, même si pour le coup je comprends aussi le côté malsain du dark tourism et le fait qu’exploiter la misère des gens qui sont làbas pose des problèmes éthiques. Dark Art, pour moi, on parle d’Art, on est dans un

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autre domaine. Toutes les idées peuvent être exprimées dans la limite de la légalité. Tu ne peux pas taxer de mauvais quelqu’un avec une œuvre forte et un peu ténébreuse. Tu peux très bien célébrer la vie à travers ça aussi, c’est ce pourquoi je me bats. C’est comme les films d’horreur où les gens balayent ça comme étant pour ados décérébrés, ça a un peu changé, mais c’est lent et pas encore gagné. Alors que c’est sûrement un des genres filmiques les plus riches, dans ce que ça a pu tenter en tout cas. Donc je me méfie un peu des cases où il y a toujours plein d’exceptions qui font que c’est difficile de ranger. Et ce que j’aime dans ce Dark Art qu’on essaye de définir, c’est qu’il est dur à saisir et qu’il est pas théorisé, donc chacun a son interprétation du truc.

A : Et on voit très bien ta fascination à travers ton travail, mais tu n’entre jamais dans le côté « bête et méchant ». Il y a une lecture et une analyse qui permettent de voir l’intérêt de la chose. Mais j’imagine qu’il y a tout de même certaines choses que tu ne veux pas montrer et aborder ou qui te risqueraient trop niveau Youtube.

C’est aussi une façon d’interroger la mort sous toutes ses formes et le sens de la vie, de par ses aspects les plus sombres. J’avoue que je suis plus ému et touché par ça que

Q : En fait oui, c’est un truc que j’essaye d’éviter. Je déteste The Serbian Film, j’avais survolé et ça m’a vraiment dérangé. Tu vois qu’il y a un vrai côté opportuniste, super

par un Poussin avec des drapés. C’est magnifique, virtuose, mais ça ne me fait pas grand-chose émotionnellement par rapport à des visions des Enfers. C’est pas que une question de choc-value, c’est aussi une question de fascination. C’est dans la fascination que se trouve peut-être un des trucs du Dark Art, c’est une œuvre que tu regardes et qui mélange à la fois une forme d’attraction et de répulsion.

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violent, avec une volonté de choquer pour choquer et pour vraiment faire mal à l’audience. Pour autant, il y a d’autres films hyper durs, avec derrière un discours, un sens et une forme d’émotion qui permet de sublimer le truc. Déjà pour une question de Youtube, j’évite tous les sujets en lien avec le sexe, parce que déjà je ne sais pas si je suis super habilité, et que sur cette plateforme il y a une limitation de ce que tu peux montrer dans ton contenu. J’avais fait une vidéo sur le bodyhorror où j’avais l’occasion de faire quelque chose de dégueulasse et de choquer, mais j’espère que c’est pas ce qui ressort. J’ai vraiment essayé de faire quelque chose avec une musique planante, de ne pas montrer les pires trucs, enlever les sons un peu dégueulasses pour laisser la voix off. Il y a une volonté de ne pas aller chercher le putassier et le gore, de ne pas faire mal aux gens. C’est plus dire « suivez-moi, avec le bon œil vous pouvez aller vers des choses que vous pensiez un peu trop ghetto et en fait, ça va, parce que ça dit des choses hyper fortes et cool », mais il y a vraiment un dosage à faire. Moi-même j’ai beau jouer les mecs un peu darkos, j’ai mes limites. La vraie violence, je peux pas. J’ai pu regarder des films horribles, mais une vidéo d’un animal qui se fait tuer c’est no way. Je suis hyper allergique à ça, donc tu vois, Cannibal Holocaust, j’adore le film pour son côté found footage, mais il me dérange de ouf pour le snuff animalier. Je suis hyper partagé. Pareil pour Lovecraft, je suis fan de son œuvre, mais les pensées du mec et son racisme enfiévré je peux pas. Évidemment qu’on a chacun nos limites et j’essaye de naviguer un peu dedans, mais la chance que j’ai, c’est que l’Art est suffisamment grand et

infini pour qu’on puisse s’intéresser à mille choses sans avoir à mettre le nez dans des trucs où, toi-même, t’as pas forcément envie d’aller fouiller. A : Le cas Lovecraft est un peu compliqué, mais on voit rarement des questionnements autour de son œuvre et de sa personne. Son côté problématique pourrait te faire reculer malgré son impact artistique ? Q : Disons que c’est une vraie question que je me pose. C’est un truc qu’on m’a demandé mille fois en commentaire et pour le coup, Lovecraft est un problème parce que j’ai un peu de mal à séparer l’œuvre de l’artiste. J’ai rien contre les chansons d’Oasis en elles-mêmes, c’est des bonnes pop song, mais les mecs sont tellement horribles et insupportables que je peux pas écouter. Lovecraft, c’est vraiment un gros problème parce que son œuvre est incroyable, il a tout inventé et il a changé la face de l’horreur. Je retrouve des déflagrations de son œuvre partout, dans tous les trucs que j’étudie et je pourrais en parler dans chaque vidéo. Même mon style d’écriture en est pas si éloigné. Je l’ai lu gamin et je me suis pris une énorme claque sans savoir son côté problématique à fond. C‘est une problématique qui est arrivée plus tard, en lisant et analysant certains trucs et en me disant « wah, ça c’est trop chaud ». Donc je pense que j’en parlerai, mais

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forcément avec un disclaimer, une intro où j’évoquerai ça. Mais par exemple, autant je suis amoureux de Clive Barker parce qu’il m’a l’air d’être quelqu’un d’humainement bien, il a quelque chose qui me touche, autant j’arriverai pas à passer ce cap avec Lovecraft, alors même que son œuvre est encore plus influente dans ma vie. Tu as touché une des rares exceptions que j’ai. Mais pour aller plus loin, s'il y a un groupe de zik incroyable, que j’adore en écoutant, si j’apprends que c’est des gros nazis, c’est mort, j’écoute plus. On peut critiquer ça, mais c’est mon choix. C’est con, mais j’ai un blocage, il y a tellement de choses ouf à découvrir dans ce monde que je ne vais pas donner du temps à quelqu’un comme ça. Évidemment qu’une œuvre peut être bonne quand bien même tu peux être un immense connard, c’est pas le problème, c’est juste : est-ce que tu as envie de donner de la force ou de l’exposition à ces gens ? C’est un putain de problème philosophique. Je sais pas comment c’est pour toi, mais voilà.

sujet tabou et occulté. Encore maintenant d’ailleurs. Q : Beaucoup plus avant et ce qui « sauve » Lovecraft, c’est qu’à la fin de sa vie il a exprimé des remords, il a été marié à une femme juive alors qu’il avait écrit des trucs antisémites. Ça n’excuse en rien, mais tout le monde peut s’améliorer au cours de sa vie. Il a quand même essayé de s’interroger, mais ça n’enlève pas ce qu’il a dit. Même si il y a une époque, un contexte, je ne peux pas dire « mais quel mec incroyable ». Et si demain je me mets à écrire un truc atroce, je comprendrais que les gens qui m’aimaient bien me disent « mec, je peux pas te suivre là-dessus ». Comme je suis créatif ; je suis pas un grand artiste, un grand écrivain, mais j’ai fait les Beaux-Arts, mes idées restent de la création, je passe ma vie à réfléchir dans ma tête à des trucs que je pourrais inventer, dire, ressentir, créer ; je sais qu’évidemment, dans tes œuvres, tu mets beaucoup de toi-même. Quand Lovecraft écrit des passages avec des abominations, où tu sens qu’il y a un truc un peu raciste... est-ce qu’il a pas utilisé sa haine de l’autre et sa misanthropie pour écrire des terreurs incroyables ? C’est plein de problèmes philosophiques, de liens entre ce que tu penses, ce que tu ressens, ce que tu crées. Je suis pas là à dire « ouais, faut pas lire Lovecraft », pas du tout. Il faut le lire, c’est incroyable ! C’est juste que maintenant qu’on en parle un peu plus, ça permet d’en avoir une lecture critique, ce qui est très bien. Faire la part des choses avec un regard critique. En grandissant, j’ai appris à avoir ce regard, ce qui m’empêche pas de l’étudier, l’aimer tout en sachant

A : C’est un peu pareil de mon côté, c’est une question que je me pose beaucoup notamment pour la musique et le milieu Metal qui n’est pas en reste niveau problématique, notamment niveau gros nazis (rires). Mais pour Lovecraft la remise en question semble plus difficile, j’ai l’impression que c’est longtemps resté un

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classe, un mystère. Donc je me plongerai sûrement dedans un jour, mais la taille de l’univers me fait extrêmement peur et c’est un problème pour moi si un univers c’est 6 mois de boulot, parce que je peux pas trop me permettre de laisser autant de temps entre deux vidéos. Déjà que je m’attaque à des trucs bien costauds, là je suis sur Magic the Gathering, c’est immense ; et sur L’incal qui est ultra fat aussi. Je travaille sur les deux en même temps et j’angoisse un peu parce qu’il y a tellement de taf et j’en vois pas le bout donc Warhammer… Après la communauté, j’ai quand même fait un truc sur Berserk, sur Dark Souls, donc ça va, j’ai l’habitude de faire des trucs avec des commu qui ne laissent rien passer.

qu’humainement c’est pas quelqu’un que j’adore et que je vénère. C’est pas dire « il y a le bien et le mal et si tu es dans le mal je te suis pas », j’essaye pas du tout de faire de camps et de dire aux gens qu’ils doivent être gênés par ça, et que si c’est pas le cas ils auraient tort. Il faut savoir dépassionner le truc, à mon petit niveau, c’est pas quelqu’un que je peux vénérer parce qu’il y a cette dimension humaine qui me pose problème éthiquement. A : En parlant de vénération, je vois régulièrement des gens te demander un épisode sur Warhammer, est-ce que la communauté derrière peut te freiner ? Dans le sens où elle peut être très tatillonne et assez oppressante dès qu’on touche aux choses qu’elle aime. Q : Bonne question, Warhammer tout le monde m’en parle. Le truc qui me fait un peu peur, c’est que c’est un univers immense, ça part dans tous les sens, avec des boardgames, 10 000 jeux vidéo… Et je ne suis pas ultra fan de l’esthétique un peu musclor. C’est ultra bourrin même si certains trucs ont l’air géniaux au niveau des démons et des univers, enfin ça a l’air incroyable à 2000 %, mais les space marines et tout, ça fait un peu Starship Troopers. Ça m’attire moins qu’un cénobite qui a une espèce de

Et pour l’instant, à chaque fois, j’ai été préservé parce que je fais super gaffe à ce que je dis. Pour le coup, là, je recoupe bien les infos que je sors pour pas avoir 100 commentaires de gens qui me disent « mais non, t’as dit ça c’est pas vrai ».

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c’est super sympa de s’échanger les choses, travailler ensemble, ça motive bien.

A : Faire des collaborations comme tu fais avec Maxwell doit t’alléger et te rassurer un peu du coup non ? Pour The Art of Metal c’était plutôt lui le spécialiste et tu apportais une vision un peu plus « extérieure » si j’ai bien compris. Comment vous avez géré l’écriture et la mise en œuvre ?

A : De votre première collab’ en a découlé un livre, le Kodex Metallum, le procédé a été le même ? Q : Là, pour le coup c’est différent parce que grâce au docu (ndlr. Le documentaire The Art of Metal disponible sur la chaîne de Maxwell), j’en savais quand même un peu plus et comme c’est plus un travail symbolique où on avait en amont une dizaine de pochettes pour chaque thématique, c’était plus un travail d’analyse d’images. Maxwell mettait en lien les choses avec l’Histoire de la musique et la musique, moi les choses en lien avec la symbolique, les images. Au final, il y en a des pochettes que j’ai fait en entier, d’autres qu’il a fait en entier, d’autres qu’on a fait à 4 mains. Pour le bouquin on était plus ensemble.

Q : Alors c’est marrant, parce que c’est le seul. En général, mes collab’ c’est juste enregistrer une voix pour la vidéo de quelqu’un. Là, c’est vraiment la première fois que j’écris à quatre mains. Sur le Metal c’est vraiment plus lui qui était spécialiste, parce que je n’ai pas assez cette culture. Moi j’étais plus sur le côté visuel et esthétique. En plus, c‘était sur sa chaîne donc il y avait un côté où je me fiais à son jugement. C’est lui qui a été chercher les pochettes, il a vraiment fait un énorme travail et là, pour Magic, même si il connaît beaucoup mieux que moi et qu’il y joue depuis 15 ans alors que moi depuis 5, c’est sur ma chaîne, c’est un Mythologics, donc c’est plus moi qui drive ce qu’on dit, ce qu’on ne dit pas. Mais c’est hyper agréable d’écrire avec lui, on est un peu frères d’écriture. Puis c’est un mec que j’adore, c’est vraiment quelqu’un de bien et avec qui j’ai vraiment sympathisé dans la vraie vie.

A : Comment as-tu géré l’écriture de ton livre sur Berserk où tu étais seul du coup ? Q : C’était un peu différent dans la mesure où on m’a démarché parce que j’ai fait une vidéo dessus. C’est Third Edition qui est venu me trouver et me dire « on a bien aimé ta vidéo est-ce que ça te dirait de faire un livre dessus ? ». Et c’était 250 pages alors que la vidéo fait 12 minutes, donc clairement c’est pas la même envergure et surtout il y a jamais eu de livre écrit dessus. Berserk c’est un temple pour des millions de lecteurs, je me suis tapé un énorme coup de flip en l’écrivant. Pour le coup, j’ai lu tout ce que je pouvais, des interviews, j’ai relu le manga trois fois. J’ai tout fait moi-même, comme

Chacun fait le paragraphe qu’il a envie d’écrire, l’autre relit, on discute un peu des trucs et tout se fait naturellement et ça se fond hyper bien. Ça me rassure pas plus, je dirais même qu’il y a une complexité plus grande pour accorder ses violons. C’est un travail hybride, mais en même temps,

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une mythologie, donc je passe un peu de l’autre côté du miroir par rapport à mon travail sur Youtube. Mais c’est quelque chose que je fais depuis des années, sauf que jamais rien n’est sorti. Là, les choses se sont débloquées grâce à la relative notoriété nouvelle que j’ai et les gens qui ont la gentillesse de me suivre et de me faire confiance, donc ça a permis de lancer ce projet. Avec le covid, ça nous a mis un peu en retard parce qu’on peut pas se voir et qu’on habite pas au même endroit. C’est un peu chiant, mais on va s’en sortir. Pour le coup c’est un vrai défi, magnifique, mais c’est autre chose que d’écrire une vidéo. Il faut écrire une œuvre que les gens vont pouvoir lire et aimer, c’est génial mais ça met une certaine pression, je te le cache pas.

pour les épisodes et après j’ai été chercher des petits points précis, historiques, vérifier des trucs où j’avais l’impression de subodorer sans être sûr, mais comme ça fait 250 pages, niveau recherche, ça a été beaucoup plus conséquent. Et tu n’écris pas pareil pour un texte qui va être lu par quelqu’un que pour une vidéo, l’oralité t’as des constructions de phrases différentes, donc c’était un défi parce que j’avais jamais écrit comme ça. Mais j’ai adoré, je ne regrette pas et les gens ont l’air content du livre, donc c’est super ! A : Maintenant l’aventure Astra Mortem a commencé, un exercice totalement différent j’imagine, où tu es au cœur du projet de A à Z. Q : Oui, Astra Mortem c’est vraiment une création. On a découvert le travail de Mehdi avec Sullivan qui coécrit avec moi et qui bosse dans une maison d’édition, on est tombé amoureux de son travail et l’idée de créer une histoire autour de ça est venue pour ensuite le financer. C’est un roman graphique, on écrit des dialogues, on crée

A : Et ça fait beaucoup de gens ! La campagne a eu beaucoup de succès et vous avez dépassé les 1000 % sur Ulule, c’est assez fou ! Q : Je ne l’explique pas. Si tu veux, pour le premier palier, comme ils y avaient des gens

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super sympas qui me suivent, je me doutais qu’on allait le passer. J’avais assez confiance, mais on ne se doutait pas du tout que ce serait autant et je t’avoue que ça ajoute une sacré pression. Ce qui est chanmé, c’est qu’on va pouvoir faire ça dans de bonnes conditions et que ça va être trop bien, que les gens vont nous permettre de le faire. Mais il faut sortir du « wah ça a cartonné ». Plus tu cartonnes, plus tu as de coûts parce que tu offres plus de choses. A part la petite somme qu’on s’est réservé en tant qu’auteurs et dessinateurs, ça nous rapporte pas plus. Par contre, on va pouvoir envoyer un colis à 5000 personnes avec une BO, 12 dessins, 2 livres audio, un livre dont vous êtes le héros plus la BD. On a voulu réinvestir tout l’argent de la campagne dans des cadeaux aux gens. pour moi », que ça me touche pas quand quelqu’un me dit qu’il adore mes vidéos. Je suis comme un gosse donc quand je remercie c’est pas pour être poli, c’est aussi pour dire « merci ça me touche, j’ai vu et je suis trop content que ça t’ait plu ». J’essaye mais je peux plus le faire autant qu’avant malheureusement, sinon je ne fais plus de vidéos, mais vraiment quoi (rire).

A : Je change un peu de sujet, mais c’est en lien avec ce souci de donner aux gens. Ça m’a toujours frappé de voir que tu réponds à toutes les personnes qui commentent et réagissent à tes vidéos. Ce contact a l’air très important pour toi, comment tu fais ? Q : Très bonne question, alors au tout début, quand il y avait beaucoup moins de gens qui me suivaient je répondais vraiment à tout le monde. Là, clairement, ça serait mentir que de dire que c’est encore possible ou alors ça prendrait des jours et ça serait exponentiel. Par contre, j’essaye de tout lire, quand vraiment c’est des gens qui ont mis des gros pavés, que c’est quelque chose d’un peu touchant. Ça me fait chier et ça m’angoisse de ne pas répondre, ça me touche vachement. C’est pas parce que ça fait 5 ans que je fais ça et que « ça marche bien

A : Sur Twitter aussi on retrouve ton envie de partager et d’emmener les gens dans tes recherches et tes découvertes. J’adore suivre tes threads infinis tellement tu es à fond dans ce que tu fais, c’est super agréable de partager ton émerveillement, c’est assez communicatif. Q : Oui, je me suis un peu calmé, ça fait longtemps que je n’arrive plus trop à écrire sur Twitter. En fait, c’est que j’ai eu une

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enfance très cool, mais je n’ai pas pu découvrir ces choses-là. Je n’avais pas de grand frère avec des VHS de slashers, ma sœur écoutait Goldman, mes parents aiment bien la peinture, mais sans plus. Du coup j’ai redécouvert tout ça plus tard et généralement quand je suis enthousiasmé par rapport à quelque chose que j’évoque, c’est souvent parce que je l’ai découvert assez récemment. Hellraiser j’avais vu un ou deux films, mais quand j’ai fait la vidéo j’ai vu les 11, j’ai lu les 100 comics. J’ai plongé dedans, mais en ayant 36/37 ans, donc tu vois les choses différemment. Mon bagage analytique est plus cool, je vois plus de choses que quand j’avais 15 ans. Quand je suis enthousiaste, je le suis sincèrement, parce que je suis en train de le découvrir et que ça défonce. Et tout ça découle du fait que j’essaye d’écrire ce que je ressens, donc c’est peut-être pour ça que c’est ce qui se traduit.

cette posture-là vis à vis de ce que je fais et j’aime bien les gens. J’essaye de pas les juger, que tout le monde se sente bienvenu et qu’on ne soit pas dans le mépris de tel ou tel genre. Je suis pas parfait, il y a plein de gens que je déteste et j’ai mes défauts, mais dès l’instant où tu es quelqu’un qui existe en ligne et que tu produis du contenu, que tu fais des lives, quelque part t’as une mini responsabilité de ce que tu laisses dire, de ce que tu dis, crée comme ambiance, comme état d’esprit. J’en ai un peu plus conscience peut-être parce que je suis un peu plus vieux, je suis peut-être moins fougueux dans le troll, mais je veux qu’on puisse aller loin dans le truc, tout en sachant qu’ici on est à la cool. C’est un dosage, mais j’essaye vraiment d’installer ça parce que j’aimerais bien qu’on me parle comme ça. A : C’est marrant parce qu’a priori, ça semble à l’encontre de l’image qu’ont le Dark Art et les milieux underground que tu abordes, alors que lorsqu’on creuse un peu c’est vraiment un besoin d’extérioriser ses émotions et ressentiments, de les partager avec d’autres qui seront réceptifs donc souvent des gens qui ont aussi pu être mis de côté pour diverses raisons.

A : Cette passion et ton enthousiasme se voient encore plus sur Twitch et dans tes lives. Q : Mais je suis content que ça donne cette impression, c’est cool parce que, bon, le terme de bienveillance est un peu galvaudé depuis quelques temps, mais on vit une époque hyper cynique, acide. On reçoit beaucoup d’agressivité. Je parle de choses assez sombres, si en plus je rajoute de la violence… Cette approche un peu douce, je sais pas si c’est le bon terme, pour des trucs aussi dark et bizarre, je trouve que c’est un bon mélange. C’est plus invitant et c’est comme si ça disait « rien n’est grave, on regarde des trucs gores, mais vous inquiétez pas c’est cool, c’est de l’Art ». Il y a un peu

Q : Tu as déjà vu les interviews de Clive Barker ? C’est un mec qui a l’air assez doux, poétique, torturé à fond aussi, mais je trouve que c’est un mec hyper touchant. Je ne me dis pas « wah quel gros deglingo ». C’est quelqu’un qui est fasciné par l’imaginaire, OK, l’imaginaire sombre, mais j’aime beaucoup ce genre de gens. Tu te rends compte d’ailleurs que ces gens qui sont les plus doués sont souvent les plus

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humbles ; les gens au travail les plus torturés, souvent ceux en paix avec euxmêmes. C’est assez ouf, peut-être que quelque part il y a quelque chose d’un peu cathartique dans les univers sombres, qui apaise une partie de toi qui fait que tu peux être meilleur.

ce que tu mets derrière le mot beau, dans l’esthétique, on a dit que c’était des trucs voluptueux, des beaux drapés, un truc sublime qui rappelle l’idée de Dieu... fuck en fait, c’est pas ça la beauté. La beauté c’est quelque chose qui te provoque une émotion et qui te transcende, le Dark Art peut te transcender, parfois même mille fois plus puissamment qu’une vue sur un paysage d’été qui, quelque part, ne dit pas grandchose. Je trouve que ça se débat vachement et que les choses ont bien changé aujourd’hui. L’Art Contemporain n’est quand même plus dans cette préoccupation esthétique, mais plutôt dans celle du discours, du choc, de la remise en question. Je trouve ça finalement assez sain qu’on soit sortis de ça, cette recherche de l’esthétique. Mais il y a encore plein de gens qui voient les choses comme ça, l’Art c’est fait pour être beau pourquoi faire des choses aussi sombres. C’est un peu un point de vue, c’est horrible ce que je vais dire, mais de quelqu’un qui est un peu d’une autre génération où un tableau c’est un truc du XVIe, christique. C’est très beau, c’est très bien, mais il n’y a pas que ça et je ne vois pas pourquoi ça serait mieux qu’autre chose. Il faut se réapproprier ce qu’on décide de ce qui est de l’Art ou pas.

A : Totalement, ils rendent visibles et beaux les travers humains qu’on rejette, aussi nos peurs. Finalement, en relativisant ces sujets, ils les ré-humanisent et aident à avoir une vraie réflexion autour. Mais ça semble encore difficile à voir pour beaucoup de gens. On retrouve souvent cette rhétorique de « il y a des choses belles, pourquoi regarder et s’infliger ces visions chaotiques ? », ce qui fonctionne aussi avec l’Art Contemporain. Q : Je suis complètement d’accord avec toi, de l’exorcisme un petit peu et l’idée de la mort, on y revient, sous toute ses formes. Ça te permet de penser le mal, la violence, mais de façon sublimée, métaphorique et d’essayer de lui donner du sens, une forme de beauté en fait. Je comprends tout a fait ce que tu dis dans le sens où , je vais reprendre ta phrase, il y a des choses belles à voir pourquoi on ne va pas les voir pour regarder du Dark Art. Mais pour moi le Dark Art c’est beau. C’est juste

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comme je l’ai dit, j’ai lu aucun bouquin, je vais faire la leçon à personne. Par contre, ça ne m’empêche pas de faire des heures et des heures de vidéos à kiffer et me sentir légitime à parler de ça alors que, vraiment, j’y connais rien en théorie de l’Art. C’est pas du tout un truc de chapelle où je dirais « regardez prenez un peu de nectar de l’élite », ça me débecte complètement ce genre de discours et ça se trouve souvent chez des gens qui te diront que l’Art Contemporain c’est de la merde parce que c’est pas du vrai Art. Pour moi, c’est des gens qui font du mal à l’Art et qui ne savent pas de quoi ils parlent et de la même façon, quelqu’un qui va kiffer les trucs modernes en disant « ouais les Christ en croix c’est chiant », bah mon gars va voir un Grundwald, va voir du Bosch, c’est ultra puissant. L’un comme l’autre, en général je ne vais pas être d’accord. Ils ont la même valeur, c’est juste les époques qui évoluent, les questionnements, les modes, mais en soi c’est super fascinant de voir ça et ce qu’a produit l’humanité, ce qu’elle a kiffé selon son contexte. Et si j’avais un côté vulgarisateur, parce que ce terme ne me convient pas, il serait peut-être plus là. Si

A : J’y vois souvent aussi une forme d’élitisme, dans un sens ou dans l’autre, où on dicte quelque chose avec condescendance pour se sentir mieux. C’est vraiment rebutant pour beaucoup. Q : Évidemment qu’il y a toujours une part d’élitisme, des gardiens du temple et des gens qui estiment qu’ils connaissent mieux que les autres. C’est très dommage, je pense que ça ne sert même pas le milieu en question. C’est pas du tout comme ça que je fonctionne et moimême je n’aime pas qu’on me fasse ressentir que je suis con et que je peux pas comprendre. Dans ma démarche, c’est pas du tout ça. Même quand j’ai écrit mon sujet sur Hellraiser, j’ai essayé d’écrire aussi pour la personne la moins proche de mon public. J’ai presque envie d’écrire pour ma maman qui a jamais vu un film d’horreur, qu’elle puisse lire en disant « c’est intéressant, il ne m’a pas laissée en cours de route ». Je ne vais pas utiliser des termes de jargons dès la troisième ligne du script, je vais d’abord amener le truc. J’ai vraiment à cœur de ne pas être dans l’élitisme, mais de dire que ces trucs que vous pensiez réservés à des gens connaisseurs, c’est cool, c’est totalement accessible et vous avez le droit de kiffer sans même capter tout ça. J’ai pas du tout un rapport de sachant vis a vis de l’Art,

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j’avais vraiment une idée politique derrière mon travail, ça serait de dire : tout le monde doit pouvoir avoir accès à ces trucslà parce que l’Art c’est génial, ça apporte un truc totalement dingos à l’humanité. C’est Clive Barker qui disait que Dieu c’est l’imagination et l’imagination c’est Dieu et je suis complètement d’accord. La vraie preuve du divin dans notre humanité, c’est qu’on soit capable d’inventer des choses totalement craquées, chelous, pour rien. Juste parce qu’on en a besoin. Ça pour moi, c’est un vrai mystère et il faut le partager à tout le monde, inviter les gens dedans. Rentrer par la porte qu’ils veulent, sans croire qu’ils ne seraient pas habilités à le faire. Un des trucs qui me touche le plus, c’est que j’ai beaucoup de commentaires qui me disent « je n’aimais pas l’Art avant, mais tu m’as fait découvrir ça ». Je suis sûr qu’il y a plein d’ados que j’ai réussi à choper via Blame ou Berserk, mais en parlant de Berserk je leur ai casé du Goya, du Bosch et c’est trop bien. S'ils kiffent Berserk et qu’ils vont voir du Bosch ils vont se prendre une claque. En plus, Miura a fait une double page où il décalque un tableau de Bosch,

donc en fait s'ils sont fans de manga et de Miura,sans le savoir, ils sont fans de Bosch. Ça a débloqué plein de gens qui me disent « je pensais que l’Art c’était un peu nul, un truc de riche et d’élitiste ». Dès qu’un jour on te fait sentir que tu n’es pas à niveau pour quelque chose, ça te fait vachement mal et ça te frustre pour longtemps, quitte à ce que tu n’y reviennes plus jamais. C’est comme un gamin qui veut jouer d’un instrument de musique et que tu colles dans le solfège, c’est la pire des choses à faire. Je pense que détendre les gens sur ce qu’ils sont capables d’apprécier et leur dire que c’est ouvert à tout le monde, ça pour le coup c’est vraiment un truc que je défends et j’espère que ça se ressent dans les vidéos. A : Alors oui totalement (rires). Q : Et tu vois Magic, c’est une des difficultés, parce que c’est bourré de mécaniques ultra deep, comment est-ce qu’on fait pour faire kiffer les gens, montrer à quel point c’est génial, sans les assommer de règles. C’est un vrai questionnement qu’on a en ce moment niveau écriture. C’est une vraie décision de

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j’essaye aussi, dans mes vidéos, de parler à ceux qui ne connaissent pas l’univers tout en satisfaisant celui qui a poncé l’univers en essayant de lui apprendre deux trois trucs ou de lui donner une vision qu’il n’a pas. J’essaye de réunir ces deux publics, le spécialiste et le néophyte. C’est pas facile, mais ça se fait.

ne laisser personne en route. A : C’est vraiment cool, ça change de l’ambiance générale que je retrouve beaucoup en ce moment. Une impression qu’il faut avoir telle connaissance pour être légitime à la comprendre avec souvent la question de l’accessibilité d’une œuvre qui revient. Et toujours l’éternel mainstream contre l’underground.

A : Pour en revenir à tes vidéos, en plus de tes musiques avec AL9000, tu crées aussi de nombreuses images avec ta propre identité visuelle.

Q : Complètement, en plus ça se mange la queue parce qu’à force d’être un peu ostracisés, les mecs de l’underground te font sentir que c’est pas pour toi, que tu ne connais rien et que pour connaître tu dois en faire partie. Qui de l’œuf ou de la poule tu ne sais pas, mais tout ça ne participe pas à ce que les mondes se rencontrent. Pour le mainstream c’est des choses trop underground, chelou et pas intéressantes et pour l’underground, le mainstream ont rien compris et sont trop cons pour capter ce qu’on kiffe. Je me trouve entre les deux, il y a du bon dans les deux, mais j’essaye vraiment d’être à la passerelle parce que

Q : Je fais l’habillage et le montage, mais, souvent, c’est des œuvres d’autres gens. Je fabrique quelques petits trucs, un peu de transparence, de détourage, mais la majeur partie des choses que je montre c’est des œuvres qui existent déjà. A : Ok, je pensais notamment au live où tu faisais tes images d’illustration pour les SCP avec nous. Q : Ah oui, pour le coup c’était plus créatif

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comme c’était beaucoup de textes et des trucs un peu plus difficiles à mettre en image. Pour le SCP, j’ai été chercher plein d’images pour illustrer, c’est ce que j’ai adoré dans cette épisode, c’était trop cool à faire. A : D’ailleurs c’était un épisode assez spécial dans son entièreté, l’aspect réaliste, légende urbaine, a du avoir un impact sur sa réalisation.

univers et il n’y a finalement pas beaucoup de matière visuelle concrète.

Q : Oui, d’ailleurs j’ai eu un commentaire d’un mec l’autre fois pour me dire que les SCP n’existaient pas (rires). Je l’ai fait comme un documentaire où on sent que je suis sur un entre-deux, où j’analyse une œuvre, mais où je prends un langage d’investigation, comme si je parlais d’un truc secret. En plus, à la fin je dis que moi-même je suis un SCP. Mais c’est trop kiffant de faire une analyse et en même temps d’emmener les gens dans une narration. Tu arrives à accrocher les gens avec l’histoire que tu racontes, mais aussi à dire toutes les choses que tu avais envie de dire sur l’œuvre. Ça se prête pas à toutes les œuvres, mais le SCP c’était un boulevard pour ça, sachant que j’aime bien l’esthétique un peu trucs secrets, conspi-chelou, esthético-bizarre à la X-files.

Q : C’est un vrai problème, notamment pour les œuvres littéraires. Tu ne peux pas faire un épisode de 40 minutes en montrant des lignes de textes, c’est juste pas possible. Par contre le SCP, je pouvais parce qu’il y a énormément d’illustrateurs et illustratrices qui avaient quand même bossé sur cet univers. J’avais beaucoup d’illustrations. Pour le reste, je suis allé chercher des trucs. Pour le début de ta question, la branche du SCP français a très vite été au courant que je préparais une vidéo et j’ai pu discuter avec certains d’entre eux avant. Je sais qu’ils ont regardé la vidéo le soir de la sortie en live donc c’était marrant (rires). C’était la première fois que je pouvais être en lien direct avec une communauté qui savait que j’allais traiter de leur sujet. Alors que les autres fois, je sais pas s'il y a une communauté Hellraiser, mais je n’ai pas été en contact avec eux quoi. Après ça n’a pas changé ma façon d’écrire, le seul truc que ça a changé c’est qu’au départ je parlais de rapports SCP américains et très vite, en parlant avec des membres de la branche française, ils m’ont dit « oh j’espère que tu

A : J’ai vu que tu avais été en contact avec des personnes du SCP, ça a changé quelque chose dans ton approche du sujet ? Comment traiter un format comme les SCP avec des contributeurs multiples, une communauté dans le monde entier et où il y a beaucoup d’interprétations possibles ? Enfin, c’est très mouvant et évolutif comme

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mettras des rapports français », alors j’ai été en lire des géniaux. Je n’aurais peut-être pas été les lire si je n’avais pas été en contact avec eux par exemple, mais ça n’a pas changé plus que ça. A : Pour cet épisode sur les SCP tu as donc fait des lives où on suivait ton travail de montage et où tu demandais aussi régulièrement l’avis du chat. Tu as récemment mis en place ton propre jeu de cartes virtuelles rien que pour les gens qui te suivent lors de tes streams, en plus du partage, l’interactivité avec ta communauté a l’air super importante pour toi. Q : C’est ça qui m’excite, l’interaction. Être youtubeur c’est quelque chose d’assez solitaire mine de rien, même si tu as plein de commentaires, que les gens sont cool et que tu es partagé sur les réseaux, et ça fait très plaisir, ça ne crée pas une discussion et une interaction avec les gens. C’est quelque chose qui me manque dans la chaîne et le fait de créer, donc je trouve ça mille fois plus intéressant de partager ces moments-là et d’avoir le retour des gens, de les faire jouer eux-mêmes. Quelque part Twitch a été créé pour jouer aux jeux vidéo, mais pour moi c’est quasiment le truc le moins intéressant que tu peux faire dessus. Ça vaudra jamais une discussion avec ton chat, faire des votes… C’est hyper ouf de se dire que tu es dans un endroit avec 100 personnes avec qui tu peux interagir, c’est trop cool et trop dommage de ne pas l’utiliser. Et comme j’ai besoin de créer tout le temps et que je me lasse très vite ; là j’ai déjà inventé un autre concept pour le live de ce soir. C’est pour expérimenter et répondre à mon besoin

maladif de créer des trucs. En plus, les gens qui sont présents sont souvent bienveillants et là parce qu’ils t’aiment bien. Ils passent du temps avec toi et ont envie d’échanger avec toi, ils ont envie de se marrer. Je n’aime pas du tout le fait d’avoir une communauté, j’ai des gens qui me suivent, ils sont très disparates et ils ne m’appartiennent pas. Il n’empêche qu’il y a une mentalité qui est super cool avec des gens qui sont à 99,9 % adorables, qui sont positifs. C’est une richesse de ouf qui, moi, me fait du bien et qui est aussi une des raisons pour lesquelles je me suis lancé dans cette aventure. Il y a la volonté de donner l’énergie qu’il y a en toi et recevoir celle des gens, si tu savais tout ce que je reçois comme énergie, comme conseils... Blame c’est quelqu’un qui me l’a

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Et comme l’a écrit notre maître à tous, Clive Barker, dans Sacrements :

conseillé en commentaire, je ne connaissais pas. Ça ne se voit pas, mais je reçois énormément des gens, donc ça me semble trop cool et normal d’être dans l’interaction et dans le partage. A : Déjà un nouveau concept vitesse grand V !

PERSONNE NE PEUT JAMAIS ÉPROUVER CE QU'ÉPROUVE UN TIERS. ON PEUT ESSAYER DE DEVINER. ON PEUT ÉMETTRE DES HYPOTHÈSES. MAIS CELA S'ARRÊTE LÀ.

? Tu crées a

Q : Je donne l’illusion mais ouais, Twitch et OBS donnent tellement de possibilités. Mais sinon c’est que de la bricole et j’adore faire des trucs qui ont l’air bien avec trois bouts de ficelle. J’aime bien hacker les choses et pour le coup le jeu de cartes c’est vraiment que de la bricole, c’est de la triche presque. Mais j’adore et Twitch c’est complètement ça.

On vous invite évidemment à bingewatcher toutes les vidéos de Alt, aussi The Art of Metal qui se trouve sur la chaîne de Maxwell. Leur livre, le Kodex Metallum, est lui aussi une petite merveille qu’on soit connaisseur ou non en musiques extrêmes et en Histoire de l’Art. Et n’hésitez pas a lui donner de l’énergie durant ses lives !

C’est sur cette dernière question que s’est terminée notre entrevue, certains d’entre vous auront peut-être assisté au live de Alt236 qui se déroulait juste après.

SUIVRE ALT236

Une fois de plus, ça a été un réel plaisir de discuter avec Quentin, un énorme merci à lui pour sa gentillesse, ses analyses et son travail. D’un point de vue personnel, ça me fait du bien de voir que l’on peut penser l’Art principalement à travers les émotions et les ressentis plutôt que sur des préceptes académiques assez impersonnels bien qu’intéressants. L’imaginaire et les émotions sont présents en chacun de nous et l’Art n’a de sens que si on le fait vivre et évoluer, s’extraire des limites posées par les théoriciens et se réapproprier les codes de l’Art me semble donc une belle perspective, mêlant tradition et réécriture contemporaine.

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