GRANDE Galerie

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Printemps 2020

no 51– 7,50€

Le Journal du Louvre

EXPOSITION

Redécouvrir Altdorfer Maître de la Renaissance allemande DOSSIER

Les secrets des diamants de la Couronne ÉVÉNEMENT

L’âge d’or de la sculpture De Donatello à Michel-Ange


APPRENDRE

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EN COUVERTURE Tullio Lombardo Bacchus et Ariane vers 1505, marbre. Coll. Kunsthistorisches Museum, Vienne.

SOMMAIRE

DERNIÈRES NOUVELLES DU MUSÉE 6 16

ACTUALITÉS ACQUISITIONS

GRANDS DOSSIERS ET EXPOSITIONS EXPOSITION 38

38

44 46 48

EXPOSITION Attribué à Antonio Lombardo Bacchante en délire ou Cassandre 1500-1525, marbre. Coll. musée du Louvre, Paris.

Interview – « La manière moderne » de Donatello à Michel-Ange La Déploration, une scène de théâtre La grâce et la fureur Dessous des œuvres – Quel sens donner aux Captifs de Michel-Ange ? EXPOSITION

50

L’art d’Albrecht Altdorfer, maître de la Renaissance allemande LA GALERIE D’APOLLON

54 66

Encyclopédie des collections – Des trésors qui racontent l’histoire de France Histoire du Louvre – Apollon s’est fait attendre ARTS GRAPHIQUES

70

Feux de papier ANTIQUITÉS ROMAINES

50 ALBRECHT ALTDORFER Adoration des Rois mages [détail] vers 1530-1535, huile sur panneau. Coll. Städel Museum, Francfort.

72

Une fameuse mosaïque du Louvre restaurée : les Saisons d’Antioche ÉGYPTOLOGIE

76

Dans les souterrains où reposent les taureaux de Ptah PEINTURES

82

Coulisses – La couleur des émotions ART CONTEMPORAIN

54

84

Elias Crespin, l’artiste des belles probabilités TRIBUNE DES AMIS DU LOUVRE

ENCYCLOPÉDIE DES COLLECTIONS

86

Jacques Évrard Bapst et Christophe Frédéric Bapst, Diadème de la duchesse d’Angoulême, 1819-1820. Coll. musée du Louvre, Paris.

Des jeunes par milliers

À VOIR AILLEURS 88 90 92 93

72 ANTIQUITÉS ROMAINES Mosaïque des Saisons [détail] vers 325, marbre, calcaire et pâte de verre. Coll. musée du Louvre, Paris.

94 96 98 100

À LIRE 102 106

Les œuvres du Louvre à travers le monde La renaissance d’une prestigieuse collection égyptienne – Aix-en-Provence D’Uruk à Malibu – Los Angeles L’art de la chevalerie entre Orient et Occident – Abu Dhabi L’éclat du noir – Lens Delacroix au Maroc – Rabat L’histoire du luxe au crible de l’histoire de l’art – Paris Des Britanniques séduisants et bizarres – Bordeaux

À lire Petite chronique du costume – Anglomanie et élégance champêtre 3


Pour Beaux Arts & Cie Président Frédéric Jousset Directrice générale Marie-Hélène Arbus Éditrice déléguée du pôle presse Séverine Saillard

Mosaïque des Saisons [détail] vers 325, marbre, calcaire et pâte de verre. Coll. musée du Louvre, Paris.

Grande Galerie Le Journal du Louvre Musée du Louvre

DMPC / Grande Galerie Le Journal du Louvre 75058 Paris cedex 01 Tél. 01 40 20 84 81 grandegalerie@louvre.fr

Rédaction Directeur de la publication Jean-Luc Martinez Directeur de la rédaction Adrien Goetz Rédactrice en chef Valérie Coudin Coordinatrice éditoriale et secrétaire de rédaction Céline Delavaux Directrice artistique Cécile Castany Iconographe Pierre Morio Relecteur Christophe Parant Comité éditorial Sébastien Allard Claire Bessède Violaine Bouvet-Lanselle Laurence Castany Valérie Coudin Jannic Durand Dominique de Font-Réaulx Françoise Gaultier Adrien Goetz Sophie Jugie Yannick Lintz Jean-Luc Martinez Néguine Mathieux Marielle Pic Claude Pommereau Louis-Antoine Prat Vincent Rondot Xavier Salmon Adel Ziane Éditeurs Violaine Bouvet-Lanselle, musée du Louvre Claude Pommereau, Beaux Arts & Cie Gestion Administratrice déléguée Marie-Hélène Arbus, Beaux Arts & Cie Grande Galerie. Le Journal du Louvre est une publication coéditée par le musée du Louvre et Beaux Arts & Cie. Pour le musée du Louvre Président-directeur Jean-Luc Martinez Administrateur général Maxence Langlois-Berthelot Administrateurs généraux adjoints Valérie Forey-Jauregui, Anne-Laure Béatrix, Vincent Pomarède Directrice de la Médiation et de la Programmation culturelle Dominique de Font-Réaulx Sous-directrice de la Production et de l’Édition Laurence Castany

Les collaborateurs de ce numéro Claire Bessède est directrice du musée national Eugène-Delacroix ; Michèle Bimbenet-Privat est conservatrice générale au département des Objets d’art ; Pierre Bonnaure est responsable du département Jardins, service Patrimoine, à la présidence de la République ; Marc Bormand est conservateur général au département des Sculptures ; Valérie Carpentier-Vanhaverbeke est conservatrice au département des Sculptures ; Élisabeth David est chargée d’études documentaires au département des Antiquités égyptiennes ; Mathilde Dillmann est historienne de l’art ; Anne Dion-Tenenbaum est conservatrice générale au département des Objets d’art ; Valérie Duponchelle est journaliste ; Jannic Durand est directeur du département des Objets d’art ; Bruno Ely est conservateur en chef du musée Granet à Aix-en-Provence ; Marc Étienne est conservateur en chef au département des Antiquités égyptiennes ; Côme Fabre est conservateur au département des Peintures ; Guillaume Faroult est conservateur en chef au département des Peintures ; Gwénaëlle Fellinger est conservatrice au département des Arts de l’Islam ; Louis Frank est conservateur général au département des Arts graphiques ; JeanRené Gaborit est conservateur honoraire du département des Sculptures ; Cécile Giroire est conservatrice en chef au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines ; Isabelle Glais est sous-directrice du Patrimoine architectural et des Jardins ; Helène Grollemund est chargée de collection au département des Arts graphiques ; Hélène Guichard est conservatrice en chef au département des Antiquités égyptiennes ; Victor Hundsbuckler est conservateur au département des Arts graphiques ; Carine Juvin est chargée de collection au département des Arts de l’Islam ; Sabine de La Rochefoucauld est historienne de l’art ; Sophie Labbé-Toutée est chargée de mission au département des Antiquités égyptiennes ; Ludovic Laugier est conservateur au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines ; Beatrice Paolozzi Strozzi est directrice honoraire du musée national du Bargello à Florence ; PierreYves Le Pogam est conservateur en chef au département des Sculptures ; Wandrille Potez est historien de l’art ; Pascale Raynaud est programmatrice cinéma à l’auditorium du Louvre ; Vincent Rondot est directeur du département des Antiquités égyptiennes ; Xavier Salmon est directeur du département des Arts graphiques ; Olivia Savatier Sjöholm est conservatrice au département des Arts graphiques ; Cécile Scailliérez est conservatrice générale au département des Peintures ; Francesca Tasso est conservatrice, responsable des collections artistiques et historiques des musées du Castello Sforzesco à Milan ; Anne Vincent est chef du service des acquisitions à la direction de la Recherche et des Collections du musée du Louvre. Nous tenons à remercier Suzanne Abou-Kandil, Benjamin Baijot, Sophie Barthélemy, Delphine Bastet, Élise de Beaucoudrey, Marion Benaiteau, Sandra Buratti Hasan, Nina Cardona, Isabelle Cartier-Stone, Patrick Compans, Colette Confortès, Zoé Coudin, Elias Crespin, Céline Dauvergne, Fabrice Douar, Cathe-

rine Dupont, Nicolas Féau, Aline François Colin, Fabio Gaffo, Dorota Giovannoni, Sophie Grange, Christophe Heer, Marielle Magliozzi, Fanny Meurisse, Alix Michon, Christine Moine Pattou, Marguerite Momesso, Antoine Mongodin, Florent Petit, Thida Petit, Isabelle Raffray, Nadia Refsi, Camille Sourisse, Diane Vernel, Cécile Vignot, Anne Vincent. Publicité MediaObs 44, rue Notre-Dame-des-Victoires 75002 Paris Tél. 01 44 88 97 70 pnom@mediaobs.com Directrice générale Corinne Rougé (93 70) Directrice du pôle Premium Sandrine Kirchthaler (8922) Chef de publicité Baptiste Mirande (8906) Studio Brune Provost (8913) Abonnements et ventes au numéro par correspondance Tarif abonnement pour la France : 1 an / 4 numéros : 27 € Grande Galerie. Le Journal du Louvre 4, rue de Mouchy 60438 Noailles cedex abo.grandegalerie@groupe-gli.com Tél. 01 55 56 70 75 www.beauxartsmagazine.com Edigroup Belgique Tél. (+32) 70 233 304 Fax (+32) 70 233 414 abobelgique@edigroup.org ou Edigroup Suisse Tél. (+41) 22 860 84 01 Fax (+41) 22 348 44 82 abonne@edigroup.ch Diffusion kiosques Destination média Tél. 01 56 82 12 06 Distribution Presstalis Diffusion librairies Client UD – Flammarion Diffusion http://diffusion.flammarion.com Tél. 01 41 80 20 20 Autres librairies – Florence Hanappe Tél. 01 41 08 38 06 Photogravure Litho Art New, Turin Imprimé en France par Aubin Imprimeur Papier en provenance d’Allemagne (Artipress) et de France (Maine gloss) Taux de fibres recyclées : 0 % Taux de fibres EFGD : 100 % Eutrophisation : PTot = 0,016 kg / tonne de papier produite La Société des Amis du Louvre est partenaire historique de Grande Galerie. Le Journal du Louvre.

ISSN : 1959-1764 Dépôt légal : mars 2020 Droits de reproduction textes et illustrations réservés pour tous pays. ©Grande Galerie. Le Journal du Louvre. Ce numéro comporte l’agenda du Louvre et un encart abonnement sur la vente au numéro France métropolitaine. Date de sortie du prochain numéro Juin 2020

Crédits photographiques • Couverture : © Wien, Kunsthistorisches Museum • p. 3 © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi ; © Städel Museum U. Edelmann / ARTOTHEK ; © Martin Argyroglo ; © 2020 Musée du Louvre / Hervé Lewandowski • p. 4 © 2020 Musée du Louvre / Hervé Lewandowski • p. 5 © Musée du Louvre / F. Brochoire • p. 6-7 © Martin Argyroglo • p. 8 © Cécile Castany • p. 10 © Photo Mobilier national, Paris / Philippe Sébert ; © Mobilier national • p. 12 © Martin Argyroglo ; © Isabelle Glais / Musée du Louvre • p.14 © Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec ; © MGM / The Kobal Collection / Aurimages ; © Christie’s Images Ltd • p. 16-17 © Christine Moine-Pattou / Musée du Louvre • p. 18 © Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Benoît Touchard • p. 20 © 2019 Musée du Louvre Philippe Fuzeau • p. 23 © RMNGrand Palais (musée du Louvre) / Benoît Touchard • p. 25 © Sotheby’s • p. 26 © 2019 Musée du Louvre Philippe Fuzeau • p. 27 © Victor Hundsbuckler / Musée du Louvre ; © Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / image RMN-GP • p. 29 © 2019 Musée du Louvre Philippe Fuzeau • p. 30 © 2019 Musée du Louvre Philippe Fuzeau • p. 31 © 2019 Musée du Louvre Philippe Fuzeau • p. 32-33 © Christie’s images • p. 34-35 © SVV BeaussantLefèvre • p. 38-39 © RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle • p. 40 Su concessione del Ministero per i beni e le attivittà culturali ; © Victoria and Albert Museum, Londres • p. 41 © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais / Angèle Dequier ; Su concessione del Ministero per i beni e le attivittà culturali • p. 42 © Veneranda Fabbrica del Duomo di Milano • p. 43 © Kunsthistorisches Museum, Vienne ; © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA • p. 44 © Archivio fotografico Pinacoteca di Varallo / Photo Mauro e Marco Fulvio Magliani • p. 45 © Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Luciano Pedicini • p. 46 © Gift of Eleanor Clay Ford / Bridgeman Images • p. 47 © Musée des Beaux-Arts, Budapest • p. 48-49 © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais / Raphaël Chipault • p. 50 © Photo RMNGrand Palais / Tony Querrec • p. 51 © The Bristih museum, Londres, dist. RMN-Grand Palais • p. 52 © Albertina, Wien • p. 53 © The National Gallery, London / Scala, Florence • p. 54-65 © Martin Argyroglo • p. 65 (droite) © Cécile Castany • p. 66 -69 © Martin Argyroglo • p. 68 © Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michèle Bellot • p. 70-71 © Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado • p. 73-74 © 2020 Musée du Louvre / Hervé Lewandowski • p. 75 © Princeton University • p. 76-77 © David Coulon • p. 78 © Christian Décamps / Musée du Louvre • p. 79 © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais / Christian Décamps • p. 80 D.R. • p. 81 © Documentation du département des Antiquité égyptiennes / Musée du Louvre • p. 82-83 © Martin Argyroglo • p. 84 Courtesy Elias Crespin • p. 85 © Martin Argyroglo • p. 86-87 © Jean-Claude Figenwald pour les Amis du Louvre • p. 88 © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais / Angèle Dequier ; © Musée du Louvre, dist. RMNGrand Palais / Christian Décamps • p. 89 © RMNGrand Palais (Musée du Louvre) / Tony Querrec ; © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola • p. 90 © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais / Georges Poncet • p. 91 © Musée Granet / Hervé Lewandowski • p. 92 © Photo Alex Ramsay / Alamy Stock Photo via Hemis.fr ; © Photo Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Raphaël Chipault • p. 93 © Musée du Louvre, dist. RMNGrand Palais / Hughes Dubois ; © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi • p. 94 © Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux • p. 95 © Photo RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi • p. 96 © Musée Fabre / Montpellier Méditerranée Métropole / Photo Frédéric Jaulmes • p. 100 © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Michel Urtado • p. 101 © Bridgeman Images ; © MBA Bordeaux • p. 102 © Eton College - Reproduced by permission of the Provost and Fellows of Eton College • p. 106 © Musée du Louvre, dist. RMNGrand Palais / Angèle Dequier

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ÉDITORIAL

POURQUOI LE LOUVRE ACQUIERT-IL DES ŒUVRES ? par Jean-Luc Martinez — P r ésiden t -dir ecteur du musée d ir ecteur de L a PubLication Le musée du Louvre conserve plus de 620 000 œuvres parmi lesquelles près de 35 000 sont exposées dans ses murs à Paris et presque autant prêtées ou déposées dans des musées français situés sur l’ensemble du territoire national. Il acquiert environ une centaine d’œuvres chaque année. Cette présentation lapidaire des chiffres ouvre une série de questions : quand on conserve un tel patrimoine, qui ne peut être montré dans son intégralité au public, est-il bien nécessaire d’acquérir de nouvelles œuvres ? L’argent mobilisé – entre 15 et 20 millions d’euros par an – pour les acquisitions ne serait-il pas plus utile ailleurs, par exemple pour entretenir le palais et restaurer les salles ? Ces questions me sont souvent posées. Elles sont d’autant plus légitimes que nous devons rendre des comptes à la nation de l’usage des deniers publics et qu’un certain nombre de grands musées dans le monde n’ont plus les moyens ou la volonté d’enrichir leurs collections. Alors pourquoi le Louvre acquiert-il des œuvres ? Je veux avancer quelques raisons qui me semblent fondamentales. Un musée doit acquérir car sa justification même est d’offrir à la contemplation du plus grand nombre des œuvres jusqu’alors réservées à la délectation d’un petit cercle. C’est ainsi que certains chefs-d’œuvre, capitaux au regard de l’histoire de l’art ou de l’histoire de la France, sont classés Trésor national ou Œuvre d’intérêt patrimonial majeur, afin de permettre à l’État de réunir dans un délai de trente mois les fonds nécessaires à leur acquisition et d’éviter qu’ils ne quittent notre territoire ou qu’ils ne retournent dans une collection privée. Quatorze Trésors nationaux ou Œuvres d’intérêt patrimonial majeur sont entrés dans nos collections depuis 2015 à l’image de la table dite de Teschen, de l’Amour essayant une de ses flèches de Saly, du livre d’heures de François Ier et, tout récemment, de l’Âme brisant les liens qui l’attachent à la terre de Pierre Paul Prud’hon offert par les Amis du Louvre. Fondée en 1897 mais toujours aussi dynamique avec des effectifs en forte croissance, avec plus de 65 000 membres, la Société des Amis du Louvre est ainsi l’un de nos premiers mécènes. On lui doit l’entrée au musée de très nombreux chefs-d’œuvre et je salue sa générosité essentielle au service de la politique d’acquisition du musée. Le Louvre, qui affirme sa vocation universelle, doit également acquérir pour combler les lacunes de

du

L ou v r e

ses collections et tenir un discours plus complet sur l’histoire de l’art. C’est ainsi par exemple que nous avons lancé une opération pour acquérir l’Apollon citharède, classé Trésor national, qui bénéficie du succès de la dernière campagne Tous mécènes ! et de la mobilisation exceptionnelle des Amis du Louvre. Cet Apollon fait en effet partie des rarissimes bronzes antiques qui ont échappé aux vicissitudes du temps. L’acquérir, c’est permettre au public de mieux découvrir une production artistique très peu présente jusqu’alors dans nos collections. Le Louvre tente aussi par ses acquisitions de reconstituer des ensembles disséminés. Par exemple, les diamants de la Couronne avaient été dispersés lors d’enchères organisées par la IIIe République en 1887. Depuis, l’État cherche Un musée doit acquérir car sa à reconst it uer ce justification même est d’offrir à la patrimoine français. C’est l’un des axes contemplation du plus grand nombre majeurs de la polides œuvres jusqu’alors réservées tique d’acquisition à la délectation d’un petit cercle. portée par le département des Objets d’art depuis trente ans. Nombre de ces acquisitions bénéficient d’une spectaculaire mise en valeur dans la galerie d’Apollon tout juste rénovée, que je vous invite à redécouvrir. Le Louvre acquiert également, et cela est moins connu, dans l’optique de soutenir ses partenaires en région. Ainsi, dans les années 1970, le Petit Palais d’Avignon a été choisi comme lieu d’exposition de nombre des primitifs italiens conservés en France. Le Louvre y a déposé certains chefs-d’œuvre de la collection Campana. Nous poursuivons cette politique : un panneau du Maître des Cassoni Campana a été acquis en vente publique en 2019 pour être déposé au Petit Palais d’Avignon. Acquérir, c’est enfin un moyen concret, incarné, d’entretenir et de développer le lien entre les collections et nos publics. Le succès croissant des campagnes Tous mécènes ! en témoigne. Je veux une nouvelle fois rendre hommage à tous nos mécènes qui, à l’image des Amis du Louvre, contribuent, année après année, à enrichir nos collections au bénéfice du public. Merci du fond du cœur à tous nos donateurs ! Une journée de réflexion et de débats est organisée le 16 mars à l’Auditorium pour présenter plus précisément le bilan et les perspectives de notre politique d’acquisition. Venez-y nombreux ! 5


DERNIÈRES NOUVELLES DU MUSÉE ACTUALITÉS

ACQUISITIONS

8 Dans les salles 12 Dans les salles et hors du Palais 14 Programmation

16 ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES Un achat inespéré : les papyrus Reverseaux 18 SCULPTURES Un ange de la Résurrection


20 PEINTURES Sous Louis XIII, un prolongement de l’école de Fontainebleau Le triomphe de la lumière Marguerite Gérard se distingue 26 ARTS GRAPHIQUES Palma il Giovane Un dessin majeur de Ludovic Carrache

« Carlotto » et le dessin baroque germanique Rémy Clément Gosse pose pour Marie-Gabrielle Capet 31 OBJETS D’ART Un exceptionnel collier byzantin du trésor de Pantalica Le luxueux service de toilette de la duchesse de Modène Un trophée : le coffret de saint Éloi

Nouvelle salle des peintures britanniques et américaines aile Denon, niveau 1 salle 713.


ACTUALITÉS / Dans les salles

UN CHAPITEAU DU TEMPLE D’APOLLON À DIDYMES DÉCOUVERT À L’HÔTEL MARIGNY En 2018, de fructueux échanges entre le département Jardins des résidences est donc affecté au Louvre et, le 18 mars 2019, solidement sanglé, il est présidentielles et le département des Antiquités grecques, étrusques et emporté par une grue, au-dessus des grilles de l’hôtel, naviguant durant romaines du musée du Louvre ont conduit à l’identification d’un chapiteau quelques minutes entre les frondaisons des marronniers. Transféré le jour colossal du temple oraculaire d’Apollon à Didymes. Celui-ci avait été rapporté même au musée, il y est soigneusement restauré par Anna Martinotta. En en France en 1873 par Olivier Rayet, à la suite de la grande fouille menée dans décembre, il a rejoint dans la cour du Sphinx l’ensemble des décors du temple la région de Milet et Didymes, en Asie Mineure, grâce au généreux mécénat d’Apollon Didyméen. d’Edmond James et de Gustave de Rothschild. Si presque tout le fruit de la Dans les collections du Louvre, le chapiteau Rothschild revêt un intérêt mission Rayet fut offert au Louvre dès 1873, ce chapiteau décoré de griffons particulier : parmi les chapiteaux du temple de Didymes, c’est le seul affrontés fut conservé par Gustave de Rothschild pour son agrément, dans le exemplaire de ce type précis qui soit conservé au musée. Son beau décor jardin de son hôtel particulier, avenue de Marigny. Le musée reçut un moulage de griffons affrontés de part et d’autre d’un bouquet d’acanthes foisonnantes l’apparente à trois chapiteaux identiques décorant le mur sud de la cour de l’original, présenté de 1877 aux années 1920 mais aujourd’hui disparu. La mémoire du chapiteau Rothschild s’est ensuite quelque peu perdue. intérieure du temple d’Apollon, qui sont demeurés à Didymes. En 2018, le voici redécouvert, au fond du jardin de l’hôtel Marigny, acquis par Pierre Bonnaure et Ludovic Laugier l’État en 1971 et devenu une dépendance du palais de l’Élysée. L’œuvre ayant Cour du Sphinx, aile Denon, niveau 0, salle 419. été exposée durant près de cent cinquante ans à l’extérieur, son état autant Pour en savoir plus : actes de la journée d’étude sur les collections que son intérêt invitent à l’action : l’épiderme du marbre, tapissé de lichens, Rothschild (INHA – Louvre – BNF). de mousses et d’algues, masque de possibles microfissures. Le chapiteau https://books.openedition.org/inha/10632

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L’ESPRIT CRÉATEUR DESSINS ANCIENS

Vendredi 27 mars 2020, Drouot Paris

Antoine Coypel (1661-1722) Etude pour une allégorie à la gloire de Louis XIV. Dessin aux trois crayons : pierre noire, sanguine et craie blanche. 30 x 42,5 cm.

Spécialiste Tableaux & Dessins anciens Grégoire Lacroix +33 (0)1 47 45 08 19 - +33 (0)6 98 20 77 42 lacroix@aguttes.com

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ACTUALITÉS / Dans les salles

UN EXCEPTIONNEL DÉPÔT DE TAPIS PERSANS Le département des Arts de l’Islam présente ses collections de tapis de six mois en six mois, en raison de la sensibilité particulière de leurs matériaux à la lumière. De fin janvier à fin juillet sera montré un exceptionnel ensemble provenant des réserves du Mobilier national, que ce dernier a choisi de déposer à long terme au département des Arts de l’Islam. Ce geste généreux permettra leur étude approfondie et leur présentation périodique dans les salles. Outre les œuvres destinées à meubler résidences de l’État et bâtiments publics, le Mobilier national conserve une collection de tapis historiques, constituée essentiellement à l’occasion de la création du musée des Gobelins ouvert en 1885. Ce projet vit le jour sous l’impulsion d’Alfred Darcel, alors directeur de la manufacture, désireux de remettre les créations dans une perspective historique et d’offrir aux artistes contemporains modèles et sources d’inspiration. Deux des trois tapis présentés sur les podiums du département des Arts de l’Islam furent légués à l’institution en 1885, par Albert Goupil, décédé l’année précédente, imprimeur et grand collectionneur. Ce dernier est aujourd’hui considéré comme l’un des découvreurs de l’art islamique à la fin du xix e siècle, son œil sûr et son goût affirmé l’ayant aidé à réunir un ensemble de chefs - d’œuvre. Ce legs fut complété sept ans plus tard, en 1892, par celui de Jules Élie Delaunay, peintre, professeur à l’École des beaux- arts et ami de Gustave Moreau, qui possédait également un tapis persan du x vi e siècle d’importance historique majeure, le troisième de ceux qui sont aujourd’hui présentés dans les salles du Louvre. Ces trois tapis figurent en bonne place parmi les chefs - d’œuvre créés en Iran sous la dynastie safavide. Tous présentent des décors de médaillons centraux, bien qu’ils relèvent de types légèrement différents. Tous prirent naissance dans les manufactures impériales safavides, de Tabriz ou de Kashan. Parfaitement c omplément aires d es t apis aujourd ’ hui conservés au Louvre, avec lesquels ils ont parfois des origines communes, ils y rejoignent d’autres œuvres de métal, de bois, d’ivoire ou de verre, issues des collections d’Albert Goupil et présentées dans les mêmes espaces. Gwénaëlle Fellinger Aile Denon, entresol, espace B. 10


Galerie Charles Ratton et Guy Ladrière

Luca Giordano (1643 - Naples - 1705) Susanne et les vieillards Plume et encre brune sur traits de sanguine, 20 x 26, 8 cm.

Dessins anciens et du XIXe siècle, du 23 mars au 3 avril 2020 Galerie Charles Ratton et Guy Ladrière 11 quai Voltaire, 75007 Paris Tél. : 01 42 61 29 79 E-mail : galerie.ratton-ladriere@wanadoo.fr www.ratton-ladriere.com - Instagram : galerierattonladriere


ACTUALITÉS / Dans les salles et hors du palais

UNE NOUVELLE SALLE DE PEINTURES BRITANNIQUES ET AMÉRICAINES De vastes et belles proportions, une nouvelle salle vient d’être affectée à la présentation d’une sélection plus variée de la collection de peintures britanniques et américaines (aile Denon, niveau 1, salle 713). Cet ensemble, qui demeure méconnu, est pourtant unique en dehors des musées anglo-saxons. Le genre du portrait y est représenté avec des œuvres saillantes telles que le Portrait de Lady Alston de Gainsborough ou le Master Hare de Reynolds. La peinture de paysage, fleuron des artistes britanniques, compte aussi un remarquable Turner, Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain ou un bel ensemble de Constable. L’inspiration littéraire et fantastique y est évoquée par des toiles impressionnantes de Füssli ou de John Martin. Quelques acquisitions récentes y sont enfin présentées pour la première fois (œuvres de Raeburn, Thomas Jones et David Wilkie). Guillaume Faroult

UN ÉCRIN D’ÉRABLE ARGENTÉ POUR LA COLLECTION EDMOND DE ROTHSCHILD En 1935, James, Maurice et Alexandrine de Rothschild, fidèles aux volontés de leur père, le baron Edmond de Rothschild (1845-1934), offraient au Louvre sa somptueuse collection d’estampes et de dessins : fabuleuse donation d’un connaisseur qui se prête à tous les souvenirs et à tous les rêves et qui constitue au sein du Louvre un incomparable musée de la gravure depuis ses origines jusqu’au xviiie siècle. Elle a été intégrée au département des Arts graphiques mais, suivant les vœux de son instigateur, demeure, à tout point de vue, une entité particulière. Après avoir occupé deux salles dans le pavillon Mollien, puis un espace équivalent dans l’aile de Flore, elle a bénéficié des accroissements du Grand Louvre dans l’ancienne galerie Schlichting qui, au premier étage de la même aile, ouvre sur le jardin du Carrousel. Mais les travaux menés alors par l’architecte Antoine Stinco, tout en créant les surfaces nécessaires à l’entier déploiement de ce fonds riche de 50 000 œuvres environ, n’avaient permis d’en équiper que la moitié. Au cours des dix derniers mois, la seconde partie de cet espace a fait l’objet d’un renouveau mené par l’architecte Fabien Gantois. Sol, plafond, murs, éclairage, équipements de sécurité ont été revus ou refaits et la partie de la collection qui n’avait pas trouvé une place digne d’elle dans l’aménagement antérieur sera désormais abritée sans contraintes dans d’élégantes armoires constituées, pour la meilleure des conservations, d’aluminium et d’érable argenté, au sein d’un écrin de bois raffiné. Dominique Cordellier 12

SOUS LES FRONDAISONS DU JARDIN DES TUILERIES Dès le printemps, les promeneurs des Tuileries bénéficieront d’un espace de repos de 3 000 m2 supplémentaires, sous les frondaisons. La restauration du bosquet situé en limite de l’esplanade des Feuillants et de l’allée de Diane est achevée. Elle a été réalisée dans la logique historique du jardin, avec une volonté de gestion durable. Quatre nouvelles espèces d’arbres ont été introduites. Parmi elles les merisiers, dont la floraison blanche printanière précède l’arrivée des merises qui régalent les oiseaux. Sous ces arbres, 500 m² de plates-bandes forestières apportent fraîcheur, biodiversité et favorisent l’avifaune. Ce sera un nouveau lieu de repos, idéal pour une pause ombragée au cœur de l’été. Isabelle Glais


Vente en préparation

IMPRESSIONNISTE & MODERNE

© Succession Picasso 2020

Lundi 30 mars 2020, Paris En marge du Salon du Dessin de Paris

Pablo Picasso (1881-1973) Femme debout tenant deux enfants, 1901 31.2 x 22 cm (Zervos, vol. 21, n°278 p.105)

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Nous recherchons les signatures Pierre Bonnard, Eugène Boudin, Bernard Buffet, Marc Chagall, André Derain, Raoul Dufy, James Ensor, Max Ernst, Vincent Van Gogh, Henri Le Sidaner, Henri Martin, Claude Monet, Pablo Picasso, Auguste Renoir, Edouard Vuillard….


ACTUALITÉS / Programmation

LE PRINTEMPS DES POÈTES AU MUSÉE NATIONAL EUGÈNE-DELACROIX Chaque année, le musée Delacroix convie le public à un mois de mars poétique à l’occasion du Printemps des poètes. Pour l’édition 2020 sur le thème du courage, les visiteurs sont invités à prendre part à un atelier d’écriture. Les participants mettront en lumière la figure du héros réel ou rêvé incarnant pour eux la plus belle représentation du courage. Ils s’exerceront à l’art du sonnet, de l’alexandrin ou de la prose en s’inspirant des personnages héroïques, tel Hercule, que Delacroix a représentés dans des œuvres aujourd’hui exposées au musée. Claire Bessède Atelier « Héroïque poésie », le dimanche 22 mars. www.musee-delacroix.fr

ENRICHIR LES COLLECTIONS NATIONALES : QUELLES ACQUISITIONS POUR LE MUSÉE DU LOUVRE ? Par son histoire et la place singulière qu’il occupe dans le paysage muséal, le Louvre a un rôle particulier en matière d’enrichissement des collections nationales. Il est difficile de rendre compte de cette mission fondamentale : la présentation, au fil de l’actualité, des acquisitions réussies ne permet de mesurer ni les intentions ni les orientations stratégiques de la politique du musée. En proposant pour la première fois, le 16 mars 2020, à tous ceux qui s’intéressent à ces questions un rendez-vous annuel à l’Auditorium, le musée souhaite à partir de quelques axes de réflexion et d’une sélection d’œuvres exceptionnelles – dont deux des Trésors nationaux récemment acquis – présenter les résultats de son action, telle qu’elle s’exerce dans un contexte en constante évolution depuis qu’en 2004 a été reconnue à l’établissement public compétence en matière d’acquisition d’œuvres. À l’issue de la séance, quelques - uns des principaux acteurs professionnels et institutionnels en charge de ce secteur débattront du bilan et des perspectives de la politique menée par le Louvre. Anne Vincent Lundi 16 mars, de 14 à 18 heures, à l’auditorium du Louvre. Entrée libre sur réservation. 14

DEUX CINÉ-CONCERTS À L’AUDITORIUM DU LOUVRE En partenariat avec la Cinémathèque française et le festival « Toute la mémoire du monde », l’Auditorium présente une rareté du cinéma allemand des années 1930, Les Hommes le dimanche, de Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer. Tournés en décor naturel avec des acteurs inconnus, ces chassés-croisés amoureux d’un dimanche à Berlin inventent une esthétique et une économie du cinéma que retrouveront les réalisateurs du néoréalisme et de la Nouvelle Vague. Ce ciné-concert propose une création du groupe post-rock NLF3, qui réalisera cette performance en direct sur la scène. En écho à l’exposition « Figure d’artiste » à la Petite Galerie, l’Auditorium retrouve le duo constitué par Robert Piéchaud au piano et Stan de Nussac au saxophone dans un ciné-concert avec Le Figurant d’Edward Sedgwick, réalisé en 1929. Buster Keaton y incarne Elmer, modeste commerçant amoureux d’une vedette de théâtre. Un quiproquo l’amène à remplacer l’un des figurants de la pièce. Les catastrophes s’enchaînent… Pascale Raynaud Ciné-concert de NLF3 le vendredi 6 mars à 20 heures, ciné-concert autour du film avec Buster Keaton le mercredi 8 avril à 15 heures, à l’auditorium du Louvre.


L’AVENIR A UNE

HISTOIRE


ACQUISITIONS / Antiquités égyptiennes

UN ACHAT INESPÉRÉ : LES PAPYRUS REVERSEAUX par Christophe Barbotin

Une anthologie de scribe inédite, dont le papyrus est encore roulé, vient d’être acquise par le musée. Reste à la déchiffrer. Cette acquisition exceptionnelle s’accompagne de l’achat d’un fragment d’un Livre des Morts.

I

Papyrus Reverseaux 2 fragment du chapitre 17 d’un Livre des Morts [détail] Nouvel Empire, xv e -xie siècle av. J.-C. papyrus, 27 x 79 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

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l est parfois de grandes et belles surprises dont aucun égyptologue n’oserait rêver, même en cachette. À la fin du mois d’août 2018, un collègue signalait la présence chez un antiquaire parisien d’un manuscrit hiératique singulier. Singulier, car le papyrus était encore en rouleau, ce qui est rarissime aujourd’hui, et surtout parce que la seule page visible révélait une magnifique calligraphie avec points rouges, titres de chapitre et une correction en rouge. Il s’agit d’une anthologie scolaire ramesside (xiiie -xiie siècle av. J.-C.), un type de document bien connu mais absent au Louvre. On y trouve les textes types constituant la culture de base pour l’élite de l’administration royale égyptienne, tels que lettres-modèles, textes littéraires, hymnes aux divinités ou exhortations à devenir scribe. Le fait que cette anthologie-là soit totalement inconnue tient du miracle. Elle appartenait en effet, ainsi qu’un grand fragment du chapitre 17 du Livre des Morts acheté en même temps par le Louvre, aux descendants du comte Denis Jacques Léopold Guéau de Reverseaux de Rouvray (1783-1852), chevalier de Saint-Louis et capitaine de vaisseau dans la marine royale. Nous sommes en 1823. Le capitaine de Reverseaux, chargé de sécuriser les routes maritimes entre l’Égypte, le Levant, la Syrie et Chypre, devait convoyer les personnes et les biens sur ces mers rendues très dangereuses par les insurgés grecs dont la tendance à couler

tout ce qui bougeait créait une certaine tension. Il fit escale à Alexandrie au moins une fois, en août ou septembre de cette année, comme l’atteste une lettre de remerciements du 5 octobre 1823 qu’il adressa pour un service indéterminé à Bernardino Drovetti. Or celui-ci, consul général de France à Alexandrie, faisait commerce d’antiquités à grande échelle au point que ses collections constituèrent le socle initial des musées égyptiens du Louvre et de Turin. Il est probable que le capitaine de Reverseaux ait acquis les deux papyrus par son entremise. Acquisition de circonstance en tout cas pour ce marin qui n’avait rien d’un collectionneur car on ne lui connaît aucune autre antiquité. Le capitaine termina sa carrière en Méditerranée occidentale, où il participa à la conquête de l’Algérie en 1830, avant de se retirer dans son château de Seine-et-Marne. C’est là que furent conservés ses papiers jusqu’à leur dispersion en vente publique à Orléans (septembre 2018), ainsi que les deux manuscrits égyptiens désormais au Louvre. L’égyptologue et conservateur grille maintenant d’impatience : il va lui falloir attendre que le déroulement du papyrus et sa restauration minutieuse révèlent sa teneur page après page. Peut-être des textes entièrement nouveaux reviendront-ils alors à la lumière ? Nous prions le lecteur de bien vouloir présenter une grande offrande à Thot, le dieu des scribes, pour favoriser les découvertes à venir !


Papyrus Reverseaux 1, anthologie scolaire ramesside Égypte (XIXe -XXe dynastie), xiiie -xiie siècle av. J.-C. 20 x 180-200 cm (longueur estimée). Coll. musée du Louvre, Paris.

Traduction de la partie déjà déroulée 1 […] 2 [(Hymne à Amon = papyrus Anastasi IV, 10,4-10,5) : …qu’il daigne accorder que je me transforme en] aile de vautour ° tel un bateau équipé°, tel les récits des barques 3 qui viennent (?)°. Les pâtres sont dans les champs°, les blanchisseurs sur la rive°, les policiers 4 sont sortis (dans) le district°, les gazelles sur le désert°. [Tête de chapitre à l’encre rouge pour l’instant illisible…] 5 J’agirai (?). (Adresse à un jeune scribe = papyrus Anastasi III, 3,10-3,3 et Anastasi V, 8,2-8,6) : °Ne traîne pas°, on te courberait immédiatement, 6 ne place pas ton cœur dans le plaisir ° ou bien tu échouerais°. Écris de [ta main] 7 et lis à haute voix°, prends conseil auprès des plus savants [que toi]°, assume pour toi cette fonction 8 [d’administrateur car tu la retrouveras après la vieillesse. Intelligent est le scribe rendu sage] 9 dans sa fonction°, (car) celui qui assume sa fonction dispose de l’avenir°. Sois méritant dans ton action quotidienne° 10 et alors tu l’emporteras sur eux° (les collègues). Ne passe pas de jour à ne rien faire° 11 ou bien on te frappera, l’oreille est sur le dos du 12 jeune homme […]

Conventions ° : point rouge de ponctuation égyptienne ; xxxx : à l’encre rouge dans le manuscrit ; xxx xxxxx : texte placé au-dessus de la ligne dans le manuscrit ; [xxxxxx] : texte restitué d’après les parallèles avec d’autres textes ; (xxx) : complément apporté pour la bonne compréhension française du texte. 17


ACQUISITIONS / Sculptures

UN ANGE DE LA RÉSURRECTION par Pierre-Yves Le Pogam

Acquis par le Louvre en vente publique en septembre dernier, cet ange musicien du début du XIVe siècle a livré une part des secrets de son origine avant de gagner les collections de sculpture médiévale.

D’

une grande élégance, cette statue représente un ange soufflant dans une trompe. Certes, la figure juvénile ne comporte pas d’ailes et n’en a jamais possédé, mais les anges aptères ne sont pas rares. Le visage jeune, la chevelure mi-longue et retenue par un fin bandeau selon un modèle emprunté à des sources antiques, tout cela est typique des anges gothiques. Même si l’instrument de musique a disparu, les arrachements de celui-ci et les joues gonflées du visage permettent de restituer une trompe, comme pour de nombreux anges de la même époque, appelant les morts à sortir de leur tombeau. La statue prenait donc place dans un décor évoquant le Jugement dernier, comprenant le Christ siégeant et montrant ses plaies et au moins deux anges soufflant dans leur trompe. La scène pouvait se suffire à elle-même dans cette version « abrégée ». Comme dans presque toute la statuaire gothique, cet ange est une ronde-bosse, mais une ronde-bosse où le dos n’était pas destiné à être vu puisque appliqué contre un mur. Les caractères stylistiques permettent de dater l’œuvre du début du XIV e siècle ; même si l’ange ressemble à de nombreux exemples français et notamment parisiens de la seconde moitié et surtout de la fin du XIIIe siècle (en premier lieu le groupe des anges de Poissy, conservés aux musées du Louvre et de Cluny), il s’en démarque par bien des traits. Le drapé en « tablier » du manteau qui recouvre très largement la robe ceinturée est une formule typique du XIV e siècle. Surtout, par rapport à ces prédécesseurs de la fin du XIIIe siècle, l’ange montre

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un canon plus élancé, un pivotement accentué du corps et des traits tendant vers une forme de simplification ou d’abstraction. L’analyse de la pierre effectuée par Lise Leroux (Laboratoire de recherche des monuments historiques) a permis d’identifier la carrière d’où provient le calcaire : Bernay-en-Champagne (Sarthe). Cette carrière a eu un rayonnement limité. C’est surtout au Mans et dans les environs que ce calcaire a été utilisé en pierre de construction et en sculpture, par exemple dans certaines parties de la cathédrale. Plusieurs monuments manceaux connaissent des campagnes de travaux dans la première moitié du XIV e siècle, notamment la cathédrale ellemême, avec quelques sculptures au style apparenté à celui de cet ange, mais plus simple. On songe aussi à la sainte-chapelle édifiée dans son château du Mans par Philippe VI en 1329, c’est-à-dire juste après son accession sur le trône de France, en tant que premier roi de la nouvelle dynastie des Valois (1328-1350). Néanmoins le château fut détruit dès 1359 et il est difficile d’aller plus loin sur cette piste. La provenance ancienne de l’œuvre reste donc un point à éclaircir. La statue n’est connue qu’à partir de son acquisition par Joseph Altounian (1889-1954), un célèbre antiquaire qui a été spécialisé notamment dans le domaine de la sculpture médiévale et auquel le Louvre a acheté nombre de ses chefs-d’œuvre. Ange sonnant de la trompe Prov. nord-ouest de la France (Maine ou Normandie ?) début XIVe siècle, pierre (calcaire) 74,5 x 20 x 21 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.


À PARAÎTRE EN OCTOBRE 2020 En scène ! Costumes dessinés de la collection Edmond de Rothschild

Les arts graphiques au musée du Louvre

ISBN 978-2-35906-162-8

ISBN 978-2-35906-231-1

ISBN 978-2-35906-192-5

ISBN 978-2-35906-245-8

ISBN 978-2-35906-204-5

ISBN 978-2-35906-266-3

ISBN 978-2-35906-294-6

Une collection coéditée par les éditions du musée du Louvre et L I E N A RT éditions

CHAQUE OUVRAGE 19,7 × 25 cm – 200 pages environ Broché avec grands rabats – 29 €

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ACQUISITIONS / Peintures

SOUS LOUIS XIII, UN PROLONGEMENT DE L’ÉCOLE DE FONTAINEBLEAU par Cécile Scailliérez

Dirck Metius est l’auteur probable de cette composition destinée à la galerie de l’amateur Jacques Favereau. Redécouvrir son nom dans les archives parisiennes a permis de lui rendre sa place dans le Paris des arts sous Louis XIII.

Attribué à Dirck Metius (vers 1610 ?-1665) La Prédiction de Cassandre vers 1625-1630 huile sur toile 80,8 x 74,2 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

L

e mystère de l’attribution de ce tableau, qui jusqu’ici passait pour être d’Antoine Caron (1521-1599) avant d’être rapproché de Quentin Varin (vers 1575-1626) et qui frappe par la finesse de sa connaissance du maniérisme français, trouve une solution inattendue dans son histoire ancienne. Il figure Cassandre, Troyenne qu’Apollon avait nantie du don de prophétie puis privée

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du pouvoir de persuasion. Elle est en train de prédire à ses compatriotes méprisants que le cheval de bois, figuré en contrebas, est une ruse des Grecs qui provoquera la prise de Troie. L’œuvre fut en effet gravée d’après un dessin qu’Abraham van Diepenbeeck tira de l’un des cinquante-huit tableaux d’une galerie des Vertus et des Vices que Jacques Favereau, conseiller du roi en sa

cour des Aides, avait fait peindre vers 1625 par « le sieur Massius » dans son hôtel du quai de la Tournelle à Paris. Le testament et l’inventaire après décès de ce personnage lettré mort en 1638, auteur du programme iconographique de sa galerie jusqu’ici connue par les gravures des Tableaux du Temple des muses tirés du cabinet de feu Mr Favereau publiés en 1655 par l’abbé de Marolles, permettent de rendre ce remarquable vestige d’un décor très tôt dispersé au peintre Dirck Metius, que Favereau avait un temps hébergé. Originaire d’Alkmaar en Hollande, Metius n’est plus connu que par les portraits collectifs qu’il peignit à Amsterdam où il apparaît en 1641 avant de mourir à Alkmaar en 1665. La Prédiction de Cassandre révèle qu’il avait auparavant travaillé à Paris, comme tant de Flamands et de Hollandais « étrangers mais habitués en cette ville de Paris », à l’époque où Rubens remportait sur Varin la commande de la galerie de la reine Marie de Médicis au Luxembourg. On ignore cependant quand et auprès de qui ce peintre vint se former en France et tout de sa jeunesse parisienne reste à retrouver. La Prédiction de Cassandre démontre à la fois son habileté technique, son raffinement chromatique et son aptitude exceptionnelle à assimiler avec originalité l’héritage d’Antoine Caron pour le paysage urbain et celui des peintres du temps d’Henri IV, tels que Dubreuil, Dumée et Dubois pour la rhétorique narrative. Ancrée dans ce maniérisme français de la seconde moitié du xvie siècle, La Prédiction de Cassandre témoigne par ailleurs d’un préclassicisme annonciateur de l’atticisme parisien du xviie siècle qui place Dirck Metius parmi les subtils acteurs de la peinture française élaborée dans un Paris plus cosmopolite qu’on ne l’imagine.


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Palais Brongniart Place de la Bourse 75002 Paris

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AU

Joseph Colla, Étude d’arbre. Marseille, musée des Beaux-Arts © Ville de Marseille, Dist. RMN-Grand Palais / image des musées de Marseille

DU

30 M ARS

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De 12 h à 20 h

www.salondudessin.com

Nocturne le jeudi 26 mars, jusqu’à 22 h Ouverture dès 11 h le week-end

Trois siècles de dessins des musées de Marseille : la Nature dans tous ses états

Rencontres internationales du Salon du dessin : colloque les 25 et 26 mars


ACQUISITIONS / Peintures

LE TRIOMPHE DE LA LUMIÈRE par Côme Fabre

Grâce au don spectaculaire de la Société des Amis du Louvre, le musée achève de réunir un ensemble unique au monde dédié au plus poète des peintres français : Pierre Paul Prud’hon.

Pierre Paul Prud’hon (1758-1823) L’Âme brisant les liens qui l’attachent à la terre [détail] 1821-1823, huile sur toile 292 x 203 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

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L’

Âme brisant les liens qui l’attachent à la terre… S’agit-il du testament pictural de Prud’hon ? Il n’y avait pas encore porté les dernières touches lorsqu’il s’éteignit en février 1823. Le sujet évoque la réalité sombre des dernières années de l’artiste : à la douleur qui suivit le suicide de Constance Mayer, sa compagne et collaboratrice, s’ajoutaient les tracas financiers et familiaux. Ses amis rappellent qu’il aspirait à quitter une existence terrestre marquée par le malheur. Au premier plan de la composition, devant un rocher battu par la tempête, un serpent, symbole de l’Envie, rampe dans les replis du drapé rouge abandonné sur le sol. L’Âme s’échappe de son enveloppe de chair et s’envole dans un faisceau de lumière pour rejoindre l’immortalité. Cette femme légèrement drapée et dotée de grandes ailes d’oiseau ne correspond pas à l’iconographie commune de l’âme, tant dans l’art chrétien que dans la tradition grécoromaine de l’Antiquité. Prud’hon a emprunté cette forme à l’allégorie de la Victoire (ou de la Renommée), à laquelle il ôte simplement des mains les couronnes de laurier. Cette habile fusion permet au peintre d’enrichir le sens de l’allégorie : la mort n’est pas seulement la fuite de l’âme hors du corps, c’est le triomphe de la lumière sur la nuit, de la beauté sur la corruption. Cette idée est nourrie de références philosophiques néoplatoniciennes et chrétiennes, mais jamais aucun artiste ne lui avait donné une forme aussi simple, majestueuse et gracieuse. Si le sujet répond à une inspiration intime, pourquoi Prud’hon l’a-t-il traduite sur une toile de près de trois mètres de hauteur ? Dans l’état des connaissances, il est difficile de le dire, mais il faut garder à l’esprit que le maître devait répondre parallèlement à deux commandes

religieuses en grand format que lui avait passées l’administration sous la Restauration. D’abord une Assomption commandée en 1816 pour la chapelle du château des Tuileries puis un Christ sur la croix destiné en 1821 à la cathédrale de Strasbourg (finalement réservé pour le Louvre). L’Âme profite de ces deux inventions simultanées : sa composition reprend une ancienne idée pour l’envol de la Vierge Marie tandis que l’élan radieux du tableau répond au clair-obscur angoissant de la mort du Christ. De nombreux dessins préparatoires témoignent de l’étude attentive du modèle nu que Prud’hon, même après l’avoir transposé sur la toile, continue à épurer : les multiples repentirs sur les contours du corps rendent ce travail visible à l’œil nu. S’il manque quelques accessoires – les fers qui devaient enserrer les chevilles de l’Âme, le ruban qui devait retenir le drapé autour de sa taille –, on peut penser que Prud’hon a volontairement renoncé à les peindre afin de ne pas alourdir inutilement cette figure si diaphane dont l’œil parcourt inlassablement le modelé parfait. Le nu allégorique est en effet le genre auquel Prud’hon a rendu ses lettres de noblesse tout au long de sa carrière, indifférent aux modes de son temps qui privilégiaient le nu héroïque ou le costume pittoresque : quelle gageure, au soir de sa vie, que de parvenir à donner corps à ce qui s’y oppose ? L’Âme brisant les liens aurait dû connaître une immense postérité : par respect ou par jalousie, sa notoriété est restée confidentielle, réduite à un petit cercle d’artistes et d’amateurs dévots (Trézel, Devéria, Marcille). C’est donc aujourd’hui, grâce à un don exceptionnel, que l’Âme accède à une nouvelle forme d’immortalité, celle qu’offre le musée.


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ACQUISITIONS / Peintures

Marguerite Gérard (1761-1837) avec la collaboration de Jean Honoré Fragonard L’Élève intéressante vers 1786 huile sur toile 65 x 49 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

MARGUERITE GÉRARD SE DISTINGUE par Guillaume Faroult

Lors de la vente de la collection du comte et de la comtesse de Ribes, organisée par Sotheby’s le 11 décembre dernier, le Louvre a pu acquérir par préemption L’Élève intéressante, toile peinte par Marguerite Gérard. Sa composition raffinée et la délicatesse de son exécution en font sans conteste l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste qui se trouve désormais superbement représentée dans les collections du Louvre.

C

ontemporaine d’Élisabeth Vigée Le Brun et d’Adélaïde Labille-Guiard, Marguerite Gérard fut l’une des femmes artistes les plus importantes de la fin du x viii e siècle. Elle se fit apprécier comme peintre de scènes de genre et de petits portraits familiers. Elle reçut sa formation auprès de son beau-frère Jean Honoré Fragonard, avec qui elle collabora au cours des années 1780 pour exécuter de remarquables scènes de genre dans le style de la peinture hollandaise du x vii e siècle. À partir de la décennie suivante, la jeune femme s’émancipa et acquit une véritable renommée tant auprès de ses pairs que d’une importante clientèle. Depuis une quarantaine d’années, Marguerite Gérard fait l’objet d’un intérêt renouvelé de la part des historiens et historiennes de l’art, notamment Jean-Pierre Cuzin ainsi que Carole Blumenfeld qui vient de lui consacrer une monographie. Le tableau acquis par le Louvre a été peint peu avant 1787 lorsque sa composition fut gravée par Géraud Vidal sous le titre L’Élève intéressante. La lettre de la gravure précise que l’œuvre est due à « Mlle Gérard, él[ève] 24

de M. Fragonard » : il s’agit d’une des premières peintures présentées sous le seul nom de la jeune artiste. L’œuvre n’en offre pas moins un vibrant hommage à l’art de Fragonard. La composition présente en effet une très élégante jeune fille brune qui étudie attentivement, au sein d’un atelier artistement encombré, une gravure où l’on reconnaît l’une des plus célèbres compositions de Fragonard, La Fontaine d’amour (Los Angeles, The Getty Museum), peinte peu avant 1785. Le sujet du tableau se nourrit de réflexions relatives à la formation des femmes artistes dans le cadre de ces ateliers familiaux qui furent très courants au x viii e siècle. Au pied de la jeune élève, en bas à gauche, Marguerite Gérard a placé une sphère métallique dont la surface polie réfléchit lisiblement l’autre partie de l’atelier. On y distingue une femme assise en train de peindre devant son chevalet alors qu’un homme contemple son travail (allusion à Marguerite Gérard peignant avec la complicité de Fragonard ?) et à proximité de deux autres personnages que l’on a proposé de reconnaître comme Mme Fragonard et

Henri Gérard, le frère de l’artiste. Enfin, la gravure de Vidal fut elle-même dédiée à Anne Louise Chéreau, l’héritière d’une grande famille de graveurs. Ce jeu subtil de masques et de miroirs participe sans aucun doute à la séduction de l’œuvre. D’autant que l’exécution du tableau est probablement encore le fruit d’une collaboration de la jeune artiste avec son mentor. Fragonard a sans doute peint certains détails (comme le chat et le chien sur la droite). Il est probable en revanche que l’invention de la composition soit due à la seule Marguerite Gérard ainsi que la lettre de la gravure le suggère. Peinte dix ans après Le Verrou de Fragonard, la toile en perpétue en partie le style mais dans un esprit très différent qui s’éloigne de son libertinage explicite. La maîtrise spécifique de la jeune artiste éclate en outre dans le poli de sa touche et dans son raffinement poétique. La grande sophistication de cette œuvre en fait l’une des scènes de genre les plus remarquables de la décennie qui précéda la Révolution.


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ACQUISITIONS / Arts graphiques

PALMA IL GIOVANE par Louis Frank

Aucune composition de l’artiste ne correspond exactement à ce dessin qui vient d’être offert au Louvre. Tous les caractères de son style s’y retrouvent d’une manière éclatante.

J

acopo Negretti, dit Palma le Jeune – Palma il Giovane –, né à Venise entre 1548 et 1550, fils du peintre Antonio Negretti et de Giulia Brunello, nièce de Bonifacio de’ Pitati, était petitneveu du grand Palma – il Vecchio, l’Ancien –, contemporain de Giorgione, de Titien et de Lotto. Jacopo Negretti (vers 1548/1550-1628) dit Palma il Giovane Saint Sébastien pierre noire, plume et encre brune, lavis brun 37,7 x 23,3 cm. Legs de Jeanine Bardon. Coll. musée du Louvre, Paris.

Formé dans l’atelier paternel, puis à Rome entre 1567 et 1574, il élabora, de retour dans sa ville natale, un style composite où fusionnent la sensualité de la touche et les passages vaporeux de l’ombre à la lumière de Titien, le vocabulaire des formes et des poses, la dynamique diagonale et

le clair-obscur dramatique de Tintoret, le naturalisme des Bassano et la richesse décorative et spectaculaire de Véronèse. Entre 1580 et 1581, il achève son premier grand ensemble religieux à la sacristie vieille de San Giacomo dall’Orio. Les dix années suivantes sont marquées par la décoration de l’oratoire des Crociferi, à l’hospice des Indigentes de Cannaregio. Les compositions, de sujet historique – relatives à la fondation de l’ordre et à des hommes d’État vénitiens bienfaiteurs de l’hospice – et religieux, sont parmi les chefs-d’œuvre de Palma, notamment celles qui sont liées à la personne du doge Pasquale Cicogna, commanditaire du cycle. Tintoret mourut en 1594 et Palma devint alors le principal protagoniste de la scène picturale vénitienne. Il prolongea jusqu’à sa mort, advenue le 17 octobre 1628, les derniers éclats de la grande manière du Cinquecento vénitien. On attribue à Palma six cents tableaux et près d’un millier de dessins, lesquels sont pour la plupart conservés, en feuilles éparses comme en recueils, dans les collections de nombreux musées. Le dessin légué au Louvre par Jeanine Bardon est un Saint Sébastien, figure qui se rencontre fréquemment dans les tableaux d’autel de Palma, seule ou associée à d’autres. Il a été mis au carreau, ce qui laisse penser que son auteur le destinait à être exécuté comme tel en peinture. Mais nous n’avons pu retrouver de composition, dans le vaste catalogue de Stefania Mason Rinaldi, qui y corresponde exactement. L’œuvre, de belles dimensions, est d’une grande finesse. Ce très joli don, incontestablement de la main de Palma, viendra enrichir le vaste fonds de ses dessins – cent trente feuilles classées comme originales, soit probablement une centaine d’autographes – conservés au département des Arts graphiques. À Jeanine Bardon, disparue le 1er mai 2019, et à son neveu, Patrick Laug, le Louvre exprime ici sa vive gratitude.

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UN DESSIN MAJEUR DE LUDOVIC CARRACHE par Victor Hundsbuckler

Les collections du département des Arts graphiques comptent désormais le dessin de présentation d’un tableau, œuvre majeure du plus bolonais des Carrache, entrée au Louvre il y a plus de deux siècles.

Ludovic Carrache (1555-1619) La Vierge apparaissant à saint Hyacinthe 1594, dessin à la plume et à l’encre brune, lavis d’encre brune et rehauts de blanc, sur papier préparé rouge, collé en plein, 45 x 35 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. Ludovic Carrache L’Apparition de la Vierge et de l’Enfant Jésus à Hyacinthe 1594, huile sur toile, 375 x 223 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

C

ette feuille correspond selon toute vraisemblance au dessin de présentation de la peinture exécutée en 1594 pour l’église San Domenico à Bologne. Exposé au Louvre dès 1798, le tableau prend place parmi les grands retables les mieux documentés de l’œuvre de Ludovic Carrache. De grand format, le dessin ne présente que quelques différences mineures avec la peinture ; les petites modifications du drapé du vêtement de saint Hyacinthe, de même que l’absence de l’inscription présentée par l’ange venant confirmer la nature préparatoire de cette feuille de technique très aboutie et soignée. Carlo Cesare Malvasia, le Vasari bolonais, possédait ce dessin dans sa collection et faisait du tableau qu’il prépare l’œuvre-pivot de sa biographie

de Ludovic Carrache, le point de départ d’un style nouveau. En 1678, dans sa Felsina pittrice, il écrit : « Au contraire de la nouvelle manière choisie par Annibal, il [Ludovic] se reprit quand il laissa celle-là : il pratiqua lui aussi une manière facile, un style plus résolu, mais plus imposant, plus tranché, plus impressionnant ; et le voici très vite apparent dans le saint Hyacinthe peint pour la chapelle des Signori Turrini à San Domenico, exécuté pour la somme élevée de 50 écus. Qui n’a pas vu ce tableau ignore ce qu’est l’invention d’un grand homme. » L’actualité immédiate n’était pas absente du choix du sujet. Le 18 juin 1594, quand les frères Turrini se voient concéder par contrat leur chapelle funéraire, la canonisation de Hyacinthe Odrowac, novice à Bologne et contemporain de saint

Dominique, est tout juste prononcée. Un épisode miraculeux se retrouve dans tous les textes hagiographiques publiés alors. En 1224, le jour de l’Assomption, alors qu’il était en oraison, Hyacinthe eut la vision d’une nuée céleste au milieu de laquelle était la Vierge qui lui dit : « Réjouis-toi mon fils Hyacinthe, parce que tes prières sont agréables à mon Fils et que tu obtiendras par mon intercession tout ce que tu jugeras bon de lui demander. » En un peu moins de deux mois, Ludovic tira de ce récit une de ses plus brillantes compositions. Le 16 août, jour de la Saint-Hyacinthe, le tableau était livré. On doit l’entrée de ce dessin dans les collections du Louvre à la générosité de Kathleen Onorato et de Peter Silverman ; qu’ils soient ici une nouvelle fois remerciés. 27


ACQUISITIONS / Arts graphiques

« CARLOTTO » ET LE DESSIN BAROQUE GERMANIQUE par Hélène Grollemund

En octobre dernier, Bernard Hémery, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, a fait bénéficier de ses largesses le département des Arts graphiques par le biais de la Société des Amis du Louvre. Parmi les sept dessins qu’il a donnés figure une belle et rare feuille de Johann Carl Loth.

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é à Munich en 1632, Johann Carl Loth fait partie d’une famille d’artistes au service de la cour de Bavière : son père Ulrich est peintre du duc Maximilien I er ; sa mère Libia est miniaturiste, petite-fille de Friedrich Sustris, nièce d’Antonio Maria Viani, enfin fille de Hans Krumpper, tous peintres qui furent successivement actifs pour Guillaume V et Maximilien I er. Johann Carl baigne dans un milieu artistique nourri d’Italie et marqué de l’empreinte de Rubens. Après une première formation auprès de son père, il se rend en Italie et s’installe à Venise à partir de 1653. Il développe un style ténébriste personnel, influencé par Giovanni Battista Langetti, chef de file des tenebrosi véntiens. Fort de la fréquentation de plusieurs ateliers et académies de la Sérénissime, il fonde une école qui deviendra au fil du temps le lieu d’enseignement incontournable des artistes nordiques, parmi lesquels Daniel Seiter, Johann Michael Rottmayr ou Peter Strudel. Bien établi à Venise, Loth – surnommé Carlotto – reçoit de nombreuses commandes de peintures mythologiques et de tableaux d’autel pour les églises de la ville, mais ne cesse de fournir des œuvres pour la Bavière. Il termine sa vie dans la Sérénissime, où il meurt en 1698. Sa renommée fut telle qu’un monument funéraire à sa mémoire fut érigé dans l’église San Luca, sur lequel il est loué comme Apelle en son temps. Son art a continué à être largement diffusé dans les cours de Munich, de Vienne ou dans les grandes abbayes du sud de l’Allemagne grâce aux œuvres de ses élèves. Une quarantaine de dessins sont attribués aujourd’hui à Loth, mais la difficulté de les différencier parfois de feuilles de certains de ses 28

élèves, notamment de celles de Daniel Seiter, pourrait en changer le nombre. Ils sont en grande majorité tracés à la plume et à l’encre brune sur un papier coloré bleu – rappelant ainsi la tradition vénitienne –, mais qui a souvent perdu sa couleur d’origine. D’abondants rehauts de gouache blanche viennent modeler les volumes et indiquer les lumières. Avec Le Christ devant Caïphe, Loth délaisse le papier de couleur et se sert de la réserve du papier et du lavis pour noter les variations lumineuses. L’écriture graphique répond à la véhémence du sujet : le trait est court, nerveux, discontinu et légèrement courbe pour les contours, parfois redoublé ; des traits de sanguine, sans relation avec la composition finale, contribuent au bouillonnement de la scène dans laquelle les nombreux personnages aux gestes impétueux présentent des signes distinctifs de Loth, les bouches ouvertes et les doigts incurvés vers le haut. Nous connaissons des dessins de même technique mais, préparatoires à des tableaux religieux, leur caractère d’esquisse les éloigne du Christ devant Caïphe. Seules deux œuvres peuvent en être rapprochées. Conservés dans les Graphische Sammlungen de la Klassik Stiftung Weimar, La Guérison du paralytique et Moïse faisant jaillir l’eau du rocher, qui étaient autrefois attribués à l’artiste génois Giovanni Andrea Carlone, montrent des caractéristiques techniques semblables, le même degré d’achèvement et les mêmes dimensions ; leur style graphique, la fougue des personnages et les architectures sont en outre tout à fait similaires. Seuls quelques dessins de Johann Carl Loth sont conservés dans les collections publiques

françaises, à Rouen, Tours, Bergues, Dijon et à l’École des beaux-arts de Paris. De son côté, le département des Arts graphiques abrite dans ses portefeuilles deux œuvres classées sous son nom, mais dont l’attribution est sujette à caution. Grâce à la générosité de M. Hémery,


Le Christ devant Caïphe est donc la première feuille de Carlotto à entrer dans les collections du Louvre, un apport important pour le fonds des dessins allemands du xviie siècle, qui compte peu d’œuvres des grands représentants baroques d’origine germanique.

Johann Carl Loth (1632-1698) Le Christ devant Caïphe après 1670, plume et encre brune lavis brun, traces de sanguine 18,9 x 27 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. 29


ACQUISITIONS / Arts graphiques

RÉMY CLÉMENT GOSSE POSE POUR MARIE-GABRIELLE CAPET par Xavier Salmon

Au xviiie siècle, les artistes femmes triomphent avec leurs pastels. Le Louvre en offre un témoignage éclatant grâce aux œuvres de Marie-Suzanne Giroust, l’épouse du portraitiste Alexandre Roslin, Élisabeth Louise Vigée Le Brun et Adélaïde Labille-Guiard. Marie-Gabrielle Capet rejoint aujourd’hui cette cohorte prestigieuse avec une œuvre inédite.

Marie-Gabrielle Capet (1761-1818) Portrait de Rémy Clément Gosse (Paris, 1741 – Rueil, 1805) pastel sur papier marouflé sur toile 70 x 58 cm. Signé et daté en bas à gauche M. G. Capet / L’an 5 [1796-1797]. Coll. musée du Louvre, Paris.

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arie-Gabrielle Capet trouva en Adélaïde Labille-Guiard une mère de substitution. La célèbre portraitiste l’accueillit dans son atelier lorsqu’elle était encore toute jeune et lui enseigna l’art de la miniature et du pastel. L’élève se révéla rapidement talentueuse et fut remarquée

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lors des expositions de la Jeunesse, place Dauphine à Paris, entre 1781 et 1785, puis au Salon à partir du moment où il fut ouvert à un plus grand nombre de femmes. C’est pendant ces années révolutionnaires que mademoiselle Capet peignit le plus grand nombre de portraits

au pastel. Toutes les effigies aujourd’hui connues témoignent d’une parfaite maîtrise technique et d’un sens de la psychologie qui conduisit l’artiste à ne jamais travestir la réalité. L’influence de Labille-Guiard a été maintes fois soulignée. Le portrait de Rémy Clément Gosse est tout à fait caractéristique de sa manière. Le visage du modèle est décrit sans concession, avec une touche qui reste apparente, tandis que le bel habit est traité avec le plus grand soin afin de transcrire le soyeux de l’étoffe. Rémy Clément Gosse appartenait à la bourgeoisie parisienne. Fils de Joseph Gosse (17041747) et de Marie Louise Bonnet (née vers 1705), il avait épousé le 17 février 1769 Marie Barthélemy Victoire Razat (1750-1811) dont le père Jean-Joseph Ignace était écuyer du roi de Sardaigne. Le couple eut cinq enfants, Marie Victoire, Clément Joseph, Louis Juste, Marie Angélique et Jacques Alphonse. En 1772, année du baptême de Clément Joseph, il demeurait à Paris rue Saint-Denis, sur la paroisse de Saint-Jacques-à-la-Boucherie. Nous ne savons quelle était l’activité de monsieur Gosse ni ce qui lui assurait ses revenus. Suivant une étiquette ancienne collée sur le carton de protection à l’arrière du pastel, il semble qu’il ait eu une fonction au tribunal de commerce. Toujours resté en possession de sa descendance, le pastel de mademoiselle Capet présente un homme élégamment vêtu, portant une perruque à ailettes soigneusement poudrée dont la mode était un peu dépassée en l’an V, année d’exécution du portrait. La pastelliste s’y révèle une artiste accomplie.


ACQUISITIONS / Objets d’art

UN EXCEPTIONNEL COLLIER BYZANTIN DU TRÉSOR DE PANTALICA par Jannic Durand

Le département des Objets d’art vient de s’enrichir d’un luxueux collier byzantin d’un type jusque-là absent des collections publiques françaises.

L

e collier, complet et dans un état de conservation exceptionnel, se distingue par son décor de saphirs et de perles alternés, ainsi que par ses deux fermoirs qui complètent son décor, exécutés en opus interrasile à motif floral stylisé cruciforme. L’opus interrasile, qui consiste à obtenir un décor par évidement à l’emporte-pièce sur une plaque de métal, a connu un extraordinaire déve-

loppement à la fin de l’Empire romain et durant les premiers siècles byzantins jusqu’à l’iconoclasme. Le collier fut découvert accidentellement en 1903 avec d’autres bijoux à l’occasion de travaux agricoles effectués sur le site de la nécropole de Pantalica, à Sortino, dans l’arrière-pays de Syracuse. Si le site est bien connu pour sa nécropole antique, il fut aussi occupé au début de l’époque byzantine par un village troglodyte où les vestiges de deux églises ont pu être identifiés dès les années 1880. Le trésor, qui comportait aussi des monnaies d’or, fut retrouvé sous une dalle de pierre à l’intérieur d’un récipient de bronze. Malgré les efforts de Paolo Orsi, alors directeur du musée de Syracuse, qui eut en main plusieurs pièces et put en obtenir des photographies, le trésor fut dispersé presque immédiatement après sa découverte. Le plus clair partit alors pour les États-Unis, ce qui fut notamment le cas pour le collier que le musée vient d’acquérir : on le trouve d’abord dans la collection de John Pierpont Morgan, le célèbre collectionneur américain, ensuite chez ses descendants qui le vendent à New York en 1944, puis dans une collection américaine avant de passer dans une collection anglaise. Le trésor, publié par Paolo Orsi dès 1910, comportait au moins quatre bagues, une paire de boucles d’oreilles, une petite bulle ornée d’une croix et un bracelet, actuellement au

Musée archéologique de Syracuse, ainsi que cinq colliers aujourd’hui dispersés, reproduits par Orsi, parmi lesquels celui qui vient d’entrer au Louvre. Quant aux monnaies mentionnées par Orsi, elles permettent de situer l’enfouissement probable du trésor à la fin du VIIe siècle. Par leur typologie et leur décor de pierres précieuses et de perles en alternance sur un seul rang, les colliers de Pantalica se trouvent au cœur d’un petit groupe d’une dizaine de colliers byzantins comparables datés du VIe ou VIIe siècle, aujourd’hui aux États-Unis, en Grèce, à Londres ou encore à Nicosie. Parfaitement conservée, bien datée, et avec une provenance précise assurée, cette pièce vient enrichir d’une manière éclatante les collections françaises jusqu’alors dépourvues de ce type de bijou byzantin.

Collier byzantin provenant d’un trésor découvert en 1903 à Sortino, près de Syracuse (Sicile). Art byzantin, VIe - VIIe siècle or, saphir, perles, lapis-lazuli et éléments en opus interrasile, L. de la chaîne : 52 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. 31


ACQUISITIONS / Objets d’art

LE LUXUEUX SERVICE DE TOILETTE DE LA DUCHESSE DE MODÈNE par Michèle Bimbenet-Privat

Le 27 novembre dernier, le Louvre a préempté chez Christie’s huit pièces provenant du service de toilette de la duchesse de Modène. Cette acquisition fait entrer dans les collections des objets uniques au monde dont la conservation apparaît miraculeuse au regard des destructions massives de l’orfèvrerie royale pendant la Révolution.

Aiguière et son bassin ou « jatte » attribués à Nicolas Besnier (1686-1754) 1719-1720 argent fondu et ciselé H. (aiguière) 21,5 cm L. (bassin) 23,5 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

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harlotte Aglaé d’Orléans (1700-1761), connue jusqu’à son mariage sous le nom de Mademoiselle de Valois, était la petite-fille de Louis XIV par sa mère, Françoise Marie de Bourbon, fille légitimée du roi et de la marquise de Montespan. Par son père, le Régent, elle était aussi la petite-fille de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV. Sa grand-mère, la princesse Palatine, brossa de l’adolescente,

qu’elle n’aimait pas beaucoup, un portrait sans ambages : « Lorsqu’elle était toute jeune, j’avais espéré que Mademoiselle de Valois serait fort belle, mais j’ai été bien déçue ; il lui est venu un grand nez aquilin qui a tout gâté ; elle avait auparavant le plus joli nez du monde. Ce qui a causé ce malheureux développement, c’est qu’on lui a permis de prendre du tabac. »


Moins dévergondée que sa sœur la duchesse de Berry, la troisième fille du Régent n’était cependant pas des plus sages. Il fallut beaucoup de persuasion de la part de son père pour la décider au cours de l’automne 1719 à épouser François-Marie III d’Este, duc de Modène : des diamants envoyés de Modène, soixante paires d’habits complets, un présent de 900 000 livres offert par le petit Louis XV, une dot de 200 000 livres, de nombreux bijoux et près de 500 000 livres en objets de valeur… Le contrat fut signé le 31 janvier 1720. Le service de toilette offert à la jeune princesse se devait d’être à la hauteur de cette union. Le cérémonial de la toilette se tenait chaque matin dans les chambres de la reine et des princesses du sang en présence de leurs « dames » et d’autres invités, hommes ou femmes. La toilette était publique, soumise à l’approbation de l’intéressée et au sourcilleux visa de la dame d’atours responsable du placement de chacun : un baromètre de la bienveillance des princesses, en quelque sorte. Depuis sa table de toilette, en partie cachée derrière son grand miroir encadré de vermeil, la maîtresse des lieux était maquillée, coiffée et parée de ses bijoux. Elle pouvait choisir à son gré celle qui, par exemple, lui présenterait ses gants. La toilette de la duchesse reflète autant le luxe de sa dot que la brièveté des négocia-

tions matrimoniales de 1719. On choisit le plus prometteur des orfèvres du roi, le jeune Nicolas Besnier qui travaillait alors dans l’atelier du grand Nicolas de Launay, célébrissime pour avoir servi Louis XIV à la grande époque du mobilier d’argent. La composition de la toilette, connue en 1761 à la mort de la duchesse de Modène, a de quoi étonner : quarante et un objets de « vermeil », soit près de 38 kg d’argent doré ! Moins d’une quinzaine de pièces ont survécu. Les huit éléments acquis par le Louvre en sont d’autant plus précieux : aiguière et bassin, pots à pommade, crachoir, salve (plateau présentoir), vergette (petite brosse), ferrière (flacon à parfum). Tous illustrent avec éclat les inventions de Nicolas de Launay déjà connues par des dessins du maître, mais jamais observées dans leur réalité métallique. La pureté des lignes et le raffinement des ornements y sont merveilleusement servis par une ciselure virtuose. Nicolas Besnier, bien que fidèle à son mentor, y introduit un frémissement de style déjà rocaille sensible, par exemple, dans les contours vibrants du couvercle de l’aiguière. L’étude du service va maintenant pouvoir pleinement commencer. Souhaitons que les quelques pièces encore subsistantes puissent un jour venir compléter ce dernier grand ensemble d’orfèvrerie royale.

Nicolas Besnier Flacon à parfum à décor d’entrelacs et mosaïque, avec deux médaillons en bas relief représentant des allégories de l’Harmonie et de l’Amour maternel, 1717-1722 argent fondu et ciselé, H. 20,2 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. Plateau sur pied et petite brosse ou « vergette » à décor d’entrelacs, oves et bâtons rompus attribués à Nicolas Besnier, 1719, argent fondu et ciselé, 4,7 x 24,7 x 18,7 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

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ACQUISITIONS / Objets d’art

UN TROPHÉE : LE COFFRET DE SAINT ÉLOI par Anne Dion-Tenenbaum

Alors que le musée s’était enrichi au printemps dernier d’un ravissant coffret à bijoux néo-gothique de la duchesse de Berry, grâce à la générosité de la comtesse Cristiana Brandolini d’Adda, un nouveau coffret, de style néo-roman, d’une chatoyante polychromie, témoigne de l’inventivité de la manufacture de Sèvres.

L

a forme de ce coffret évoque un reliquaire, avec un décor d’arcatures en plein cintre. Les plaques illustrent la vie de saint Éloi : « Saint Éloi au monétaire de Limoges » à l’avant, « Saint Éloi rachetant les captifs » à l’arrière et, pour le couvercle, « Saint Éloi à la cour de Clotaire II, lui présente une pièce d’orfèvrerie ». Orfèvre, Éloi se forme dans l’atelier monétaire de Limoges, puis est présenté à Clotaire II, roi des Francs, dont il obtient la faveur en créant pour lui deux fauteuils, et non un seul comme il lui était demandé, avec la quantité d’or qui lui était confiée. Augustin Thierry, avec ses Récits des temps mérovingiens, publiés à partir de 1833, avait attiré

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l’attention sur cette période. Le décor ornemental est intéressant : rosaces pour les remplages ajourés des arcatures en plein cintre, et motifs de petites feuilles et fleurs dans des rinceaux évoquant les fonds vermiculés des émaux limousins du Moyen Âge pour les décors en pâte incrustée. Le musée du Louvre peut désormais illustrer l’évolution stylistique de Sèvres à travers une impressionnante série de coffrets : coffret néoclassique de la tabatière du roi Louis XVIII, peint en imitation de camée, coffret néo gothique avec le portrait de la duchesse de Berry, coffret de Marie -Amélie avec des vues de palais, et celui- ci, néo -roman.

Le modèle du coffret est donné en 1845 par Jean Ferdinand Régnier (1774-1857), sculpteur et créateur de formes pour la manufacture de Sèvres. Les archives de la manufacture conservent deux dessins, datés de mars 1845, approuvés par le directeur de la manufacture, Brongniart, et payés 180 francs en décembre 1845. La technique d’incrustation de pâtes de couleurs sur porcelaine est expérimentée pour le vase de l’Alhambra en 1842, et employée en 1846 pour la pendule romane et pour une coupe dite Henri II, inspirée d’une coupe de SaintPorchaire. Le journal L’Illustration fait l’éloge de ce procédé attribué à l’expérience inventive de Régnier : « Cette incrustation qui se fait dans le


corps de la pâte, quand la pâte est crue, laisse voir sous l’émail transparent qui la recouvre après sa cuisson tous les ornements qu’il emprisonne ; il en résulte une harmonie de tons et un glacé général inimitable par d’autres moyens. » La fabrication est lancée en 1846, alors qu’était déjà avancée celle d’une pendule également dite romane, montrant Charlemagne recevant une horloge d’Haroun al-Rachid (Sèvres, Cité de la céramique). Si la pendule est achevée pour l’exposition des produits des manufactures, le coffret n’entre au magasin de vente que le 28 février 1853, au prix de 4 000 francs. Peut-être l’accueil mitigé reçu par la pendule à l’exposition est-il la cause de ce ralentissement

dans la mise en œuvre du coffret. Il est offert en trophée par Napoléon III dès le printemps 1853 pour le steeple-chase de Versailles. Un décret du 18 janvier 1852 avait en effet établi que des produits de la manufacture provisoirement nationale seraient distribués en prix de course. Le dimanche 29 mai 1853, pour le prix de l’Empereur, le vainqueur devait recevoir 2 000 francs et « un objet d’art de la manufacture impériale de Sèvres donné par Sa Majesté ». Le vainqueur fut Hippolyte Mosselman, propriétaire de la pouliche Agar.

Manufacture de Sèvres Coffret dit roman 1846-1853 porcelaine dure bronze doré 20,5 x 28,1 x 23 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

Cette acquisition a bénéficié du généreux soutien de la Fondation La Marck. 35


JEAN-MICHEL OTHONIEL

Jean-Michel Othoniel, La Rose du Louvre, 2019 © Adagp, Paris, 2019 ©Musée du Louvre/ A. Mongodin

LA ROSE DU LOUVRE

Une acquisition pérenne au musée du Louvre Découvrez l’œuvre dans la cour Puget, aile Richelieu Réservez sur ticketlouvre.fr – Adhérez sur amisdulouvre.fr


BILLET

UN SAMEDI SOIR AU LOUVRE par Adrien Goetz — D ir ecteur De l a

r éDaction

Les éléphants barrissent à la lueur des torches. Ils chargent. On est en pleine bataille, dans la plaine de Zama, en 202 avant J.-C. : la fin de la deuxième guerre punique. On est aussi chez Jacques d’Albon de Saint-André, maréchal de France depuis 1547, qui a voulu posséder des tapisseries copiées sur celles de François Ier, à la gloire de Scipion l’Africain, racontant ses exploits, sa jeunesse, son triomphe face à Hannibal. On est au Louvre, un samedi soir de 2020, mais en est-on bien certain ? Une étudiante de l’École du Louvre braque sa lampe sur le héros de Rome, les personnages bougent, les couleurs se révèlent dans la pénombre inhabituelle de la galerie, le rouge et l’or d’une cuirasse, un détail cocasse dans une bordure de putti… Elle parle des dessins de Giulio Romano, de la première tenture fabriquée pour le roi, de la commande faite à Bruxelles par Saint-André, de la façon dont, grâce à Louvois, les Gobelins ont exécuté ensuite une copie de ces fragiles merveilles. Dans le public, beaucoup d’enfants, un peu perdus mais émerveillés, et aussi des parents – qui n’osent pas avouer qu’ils ne savent rien de la trame des guerres puniques. Peu importe, il suffit de regarder, en faisant le tour de la salle, de tapisserie en tapisserie, pour vivre toutes ces aventures accumulées. Peut-être que les tapisseries doivent être vues ainsi, dans la pénombre, avec une lumière vacillante qui leur donne ce côté Cinémascope. La magie est là, pour tous. Les étudiants de l’École du Louvre sont bénévoles, ils attendent parfois des mois pour avoir la chance de faire partie des médiateurs choisis pour ces nouveaux événements, les « nocturnes du samedi » – qui s’ajoutent à celles qui existent depuis longtemps le mercredi et le vendredi. Beaucoup d’associations de quartier, de Paris et des villes voisines, s’organisent pour faire venir leurs adhérents, qui souvent ne connaissent pas le Louvre et ne sont même jamais venus dans un musée. Le bouche à oreille est allé très vite. Les salles ce soir-là sont largement ouvertes, la visite est libre, mais surtout on peut s’adresser à des volontaires partout dans les salles, en T-shirts bleus, capables de commenter, au débotté, La Kermesse de Rubens ou les ornements du sacre

des rois. Au coin lecture et jeux, cour Puget, les plus jeunes viennent lire des contes et des bandes dessinées, jouer au jeu de Memory géant ou à celui des expressions françaises à mettre en rapport avec des œuvres du Louvre. Ils se sentent chez eux sous la grande verrière, assis sur de grands coussins accueillants. Devant le code d’Hammurabi un puzzle géant est proposé, l’exercice serait facile s’il n’était pas au sol un peu loin de l’original, et pour le réussir il faut avoir un sens aigu de l’observation – ou d’invraisemblables rudiments de cunéiforme. Cour Marly, sur une estrade provisoire, commence un spectacle de danse contemporaine qui attire beaucoup de monde, avec des lumières oniriques – et les statues, comme les combattants de Zama, dansent avec les artistes. Dans la cour Khorsabad, un « bal du silence » est proposé. On s’inscrit, on se retrouve à deux, par hasard, avec le droit de communiquer uniquement par geste ou par écrit durant quelques minutes. Une musique s’élève, chacun peut enfin parler, mais ce qui compte est peut-être ce qui a été raconté d’abord avec les yeux, devant les chefs-d’œuvre assyriens. Le thème de cette nocturne de février était « Gestes, mots et paroles ». Elle a mobilisé de nombreux volontaires, agents de surveillance, de la direction, du service des éditions et des ateliers pédagogiques mais aussi de la logistique, des jardiniers des Tuileries venus avec leurs familles et tant d’autres encore qui aiment le contact avec leur public, des conservateurs bien sûr qui sont parfois incognito, sans leur badge, pour le plaisir d’observer comment ces visiteurs du soir vont s’approprier « leurs » œuvres favorites, quelles questions vont être posées. Le premier samedi de chaque mois devient une fête où l’on aime se retrouver, un moment apaisé pour contempler, bavarder, errer dans les salles, voyager vers l’Égypte, la Grèce, les Flandres ou l’Arabie. Parmi les thèmes des mois passés, « Monstres et merveilles » a beaucoup séduit, parce que la fantaisie permettait de mêler les époques et les civilisations. Ces festivités commencent vers six heures du soir et s’achèvent avant dix heures, les visiteurs privilégiés – il suffit de s’être inscrit sur la page facebook du musée, et c’est gratuit – repartent dans le métro et par les rues avec de nouveaux rêves en tête. 37


EXPOSITION SCULPTURE ITALIENNE DE LA RENAISSANCE / Interview

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« LA MANIÈRE MODERNE » de Donatello à Michel-Ange R ENCONTR E P ROPOS

AV EC

M A RC B OR M A ND

R ECUEILLIS PA R

VA LÉR IE C OUDIN

L’art de la Renaissance ne se résume pas à quelques créations, si exceptionnelles soient-elles, d’un petit nombre d’artistes dont les noms sont connus de tous : Donatello, Léonard de Vinci, Raphaël et Michel-Ange. Il est aussi le résultat d’un formidable bouillonnement créatif qui se propage dans toute l’Italie à partir des années 1450. En remettant en lumière le rôle joué par d’immenses sculpteurs comme Pollaiolo, Verrocchio, Tullio Lombardo, Riccio ou encore Bambaia, l’exposition porte un regard neuf sur l’une des périodes les plus intenses de la création artistique occidentale.

Antonio del Pollaiolo (1429-1498) Milon de Crotone vers 1460-1465 stuc peint et doré sur peuplier 118 x 45,6 x 30 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. 39


EXPOSITION SCULPTURE ITALIENNE DE LA RENAISSANCE / Interview

Comment avez-vous conçu cette exposition ? Marc Bormand : Le début de la réflexion remonte à l’exposition intitulée « Le Printemps de la Renaissance » organisée en 2013 par le Louvre, le Palazzo Strozzi et le musée du Bargello, centrée sur ce que furent les débuts de la Renaissance à Florence entre 1400 et 1450, l’invention d’un nouveau style par les sculpteurs comme Lorenzo Ghiberti, Donatello ou Luca della Robbia. Avec Beatrice Paolozzi Strozzi qui dirigeait alors le musée florentin, puis avec Francesca Tasso, responsable des collections du Castello Sforzesco de Milan, qui sont elles aussi commissaires de cette nouvelle exposition « Le Corps et l’Âme », nous avons élaboré ce second volet de l’histoire de la sculpture de la Renaissance qui va de 1450 jusqu’au début du XVIe siècle, et cette fois-ci élargi à l’ensemble de la Péninsule. Certes la ville de Florence conserve un rôle central mais nous voulions donner à voir un panorama de la sculpture dans d’autres villes, Bologne, Padoue, Venise, Milan, Pavie ou encore Bergame, pour n’en citer que quelques-unes. Qu’évoque le titre « Le Corps et l’Âme » ? M. B. : Pour rendre compte de la création artistique foisonnante entre 1450 et 1520 environ, et qui plus est sur un territoire géo40

graphique ample et varié, il nous fallait un fil conducteur. Le choix du titre emprunte aux travaux d’un immense historien de l’art, Aby Warburg (1866-1929), selon lequel la polarité issue de l’art classique, entre l’ethos apollinien – l’ordre, la maîtrise de soi, la mesure – opposé à son contraire, le pathos dionysiaque – l’exubérance, la force, la diversité –, est constitutive de l’art florentin de la seconde partie du Quattrocento. Nous avons recherché comment, dans le domaine de la sculpture, ces thématiques liées à l’expression à la fois du corps et de l’âme pouvaient constituer la trame principale d’une histoire qui va de ce grand maître quasi expressionniste qu’est Donatello jusqu’à la figure mythique de la sculpture de la fin du XV e siècle et du début du XVIe siècle, Michel-Ange, explorateur inégalé de la relation intime qui unit l’extérieur de la figure humaine, le corps, à son intérieur, l’âme. Comment, à partir de 1450, le nouveau style florentin s’est-il diffusé à travers l’Italie ? M. B. : Durant cette période, les artistes voyagent beaucoup. La configuration géopolitique de l’Italie de la Renaissance, une mosaïque d’États avec des régimes politiques variés, provoque une émulation intense entre tous ces centres de pouvoir en

quête de prestige et de légitimation par le moyen de l’art. Les commandes se multiplient, chaque cité cherchant à s’adjoindre les services des artistes les plus renommés. Léonard de Vinci est envoyé à Milan par Laurent le Magnifique, auprès des Sforza. Dès 1443, Donatello quitte Florence et se rend à Padoue pour réaliser la statue équestre en bronze du Gattamelata et répondre à de grandes commandes, en particulier pour la basilique Saint-Antoine. Les dix années qu’il passe dans cette ville sont déterminantes pour la diffusion dans le nord de l’Italie de cet art nouveau créé à Florence. Le sculpteur forme des élèves, des assistants. Deux d’entre eux, Bartolomeo Bellano et Bertoldo di Giovanni, l’accompagnent lorsqu’il regagne la Toscane et travaillent à ses côtés, jusqu’à sa dernière grande œuvre, les chaires de la basilique San Lorenzo à Florence, exécutées entre 1460 et 1466, considérées comme son testament artistique. Quelles œuvres de Donatello montrez-vous ? M. B. : De ce grand maître, très présent dans l’exposition, nous montrons une magnifique Crucifixion en bronze, incrustée d’argent et dorée, peuplée d’une foule de personnages et d’une richesse extraordinaire


dans le traitement des expressions, traduisant des émotions très intenses – une des caractéristiques du style de Donatello. Cette œuvre est présentée à côté d’une Lamentation sur le Christ mort, probablement exécutée pour Sienne, une de ses pièces les plus exceptionnelles. L’aspect inachevé du modelé y est d’une modernité étonnante et met également en valeur le caractère pathétique des expressions humaines, un des thèmes centraux de l’exposition. Vous donnez aussi de nombreux exemples d’appropriation d’une œuvre de l’Antiquité classique par les artistes de la Renaissance. M. B. : Pour la sculpture plus encore que pour tous les autres arts, le contact avec des œuvres antiques est fondamental, fondateur et omniprésent. Un des moments clés est celui de la découverte du Laocoon en 1506. Ce groupe sculpté en marbre, grandeur nature, est retrouvé à Rome à l’occasion de travaux sur l’Esquilin et rapidement acquis par le Pape. Des artistes comme MichelAnge ou Jacopo Sansovino assistent à la sortie de terre de cette œuvre incroyable, sans doute une copie romaine du Ier siècle d’un original grec. L’œuvre, souvent citée par les auteurs classiques, était bien connue des

érudits du XVIe siècle. Si la portée de cet événement considérable dépasse la période qui nous occupe, le Laocoon donne immédiatement lieu à des copies, des études, des interprétations comme en témoignent les sculptures, les dessins ou les peintures que nous avons rassemblées. Il est passionnant d’observer combien l’intensité des expressions de douleur et d’angoisse, dans cette œuvre profane, irrigue les thèmes sacrés, nourrit la peinture et la sculpture religieuse, par exemple dans des Flagellations du Christ. Pour quelles raisons avez-vous réuni autant de peintures et de dessins autour des sculptures ? M. B. : Dans la première moitié du XVe siècle à Florence, la sculpture est incontestablement l’art qui détermine les grandes orientations artistiques. Dans la seconde partie du siècle, la situation est plus complexe et la circulation des styles d’un art à un autre est constant. Un artiste comme Antonio del Pollaiolo par exemple n’est pas seulement sculpteur mais également peintre et graveur. Nous exposons son Hercule et Antée, un bronze provenant des collections médicéennes, brillante démonstration de la maîtrise de la force et du mouvement de deux corps engagés dans une lutte sans merci, mais aussi une de ses plus

Page de gauche Donatello (1383 ou 1386-1466) Crucifixion 1450-1455, bronze, 93 x 70 cm. Coll. musée national du Bargello, Florence. Donatello Lamentation sur le Christ mort vers 1455-1460, bronze. Coll. Victoria and Albert Museum, Londres. Ci-dessous Atelier d’Andrea Mantegna Hercule et Antée vers 1495, burin, 34 x 25,8 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. Antonio del Pollaiolo Hercule et Antée vers 1475-1480, bronze, 46 x 30 x 21 cm. Coll. musée national du Bargello, Florence.

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Cristoforo Solari (1460-1524) Christ à la colonne vers 1510-1520 marbre, 100 x 75 x 61 cm. Coll. cathédrale de Milan. Page de droite Tullio Lombardo (vers 1455-1532) Bacchus et Ariane vers 1505, marbre 56 x 71 x 20 cm. Coll. Kunsthistorisches Museum, Vienne. Michel-Ange (1475-1564) Cupidon vers 1490, marbre 84 x 33,7 x 35,6 cm. Coll. ministère de l'Europe et des Affaires étrangère, en dépôt au Metropolitan Museum, New York.

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célèbres estampes, Le Combat d’hommes nus, afin d’éclairer ces correspondances entre les différents arts. Nous montrons aussi comment Andrea Mantegna, peintre et graveur, a pu nourrir l’art des sculpteurs. Une des sections de l’exposition est consacrée aux cabinets d’études, quel était le rôle du « studiolo » ? M. B. : Lettrés, princes et aristocrates possédaient souvent un lieu d’étude, un studiolo, et s’y retiraient pour réfléchir, lire ou écrire. Ils y rassemblaient les objets anciens ou modernes qui leur étaient chers, propres à stimuler leur réflexion, parmi lesquels des sculptures. Il est intéressant de noter au passage que dans ce rapport entre l’antique et le moderne au XVe et au XVIe siècle, la différence entre une sculpture contemporaine d’après l’antique ou dans le style antique et des originaux de l’Antiquité n’était sans doute pas aussi cruciale que pour nous aujourd’hui. Quelles sculptures trouvait-on dans ces cabinets d’études ? M. B. : Autour de 1500 en Vénétie ou à Ferrare, les reliefs en marbre figurant des thèmes de la mythologie ou de l’histoire antique y sont particulièrement prisés. S’y côtoient aussi bien Cléopâtre que Mars ou Vénus, figures héroïques qui incarnent la

force d’âme ou divinités liées au thème de l’amour, représentées nues, à l’antique. Des reliefs, souvent réalisés en plusieurs exemplaires, racontent aussi une histoire du goût. L’un des grands chefs-d’œuvre que le visiteur de l’exposition aura la chance de découvrir est l’admirable Bacchus et Ariane exécuté vers 1520 par Tullio Lombardo, sans doute une des plus belles représentations de l’amour jamais sculptée. Que voudriez-vous que le visiteur retienne de cette exposition ? M. B. : Nous souhaitons avant tout enrichir son regard en montrant des œuvres d’artistes qui ont contribué à façonner cet art nouveau de la Renaissance et qui n’ont jamais été vues à Paris. Il s’agit aussi de donner quelques clefs de compréhension de l’art autour des années 1510-1520 dont les Esclaves sont une des plus brillantes réalisations. Le travail de sculpteurs comme Donatello, Bertoldo di Giovanni, Benedetto da Maiano et bien d’autres présentés dans l’exposition ont constitué le terreau à la fois intellectuel, matériel et artistique à partir duquel Michel-Ange a proposé une nouvelle synthèse artistique de ce que Vasari nommait « la manière moderne ». L’exposition bénéficie du soutien de Kinoshita Group et de Generali.

À VOIR « Le Corps et l’Âme. De Donatello à Michel-Ange. Sculptures italiennes de la Renaissance » Du 6 mai au 17 août 2020, hall Napoléon. Commissariat : Marc Bormand, conservateur général au département des Sculptures du musée du Louvre, Beatrice Paolozzi Strozzi, directrice honoraire du musée national du Bargello à Florence, et Francesca Tasso, conservatrice responsable des collections artistiques du Castello Sforzesco à Milan. En partenariat avec la Ville de Milan et les Musées du Castello Sforzesco à Milan. À LIRE Catalogue de l’exposition, Le Corps et l’Âme. De Donatello à Michel-Ange. Sculptures italiennes de la Renaissance, sous la direction de Marc Bormand, Beatrice Paolozzi Strozzi et Francesca Tasso, Musée du Louvre éditions / Officina Libraria, env. 350 ill., env. 500 p., 45 €. 43


EXPOSITION SCULPTURE ITALIENNE DE LA RENAISSANCE / Mises en scène

LA DÉPLOR ATION, UNE SCÈNE DE THÉÂTRE PA R

F R A NCESCA TA SSO

À partir des années 1450, les sculpteurs italiens ont créé de spectaculaires mises en scène de la Déploration, vouées à susciter la dévotion du spectateur. Deux d’entre elles, exemplaires, sont montrées pour la première fois en France dans le cadre de l’exposition « Le Corps et l’Âme ».

Giovanni Pietro (documenté de 1470 à 1529) et Giovanni Ambrogio Di Donati (documenté de 1480 à 1515) pour la sculpture Martino Spanzotti ? (documenté de 1455 à 1528) pour la peinture La Déploration du Christ (« Pierre de l'Onction ») 1486-1493, bois sculpté, doré et peint. Palais des musées pinacothèque de Varallo – dépôt du Sacro Monte.

L

a Déploration du Christ est composée d’un groupe de sculptures qui met en scène, comme dans une représentation théâtrale, le moment où le Christ, à peine descendu de la croix, est préparé pour être mis au tombeau. Les acteurs de ce drame, grandeur nature ou peu s’en faut, sont le Christ mort, entouré par Marie, les saintes femmes, Marie Madeleine, saint Jean l’Évangéliste, Joseph d’Arimathie – celui qui a fourni le lieu où sera enterré le Christ – et Nicodème. D’autres figures s’y ajoutent parfois, les commanditaires ou d’autres saintes femmes éplorées. 44

Au milieu du Quattrocento, la liturgie chrétienne subit une évolution, mettant l’accent de manière radicale sur la participation émotive des fidèles et sur la souffrance du Christ. À partir de ces exigences naît l’idée d’utiliser l’art pour créer des ensembles qui aident les prédicateurs à faire voir les scènes de la Passion avec un effet mimétique extrêmement impérieux. On recourt alors à la sculpture pour sa capacité à créer des figures en trois dimensions, en utilisant des matériaux, comme le bois ou la terre cuite, dont la malléabilité permet de rendre l’emphase des

gestes : l’évanouissement de la Vierge, la douleur contenue de Jean, la course désespérée de Madeleine qui est prête à se jeter sur le corps de Jésus qu’elle aime. Le modelé de la sculpture est complété par une composition peinte particulièrement réaliste, qui arrive à simuler parfaitement les carnations et la texture des vêtements. Les peintres qui accompagnent les sculpteurs dans leur travail réussissent souvent à restituer la chair livide du Christ, marquée par les blessures de la f lagellation, par les zébrures des lanières de cuir, par les marques des épines. Tout, des gestes à


Giacomo Del Maino (documenté à partir de 1459 – entre 1502 et 1505) et Giovanni Angelo Del Maino (documenté à partir de 1494 – entre 1534 et 1536) pour la sculpture, Andrea Clerici (documenté de 1494 à 1512) pour la peinture, La Déploration du Christ bois sculpté, doré et peint. Église Santa Marta, Bellano.

la technique d’exécution, doit concourir à donner l’effet d’une imitation parfaite de la réalité selon un mode profondément pathétique. Parmi les artistes qui ont créé les compositions les plus célèbres par leur intensité émotive, on retrouve Niccolò dell’Arca, auteur, entre autres, d’une Déploration en terre cuite conservée à Bologne dans l’église Santa Maria della Vita qui est considérée comme un modèle du genre. Guido Mazzoni en Émilie et Agostino de Fondulis en Lombardie sont également célèbres pour leur groupe en terre cuite. L’exposition présente deux Déplorations complètes en bois polychromé. La première est très connue en Italie du Nord : il s’agit de l’œuvre dénommée « Pierre de l’Onction », qui prend son nom du catafalque sur lequel le Christ est préparé pour être mis au tombeau, avec l’huile et les parfums. Le groupe, exécuté par Giovanni Pietro et Giovanni Ambrogio De Donati, sculpteurs milanais, provient de Varallo Sesia, où se trouve le premier et le plus ancien des Sacro Monte, complexe de chapelles qui reproduit les lieux les plus emblé-

matiques de la Terre sainte, alternative au miques et animées qui suscitent l’empathie pèlerinage réel, rendu plus difficile après la du spectateur, totalement impliqué dans la chute de l’Empire romain d’Orient en 1453. composition. Les figures sont toutes à taille Les huit figures sont de grandeur naturelle ; humaine, et même parfois un peu plus grandes, comme le les habits et les traits Le spectateur se sent alors des visages sont saint Jean. L’intensité dépeints de façon directement pris par le regard émotive sera plus réaliste, avec une tard accentuée par fascinant des figures. polychromie très Giovanni Angelo qui bien conservée permettant aux expressions réfléchira profondément sur les solutions des personnages éplorés de toucher le spec- présentées par Léonard dans la Cène de tateur, qui se sent alors directement pris par Santa Maria delle Grazie à Milan, puis dans le regard fascinant des figures. les compositions du peintre Bramantino, La Déploration provenant de l’église comme cela est visible dans les deux figures Santa Marta de Bellano sur le lac de Côme de Marie Madeleine et de saint Jean proven’est postérieure que de quelques années. nant d’une Crucifixion de la cathédrale de Les statues ont été sculptées par Giacomo et Côme. L’habileté dans la taille et la polyGiovanni Angelo Del Maino, les fondateurs chromie confèrent encore aujourd’hui une de l’atelier le plus important de la Lombardie réalité extraordinaire à ces figures. Même des Sforza. Là encore, la polychromie est hors de leur contexte d’origine, ces sculpadmirablement conservée et confère aux tures conserve toute leur capacité communifigures une ressemblance forte avec le réel, cative, qui est grande. Le spectateur restera comme s’il s’agissait d’une peinture, mais en frappé émotionnellement, comme ceux qui trois dimensions. En l’espace de dix ans, les l’ont précédé cinq cents ans plus tôt, par la sculpteurs ont modernisé la composition, véracité de la douleur de la splendide s’efforçant d’inventer des solutions – dans la Madeleine aux longs cheveux bouclés, technique du travail du bois – plus dyna- jusqu’à en tomber amoureux. 45


EXPOSITION SCULPTURE ITALIENNE DE LA RENAISSANCE / Expressions féminines

LA GR ÂCE ET LA FUREUR PA R

BE ATR ICE PAOLOZZI S TROZZI

Dans le monde antique, puis durant la Renaissance, la grâce était une prérogative des figures féminines, le sentiment opposé étant traditionnellement réservé à l’univers masculin des batailles et des combats acharnés. Cependant les artistes ne se privèrent pas de représenter leurs héroïnes en proie à la fureur. La preuve par deux chefs-d’œuvre en bronze.

C

es deux pôles extrêmes dans l’échelle des expressions qui ouvrent le parcours de l’exposition « Le Corps et l’Âme » s’incarnent à travers deux figures féminines, l’héroïne biblique Judith et, personnage de la mythologie classique, la princesse phénicienne Europe, enlevée par Zeus ayant pris l’apparence d’un taureau. Ces deux bronzes extraordinaires de l’art du Quattrocento ici confrontés déclinent un même sentiment, la fureur, sous deux modes très différents. La Judith de Pollaiolo, la tête droite, adopte une pose frontale et « classique ». Sa démarche est impétueuse et déterminée, comme le révèlent ses lourds vêtements de veuve chaste, que le vent fait cependant flotter. Son geste, on ne peut plus démonstratif, est d’une fermeté absolue et arrogante. Un de ses bras s’appuie sur le côté pour accompagner la démarche, tandis que l’autre soulève l’épée, comme s’il s’agissait d’une pique portant la tête de son ennemi Holopherne. Dans l’interprétation de Pollaiolo, Judith présente une fureur parfaitement maîtrisée et intériorisée,

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soutenue par la foi et la raison. Nous avons affaire à l’héroïne victorieuse du vice qui accomplit, en allant contre sa nature, un geste terrible mais nécessaire. Il s’agit d’une fureur qui ne s’incarne pas dans des gestes exaspérés, dans l’abandon à des instincts violents, comme c’est le cas dans les scènes de bataille du même Pollaiolo. Son message est implacable : une mise en garde contre la tyrannie et la luxure qui justif ie et même sanctifie son geste sanguinaire. À l’opposé, dans Europe enlevée par le taureau de Bartolomeo Bellano, élève de Donatello, une véritable et authentique fureur s’empare de la jeune fille, le visage bouffi par une grimace de rage et de surprise, le poing levé dans une tentative de défense farouche mais désespérée, le corps contracté par l’effort requis pour résister à l’énorme taureau qui l’entraîne, tout en essayant de conserver l’équilibre sur sa croupe. Une grande charge expressive, une force dynamique du drame en action se révèlent dans la composition du groupe, dans le puissant contrapposto qui oppose la tête du taureau à celle d’Europe dans une épreuve inégale. Même si elle est païenne, la fureur d’Europe n’en est pas moins légitime : elle démontre la résistance à la violence et à l’oppression, la défense vigoureuse de sa propre vertu et de sa propre liberté.


Dans les œuvres de la Renaissance comme déjà dans le monde antique, la présence féminine est toujours associée à un rôle bienfaisant et ne se départit jamais des qualités que sont la beauté, la grâce et la protection. Cela demeure, quand bien même les circonstances font surgir des instincts plus violents, quand la fureur prend le dessus. C’est d’ailleurs

la fureur même des ménades et des bacchantes, envahies par l’esprit divin, qui inspirera non seulement les Madeleine bouleversées des Déplorations du Christ, présentées dans la seconde partie de l’exposition, mais aussi pendant longtemps, dans l’iconographie chrétienne, la représentation de l’extase des prophétesses et des saintes.

Attribué à Bartolomeo Bellano (1437/1438-1496/1497) Le Rapt d'Europe vers 1490-1495, bronze patiné, 18 × 16.5 × 7.5 cm. Coll. musée des Beaux-Arts, Budapest. Page de gauche Antonio del Pollaiolo (1429-1498) Judith vers 1470, bronze, 50,8 x 22,9 x 10,2 cm. Coll. Institute of Arts, Detroit. Don d'Eleanor Clay Ford. 47


EXPOSITION SCULPTURE ITALIENNE DE LA RENAISSANCE / Dessous des œuvres

QUEL SENS DONNER AUX CAPTIFS DE MICHEL-ANGE ? pa r

Je a n -r ené G a bor it

Chefs-d’œuvre de la Renaissance, les Esclaves de Michel-Ange comptent parmi les plus beaux fleurons du Louvre : leur signification énigmatique a sans aucun doute contribué à l’élaboration du mythe qui les auréole.

L

e musée du Louvre conserve deux statues de marbre blanc de la main de Michel-Ange : deux figures athlétiques, entravées par de minces bandes, les Esclaves. L’un, l’Esclave mourant, est représenté en position frontale, debout, nu ; sa jambe gauche est fléchie, sa main droite touche le lien qui enserre sa poitrine ; son bras gauche est levé, la main posée en arrière de la tête. Celle-ci, inclinée vers la droite, les yeux clos, offre un calme visage, d’une beauté « apollinienne », qui vaudrait plutôt à cette figure le nom d’« Esclave endormi ». L’ensemble est travaillé avec un raffinement extrême, poli avec grand soin, sauf les parties restées inachevées au revers. Cette attitude apaisée contraste avec celle de l’Esclave rebelle : plus massif, celui-ci semble vouloir se dégager des minces liens qui le retiennent. Le pied droit surélevé sur un bloc, le mouvement de l’épaule gauche accentué par la position des mains liées derrière le dos, il se penche et relève la tête avec défi, dans un mouvement de torsion qui annonce la « ligne serpentine », caractéristique d’œuvres plus tardives de Michel-Ange. Mais le travail est ici resté inachevé. Toutefois, malgré les liens stylistiques et historiques qui les unissent, ces deux statues ne forment pas une paire. Elles étaient à l’origine destinées au monument funéraire de Jules II que ce pape avait commandé à Michel-Ange dès 1504. Dans l’histoire très longue et très complexe de cette œuvre, elles devaient, comme le montrent les projets de 1505 et 1513-1516, s’insérer à la base du tombeau, dans une série de Captifs finalement exclue du monument définitif de Saint-Pierre-aux-Liens à Rome. L’Esclave mourant fut sculpté en 1513, l’Esclave rebelle en 1514 : ils illustrent les aspects contradictoires de l’œuvre d’un artiste qui se voulut avant tout sculpteur. 48

La signif ication des deux statues du L ouv re reste cont roversée. Da ns le contexte du monument de Jules II, elles pouvaient représenter, selon les théories néo-platoniciennes alors en vogue, des hommes incapables de s’élever au niveau des idées, l’un résigné, l’autre révolté. Hypothèse contredite par les deux biog raphes de M ichel-A nge, Va sa r i et Condivi : les Captifs devaient figurer soit les provinces soumises par l’autorité pontif icale, soit les Arts aff ligés par la mort du pontife. Ces deux statues sont en France depuis des siècles : en 1546, Michel-Ange les donna à Roberto Strozzi qui les offrit dès 1547 au roi Henri II ; celui-ci en fit cadeau au connétable de Montmorency ; elles furent placées sur la façade de son château d’Écouen jusqu’en 1632. Passées aux mains de R ichelieu puis de ses héritiers, elles furent saisies à la Révolution comme biens d’émigrés ; à l’initiative d’Alexandre Lenoir, elles entrèrent au dépôt des PetitsAugustins, puis, en 1794, au Louvre. À LIRE Jean-René Gaborit, Michel-Ange : Les Esclaves, coédition Musée du Louvre / El Viso, coll. « Solo », rééd. 2020, 64 p, 9,70 €. Ci-contre Michel-Ange (1465-1564) Esclave rebelle 1513-1515 marbre, H. 215 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. Page de droite Michel-Ange Esclave mourant 1513-1515 marbre, H. 227 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.


LE SINGE Derrière les jambes de l’Esclave mourant, dans un bloc à peine dégrossi, apparaît un singe. Dans un contexte néo-platonicien, il peut être le signe d’une vie inférieure et matérielle. Mais si les Esclaves personnifient les Arts, il peut évoquer la Peinture (« la Peinture est le singe de la nature »), le bloc sous le pied droit de l’Esclave rebelle évoquant un chapiteau, donc l’Architecture. S’il s’agit des Arts libéraux, le singe, qui ressemble à un cynocéphale, serait le dieu égyptien Thot, inventeur de l’écriture, donc attribut de la Grammaire, le bloc sous le pied de l’Esclave rebelle annonçant la Géométrie. LA MAIN GAUCHE DE L’ESCLAVE MOURANT Le bras gauche de l’Esclave est levé audessus de sa tête, les doigts de sa main s’enfonçant, derrière, dans l’épaisseur de la chevelure. Le geste du bras ainsi levé est celui de nombreuses statues antiques, tels l’Apollon Lycien, l’Ariane endormie ou le Génie du repos éternel (musée du Louvre). Mais le surprenant détail des doigts enfoncés dans les cheveux, qui aurait été invisible si la statue avait été mise en place, apporte ici une étrange note de sensualité. LE VISAGE DE L’ESCLAVE REBELLE Ce visage tourmenté, relevé dans un superbe mouvement de révolte, est traversé par une longue veine bleuâtre : ce défaut, apparu au cours de l’exécution de la statue, explique pourquoi celle-ci est restée inachevée. Il trahit en effet une fissure et le sculpteur ne pouvait continuer son travail sans risquer de voir le marbre se briser…

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EXPOSITION / Albrecht Altdorfer

L’ART D’ALBRECHT ALTDORFER, MAÎTRE DE LA RENAISSANCE ALLEMANDE pa r

O li v i a S avatier SjöhOlm

Artiste majeur, au même titre que Dürer ou Cranach, mais injustement méconnu, Albrecht Altdorfer bénéficie enfin d’une première grande exposition monographique en France. Près de deux cents œuvres – peintures, dessins, gravures – rassemblées au musée du Louvre grâce, notamment, au précieux soutien de l’Albertina à Vienne, mettent en lumière sa virtuosité et son inventivité foisonnante.

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Toutes œuvres Albrecht Altdorfer (vers 1480-1538). Crucifixion vers 1513, gravure sur bois, 7,3 x 4,9 cm. Coll. musée du Louvre / collection Edmond de Rothschild, Paris. Ci-contre Saint Christophe 1512, dessin sur papier préparé, 27,2 x 15,5 cm. Coll. British Museum, Londres.

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ne invention pleine d’esprit et une extrême singularité » : c’est en ces termes que Joachim von Sandrart, le « Vasari du Nord », qualifiait en 1675 l’art d’Albrecht A ltdorfer. L’exposition qui se tient au Louvre du 23 avril au 3 août permet de mesurer la justesse des propos de celui qui fut le premier commentateur de l’œuvre du maître de Ratisbonne. Organisée en collaboration avec l’Albertina, elle ambitionne de présenter pour la première fois au public français toute la richesse et la diversité de son œuvre peint, dessiné et gravé, en le replaçant dans le contexte de la Renaissance allemande. Altdorfer en est l’un des plus grands représentants, même s’il demeure moins connu que d’autres maîtres de sa génération tels qu’Albrecht Dürer, Lucas Cranach ou Hans Baldung. Altdorfer mena depuis Ratisbonne une brillante carrière artistique dont le succès l’éleva du statut d’artisan à celui de notable, ainsi qu’en témoignent les hautes fonctions politiques qui lui furent confiées. En 1528, il dut même renoncer au mandat de bourgmestre qui lui était échu pour un trimestre, en tant que membre du Conseil intérieur de la Ville, afin de terminer une « œuvre particulière » qu’il peignait pour le duc de Bavière Guillaume I V, sans doute la Bataille d’Alexandre – le chef-d’œuvre du maître conservé à Munich. Loin d’être l’artiste provincial et naïf que l’historiographie de la

première moitié du x x e siècle s’est plu à décrire (lire encadré), Altdorfer reçut de prestigieuses commandes des plus puissants souverains. Dans les années 1512-1518, il fut avec Dürer l’un des principaux artistes employés par l’empereur Maximilien Ier pour les grandes commandes célébrant la gloire de son règne et de sa dynastie. Dans une très belle section de l’exposition seront présentées les contributions spectaculaires d’Altdorfer à ces entreprises impériales, dont l’Arc de triomphe et la Procession triomphale de Maximilien – deux « monuments de papier » gravés sur bois – mais aussi les deux trésors de la Renaissance allemande que sont le Livre de prières et les gouaches sur parchemin de la Procession triomphale, dont Besançon et l’Albertina ont exceptionnellement consenti le prêt. Les programmes de ces œuvres ambitieuses étaient élaborés par les humanistes de l’entourage de Maximilien Ier, lesquels entretenaient des liens étroits avec Ratisbonne. Altdorfer était ainsi parfaitement au fait des préoccupations qui agitaient alors les milieux érudits et artistiques. Dès le début de sa carrière, il se tenait informé grâce à l’estampe des dernières créations de ses contemporains, auxquelles il s’ingéniait à répondre peu de temps après, dans un climat d’émulation artistique. Il adopta un monogramme proche de celui de Dürer, rivalisant d’invention avec ce dernier pour l’intégrer dans ses compositions. Il avait


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EXPOSITION / Albrecht Altdorfer

Procession triomphale vers 1515 gouache sur parchemin 44,7 x 88,2 cm. Coll. Albertina, Vienne. Paysage au grand épicéa vers 1517-1520 eau-forte aquarellée 23,2 x 17,7 cm. Coll. Albertina, Vienne.

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également une remarquable connaissance de la gravure italienne de la seconde moitié du xv e et du début du xvi e siècle, en particulier des petits burins de Peregrino da Cesena ou des estampes d’après Mantegna qui restèrent une puissante source d’inspiration tout au long de sa vie. Dans la Crucifixion de la série de La Chute et la Rédemption de l’humanité, le groupe autour de la Vierge évanouie – qui revient comme u n leit mot iv da n s ses œuv res des années 1510 – dérive ainsi d’une Descente de croix d’après Mantegna. Son inventaire après décès révèle qu’il conservait dans une petite pièce « deux coffres contenant des estampes », qui devaient comprendre, outre ses propres créations, une collection de gravures allemandes et italiennes. Esprit doté d’une forte originalité, il fit preuve d’une étonnante inventivité formelle et iconographique dans les nombreux genres qu’il aborda. Il prit souvent le contre-pied des conventions visuelles, au point de compromettre la lecture du sujet, comme dans son dessin de Londres où saint Christophe nous tourne le dos – une représentation qui peut sembler presque irrévérencieuse. Ses constantes recherches pour renouveler l’iconographie traditionnelle n’affaiblissent pourtant pas l’implication émotionnelle du

spectateur, bien au contraire. Grâce à sa conception spectaculaire de la lumière et de la couleur, jointe à une véritable rhétorique spatiale, Altdorfer donne à ses représentations une intensité dramatique nouvelle, comme dans Le Christ prenant congé de sa mère. Il privilégie délibérément la puissance de l’effet à la recherche de l’harmonie, sacrifiant au besoin la correction de l’anatomie et de la perspective. Altdorfer fut un pionnier dans les genres du paysage et de l’architecture. Avec son contemporain Wolf Huber, actif dans la ville de Passau, non loin de Ratisbonne, il compte parmi les tout premiers artistes européens à exécuter des paysages et des intérieurs d’églises sans personnages. Adepte précoce de l’eau-forte, il exécuta dans cette nouvelle technique deux importantes séries, l’une de paysages, l’autre de modèles d’orfèvrerie. La rareté des exemplaires conservés laisse penser qu’elles étaient destinées à un public d’amateurs et de collectionneurs, ce que tend à confirmer la mise en couleur de certaines épreuves comme le Paysage au grand épicéa de l’Albertina. Il est intéressant de constater à quel point Altdorfer sut tirer parti des possibilités offertes par le marché émergent des œuvres sur papier. Il y occupa une place


laissée vacante par Dürer, en se spécialisant dès le début de sa carrière dans les gravures au format extrêmement réduit, mais aussi dans les dessins autonomes en clair-obscur sur des papiers préparés de couleurs variées, dont il organisa lui-même la production de répliques au sein de son atelier. Son œuvre gravé fécond et novateur lui assura une importante fortune artistique. De son vivant, nombre de ses compositions furent rapidement reprises par des peintres, graveurs, sculpteurs, enlumineurs et orfèvres, de la Basse-Autriche à la Pologne et à la France en passant par la ville voisine de Nuremberg. Au siècle suivant, des artistes aussi éminents que Rembrandt s’inspiraient encore de ses estampes, avant que la redécouverte de son œuvre peint au tournant des xixe et xxe siècle nourrisse l’art de toute une génération de peintres allemands autour d’Otto Dix.

À VOIR « Albrecht Altdorfer. Maître de la Renaissance allemande » du 23 avril au 3 août 2020. Commissariat : Hélène Grollemund, chargée de collection au département des Arts graphiques, Séverine Lepape, directrice du musée de Cluny, et Olivia Savatier Sjöholm, conservatrice au département des Arts graphiques au Louvre. À LIRE Catalogue de l’exposition, Albrecht Altdorfer. Maître de la Renaissance allemande, sous la direction d’Hélène Grollemund, Séverine Lepape et Olivia Savatier Sjöholm, coédition Musée du Louvre / Liénart, 275 ill., 384 p, 39 €. Le Christ prenant congé de sa mère vers 1518-1520 huile sur panneau de tilleul, 141 x 111 cm. Coll. National Gallery, Londres.

POUR EN FINIR AVEC L’« ÉCOLE DU DANUBE » Dans la première moitié du xxe siècle, l’art d’Altdorfer fut mis au service d’une idéologie nationaliste qui trouva son apogée sous le IIIe Reich. La première exposition consacrée à l’artiste eut lieu en 1938 à Munich au moment de l’Anschluss. La préface du catalogue prêtait une justification historique à cette annexion, en présentant le maître de Ratisbonne comme le chef de file d’une « école du Danube » dont le berceau se serait trouvé en Autriche. Caractérisé par la primauté accordée au paysage et par l’autonomie de la ligne expressive, le « style danubien » était alors considéré comme l’expression populaire du terroir et du sang bavarois. Altdorfer était décrit comme un artiste spontané et ingénu, un garçon attaché à son pays natal, en communion avec la nature, un « enfant de la forêt ». Ce « conte autrichien » – comme le qualifie Pierre Vaisse, spécialiste de l’historiographie de l’« école du Danube » – perdura bien après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le temps que disparaisse peu à peu la génération d’historiens de l’art qui l’avait écrit. Son manque de cohérence stylistique et géographique le voua ensuite à un rapide déclin.

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ENCYCLOPÉDIE DES COLLECTIONS / Les diamants de la Couronne

Des trésors

qui racontent l’histoire de la France Par a nne Dion-Tenenbaum – r ePorTage PhoTo m arTin a rgyroglo

D’où viennent ces pièces historiques dont les noms font rêver : le Régent, l’Hortensia, la Côte-de-Bretagne, le Sancy ? Les visiteurs de la galerie d’Apollon ne soupçonnent pas toujours les péripéties qui ont permis aux « diamants de la Couronne » de parvenir sous leurs yeux, dans la lumière parfaite de leurs nouvelles vitrines. Au premier plan François Kramer (1825-1903) Grand nœud de corsage de l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III 1855 et 1864 2 438 diamants brillantés et 196 roses, argent doublé or. Collection des diamants de la Couronne. Toutes œuvres : coll. musée du Louvre, Paris. Galerie d’Apollon aile Denon, 1er étage, salle 705. 54


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ENCYCLOPÉDIE DES COLLECTIONS / Les diamants de la Couronne

D

epuis 1889, les joyaux et les célèbres « diamants de la Couronne » – qui ne sont pas que des diamants – sont présentés dans la galerie d’Apollon. Ce décor de style Louis XIV, qui avait été restauré et complété sous la direction de l’architecte Félix Duban sous le Second Empire, s’était immédiatement imposé à la commission chargée d’étudier au moment de la très républicaine vente aux enchères de 1887 les conditions d’exposition des « diamants » qui avaient été réservés pour le musée du Louvre. Ils avaient rejoint dans la galerie les gemmes de Louis XIV, qui y étaient présentées depuis 1861, et des œuvres provenant du « musée des Souverains », créé au Louvre en 1852 et fermé en 1872. Edmond Guillaume (1826-1894), architecte en chef du Louvre et des Tuileries depuis 1881, fut chargé en 1887 de concevoir deux vitrines, l’une pour les diamants et l’autre, selon la suggestion d’Edmond Saglio (1828-1911), qui était à la tête du département de la Sculpture et des Objets d’art depuis 1879, pour les ornements ayant servi au sacre, ce qu’il est aujourd’hui coutume d’appeler les regalia. Il peut paraître

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paradoxal que la jeune république vende les diamants de la Couronne, symboles d’une monarchie que l’on veut à jamais effacer et éviter, mais charge dans le même temps les diamants conservés d’une signification clairement royale, en les exposant en pendant des regalia. Cette exposition au milieu des gemmes de Louis XIV leur conférait une valeur patrimoniale et les faisait entrer dans une histoire révolue, appartenant à tous les Français. Le grand monogramme R F, arboré sur les deux faces de la vitrine, dissipe d’ailleurs toute ambiguïté – cette vitrine abrite désormais quelques écrins des joyaux exposés dans les nouvelles vitrines qui viennent d’être installées. La loi d’aliénation de décembre 1886, permettant la vente des joyaux, en avait en effet réservé certains pour le musée : le grand rubis chimère, le Régent, l’Hortensia, la broche reliquaire, la montre du dey d’A lger, l’épée militaire, l’éléphant de Danemark et le dragon de perle et d’émail. Les critères de sélection étaient parfois erronés ou peuvent sembler étranges, mais ces œuvres ont été ainsi préservées. Les experts d’alors étaient probablement qualifiés pour

l’estimation des pierres mais peu compétents sur leur histoire. Germain Bapst, qui publie en 1889 son Histoire des joyaux de la couronne de France, très hostile à cette vente contre laquelle il s’était battu, n’avait pas voulu être mêlé à ces préparatifs. La folle histoire du rubis chimère Le plus ancien des joyaux retenus est ce que la commission d’aliénation dénomme le grand rubis chimère, c’est-à-dire le spinelle dit Côte-de-Bretagne, à l’histoire fort mouvementée. Il s’agit de l’un des huit joyaux royaux sélectionnés par le roi François Ier le 15 juin 1530 lors de l’instauration de la collection des joyaux de la Couronne, qui devaient demeurer inaliénables. Il y eut certes des entorses multiples à cette inaliénabilité, mais le principe d’un trésor dont chaque souverain français avait en quelque sorte le simple usufruit perdura jusqu’à la fin du Second Empire. François Ier possédait cette gemme grâce à sa première épouse Claude de France (1499-1524), qui l’avait elle-même héritée de sa mère Anne de Bretagne, qui la tenait de sa propre mère, la duchesse de Bretagne Marguerite de Foix


Page de gauche de gauche à droite Diamant, dit le Grand Sancy, fin xvie siècle 55,232 carats métriques. Diamant, dit le Régent taillé entre 1703 et 1705 140,64 carats métriques. Diamant rose à cinq pans, dit l’Hortensia xviiie siècle 21,32 carats métriques. Ci-dessous Spinelle, dit le Côte-de-Bretagne xv e siècle, retaille en 1749 107,88 carats métriques.

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ENCYCLOPÉDIE DES COLLECTIONS / Les diamants de la Couronne

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(morte en 1486). Cette origine bretonne lui vaut son nom. En 1749, Louis XV la fit tailler par Jacques Guay (1711-1793) en forme de dragon, pour être montée sur l’insigne de l’ordre de la Toison d’or de sa « parure de couleur », ce qui l’amputa de la moitié de sa taille. Cet insigne disparut lors du tristement célèbre vol des diamants de la Couronne au Garde-Meuble en 1792, et seul le spinelle put être finalement racheté par le comte de Provence, futur Louis XVIII, alors en exil. C’est à son décès que le dragon fit enfin retour aux diamants de la Couronne. Le choix du Régent n’engendra aucune discussion. Son poids (plus de 140 carats), sa pureté et sa taille l’avaient distingué à travers les règnes comme le fleuron des collections françaises. Le diamant brut avait été découvert en 1698 dans la région de Golconde (Inde) et fut acheté fin 1701 par Thomas Pitt, gouverneur du fort SaintGeorges à Madras, qui le f it parvenir à Londres en 1702. Il fut confié au lapidaire Joseph Cope, qui y travailla de 1703 à 1705. C’était alors le plus grand diamant incolore taillé en brillant. Le 6 juin 1717, le régent Philippe d’Orléans f it décider son achat pour deux millions de livres françaises. Saint-Simon s’en attribue un peu facilement le mérite : « Je m’applaudis beaucoup d’avoir résolu le régent à une emplette si illustre. » Le diamant prit alors le nom du Régent. Chaque souverain l’arbore : le jeune Louis XV sur un nœud d’épaule pour la réception de l’ambassade de Turquie en 1721, puis sur la couronne du sacre en 1722, Louis X V I sur sa couronne, Napoléon, plus martialement, sur son épée consulaire puis sur un glaive, Charles X, renouant avec la tradition, sur sa couronne. Il est serti en dernier lieu sur deux versions successives d’un diadème à la grecque pour l’impératrice Eugénie en 1856 et en 1864. La couronne de Louis XV (garnie depuis le xviii e siècle de pierres fausses) est désormais présentée de manière à pouvoir l’embrasser du regard en même temps que le Régent et le Sancy qui la garnissaient à l’origine.

La quête des mazarins Le diamant qui, sous le Premier Empire, s’appelait Hortensia en raison de sa couleur, est attribué au Louvre en tant que « mazarin » – provenant de l’héritage du cardinal qui avait légué en 1661 à Louis XIV dixhuit superbes diamants qui, à sa demande, avaient pris son nom. La commission d’experts de 1882 avait cru discerner sept mazarins dans la collection qui lui était soumise, alors qu’elle ne comprenait que le « grand

Jacques Évrard Bapst (1771-1842) Insigne de l’ordre de l’Éléphant au monogramme de Frédéric VI, roi de Danemark 1822, or émaillé, diamants, rubis. Page de gauche Augustin Duflos (vers 1700-1786) et Claude Rondé (1666-1733), Couronne de Louis XV 1722, argent partiellement doré, fac-similés des pierres d’origine, satin. Plaque de l’ordre du Saint-Esprit vers 1750, 400 diamants brillantés et rubis montés sur argent. 59


Vue de la galerie d’Apollon avec ses trois nouvelles vitrines.

mazarin ». Il fut décidé par l’Assemblée nationale de n’en conserver qu’un seul pour le Louvre. L’embarras des experts de 1887 appelés à trancher est manifeste. Le choix se porta sur un « brillant fleur de pêcher » qui ornait le sommet du somptueux peigne à pampilles de l’impératrice Eugénie. S’il ne s’agissait en réalité pas d’un mazarin, cette décision permit de faire échapper à la vente le diamant rose à cinq pans qui avait été porté en f leuron de boutonnière par Louis XIV, et plus tard en ganse d’épaulette par Napoléon Ier. On pourrait supposer que la broche-reliquaire a été choisie parce qu’elle rassemblait des diamants historiques, les dix-septième et dix-huitième mazarins, qui sont les deux roses brunes en forme de cœur, montées en ailes de papillon, et, plus bas, le diamant en amande, qui avait été le quatrième bouton

POURQUOI DE NOUVELLES VITRINES DANS LA GALERIE D’APOLLON ? La vitrine créée en 1985 par le décorateur Daniel Pasgrimaud sur le modèle de la vitrine historique ne suffisait plus à contenir les diamants et bijoux de la Couronne acquis ces dernières années. Une nouvelle vitrine avait dû être créée à proximité des appartements Napoléon III, où étaient exposés depuis quelques années les bijoux de l’impératrice Eugénie. Cette situation n’était pas satisfaisante, et l’objet premier des réaménagements menés depuis le mois de mars 2019 dans la galerie d’Apollon était d’y réunir à nouveau ces joyaux. Trois nouvelles vitrines, d’un modèle contemporain mais d’une discrète sobriété, ont été dessinées par Juan-Felipe Alarcòn. La répartition suit une chronologie claire : l’Ancien Régime, la première moitié du xix e siècle et le Second Empire. Ces vitrines répondent à toutes les conditions nécessaires de climat et de sécurité. La transparence du verre, l’absence de mise à distance et la qualité de l’éclairage créent une proximité nouvelle avec les joyaux.

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ENCYCLOPÉDIE DES COLLECTIONS / Les diamants de la Couronne

François Régnault Nitot (1779-1853) Collier et boucles d’oreilles de la parure d’émeraudes de l’impératrice MarieLouise, seconde épouse de Napoléon Ier 1810 Collier : 32 émeraudes dont 10 en poire, 1138 diamants, or, argent. Boucles d’oreilles : 6 émeraudes, 108 diamants, or, argent.

de justaucorps de Louis XIV. Or, si la commission d’expertise de 1882 repère bien la taille ancienne de ces diamants (qu’elle date de 1476 !), ils ne sont pas identifiés comme mazarins, et cette broche, créée par Paul Alfred et Christophe Frédéric Bapst en 1855 pour l’impératrice Eugénie dans un style néo-rocaille, passe alors pour un véritable bijou de l’époque de Louis XV. Le dragon au corps en perle baroque, répertorié dans l’inventaire des diamants de 1811 parmi les perles, est un petit bijou de la fin de la Renaissance, peut-être saisi dans les biens des émigrés ; il est retenu pour la qualité de son émail. Le critère est le même pour l’éléphant de Danemark, ordre danois décerné par le roi Frédéric VI à Louis X VIII, qui avait commandé un insigne enrichi de diamants à son joaillier Jacques Évrard Bapst en 1822. Ces deux bijoux n’étaient d’ailleurs pas porteurs d’importants diamants, de même que la montre du dey d’Alger, qui passait pour un présent à Louis XIV ! Il faut attendre le xx e siècle pour que s’ajoutent à ces pièces historiques de nouvelles acquisitions. Ces enrichissements outrepassent parfois la définition stricte de « diamant de la 62

Couronne ». Il peut s’agir d’équivalents de bijoux qui ont appartenu aux souverains français, ou encore de pièces qui leur appartenaient en propre et n’étaient pas inscrites sur l’inventaire des joyaux inaliénables. La plaque de l’ordre du Saint-Esprit acquise en 1951 entre dans la première catégorie. Elle a été offerte par Louis XV à un duc de Parme, qu’il s’agisse de son gendre, l’infant Philippe, chevalier de l’ordre en 1736, ou de son petit-fils, l’infant Ferdinand, futur duc de Parme, chevalier de l’ordre en 1762. Cette plaque rappelle celle de la parure de diamants de Louis XV dite parure blanche, créée vers 1750 par le joaillier de la Couronne Pierre André Jacqmin et connue par les archives. En 1973, entrent grâce à la générosité de Claude Menier des boucles d’oreilles en perles poire provenant de la famille des Leuchtenberg qui descend d’Eugène de Beauharnais. Selon la tradition, il s’agirait d’un cadeau de l’impératrice Joséphine à son fils Eugène, ou plus vraisemblablement à sa belle-fille Auguste Amalie de Bavière. Le même donateur lègue une paire de bracelets en rubis et diamants de la duchesse d’Angoulême. En 1816, Paul Nicolas Ménière, joaillier de la Couronne, est chargé de remonter pour la duchesse d’Angoulême la parure de rubis d’Orient et

LES RUBIS DE LA DUCHESSE D’ANGOULÊME La dernière des acquisitions effectuée en 2019 est une plaque de ceinture de la duchesse d’Angoulême. En mai 1816, la parure de rubis et diamants livrée à l’impératrice Marie-Louise en 1811 par le joaillier François Régnault Nitot est démontée par le joaillier de la Couronne, Paul Nicolas Ménière pour créer une nouvelle parure pour Madame Royale. Tel était en effet le sort de ces diamants et pierres précieuses des collections de la Couronne que d’être sans cesse montés et démontés au gré des besoins de la famille royale. Marie-Thérèse Charlotte de France, duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, nièce de Louis XVIII, est, en l’absence de reine, la seule princesse de cette cour, et elle doit en représenter dignement l’apparat. La parure de 1816 est modifiée à plusieurs reprises sous la Restauration : les bracelets en 1825, le peigne et la ceinture en novembre 1827. Lors de la vente des diamants de la Couronne en 1887, les vingt-cinq plaques de la ceinture sont vendues en lots distincts.


Jacques Évrard Bapst et Christophe Frédéric Bapst (1789-1870) Diadème de la duchesse d’Angoulême, nièce de Louis XVIII 1819-1820, 40 émeraudes, 1 031 diamants brillantés, argent doublé d’or. Jacques Évrard Bapst et Christophe Frédéric Bapst Plaque de ceinture de la duchesse d’Angoulême 1 827, 3 rubis, 74 diamants, or. Paul Nicolas Ménière (1746-1826) et Jacques Évrard Bapst Paire de bracelets de la duchesse d’Angoulême 1816 et 1825 72 rubis, 420 diamants brillantés, or, argent. 63


ENCYCLOPÉDIE DES COLLECTIONS / Les diamants de la Couronne

diamants de l’impératrice Marie-Louise. La parure est plusieurs fois modifiée sous la Restauration. En 1825, à l’occasion du sacre de Charles X, les bracelets sont élargis par l’ajout de chaînettes de rubis et diamants, que maintiennent deux larges plaques au centre et au niveau du fermoir.

Alexandre Gabriel Lemonnier (1808-1884) Couronne de haut de tête de l’impératrice Eugénie 1855, 2 490 diamants, 56 émeraudes. Jean-Baptiste Nicolas Gouverneur (vers 1798-1859) Écrin de la couronne de l’impératrice chagrin (cuir) frappé aux armes impériales.

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Le Sancy entre au Louvre L’année 1976 est marquée par deux événements, l’un malheureux, le vol de l’épée de Charles X, et l’autre heureux, l’acquisition de l’un des dix-huit mazarins, l’illustre Sancy. Il tient son nom de son premier propriétaire attesté en 1586, Nicolas Harlay de S a nc y, s u r i ntend a nt de s F i n a nc e s d’Henri IV de 1594 à 1599, qui le vend au roi d’Angleterre Jacques Ier en 1604. Sa belle-fille Henriette Marie de France, reine d’Angleterre, le cède au cardinal Mazarin en 1657, qui le lègue donc au roi en 1661. Il est utilisé sur les couronnes de Louis XV, ou sur un collier de la jeune reine Marie Leczinska. Volé au Garde-Meuble en 1792, retrouvé en 1794, il est mis en gage sous le Directoire et ne réintègre pas les collections

des diamants de la Couronne. Charles X décline l’offre qui lui en est faite en 1828. À partir du milieu des années 1980, les enrichissements s’accélèrent. Pour la Restauration, le Louvre s’enrichit en 2002 du grand diadème en émeraudes et brillants de la duchesse d’Angoulême. En 1985, la parure personnelle de saphirs et diamants de la reine Marie-Amélie vient illustrer la période de la monarchie de Juillet, durant laquelle le souverain s’abstint d’utiliser les diamants de la Couronne. Les joyaux d’Eugénie Par la suite, l’opportunité s’offre d’acquérir plusieurs joyaux de l’impératrice Eugénie. En avril 1853, peu après le mariage impérial, Alexandre Gabriel Lemonnier, bientôt nommé joaillier de la Couronne, est chargé de créer trois bijoux avec des perles et diamants des collections, dont le grand diadème offert par la Société des Amis du Louvre en 1992. De nombreux bijoux et parures sont créés en vue de l’Exposition universelle de 1855. Il s’agissait à la fois de rivaliser avec l’Angleterre, qui avait exposé


en 1851 le Koh-i-Noor, et de démontrer l’excellence de la joaillerie française. De ces bijoux de 1855, le Louvre peut désormais montrer, outre la broche reliquaire de la maison Bapst, la petite couronne de haut de tête de l’impératrice, par Lemonnier, acquise en 1988. Eugénie porte cette couronne et le diadème de perles sur son portrait officiel par Winterhalter en 1855. La couronne en or, rehaussée d’émeraudes et de diamants, est la seule couronne de souverains français à nous être par venue intacte ; elle fut par chance rendue à Eugénie en 1875 lors des négociations sur la liquidation de la liste civile, ce qui lui épargna

la destruction dont fut victime celle de l’empereur en 1887. Deux bijoux témoignent par ailleurs du talent de François K ramer, originaire de Cologne, qui fut choisi comme joaillier de l’impératrice. En 1855, il fut chargé d’une extraordinaire ceinture de diamants et de quatre broches de perles et diamants. La ceinture fut adaptée en 1864 en un spectaculaire devant de corsage, imitant la passementerie, qui est l’une des plus frappantes acquisitions de ces dernières années (2008). Quant à la broche d’épaule, acquise en 2015, elle avait été conçue pour s’assortir au diadème de Lemonnier de 1853.

LA VENTE DE 1887 La loi d’aliénation des diamants de la Couronne, votée par l’Assemblée le 10 décembre 1886, fut promulguée le 11 janvier 1887. En gestation depuis de nombreuses années, elle était portée par le député de la gauche républicaine Benjamin Raspail, qui avait déposé un projet de loi dès juin 1878. La crainte de faire de ces diamants des « pierres d’attente pour une restauration monarchique » conduit à conclure en faveur de l’aliénation, mais on s’affronta sur la proportion des pierres et bijoux à préserver pour le

Ci-dessus, à gauche Diadème de la reine Marie-Amélie, épouse du roi des Français Louis-Philippe vers 1810-1825, 24 saphirs, 1 083 diamants, or, argent. Ci-dessus, à droite Alexandre Gabriel Lemonnier (1808-1884) Diadème de l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III 1853, 212 perles, 1 998 diamants, argent doublé or.

En 2019, la rénovation de la galerie d’Apollon a été rendue possible grâce au mécénat de la maison Cartier.

Louvre ou le Muséum, et sur l’emploi du produit de la vente, au profit d’une caisse pour les invalides du travail, ou bien d’une caisse pour les musées nationaux. La loi définit trois groupes d’œuvres qui ne seraient pas vendues : celles destinées au Louvre, celles pour le Muséum (ou l’École des mines), et enfin les œuvres à fondre, à savoir les glaives du dauphin et de Louis XVIII et la couronne de Napoléon III. La vente se déroula dans la salle des États du Louvre, du 12 au 23 mai 1887. Depuis, les musées s’efforcent de racheter à grand prix les quelques bijoux encore préservés !

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HISTOIRE DU LOUVRE / La galerie d’Apollon

Vue de la galerie d’Apollon, aile Denon, niveau 1, salle 705. Ci-dessous Thomas Regnaudin (1622-1706), Renommées tenant les armes de France et de Navarre, 1663-1666, stuc. Coll. musée du Louvre, Paris.

APOLLON S’EST FAIT ATTENDRE pa r

Va lér ie C a r pentier-Va nh aV er bek e

Commencée sous Louis XIV, la galerie d’Apollon, où Delacroix peignit le triomphe du dieu grec sur le serpent Python, raconte l’histoire du grand décor français. C’est peut-être là que les visiteurs peuvent aisément comprendre comment le palais est devenu musée.

L

a galer ie d’A pol lon, témoignage unique de l’histoire pa lat ia le du Louvre, invite le visiteur à imaginer le début du règne de Louis XIV, période où le jeune souverain, au lendemain de la Fronde, réside au palais. Le 6 février 1661, un incendie destructeur, lié à la mise en place d’un décor pour un ballet en l’honneur du roi, ravage en quelques heures la Petite Galerie, perpendiculaire à la Seine,

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qui avait été somptueusement ornée, à l’étage, sous le règne d’Henri IV. Après cette catastrophe, la reconstruction est aussitôt décidée par Louis XIV et entreprise sous la direction de l’architecte Louis Le Vau, qui avait déjà travaillé dans les années précédentes aux appartements royaux. Gros œuvre, façades, élargissement et réfection de la couverture sont rapidement achevés.

Charles Le Brun, premier peintre du roi, est chargé de concevoir un décor entièrement nouveau pour la galerie, ainsi que d’en superviser la réalisation à partir de 1663, à la tête d’une grande équipe d’artistes. La galerie, sur le thème du Soleil, associé de manière alors nouvelle à la personne du roi Louis XI V, constitue un des premiers grands décors du règne, bien avant les ors versaillais et, à ce titre, forme un jalon dans l’histoire de l’iconographie monarchique. La voûte est ornée en son centre de compartiments peints évoquant la course du soleil, de L’Aurore à La Nuit, la partie centrale étant prévue pour un tableau représentant le soleil au zénith, esquissé par Charles Le Brun. Des grotesques ornant les caissons d’où pendaient des lustres évoquent par divers symboles les jours de la semaine. À la base de la voûte, sur les deux côtés, des médaillons peints représentent les mois de l’année, tandis que les saisons sont prévues pour prendre place dans quatre grands compartiments. Plusieurs peintres interviennent pour ce riche décor, Charles Le Brun se réservant certaines des compositions principales du sommet de la voûte, Le Soir et La Nuit, dans la moitié nord de la galerie, ainsi que la scène du Triomphe de Neptune, sur le tympan sud. Jacques Gervaise exécute notamment entre 1667 et 1670 la majorité des médaillons des travaux des mois, et Jean-Baptiste Monnoyer, réputé pour ses motifs floraux, intervient en divers endroits,


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HISTOIRE DU LOUVRE / La galerie d’Apollon

participant au foisonnement ornemental. Plusieurs peintures, dont la scène centrale, ne sont pas encore exécutées lors de l’arrêt du chantier en 1677 : tout l’intérêt du roi se porte désormais vers Versailles. 68

Le décor sculpté est extrêmement important dans la structuration de la galerie et a précédé l’exécution des peintures : réalisé en trois ans, il est achevé dès 1666. Quatre artistes appartenant à la même génération, nés dans les années 1620, se partagent la réalisation des stucs, en quatre zones géographiques bien distinctes, pour plus d’eff icacité : François Girardon, alors au début de sa grande carrière, au sud, avec Thomas Regnaudin, les frères Gaspard et Balthazar Marsy au nord. Des variantes stylistiques signalent la personnalité de chaque sculpteur, pour qui observe attentivement les stucs, ce qui ne nuit en rien à l’harmonie de l’ensemble. Les nombreuses figures qui encadrent les compartiments et prennent place près des corniches, concourent à la riche iconographie solaire : des figures ailées, soutenant des guirlandes, représentent notamment les douze heures de la journée. Les figures allongées sont les Muses, compagnes d’Apollon sur le Parnasse, et les captifs ornant les angles symbolisent les quatre continents que parcourt l’astre dans sa course journalière : autant d’éléments iconographiques pouvant s’interpréter, au-delà de l’univers mythologique, comme des messages politiques, glorifiant le roi de guerre, le roi mécène et la prospérité de


son royaume en toutes saisons. Lambris ornés, gra nds cabinets exécutés pa r Domenico Cucci et Pierre Gole, et tapis de la Savonnerie livrés en 1667, répondant aux riches motifs de la voûte, complétaient ce décor total, soigneusement orchestré par Le Brun, mais resté inachevé. En 1763, la galerie, avec ses vastes volumes, fait partie des locaux attribués au Louvre à l’Académie royale de peinture et de sculpture et accueille notamment l’École des élèves protégés. Plusieurs des scènes manquantes de la voûte sont alors données comme morceaux de réception à des peintres, à l’initiative du directeur de l’institution. C’est ainsi que JeanHugues Taraval en 1769, Louis Durameau en 1774, Jean-Jacques Lagrenée le Jeune en 1775 et Antoine François Callet en 1780 exécutent les saisons, puis Antoine Renou en 1781 L’Étoile du matin. La galerie reste cependant inachevée, la composition centrale est toujours manquante lorsque éclate la Révolution française. En 1797, la galerie d’Apollon, qui avait servi de lieu de stockage de moulages et d’atelier de restauration, devient un espace d’exposition

important pour le Muséum central des arts. Elle accueille notamment des dessins, comme on peut le voir sur un dessin à la plume, encre brune et lavis de Constant Bourgeois. Son extrémité nord est alors close par de superbes grilles en fer forgé provenant du château de Maisons, datant du xViie siècle. Diverses présentations se succèdent, œuvres antiques, objets d’art de l’époque moderne, mais aussi par exemple les Esclaves de Michel-Ange, qui y sont présentés de 1814 à 1817. Cependant les expositions cessent en 1825, devant la dangerosité de la galerie, qui nécessite une restauration. L’architecte Fontaine n’en fera que l’étayement d’urgence. Le décor menace ruine. Sous la IIe République, l’architecte Félix Duban, qui entreprend de très grands chantiers de restauration dans cette partie dite du Vieux Louvre, intervient dans la galerie d’Apollon à partir de 1850. Il fait restaurer les peintures et stucs existants, en respectant de manière remarquable les éléments anciens et fait compléter le décor de boiseries. À partir des esquisses de Le Brun, il commande les scènes manquantes de L’Aurore au peintre Charles Louis Muller, et du Triomphe de

Cybèle à Joseph Guichard, mais surtout confie la scène centrale, de douze mètres d’envergure, à Eugène Delacroix. Ce dernier peint Apollon vainqueur du serpent Python, véritable manifeste du romantisme, et donne alors une tonalité nouvelle à l’ensemble de la galerie dont la voûte est ainsi enfin achevée, deux siècles après l’incendie de la Petite Galerie. En 1851, le lieu est de nouveau ouvert au public. Le décor des murs est également complété, avec l’exécution, achevée en 1863, d’une série de vingt-huit tapisseries des Gobelins représentant les portraits des grands artistes qui ont travaillé au Louvre, et de certains souverains dont le règne marqua l’histoire du palais : Philippe Auguste, François Ier, Louis XIV et Napoléon III (remplacé à la fin du siècle par Henri IV). Dès lors, la fonction muséale de la galerie est définitivement acquise et le lieu abrite, tel un splendide écrin, les précieuses collections d’émaux, d’orfèvrerie et les gemmes. La rénovation de la galerie d’Apollon a été rendue possible grâce au mécénat de la Maison Cartier. Ci-contre Eugène Delacroix (1798-1863) Apollon vainqueur du serpent Python 1850-1851 huile sur toile marouflée, 800 x 750 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. Page de gauche Charles Le Brun (1619-1690) Le Triomphe de Neptune huile sur toile marouflée 310 x 511 cm et François Girardon (1619-1690), Le Fleuve stuc, 1663-1667. Coll. musée du Louvre, Paris. Constant Bourgeois (1767-1841) La Galerie Apollon au Louvre avec l’exposition des dessins vers 1802-1815 encre noire, lavis brun et plume, 33,6 x 44 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

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ARTS GRAPHIQUES / Feux d’artifice

FEUX DE PAPIER pa r

Victor Hu ndsbuck ler

Le département des Arts graphiques du Louvre conserve un précieux carnet, témoin d’un art très prisé sous l’Ancien Régime : le feu d’artifice, moment très attendu de toute grande célébration officielle.

I

l est parfois diff icile de juger de certaines formes d’art des siècles passés, même lorsqu’elles y ont atteint leur sommet. Ceci vaut particulièrement pour les feux d’artifice, créations éphémères, dont l’achèvement va de pair avec la destruction, et pou r lesquels t rès peu de t races demeurent. À la cour de Versailles, la fin du règne de Louis XV marque sans conteste un moment d’apogée de l’art pyrotechnique. En 1770, 1771 et 1773, le roi marie ses trois petits-f ils. Le dauphin d’abord – futur Louis X V I –, ses deux frères ensuite, le comte de Provence et le comte d’A r tois, les f ut u rs L ou is X V I I I et Charles X. Pour chacune de ces occasions, un feu d’artif ice nouveau est ordonné. C’est cependant du seul feu de 1771 qu’est resté tout un ensemble de dessins. Le Louvre en conserve près de la moitié, reliée dans un album aussi somptueux que mystérieux, tant sont nombreuses les questions que pose sa consultation. Il y a en premier lieu le mystère du sujet retenu. Ceci, eu égard à l’article « Feux d’artifice » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert où on lit : « Il est dans la nature de la chose même, que tout spectacle représente quelque chose : or on ne représente rien dans ces occasions, lorsqu’on ne peint que des objets sans action ; le mouvement de la fusée la plus brillante, si elle n’a point de but fixe, ne montre qu’une traînée de feu qui se perd dans les airs. » Les feux de 1770 et 1773 se conforment parfaitement à ce principe. Le premier crée une allégorie assez transparente en représentant un temple de l’Hymen. Le second se veut feu pantomime et suit, sous le titre des Forges de Vulcain, un véritable argument dramatique. Les motivations du feu tiré pour le mariage du comte de Provence en revanche sont moins clairement affichées, car politiques. Tel que nous l’apprennent dessins 70

et témoignages contemporains, elles participent en plein de ce combat pour l’opin ion que mène l’absolut isme roya l déstabilisé par l’une des plus graves crises politiques de l’Ancien Régime, la fronde parlementaire de 1771.

Il y a ensuite le « code crypté » d’un mode graphique allusif et normalisé qui permet aux dessins d’aborder leur très fugace objet. Ici les traités de pyrotechnie servent à l’enquête et aident tout à la fois à identifier les pièces d’artifice représentées et à comprendre leur


Ci-contre D’après Torré, Morel et Seguin, artificiers du roi Suite et fin du bouquet Album présentant le projet du feu d’artifice tiré à Versailles le 15 mai 1771 à l’occasion du mariage du comte de Provence, folio 13 dessiné au recto. Coll. musée du Louvre, Paris. Ci-dessous D’après Torré, Morel et Seguin, artificiers du roi Projet pour le feu d’artifice du mariage du comte de Provence : premier coup Album présentant le projet du feu d’artifice tiré à Versailles le 15 mai 1771 à l’occasion du mariage du comte de Provence, folio 2 dessiné au recto. Coll. musée du Louvre, Paris.

À VOIR / À ENTENDRE « Petits théâtres du sublime : les dessins du feu d’artifice tiré pour le mariage du comte de Provence, à Versailles le 15 mai 1771 », conférence de Victor Hundsbuckler le 26 mars à 12h30 à l’auditorium du Louvre. À LIRE Victor Hundsbuckler, Projet de feu d’artifice tiré à Versailles, le 15 mai 1771, coédition Musée du Louvre / Officina Libraria, coll. « Carnets et albums du musée du Louvre », 2 volumes sous coffret, 164 ill., 132 p., 48 €.

fonctionnement. Il y a enfin toute une série d’interrogations que les archives viennent résoudre. L’occupation spatiale des installations du feu et leur étendue, par exemple, qui expliquent les changements d’échelle et de focus que proposent les dessins.

Le fac-similé de l’album du Projet de feu d’artifice tiré à Versailles, le 15 mai 1771 offre ainsi au lecteur, à l’amateur de dessin, l’opportunité de se poser ces mêmes questions et bien d’autres encore. Au-delà des pistes de réponse qu’il soumet, il permettra

surtout de se confronter à une forme d’art méconnue par la contemplation d’un des chefs-d’œuvre du genre, création de Torré, Morel et Seguin, artificiers du roi, sur les indications desquels les dessins de l’album du Louvre furent exécutés. 71


RESTAURATION / La mosaïque des Saisons d’Antioche

UNE FAMEUSE MOSAÏQUE DU LOUVRE RESTAURÉE : LES SAISONS D’ANTIOCHE pa r

C éCile G iroir e

Les mosaïques d’Antioche comptent parmi les plus somptueuses du monde antique. Le grand pavement dédié aux Saisons témoigne de la permanence de l’héritage grec dans cette province de l’Empire romain. Ci-contre Mosaïque des Saisons vers 325 marbre, calcaire et pâte de verre 807 x 804 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

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T

roisième ville de l’Empire après Rome et Alexandrie, la ville d’Antioche doit son essor et son faste à sa position stratégique, sur le plan géopolitique et économique, entre la Perse et la mer Méditerranée, le long de l’Oronte et à quelque vingt-cinq kilomètres de la mer par la vallée. Fondée en 300 avant notre ère par Séleucos Ier Nicator, l’un des généraux d’Alexandre le Grand, pour constituer la capitale du royaume des Séleucides, elle passe sous domination romaine lors de la conquête de l’Orient par Pompée en 64 avant notre ère et devient naturellement la capitale de la province de Syrie. Durant l’époque impériale, elle bénéficie d’une politique édilitaire ambitieuse et se pare de tous les monuments publics qui constituent une cité romaine, mais l’histoire continue de la ville, aujourd’hui Antakya en Turquie, a gommé l’essentiel des traces matérielles de son passé. Nourrie des descriptions somptueuses de la ville et de ses monuments laissées par les auteurs antiques, une équipe franco-américaine entreprend de 1932 à 1939 des fouilles à Antioche

même et dans le faubourg résidentiel de Daphné – célèbre pour son sanctuaire oraculaire dédié à Apollon, à la recherche des principaux édifices. Aucun n’est mis au jour. Quelques bâtiments publics sont toutefois repérés (bains, théâtres, hippodrome) mais l’essentiel des découvertes est constitué de nombreuses structures privées et avec elles, de leurs pavements de mosaïque, inattendus, qui s’échelonnent du ii e au vi e siècles. Le site d’Antioche livre ainsi l’un des plus importants ensembles de mosaïques proche-orientales antiques et des jalons essentiels dans l’histoire de cette technique. Pièce maîtresse de la collection de mosaïques du musée du Louvre, le pavement des Saisons a été exhumé à la fin de la campagne de fouilles de 1935 à Daphné. Il ornait le sol d’une vaste salle, peut-être une cour à ciel ouvert, dans une villa suburbaine qui n’a pas été dégagée systématiquement. La composition parfaitement symétrique de ce pavement de près de huit mètres de côté s’organise autour d’un bassin octogonal. Ancré dans la tradition hellénistique, un riche rinceau d’acanthes se déploie sur un fond noir et forme des médaillons accueillant fruits et végétaux avec, au centre de chaque côté, un visage. Des quatre culots d’acanthes placés aux angles jaillissent de grandes figures féminines ailées qui personnifient les saisons. Celle drapée dans un manteau qui lui couvre la tête, ceinte d’une couronne de roseaux, représente l’Hiver. Les trois autres sont vêtues d’une tunique très légère dont la transparence dévoile le galbe des cuisses. Elles portent devant elles, dans une large étole, des végétaux associés à chacune des saisons : la personnification du Printemps, couronnée de fleurs, en présente des brassées, celle de l’Été, la tête couverte d’un chapeau, une gerbe de blé, celle de l’Automne,


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RESTAURATION / La mosaïque des Saisons d’Antioche

Les personnifications des saisons (ici, le Printemps, l’Hiver et l’Automne) sont remarquables par leur traitement quasi pictural – notamment la transparence des tuniques dévoilant les jambes : la mosaïque semble ici rivaliser avec la peinture.

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QU’A RÉVÉLÉ LA RESTAURATION ? Déposée en vingt-cinq panneaux montés sur des dalles de ciment peu après sa découverte, la mosaïque a été recomposée au sol de la cour du Sphinx, qui venait d’être couverte en 1939. Elle nécessitait une restauration fondamentale en raison de problèmes structurels liés au vieillissement du support moderne et à l’encrassement important qui nuisait à sa lisibilité. L’intervention conduite durant dix-huit mois s’est articulée autour de deux axes : le remplacement des dalles en ciment par un support en aluminium alvéolé à la fois rigide, stable et léger, et le traitement de surface de la mosaïque, un nettoyage minutieux des tesselles, la consolidation de celles qui le nécessitaient, et notamment celles qui sont en pâte de verre, ainsi que le comblement du nombre important de lacunes avec des mortiers de chaux. Cette restauration a révélé la présence de tesselles de pâte de verre dorées à la feuille dont subsistent quelques vestiges. D’une grande rareté, notamment sur les mosaïques de pavement, et jusque-là non attestées dans l’important corpus des mosaïques d’Antioche, elles démontrent la haute qualité de cette œuvre.

couronnée de feuillages, divers fruits mûrs. Entre ces grandes figures, quatre compartiments en forme de trapèze présentent des scènes liées à la thématique de la chasse, traitées dans un tout autre style, dans un paysage verdoyant sur fond clair. Deux chasses aux fauves se font face de part et d’autre du bassin. Elles se distinguent par leur dynamisme, leur composition aboutie en différents plans et l’emploi de raccourcis qui donnent de la profondeur à la scène. Entre elles, un tableau décline le thème de la chasse sur un mode beaucoup plus pittoresque, à l’image d’une scène quotidienne, animée par plusieurs personnages d’échelle inférieure comparée à celle des autres trapèzes. Un chasseur de dos, tunique retroussée jusqu’à la taille, offre un lièvre à Diane, la déesse de la chasse, dont une effigie est placée sur un haut piédestal mouluré. D’autres personnages occupent ce tableau, dont un qui renoue ses sandales sous l’œil de son chien. À l’opposé,


le quatrième trapèze montre une chasse mythologique, celle de Méléagre, représenté en nudité héroïque, pointant son épieu vers le sanglier de Calydon, et accompagné d’une figure féminine, Atalante ou la déesse Diane, bandant son arc en direction d’un lion. Le registre de bordure, dont le sens de lecture a été inversé lors du remontage du pavement au Louvre en 1939, est composé d’une alternance de couples d’oiseaux et de scènes champêtres peuplées de putti. Aux angles, quatre bustes féminins symbolisent des vertus, indiquées par leur nom en grec, qui pourraient être celles du propriétaire de cette villa : force, énergie, capacités de création et de renouvellement. Un motif géométrique formé de la juxtaposition de quatre svastikas traités en relief sépare chacun de ces panneaux. Daté du règne de Constantin (306-337), grâce à des considérations stylistiques plus que par des critères archéologiques, ce pavement réalisé avec des tesselles de marbre, de calcaire et de pâte de verre se révèle d’une remarquable qualité de facture tant la palette chromatique à la fois vaste et nuancée permet des dégradés de couleurs et un traitement des volumes d’une grande subtilité, rivalisant sans doute avec la peinture murale qui ne s’est pas conservée et dont s’inspire aussi certainement la composition générale qui évoque un décor de voûte. Le traitement stylistique des figures des saisons et de celles qui peuplent les rinceaux trouve son origine à l’époque hellénistique, comme l’attestent les mosaïques de Pergame. Les thèmes retenus, qu’il s’agisse de la chasse, des personnifications, des scènes bucoliques ou du rinceau d’acanthes, relèvent tous d’un répertoire décoratif en vogue dans tout l’Empire romain et sur divers supports. La mosaïque des Saisons d’Antioche constitue ainsi l’un des pavements les plus complets et les mieux conservés d’une des luxueuses villas suburbaines de la capitale de la province romaine de Syrie et laisse entrevoir la haute qualité des décors de l’architecture domestique de l’élite dans la partie orientale de l’Empire. La restauration de la mosaïque des Saisons a été effectuée par l’atelier de restauration des mosaïques et enduits peints du musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal.

Mosaïque des Saisons in situ Photographie prise en 1935 au moment des fouilles franco-américaines à Daphné (actuel faubourg d’Antioche-sur-l’Oronte, Antakya, Turquie).

Cette restauration a bénéficié du soutien de la Fondation A. G. Leventis.

Ci-dessus Vue de la mosaïque des Saisons dans la cour du Sphinx. Aile Denon, niveau 0, salle 419. 75


ARCHÉOLOGIE / Le Sérapéum de Memphis

DANS LES SOUTERRAINS OÙ REPOSENT LES TAUREAUX DE PTAH pa r

Vincent r ondot

et

H élène G uicH a r d

Les galeries souterraines du Sérapéum de Memphis en Égypte accueillaient les sépultures des taureaux Apis, vénérés comme des dieux. Depuis le xixe siècle le Louvre possède de nombreuses pièces découvertes lors des premières fouilles. Le chantier, longtemps fermé, rouvre aujourd’hui. L’allée des sphinx Six des sphinx qui bordaient l’allée menant au Sérapéum de Saqqara, ive ou iiie siècle av. J.-C. Aile Sully, niveau 0, salle 327.

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ARCHÉOLOGIE / Le Sérapéum de Memphis

Chantier de fouilles du Sérapéum de Memphis. Chicane donnant accès aux Petits Souterrains. Page de droite Stèle dédiée par le portier du temple Horoudja au taureau Apis, découverte au Sérapéum 643 av. J.-C. calcaire peint 20,20 x 16 x 3,3 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

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epuis le Nouvel Empire et le règne d’Aménophis III (vers 1388-1349 av. J.-C.) jusqu’à l’époque ptolémaïque des successeurs d’Alexandre (332-30 av. J.-C.), les anciens Égyptiens, qui vénéraient un taureau vivant considéré comme l’incarnation terrestre du dieu Ptah de Memphis, avaient pris l’habitude, à la mort de l’animal, de l’enterrer avec toute la pompe des rois. Des prêtres spécialisés du clergé de Ptah savaient reconnaître, dans le cheptel du pays, la bête incarnant le dieu à certaines marques et caractéristiques – triangle blanc au milieu du front, vautour aux ailes éployées de l’échine, scarabée sur la croupe… Le jeune taureau était alors conduit au temple de

LE SÉRAPÉUM DANS LES COLLECTIONS DU LOUVRE Les collections égyptiennes du Louvre comportent des œuvres découvertes dans plusieurs secteurs du Sérapéum. De la zone de l’allée processionnelle menant aux tombes des taureaux proviennent les vestiges du temple de Nectanébo II (361-343 av. J.-C.), dont la statue du dieu Bès (aile Sully, salle 317, vitrine 3) et un montant de porte décoré au nom de ce roi (salle 644, vitrine 1). Six des sphinx de l’allée sont exposés salle 327. La grande statue du taureau Apis (salle 318) est issue de la chapelle voisine de cette voie. L’accès au secteur des Grands Souterrains était marqué par un ensemble comportant des statues de lions et une stèle visible dans la salle 327, et par la porte ptolémaïque aux montants inscrits de graffitis. Le matériel funéraire des taureaux Apis (vases à viscères et serviteurs funéraires), les stèles royales commémorant leurs enterrements, les stèles et bronzes votifs de particuliers provenant des caveaux et de leurs abords immédiats sont présentés dans la salle 318. L’exceptionnel ensemble de bijoux, d’amulettes et de serviteurs funéraires au nom du prince Khaemaouaset (vers 1284 – vers 1224 av. J.-C.) provenant d’une chambre des Petits Souterrains est exposé salle 642 (vitrine 3). Dans le cadre du futur réaménagement des collections, la salle 318 sera entièrement consacrée au Sérapéum. Marc Étienne

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Memphis, où il vivait et recevait un culte jusqu’à sa mort naturelle. Celle-ci donnait lieu à des funérailles et à l’enterrement de la momie du taureau dans les galeries souterraines du Sérapéum de la nécropole de Memphis, l’actuel plateau de Saqqara. Aussitôt, les prêtres repartaient à la recherche de « l’Apis vivant », successeur de l’Apis défunt. Placée dans un sarcophage, la momie de ce dernier était accompagnée, comme pour les humains, d’un trousseau funéraire : les quatre vases canopes contenant les viscères embaumés, les centaines de figurines de serviteurs funéraires avec leur tête de taureau, des amulettes variées, etc. On s’y rendait pour faire ses dévotions et déposer des offrandes en l’honneur de l’Apis défunt devenu l’intercesseur entre les mortels et les dieux Ptah et Osiris. C’est ainsi que des centaines de stèles dédiées par les pèlerins étaient gravées sur commande pour être encastrées dans les parois rocheuses des souterrains. Ces « catacombes » que l’on rallongeait à chaque nouvelle mort d’Apis se présentent comme un long corridor central et voûté, desservant de part et d’autre des salles occupées par le sarcophage monumental de l’Apis. Voilà le souvenir que chacun garde des Grands Souterrains, ouverts aujourd’hui au public. Les Petits Souterrains en revanche, plus anciens et moins « gigantesques », ne sont que très peu connus. Entre 1850 et 1854, la fouille par Auguste Mariette de la nécropole mais également du temple, de la voie processionnelle et des


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ARCHÉOLOGIE / Le Sérapéum de Memphis

connaissance de l’Égypte ancienne : chronologie des souverains et des dynasties, croyances religieuses, fonctionnement de l’État à Memphis, capitale administrative, économique et politique de l’Égypte. Après la fouille des Grands Souterrains, celle des Petits Souterrains s’est vite heurtée à un éboulement obstruant la galerie. Mariette abandonna alors l’entreprise, laissant plusieurs dizaines de mètres de galerie non explorés. Au milieu des années 1980, l’égyptologue égyptien Mohamed Ibrahim Ali – devenu plus tard ministre des Antiquités de l’Égypte – fut le premier, après Mariette, à y travailler de nouveau. Comme Mariette pourtant, il dut renoncer, à cause des dangers d’effondrement.

Vue des Grands Souterrains aujourd’hui ouverts au public. Zone accessible des Petits Souterrains, photographiée en 2017.

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bâtiments annexes en surface, a mis au jour des milliers d’objets, statues, bas-reliefs, statuettes funéraires, bijoux, stèles et bronzes votifs. Une partie de ces découvertes fut expédiée au Louvre, selon le principe – qui allait devenir la règle lorsque serait créé le Service des antiquités en 1858 – du don par le gouvernement égyptien d’une part des objets découverts lors des fouilles. C’est ainsi qu’aujourd’hui plus de six mille objets provenant du Sérapéum sont conservés au département des Antiquités égyptiennes, mais également, pour la statuaire hellénistique, au département des A ntiquités grecques, étrusques et romaines. Les informations historiques fournies par ces monuments ont été fondamentales pour notre

Ce que révéleront les Petits Souterrains Aujourd’hui, en collaboration avec les universités de L i l le et de Ay n Sha ms (Héliopolis, Égypte), ainsi qu’avec l’Institut français d’archéologie orientale du Caire (Ifao) et le ministère des Antiquités égyptien, le Louvre s’engage dans une vaste et audacieuse entreprise : la reprise de la fouille archéologique des Petits Souterrains. Difficile d’évaluer ce que sera la durée d’un tel projet. Quelle sera la complexité du « terrain » ? Quelles seront les découvertes ? Vers quelles analyses nous entraînerontelles ? Combien de nouveaux acquis histor iques permet t ront-el les ? Voi là les questions que se posent les archéologues. Mais un tel projet n’est rendu possible que par le confortement des plafonds, opération qui fera l’objet d’un mécénat technologique de la part du groupe Vinci, entreprise française bien implantée en Égypte et en charge de la construction du métro du Caire. Après la validation du projet scientifique et technique par le ministère des Antiquités égyptien, archéologues et ingénieurs se retrouveront donc sur le terrain dès le printemps 2020. Dans ses salles, le musée travaille actuellement à la conception d’une galerie entièrement dédiée au Sérapéum et à ses collections dans le parcours permanent du département des Antiquités égyptiennes. Elle sera ouverte au public en 2022, à l’occasion du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion. Cette opération bénéficie d’un mécénat en compétences de VINCI.


Ci-dessous Portrait d’Auguste Mariette par Gustave Le Gray vers 1855 reproduction sur plaque de verre. Coll. musée du Louvre, Paris.

AUGUSTE MARIETTE ET LE SÉR APÉUM pa r

é lisa betH daV id

Si, au milieu du xixe siècle, les nouvelles archéologiques d’Égypte avaient déclenché dans la presse les titres exaltants qu’elles suscitent parfois aujourd’hui, on aurait peut-être lu ce titre à la une d’un journal : « Un jeune collaborateur du Louvre fouille le Sérapéum de Memphis ! »

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ien de tel en 1850 : l’égyptologie, que l’on fait naître au déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion en 1822, est encore plus jeune que ledit collaborateur, et la nouvelle ne peut exalter que les membres de l’Institut de France, qui savent que la loca lisat ion du Sérapéum était au nombre des objectifs manqués par les savants de l’expédition d’Égypte. Cette exploration marque pourtant le début de l’incroyable carrière d’un homme dont les égyptologues du monde ent ier célébreront en 2021 le bicentenaire de la naissa nce à Bou log ne-su r-Mer : Auguste Mariette. À l’époque, il n’a pas de position professionnelle ; passionné par la civilisation égyptienne, il a abandonné en 1849 les métiers qu’il avait exercés jusque-là, journalisme et enseignement de l’histoire et du dessin, pour venir à Paris où le Louvre l’emploie comme auxiliaire de conservation (on dirait aujourd’hui « vacataire »). Ce n’est pas à la demande du Louvre qu’il part pour l’Égypte à l’automne 1850, mais parce qu’il a sollicité de l’État français une mission. Ses instructions sont de visiter les couvents d’Égypte et d’y acquérir des manuscrits, destinés à la Bibliothèque nationale. Malheureusement sa mission est entravée par les autorités religieuses égyptiennes, et au bout de quelques semaines Mariette

réaffecte les crédits alloués à tout autre chose : il déblaie la zone du désert de Saqqara où doit se trouver le Sérapéum, et il fait les choses en grand… De 1850 à 1854, il localise une longue allée bordée de s ph i n x , le s i n st a l lat ion s cultuelles de la f in de l’époque pharaonique, celles de l’époque grecque, les tombes isolées des taureaux Apis consacrés à Ptah des XVIIIe et XIXe dynasties, les souterrains où sont enterrés ceux qui sont morts du règne de Ramsès II (x i i i e siècle) jusqu’à celu i de Psammétique Ier (V ii e siècle), et ceux où reposent les suivants jusqu’à Cléopâtre VII. En quatre ans, le Sérapéum de Memphis, lieu my t h ique approx i mat ivement situé, est devenu un ensemble religieux à l’étendue, la composition et l’organisation générale bien connues. Son travail sur le terrain change non seulement sa vie, mais aussi le cours de l’égyptologie : confronté à Saqqara aux ravages causés par l’absence de réelle protection des antiquités, Mariette consacre le reste de sa vie à l’organiser. De 1858 à sa mort en 1881, il dirige le Service de conservation des antiquités de l’Égypte qu’il a créé et le premier musée du Caire, encore tout rempli de chefs-d’œuvre issus de fouilles faites dorénavant au bénéfice de l’Égypte. 81


COULISSES / Restauration

Eugène Delacroix (1798-1863) Scènes des massacres de Scio ; familles grecques attendant la mort ou l’esclavage 1824, huile sur toile 419 x 354 cm. L’œuvre a été photographiée en cours de restauration. Coll. musée du Louvre, Paris.

LA COULEUR DES ÉMOTIONS pa r

C ôme Fa br e

Après le succès de l’exposition « Delacroix » en 2018, le département des Peintures a engagé la restauration d’un des tableaux les plus célèbres du peintre. Restauré par Cinzia Pasquali et son équipe, il révèle à nouveau sa richesse chromatique.

S

cènes des massacres de Scio a été le premier grand succès public de Delacroix, alors âgé de vingt-six ans. L’œuvre a attiré toute l’attention du public au Salon de 1824, agrégeant les débats à propos des « novateurs » de la peinture, forçant la critique à prendre position dans ce que l’on appellera la « bataille romantique ». Depuis plusieurs décennies, l’équilibre de la composition s’était pourtant altéré par le jaunissement et l’assombrissement des épaisses couches de vernis qui la protégeaient ; le ciel avait en outre été plombé par l’application, au xxe siècle, d’une patine noirâtre 82

qui masquait l’irrégularité de ces vernis. En avril 2017, une campagne d’imagerie scientifique effectuée par le C2RMF et l’examen par les restauratrices Bénédicte Trémolières et Claudia Sindaco (lire Grande Galerie no 40) ont rassuré sur l’état structurel du tableau : excepté une déchirure située juste au-dessus de la signature, et déjà comblée par le passé, l’œuvre n’a subi aucun autre accident notable. Il ne manque rien de la peinture de Delacroix, et quasiment aucun repeint ultérieur ne la recouvre, ce qui remet en cause la croyance selon laquelle l’artiste aurait retouché son propre tableau en 1847. Grâce au mécénat de Bank of America, la décision a donc été prise l’an dernier de restaurer les Massacres de Scio et d’en confier l’exécution à Cinzia Pasquali, Roberto Merlo et Jean-Baptiste Bodiguel, de l’atelier Arcanes. Leur intervention, menée d’octobre 2019 à janvier 2020, consiste à enlever la plupart des vernis très oxydés pour faire réapparaître les couleurs dans leur tonalité originelle, avant d’appliquer un nouveau vernis naturel. Le résultat aujourd’hui est d’abord frappant de fraîcheur : la couche picturale est extrêmement bien préservée, en texture comme en volume. Le paysage à l’arrière-plan gagne en relief et en profondeur, rééquilibrant la composition d’ensemble. On mesure mieux aussi la virtuosité du jeune artiste, qui élabore les formes par superposition, entrecroisement et enrichissement chromatique, tant pour les personnages que pour le moindre accessoire. Ce procédé culmine dans les carnations. Le visage de la femme âgée assise au premier plan,

les yeux levés au ciel, est superbe : sur un ton de fond gris rosé et blanc largement brossé, les anfractuosités du visage sont criblées de petites pointes de bleu, de jaune, de vert, de rose et de rouge, avec une insistance autour des yeux démesurément grands et humides. On note qu’en dernier lieu Delacroix a aussi réchauffé toutes les ombres des carnations en y appliquant des touches de rouge vermillon épais et presque pur, et qu’il cerne sans ménagement les yeux du Grec blessé avec un noir fluide et couvrant. Cette intervention correspond certainement au souvenir du graveur Frédéric Villot, qui raconte que Delacroix, après avoir livré son tableau à peine sec au Louvre pour le soumettre au jury de l’exposition de 1824, a été pris du vif désir de le remanier une dernière fois avant le vernissage. Pour faire chanter son tableau au milieu de la multitude concurrente, accentuer le contraste entre la misère des personnages et la splendeur des costumes orientaux, il n’hésite pas à souligner, accentuer, repasser, sacrifiant au passage certains modelés subtils mais inutiles vus de loin. Dresser un monument à une douleur collective, exacerber les émotions par la couleur, afin de mieux faire vibrer les passions et l’imagination des spectateurs : tel est le but de Delacroix lorsqu’il fait ses premiers pas au Louvre il y a bientôt deux siècles, et que cette restauration fait pleinement revivre. Cette restauration a bénéficié du soutien du Bank of America Art Conservation Project.


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ART CONTEMPORAIN

ELIAS CRESPIN, L’ARTISTE DES BELLES PROBABILITÉS pa r

Va lér ie D uponchelle

Vénézuélien de culture et de patrimoine familial, parisien de cœur et d’adoption, il est le dernier en date des artistes contemporains à œuvrer de façon pérenne au musée.

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epuis le 25 janvier dernier, Elias Crespin, l’artiste vénézuélien de Paris, suit une double trace. Celle de ses compatriotes, les maîtres de l’art cinétique, JesúsRafael Soto (1923-2005) et Carlos Cruz-Diez (1923-2019), qui avaient eux aussi choisi Paris comme port d’attache et lieu de création. Et celle de ses pairs qui ont posé leur marque contemporaine au musée du Louvre : l’Allemand Anselm Kiefer au romantisme mystique (2007), le si français François Morellet dont le jeu des lumières reflétait la malice (2010) ou l’Américain Cy Twombly, beau ténébreux du Vieux Sud qui puisa dans l’Antiquité matière à son abstraction (2010). Tous sont entrés avec leurs œuvres dans le palais des rois et y vivent désormais à demeure. Rond et souriant, en bon ambassadeur de cette Amérique latine qui danse contre le mauvais sort, Elias Crespin accueille avec une franche joie cet honneur d’être partie intégrante du Louvre. L’artiste exilé est fier d’être présent au sommet de l’escalier du Midi, à l’angle sud-est de la cour Carrée, à l’opposé du Salon carré où trône en ce moment Soulages et sur le chemin des visiteurs qui se dirigent vers les galeries d’antiquités égyptiennes. Son œuvre cinétique et bleutée L’Onde du Midi, composée de 128 tubes 84

métalliques (64 bleus et 64 noirs) suspendus à des fils animés par des moteurs, danse comme une vague légère au-dessus de leurs têtes pressées. Par les hautes fenêtres de l’escalier, on aperçoit l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Le mirage du mouvement aléatoire est une incitation au ralenti, au temps long de l’art. L’effet l’emporte sur le secret du dispositif technique, bien dissimulé sous un imposant cadre blanc (10 m de long sur 1,5 m de large) qui cache un ordinateur, 256 petits moteurs et autant de poulies. Rencontre in situ avec un artiste heureux. Comment est née cette aventure au cœur du Louvre ? Elias Crespin : Par chance ou plutôt par un enchaînement de circonstances. J’avais exposé une œuvre comparable à l’occasion d’« Artistes & Robots » au Grand Palais en 2018. Comme son nom l’indique, c’est aussi un palais. Mon œuvre, résolument contemporaine, avec des matériaux aussi actuels que l’aluminium anodisé, s’était très bien intégrée à l’espace de l’escalier d’honneur. Cette découverte a éveillé par ricochets l’imaginaire des responsables du Louvre, notamment de son président Jean-Luc Martinez. Dès lors, après les recherches de rigueur, ils ont accueilli l’idée d’avoir une œuvre de cette nature comme décor dans leur grand musée. Leur invitation m’a complètement surpris, comme d’ailleurs leur ouverture d’esprit. Je ne savais même pas que pareille entreprise artistique était possible ! Les équipes du Louvre m’ont promené à travers tout le musée pour réfléchir à un site idéal, pour bien appréhender l’espace, l’architecture, le volume, les lieux de passage, l’orientation du musée par rapport à la ville. Ils m’ont

laissé une totale liberté que j’ai pu gérer moimême de la façon la plus responsable. Étiez-vous un familier du musée du Louvre ? E. C. : Même avant mon arrivée définitive du Venezuela à Paris en 2008, lorsque nous faisions des séjours touristiques dans la capitale, nous venions toujours au Louvre. À chaque visite depuis, je vais voir ma chère Victoire de Samothrace, j’ai plutôt un œil pour la sculpture, la Renaissance italienne et les icônes russes. Depuis que je travaille dans l’escalier du Midi, je me passionne pour les antiquités égyptiennes et grecques. Je suis fasciné de voir comment les époques et leurs arts s’imbriquent et se superposent pour créer une perpétuelle harmonie. En quoi L’Onde du Midi est-elle un mobile mathématique ? E. C. : Ces 256 petits moteurs sont reliés à un seul ordinateur pour lequel j’ai développé un logiciel. Ce logiciel définit une danse de façon un peu mathématique, mais je sais quels chiffres programmer pour avoir telles formes. Mon programme permet de spécifier une danse qui va se matérialiser dans les éléments suspendus. Je suis un codeur, un artiste geek ! Il y a un facteur de variabilité pour que ce ne soit pas exactement la même danse à chaque moment. Je veux juste créer un temps de pause qui donne un mieux-être aux visiteurs, alléger leur temps de course dans leur visite extensive du musée. Souvent, on me dit que mes mobiles ont une vertu apaisante, qu’ils apportent la sensation du merveilleux. Je ne les ai pas créés avec cette intention, je ne maîtrisais pas cette inconnue, je laisse toujours les choses survenir.


Quel est votre héritage familial en termes de gènes artistiques ? E. C. : Ma grand-mère maternelle est l’artiste vénézuélienne d’origine allemande Gego (Gertrud Goldschmidt), et mon grand-père d’adoption, son compagnon Gerd Leufert, un artiste visuel et un graphiste très important originaire de Lituanie. Gego venait de Hambourg, elle a fui l’Allemagne nazie en 1939 avec sa formation d’architecte. C’est l’une des quatre raisons qui font que je suis vénézuélien ! Gego n’aimait pas catégoriser son œuvre, si ce n’est que l’objet de son travail était presque toujours la ligne. Dessins, papiers ou structures tridimensionnelles qu’elle tissait en fils de métal, comme celles qu’a exposées la Fondation Cartier dans « Géométries Sud » en 2018. Est-ce que cela fut déterminant pour votre œuvre ? E. C. : Non seulement je vivais entouré de tout cela, mais je voyais une femme toujours très active. Enfant, je passais chaque se-

maine une après-midi complète avec elle dans son atelier-maison à Caracas, un quartier calme et résidentiel sur une colline au sud de la ville. Je l’aidais à plier le fil de fer. Je la voyais surtout convertir une idée en œuvre. Elle adorait les mathémathiques, la géométrie, ce grand courant formel sudaméricain qui nous vient d’Europe, notamment d’Allemagne, et qui s’est métamorphosé au contact de la nature, d’une autre société. Elle se considérait comme une Vénézuélienne tout en parlant espagnol avec un accent allemand très marqué ! Je m’asseyais parfois au côté de Gerd Leufert, un perfectionniste magnifique, qui travaillait tous les jours ses logos et ses emblèmes, même s’il n’avait pas de commandes. Tous les deux étaient très disciplinés. De mes parents, mathématiciens, j’ai hérité une facilité et un goût pour les sciences, d’où mes études en informatique. Mon art est donc le croisement de tous ces gènes, brasse ces disciplines et mise sur la chance, autre probabilité mathématique.

L’œuvre a bénéficié du soutien du fonds ARTEXPLORA. Elias Crespin (né en 1965) L'Onde du Midi 2018, 128 tubes en aluminium, 256 moteurs, fils 9,5 x 1,5 m. Coll. musée du Louvre, Paris.

À VOIR / À ÉCOUTER « L’Onde du Midi » Cette œuvre est installée depuis le 25 janvier 2020 dans l’escalier du Midi, aile Sully, 1er étage. À l’auditorium du Louvre Le 13 mars 2020 à 12 h 30 : présentation de l’œuvre L’Onde du Midi (en présence de l’artiste, de la directrice de la Médiation et de la Programmation culturelle au musée du Louvre, Dominique de Font-Réaulx, et de Domitille d’Orgeval, historienne de l’art et commissaire d’exposition), suivie de la projection du film L’Onde du Midi de Nathalie David et Valéry Faidherbe, coproduction Musée du Louvre / Pitchoun Production. Visite Le 1er avril 2020 à 18 h : visite-conférence dans l’escalier du Midi en présence de l’artiste (groupe de 25 personnes).

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TRIBUNE DES AMIS DU LOUVRE

DES JEUNES PAR MILLIERS pa r

S éba Stien F um a roli

La Société des Amis du Louvre offre aux 18-30 ans le privilège d’être invités à des soirées privées au Louvre grâce au mécénat de ses plus généreux donateurs.

L

a Joconde entre amis et un concert d’orgue sous la Pyramide pour célébrer le génie de Léonard : un tel programme aux heures de fermeture du musée est habituellement le privilège des mécènes. Aux Amis du Louvre, les soirées privées sont intergénérationnelles, et cela fait du beau monde ! C’était le 17 décembre et parmi les quelque deux mille invités les jeunes visiteurs du Louvre ont accepté pour Grande Galerie de prendre la pose. Depuis 2016, la Société des Amis du Louvre soutient l’accès privilégié au Louvre pour les 18-30 ans. Grâce à une cotisation de 15 à 35 euros, les jeunes en question sont des Amis du Louvre à part entière et ils sont aujourd’hui plus de cinq mille. Chaque année de plus en plus nombreux, ils bénéficient d’invitations spéciales aux soirées privées organisées par la Société des Amis du Louvre. En 2017, grâce au mécénat de Michel David-Weill, les jeunes Amis avaient pu être invités pour le prix modique d’une place de cinéma au grand concert de musique française du xix e siècle donné pour les cent vingt ans de la Société dans la cour Marly en partenariat avec la fondation Singer-Polignac : au programme, Bizet, Saint-Saëns et Debussy, devant les statues de marbre des jardins de Louis XIV. En 2018, grâce au mécénat du groupe Chargeurs et de son président Michaël Fribourg, plus de deux cents Jeunes Amis avaient pu assister sous la Pyramide à la retransmission cinématographique d’une performance de Fabrice Luchini : au programme, les grands chefs-d’œuvre de la peinture classique décrits par Baudelaire, Proust, ou Félibien, un spectacle unique au Louvre donné en live à l’Auditorium. L’année dernière, l’accès gratuit pour plus de huit cents jeunes au premier concert d’orgue jamais organisé sous la Pyramide a été rendu possible grâce à la générosité de notre Bienfaitrice, Madame Léone Meyer. Un répertoire de Jean-Sébastien Bach à Jean Guillou, joué de 18 heures à minuit par Jean-Baptiste Monnot, l’inventeur de l’« orgue du voyage », en hommage au génie créatif de Léonard célébré dans le hall Napoléon. La culture a un prix : les Amis du Louvre se mobilisent pour l’offrir au plus grand nombre.

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À VOIR AILLEURS / Planisphère

LES ŒUVRES DU LOUVRE À VOIR EN FRANCE « Cézanne et les maîtres. Rêve d’Italie » Musée Marmottan-Monet, Paris Du 27 février au 5 juillet 2020 Tarif réduit pour les Amis du Louvre « Soleils noirs » (lire p. 94-95) Musée Louvre-Lens Du 25 mars au 13 juillet 2020 Accès gratuit pour les Amis du Louvre les 15 premiers jours, puis un billet gratuit pour un billet acheté « Plein air. De Corot à Monet » Musée des Impressionnismes, Giverny Du 27 mars au 28 juin 2020 Tarif réduit pour les Amis du Louvre « D’Alésia à Rome. L’aventure archéologique de Napoléon III » Musée d’Archéologie nationale Saint-Germain-en-Laye Du 29 mars au 14 juillet 2020 Tarif réduit pour les Amis du Louvre « Boire avec les dieux » Cité du vin, Bordeaux Du 10 avril au 30 août 2020 « Pharaon, Osiris et la momie. L’Égypte ancienne à Aix-en-Provence » Musée Granet, Aix-en-Provence Du 17 avril au 20 septembre 2020 « Luxes » (lire p. 98-99) Musée des Arts décoratifs, Paris Du 23 avril au 16 août 2020 « Pharaons superstars » Mucem, Marseille Du 29 avril au 17 août 2020 Tarif réduit pour les Amis du Louvre avec le code MULOUVRE20 « Henri II, un roi guerrier » Château de Vincennes Du 6 mai au 26 juillet 2020

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À voir à la Reggia di Venaria Reale, Turin Nicolas Poussin (1594-1665) Moïse sauvé des eaux, 1638 huile sur toile, 94 x 121 cm.

À voir au Mucem, Marseille L’ancienne reine divinisée Ahmès Néfertari, Nouvel Empire (vers 1550-1509 av. J.-C.), karité peint H. 35,5 cm.


À TRAVERS LE MONDE « Une belle saison britannique ! » (lire p. 100-101) « British stories. Conversations entre le Louvre et le musée des Beaux-Arts de Bordeaux » et « Absolutely Bizarre! Les drôles d’histoires de l’école de Bristol (1800-1840) » Musée des Beaux-Arts et galerie des Beaux-Arts, Bordeaux Du 15 mai au 6 septembre 2020

À VOIR EN EUROPE ET EN AFRIQUE DU NORD « Raphaël » aux Scuderie del Quirinale, Rome Du 5 mars au 14 juin 2020 « Rome, Turin, Paris, 1680-1750. Antique et moderne » Reggia di Venaria Reale, Turin Du 13 mars au 14 juin 2020 « Eugène Delacroix, souvenirs du Maroc » (lire p. 96) Musée Mohamed VI d’art moderne et contemporain, Rabat Du 1er avril au 1er juillet 2020

À VOIR EN AMÉRIQUE « El Greco. Ambition and Defiance » (lire Grande Galerie no 49) Art Institute of Chicago Du 7 mars au 21 juin 2020 « L’histoire commence en Mésopotamie » (lire p. 92) Getty Museum, Los Angeles Du 18 mars au 27 juillet 2020

À VOIR EN ASIE « Furûsiyya : l’art de la chevalerie entre Orient et Occident » À voir à la Cité du vin, Bordeaux Peintre d'Eupolis, stamnos prov. Athènes, ve siècle av. J.-C. argile, 39,2 x 40,5 cm.

À voir au château de Vincennes Médaillon d’Henri II à cheval attribué à Léonard Limosin, 1540-1560 émail peint, cuivre, rehauts d’or, diam. 28 cm.

(lire p. 93) Louvre Abu Dhabi Du 19 février au 30 mai Gratuit pour les Amis du Louvre

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À VOIR AILLEURS / Musée Granet, Aix-en-Provence

Fragments de paroi d’un mastaba IVe dynastie, vers le règne de Khéops (vers 2590-2565 av. J.-C.) calcaire, 143 x 57,5 cm et 153,5 x 51 cm. Coll. musée Granet, Aix-en-Provence.

LA RENAISSANCE D’UNE PRESTIGIEUSE COLLECTION ÉGYPTIENNE par Bruno Ely et Christophe Barbotin

La collection égyptienne du musée Granet sera intégralement présentée au public à l’occasion de l’exposition « Pharaon, Osiris et la momie ». Le musée du Louvre contribue à la richesse de cette présentation par le prêt d’une quarantaine de pièces.

Livre des Morts de la dame Tabaakhet entre - 332 et - 30 av. J.-C. papyrus 40,5 cm x 18 m environ. Coll. musée du Louvre, Paris.

L’

exposition « Pharaon, Osiris et la momie. L’Égypte ancienne à Aix-en-Provence » présente le remarquable fonds égyptien de ce musée après vingt-cinq ans d’invisibilité. Un prêt particulièrement généreux du Louvre ainsi que des œuvres empruntées à d’autres musées français et étrangers permettent de mieux faire comprendre les objets constituant cet ensemble. Celui-ci est pour une grande part issu d’anciens cabinets de curiosités réunis par les parlementaires et notables aixois aux XVIIIe et XIX e siècles. Le plus important d’entre eux fut celui de François Sallier, maire de la ville d’Aix sous l’Empire, dont les objets égyptiens ont été dispersés entre les musées d’Aix, d’Avignon, du Louvre et de Londres (British Museum). Les célèbres papyrus littéraires qui portent son nom, aujourd’hui au British Museum, furent étudiés chez lui par Champollion lors de ses deux passages à Aix en 1828 et 1830.

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Pharaon, Osiris et la momie : trois thèmes qui reflètent la structure de l’exposition, laquelle rend compte des points forts de la collection du musée Granet. Certaines de ces œuvres tiendraient leur rang au sein de collections égyptiennes aussi importantes que celles du Louvre ou du British Museum. Les deux grands basreliefs provenant d’une tombe contemporaine du règne de Khéops, rapportés en Provence sous Louis XIV, sont de celles-là, ainsi que plusieurs stèles de très haute qualité. Il faut également citer une momie de varan du Nil parfaitement conservée, unique au monde, dont les visiteurs peuvent découvrir la stupéfiante structure interne grâce aux images obtenues par la tomographie par rayons X. Face à ces trésors, le Louvre ne demeure pas en reste puisqu’il prête pour l’occasion un colosse royal de granite rose du temps des Ramsès. Jusqu’ici en dépôt au musée des

Beaux-Arts de Dijon, il est l’une des œuvres phares de l’événement. Six éléments de linteaux sculptés de la tombe d’Ounnéfer au Sérapéum de Saqqara reviennent eux aussi au jour après seize années d’éclipse. Le très grand Livre des Morts de la dame Tabaakhet enfin, pour la toute première fois montré au public dans sa totalité, guide le visiteur dans son périple vers l’au-delà sur près de dix-huit mètres de longueur. Mais l’Égypte pharaonique ne reste pas confinée dans les murs du musée Granet, elle en sort pour étendre sa lumière sur Aix-enProvence dans le cadre d’une véritable saison égyptienne. Outre une série de films et de conférences, une lecture exceptionnelle de textes égyptiens anciens par des comédiens sera proposée au public. Les habitants de la ville d’Aix comme ses hôtes de passage découvriront alors l’étrange beauté de cette littérature enfouie dans les sables depuis trente siècles. À VOIR « Pharaon, Osiris et la momie » Du 17 avril au 20 septembre 2020 au musée Granet, Aix-en-Provence. Commissariat : Christophe Barbotin, conservateur général du patrimoine au département des Antiquités égyptiennes du Louvre, et Bruno Ely, conservateur en chef du musée Granet. À LIRE Album de l’exposition, Pharaon, Osiris et la momie. L’Égypte ancienne à Aix-en-Provence, Khéops éditeur, 48 p., 45 ill., 9 €. Collection égyptienne. Musée Granet, par Christophe Barbotin et Bernard Terlay, coéd. Khéops / Musée Granet, rééd., 250 ill., 240 p., 29 €.


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À VOIR AILLEURS / Villa Getty, Los Angeles

Gudea au vase jaillissant (vers 2120 av. J.-C.) dolérite 62 x 25,6 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

D’URUK À MALIBU par Ariane Thomas

La Villa Getty, reconstitution moderne de la villa romaine des Papyri à Herculanum, prête ses espaces au monde plus ancien de la Mésopotamie, dont le souvenir fut en partie conservé par des auteurs gréco-romains.

tiers. On y admirera de nombreux chefs-d’œuvre du Louvre, le premier à constituer dès 1847 un musée dédié à ces civilisations. À côté de plusieurs dispositifs multimédias, des objets plus rares et d’exceptionnels prêts du Metropolitan Museum of Art de New York, ainsi que du cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France ou du musée Auguste-Grasset à Varzy, complètent cette première exposition californienne sur la Mésopotamie. À VOIR « Mesopotamia: Civilization Begins » Du 18 mars au 27 juillet 2020 à la Villa Getty, J. Paul Getty Museum, Los Angeles. Commissaires : Ariane Thomas, conservatrice au musée du Louvre, et Timothy Potts, directeur du J. Paul Getty Museum. À LIRE Catalogue de l’exposition, Mesopotamia: Civilization Begins, sous la direction d’Ariane Thomas et Timothy Potts, Getty Publications, 295 ill., 236 p.

E

n 2016 au Louvre-Lens, l’exposition « L’Histoire commence en Mésopotamie » invitait à découvrir les trois mille ans d’histoire de l’antique Mésopotamie, pays entre les deux fleuves Tigre et Euphrate, aujourd’hui principalement en Irak. Cette année, à l’invitation du Getty, une exposition propose de renouveler cette expérience en n’étant « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Structurée autour de trois grandes étapes historiques, elle évoque d’abord les premières villes actuellement connues, apparues au quatrième millénaire avant notre ère, et dont Uruk reste l’emblème. Dès lors, une société urbaine complexe s’est développée dans ce territoire situé au carrefour de l’Orient, recevant autant d’influences extérieures qu’elle a rayonné elle-même. Et c’est dans ces premières villes que la première écriture connue fut inventée vers 3400 avant 92

J.-C., en lien avec ces échanges à très longue distance. Avec cette écriture dite « cunéiforme », l’histoire commence officiellement par opposition à la « préhistoire ». C’est grâce à ces textes que nous connaissons les noms des premiers rois mésopotamiens. Mandataires des dieux pour gouverner de petits territoires qui divisaient alors le pays de Sumer, ces souverains finirent par diriger de plus vastes royaumes unifiant tout le territoire mésopotamien et souvent bien au-delà, comme les grands empires assyrien puis babylonien fameusement décriés dans la Bible. Depuis l’apparition des villes où naquit la première écriture qui livre les noms des premiers rois de l’histoire, l’exposition entend mieux faire connaître la multiplicité en même temps que la relative permanence de l’antique culture mésopotamienne, dont nous sommes les lointains héri-


À VOIR AILLEURS / Louvre Abu Dhabi

L’ART DE LA CHEVALERIE ENTRE ORIENT ET OCCIDENT par Carine Juvin

La chevalerie occidentale a son pendant oriental, la furûsiyya. Ces cultures chevaleresques apparues à la fin du viiie siècle se sont affrontées au fil de l’histoire mais partagent aussi des valeurs, des symboles et des récits épiques, mis en dialogue à l’occasion d’une exposition inédite.

L

e Louvre est l’un des principaux contributeurs d’une exposition inédite qui ouvre ses portes au Louvre Abu Dhabi le 19 février. Proposée et co-organisée par le musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, elle présente un panorama de la culture chevaleresque médiévale dans les mondes européen et islamique, entre le x e et le xv e siècle, à travers environ cent cinquante œuvres (armes et armures, domaine équestre, objets et manuscrits), dans une présentation immersive, jalonnée de dispositifs de médiation. L’art des cavaliers d’élite, la furûsiyya en Orient, la culture chevaleresque en Occident, nées parallèlement vers les viiie - ixe siècles et puisant à des sources en partie communes, ont connu des développements particuliers mais ont aussi tissé tout au long du Moyen Âge des liens multiples. L’une comme l’autre ont bénéficié de nombreuses études spécialisées et d’expositions récentes, telles « L’Épée : usages, mythes et symboles » au musée de Cluny en 2011 ou, pour l’Orient, « Chevaux et cavaliers

arabes » et « L’Art des chevaliers en pays d’Islam » à l’Institut du monde arabe en 2003 et 2007. Mais pour la première fois, une exposition offre une synthèse novatrice entre deux univers qui n’avaient jamais fait l’objet de regards croisés, et relate, à travers un choix d’objets, une histoire séculaire, qui n’est pas seulement celle d’affrontements mais aussi de cultures en partage. Ce ne sont pas juste les principales armes défensives ou offensives mais aussi les valeurs et les symboles, les substituts et les formes parallèles à l’affrontement guerrier (joutes, compétitions équestres, chasse, etc.), les épopées, romans et poèmes mêlant récits de prouesses au combat et d’aventures amoureuses que l’exposition met en regard. La chevalerie occidentale sera présentée principalement par le biais des collections du musée de Cluny, et la furûsiyya orientale à travers celles du département des Arts de l’Islam du musée du Louvre (incluant des dépôts du musée des Arts décoratifs). Un beau relief syrien au dieu-cavalier Genneas du

département des Antiquités orientales, le gisant présumé de Gaucher III de Châtillon du département des Sculptures, ainsi que deux œuvres dont le délicat coffret de la châtelaine de Vergy du département des Objets d’art viennent enrichir la présentation. La Bibliothèque nationale de France, le musée de l’Armée et le musée des Beaux-Arts de Lyon ont également accordé de généreux prêts, tandis que le Carré Plantagenêt – musée Jean-Claude Boulard au Mans a consenti à se séparer temporairement de son chef-d’œuvre, l’effigie funéraire de Geoffroy Plantagenêt, grand émail champlevé du xiie siècle. Pour la première fois au Louvre Abu Dhabi, des prêteurs internationaux ont été sollicités : The Metropolitan Museum of Art, la Furûsiyya Art Foundation et la Chester Beatty Library, et des pièces des collections propres du Louvre Abu Dhabi figurent dans l’exposition. On ne pouvait rêver meilleur endroit pour revisiter et faire dialoguer chevalerie occidentale et arts de la furûsiyya, dont certaines pratiques sont encore très vivantes dans la culture du Golfe. À VOIR « Furûsiyya. L’art de la chevalerie entre Orient et Occident » Du 19 février au 30 mai 2020 au Louvre Abu Dhabi. Commissariat : Élisabeth Taburet-Delahaye, conservatrice générale honoraire du patrimoine, Michel Huynh, conservateur général au musée de Cluny, et Carine Juvin, chargée de collection au département des Arts de l’Islam du musée du Louvre. Casque du sultan mamelouk Barsbay Égypte, 1422-1437, métal (fer) martelé décor damasquiné d’or, 47,2 x 33 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. Coupe au cavalier archer Syrie ?, seconde moitié du xiiie siècle glaçure, céramique siliceuse, diam. 20,7 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. 93


À VOIR AILLEURS / Musée du Louvre-Lens

Ci-contre Jean-Marc Nattier La Chute des anges rebelles 1751 pierre noire et rehauts de blanc sur papier marouflé sur toile, 110,5 x 81,5 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. Ci-dessous Anonyme, école de Léonard de Vinci Portrait de femme vers 1495-1499 huile sur bois, 50 x 35 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

L’ÉCLAT DU NOIR par Mathilde Dillmann

Après l’exposition « Pierre Soulages » dans le Salon carré, c’est au tour du Louvre-Lens de mettre à l’honneur la plus paradoxale des couleurs avec l’exposition « Soleils noirs ».

C

ouleur de la nuit, de la mort, de la misère et de la douleur, mais aussi du sacré, du pouvoir, ou encore de l’élégance, le noir fascine par son ambivalence. L’exposition « Soleils noirs », placée sous le signe du romantisme par son titre inspiré de Nerval, est organisée avec le soutien exceptionnel du musée du Louvre. Elle met en lumière la multiplicité du symbolisme de cette couleur à laquelle Michel Pastoureau a consacré un ouvrage de référence. Longtemps perçu en Occident comme une couleur à part entière, le noir devient absence de lumière et disparaît du spectre 94

avec Newton avant de retrouver son statut de véritable couleur dans le courant du xx e siècle. À travers cent quatre-vingts œuvres, le parcours thématique explore toutes les dimensions de cette symbolique, en se jouant des époques et des techniques artistiques, et prouve que le noir ne cesse d’inspirer les artistes, de l’Antiquité à nos jours. Les nombreux prêts consentis par plusieurs départements du musée du Louvre montrent l’omniprésence du noir dans l’art. Les nuances de cette teinte s’y trouvent à l’état naturel, avec une statue d’Osiris en basalte, ou obtenues artificiellement sur des vases athéniens d’argile ou sur une amphore étrusque en bucchero qui imite l’éclat de la vaisselle métallique. Du Saint Jean Baptiste enfant de Piero di Cosimo aux Cinq coquillages sur une tranche de pierre d’Adriaen Coorte, les possibilités plastiques du noir se révèlent infinies. L’exposition s’ouvre avec des images nocturnes dans lesquelles les artistes expérimentent les jeux de lumière, comme Joseph Vernet dans son Paysage. Effet de clair de lune. Clair-obscur et contre-jour rivalisent dans cette section. L’ombre, fondatrice mythique du dessin, fait du noir une notion fondamentale en art qui permet toutes les variations lumineuses, notamment dans la magistrale Descente de croix au flambeau de Rembrandt. La symbolique du noir est fondamentalement liée à la religion : la teinte bienfaitrice du limon du Nil sur l’amulette-doigts égyptienne devient la couleur du diable dans l’Occident chrétien. L’extraordinaire feuille de Nattier

La Chute des anges rebelles inspirée par Milton et le Satan de Feuchère montrent la constance de cette association entre le noir et le mal. Parallèlement, les superbes portraits de Botticelli, de Clouet et de Véronèse attestent de la dimension sociale de cette teinte luxueuse, longtemps difficile à obtenir sur les étoffes. Elle est alors couleur du pouvoir, mais aussi de l’élégance, avec le portrait de Berthe Morisot par Manet, La Dame au gant de Carolus-Duran, ou encore les robes de Jeanne Lanvin et de Yohji Yamamoto. Paradoxe supplémentaire, le charbon et le pétrole font du noir industriel la couleur de la pauvreté comme de la modernité : les photographies de mineurs prises dans les années 1950-1970 répondent au Tas de charbon de Bernar Venet, en écho avec le passé minier de Lens. L’œuvre de Pierre Soulages, la plus belle des conclusions à ce parcours, prouve l’intensité de la force créatrice du noir.

À VOIR « Soleils noirs » Du 25 mars au 13 juillet 2020 au musée du Louvre-Lens. Commissariat : Marie Lavandier, conservateur général du patrimoine et directrice du Louvre-Lens, Juliette Guépratte, directrice de la stratégie du Louvre-Lens, et Luc Piralla, conservateur du patrimoine et directeur adjoint du Louvre-Lens, assistés d’Alexandre EstaquetLegrand, chargé de recherches au Louvre-Lens. À LIRE Catalogue de l’exposition, Soleils noirs, sous la direction de Marie Lavandier, Juliette Guépratte et Luc Piralla, coédition Lienart / Musée du Louvre-Lens, 250 ill., 380 p., 39 €.


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À VOIR AILLEURS / Musée Mohamed VI d’art moderne et contemporain de Rabat, Maroc

DELACROIX AU MAROC par Claire Bessède

Pour la première fois, une exposition consacrée à Eugène Delacroix se tient au Maroc, pays où il a voyagé en 1832 et qu’il a peint inlassablement jusqu’à la fin de sa vie.

Eugène Delacroix (1798-1863) Exercices militaires des marocains, fantasia marocaine 1832 huile sur toile 60 x 73 cm. Coll. musée Fabre, Montpellier.

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n 1832, alors que le Maroc est encore peu connu des artistes, Eugène Delacroix s’y rend pour accompagner l’ambassade diplomatique du comte de Mornay auprès du souverain Moulay Abd er-Rahman. De janvier à juin 1832, il voit Tanger, Meknès et passe par l’Espagne et l’Algérie au retour. De son voyage, il ramène des meubles, textiles et objets achetés sur place et, afin de conserver une trace de ce qu’il voit, il écrit et dessine beaucoup. De retour à Paris et le plus souvent bien des années plus tard, il peint dans son atelier les quelque quatre-vingts tableaux que ce voyage lui a inspirés. Grâce à des prêts exceptionnels de musées français et étrangers, l’exposition « Eugène

Delacroix, souvenirs du Maroc » montre l’importance que ce séjour a pu avoir pour lui. Elle s’appuie sur une notion qui lui était chère, le souvenir. Les dessins et objets, prêtés notamment par le musée du Louvre et le musée national Eugène-Delacroix, seront présentés au musée Mohamed VI, ainsi qu’une sélection de peintures et d’estampes. On pourra ainsi voir une esquisse pour Mulay Abd er-Rahman, sultan du Maroc, sortant de son palais de Meknès, entouré de sa garde et de ses principaux officiers (musée des Beaux-Arts de Dijon), Comédiens ou bouffons arabes (musée des Beaux-Arts de Tours), Chasse aux lions (Paris, musée d’Orsay) ou Lionne prête à s’ élancer (musée du Louvre, en dépôt au musée Delacroix). Ce voyage a eu une influence certaine sur l’œuvre de Delacroix mais aussi sur d’autres peintres. Certains ont pu s’en défendre, comme Matisse dont on peut voir dans l’exposition la Femme à la gandoura bleue (musée Matisse au Cateau-Cambrésis). D’autres artistes, au contraire, ont revendiqué ce grand aîné : Odilon Redon a copié un détail de La Noce juive et Benjamin-Constant est parti sur les traces d’un artiste qu’il admirait. À travers des scènes de rue et des paysages de Tanger, l’exposition montre qu’il y a bien eu un avant et un après Delacroix. À VOIR « Eugène Delacroix, souvenirs du Maroc » Du 1er avril au 1er juillet 2020 au musée Mohamed VI d’art moderne et contemporain de Rabat (Maroc). Commissariat : Claire Bessède, directrice du musée national Eugène-Delacroix, et Abdelaziz El Idrissi, directeur du musée Mohamed VI. À LIRE Catalogue de l’exposition, Eugène Delacroix, souvenirs du Maroc, éditions Académie du Royaume du Maroc / Fondation nationale des musées du Maroc.


un rendez-vous gratuit et festif chaque 1er samedi du mois

#NocturneDuSamedi Réservez dès maintenant sur la page facebook du musée du Louvre


À VOIR AILLEURS / Musée des Arts décoratifs

L’HISTOIRE DU LUXE AU CRIBLE DE L’HISTOIRE DE L’ART par Wandrille Potez

Les maisons de luxe regardent depuis longtemps vers l’art et les musées ; le temps d’une exposition, le musée des Arts décoratifs propose de renverser la perspective en posant sur les objets du luxe les yeux de l’histoire de l’art.

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Coiffure de dame chinoise époque Qing, XIXe siècle plumes de martinpêcheur, pierres fines, verre, vannerie, carton, fils métalliques 25 x 29 x 20 cm. Coll. musée des Arts décoratifs, Paris. 98

maginée pour le Louvre Abu Dhabi, cette exposition d’un genre nouveau propose de redonner son sens à un mot tantôt idolâtré, tantôt méprisé, et le plus souvent simplement galvaudé. Le musée parisien s’apprête à devenir à son tour un gigantesque cabinet d’objets précieux, accueillant dès avril des merveilles qui ont en commun la rareté de leurs matériaux et le raffinement de leur exécution, le « luxe ». Il s’agit d’une exploration conceptuelle, qui rappelle l’effort continu des sociétés humaines pour embellir l’accessoire et posséder le superflu. Le musée des Arts décoratifs, dont l’immense majorité des collections ne doit sa conservation qu’au luxe de leur réalisation, est l’institution rêvée pour témoigner de cette métamorphose de l’« ustensile » en objet d’art. Pour l’occasion, certains trésors méconnus de la rue de Rivoli seront mis en valeur, comme une extraordinaire cape masculine en velours de soie brodé d’or et d’argent, laquelle vient de retrouver son faste de la Renaissance après une importante restauration. Si le Louvre s’était déjà engagé dans ce voyage spatio-temporel, en prêtant à Abou Dhabi le trésor antique de Boscoreale, il s’investit encore davantage pour l’édition parisienne de l’exposition en confiant au musée voisin deux œuvres majeures. La première, la salière d’agate des collections de Louis XIV, est la seule pierre dure des joyaux de la Couronne à avoir conservé sa monture médiévale. Faite d’or, de perles et d’émaux,


elle a été transmise et respectée pour sa somptuosité. La seconde est un coffret de Pierre Mangot, brillant orfèvre du roi François Ier. Il est couvert de nacre des Indes : ces objets d’apparat ont stimulé le contact entre civilisations lointaines, chacune détentrice de ce qui est précieux car inconnu pour l’autre. Le goût du luxe a pu donner l’illusion d’être toujours plus accessible – au moins depuis l’avènement des marchands merciers dans la France du X VIII e siècle. La confrontation de l’art rocaille et de l’Art déco est nouvelle et passionnante. L’idéal de perfection semble le même, les deux époques pouvant être considérées à juste titre comme deux âges d’or des arts décoratifs… Pourtant le premier recherche le frémissement des

courbes et l’éclat des ors, quand l’autre y renonce volontiers, sans dédaigner « cet étrange luxe du rien » cher à Jean-Michel Frank. Le décor exécuté par ce dernier pour le salon de François Mauriac est l’une des pièces phares de l’exposition ; il annonce les provocations esthétiques contemporaines. Les arts actuels, dont la mode, se jouent des nouveaux codes qui redéfinissent sans cesse le luxe : les matières changent mais la magie reste. L’équipement équestre imaginé par Antoine Platteau pour Hermès résume cela à merveille. L’ivoire des selles d’apparat médiévales est remplacé ici par des plumes de coq, dont la parfaite inutilité pratique consacre, là encore, la destination symbolique et artistique de ces objets singuliers.

Pierre Mangot (actif entre 1515 et 1541) Coffret 1532-1533, âme de bois couverte de plaques de nacre clouées, monture en argent doré et émaillé, pierres précieuses, 29 x 40 x 26 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. À VOIR « Luxes » Du 23 avril au 6 septembre 2020 au musée des Arts décoratifs à Paris. Commissariat : Olivier Gabet, directeur général adjoint du musée des Arts décoratifs, assisté de Cloé Pitiot, conservatrice au musée des Arts décoratifs.

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À VOIR AILLEURS / Musée des Beaux-Arts et Galerie des Beaux-Arts de Bordeaux

DES BRITANNIQUES SÉDUISANTS ET BIZARRES par Guillaume Faroult

Ce printemps, l’événement bordelais « Une belle saison britannique ! » offrira l’occasion d’apprécier les chefsd’œuvre du fonds de peintures et de sculptures anglaises conservées au musée des Beaux-Arts municipal, auxquelles le Louvre et le Bristol Museum & Art Gallery ont joint des pièces remarquables.

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epuis des siècles, Bordeaux a entretenu de fécondes relations politiques, économiques et culturelles avec les îles Britanniques. En 1947, son jumelage avec Bristol marqua un nouveau jalon symbolique de l’anglophilie bordelaise. Pour le printemps 2020, la ville propose, avec la collaboration exceptionnelle du musée du Louvre, « Une belle saison britannique ! » avec deux expositions présentées au musée des Beaux-Arts et à la galerie des Beaux-Arts. Le musée des Beaux-Arts de Bordeaux entend en effet mettre en lumière sa rare et significative collection d’œuvres d’art britanniques du xve au xxe siècle. Cet ensemble d’une cinquantaine de pièces, mêlant peintures, sculptures et arts graphiques, représente la collection la plus importante en France dans ce domaine en dehors des institutions parisiennes. Le xviiie siècle en constitue le point fort avec les portraits et la peinture d’histoire. La peinture de portrait connaît alors un véritable âge d’or et le musée de Bordeaux conserve des œuvres remarquables des principales figures britanniques : Joshua Reynolds, Allan Ramsay, Thomas Lawrence ou Gilbert Stuart. Le musée présente également de rares peintures d’histoire de certains des principaux artistes qui, en Angleterre, se sont illustrés dans le genre : Benjamin West, Johan Zoffany et John Martin. Le public n’a que rarement l’occasion d’admirer ces trésors dans leur ensemble. Il pourra les voir réunis à d’autres œuvres britanniques prêtées par le Louvre (en particulier le célèbre Master Hare de Reynolds) dans un stimulant dialogue. La galerie des Beaux-Arts de Bordeaux présente en parallèle une exposition « Absolutely Bizarre! Les drôles d’histoires de l’école de Bristol (1800-1840) ». Au tout début du xixe siècle, cette ville portuaire connaît l’éclosion d’un véritable foyer artistique, désigné parfois comme la

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Bristol School, autour de quelques peintres de très grand talent qui ont entretenu les uns avec les autres des relations chaleureuses et informelles. Ils traitent des scènes de la vie urbaine et des représentations de la topographie et de l’urbanisme si singuliers de la cité (Turner lui-même a été fasciné par le site et l’exposition présente quelques-unes de ses aquarelles). À l’occasion de sketching parties, sessions d’esquisses en plein air organisées à la périphérie de la ville, ils élaborent une peinture de paysages « péri-urbains » très originale dont les peintres Francis Danby et Samuel Jackson furent sans conteste les plus brillants représentants. Au début des années 1820, Francis Danby sera l’un des principaux inventeurs du paysage fantastique dont la vogue sera prédominante en Angleterre au cours des deux décennies suivantes. L’exposition pourra présenter quelques-uns de ses chefs-d’œuvre tels que Le Coucher de soleil après l’orage (musée de Bristol) ou Le Christ marchant sur les eaux (musée du Louvre). On verra aussi les œuvres de Samuel Colman, un représentant particulièrement original et méconnu de ce genre fantastique. À VOIR « British Stories. Conversations entre le Louvre et le musée des Beaux-Arts de Bordeaux » Du 28 mai au 20 septembre 2020 au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, avec la collaboration exceptionnelle du musée du Louvre. Commissariat : Sophie Barthélemy, directrice du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Sandra Buratti-Hasan, conservatrice adjointe au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, et Guillaume Faroult, conservateur en chef, département des Peintures du musée du Louvre. « Absolutely Bizarre! Les drôles d’histoires de l’école de Bristol (1800-1840) » Du 28 mai au 20 septembre 2020 à la galerie des Beaux-Arts de Bordeaux, avec les collaborations exceptionnelles du musée du Louvre et du Bristol Museum & Art Gallery. Commissariat : Sophie Barthélémy, directrice du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Sandra Buratti-Hasan, conservatrice adjointe au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Guillaume Faroult, conservateur en chef au département des Peintures du musée du Louvre, et Jenny Gaschke, conservatrice au Bristol Museum & Art Gallery. À LIRE Catalogue de l’exposition, Absolutely Bizarre! Les drôles d’histoires de l’école de Bristol (1800-1840), sous la direction de Guillaume Faroult, éditions Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, à paraître. Album de l’exposition, British Stories. Conversations entre le Louvre et le musée des Beaux-Arts de Bordeaux, éditions Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, à paraître.

Page de gauche Sir Joshua Reynolds (1723-1792) Master Hare 1788-1789, huile sur toile 77 x 64 cm. Coll. musée du Louvre, Paris. Ci-dessus Francis Danby (1793-1861) Vue des gorges de l’Avon 1822, huile sur toile 34 x 46 cm. Coll. Bristol Museum & Art Gallery. Ci-contre Sir Joshua Reynolds Portrait de Richard Robinson, archevêque d’Armagh vers 1771-1775 huile sur toile 143,5 x 115 cm. Coll. Musées nationaux récupération 335, affecté au musée des BeauxArts de Bordeaux.

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À LIRE

LA COLLECTION BORGHÈSE EN IMAGES Une histoire en images de la collection Borghèse. Les antiques de Scipion dans les albums Topham sous la direction de Marie-Lou Fabréga-Dubert, coédition Musée du Louvre / Mare & Martin, 690 ill., 552 p., 89 €.

Après lui avoir consacré un premier ouvrage de référence, La Collection Borghèse au musée Napoléon, Marie-Lou Fabréga-Dubert, chargée de mission au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre, met en valeur sous un autre angle l’histoire mouvementée de cette collection insigne. Elle dirige une publication sur les dessins d’antiques réalisés dans la première moitié du x viii e siècle pour un collectionneur anglais, Richard Topham (1671-1730). Conservateur des archives à la Tour de Londres, cet helléniste se distingua des nombreux autres amateurs européens par la taille exceptionnelle de sa collection, son organisation topographique et son approche érudite. En plus de sa très riche bibliothèque où les textes grecs et latins figurent en bonne part, il voulut réunir une encyclopédie de l’iconographie antique. Il commanda donc entre 1713 et 1730 trois mille dessins, aquarelles et gravures des décors sculptés des palais et villas de Rome, classés en trente et un albums, légués à sa mort au Eton College. Cet ensemble unique s’ouvre par trois albums consacrés à la villa Borghèse. Deux cent trente dessins, légendés avec soin par Topham, documentent avec précision les antiques qui ornaient le parc, les façades et les salles de la villa, selon un ordre qui suit le guide de la villa Borghèse publié par Domenico Montelatici en 1700. Outre sa qualité esthétique, cet inventaire formel se révèle d’un intérêt majeur pour la connaissance de l’extraordinaire collection réunie par Scipion Borghèse dont Napoléon fit l’acquisition pour son musée en 1807. Plus de cent quarante des antiques dessinées pour Topham sont aujourd’hui conservées au Louvre. Or les dessins présentent ces pièces dans un état antérieur aux transformations néoclassiques du décor à partir de 1775. La comparaison entre les dessins et les œuvres est précieuse pour l’étude de la restauration des antiques. Ainsi, la statue transformée en Cérès par le restaurateur de Marcantonio IV Borghèse, Vincenzo Pacetti, qui refit les bras et les épaules et remonta sur le corps une autre tête, antique mais non pertinente, retrouve son apparence originale de Pomone dans le dessin de la collection Topham. L’ouvrage replace la collection de Topham dans l’Angleterre pré-néoclassique du début du x viii e siècle et fait vivre le marché des dessins et estampes d’après l’antique qui se développe alors à Rome. Il fait aussi découvrir deux artistes romains méconnus, Bernardino Ciferri (vers 1684-1760) et Carlo Calderi (1681-?). Dans l'atelier de Francesco Fernandi, dit l’Imperiali, l’un des peintres les plus appréciés à Rome au x viii e siècle, ils travaillèrent principalement pour cette clientèle britannique, parmi laquelle se distingua Richard Topham. Mathilde Dillmann 102


c ar n e t s e t al b u m s Dessins du musée du Louvre

De fragiles carnets d’artistes et albums de collectionneurs du département des Arts graphiques du musée du Louvre sont enfin rendus accessibles au public grâce à l’édition de leur reproduction intégrale au format d’origine, accompagnée d’une étude inédite, réunies dans un élégant coffret. Coédition musée du Louvre/Officina Libraria – diffusion Dod et Cie 2 volumes en coffret Eugène Delacroix. Carnet « des Pyrénées » Marie-Pierre Salé L’album des « Disegni di A. Pollaiuolo (?) 1429 † 1498 » Laura Angelucci et Dominique Cordellier Le «Livre de croquis de Gabriel de Saint-Aubin » Xavier Salmon Gilles Marie Oppenord. « Carnet de dessins faits à Rome 1692-1699 » Jean-Gérard Castex et Peter Fuhring Le «Livre à dessiner de P. Devalenciennes » Juliette Trey

NOUVEAUTÉ parution le 24 mars 2020

Projet de feu d’artifice tiré à Versailles, le 15 mai 1771 i. le carnet fac-similé 68 p., relié, 19,4 ✕ 29,3 cm, 68 pl. coul. ii. l’étude par Victor Hundsbuckler 40 p., broché, 19,4 ✕ 29,3 cm, 30 ill. coul. isbn: 978-88-3367-090-4 | 48 = C

La restauration et la valorisation scientifique d’une sélection d’albums du département des Arts graphiques sont rendues possibles grâce au généreux mécénat de Canson®.


À LIRE

FRANÇAIS ET ÉGYPTIENS : DE MARIETTE À AUJOURD’HUI

Archéologie française en Égypte. Recherche, coopération, innovation Édité par Laurent Coulon et Mélanie Cressent, Institut d’archéologie orientale du Caire, 286 ill., 279 p., 35 €. Dans une exposition organisée au Musée égyptien du Caire du 18 décembre 2019 au 18 février 2020, l’Institut français d’archéologie orientale (Ifao) du Caire présente le riche panorama de l’archéologie française en Égypte. France et Égypte, on le sait, ont établi de solides relations à travers l’étude du patrimoine archéologique, relations qui ont débuté avec Auguste Mariette, les fouilles du Sérapéum et la création du Service des antiquités. Le catalogue de l’exposition présente de nombreuses missions menées ou soutenues depuis la fin du xixe siècle par l’Ifao sur de grands sites archéologiques : Abou Roach, Baouît, Dendera, Médamoud, Tôd, Karnak, Deir el-Médineh, les oasis occidentales et plus récemment Ayn-Soukhna au bord de la mer Rouge ou encore la tombe de Padiamenopé, proche de Deir el-Bahari. Restauration et archéométrie sont aujourd’hui deux des actions les plus demandées et les plus commentées. Outre l’Ifao, il faut mentionner deux missions permanentes de création plus récente et qui aujourd’hui jouent un rôle prépondérant : le Centre d’études alexandrines qu’ont fait connaître ses fouilles sous-marines spectaculaires et le Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak, institution binationale très originale créée à l’initiative de Christiane Desroches Noblecourt, la célèbre directrice du département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre. Sophie Labbé-Toutée 104

DRESSOIRS ET ARMOIRES, DU MOYEN ÂGE À LA RENAISSANCE

UN CATALOGUE NOVATEUR POUR LES BRONZES DE LA RENAISSANCE

Sous la direction d’Agnès Bos, coédition Musée du Louvre / Somogy, 540 ill., 465 p., 59 €. Coffres, dressoirs, armoires peintes ou sculp-

Par Philippe Malgouyres, coédition Musée du Louvre / Mare & Martin, env. 500 p., env. 85 €. Les cinq cents bronzes italiens de la Renaissance conservés au Louvre font l’objet d’une publication scientifique d’un genre nouveau. Pour dépasser la recherche d’attribution qui atteint ses limites dans ce domaine, Philippe Malgouyres, conservateur en chef au département des Objets d’art, a fait le choix d’un catalogue raisonné qui présente la collection de deux manières complémentaires. Un catalogue complet des œuvres, établi chronologiquement selon leur ordre d’entrée dans la collection, montre pour la première fois l’avers et le revers de chaque bronze et analyse la matérialité des pièces qui bénéficient chacune d’une notice technique et d’une bibliographie analytique. Il dessine ainsi l’histoire du goût et l’historiographie de la catégorie du « petit bronze », créée artificiellement à la fin du xixe siècle pour regrouper statuettes, reliefs, plaquettes, médailles, mais aussi objets d’usage comme les lampes. S’y ajoutent des essais qui éclairent la collection du Louvre sous différents angles et font découvrir un tout autre aspect de la production des artistes de la Renaissance, d’Alberti à Adriano Fiorentino, de Pisanello à Giovanni Boldù, « peintre vénitien mais médailleur ferrarais », de Filarete, « l’inventeur du bronzetto », à Riccio, « le maître du petit bronze ». M. D.

Mobilier du Moyen Âge et de la Renaissance. La collection du musée du Louvre

tées, cabinets à décor de damasquinure, table à éventails à décor de sphinges, lit en bois doré, chaises à haut dossier, fauteuil à décor de marqueterie, vantaux de porte, ou encore châssis de fenêtre qui passa longtemps pour provenir de la prison de Jeanne d’Arc… Le mobilier du Moyen Âge et de la Renaissance conservé au musée du Louvre méritait bien ce superbe catalogue raisonné sous la direction d’Agnès Bos, conservatrice au département des Objets d’art de 2007 à 2016. Plus d’une centaine d’œuvres d’exception contribue à la connaissance de la vie matérielle comme de la production artistique en France, en Italie et dans les Flandres. Grâce à un partenariat avec le Centre de recherche et de restauration des musées de France, les études et analyses scientifiques mettent en lumière l’histoire parfois mouvementée de ces pièces qui connurent une grande vogue au xixe siècle. Des collectionneurs tels que Charles Sauvageot et la marquise Arconati-Visconti se passionnèrent pour ces œuvres. Ils figurent parmi les principaux donateurs qui contribuèrent à la richesse et à la diversité de la collection du Louvre. Mathilde Dillmann

De Filarete à Riccio. Bronzes italiens de la Renaissance (1430-1550). La collection du musée du Louvre


L’ART ET LES ARTISTES DE LA RESTAURATION

Dictionnaire historique des restaurateurs. Tableaux et œuvres sur papier, Paris, 1750-1950 Sous la direction de Nathalie Volle, Béatrice Lauwick et Isabelle Cabillic, coédition Musée du Louvre / Mare & Martin, 450 ill., 1 070 p., 80 €. Aboutissement des recherches de nombreux spécialistes, ce dictionnaire sera un ouvrage de référence sur la restauration de peinture et de dessin à Paris pendant deux siècles. Des années 1750 où la veuve Godefroid, restauratrice des peintures du Cabinet du roi, pratique les pre-

miers rentoilages, à la profonde transformation de la profession dans les années 1950 avec l’apparition des laboratoires spécialisés, près d’un millier de restaurateurs ont œuvré à Paris et, pour certains, dans l’atelier de restauration du Louvre. Une première partie historique s’intéresse aux multiples aspects de leur métier, montre l’évolution des techniques et pratiques, mais traite aussi de la formation et du recrutement des restaurateurs. Pour la première fois, la restauration des œuvres sur papier bénéficie d’une étude chronologique. La seconde partie est consacrée aux quelque mille notices biographiques qui fournissent de nombreux renseignements, non seulement sur la carrière et les principaux travaux de chaque restaurateur, mais aussi sur leurs méthodes de travail, leurs éventuels écrits, ainsi que sur leurs collaborateurs et successeurs. Une rubrique iconographique reproduit signatures, marques d’atelier et exemples de restauration. M. D.

UN PROMOTEUR DE LA CHINE EN FRANCE

Une des provinces du rococo. La Chine rêvée de François Boucher Coédition In fine / Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, 134 ill., 303 p., 29 €. En novembre dernier, le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon dévoilait la facette peu connue d’un illustre peintre et dessinateur du xviiie siècle dans le cadre d’une présentation exotique et onirique : « Une des provinces du rococo. La Chine rêvée de François Boucher ». Le catalogue de l’exposition, riche des contributions de vingt spécialistes internationaux de la peinture du xviiie siècle ou des arts asiatiques, explore non seulement le goût précoce de François Boucher pour la Chine mais aussi la manière dont il a réussi à diffuser cette passion dans le champ des arts décoratifs. Dès le début de sa carrière en 1730, avant même que les objets chinois et japonais ne deviennent à la mode en Europe, François Boucher était déjà à la tête d’une prodigieuse collection d’art asiatique. Dispersée à sa mort, elle est reconstituée au fil des pages du catalogue et les quelque cent trente objets – porcelaines, bronzes, laques, vases, paravents et autres gracieux objets du quotidien – finement commentés. Ces derniers ont évidemment constitué des sources stimulant son inventivité pour son œuvre personnelle. Puis, par le truchement de l’estampe, ses dessins de « chinoiseries » ont influencé les arts décoratifs jusqu’à contribuer à leur renouvellement. Cet ouvrage constitue également une manière de réhabilitation du peintre galant que les Goncourt raillaient en lui attribuant la responsabilité de nouvelles provinces au royaume du rococo… Céline Delavaux

UNE FLAMBOYANTE EXTRAVAGANCE EN FORMAT POCHE Greco

Par Charlotte Chastel-Rousseau, coédition RMNGrand Palais / Gallimard, coll. « DécouvertesCarnet d’expo », 56 p., 9,20 €. « Greco était-il extravagant ? » C’est sur cette question rhétorique que se clôt le petit opus dû à l’une des commissaires de l’extraordinaire exposition « Greco » qui vient de se terminer à Paris et se poursuit à partir du 7 mars à l’Art Institute de Chicago. Charlotte Chastel-Rousseau, conservatrice de la peinture espagnole et portugaise au Louvre, donne à cette question une réponse à la fois instruite et limpide en quelques pages, illustrées de planches que le lecteur peut déployer à loisir – c’est le principe de cette collection qui se prête particulièrement bien à l’œuvre de Greco. De Crête, on suivra le jeune peintre d’icônes jusqu’à Venise où, découvrant Titien, Véronèse et Tintoret, il s’essaie à l’art du portrait. À Rome, critiquant Michel-Ange, il propose de repeindre la chapelle Sixtine : on aura compris que l’artiste est un personnage ! Il trouve finalement le succès en Espagne grâce à de monumentales commandes religieuses aux raccourcis audacieux et aux couleurs électriques. Enfin, son ultime manière, avec ses figures longilignes cernées de noir, tournoyant dans une lumière surnaturelle, lui vaudra d’être soupçonné de folie. Et l’on comprend que cette œuvre singulière, à la charnière de la Renaissance et du Siècle d’or, ait dû attendre l’œil de l’avantgarde moderne au tournant du xxe siècle pour s’imposer aujourd’hui, plus hallucinante que jamais. C. D.

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PETITE CHRONIQUE du costume Jacques Louis David (1748-1825) Madame Pierre Sériziat 1795, huile sur bois 131 x 96 cm. Coll. musée du Louvre, Paris.

ANGLOMANIE ET ÉLÉGANCE CHAMPÊTRE par Sabine de La Rochefoucauld

Emprisonné après le 9 Thermidor comme partisan de Robespierre, David, à sa libération, se réfugia dans la Brie, chez sa sœur et son beau-frère, Pierre Sériziat. Le peintre observe et décrit remarquablement les vêtements portés par ses contemporains.

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acques Louis David, emprisonné, puis, écrit- que l’autre. Chaque robe est alors une création il, « empêché par la maladie opiniâtre qui me unique, le prêt-à-porter n’existe pas. Un large mine et me retient chez moi », obtient de la fichu de coton blanc plonge et gonfle le décolleté Convention en avril 1795 l’autorisation d’aller à faisant jaillir la gorge. La marquise de VilleneuveSaint-Ouen chez Pierre Sériziat, son beau-frère. Il Arifat écrit dans ses souvenirs : « On mettait un trouve refuge et consolation auprès de la famille fichu bouffant et ouvert en gaze ou en linon de Charlotte, sa femme, et peint deux portraits : empesé que les laquais appelaient “fichu Pierre en fringant cavalier (lire Grande Galerie menteur”. » n° 35) et la gracieuse Émilie, jumelle de son Cette robe fit scandale lors de son apparition épouse, avec son fils Émile. dans les années 1780, c’est à l’origine un vêteElle a vingt-cinq ans, revient des champs un ment du dessous. Fait d’une seule pièce, il est bouquet de fleurs à la main, les joues rosies par la enfilé par la tête. Légère, fluide et confortable, la promenade. Le peintre la saisit alors qu’elle prend robe à manches longues est ajustée et serrée aux poignets par trois petits boutons blancs. appui sur une table juponnée de velours rouge. Le vêtement de madame Sériziat est minutieuCette élégante simplicité est une mode venue sement décrit par David, une robe-chemise ajus- d’Angleterre. L’anglomanie était déjà, sous l’Antée en coton blanc serrée à la taille par un large cien Régime, « le suprême de l’impertinence et la ruban de soie vert. quintessence du bon Cette robe fit scandale lors de son Le décolleté est ton ». Toutes les élites coulissé et les cor- apparition dans les années 1780, c’est l’adoptent à la fin du e dons passent sous à l’origine un vêtement du dessous. xviii siècle. Durant la le rabat de la robe période révolutionnaire, et se croisent à l’arrière dans le dos. Cela crée une simplicité et modestie sont de mise, les robes ne superposition de tissus au-devant de la robe doivent pas se distinguer : « Nulle personne ne comme un tablier. On aperçoit sur les côtés de la pourra contraindre aucun citoyen ou citoyenne à jupe les cotonnades, celle du dessus plus légère se vêtir de façon particulière, sous peine d’être 106

considérée comme suspecte et traitée comme telle, et poursuivie comme perturbateur du repos public ; chacun est libre de porter tel vêtement ou tel ajustement de son sexe qui lui convient. » La mode même semble alors éteinte, les gazettes ne paraissent plus entre 1793 et 1797. Émilie porte ses cheveux longs et naturels, sans la poudre blanche du temps de Louis XVI. Elle est coiffée d’une charlotte de dentelles, un bonnet aux bords formés de volants coulissés souples, rappelant la reine Charlotte, épouse du roi George III d’Angleterre. Le tout est surmonté d’un chapeau de paille. Les Anglaises aiment le grand air, les longues promenades sur leurs terres et protègent leur teint par cet accessoire. Une cocarde apparaît discrètement entre les nœuds de rubans verts. Par un décret du 16 septembre 1793, « les femmes [sont] obligées de prendre la cocarde ». Celles qui n’adoptent pas cet ornement patriotique sont poursuivies et quelquefois fessées ! L’anglomanie, mode parisienne, abandonne l’ostentation vestimentaire avant la Révolution. La philosophie des Lumières – les lecteurs de Rousseau appellent leurs enfants Émile ou Émilie – prône un retour à la nature et à la simplicité, en témoigne ce bouquet de fleurs des champs.


LE GRAND NŒUD DE CORSAGE DE L’IMPÉRATRICE EUGÉNIE

François Kramer. Diamants, 1855

Don de la Société des Amis du Louvre en 2008 grâce au legs de M. et Mme Rouffet © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

En désignant la Société des Amis du Louvre comme votre légataire universel, votre nom sera pour toujours associé à un chef-d’œuvre de notre patrimoine entré dans les collections du musée du Louvre grâce à votre générosité. POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES DONS ET LEGS : CONSTANCE CHALLAN BELVAL - TÉL : 01 40 20 53 54 - CCB@AMIS-LOUVRE.FR

Société des Amis du Louvre RECONNUE D’UTILITÉ PUBLIQUE DEPUIS 1898

PA L A I S D U L O U V R E 7 5 0 5 8 PA R I S C E D E X 0 1 - T É L : 0 1 4 0 2 0 5 3 3 4 / 5 3 7 4 - W W W. A M I S D U L O U V R E . F R



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