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Photos : Dinu Lazăr / Textes : Ioana Scoruş / Traduction : Geta Rossier
Éditions Liternet 2005
Photographies © 2005 Dinu Lazăr [www.fotografu.ro] Textes © 2005 Ioana Scoruş Traduction © 2005 Geta Rossier Tous droits réservés aux auteurs. Rédacteur et éditeur format .pdf Acrobat Reader: Iulia Cojocariu Couverture: Iulia Cojocariu
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ISBN : 973-8475-95-3 Éditions LiterNet http://editura.liternet.ro office@liternet.ro
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Je suis né ici. Ici je suis né, dans cette vallée avec son œil d’eau dans lequel je contemplais le ciel. Je l’ai nommé « L’Œil de Dieu ». J’étais persuadé que Dieu lui-même me regardait chaque fois que je plongeais mes yeux dans cet œil-là. Enfant, je restais assis sur un talus. J’attendais que les gens passent sur le chemin poussiéreux. J’aimais bien regarder les gens. Il y en avait qui me regardaient aussi. Quand personne ne passait sur le chemin, je regardais le clocher, au loin. J’avais l’impression que le monde commençait et finissait à cet endroit-là : avec Dieu me regardant depuis l’œil d’eau, parfois argenté, parfois rougeâtre. C’était beau ! Moi avec Dieu et le ciel tout entier.
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Ma forêt, le matin, en automne. Elle était ainsi, chaque matin d’automne, depuis toujours. Ici, les garçons plus âgés que moi jouaient au foot et moi, je restais seul parmi les arbres. Je voulais être comme eux, moi aussi. Rien ne m’a jamais réussi, sauf d’être comme moi. Je ne sais pas si cela fut bien ou mal.
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Enfant, entre les herbes hautes, séchées, je regardais le brouillard en pensant à des images fantastiques. Le brouillard racontait des histoires. J’étais le seul à les comprendre. Aujourd’hui, il me parle une autre langue, la langue des adultes, avec des mots qui disent La Femme et la Mort. La Vie.
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Allongé parmi les épis, le visage tourné vers le ciel je voyais d’autres merveilles. Les merveilles du ciel, autres que celles du brouillard. Un jour, j’ai commencé à haïr le brouillard trompeur. J’avais peur de la mort.
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Ce que je préférais c’était les arbres dépouillés. Ils avaient l’air impuissants et moi, j’avais le sentiment d’être leur frère. Un jour, j’ai trouvé un chien. Il était petit. Il n’était à personne. Nous parlions sans cesse. Il comprenait les choses que la forêt ne pouvait pas comprendre.
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La forêt fut ma maison. Je crois avoir été assez modeste ; je ne demandais pas beaucoup à la vie, car je ne la connaissais pas. A mes yeux, la vie c’était la forêt avec son brouillard, ses couleurs, son odeur, ses apparences. Un jour, j’ai appris que la vie c’était autre chose. Je crois que ce fut à ce moment-là que j’ai commencé à la haïr.
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Quand les couleurs se mélangeaient à un moment précis de la journée, quand le gris devenait rougeâtre et le blanc se changeait en vert foncé, quand le soleil envoyait pour une fraction de seconde ses rayons à travers les branches des arbres, j’étais le plus heureux. Je n’étais qu’un enfant et je croyais que tout le monde était pareil à moi-même. Mais les gens ne sont pas tels que je le pensais.
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Parfois, les collines ressemblaient à des seins de femme, lourds de lait chaud. Je ne me souviens plus où j’avais vu des seins de femme. Je suis certain d’en avoir vus quelque part, il y a longtemps. Je crois même avoir gardé le souvenir de la chaleur de la peau, de son grain très fin comme la joue d’un nouveau-né, je me souviens de cette odeur-là, divine. Oui, Dieu a l’odeur d’une mère avec des seins remplis de lait chaud. Les collines, elles, n’avaient pas l’odeur d’une mère.
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Le désir d’être guerrier me prenait, parfois. Les arbres étaient mes soldats. Avec la troupe de soldats derrière moi, poussant des cris guerriers, je partais à la conquête du palais enchanté. Un jour, regardant derrière moi, j’ai découvert non pas des soldats, mais bien des arbres aussi trompeurs que le brouillard, que la forêt, que la vie elle-même. Il n’est pas facile d’être enfant.
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L’hiver, la beauté des collines faisait de tout mal un moindre bien. Le mal, c’était la faim. Finalement, ce n’était pas le pire tant que je pouvais contempler « L’Œil de Dieu » dans l’œil d’eau. Et qu’Il me contemplait aussi.
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Pourtant, j’avais faim. Et cela ne s’oublie pas facilement. Quand on a très faim plus rien ne compte. Ou presque. Ni la forêt. Ni, peut-être, la vie.
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Quand on a faim, tout devient injustice. J’ai collé une chiquenaude à la feuille encore verte ; elle a volé en éclats. Je me suis senti vengé, un peu. Mais je n’ai rien résolu.
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Et pourtant, je n’avais pas raison. De quoi étaient-elles coupables, les feuilles ? Elles pleuraient aussi, comme moi, mais leurs larmes ne me faisaient pas mal. Mes larmes non plus, elles ne faisaient souffrir personne. En pleurant, tout seul, je suis devenu homme.
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J’avais acquis une autre façon de regarder la forêt. Il me semble que j’étais, alors, plus fort. Parce que je n’avais pas le choix. On ne peut pas rester éternellement enfant. La forêt oblige.
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J’aimais chasser des lapins. Je rêvais d’être comme le chasseur que j’avais aperçu un matin viser, le doigt sur la gâchette, concentré, comme une statue. Il y avait beaucoup de lapins, peut-être, même trop.
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J’avais déniché un vieux fusil de chasse chez le Vieux Lie qui ne voyait plus tellement bien. Je me baladais, fier, le fusil sur l’épaule gauche. Personne n’était comme moi, j’imaginais. En réalité, j’imaginais que personne ne pouvait être comme moi.
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Il n’est pas facile de chasser quand on aime la forêt et le ciel, et « L’Œil de Dieu ». Cependant, il fallait que je devienne homme et il n’était pas question que j’échoue.
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L’automne c’était plus facile, on voyait mieux les lapins, le silence montait des branches dénudées et moi, j’étais le maître absolu de la forêt. Le maître de personne.
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Quand les garçons du village allaient jouer au foot, moi, je restais avec le fusil en joue, le doigt sur la gâchette. J’avais l’impression que les autres étaient encore gamins. J’avais 16 ans.
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Je portais le lapin encore chaud chez le Vieux Lie, il l’écorchait et tante Mia en faisaient un plat délicieux. Un jour, ils m’ont offert un bonnet en fourrure de lapin. Je l’ai porté sur la tête jusqu’à mes 10 ans.
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C’est certain. J’ai eu mon ange. Parfois je le sentais sur mon épaule gauche, parfois sur l’épaule droite, plus souvent sur l’épaule droite. Je tournais même la tête au frémissement de ses ailes. Quelquefois, je l’ai même vu.
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Ici commençait et finissait le bonheur de chaque jour, avec le Vieux Lie racontant des histoires sur une Sibérie magique, avec tante Mia faisant des merveilles dans les casseroles d’où se répandaient des vapeurs embaumées qui me chatouillaient le nez. L’odeur de l’enfance…
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En définitive, l’homme n’est autre chose qu’un arbre avec des racines fragiles, ancrées dans la vie. La chance c’est d’en avoir encore quelques uns autour de soi et surtout d’avoir un sol ferme et un Dieu en voûte au-dessus.
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On apprend trop tard ce qu’est la vie, comment elle se vit et alors, nous ne pouvons plus que nous réjouir d’avoir eu à vivre, sans nous en apercevoir, un novembre éternel au goût amer de vie et de femme et à l’odeur suave d’orchidée un doux soleil, glissant oblique sur la colline de charmes.
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