cimetière ESPACE MÉTAMORPHE, EN PASSE DE MUTER À LA LUMIÈRE DES ENJEUX CONTEMPORAINS
ÉTUD. RHZIOUAL BERRADA Nour UNIT E0932A - MÉMOIRE 3 - MÉMOIRE INITIATION RECHERCHE
SRC
DE.MEM TUT.SEP
VEDRINE C. CHAVARDES B.
MARCH ARCH
S09 DEM ALT 20-21 Promo
© ENSAL
Le cimetière, espace métamorphe en passe de muter à la lumière des enjeux contemporains
Nour RHZIOUAL BERRADA Sous la direction de Corine VEDRINE ENSAL 2020 - 2021
0 1 06 - 09
20 - 93
Préambule
Remerciements
La mort, génératrice d’espaces façonnés par la société dans laquelle ils s’inscrivent
Introduction
1 - Les espaces sépulcraux 2 - Les espaces ritualisés
94 - 161
2. 162 - 233
Essai de projection concernant le cimetière à venir
Conclusion
1 - Etat des lieux du cimetière d’aujourd’hui
Iconographie
2 - Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
Annexes
3 - Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
Ressources
Table des matières
préambule
pourquoi ce sujet, quelles réactions, état d’esprit, comment le traiter, attachement personnel, qu’en est-il de l’avenir
En apnée. Voilà comment je me sens depuis trois ans, en apnée. Comment respirer quand on traite d’un sujet comme celui-ci? Deux personnes meurent chaque seconde, le temps que j’écrive cette phrase, douze ont disparu. Combien de personnes sont mortes le temps d’écrire cette étude? Je ne saurais les compter, mais je ne sais qu’il n’y en a que trop. Cette année particulièrement, les morts sont inombrables, et cette année particulièrement j’ai eu peur de ne jamais finir ce mémoire.Comment voudriez-vous continuer une étude telle que celle-là quand la mort vous touche de si près? Chaque mot me tordrait le coeur, chaque livre me hanterait l’esprit, chaque pensée me piquerait toute entière. Je suis donc en apnée. Je retiens mon souffle à mesure que le temps avance, par peur qu’un de mes proches s’en aille. Un accident est si vite arrivé, la COVID-19 semble aller encore plus vite. Certains me diront que c’est une aubaine, ce virus rabat les cartes et met en lumière mon sujet. La mort fait la une des journaux. Il ne se passe pas un jour sans qu’on la cite aux informations certes, mais comme vous tous je m’en serais volontiers passé. Ce n’est pas un sujet que l’on aime voir à l’honneur, surtout pas dans un contexte comme celui-là. Bien entendu, la mort est parfois heureuse, quand elle soulage les blessures, quand elle arrive à point nommé. Mais la mort est douloureuse quand elle prend ce qui n’est pas à elle. Et pourtant, la mort est si belle quand elle rassemble. Certains diraient que c’est horrible de tenir ces propos d’un événement si tragique. Car en effet, c’est une thématique qui déchaîne les passions. D’ailleurs quand j’énonce mon cas d’étude à quelqu’un, j’ai en général trois types de réaction. D’une part le rire, pas le rire franc, le rire un peu nerveux qui insinue que je plaisante. On a aussi la surprise : pourquoi? Comment ? Quel rapport avec tes études ? Pourquoi encore? Enfin on a l’incompréhension. Le pourquoi revient toujours, pourquoi s’intéresser à un sujet comme celui-ci? La plupart du temps, j’esquive un peu la réponse car en vérité je ne sais foutrement quoi dire. J’ai presque peur parfois d’avouer que je m’y intéresse, n’ayant pas de raison suffisamment valable à défendre. Alors je sors la phrase type «C’est un cas d’étude très intéressant», en faisant un sujet presque banal sur lequel je porterai un oeil tout à fait neutre et impersonnel. Effectivement je me suis efforcée, tout au long de cette étude, à rester objective et à m’ouvrir à tout ce que sujet offrait. Et en même temps, je me suis vite rendue compte que c’est un sujet qui ne doit justement pas rester au main de la seule objectivité. La mort est empreinte de sentiments : la tristesse bien entendu, le soulagement, le dégoût parfois, la joie dans certaines cultures. Il est impossible de s’en défaire, et il est même essentiel de se mettre à la place de l’autre. Alors souvent, pour m’aider, au final je fais appel à tous les sentiments que j’ai éprouvé et je me rappelle. Je me rappelle du premier enterrement que j’ai vécu, celui de mon arrière grand-mère. Je me rappelle de maman qui pleure dans la salle de bain. Mais surtout je me rappelle de la cérémonie à l’église, tous ces gens rassemblés pour une seule et même personne, communiant à l’unisson. Je me rappelle aussi mon voyage de seconde, une exploration traitant de la seconde guerre mondiale, entre Angleterre, France et Belgique. Je me rappelle, des mémoriaux, des musées, des camps de concentration, des cimetières. Je me rappelle de mes camarades, étrangement calmes devant les croix blanches. Je me rappelle surtout des pleurs, au fur et à mesure des visites. Je me rappelle de moi enfin, vivant ma première vraie expérience architecturale. Je me rappelle de la quiétude de ce cimetière vue mer en Grèce. Je me rappelle, bien plus tard, de la tombe sculptée de dauphins de ma meilleure amie, du cimetière de mes grands parents sur la colline de Fès, des balades du dimanche avec mamie pour aller fleurir les tombes. Enfin, je me rappelle de mon oncle, parti en 2018. Voilà, je pense maintenant que je sais pourquoi je me suis intéressée à ce sujet. A présent, ce mémoire est terminé, mais le projet de fin d’étude ne fait que commencer. Vous l’aurez compris, il porte sur le même sujet. L’apnée n’est pas terminée. Mais je reprends quand même mon souffle.
merci. à mon père, ma mère et ma soeur pour leur soutien infaillible, à Corine Vedrine pour son accompagnement bienveillant tout au long de cette étude, à Stephan Courteix avec qui cette recherche a débuté, à tous ceux qui de près ou de loin ont nourri cette réflexion et l’ont soutenue.
Cimetière de Fès (Maroc) - https://hiveminer.com/Tags/cementerio%2Cfes
Introduction
Lieu de mystère et de fantasme, le cimetière intrigue et ne laisse pas indifférent. Source intarrissable d’inspiration, on le retrouve dans la littérature chez Maupassant, dans la poésie chez Thomas GRAY, au cinéma chez Tim BURTON ou encore dans la peinture chez David FRIEDRICH. Le cimetière est partout, sauf dans nos vi(ll)es. Les XXe et XXI siècles se caractérisent par un désintéressement vis à vis des défunts, voire même une volonté d’éclipser la mort du quotidien. Les cimetières répondent à une nécessité de fonctionnalité où les tombes, standardisées, s’agencent à la manière de parkings où les sépultures remplacent les voitures. Robert Auzelle, architecte-urbaniste théoricien sur la question des cimetières dans les années 60 affirme qu’«il s’agit, pour les collectivités, d’inhumer le maximum de corps, dans le minimum de terrain, avec le minimum de frais.»01 . Délaissé par les décideurs, les municipalités n’ont parfois ni le temps, ni les moyens ni même l’envie de se consacrer à l’entretien du cimetière. Le problème vient également du fait que la mort est aujourd’hui taboue, nous cherchons à la masquer, à l’abstraire de notre quotidien, comme si celle-ci n’existait pas. D’après l’historien français Michel Vovelle, «il est aujourd’hui admis que notre XX° siècle vit à l’heure du “tabou” sur la mort qui aurait remplacé l’ancien tabou sur le sexe, pour définir une nouvelle catégorie de l’obscène, de ce dont on ne parle pas»02. Cachée en périphérie des villes derrière de hauts murs impénétrables, la mort se tapit loin de notre vie journalière. Le sujet reste encore trop sensible et intouchable, livres, thèses, et sujets de recherche manquent à l’appel pour documenter à la fois les concepteurs et les municipalités en charge de la conservation et de l’extension des cimetières. La documentation est réduite à des faits divers qualifiés d’ «extraordinaires» «insolites» ou «improbables» dans des articles non certifiés sur internet. Délaissé par les moeurs la mort, taboue, n’a donc pas sa place dans notre quotidien. Délaissé par les décideurs, délaissé par les moeurs... Qu’en est-il des concepteurs? Robert AUZELLE, persuadé que «la valeur d’une civilisation se mesure au respect qu’elle porte à la mémoire de ses morts»03 s’engagea dès les années 1940 dans la recherche d’un nouvel ordre concernant l’élaboration projectuelle des cimetières. Conscient de la situation de crise du secteur funéraire, l’architecte consacra sa vie à la réhabilitation de l’architecture funéraire
01
Robert AUZELLE, Dernières demeures, Chez l’Auteur, (1965)
02
Michel VOVELLE, Chronique de la mort, Editions Gallimard (1993)
03
Robert AUZELLE, Dernières demeures, Chez l’Auteur, (1965) 10
Introduction
dans une démarche humaniste remettant l’Homme au centre de la composition architecturale et paysagère. Figure de proue de ce mécontentement concernant la gestion des cimetières, son oeuvre ne sera pas reprise ni suivie et subsiste encore aujourd’hui un flottement concernant la juste composition des cimetières. Aussi, et surtout, les concepteurs en charge de composer la ville de demain dessinent des ilôts de logement, des places, et des équipements sportifs en intégrant des milliers de personnes sur des hectares, mais ils n’évoquent la question du cimetière. Pourtant, comme on vit on meurt. Et aujourd’hui, à mesure que nous sommes de plus en plus à vivre sur Terre, nous sommes également plus nombreux à mourir. La génération des babyboomers est en passe de décéder dans les décennies à venir, impliquant un très grand nombre de sépultures à intégrer. Pourtant, les cimetières sont aujourd’hui déjà saturés. Miroir noir de la ville, le cimetière urbain subit la même pression foncière que la métropole et subit un cruel manque de place. Le cimetière traditionnel, dans sa configuration encore trop avide d’espace, peine à suivre le rythme d’une urbanisation qui se densifie et mute dans de nouvelles formes propices à la rationalité foncière. La simple extension ne suffit plus, à mesure que les terrains avoisinants sont en général déjà occupés. Cette problématique de saturation est justement l’occasion de reprendre la main sur la gestion et l’élaboration des cimetières. Il est temps de réfléchir à de nouvelles solutions, ou peut être même d’en emprunter des anciennes, et de mettre en place une réflexion globale concernant la gestion des sépultures. Néanmoins, les seules méthodes fonctionnalistes ne sont pas (plus) les bienvenues. La réflexion de cet espace est à repenser à la lumière de tous les champs disciplinaires qui l’entourent. Pour assurer une élaboration saine, il est tout d’abord nécessaire de revenir sur la définition même de ce qu’est un cimetière. Dérivé du latin «cimiterium», le terme «cimetière» désigne à l’origine un lieu où l’on dort. Aujourd’hui, le Larousse le définit comme un «terrain où l’on enterre les morts». Cette dernière définition, malgré qu’elle soit contemporaine, ne semble pas adéquate à mesure qu’aujourd’hui les morts ne sont plus nécessairement enterrés. Cette définition reflète en fait la pratique primaire du cimetière médiéval où les défunts étaient enterrés sous l’égide de l’Eglise catholique. Le cimetière dans sa configuration actuelle hérite en effet du modèle médiéval qui a tout de même subi des mutations. Néanmoins, la pratique sépulcrale ne date pas du Moyen-Âge et est même bien plus ancienne puisqu’elle remonte à la Préhistoire, plus précisément à l’ère Néandertalienne, où l’Homme creusait déjà des fosses pour enterrer ses défunts.
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Introduction
Aussi, la définition du Larousse semble incomplète car le cimetière n’est pas seulement un espace destiné à recevoir des sépultures. En effet, il est également un espace support de rituels, et ce depuis sa création. En effet, la Mort ne fait pas que créer des défunts, elle crée également des endeuillés. Et depuis l’apparition de croyances, les décisionnaires religieux ont instauré des rituels éxécutés par les survivants. Au Moyen-Age, la tombe était le support du deuil, et l’Eglise procédait à des cérémonies religieuses en son sein. Avant cette période même, les sociétés antiques codifiaient des protocoles rituels rigoureux lors du décès d’un de leurs membres. Mais ces rituels, qu’ils soient dictés par la religion catholique ou la loi Romaine, dépassaient même la limite physique du cimetière ou de la nécropole. En effet, la Mort ne s’arrête pas à la grille du cimetière et s’invitait également dans le quotidien des survivants. Le deuil, autrefois institutionnalisé, dirigeait et impactait la vie et l’espace des survivants. Les espaces sépulcraux et rituels ont subi de nombreuses modifications, parfois imperceptibles tant elles s’étirent sur des temps longs. Au gré des progrès, des religions, des modes de vie mais aussi sous l’influence d’événements divers tels que des guerres, des maladies ou des révolutions, l’implantation urbaine du cimetière et de la nécropole, leur morphologie et leur expression funéraire ont effectivement été impactés. Le cimetière semble posséder une forme de plasticité qui lui permettrait de s’adapter à chaque époque dans laquelle il s’implante. Il traverse le temps et apparaît comme un espace intouchable, avec une temporalité qui lui est propre. Pourtant, avec l’apparition des concessions provisoires, il revêt désormais un aspect cyclique et cet aspect impérissable semble révolu. En effet, le cimetière se meurt. Délaissé par les décideurs, délaissé par les moeurs, délaissé par les concepteurs mais aussi délaissé par les visiteurs. La fréquentation quotidienne est en baisse, les sépultures se dégradent à mesure que personne ne vient les visiter et le cimetière souffre d’une réputation négative. Certains vont jusqu’à remettre en cause son existence même, avançant que le numérique est en passe de remplacer tout l’aspect rituel du cimetière. Le cimetière est saturé et pourtant le cimetière est vide. Le cimetière semble figé pourtant le cimetière est métamorphe. Dans sa configuration actuelle, il ne parvient ni à répondre à la problématique du manque de place ni à faire venir les endeuillés pourtant en quête de recueillement. Tous ces aspects nous poussent à le requestionner entièrement. Nous devons interroger la manière dont il est apparu, comment il s’est transformé, qu’est ce qu’il est aujourd’hui, ce qui va être amené à l’impacter et enfin à quoi il ressemblera demain. Plus largement, nous devons étudier en quoi le cimetière est un espace métamorphe façonné par les enjeux qui lui sont contemporains? Comment et pourquoi est-il amené à se transformer au vu des problématiques actuelles ?
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Introduction
Mount Zion Cemetery à New York City - https://paranormalobservations.wordpress.com
Introduction
A la manière dont on diagnostique un bâtiment dans le cadre d’une réhabilitation patrimoniale, cette étude est l’occasion de dresser un diagnostic du cimetière. Un diagnostic, c’est une connaissance approfondie d’un sujet, savoir comment on en est arrivé là, quelles sont les pathologies actuelles, les enjeux, ce qui influe, mais c’est aussi apprendre à apprécier et à faire apprécier le bâtiment à ses usagers. Tout le monde croit connaître le cimetière, mais personne n’en connaît la genèse ni le potentiel. La liste des projets les plus remarquables selon moi compte nombre de cimetières et crématoriums. Ce sont des espaces où la phénoménologie prend toute sa grande définition, où la quête de sens et l’expérience sont essentielles. L’objectif de cette étude est donc d’une part de comprendre comment et pourquoi le cimetière est ce qu’il est aujourd’hui mais aussi de mettre en lumière ce qu’il pourrait être. L’objectif est également de dresser une évolution urbaine, morphologique et architecturale de l’espace de la mort. Bien qu’encore très succinte, à mesure que les variations géographiques et ethniques sont essentielles, cette étude permet tout de même de comprendre l’évolution globale des espaces sépulcraux et rituels et le rapport qu’ils entretiennent l’un avec l’autre. Jusqu’à présent les études typomorphologiques des cimetières s’astreignaient à une époque et à un lieu donné. Ici, on cherche à ramener la recherche à l’échelle de la France pour comprendre des tendances globales inhérentes à ce secteur géographique. Enfin, cette étude donne des clés quant à la façon dont pourraient évoluer les cimetières à la lumière des enjeux de 2021. En effet, les résultats sont valables à l’instant T et ne seront peut-être pas efficients dans quelques années. Néanmoins, la démarche de recherche ainsi que les différents points questionnés peuvent être remobilisés dans le cadre d’une étude future. A mesure que la gestion n’est pas globalisée ni réellement encadrée à l’échelle nationale, il apparaît important de reprendre les ambitions de Robert Auzelle et de proposer des clés pour l’élaboration des cimetières en cours et à venir.
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Introduction
Caveaux médiévaux du cimetière de Toutes-Aides de Saint Nazaire - Photographie personnelle
Introduction
Pour ce faire, dans un premier temps, nous étudierons de quelle manière les espaces générés par la Mort sont façonnés par les enjeux contemporains à leur création et/ou utilisation. L’espace sépulcral, porté par la nécropole ou le cimetière, est bien entendu le premier espace généré. Nous verrons que son rejet hors de la ville n’est pas nécessairement synonyme d’une appréhension ou d’un rejet de la Mort et que d’autres facteurs influent fortement sur son implantation. Sa morphologie, parfois caractéristique d’une époque ou d’une doctrine, pourra parfois être qualifiée de typologie et nous verrons donc comment l’étude de la composition des lieux nous donne des informations sur l’Histoire générale. Enfin, nous expliqueront pourquoi les sépultures sont le support de rituels et comment leur traitement reflète régulièrement la hiérarchie d’une société. Par la suite, nous étudierons tous les autres espaces autres que le cimetière impactés et/ou créés par la ritualisation de la Mort. Nous procéderons dans l’ordre chronologique en commençant par l’étude des lieux précédant la Mort. Puis nous verrons comment la charge de la préparation du corps après le décès est passée des mains de la famille au sein du foyer aux mains du personnel médical au sein des hopitaux. Nous étudierons ensuite la manière dont les commémorations suivant le décès impactent les survivants avant de montrer que le deuil est un rituel qui guide le quotidien des endeuillés. Cette première partie nous permettra de fonder un support théorique et historique essentiel pour la bonne appréhension du second temps de ce travail. Elle nous permettra de montrer comment le cimetière d’aujourd’hui hérite des conceptions anciennes et dans quelle mesure il est capable de muter lorsqu’il fait face à des événements qui le remettent parfois complètement en cause.Forts de ces conclusions, dans un second temps nous chercherons donc à établir les caractéristiques futures de l’espace du cimetière au vu de ce qu’il est aujourd’hui. Pour ce faire nous commencerons par dresser un état des lieux du cimetière d’aujourd’hui, en s’intéressant à ses fréquentations, ses nouveaux usagers et à sa problématique de saturation. Puis nous essaierons de cibler les enjeux en mesure d’impacter à plus ou moins long terme l’espace du cimetière. Enfin, nous proposerons des pistes de réflexion à creuser pour répondre aux problématiques que nous aurons déjà énoncé. Nous ménerons une réflexion globale portant à la fois sur l’implantation urbaine, la morphologie globale et l’esthétique des sépultures.
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Introduction
Ce travail de recherche n’est pas nouveau et découle en réalité d’un rapport d’étude réalisé en troisième année de Licence. Dans ce cadre, je m’étais intéressée aux solutions contemporaines visant à endiguer la problématique de saturation des cimetières. En concluant cette étude, j’avais réalisé que de nombreuses solutions avaient été employées et qu’elles pouvaient être remobilisées dans divers pays à diverses échelles. La multiplicité de ces propositions m’avait alors fait douter de l’utilisation du terme «cimetière». A mesure que celui-ci ne revêtait jamais la même forme ni parfois le même programme, le terme était-il toujours d’actualité ? Néanmoins, en reprenant ce travail dans le cadre de ce mémoire, j’ai pu conclure que le «cimetière» n’existait certes plus dans sa définition initiale mais que, de par sa grande plasticité, le «cimetière» était un terme générique qui pouvait être employé.En effet, étant un espace en perpétuel refonte sur lui même depuis sa genèse, sa terminologie semble toujours d’actualité. Ce travail m’a également amené d’autres questionnements que je n’avais pas pu investiguer lors du rapport d’étude: Pourquoi le cimetière est-il délaissé? Quels sont les enjeux actuels à même d’impacter le cimetière? Existe-t-il encore une forme de rituel? En effet, j’avais délaissé tout l’aspect ritualisé pourtant inhérent à l’espace de la Mort, il apparaissait nécessaire que je m’en ressaisisse. Ce mémoire était l’occasion de répondre à ces questions et d’approfondir ces recherches. Bien que je sois déjà empreinte de la culture du cimetière et de sa genèse, j’ai cherché à aller plus loin et à considérer l’évolution du cimetière non pas sous un aspect purement chronologique mais sous un aspect spatial. En effet, en partant non pas du cimetière mais plutôt de la Mort elle même, j’ai pu dégager deux grandes fonctions intégrées au cimetière : d’une part l’espace sépulcral, d’autre part l’espace ritualisé. Cette décortication m’a permis d’analyser point par point chronologiquement comment chacun a évolué et quelles ont été les événements ayant influé sur leur morphologie ou leur implantation. De cette analyse, j’ai pu démontrer que le cimetière était un espace en perpétuel renouvellement qui était influencé par la société dans laquelle il s’inscrivait. Outre ces lectures visant à dresser le paysage historique du cimetière, il était nécessaire de replacer l’étude dans un cadre contemporain. La presse, la littérature ou encore la pop culture étaient de très bons indicateurs pour comprendre comment le cimetière est appréhendé aujourd’hui. Néanmoins pour réellement comprendre comment il est perçu, j’ai mené des entretiens auprès de trois personnes d’horizons différents. Les questions portaient en général sur la relation que chacun entretenait avec les cimetières, sur leur fréquence de visite, sur leurs souvenirs relatifs au cimetière et sur leur avis concernant le devenir des cimetières. Ces entretiens m’ont permis de dégager des thèmes plus ou moins importants ainsi que des données à investiguer plus profondément. Sur la base de ces entretiens, j’ai dressé un questionnaire que vous trouverez 17
Introduction
en annexe. Diffusé à large échelle, il s’adressait à tout le monde et j’ai donc pu recueillir 502 réponses me permettant d’obtenir un panel assez varié. L’objectif de ce questionnaire était à la fois de recueillir des données statistiques et des données de l’ordre personnel. Je m’étais en effet saisie de données chiffrées issues du CREDOC, de l’IFOP ou de l’INSEE qui dressaient un constat clair sur la perception de l’espace du cimetière aujourd’hui. Seulement, ces enquêtes dataient déjà d’au moins 8 ans et ne reflétaient donc pas réellement la pensée de 2020/2021. Ce questionnaire me permettait d’une part de comparer l’évolution en seulement quelques années mais aussi de dresser une tendance à l’instant T. Les données d’ordre personnel me permettaient quant à elle de recueillir des informations précieuses quant à la manière dont sont perçus les cimetières et comment les gens aimeraient qu’il évolue. Enfin, j’ai complété mon travail de recherche par une immersion sur trois jours dans l’ancien cimetière de Cusset à Villeurbanne. En me rendant sur place à la même plage horaire pendant trois jours d’affilée, j’ai pu noter l’affluence, les récurrences, le type de visiteurs, les pratiques effectuées au sein du cimetière, la manière dont les sépultures étaient entretenues et l’agencement du cimetière ainsi que les aménagements effectués dernièrement. J’ai également pu m’entretenir avec le gardien en charge du cimetière qui m’a fourni de précieuses informations notamment quant aux types de visiteurs et leurs pratiques. Je souhaitais compléter ma recherche en m’entretenant avec des employés de pompes funèbres et de chambres funéraires. Seulement, en les approchant, ils n’ont pas répondu à ma requête positivement, avançant qu’ils n’allaient de toute manière rien m’apporter. J’ai compris cette forme de distanciation en m’entretenant avec le gardien qui semblait sceptique quant à mon implication dans cette étude. Il semblait remettre en question ma légitimité à potentiellement intervenir dans ce secteur. En effet, il estimait que le funéraire était un monde bien à part que seuls ceux qui en font réelleement partie peuvent saisir, et que les architectes n’étaient pas destinés à agir dans un secteur si particulier. Je ne saurais dire si cette raison combinée avec la crise sanitaire explique ces refus. En effet en raison de la COVID-19 je ne pouvais pas rentrer facilement dans les pompes funèbres et rester sans «consommer» à mesure que l’espace était plutôt alloué à la clientèle. Néanmoins, j’estime que la situation sanitaire n’a pas réellement entravé ma recherche et l’a peut-être même aidée d’une certaine façon. Etant tous confinés au moment du lancement de mon questionnaire, je pense effectivement que j’ai pu recevoir plus de réponses. Aussi, et malheureusement, le cimetière a été médiatisé à la Toussaint lors du second confinement, remettant ainsi au centre des préoccupations sa légitimité.
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Introduction
cimetière villeurbanne immersion
Allées de l’ancien cimetière de Cusset à Villeurbanne - Photographie personnelle
1 «La nécropole est l’envers de la métropole» Michel Ragon
La mort, génératrice d’espaces façonnés par la société dans laquelle ils s’inscrivent
Les espaces sépulcraux
S’intéresser à la mort, c’est finalement s’intéresser au point de départ de l’Homme, là où il se démarque de l’animal. En effet, la prise de conscience de la mort, la distinction entre passé, présent et futur revient à se poser des questions existentielles portant sur notre devenir après la mort, nos origines, notre existence dans sa plus large globalité : « L’Homme s’auto-interprète, interprète son prochain et les phénomènes naturels et en tire des conséquences, même si celles-ci ne sont pas toujours définitives ou démontrables »01 Se questionner de la sorte, c’est s’éloigner de notre nature animale qui avait jusqu’à présent répondu aux trois impératifs fondamentaux que sont trouver de la nourriture, l’autodéfense et la reproduction de l’espèce. Ainsi, avoir conscience de la mort ajoute des questionnements supplémentaires à ces trois impératifs : qu’est-ce que la vie lorsqu’on connait désormais la mort ? C’est ce que JeanDidier-Urbain appelle un «encombrant savoir »02 , être conscient de la mort est un chamboulement qui revient à redéfinir le concept même de ce qu’est la vie. Michel Hulin lui-même dit : Aucune évidence n’est plus écrasante que la mort. [...] au point que la pratique de l’inhumation, la seule à laisser des traces durables, passe aux yeux de beaucoup plus que l’outil et le langage, dont il existe des ébauches animales – pour le signe même de l’avènement de la condition humaine en tant que telle. Reste à comprendre comment cette protestation symbolique initiale, en apparence vaine et même dérisoire, a pu se prolonger et s’amplifier à travers les millénaires, entraînant dans son sillage la naissance des religions et des civilisations elles-mêmes, pour déboucher finalement sur le rapport problématique, fait de déni et de fascination hébétée, qu’entretient avec la mort l’homme d’aujourd’hui. 03 [...] C’est sans doute à cette double absurdité de l’inconcevable et de l’inadmissible que s’est heurté le premier hominidé qui, rompant avec l’indifférence animale en face des cadavres, s’est demandé où se trouvait désormais cet être cher qui venait d’expirer dans ses bras. Qu’est-ce qui lui a alors permis de surmonter son accablement et de poser, en un défi lancé à la mort, les premiers soubassements de ce qui deviendrait au fil des siècles le majestueux édifice des rites funéraires et des mythes
01
Emmanuel ANATI, La religion des origines, Bayard (1999) p.22
Jean-Didier URBAIN, L’archipel des morts. Le sentiment de la mort et les dérives de la mémoire dans les cimetières d’Occident, Éditions Payot et Rivages (1989) p.24
02
Michel HULIN, L’homme et son double, dans Frédéric LENOIR et JeanPhilippe DE TONNAC, (dir.), La mort et l’immortalité. Encyclopédie de la mort et des croyances, p.55
03
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Les espaces sépulcraux et la cité, entre proximité et éloignement physique et symbolique
eschatologiques ?04 En philosophie, le mot culture désigne « ce qui est différent de la nature »05. En sociologie et en éthologie, la culture est définie comme « ce qui est commun à un groupe d’individus » et comme « ce qui le soude ». Pour l’UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social »06 . Ce questionnement sur la mort rejoint ainsi le champ de la culture, dans le sens où répondre à ces questions existentielles nécessite de faire appel au groupe, à une réflexion à plus large échelle. C’est en cela qu’Eric Volant a pu affirmer que « la sépulture crée la culture»07. Mais en définitive aujourd’hui, n’est-ce pas la culture qui crée la sépulture ? Les ethnologues et les historiens nous apprennent qu’à toutes les époques et dans toutes les cultures, et ce dès la Préhistoire, l’Homme reconnaît ou du moins rend hommage à ses morts. Sur le plan strictement humain, les tombes et cimetières sont des lieux de mémoire pour les croyants comme pour les incroyants. Il est très difficile d’établir un rapport complet traitant de l’évolution à la fois des rites funéraires et des pratiques funéraires jusqu’à nos jours. Dès 1975, Daniel Ligou en disait «Il s’agit là d’un sujet immense et à propos duquel nous ne pouvons que nous borner à quelques indications pouvant susciter des recherches ultérieures, car, assez paradoxalement, il n’existe, à ce propos, aucune étude d’ensemble, mais des travaux dispersés, le plus souvent d’intérêt local »08 . En effet, il est complexe de retracer l’histoire d’un lieu dit universel pourtant empreint de la culture du lieu dans lequel il s’implante. Néanmoins, malgré la difficulté de Michel HULIN, L’homme et son double, dans Frédéric LENOIR et JeanPhilippe DE TONNAC, (dir.), La mort et l’immortalité. Encyclopédie de la mort et des croyances, p.55
04
05
Selon la théorie de Claude LEVI-STRAUSS
Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, (26 juillet - 6 août 1982) 06
Éric VOLANT, La religion et la mort, dans Jean-Marc LAROUCHE et Guy MÉNARD (dir.), L’étude de la religion au Québec. Bilan et prospective, Les Presses de l’Université Laval/Corporation canadienne des sciences religieuses (2001) p.323 07
Daniel LIGOU, L’Evolution des cimetières dans Archives de sciences sociales des religions, n°39, 1975. Évolution de l’Image de la Mort dans la Société contemporaine et le Discours religieux des Églises [Actes du 4e colloque du centre de sociologie du protestantisme de l’université des sciences humaines de Strasbourg (3-5 Octobre 1974)], p.61
08
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Les espaces sépulcraux
synthèse sur l’histoire de ces lieux, on remarque tout de même une constante indéniable : il semblerait que «la nécropole est l’envers de la métropole »09 , selon les mots de Michel Ragon dans son livre L’espace de la mort, dans le sens où celle-ci dépend des problématiques de son époque à travers son insertion urbaine, sa morphologie et à travers la manière dont elle est perçue. Miroir noir de la ville, elle reflète chaque aspect que cette dernière entretient dans son rapport à la mort. Les premiers espaces qui nous viennent à l’esprit lorsqu’on parle de lieux funéraires sont les cimetières, les nécropoles, les ossuaires : tous les espaces sépulcraux destinés à recevoir les corps. Néanmoins, l’instauration de pratiques et de rites funéraires implique aussi la création d’autres espaces supports notamment de la fonction rituelle. Nous verrons que les espaces sépulcraux eux-mêmes peuvent à certaines époques être le support de cette ritualité, mais d’autres lieux, parfois faisant partie intégrante de la vie quotidienne, revêtent aussi cette fonction. Il apparaît important tout d’abord de clarifier la distinction entre ce que nous appelons les pratiques et les rites funéraires. Selon le Larousse le rite est un « ensemble des règles et des cérémonies qui se pratiquent dans une Église particulière, une communauté religieuse ». Plus particulièrement, on peut définir le rite funéraire (ou funérailles) comme un ensemble de gestes cérémoniaux édictés par une religion ou par un ensemble de règles dictées par la communauté visant à accompagner un être jusqu’à la mort, à le célébrer après son décès mais aussi à exprimer la douleur de la perte des survivants. Les pratiques funéraires sont quant à elles l’expression du comportement d’une population vis-à-vis de ses morts. A l’inverse des rites, les pratiques ne sont pas nécessairement codifiées et varient selon les groupes de population et les régions géographiques. Ainsi, la mort implique la création d’espaces où on enterre/incinère mais aussi des espaces où on ritualise. Dans les deux cas, les problématiques et enjeux sociétaux des contemporains influent sur leur morphologie Nous allons étudier ici d’une part comment les espaces sépulcraux évoluent, avec une digression dans les échelles de l’implantation urbaine au dessin de la tombe en passant par la morphologie de ces espaces. D’autre part, nous étudierons comment les rites funéraires influent sur les espaces appartenant à la vie quotidienne. L’implantation urbaine des nécropoles et cimetières est un des marqueurs qui nous informe énormément sur la relation qu’entretiennent les contemporains avec la mort. On pourrait penser qu’une proximité entre les espaces de vie et les lieux d’inhumation/crémation indique que la mort fait partie intégrante de
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Michel RAGON, L’espace de la mort, Albin Michel (1981) p.681 24
Au Mexique, el día de los muertos est la fête traditionnelle la plus importante du pays. Ce jour réunit le monde réel des Hommes et le monde imaginaire des Morts qui reviennent sur Terre. A cette occasion, les Mexicains se rendent au cimetière afin de nettoyer les sépultures et érigent des autels dans leurs maisons pour y déposer des offrandes. https://librarymom12.files.wordpress.com
Les espaces sépulcraux
la culture sociétale, tandis ce qu’un rejet de ces espaces funéraires hors de la communauté implique aussi un rejet de la mort. Néanmoins, la relation de cause à effet n’est pas aussi simple et d’autres raisons influencent l’implantation urbaine des sépultures. Pendant longtemps, l’Homme de Néandertal était dépeint comme une « bête humaine », mais on ne lui compte pourtant pas moins de 38 sépultures connues. Ces fosses sont toujours situées à des endroits qui sont également des lieux de vie. Le Néandertalien est nomade et vit en campements temporaires, dans des grottes, des abris rocheux ou des huttes, expliquant ainsi le nombre de dépouilles inhumées retrouvées dans des grottes. Mais alors, pourquoi les Néandertaliens ensevelissent-ils leurs morts ? Leur nomadisme pourrait les pousser à simplement laisser la dépouille en lieu et place du décès, les laissant en proie aux bêtes sauvages, témoignant d’un désintérêt pour le corps et/ou pour le défunt en luimême. Seulement, le soin porté au désir d’inhumation, parfois accompagnée de rituels et d’offrandes indique que l’Homme veut respecter l’intégrité du corps des défunts et le protéger des charognards. L’Homo Sapiens conserve l’utilisation des fosses pour inhumer les corps, les lieux d’inhumation étant en général dispersés à mesure de l’avancement de ce peuple nomade. Ce n’est que durant le Néolithique, commençant environ 9 000 ans avant notre ère, que l’aménagement des sépultures et la psychologie de l’Homme en elle-même subissent une évolution importante. En effet, à ce moment-là l’Homme se sédentarise, il délaisse la chasse et la cueillette pour se consacrer à l’élevage et à l’agriculture. Ce changement fondamental dans la manière de trouver de la nourriture se traduit par la création des premiers villages, entraînant une complexification des pratiques funéraires. En effet, en s’implantant durablement dans un espace donné, l’Homme commence à conserver et regrouper les dépouilles des défunts dans des lieux dédiés. Les corps sont d’abord enterrés à l’intérieur ou à proximité des habitations, avant d’être au final écartés de la vie quotidienne. Cette proximité entre les sépultures et les espaces de vie nous apprend que la mort fait partie intégrante de la culture de ces Hommes.
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Les espaces sépulcraux et la cité, entre proximité et éloignement physique et symbolique
Plan de repérage des sépultures et coupe de la grotte de la fosse néandertalienne du Mont Carmel. d’après McGown, Bate et Garrod 1937
Les espaces sépulcraux
Les Celtes et Gaulois perpétuent les rites funéraires dans de grandes nécropoles. Plus nombreuses, elles sont souvent reliées à une agglomération et sont délimitées par des fossés, des murs d’enceinte ou du parcellaire. Elles délimitent l’extension de la ville ou du village, en général situées le long des voies ou en zones périurbaines. On retrouve des traces de ces nécropoles en à Tours, Chinon, Amboise, Esvres ou encore Langeais. En ruralité, on retrouve plutôt des ensembles funéraires ou des sépultures isolées, inhérents à une petite communauté. Seule une nécropole est connue à ce jour. Située à Langeais, elle regroupe les dépouilles de 18 nourrissons, inhumés dans les bâtiments d’une villa. Sous l’Empire Romain, les cultes subissent des influences orientales, notamment avec le développement du culte d’Isis. Les cimetières tels que nous les connaissons aujourd’hui n’existaient pas à l’époque Romaine. La loi romaine des XII Tables, promulguée vers 451 av JC interdit d’ensevelir ou d’incinérer des défunts dans les villes, pour des raisons sanitaires et religieuses. En effet, est remis en cause ici la capacité de souillure du cadavre, qui est alors moins élevée en cas d’une mort en bas âge. Cette souillure n’est pas tant induite par le cadavre en lui-même mais est surtout reliée à la manière dont la mort est survenue. La souillure est alors extrême dans le cas de mises à mort violentes et des actes sacrilèges, et elle influe même sur l’emplacement de la sépulture du défunt qui peut être interdite de demeurer sur le territoire de la cité. Cette règle s’étendra également en Grèce à partir du VIe siècle. Malgré cette distanciation physique entre la cité et la nécropole, les Romains sont très familiers avec la mort Les tombes et nécropoles sont alors repoussées hors des villes, le long des routes majeures qui mènent auprès des portes de la cité. Parmi les plus connues, nous pouvons notamment citer les Alyscamps à Arles ou la Via Appia à Rome. Pour les Romains, la tombe est avant tout un signe adressé aux vivants et elle perpétue le souvenir de leurs actions. Ainsi, plus il y a de passants pour lire l’inscription funéraire, plus le défunt est satisfait et même revivifié par la considération des vivants. Le 1er janvier 439 le code théodosien édicté par Théodose II, empereur d’Orient, entre en vigueur. Recueil de toutes les constitutions émises depuis le règne de Constantin Ier, il répète la même interdiction d’enterrer in urbe pour préserver la sanctuarisation des habitants.
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Les espaces sépulcraux et la cité, entre proximité et éloignement physique et symbolique
Via Appia
Plan des voies romaines incluant la via Appia, illustration personnelle
Les espaces sépulcraux
Du début du Moyen-Age jusqu’à 1750, le cimetière se christianise et hérite à la fois les traditions du monde antique et de la conception israélite. En effet, il s’inspire de la loi édictée par les XII Tables citée précédemment, qui interdit d’inhumer ou d’incinérer les cadavres dans l’enceinte de la cité. Outre cette juridiction, le cimetière chrétien hérite également de la conception antique qui sacralise le cimetière plutôt que de le considérer simplement comme un espace de sépulture. Ainsi, le Digeste (I, VIII, 6,4) ordonné par l’empereur byzantin Justinien Iᵉʳ en 530 établit que le lieu où est enterré un mort est sacré, inaliénable et appartient à la famille du défunt. Les chrétiens du très Haut Moyen-Age suivent alors la règle «Hominem mortuum in urbe ne sepelito neve urito»10, soit «L’homme mort, qu’on ne l’ensevelisse ni ne le brûle dans la ville.» et les Hommes continuent d’être enterrés dans des catacombes situées au-delà de l’enceinte des cités. Durant toute l’ère médiévale, les ébauches de droit funéraire se pérennisent et se multiplient, de nombreuses lois concernant le lieu des tombes, leur disposition et les modalités de mise en terre voient le jour. Ces lois sont directement reliées à l’émergence de la religion chrétienne qui régit la vie de la ville et par extension du cimetière. Le canon 14 du concile d’Auxerre (561-605) interdit par exemple d’ensevelir les corps dans le baptistère. Saint Jean Chrysostome partage la même répulsion que les romains quand lors d’une messe il déclare « Veille à ne jamais élever un tombeau dans la ville. Si on déposait un cadavre là où tu dors et tu manges, que ne ferais tu pas ? Et pourtant tu déposes les morts non pas là où tu dors et tu manges mais sur les membres du Christ »11, autrement dit dans les églises. Néanmoins malgré ces mises en garde, les morts vont à nouveau entrer dans les villes dont ils avaient été séparés pendant des millénaires. Ce changement commence avec le culte des martyrs d’origine africaine enterrés dans des nécropoles extra-urbaines communes aux croyants et aux païens. Maxime de Turin explique alors que « les martyrs nous gardont, quand nous vivons avec nos corps, et ils nous prennent en charge, quand nous avons quitté nos corps. Ici, ils nous empêchent de tomber dans le péché, là ils nous protègent de l’horrible enfer. C’est pourquoi nos ancêtres ont veillé à associer nos corps aux ossements des martyrs »12.
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Loi des XII Tables, Table X : règles funéraires
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CHRYSOSTOME Saint Jean , Opera..., Paris, Montfaucon, 1718-1738, vol. 8, p. 71, homélie 74, cité dans ARIÈS PHILIPPE, Essais sur la mort en Occident, p. 25. 12
Patrologia latina, vol. LVII, col. 427-428 30
Les espaces sépulcraux et la cité, entre proximité et éloignement physique et symbolique
Basilique Saint-Cyprien
Plan de la ville de Carthage au Moyen-Age. Des sarcophages sont situés sous le mur nord-est de la basilique ad sanctos au plus près des reliques et sont datés de la fin du IVe siècle jusqu’au début du VIIe siècle. illustration personnelle
Les espaces sépulcraux
Les nécropoles extra muros où sont déposés les restes des martyrs figurent parmi les lieux les plus remarquables de l’expression funéraire du christianisme. On y construit des chapelles à l’emplacement même des reliques avant d’ériger une basilique à proximité ou à l’emplacement de cette même chapelle. La morphologie des églises en est même impactée par la construction de bâtiments comportant plusieurs nefs destinées à recevoir les foules de fidèles attirés par les reliques. La basilique devient alors le berceau des inhumations ad sanctos, au plus près des Saints. Comme dit précédemment, cette pratique émerge dans certaines villes romaines d’Afrique comme Tipasa, Hippone et Carthage, où les sarcophages s’empilent le long des murs de l’abside et des nefs latérales, comme s’ils cherchaient à s’approcher encore et encore des saintes reliques. Ce comportement se retrouve également en Gaule romaine comme dans la basilique de Saint-Victor non loin de Marseille, la basilique de Saint Marcel près de Paris ou encore dans la basilique de Saint Sernin. La basilique dite cimétériale devient le siège d’une abbaye autour de laquelle s’érigent de nouveaux faubourgs. On distingue alors la basilique cimétériale extra muros de l’église épiscopale intramuros qui ne comporte aucune sépulture. Néanmoins, la limite autrefois très claire s’efface peu à peu, les mentalités changent et la répulsion des habitants concernant la proximité avec les défunts s’estompe. Au début du Moyen-Âge, les morts rentrent finalement dans la propriété de l’église intramuros. La volonté de chacun est d’être inhumé au plus près des saints, au plus près de leurs reliques, c’est à dire dans l’enceinte même des églises. Néanmoins, malgré qu’elles fussent parfois très vastes, elles ne peuvent pas contenir tous les défunts. L’enterrement dans l’église est un privilège, tandis ce que le commun des mortels repose au cimetière autour de l’église. Dès ce moment, il n’y a alors plus de distinction entre l’église et le cimetière. En effet, dans la langue médiévale l’église ne désigne pas uniquement les bâtiments de l’église mais englobe aussi l’espace situé autour, et notamment le cimetière paroissial. On enterre à la fois dans l’église, contre ses murs et aux alentours. Le mot « cimetière » désigne alors la partie extérieure de l’église, que l’on appelait aussi « l’aître ». Tandis ce qu’au début, le terme « charnier » était synonyme d’aître et de cimetière, à la fin du Moyen Age celui-ci ne désigne plus qu’une partie du cimetière : les galeries longeant les murs d’enceinte surmontées d’ossuaires.
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Les espaces sépulcraux et la cité, entre proximité et éloignement physique et symbolique
Plan de la ville de Charlieu en 1769 - Le cimetière fait partie de la propriété de l’église et s’intègre au tissu de la ville médiévale. gallica.bnf.fr
Les espaces sépulcraux
On n’a pas l’idée que les morts doivent avoir une maison leur étant propre, et le fait qu’ils soient entrés dans l’église et dans sa cour n’empêche pas alors les deux de devenir des lieux publics largement fréquentés. La notion d’asile, chère à l’église, est à l’origine même de la destination non funéraire des cimetières. En effet, le cimetière n’est pas nécessairement un lieu où on enterre mais peuvent aussi recouvrir des fonctions d’asile de telle sorte qu’on prend le parti de construire des maisons en son sein et de les habiter. Ce quartier ou ensemble de maison jouit alors de certains privilèges fiscaux. Ce lieu d’asile devient aussi un lieu de rencontre à la manière des Forums romains où l’on se retrouve pour danser, commercer et festoyer, les étals des commerçants souvent alignés le long des charniers. Le cimetière devient même un lieu politique où se déroulent les élections municipales, les procès ou les exécutions. Ces occupations profanes ne sont généralement pas approuvées et encore moins appréciées par le Clergé, puisqu’une multitude de conciles protestent contre ces utilisations. A partir du XVIe siècle, ces usages disparaissent petit à petit, non sans résistance de la part de la population. Pendant plus d’un millénaire, la promiscuité entre les morts et les vivants semble être parfaitement acquise. Malgré la présence manifeste des morts, dont les os remontent à la surface, les vivants ne sont en rien impressionnés. Ils sont ainsi «aussi familiers avec les morts que familiarisés avec leur mort »13 comme le dit si bien Philippe Ariès. Néanmoins, en 1231 le concile de Rouen interdit de danser au cimetière ou à l’église, en 1405 un autre concile défend de danser et de jouer au cimetière. Petit à petit, on ressent qu’on commence à trouver un peu gênant le rapprochement entre les sépultures et les festivités puisqu’en 1657 un texte dit « cinq cents badineries que l’on voit sous ces galeries [...] au milieu de cette cohue, on devait procéder à une inhumation, ouvrir une tombe, et relever des cadavres qui n’étaient pas encore consommés, où, même dans les grands froids, le sol du cimetière exhalait des odeurs méphitiques »14.
13
ARIÈS Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, (1975), p.73
14
BERTHOLD, La ville de Paris, amours burlesques. Journal d’un voyage à Paris, en 1657, cité par DUFOUR.V dans Paris à travers les âges, Paris, Laporte, (1875-1882), vol.II
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Au XVIIIe siècle, face à l’ampleur grandissante des épidémies de peste, l’Eglise n’a plus le choix que de modifier l’utilisation des cimetières paroissiaux. Dans les années 1760, l’accumulation des corps dans les églises ou à proximité devient intolérable aux yeux des esprits les plus éclairés, devenant ainsi le sujet de critiques véhémentes après plus d’un millénaire sans soulever aucune remarque. Les émanations pestilentielles et les odeurs de mort provenant des fosses deviennent un sujet de santé publique. Les défunts s’accumulant, les sépultures individuelles se font rare à mesure que les morts sont enveloppés dans des linceuls et enterrés dans de grandes fosses communes pouvant accueillir entre deux et trois mille cadavres. L’accumulation des cadavres, les odeurs nauséabondes qui s’exhalent de la fosse et la présence d’animaux prédateurs commencent à incommoder toute la population alentours qui finit par vivement protester à partir du XVIIIème siècle. Aussi, les débats politiques concernant l’inhumation des nonbaptisés dans les cimetières publics fait rage, et les idées libérales grandissantes renforcent la nécessité de retirer les cimetières de l’emprise de l’Eglise. Petit à petit, c’est l’autorité municipale qui prend la main sur la gestion des cimetières à défaut du pouvoir religieux. Aux environs de 1770, les autorités finissent finalement par déplacer les nouveaux cimetières en périphérie des villes et des villages pour éviter à la population le spectacle de la putréfaction des cadavres. Ils sont entourés de murs, on interdit d’y creuser des puits à des fins de salubrité publique évidente. Le 10 mars 1776 Louis XVI interdit par déclaration royale les inhumations dans les Eglises, avec de possibles exceptions pour les quelques privilégiés que sont les évêques, les curés, ou les hauts justiciers et fondateurs des chapelles. L’ordonnance prescrit également que les cimetières saturés soient agrandis et que ceux placés in sanctos soient le plus possible reportés hors de l’enceinte des villes et villages. Cette déclaration fondamentale ne fait qu’accélérer un phénomène qui était déjà bien enclenché. Les cimetières autrefois intégrés à la communauté, au centre de la vie religieuse étaient de réels lieux de vie, ils deviennent des lieux de visites aux morts, de recueillement et de prières. Seulement, cette seule déclaration ne règle en rien la présence des cadavres déjà présents, et il faut attendre un événement majeur pour que l’insalubrité des cimetières deviennent finalement un problème alarmant aux yeux des Autorités civiles et religieuses : le scandale du cimetière des Innocents à Paris, en 1780. Ce cimetière, déjà utilisé depuis plus de huit siècles, s’est en fait effondré sous la pression des fosses communes, et a ainsi déversé des centaines de cadavres en décomposition dans la rue et les caves des maisons à proximité des cimetières. Après cet événement, en 1786 les autorités civiles et religieuses décident d’arrêter les inhumations dans ce cimetière et de le raser. Les quelques 3 à 6 millions de corps sont exhumés et déportés dans les carrières de Paris, devenant alors les célèbres catacombes de Paris, le plus grand ossuaire du monde. Ce 35
Les espaces sépulcraux
cimetière majeur dans la ville de Paris marque le point de départ de la disparition progressive complète des cimetières paroissiaux dans les villes et en particulier à Paris. Par la suite, de nombreux cimetières sont rasés, et les ossements des défunts sont déportés dans les carrières de Paris, devenant alors les célèbres catacombes de Paris, le plus grand ossuaire du monde. Après de nombreux tumultes dus à la Révolution française, c’est le premier Préfet du Consulat puis de l’Empire, Nicolas Frochot qui interdit définitivement les inhumations dans les églises le 12 juin 1804 (23 prairial An XII), et implique en conséquence l’obligation des communes à créer des cimetières hors des limites communales.Par ce décret du 23 Prairial An XII, Napoléon Premier officialise de nouvelles lois inhérentes à l’organisation des cimetières et à leur rapport à la ville. Il confie la gestion des cimetières aux communes et interdit formellement les sépultures dans les églises, les temples, les synagogues et même les hôpitaux qui jouissent parfois de cimetières privés. L’article II s’inscrit dans la continuité de la déclaration de 1776 en décrivant l’implantation urbaine des sépultures « à la distance de 35 à 40 mètres au moins de l’enceinte des villes et des bourgs », qui sera précisé en 1887 « à partir du périmètre extérieur des constructions groupées ou des enclos qui les joignent immédiatement ». Il faudra attendre l’ordonnance du 6 décembre 1843 pour généraliser ces lois à toutes les communes, n’étant alors appliquées jusqu’alors qu’aux bourgs. L’article III préconise une morphologie de terrain adapté à l’édification d’un cimetière. En effet, les terrains élevés et exposés au Nord sont à privilégier, mais « en cas d’obstacles provenant de la configuration des lieux, il peut y être dérogé ». Depuis 1923, les communes doivent même faire appel à l’expertise d’un géomètre avant la création ou l’extension d’un cimetière pour décider de l’implantation la plus favorable. Au milieu du XIXe siècle l’apparition du chemin de fer va donner à certains l’idée de faire cohabiter le réseau ferroviaire bruyant avec le silencieux cimetière. Nouvelle frontière pour les villes, la voie ferrée accentue la séparation entre le cimetière et celles-ci et met par extension la mort également à l’écart. Par ce procédé, les vivants ne sont pas importunés par le bruit, et ce ne sont pas les morts qui viendront s’en plaindre. A Paris, le baron Haussmann décide quant à lui d’établir une complémentarité entre le réseau ferroviaire et les cimetières. Le nombre de morts dans les nécropoles fait craindre l’apparition d’une nouvelle épidémie de peste dûe à l’entassement et la pollution des sols anciens au coeur de la ville. Haussmann propose alors de construire une nécropole unique permettant d’absorber tous les décès dans les années à venir. Il retient un terrain de 850 hectares situé à Mery-sur-Oise à 25 kilomètres de Paris qui permettrait de remédier à la saturation dans Paris pour au moins 30 ans selon lui. 36
Les espaces sépulcraux et la cité, entre proximité et éloignement physique et symbolique
Proposition du Baron Haussmann de la construction d’un cimetière de 850 hectares à Méry-surOise pour pallier à la saturation des nécropoles parisiennes.
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Homme de Néandertal
Homo Sapiens
Celtes et Gaulois
Romains
sépultures le long du chemin des autochtones nomades
sépultures autour des habitations du peuple sédentarisé
nécropoles situées le long des voies ou en zones périurbaines
sépultures situées le long des voies principales menant à la cité
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Début MoyenÂge
Moyen-Âge
Fin Moyen-Âge
XIXe siècle
création du cimetière dans la cour des églises
déplacement des cimetières en périphérie proche des villes
repoussement des cimetières en périphérie lointaine des villes
sépultures dans les basiliques ou autour du chevet
Les espaces sépulcraux
Ainsi, les espaces sépulcraux, cimetières comme nécropoles, sont ballotés tantôt hors de la cité, tantôt au cœur de la vie quotidienne. Outre cette implantation urbaine changeante, leur morphologie subit également des mutations non négligeables. L’organisation et l’architecture des tombes évoluent grandement parfois justement en lien avec la modification du lien urbain entre la nécropole et la ville, soit à cause de facteurs divers en partie liés à la religiosité de la société dans laquelle elles s’implantent. Comme énoncé précédemment, les premières sépultures sont attribuées à l’Homme de Néandertal. Sur les 38 sites connus, on retrouve des comportements funéraires différents, mais desquels on peut tout de même tirer des similitudes. En Dordogne sur le site de La Ferrassie, un site préhistorique français se situant sur la commune de Savignac-de-Miremont, fouillé dans les années 1920, on découvre une grande nécropole néandertalienne. Dans celle-ci, on retrouve 6 sépultures comprenant deux adultes et quatre enfants tous sexes confondus. Ensevelis dans une fosse en position fléchie, l’ensemble formait une composition funéraire dessinée par neuf petites buttes. Une des fosses était même recouverte d’une dalle triangulaire sur laquelle était dessinées des cupules. En 1930, près de Haïfa, au mont Carmel en Israël, on retrouve une tombe comportant cinq hommes, deux femmes et trois enfants ensevelis avec des fossiles. En 1960 dans la grotte de Shanidar en Irak dans les monts Zagros, on découvre une des sépultures les plus spectaculaires parmi cette ère. On y retrouve neuf corps, probablement tués par la chute de blocs de roche tombés du plafond ainsi que le corps d’un chasseur datant de 60 000 ans, le crâne écrasé au fond de la grotte. Toutes ces découvertes confirment déjà que les Néandertaliens adoptent une posture particulière vis à vis de la mort. En effet, retrouver un squelette n’implique pas qu’il s’agisse d’une tombe, l’inhumation se définissant en Europe par une disposition des os en connexion anatomique, c’est-à-dire tous à la bonne place, dans une fosse avec ou sans dépôt intentionnel. Seulement, dans le cas de ces découvertes, les dépouilles ont clairement été retrouvées dans des fosses sur lesquelles ont été posées une dalle, laissant à penser qu’il s’agit effectivement bien d’inhumations volontaires. Dernièrement, les données scientifiques et les progrès dans l’anthropologie funéraire et dans les techniques de fouilles archéologiques déterminent grâce à la position du corps, aux connexions anatomiques et aux objets funéraires s’il s’agit effectivement bien d’une sépulture. En effet, William RENDU, un chercheur de l’université de New-York, affirme lors de son expédition à La Chapelle-aux-Saints que « L’existence d’une fosse creusée artificiellement et l’enterrement rapide du corps constituent des critères convaincants pour établir que cette sépulture a été faite de manière intentionnelle »15. Il avance aussi que « extrait du compte rendu de William RENDU lors de son expédition à la-Chapelle-AuxSaints
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La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
les Néandertaliens, dans cette partie de l’Europe, ont eu pour pratique d’enterrer leurs morts [...] mais nous ne pouvons pas savoir si cette pratique faisait partie d’un rituel ou était tout simplement pragmatique. De fait, cette étude réduit fortement la distance de comportement que l’on pouvait imaginer entre eux et nous. » . Aussi, ces sépultures ayant été retrouvées dans des pays différents et éloignés implique que cette pratique était assez généralisée. La sédentarisation de l’Homo Sapiens permet quant à elle l’émergence de nouvelles pratiques funéraires. La découverte de la technique de fabrication du bronze puis du fer implique l’apparition de la crémation des corps, plus particulièrement dans l’Est et le Sud de la zone géographique de la France. L’inhumation est tout de même majoritairement privilégiée et s’effectue dans des fosses plus ou moins grandes et aménagées. Avec l’utilisation de nouveaux outils, la domestication des animaux, la création de toute une industrie de textile et l’arrivée de la poterie, les traditions funéraires se perpétuent, se pérennisent et prennent de l’importance. L’Homme de la pierre polie façonne des monuments funéraires de plus en plus sophistiqués et architecturés, donnant plus ou moins d’importance à certaines tombes selon le rang sociétaire du défunt. Les sépultures profitant des cavités naturelles, là où celles-ci existent, sont très nombreuses. Probablement guidées par un choix culturel voire religieux, il ne s’agit pas forcément d’un choix de facilité évitant d’avoir à creuser des fosses. Les cavités artificielles, appelées hypogées, se retrouvent en Europe dans la Drôme, au débouché de la vallée du Rhône, dans le Gard, le Vaucluse, en Italie centrale, en Sardaigne, en Sicile, à Malte et quelque fois aux Baléares. La complexité et le labeur liée à l’action de creuser une fosse montre clairement que la mise en terre était une étape importante. Il ne s’agit ici pas d’une fosse simple mais plutôt d’une cavité accessible par un passage que l’on pourrait qualifier d’antichambre ou de vestibule, comme on en retrouve en Sardaigne. En France, ces hypogées revêtent des formes et des dimensions diverses et variées, parfois plus soignées. En Sardaigne toujours, et ce à partir du Néolithique récent, les hypogées se complexifient et s’agrandissent tellement qu’ils contiennent plusieurs pièces, sont décorés, comportent des colonnes, des portes, imitent l’habitat de l’époque etc... Creusées les unes à côté des autres, ces cavités se développent en de véritables nécropoles. Ce comportement se retrouve également au Portugal mais aussi à Malte dans l’hypogée d’Hal Saflieni, qui joue aussi le rôle de temple funéraire. Les sépultures moins remarquables se traduisent par des architectures simples ou monumentales. Les premières consistent simplement à l’inhumation de la dépouille ou des dépouilles entière(s) ou incinérée(s) dans des cistes ou des coffres en pierre ou en bois. Ils peuvent être entièrement enterrés dans une fosse sans édification extérieure ou peuvent être implantés dans un tumulus architecturé ou non. 41
Les espaces sépulcraux
Les sépultures monumentales quant à elles adoptent une architecture hors sol généralement de grande taille. Elles comprennent différentes structures tumulaires recouvrant les dolmens, les allées couvertes ou parfois rien du tout. Parmi ces structures on retrouve le tumulus abordé précédemment, qui est un tertre artificiel élevé au-dessus d’une tombe, mais aussi les cairns qui sont en fait des tumuli de terre et de pierres. Les dolmens quant à eux sont des constructions mégalithiques constituées de grandes pierres et comportant à minima une chambre et un accès latéral sur une des parois de la chambre, empruntable par un couloir et/ ou un vestibule. Enfin, les allées couvertes sont des structures s’étirant sur un axe, composées d’une chambre mégalithique en longueur, constituée de dalles et parfois de murets et précédée par un couloir ouvert sur l’extérieur de même largeur que la chambre. Les cendres sont aussi parfois déposées à même le sol dans de petites fosses ou préalablement emballées dans des urnes ou dans sac en tissu avant d’être inhumées avec des offrandes dans des espaces alors appelés « champs d’urnes », que l’on apparenterait aujourd’hui à des cimetières cinéraires, c’est à dire des espaces dédiés à l’ensevelissement d’urnes funéraires.
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La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
Hypogée à Coizard https://neolithiqueblog.wordpress.com
Inhumation dans un ciste de pierre à Thonon - https://multimedia.inrap.fr
Cairn de Gavrinis https://www.brittanytourism.com
https://decouvrir.blog.tourisme-aveyron.com
Allée couverte de Mougau https://monumentum.fr
Dolmen de Galitorte
Urne funéraire à Marolles-sur-Seine
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Les espaces sépulcraux
La période protohistorique de l’âge de fer est difficilement saisissable. Alors que l’ère qui la précède est largement documentée et que de nombreuses fouilles ont permis de retracer les pratiques funéraires des Hommes préhistoriques, très peu de nécropoles Gauloises et Celtes ont été retrouvées. Ce manque de données est probablement dû au recouvrement et/ou au démembrement de ces espaces au fil de l’Histoire. Néanmoins, le peu d’informations sur cette période permet tout de même de connaître le fonctionnement global. Durant le Haut-Empire, La pratique de la crémation domine sans pour autant complètement supplanter l’inhumation chez les Celtes et les Gaulois. Les deux pratiques coexistent, comme en témoignent les nécropoles de Saint-Patrice « Les Perreaux », Esvres « Vaugrignon » ou encore Langeais « Les Mistraits ». Suite à une crémation, les cendres sont en général disposées dans une urne en verre ou en céramique avant d’être déposées dans une fosse. Il arrive que la jarre soit d’abord placée dans un coffre en bois, en pierre ou en marbre. L’inhumation est quant à elle privilégiée pour les jeunes enfants et les nourrissons conformément au modèle romain. Les bambins sont alors enterrés seuls ou en groupe, à l’intérieur même des habitations ou dans des emplacements spécifiques dans les nécropoles, comme à Langeais, Ligueil ou Tavant. Les corps sont inhumés avec ou sans linceul, parfois en pleine terre ou enfin calés dans un caveau. Le cercueil est souvent utilisé tandis ce que le sarcophage en pierre est réservé aux sépultures favorisées, notamment à celles des enfants comme dans la nécropole de Tavant. A la fin du Haut-Empire, on voit aussi apparaître des cercueils en plomb, notamment à Luzé. En règle générale, les jeunes enfants et les nourrissons sont enterrés dans des céramiques (dolia, amphores).
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La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
Sépulture F140 : seule incinération sur le site
Plan de la nécropole de Vaugrignon utilisée du milieu du IIe s. av. J.-C. à l’époque augustéenne. Elle comporte 29 tombes, dont une incinération, illustration personnelle
Les espaces sépulcraux
A la fin de la République, vers le Ve siècle av. JC, le rite le plus pratiqué à Rome et en Italie est l’incinération. Les enfants de moins de 7 ans sont quant à eux inhumés. La crémation est en général effectuée à l’intérieur même des nécropoles, à l’extérieur de la ville. Outre le bûcher, la nécropole comporte différents types de sépultures. On distingue deux types de tombes : les collectives et individuelles. Le tombeau collectif dit « colombarium », signifiant pigeonnier, est composé de salles dont les murs sont percés de niches, dans lesquelles sont placées des urnes. Il est édifié par des collèges funéraires ou des grandes familles qui y plaçaient les cendres de leurs esclaves. Dans ces tombes on retrouve des sarcophages et des urnes. Les tombes individuelles sont quant à elles composées de deux parties : une sous terre où est placée l’urne ou le corps et une extérieure destinée à marquer l’emplacement. Au début de Rome, on retrouve un autre type de sépulture rapidement abandonné : les urnes-cabanes. Composées d’un toit de chaume, elles ressemblent à des huttes dans lesquelles sont placées les cendres du défunt. On retrouve aussi quelques mausolées, des monuments érigés par un personnage de très haut rang. Ils peuvent comporter une salle de réunion pour les banquets d’anniversaire, des jardins, des vignes et des rosiers pour les profusiones. Les domaines funéraires, quelle que soit leur taille, sont inviolables et sacrés. Après la loi des XII tables, énoncée précédemment, qui repousse les sépultures hors des villes, les tombes s’alignent donc le long des voies principales. Plus le rang social du défunt était important, plus son monument funéraire était imposant et travaillé. On ne distingue pas vraiment d’organisation spécifique entre les tombes, si ce n’est que les plus importantes se situent en général à proximité des portes de la cité.
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La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
Via Appia Antica Gabriel-Auguste ANCELET (1856)
Les espaces sépulcraux
Au Moyen-Age, le rapprochement entre l’église et les sépultures entraîne une mutation complète de la morphologie des nécropoles, qui ne tendent à disparaître que vers la fin du VIIe siècle au profit des cimetières dits paroissiaux. Les premières basiliques cimétériales sont caractérisées par l’amoncellement des tombes autour de ses murs d’enceinte. Les fidèles cherchant à être enterrés au plus près des reliques, ils s’amassent au plus près de la frontière qui les séparent, le long des murs de l’abside et des nefs latérales. Lorsque la mort s’immisce à nouveau en ville et que les églises intra-muros reçoivent finalement la fonction sépulcrale, la cour de l’église subit quelques changements inhérents à cette tâche. Cette nouvelle fonction sépulcrale commence le long des murs intérieurs de l’église pour les dépouilles des défunts les plus importants et riches, et se poursuit dans toute la cour sur le pourtour extérieur. Les tombes s’amassent particulièrement sous les gouttières car les eaux de pluie «avaient absorbé le sacré de l’église enruisselant le long du toit et contre les murs»16. A l’extérieur, le cimetière est composé de l’église, de l’aître «atrium», et du charnier «carnis». L’aître étant une petite cour rectangulaire entourée de galeries couvertes, de chapelles funéraires et d’ossuaires (qui sont en fait les charniers». L’église est séparée de l’aître par un mur mitoyen qui clôt la cour. Très vite au XIVe siècle, l’aître est saturé de tombes, amenant à réfléchir à une nouvelle organisation. On eut alors l’idée de déposer les défunts dans des enfeus sous les galeries voûtées bordant la cour. Cette disposition n’est pas sans rappeler la morphologie des cloîtres bordés eux aussi de ce déambulatoire voûté.
16
ARIÈS Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, (1975), p.27
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La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
Plan de repérage des sépultures trouvées dans le sous-sol de la basilique Saint-Pierre du Kef (Tunisie) - illustration personnelle
Plan de repérage des sépultures trouvées autour du chevet de l’église de Cruas illustration personnelle
Plan de repérage des sépultures trouvées dans le sous-sol de l’église Saint-Pierre de Vienne (France) - illustration personnelle
Plan de repérage des sépultures trouvées autour du chevet de l’église de Meysse illustration personnelle
Plan de repérage des sépultures trouvées autour du chevet de l’église de Montverdun illustration personnelle
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Église de Béthisy-Saint-Pierre
Église de Neufchelles
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Église du Berval
Église de Silly-le-Long
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Église Saint-Vaast-de-Longmont
Église de Cuise-la-Motte
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Église de Pondron
Église de Fresnoy-la-Rivière
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Église de Champlieu
Église de Saint-Etienne-Roylale
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Église de Couloisy
Église de Brasseuse
Les espaces sépulcraux
A nouveau au XVe siècle, la saturation entraîne une restructuration du cimetière. Les os déjà secs sont récupérés et disposés dans les galetas surmontant les voûtes. Les grandes épidémies de peste et de choléra amènent encore une fois toujours plus de morts. Cette fois, de grandes fosses communes étaient creusées dans l’espace entre les charniers. Très larges et profondes, elles accueillaient les corps enveloppés dans des suaires. Une fois pleine, on la refermait simplement et en rouvrait une plus ancienne dont les ossements secs étaient alors apportés dans les charniers prévus à cet effet. L’utilisation de ces fosses communes perdure jusqu’au XVIIIe siècle pour l’inhumation des personnes les plus pauvres. La typologie du cimetière aître-charnier subsiste jusqu’à la fin du XVIIIe siècle mais cohabite dès le XIIe siècle avec une autre typologie. Cet autre cimetière est plus grand que l’aître et se situe également à côté de l’église. Son pourtour irrégulier, tracé dans le périmètre de l’enceinte ecclésiastique, est délimité par une haie ou par un mur bas percé de grandes portes permettant l’accès aux charrettes en charge de transporter les corps. Dans cette configuration, on retrouve aussi de grandes fosses communes simplement marquées par de petits rectangles en surface. Une grande croix collective s’élève parfois au centre de l’espace pour protéger tous les défunts. Comme énoncé précédemment, le cimetière revêt également des fonctions diverses qui nous paraissent aujourd’hui insensées. Seulement, bien souvent le cimetière est le seul endroit convenable de la ville, entretenu et au cœur même de la vie religieuse. Les activités diverses se pressent, lieu de rencontre, de promenade, de réjouissances, de commerce et de politique. Le spectacle des charniers ne semble pas impressionner les contemporains qui achètent pain, vin et bière au sein même des cimetières. Nous pouvons notamment citer l’exemple des halles de la foire Saint-Germain qui se tenaient juste à côté du cimetière SaintSulpice, ou encore des halles de Paris contigües au cimetière des Innocents. A la manière du forum romain, le cimetière rassemble la communauté qui ne s’enquiert pas de la présence des morts. Les cimetières revêtent même la fonction d’habitat. En effet des maisons construites au-dessus des charniers sont destinées aux prêtres ou aux laïcs, les réfugiés ayant demandé l’asile refusant de quitter le cimetière s’installent également dans des chambres au-dessus des charniers.
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La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
Gravure du cimetière Saint-Sulpice et de la Foire Saint-Germain Olivier TRUSCHET et Germain HOYAU (1550)
Gravure du cimetière des Innocents et de la Halle au Blé Olivier TRUSCHET et Germain HOYAU (1550)
Les espaces sépulcraux
Au XVIIIe siècle, la saturation des cimetières finit par soulever la population. Cette réaction n’est pas tant due à l’aspect répugnant du spectacle des cadavres, mais s’explique plutôt par un changement dans les mentalités. En effet, depuis le XIIe siècle émerge le désir de sortir la sépulture de l’anonymat et de s’enquérir réellement de la mort d’autrui. Là où auparavant seule l’âme du défunt et son souvenir comptait, le corps du mort revêt un rôle important et prend de la valeur. Ainsi, pour les esprits les plus éclairés, la conjecture de la saturation des cimetières et de l’exhibition des restes dans les charniers constitue une violation pour la dignité des défunts, propriété de l’Eglise qui ne se préoccuperait que de l’argent sans s’occuper correctement des dépouilles. La situation est telle que certains cimetières s’élèvent à plus de vingt pieds au-dessus du plancher de l’église. Le 12 juin 1804, le décret confie la gestion des cimetières aux communes et déporte les cimetières hors des enceintes de la ville. Aussi, il est décrété que les corps ne seront plus superposés comme ils l’étaient dans les fosses, mais désormais juxtaposés. Cette dernière décision est fondamentale et explique en partie la morphologie actuelle des cimetières. En effet, cette juxtaposition implique la création d’espaces cinq fois plus étendus qu’auparavant, faisant des cimetières des lieux avides d’espace. A des fins hygiénistes, comparables aux Romains, ils sont conçus comme des jardins plantés où la végétation n’empêche pas la circulation de l’air.
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La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
Plan et gravures du cimetière des Innocents au XVIIIe siècle Theodor Josef Hubert HOFFBAUER / auteurs inconnus
Les espaces sépulcraux
En l’espace de trois décennies, de 1776 à 1804, des coutumes pourtant millénaires sont balayées. D’un cimetière paroissial intra-muros directement lié à l’Eglise, on passe à un cimetière extra-muros confié aux autorités civiles. Les lois décrétées en 1804 conjuguées à un glissement dans les mentalités amène à une restructuration de la typologie des cimetières. On distingue en fait plusieurs modèles créés dans le même objectif. Le cimetière se veut désormais romantique, il conjugue paysage, art et nature pour que la famille puisse se recueillir dans un environnement qui lui est agréable. En France et en Europe, c’est la typologie du cimetière bâti qui prédomine. Avec l’interdiction d’inhumer de 1804, le cimetière extra-muros va en fait se transformer en petite ville. En effet, la chapelle funéraire des cimetières paroissiaux est transposée dans ces nouveaux cimetières et transformée en tombeau. Sous celuici, les cercueils sont placés dans un caveau. Cette nouvelle typologie se répand et engraine des cimetières entiers, composés de ces monuments funéraires. Le cimetière autrefois vaste étendue à ciel ouvert devient donc un espace bâti où le tombeau familial tient une place très importante. Ce modèle s’inspire en fait du cimetière du Père-Lachaise, conçu par Alexandre Brongniart. L’architecte crée un nouveau type de cimetière qui conjugue la fonction sépulcrale avec le jardin. Il s’inspire des jardins pittoresques, eux-mêmes influencés par le jardin anglais, boisé et sinueux. Le cimetière est sensé recueillir les dépouilles des habitants des quatre arrondissements de la rive droite, en fosse commune ou en concession perpétuelle. Seulement, il peine à se remplir car les habitants les plus fortunés se refusent à se faire enterrer si loin de Paris. L’échelle est tel qu’en 1812, le cimetière ne compte que 833 tombes. Pour que l’opération soit une réussite, le cimetière va finalement faire l’objet de réclames. Pour ce faire, les corps de personnages illustres tels que Molière ou La Fontaine sont exhumés et transférés dans le cimetière du Père-Lachaise. L’effet est immédiat, les ventes de lots s’enchaînent et en 1830 on compte 33 000 tombes. Ce succès s’explique par deux facteurs. D’une part, la morphologie du cimetière, pensé comme un parc destiné à la visite familiale, correspond aux mentalités contemporaines, demandeuses de ces prestations. D’autre part, et surtout, la présence des grands personnages transforme le cimetière en musée à ciel ouvert. Le cimetière dans sa grande définition devient une institution culturelle empreinte de nationalisme et de patriotisme. Le cimetière est aussi le support de l’institution familiale. La concession de longue durée connait un fort engouement et chaque famille souhaite faire l’acquisition de lots. Néanmoins, ce type de concession ne permet pas un renouvellement des sépultures, alors que les fosses communes ou les concessions temporaires 56
La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
Plan du cimetière du Père-Lachaise créé en 1804, modèle de la typologie du cimetière bâti Alexandre-Théodore BRONGNIART
Les espaces sépulcraux
permettent une plus grande souplesse. Ainsi, la préférence pour ce type de sépulture, l’explosion démographique et les épidémies provoquent une saturation du Père-Lachaise qui n’a d’autre choix que de trouver comment s’étendre. Entre 1824 et 1842, de petites parcelles de quelques hectares sur le flanc de la colline sont rattachées au cimetière. Elles n’impactent que peu la typologie du Père-Lachaise, caractérisée par des allées et limites ondulantes. En 1824 et 1829, seules les concessions temporaires et fosses sont réservées aux nouveaux lots. En 1850, une dernière expropriation confère au cimetière la taille qui lui reste encore aujourd’hui, soit 43 hectares et 93 ares. Cette dernière expropriation sur un terrain plat vient déroger aux préceptes jusqu’à présents appliqués de Alexandre Brongniart. En effet, pour palier à la saturation de l’espace, on préfère une grille orthogonale rigoureuse aux allées sinueuses du reste du cimetière et on fait reculer la nature pour maximiser l’espace disponible. En 1860, Paris annexe les communes périphériques et le Père-Lachaise se trouve dans l’incapacité de s’étendre à nouveau. Dans le même temps, en Italie et dans la péninsule ibérique, les cimetières sont également influencés par le Père-Lachaise mais aussi par le Campo Santo. Ce dernier est un type de cimetière apparu au XIIe siècle en Italie qui sépare les morts des vivants par une enceinte bâtie imposante. Cette enceinte de forme carrée ou rectangulaire entourant un espace vide n’est pas sans rappeler la morphologie des cloîtres. Par cette influence, on voit apparaître au XIXe siècle dans ces régions de grandes structures construites recevant les sépultures dans des enfeus organisés autour d’une chapelle ou d’un Panthéon. Dans la péninsule ibérique, les enfeus se superposent et s’alignent en périphérie du cimetière pour former de longs murs, verticalisant la pratique du cimetière. Certains de ces cimetières semblent reproduire la ville, avec des quartiers riches et des quartiers pauvres. Certaines familles vont jusqu’à dépenser des sommes astronomiques pour ériger des tombes en forme de maison toujours plus grandes.
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La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
Plan du cimetière de Loyasse à Lyon, créé en 1807 inspiré du cimetière du Père-Lachaise Auteur inconnu (1834)
Les espaces sépulcraux
On distingue dans le même temps un second modèle en Europe qui se répand dans le monde anglo-saxon : le cimetière rural. Il est intéressant d’évoquer ce second modèle pour le mettre en relation avec le premier et ainsi montrer que de la même intention, conjuguer paysage, art et nature, résulte deux typologies bien distinctes. En Amérique, la gestion des cimetières n’est pas confiée aux autorités municipales comme en France, entraînant une privatisation des cimetières. Des particuliers, soucieux de la situation de ces derniers, se rassemblent pour créer des sociétés civiles à but non lucratif pour gérer un problème sociétal. Le terme «cemetery» remplace ceux de «churchyard» ou «graveyard» qui renvoient à un attachement religieux désormais révolu. Un mouvement d’abord philosophique appelé «Rural Cemetery Movement» émerge au début du XIXe siècle et soutient que la mort est une participation au cycle biologique. De ce postulat, le cimetière s’inscrit dans un paysage naturel. Le premier exemple du genre, le cimetière Mount-Auburn près de Boston, s’inspire lui aussi du Père-Lachaise. Ouvert le 24 Septembre 1831 et conçu par le botaniste Jacob Bigelow et le général Dearborn de la Société d’horticulture du Massachusetts, il s’installe sur un terrain vallonné et arboré où les tombes s’organisent suivant des allées sinueuses. Il devient un modèle pour de nombreux cimetières de la Nouvelle-Angleterre, des péninsules scandinaves puis dans tout le pays. Dans la même veine que le cimetière de Mount-Auburn, ses semblables se caractérisent par une topographie irrégulière dans laquelle se dessinent des chemins sinueux. Les monuments et plantations se multiplient pour définir et cadrer le paysage. Néanmoins, ces aménagements sont discrets et modestes. Les arbres et buissons prennent le dessus sur les tombes qui s’effacent au profit de la végétation luxuriante, conférant à l’ensemble un caractère de jardin. La composition est fragmentée de telle sorte à multiplier les points de vue et les ambiances, rendant alors la promenade animée et bucolique.
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La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique
Plan du cimetière de Mount-Auburn, créé en 1831 inspiré du cimetière du Père-Lachaise et modèle de la typologie du cimetière rural Jacob BIGELOW
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Homme de Néandertal
Homo Sapiens
Celtes et Gaulois
Romains
Fosses ou grottes regroupant plusieurs défunts
sépultures en fosse (inhumation et crémation) et sépultures architecturées : cairns, dolmens, hypogées, allées couvertes
nécropoles mêlant inhumation et crémation
tombes à crémation hiérarchisées le long des voies prenant la forme de sépultures individuelles, de colombarium ou d’urnes-cabanes
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Début MoyenÂge inhumations dans les basiliques puis autour du chevet des églises au plus près des reliques
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Moyen-Âge
Fin Moyen-Âge
XIXe siècle
typologie aître charnier : inhumations dans la cour des églises
construction de fosses communes et d’ossuaires sous les charniers
typologies du cimetière rural dans les pays anglo-saxons et du cimetière bâti en France, Italie et péninsule Ibérique
Les espaces sépulcraux
Les espaces sépulcraux, nécropoles ou cimetières, ont ainsi subi des mutations conséquentes. Le cimetière tel qu’on l’entendait au Moyen-Age n’est plus le même qu’aujourd’hui même si l’appellation reste la même. Seulement, la mort ne fait pas que créer des sépultures, elle crée aussi des rituels. Ces rites funéraires sont parfois très manifestes à certaines époques où la religion, très prégnante, incombe un assortiment de gestes et de prières à adopter en faveur du défunt. Comme nous le verrons plus tard, ces rites prennent différentes formes et interviennent à différents moments de la mort d’un défunt. Néanmoins, il est intéressant d’étudier les espaces créés ou impactés par ces rites funéraires. Le premier touché par ces traditions est bien entendu l’espace sépulcral, et plus particulièrement la tombe. Personnification physique, la tombe porte la mémoire du défunt et devient donc en général le support des rituels de deuil des survivants. Il est très difficile de retracer les prémices de ces comportements rituels, notamment à la Préhistoire où les pratiques peuvent facilement se confondre avec des rites. Néanmoins, certains comportements observés dans le traitement des corps et des tombes laissent à penser que des formes de rites funéraires, peut-être non généralisés, devaient tout de même exister. En 1908, à la Chapelle-Aux-Saints en France, on retrouve un individu en position fléchie, les mains au visage, installé dans une fosse Néandertalienne dans laquelle se trouvent des outils et des ossements d’animaux. En 1930, une découverte en Israël témoigne de l’existence de rites funéraires chez l’Homme de Néandertal. Près de Haïfa, au mont Carmel, on retrouve une tombe comportant cinq hommes, deux femmes et trois enfants ensevelis avec des fossiles. Un des hommes tenait les mâchoires d’un sanglier dans ses bras, laissant à croire que ce dernier était à l’origine de la mort de l’homme. Les mâchoires seraient ici alors un trophée de chasse témoignant de la vaillance du défunt. En 1938 à Teshik-Tash en Ouzbékistan, le corps d’un enfant néandertalien est retrouvé dans une tombe, accompagné de cinq os de chevilles de bouquetins disposées en cercle autour de la tombe. Cette disposition, malgré son caractère insaisissable, confirme la présence de rites funéraires à l’ère Néandertalienne. En 1960 dans la grotte de Shanidar en Irak dans les monts Zagros, on découvre une des sépultures les plus spectaculaires parmi cette ère. On y retrouve neuf corps, probablement tués par la chute de blocs de roche tombés du plafond ainsi que le corps d’un chasseur datant de 60 000 ans, le crâne écrasé au fond de la grotte. Les analyses de ces derniers fossiles ont révélé une impressionnante quantité de pollen jusqu’à présent jamais égalée. Cela semble indiquer que des fleurs avaient été déposées dans la tombe en même temps que la dépouille. D’après les palynologues, les fleurs étaient entières lorsqu’elles furent déposées dans la sépulture. Il est certain que la présence de ces plantes n’est pas dû à un 64
La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
phénomène naturel, qu’il s’agisse du vent ou des animaux, la tombe étant située à 15 mètres de l’entrée et ensevelie sous 7 mètres de terre. Aussi, les plantes autour de la grotte ne sont pas les mêmes que celles retrouvées dans la sépulture, attestant d’un dépôt intentionnel. L’analyse des pollens indique la présence de différentes plantes, parmi lesquelles certaines servent encore aujourd’hui de médicament à certains peuples Irakiens. On peut donc conjecturer que les Néandertaliens, déjà conscients de ces vertus médicinales, aient déposé ces fleurs dans la tombe pour assurer une meilleure santé au défunt dans l’au-delà. Aussi, certains avancent simplement l’hypothèse que les Néandertaliens avaient déposé ces fleurs dans la même démarche que nous le faisons aujourd’hui avec les tombes. Néanmoins, certains indices retrouvés dans les autres tombes laissent à penser que de rituels existaient bel et bien à l’époque néandertalienne. La présence d’ossements ordonnancés, de pollens laissant indiquer que la dépouille était accompagnée de plantes, l’ornementation des corps ou encore la présence de pierres précieuses confirment cette théorie. En effet en 2003, à la Sima de los Huesos à Atapuerca en Espagne, on retrouve un biface en quartzite rouge dans une tombe. Certains avancent que l’outil serait simplement tombé dans la fosse au moment où l’un des 28 individus retrouvés était inhumés, d’autres affirment qu’il s’agirait de la plus ancienne offrande potentielle datant d’il y a 400 000 ans. La diversité des objets et des gestes retrouvés sur les dépouilles et dans les tombes rend néanmoins difficile leur interprétation et leur connexion. Les sépultures retrouvées à Shanidar et à Atapuerca témoignent de l’existence de rites funéraires, mais rien n’indique que ceux-ci étaient systématiques et/ou généralisés. Ces rites, considérés comme un élément fondateur du comportement dit «humain», rapprochent les Néandertaliens de notre comportement contemporain, qui n’est pas rationnellement toujours lié aux trois impératifs de base : la recherche de nourriture, l’autodéfense et la reproduction de l’espèce. Le comportement rituel funéraire s’inscrit dans un symbolisme et une forme de spiritualité propre au comportement humain. On retrouve aussi des éléments architecturaux associés aux sépultures tels que les monuments funéraires du groupe de Cerny. Ceux-ci revêtent d’importantes dimensions, à l’inverse des sépultures qu’ils accompagnent, et se composent de fossés, de tertres et de palissades. Enfin, on a retrouvé la trace de temples funéraires, liés aux rites, aux cérémonies autour de la préparation de l’enterrement ou même au souvenir des défunts. Ces temples sont complètement détachés de la fonction d’inhumation.
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Les espaces sépulcraux
Dessin de la sépulture Shanidar 4 Arlette LEROI-GOURHAN
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La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
Palynologie de la grotte de Shanidar Arlette LEROI-GOURHAN
Les espaces sépulcraux
Au Néolithique les rites funéraires, malgré leur multiplicité, nous paraissent encore bien obscurs, les plus évidents étant les dépôts d’objets. L’intentionnalité de certains dépôts sont questionnés, mais on perçoit tout de même certaines logiques dans l’attribution des objets. Le rang social de l’individu de son vivant est perceptible dans le nombre et la qualité des offrandes disposées dans sa tombe ou dans le traitement remarquable de sa sépulture. Les mégalithes monumentaux étaient probablement dédiés aux Hommes de pouvoir, marquant une forme de respect plus appuyée pour ces défunts socialement importants. Erigés sur des endroits surélevés, ils sont visibles de loin. Pour le reste, suivant l’âge et le sexe, les défunts sont traités de manière différente. Les hommes âgés ainsi que certains enfants morts en bas âge sont enterrés avec leurs carquois, leurs flèches, leurs haches en silex et leurs parures fabriquées à partir de leurs trophées de chasses (dents d’animaux tels que les ours, les sangliers ou les cerfs), tandis ce que les femmes et les jeunes hommes sont accompagnés d’objets et outils du quotidien tels que des meules à grain, ou des parures plus modestes faites de coquillages. Ainsi, les hommes âgés et les jeunes enfants sont clairement associés au monde sauvage tandis ce que les femmes et les jeunes hommes sont assimilés à l’univers domestique et agricole. On retrouve aussi plus généralement des dépôts de nourriture ou des céramiques, qui devaient probablement renfermer un contenu qui nous est inconnu. L’existence de sépultures secondaires et de déplacements perceptibles dans les sépultures collectives nous apprennent que les défunts pouvaient être manipulés et célébrés après avoir été enterrés, témoignant d’une pensée à leur égard. Certains archéologues avancent qu’à cette époque, les rites funéraires étaient liés à une forme de religion pratiquée au sein des peuples. À la fin du Néolithique, vers 3 300 av. J.-C., on retrouve parfois 500 personnes inhumées dans une même fosse, dont les ossements sont souvent réorganisés par leurs contemporains, ce qui semblerait prouver pour certains que ces agissements s’apparentent à des pratiques dites religieuses. Néanmoins, il est très difficile de relier pratiques funéraires et religion, surtout à cette époque.
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La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
ramure de massacre
éclats de silex
Sépulture n°5 du site Les Pétreaux (Changis-sur-Marne) comportant deux hommes J.‑G. Pariat, SDAVO
parures
Sépulture Brześć-Kujawski du site de Krusza Zamkova (Kujawie, Pologne) comportant une femme Gimbutas
Les espaces sépulcraux
Chez les Celtes et les Gaulois, de la même manière que dans la Préhistoire, les tombes sont des marqueurs sociaux et témoignent de la hiérarchie passée. Des sépultures sont manifestement privilégiées, de par leur emplacement central et la singularité de leur mobilier. Les plus grands guerriers de l’époque étaient enterrés avec leur char de combat, leurs chevaux mais aussi de la vaisselle, de la nourriture ou des boissons tandis ce que les plus démunis étaient simplement inhumés dans des silos ou sous le sol des habitations. La nécropole gauloise de “ Vaugrignon” à Esvres-sur-Indre (Indre-et-Loire) est un excellent exemple de ces distinctions. Celle-ci est composée de 29 tombes, comptant une incinération. On y trouve des tombes modestes sans objets ou certaines comportant des amphores et des armes. Durant l’incinération, des offrandes sont souvent brûlées pour être mêlées aux cendres du défunt. Parmi les objets retrouvés, des morceaux de boucliers, des articles de métallurgie, des fibules, des monnaies etc... On retrouve aussi des dépôts postérieurs à l’inhumation alors calcinés, témoignant de rites funéraires post-inhumation. L’ensemble le plus notable est celui de Fléréla-Rivière, situé à proximité. Il regroupe des sépultures d’aristocrates bituriges (peuple gaulois qui occupait un territoire de la Gaule centrale situé entre la Loire et le Massif central et faisait partie des peuples de Gaule Celtique) alors inhumés avec des armes. Alors que cinq siècles avant JC les Gaulois étaient vêtus de leurs plus beaux habits, bijoux et armes, aux alentours d’un siècle avant JC alors que la crémation prend le dessus, les urnes sont inhumées avec moins d’armes mais d’avantage d’outils. Cette évolution prouve une ascension et un fort développement de l’artisanat à cette période.
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La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
Tombe à char à la Gorge-Meillet Auteur inconnu
Les espaces sépulcraux
Dans la Rome et la Grèce Antique, les rites funéraires se codifient selon des règles très strictes. Il est indispensable de ne pas laisser les morts sans honneurs funèbres, auquel cas les âmes errantes des défunts, alors devenus fantômes, viendraient tourmenter les vivants. Ainsi Elpénor s’adresse-t-il à Ulysse : « Avant de repartir, ne m’abandonne pas sans pleurs, sans funérailles ; la colère des dieux m’attacherait à toi. Il faudra me brûler avec toutes mes armes » . A cette époque, la mort était considérée comme une délivrance et même un honneur, seulement si les rites étaient effectués correctement. Après des rituels effectués à la maison que nous détaillerons plus tard, une pièce est déposée dans la bouche du défunt ou directement dans la tombe pour payer le passeur Charon et traverser en barque le fleuve menant aux Enfers, auquel cas l’âme du défunt errerait sur les bords du fleuve des centaines d’années. Un ensemble d’objets funéraires ainsi que des asphodèles sont aussi déposés dans la tombe et une stèle portant le nom du défunt et une formule de salutation est déposée sur le tumulus. Seule exception pour les Spartiates qui enterrent leurs morts de la manière la plus simple, dans la continuité de l’austérité qui leur est propre. La crémation dure toute la nuit. Une fois le feu éteint, les proches mouillent les cendres avec du vin et du parfum. Les restes sont placés dans une urne cinéraire en terre cuite, plomb ou pierre, ou dans un sac en tissu. Elle est généralement placée dans le tombeau accompagnée d’offrandes alimentaires dans des vases, des coupes, des assiettes contenant le nécessaire pour la survie du mort. On y ajoute parfois des objets familiers du défunts ainsi que la pièce de monnaie permettant le passage du Styx. La tombe en pleine terre est le mode le plus commun. Le défunt est enveloppé dans un linceul et repose parfois dans un cercueil en bois. La tombe elle aussi peut être aménagée sous des tuiles ou dans un sarcophage rectangulaire en pierre ou en plomb qui peut être fermé par un couvercle plat ou à deux pans. Dans la partie extérieure, la stèle est en pierre calcaire ou en marbre et porte une inscription. Sur certaines tombes et monuments funéraires, on retrouve l’inscription «Dis Manibus», souvent abrégée en DM. Cette dédicace fait référence aux dieux Manes qui symbolisent l’âme des morts. La taille des tombes, qui ressemblent aux tombes actuelles, dépend de l’importance du défunt et peut aussi être gravée et sculptée. On peut y ajouter un autel sur lequel on pratiquera les libations. De forme quadrangulaire, il est souvent sculpté de bas-reliefs. Ainsi, si le rituel n’était pas effectué correctement, les âmes pouvaient revenir tourmenter les vivants, ces derniers leur devaient donc le plus grand respect. Ils organisaient plusieurs cérémonies en leur honneur durant l’année qui pouvaient être publiques ou privées. Parmi ces cérémonies, certaines se déroulaient directement dans la nécropole, comme les Profusiones, offrandes qui consistent à répandre du liquide sur le sol, sensé nourir le mort dans l’au-delà. Le financement de ce culte est privé et est assuré soit par des héritiers soit par un collège auquel le titulaire de la tombe a légué une somme. 72
La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
Colombarium de Vigna Codini (Rome) https://www.magnoliabox.com
Stèle portant la gravure «D.M.» https://www.inrap.fr
Mausolée Cecilia Metella (Rome) https://commons.wikimedia.org
Urne-cabane https://www.inrap.fr
Les espaces sépulcraux
Durant le Haut Moyen-Âge, après la chute de l’empire Romain en 476, subsistent les rites funéraires dits païens alors que s’instaurent peu à peu les obsèques chrétiennes. Le défunt est inhumé dans une nécropole caractéristique de la période antique située à l’écart des habitations, accompagné de mobilier et d’objets divers. La tombe était encore ici porteuse de l’image de la place tenue par le défunt dans la société. Le mort est donc inhumé avec des objets qui le caractérisent. Les guerriers sont accompagnés d’armes, les personnes de haut rang de bijoux et les plus démunis de petite vaisselle ou même de rien du tout. La dépouille est déposée en terre directement ou placée préalablement dans un sarcophage en pierre. Les tombes ne sont pas signalées par une croix ou une marque et ne suivent pas une répartition spatiale logique permettant de s’orienter dans la nécropole. Régulièrement la terre est même labourée et les ossements sont déposés dans un ossuaire. Les dépôts alimentaires disparaissent à partir de l’époque carolingienne tandis ce que le dépôt d’objets se maintient jusqu’au VIIe siècle et dans le même temps l’utilisation des nécropoles antiques et des sarcophages en pierre s’amenuise jusqu’à disparaître vers la fin du VIIe siècle pour laisser place à ce qu’on appelle aujourd’hui un cimetière. Alors que le monde occidental se christianise, l’Eglise joue un rôle déterminant dans la mise en place de rites funéraires impactant sur les tombes elles-mêmes. En 775 et 789 Charlemagne, roi soutenant vivement le christianisme, fixe des rites funéraires religieux à travers ses capitulaires. L’inhumation domine en raison de la résurrection du Christ. En effet la crémation alors réservée pour les païens, ne permettrait pas la résurrection du corps et se voit alors interdite en 789 par Charlemagne sous peine de condamnation à mort. On confiait ainsi son corps et son âme à l’Eglise alors en charge des morts et de leurs tombeaux sur les sites sacrés. Cet abandon total à la religion se traduit par une casi disparition des tombeaux personnalisés et des épitaphes à partir du VIIème siècle. La tombe est totalement dépersonnifiée au profit d’un modeste anonymat, en cohérence avec la pensée de la période. C’est la résurrection de la communauté chrétienne dans tout son ensemble qui prime sur l’individualité. Même les plus puissants du royaume ne dérogent pas à cette règle, comme en témoigne l’anonymat de la sépulture de Charlemagne et des prédécesseurs de Saint-Louis. Toujours dans cette mentalité modeste, les défunts sont enterrés nus ou simplement enveloppés dans un linceul avant d’être placés dans un cercueil de bois de pierre ou de métal avant l’inhumation. Les défunts les plus riches bénéficient d’une meilleure place dans le cimetière et parfois d’une sculpture funéraire représentant une personne couchée, appelée gisant.
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La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
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Stèle carolingienne Abbatiale du IXè siècle de Saint-Philbert de Grand Lieu
Stèle carolingienne Collections du musée Carnavalet
Stèle carolingienne Exposition à l’abbaye royale de Saint-Riquier, 2014
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Jusqu’à présent, la civilisation occidentale avait en quelque sorte vulgarisé et apprivoisé la mort. Elle demeurait à ses côtés et les deux cohabitaient en paix. Pendant le Second Moyen Age, cette familiarité ne disparaît pas mais s’altére quelque peu à partir du XIe-XIIe siècle. En effet, l’attitude ne sera pas fondamentalement nouvelle mais subira quelques modifications subtiles qui vont petit à petit donner un sens dramatique et personnel à la relation familière de l’Homme avec la mort. Il faut tout d’abord avoir à l’esprit que cette familiarité était induite par une certaine forme de conception collective de la mort. L’Homme était tout à fait conscient de son destin, il entretenait un rapport singulier avec la nature et était alors parfaitement conscient de ce qui l’attendait. L’Homme acceptait alors presque naïvement son destin et subissait en quelque sorte l’une des grandes lois de l’espèce et ne cherchait alors pas à s’en défaire. La mort était une notion acquise, acceptée avec la dose de solennité suffisante. Seulement, ce rapport se renverse et on voit petit à petit émerger l’apparition du souci de la particularité de chaque individu dans la mort qui s’exprimera notamment par le retour à l’épigraphie funéraire et à un début de personnalisation des sépultures. Ce changement s’explique par trois facteurs selon Philippe Ariès. Le premier s’explique par la représentation du Jugement dernier. En effet jusqu’à présent, la conception de l’eschatologie était collective et l’individualité n’avait pas sa place. On ne parlait alors pas du comptage des bonnes et mauvaises actions, les méchants ne survivaient sans doute pas à leur mort et seraient alors simplement abandonnés au non-être. Au XIIe siècle, la vision change et sur les iconographies inspirées de Matthieu, la résurrection des morts accompagnée de la séparation des justes et des damnés apparaît : le jugement et le pèsement des âmes par l’archange Saint Michel. On juge chaque homme selon le bilan de sa vie, les bonnes et mauvaises actions étant réparties de part et d’autre de la balance, balayant alors la conception collective de l’eschatologie pour un jugement individuel. Le second facteur est l’apparition des artes moriendi, une nouvelle iconographie étant en fait des traités sur la manière de bien mourir aux XVe et XVIe siècle. Ces illustrations montrent le mourant gisant, entouré de ses proches, famille et amis, exécutant alors le protocole rituel de la mort. Seulement, la modeste cérémonie est interrompue par un événement que seul le mourant est en mesure de voir, manifestement inquiet mais largement indifférent. Des êtres surnaturels se sont en fait pressés à son chevet, envahissant la chambre. Les légendes accompagnant les artes moriendi décrivent que Dieu et sa cour sont présents pour constater le comportement du mourant au cours de la dernière épreuve qui lui est proposée, déterminant ainsi son sort pour l’éternité. Le mourant verra sa vie toute entière 76
La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
défiler, telle qu’elle est décrite dans le livre relatant ses bonnes et mauvaises actions, et il sera alors tenté par « soit le désespoir de ses fautes, soit par la vaine gloire, de ses bonnes actions, soit par l’amour passionné des choses et des êtres». S’il repousse la tentation dans ce moment fugitif, les pêchés de sa vie seront effacés. Au contraire, s’il cède, toutes ses bonnes actions seront annulées. Le Jugement dernier a alors été remplacé par la dernière épreuve. Initialement, la mort au lit est un passage apaisant, commun à chacun, solennisant le passage d’un état à un autre sans s’inquiéter du sort particulier du mourant. La destinée est la même pour tous les hommes en paix avec l’Eglise. D’un autre côté, le Jugement, malgré son action universelle, est particulier à chaque individu et son issue était incertaine pour tout le monde avant le pèsement des âmes. Ainsi, les artes moriendi réunissent en une même scène la quiétude d’un rite collectif et l’incertitude d’un concernement personnel. Le troisième phénomène dégagé par Philippe Ariès concerne l’apparition du cadavre dans l’art et la littérature, contemporainement aux artes moriendi. Du XIVe au XVIe siècle, la représentation de la mort sous la forme d’un cadavre est moins répandue que ce qu’il n’y paraît. Elle est surtout présente dans la décoration des églises et des cimetières (la Danse des morts). La présence d’un corps décomposé sur la tombe est limitée à certaines régions telles que l’Est de la France, l’Allemagne occidentale, rarement en Italie et en Espagne. En effet, le thème macabre est très peu présent dans l’art funéraire. Ce n’est que plus tard au XVIIe siècle que le squelette ou les os, pas le cadavre en décomposition, se sont invités sur les tombes et même jusqu’à l’intérieur de la maison sur les meubles et les manteaux de cheminées. Tenenti voit en «cette horreur de la mort, le signe de l’amour de la vie», ce qu’il décrira alors comme «la vie pleine». La combinaison de ces trois facteurs résulte par une repersonnification des sépultures. A partir du XIIe siècle cependant, on note une réapparition des inscriptions funéraires, alors quasiment disparues depuis près de neuf cents ans. Tout d’abord revenues sur les tombes des personnages illustres, elles finissent par envahir celles des personnes les plus aisées. Dans le même temps, on note le retour de l’effigie, qui n’est pas réellement un portrait mais une représentation du défunt attendant le Paradis. Petit à petit, l’effigie redevient portrait, s’attachant à reproduire les traits du vivant avec un tel souci du réalisme qu’au XIVe siècle on ira jusqu’à reproduire un masque du visage du défunt. L’art funéraire évolue alors dans le sens d’une grande personnalisation de la sépulture. Au XVIIIe siècle, les plaques à simple inscription deviennent de plus en plus nombreuses dans les villes, les classes moyennes souhaitant elles aussi sortir de l’anonymat de la sépulture.
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Artes Moriendi divers Auteurs divers
La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
Epitaphe de Nicolas Flamel (1330-1418) rappelant les dons qu’il a fait aux églises et aux hopitaux parisiens. Au dessus de l’inscription est gravée une représentation du Christ tenant un globe crucifère. Entouré par le soleil, la lune et les saints Pierre et Paul, il est figuré en buste. En dessous de l’inscription, Nicolas Flamel est figuré en «transi».
Les espaces sépulcraux
On observe un changement dans ces pratiques en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Dans les années 1760, l’accumulation des corps dans les églises ou à proximité devient intolérable aux yeux des esprits les plus éclairés qui considèrent que c’est une violation de la dignité des défunts. Il fut alors reproché à l’Eglise de s’enquérir uniquement des âmes sans se préoccuper de la destination des corps, amassant les legs de chacun sans pour autant investir dans les tombeaux. On vint alors à se rappeler de l’art funéraire des anciens et de leur piété pour les morts, largement étalée dans leur épigraphie funéraire. Il fut alors décidé que les morts ne devaient plus nuire aux vivants, mais que ces derniers devaient témoigner aux défunts un véritable culte. Les tombeaux devinrent alors le support de cette vénération. Ce n’était pas tant un acte religieux mais plutôt une réponse affective des survivants, une manière d’exprimer leur répugnance vis à vis de la disparition de l’être cher. Pour ce faire, la tombe devait être visitable, on voulait honorer le défunt à l’endroit même où il reposait et on voulait que ce lieu appartienne en toute propriété à la famille. On vit alors apparaître la concession de sépulture au commerce, assurant la perpétuité. On va donc visiter le mort «chez nous» , comme on va chez un parent : . « La cité des morts est l’envers de la société des vivants, ou, plutôt que l’envers, son image et son image intemporelle »17. Ce culte du souvenir confère au défunt une forme d’immortalité assurée par la mémoire de la famille et des proches. Cet acte transcende la religion puisque la visite au cimetière était et demeure un acte accompli par croyants, agnostiques, incroyants. Le culte du souvenir fait, certes, partie du domaine privé mais il s’étend aussi au domaine sociétal. Les auteurs des projets de cimetières du XVIIIe siècle souhaitent faire de ce lieu un parc organisé à la fois pour la visite familiale mais aussi pour rendre hommage aux illustres personnages, qui seraient alors aussi vénérés par le peuple. On sent et on pense alors que les morts jouent un rôle dans la vie des vivants, et qu’il est ainsi nécessaire de leur rendre hommage. Ainsi, le cimetière repris une place majeure dans la cité, autant physiquement que dans les mœurs, perdue au début du Moyen Age mais qu’elle avait occupée pendant l’Antiquité. Dans ce contexte se développent les cimetières ruraux et bâtis dont nous parlions précédemment. Dans les cimetières bâtis, la stèle s’éclipse au profit de la dalle qui devient caveau ou même chapelle funéraire. Une monumentalité baroque s’exprime sur les tombes et la statuaire se fait de plus en plus compliquée et figurative. Cette profusion s’exprime en Italie encore plus qu’ailleurs à travers des scènes composées, des portraits en pied, des médaillons etc… Dans le même temps, l’art funéraire anglo-saxon s’illustre par une grande modestie stylistique. Les aménagements sont discrets et s’effacent au profit de la luxuriante végétation. Les monuments sont simples, sans artifices. 17
ARIÈS Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident, (1975), p.61 80
La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
Cimetière du Père-Lachaise www.unjourdeplusaparis.com
Cimetière Mount Auburn (Etats-Unis) www.viinz.com
D.M.
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Homme de Néandertal
Homo Sapiens
Celtes et Gaulois
Romains
hiérarchisation sociale dans le traitement des tombes
hiérarchisation sociale dans le traitement des tombes
mise en place d’un rituel strict autour du défunt
sépultures hommes accompagnées de flèches, hâches, silex, armes, parures
offrandes de vaisselle, boissons, monnaies et nourriture courantes
sépultures femmes accompagnées de meules à grain, parures de coquillages
guerriers inhumés avec leur char, chevaux, armes
quelques objets retrouvés dans les fosses (ossements, biface, traces de fleurs) subsistent des questions quant à la volonté de ces dépôts
offrandes et objets déposés dans la tombe pour accompagner le défunt vers l’audela sépultures dédicacées envers les Dieux Manes
X. DUPONT
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Carolingiens
XIIe siècle
XIXe siècle
christianisation des sépultures : on dépersonnalise les tombes jusqu’à les anonymiser, disparition des épitaphes et émergence de sépultures à l’effigie du défunt appelées «gisant»
retour de l’épigraphie funéraire
tombes simples et modestes dans les cimetières ruraux au profit de la végétation
des épitaphes ainsi que des effigies sont aposées sur les tombes dans un souci de personnalisation des sépultures
tombes sculptées dans un style baroque, caveaux de grandes dimensions dans les cimetières bâtis
Les espaces ritualisés
Ainsi l’analyse des sépultures elles-mêmes nous informent énormément sur leur société contemporaine. Tantôt réceptacle d’offrandes nécessaires au passage dans l’au-delà du défunt, tantôt reposoir en attendant le Jugement dernier, la tombe est un marqueur évident des rites funéraires codifiés par les différentes religions. Que ces rites se déroulent au moment de l’inhumation ou post-inhumation, la tombe nous indique que les nécropoles et cimetières ne sont pas seulement des espaces sépulcraux mais sont également supports de rites funéraires dès la Préhistoire. Cette donnée est importante car elle permet de nous interroger sur notre société actuelle : existent-t-il encore des rites funéraires aujourd’hui qui impactent sur nos cimetières ? Et si oui, nos cimetières et sépultures sont-ils conçus en ce sens ? Seulement, les rites funéraires ne concernent pas uniquement les espaces sépulcraux, car la mort ne s’arrête pas au portail du cimetière. En effet, à certaines époques, les rites funéraires n’influent pas uniquement sur les espaces de repos des défunts mais s’invitent également dans des lieux que nous ne soupçonnerions pas de prime abord. Parmi ces rites, on distingue plusieurs catégories. Tout d’abord, on peut citer les pratiques précédant la mise en terre, appelés rites préparatoires, survenant après le décès (exposition éventuelle du corps, manifestations diverses : prières, pleureuses, etc...). Ensuite ont lieu les rites de passage (cortège funéraire, manipulation des restes crématisés ou non, banquet, prières, etc...). Après cela, les commémorations plus ou moins régulières (visites sur la tombe, repas funéraires, messes anniversaires, etc...). Le deuil est également une forme de rite, puisqu’il fût très codifié à une certaine époque, imposé à la fois dans le temps et la pratique par la société. Ces rites se retrouvent encore dans la société actuelle mais avec plus de souplesse, puisqu’il incombe à chacun de choisir le(s) rite(s) qu’il souhaite appliquer. Nous allons étudier ici quels sont les espaces annexes créés ou impactés par ces rites et ainsi observer s’il existe des occurrences ou au contraire des différences au fil des siècles. Mais avant même les rites préparatoires postérieurs au décès, on observe au début du Moyen-Age des rituels précédant la mort elle-même où les mourants sont les protagonistes. Dans les chants, les chevaliers étaient clairement avertis de leur mort à venir, ils en étaient pleinement conscients, ils ne meurent pas sans avoir eu le temps d’être avertis de cette mort, à moins que celle-ci ne résulte d’un événement soudain tel que la peste ou autre maladie. Dans la chanson de Roland , Roland «sent que la mort le prend tout. De sa tête elle descend vers le cœur.» et «sent que son temps est fini» tandis ce que Tristan «sentit que sa vie se perdait, il comprit qu’il allait mourir» dans le Roman de Tristan et Iseult. Cette conscience de la mort se retrouve aussi bien dans la littérature de Tolstoï que 84
La création ou l’investiture de lieux précédant la mort elle-même
dans les mémoires de Madame de Montespan qui, malgré sa peur de la mort, sut elle aussi qu’elle allait mourir imminemment et pris ses dispositions. En effet, sachant sa fin prochaine, le mourant prenait ses dispositions très simplement. Qu’il s’agisse d’un chevalier de la table ronde ou d’un paysan, la mort demeure une chose simple. On attend la mort, couché gisant. Cette attitude rituelle est décrite par la liturgie chrétienne du XIIIe siècle : «Le mourant doit être couché sur le dos afin que sa face regarde toujours le ciel». Chez les juifs l’attitude est complètement opposée, connue par des descriptions de l’Ancien Testament qui incombe de se retourner vers le mur pour mourir. Ainsi couché gisant, le mourant peut procéder aux derniers rites cérémonials. Le premier est le regret de la vie, un rappel triste mais discret réduit à quelques images des êtres chéris et des moments appréciés. Après cette mélancolie vient le moment du pardon des compagnons et leur recommandation à Dieu. Enfin, le dernier temps est accordé à Dieu. La prière est décomposée en deux parties, la première étant la coulpe, les deux mains jointes levées vers le ciel priant Dieu de lui donner le Paradis, la seconde étant le commendacio animae. A ce moment, le prêtre donnait l’absolution et récitait les psaumes, aspergeant le mourant d’eau bénite même une fois décédé. Après la dernière prière, il ne reste au mourant qu’à attendre la mort, et même si celle-ci se fait longue à venir, il dit sa dernière prière et ne souffle plus mot par la suite. Ainsi, à cette époque nous sommes pleinement conscients de la mort et gisons au lit malade en l’attendant venir. L’acte de mourir est une cérémonie publique et organisée qui se déroule en toute simplicité, sans caractère dramatique ou excessif. Le mourant préside lui-même la cérémonie et suit le protocole strict imposé par la liturgie. La chambre du mourant devenait alors un lieu public où l’on pouvait rentrer librement. Ainsi, encore au début du XIXe siècle, lorsqu’on rencontrait un cortège du prêtre portant le viatique on l’accompagnait et on entrait avec lui dans la chambre du souffrant, à tel point que les médecins de la fin du XVIIIe siècle découvrant les règles d’hygiène se plaignaient du surpeuplement des chambres des malades. Les parents, amis, voisins se devaient d’être présents ainsi que les enfants qui tenaient une place majeure dans la chambre du défunt. Comme nous l’avons déjà évoqué, pendant le Second Moyen Age, la familiarité avec la mort est quelque peu altérée à partir du XIe-XIIe siècle. Parmi ces changements figurent la suppression du temps eschatologique entre la mort et la fin des temps, plaçant le Jugement dernier non plus dans l’éther du Grand jour mais autour du lit du mourant, représenté dans les artes moriendi dont nous avons déjà parlé. La chambre demeure le lieu où le mourant, couché gisant, procède aux derniers rites précédant sa mort, à la différence près qu’il voit sa vie défiler avant sa dernière épreuve, le choix entre le Bien et le Mal. La mort autrefois solennelle et paisible s’est chargée d’un poids émotionnel et 85
Les espaces ritualisés
d’un caractère dramatique dans les classes instruites. Cette évolution a renforcé le rôle du mourant dans la cérémonie de sa propre mort, il est bel et bien maître de son destin au sein même de sa propre chambre. A partir du XVIIIe siècle, l’homme tend à donner à la mort un sens nouveau. Elle se fait dramatique, exaltée et exaltante. Mais dans le même temps, elle est moins autocentrée, la mort romantique s’intéressant plutôt à la mort de l’autre. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, la mort se charge d’un sens érotique. De nombreuses scènes ou motifs dans l’art ou la littérature associent alors l’amour à la mort, Thanatos à Eros. A la manière de l’acte sexuel, la mort est alors considérée comme quelque chose qui arrache l’homme de son quotidien, de sa routine monotone pour le jeter dans un monde violent et cruel. La mort est une rupture, comme l’acte sexuel chez le marquis de Sade. Le cérémonial de la mort au lit présidé par le gisant entouré de sa famille persiste et reste la base de la mise en scène de la mort. Néanmoins, cette cérémonie autrefois empreinte de solennité s’empare alors d’une passion nouvelle de ceux qui y assistent. En effet, les proches sont alors saisis d’émotions qui les animent, ils pleurent, prient, s’agitent. Ils respectent les coutumes dictées par l’usage mais leur enlèvent leur caractère banal et coutumier pour leur insuffler une douleur passionnée, unique et spontanée. Depuis le Haut Moyen Age jusqu’au XIXe siècle, les attitudes devant la mort ont ainsi changé, mais de manière imperceptible pour les contemporains. Seulement, depuis un demi-siècle, nous connaissons une révolution brutale, tellement brutale qu’elle ne nous a pas échappé malgré notre contemporanéité. En effet, alors que la mort nous était autrefois si familière, elle va s’effacer jusqu’à disparaître et devenir un réel tabou. Cette révolution commence surtout dans les sociétés les plus industrialisées décrites précédemment, l’Amérique, l’Angleterre et l’Europe du Nord-Ouest, avant de gagner l’Europe Occidentale. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’entourage du mourant cherchait à le préserver en lui cachant la vérité sur son état, bien que cette dissimulation de la vérité ne dure en fait que peu de temps. L’objectif des proches est d’épargner au mourant de prendre en charge cette épreuve lui-même. Petit à petit, ce sentiment s’est transformé pour au final éviter, non plus au mourant mais à son entourage, l’émotion causée par le futur deuil. En effet, l’objectif est de ne pas entacher une vie heureuse d’un deuil à venir, de la présence de la mort car la vie est heureuse et doit le rester, ou du moins en apparence. Les rites restent néanmoins inchangés mais se vident peu à peu de la charge dramatique dont ils s’étaient chargés. Dans les années 1930-1950, cette évolution manifeste va se précipiter, cela étant dû à la progression de la médecine entrainant un phénomène important : on ne meurt plus chez soi entouré des proches mais à l’hôpital, seul. En effet, l’hôpital 86
La préparation du corps, un soin ritualisé porté par divers acteurs
prodigue des soins désormais impossible d’effectuer à la maison. Bien qu’ayant toujours une fonction curative, certains hôpitaux deviennent le lieu privilégié de la mort. Tandis ce que jadis nous nous rendions à l’hôpital pour guérir, on y va désormais pour mourir. Alors, le cérémonial du «gisant malade» présidant sa propre mort entouré de ses proches disparaît, la mort n’est plus qu’un phénomène technique dû à l’arrêt des soins, par une décision médicale. La scène de la mort au lit qui avait si peu changé au cours des millénaires a été complètement balayée. Ainsi au Moyen-Âge, la mort se prépare avant même qu’elle ne survienne. Néanmoins, une fois arrivée, la prise en charge du corps et sa préparation incombent aux vivants. Jusqu’à l’Antiquité, il est très difficile de retracer l’existence de rites préparatoires précédant la mise en sépulture. Durant la Préhistoire, le traitement des dépouilles avant l’inhumation ne nous est pas complètement connu, même si l’existence de linceuls, de sacs ou de traces d’ocres retrouvées sur le corps témoignent d’une attention particulière portée aux morts. Chez les Grecs et les Romains, comme nous l’avions déjà évoqué, les rites sont très codifiés. Ils sont ainsi très respectés par les vivants, auquel cas les âmes errantes des défunts, alors devenus fantômes, viendraient les tourmenter. Ces rites sont entièrement portés par la famille et ne peuvent en aucun cas être délégués à une quelconque forme de pompes funèbres. Ainsi, les obsèques sont très codifiées et se déroulent en 5 étapes. Les deux premières étapes se déroulent dans la maison même du défunt ou de sa famille. Dans un premier temps, les femmes s’occupent de la toilette, elles parent, parfument, huilent, couronnent et habillent le cadavre de blanc, alors apprêté pour son voyage dans l’au-delà, avant de le placer dans un linceul. Après cela, le mort est exposé aux vivants dans le vestibule de la maison, les pieds dirigés vers la porte et la tête surélevée. Cette étape, appelée prothésis, est un moment de lamentation. La famille, en habits de deuil, crie et accomplit des gestes rituels toute une journée devant la dépouille. Au Moyen-Âge, après l’extrême onction prodiguée par les clercs et après la mort du défunt, une veillée à l’église est organisée en mémoire du trépassé. Les corps ne faisaient généralement pas l’objet de traitement particulier, si ce n’est la toilette mortuaire exécutée par la famille du défunt. La toilette est minutieusement effectuée de manière à acquérir une pureté impeccable avant le passage dans l’au-delà. Après le VIIIe siècle, la dépouille n’est plus habillée mais simplement enveloppée d’un linceul avant d’être mise en bière, la tête en direction de Jérusalem et les mains jointes ou croisées sur le ventre. Seuls les prélats, les clercs, les rois et les aristocrates sont vêtus de leurs tenues d’apparat 87
Les espaces ritualisés
et accompagnés de mobilier funéraire. Les rois et autres personnes importantes bénéficient quant à eux également d’un embaumement extrêmement codifié de manière à ne pas attenter à l’intégrité du cadavre «Même s’il n’est pas exclusivement réservé aux familles royales ou aux papes, l’embaumement est un privilège aristocratique. On peut y voir le besoin de parvenir tel quel devant Dieu au Jugement dernier. Il n’en demeure pas moins que l’embaumement perpétue l’inégalité sociale au-delà de la mort. Le baume et les épices coûtent cher.» . Cet office se déroule en quatre temps : l’embaumement, l’habillage, la remise des regalia et la mise au tombeau. Ce rituel complexe est assuré par un personnel compétent de manière à ne pas entacher la dignité du défunt. Vers la fin du Moyen-Âge, les épidémies de peste amènent à l’apparition d’un nouvel acteur dans la préparation des corps. En effet, l’Eglise qui avait jusqu’à maintenant l’entière responsabilité de la gestion des dépouilles a désormais recours aux sociétés charitables pour aider à la fois matériellement mais aussi pour l’exécution des prières et processions jusqu’aux cimetières. Dès lors, les cadavres sont nettoyés, cette fois ci uniquement par les femmes, enveloppés nus dans un linceul puis placés dans les fosses communes au détriment des sépultures individuelles. La période révolutionnaire vient bouleverser cet ordre établi et balaie ces organismes semi laïques semis religieux. En devenant la propriété de la commune et non plus de l’Eglise, le cimetière devient public et le monopole des fournitures et services funéraire revient à la charge des fabriques et consistoires. Le deuil obéit à des règles très précises : Les obsèques étaient confiées pour la partie célébration à l’Église, et pour le décor aux pompes funèbres. Presque un siècle plus tard, dans le cadre de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la loi du 28 décembre 1904 transfère le monopole de l’organisation des funérailles aux communes. Ces dernières passent alors régulièrement des contrats avec des entreprises de pompes funèbres qui se chargent du traitement des corps pré sépulture. Une fois les rites préparatoires exécutés, le défunt est transporté pour être inhumé ou crématisé dans une nécropole ou un cimetière. Cette transition entre le lieu de préparation et le lieu de sépulture est également ritualisé notamment pendant l’Antiquité. Chez les Grecs et les Romains, après l’exposition du corps dans la maison durant une journée, au petit matin, le mort est transporté sur un chariot ou un brancard vers la nécropole, accompagné par les pleurs et les hautbois. Dans ce cortège funèbre appelé ekphora, les hommes se situent à l’avant et les femmes à l’arrière. Durant le convoi, certains membres coupent leurs cheveux et 88
Les commémorations post sépulture : un devoir de mémoire guidé par les croyances
les lancent sur le défunt. Ce geste est un honneur rendu au défunt qui renvoie symboliquement à la perte d’une partie d’eux-mêmes. Cette pratique disparaîtra durant le Moyen-Âge pendant lequel les dépouilles seront simplement acheminés sur des chariots en bois. Une fois la mise en sépulture terminée, vient le temps des commémorations. Ces dernières prennent plusieurs formes et sont célébrées à des dates relatives au décès du défunt ou au calendrier général. Chez les Grecs et les Romains, on rend hommage au mort le 3ème, 9ème, 30ème jour après les obsèques et les jours-anniversaires. Le neuvième jour après les obsèques, la famille du défunt fait des sacrifices aux Manes et leur offre des mets spéciaux comme du lait, du vin pur, du miel, des œufs, des fèves, des lentilles, des fruits etc... Le grand deuil cesse alors, mais l’entretien de la tombe reste à la charge des survivants. Les Parentalia sont célébrées le 13 février. Ce sont des repas rituels auxquels les morts participent. Les Feralia, jour des morts, sont célébrées fin février et duraient pendant 10 jours. A cette occasion, les Romains font des offrandes de fleurs, de fruits, de grains de sel aux Manes. Les Lemuria sont quant à elles célébrées le 15 Mai. Elles durent 6 jours et permettent aux vivants de conjurer les maléfices des spectres. En échange, il est dit que le défunt apporte protection à sa famille. L’importance de ces funérailles est donc essentielle pour assurer une «bonne mort» au défunt. Un rituel mal exécuté entrainerait ainsi une vie dans l’au-delà douloureuse. Cette pression est telle que l’adoption d’un fils par un citoyen sans enfant est monnaie courante dans la Grèce Antique, lui assurant d’être enterré selon la coutume. Des commémorations sont également instaurées durant le Moyen-Age après l’inhumation. Une messe de recommandation, remplaçant la messe du jour, est ainsi célébrée lors des funérailles. Elle est ensuite répétée le troisième, le septième et le trentième jour après les obsèques ainsi qu’aux anniversaires du défunt. Au début du IXe siècle est ajoutée la récitation du nom des morts durant la célébration de l’eucharistie. Dans le même temps, des messes privées ou des offices réguliers en mémoire du défunt se développent dans les monastères. Les abbayes deviennent les endroits clés où se déroulait la «memoria» funéraire. Certains monastères célébraient même une messe pour les morts tous les jours. Vers 1030, Odilon de Cluny va même jusqu’à instaurer une fête universelle des Morts au lendemain de la Toussaint. Après la mort vient le deuil. A nouveau, cette pratique vient se ritualiser mais non pas du fait des croyances cette fois mais plutôt de la société. Codifié, l’isolement des survivants s’exprime dans une durée, des habits, des couleurs, des gestes, des paroles. 89
Les espaces ritualisés
Depuis le XIIe siècle, le deuil «excessif» du Haut Moyen Age s’est ritualisé, à travers un habit, des habitudes et une durée fixés par la coutume. A partir du XVIIIe siècle, l’homme tend à donner à la mort un sens nouveau. Elle se fait dramatique, exaltée et exaltante. Mais dans le même temps, elle est moins autocentrée, la mort romantique s’intéressant plutôt à la mort de l’autre. Depuis la fin du Moyen Age jusqu’au XVIIIe siècle, le deuil avait deux finalités. D’une part il obligeait les proches du défunt à manifester une peine parfois seulement factice. D’autre part, il avait aussi pour but de défendre le survivant éprouvé contre les potentiels excès induits par sa peine. Le deuil lui imposait les visites des parents, amis, voisins au cours desquelles il pouvait se libérer de sa peine, sans que cela ne dépasse les convenances imposées. Au XIXe siècle, ce seuil de convenances disparait au profit d’un deuil ostentatoire et largement déployé. Le deuil se doit alors de dépasser les mondanités et d’être l’expression spontanée très vive des sentiments, témoignant d’une très grave blessure. Alors on s’évanouit, on pleure, on crie, on jeûne, c’est un retour aux démonstrations excessives du Haut Moyen Age, après sept siècles de modestie et de sobriété. On qualifie alors ce deuil dans la psychologie comme «hystérique», parfois même poussé jusqu’à la folie dans certains ouvrages de littérature. Cette exagération manifeste du deuil témoigne alors que les survivants acceptent bien plus difficilement la mort de l’autre, qui devient alors plus redoutée que la mort de soi. Ce sentiment est alors à l’origine de ce qu’on appelle le culte moderne des tombeaux. Ce phénomène s’applique surtout à l’Europe occidentale et paraitrait étranger aux Américains ou à l’Europe industrielle et protestante (pourtant touchés, mais de manière moins exacerbée). Au XIXe-XXe siècle, la perception de la mort opère un changement radical qui affecte encore aujourd’hui le deuil des survivants. Nous disions plus tôt que la famille du mourant lui cachait la vérité sur son état à la fois pour le préserver mais aussi pour éviter à l’entourage l’émotion causée par le futur deuil. Depuis le milieu du XXe siècle, l’initiative est passée de la famille, alors autant aliénée que le mourant, à l’équipe hospitalière qui deviennent les maîtres de la mort et décisionnaire de son moment et de sa manière. Les médecins s’évertuent alors à offrir au mourant une mort dite acceptable c’est à dire une mort tolérée par les survivants. Au contraire, on distingue aussi la mort embarrassante qui déclenche une trop forte dose d’émotions aux survivants, ce qui est inacceptable car l’émotion doit être évitée au sein de l’hôpital et même au sein de la société, elle ne doit s’exprimer que dans un cadre privé. Une cérémonie est tout de même conservée pour marquer le départ, mais elle est discrète et ne doit pas être troublée par un trop plein d’émotion. Les condoléances à la fin de l’enterrement sont supprimées, les manifestations du deuil sont condamnées jusqu’à disparaitre, on n’adopte plus une attitude ou une apparence différente de celle de tous les jours. 90
Le deuil, une institution ritualisée qui influe sur le quotidien
Une peine trop intense et visible n’inspire plus la peine mais bien une aversion. Pour la société, c’est un signe de trouble mental ou d’une mauvaise éducation. On ne se laisse même plus aller dans le cadre familial, on n’a le droit d’exprimer sa peine et de pleurer que dans la solitude. Ce deuil solitaire, honteux et invisible est même comparé à une masturbation par Geoffrey Gorer. Dans son article «The pornography of Death» paru en 1955 notamment, il montre comment la mort est devenu le nouveau tabou du XXe siècle, remplaçant ainsi le tabou du sexe comme principal interdit. « On disait autrefois aux enfants qu’ils naissaient dans un chou, mais ils assistaient à la grande scène des adieux, au chevet du mourant. Aujourd’hui, ils sont initiés dès le plus jeune âge à la physiologie de l’amour, mais, quand ils ne voient plus leur grand-père et s’en étonnent, on leur dit qu’il repose dans un beau jardin parmi les fleurs.»18. Ainsi, au milieu du XXe siècle, à mesure que la bride victorienne relâchait les contraintes concernant le sexe, elle rejetait la mort dans le même temps. Le renversement est très rapide, et d’autant plus étonnant à mesure que la mort nous était si familière pendant près d’un millénaire. Ce rejet de la mort s’explique par la nécessité du bonheur et l’obligation de tout le monde d’y contribuer. La mort étant désormais synonyme de peine, depuis l’apparition de la mort de toi, toute manifestation de tristesse vient entacher le bonheur collectif. Dans la continuité de cette envie d’effacer la mort, une fois que le défunt est évacué, il n’est pas envisageable d’aller visiter sa tombe. Dans des pays comme l’Angleterre, l’incinération devient le mode dominant de sépulture. Ceci s’explique non pas tant par une rupture religieuse ou une manifestation de modernité mais bien par la volonté de faire disparaitre radicalement et oublier le corps : «too final». Une des conséquences de cette évolution est que l’incinération exclut le pèlerinage et le recueillement. Cette échappée vis à vis de la mort n’est pas un signe d’indifférence, bien au contraire. Avant, l’obligation du deuil et ses éclats étouffaient parfois une acceptation rapide. De nombreux veufs et veuves se mariaient alors à peine quelques mois après le décès de leur époux/épouses. Aujourd’hui que le deuil est silencieux, la mortalité des veufs et veuves dans l’année suivant le décès de leur conjoint(e) est bien plus important, on meurt d’amour en silence. Geoffrey Gorer va même jusqu’à dire que le fait de garder nos émotions refoulées aggrave la déchirure due à la perte d’un être cher. Alors comme on dit, il semblerait qu’«un seul être vous manque et tout est dépeuplé».
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GORER Geoffrey, Death, Grief and Mourning (1963) 91
Grèce et Rome Antiques
Rites de passage
Prothesis : toilette mortuaire effectuée par les femmes Défunt placé dans un cercueil et exposé dans le vestibule de la maison La famille, en habits de deuil, pleure et accomplit des gestes rituels
Ekphora : le défunt est transporté sur un chariot ou un brancard vers la nécropole Les hommes se situent à l’avant et les femmes à l’arrière Durant le convoi, certains membres coupent leurs cheveux et les lancent sur le défunt
Toilette mortuaire précautionneusement effectuée par les femmes pour acquérir une pureté impeccable avant le passage dans l’au-delà Embaumement pour les personnes de haute importance
Dépouilles acheminées sur un chariot en bois
Prise en charge des toilettes mortuaires et des obsèques par les Pompes Funèbres
Défunts acheminées sur des corbillards par les Pompes Funèbres jusqu’au cimetière
XIXe siècle
Moyen-Âge
Rites préparatoires
Commémorations
Deuil
Hommage le 3ème, 9ème, 30ème jour après les obsèques et les jours-anniversaires Parentalia le 13 Février Feralia fin février Lemuria le 15 Mai Libations et offrandes aux Dieux Manes
6 mois pour les enfants de moins de 6 ans 8 mois pour les parents de sang 10 pour un mari 1 an pour les autres Port d’une «toga pulla», toge de couleur sombre
Messe de recommandation lors des funérailles, répétée le troisième, le septième et le trentième jour après les obsèques ainsi qu’aux anniversaires du défunt Apparition de la fête des Morts (La Toussaint) en 1030 par Odile de Cluny
Institutionnalisation du deuil : Deuil «excessif» durant le Haut M-A Deuil romantique à partir du XVIIIe siècle Deuil ostentatoire à partir du XIXe siècle
Conservation de la fête des Morts Visites sur la tombe du défunt
Tabouisation de la Mort, deuil discret qui ne doit pas entâcher le quotidien
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«Ce qui caractérise le territaire des morts, c’est sa plasticité » Bruno Bertherat
Essai de projection concernant le cimetière à venir
Etat des lieux du cimetière d’aujourd’hui
«Ce qui caractérise le territoire des morts, c’est sa plasticité. Sur la très longue durée qui seule permet les mises en perspective, le cimetière a beaucoup changé». Ces mots de Bruno Bertherat sont le parfait résumé de ce que nous venons de démontrer. Les espaces générés par la mort ont muté, depuis leur genèse, dans des formes propices à leur préservation. La religion, les épidémies, l’hygiénisme ou encore la loi ont modifié profondément le cimetière sans pour autant le détruire car il possède une très forte capacité d’adaptation. En perpétuelle refonte sur luimême, il accepte et absorbe le changement tout en répondant aux enjeux qui lui sont contemporains. Aujourd’hui, la nouvelle conception de la mort, taboue, le déclin de la religion en faveur d’une liberté sépulcrale ou la saturation des cimetières sont autant de facteurs en mesure de modifier profondément le territoire des morts contemporains. Sur la base de ce premier travail visant à démontrer en quoi le cimetière est un espace métamorphe façonné par les enjeux qui lui sont contemporains, nous pouvons désormais essayer de conjecturer sur le cimetière du futur. Pour ce faire, nous devons étudier ce qu’il est aujourd’hui, lister les éléments en mesure de l’impacter et donc définir ce qu’il pourra être. Pour ce faire je m’appuierai à la fois sur les travaux de Bruno Bertherat, de Catherine Panassier et de travaux de recherche menés dans le cadre de ce mémoire. Bruno Bertherat, maître de conférence à l’université d’Avignon, auteur d’une thèse sur la Morgue à Paris au XIXe siècle, est spécialiste de l’histoire des pratiques funéraires à l’époque contemporaine. Lors des colloques de Cerisy, tenus du 30 Août au 2 septembre, portant sur la thématique : «Les cimetières : que vont-ils devenir ? à partir d’une enquête en Normandie, en France et ailleurs», il tient une conférence nommée «mort et vie des cimetières contemporains». Dans sa recherche, il identifie d’une part les facteurs et conséquences de la disparition des cimetières et d’autre part les multiples formes d’adaptation des cimetières. Catherine Panassier rédige quant à elle une synthèse qui s’inscrit dans le cadre de la réflexion conduite par la DPDP - Direction de la prospective et du dialogue public et de la DLB - Direction logistique et bâtimentsde la Communauté urbaine de Lyon sur l’évolution des rituels funéraires. Cette synthèse a pour objectif de balayer l’impact des évolutions sociétales actuelles sur la morphologie des cimetières et questionne leur place dans la ville. Mon travail de recherche se base quant à lui sur des lectures, des immersions effectuées dans les cimetières, sur des entretiens tenus avec différents types de personnes, et sur des questionnaires à plus large échelle.
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La baisse des fréquentations quotidiennes, une affaire de génération ?
Dans le cadre de cette étude, 502 personnes ont répondu à un questionnaire en ligne portant sur le rapport qu’ils entretiennent avec les cimetières. Parmis les questions, certaines sont relatives à la fréquentation de ces espaces, les idées et sentiments liées à l’évocation des cimetières, Parmi les personnes sondées, 96,6% se sont déjà rendues dans un cimetière. On pourrait penser que cette simple donnée réfuterait la théorie selon laquelle les cimetières seraient amenés à disparaître, seulement, elle est bien évidemment à remettre en perspective avec de nombreux autres facteurs liés eux aussi à la fréquentation des cimetières. En 2005 le CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) mène également une étude portant sur la fréquentation des cimetières en France. En ressort que 51% des Français de plus de 40 ans se rendaient dans un cimetière où reposaient leurs proches à l’occasion de la Toussaint. Cette tendance est en déclin puisqu’en 2019 seulement 34% de cette même catégorie perpétuent cette habitude. Les jeunes de 18 à 39 ans ne sont quant à eux que 14% à profiter de la Toussaint pour se rendre sur la tombe de leurs proches. L’étude de ce jour en particulier est très importante car il se réfère directement à la visite du cimetière, mais cette désertion est encore plus probante le reste de l’année. Les 23, 24 et 25 Juillet 2019, je me suis rendue dans le cimetière de Cusset à Villeurbanne pour observer de plus près les comportements liés aux cimetières. Pendant 3 jours, je me suis rendue à la même heure sur place et suis restée le même laps de temps pour obtenir des données notamment liées au nombre et à l’âge des usagers, aux pratiques liées à la visite au cimetière, à la morphologie de l’espace, aux divers services proposés, à l’ambiance du lieu et aux potentielles évolutions. Cette immersion est néanmoins à relativiser dans le contexte du COVID 19 survenu cette année. Le virus aura peut-être eu une influence quant à la fréquentation du cimetière. En effet, les statistiques établissant que les personnes âgées sont les usagers majeurs des cimetières, il se pourrait que certains se protègeaient de la pandémie en sortant moins qu’à leur habitude en période dite normale. Malgré cela, j’ai tout de même pu observer que sur les 35 personnes observées sur 3 demi journées d’affilée, 29 avaient plus de 40 ans. Plus particulièrement, la majorité avait même plus de 60 ans. Cette tendance est confirmée par le gardien du cimetière qui apporte également des précisions quant à la fréquence de ces visites : «Oui oui, c’est des personnes âgées, c’est des personnes qui ont besoin de se recueillir ici tous les jours, c’est des gens qui ont vécu avec une femme ou un homme très longtemps dans leur vie quoi. Ils se sont mariés etc.. L’homme qui était là ce matin il a 60 ou 80 ans , voilà il a été marié 40 ou 50 ans et tous les jours il vient, tous les jours. Et puis il y en a d’autres aussi, voilà c’est assez varié, il y en a qui viennent le matin, d’autres l’après midi, il y en
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Etat des lieux du cimetière d’aujourd’hui
a qui viennent plusieurs fois par jour.»19. Parmis les causes avancées par le CREDOC, « Une plus grande mobilité géographique des jeunes, l’augmentation des grands cimetières urbains placés en périphérie des centres-villes, une capacité d’abstraction plus forte, un moindre attachement au cimetière lié à la hausse des crémations et à la dispersion des cendres, et la baisse du sentiment religieux et du rituel du souvenir»20. En effet, le cimetière était auparavant le principal voir le seul lieu de mémoire où la tombe était le support du recueillement des familles. Aujourd’hui, la grande mobilité professionnelle et la concentration des Français dans des larges zones urbaines contraignent ce devoir de mémoire. Il est en effet plus difficile de se rendre sur la tombe familiale si on ne se trouve plus dans la même ville voir la même région. La dispersion géographique des membres d’une même famille, l’explosion du nombre de divorces et l’augmentation des familles recomposées sont aussi des facteurs non négligeables influant sur l’évolution de la fréquentation des cimetières. Là où le dimanche était autrefois le jour de la visite sur les tombes familiales, il est aujourd’hui consacré à la visite de la famille encore vivante. Les priorités des Français ont changé et portent désormais davantage sur la vie présente. Subsistent tout de même quelques régions où les tombes sont plus régulièrement visitées et entretenues selon Robert FARCY, le président de la Fédération nationale des fleuristes, notamment en Alsace, en Bretagne et en Corse. Outre ces visites liées à la fonction intrinsèque des cimetières, on distingue aussi d’autres types d’usagers liés cette fois-ci à tous les emplois inhérents au secteur funéraire. En effet, on retrouve différents corps de métiers s’exerçant au sein-même du cimetière. Aujourd’hui, plus de 25 000 personnes sont salariées dans le secteur funéraire, dont 80% au sein des pompes funèbres. Beaucoup de ces salariés sont affiliés au secteur tertiaire puisqu’ils occupent des postes de directeurs, responsables d’agence, gérants ou présidents d’association, conseillers ou conseillers assistants funéraires. On retrouve également des agents d’exploitation opérant plus directement au sein du cimetière car ils sont fossoyeurs, porteurs ou chauffeurs de véhicules funéraires.
Extrait tiré de l’entretien tenu avec le gardien de l’ancien cimetière de Cusset de Villeurbanne (23 Juillet 2020)
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Aurée SALMON LEGAGNEUR, En 2019, les jeunes adultes sont plus nombreux que leurs aînés à préférer l’inhumation, étude pour le CREDOC (Octobre 2019)
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La baisse des fréquentations quotidiennes, une affaire de génération ?
Les marbriers et poseurs, en charge d’effectuer des travaux de terrassement, de pose et de dépose des monuments funéraires ou encore de gravure travaillent également au sein des cimetières. Enfin, on retrouve parfois des gardiens affectés au cimetière. Le gardien de l’ancien cimetière de Villeurbanne me confiait alors « Mon travail... il est divers et varié (rire) , moi je suis là pour veiller à ce que les gens qui sont là ne soient pas trop dérangés, veiller à ce que les réglementations et les normes soient respectées. Il y a une réglementation en vigueur au niveau funéraire en France qu’il faut appliquer donc moi je suis là, mes collègues aussi pour faire appliquer ces réglements là et les faire respecter.»21. En effet, c’est le gardien qui a la responsabilité d’assurer le respect des prescriptions réglementaires sur place d’après les services publics.
Extrait tiré de l’entretien tenu avec le gardien de l’ancien cimetière de Cusset de Villeurbanne (23 Juillet 2020)
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Etat des lieux du cimetière d’aujourd’hui
Depuis quelques années, on voit également émerger un nouveau type de visiteurs : les touristes. En effet, les cimetières intriguent, et ceci est dû à divers facteurs. D’une part, il est évident que certains cimetières présentent des qualités esthétiques indéniables où l’architecture, l’aménagement paysager et les ornements participent à la splendeur du lieu. Mais ces cimetières sont également porteurs d’histoire, et la manière dont une civilisation traite ses morts en dit beaucoup sur elle. Parmi eux, nous pouvons notamment citer le cimetière du Père Lachaise à Paris qui abrite des sépultures célèbres, les cimetières militaires ou encore même les tombeaux de la vallée des rois en Egypte. L’émergence de cette pratique s’observe notamment sur internet où florissent des sites recensant les cimetières français et leur histoire, comme «Cimetières de France et d’ailleurs», tenu par Philippe Landru et Marie-Christine Pénin. Plus étonnament encore, les réseaux sociaux comme Instagram recensent des milliers de photos capturées dans les allées des cimetières. Le 10 Octobre 2020 Vanessa Hudgens, une chanteuse américaine, poste une photo d’elle sur Instagram dans le célèbre cimetière de Sleepy Hollow à New York. La photo choque, qualifiée de mauvais goût et irrespectueuse par certains, d’autant que la légende indique «Happy place» (Endroit heureux). Un utilisateur commente en disant : «This is disrespectful. You’re prancing around like it’s some amusement park. The caption is just why? Clearly you have never been to a burial. It’s not a happy place for anyone.»22 ( «C’est irrespectueux. Vous vous promenez comme dans un parc d’attractions. Juste pourquoi cette légende? De toute évidence, vous n’avez jamais assisté à un enterrement. Ce n’est un endroit heureux pour personne.»). Ce a quoi répond la chanteuse : «I buried my father in a cemetery. I love cemeteries. They’re beautiful. Especially that one. It’s historical and I love history.»23. Elle explique donc que c’est à la fois la beauté et le caractère historique du lieu qui l’ont poussée à faire cette photographie. Plus encore, elle indique que tous les cimetières sont beaux, impliquant une universalité de la notion de beauté affiliée à ces lieux à ses yeux.
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Commentaire tiré de la publication de Vanessa Hudgens du 10 Octobre 2020
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Commentaire de Vanessa Hudgens sur sa publication du 10 Octobre 2020 100
Tourisme et patrimonialisation : de nouveaux usagers dans le cimetière
Photographies de Vanessa HUDGENS application Instagram
Etat des lieux du cimetière d’aujourd’hui
Cette tendance se confirme également auprès du panel interrogé dans le cadre de cette étude, où 267 votants sur 502 indiquent qu’ils se sont déjà rendus dans un cimetière à des fins touristiques. Parmi eux, 232 admettent qu’ils ont déjà reconnu les qualités esthétiques d’un cimetière, témoignant d’un intérêt pour les cimetières qui dépasse leur fonction première. Parmi les raisons expliquant pourquoi un cimetière est «beau» selon eux, la nature et la végétation priment, avec pour certains l’envie que plus de cimetières ressemblent à des parcs paysagers. Aussi, la propreté et l’entretien sont largement cités, avec une comparaison aux cimetières dits «lambdas» désuets selon certains. Enfin, l’architecture, les ornements, la décoration et l’art funéraire sont également cités, mais moins fréquemment que les autres notions évoquées précédemment. Parmi les exemples de cimetières remarquables cités dans cette étude, on retrouve les cimetières américains de Normandie, le cimetière de Venise sur une île, le cimetero monumentale de milan, le cimetière juif de Prague, un cimetière donnant sur la mer en Grèce, le cimetière de florence, un cimetière à Sydney, le Cimetière d’igualada d’Enrico Miralles, ou encore un cimetière de Berlin. La beauté de ces lieux n’a donc pas de géographie qui lui est propre. Les cimetières italiens monumentaux, baroques et ornementés sont autant plebiscités que les cimetières américains minimalistes et rigoureux, bien qu’ils n’aient que peu de ressemblances. Dans une moindre mesure, cette tendance s’observe également à Lyon. Catherine Panassier recueille le témoignage de Cécile Eyraud, responsable du service concessions et réglementation des cimetières de la ville de Lyon en Mai 2013. A l’époque, elle en disait : «auparavant, le public des visiteurs de cimetière était un public très ciblé, constitué essentiellement d’historiens et de chercheurs. Aujourd’hui, ce public s’est diversifié et l’on trouve aussi bien des curieux que des «morbides» qui cherchent le frisson [...] que des touristes bien plus traditionnels intéressés par l’histoire que raconte le lieu. Par ailleurs, nombre de Lyonnais souhaitent mieux connaître les cimetières de leur ville après en avoir visité à l’étranger. Nous ouvrons les cimetières dans le cadre des journées du patrimoine depuis 4 ou 5 ans et si les premières années on comptait près de 50 visiteurs, on en accueille aujourd’hui plus de 400.»24 Cette dernière donnée est importante car elle introduit la notion de patrimonialisation des cimetières. Ce sont des lieux de mémoire aussi bien matérielle, immatérielle, qu’individuelle et collective des villes dans lesquelles ils s’implantent. Dans son livre «Le culte moderne des monuments» publié en 1903, Aloïs Riegl dresse une grille de lecture de «valeurs» permettant de classer les monuments et les oeuvres
Extrait tiré de l’étude Cimetières, un objet en mutation de Catherine Panassier (Août 2013) p.20
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Tourisme et patrimonialisation : de nouveaux usagers dans le cimetière
dans le but de dégager des priorités dans la politique de conservation en AutricheHongrie. Il cerne cinq dimensions : les valeurs d’histoire, d’histoire de l’art et d’ancienneté, liées au passé et les valeurs d’art (relatif et neuf) et d’usage liées au présent. Par ce biais, il introduit la notion de sens portée sur le patrimoine, poussant la société contemporaine à s’interroger sur l’avenir de ces objets patrimoniaux. Cette grille d’analyse est facilement applicable sur les cimetières, qui sont peu à peu patrimonialisés. En 1862, la nécropole des Alyscamps à Arles est la première à être classée, avant de nombreux autres cimetières médiévaux par la suite. La patrimonialisation des cimetières établis après le décret de Prairial a été plus lente et s’est d’abord illustrée par l’entretien des tombes des personnages politiques importants. En 1923, le cimetière de Moosch de la Première Guerre Mondiale est le premier cimetière contemporain classé. En 1962, la partie la plus ancienne du Père Lachaise est classée comme site remarquable au titre de la loi du 2 Mai 1930 sur les monuments naturels et les sites. Aujourd’hui, plus de 12 000 cimetières français sont classés ou inscrits au titre des Monuments Historiques, témoignant de cette patrimonialisation progressive.
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Etat des lieux du cimetière d’aujourd’hui
Néanmoins, ces fréquentations touristiques sont infîmes et ne contrebalancent pas le désintérêt progressif porté aux cimetières. Seulement, malgré cette baisse des fréquentations, nous continuons bien évidemment à mourrir et donc à occuper les cimetières. Et à mesure que nous sommes de plus en plus à vivre, à cause de l’explosion démographique, nous sommes en conséquence de plus en plus à mourrir également, causant une saturation progressive des espaces sépulcraux. Ce manque de place est perceptible en ville comme à la campagne, mais est d’autant plus compliqué à gérer dans un tissu de ville. Alors que les cimetières avaient été rejetés hors des cités au 19e siècle, l’étalement urbain progressif les a peu à peu ramenés au coeur des villes. Là où en campagne, le tissu urbain moins dense permet en général d’étendre ou de construire une extension au cimetière, les villes peinent à trouver des solutions pérennes à ce problème qui s’annonce d’autant plus compliqué dans les années à venir, la génération des baby-boomers en passe de décéder peu à peu. De surcroît, étant de plus en plus nombreux à vivre en ville, nous sommes de plus en plus nombreux à mourir en ville, rendant la tâche d’autant plus complexe. Selon les estimations, en 2040 le nombre de morts par an en France devrait atteindre les 700 000. Plus largement, selon le rapport des Nations Unies « Perspectives de la population mondiale : révision de 2012 », la population mondiale devrait atteindre les atteindre 8,1 milliards en 2025 et 9,6 milliards en 2050. La situation est telle qu’aux États-Unis, entre 2024 et 2042, 76 millions de personnes devraient décéder, correspondant à un cimetière de la taille de la ville de Las Vegas. La situation est telle que des situations dramatiques sont rapportées en France et dans le monde entier. En Chine, le prix des obsèques est tel que certains se trouvent dans l’incapacité de les financer. En 2012, le site internet le plus fréquenté par les chinois rapportait de nombreux témoignages exprimant la difficulté des habitants «Je n’ai pas assez d’argent pour vivre ou pour mourir».
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La saturation des cimetières, un phénomène mondial
hong-kong
new-york
Etat des lieux du cimetière d’aujourd’hui
Des pays pauvres tels que les Philippines ou l’Egypte, se trouvent dans des situations telles que des familles entières colonisent les cimetières, alors seuls ressources foncières disponible. Le cimetière municipal du quartier de Navotas à Manille (Philippines) appartient à l’une des aires urbaines les plus pauvres de la capitale, rassemblant plus de six mille personnes dans des bidonvilles de plus en plus grands. La situation de la ville est telle qu’ici ce sont des centaines de familles qui ont investi les tombes, ajoutant des étages sur les mausolées* en pierre, s’appropriant les lieux comme un véritable bout de ville animé. Le même phénomène se retrouve au Caire (Egypte), où la crise du logement est très présente. Dans la nécropole la plus ancienne de la ville appelée Cité des Morts, les activités (commerces, logements, vendeurs de rue, coiffeurs, marché…) côtoient les tombes. Ici, toute une économie s’est développée autour du commerce de la mort. En effet, les habitants prennent soin des tombes, creusent des nouvelles sépultures, ou profitent de la venue des visiteurs pour vendre des gerbes de fleurs à déposer sur les stèles. D’autres profitent de l’espace pour s’adonner à leurs activités telles que la fabrique de tapis, le travail des métaux etc… «Vivre avec les morts est très facile et confortable»25, explique ainsi Nassra Muhamed Ali. «Ce sont plutôt les vivants qui peuvent vous nuire.»26 Pour palier à ce phénomène, certaines solutions ont été mises en place. Seulement, elles ne sont parfois pas généralisées et/ou pas suffisantes pour endiguer le problème. En France, depuis 2002, la perpétuité des morts n’existe plus suite au constat foncier. En effet, Yves Contassot, adjoint au maire de Paris chargé de l’environnement, a annoncé la fin progressive des concessions perpétuelles dans les quatorze cimetières intra-muros de la capitale. A l’époque, la perpétuité était l’unique régime en vigueur dans les grandes villes françaises. Les six cimetières en banlieue de Paris appartenant à la ville avaient déjà mis en place le système de location de tombes à durée determinée (Thiais, Pantin etc...). Seulement, malgré ces mesures prises en banlieue, la capitale manquait toujours de place puisque sur les 16 000 morts enregistrés dans les mairies d’arrondissement en 2001, seuls un tiers ont pu être enterrés dans les cimetières intramuros. Sur les 1 157 533 concessions perpétuelles, très peu se libéraient chaque année. Le problème venait notamment du fait qu’une tombe ne pouvait être reprise par la commune que si elle apparaissait laissée à l’abandon plus de trente ans, après une enquête sur quatre années et un arrêt officiel.
Auteur anonyme, Visite de la Cité des morts, une ville installée dans le cimetière du Caire, Figaro Immobilier (08/01/16) 25
Auteur anonyme, Visite de la Cité des morts, une ville installée dans le cimetière du Caire, Figaro Immobilier (08/01/16) 26
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La saturation des cimetières, un phénomène mondial
Depuis quelques années, on préfère alors proposer des concessions de 15 ou 30 ans pour permettre de nouvelles attributions plus rapidement et engager un renouvellement plus effectif. Passé ce délai, si la famille n’a pas renouvellé la concession après deux ans, la municipalité peut se saisir de l’emplacement, retirer le monument en place, exhumer les corps pour les replacer dans un ossuaire ou procéder à une crémation. Il est intéressant de remarquer un parallèle entre le prix des concessions et le prix des loyers d’une même ville. Les villes les plus touchées par le phénomène de saturation sont bien entendu les villes où la tension foncière est la plus élevée et donc où les concessions sont les plus chères. A titre d’exemple, une concession de 2m² sur 30 ans coûte 2 611 euros à Paris, 1 255 euros à Lyon et 54 euros à Langonnet dans le Morbihan. En effet, à mesure que les cimetières reflètent les problématiques des lieux dans lesquels ils s’intègrent, ils souffrent à la fois de la pression foncière et de l’explosion du coût des loyers. Malgré ce changement vis à vis des concessions, la saturation est inévitable et s’opère déjà dans certaines villes. Pour modérer voire empêcher ce phénomène, des solutions plus drastiques et une meilleure anticipation dans la gestion des cimetières doivent être prises. . En marge de l’urbanisation du XXIe siècle qui se densifie et mute dans de nouvelles formes propices à la rationalité foncière, le cimetière traditionnel, dans sa configuration encore trop avide d’espace, peine à suivre le rythme. Les masterplans dessinés par les architectes et urbanistes ordonnancent la vie, par l’imbrication des logements, des commerces et autres activités mais ne prennent jamais en compte la création d’espaces sépulcraux. Pourtant, là où il y a la vie il y a aussi également la mort. Et à la manière dont les plans d’urbanisme orchestrent la métropole, ils se doivent d’orchestrer la nécropole en prenant en compte tous les facteurs nécessaire à son élaboration. Comme nous l’avons vu plus tôt, la nécropole est l’envers de la métropole et reflète tous ses aspects. Influencés par des facteurs sociaux, politiques, géographiques, économiques, historiques, religieux ou encore environnementaux, une connaissance solide de la posture de la société envers la mort et tout ce qu’elle implique est nécessaire pour créer un cimetière. Ainsi pour tenter de cadrer les caractéristiques du cimetière à venir, il est essentiel de cerner en amont les problématiques en mesure d’influencer leur implantation, leur morphologie et leur expression architecturale.
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Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
Pendant longtemps, les autorités sociales et religieuses imposaient les rites funéraires. En l’espace d’un siècle, le monde occidental est passé de l’inhumation, culturellement codifiée par la religion chrétienne à une situation de liberté autant sur le mode de sépulture que sur le mode cérémonial. Depuis 1970, la crémation séduit de plus en plus de personnes. Elle concernait moins de 1 % des décès en 1980, 10 % en 1993 et 23,5 % en 2004. La crémation figure aujourd’hui dans les intentions de 40 à 50 % des souscripteurs de contrats en prévision d’obsèques lorsqu’une personne le décide pour elle même. L’essor de cette pratique semble directement liée à la religion. 58% des français disent être croyants, mais seulement 11% sont croyants ET pratiquants. Les athées ou non croyants choisissent la crémation dans 67% des cas, tandis ce que les croyants non pratiquants optent pour cette solution à 41% et les croyants pratiquants dans 27% des cas. Au sein de l’Europe, il apparaît assez clairement que le développement de la crémation est intrinsèquement lié à la religion dominante du pays, car il est possible d’opposer l’Europe du Nord, où l’influence protestante est forte et où les taux de crémation sont supérieurs à 50 %, à l’Europe du Sud, de tradition catholique, où cette pratique reste minoritaire. En Grèce, la crémation est même interdite. Au Japon, 99,7% de la population se fait incinérer et cette pratique est même devenue obligatoire en ville. A Hong-Kong en Chine, le taux atteint presque les 85%. Au contraire, en Amérique latine, les taux de crémation sont très bas, au Brésil notamment avec à peine 4% de crémation. L’essor de cette pratique avec une tradition d’inhumation, inscrite dans les principes de la religion catholique, a fait l’objet de nombreuses études. Le CREDOC note ainsi : « Au-delà de la récente tolérance de l’Eglise catholique, l’éclatement géographique des familles, l’urbanisation, le fait que l’on meure aujourd’hui très majoritairement à l’hôpital ont pour conséquence que les relations sociales du défunt sont moins souvent associées aux obsèques, qui deviennent ainsi plus « privées », ce qui joue en faveur de la crémation. Un nouveau regard sur la mort, lié tant au matérialisme qu’à un idéal de pureté, contribue également à cette croissance exponentielle. »27. Ainsi, le choix massif de la crémation semble aussi dûe à plusieurs autres facteurs, autres que religieux. La crémation est une réduction du corps à de la poussière, ce qui pourrait sembler destructeur et à l’encontre d’un narcissisme humain dans l’optique de la conservation du corps. Or, la motivation proviendrait de l’envie de ne pas déranger le monde des vivants. En effet certains ne voudraient pas importuner leur propre famille tandis ce que d’autres avanceraient la thèse
Jean-Pierre Loisel, La montée de la crémation : une nouvelle représentation de la mort, étude pour le CREDOC (Mars 2003) 27
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Une diversification des modes de sépultures qui appelle à repenser le cimetière
écologique : ne pas encombrer les vivants et la nature. Selon Philippe Ariès, dans des pays comme l’Angleterre où l’incinération est le mode dominant de sépulture, ce choix s’explique non pas tant par une rupture religieuse ou une manifestation de modernité mais bien par la volonté de faire disparaitre radicalement et oublier le corps. Il est tout de même intéressant de soulever le fait que le choix de la crémation est souvent un choix personnel non partagé. François Michaux Nérard, directeur général des services funéraires de la ville de Paris, publie en 2012 Une révolution rituelle - Accompagner la crémation, dans lequel il expose en quoi la crémation est un phénomène sociétal qui bouleverse les traditions. Dans celui-ci, il expose notamment un paradoxe lié au choix de ce mode funéraire : 65% voudraient une crémation pour soi-même mais moins de 25% choisiraient la crémation pour leur enfant. Comme le résume très bien Catherine Panassier, «ce serait la crémation pour soi et l’inhumation pour les autres»28. Se pose alors la question : pourquoi pour soi et pas pour les autres? Certains comme Damien le Guay, philosophe et vice-président du Comité National d’éthique du funéraire avancent que la crémation implique une forme de «violence faite au corps aimé [...] réduit à un tas de cendres»29 anonymisé et désingularisé. Pourtant d’autres comme François Michaux Nérard soutiennent que la violence est commune à toute forme de sépulture : «je pense qu’il y a une violence de l’inhumation, mais mettre un corps dans une boîte en bois ans la terre pour la laisser pourrir, c’est aussi violent symboliquement que de le mettre dans un appareil de crémation pour le faire brûler. Il n’y a pas de différence fondamentale, dans tous les cas il y a violence». Le développement de cette pratique pousse à s’interroger sur la destination des cendres, car à l’inverse des défunts inhumés connaissant une protection civile et pénale, rien n’est indiqué concernant les cendres des personnes ayant eu recours à la crémation. Se posent les questions du mélange des cendres entre être humains ou êtres vivants, de la destination des cendres délogées après la fin de la concession, ou encore de la remise en question du caractère facultatif de création d’équipements cinéraires, car il semble illégitime de penser qu’une partie de la population soit privée du choix de la crémation faute d’équipements, conformément au principe de liberté des funérailles posé par la loi du 15 novembre 1887. Hors selon Nelly Chevallier-Rossignol, ex-déléguée générale de la CPFM, apprivoiser la crémation c’est «ne plus la confondre avec la dispersion des
28
Catherine PANASSIER, Cimetières, un objet en mutation (Août 2013)
Damien LE GUAY, La Mort en cendres – la crémation aujourd’hui, que faut-il en penser ? (Octobre 2012)
29
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Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
cendres»30, car en 2012 seules 20% des cendres sont dispersées contre 80% bénéficiant d’une sépulture. En effet selon Marie Frédérique Bacqué, auteure du livre «Apprivoiser la Mort», «La dispersion pouvait paraître romantique, mais beaucoup de familles endeuillées ont pris conscience de la difficulté qu’il y a à ne pas avoir de sépulture»31. En effet, l’absence de sépulture se révèle dans certains cas très compliquée et implique parfois une difficulté dans le travail de deuil. Le culte des tombeaux du XVIIIe siècle semble perdurer dans sa forme contemporaine. Pour les deux-tiers des urnes remises aux familles après la crémation, la destination des cendres est floue. Selon la Fédération française de crémation, à l’issue des 121.591 crémations intervenues en 2004 :«- 91.056 urnes ont été remises aux familles, qui ont eu le choix de la destination et dont on sait qu’une large majorité a rejoint le caveau de famiille ; 17.783 urnes ont été dispersées dans un cimetière ;8.261 urnes ont été déposées dans un cimetière ; 3.265 urnes ont été dispersées sur des lieux divers. »32 Ce renversement dans les pratiques et cette nécessité de sépulture physique impliquent nécessairement un renouveau de l’espace du cimetière, qui a déjà en partie débuté depuis la loi sur la liberté des funérailles en 1887. Ce changement est probablement le plus structurant aujourd’hui et impacte en conséquence l’espace, comme l’avance François Bouis, vice président de la CSNAF et dirigeant de Barthélémy Bronze : «La grande évolution qui touche le métier de la décoration de la tombe au cimetière, c’est l’augmentation de la crémation. La tombe traditionnelle est remplacée par des sépultures de plus petites dimensions, des tombes cinéraires ou des colombariums, ou encore les jardins du souvenir».33 Là où une tombe à inhumation dite classique occupe en générale 2m², la superposition de 3 à 4 urnes dans des colombariums n’occupe que 0.24 m² en général, répondant alors à la problématique de saturation. Depuis 2008, une loi permet également une libre dispersion des cendres dans la nature, annihilant la présence d’une sépulture. On observe désormais une certains forme de systématisme dans l’implantation des équipements cinéraires, où les colombariums et cavurnes sont rejetés le long des murs d’enceinte et/ou clôtures du cimetière, permettant de conserver des monuments plus anciens et présentant un intérêt patrimonial au centre de la composition.
30 Extrait de La crémation : pour soi-même, pas pour ceux qu’on aime, Rafaële RIVAIS, LEMONDE.FR (31 Octobre 2012) 31
Marie-Frédérique BACQUÉ, Apprivoiser la mort, Odile Jacob (2003)
32
Projet de loi relative à la législation funéraire
Siran BEN ABDERRAZAK Art funéraire : la nouvelle donne, Le Nouvel Economiste (8 novembre 2012)
33
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Une diversification des modes de sépultures qui appelle à repenser le cimetière
tombe individuelle 1m x 2m / 2m²
enfeus
82 cm x 210 cm = 1.72 m² pour 2 à 3 tombes
colombarium
38-40 cm x 50-60 cm = 0.24 m² pour 3 à 4 urnes
jardin du souvenir Morphologie, taille et matériaux variables
Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
L’inhumation subsiste bien entendu mais recule face à la crémation et aux nouveaux modes de sépulture moins répandus et plus originaux qui se développent. Malgré la liberté du mode de sépulture et de cérémonie de chacun, ces dispositifs ne sont pas toujours acceptés, notamment lorsqu’ils impactent la pollution des sols. Néanmoins l’apparition de ces nouvelles pratiques exprime bien l’assouplissement général concernant la liberté funéraire. La première de ces nouvelles pratiques est directement reliée à un enjeu essentiel et déjà très ancré dans les moeurs et dans la conception architecturale : l’écologie. En effet, malgré des préconisations très stictes dictées par la loi, les modes de sépulture classiques ne sont pas sans conséquence sur l’environnement. L’inhumation tout d’abord dégagerait environ 833 kg de CO2, soit 12% des émissions d’un Français sur un. Ce taux particulièrement élevé peut s’expliquer par divers facteurs. Le choix du cercueil n’est tout d’abord pas anodin. La plupart sont fabriqués en bois, très souvent de chêne. L’organisme de certification française Ecocert estime qu’un chêne de 80 ans équivaudrait la construction de cins cercueils et que l’utilisation de cercueils dits biodégradables permettrait de sauver 31 536 km² de forêt, 6 657 600 m3 d’eau et 315 360 000 litres de fuel par an. Ajoutez à cela le fait que beaucoup de cercueils sont importés de Chine, accablant l’impact carbone de son transport. Le second facteur est lié à la conservation du corps dans le cas d’une inhumation. En effet la thanatopraxie utilise une grande quantité de produits toxiques pour entretenir le corps. D’après une étude réalisée par les services funéraires de la ville de Paris menée en 2017, jusqu’à dix litres de formol peuvent être injectés à un corps pour permettre sa conservation. Ce produit très toxique pour la santé peut s’infiltrer dans les eaux et les sols lors de la décomposition du corps, polluant ainsi l’environnement qui l’entoure. D’autres produits sont également remis en question quant à leurs impacts sur la pollution des sols. En effet, les bétons, ciments et autres étanchéités utilisés pour construire les caveaux, ainsi que les pesticides utilisés jusqu’en 2017 dans les cimetières sont tout autant répréhensibles quant à leurs conséquences environnementales. Enfin, le choix de la sépulture et du linceul ne sont pas anodins. Les tombes les plus répandues sont sculptées de marbre ou de granit provenant de carrières déjà surexploitées. Leurs faibles dimensions ne permettent pas un recyclage d’autant qu’elles sont parfois très abîmées par le temps et le manque d’entretien. Aussi, tandis ce que des matières détériorables comme le lin étaient utilisées au Moyen-Âge pour couvrir les défunts, les linceuls sont aujourd’hui dans la majorité des cas composés de matière synthétique non détériorable.
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Une diversification des modes de sépultures qui appelle à repenser le cimetière
La crémation n’est pas en reste puisqu’elle représente en France 3% des émissions annuelles de CO2 par français. Ce taux s’explique d’une part par les gaz utilisés, par le mercure contenu dans les plombages dentaires et enfin par les dioxines lâchées lors de la crémation. Dans le cas où une sépulture est utilisée, la facture énergétique s’alourdit bien entendu, de par l’utilisation du béton des cavurnes ou d’enfeus, mais cette pratique reste bien moins polluante que l’inhumation. En France, seules l’inhumation et la crémation sont autorisées, mais de nouveaux modes de sépulture émergent notamment pour répondre à cette problématique écologique dans d’autres pays. Parmi elles nous pouvons tout d’abord citer l’humusation : «un processus contrôlé de transformation des corps humains par les micro-organismes, qui sont présents uniquement dans les premiers cm du sol, dans un compost de broyats de bois d’élagage, qui transforme, en 12 mois, les dépouilles mortelles en Humus sain et fertile.»34. Pour simplifier, cette technique consiste à transformer le corps du défunt en compost réutilisable grâce à une décomposition complète de la dépouille enveloppée d’un linceul biodégradable , de copeaux de bois et de feuilles. Ce procédé permettrait de récupérer 1m3 de compost par personne au bout d’une année. Cette pratique est autorisée dans l’Etat de Washington aux Etats Unis et est défendue en Belgique par de fervents partisans malgré qu’elle soit interdite dans le pays. L’écrivain Patrick Grainville la défend en effet en disant «Laissons nos morts à la nature, qu’ils servent à quelque chose au moins.»35. Néanmoins en 2018 Philippe Baret, Professeur au Earth and Life Institute de l’UCLouvain a été mandaté par le SPW – Développement Durable pour mener une étude permettant de vérifier si cette méthode était efficace et garantissait une neutralité écologique. Après plusieurs essais portés sur des dépouilles de porcs, l’exhumation des dépouilles a témoigné d’une décomposition trop faible et d’une transformation des graisses en savons imputrescibles. Pourtant, la durée des essais dépassait les trois mois préconisés par les défenseurs de cette technique. Cet échec s’explique selon l’étude par «un rapport carbone/azote trop faible du matériau compostable, un apport en oxygène insuffisant au centre des buttes et une accumulation des liquides de décomposition des dépouilles modifiant localement les conditions favorables au compostage.»36 Plus étonamment encore, l’analyse des sols a révélé des taux d’ammoniaque 57 fois plus élevés que l’échantillon témoin, impliquant une potentielle pollution des cours d’eau.Ainsi selon Adrien
34
Définition tirée de https://www.humusation.org/
35
Patrick GRAINVILLE, Les flamboyants, Les éditions du seuil (1976)
UC Louvain, Compostage des corps, une fausse bonne idée écologique ? (03 Décembre 2020)
36
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Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
Dockx, Rémi Desmet et Philippe Baret : « L’humusation naturelle n’est pas en l’état une alternative viable à l’incinération et à l’inhumation traditionnelle. La levée des facteurs bloquant le compostage et la gestion de la pollution azotée requièrent une réflexion de fond et multidisciplinaire sur le processus »37. L’aquamation, également appelée «crémation verte» est également une pratique en expansion. Ce procédé utilise l’hydrolyse alcaline afin de réduire le corps du défunt à ses composants minéraux et organiques. L’eau chauffée à 95 degrés permet d’accélgérer le processus naturel de décomposition des tissus. L’opération dure entre 4 et 10 heures et ne laisse que les os alors réduits à la poussière et déposés dans une urne. Ce procédé réduit de 10 fois la consommation d’énergie par rapport à la crémation classique. Cette pratique est brevetée depuis trente ans aux Etats Unis et se répand peu à peu au Québec et en Australie. Une autre pratique, moins répandue est plus récente, est la promession, autrement appelée lyophilisation. Cette technique permet de congeler le corps à -196°C à l’aide d’azote liquide. Au moyen de vibrations, le corps ainsi solidifié et cassant est réduit en particules fines par la suite reccueillies et placées dans une urne. La promession ne libère aucune substance toxique et n’émet pas de CO2. Cette pratique se répand de plus en plus en Scandinavie, en Allemagne et en GrandeBretagne. L’émergence de ce type de pratique n’est pas anodine et reflète une prise de conscience générale. Selon Manon Moncoq, anthropologue spécialiste de ces funérailles «vertes», on tend à se détourner de la volonté de conservation du corps au profit d’un recyclage le faisant rentrer dans «le cycle naturel de la vie, en offrant son corps à la Terre et en limitant son impact sur celle-ci, pour la remercier, voire même pour s’excuser de ce qu’on lui a fait subir»38. Selon Aurée Salmon Legagneur, cette technique sera préférée à la crémation car elle fait disparaître le corps, certes, mais de manière moins abrupte «Cela reflète un changement du rapport au corps, avec une crainte plus grande de le voir brutalement disparaître et un plus grand désir de le voir retourner à la terre et d’en conserver une trace physique»39.
Adrien DOCKX, Rémi DESMET, Philippe BARET, Conversion aérobie des dépouilles : Validation méthodologique (19 Octobre 2020)
37
Manon MONCOQ, Les funérailles vertes. Analyse anthropologique d’un nouveau rapport à la mort, au corps et à l’environnement (20 Septembre 2018)
38
Aurée SALMON LEGAGNEUR, En 2019, les jeunes adultes sont plus nombreux que leurs aînés à préférer l’inhumation, étude pour le CREDOC (Octobre 2019)
39
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Une diversification des modes de sépultures qui appelle à repenser le cimetière
humusation
01
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mise en terre du corps enveloppé d’un linceul biodégradable et de copeaux de bois
plantation d’un arbre au pied de la sépulture
l’arbre pousse grâce à l’humusation du corps
aquamation
01
02
03
corps déposé dans un appareil d’aquamation
solution alcaline chauffée à 95°C pendant 4 à 10 heures
t i s s u s décomposés, ne subsistent que les os
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os réduits en poussière puis placés dans une urne, enterrés ou jetés dans la nature
promession
01
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corps placé dans un cercueil
congélation du corps à -196°C à l’aide d’azote liquide
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vibration cercueil
du
04
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transformation du corps en particules fines après vibration
placement des poussières dans une urne, enterrés ou jetés dans la nature
Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
Outre ces trois pratiques qui s’efforcent de répondre à la problématique environnementale des funérailles, on distingue également d’autres procédés parfois très originaux. Parmi eux, dans la même veine que la promession, la cryogénisation utilise le froid. En effet, elle propose de conserver les corps, préalablement injectés de cryoconservateurs, à -196°C dans des chambres de stockage. Cette technique n’a pas vocation à laisser le défunt totalement tranquille, puisque l’objectif final est de le ressusciter quand les avancées technologiques le permettront. Seulement autorisée aux Etats-unis, la cryogénisation représente un coût conséquent, variable entre 28 000 et 200 000 dollars selon les options concernant le transport ou la neuroconservation. Ce procédé fait débat et soulève la question éthique de la conservation des corps, d’autant qu’elle apparaît très polluante pour peu de résultats pour certains. En effet, cette pratique nécessite une alimentation en éléctricité permanente pour une durée encore indéterminée. Pour répondre à la question de la dispersion des cendres, des entreprises proposent d’envoyer l’urne dans l’espace grâce à l’utilisation de ballons stratosphériques. Arrivé à un certain point, le ballon explosera et laissera les cendres se disperser dans l’atmosphère. « Nous sommes tous des poussières d’étoiles ! Car tous les noyaux des atomes qui nous constituent ont été engendrés au centre d’étoiles mortes il y a plusieurs milliards d’années.»40. Dans la même envie de conquérir l’espace, des sociétés proposent l’envoie des urnes depuis Cap Canaveral vers l’espace pour un voyage de plusieurs mois ou années, dans l’atmosphère terrestre voire même plus loin tel que la lune ou encore l’espace profond avant de finir en étoile filante. Ce procédé est appelé la «lunarisation», l’inscription s’effectue en ligne avant de recevoir le kit d’envoi. De l’air à l’eau il n’y a qu’un pas, car on oberve aussi l’apparition de cimetières marins. On en retrouve un exemple intéressant à Key Biscayne près de Miami : le Neptune Memorial Reef. L’ensemble s’apparente à une reconstitution du mythe de l’Atlantide, où les cendres d’environ deux cents personnes incinérées ont été mélangées à du ciment et moulées dans des constructions sousmarines sur six hectares. Le nom des défunts est apposé directement sur les constructions à l’aides de plaques gravées. Ce cimetière est visitable par les amateurs de plongée sous-marine, à seulement 10 mètres de profondeur. Désormais, il est aussi possible de transformer une partie des cendres des défunts en diamant, un processus appelé la «diamantisation». Le procédé nécessite à minima 500 grammes de cendres pour produire un diamant quand la crémation
40 Hubert REEVES, Poussières d’étoiles, Editions du Seuil (1984) 118
Une diversification des modes de sépultures qui appelle à repenser le cimetière
du corps en génère plus de 2 kilos. Le système repose sur l’extraction du carbone des cendres funéraires, à l’image de la création des diamants synthétiques. La couleur du gemme dépend en fait du mode de vie du défunt, où divers facteurs rentrent en compte (Vie à la campagne ou à la ville, alimentation, prise de médicaments etc... ). Le procédé connaît un certain succès au Japon, en raison du culte des ancêtres shintoïstes et bouddhistes. La diamantisation renverse en fait la notion de dissolution de la crémation en pérénisant le souvenir sous un support physique. En France, la réutilisation des cendres funéraires est illégale depuis 2008, mais il est toujours possible d’utiliser les cheveux du défunt qui contiennent aussi du carbone.
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cryogénisation
diamantisation
envoi dans l’espace
lunarisation
inhumation sous-marine
Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
Depuis quelques années, une pratique bien particulière a vu le jour et met en péril le devenir des cimetières. A l’heure du numérique et de l’essor toujours plus important des nouvelles technologies, les cimetières ne sont pas en reste. En effet, on voit apparaître depuis quelques années des «tombes» érigées sur des «cimetières virtuels». Dans une optique de collecte de données virtuelles, à l’image de la série télévisée Black Mirror, les cimetières virtuels rassemblent des informations sur les défunts et les présentent dans des mémoriaux consultables en ligne. Ces «pages» sont tenues par des membres de la famille ou des proches qui l’entretiennent, la fournissent d’informations relatives au défunt, et déposent même des gerbes de fleurs virtuelles. En général, les mémoriaux présentent une photo du défunt, la date de naissance et la date de décès de la personne en question et des épitaphes numériques reprenant les mêmes tournures usuelles de celles inscrites sur les tombes. Il arrive que certains cimetières virtuels se lient aux réseaux sociaux des défunts et recueillent des informations sur le net pour enrichir la page. Il existe des vingtaines de cimetières virtuels différents, et ceux ci, contrairement à ce que nous pourrions penser, ne rassemblent pas seulement les informations des défunts des dernières années. On peut en effet trouver des pages relatives à des personnes décédées il y a très longtemps, y voyant ainsi l’occasion de raviver la mémoire de nos ancêtres et de retrouver la filiation entière d’une famille. Ces cimetières virtuels ne paraissent en vérité être que des mémoriaux virtuels pour le moment, dont la fonction première est de rendre hommage et rendre éternelle la mémoire du défunt, mais la question est de savoir si désormais les cimetières physiques seront substitués par les technologies virtuelles, engageant alors la notion de mort numérique. Au delà de l’aspect purement psychologique, les mémoriaux virtuels sont également des moyens potentiels d’endiguer la saturation des cimetières. Il n’est donc pas étonnant que cette pratique ait été développée en Chine où les cimetières sont particulièrement surchargés et où les places sont rares et atteignent jusqu’à 110 000 euros à Hong-Kong. Néanmoins, cette pratique nécessite évidemment des ressources électriques et un stockage conséquent, éléments pointés du doigt par certains détracteurs. Cette problématique soulève également de nombreuses questions, notamment relatives à l’utilité des cimetières physiques dans une ère où la page internet est beaucoup plus accessible, à la fois physiquement qu’en terme de perte de temps : l’accès internet est plus rapide que l’action de se rendre au cimetière. Il existe différentes hypothèses concernant la finalité du développement des cimetières virtuels. En effet, certains soutiennent que les cimetières sont désuets et sont amenés à disparaître d’une part car ils sont de moins en moins fréquentés et d’autre part car la pratique funéraire physique aurait tendance à disparaître pour être remplacée par la seule commémoration virtuelle. La notion de «mort virtuelle» 122
La digitalisation, une menace pour le futur?
serait pour d’autres la finalité où notre décès serait signifié par une suppression des réseaux sociaux ou un renvoi depuis nos réseaux sociaux vers notre espace funéraire virtuel. Ces cimetières renvoient cependant à une thématique originelle du cimetière : le besoin d’immortalité. De lourdes tombes en pierre ou en marbre paraissant intouchables ne sont pas pour autant intemporelles, elles peuvent être délogées à tout moment et être remplacées par d’autres. Une page web en revanche ne peut être délogée et peu, à priori, être toujours visible et «propre» des années plus tard sans necessité d’entretien, à l’inverse de gerbes de fleurs standards déposées sur les tombes se fannant au bout de quelques jours. Cette pratique pose encore une fois la question de la légitimité de la sépulture physique. Seulement ici, le numérique apporte des solutions que le cimetière physique ne peut pas apporter. En effet, alors que j’écris ce mémoire, nous nous trouvons en plein confinement et sommes sommés de rester chez nous. La visite aux défunts est possible du moment que le cimetière se trouve à moins d’un kilomètre de chez nous et pour une durée maximale de une heure. Impossible donc de rendre visite à ses aïeux dans une autre région ou de se recueillir des heures au cimetière. En ce sens, le mémorial numérique pourrait pallier à cette nouvelle donnée et remplir la fonction commémorative du cimetière physique. Cette hypothèse reste néanmoins nuançable car au cours du deuxième confinement de 2020, le jour de la Toussaint a obtenu une dispense exceptionnelle quant à la possibilité d’accéder aux cimetières. En effet, une « tolérance (qui) sera appliquée pour les cérémonies prévues ce week-end de la Toussaint, ainsi que pour les déplacements dans les cimetières et les commerces de fleurs»41. Cette donnée est encourageante et signifie bien que la présence d’une sépulture physique semble nécessaires quant au bon déroulement du deuil puisque malgré le confinement, les Français et l’Etat tenaient à conserver ce jour si important. Ainsi, puisque les sépultures physiques ne sont pas amenées à disparaître et que le numérique ne va de toute façon que gagner du terrain, l’idée de croiser les deux plutôt que de les confronter paraît être une option intéressante. C’est déjà le cas dans certains cimetières qui ont profité du numérique pour améliorer leurs services et installer des procédés accompagnant le deuil. En effet, le numérique pourrait permettre de redynamiser les cimetières tout en clarifiant les actions menées par le monde funéraire. Cela passe par la numérisation, la conservation et le classement d’archives pour faciliter leur consultation. Plus loin encore, certains enregistrent les plans du cimetière, quadrillent et repèrent les tombes, réalisent des photographies aériennes afin de repérer les places libres et permettre une
Déclaration de Jean CASTEX, premier ministre de la République Française (29 octobre 2020)
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Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
orientation plus facile au sein des allées pour les visiteurs grâce à une application. Ainsi à Marseille en 2013, la ville a installé des bornes à l’entrée de cinq cimetières permettant de géolocaliser les tombes. Le logiciel est désormais disponible en ligne, il propose le chemin le plus court pour se rendre à la sépulture en question, avec différentes options notamment concernant l’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Certains cimetières se dotent également d’épitaphes numériques pouvant êtres aposées sur les tombes, fonctionnant comme des QR Codes pouvant être décryptés par des smartphones. Ces épitaphes une fois scannées renvoient le visiteur à des pages web de souvenir. La mise en commun de toutes ces tombes permettrait également de sauver certaines tombes de la reprise de concession par la mairie. En effet le site de généalogie Geneanet propose depuis 2013 de photographier les tombes de nos ancêtres pour les répertorier dans une application nommée «Sauvons nos tombes». En récoltant ces tombes et en les mettant en commun avec les données généalogiques fournies par le site, certains pourraient ainsi retrouver leurs aïeux et se rapprocher de leurs sépultures pour leur éviter l’oubli. Enfin, les photographies de ces monuments permettent aux communes d’en vérifier l’état et de dresser un répertoire du patrimoine funéraire parfois très riche. Cette mesure participe à la patrimonialisation des cimetières et permettrait de promouvoir un lieu encore assez méconnu.
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La digitalisation, une menace pour le futur?
Mémorial virtuel français https://www.celesteo.com/anna-rosaserra/1 z941-200 8?template=2
Mémorial virtuel américain http://www.begraebnis.at/seitelinks. php?nkat=Virtuelle+Gedenkst%E4tte
Mémorial virtuel américain https://cemetery.org/tag/usa/
Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
Malgré l’essor de la crémation et l’apparition de toutes ces nouvelles pratiques, l’inhumation persiste. Bien que le nombre d’inhumations recule, cette pratique n’est pas pour autant amenée à disparaître totalement prochainement. En effet, la tradition de mise en terre est, comme nous l’avons vu précédemment, directement liée à la religion catholique en France. Depuis les grandes vagues migratoires notamment venues du Maghreb, d’autres religions telles que l’Islam ou le Judaïsme sont également ancrées en France. Au passage de la loi sur la liberté des funérailles de 1887, l’Eglise s’insurge et dénonce un retour aux rites païens. En effet, cette pratique semble aller à l’encontre des croyances catholiques qui considère l’inhumation comme une étape primordiale pour passer de la vie à la mort. Néanmoins en 1963, après des années de défense des partisans de la crémation auprès du Pontificat, le pape Jean XXII autorise la crémation lors du concile de Vatican II par ces mots : «L’incinération du corps n’affecte pas l’âme et n’empêche pas la toute-puissance de Dieu de lui restituer son corps ». Ainsi, l’Eglise catholique tolère la crémation à condition que celle-ci soit faite après la liturgie. Les deux autres grandes religions monothéistes que sont l’Islam et le Judaïsme ne tolèrent quant à elles pas cette pratique. En effet, seule l’inhumation est tolérée et chaque religion suit un rituel strict quant au déroulement des funérailles. On le rappelle, la loi du 14 Novembre 1881, dite «loi sur la neutralité des cimetières» supprime l’obligation de partition des sépultures en fonction des cultes au sein des cimetières. Alors que jusqu’à présent, les différentes religions étaient physiquement séparées par des murs, des haies ou des fossés, les carrés dits confessionnels sont interdits. La loi de 1905 portant sur la séparation de l’Eglise et l’Etat finit d’appuyer cette interdiction, les cimetières étant propriétés de la communes il se doivent d’être laïcs. Pourtant aujourd’hui, plus de 100 ans après ces injonctions, le statut laïc du cimetière apparaît encore flou. En effet 42,5% des 502 personnes sondées à l’occasion de cette étude considèrent que les cimetières ne sont pas des espaces laïcs. Cette idée est probablement véhiculée par le fait d’une part que subsistent des cimetières religieux. En effet, la loi de 1881 ne fait pas obligation de détruire les cimetières protestants et israélites existants mais interdit de les agrandir ou d’en créer de nouveaux. Aujourd’hui subsistent encore donc des cimetières dits religieux, comme le cimetière de la Mouche situé à Gerland dans la ville de Lyon qui est dédié au culte israélite. La loi de 1905 interdit également tout signe religieux dans les nouvelles constructions mais n’oblige pas à détruire tous les signes religieux comme les croix souvent implantées au centre des cimetières. Dans le même esprit, les tombes en forme de croix et autres signes religieux datant d’avant ces lois échappent à l’obligation de destruction. En effet le Sénat nous dit que «les signes 126
D’un espace laïc à l’introduction de carrés confessionnels
et emblèmes religieux sont autorisés sur les sépultures, l’article L. 2223-12 du code général des collectivités territoriales disposant que « tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture »». Ainsi, même les nouvelles sépultures peuvent comporter des signes et emblèmes religieux, nourrissant cette confusion quant au statut des cimetières. Enfin, malgré la clarté de ces lois quant à l’obligation des cimetières de demeurer laïcs, il persiste un flou juridique quant à la gestion de cette question au sein des municipalités. C’est là le plus grand paradoxe, ce que Céline Eyraud qualifie même d’ «hypocrisie». En effet, alors que la loi indique clairement que la partition religieuse est interdite, le Sénat indique que « La création de carrés confessionnels est actuellement laissée à la libre appréciation du maire, au titre de son pouvoir de fixer l’endroit affecté à chaque tombe dans les cimetières. Elle est revendiquée par certaines familles, notamment de confession israélite ou musulmane, encouragée par les pouvoirs publics mais placée dans une situation de relative insécurité juridique.»42. Ainsi, les maires sont chargés de la responsabilité d’accepter ou non la requête des communautés d’instaurer des carrés confessionnels au sein des cimetières communaux. Ces requêtes sont d’autant plus présentes depuis ces dernières années, à cause de plusieurs facteurs. D’une part, les cimetières israélites gérés par la communauté juive arrivent à saturation, et la loi de 1881 leur interdit de les étendre ou d’en créer de nouveaux. En effet, il n’existe pas de possibilité de renouvellement des tombes dans la religion juive, car une exhumation des corps serait une atteinte à la dignité du défunt. Ainsi, ils n’ont pas le choix que de faire des demandes de carrés confessionnels au sein des cimetières publics. D’autre part, alors que les personnes de confession musulmanes étaient auparavant issues de l’immigration, elles étaient casi systématiquement rapatriées à leur pays d’attache lors de leur décès pour y être inhumées. Aujourd’hui, les personnes de confession musulmane sont en général nées en France et ne portent donc pas d’intérêt à être inhumées autre part que sur le sol Français, d’où la demande croissante de carrés confessionnels musulmans. Les maires peuvent décider ou non d’accéder à ces requêtes. Dans le cas où la demande est acceptée, la gestion des carrés confessionnels reste quand même entièrement à la charge de la municipalité. En effet, il ne s’agit pas d’espaces religieux au sein d’un espace laïc mais plutôt un espace où les gens d’une même communauté sont regroupés. En effet, bien que la pratique soit officiellement
Rapports d’information du Sénat, Bilan et perspectives de la législation funéraire Sérénité des vivants et respect des défunts 42
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Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
encouragée par le ministère de l’intérieur via une circulaire de 1975, elle n’en reste pas moins très encadrée pour éviter tout contentieux. En effet elle précise que les carrés confessionnels doivent prendre la forme de «regroupement de fait» sans entraver la neutralité du reste du cimetière. Pour ce faire, ils ne doivent pas être séparés physiquement du reste du cimetière par des barrières physiques et peuvent s’orienter dans la direction déterminée par la religion concernée. Seulement, dans le cas où la demande est rejetée, la situation se révèle bien plus complexe. En effet Kamel Kabtane, recteur de la mosquée de Lyon en 2013, confie que «la situation actuelle n’est pas tenable car il y a des municipalités qui n’acceptent pas les carrés confessionnels! On renvoie les gens vers les cimetières communautaires de Bron et Rillieux, mais ils deviennent saturés.»43. Pour pallier à ce problème, les communautés juives et musulmanes appellent de plus en plus à ce que des espaces soient confiés non plus aux autorités municipales mais plutôt aux responsables religieux. Cette demande va à l’encontre même de la définition des carrés confessionnels qui sont des regroupements de fait et non pas de regroupements de droit. Pourtant, beaucoup de maires semblent favorables à cette idée, leur permettant de se délester de ces questions délicates au sein des cimetières. Malgré ces problématiques, les communautés saluent l’augmentation du nombre de carrés confessionnels. Seulement, certaines personnes ne partageant pas ces convictions regrettent le développement de cette apparente scission. En effet, le gardien de cimetière de Villeurbanne me confiait son incompréhension « Moi je trouve ça ridicule. je trouve qu’on s’est battus pour qu’on puisse vivre au delà de la religion, qu’on puisse vivre sans barrière de la couleur de peau ou d’origine ethnique ou quoi que ce soit. Dans le cimetière c’est encore pire quoi. Alors pourquoi essayer de se battre de son vivant pour être accepté comme on est et à sa mort il y a une séparation.»44. En effet, certains ressentent une forme de cloisonnement entre communautés, allant à l’encontre du principe de laïcité défendu par la République Française. Certains craignent même prochainement une séparation portant sur l’ethnie ou la nationalité de chacun. Cette crainte est fondée puisque Pascal Hervé Daniel, ex-chef des cimetières de la ville de Paris a rencontré des demandes de ce type lors de son mandat.
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Ludovic VIEVARD, Les rites funéraires à l’épreuve de la laïcisation, Millenaire3.com
Extrait tiré de l’entretien tenu avec le gardien de l’ancien cimetière de Cusset de Villeurbanne (23 Juillet 2020)
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D’un espace laïc à l’introduction de carrés confessionnels
Carré confessionnel musulman du Cimetière de Cusset de Villeurbanne Photographie personnelle
Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
La place des religions dans le cimetière pose également la question de la place des rituels au sein du cimetière. La question du rituel peut apparaître désuette, tant elle semble attachée à la religion, néanmoins des rites religieux persistent et la ritualisation civile demeure essentielle. En effet comme nous l’avions évoqué précédemment, comme la présence d’une sépulture physique semble nécessaire au travail de deuil, la présence de rituels autour de cette sépulture semble l’être tout autant. Cette donnée n’affecte pas directement l’espace du cimetière en tant que tel mais touche à l’espace funéraire cérémonial qui, dans bien des cas aujourd’hui, se lie directement au cimetière. Malgré cette demande de ritualisation, pour Damien le Guay, vice-président du Comité national d’éthique du funéraire, les rites funéraires se sont apauvris au profit de ce qu’il appelle un «bricolage rituel» appelé «ritualité». Selon lui l’évolution du rite funéraire en France s’oriente selon trois axes interdépendants : un appauvrissement des rites funéraires, l’essor d’un bricolage rituel et l’accroissement de la crémation. En effet, là où «Auparavant, la prise en charge du rituel était religieuse [...] cette prise en charge a vu sa prégnance s’estomper progressivement au profit d’une absence de rite». Cette ritualité s’exprime par des rituels très personnels «pour remplir les fonctions autrefois assurées par le rite religieux, sans toujours y parvenir»45. Selon lui, cet apauvrissement s’explique donc d’une part par la baisse de religiosité, mais aussi par l’accroissement de la crémation qui serait à l’origine d’une incapacité à mettre en place un réel rituel. En effet, d’un point de vue anthropologique « les rites funéraires ont pour objectifs d’affecter une place physique au cadavre, de lui assigner un lieu symbolique «ailleurs», de rétablir l’ordre social de la communauté, perturbé par la mort d’un de ses membres, et enfin aider les endeuillés à faire le travail de deuil»46, hors dans le cas de la crémation, le cadavre n’existe plus réellement et il n’existe parfois même pas de lieu symbolique dans le cas de la dispersion des cendres. En 2012 le CPFM ( Confédération des Professionnels du Funéraire et de la Marbrerie) et la CSNAF (Chambre Syndicale Nationale de l’Art du Funéraire) mènent une étude dans laquelle ils démontrent que la crémation engendre des deuils difficile. En cause, «une rupture jugée abrupte, et les crématoriums des lieux trop froids et sans profondeur culturelle. Face à ces nouveaux rites moins encadrés, plus libres et personnalisables, les personnes endeuillées sont comme égarées.»47. Selon
Damien LE GUAY, La Mort en cendres – la crémation aujourd’hui, que faut-il en penser ? (Octobre 2012)
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Catherine PANASSIER, Cimetières, un objet en mutation (Août 2013)
Julien FOURNIER, Rites funéraires et religions, le multiculturalisme, Le Nouvel Economiste (31 Octobre 2013) 47
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Du rituel à la ritualisation, le rapprochement entre espace sépulcral et espace cérémonial
Damien le Guay, ce manque d’encadrement autrefois assuré par la religion est regrettable car le rite perd de ce fait de son efficacité : «On considère que chacun devient l’auto-gestionnaire de son chagrin et de sa ritualité funéraire» or « une part du cadre collectif de la cérémonie s’est perdu. Et ce n’est pas anodin, car aujourd’hui une dépression sur deux est liée à un deuil mal fait.»48. Pourtant, il semble tout de même y avoir un cadre ou du moins des étapes récurrentes durant les cérémonies. On commence par nommer le défunt, rappeler le lien qu’il entretenait avec les personnes présentes, évoquer son passé, expliquer pourquoi cette cérémonie a lieu, permettre à chacun un adieu personnel, exposer le devenir des cendres/ du corps, clore la cérémonie puis initier le temps des condoléances. Selon cette logique et suivant une enquête du CREDOC menée en 2009, la ritualisation ne disparaît donc pas mais prend des formes nouvelles. Ce que Damien le Guay qualifie «d’apauvrissement» est probablement dû au fait que le cérémonial se veut plus intime, avec une recherche de sens passant par les mots, la musique, les images. En effet selon Catherine Panassier, la cérémonie n’est plus tant sociale mais plutôt psychologique et revêt la fonction de dernier contact avec la pers onne décédée. Pour assurer un bon déroulement, un maître de cérémonie est désigné. Celui-ci peut être une personne proche du défunt, ou un maître de cérémonie extérieur notamment quand celle-ci se déroule au sein d’une salle de cérémonie. Pour répondre à cette demande de ritualisation, l’espace funéraire a en effet muté. Les crématoriums et les funérariums intègrent désormais, en plus de leurs fonctions sépulcrales, les fonctions d’accueil, d’accompagnement et de cérémonie. Ils proposent des espaces modulables, facilement accessibles et personnifiables pour permettre aux familles d’aborder le deuil plus sereinement. En effet, proposer un espace neutre autre que la maison du défunt et de la famille, historiquement supports de cérémonie, permet de faciliter le deuil qui ne sera alors pas relié à des lieux d’habitation. L’atmosphère et le déroulement sont essentiels, à mesure que 9 personnes sur 10 considèrent que l’accueil et la prise en charge des proches avant, pendant et après la cérémonie sont essentiels. Dans ce contexte, l’aspect psychologique l’emporte sur l’aspect physique. En effet, la ritualisation étant désormais plus intime et psychologique, les produits physiques que sont les cercueils, vases etc... n’ont pas une place prépondérante. L’atmosphère et le déroulement de la cérémonie sont privilégiés au profit de ce que certains qualifient comme une
Damien LE GUAY, La Mort en cendres – la crémation aujourd’hui, que faut-il en penser ? (Octobre 2012)
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Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
«commercialisation de la mort» à travers tous les produits funéraires proposés par les pompes funèbres. D’après l’étude de Catherine Panassier, un hommage décent au défunt n’est pas équivalent à un cercueil particulier, à mesure que 8 personnes sur 10 considèrent que c’est inutile de dépenser beaucoup d’argent pour un cercueil. A l’inverse, la diffusion de musique et de textes, la présentation du défunt avant fermeture du cercueil et surtout le choix du lieu de la cérémonie sont jugés les plus importants. En effet le lieu de la cérémonie est déterminant. Aujourd’hui l’intégration à un environnement naturel semble être devenue une constante dans l’élaboration des crématoriums et des funérariums. Les grandes villes elles-mêmes rendent cela possible en repoussant ces équipements en périphérie. Ces bâtiments cherchent en général à se faire discrets pour éviter toute critique. Cette intégration s’illustre parfois par l’utilisation de toits végétalisés au sein d’une forêt comme à LilleWattrelos, par une architecture enchâssée dans un monticule de terre à Caen ou encore par un aménagement paysager introductif comme à Nantes. A l’image des cérémonies contemporaines modestes, les bâtiments cherchent à exprimer une forme de solennité par un style délibérément fluide, sobre et épuré. Les matériaux sont en général nobles, utilisés dans leur forme brute et déclinés en intérieur et en extérieur. Leur gamme colorimétrique se puise dans le beige, le gris, le blanc ou même le noir en camaïeu pour garantir une unité globale. Ces tons neutres restent tout de même assez doux, mais apparaissent parfois trop froids pour certains. Malgré cela, la sobriété de la composition et des matériaux permet une facile compréhension des espaces pour les visiteurs. Philippe Trétiack, architecte, induit même que la fluidité de ces espaces amène une nouvelle forme de sacralité propre à ces lieux. Certains vont même jusqu’à utiliser les codes d’espaces sacrés pour les injecter dans ces lieux et renforcer cet effet. C’est notamment le cas du crématorium de Parme du Studio Zermani e Associati qui réutilise clairement le vocabulaire des temples. Ici, on retrouve des colonnades entourant tout l’espace intérieur. Le centre du bâtiment, dédié aux salles de cérémonie et de crémation est mis en scène pour être clairement le centre de cette nouvelle sacralité. C’est aussi le cas à Berlin où Frank Schultes met en scène des colonnes illuminées par une ouverture zénithale conférant à l’ensemble un caractère très solennel.
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Du rituel à la ritualisation, le rapprochement entre espace sépulcral et espace cérémonial
Crematory In Parma Studio Zermani e Associati
Crematorium Baumschulenweg Shultes Frank Architeckten
Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières
Pour renforcer cet aspect de solennité, le vocabulaire de la nature est employé et tous les sens sont stimulés. L’eau et la lumière naturelle sont très souvent utilisées à travers des fontaines et des puits de lumière, notamment dans les espaces d’accueil. Les salles de rassemblement sont elles aussi ouvertes au maximum sur la nature tout en conservant une forme d’intimité essentielle lors de cérémonies de ce type. L’utilisation de ces deux éléments est loin d’être anodine et renvoie à des symboliques inhérentes au thème de la mort. L’eau renvoie à l’idée du passage, comme la traversée du Styx que l’on retrouve dans la mythologie greco-romaine. La lumière exprime quant à elle la notion de transparence, comme l’effacement de la barrière enntre le monde des vivants et celui des morts. L’eau et la lumière sont des éléments mouvants et permettent également d’animer ces compositions en général très épurées et renvoient également à la notion du temps et donc à la relativité de la vie et de la mort. Néanmoins, tous ces espaces ne peuvent pas toujours être construits dans des cadres idylliques au coeur de la nature et à l’abri des regards. Lorsque c’est le cas, ces équipements se dilatent pour laisser passer plus ou moins la vue et la lumière et permettre un juste équilibre pour garantir l’intimité des endeuillés. Les ouvertures se font plus petites et se multiplient, plus rares et de grandes dimensions ou alors se concentrent uniquement en toiture. Le crématorium de Saint Niklaas en Belgique exprime très bien ce procédé car KAAN architecten ont créé un monolithe percé d’une myriade d’ouvertures de tailles différentes en façade. Celles-ci sont très minces à hauteur d’oeil et se font plus grandes un peu plus haut pour garantir une luminosité suffisante. Au centre du préau ouvert, une fontaine éclairée par une ouverture zénithale apporte une grande sacralité à l’ensemble. Dans le cas où même l’ouverture sur l’extérieur est impossible, notamment pour les salles de cérémonie, ces programmes vont plutôt chercher à recréer une intériorité. Les bâtiments sont alors percés de patios sur lesquels s’ouvrent les différentes salles pour profiter de la lumière et de la nature qu’apportent ce genre d’espaces. On cherche le juste équilibre entre ouverture et fermeture, ombre et lumière pour apporter une solennité et une intimité suffisante. On retrouve ce procédé à Hofu au Japon de Shunmyo Masuno où les ouvertures sont cadrées sur un jardin japonais apaisant qui recrée un paysage en lui même. Seulement, comme nous l’avions évoqué précédemment, les fonctions d’accueil et de cérémonie des crématoriums et funérariums se renforcent et doivent en conséquence être capable de répondre à cette demande tout en satisfaisant les croyances et pratiques de chacun, comme il en incombe aux cimetières. Aussi, la demande de réception post inhumation/dépose d’urne ne fait que croître. En effet les proches souhaitent de plus en plus se retrouver dans une ambiance plus légère après avoir fait leurs adieux au défunt. Cette nouvelle donnée repose la question du lien entre le cimetière et ces espaces funéraires.
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Du rituel à la ritualisation, le rapprochement entre espace sépulcral et espace cérémonial
Crematorium Heimolen KAAN Architecten
Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
La distance appliquée entre ces deux entités par les communes semble désormais être désuette et on va plutôt chercher à les regrouper ou du moins à les rapprocher. On applique alors un rapprochement entre pratique et ritualité, une nouvelle forme encore pas explorée jusqu’à maintenant. En découle alors ce que nous appelons désormais des «complexes funéraires» qui intègrent un cimetière comportant, des champs d’inhumation, des carrés confessionnels, des caveaux, des espaces pour les sépultures d’enfants, des colombariums, des jardins du souvenirs, des ossuaires, des enfeus etc..., mais aussi des maisons funéraires englobant un crématorium, un funérarium, des salles de toilettes, des salles de cérémonies, des salles de mise en bière, des salles de remise des urnes etc... C’est le cas à Bron et au cimetière de la Guillotière à Lyon notamment. Cette configuration permet de faciliter le parcours aux endeuillés et d’effectuer les étapes post décès plus aisément au sein d’un même lieu pour simplifier la communication des divers acteurs. Valérie Huet, responsable des cimetières communautaires de Bron et Rillieux-la-Pape défend également cette organisation et va même plus loin en proposant d’intégrer d’autres fonctions. «il serait intéressant qu’il bénéficie également d’un lieu de convivialité, une forme de café sans alcool où l’on peut s’asseoir, prendre une petite collation, attendre dans de bonnes conditions, parler à des proches. Ce lieu pourrait également être mis à disposition des associations, des célébrants, proposer des livres, des musiques et pourquoi pas des animations comme les cafés deuil organisés aujourd’hui dans un café de la presqu’île par une association.»49. On pourrait presque rapprocher cette idée de l’ancienne conception des cimetières paroissiaux du Moyen-Age qui intégraient des réelles fonctions de vie. On retrouve ce cas de figure à Santos au Brésil où le Memorial Necropol Ecumenica de Pepe Astult intègre une chappelle, un snack bar et même un jardin de paons.Catherine Masson nous met néanmoins en garde quant au rapport entretenu entre ces espaces car «les chambres funéraires et le crématorium doivent pouvoir être autonomes et ne pas dépendre des horaires d’ouverture du cimetière»50.
Extrait tiré de l’étude Cimetières, un objet en mutation de Catherine Panassier (Août 2013) p.53
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Extrait tiré de l’étude Cimetières, un objet en mutation de Catherine Panassier (Août 2013) p.52
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Désenclaver les espaces funéraires pour les ramener sur la scène urbaine
Cimetière et crématorium d’Annecy Google maps
Cimetière et crématorium de Bron Google maps
Cimetière et crématorium de Strasbourg Google maps
Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
Ainsi, à mesure que les espaces sépulcraux et les espaces rituels se rassemblent ou se lient, il est important de mener une réflexion commune dans leur élaboration. Mais avant même de réfléchir à leur élaboration, il convient de requestionner leur implantation. Car si leur regroupement facilite le parcours des familles, leur accessibilité est également essentielle. En effet, la désertion des cimetières est également due au fait qu’ils soient rejetés hors des villes, parfois dans des lieux difficilement accessibles sans une voiture, et bien trop souvent à côté d’endroits dits rejetés. C’est le cas à Villeurbanne où l’ancien cimetière est accolé à une usine, ou encore au Nouveau cimetière de la Guillotière à côté des voies ferrées. Ces cas de figure sont même perceptibles au cinéma comme dans Quatre mariages et un enterrement (Mike NEWELL) où il se trouve à proximité d’une usine, dans Voyage au bout de l’enfer (Michael CIMINO) où il est bordé d’une voie ferrée ou dans Hot shots (Jim ABRAHAMS) où l’enterrement est perturbé par des coups de feu. Cet éloignement et ce positionnement géographique défavorables ne font que ternir l’image du cimetière qui souffre déjà de sa relation entretenue avec la mort. C’est parfois même une source de frustration quand ce reléguement touche aux croyances. C’est le cas à Lyon où le carré confessionnel musulman a été rejeté à Rillieux-la-Pape, une périphérie lointaine. Selon l’étude du CREDOC de 2009, ce rejet systématique des grands cimetières urbains en périphérie ne fait en effet qu’accentuer leur mauvaise perception. En effet, la grande échelle de ces cimetières combiné à leur emplacement participent au sentiment de «surpopulation mortuaire» où les tombes sont rigoureusement alignées dans un souci de fonctionnalisme. Les sépultures s’anonymisent, à mesure que leur nombre grandit et le recueillement, pourtant essentiel au cimetière, devient difficile voir impossible. Pour réduire cet effet, le cimetière doit être facilement accessible autant en transports qu’en voiture, et donc intégrer des places de stationnement tout en étant dans un environnement urbain pour ne pas donner l’impression de rejeter les défunts. On peut décider de créer un grand cimetière par ville ou au contraire parsemer de cimetières de plus petites dimensions pour éviter cet effet de surpopulation. Dans ce dernier cas, Céline Eyraud estime qu’il n’est pas nécessaire de créer une maison funéraire dans chacun mais plutôt veiller à une répartition adéquate dans le territoire. En effet aujourd’hui on remarque une certaine inégalité dans l’étalement de ce programme, puisqu’il n’y a par exemple aucun crématorium en Haute-Loire, le projet ayant été avorté en 2020. A l’inverse, le crématorium de la ville de Roanne est situé en face, dans la même rue, que le crématorium de la ville voisine, révélant d’une part une réelle compétitivité du marché, mais aussi une mauvaise gestion globale du problème.
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Désenclaver les espaces funéraires pour les ramener sur la scène urbaine
De prime abord, on pourrait penser que la proximité avec un cimetière en ville serait repoussante et impacterait le marché de l’immobilier en conséquence. Seulement, selon Vincent Jacquemont, promoteur immobilier «la proximité d’un cimetière n’impacte pas directement la vente des logements»51. Selon lui, cela est dû au fait que soit les potentiels acheteurs sont complètement réticents à l’idée de cette proximité, soit il la considère au contraire comme un avantage. En effet, la présence de ce programme assure une quiétude et induit sa longévité, il ne sera donc pas remplacé par d’autres programmes présentant des nuisances potentielles, notamment du vis-à-vis. Blandine Thirion, habitante de Voreppe en Isère vivant dans une maison située en face du cimetière de la ville confirme ces propos «Le cimetière est un plus puisqu’il nous garantit une vue dégagée, de la lumière et nous évite tout vis-à-vis». De la même manière, Maxime VALCARCE me confiait lors de son entretien qu’il ne serait pas dérangé par une vue sur un cimetière, bien au contraire, puisque sa présence lui assurerait un environnement «maxi calme». La présence du cimetière diminuerait ainsi le nombre d’acheteurs potentiels sans pour autant entraver la vente ni même le prix notamment lorsque le bien est situé en centre ville « la proximité d’un cimetière n’a pas d’impact sur la valeur du prix de vente, notamment en centre ville». Extrait tiré de l’étude Cimetières, un objet en mutation de Catherine Panassier (Août 2013) p.23
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Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
Bien entendu, certains sont indisposés par cette proximité. Aurélie Mallet, interrogée par Catherine Panassier confie que «ce n’est pas la proximité des morts qui [l’]indispose, mais bien la tristesse des cimetières français. Les cimetières français présentent un véritable caractère anxiogène»52. Pour étayer son propos elle compare «les tombes alignées, grises, abandonnées dans cet espace vide et froid» avec «les cimetières gais, fleuris, vivants d’Argentine»53. Cette vivacité en Argentine est d’une part due à la conception culturelle de la mort là bas, où la célébration de la Pachamama se traduit par des festivités, mais aussi car des moments de vie telle que des barbecues, des jeux ou de la musique sont intégrés au cimetière. Aurélie Mallet finit même par affirmer qu’ «habiter à proximité d’un tel cimetière ne [la] gênerait pas. Au contraire [elle pourrait] percevoir cette proximité comme un avantage et notamment celui de bénéficier d’un parc, de vues et de verdure»54. Cette dernière info est primordiale et reflète un état d’esprit général quant à la perception des cimetières et quant à ce qu’ils peuvent, et doivent, devenir. En effet, dans le cadre du questionnaire porté dans cette étude, les sondés considèrent que le cimetière est un espace «froid» «glauque», «stérile», «tragique», «funeste», «lugubre», «amer», «sombre,» pour reprendre les mots employés fréquemments par certains. Une étude du CREDOC de 2003 portant sur la perception des cimetières indique en effet que les Français ont en général une représentation du cimetière urbain très négative. Ils opposent en effet le cimetière urbain «froid, impersonnel»55 au cimetière rural «chaleureux et convivial»56. Cette distinction s’explique par la taille plus raisonnable de ces derniers mais aussi et surtout par la nature prépondérante induite par la vie en campagne. En effet, la plus grande demande concernant l’aménagement des cimetières concerne la place du végétal en son sein. 94,7% des 502 personnes sondées dans ce mémoire estiment que le cimetière devrait intégrer de la végétation, tout en étant un espace ouvert (55,5%) et aéré spatialement (76,5%). A l’image des Extrait tiré de l’étude Cimetières, un objet en mutation de Catherine Panassier (Août 2013) p.25
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Extrait tiré de l’étude Cimetières, un objet en mutation de Catherine Panassier (Août 2013) p.25
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Extrait tiré de l’étude Cimetières, un objet en mutation de Catherine Panassier (Août 2013) p.25
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Franck LEHUÉDÉ, Jean-Pierre LOISEL, Le cimetière remplit-il encore sa fonction ? Etude pour le CREDOC (Octobre 2003) p.2 55
Franck LEHUÉDÉ, Jean-Pierre LOISEL, Le cimetière remplit-il encore sa fonction ? Etude pour le CREDOC (Octobre 2003) p.2 56
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De l’enjeu écologique à la quête de sérénité, le végétal peut-il sauver le cimetière?
crématoriums et funérariums intégrant la nature comme une variante à part entière du projet, les cimetières peuvent suivre ce modèle pour amener une sérénité à ce lieu de recueillement, une fluidité là où l’agencement est rigoureux, une variante saisonnière à un espace immuable. En effet, la nature n’est pas une constante. Les arbres grandissent, les fleurs poussent et se fânent, les feuilles changent de couleur et tombent etc.. La végétation mue sans arrêt dans un perpétuel renouveau tandis ce que le cimetière possèdent une temporalité qui leur est propre. En effet malgré l’instauration des concessions temporaires, le renouvellement reste ponctuel, discret et n’entâche pas la morphologie globale, si bien que le cimetière semble figé dans le temps. Cette apparente immobilité renforce le caractère froid des cimetières et pourrait être atténuée voire effacée par l’introduction de la végétation. Ce n’est pas parce que le cimetière est un espace abritant la mort qu’il ne doit pas respirer la vie, bien au contraire. C’est justement en son sein qu’on doit saisir toute la richesse de la vie pour relativiser sur la place de la mort. Manon Moncoq explique effectivement que «dans ces cimetières naturels, très verts, les personnes sont plus enclines à venir se recueillir que dans des cimetières traditionnels et gris, ils sont davantage des endroits de vie que de mort»57. Cette idée n’est en faite pas nouvelle et s’inspire notamment du cimetière du Père Lachaise au XIXe siècle. En effet le décret de Prarial prévoit la plantations d’arbres sans entraver la circulation de l’air et tout en inspirant le recueillement et la méditation. Néanmoins, Bruno Bertherat émet quelques réserves quant à l’efficience systématique de ce procédé. En effet selon lui, «la végétation a [....] un aspect ambivalent lorsqu’elle échappe au contrôle des hommes».58 Effectivement il explique qu’affiliée à des ruines, la végétation sauvage peut renforcer son caractère poétique mais peut également être assimilée à une forme de désuétude quand elle s’applique sur les tombes. Psychologiquement, elle peut participer à l’effet d’oubli et d’effacement des morts voir être encore plus négative quand cette végétation envahit les cimetières déjà abandonnés. Il cite notamment le cas de figure du cimetière d’Ivry qui à la fin du XIXe siècle était appelé Champ des navets» tant les herbes sauvages l’avait pris d’assaut. Malgré cela, les cimetières préfèrent aujourd’hui une nature assez libre, mais contrôlée, dans son développement à une nature trop rigide. Ce libre développement végétal est 57 Manon MONCOQ, Les funérailles vertes. Analyse anthropologique d’un nouveau rapport à la mort, au corps et à l’environnement (20 Septembre 2018) 58 Bruno BERTHERAT, «Mort et vie des cimetières contemporains en France» dans Les cimetières : que vont-ils devenir ? A partir d’une enquête en Normandie, en France et ailleurs sous la direction de Gaëlle CLAVANDIER et François-Michel NERARD HERMANN tiré des colloques de Cerisy tenus du 30 Août au 2 Septembre 2017, p.84 141
Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
accentué depuis le 1er janvier 2017, date à laquelle une injonction interdisant l’utilisation de produits phytosanitaires dans l’entretien des cimetières est entrée en vigueur. L’idée d’intégrer la nature au sein du cimetière semble de prime abord aller complètement à l’encontre de la problématique de saturation. Néanmoins, la demande de nature en ville comme la demande de nature dans les cimetières par les citadins est très présente. On peut considérer cette accointance comme une opportunité de considérer le cimetière comme un jardin ou un parc et ainsi de répondre positivement à ces deux requêtes. Evidemment, cet idéal n’est pas sans risque et pose diverses questions notamment vis à vis de notre relation avec la mort comme complètement intégrée dans notre cadre de vie, lors de nos balades, de nos footings ou de nos week end en famille. Devrions nous alors aménager des zones de jeux pour enfants, des équipements sportifs ou encore des zones de pique nique, de la même manière que nous pouvons en trouver dans des parcs urbains? Selon le questionnaire relatif à ce mémoire, 62,8% des 502 personnes sondées estiment que le cimetière est destiné à la fois aux défunts et aux vivants, et 26,4% estiment même qu’il est uniquement adressé aux vivants. La mutualisation des fonctions de chacun ne semble à priori donc pas être un frein au bon fonctionnement global, du moment que l’espace est suffisant pour proposer des espaces de balade, de recueillement, de convivialité voir d’amusement. C’est le cas à Versailles où le cimetière des Gonards est apprécié par les riverains pour un pique-nique, un après-midi lecture ou une promenade dans ses 14 hectares de forêt. Ce type de typologie existe effectivement déjà et est souvent l’oeuvre d’architectes et de paysagistes anglo-saxons et scandinaves. Le cimetière parc, directement importé d’Amérique du Nord est composé comme un jardin public accueillant les tombes dispersées aléatoirement au milieu d’une nature superficielle, alternant de larges surfaces gazonnées et des compositions végétales plus travaillées, à l’image de nombreux cimetières militaires datant de l’après guerre. Le cimetière paysager ne répond à aucune règle, si ce n’est de proposer des paysages agréables propices à la détente. Les formes sont en général très libres, alternant entre végétation foisonnante et composition plus régie. En France, de nombreux cas de recherche sont exemplaires en la matière, notamment le cimetière communal de Clamart conçu par Robert Auzelle en 1947. On remarque des proportions justes dans la composition du plan, une volonté d’aménagement à l’échelle de l’agglomération et un respect pour le tissu urbain environnant tout en évitant des constructions aberrantes hors d’échelle. Jouxtant le quartier de la Plaine à Clamart, la première version fût refusée car jugée trop imposante, avant de finalement prendre la forme d’un cimetière paysager. Cette «composition la plus aboutie et la plus achevée des grandes compositions 142
De l’enjeu écologique à la quête de sérénité, le végétal peut-il sauver le cimetière?
Cimetière boisé de Stockholm (Skogskyrkogården i Stockholm) Gunnar ASPLUND / Sigurd LEWERENTZ (1917) http://martinrinman.blogspot.com http://econoclasm.blogspot.com
Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
funéraires» selon Robert Auzelle est le fruit d’années de recherches sur le sujet pour son concepteur. Dans l’optique d’un cimetière dit «perpétuel» insoumis aux aléas du temps, l’architecte propose peu de concessions à perpétuité et facilite la reprise des concessions temporaires trop souvent laissées à l’abandon pour assurer le renouvellement constant des concessions funéraires. Il propose aussi un tout nouvel équipement : un ossuaire-nécrologe qui reprend l’ensemble des concessions reprises pour en assurer la perpétuité, en y inscrivant le nom des défunts. Ce cycle concessionnaire permet ainsi de palier à l’abandon progressif des tombes et participe au renouvellement du genre dans les cimetières contemporains. Le design des éléments du parc répond à une charte graphique réalisée avec le paysagiste GM Gratigny, en accord avec l’envie de sobriété des nouvelles générations concernant les sépultures. Cette charte unifie l’espace tout en dessinant des espaces variables entre eux mais aussi variables selon les saisons, permettant ainsi de créer des atmosphères en constante évolution tout en jouant le rôle de séparation entre les divers espaces. Bien entendu, ces aménagements ne s’adressent pas uniquement aux nouveaux cimetières. Pourtant, c’est bien ceux déjà existants qui semblent poser problème, il faut donc les prioriser en mettant en oeuvre des solutions simples pour intégrer la nature à leur composition. Pour ce faire, les murs périphériques peuvent déjà être remplacées par des haies ou couverts de plantes grimpantes. Dans la même mesure qu’on appréhende et se fait un avis une maison par sa façade, la première approche du cimetière est essentielle et influe sur la perception que l’on s’en fait. Le langage végétal peut varier entre arbres, arbustes, fleurs et gazon pour mettre en exergue certaines parties. Ainsi on peut imaginer un traitement différencié entre les allées principales et secondaires, une plantation ordonnée le long des allées et plutôt libre sur le jardin du souvenir etc... La variation des échelles et des variétés peut également servir de signalétique en induisant des repères, des chemins, des clairières etc... Dans ces cas néanmoins, la nature et le cimetière se côtoient sans pour autant se mêler entièrement. Dans l’élan de la prise de conscience écologique concernant le mode de sépulture, certains cimetières cherchent à rentrer en symbiose complète avec la nature et la servir entièrement. On trouve ainsi depuis quelques années l’apparition de cimetières dits écologiques où le mode de sépulture et tous les éléments du cimetières s’inscrivent dans une démarche durable. C’est le cas en France depuis 2014 à Souché où le premier cimetière dit «naturel» a été ouvert. Ici, les caveaux et pierres tombales sont proscrits au profit de cercueils ou urnes biodégradables en bois non traité ou en carton. Seuls des pupitres en pierre calcaire portant le nom des défunts n’est pas biodégradable. Pour vérifier au bon déroulement de ce projet, les familles sont tenues de signer une charte les engageant à ce que le défunt porte une tenue en fibre naturelle et ne soit pas traités par des soins d’embaumement. Les familles peuvent personnaliser 144
De l’enjeu écologique à la quête de sérénité, le végétal peut-il sauver le cimetière?
Crématorium du cimetière intercommunal de Clamart, Robert AUZELLE (1954) https://www.lemoniteur.fr
Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
la sépulture à l’aide de plantes diverses sans bien évidemment avoir recours aux produits phytosanitaires. L’opération est un succès et face aux demandes croissantes, la municipalité a acquis 4 000m² supplémentaires pour étendre le cimetière. Cette réussite repose également sur le fait qu’au delà de proposer une alternative écologique, les concepteurs se sont efforcés d’intégrer diverses pratiques en proposant un espace d’inhumation, un espace de dépôt des urnes et un jardin du souvenir. Malgré cela, Amanda Clot, conservatrice des cimetières de Niort, reste alerte et ouverte au changement : «Au départ, nous avions aligné les tombes et les urnes comme dans un cimetière “ classique ”, mais nous avons décidé de garder ce côté naturel et créer quelque chose de plus anarchique, en mettant trois fosses à un endroit, quatre fosses plus loin etc...»59 Une nouvelle pratique liée à la végétalisation croissante des cimetière est en train de se développer en Europe, il s’agit des cimetières forestiers. Ce mode de sépulture propose, plutôt que de disperser les cendres funéraires dans la nature, de les enterrer dans une urne biodégradable au pied d’un arbre. Au bout d’une année, les cendres du défunt se mêlent aux racines de l’arbre et participent à son développement après la dissolution de l’urne en terre. En France, on constate l’essor de cete pratique dans des parcs privés qui proposent la plantation d’arbres personnalisés, ou dans les cimetières publics lorsqu’ ils disposent d’ors et déjà d’un parc arboré, comme au parc cinéraire de 45 hectares du Bono dans le Morbihan. Au bord de la rivière du Bono ce jardin de mémoire qualifié de «serein», loin de l’atmosphère mortuaire habituelle des cimetières, invite à la promenade. Ici, les cendres des défunts, contenues dans une urne biodégradable, sont enterrées sous les arbres. A chaque mort donc son arbre, et donc plus il y a de morts plus il y a de vie paradoxalement. C’est une manière d’assumer cette fatalité tout en offrant un espace de repos et de méditation pour les vivants. «Beaucoup ne savent pas quoi faire des cendres; par dépit ils les jettent à la mer et se retrouvent face à une infinie solitude»60, explique Lionel Le Maguer. Les proches cherchent un «endroit apaisant, ce site est utile pour cela, car ils se reconstruisent mieux»61 après un décès, assure-t-il. Aussi, la présence de l’arbre constitue une sépulture physique à part entière sur laquelle les proches peuvent se recueillir. D’après l’étude BVA de 2018 commandée par la fondation PFG, 66% sont séduits par l’idée de planter un arbre du souvenir.
Pauline PHOUTHONNESY, Funéraire:quel avenir pour nos cimetières ? LaNouvelleRépubique.fr (27 Octobre 2019)
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Auteur anonyme, En Bretagne, un cimetière hors normes où chacun dort sous son arbre, LePoint.fr (25 Octobre 2014) 60
Auteur anonyme, En Bretagne, un cimetière hors normes où chacun dort sous son arbre, LePoint.fr (25 Octobre 2014) 61
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De l’enjeu écologique à la quête de sérénité, le végétal peut-il sauver le cimetière?
Scènes de vie au parc cinéraire de Bono https://reporterre.net / https://www.lexpress.fr
Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
Au delà des avantages et/ou inconvénients qu’entraîne la végétalisation des cimetières urbains à l’échelle des Hommes, ils sont des opportunités essentielles pour une intégration de biodiversité durable dans la ville. En effet d’après une enquête du SIFUREP, les cimetières constitueraient un véritable intérêt environnemental. Lieux peu voire pas éclairés, ils seraient l’endroit idéal pour participer aux migrations ou à la protection de la faune et de la flore. La reconversion de ces espaces encore très minéraux et imperméables aujourd’hui en espaces moins étanches pourrait également contribuer à une meilleure gestion des eaux de surface en réduisant les quantités déversées en égout et le ravinement. Le développement des surfaces gazonnées, plantées et arborées à l’instar des parements imperméables pourrait contribuer à limiter l’effet des ICU (îlots de chaleur urbains) grâce au déphasage thermique, en réduisant les températures diurnes et nocturnes, en humidifiant l’air grâce à l’évapotranspiration des plantes tout en facilitant l’aération de l’espace. Quel que soit le mode de végétalisation appliqué, les attentes des visiteurs se portent tout d’abord sur la practicité de l’infrastructure, en terme d’équipement (points d’eau, matérial de jardinage etc...) et de mobilier (bancs, poubelles etc...) selon l’étude du CREDOC. Conscients de cet enjeu, certains architectes et designers ont développé des projets parfois étonnants pour répondre à ces nouvelles exigences. Andrée PUTMAN propose par exemple un projet intitulé «Nécropolis» qui requestionne la place du banc dans un cimetière. Elle dessine un espace propice à la méditation, au recueillement et à la discussion en installant un banc sous un murier, dans un espace gazonné entouré de marbre. La hauteur amenée par cette bordure permet de séparer l’espace méditatif du reste du cimetière et ainsi appliquer une forme de distance et d’intimité entre le passage et le recueillement.Le dispositif est petit et est donc facilement transposable en ville. La disposition et le nombre de ces aménagements sont importants et participent à la perception du cimetière. En effet, le gardien du cimetière de Cusset m’expliquait qu’ «Ici à Villeurbanne on a pas mal de choses à disposition, pour les personnes qui sont à mobilité réduite ou qui ont un handicap ou les personnes âgées ou peu importe, c’est pas une question d’âge c’est une question de mobilité. Donc comme vous pouvez voir derrière vous on a un fauteuil roulant à disposition, une voiturette [...] on a des petits chariots où les gens peuvent mettre leur arrosoir, leurs plantes, leurs fleurs la terre pour qu’ils viennent entretenir leur tombe. On a aussi des balayettes, des balais, une pelle, quelques petits articles pour jardiner vite fait qu’on met à disposition des gens et ils sont bien contents en fait de ces petits services là. Ils vont pas forcément ramener un balai, ça leur facilite.»62.
Extrait tiré de l’entretien tenu avec le gardien de l’ancien cimetière de Cusset de Villeurbanne (23 Juillet 2020)
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Ces équipements doivent en effet répondre aux exigences de recueillement et d’entretien des tombes et de l’espace du cimetière. Leur disposition est réfléchie comme me le confiait le gardin « Le truc ce n’est pas de mettre un banc devant chaque tombe, mettre des bancs c’est surtout pour que la personne qui a finit de se recueillir puisse s’asseoir pour se refaire un peu, retrouver de la force pour repartir en fait. Donc c’est pour ça que ces bancs sont dispersés, ne sont pas devant ces concessions mais plutôt dans les allées ou dans l’espace cinéraire et le jardin du souvenir. Et je crois qu’il y a des bancs aussi contre les murs.»63. Dans la même veine que le mobilier urbain, les sépultures elles-mêmes et l’art funéraire en général sont repensés pour répondre aux problématiques contemporaines. En effet l’essor des cimetières écologiques est en partie dû à la recherche des concepteurs de sépulture afin de proposer des tombes biodégradables. Au delà des enjeux écologiques, c’est surtout l’aspect mercantile de ce nouveau marché qui les intéresse, à mesure que le respect de l’environnement est le premier des critères d’achat des Français de 40 ans et plus avant le critère du prix selon une étude du CREDOC réalisée en 2009. En conséquence, beaucoup de concepteurs proposent désormais des alternatives écologiques aux produits traditionnels. On trouve ainsi des cercueils fabriqués en bois extrait de forêts durablement gérées, des cercueils en papier recyclé, des cercueils en carton, des urnes en bambou non traité, des urnes à base d’argile ou encore des urnes à base de plantes. La multitude de ces propositions est encourageante et prouve que le facteur écologique tend à prendre d’autant plus d’ampleur dans les années à venir, néanmoins, les produits funéraires plus classiques ne jouissent pas de la même diversité. En effet, alors que l’art funéraire du XIXe siècle était foisonnant et recherché, on remarque une forme de standardisation au XXe siècle. Ce renversement s’explique d’une part par les progrès technologiques de la société industrialisée mais aussi et surtout par le bouleversement opéré sur la perception de la mort. A mesure que les familles s’interdisent le deuil et que la mort devient tabou, le cimetière prend sa forme actuelle, organisé selon des divisions, des carrés, des rangées et les tombes se dépersonnifient. Les sépultures sont construites en série, selon des modèles répétitifs peu ornementés. Le granit, poli de préférence, est choisi car il est résistant, économique et facile à nettoyer. Catherine Michel est très revendicative sur ce point. Elle affirme en effet que
Extrait tiré de l’entretien tenu avec le gardien de l’ancien cimetière de Cusset de Villeurbanne (23 Juillet 2020)
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«L’art funéraire est d’une misère navrante»64. Elle et Catherine Masson regrettent le manque d’innovation, de renouvellement et d’audace vis à vis de ces produits qui mériteraient une personnalisation plus forte. En effet, alors que l’art funéraire du XIXe siècle intégrait «une stèle pour écrire le nom, deux acrotères par référence antique, une couronne qui signifie l’infini»65 et agrémenté «de sabliers, chouettes ou fleurs»66, l’offre d’aujourd’hui est bien plus modeste. Malgré les offres commerciales proposées par les pompes funèbres pour personnaliser la sépulture, on conserve une impression de standardisation globale. On retrouve en général une dalle surmontée d’une stèle qui porte des inscriptions gravées du nom du défunt, de ses dates de naissance et de décès, parfois un titre et même des épitaphes. L’ensemble est complété de fleurs et de plaques achetées dans les pompes funèbres ( ou à Gifi pour 5 euros comme j’ai pu le voir dernièrement....) et amenées par les visiteurs au fur et à mesure. Catherine Michel invite donc à aller «vers une plus grande personnalisation, oser les graphs, oser de la couleur pour les cercueils, revendiquer des choses moins anonymes»67. On retrouve tout de même un paradoxe entre cette dernière phrase et ce qui a été dit précédemment au cours de cette étude. Catherine Michel appelle à une diversification et une personnalisation des sépultures, alors que certains cherchent au contraire à disparaître en laissant le moins de trace possible. Cela pose la question de savoir ce que souhaitent les morts et ce que souhaitent les vivants. En effet, une famille peut décider d’ériger une tombe fastueuse et ostentatoire alors que le défunt ne souhaitait au contraire que disparaître dans la masse. En effet les nouvelles générations tendent à préférer des sépultures plus modestes aux imposantes tombes en granit. Pour pallier à cette standardisation des sépultures, des designers proposent régulièrement des projets de sépultures originales et créatives. Ces projets sont poétiques, loufoques ou même parfois revendicateurs. En effet, beaucoup cherchent tout simplement à ramener la mort dans notre vie, à travers des propositions faisant appel à des références du quotidien. Christophe OUHAYOUN Extrait tiré de l’étude Cimetières, un objet en mutation de Catherine Panassier (Août 2013) p.64
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Joël JALLADEAU, De « l’égalité relative » des défunts…ou l’art funéraire, miroir social, Jalladeauj.fr (2016)
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Joël JALLADEAU, De « l’égalité relative » des défunts…ou l’art funéraire, miroir social, Jalladeauj.fr (2016)
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Extrait tiré de l’étude Cimetières, un objet en mutation de Catherine Panassier (Août 2013) p.64
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Ensemble des pierres tombales proposées sur un site de vente de marbrerie funéraire https://funelior.fr
Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
par exemple développe le principe de «tombe de proximité» dans une morphologie rappelant le Walk of Fame de Hollywood où les étoiles sont remplacées par des croix ou des inscriptions. Cette installation se pose la question du repos près de chez soi et non pas dans un cimetière dont la proximité peut être discutable. Marianne ABERGEL s’attache quant à elle d’avantage à l’aspect romantique que porte la sépulture. Elle conçoit ainsi une tombe carrée en marbre d’un mètre de côté coiffée d’un panneau solaire permettant de recharger une diode clignotante disposée au sein de la stèle. Cette diode se trouve à l’emplacement du coeur du défunt sur la photo qui se met alors à palpiter. Projet très poétique, il allie technologie, crémation grâce à l’emplacement prévu à cet effet, recueillement et écologie. Dominique VITTI et Anne-Charlotte ZANASSI s’illustrent tous deux dans l’élaboration de projets faisant appel au végétal. Le premier grâce à l’insertion du corps dans un tube relié à un arbuste, qui va alors grandir grace à l’humusation de la dépouille. Le second utilise des urnes funéraires en résine phosphorescentes disposées sur les branches d’un arbre qui, au fur et à mesure, grandira jusqu’à finalement faire disparaître les cendres dans ses feuilles. Nous pouvons encore citer d’autres projets encore plus créatifs : la tombeaquarium de Julien ZANASSI, la tombe salle à manger de Marie-France DE SAINT FELIX, la tombe en verre de Philippe DEMOUGEOT etc... La pluralité de ces propositions nous amène à penser que ce secteur est potentiellement porteur d’une réelle diversité. Les formes classiques des sépultures ne sont pas immuables et peuvent évoluer vers de nouvelles formes et matériaux. Malgré ce renouveau potentiel, les projets se doivent de répondre aux attentes incombées par la mort mais aussi par la vie. En effet, il est crucial d’intégrer à la fois la fonction purement sépulcrale de la tombe mais aussi la fonction de recueillement et d’entretien pour les familles. Une sépulture est l’occasion de déposer des fleurs, des photographies, des plaques commémoratives ou tout autre objet permettant d’honorer le défunt. Seulement, certains procédés aujourd’hui semblent s’affranchir de cette fonction en proposant des sépultures qui ne permettent pas de déposer des objets pourtant nécessaires au processus d’appropriation des familles.
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La nécessité de repenser l’art funéraire hors des standards
Sépulture originale de Marianne ABERGEL Photographie extraite du livre «Architectures pour une dernière demeure» de Francis BLAISE
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J’ai pu constater cette problématique au Cimetière de Villeurbanne, où des colombariums avaient été installés le long des murs d’enceinte. En effet, face au manque de place de ce cimetière comptant pourtant 12 hectares, la municipalité avait lancé un appel d’offre. Le lauréat a proposé de placer une installation combinant plusieurs colombariums sur 3 étages pour pallier à la saturation du cimetière. Seulement, l’installation ne prévoyait qu’une tablette très fine ne permettant pas de déposer beaucoup d’objets personnels. Aussi, les plaques dorées étaient toutes les mêmes, seule l’écriture gravée était personnalisable. «Plus on va mettre grand plus les gens vont mettre dessus. A la base les enfeus c’est pas trop fait pour décorer. Donc on met une fleur mais pas des pots parce que ce n’est pas fait pour ça. Il y a des gens qui amènent quand même et comme ils ne peuvent pas mettre sur le rebord ils le mettent en dessous à même le sol. Il y a un gros arbuste , un rosier je crois comme ça. C’est l’intention qui compte.». Le gardien du cimetière soulève ici la problématique de ce genre d’installation : bien qu’il n’y ait pas de place, les familles amènent tout de même des fleurs et objets et les déposent à terre au lieu de les déposer sur la sépulture. Ainsi bien que l’espace ne soit pas fait en ce sens, les visiteurs s’adaptent et contournent l’aménagement prévu. Cela nous pousse à réfléchir à une conception en adéquation avec la demande pour ce type de sépultures à mesure qu’elles sont amenées à être de plus en plus fréquentes. Effectivement depuis quelques années, on tend à une verticalisation des sépultures pour pallier à la saturation des cimetières. Parmi elle on distingue le colombarium, dérivé du latin columba, signifiant niche de pigeon. Il est composé de niches individuelles dans lesquelles se loge de une à quatre urnes. Il s’élève en général sur trois à quatre niveaux pour rester à hauteur d’oeil et de portée. Sa porte est en général ornée d’une plaque sur laquelle sont gravés le nom et prénom du défunt ainsi que ses dates de naissance et de décès. Ce mode de sépulture se développe dans tous les cimetières car il est facile à mettre en oeuvre, notamment lorsqu’il est placé en périphérie. Il répond également à l’essor de la crémation en complément avec les cavurnes et les jardins du souvenir. Les cavurnes sont de petits caveaux permettant d’accuellir une ou plusieurs urnes contenant les cendres d’un défunt en pleine terre. Le jardin du souvenir est quant à lui une aire de dispersion des cendres en pleine nature directement intégré au cimetière. Incarnant un lieu précis, il fait office de sépulture pour plusieurs familles en un même espace défini. Ces trois modes sépulcraux permettent de gagner énormément de place par rapport à une tombe individuelle. En effet là où cette dernière occupe en général 2m² pour un défunt, le colombarium occupe 0.24 m² pour 4 défunts, les cavurnes occupe 1 m² pour 1 défunt et le jardin du souvenir un nombre indéfinissable. Néanmoins la verticalisation du mode sépulcral est particulièrement démocratisé et ne s’arrête pas seulement à la crémation. En effet, de la même manière que les colombariums verticalisent l’inhumation des 154
La verticalisation des cimetières, une solution à la saturation qui prend différentes formes
Columbarium de l’ancien cimetière de Cusset de Villeurbanne Photographie personnelle
Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur
urnes, les enfeus verticalisent l’inhumation des corps. On n’enterre alors plus réellement les défunts mais on les superpose dans des niches funéraires à fond plat hors sol. Néanmoins ces aménagements ne constituent pas une solution suffisante lorsqu’ils s’implantent dans des villes où la saturation est réellement critique. Pour pallier à cette problématique, la verticalisation prend la forme de véritables constructions étagées à la manière d’immeubles de logements. Les cimetières dits «verticaux» ne sont pas nouveaux, ils sont même nombreux en Italie notamment, mais c’est le changement d’échelle de la pratique qui devient foncièrement intéressante. Cette solution offre, de manière évidente, des qualités rationnalistes essentielles dans des espaces urbains restreints et denses. Le premier exemple de ce genre est le Mémorial Nécropol Ecumenica situé à Santos au Brésil dessiné par l’architecte Pepe Alstut en 1983. C’est un édifice de trente-deux étages culminant à cent huit mètres de haut, comparable à la tour Oxygène de Lyon atteignant cent dix-sept mètres. Articulé en plusieurs ailes, le bâtiment absorbe près de 25 000 tombes sur plus de 40 000m². Son concepteur, Pepe Alstut, explique que pour lui «c’est insensé que nous vivions les uns au-dessus des autres dans des tours et que nous mourions ensuite dans des villas. Si nous vivons les uns au-dessus des autres, dans ce cas nous pouvons aussi reposer les uns au-dessus des autres.». Aujourd’hui encore, il est le cimetière le plus haut du monde selon le Guinness Book mais il n’est pas le seul exemple de cette nouvelle typologie. De la même façon, un exemple de cimetière vertical se dresse en Israël à Jérusalem. Le Judaïsme est la religion dominante dans ce pays (81% de personnes de confession juives recensées) et régit en grande partie le fonctionnement de cet état. Les cimetières se trouvent impactés par cette domination juive, qui se révèle complexe et très présente en matière d’inhumation. En effet, la religion juive préconise l’inhumation comme pratique funéraire lors d’un décès et décrit tout un système de rites à appliquer pour l’accompagner. La mort est un élément très important dans cette religion, ce qui se ressent dans l’élaboration et la conservation des cimetières d’Israël. En effet, il est interdit de détruire les cimetières déjà existants dans le pays, entrainant alors une perte de place énorme en faveur des nécropoles, parfois constituées de tombes vieilles de milliers d’années. De ce constat, les architectes Israëlites ont cherché de nouvelles solutions adaptées à ce site à la fois chargé de contraintes démographiques, géographiques mais aussi sociologiques de par la pression de la communauté du rabinat dans le pays. L’architecte Tuvia Sagiv a donc proposé un complexe de cimetières à étages pour apporter de manière fonctionnelle et rationnelle le maximum d’espace dédié à l’inhumation. Cependant, l’exercice s’est avéré périlleux de par les coutumes strictes imposées par le judaïsme. En effet, les cimetières verticaux reposent la question de la tradition d’être «enterré», c’est à dire être enseveli sous la terre. 156
La verticalisation des cimetières, une solution à la saturation qui prend différentes formes
Etre enterré dans le sens propre du terme est une notion essentielle dans les coutumes judaïque, car la religion impose un contact direct du défunt avec la terre mère. De ce fait, les architectes et concepteurs du cimetière vertical se sont trouvés face à la complexité de l’exercice : être enterré dans l’air. La première solution aurait été de créer des réservations suffisament épaisses pour enterrer le cercueil dans une sorte de coffrage de terre, mais celle-ci aurait été très couteuse et aurait nécessité un effort structurel trop important pour soutenir le poids de la terre très dense. La solution trouvée par Pepe Alstut détourne en fait le sens propre imposé par le judaïsme de la mise en terre en optant pour l’élaboration d’un système de canalisations reliant les tombes à la terre. En pratique, chaque tombe est liée à un tuyau empli de terre descendant jusqu’au sous sol : de ce fait les défunts ont une relation directe à la terre sans pour autant être complètement ensevelis. Cette solution a été approuvée par le rabinat, et est donc en concordance avec les différents facteurs influant sur le projet. On retrouve également un exemple de ce type France à Marseille depuis 1972. Il s’agit d’un ensemble de cinq bâtiments atteignant 8 étages, ainsi que deux autres bâtiments de quatre étages dessinés par l’architecte René Durandau. Ils sont surnommés «Cathédrale du Silence» ou encore «HLM de la mort» de par leur architecture s’apparentant aux HLM des années 60 comprenant des escaliers, des paliers et des balcons. Ils constituent une solution au manque de place en apportant 15 000 nouveaux emplacements sous forme d’enfeus. Dans cet ensemble, nous retrouvons cinq bâtiments en «H» de huit étages et deux barres de quatre étages. L’ensemble est entièrement ouvert sur l’extérieur, apportant ainsi un vrai lien entre le cimetière et le paysage environnant à travers la structure répétitive. Les flux d’air sont canalisés au centre du bâtiment, en relation directe avec les enfeus qui les entourent. Les couloirs de circulation donnent directement sur l’extérieur, sans avoir aucun contact avec les flux d’air de ce fait. Les enfeus sont tramés à raison de trois cases par niveau, pour conserver une hauteur atteignable pour les visiteurs. L’effet de répétition à la fois des bâtiments, des baies, des couloirs, de la structure ainsi que celle des enfeus accentue l’effet monumental de l’ensemble, dans une composition presque classique qui réutilise l’idée du déambulatoire avec ses arches. Le cimetière d’Armea en Italie conjugue quant à lui la pratique d’inhumation «classique» avec l’introduction de la verticalité. Achevé en 2003, ce projet d’extension propose un parcours en trois étapes pour le défunt avec un passage du personnel au collectif. Dans un premier temps, le défunt est inhumé pendant 40 ans dans l’aire prévu à cet effet. Les sépultures s’agencent comme des courbes ondulant autour de l’ossuaire vertical, créant une forme de topographie souple qui anime l’espace. Le défunt est ensuite transféré pendant 40 années supplémentaires dans une des niches de l’ossuaire avant de rejoindre l’ossuaire 157
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collectif placé dans le cloître. Ici la tour-ossuaire fait office de grande sépulture commune et requestionne la relation entre personnel et collectif. L’ensemble est traité dans une volonté de pureté et de sobriété par l’utilisation du béton et de la pierre dans des teintes blanches. L’aspect solennele et reposant du lieu est appuyépar la végétation qui a poussé au fil des années et qui anime la composition avec les couleurs des fleurs et des arbres. Au delà de l’aspect purement fonctionnel de ce type de construction, la verticalisation de la pratique permet également une stratification des fonctions. Il est intéressant de voir comment la pratique du cimetière vertical, initialement créée pour apporter de l’espace pour les morts, a évolué pour apporter de la place pour les vivants. De plus en plus, ces cimetières tendent à apporter de nouveaux usages réservés à la pratique des vivants. Au Brésil, le Memorial Necropole Ecumenica absorbe par exemple les espaces d’inhumation, des chapelles, mais aussi un jardin et un bar terrasse où les visiteurs peuvent se restaurer. Ce memorial est en fait très populaire et touristique désormais, et attire de plus en plus de visiteurs fascinés par l’ampleur de ce projet si particulier. Cette problématique de la mixité des usages est certainement à développer et intéresse de nombreux concepteurs qui cherchent à ramener les cimetières sur le devant de la scène. Cette posture cherchant à ramener la mort au coeur des villes est une problématique que l’étudiant norvégien Martin McSherry a traité lors de l’élaboration de son projet de cimetière vertical. La Norvège est elle aussi dans une situation de surpeuplement et de densité assez critique, poussant les concepteurs à réfléchir à l’élaboration de nouvelles solutions. Martin McSherry à l’occasion de son projet de fin d’étude, s’est interessé à cette problématique et s’est attaché à résoudre une autre composante très actuelle : l’évolutivité du bâti.La problématique du manque de place n’étant pas nouvelle et n’étant pas prête de disparaître, il a inventé une nouvelle sorte de cimetière vertical adaptatif et en continuelle évolution. Son bâtiment est un immeuble en verre à plan libre utilisant un système poteau poutre libérant des plateaux sans encombre complètement ouverts sur l’extérieur. Ces plateaux viennent abriter divers usages complémentaires mais aussi indépendants : des espaces de sépultures à cercueil non enterré, des espaces verts, des promenades, des cafés etc... il réutilise parfaitement la notion de mixité des usages verticale en attribuant des usages définis à chaque plateau. La particularité de son projet vient donc de son adaptation permanente à la hausse du nombre de décès. Plutôt que de considérer son bâtiment comme un objet fini ayant une capacité maximale d’accueil, il l’a pensé comme un élément pouvant évoluer à mesure que le nombre de morts augmente. Pour ce faire, il a imaginé une grue faisant partie intégrante du bâtiment, dont la fonction est de placer les tombes au fur et à mesure sur les emplacements qui leur sont alloués. Pour McSherry, le décès de chacun est une fatalité qu’il faut arrêter de cacher aux 158
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yeux de tous, mais plutôt assumer et ramener en ville, c’est pourquoi son objet architectural est représenté en pleine ville. Il s’agit d’un projet certes utopique, mais il nous amène à réfléchir à une évolutivité des cimetières, trop souvent ancrés, inchangeables et inchangés, qui ne s’adaptent plus aux conditions actuelles. De la même manière, l’agence Smoothcore architects présente en 2010 un projet évolutif et non figé qui anime le programme du cimetière. A l’occasion du concours Rio Tower, les concepteurs proposent une tour de 111 mètres de hauteur à dont la façade est animée par les visiteurs. En effet, les familles viennent se recueillir au bord du lac à des bornes interactives reliées aux tombes qui allument un des 4 000 pixels de la façade. Celle-ci se teinte d’un camaieu de orange faisant référence à la flamme d’un cierge. Ce projet combine réalité et virtualité et a intégré la digitalisation au coeur même de la conception. En perpétuel changement, la façade s’anime et anime également la ville, permettant de mettre en lumière à la fois physiquement et psychologiquement le cimetière. Car en effet, la verticalité de ce type de construction agit comme un phare dans la ville, ramenant le cimetière au coeur de la vie. En complète opposition avec la conception de cimetières cachés en périphérie, ces projets cherchent au contraire parfois à être vus. On le remarque bien à Santos où la tour domine la ville ou dans le projet de Martin McSherry. D’autres comme les cathédrales du Silence à Marseille cherchent plutôt à s’éclipser en adoptant la typologie architecturale des immeubles environnants. Pourtant, malgré cet effort d’implantation, le voisinage reste indisposé par la vue sur la mort.
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memorial necropol ecumenica Santos ( Brésil) Juan NAVARRO
yarkon cemetery Jérusalem ( Israël) Tuvia SAGIV
cathédrales du silence Marseille ( France) Tuvia SAGIV
cimetière d’armea
Sanremo (Italie) Aldo AMORETTI/ Marco CALVI
cimetière de modène Modène (Italie) Aldo ROSSI
vertical cemetery project Oslo (Norvège) Martin MCSHERRY
Conclusion
Le cimetière est donc un espace métamorphe façonné par les enjeux qui lui sont contemporains car il s’adapte perpétuellement aux obstacles qu’il rencontre. La maladie, l’hygiénisme ou les conflits religieux n’ont pas eu raison de lui et il a toujours su se réinventer. A travers sa morphologie, son implantation, son expression artistique, on peut comprendre comment les grands événements qui ont marqué la France ont également marqué l’espace funéraire. Element essentiel dans la culture de l’Homme, sa longévité et sa permanence sont pourtant aujourd’hui remises en question et sa légitimité est requestionnée. Menacé par sa mauvaise réputation, sa saturation et la digitalisation, il se doit de se saisir des enjeux contemporains et à nouveau se renouveler. Tout de même sauvé par sa patrimonialisation progressive, l’apparition de nouveaux usagers, l’essor de nouveaux modes sépulcraux, la persistance d’une forme de rituel et l’émergence de nouvelles formes d’aménagement, s’offrent à lui des solutions architecturales et urbaines lui permettant de retrouver sa place au sein de la société actuelle. Sa réintroduction en milieu urbain, la végétalisation, la verticalisation et le renouvellement de l’art funéraire sont autant de voies potentielles de développement. Les potentielles caractéristiques du cimetière à venir développées ici sont tout de même à nuancer. Ce ne sont pas des solutions toutes faites à appliquer dans chaque cimetière pour assurer son intégration. Les caractéristiques géographiques et culturelles de chaque site d’implantation sont bien évidemment à étudier comme pour n’importe quel projet d’architecture. Il est évident que la construction d’un cimetière vertical est une solution pour contrer la saturation, mais elle n’est pas envisageable partout. Nous l’avons vu à Marseille où les habitants éxècrent ce bâtiment, le qualifiant de «HLM de la mort». Aussi, ces caractéristiques sont à considérer comme des combinatoires : un cimetière paysager peut intégrer une construction verticale comme une construction verticale peut intégrer un cimetière paysager. L’ensemble de ces solutions sont à investir, à explorer peutêtre même à proposer aux futurs visiteurs. En effet la distance entre ce que les usagers souhaiteraient et ce qu’il en est réellement est parfois immense. Le cimetière mérite d’être davantage investi par les communautés qui pourraient en effet le considérer comme un élément de la ville et le traiter comme un élément paysager à part entière. On note quand même une prise de conscience globale concernant l’intérêt et le potentiel du cimetière. La patrimonialisation progressive et l’apparition de nouveaux usagers en son sein sont des indicateurs d’espoir. Aussi, la création de jardins du souvenirs soignés et la végétalisation progressive associée à l’interdiction de produits phytosanitaires sont des actions simples mais jouant en la faveur du cimetière. Ces actions combinées au désenclavement de ces 162
Conclusion
espaces pourraient réelleement avoir un impact sur la perception de ces lieux et par extension pourraient impacter la perception de la mort. Il serait intéressant de poursuivre ce travail sous forme d’une réelle investigation visant à mesurer l’impact de l’introduction du cimetière en milieu urbain. Intégrer le cimetière en ville permettrait-il d’effacer le caractère tabou de la mort? Certaines formes ou aménagement seraient-ils plus propices à son acceptation? Bien entendu, les réponses à ces questionnements ne seraient pas valables à l’échelle mondiale, à mesure que chaque culture et chaque société possède ses propres traditions, mais une étude comparée entre perception de la mort et intégration du cimetière en ville serait intéressante. Une autre piste de développement n’est pas à écarter : l’investissement de bâtiments existants pour y intégrer des cimetières. Cette réflexion n’est pas développée ici par manque de cas d’étude, mais elle apparaît comme une option au vu de ce qui y a été développé. Le cimetière est saturé et les villes regorgent de bâtiments abandonnés parfois de très grande dimensions dont ils ne savent pas quoi faire. Cette solution permettrait d’une part de trouver un programme pour les réutiliser et donc ne pas les détruire et d’autre part de régler la question foncière. Cette intégration dans un bâtiment existant ne dénaturerait alors pas la ville, le cimetière étant contenu en son sein. On retrouve ce type de projets en Italie et en Allemagne notamment où des églises désacralisées abandonnées ont été réinvesties pour intégrer des sépultures. Ces aménagements renvoient à l’Histoire des cimetières intégrés aux églises lors du Moyen-Age et ramènent un aspect sacré à ce programme aujourd’hui laïcisé. Tous les bâtiments ne sont bien entendu pas aptes à recevoir un cimetière, mais cet aménagement ne nécessite pas pour autant des travaux colossaux. En effet, il nécessite seulement un espace permettant une aération constante. Pour le reste comme nous l’avons vu, il peut se développer à la verticale, proposer une mixité, investir différents modes sépulcraux etc... Pour investir cette piste, j’ai décidé de la développer dans le cadre de mon projet de fin d’étude dans le domaine Architecture, Héritage et Durabilité. Ce projet est l’occasion de mettre à profit tout ce que j’ai appris en écrivant ce mémoire. J’ai choisi d’investir la base sous-marine de Saint-Nazaire pour la reconvertir en un complexe funéraire innovant. Erigée en 1941 sur le port maritime de la ville, la base est un monument colossal de 39 000m² qui s’étend sur 300 mètres de façade. Construite par les Allemands pour abriter et réparer les sous-marins de la force de l’Axe dans le cadre de l’édification du Mur de l’Atlantique, sa construction a bouleversé toute la ville de Saint-Nazaire. Après la guerre, le centre-ville est reconstruit loin de la base qui se retrouve totalement masquée et mise à l’écart. Délaissée, elle représente toute la douleur ressentie par les habitants pendant l’occupation. On y voit ici bien évidemment un parallèle avec le cimetière, masqué 163
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en périphérie des villes et délaissé par tous. Et comme le cimetière, la ville n’a pas le choix de se confronter à ce bâtiment massif qui trône sur le port. Une intervention globale est donc nécessaire pour redonner ses lettres de noblesse à la base dont la radicalité pourrait être mise en valeur. Pour ce faire, le programme choisi doit être à la hauteur de la symbolique passée de la base et se plier à son architecture et à sa grande échelle. En intégrant un cimetière à ce bâtiment, l’objectif ici est de renverser le rapport autrefois profondément négatif entretenu avec la mort dans la base pour l’apaiser et le rendre positif.Etant initialement un lieu replié sur lui même et qui excluait toute opinion divergeant de l’idéologie nazie, le cimetière est également un programme qui cherche à être un monde à part dans la ville. Dans ce sens l’aspect introverti du lieu sert ce dessein, mais l’idée serait ici plutôt que d’exclure certaines pratiques, d’en intégrer le plus possible. Pour ce faire on retrouvera toutes les pratiques sépulcrales dites «classiques», mais aussi des pratiques très demandées en France telles que l’intégration de tombes écologiques ainsi que de mémoriaux virtuels. Enfin, on aurait des sépultures plus originales découlant directement du lien étroit de la base avec l’eau et l’air, avec des sépultures flottantes, sur l’eau, dans l’air voir même sous marines. Des espaces annexes dédiés au bienêtre des usagers seront également intégrés pour faciliter leur visite parfois très difficiles. Ce programme répond également à la problématique contemporaine perceptible à Saint nazaire qui souffre cruellement d’un manque de place dans ses deux cimetières intra muros souffrant de pression foncière. Ce projet permettrait de soulager ce problème et permettrait également d’intégrer une maison funéraire, combinant funérarium et crématorium , le crématorium le plus proche se situant à plus de 6km de la ville. Ici encore, l’objectif serait de faciliter au maximum la visite des familles et de combiner les fonctions techniques du lieu à des espaces de service , de recueillement et de cérémonie en toute intimité. En effet à l’image de la base qui s’ouvre uniquement sur l’eau, la maison funéraire cherchera à cadrer les vues et à proposer des espaces intimes propices au recueillement en maximisant le rapport à l’eau, génératrice de sérénité et de recueillement.
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iconographie
p.01 - couverture : illustration personnelle p.09 - Cimetière de Fès (Maroc) : https://hiveminer.com p.13 - Mount Zion Cemetery à New York City - https://paranormalobservations. wordpress.com p.15 - Caveaux médiévaux du cimetière de Toutes-Aides de Saint Nazaire : photographie personnelle p.19 - Allées de l’ancien cimetière de Cusset à Villeurbanne : photographie personnelle p.25 - Dia de los muertos (Mexique) : https://librarymom12.files.wordpress.com p.27 - Plan de repérage des sépultures et coupe de la grotte de la fosse néandertalienne du Mont Carmel : McGown, Bate et Garrod (1937) p.29 - Plan des voies romaines incluant la via Appia : illustration personnelle p.31 - Plan de la ville de Carthage au Moyen-Age : illustration personnelle p.33 - Plan de la ville de Charlieu en 1769 : https://gallica.bnf.fr p.37 - Proposition du Baron Haussmann de la construction d’un cimetière à Méry-sur-Oise pour pallier à la saturation des nécropoles parisiennes p.38/p.39 - Schémas récapitulatifs de l’évolution de l’intégration urbaine des nécropoles/cimetières : illustrations personnelles p.43 - Hypogée à Coizard : https://neolithiquebloag.wordpress.com p.43 - Inhumation dans un ciste de pierre à Thonon : https://multimedia.inrap.fr - Cairn de Gavrinis : https://www.brittanytourism.com - Dolmen de Galitorte : https://decouvrir.blog.tourisme-aveyron.com - Allée couverte de Mougau : https://monumentum.fr - Urne funéraire à Marolles-sur-Seine : https://archeologiefuneraireproto histoire.wordpress.com p.45 - Plan de la nécropole de Vaugrignon : illustration personnelle p.47 - Via Appia Antica : Gabriel-Auguste ANCELET (1856) p.49 - Plan de repérage des sépultures trouvées dans le sous-sol de la basilique Saint-Pierre du Kef (Tunisie) : illustration personnelle - Plan de repérage des sépultures trouvées dans le sous-sol de l’église Saint- Pierre de Vienne (France) : illustration personnelle - Plan de repérage des sépultures trouvées autour du chevet de l’église de Cruas : illustration personnelle - Plan de repérage des sépultures trouvées autour du chevet de l’église de Meysse : illustration personnelle - Plan de repérage des sépultures trouvées autour du chevet de l’église de Montverdun : illustration personnelle p.50/p.51 - Plans d’implantation de cimetières paroissiaux autour de leur église : illustrations personnelles
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p.53 - Gravure du cimetière Saint-Sulpice et de la Foire Saint-Germain : Olivier TRUSCHET et Germain HOYAU (1550) - Gravure du cimetière des Innocents et de la Halle au Blé : Olivier TRUSCHET et Germain HOYAU (1550) p.55 - Plan du cimetière des Innocents au XVIIIe siècle : Theodor Josef Hubert Hoffbauer - Gravures du cimetière des Innocents au XVIIIe siècle : auteurs inconnus p.57 - Plan du cimetière du Père-Lachaise : Alexandre-Théodore BRONGNIART p.59 - Plan du cimetière de Loyasse à Lyon : Auteur inconnu (1834) p.61 - Plan du cimetière de Mount-Auburn : Jacob BIGELOW (1831) p.62/p.63 - Schémas récapitulatifs de l’évolution de la morphologie des nécropoles/ cimetières : illustrations personnelles p.66 - Dessin de la sépulture Shanidar 4 : Arlette LEROI-GOURHAN p.67 - Palynologie de la grotte de Shanidar : Arlette LEROI-GOURHAN p.69 - Sépulture n°5 du site Les Pétreaux (Changis-sur-Marne) : J.‑G. Pariat, S.DAVO - Sépulture Brześć-Kujawski du site de Krusza Zamkova (Kujawie, Pologne) : Gimbutas p.71 - Tombe à char à la Gorge-Meillet : Auteur inconnu p.72 p.75 - Stèle carolingienne : Abbatiale de Saint-Philbert de Grand Lieu - Stèle carolingienne : Collections du musée Carnavalet - Stèle carolingienne : Exposition à l’abbaye royale de Saint-Riquier p.78 - Dans l’ordre de gauche à droite et de haut en bas - Ars moriendi : auteur inconnu - La lutte contre la tentation de vaine gloire : Paragone - Ars moriendi : Meister_E.S. - Ars moriendi : Meister_E.S. - Ars moriendi : auteur anonyme - Ars moriendi : auteur anonyme - Ars moriendi : auteur anonyme - Ars moriendi : André Brocard - Ars moriendi : André Brocard p.79 - épitaphe de Nicolas Flamel : Musée de Cluny p.81 - Cimetière du Père-Lachaise : www.unjourdeplusaparis.com - Cimetière Mount Auburn (Etats-Unis) : www.viinz.com p.82/p.83 - Schémas récapitulatifs de l’évolution des sépultures : illustration personnelle 176
p.92/p.93 - Dans l’ordre de gauche à droite et de haut en bas - Plaque funéraire à figures en terre cuite noire datant de la fin de la période archaïque : auteur inconnu - Cortège funéraire taillé en bas relief sur un sarcophage de la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère : Musée national de San Vittorino, Italie - Scène de libation, médaillon d’un kylix de Macron, v. 480 av. J.-C. : Musée du Louvre - Représentation de Romains en tenue de deuil (toga pulla) : auteur inconnu, https://nereye.com.tr - Reconstitution de la préparation de la défunte de la tombe 189 de Baar : Früebergstraße - Funérailles du roi de Menton 14e siècle : Grand Palais / image BnF - Office des morts : Bibliothèque municipale de Beaune - Tenue de deuil du fils Schwarz XVe : Herzog Anton Ulrich-Museum - Gravure sur bois d’une morgue à l’hopital Bellevue de New York (1866) : auteur inconnu, https://hermoments.com/ - Corbillard hippomobile 1ère classe (1900) : auteur inconnu, https://www. fondationberliet.org - La toussaint : Emile friant (1888) - Dessin des tenues de Deuil : Le petit écho de la mode (1910-1919) p.101 - Captures d’écran des photographies de Vanesse Hudgens : https://www. instagram.com/ p.105 - Dans l’ordre de gauche à droite et de haut en bas - Ville de Hong-Kong : SeanPavonePhoto, https://www.seanpavonephoto. com/ - Cimetière de Hong-Kong : Dale de la Rey, https://www.huffingtonpost.com - Ville de New-York : https://www.professionvoyages.com - Cimetière de New-York: Alexandra Charitan, https://alexandracharitan .com p.108 - Dans l’ordre de gauche à droite et de haut en bas - Argentine : https://fr.theepochtimes.com - Australie : https://en.wikipedia.org - Bolivie : https://bolivia.for91days.com - Bosnie : https://en.wikipedia.org - Brésil : https://kurier.at - Vietnam : https://www.world-tourer.com - Inde : https://news24online.com - France : https://www.sortir47.fr 177
- Grèce : https://en.wikipedia.org - Haïti : https://www.loophaiti.com - Chine : https://www.theguardian.com - Israël : https://www.timesofisrael.com - Italie : http://discoverthetrip.com - Japon : https://unsplash.com - Pérou : https://www.paperblog.fr - Belgique : https://lameuse-luxembourg.sudinfo.be - Espagne : https://daily-norm.com - Philipines : https://www.la-croix.com - Mexique : http://manon-margaux.blogspot.com - Etats-Unis : https://paranormalobservations.wordpress.com - Canada : https://www.tripadvisor.ca - Maroc : https://lemonde-arabe.fr - Portugal : https://footage.framepool.com - Serbie : https://en.wikipedia.org - Suisse : https://www.bernerzeitung.ch - Sénégal : https://www.dakaractu.com - Tunisie : https://en.wikipedia.org - Turquie : https://www.dailysabah.com - Egypte : https://www.tripadvisor.fr p.109 - Dans l’ordre de gauche à droite et de haut en bas - Brest : https://johancolin2.wordpress.com - Agen : https://france3-regions.francetvinfo.fr - Nice : https://www.valeursactuelles.com - Montreuil : https://www.leparisien.fr - Paris : https://fr.wikipedia.org - Meudon : https://www.leparisien.fr - Fréjus : http://www.ville-frejus.fr - Bayonne : https://www.gescimenet.com - Nancy : https://transvosges.wordpress.com - Pau : https://pratique.tourisme64.com - Mirecourt : https://www.vosgesmatin.fr - Belfort : https://www.estrepublicain.fr - Lille : http://cuisinede4sous.canalblog.com - Strasbourg : https://www.dna.fr - Saint-Malo : https://www.letelegramme.fr - Mâcon : http://www.macon-infos.com - Metz : https://www.republicain-lorrain.fr - Dijon : https://www.bienpublic.com - Clichy : https://www.ville-clichy.fr 178
- Le Mans : https://www.patrimoinelemansouest.net - Tours : https://www.lanouvellerepublique.fr - Rouen : http://deville-les-rouen.fr - L’Haÿ-les-Roses : https://www.lhaylesroses.fr - Roubaix : https://www.roubaixxl.fr - Quimper : https://actu.fr - Chatelleraut : https://www.lanouvellerepublique.fr - Grenoble : https://www.grenoble.fr - Limoges : https://france3-regions.francetvinfo.fr - Marseille : https://www.francebleu.fr - Lyon : http://www.lelyondesgones.com p.113 - Schémas de différentes typologies de sépultures : illustrations personnelles p.117 - Schémas explicatifs de l’humusation, l’aquamation et la promession : illustrations personnelles p.120/p.121 - Schémas récapitulatifs de divers modes sépulcraux : illustrations personnelles p.125 - Mémorial virtuel français : https://www.celesteo.com - Mémorial virtuel américain : http://www.begraebnis.at - Mémorial virtuel américain : https://cemetery.org p.129 - Carré confessionnel musulman du Cimetière de Cusset de Villeurbanne : Photographie personnelle p.133 - Plans et photographies des crématoriums de Parme et de Berlin : https:// www.archdaily.com p.135 - Plan et photographies du Crematorium Heimolen : https://www.archdaily. com p.143 - Photographie du cimetière boisé de Stockholm : http://martinrinman. blogspot.com - Photographie du cimetière boisé de Stockholm : http://econoclasm. blogspot.com p.145 - Photographie du cimetière intercommunal de Clamart : https://www. lemoniteur.fr p.147 - Scènes de vie au parc cinéraire de Bono : https://reporterre.net / https:// www.lexpress.fr p.151 - Ensemble des pierres tombales proposées sur un site de vente de marbrerie funéraire : https://funelior.fr p.153 - Sépulture originale de Marianne ABERGEL : BLAISE Francis, Architectures pour une dernière demeure, p.155 - Columbarium de l’ancien cimetière de Cusset de Villeurbanne : photographie personnelle 179
p.160/p.161 - Dans l’ordre de gauche à droite - Memorial necropol ecumenica : https://deadinteresting.blogspot.com - Yarkon cemetery : https://www.timesofisrael.com - Cathédrales du silence : https://hugues.blogs.com - Cimetière d’Armea : https://www.publicspace.org - Cimetière de Modène : https://www.archdaily.com - Vertical cemetery project : Martin McSherry p.165 - Axonométrie du port de Saint-Nazaire : illustration personnelle p.166/p.167 - Photographie de la base de Saint-Nazaire vue depuis l’écluse fortifiée : photographie personnelle
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annexes
Retranscription de l’entretien mené avec le gardien de l’ancien cimetière de Cusset - Villeurbanne Retranscription de l’entretien mené avec Wencélia BONSANG 23 ans, Infirmière Retranscription de l’entretien mené avec Sylvie BERTHIER 56 ans, Anesthésiste Retranscription de l’entretien mené avec Maxime VALCARCE 22 ans étudiant en architecture
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Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
Dans le contexte où moi je suis étudiante en architecture en fait, j’ai déjà fait un rapport d’étude sur le sujet des cimetières, des solutions vis à vis du manque d’espace etc... Et là pour mon mémoire je m’intéresse aux pratiques et justement à l’évolution de l’espace des cimetières. Du coup ce que je fais actuellement c’est que j’observe les pratiques dans les cimetières : combien de personnes vont et viennent sur un certain laps de temps, qui sont ces personnes, que font-elles etc... J’ai choisi ce cas d’étude car il n’est pas loin de chez moi et parce qu’il est relativement grand et parlant. Savez-vous à peu près combien de tombes ou d’espaces funéraires y a-t-il dans ce cimetière? -Euh... espaces funéraires qu’entendez-vous par espace funéraire? - Il y a des petites chapelles, des caveaux familiaux etc... - Combien de tombes qu’il y a à peu près on est à...je sais pas 28 000, 29 000 -D’accord, sur quelle superficie? - On est à 12 hectares ici je crois. - Je me suis baladée et j’ai pu voir qu’il y avait plusieurs espaces définis, c’est un jardin du souvenir par là bas (pointe du doigt) -Oui -Ok, donc il y a un jardin du souvenir, un espace avec des enfeus, les caveaux pour les urnes, les tombes disposées, un espace pour les enfants... - En fait on a un colombarium, enfeus, le carré confessionnel musulman, un carré pour les enfants, un espace de dispersion, un espace cinéraire autour du jardin du souvenir... Voilà c’est tout. Le cimetière est scindé en carrés, en masses. - Avec l’utilisation d’allées et de sous chemins c’est ça ? - Oui -Est-ce que vous observez parfois des personnes qui viennent régulièrement, tous les jours, de manière hebdomadaire etc... - Bah oui, oui oui - C’est plutôt hebdomadaire, journalier...? 184
Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
- Il y a des gens qui viennent tous les jours, il y a des gens qui viennent une fois par an, des gens qui viennent une fois tous les 10 ans... - Vous travaillez ici depuis combien de temps vous ? - Ca va faire 5 ans. - D’accord, du coup ces personnes viennent en majorité pour se recueillir j’imagine mais est-ce que certaines viennent seulement pour se balader? - Se balader je dirais très peu - Et est-ce que des fois vous assistez aux cérémonies et enterrements? - Oui j’y suis obligé. - Est-ce que depuis 5 ans depuis la prise de votre poste vous avez vu une évolution dans les pratiques? -C’est à dire? - C’est à dire pendant l’enterrement, est-ce qu’il y a des choses qui ont changé? Par exemple le rapport à la religion, même si ce changement est un peu plus ancien. - En rapport à la religion il y a des normes françaises hein, après on est un cimetièr laïque alors ça ne se passe pas comme c’es marqué dans la religion peut être, après je ne connais pas leur religion. Mais voilà ici on a des normes françaises qu’on doit appliquer. Après l’évolution non il n’y a pas d’évolution à proprement dit parce que c’est... c’est mmmh... comment dire, ouai c’est la norme quoi. On se fie aux codes et puis à la réglementation en vigueur quoi. - D’accord, les personnes juives n’ont pas de carré confessionnel dédié ? -A l’ancien cimetière non, au nouveau cimetière oui - Est-ce que vous avez remarqué, avec tout ce qu’il se passe en ce moment, une incidence du coronavirus ? - Non - Même pendant le confinement? 185
Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
- Nous étions fermés - Je pensais que certains enterrements avaient quand même lieu - Certains enterrements ont eu lieu mais comme vous l’avez peut être sû c’était limité encore une fois par le gouvernement - Vis à vis de l’entretien du cimetière et de son aspect, j’ai vu qu’il avait été rénové et modifié il y a peu -L’entretien du cimetière est assuré par le service jardinerie de la ville de Villeurbanne qui viennent fleurir et nettoyer, arroser, couper etc.. Et on a un service de cantonnier qui entretiennent le cimetière en passant la tondeuse, la débroussailleuse afin de maintenir le cimetière dans un état accueillant. - Comment se passe le roulement quand la concession d’une tombe prend fin? Est-elle remplacée par une nouvelle? - Elle n’est pas remplacée par une nouvelle, c’est ce qu’on appelle une reprise administrative. - Si je vous dit le mot «cimetière», quels sont les mots qui vous viennent instinctivement comme ça ? - La première chose qui me vient c’est le recueillement - Quel lien entretenez vous avec toutes les instances autour ? Le pôle funéraire, les pompes funèbres etc... est-ce que vous avez l’occasion de pas mal échanger avec eux ? - On travaille dans une relation de confiance, c’est des partenaires avec qui on travaille, on est reliés quoi. Eux sont les pompes funèbres, moi je suis au cimetière, les autres sont au pôle funéraire, d’autres sont des assistants funéraires, on est tous reliés. Chaque corps de métier s’occupe d’une partie bien précise et moi je m’occupe de la dernière partie - Et est-ce que dernièrement dans les cinq dernières années de vos fonctions iol y a eu un changement dans la juridiction ? - Non - Dans le futur est-ce que vous voyez une évolution possible? 186
Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
- J’ai pas d’évolution particulière qui me vient dans les années à venir. (interruption téléphonique) --Vis à vis du futur du cimetière, vous ne manquez pas de place ici du fait de l’autre cimetière? - En fait il y a plus ou moins toujours de la place, parce qu’il y a un renouvellement qui se fait et donc il y a toujours de la place. Mais il y a des choses où nous ne sommes pas très informés. - C’est à dire? - C’est à dire qu’il y a des choses qui... comment dire, c’est plus la réglementation, le service de la réglementation et des concessions, qui gère pas mal de choses et qui après nous envoie les directives pour qu’on puisse préparer, faire . Il y a une traçabilité. - Tout est informatisé ? - Oui voilà. - Est-ce que vous avez un plan ? Le gardien me tend un plan et me montre les différentes parties du cimetière (scan + annotations) Le gardien semble un peu sceptique vis à vis de mon positionnement par rapport à l’univers du funéraire. Il me fait comprendre que pour lui, les architectes ne voient que l’espace sans se soucier du funéraire en tant que tel. - Ce n’est pas «que» ça pour nous, ou plutôt pour moi car je travaille dessus personnellement, je lis des livres de philosophie sur la perception de la mort etc.. et c’est important mais en tant qu’architecte j’en reviens quand même toujours à l’espace, comment il est investi. Les pratiques, les rites , le rapport à la famille sont aussi importants, le rapport au défunt etc... mais c’est vrai que ces sujets sont tellement personnels qu’au final c’est difficile d’en faire une généralité. - Non je veux dire que... hum... ce que je veux dire par là que en fait (commence à dessiner). Vous en fait il y a la construction, l’espace etc... et nous on est les cimetières, gardes, assistants funéraires, vous voyez ce que je veux dire?
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Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
- Non. - Pour moi c’est... d’accord vous allez agencer un cimetière, fait pour accueillir des défuns mais vous n’avez pas le rapport direct, ce n’est pas du funéraire. Ce n’est pas parce que vous construisez un immeuble que vous êtes dans l’immobilier. - Bien sûr, on ne se prétendra jamais en tant que tel d’ailleurs c’est pour ça que pour certains projets nous faisons des entretiens avec des gens, des personnes qui vont s’en occuper, des personnes qui en ont l’habitude parce qu’on ne pourra jamais être des professionnels dans chaque domaine qu’on construit. Si on construit de l’immobilier, puis après un musée on ne sera pas promoteur et muséographe. - C’est ce que je vous dit, là vous étudiez l’agencement ou comment occuper l’espace dans un cimetière. Ca pourrait être dans une ville, dans un quartier, ce n’est pas ciblé que dans les cimetières. C’et pas que de l’agencement des cimetières que vous allez faire, vous serez amené peut être à faire des cimetières mais demain ce sera un parc, une zone industrielle. - Oui mais ils ne seront pas réfléchis de la même manière, vous voyez ce que je veux dire. - Oui après l’approche sera différente mais vous ne serez pas spécialisée dans le funéraire. - C’est compliqué de se spécialiser dans une seule branche, certains le font par exemple dans l’industrie, mais comme le marché entre grands guillemets du funéraire n’est pas énorme, j’entend qu’il y a déjà des cimetières, des pôles funéraires etc... que tout est casiment fait ici et que vous n’avez pas besoin d’un architecte dans ce cimetière là. - Peut être, si vous regardez le plan que je vous ai donné, là c’est le carré confessionnel musulman. On a de espaces vides ici, là, là on a fait le TG enfant, on a un espace ici qui est le stock des marbriers mais ça va être un grand ossuaire avec ossuaire et dispersion éventuellement des cendres pour ceux qui sont pour la crémation. Et là il va y avoir un espace de stockage pour les marbriers. Ici ce sont les colombariums, il y a encore un autre muret qui va être construit ici, le dernier. Donc je pense qu’il y a eu quelqu’un comme vous qui est passé étudier tout ça er éventuellement là on fait une étude pour voir comment on pourra agrandir ou créer un autre espace confessionnel musulman dans cet espace là. Ce qui est casse tête ! Donc c’est là que j’insiste peut être mais dans ces rapports là je dirais que les gens qui construisent ne sont pas des gens qui sont dans le 188
Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
domaine. Par exemple le peintre est aussi capable de peindre le plafond que le mur et que le sol, et ça il est capable de le faire de partout. Je le mets dans un caveau il va me le peindre, je le mets dans un bâtiment il va me le peindre. Il ne va pas faire une spécialisation peintre de caveau, c’est un peintre. Alors un architecte c’est pareil, il va faire un plan aussi bien d’une zonne industrielle que d’un cimetière, il va agencer comme je l’ai dit tout à l’heure pour occuper l’espace et pour que ce soit fonctionnel etc... L’architecte va faire ça aussi bien qu’il va faire un nouveau quartier avec des bâtiments comme le Carré de Soie par exemple. Ici, moi je trouve que ces gens là ils veulent que construire. Je trouve qu’il faut vraiment prendre en compte que là on fait un espace pour accueillir les défunts. Qui dit défunts dit des familles. Qui dit de la famille comme je vous l’ai tout à l’heure au début de l’entretien, c’est des gens qui viennent tous les jours, des gens qui viennent à leur rythme. La considération c’est la partie funéraire. Et c’est des gens quoi, c’est pas des pierres, des chiens, des animaux. Et encore même eux y ont droit (rire). -Je vois ce que vous voulez dire. Typiquement je trouve qu’autour du jardin du souvenir c’est très intéressant parce qu’il y a des bancs disposés autour, ça me paraît bien pour le recueillement, je ne sais pas ce que vous en pensez. - En fait les bancs qui ont été mis là ne sont pas tant pour le jardin du souvenir.. - ... oui c’est pour l’espace cinéraire autour, quand je me suis baladée je me suis justement dit que ça manque d’un espace pour s’asseoir et se recueillir près de la tombe. - En fait il y a des bancs dispersés un peu de partout dans le cimetière - On aurait presque envie qu’il y en ai un devant chaque tombe mais c’est compliqué -Ce ne serait pas possible. Et le truc ce n’est pas de mettre un banc devant chaque tombe, mettre des bancs c’est surtout pour que la personne qui a finit de se recueillir puisse s’asseoir pour se refaire un peu, retrouver de la force pour repartir en fait. Donc c’est pour ça que ces bancs sont dispersés, ne sont pas devant ces concessions mais plutôt dans les allées ou dans l’espace cinéraire et le jardin du souvenir. Et je crois qu’il y a des bancs aussi contre les murs. Qu’est ce que je pourrais vous dire d’autre...Ce cimetière a été créé au début du XXe siècle, fin du XIXe. (cherche des papiers informatifs, type flyers, il m’en tend deux) On est un cimetière naturel, on n’utilise pas de pesticides etc... Me tend un second flyer : Vous retrouverez ici le nom de toutes les personnes 189
Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
célèbres illustres qui sont inhumés ici. (marmonne en cherchant d’autres documents) Ce cimetière est particulier en fait parce qu’avant il se situait dans le quartier de Cusset. Et ensuite il a été déplacé donc ceux qui ont été inhumés ont été exhumés et placés ici, les monuments ont été déplacés jusqu’ici. Vous pouvez le voir il y a des monuents très anciens qui datent d’avant l’ouverture du cimetière. C’est des monumennts qui ont été ramenés parce qu’ils étaient dans le quartier de Cusset. C’est un des plus vieux cimetière, il a été ouvert en ...1895 je crois. Et l’autre cimetière a été ouvert en 1902 ou 1905 quelque chose comme ça. Voilà on a des bornes d’information, enfin on essaie que ce soit un cimetière mais un cimetière un peu vivant entre guillemets pour faciliter l’accès, pour faciliter les informations, l’accueil, accompagner les gens... Voilà.. nous on est très «funéraires» en fait donc les autres corps de métier qui recoupent aussi le funéraire ils reçoivent la famille mais ils reçoivent une fois quoi. - Oui vous êtes amenés à les voir plusieurs fois pour votre part -Oui nous on est amenés à les voir plusieurs fois, pour recueillir leurs doléances, pour recueillir leurs remarques - Quelles types de remarques en général? Sur l’entretien ? - Ouai, sur l’entretien, sur l’entretien du cimetière en général, au sujet de leur tombe, le coût parce qu’il y a un coût, lorsqu’ils veulent faire des travaux les démarches à suivre etc... Donc les pompes funèbres en fait voient ces personnes là une, deux fois, trois fois maximum. Nous on les voit casiment tous les jours pour ceux qui sont habitués. Ce matin quand moi j’ai ouvert il y avait déjà deux personnes qui attendaient, des habitués. - Oui, ceux qui viennent à huit heures tapantes -Oui, j’ouvre à 8 heures mais ils sont là à 7h30 -Et c’est plutôt des personnes âgées en général ? - Oui oui, c’est des personnes âgées, c’est des personnes qui ont besoin de se recueillir ici tous les jours, c’est des gens qui ont vécu avec une femme ou un homme très longtemps dans leur vie quoi. Ils se sont mariés etc.. L’homme qui était là ce matin il a 60 ou 80 ans , voilà il a été marié 40 ou 50 ans et tous les jours il vient, tous les jours. Et puis il y en a d’autres aussi, voilà c’est assez varié, il y en a qui viennent le matin, d’autres l’après midi, il y en a qui viennent plusieurs fois par jour. C’est divers et varié ici mais après vous c’est plus construction 190
Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
agencement? -Non, non non pas forcément justement, c’est intéressant de voir quelles personnes viennent, de quoi ils ont besoin parce que voilà si on se dit qu’on a des personnes de 70-80 ans ça veut dire que parfois ça peut être un peu compliqué de marcher, d’avoir accès aux arrosoirs ce genre de choses. -Ici à Villeurbanne on a pas mal de choses à disposition, pour les personnes qui sont à mobilité réduite ou qui ont un handicap ou les personnes âgées ou peu importe, c’est pas une question d’âge c’est une question de mobilité. Donc comme vous pouvez voir derrière vous on a un fauteuil roulant à disposition, une voiturette, là elle est HS donc on ne peut pas emmener les gens. Voilà on a des petits chariots où les gens peuvent mettre leur arrosoir, leurs plantes, leurs fleurs la terre pour qu’ils viennent entretenir leur tombe. On a aussi des balayettes, des balais, une pelle, quelques petits articles pour jardiner vite fait qu’on met à disposition des gens et ils sont bien contents en fait de ces petits services là. Ils vont pas forcément ramener un balai, ça leur facilite. Quoi vous dire d’autre... - Mais vous votre travail en fait c’est de rester là mais aussi d’accompagner les gens j’imagine ? - Mon travail... il est divers et varié (rire) , moi je suis là pour veiller à ce que les gens qui sont là ne soient pas trop dérangés, veiller à ce que les réglementations et les normes soient respectées. Il y a une réglementation en vigueur au niveau funéraire en France qu’il faut appliquer donc moi je suis là, mes collègues aussi pour faire appliquer ces réglements là et les faire respecter. - C’est quel type de réglementation? -Par exemple la profondeur de creusement, comme vous avez pu le voir hier c’était pas pour enlever c’était pour creuser. Donc voilà les dimensions du creusement, la profondeur, la longueur, la largeur, que ce soit dans des normes françaises, pas européennes. -Au niveau européen il y a des directives aussi j’imagine - Ouai il y a des directives différentes selon le pays - Et en France c’est plutôt souple? - Je ne sais pas comment ça se passe dans les autres pays mais je sais que par exemple en Algérie ou au Maroc , dans les pays du Maghreb en général ils n’ont 191
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pas de cercueil en fait. - Oui ils ont seulement un linceul - Oui voilà, alors que c’est strictement interdit en France. - Oui bien sûr, pour la pollution des sols etc.. - Pourquoi ça polluerait en France et pas en Algérie ou au Maroc. Je ne pense pas que ce soit une question de pollution, mais plutôt une question de laïcité je pense. Je pense qu’ils mettent ça dans un linceul pour des questions de religion quoi. - Oui c’est une recherche de simplicité normalement, être enterré simplement dans un linceul entre guillemets, c’est plus humble on va dire et modeste, mais c’est religieux -Oui c’est d’abord religieux. Moi je préfère qu’on enterre les gens dans un cercueil que dans un linceul, je trouve que c’est plus digne. - Oui ça c’est tout un chacun sa version. - Moi je suis laïque et je me bats pour que le cimetière puisse le rester. - Vous voulez dire enlever les carrés confessionnels ? - Oui, je trouve que de notre vivant on est assez scindés, communautaires, alors que c’est un des seuls endroits où il n’y a pas de valeurs. On peut être riche, pauvre et le seul endroit où la religion ne devrait pas y rentrer en fait. N’importe qui peut se balader et avoir à côté de soi un musulman, de l’autre côté un juif et on ne doit pas avoir de carré de distinction. Parce qu’après ça fait des tensions, diversions , c’est pas fait pour apaiser quoi. Au contraire on sépare encore les gens quoi. Toi t’es musulman tu vas là bas, toi t’es pas musulman tu vas là bas , oui mais moi comme j’ai envie d’aller là et puis après aller là... moi je trouve ça ridicule. - Après à Villeurbanne c’est vrai que la demande a dû être forte. Il y a quand même beaucoup de cimetières en campagne qui n’en ont pas au final. - Il y en a de plus en plus, dans les campagnes il y a moins de communauté donc voilà, et ces petites communautés là ne se prennent pas la tête à aller demander donc la plupart se font enterrer dans le pays d’origine et souvent l’Etat rapatrie 192
Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
ces défunts. Je sais qu’en Algérie l’Etat aide au rapatriement des défunts sur le sol musulman. -C’est vrai qu’en regardant le tissu du cimetière d’un coup on a le carré confessionnel. - Moi je trouve ça ridicule. je trouve qu’on s’est battus pour qu’on puisse vivre au delà de la religion, qu’on puisse vivre sans barrière de la couleur de peau ou d’origine ethnique ou quoi que ce soit. Dans le cimetière c’est encore pire quoi. Alors pourquoi essayer de se battre de son vivant pour être accepté comme on est et à sa mort il y a une séparation. - Je pense que ça fait partie des choses qui ne vont pas être amenées à changer prochainement - Vous me demandiez tout à l’heure est-ce qu’il y a des choses qui vont changer, non ça ne va pas changer,ça fait 50 ans que ça dure il n’y a rien qui sera changé. - Sait-on jamais - Non parce que c’est pas la politique qui est menée en fait. La politique c’est plus une politique communautaire, ils vont avoir plus de carrés confessionnels dans les cimetières, il y en aura plus. Comme maintenant il y aura plus de colombariums dans les cimetières aussi. - Ca vous voyez une évolution? Ca fait un moment maintenant que la crémation est installée. - Oui elle est bien répandue et je pense que les gens se dirgient vers ça pas par confession mais parce que c’est moins onéreux. C’est 3 ou 4 fois moins cher. Les pompes funèbres avec un cerceuil l’enterrement tout ça ça fait bien 3000 4000 euros. Pour une crémation il faut compter 1000 euros. Donc les gens se dirigent plus vers ça parce que c’est moins cher. Après il y a des gens qui ont des principes ou des convictions qui sont contre la crémation donc ils ne se feront jamais crématisés, il se feront inhumer de façon normale entre guillemets. Alors que d’autres ont d’autres façon de voir les choses. Soit ils se font crématiser et mis dans un colombarium soit ils se font crématiser et après dispersion des cendres. Donc ils ont pas d’endroits où ils peuvent aller se recueillir comme sur une tombe ou dans un colombarium, le jardin du souvenir c’est plus anonyme. On tient à jour les personnes qui sont dispersées dans le jardin mais on n’a pas de plaque disant «cette personne repose ici», on a ça dans les registres.
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Entretien du gardien de l’ancien cimetière de Cusset (Villeurbanne)
- Et ca se répand beaucoup le jardin du souvenir? - Oui oui il y en a pas mal - J’ai vu quand même qu’il y avait quelques fleurs - Oui parce que les gens viennent avec des fleurs et ils posent soit à l’endroit où ils ont dispersé les cendres soit ils les posent là car ils ne savent plus exactement où c’est. Le principe de dispersion n’est pas un dépôt donc les gens déposent au pied de l’arbre ou quoi seulement pour le geste. On a aussi des enfeus, c’est moins anonyme il y a une plaque avec le nom de la personne, les gens amènent des fleurs, des sujets, des plaques pour la mémoire. - Les tablettes sont vraiment fines pour le coup j’ai trouvé ça dommage, on a envie d’un peu plus d’espace pour que les gens puissent poser plus de choses, sur certains on voit que ça déborde. - Oui mais c’est pas trop fait pour ça en fait, plus on va mettre grand plus les gens vont mettre dessus. A la base les enfeus c’est pas trop fait pour décorer. Donc on met une fleur mais pas des pots parce que ce n’est pas fait pour ça. Il y a des gens qui amènent quand même et comme ils ne peuvent pas mettre sur le rebord ils le mettent en dessous à même le sol. Il y a un gros arbuste , un rosier je crois comme ça. C’est l’intention qui compte et puis c’est sympa c’est agréable. Que vous dire d’autre.. comme vous pouvez voir sur le plan que je vous ai donné c’est repertorié avec des blocs et des masses. En bas c’est pour nous les gardes, les carrés ou les masses, ça c’est les blocs. Le C se retrouve dans le bloc D. C’est pas très loguque la façon dont ça a été fait et agencé. (rires) - C’est vrai que le C dans le D...(rire) -Voila ! - Eh bien merci beaucoup en tout cas c’était très instructif.
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Entretien de Wencélia BONSANG
- Du coup je te laisse te présenter. - Je m’appelle Wencélia, j’ai 22 ans, je suis infirmière, j’habite à Millery. - Parfait! Du coup comme je te disais la dernière fois mon sujet porte sur les cimetières en général , c’est la perception qu’on en a, que ce soit les expériences qu’on en a, et comment on le projette dans le futur c’est à dire que deviendra le cimetière dans le futur, plus particulièrement en ville dans mon sujet mais ça s’étend à la campagne aussi. Du coup, toi pour commencer si je te dis cimetière quels sont les mots et expressions qui te viennent à l’esprit ? - Les mots et expressions euh... sombre, mort, euh... recueil, euh... - Voilà, ceux qui te viennent naturellement c’est bon. Et pourquoi tu dis ça ? D’après les expériences que tu en as eu ? Le cimetière en tant que tel ou l’expérience que tu en as ? -Non moi je pense que je vois ça comme quelque chose de sombre, normal hein comme je te disais j’ai eu un décès il n’y a pas longtemps et c’était l’été et tout et ça me faisait trop bizarre qu’il fasse chaud, qu’il y ait du soleil, à la fois je ne crois pas avoir eu une expérience sombre dans un cimetière mais c’est la mort, c’est le noir c’est par rapport à ça. - Donc c’est par rapport à tout ce que ça véhicule autour du funéraire. - Oui. - Donc toi ta grand mère quand elle est décédée, elle a été enterrée dans quel cimetière? - Elle a été incinérée. -Et la destination des cendres ? -(rire) elles sont pas dans un cimetière hein, elles sont un peu à Millery et un peu dans un endroit qu’elle aimait bien - Et vous vous êtes quand même rendus dans un cimetière pour une cérémonie ou quelque chose? - Oui au funérarium on est allés à Lyon et il y a eu une cérémonie et après on est allés dans un petit café à Millery pour faire quelque chose. Pour faire un petit 196
Entretien de Wencélia BONSANG
point de rencontre où on pouvait échanger avec les personnes ou une partie des personnes qui étaient là. - Et avant ça tu avais eu d’autres expériences? - J’ai eu un décès avant mais c’était ma nourrice et j’étais vraiment petite, donc euh je ne crois pas non. Enfin j’ai eu des décès mais je ne suis jamais allée à l’enterrement. Après là récemment j’ai mon ancien voisin dont j’étais très proche, c’était un peu comme mes grands parents, qui est décédé et du coup lui il a été enterré dans le cimetière de Millery. -Et tu t’y es rendue du coup? -Oui. - Et du coup l’expérience là bas t’as fait le même effet? - C’est là justement où il faisait chaud et tout et où je me suis dit c’est bizarre mais après c’était deux trucs bien différents. - Et maintenant que ces deux expériences sont passées, tu t’y rend quand même fréquemment ou tu n’en ressens pas forcément le besoin ? - Les endroits où on a mis les cendres de ma grand mère oui, j’y suis déjà retournée plusieurs fois et au cimetière je pense que je vais y aller mais bon là c’était il y a deux trois semaines donc c’est récent. - Et si tu t’imagines retourner dans ce cimetière, pour toi ce sera quoi l’expérience, ce sera aller sur la tombe et juste passer un peu de temps entre guillemets avec la personne? - Oui c’est ça, y aller, je trouve que quand il y a un endroit comme ça ça aide, t’y vas un peu pour être proche de la personne. Elle est plus là, plus dans ton quotidien mais tu sais qu’il y a un endroit où tu peux aller qui représentera cette personne, du coup tu t’y rend pour être un peu avec elle quoi. - Je sais que beaucoup personnes parlent, déposent des fleurs etc...enfin tu vois il ya pleins de pratiques très diverses. Certains s’y rendent tous les jours, c’est parfois des participations très actives et parfois très passives, s’asseoir , partir voilà. C’est bien différent selon les personnes et aussi selon la proximité avec la personne défunte je pense.
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Entretien de Wencélia BONSANG
- Bah tu vois, pour mon voisin je suis pas trop du genre, je pense pas que je parlerai ou quoi. Après je peux mettre des fleurs mais après ... voilà il y a sa femme et d’après ce que j’ai compris elle y va régulièrement, faire attention à la tombe. - Tu ne te sens pas légitime? - Non c’est juste que je n’en ressens pas forcément le besoin et l’envie. Par exemple pour ma grand mère je suis déjà allée là où on a mis les cendres. Par exemple j’avais amené ma mère pour après la fête des mères, j’avais acheté des fleurs et on avait jeté des fleurs là, où a peu près là où on avait mis les cendres. - Du coup là où vous avez mis les cendres c’est un endroit qu’elle appréciait particulièrement? - Oui. - C’était une demande de sa part? - Elle avait rien demandé elle avait juste dit vous ne mettez pas dans la maison, mais à part ça elle avait rien demandé. - Ca s’est fait tout naturellement alors? -Oui, c’est surtout ma mère et moi qui avons pris la décision, à un endroit qu’elle aimait et à Millery un endroit où elle a vécu toute sa vie. - Et dans le cimetière de Millery il n’y avait pas un endroit pour les cendres ?Enfin vous ne vous voyiez pas mettre là bas? - Non pas forcément, à la fois Millery elle y habitait depuis l’âge de ma mère je pense donc depuis 50 ans. Ma grand mère elle voyageait tellement aussi alors de dire qu’elle est à un endroit... - Ca n’avait pas de sens ? - Oui là elle est un peu partout et nul part à la fois comme ça. Enfin on ne sait pas trop. - Tu parlais de sombre etc.. est-ce que pour autant tu te verrais dans un cimetière entre guillemets te balader, est-ce que tu en as déjà vus, tu en as déjà visité des cimetières qui valaient le coup, est - ce que tu en as visité de ton plein gré? 198
Entretien de Wencélia BONSANG
-Le seul que j’ai visité c’est à Omaha Beach avec le cimetière américain, après les cimetières lambdas je ne vais pas m’y balader. - Tu ne vois pas l’intérêt, et si dans un guide touristique on te dirait d’aller visiter tel cimetière? - Ah bah je pourrais aller voir s’il y a quelque chose de spécial. Si je suis déjà allée au cimetière là où est enterré le père de ma mère parce qu’il y a beaucoup de sa famille etc, mais après pas nécessairement. Je ne me dis pas «je vais aller me balader au cimetière ça va me faire du bien». Mais pour les qualités esthétiques je peux y aller par exemple. - Est-ce que tu penses que le cimetière c’est un endroit laïc ou un endroit religieux? - Euh...laïc, parce que tout le monde peut aller se faire enterrer, toutes les religions, toutes les personnes quoi. - Oui, en fait dans la législation le cimetière est un endroit laïc comme toute la France, et après tu as des carrés religieux, des demandes de carrés pour les musulmans etc.. Mais certains s’en plaignent en disant que ce n’est pas un endroit qui est sensé encore une fois accueillir des disparités religieuses entre guillemets. - Donc en gros ils voudraient pas qu’il y ait de religion? - Ils voudraient que ce soit uniforme. - Oui mais tu vois après que tu m’en aies parlé je l’ai dit à ma mère et tout et puis au final les gens, après les gens qui se plaignent je pense que c’est des gens qui se plaignent dans la vie courante, et au final ça montre juste la diversité de la France, des personnes qui sont là et si ça se voit au cimetière moi je ne trouve pas ça mal hein. - Est-ce que par exemple quand tu t’es rendue au cimetière tu t’es rendue compte de disparités de traitement entre certaines tombes, est-ce que ça t’a choquée, est-ce que pour toi tout devrait être uniforme? -Non, enfin oui j’ai déjà vu des disparités, après c’était plus par rapport à l’entretien, aux plaques qui sont plus ou moins grosses, aux fleurs etc... Mais après je pense que soit les personnes suivent les volontés des personnes décédées soit elles font comme elles veulent mais après c’est sûr que les cimetières américains c’est joli, c’est tout uniforme machin, mais après chacun fait comme il veut et chacun 199
Entretien de Wencélia BONSANG
a la tombe, enfin chacun prend soin de la tombe d’une personne proche comme il a envie.Et la forme aussi. - Et toi, pour toi, si tu devais organiser tes propres obsèques admettons, est-ce que tu aimerais être enterrée, être incinérée, qu’on jette tes cendres, est-ce que tu vois autre chose, est-ce que tu connais d’autres techniques ? - Hum... Je pense que je voudrais pas être enterrée, plus incinérée, après il y a le don à la science aussi mais ça je sais pas trop encore si je voudrais ou pas... Pourquoi pas je sais pas. Mais pas trop enterrée. - Ok, le don à la science pour toi pourquoi pas mais si tu devais prendre le choix pour quelqu’un comme ta maman ou ta grand mère tu ferais quoi? - Euh je pense pas que je le ferais, après si c’est des dons, si c’est possible de faire des dons d’organe je pense que je le ferais, mais si c’est donner le corps à la science je pense pas parce que c’est plus dans les discussions. Elle ne m’a jamais dit qu’elle ne voulait pas mais je pense pas qu’elle voudrait non plus. - Et justement, vis à vis de ton métier toi par exemple qui est dans le médical, estce que tu as un rapport qui est particulier par rapport à tout ça, est ce que tu sens que ça a changé depuis que tu fais ce métier? Vu que tu y as été plus confrontée. -Bah je pense parce que par rapport déjà aux différentes religions, à l’école on voit vraiment que, après je saurais pas détailler les différences etc, mais on apprend que dans telle ou telle religion on fait de telle ou telle manière. Souvent moi dans mon service on est plus ou moins préparés au décès des patients donc après on connait plus la famille et des fois la famille nous parle un peu plus de comment ça se passe. Après oui je pense que ça a changé ma vision de la mort, après... - Oui tu l’as peut être plus vue. - Oui plus vue, après le décès de ma grand mère a aussi beaucoup joué sur la vision des patients que j’ai eu après qui sont décédés. Je vais faire beaucoup plus attention à beaucoup de choses, enfin il y a des choses qui m’avaient choquée avec ma grand mère du coup avec mes patients je vais faire attention que ça ne choque pas leur famille. Mais après c’est sûr que bah tu vois plus, t’as un autre aspect au corps humain qui est mort. Parce que tu l’as touché, tu l’as manié, tu l’as présenté. - Est-ce que ça dédramatise? Est -ce que tu arrives à mettre une distance?
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Entretien de Wencélia BONSANG
- Je pense que ça dépend, il y a des patients peu importe ce que tu dis tu t’y attaches et tu peux pas faire autrement. Et d’autres, si tu connais pas la personne c’est toujours difficile après. Je me rappelle j’ai aidé un de mes collègues au décès d’un patient il devait avoir l’âge de ma mère, 50 ans 55 ans et c’était pas facile, et ce patient je le connaissais pas du tout. Donc après tu fais tout ce que tu peux pour qu’il soit bien. Après chacun a sa manière de faire, il y en a qui parlent avec le patient même si bah il est plus là. Par respect et puis tu fais attention à tout. Quand t’es à l’hopital et qu’il y a un décès tu fais attention aux perfusions, t’installes tout autour du patient pour que ça aille mieux. Après je me dis que moi j’y ai pas trop été confrontée mais avec le COVID je pense qu’il y a eu des décès qui ont été compliqués pour tout le monde et les soignants ça a du être difficile. Moi mes décès c’était des patients qui décédaient de leur cancer, c’était pas du COVID. Mais les patients qui décédaient du COVID, nous on nous a dit qu’il fallait boucher les orifices donc c’est un peu compliqué. Et c’est ce qu’ils faisaient avant, j’en ai parlé avec une collègue plus ancienne et c’est ce qu’ils faisaient avant donc c’est .. c’est mieux comme on est maintenant. - Oui c’est plus barbare... et ça vient plus à l’intérieur du corps. - Oui et puis c’est un peu dégoûtant. - Oui normalement quand tu prépares un corps tu es sensé le rendre aussi vivant que possible entre guillemets... - Oui c’est ça, de toute façon il se vide après donc c’est pour ça qu’ils bouchent les trous pour pas qu’il se vide etc... - Pour ne pas troubler la famille. Et si là tu devais me décrire un cimetière comme ça ? Une description... est-ce que c’est minéral, est-ce que c’est végétal ? Les matériaux, est-ce que c’est grand... - Pour moi cimetière.. bah il y en a des grands et des petits mais genre si je pense à un cimetière je pense au cimetière que j’ai vu plus récemment quoi donc.. fin c’était, il y avait déjà deux cimetières différents, un plus récent et un plus vieux. Et c’était, il était pas non plus hyper grand, il y avait encore à certains endroits de la verdure ou alors je pense un endroit où on pouvait faire de nouvelles tombes. Euh et puis après ben de la pierre, des fleurs, de la terre... Et des grandes allées, enfin des grandes allées... des allées, assez étroites. Après j’ai pas fait très attention. - Et donc, en gros moi mon travail de base il partait, quand j’étais en troisième année, il partait du postulat qu’on n’avait plus de place dans les cimetières justement d’où ces cimetières anciens/ cimetières nouveaux dans les campagnes 201
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en général et en ville c’est d’autant plus criant parce que au début ils étaient hors des villes et forcément avec l’étalement urbain ça les a intégrés, et ça pareil du fait qu’on n’avait plus de place et donc du coup quelles étaient les solutions pour faire en sorte de réavoir de la place. Donc à quoi ressemble le cimetière du futur entre guillemets. Si là je te disais le cimetière du futur, pour toi ce serait quoi ? Est-ce qu’il y aurait un cimetière déjà ? Est-ce que c’est voué à disparaitre? Estce que toi quand on voit par exemple ce que t’as fait pour ta grand mère c’est ton propre cimetière à toi? - Ouai je pense que bin déjà moi je me suis posée la question pour mon voisin quand il s’est fait enterré parce que du coup il s’est fait enterré là où il y avait sa famille quoi. Et du coup tu te demandes comment ils font pour rentrer toute les tombes. Enfin c’est une question toute conne mais au final tu te demandes comment ils font pour rentrer toutes les tombes et après elle m’a expliqué sa femme que ils avaient pris les restes qu’il y avait des tombes et tout et après je sais plus s’ils les avaient incinérés ou quoi et puis ils les ont remis dedans ou ils ont refait une plus petite tombe...enfin bref donc c’est vrai que tu demandes comment ils font pour.. pour avoir de la place pour mettre tout le monde. Après je pense aussi que selon les religions je pense que ça joue. Après moi je cotoie des musulmans, chrétiens mais par exemple moi je suis athée et je me dis que ça joue sur le fait que je veuille être incinérée plutôt que enterrée et je sais pas s’il y a moins de religion... non je pense pas qu’il y ait moins de religion mais que les personnes elles font plus comme elles le veulent. Par exemple ma grand mère elle s’est fait incinérer mais il n’y avait pas de raison qu’elle se fasse enterrer. Ca va plus être les personnes qui se font enterrer où il y a des raisons. Alors c’est plus des personnes plus anciennes qui veulent se faire enterrer ... je sais même plus où je veux en venir! Et les jeunes vont plus se poser la question «est-ce que je veux être enterré ou pas», il ya plus la question pratique en mode «c’est un peu dégueu je vais me faire bouffer par les vers» ou des trucs comme ça. Et après il y a la religion qui prime aussi dessus par exemple les musulmans vont pas aller se faire incinérer quoi.. Donc je pense que selon les cultures, enfin les religions, ça peut être différent. Moi je me vois bien faire un truc comme ma grand mère par exemple. Mais par exemple mon voisin ma mère elle m’avait dit qu’il allait se faire incinérer je trouvais ça bizarre parce que ça va avec les personnes âgées je trouve de se faire enterrer. Et je trouve que c’est un peu étrange de se dire qu’il y a son corps mort comme ça sous la terre. Et après qui va... enfin qui va tout moisir. Il y a un peu de dégoutant et à la fois un peu de, tu te dis que ton corps il est seul sous terre et... - Et si tu devais prendre la décision pour un proche? -Euh bah ça dépend quel proche. 202
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- Admettons que la personne n’ait pas pris la décision, et toi tu prennes l’initiative par exemple pour ta maman. -Bah ma mère par exemple elle a pas pris la décision mais après euh.. je pense que elle je la ferais enterrer. - Si je te demande ça c’est parce que dans les chiffres on sait que beaucoup de personnes aimeraient être incinérées et quand pour un proche il faut prendre la décision ils disent souvent qu’ils souhaitent l’enterrer. - C’est sûr, parce que le corps il reste alors que les cendres après... quand tu te retrouves avec le bocal de cendres tu te dis «ah ouai, bah ça c’est la personne en fait», c’est trop bizarre. Et genre tu te dis qu’elle existe plus du tout quoi. Alors que quand tu fais enterrer tu sais qu’elle est toujours... enfin que son corps... C’est bien pour ça qu’il y en a qui ne veulent pas faire de don d’organe etc... aussi. - Quand tu regardes les raisons aussi pour lesquelles les gens veulent se faire incinérer ou enterrer, outre les questions religieuses machin, parce que c’est plus tant ça au final, mais oui effectivement quand tu incinères le corps part. Personnellement les gens qui prennent la décision d’être incinéré disent «j’ai pas envie d’etre un fardeau ni pour le monde ni pour mes proches, j’ai pas envie de polluer, j’ai pas envie de ci, j’ai pas envie de ça...». Cette forme de «modestie» dans la mort c’est super intéressant. On a l’impression que quand c’est fini c’est fini et on ne veut plus en parler quoi, alors que quand c’est pour un proche... -Oui et à la fois je trouve que les cendres c’est pas non plus hyper facile à gérer tu vois. Parce que l’enterrement il va... J’ai jamais organisé ça mais, il doit falloir trouver où tu l’enterres, s’il y a de la place etc.. Ca doit être compliqué, ça doit coûter cher... oh c’est vrai que là ça coûte moins cher tu te fais incinérer . Mais à la fois après pff.. faut trouver, faut trouver où mettre les cendres, et puis c’est illégal de les jeter n’importe où donc il faut prendre la responsabilité même si voilà... il faut prendre la responsabilité de le faire. Après c’est vrai que c’est complètement différent. - C’est réglementé mais pour autant personne n’est vraiment au courant. Estce que selon toi le cimetière devrait comporter un espace végétal, un espace minéral, des bassins, des espaces très serrés, des espaces plus lâches... toi ton cimetière de rêve (rires). - De rêve euh..déjà il faut des bancs, puis ouai de la végétation après des bassins ou quoi je pense que c’est bien aussi.
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Entretien de Wencélia BONSANG
- Est-ce que c’est un espace qui doit être agréable? Est-ce qu’on a envie de rester pas longtemps et de partir? - Non je pense que ça doit être un espace agréable. L’endroit où on a mis les cendres de ma grand mère c’est un super bel endroit donc ça donne envie d’y aller aussi. Et puis tu te dis que la personne que t’aimais elle est dans un bel endroit et qu’elle est pas dans un truc pourri. - Dans certains cimetières il y a des gardiens, donc qui s’occupent de l’entretien etc... est-ce que tu en vois l’utilité pour toi? Est-ce que tu ferais appel à ses services ? - Ouai je pense que c’est important, mais ce gardien il est pour tout le monde? - Oui oui. - Non mais je pense que c’est bien. je pense que si il veut être là bah tant mieux et pour les tombes etc pour pas que si quelqu’un est pas bien et qu’il a pas envie d’y aller cette semaine bah qu’il soit pas obligé d’y aller et qu’il puisse y aller comme il veut. - Je ne sais pas si tu sais mais avant les cimetières ils avaient d’autres utilités, d’autres activités qui se couplaient et qui aujourd’hui sont compliquées. C’était des lieux de festivités, de marché, de commerce. Aujourd’hui on a du mal à l’imaginer mais est-ce que par exemple tu imagines des cimetières.. admettons un parc, qui abrite un cimetière. Est-ce que tu te verrais t’y balader de ton plein gré? - C’est vrai que ce serait un peu bizarre et à la fois... je me proménerais. - Si c’est traité en tant que tel vraiment si c’est un espace agréable, admettons que tu habites à côté. - Bah oui, et puis je vois le cimetière américain, t’y vas tu prends des photos, tu poses devant, enfin c’est reposant et puis, enfin c’est... à la fois c’est un cimetière et tu peux le voir en mode un peu.. bah sombre comme je te disais tout à l’heure, mais à la fois c’est beau, c’est toutes des personnes qui ont vécu leur vie et qui se retrouvent là, qui ont eu des histoires et c’est pas non plus.. enfin je sais pas. - Et est-ce que tu penses que le digital ça pourrait s’intégrer dans les cimetières? Des plaques pour rappel, admettons si toi tu avais dû le faire pour ta grand mère ou quelque chose comme ça, ce qu’on apelle des épitaphes ou des trucs comme 204
Entretien de Wencélia BONSANG
ça qui rappellent un peu la vie, si les gens peuvent tomber dessus. - Oui moi je serais pour après ça fait bizarre le digital et tout mais à la fois il y a du digital partout donc bon.. Mais oui ça pourrait mettre la vie des personnes. C’est comme je te disais quand je suis allée au Panthéon tu as ça hein, t’as des petites tablettes où il y a écrit la vie des gens mais c’est des personnes connues. Après il y a pleins de personnes qui ont fait pleins de choses dans leur vie et tu passes devant leur tombe et tu sais pas. Est-ce qu’on irait du coup se promener dans les cimetières pour aller voir tout le monde qu’il y a ... et à la fois moi je vois ma mère elle fait de la généalogie du coup elle s’est beaucoup plus rendue sur les tombes par rapport à la généalogie en allant à droite à gauche voir les archives. Donc après ça peut aider ça aussi de voir des informations sur les personnes. - Je vais te montrer des photos, et tu vas me dire selon toi qu’est ce qui est un cimetière et qu’est ce qui ne l’est pas. -(image 1 : san cataldo) .. bah après tout dépend si tu dis que là où tu mets les cendres n’importe où c’est un cimetière. Mais j’en sais rien du coup avec ça là... A la fois non je dirais que c’est pas un cimetière mais bon, ça pourrait l’être pour mettre des cendres. Bah je sais pas trop ce que c’est hein. - Est-ce que tu vois que ça peut être un cimetière ou pas? - Non pas un cimetière mais bon je vois pas ce que ça peut être du coup je me dis que ça pourrait l’être. (image 2: cimetière de Clamart ) Oui ya moyen que ce soit un cimetière oui. (image 3: Cimetière Tel Aviv) Oui (image 4: extension gubbio) Oui ( Necropol Ecumenica) Euh...je sais pas, non ( Cimetière de Roquebrune) Non (vertical cemetery project) Les photos elles ont été modifiées ou pas ? - Non non. - Euh... Non du coup ( cimetière de Brion ) Non (cimetière de souché) : Non - Bon bah c’était tous des cimetières (rires)en gros c’est juste pour te montrer que dans des villes ... comme en Norvège ou au brésil i n’y a plus de place. - Mais c’est quoi du coup? 205
Entretien de Wencélia BONSANG
- En gros quand tu vas à l’intérieur c’st des tombes les unes sur les autres, il y a tellement pas de place qu’ils sont obligés de faire ça. Et ça crée des couloirs, des coursives. - Et Il y a leurs noms dessus? - Oui oui il y a des petites plaques. Comme tu vois il y en a beaucoup qui se développent dans la verticalité - C’est bien j’aime bien celui là (san cataldo) - Moi aussi ! Merci beaucoup pour ton aide en tout cas. - Avec plaisir.
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- Je vais commencer par te demander de te présenter s’il te plait - Du coup, Maxime Valcarce, j’ai 22 ans et je suis étudiant en école d’architecture en cinquième année et après je sais pas ce que tu veux dans mes caractéristiques personnelles mais je viens de Valence dans la Drôme en France et je fais des études sur Lyon, j’habite en colocation avec deux gens sympas... et puis voilà - Merci. Si je te dis le mot «cimetière» quelles sont les premières expressions ou mots qui te viennent à l’esprit du tac au tac. - Les premières expressions? - Oui mots, expressions, verbes peu importe. - Moi j’ai pensé ... bah j’ai un peu pensé à l’archi mais bon je pense que la première image qui m’est arrivée c’est des casiers que tu as aux murs. Je sais pas le nom... - Les colombariums ou les enfeus? - Oui, après c’est les plaques où tu écris genre «à tes enfants» nanana, et après je dirais.. je vais dire paysage même si c’est pas vraiment ça, peut-être plutôt jardin tu vois genre l’aménagement paysager etc... Pourquoi je te dis ça, en fait plus que les mots c’est les images, des expériences vécues. Le premier truc c’est le cimetière en Espagne là, où il y a mes grands-parents qui sont enterrés. C’est justement des sortes de colombariums, c’est la culture espagnole qui est comme ça. Et l’autre truc que je repense, enfin les deux cimetières que je repense c’est celui en Islande à Reykjavik où c’est des arbres en fait qui te font le cimetière et je trouve ça super beau, et t’as l’autre à Stockholm qui est immense, c’est genre un bois. -Donc pour toi le cimetière c’est une expérience ? - En vrai ce que je trouve intéressant, enfin quand t’as pas trop de relations avec, parce que moi j’ai très peu de relations personnelles avec un cimetière... Au final quand je regarde ma grand-mère elle a été incinérée et on a dispersé ses cendres du coup c’était pas vraiment genre un cimetière, et mes deux grands-parents ils sont en Espagne du coup j’y vais jamais. La première fois que j’y suis allé de ma vie c’était l’année dernière en césure. Du coup j’ai pas de relation personnelle et les cimetières que j’ai vu ou visité au final tu oublies que c’est des cimetières. Tu vois au final c’est plus des curiosités ou des espaces où tu flanes. Tu sais qu’il y a une gravité mais ça peut -être aussi une sorte d’événement paysager. 208
- C’est une gravité qui est ambiante ou c’est du fait de la morphologie? - Ben en fait tu sais que la signification du lieu elle est grave et genre les gens que tu croises c’est pas des gens qui vont aller faire leurs courses, c’est des gens qui, sauf si ils sont comme toi, sont là pour ça. Ca te met aussi dans une posture et dans un... comportement où tu dois être respectueux, et du coup je sais pas il y a une certaine ambiance. - Donc pour toi il y a un comportement inhérent au cimetière? - Oui de ouf, dès que tu passes la porte tu sais que c’est pas pareil. - Est-ce qu’il y a des choses qui sont prohibées du coup? - Ouai, pour moi ça doit être le silence, tu as pas le droit de faire du bruit, tu as pas le droit de monter sur les tombes, tu suis des tracés, t’as le droit de regarder les trucs mais pareil quand tu vois quelqu’un t’as pas envie de l’approcher et de rentrer dans sa zone d’intimité parce que si tu le vois quand même dans un recueillement bah t’as pas envie de rentrer dans cette bulle de recueillement quoi. - Donc il y a des règles de comportement à suivre? - Ouai ouai ouai, c’est une sorte de consensus c’est ça qui est cool aussi c’est que tout le monde réagit de la même manière, en tout cas c’est l’esprit de base, mais personne se le dit. Et je trouve ça important d’avoir ce comportement là en fait. - Quelqu’un qui a un comportement hors de cette norme là pour toi c’est quoi ? C’est de l’irrespect ? - A première vue je dirais que c’est de l’irrespect. Après il faut toujours aller chercher, savoir pourquoi mais oui c’est une culture. En fait pour moi tu sanctuarises un espace et tu mets tellement de signification grave dedans que tu peux pas faire n’importe quoi dessus, parce que tu peux salir une mémoire. C’est comme si une tombe c’est quelqu’un tu vois. Moi je vais pas venir monter sur toi ou genre faire du bruit à côté de toi parce que c’est un minimum de respect, c’est de la politesse. - Donc il persiste un respect pour le défunt ? - Ouai ouai, d’autant plus quand il y a quelqu’un pour se recueillir. Autant les tombes qui sont là depuis 1880 tu te dis bon il y a plus personne qui vient mais il 209
y a quand même un respect. S’il y a une marque d’un souvenir.. pour moi c’est le symbole qui est plus fort. C’est comme les monuments ou ce que tu veux, tu vas tagguer l’arc de Triomphe tout le monde va dire que c’est irrespectueux parce que tu as une mémoire qui est associée à un lieu. - Est-ce que tu te rappelles de la première expérience que tu as eu avec un cimetière ? - Euh... en fait il ya deux trucs. Genre chez moi à Bourg-de-Péage, là d’où je viens, on a un grand bois qui s’apelle le bois des Naix et t’as plusieurs entrées et il y a une entrée qui passe par le cimetière, enfin t’es à côté du cimetière. Du coup tu te sens déjà dans le parc avant même d’être dans le parc. Tu longes ton cimetière et après tu arrives dans le parc tu vois. Et ça c’est la première expérience, qui fait que du coup je l’ai pas du tout vécu comme un endroit grave ou genre tu dois être triste tu dois pleurer ou quoi. Et la deuxième c’est genre la première fois, enfin c’est l’année dernière quand au final j’ai perdu ma grand-mère en césure, ça c’était pas un cimetière mais c’est la première fois où je suis allée dans un endroit où toi tu te sens concerné. Genre là tu pars du crématorium, c’est un petit chemin, enfin tu montes un peu et après t’as un truc qui doit s’appeler genre «la place du souvenir», un truc comme ça ... - Un jardin du souvenir ? - Oui c’est ça, t’as genre un rond avec un jardin, tout le monde se met autour et ils lancent les cendres tu vois. Genre ça c’est l’expérience qui te marque parce qu’au final le chemin est tout con mais tu vois c’est toute l’ambiance, toute ta famille est avec toi, c’est une ambiance spéciale quoi. Et après, l’autre fois où je me suis senti investi c’est quand je suis allé en Espagne dans le village de mon père et donc de mes grands parents. Ca fait 10 ans qu’ils sont décédés et j’y étais jamais allé parce qu’à l’époque j’étais trop petit pour faire le voyage et faire l’enterrement et je me suis dit bah vas-y, profites en d’être à côté et passe au village et tout. C’est marrant parce que je crois que c’est une des dernières fois que j’ai pleuré dans ma vie et ça faisait très longtemps que j’attendais d’y aller et quand je suis arrivé sur place, tu vois c’était des plaques sur les murs, et il y a plein de noms etc .. du coup c’était trop bizarre je m’en rappelle. Je me disais «bah je sais qu’ils sont là» du coup j’ai cherché tous les noms et tout et là je suis tombé sur mon grand-père et ça m’a fait... ça m’a abattu. - Parce que c’était une preuve physique de sa disparition? Ca rend ça réel ? - Oui c’est ça, c’est que je pense que avant quand tu te dis qu’il est décédé tu te dis bon bah OK mais c’est très dur. En fait je trouve que l’expérience physique 210
elle est super dure. Pourtant j’étais tout seul là en plus tu vois, après ça accentue aussi le truc. Je pense que le fait d’être face à un truc où on te dit en gros qu’il est là, c’est bizarre. Ca te libère tu vois, et en même temps.. ouai je sais pas. - Et tu sentais que tu avais besoin d’y aller ? -Ouai de ouf. - C’était plus pour toi ou pour tes grands-parents? - Euh... je sais pas c’est un peu des deux. C’est à la fois pour moi parce qu’au final j’y étais jamais allé et pour dire que tu passes à autre chose, tu marques le coup. Je sais pas c’est quelque chose à passer. - Donc tu te vois le refaire ? - Oui peut-être oui, mais avec moins d’intensité. - Tu es quand même heureux d’y être allé ? - Ouai de ouf, en vrai ça soulage aussi tu vois parce que c’est un truc que je me suis toujours dit que je ferais du coup ça te libère aussi quoi. - Et quand tu y es allé tu te rappelles ce que tu as fait ? - Ben en vrai ouai je te dis, le premier truc c’est que déjà j’étais en bas du village et le cimetière il est vachement loin sur une colline tu vois. Moi j’y étais allé en fin de journée. Le cimetière est assez petit c’est genre assez en pente et t’as du coup les murs, t’as des cases etc avec les plaques, au milieu je crois que t’as les tombes classiques et pareil en bas t’as des plaqus. Et le truc tout con bah c’est juste les prénoms et tout, et après j’y suis allé sans rien juste je me suis assis et j’ai attendu quoi. - Il y avait un banc à proximité directe ? Ou c’était autre part dans le cimetière ? - Non je me suis juste posé devant. - Et du fait que ce soit en superposition comme ça tu pouvais pas mettre de fleurs ? - Je crois qu’il y avait des fleurs, je crois qu’en gros ils te mettent une sorte de plaque où tu peux mettre les fleurs. D’ailleurs je sais même pas qui en avait mis 211
sur leur tombe, peut-être que c’est juste mes parents à l’époque. Et tu vois moi ça m’a pas du tout choqué le dispositif comment c’était placé et tout. Parce que c’est grave la culture là bas tu vois, tout le monde est comme ça et j’ai aucun mal avec ça comme ma grand mère qui a été dispersée. Mais tu vois je pense que j’aurais jamais pu avoir le déclenchement fort que j’ai eu là bas si leurs cendres avaient été dispersées comme mon autre grand-mère dans ce jardin là. Tu personnalises pas un sentiment du coup c’est moins fort je pense. Si j’étais allé 10 ans après dans le même cadre j’aurais pas eu du tout la même décharge que j’ai eu. - Donc pour toi la tombe ça personnifie ton sentiment ? - Oui ça rajoute de la gravité parce que même si tu sais que derrière au final le corps il n’existe casi plus tu te dis que tu as reservé un emplacement, un bout de terre pour une personne quoi. - J’imagine qu’en Espagne c’est ça aussi mais c’est souvent des concessions, ça reste sur 10, 30 ans. - Oui je crois que c’est ça, là ça fait 10 ans, mais ça doit être 50 ans un truc comme ça. - Et si toi te revenais la charge de poursuivre la concession pour tes grandsparents, tu le ferais? - Mmh je sais pas ... ouai je pense, j’ai aucune notion de à combien ça revient, combien tu payes. Mais est-ce que je le ferais..oui si ça a du sens. Genre moi j’y retourne demain mes petits-enfants peut-être pas. C’est genre si t’as une relation avec la personne oui sinon non. - Pour toi une tombe ça n’a pas de sens si personne n’est là pour la visiter ? - Je me dis... bon c’est une phrase bâteau de ouf mais les gens meurent deux fois, une fois ils meurent physiquement et une fois ils meurent parce que personne ne pense à eux. Je pense que c’est vrai aussi tu vois sinon je sais pas si tu regardes tous les gens qui sont morts dans la planète Terre depuis le début alors la Terre c’est un cimetière. Moi aussi ya un truc c’est que j’ai pas de culture religieuse qui fait que j’ai pas besoin d’alimenter ça tu vois. Et je pense aussi que c’est ça aussi qui développe les crémations. Tu vois ma grand-mère maternelle qui s’est fait incinérée en gros elle disait «je veux juste que mes cendres soient dispersées parce que je veux qu’on pense à moi, je veux pas forcément qu’on aille à un endroit ou qu’on fasse un truc familial en disant «bah tiens tu vois c’était ta grandmère»». 212
- C’est un souvenir immatériel donc. - C’est ça ouai. Ca aggrave moins la situation oui. - Donc par exemple tu ne retournerais pas forcément là où ses cendres sont dispersées? - Non. Parce que je trouve ça aussi plus impersonnel parce que tu sais que tous les gens qui sont au crématorium en bas ils finissent ici tu vois et parce que j’aurais l’impression d’aller au crématorium et pas à l’endroit du souvenir de ma grand-mère. Juste t’y penses et t’es content et c’est cool quoi. - Donc pour toi le jardin du souvenir tu retiens plus le terme «souvenir»? - En vrai moi, je parle que personnellement, en fait le problème c’est de me dire que c’est un endroit commun. Si ma grand-mère elle avait fait disperser ... Genre imagine moi demain je décède je dis «dispersez mes cendres dans le Vercors», ben genre à chaque fois que mes potes iront à cet endroit là bah ils penseront à moi. C’est très personnalisé tu mets une signification dans un lieu. Alors que là, tu sais que genre ya beaucoup de gens qui passent et puis même j’imagine même pas le moment de malaise où toi t’arrives pour te recueillir à un endroit et imagine t’as trois autres familles différentes, tu fais comment genre tout le monde se met autour et tu te recueilles ? La notion d’intimité est beaucoup plus difficile parce que le cercle est assez petit du coup je me vois pas me recueillir dans un cercle de trois mètres avec d’autres personnes. La notion d’intimité elle est hyper importante. Et pareil genre le fait que j’ai réagit aussi violemment en Espagne, en terme d’émotions, c’est que j’étais tout seul dans le cimetière. Si j’avais pas été tout seul j’aurais passé beaucoup moins de temps et je sais pas j’aurais essayé d’esquiver. Je sais pas comment j’aurais réagi en vrai. - Pourquoi ? C’est une forme de pudeur tu penses ? - Je sais pas, parce que tu veux pas montrer aux autres. Je te réponds intuitivement mais c’est un moment qui t’appartient aussi tu vois. C’est pas de la honte c’est juste dire que t’as un espace et un moment pour toi tu vois, juste pour toi. Juste t’as une relation, une concentration, une contemplation. - Et du coup tu me disais que tu as visité celui d’Islande, Stockholme etc... c’est parce qu’on t’a dit qu’ils avaient des qualités particulières ou c’est en règle générale tu trouves ça intéressant ?
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-Oui déjà celui d’Islande j’étais avec mon frère et on est passés par hasard, on avait lu quelque part que le cimetière était typique parce que c’était que des arbres du coup on y est passés par curiosité. Et après celui de Stockholm c’est parce qu’il y a la chapelle de Gunnar Asplund et du coup bah forcément tu visites le cimetière. Du coup là c’était plus pour une référence architecturale. Pareil celui qu’on avait fait à Portbou en Espagne avec Sorenza c’était un mémorial et en fait t’as le cimetière qui est à côté qui est super beau mais c’est pas une démarche... si un jour je vais voir un cimetière c’est pas genre parce que ça m’intéresse ou quoi mais parce qu’il y a un truc particulier. C’est comme le cimetière du PèreLachaise à Paris, t’as une histoire qui va derrière. - Oui c’est pas comme le cimetière du coin. Un cimetière qui présente des qualités esthétiques ou une singularité ça te pose donc pas de problème d’y aller ? - Non. Au contraire ce qui me fout limite la mort..bon je suis peut-être un peu biaisé parce que j’en ai discuté avec toi, mais c’est que il y en a qui sont mis à l’écart... je crois que c’est l’autre jour en regardant dans la vallée de l’Arve, il y avait un cimetière qui était placé à côté de l’autoroute tu vois. Et genre tu te dis, c’est comme chez moi à Bourg-de-Péage, t’as le bois des Naix t’as le cimetière et t’as la déchetterie à côté du cimetière. Du coup tu te dis c’est triste quoi. - Tu trouves ça irrespectueux pour les morts ? - Oui tu te dis qu’il y a une meilleure manière. Toi tu sais ça mieux que moi mais il faudrait revenir à la base aussi, il était où le lieux de recueillement avant ? - A côté des églises. - Ouai du coup c’est quand même un espace vachement calme tu vois. - Initialement au Moyen-Âge le cimetière faisait partie de la propriété de l’Eglise. L’église étant le coeur de la vie de la communauté d’une ville ou d’un village, du coup c’est pour ça que le cimetière faisait partie de la ville. Après c’était un espace de commerce, parfois de festivités mais qui était complètement intégré. Après pour des raisons hygiénistes et aussi de changement de mentalité il a été repoussé hors des villes. Puis l’extension urbaine l’a réintégré dans certains cas notamment dans les villes. - C’est marrant, ça me fait penser à ce que je disais tout à l’heure par rapport au respect et tout. Je pense qu’avant vivre avec un cimetière c’était beaucoup moins... pas tabou parce que c’est pas tabou...
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- Un peu quand même. - Oui c’est vrai, mais c’était un peu moins aggravant qu’aujourd’hui quoi. - Mais par exemple, on sait toute la problématique du manque de place, est-ce que tu trouverais ça délirant d’accorder plus de place à un cimetière qu’à des logements sociaux par exemple ? - Ca dépend déjà dans quelle société tu vis. En France je trouverais ça un peu aberrant. Enfin, c’est à dire accorder plus de place ? C’est construire plus de cimetières que de logements sociaux? - Non c’est pas ça mais par exemple un terrain disponible dans une ville, plutôt que de l’allouer à du logement social le donner au cimetière. - Ah oui je pensais que tu disais en gros «on enterre tout le monde». Mais ok dans ce cas non au contraire moi inclure les cimetières dans les villes je trouverai ça bien tu vois, casi comme une curiosité limite. En fait ce que je trouve cool c’est que tu peux avoir .. tu vois quand tu vas à Stockholm c’est carrément libéré l’image de dire que tu vas au cimetière. En fait tu y vas pour te promener, tu y vas pas pour te recueillir ou quoi que ce soit c’est juste un bois en fait. Je trouverai ça méga cool que ce soit pas un enclos où tu dises genre «là tu dois être triste et pleurer» mais que tu aies un espace un peu amorphe. En tout cas dans celui de Stockholm c’est un espace où tu as des grandes pelouses et tout et puis t’as pleins d’espaces où tu as des tombes, c’est une alternance tu sais pas vraiment où tu vas. Et des fois t’as un bâtiment c’est le crématorium. - Et admettons je te mets dans la situation : on est à Lyon, il y a un cimetière qui se construit en plein milieu de Lyon. Toi est-ce que tu t’imagines habiter en face de ce cimetière ? - En vrai de ouf tu sais pourquoi? C’est maxi calme, et puis même c’est trop beau! Enfin c’est trop beau... Genre ça dépend comment il est fait, c’est comme le cimetière militaire de Villeurbanne, c’est un bel endroit tu vois ? - Pourquoi ? - Déjà encore une fois tu te dis que c’est espace là il est réservé à... pas des morts, mais je trouve ça beau de sanctuariser un endroit, en fait c’est comme si t’avais une sorte de mini jardin-mémoire assez cool. Et puis ouai le fait que tout soit rangé... Moi quand j’avais fait les cimetières des Américains en Normandie bah pareil c’est trop beau quoi. 215
- C’est trop beau parce que c’est entretenu aussi. - Oui et puis tu as une mise en scène aussi. Ce qui est assez beau c’est d’avoir épuré, juste te dire que c’est que la parcelle qui reste, pas les fleurs, c’est pas qui va avoir la meilleure cave, le meilleur tombeau. Tout le monde est au même niveau. - Pour toi la tombe elle devrait revenir à une forme de modestie ? - Ouai je sais pas après je pense qu’on a cette éducation la en archi aussi mais il y a pleins de gens qui veulent mettre toutes les représentations qu’ils ont de la personne, genre tu sais la plaque de marbre avec la photo en ovale dessus. Moi je trouve que c’est kitsch de ouf, mais après c’est le goût des gens tu vois. C’est marrant aussi de voir que les gens ils utilisent des matériaux méga nobles genre du marbre. Moi j’aurais plus tendance à revenir à une forme de modestie. Je pense en tout cas que si tu veux inclure justement un cimetière etc dans la ville, t’as peut-être intérêt concevoir avec une certaine modestie des choses tu vois, pour pas dramatiser un truc en disant «cette pierre appartient à cette famille». - Tu veux dire effacer les disparités économiques et sociales qui sont visibles même dans la mort? - Ouai il y a ça aussi qui est terrible. Un cimetière que j’avais fait.. je crois que c’était genre à Sofia... non un cimetière à Porto. C’était un gros truc et tout et genre toutes les tombes chacun avait une petite chapelle et même là tu la vois la différence économique, je trouve ça terrible. Après j’ai l’impression que c’est histoire de dire «j’ai existé dans le monde, je veux exister même dans le monde des morts en étant plus riches que les autres ou de cette puissance là» tu vois. - Et un autre type de différence entre guillemets, la religion. Si je te dis religion et cimetière pour toi ? - Ben ... est-ce qu’on mélangerait c’est ça ? - Est-ce que pour toi le cimetière c’est un endroit qui est religieux? - Pour moi c’est pas un endroit qui est religieux. Enfin, pour MOI ça l’est pas. C’est un endroit de recueillement et de contemplation tu vois. Mais parce que j’ai déjà aucune relation avec la religion aujourd’hui, et j’ai pas de procession à faire. Je pense c’est super important, je sais pas à quel point tu pourrais mélanger les mêmes religions à un endroit, parce que t’s pas du tout les mêmes manières 216
de faire. C’est pas les mêmes spatialités. C’est comme tous les monuments, ils ont pas la même spatialité parce qu’ils ont pas la même religion. Et d’ailleurs c’st marrant parce qu’au final dans les cimetières militaires t’as juste le motif qui change. Après ils sont sectorisés tu as les juifs qui sont à un endroit. - C’est surtout au niveau des orientations que ça change. En fait la demande de carrés confessionnels au sein d’un cimetière ça change de ce côté là. On parlait tout à l’heure d’inhumation de crémation etc... pour toi maintenant à choisir, qu’est-ce que tu choisirais ? - Je sias pas moi en vrai, j’ai toujours dit que je préférais la crémation et répandre mes cendres dans le Vercors. Genre aujourd’hui c’est la réponse intuitive pace qu’il y a cette question là de dire 1) c’est très personnel, du coup tu sors un peu du cimetière, tu t’appropries les lieux qui auront une signification pour toute ta famille. Après est-ce que c’est bien aussi, est-ce que c’est bien de dire qu’à chaque fois qu’ils vont faire une randonnée dans le Vercors ils vont se dire «ah putin c’est là où il est» tu vois. Donc je sais pas si c’est bien mais en tout cas c’est ce qui me définit. Je trouve ça cool de dire que ton endroit où t’es c’est un endroit qui a défini ta vie, alors que le cimetière t’y es jamais allé avant. - Et du coup est-ce que dans cette logique là pour toi le cimetière il est amené à disparaître ? - Mmh bah je sais pas.. -... sous cette forme actuelle en France. - La forme du cimetière physique parking tombe par tombe ? - L’imaginaire du cimetière en général. - Moi je pense que oui en France, parce que on est, enfin les Français ont de moins en moins de rapport à la religion. Et je pense que en fait c’est plus une tradition en fait le cimetière, une sorte de tradition où avant t’allais tous les dimanches tu sais tu t’habillais par rapport à ça etc... et tu allais voir ton grand-père, ton arrière grand-père. Aujourd’hui tu le fais plus tu vois, et peut-être aussi parce qu’il ya une forme de tabou à la mort où on dit bah en fait t’y penses pas, tu t’autorises pas à penser à la mort. - Mais c’est marrant parce que tu me dis que dans le processus toi avec tes grands-parents ça a été bénéfique de te rendre sur leur tombe, est-ce que tu sens que t’as passé un cap avec eux que tu n’as pas passé avec ta grand-mère qui a 217
été dispersée ? - C’est à dire ? Genre j’aurais préféré que ma grand-mère maternelle soit enterrée ? - Oui est-ce que pour toi ça aurait été plus thérapeutique ? - Je pense que si il y avait jamais eu de cimetière pour mes grands-parents paternels, il m’aurait toujours manqué un truc. Parce que j’aurais pas été là pour la dispersion des cendres déjà. Alors que ma grand-mère je l’ai vécu et j’étais là pendant la dispersion des cendres du coup j’ai l’impression d’avoir fait le deuil classique tu vois. Mais après tu vois ce qui est bien avec des lieux comme les cimetières c’est que c’est une sorte d’impulsion de ta mémoire. - Donc pour toi le cimetière du futur n’existe pas en France ? - Je sais pas c’est un peu ambivalent parce que je pense que d’un point du vue, si tu regardes de ce que moi je connais, c’est de dire justement les gens veulent plus avoir une relation de procession, de recueillement parce que la tradition n’est plus là, parce que la religion est grave en perte en France. Et du coup que si on continue d’être athés à fond je pense que ouai à terme, mais déjà autour de moi les jeunes ont plus tendance à dire ouai vas-y la crémation plus que s’enterrer. Il ya beaucoup de gens en gros qui disent en gros pourquoi s’enterrer tu utilises de l’espace pour rien. Mais en mêms temps je sais pas en fait, parce qu’au final t’as quand même besoin d’un espace de recueillement. Mais même tu vois aujourd’hui, le programme des crématoriums il a explosé en Europe Occidentale. Avant t’en faisais pas beaucoup, maintenant j’ai l’impression que dès que c’est un gros projet c’est un crématorium. Et oui quand je parlais de tradition, quand j’ai fait mon échange en Autriche au collège, tu sais ils sont très tradition, c’était en Tyrol en plus. Déjà ils sont religieux catholiques et ils sont à fond dans les traditions, dans les signes, quand tu vas en cours chaque porte t’as une croix tu vois. Moi je m’en rappelle c’était un Dimanche, ils se sont habillés et on est allés au cimetière pour que la maman elle dépose une fleur sur la tombe de son père tu vois. Et c’était genre la sortie familiale hebdomadaire tu vois. En France je sais qu’on l’a fai mais aujourd’hui on le fait plus tu vois. - Les jeunes tu veux dire surtout? - Ouai les jeunes et même mes parents par exemple. Tu vois je suis grave content d’être allé tout seul au cimetière parce que j’y serais pas allé avec mon père ou alors difficilement. Parce que je sais que mon père il aime pas ça. Pour mon père c’est la vie, on prend que les bons côtés de la vie et genre on partage que les 218
bons côtés de la vie et les côtés négatifs on les partage pas. Et genre j’aurias du mal à y aller avec lui je pense parce que lui il verrait pas l’intérêt tu vois. C’est un point de vue que je peux comprendre. - Il ne verrait pas l’intérêt d’y aller avec toi ou alors tout seul il le ferait ? - Je sais même pas s’il le ferait tout seul, genre lui il le fait de se dire «c’est passé ok» mais genre le recueillement des choses qui sont difficiles... il veut pas. - Et donc toi tu voudrais la crémation pour toi, mais si tu devais choisir pour quelqu’un? - C’est à dire ? - Par exemple admettons un de tes proches décède, tu choisirais quoi pour lui? - C’est maxi chaud... Faudrait que je vois avec ma famille. - Sans leur poser la question, admettons que tu n’aies pas eu l’occasion d’avoir l’info. - Je sais pas. En vrai je sais pas, mon père je dirais crémation ma mère je sais pas. Parce que mon père tu vois je sais qu’il a aucune relation avec la religion. - Mais parce que du coup pour toi une inhumation c’est forcément religieux ? - Ben... Pour moi c’est lié à une tradition religieuse. Mais oui pour moi dans un monde athé le cimetière il serait beaucoup périclité par rapport à ce qu’on a connu, sans forcément disparaître. Parce que j’ai l’impression quand tu regardes en France, la culture laïque ou athée qu’on a c’est dire genre en gros la mort c’est une fin alors que dans la religion c’est une continuité, c’est juste un passage. Aujourd’hui c’est peut-être pour ça que c’est tabou comme ça la mort. Mais après moi j’ai une culture française et je pense que tu vas dans un pays méga religieux genre Israël je pense que les cimetières sont beaucoup plus prenants que dans un pays athé. - Bon la religion juive c’est encore autre chose parce que tu n’as pas le droit de déterrer les corps. - Ou alors qu’avant les gens qui s’en foutaient à fond ils enterraient les corps parce que t’avais pas d’autre endroit tu vois.
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- En fait quand on n’était pas encore sédentaires bah à l’endroit où la personne mourrait on l’enterrait et on poursuivait son chemin quoi. - Tu vois je sais pas à partir de quel moment il y en a qui se sont dit «on va l’enterrer». - Il y a une distinction après entre rite funéraire c’est à dire le culte funéraire et la manière de reposer, l’inhumation la crémation etc... c’est deux choses très différentes. - En tout cas moi je pense que c’est les espaces de recueillement, la sanctuarisation d’un espace c’est ça qui va jamais disparaître. - C’est la signification plus que le repos? - C’est ça. Parce que tu vois j’imagine qu’il y a très longtemps, enfin à l’époque, le mec qui décède au moins tu mettais des fleurs autour tu vois. Tu te dis que cet espace là au moins il est marqué par quelqu’un, et c’est ça pour moi qui disparaîtra pas. Après est-ce que c’est des tombes, est-ce que c’est des murs, est-ce que c’est un endroit où disperses les cendres etc... peu importe. T’auras juste toujours besoin d’un espace de recueillement tu vois, ça ouai c’est sûr. Après ça peut aussi être un arbre tu vois. Après la question c’est que est-ce que cette sanctuarisation de l’espace tu la marques pour tout le monde ou juste pour toi tu vois. Parce que imagines tu disperses tes cendres sur le platane de la tête d’Or et que le lendemain tu as des gens qui pissent dessus... eux ils le savent pas tu vois mais toi ça va te choquer. - Tout endroit n’est pas cimetière on va dire. - Après tu vois je trouve ça ultra glauque à l’inverse de me dire «ma copine ou mes enfants ont mes cendres chez eux» tu vois. Pour moi c’est impossible, même dans leur jardin tu vois. En gros c’est leur vie, j’ai pas envie d’être là absolument dans leurs vies tu vois. Je veux pas que mon souvenir soit une contrainte pour les gens. Si t’as envie de penser à moi c’est cool mais je veux que tu puisses mener ta vie. Si à un moment t’as plus envie de penser à moi bah penses plus à moi tant pis. - Tu veux aucun marqueur physique dans leur quotidien. - Mais tu vois pour moi déjà la démarche de penser à quelqu’un c’est la même démarche que d’aller au cimetière. En gros tu fais un cheminement pour te rappeler de cette personne là. Et pour moi il faut pas que cette personne là s’impose à toi. 220
- Dans le cas où le cimetière ne serait pas amené à disparaître du coup pour toi il devrait être comment ? Quelles matières ? Les facilités ? Les aménagements ? Ouvert, clos, fermé ? Il y a énormément de possibilités. Toi personnellement le cimetière «rêvé», celui dans lequel tu aimerais reposer ou alors si quelqu’un devait ta famille devait y aller pour faire un travail de recueillement ? - Bah moi comme je t’ai dit comme j’ai pas de relation à la religion ou quoi, pour moi le cimetière c’est un endroit qui pousse à la contemplation, au delà du cimetière tu vois. Mais après c’est très cliché comme image tu vois mais en fait genre un cimetière laid ça devrait pas exister. Il faut que la mise en scène ou les caractéristiques du lieu te fassent te sentir bien,mais un truc propice à la contemplation. Alors je sais pas du tout la forme que ça peut avoir mais pour moi c’est lié à un paysage. Tu vois je pense à celui de Port-bou, ou même celui du village basque de mon pote, à chaque fois ce que je trouve qui est vraiment beau c’est que le cimetière après il s’ouvre sur un paysage beaucoup plus grand et je trouve que c’est ça aussi le propos du cimetière c’est t’inclure dans un truc plus grand tu vois. Et en même temps si tu te trouves dans un endroit calme et qui pousse à la contemplation toi aussi tu vas être calme et silencieux et tu vois t’as une enveloppe qui t’amène à être propre à la contemplation. Après c’est comme celui de Barani. Parce qu’un cimetière à côté d’une autoroute bah même si toi tu en as envie et que t’essaies de te créer une bulle bah c’est pas pareil. Il faut que l’expérience du site soit à la hauteur de l’expérience que t’es en train de vivre tu vois. Parce que genre aller voir quelqu’un qui est décédé tu peux pas faire ça comme tu fais les courses. Mais en fait si je devais te dessiner un cimetière je te dessinerai ceux que je connais tu vois. Par exemple pour moi déjà c’est en hauteur. Il y a un truc que je remarque toujours et que je trouve agréable, je vais te parler d’expériences vécues parce qu’après tout un projet c’est de l’expérience vécue, c’est que déjà c’est cool quand c’est encastré dans une topo et tu as des cheminements qui sont cools, tu peux avoir des jeux de murs intéressants. Et ce qui est cool en fait c’est que ça te dégage des vues de ouf en fait sur après la montagne derrière ou la mer j’en sais rien. C’est une sorte d’ouverture au payage. et globalement de tous les cimetières que je parle que j’ai trouvé bien c’est cette ouverture. Pour moi le cimetière je le dessine par le paysage pas par sa matérialité physique. Je trouve que ça t’inclus dans ce que t’es en train de vivre. Quand tu visites un cimetière tu te dis que ta vie elle est limitée et du coup au final ça renvoie au reste. J’imagine pas du tout un cimetière qui donne sur un supermarché Carrefour city tu vois parce qu’il y a un décalage de ouf entre ton expérience que t’es en train de vivre. Je sais pas faut que ce que tu vois sois en adéquation avec la question que tu te poses. - Moi il faut que ça me renvoie à plus grand que moi. Un autre sens de la réalité, 221
et que la mort découle de la vie. Être raccroché à un paysage ou à quelque chose de plus grand que soi c’est relativiser on va dire. - Oui c’est ça en vrai. Mais après ça veut dire que chaque cimetière... tu vois Barani a fait un truc de ouf parce qu’il a un lieu déjà qui est incroyable. Quand t’es à Feyzin bon courage. Enfin si, c’est ça qui est trop cool. Je pense aux trucs de Turell qui fait des ouvertures sur plus grand. Lui c’est une installation artistique mais il fait un énorme plateau avec un sol qui fait la même forme et il définit juste un espace et il ouvre un grand carré et du coup il se fiche de là où t’es, ça peut être à Feyzin c’est ça qui est trop fort je trouve. - Se focaliser sur autre chose? - Oui toutes ces typologies d’espaces là sont cools, c’est recréer un monde en fait. Genre même le patio c’est trop bien pour ça, ça te coupe du monde. Genre le jardin de Zumthor à la Serpentine Gallery il est trop fort parce que c’est incroyable quoi. En vrai c’est essayer de te recréer une intériorité, se recréer un monde que ce soit dans le paysage ou dans l’architecture quoi. Il faut arriver à couper les sens de la vie autour. C’est pour ça que les bois, les forêts et tout c’est cool aussi comme à Stockholm. - Merci infiniment! - Hâte de voir ça en tout cas.
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table des matières
06-07
Préambule
10-19
Introduction
20-93
I - La mort, génératrice d’espaces façonnés par la société dans laquelle ils s’inscrivent
22-83 22-39
1/ Les espaces sépulcraux 1.1.1 - Les espaces sépulcraux et la cité, entre proximité et éloignement physique et symbolique 1.1.2 - La typo-morphologie des lieux de sépulture : une diversité historique 1.1.3 - La sépulture, support des rituels post-sépulcraux
40-63 64-83 84-93 84-85 86-87 88-89 90-91
Cadre théorique Problématique Méthodologie Objectifs Présentation du plan
2/ Les espaces ritualisés 2.1.1 - La création ou l’investiture de lieux précédant la mort elle-même 2.1.2 - La préparation du corps, un soin ritualisé porté par divers acteurs 2.1.3 - Les commémorations post sépulture : un devoir de mémoire guidé par les croyances 2.1.4 - Le deuil, une institution ritualisée qui influe sur le quotidien
95-161
II - Essai de projection concernant la/les morphologie(s) des cimetières à venir
96-109 96-99 100-103 104-109
1/ Etat des lieux du cimetière d’aujourd’hui 3.1.1- La baisse des fréquentations quotidiennes, une affaire de génération 3.1.2 - Tourisme et patrimonialisation : de nouveaux usagers dans le cimetière 3.1.3 - La saturation des cimetières, un phénomène mondial
110-135 110-121 122-125 126-129 130-135
2/ Les évolutions sociétales susceptibles d’influencer les cimetières 3.2.1 - Une diversification des modes de sépultures qui appelle à repenser le cimetière 3.2.2 - La digitalisation, une menace pour le futur? 3.2.3 - D’un espace laïc à l’introduction de carrés confessionnels 3.2.4 - Du rituel à la ritualisation, le rapprochement entre espace sépulcral et espace cérémonial
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3/ Essai de cadrage des caractéristiques du cimetière du futur 3.3.1 - Désenclaver les espaces funéraires pour les ramener sur la scène urbaine 3.3.2 - De l’enjeu écologique à la quête de sérénité, le végétal peut-il sauver le cimetière? 3.3.3 - La nécessité de repenser l’art funéraire hors des standards 3.3.4 - La verticalisation des cimetières, une solution à la saturation qui prend différentes formes
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Conclusion Ressources Iconographie Annexes Table des matières
Lieu de mystère et de fantasme, le cimetière intrigue et ne laisse pas indifférent. Source intarrissable d’inspiration, on le retrouve dans la littérature chez MAUPASSANT, dans la poésie chez Thomas GRAY, au cinéma chez Tim BURTON ou encore dans la peinture chez David FRIEDRICH. Le cimetière est partout, sauf dans nos vi(ll) es. Délaissé par les moeurs, délaissé par les décideurs, délaissé par les visiteurs, le cimetière paraît figé dans sa configuration actuelle.
Place of mystery and fantasy, the cemetery intrigues and leaves no one indifferent. Inexhaustible source of inspiration, we find it in literature with MAUPASSANT, in poetry with Thomas GRAY, in cinema with Tim BURTON or even in painting with David FRIEDRICH. The cemetery is everywhere, except in our towns and our lives. Abandoned by customs, abandoned by decision-makers, abandoned by visitors, the cemetery seems frozen in its current configuration.
Pourtant, «la nécropole est l’envers de la métropole», pour reprendre les mots de Michel RAGON. Façonné par les problématiques et enjeux qui lui sont contemporains, il est en perpétuelle refonte sur lui-même. Aujourd’hui, en marge de l’urbanisation du XXIe siècle qui se densifie et mute dans de nouvelles formes propices à la rationalité foncière, le cimetière dans sa configuration encore trop avide d’espace peine à suivre le rythme. Rejeté en périphérie, il souffre de sa mauvaise réputation, les fréquentations se font de plus en plus rares et il connaît progressivement un manque de place. Miroir noir de la ville, il subit la même problématique de saturation foncière puisqu’à mesure que nous sommes de plus en plus à vivre sur Terre, nous sommes également plus nombreux à mourir.
However, «the necropolis is the reverse of the metropolis», to use the words of Michel RAGON. Shaped by the problems and issues that are contemporary to it, it is in perpetual recasting on itself. Today, on the fringes of the 21st century urbanization becoming denser and mutating into new forms conducive to land rationality, the cemetery in its configuration still too greedy for space is struggling to keep pace. Rejected on the peripheries, it suffers from its bad reputation, visits are increasingly rare and it is gradually experiencing a lack of space. Black mirror of the city, it suffers from the same problem of land saturation since as more and more of us are living on Earth, more of us are also dying.
Cet enjeu est justement l’occasion de reprendre la main sur la gestion et l’élaboration des cimetières. Il est temps de réfléchir à de nouvelles solutions, ou peut être même d’en emprunter des anciennes, et de mettre en place une réflexion globale concernant la gestion des sépultures.
This issue is precisely the opportunity to regain control of the management and development of cemeteries. It is time to think about new solutions, or maybe even borrow old ones, and to put in place a global reflection on the management of burials.