Les sens des mouvements - Analyse de la Place d'Armes à Yverdon-les-Bains

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Les sens des mouvements Analyse de la Place d'Armes à Yverdon-les-Bains EPFL, ENAC, SAR, MA3 UED: Territoire et société

Photo 1: Le vélo est un des modes à succès visible sur la Place D'Armes

Sous la direction de: Yves Pedrazzini Barbara Tirone Kaj Noschis Le 03.12.2013, un travail de: Ngoc Quyen Nguyen

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1. Sommaire 1. Sommaire 2. Présentation de la problématique 2.1. La Place d'Armes, historique et enjeux 2.2. La mobilité comme vecteur d'urbanité 2.3. L'espace public et les hauts-lieux 3. Hypothèses et objectifs – les sens des mouvements 4. Méthodes 4.1. Analyse des flux et des mouvements par le dessin en plan – enquête auprès des usagers 4.2. Analyse des scènes et des habitudes par la photographie – moments instantanés 5. Synthèse et scénario 6. Conclusion 7. Sources

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2. Présentation de la problématique 2.1. La Place d'Armes, historique et enjeux La ville d'Yverdon-les-Bains connaît un développement exemplaire actuellement. De nombreux projets d'aménagement urbain sont en cours et vont modifier le visage de la ville. Ce travail traitera particulièrement de la Place d'Armes qui se trouve en face de la gare, et du rôle de la mobilité dans les réflexions quant au renouvellement de cet espace public. La Place d'Armes est historiquement un des éléments majeurs structurant l'urbanisme d'Yverdon. Au 15ème siècle, la présence de cette place n'était pas explicitement exprimée. Néanmoins, l'espace immense présent entre la ville et le lac était utilisé par les arbalétriers. 1 En 1737, les premiers plans ont été dessinés pour donner une forme à cet espace, composé à l'époque de deux rangées d'arbres axées Nord-Sud, formant ainsi un rectangle dont la géométrie est restée jusqu'à nos jours. Puis en 1806, une troisième allée d'arbres est venue compléter les deux autres pour déterminer les dimensions de cet espace et le définir véritablement comme place. À partir de la moitié du 19ème siècle, Yverdon se développe vers le lac de Neuchâtel. Durant cette période, en 1855, la gare a été construite et s'est juxtaposée exactement à côté de la place. Au début du 20ème siècle, deux bâtiments, le Collège et le Casino, ont été érigés au Nord et au Sud pour stabiliser cet espace urbain. Au fil des années, la Place d'Armes a revêtu différents noms et plusieurs fonctions. Elle a connu diverses configurations mais est restée majoritairement une place verte et vaste, sur laquelle de nombreux événements pouvaient se produire (le cirque, l'Abbaye, les regroupements militaires, les événements sportifs, etc). De nos jours, la Place d'Armes reste un lieu important dans la ville, à la fois dans son usage mais également dans son rôle urbain. Elle fait en effet l'interface entre la vieille ville et le lac et demeure la première image qu'on voit d'Yverdon lorsqu'on arrive en train. D'une envergure très grande, la place mesure, si l'on compte de façade à façade, environ 120m x 240m. Malgré tout, les proportions ne sont pas perceptibles actuellement, la place étant séparée en plusieurs sous-espaces, 2 parkings extérieurs avec un espace vert au centre, appelé communément « Jardin Japonais ». Bien que l'allée devant la gare soit déjà aménagée pour le trafic de bus, de voitures et de vélos, la Place d'Armes mérite d'être questionnée sur son potentiel et fait l'objet maintenant de recherches pour sa requalification. C'est dans ce contexte de réflexions que ce travail s'inscrit. Les enjeux se déclinent pour cette place sur plusieurs échelles. D'un point de vue territorial, Yverdon se trouve à l'extrémité Sud du lac, et concentre en sa gare des flux provenant de Neuchâtel, Lausanne et Fribourg. Son emplacement stratégique sur le plateau romand fait de la ville un lieu incontournable en terme de mobilité territoriale. La relation de la place avec la gare est donc primordiale. Au niveau urbain, la place rayonne comme un lieu névralgique dans une ville d'environ 30'000 habitants 2. Cet espace se place entre la ville et le lac et fait partie d'un grand projet qui cherche à renouer le lien avec l'eau, appelé « Projet Gare-Lac »3. Enfin, à l'échelle humaine, la Place d'Armes est chargée symboliquement et propose des activités et des services multiples qui participent à l'altérité de ses espaces. Il est important de souligner le caractère public de la place, car les usagers qui la vivent et l'empruntent sont tout autant divers que les événements qui peuvent s'y passer. À la fois lieu de passage et lieu de d'activités, la place doit son existence aussi à l'animation créé par les personnes. 1 http://www.yverdon.ch/deppar/historique.php 2 http://www.yverdon-les-bains.ch/ 3 http://www.ylb.ch/gare-lac/

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2.2. La mobilité comme vecteur d'urbanité

Photo 2: Scène d'un report modal entre une mobilité douce (trotinettes) et des transports motorisés (bus). Les espaces situés aux arrêts de bus sont ponctuellement le théâtre d'une urbanité particulière et éphémère, où des individus se frôlent et se côtoient le moment de descendre ou de monter dans le véhicule.

Il s'agit de comprendre désormais comment les usagers se déplacent vers la place, au travers ou sur celle-ci. Leurs mouvements sont-ils le fruit d'un aménagement rigide et inflexible? Ce chapitre prend le parti que la mobilité, douce et motorisée, contribue à la compréhension et au développement d'une place publique. Un espace public comporte de nombreuses problématiques. L'une d'entre elle est celle de la mobilité et des circulations de choses et de personnes. Yverdon est une ville de taille modeste qui, comme ses voisines, propose en son sein différents moyens de transports. La Place d'Armes a abrité depuis ces dernières années un mode de transports représentatif de l'ère industriel, la voiture. L'augmentation du parc automobile crée des nuisances souvent invisibles ou ignorées en raison de l'aspect pratique de la voiture. Les nuisances peuvent être de nature environnementale (pollution de l'air, pollution sonore), mais également au niveau de la sécurité routière. L'impact du parking sur le paysage est non négligeable, surtout que les parkings de voiture sont en général sans qualité spatiale pour le piéton et que son entretien est parfois mis de côté. Le cas d'Yverdon est symptomatique de cette souveraineté de l'automobile et du transport individuel. Les politiques d'aménagement du territoire et de transports suivent souvent une tendance qui favorise l'intérêt économique au détriment de l'impact social et environnemental.4 Comment alors intégrer le mobilité dans les réflexions urbaines, notamment à l'échelle humaine, celle de l'usager? La Place d'Armes à Yverdon se positionne de manière stratégique. Sa proximité avec la gare et la vieille ville est un motif de déplacement important et génère un certain trafic à cet 4 http://www.unige.ch/ses/geo/oum/articles/Lausanne_SLGP_PNR54_V1.pdf

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endroit. Toutefois, force est de constater que les personnes diverses qui fréquentent la place ne jouissent pas pleinement du potentiel de celle-ci. Un espace public semble prédestiné à accueillir une forte diversité, à la fois culturelle et sociale, mais aussi un mélange de modes de transports. Cette multimodalité, ou la présence de plusieurs moyens de locomotion en concurrence les uns avec les autres5, est déjà perceptible en ce lieu. Pourtant un déséquilibre se devine rapidement en constatant une domination des engins motorisés. Les aménagements existants se destinent en partie aux voitures, aux bus, aux trains, et un peu aux cyclistes. L'unique élément véritablement à vocation piétonne est le jardin japonais au centre. Alors que la majorité des modes de transports sont ancrés dans un réseau, en général dessiné et planifié, la marche à pied suit plutôt une logique de maille, où la liberté de mouvement est augmentée. Cette liberté, en contraste avec les ségrégations spatiales et modales, participe pleinement à une urbanité intense. L'acceptation d'une certaine spontanéité et les notions de coïncidence et d'opportunisme permettent de générer des espaces « intermédiaires ». C'est surtout par la mobilité douce que des rencontres inopinées ou volatiles peuvent apparaître. En effet, la décélération ou la diminution des vitesses offre à l'usager les moyens de choisir son trajet et d'adapter ses mouvements au gré de son parcours. L'urbanité, selon Jacques Lévy, est le rapport étroit entre la densité et la diversité, et permet grâce à cette relation de mesurer la taille et l'intensité d'une ville. La substance essentielle d'une urbanité est la présence des habitants en certains lieux. Cela signifie que l'urbanité apparaît dans des poches d'activités, ou des espaces que nous pouvons qualifier de « haut-lieux ». Nous verrons comment ces endroits apparaissent déjà sur la Place d'Armes à travers deux enquêtes. Mais avant de décortiquer les observations sur le terrain, il convient de cerner également les notions théoriques suivantes, l'espace public et les hauts-lieux.

Photo 3: Une bonne maîtrise de la mobilité permet de faciliter l'accès à différentes catégories de personnes, des enfants, des personnes âgées ou à mobilité réduite. L'accessibilité favorise les rencontres et contribue nécessairement à l'urbanité.

5 http://www.cnis.fr/files/content/sites/Cnis/files/Fichiers/groupes_actifs/questionnaire_RP/documents_preparatoires/ DPR_2012_8e_reunion_RP_mobilite_intermodalite_certu.PDF

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2.3. L'espace public et les hauts-lieux L'espace public se présente souvent comme une interface ou une couture urbaine. Les caractéristiques qui composent cet espace varient et fluctue d'un lieu à un autre, mais reviennent à chaque fois sous des formes connues, adaptées à la ville. Ainsi, il est admis qu'une place est articulée par le bâti qui l'entoure. Les façades, par leur hauteurs et leur rapport entre elles, stabilisent un espace et lui confère le statut d'une place publique. Néanmoins, la place ne se définit pas que par ses dimensions mais bien par les éléments qui l'environnent. La taille d'un espace public est sujette à débat dans la dénomination de celui-ci, et force ainsi à une certaine catégorisation de types d'espaces. Par exemple, la place Shibuya à Tokyo, de taille modeste et flanquée d'une petite statue d'un chien, attire pourtant régulièrement un public. Aux antipodes, nous pouvons confronter cet espace japonais à la célèbre place St-Pierre de Rome, d'une envergure imposante où se déroulent des rassemblements à chaque fois impressionnants. La spécificité commune aux espaces publics est donc le partage commun entre différentes personnes de ces espaces. Le péri-métrage de ces endroits semble délicat car les limites d'une place sont malléables et se franchissent en fonction de la situation. Toutefois, il est incontestable qu'une place doit se voir investir d'un certain « vide », en rupture avec le « plein » des bâtiments, assez appréciable pour offrir aux gens un lieu où se rencontrer. L'idée de rassemblements, liée aux types d'espaces publics, se classe aussi à différents niveaux. En effet, du fait de la difficulté de quantifier le nombre de personnes et leurs rencontres, nous pouvons émettre surtout des intuitions et des estimations pour déterminer des profils d'usage. Les événements qui peuvent se produire sur une place sont innombrables et diversifiés. Parfois, nous pouvons constater des redondances d'activités qui forment en quelques sorte les hauts-lieux habituels. Dans ce sens, une place est représentée par des lieux spécifiques qui constituent son identité. En général, ces lieux se situent à proximité d'éléments qui ponctuent de part et d'autres la place. Par exemple, il peut s'agir d'une fontaine, de quelques marches, d'un petit jardin, d'une sculpture, etc. Cependant, certains espaces publics, proposent une grande flexibilité quant à son appropriation et se destine à être une scène libre animée de tant à autre par des événements divers (concerts, manifestations, marchés, etc.). Selon Kaj Noschis, les hauts-lieux ont la « capacité d'offrir à nombre d'habitants la possibilité d'émotions particulièrement intenses ».6

Photo 4: Les commerces qui sont répartis sur le pourtour de la place sont des éléments qui créent une animation. Des espaces intermédiaires sont réinterprété par les usagers. Ici, le trottoir se prolonge jusqu'à la façade et prend le statut d'une terrasse.

6 Kaj Noschis, Signification affective du quartier, 1984, Paris, Librairie des Méridiens

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C'est peut-être dans le dialogue des hauts-lieux et des espaces multifonctionnels qu'une solution pourrait naître pour la Place d'Armes à Yverdon. Dans les deux cas, la question de l'accès et de la mobilité est primordiale dans le bon fonctionnement d'une place. La spontanéité des déplacements se conjugue avec les trajets prédéfinis par des plans d'aménagements et de circulation. Dans toute réflexion sur la conception d'une place, il faut prendre en compte ces différents aspects. L'analyse de hauts-lieux existants et la manière d'y accéder pose les bases d'une vision future possible. En d'autres termes, la négligence du contexte et de l'histoire d'un lieu peut porter porter préjudice à l'urbanité qui se trouvait déjà dans cet espace. Construite à partir d'éléments physiques, comme des bâtiments ou des éléments topographiques et d'infrastructures, une place ne se voue pas à un repli sur elle-même, mais bien à une ouverture avec ce qui l'entoure. C'est à travers des connexions urbaines que l'espace public noue des liens avec d'autres lieux. Pour ce soucis de s'inscrire dans un système de circulation à l'échelle urbaine, les places publiques revêtent bien souvent un double caractère de lieu de passage et de support d'activités. Certaines places, comme la Place de la Catalogne7, sont à la fois emblématique, de transitions et de rencontres. Un espace public est revendiqué ainsi de différentes manières selon des époques, des personnes et selon le caractère propre de la place, c'est-à-dire sa composition architecturale et urbaine.

Photo 5: Les hauts-lieux sont possibles par des éléments simples comme, par exemple., un banc et une vue sur le Jardin Japonais

Photo 6: La place devant la gare présente des scènes de vie variées.

7 Nadja Monnet & Maribel Tovar, Essai d'ethnographie visuelle ou comment cerner le pouls de la Place de la Catalogne au travers de photographie et d'ambiances sonores, 2006

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3. Hypothèses et objectifs – les sens des mouvements L'objectif de ce travail est avant tout de se placer dans la continuité des démarches déjà effectuées sur la Place d'Armes, et d'apporter un élément de réflexion supplémentaire dans la requalification de cet espace public. Le but étant de sensibiliser sur le rôle de la mobilité, et de porter l'intérêt sur ce thème qui doit être en lien avec les hauts-lieux. La mobilité étant présenté ici comme un des facteurs qui forment une bonne urbanité. Après les analyses et les observations sur la place, un scénario sera proposé pour nourrir les questionnements. L'hypothèse de cet étude est que « la mobilité et les sens des mouvements des usagers sur la Place d'Armes déterminent des activités et des hauts-lieux, et qu'une amélioration des déplacements permet de restructurer les fonctions des espaces et favorise l'urbanité ». La place peut être re-dynamisé par des aménagements qui encouragent la mobilité, et notamment la mobilité douce. Un mélange de moyens de transports paraît favorable à une bonne gestion des circulations. La place étant liée à la Gare, elle comprend déjà un report modal visible. Un équilibre doit également se trouver entre espaces dessinés et espaces spontanés. Les usagers s'appropriant de manière indéterminée les espaces, il est pertinent de concevoir une certaine flexibilité d'usages. À caractère public, la Place d'Armes a pour vocation de rassembler des personnes diverses et d'assimiler leur activités sur celle-ci. Dans un premier temps, il est intéressant de comprendre le motif de déplacement des personnes sur la place par des enquêtes. Ensuite, les résultats obtenus vont offrir des pistes de réflexions pour proposer des idées de restructuration de la place. En toile de fond, le postulat intrinsèque est que la place possède une multifonctionnalité. La difficulté est donc de se positionner équitablement face aux nombreux utilisateurs potentiels de la place. Les besoins et les désirs des habitants se ressemblent parfois, et divergent souvent. De ce fait, ce serait une erreur d'imaginer une place destinée à des fonctions très précises et à une classe sociale spécifique. La vision romantique d'une place où l'on sait ce que les gens vont y faire est à modérer avec les incertitudes que suscitent les espaces publics. Néanmoins, le travail de l'architecte et de l'urbaniste prétend à une possible maîtrise des espaces et des circulations. L'intérêt de ce travail est d'alimenter les pensées des acteurs de l'aménagement et de la construction par des réflexions d'ordre social, économique, politique et psychologique. Le challenge de se projeter dans le futur concerne autant les experts du domaine que les habitants, d'où l'attention portée aux usagers. Les sens des mouvements À travers l'étude des mouvements, des sens vont émerger, autant sur le plan géométrique et directionnel que sur le plan affectif et émotionnel. En premier lieu, l'orientation des trajets sur une place apporte une lecture métrique et mesurable. Cette analyse trouve son efficacité surtout en plan, où une vision d'ensemble est nécessaire à toute prémisse. L'étude des mouvements par un regard sur les flux et leurs croisements donnent à voir rapidement les lignes principales d'une place. L'observation des limites et des proportions génère des dessins qui sont la matière sur laquelle les critiques peuvent se faire. C'est dans la confrontation des tracés créés par le mouvements des usagers et le réseau des transports publics et privés, que des contrastes ou des similitudes surgissent. Cette superposition des mouvements souligne parfois des concordances, mais illustre aussi des détournements dans la façon d'emprunter des espaces. Lorsque plusieurs traits convergent en un lieu, il est probable que celui-ci est déterminant dans l'articulation des chemins et des accès. Des questions basiques sont inhérentes à ce type d'étude: Comment les usagers bougent-ils sur une place? Pour quelles raisons se déplacent-ils? Dans quelles directions vont-ils? Quel est le sens de leurs mouvements? 8


Les mouvements prennent aussi un sens affectif et émotionnel, c'est-à-dire de nature physiologique et psychologique. Sans rentrer en détail dans ces domaines complexes, nous pouvons toutefois noter quelques notions captivantes. La dichotomie entre individu et groupe concerne ces thèmes d'espace public et de mouvement. Dans quelle mesure une personne réagit-elle lorsqu'elle se trouve seule ou avec les autres? Le sens de leurs déplacements semble lié à cette problématique. « [...] Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée [...] Le promeneur solitaire et pensif tire une singulière ivresse de cette universelle communion [...] »8 Nous pouvons penser que lorsqu'un individu se retrouve dans un groupe, sa capacité à s'approprier les espaces publics est différente. Bien entendu, il faut s'accorder sur la notion de groupe et à partir de combien de personnes nous pouvons parler de groupe. L'attirance pour les foules est un des motifs de déplacement d'une personne. Pour d'autres, ce sera plutôt le caractère anonyme que leur confère les espaces publics qui les intéresse. En effet, n'est-ce-pas là une caractéristique fondamentale d'une place? Un individu, qu'il soit solitaire ou baigné dans un rassemblement, reste au final un visage parmi d'autres. Évidemment, il s'agit ici de suppositions concernant des gens de tous les jours et des scènes de vie banales. Majoritairement composée de personnes anonymes, la place publique est parfois égayée ou perturbée par des personnages particuliers. L'enjeu est donc d'être visible ou d'être invisible. Voir et être vu, cet idée sous-entend un ensemble de comportements sociaux qui apparaissent dans les places. L'attitude des usagers est porteuse d'idée et de valeurs autant que leur habillement et leurs marques ostentatoires ou cachées. La co-présence de différents comportements participe par exemple à une urbanité intense, ou l'altérité et la diversité sont acceptées. Certes, quelquefois ces différences sont simplement ignorées, mais restent toutefois un critère déterminant pour une place publique.

Photo 7: Le lien entre la vieille ville et la place reste très intense. Ces connexions indiquent des directions à privilégier. Les mouvements des personnes prennent en général un sens et une orientation évocateurs.

8 Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, XII, 1869. « Les foules »

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Photo 8: Les mouvements varient selon chaque usager et reflètent l'affection et l'émotion qu'il peut ressentir dans un espace public. Les éléments architecturaux, notamment le travail sur le revêtement et les lignes au sol, influence l'image de la place et les déplacements.

Outre ces aspects émotionnels, les sens des mouvements s'attache également à la perception des éléments architecturaux mis en place.9 Lorsqu'une personne parcourt un espace public, son regard varie entre les différents niveaux de perception. À échelle humaine, nous remarquons que les rezde-chaussée des bâtiments sont en principe très visibles et représentatifs des activités sur un lieu. La plupart du temps, il s'agit de vitrines pour des commerces qui nourrissent l'animation d'une place. Le regard de l'usager se porte également vers le sol, d'où l'importance de bien traiter le revêtement qui couvre une place. Ainsi la surface d'une place, de grande envergure dans le cas de la Place d'Armes, contient à un grand nombre d'informations, parfois fonctionnelles, parfois affectives. L'utilisation de pavé en pierre comme matériau, par exemple, renvoie à des connaissances en amont et à des référents. Ces images demeurent généralement inconscientes lorsque l'on expérimente une place, mais influence fortement nos sens et notre manière de s'approprier un espace public. Les lignes au sol, le raccordement de revêtement, la couleur et la texture des matériaux, sont autant d'éléments minimes qui rentrent dans les réflexions. Les mouvements des personnes sont affectés par le choix de ces éléments, leurs dimensions et leur agencement. L'individu tend à associer des particularités d'un lieu à d'autres lieux connus. Peut-être à l'état abstrait, le système de structuration des espaces de chaque personne l'aide à se diriger, à se repérer, et à découvrir de nouveaux endroits. À cause du flou et des incertitudes dans le comportement des personnes sur une place, les conceptions architecturales vise en général une abstraction et une catégorisation des profils d'usagers. L'étude de la mobilité et des hauts-lieux, dans ce travail, cherche à être plus sensible à l'usager, à la place dans lequel il se mouve, et à la ville dans laquelle il vit. Une contextualisation, avec comme fil rouge la mobilité, reste un outil efficace dans la conception architecturale et urbaine. 9 Conférence Igor Andersen, Urbaplan, Yverdon, 19.06.2013

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4. Méthodes Les deux méthodes utilisées se veulent complémentaires l'une de l'autre. L'une consiste dans la saisie de dessins de flux faits par des usagers de la place, l'autre dans un rapprochement photographique pour faire ressortir des scènes capturées sur le moment. L'enquête a été effectuée le vendredi 08.11.2013 entre 12h et 16h, tranche horaire susceptible de présenter une diversité d'usagers. 4.1. Analyse des flux et des mouvements par le dessin en plan – enquête auprès des usagers Cette méthode est adéquate pour comprendre les problématiques liées à la géométrie de la place, et à ses limites et proportions. Une vue générale permet de s'emparer de cet espace public à une échelle urbaine. L'idée est de soumettre un plan redessiné et simplifié à des usagers qui se trouvent sur le lieu, et leur demander de dessiner le tracé de leur dernier trajet récent sur ou à travers la Place d'Armes. Douze personnes ont été abordées à différents endroits de la place. Pour avoir un échantillon relativement représentatif, des profils d'usagers ont été ciblés. Cette méthode se veut interactive et interpelle directement l'utilisateur sur sa capacité à visionner ses mouvements en plan. L'exercice s'est avéré complexe pour certaines personnes qui n'ont pas l'habitude de ce type de point de vue, la lecture en plan étant une abstraction qui demande une certaine gymnastique entre l'échelle humaine et l'échelle urbaine. Le plan a été volontairement schématisé pour laisser aux usagers une liberté d'interprétation. Les traits ainsi dessinés se font dans les grandes lignes pour montrer les directions principales utilisées. Cette recherche tolère une précision plutôt faible, sachant que les informations concernant un trajet banal sont difficilement transmissibles en plan. L'ensemble des dessins récoltés sont une manière de représenter la mobilité et sont vecteurs d'intentions de mouvements. Les fiches proposées aux usagers contiennent quelques données sur leur personne, mais restent anonymes, ce choix permettant aux individus de ne pas s'impliquer personnellement. La place étant un lieu à caractère public, les usagers sont nombreux et n'ont pas tous une affection particulière pour la Place d'Armes. Ils apportent plutôt un témoignage parmi d'autres de l'utilisation possible de cet espace. Les informations suivantes se trouvent sur les fiches: l'âge, le sexe, la profession, les moyens de transports privilégiés et le motif principal de déplacement. Le genre de la personne n'a pas d'impact ni d'intérêt direct, comparé aux autres critères qui complètent les dessins de flux et, en quelque sorte, les légendent. Ces renseignements sont précieux car ils indiquent les raisons pour lesquelles les personnes viennent sur la place. Une simple lecture des tracés permet de mettre en évidence des croisements de flux et des poches d'activités, qui correspondent à des hauts-lieux. Nous pouvons considérer cette méthode comme un moyen pour comprendre le sens des mouvements à l'échelle de la ville. Les usages restent pour cet exercice de l'ordre de l'imaginaire. Les traits, qui représentent le cheminement, et les points qui marquent des moments d'arrêts, peuvent être interprétés de nombreuses façons. Qui se déplacent vers cet endroit et comment bouget-il? Pourquoi s'arrête-t-il à tel lieu et pour combien de temps? Que signifient des tracés rectilignes comparés à ceux plus tourmentés? D'autres questions peuvent encore surgir en regardant les dessins.

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Il y a donc trois éléments principaux que nous pouvons analyser. Tout d'abord, la forme et l'intensité des lignes. Celles-ci s'appliquent parfois sur des aménagements destinés à gérer la circulation et d'autres fois semblent être aléatoire. C'est le long des routes et des allées devant la gare que les traits rectilignes sont les plus marqués, ainsi que dans les petites rues qui connectent la vieille ville à la place. Le centre de la place combine des traits assez confus, symptomatiques d'un manque de planification en matière de mobilité. Le jardin japonais propose des promenades en rupture avec les deux parkings adjacents. Les lieux de stockage pour les voitures sont traversés souvent en latéral, signifiant un intérêt à utiliser la place comme interface entre la gare et la vieille ville. En général, il est frappant de constater que la place est beaucoup utilisée comme lieu de transition. Les endroits non touchés par les flux de circulations correspondent sans surprise à l'emplacement des voitures, qui agissent comme des obstacles pour la mobilité. Notons que les traits ne hiérarchisent pas les modes de transports présents. C'est surtout l'emprise des mouvements qui sont dessinés. Chaque ligne est liée à un haut-lieu qui est schématisé par un point rouge. La répartition des points rouges en plan est significative des mouvements des personnes. À moins qu'il s'agisse de pérégrinations sans but précis, la majorité des points symbolisent l'objectif de chaque parcours. Les lignes sont quelquefois ponctuées par plusieurs arrêts et se décomposent en segments. Nous pouvons comprendre ceci comme de multiples motifs de trajet d'un usager. Cet enchaînement de mouvement illustre aussi une intermodalité sur la Place d'Armes. En effet, l'offre de transports et de report modal est déjà assurée par la présence de parkings de voitures, de motos, de vélos, d'arrêts de bus, de lignes de train, et chemins piétons. La dispersion des points sur les dessins démontrent le rôle fondamental de la gare, qui regroupe au-delà de sa fonction de lieu de passage, une série de services et d'activités tels que des restaurants, des bureaux ou La Poste. Vers le coin nord-ouest de la place, les points rouges sont plus concentrés, sans doute par la proximité avec le collège, les arrêts de bus, la gare et les restaurants. En contraste, le milieu de place n'indique que quelques points rouges. Le Jardin Japonais est flanqué d'une petite place de jeux qui se distingue du reste par son côté introverti, comme une bulle sur la grande place. Nous pouvons aussi remarquer quelques points autour de l'ancien kiosque, élément historique de la Place d'Armes. Nous voyons donc une imbrication des mouvements des usagers avec des hauts-lieux dispersés sur la place.

Plan des 12 trajets dessinés par les usagers, schématisé et simplifié. Une lecture de l'articulation des lignes et de la répartition des points d'arrêts, fait ressortir des poches d'activités récurrents ou des hauts-lieux.

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Plan des 12 trajets dessinés par les usagers. Du fait de la schématisation,les traits montrent surtout des directions principales.

Plan des prises de vue, les numéros correspondent aux photographies. En rouge, les éléments architecturaux qui figurent sur les photographies. Ce plan coïncide avec celui des flux dessines par les usagers, les hauts lieux existants se retrouvent la plupart aux même endroits.

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Usagers n°

Age

Sexe

Profession

Moyens de transports privilégiés

Motif principal de déplacement

1

28

M

Enseignant

Pied, bus, train

Visite

2

31

F

Vendeuse

vélo

Travail

3

47

M

Sans emploi

Pied

Prendre l'air

4

38

M

Comptable

Train, pied

Travail

5

35

F

Infirmière

Pied

Promenade enfant

6

23

F

Serveuse

Voiture, pied

Travail

7

15

M

Étudiant

Bus

École

8

43

M

Pasteur

Voiture, pied

Église

9

32

H

Prof

Moto, pied

La Poste

10

17

F

Collégienne

Pied, bus

École, loisirs

11

75

M

Retraité

Pied

Promenade

12

76

F

Architecte retraitée

Voiture, pied

Commissions, gare

Ce bref échantillon de personnes est représentatif de la diversité des activités sur la Place d'Armes. Le caractère public de cet espace invite différents types d'usagers à y venir pour de multiples motifs. Toutes les générations sont représentées sur la place. Le critère de l'âge rentre souvent en concordance avec les motifs de déplacement et la profession. Usagers n°7 et 10 Les adolescents y sont particulièrement présents à midi et vers la fin de l'après-midi, ceci étant dû à la proximité avec le Collège. Dans le passé, ce bâtiment a contribué à la formation de la place et suit rigoureusement la géométrie de celle-ci. De dimensions relativement imposantes, cette école reste pourtant en retrait de la place, séparée par des buissons et ayant même sa propre cour. Cette tranche d'âge n'a pas encore accès à la voiture, leurs déplacements se font à pied et surtout en bus. Ce moyen de transports est plébiscité par les jeunes, car il offre une certaine sécurité lors des trajets, une grande capacité permettant aux élèves de se retrouver entre eux avant et après les cours, et un emplacement proche de l'établissement scolaire. Usagers n°2, 4 et 6 Une partie des usagers interrogés concernent des personnes qui viennent ou empruntent la place pour un but professionnel. Cette catégorie, au même titre que celles des jeunes élèves, est celle des usagers récurrents de la place. Ils empruntent ce lieu quotidiennement et vont toujours dans les même hauts-lieux par habitude. Ces personnes vont soit sur la place pour exercer leur métier, où profitent du dispositif multimodal pour se rendre à leur travail. Le mode de transports privilégiés dépend des conditions économiques et géographiques de chacun. Yverdon étant une ville de taille modeste, il n'est pas surprenant de voir une utilisation du vélo assez élevée. La voiture reste toutefois un mode privilégié, à cause de sa commodité et de sa rapidité. L'usager n°4 est représentatif d'un type de personne dont la mobilité est cosmopolitaine. Le lieu de travail n'est pas forcément le lieu de logement. À l'échelle de la Suisse, cette manière de se mouvoir sur de grandes distances est assez courante. De plus la localisation d'Yverdon se trouve sur un pôle territorial stratégique, proches de grandes villes romandes. 14


Usagers n° 1,3,5,8,9,11 et 12 Ce groupe d'usagers est composé de personnes dont la fréquentation de la place est temporaire ou occasionnelle. Il est intéressant ici de souligner l'aspect temporel de l'utilisation de la place. Les motifs et besoins de cette catégorie d'usagers peuvent se résumer à des promenades, des commissions, ou simplement prendre l'air. Nous remarquons que ces personnes présentent un profil similaire: elles sont considérées comme inactives. Par opposition à ceux qui exercent une activité professionnelle ou ont des obligations liées à l'école, ce groupe d'usagers englobe autant des personnes âgées ou retraitées, des travailleurs à temps partiel (souvent des parents accompagnés de leurs enfants), des personnes cataloguées comme marginales (vendeurs ou consommateurs de stupéfiants ou d'alcool), et des personnes extérieures à la ville (touristes et visiteurs). L'aire de jeux et le Jardin Japonais sont des lieux très fréquentées par ces usagers. Les petits commerces et La Poste sont également des destinations récurrentes. La place est aussi bordée par des trottoirs assez larges qui marquent des limites avec les routes qui l'entourent . Le long de ces trottoirs, des activités et un certain dynamisme sont perceptibles. 4.2. Analyse des scènes et des habitudes par la photographie – moments instantanés La photographie est une méthode efficace dans l'observation de lieux publics. Elle permet d'avoir un autre regard que l'image filmique, une vision instantanée d'une scène de vie. Cette recherche par le visuel aide à déceler des codes et des aspects sensoriels qui incorporent un ensemble de significations10. Henri Cartier-Bresson, pionnier du photo-journalisme et co-fondateur de l'agence Magnum, parle d'instant décisif pour ses clichés11. « L’appareil photographique est pour moi un carnet de croquis, l’instrument de l’intuition et de la spontanéité, le maître de l’instant qui, en termes visuels, questionne et décide à la fois. [...] Photographier : c’est dans un même instant et en une fraction de seconde reconnaître un fait et l’organisation rigoureuse de formes perçues visuellement qui expriment et signifient ce fait. » HCB Sans faire de reportage journalistique, ce travail sur la Place d'Armes s'inspire de cette technique artistique pour retranscrire des tranches de vies prises sur le vif. En effet, les images racontent une histoire ou un récit, à travers les éléments visibles et invisibles sur les photos. Cette question de la visibilité renvoie aux réflexions sur les sens affectifs des mouvements, évoquées précédemment. La photographie marque un arrêt sur image et montre un état des choses à un moment donné. Cette pause temporelle offre une observation aisée et fait ressortir des éléments qui seraient passés inaperçus dans une vision à temps réel. Les gestes, les regards, l'habillement, les marques, les objets qui participent à la scène renvoient à des référents connus ou étrangers à nos connaissances. Comme pour la méthode du dessin, les contrastes et les similitudes constituent les outils clés pour comprendre un espace public. Les photographies prises durant la journée du 08.11.2013 se focalisent sur les usagers plus que sur la place, qui sert surtout de décor aux scènes. Les acteurs étant les usagers, leur comportement et leur habillement les rendent soit énigmatiques, soit « normaux ». Les anomalies, par clivage avec les normalités, ne doivent pas se comprendre négativement. Certains individus sur les photos apparaissent parfois comme des personnages du récit.

10 Nadja Monnet & Maribel Tovar, ibidem 11 http://www.henricartierbresson.org/hcb/home_fr.htm

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Il est intéressant par cette méthode d'observer comment les personnes s'approprient les espaces sur la place. Ceci suppose que la photographie capture aussi des informations essentielles sur l'architecture du lieu, le mobilier urbain, la végétation et les matériaux existants. Les individus comprennent les limites et les espaces d'une façon qui peut paraître anodine, mais qui véhicule des attitudes chargées de sens quant à l'usage. Ces scènes ne sont pas des clichés pris au hasard mais résulte d'une intention de ma part quant au cadrage et aux choix des personnes. Les photos cherchent une composition entre des humains et des espaces. Bien sûr, ces images réalisées ne doivent pas masquer les images qu'on peut s'imaginer du lieu. Cette notion d'imaginaire demeure primordiale et doit rentrer en dialogue constant avec les photographies pour créer une fiction et une poésie urbaine. Le hasard qui survient lors du périple photographique amène des scènes « réelles », contrairement à des images arrangées pour des raisons de graphisme ou d'esthétisme. Souvent rapproché des usagers, l'objectif de l'appareil se distance de tant à autre pour capturer un panorama de scènes. Néanmoins la photographie peut poser un problème de mise en scène ou de malaise lorsque les usagers se rendent compte qu'ils sont pris en photo. Leur comportement et leur regard changent, ce qui peut fausser l'interprétation des images. Cette enquête photographique s'est donc faite à l'insu des protagonistes pour garder un « naturel » dans les clichés. En effet, même si ces personnes se trouvent dans un espace public, leur intimité reste un lieu difficilement franchissable. Le challenge était de rentrer dans leur monde sans pour autant les déranger, et de prendre des photos qui soient évocatrices.

Photo 9: Certaines scènes racontent par elle-même un récit. Les espaces publics sont des lieux fréquentés par beaucoup de personnes différentes. Parfois des usagers y vont dans le but d'être vus. Paradoxalement, à cause de l'altérité présente et visible sur les places publiques, certains personnes s'habituent aux scènes diverses et se déplacent souvent avec des œillères.

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Photo 10: Les petits commerces sont essentiels non seulement économiquement mais aussi culturellement.En se plaçant près des voitures, ce petit stand contraste par ses matériaux, sa couleur et sa fonction.

Photo 11: les vélos sont beaucoup représentés sur la place. Naviguant entre le trafic automobile et les circulations piétonnes, ce mode de transports est en plus écologique, silencieux et adaptable. La bicyclette participe grandement à l'image de la place.

Photo 12: Le Jardin Japonais emmène les usagers hors du trafic. Lieu d'intimité et de promenade, il est formé par une toile de chemins, qui relient la gare à la vieille ville. Il agit comme un filtre urbain ou un lieu connecteur. C'est également l'endroit le plus vert de la place. La nature est une qualité souvent recherchée dans les espaces publics.

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Photo 13: Dans cette scène, le passage de la poussette du trottoir à la route est significative d'un soin porté au revêtement. La faible différence de hauteur inclut la route dans l'ensemble de la place. Le matériau et les marquages au sol signalent des limites et des espaces.

Photo 14: Le petit kiosque fait partie de ces éléments identitaires de la place. Il offre un refuge tant pour les averses que pour les rencontres. Symboliquement repérable, il surmonte un peu la place et se distingue du reste telle une île.

Photo 15: La gare a toujours été un lieu de croisements de flux. La fréquentation par beaucoup d'usagers demande des endroits de ravitaillement et d'attente. Par le va-et—vient des personnes, des espaces intermédiaires et des hauts-lieux se créent.

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5. Synthèse et scénario La confrontation des deux méthodes montrent des résultats similaires dans les deux cas. Chaque méthode complète l'autre en apportant des éléments qui ne sont pas apparus dans les dessins et dans les photographies. Les tracés des flux illustrent les cheminements et permet de détecter des espaces et des poches d'activités. Cette méthode reste abstraite et laisse l'imaginaire possible quant aux usages de ces espaces. Il est intéressant en plan de saisir la complexité des déplacements à l'échelle du territoire. Cette vision urbaine met en avant les connexions entre la Place d'Armes et d'autres lieux comme la vieille ville. Les grandes proportions de la place démontrent qu'une multitudes d'activités peut s'y passer, et que des hauts-lieux se trouvent répartis sur la place, à des endroits stratégiques. L'analyse en dessin superpose également les tracés des usagers avec les aménagements existants. Ce rapport vise à étudier l'impact de la mobilité sur un espace public. En effet, les mouvements sont à la fois planifiés et spontanés. L'amalgame entre ces deux notions apporte en même temps une efficacité et une commodité, par le système de transports et les accès proposés, et un certain hasard et une flexibilité par les moyens de déplacements doux. Nous avons vu à travers les enquêtes, que la marche piétonne et le vélo sont des modes plus lents et plus facilement adaptables aux circonstances urbaines et architecturales. Cette mobilité douce permet de se faufiler dans des petits espaces, à priori non qualifiés, mais contribue en réalité à générer des hauts-lieux et une urbanité. C'est à ce moment là que la photographie prend tout son sens dans des captures de scènes de vie en ces hauts-lieux. Cette méthode, située à vue humaine, flirte avec l'intimité des usagers et leur manière de s'approprier l'espace. L'abstraction du plan est équilibrée par des images concrètes, témoins de modes de vies et de comportements propres au lieu. Les clichés contiennent des informations invisibles en plan et lorsqu'on marche. La fiction qui se dégage des photos souligne à chaque fois un aspect, aussi infime soit-il, essentiel dans la compréhension d'une place publique. Il peut s'agir d'un usage spécifique, ordonné ou détourné, ou d'éléments architecturaux qui influencent le ressenti des personnes. Chaque individu a un certain rapport avec les matériaux et les espaces. En plus de côtoyer des inconnus dans un lieu public, l'usager est affecté par les couleurs, la texture, l'aspect, les dimensions des aménagements et des bâtiments. Lorsqu'une personne est en mouvement ou est posée, ses sens sont plébiscités: son toucher, sa vue, son ouïe et son odorat. Les photographies offre une interprétation des émotions et des attitudes de chaque usager. L'exploration photographique menée s'est faite à travers toute la place. Les moments capturés correspondent aux tracés des flux et aux hauts-lieux décelés.

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Plan conceptuel des principales directions et lieux de croisements.

Plan d'un scénario: les sens des mouvements.

Le scénario suivant, sous forme d'idée de projet, propose d'offrir un espace principal qui occupe toute la place, dans lequel se trouvent un « groupe d'espaces intermédiaires», liés entre eux par des espaces à la fois de transition et de rencontres. A partir des enquêtes menées, des directions et des hauts-lieux sont intensifiés et suggérés, l'usager restant libre de ses mouvements et de son rapport à l'espace. L'agencement entre le minéral et le végétal tend à donner un équilibre sur l'ensemble de la place, aujourd'hui séparée en plusieurs zones. L'accès à la place est facilité sur tous les côtés, et les connexions entre les différents espaces intermédiaires donnent une meilleure cohésion entre eux. La Place d'Armes est ponctuée par 3 constructions légères, l'ancien kiosque, et deux nouveaux couverts qui peuvent abriter des personnes et des événements. Dans les coins sud-ouest et nord-est de la place, des petits espaces de parking de vélos et de voitures sont disponibles. Finalement, 3 plans d'eau, dont deux central, sont aménagés de manière à la fois spatiale et symbolique, apportant une distraction aux usagers et un visage à la place. 20


6. Conclusion La Place d'Armes à Yverdon-les-Bains est un espace public qui va se voir requalifié. Ce travail aborde un des enjeux essentiels qui gravite autour de cette thématique, le rôle de la mobilité dans une place publique. Les résultats des deux méthodes utilisées dans la compréhension de cette question de mobilité ont confirmé l'importance de maîtriser les mouvements en même temps que les espaces. L'analyse des dessins de flux, combinée aux recherches photographiques, ont mis en évidence un aspect primordial lié aux mouvements des personnes, les sous-espaces ou les hautslieux. Ces endroits de rencontres prémédités ou spontanés se retrouvent en effet de part et d'autres de la Place d'Armes. Les sens des mouvements des usagers sont liés étroitement à ces lieux qui génèrent des activités. Chaque individu circule ainsi à sa manière et pour ses propres motifs, créant des croisements, des espaces et des passages récurrents. Cette étude se veut axée sur les usagers, substance basique contenue dans tout espace public. La diversité des personnes et leur côtoiement sur la place crée une altérité et une urbanité qu'il convient de comprendre, de préserver et d'intensifier. La Place d'Armes possède des critères historiques, architecturales et urbaines qui sont mis en parallèle avec ses usagers, d'où l'intérêt de cette recherche qui navigue entre le territoire et la société. En dialogue avec la Gare d'Yverdon, la place présente également des caractéristiques d'un espace d'anonymat où transitent de nombreuses personnes, où errent des individus et des groupes. Bien souvent, ce genre de non-lieux12 implique un rapport affectif assez faible entre l'individu et l'espace. En améliorant la mobilité, la place serait mieux connectée à la vieille ville, ce qui permettrait de rectifier le déséquilibre généré par le trafic de la gare. La place pourrait contenir aussi une fluidité et des mouvements plus intenses en son sein, et plus seulement à travers. L'enjeu final étant de redonner un caractère et une identité à cet espace public, et de permettre aux usagers d'y accéder et de s'y mouvoir pour des motifs qui augmenteront leur affection par rapport à la place.

12 http://eso.cnrs.fr/TELECHARGEMENTS/colloques/rennes_11_08/Audas_Nathalie.pdf

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7. Sources Sites internet ( état du 23.11.2013)

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http://www.yverdon.ch/deppar/historique.php http://www.yverdon-les-bains.ch/ http://www.ylb.ch/gare-lac/ http://www.unige.ch/ses/geo/oum/articles/Lausanne_SLGP_PNR54_V1.pdf Conférence du 19.06.2013 d'Igor Andersen, Urbaplan, www.yverdon.ch http://www.henricartierbresson.org/hcb/home_fr.htm http://eso.cnrs.fr/TELECHARGEMENTS/colloques/rennes_11_08/Audas_Nathalie.pdf

Bibliographie

– –

Charles BAUDELAIRE , Le Spleen de Paris, XII, 1869. « Les foules »

Kaj NOSCHIS, Signification affective du quartier, 1984, Paris, Librairie des Méridiens

Nadja MONNET & Maribel TOVAR, Essai d'ethnographie visuelle ou comment cerner le pouls de la Place de la Catalogne au travers de photographie et d'ambiances sonores, Colloque 25 ans du Bilan du Film Ethnographique, 2006

Photographies et plans

Ngoc Quyen NGUYEN, Yverdon-les-Bains, le 08.11.2013

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