Témoignage Ecriture 2010

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Ça a commencé en 46. Les Malgaches se sont plus ou moins révoltés. D’abord sous le … je ne dirai pas l’incitation, mais sous l’impulsion des députés malgaches : Raseta, Ravoahangy et Rabemananjara. C’était des députés français, des députés de Madagascar. Et après tous les intellectuels les ont suivis, et puis ensuite tout le peuple malgache, mais alors de tout Madagascar. Eux, c’était politique, ils ont fait un machin politique…les députés. Les Malgaches n’avaient pas d’armes du tout, parce que, c’était politique, c’était… Mais la France a fait une répression terrible. C’est à dire qu’ils ont arrêté beaucoup de monde, j’ai dit parmi les intellectuels, et dans toutes les familles malgaches. Tu sais à un moment j’étais…j’avais 12 ans, et j’étais à Tana [Tananarive, la capitale de Madagascar] et donc dans toutes les familles, partout, il y avait au moins 1, 2 ou 3 personnes qui étaient emprisonnées, ou alors qui étaient tuées. Alors, ils emprisonnaient les gens et quelquefois ils faisaient une tuerie en masse. Et c’est ainsi qu’on a trouvé, aux environs des grandes villes, des charniers! C’est comme ça qu’on appelle ça. Là, ils font faire des trous, de grands machins comme ça… C’est grand, hein! Oui, des fosses communes, faite par les prisonniers, qui sont arrêtés, donc, ces gens qui n’avaient rien, et ils les mettaient tous dedans: tchac, tchac , tchac, tchac![bruit d’armes à feu] Et puis après, ils n’ont plus…pas voulu, enfin… Ils voulaient économiser leurs balles. Ce n’était pas bien pour les Malgaches encore les balles. Alors ils les ont menés à Moramanga [prononcer «Mouramangue»] Moramanga, c’est une ville, parce que… Les wagons de Moramanga, tout le monde les sait. C’est classique. A Moramanga, ils les ont entassés dans les wagons, et puis, parce qu’il y a une pente… Moramanga, à Madagascar, c’est, tu sais, 1500m d’altitude… A Moramanga, c’est là qu’il y a la fissure, pour descendre. Et ils ont donc fait basculer les wagons sur toute la hauteur de… du truc là. Pour les tuer. Et, ils ont donc tué comme ça beaucoup de monde. Et après ça, tout le monde s’est révolté.

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Mais, au départ, pourquoi se sont-ils révoltés? Qu’est ce qu’ils demandaient?

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Lycée Voltaire Orléans

Classe : 2nde - 12 MPI SES - EU

Professeur : Dominique AUBRUN


Sommaire Les Trente Glorieuses.................................................... 3 L’élection présidentielle de 1981................................. 17 Mai 68........................................................................ 20 Je me souviens de la guerre 39-45............................... 26 La révolution malgache .............................................. 30 Les évènenements de 1947.................................. 30 Les événements de 1972...................................... 33 Les événements de 1975...................................... 34 11 septembre 2001...................................................... 36 Les évènements de mai 1958....................................... 40

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Les Trente Glorieuses Témoignage Camille Hennet et Alcyane Verger

• Alcyane Nous allons vous poser des questions sur les Trente Glorieuses suite à un projet de français avec Mme Aubrun . • Camille -Pourquoi acceptez-vous de témoigner ? Jacky - Et bien, parce que notre petite fille Alcyane nous l'a demandé. Et nous avons accepté avec plaisir ! • A -Quel âge aviez-vous lors de l'armistice ? Raymonde - Moi je n'étais pas née. J - Et moi j'avais 6 ans. • A - Et tu t'en souviens ? J - Non, je n'ai pas de souvenirs très précis. J'ai des souvenirs de l'Occupation avec l'armée allemande dans les campagnes, et j'ai un souvenir de la fin de la guerre et de l'arrêt des conflits. • A - On va donc passer quelques années plus tard. Page 3


• C - Quand avez-vous emménagé à Paris? J - Personnellement je suis venu travailler en 1962. R - Et moi je suis arrivée ici en septembre 1966 après notre mariage. J- Je suis resté 3 mois et puis j'ai fait mon service militaire.A mon retour de service militaire en 63 -Mars 63- j'ai pris mon activité professionnelle à Paris. • A- Et où tu habitais? J- Alors, j'ai habité dans un premier temps à Châtillon-surBagneux dans un foyer de jeunes travailleurs ; et mon emploi se situait à Clamar dans un centre de recherche Electricité de France. Et puis après j'ai trouvé un logement un peu plus grand à Clamar près de mon lieu de travail. Et vu qu'on avait envisagé de se marier, en 1966 j'ai eu un logement plus grand mais il a fallu que j'aille à Fontenay-Roissy. R- L'Haÿ-les-Roses. J - L'Haÿ-les-Roses pardon. • A - Donc vous êtes partis à Paris pour le boulot ? R - Oui. J - Exactement. • A -Et vous aviez quel âge ? R - 21 ans. J - Et moi j'avais 27 ans. • C - Et est-ce-que vous étiez propriétaires de votre appartement? J - Non, nous étions locataires. • A -Quelles professions exerciez-vous tous les deux ? R - J'étais à Gaz de France où je faisais des travaux d'écriture, ce n'était pas du secrétariat mais c'était du travail de convocation de clients, de réponse aux clients : en fait de la clientèle. J - Quant à moi, j'étais affecté dans un service qui avait pour mission de travailler sur l'émission des bruits des centrales thermiques, des centrales de production. Notre fonction - une fonction de technicien à l'époque - était d'aller sur le terrain, d'aller faire des mesures et de trouver des solutions pour éliminer les bruits qui étaient émis par ces centrales. Les émissions, elles se faisaient par les cheminées ou par les systèmes de ventilation des groupes alternateurs de ces centrales de production. • A - Donc, vous n'étiez pas dans tout ce qui est travail à la chaîne, industrie de pointe, etc ? R - Non. Page 4


J- Et puis après, j'ai préparé à ce moment là une école d'ingénieur : une école spéciale des Travaux Publics de Paris. • A- Pendant que maman étais petite? J – Voilà. Et il y a eu la naissance de ta maman. [rires] R - En 1967.

J - Il a fallu concilier les deux choses : les études et le travail.. Le travail et puis s'occuper de maman ! • A - Et pendant que tu faisais tes études,...tu n'étais pas rémunéré ? J -Si, c'était pris en charge par l'entreprise : je continuais à avoir un salaire mais je m'engageais en fin d'études à rester au moins cinq ans dans le sevice de l'entreprise qui me payait. • C- Est-ce que le taux de chômage était élevé à cette époque ? R - Non, c'était pratiquement le plein emploi. On n'avait pas besoin de grandes qualifications pour trouver un emploi. Quand je suis arrivée, j'avais juste mon bacchalauréat et dès que je suis arrivée en région parsienne, j'ai tout de suite trouvé du travail. Je m'étais préparée avant d'arriver de province mais j'ai trouvé facilement du travail. On n'avait pas besoin de qualifications comme aujourd'hui ! • A -Maintenant, un peu plus sur la vie courante, parlons de la mode vestimentaire de cette époque, de la mode en général. R - Pour les filles c'était la mini-jupe. On était habillées très très court avec des vêtements qui tombaient droits et qui étaient à mi-cuisse, bien au-dessus du genou ! J- Mais je pense que ça s'est produit après Mai 68. R- Mais ça avait déjà commencé un petit peu avant. Ca c'est peut-être avec Mai 68 un petit peu Page 5


raccourci ! [rires] • A - Il n'y avait pas de couleurs spéciales ?

R- Non, on avait souvent des vêtements avec des dessins, du bleu marine et du blanc. Mais de manière générale ces vêtements flashaient quand même pas mal! • A- Et par exemple, il n'y avait pas de motifs comme des gros pois, des choses comme ça ? R - Oui y avait des choses comme ça. Il y avait de grandes arabesques avec des couleurs, des choses comme ça, avec des fonds unis pas discrets du tout! • A - Et pour le mobilier ? R - C'était des meubles brillants surtout. C'était la mode du vernis et des meubles bas : ça s'appellait Régency - c'était de l'acajou brillant. Ou alors, il existait des meubles qui allaient jusqu'au plafond avec beaucoup de tiroirs, de portes... • C - Qui était les grands couturiers ? R - Les mêmes qu'aujourd'hui: il a existé Dior, Chanel, Hermès, Lacroix...

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• A- Vuitton aussi ? R- Oui, aussi, mais il ne faisait que des sacs à cette époque, ou des portes-monnaies -tout ce qui était en peau : il ne faisait pas de vêtements comme aujourd'hui. Sinon, il y avait toutes les marques de maintenant. • A -Pour les groupes de chanteurs, de chanteuses ...De que vous entendiez-vous le plus parler ?

R- Les Beatles !! J- Les chanteurs des années 70 : Johnny Hallyday, Sheila, Silvie Vartan,... R- Carlos aussi. J- Il y avait Eddy Mitchell. R- Le rock était très à la mode avec les rockeurs - les rappeurs n'étaient pas encore arrivés. [rires] • C -Le pouvoir d'achat avait-il augmenté ? R - C'était une époque où il y avait beaucoup d'inflation. On avait des augmentations de salaires qui arrivaient environ deux fois par an, et qui suivaient à peu de choses près le coût de la vie. C'était donc interéssant. Par exemple : quand on achetait un appartement ou une maison, on l'achetait à un prix et on obtenait un prêt, puis on remboursait une certaine somme, mais comme il y avait beaucoup d'inflation et que les salaires augmentaient, le montant du remboursement, lui, restait fixe. On remboursait toujours la même chose ! C'était donc très intéressant et pas trop difficile à l'époque ! • A -Que pensiez vous de la société de consommation, de l'américanisation? Etait-ce un phénomène à la mode à cette l'époque ? R - Oui, il arrivait des nouveaux produits sur le marché. Mais il y avait moins de publicité que maintenant, donc on ne connaissait pas tout. J - Les premiers Mc Donald se sont installés, mais c'était plutôt dans les années 80. A l'époque, ils n'étaient pas trop nombreux, en dehors des centres commerciaux. Mais ce sont surtout ces derniers qui se sont développés. Et il y avait en effet des modèles économiques empruntés aux Etats-Unis. Et, plus tard, ily a eu les systèmes de restauration à l'américaine avec les Mac'Do et les Quicks. Page 7


• C -Quand et comment sont apparus les premiers supermarchés, à Paris et à la campagne ?

R - En Dordogne on ne les a pas vus trop se créer parce qu'on n'était plus là. Mais en région parisienne, on a vu apparaître les premiers centres commerciaux. Nous, de L'Haÿ-les-Roses, allions dans un centre commercial qui se trouvait dans le Val de Marne. C'était un Carrefour à l'époque. • A- Et avant qu'ils arrivent ? c'était des petites épiceries? R- Des petites épiceries ou des moyennes surfaces : c'était des Franprix, des Uniprix, des Prisunics,... J- C'était des commerces de proximité. Et après il y a eu les grands centres commerciaux qui sont apparus :Vélizy, Parly,...Des grands magasins se sont progressivement installés. • A- Mais en Dordogne, ces grands magazins sont-ils apparus plus tard qu'à Paris ? R- Oui un peu plus tard, mais ça c'est tout de même monté rapidement. On venait de Périgueux et il s'y est monté un Carrefour. C'était la première grande surface. • A- Et à Vergt ? Il n'y avait encore que de petites épiceries ? R- Oui, effectivement il y avait des petites épiceries, des boucheries. Rien n'avait changé. J- Ce n'est que depuis une vingtaine d'années qu'on trouve des Casinos, des Intermarchés,... • A- Et que pensiez vous de ces grandes installations un peu partout ? Ces gigantesques épiceries ? Vous trouviez ça bien, moins bien ? R- On était surpris. Moi je me souviens, la première fois que je suis allée à un Carrefour, dans ce centre commercial, j'avais été frappée par ces montagnes de sucre [rires] qu'il y avait dans un coin du magasin. Oui, ça m'avait surprise, ces sucres qui étaient emballés par cinq paquets et qui étaient montés sur une certaine hauteur. Chacun prenait soit son kilo de sucre, soit deux... Les packs d'eau aussi m'avaient surprise : ils étaient montés sur de si grandes hauteurs! Alors que maintenant ça ne se fait plus comme ça ! Page 8


• A -Il y avait aussi bien plus de choix que dans une simple épicerie ? R - Oui, on avait plusieurs marques : il y avait déjà les marques du magasin qui commençaient à apparaître et puis après les grandes marques de pâtes, de lait, de fromages... • A - C'était presque plus difficile de faire ses choix pour ses courses ? R- Oh, oui! J- Ce qui était frappant, et dont on s'est aperçu assez rapidement, c'était qu'il y avait une organisation des magasins qui faisait qu'on nous forçait à acheter... R- Acheter de grandes quantités en tous cas. J- Il y avait des masses importantes de produits qui étaient rassemblés, dont certains en bout de gondole. R- Oui, de manière à ce que l'on soit obligé de passer devant. J- On ne pouvait pas ne pas les voir. On remplissait donc rapidement le chariot et on prenait des produits qui n'étaient pas forcément utiles à la maison. R- Ou en trop grande quantité. Par exemple : on trouvait des paquets de gâteaux qui étaient par... au minimum...deux mais souvent par... quatre ou cinq ! J- Il a donc fallu se rediscipliner ! R- S'habituer à aller dans les rayons propres pour chercher uniquement ce dont on avait besoin. • A- Il fallait calmer ses frénésies ! R- Oui, c'est ça ; afin de retrouver des choses à l'unité.

• C -Quand avez-vous eu votre première télévision ? R- En 68. • A- Elle était en couleur ? R- Non, elle était en noir et blanc et il y avait 3 chaînes. J- Trois chaînes nationales. • A- Vous avez eu votre télévision pour une occasion particulière ? R- Non, parce qu'on en avait envie, parce qu'on ne sortait pas beaucoup, on n'allait pas beaucoup au spectacle, la télévision était donc notre spectacle à domicile ! • A- Avant, c'était le rôle de la radio ? R- Oui. • A -Donc à partir de cet instant, vous pouviez vous retrouver autour de la télévision pour regarder les premiers programmes ? R-Oui. • A-La télévision était-elle aussi présente à la campagne ? Page 9


R- Pour cet aspect-là, c'était assez amusant parce que peu de gens avait la télévision, donc ceux qui en avaient invitaient leurs voisins à la regarder. Moi je me souviens d'être aller avec mes parents et ma grand-mère chez l'institutrice qui nous avaient invités à aller voir la télévision un soir. Et ça se faisait assez couramment dans les villages. • A-Une fois que vous avez eu la télévision, vous la regardiez toujours ? Enfin, dès que vous rentriez ? ou bien vous ne la regardiez qu'un petit peu ? R- On la regardait le soir mais on ne l'ouvrait pas en arrivant. J- Et puis les programme n'étaient pas aussi attractifs que maintenant ! R- Il n'y avait pas de programmes dans l'après-midi. On commençait la soirée avec un feuilleton vers 19h, et puis après, il y avait la télévision. Il y avait une speakerime qui donnait le programme, il n'y avait pas comme maintenant de Télépoche, de Télé Z, c'était la speakerime qui donnait les programmes tous les soirs. Et ça se finissait relativement tôt, ça ne durait pas toute la nuit. J- Il n'y avait pas des images comme maintenant: 24h/24h. • A- Vous souvenez-vous des noms des 3 chaînes ? R- C'était l'ORTF. J- Et puis il y avait aussi une télévision régionale qui est venue un petit peu plus tard. Après, c'était au point de vue national. C'était un petit peu l'équivalent de ce qu'on a aujourd'hui avec TF1 et A2. • A -Et en Dordogne, la télévision est apparue vers quelle année ? R - Dans les années 62-63. C'est là que nous avons eu notre télévision. J -Chez moi, c'était un petit peu plus tard. Mais, c'était la la télévision en noir et blanc. La télévision couleur est arrivée plus tard vers 75-76. • A -Vous en aviez achetée une ? R- On nous l'a offerte pour un Noël, de la part de mon papa. Par contre, je ne me rappelle plus de l'année. On l'a gardé très longtemps ce poste-là d'ailleurs ! • A -Après la télévision, passons maintenant au lave-linge ! J'imagine que vous en avaient toujours eu un à Paris ? R -Oui, on a eu notre lave-linge dès que l'on s'est installé. • A -Sinon ça n'aurait pas été pratique ! Et en Dordogne? J- Un petit peu avant que l'on parte. R- Dans les année 60 à peu près. J- Nos parents ont fonctionné pendant très longtemps avec la lessiveuse. R- Et le lavoir. J- Je me rappelle du linge qui bouillait dans une lessiveuse et que l'on transportait ensuite au ruisseau pour être rincé et ramené ensuite pour être séché. R- J'ai un petit peu connu ça et j'y ai même participé alors que j'étais jeune parce que ma maman s'était blessé le doigt. J'ai donc lessivé pour elle. Ca avait pris toute une journée ! Le lendemain, je n'avais pratiquement plus de peau sur les doigts tellement j'avais frotté ! [rires] D'abord, on faisait bouillir de l'eau, on laissait tremper le linge avec la lessive, et puis on frottait, on frottait ! à la main, et avec une brosse. Après on mettait tout ce linge dans une grande lessiveuse Page 10


-c'était un grand récipient- et on mettait ça dans la cour sur des pieds en métal. On faisait le feu dessous, on remplissait avec de l'eau, et on remettait une lessive - je me souviens d'ailleurs du nom de cette lessive qui s'appellait « saponite » [rires]. On laissait bouillir le linge, on chauffait, on apportait du bois dessous. Ca durait facilement 2h. Après on laissait froidir, on le sortait de cette lessiveuse, on l'essorait, et on allait le rincer dans un lavoir. Chez nous, on avait un lavoir en ciment dans la cour. On le remplissait d'eau froide et on trempait le linge dedans. Quand c'était des draps, on devait s'y mettre à deux pour l'essorer. Il ne restait plus qu'à aller le tendre sur des fils dans le jardin.

• A- C'était donc très reposant le lavage avec le lave-linge ! R- Oui ! Parce que, pour faire cette lessive-là, il fallait commencer tôt le matin et il fallait toute la journée alors que avec la machine:on remplissait et puis c'était fini ! J- Maintenant il y avait une certaine résistance pour la machine parce que les anciens qui avaient toujours fait ça prétendaient que ça usait, que ça ne lavait pas comme il faut. J- Pas aussi bien qu'à la main en tous cas ! R- Parce que, quand elles voyaient une tâche, elles frottaient pour l'enlever, alors que, pour elles, la machine ne verrait pas la tâche et que donc ce serait à force d'être brossé que le linge serait lavé. Ce qui conduirait à l'user ! Du coup, dans les campagnes, les femmes étaient toujours à la maison et continuaient à faire leurs lessives manuellement, alors que en ville, la question ne se posait pas. On utilisait la machine. J- Tu ne pouvais pas mettre en pratique ces techniques de toutes manières! R-Tu travaillais, tu ne pouvais pas passer toute une journée à aller apporter ton linge à...où d'ailleurs ? Il n'y avait plus de lavoir public. J- Ou laver à l'évier mais ce n'est pas pratique ! R-On ne peut pas laver des draps dans un évier ! • A-Donc ça devait faire bizzard de faire Paris-La Dordogne : Paris avec le lave-linge et puis, en Dordogne être encore obligée de passer une journée entière aux lessives. R-Oui, mais à l'époque, nos parents s'étaient quand-même mis au lave-linge: ils s'étaient décidés ! • A -Après la télévision et les laves-linges ...maintenant le réfrigérateur !! [rires]On est dans l'électro-ménager ! R- Alors le réfrigérateur, il est apparu avant le lave-linge. Et cette fois, les gens s'y sont mis très rapidement parce que ils trouvaient que c'était commode de pouvoir mettre des produits au frais. Dans les villes et dans les campagnes, avant les gens mettaient leur fromage, leur viande, dans ce qu'on appellait un garde-manger ou alors, ils le descendaient à la cave. Des fois, ils le descendaient même dans les puits parce que c'était frais ! J- Ils mettaient leurs victuailles dans un endroit frais, une pièce fraîche. Les maisons n'étaient pas chauffées comme aujourd'hui : il y avait qu'une pièce qui était chauffée : la cuisine (la pièce à vivre) avec la cheminée. Donc les produits se conservaient assez bien. Alors que avec la modernisation et l'installation du chauffage, les produits se conservaient moins bien et les réfrigérateurs devenaient nécéssaires. Page 11


• A- Donc, finalement, vous avez pu vous rendre compte des différences entre quand vous étiez jeunes et qu'il n'y avait pas tout cet électro-ménager et après quand vous étiez à Paris ? R- Oui. On se souvient par exemple que pour conserver le beurre, quand on était enfants, on remplissait une assiette avec de l'eau, et on mettait la plaque de beurre dans son emballage dedans : c'était une manière de l'empêcher de se sauver, de s'oxyder. • A -Avez-vous toujours connu l'eau courante ? R- Pas toujours! Ici en ville, oui, à Paris, oui, il y avait l'eau courante. Mais à la campagne, l'eau courante est arrivée beaucoup plus tard. Je me rappelle chez mes parents, on avait l'eau courante parce qu'on gardait de l'eau dans une citerne : on avait acheté une pompe et l'eau arrivait de la citerne à l'évier par cette pompe. Mais beaucoup de gens n'avaient pas ça. Et ils allaient chercher de l'eau avec un seau, à un puits, et ils rapportaient ça. Pour imiter le robinet, il y avait un godet : on mettait le seau dans l'évier et puis on remplissait ce godet d'eau. • A- Donc vous avez connu aller chercher l'eau au puits ?

J- Oui, moi j'ai connu ça. R- Oui, et moi à la citerne avec une pompe. J- Nous on a dû aller chercher, à Fouleix, l'eau au puits du village, qui était à peu près à une centaine de mètres. Donc cette eau, il fallait l'économiser parce qu'elle était utilisée en premier pour: la cuisine (pour faire la vaisselle), nourrir, et faire boire les animaux et pour la toilette aussi. Il n 'y avait pas la douche ! La toilette, c'était le broc, qu'on remplissait d'eau et on se lavait dans une cuvette. Après, il y a eu l'eau courante qui est arrivée dans les années 50 à peu près. R- Oui, enfin dans le village. Nous, l'eau est arrivée quand il y a eu des branchements d'eau de fait, ce qui s'appellait : « l'adduction d'eau ». • A -Par contre l'électricité est arrivée avant elle ?

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R- Ah oui. Ma maman a vu arriver l'électricité, elle a vu installer l'électricité dans sa maison. C'était après la guerre, à la fin de la guerre. J- Mais moi, j'ai connu l'éclairage à la lampe à carbure, et il n'y avait pas d'électricité. Et j'ai pu voir arriver l'électricité dans les maisons, en 47 à peu près, qui permettait d'alimenter une ampoule,

pas plus, et là ça a été quand même un progrès !

• C - Aviez-vous une voiture ? J- On a eu une voiture. Notre première voiture, en 66 ! R-C'était en 66 oui [rires] : l'année où on s'est marié. J- Alors il s'agissait d'une voiture de marque Citroën et le modèle « Ami6 ». R- Une 3 CV. • A- De quelle couleur ? R- Blanche. J- Ah non, elle n'était pas blanche ...Si ? elle était blanche ? R- Non, crème! • A-Vous deviez être tout fiers avec votre belle voiture ! R-Oui, il est arrivé pour se marier avec cette magnifique voiture [rires]! J-Mais qui n'était pas neuve ! C'était une voiture d'occasion ! et qui roulait ! Et qui nous permettait de faire les trajets entre la Dordogne et puis Paris ! • A-Elle était peut être un petit peu poussive non ? R- Elle circulait quand même ! J- On a eu quelques ennuis sur la route parce que sa technologie faisait qu' il y avait un système d'allumage qui était sous le capot à l'avant, et par temps humide, elle ne voulait pas démarrer ! Ou alors, sur la route, quand il pleuvait trop elle se mettait à tousser ! Il fallait donc prendre quelques précautions pour assécher ce qu'on appellait la bobine. Page 13


R- Alors quand on voyait qu'il allait pleuvoir, on mettait une couverture sous le capot pour protéger la voiture. Mais nombre de fois où il a fallu la pousser quand même ! Mais elle nous permettait de voyager, et maman a beaucoup voyagé dans son landeau, sur le siège arrière, dans cette voiture ! • A- Et vous l'avez à peu près gardée combien de temps ? R- Jusqu'à ce que maman ait à peu près 3 à 4 ans. Après, on a eu une 203 , une Peugeot. • A-Toujours d'occasion? R- Oui. A- Et elle n'avait pas besoin de couverture pour la nuit !? R-Celle-ci non! On l'a gardée quelques années aussi. R- Et après, quand grandpère est sorti de l'école, en 70, on a acheté notre première voiture neuve. J-Une Renault 15 ! • A- Et en Dordogne, ils avaient aussi des voitures ? R- Oh oui ! Enfin, moi, j'ai toujours vu mes parents avec une voiture. J- Oui, on avait une voiture. • A- C'était une camionette peut-être ? R- Non, ma grand-mère avait déjà une voiture. • A- C'était peut-être pour transporter (vu que vos parents étaient épiciers) ? R-Oui, enfin la grand-mère n'était pas épicière. Mais elle avait quand même une voiture. Elle ne faisait pas de grands parcours mais elle roulait ! J- Oui parce que le métier de nos parents imposait un véhicule. R- Il fallait aller à la ville. J- Mon papa et ma maman étaient épiciers, et ils faisaient les tournées en campagne. Donc pour faire les tournées, il fallait une camionnette. Pour aller au ravitaillement il fallait bien un véhicule ! On allait à Périgueux (oui à 30 km) une fois par semaine -c'était tous les mardis- chez les grossistes acheter les produits nécessaires à ravitailler les rayons de l'épicerie. La voiture était donc nécessaire ! D'ailleurs, même mes grands-parents avaient une voiture, mais c'était une voiture à cheval ! R- Ils avaient un âne même ! J- Oui, ils avaient un mulet. J- Ou un cheval, et les tournées d'épicerie, elles se faisaient à cheval !

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[rires] • A- Donc en fait la voiture était uniquement présente par nécéssité ? R- Oui. Mais, ça servait aussi pour les promenades, pour rendre visite à la famille. • A- Mais, par exemple, vous qui alliez à Paris vous auriez pu prendre le train ? R-Oui. • A- Donc pourquoi avez-vous choisi d'avoir une voiture ? R- On choisissait une voiture parce que grand-père l'utilisait pour aller à son travail. • A- Vous ne preniez pas les transports en commun ? R- Moi je prenais un car. Mais lui, il prenait la voiture, quand elle voulait bien démarer! Et puis, pour aller en Dordogne, c'était quand même plus commode de prendre la voiture on pouvait ainsi voyager avec un petit enfant, s'arrêter plus facilement. • A- Et transporter plus de choses ! J- Oui, il faut se rappeller qu'on se ravitaillait beaucoup en Dordogne. • A- En conserves ? R- Oui. J- Il y avait les habitudes des parents, des grands-parents, de faire un peu de conserves, donc des réserves pour se nourrir toute l'année ! Donc en en rapportait un peu puis on piochait dans ces réserves ! R- On rapportait des oeufs, quelques pots de confiture, des volailles. On rapportait beaucoup de choses de la campagne ! J- Oui. R- On ramenait même des fruits.

• A -Passons à autre chose : la publicité. Vous l'avez vue apparaître sur les murs, à la télévision ... Qu'est ce que ça représentait pour vous? Est-ce que vous étiez pour? Contre ?

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R- C'était pas mal! C'était distrayant! Quand il y avait des petits magasins - parce que moi aussi j'ai vécu dans une épicerie- il y avait un grand panneau qui allait sur la route pour signaler l'épicerie, le café, l'essence - on en vendait aussi. Et puis, sur la pompe à essence, il y avait un grand panneau qui donnait la marque. Dans l'épicerie, la publicité n'était pas faite avec des papiers comme maintenant, mais c'était des plaques en métal qui vantaient la liqueur, les pâtes... Il y avait beaucoup moins de publicité que maintenant. Et c'était par des plaquettes de métal qui étaient collées au mur. • A- Et quand vous étiez à Paris ça passait à la télévision ? R- Non, pas beaucoup au début. • A- C'était sur les murs, par tracts ? J- Oui. R- Oui, à ce moment-là, il a commencé à y avoir des tracts, enfin, des papiers que l'on distribuait. Il y avait aussi de la pub dans les journaux. J- Oui, un petit peu dans les journaux, et aussi dans les salles de cinéma. C'est les premières puublicités qu'on a découvert. R-Oui, et puis à aussi la radio. • A- Et quand vous étiez dans les supermarchés, est-ce qu'il y avait des pubs en permanence pour le paquet de nouilles au rayon untel qui est moins cher...? J- Non. R- Non, non, non...il n'y avait pas comme maintenant. A- Pas de réclames ? R- Non. Enfin, ça commençait, mais pas de manière intense comme maintenant. • A- Donc il y avait, de manière générale, moins de pub que maintenant ? R-Oui. J- C'était moins important. Mais elles existaient quand même ! J'ai souvenir que dans l'épicerie, il y avait des sortes de bons dans les paquets de chicorés, de café, on collectionnait des emballages ... Et avec ces bons, on obtenait des cadeaux. • A- Pour fidéliser les clients ? R- Oui, voilà, c'est ça. Par exemple, dans les fromages Les vachequi-rit, il y avait des bons. Et quand tu avais un certain nombre de bons, tu avais droit à une maison en carton [rires]. Et les autres fois, tu cherchais les personnages pour ta maison. Il y avait aussi ce système sur d'autres produits, notamment le chocolat : il y avait deux marques (le chocolat Meunier et le chocolat Cémoi) et, dans chaque tablette, il y avait une image. Une fois que tu avais beaucoup d'images, tu pouvais l'échanger contre un album pour les coller. Donc c'était en effet plus de la fidélisation, comme tu dis, que de la publicité.

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L’élection présidentielle de 1981 Témoignage de Pierre recueilli par Claire  • Quel âge avais-tu à l’époque et que faisais-tu ? J’avais 20 ans et j’étais étudiant à l’I.U.T. en Génie Électrique •

D’après toi, quel était le contexte politique ?

…le contexte politique c’était qu’il y avait Giscard qui était président de la République depuis sept ans, depuis 1974, et voilà, et il y avait l’opposition de la gauche à l’époque. Il y avait aussi la peur du communisme à l’époque parce qu’il y avait le bloc soviétique qui était un bloc puissant et qui faisait peur ! Et donc il y avait la peur du communisme, oui ! •

Pour qui as tu voté et pourquoi ? Alors, j’ai voté pour Mitterrand parce qu’il avait promis de supprimer le service militaire, et il fallait que je fasse mon service militaire, je ne l’avais pas encore fait à ce moment là.

Et tu n’avais pas envie de le faire... Voilà ! Et je n’avais pas envie de le faire donc j’ai voté pour Mitterrand.

Juste pour ça ? Oui ! Absolument !

As-tu regretté ce vote Bin je l’ai regretté oui parce qu’il n’a pas tenu parole, c’était un menteur ! Donc il n’a pas supprimé le service militaire !

Cela t’a énervé ? Oui ! Cela m’a énervé oui !

Quel été l’avis de ta famille ? Ma famille, elle avait très peur de Mitterrand parce qu’elle avait très peur du communisme et Mitterrand avait dit que s’il était élu il allait prendre des ministres communistes. C’est ce qu’il a fait d’ailleurs. Oui donc ma famille avait très très peur de François Mitterrand. Page 17


As-tu été surpris des résultats ? Et bien les résultats ... non ...enfin on ne savait pas en fait. D’après les sondages c’était 50% ... enfin c’était très très juste quoi, pour l’un et pour l’autre des candidats au deuxième tour, Giscard et Mitterrand. Enfin, on ne pouvait pas savoir en faite ! Le résultat était imprévisible

Comment as tu réagis en apprenant ce résultat ? Alors d’un côté j’étais plutôt content parce que donc le service militaire allait être supprimé, enfin soi-disant ! Par contre on ne savait pas très bien ce qui allait se passer, ça faisait un petit peur comme même parce que c’était la menace du socialisme et peut-être du communisme.

Comment ont réagi les Français en général ? Alors les Français, et bien ça dépend lesquels. Les riches, ils sont partis en Suisse dans les jours qui suivaient avec des valises pleines de billets cachées dans le coffre ou dans le réservoir d’essence, enfin ou cachées quelque part. Je pense que les pauvres étaient très contents. Cela dépend, mais parents étaient très inquiets mais ... voilà !

Que pensais-tu des candidats à l’époque ? Les candidats, les candidats ...ce que je pensais c’est que...bon Giscard on en avait marre et on le voyait déjà depuis un moment, c’était la vieille bourgeoisie un peu arrogante et sûre d’elle. Et bon Mitterrand certes c’était pas très convaincant, il avait promis beaucoup de choses, bon on pouvait éventuellement y croire, donc voilà.

Et maintenant, tu en penses quoi ? ...des candidats ?

Oui ! … les candidats, … Mitterrand... J’allais dire... les catastrophes que certains craignaient quand il a été élu ne se sont pas produites, ne se sont pas vraiment produites Par contre les bienfaits que certains attendaient ne sont pas produits non plus, le service militaire n’a pas été supprimé par exemple, mais c’est valable pour d’autres choses. Euh ... voilà. Donc Mitterrand n’a pas réalisé tout ce qu’il avait promis, loin de là ! A mon avis il n’en a même pas réalisé la moitié ... il en peut-être réalisé 10% ... Giscard lui il est de plus en plus décevant avec ses romans débiles ...

«Ses quoi ? » Son roman débile là, qu’il vient de publier et bon, enfin bon, c’est vrai que Giscard est décevant !

Que pensais-tu du comportement de Mitterrand après l’élection ? Ou que penses-tu encore ? Mitterrand après l’élection ... c’est-à-dire qu’il a comme même commencé à appliquer son programme qui était non, qui n’était pas réaliste, en fait.

Tu savais qu’il n’était pas réaliste ? Bon ...enfin mes parents le savaient... moi je m’en foutais ! Mon problème ce n’était pas çà. Mon problème c’était de savoir si le service militaire allait être supprimé. Mais j’y croyais...un peu. En fait là encore on a été berné même sur ce point. Donc il a comme même appliqué un programme de gauche au début avec des nationalisations etc., mais en fait finalement, après il a fallu qu’il arrête parce que c’était plus possible, économiquement c’était un désastre ! Ensuite, le fait de donner de Page 18


l’argent un peu à tout le monde, ce n’était plus possible, donc il a arrêté. •

Quel a été l’impact de l’événement sur la population ? J’ai un peu déjà répondu a cette question tout a l’heure ....disons que l’impact c’est que ça a comme même montré que un changement de majorité était possible. La droite était au pouvoir depuis très longtemps en France quand Mitterrand est arrivé. Cela a permis de montrer qu’un changement était possible et qu’en plus avec le socialisme au pouvoir on n’allait quand même pas tomber dans le communisme et dans la dictature du communisme. Enfin on pouvait le craindre à l’époque.

élu ?

Tu penses que ça a des impacts sur aujourd’hui ? Enfin est ce que ça se sent encore aujourd’hui qu’il a été Bah aujourd’hui malheureusement ...enfin, on ne le sent plus beaucoup. Est-ce que ça se sent encore, je n’en sais rien. Disons qu’on le sent dans le sens qu’on on sait que le socialisme peut prendre le pouvoir sans que ce soit une catastrophe parce ce que à l’époque c’est ce que l’on craignait. Mais maintenant on le sent plus beaucoup, ça n’a pas eu beaucoup d’impact.

Tu as d’autres choses à dire ? Euh ... non !

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Mai 68 Témoignage recueilli et écrit par Alexia Lahondère •

Quelle était votre situation et votre âge lors des évènements ? Alors, moi j’étais lycéenne, j’étais en classe de première. J’habitais Vincennes à l’époque et j’étais au lycée Hector Berlioz en classe de première littéraire. J’ai passé l’année d’après un bac langue : A5, j’avais un bac philo et langue. Quelle était ma situation ? Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

Où étiez-vous au moment de l’événement ? J’étais à Vincennes, j’étais au lycée au moment de l’événement. L’évènement a duré plusieurs mois parce qu’on parle de Mai 68, mais il faut savoir que ça a démarré en mars par un mouvement qu’on a appelé le mouvement du 22 mars, je peux continuer comme ça (rires), qui était animé par les étudiants de Nanterre et le leader des étudiants, c’est quelqu’un que vous connaissez aujourd’hui : c’est Daniel Cohn-Bendit donc nous on en a entendu parler au lycée parce qu’on en parlait tous entre nous. Les jeunes à cette époque étaient assez politisés, on s’intéressait beaucoup à la politique, moi aussi d’ailleurs et donc quand on a commencé à entendre parler du mouvement du 22 mars, on en a entendu parler à la radio, on a commencé à en parler entre nous au lycée. C’était un lycée mixte donc on a commencé à en parler entre nous et ça a démarré comme ça.

Vous avez fait mai 68 avec quelqu’un que vous connaissiez ? Je vais vous expliquer : tout le lycée a fait Mai 68 parce que quand on a commencé à en entendre parler il y a eu des phénomènes de manifestations locales dans un premier temps, on s’est réuni tous ensemble au lycée, donc c’était plutôt les plus âgés c’est à dire les secondes, les premières et les terminales qui ont commencé à s’intéresser plus à la question. On a commencé à se réunir dans une salle qui était une salle de permanence et puis a décrété que nous aussi on allait se mettre en grève (rires) et donc tout le lycée s’est mobilisé, j’ai vu sur les questions est-ce qu’on était tous d’accord, non on n’était pas tous d’accord. Il y avait des lycéens qui étaient plutôt de gauche, il y en avait plutôt de droite, c’est à peu près les mêmes clivages qu’aujourd’hui mais les plus politisés, c’était les lycéens de gauche, c’était les plus politisés. C’est eux qui ont mené un petit peu les manifestations, qui ont mené les discussions, qui ont mené les débats, c’était principalement eux mais il y avait aussi à l’époque des lycéens qui appartenaient à un mouvement qui s’appelait l’Action Française, qui n’existe plus maintenant et qui est plus vers la droite. C’était des royalistes en fait. Il n’y en a plus beaucoup maintenant. On les retrouve soit dans le Front National, soit chez Philipe De Villiers ou dans la majorité actuelle de l’UMP, voilà.

C’était quoi le but des manifestations ? Au départ quand ça a démarré le mouvement du 22 mars, ça va sûrement vous faire rire c’est parce que les étudiants de Nanterre était logés en internat et ils ont commencé à manifester parce qu’ils n’avaient pas le droit d’aller dans les chambres des filles, c’était des garçons qui ont commencé à manifester avec à leur tête Daniel Cohn-Bendit et donc après ça a dégénéré sur d’autres revendicaPage 20


tions et nous les filles on s’est senties très vite mobilisées non pas parce qu’on voulait que les garçons viennent dans nos chambres. Mais il faut savoir que c’était une époque où les filles étaient très bridées, c’est pour ça que c’est très important pour nous et pour vous les jeunes filles de maintenant. Ça été une époque qui a conduit à plus de libertés pour les femmes, à plus de droits pour les femmes et à la libération sexuelle. Donc les filles, on a commencé à revendiquer, les gars étaient avec nous, ils étaient d’accord avec nous. Parce qu’il faut savoir que quand j’allais au lycée, à l’époque, j’avais presque 18 ans, j’avais 17 ans et quelques mais les filles étaient obligées de mettre une blouse, on n’avait pas le droit de se maquiller, on n’avait pas le droit de se mettre en pantalon, c’était interdit et je me souviens qu’un jour, moi, je me suis fait réprimander par le censeur qui était venu rendre les résultats du trimestre, on était en plein hiver, on était au mois de janvier, il faisait froid, il ne neigeait pas mais il faisait très très froid, il gelait, on avait des températures négatives et moi je m’étais mise en pantalon donc il m’a réprimandé et il m’a dit : « Heureusement que vous avez des bons résultats » donc ça passait mais vous voyez il y avait des tas d’interdits et donc c’était aussi que on avait envie que la société elle change un petit peu, qu’elle se modernise un petit peu. Les femmes, les filles, elles passaient de la tutelle du père à la tutelle du mari. Donc on n’avait aucune liberté, aucune liberté donc quand il y a eu ce mouvement du 22 mars, c’était pas que là-dessus en particulier, en fait on voulait plus de liberté au sens général du terme, la télévision à l’époque il n’y avait qu’une seule chaîne, le JT il y avait un présentateur intronisé par le président de la république et le 1er ministre, c’était des présentateurs qui nous présentaient l’information du certaine manière donc ça, ça été les premières 1ères bases et après très très rapidement donc il y a eu les étudiants, il y a eu les lycéens mais les plus âgées des lycéens et puis il y a eu les ouvriers qui se sont joints à nous donc c’est parti de mars, avril, mai et ça a explosé particulièrement en mai, les ouvriers des usines se sont joints à nous parce que eux ils avaient des revendications qui étaient sur les salaires, sur plus d’autonomie, plus de droit de parole. Il faut comprendre que la société elle était très figée et qu’il n’y avait pas cette liberté qu’on connaît aujourd’hui. Encore un exemple, qui est important pour les jeunes filles de maintenant, la contraception n’existait pas, l’avortement était interdit donc moi j’ai eu des copines qui ont subi des avortements mais clandestins donc certaines ont risqué de mourir. On était dans un pays où c’était très très archaïque du point de vue des droits et des mœurs voilà toute la masse des revendications et donc c’est vrai qu’après il y a eu des phénomènes de manifestations alors au départ c’était la grève des transports et puis après ça été la grève de l’électricité, enfin vraiment un mouvement massif. •

Et en fait ça a complètement paralysé le pays un peu… Oui, ça a complètement paralysé le pays alors par exemple pour aller aux manifestations avec mes copines, on faisait du stop. Alors il faut savoir que pour aller chercher de l’essence, il y avait des files d’attentes mais faramineuses, il n’y avait plus d’essence, il n’y avait plus… pour livrer les produits alimentaires, c’était catastrophique. Je me souviens que les personnes âgées avaient peur de se retrouver comme pendant la guerre où il y avait une pénurie et même ma propre maman, elle achetait du lait, elle achetait du sucre, elle achetait du café (rires) donc les choses qu’on achète rituellement quand on est dans une pénurie pour avoir le minimum pour manger quoi, donc c’est vrai que le pays a été bien paralysé et que comme il n’y avait ni bus, ni métro, ni train, c’est vrai que nous on était pas très loin de Paris donc quand on voulait aller aux manifs du boulevard Saint Michel, eh ben on y allait en stop avec les copains et les copines quoi.

Et vous les avez appris comment les événements ? Ben d’abord par la radio et puis après c’est le bouche à oreille. A l’époque, on écoutait tous majoritairement Europe n°1 parce que y’avait « salut les copains » et toutes les émissions qui étaient à la mode à cette époque et donc en écoutant toutes ces émissions, y’avait les informations donc on a appris ça par les infos, j’avais des copains qui lisaient Le Monde, qui lisaient des journaux… il faut savoir que Libération ça existait déjà, c’était Jean-Paul Sartre qui l’avait créé mais l’un de ceux qui est par la suite devenu le directeur de Libération, c’était Serge July et c’était un des leader aussi de Page 21


mai 68 avec Daniel Cohn-Bendit. Donc on a appris ça par la radio, les journaux et puis après c’est entre nous, on se racontait à chaque fois bah la suite des événements, on écoutait beaucoup la radio à l’époque, plus que maintenant parce que la télévision c’était la voix de la France, on avait qu’une seule version et les partis d’opposition, les leaders d’opposition n’avaient pas à prendre la parole donc c’était plutôt par la radio et les journaux et puis entre nous. •

Et comment se sont déroulé les grèves ? Bah les grèves, ça été des mots d’ordre syndicaux, les syndicats étudiants, les syndicats après des ouvriers donc les syndicats que l’on connaît aujourd’hui : la CGT principalement, c’était le syndicat le plus puissant, le syndicat des étudiants c’était l’UNEF donc il lançait des mots d’ordre et on suivait tous, et notre lycée aussi c’est mis en grève et le proviseur que vous appelez principal maintenant… le proviseur a décidé de fermer le lycée et nous on était dehors, donc de nous interdire l’entrée pour pas qu’on crée le bazar et nous ce qu’on a fait, on était plusieurs centaines, on a escaladé les grilles du lycée, on est rentré dans le lycée et on a occupé le lycée donc dans le cas des mouvements de grève il y avait occupation des lieux donc nous on occupait le lycée, certains occupaient les universités, les ouvriers occupaient les usines donc c’est aussi ce mouvement-là qui a été très important tous les lieux d’activités que se soit pour les études, scolaires ou pour le travail étaient occupés par les personnes qui étaient habituées à les fréquenter en temps normal.

Et les français, ils étaient plutôt divisés ou favorables aux manifestations ? Au départ, moi je pense qu’ils étaient plutôt favorables aux manifestations parce qu’ils avaient envie que les choses changent et puis après ça a fini par tellement durer que progressivement les avis se sont séparés, c’est-à-dire que les ouvriers ont réussi à provoquer une conférence, c’était la conférence de… je confonds toujours, je crois… qui a abouti à des accords je ne sais plus si c’est les accords de Grenelle ou les accords Matignon. Je confonds toujours.

Non, c’est les accords de Grenelle… Donc voilà les accords de Grenelle, et donc une fois qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient pour toutes leurs revendications c’est-à-dire, les hausses des salaires qui ont été très importantes, des garanties sur plusieurs droits et tout, eh bien ils se sont retirés des grèves et nous on s’est senti un petit peu lâchés et la majorité des Français en a eu marre de la pénurie, des grèves et tout ça et donc il y a eu, je crois que c’est le 13 mai, une immense manifestation qui est partie de La Concorde jusqu’à l’Arc de Triomphe avec le général de Gaulle et puis tous ses ministres et tous ceux qui en avaient assez et le général de Gaulle a pris la parole ce jour-là pour siffler la fin de la récré on va dire ça comme ça et nous on était tous en train d’écouter son discours et on a compris que c’était terminé.

Et comment avez-vous ressenti quand vous avez appris les manifestations ? Eh ben moi j’ai participé déjà à plusieurs manifestations avec mes amis, mes copains, mes copines. Autant qu’on pouvait, on y allait, donc on y allait mais moi j’ai pas jeté de pavés par contre parce que j’étais quand même très légaliste, je ne voulais pas ni mettre le feu car on parle actuellement quand il y a des mouvements, bon ce n’est pas dans le même contexte, quand y’a des jeunes qui sont en colère, on parle des voitures qui flambent, il y avait ça aussi en mai 68. Il y a eu notamment une grande manifestation alors je ne me souviens plus de la date dans la rue Gay- Lussac qui est située près du Luxembourg mais c’était une horreur, les voitures étaient retournées, elles ont flambées, les étudiants qui étaient là ont lancé des pavés contre les CRS et nous notre mot d’ordre c’était « CRS=SS ! », voilà, c’était ça notre mot d’ordre donc on criait ça « CRS=SS ! », voilà. Mais moi, je n’aimais pas pour ce type de violence personnellement mais je me rappelle d’une manifestation où on a reçu des bombes lacrymogènes, on étaient tous en pleurs, on pleurait, on avait tous un mouchoir pour pas respirer et tout ça mais bon quand c’était comme ça avec mes copines on se réfugiait dans le métro enfin dans Page 22


le métro où ça ne circulait pas, des grilles étaient parfois ouvertes et on allaient se réfugier pour pas prendre ni des coups, ni recevoir des bombes lacrymogènes. J’ai des copains qui ont été emprisonnés, qui ont fait, bon, on dirait aujourd’hui, une ou deux journées de garde à vue parce qu’ils ont été pris par la police. •

Et c’était impressionnant de voir les CRS arriver en face ? C’était très impressionnant, très très impressionnant et donc y’avait des cavalcades de part et d’autre, c’est vrai que c’était très impressionnant. J’étais assez pétocharde à l’époque donc je ne risquais pas trop. J’avais des copains qui y allaient, qui lançaient des pavés et tout ça. D’abord, comme je vous l’ai dit, je n’étais pas pour la violence, je n’avais pas envie de me prendre un mauvais coup et je me souviens que quand je prévenais mes parents que, il faut savoir, je fais un petit aparté, que j’avais presque 18 ans et qu’à 18 ans, on n’était pas majeur. On était majeur à 21 ans donc normalement j’étais sous la responsabilité de mes parents, de toute façon je n’avais pas 18 ans mais mes copains et copines même s’ils avaient 18 ans étaient sous la responsabilité de leur parents et donc quand je prévenais mes parents que j’allais aux manifs, bon, sur le principe j’avais de la chance, mes parents étaient d’accord, enfin mon père était d’accord sur les principes car il soutenait les mouvements, mais ma mère, elle pleurait, elle avait peur que je me fasse taper dessus, elle avait peur que je me fasse prendre et donc j’essayais… je n’étais pas parmi les plus hardis donc c’est vrai que quand je voyais arriver les CRS avec mes copines on se mettait un peu en retrait.

Mais vous connaissiez des gens qui allaient aux manifestations sans l’accord de leurs parents ? Oh oui ! C’était un mouvement, c’était un tel engouement et puis parfois on se retrouvait, on était opposés à certains copains qui n’étaient pas d’accord parce que comme je vous l’ai dit il y avait quand même des clans et on se battait entre nous, ça nous est arrivé de se battre entre nous, donc moi j’avais des copains, c’est surtout les garçons qui se battaient, j’étais je ne sais pas si je peux dire moins courageuse ou plus raisonnable selon ce que l’on pense. C’est surtout les gars qui se battaient entre eux. Y’en a qui lançaient des pavés sur les CRS, c’est clair. Il y a aussi des manifs en particulier dont je me souviens bien, place Denfert Rochereau, y’a un grand lion, le lion d’Denfert : et donc c’était gigantesque ! Vous savez on était mais des milliers et des milliers. On était très très nombreux. C’était que des étudiants et des ouvriers. Beaucoup de jeunes, de votre âge ou peut-être plus âgés, ça commençait vers 17-18 ans en général et sur le lion, qui était juché ? Eh ben Daniel Cohn-Bendit, voilà donc moi je l’y ai vu ce jour-là avec d’autres leaders de mai 68. Y’avait trois des principaux leaders de mai 68 donc il y avait lui, y’avait Serge July, quatre même, Jacques Sauvageot et Alain Gesmard. C’était les quatre leaders de mai 68. Ils étaient tous les quatre juchés sur le lion de Denfert. Moi j’étais juste à côté quoi.

Et quel slogan était le plus scandé ? Ben c’était ça : « CRS=SS ! », « Sous les pavés la plage », « Il est interdit d’interdire ». C’était des slogans qui étaient beaucoup pour la liberté quoi, la liberté de parole, la liberté d’expression, la liberté d’opinion mais le principal c’était « CRS=SS ! ».

Et vous avez fait des affiches ? On en a fait au lycée, oui, pour annoncer les assemblées générales au lycée, pour annoncer les manifs à Saint Michel donc on nous donnait les lieux avec les manifs.

Et c’est un moment de gaieté dans votre vie ? Très, très. Moi je garde un très, très bon souvenir. Y’a beaucoup de choses qui ont changé avec mai 68, tout d’abord pour les filles parce que quand on est revenues au lycée, on est revenues en jean. Ça a l’air complètement fou maintenant quand on y pense mais moi je me souviens qu’un jour avant Page 23


mai 68, j’avais 17 ans à l’époque, je n’étais pas encore en première, j’étais en seconde, j’étais un petit peu maquillée et la prof de français m’a envoyé à l’infirmerie pour me démaquiller et m’a interdit de revenir maquillée, donc à pratiquement 17 ans ; maintenant ça paraît bizarre. Je n’étais pas bariolée comme un clown, j’avais simplement un peu de ricil puis c’était tout et puis un petit trait d’eye liner et puis c’était tout, donc elle m’a envoyé me démaquiller à l’infirmerie. Et grand sentiment de liberté, on sentait que les choses avaient changé et on savait que pour les femmes ça ne serait plus jamais pareil et qu’on s’acheminerait peu à peu vers le droit à la contraception, vers certains droits qu’on n’avait pas. C’était les prémices de changement pour la femme et c’est sûr que pour moi… et je le dis à mes filles mais vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez. Contre quoi, nous, on a dû se battre. Ça paraît aujourd’hui… comment dire quand on y pense… ça paraît futile, mais on avait le droit de rien dire nous les femmes. •

Et en fait ça a été un changement pour les Français mais surtout pour les femmes. Surtout pour les femmes mais aussi pour les Français en général parce que progressivement on s’est acheminé vers plus de liberté d’expression, vers la pluralité, les expressions, je crois que c’est un peu plus tard que l’institut qui dirigeait la télévision a éclaté, l’ORTF a éclaté et on est allé vers plus de chaînes de télé, les informations étaient plus pluralistes, plus de droit d’expression, moi c’est le souvenir que je garde de cette période, une société très bouclée et puis tout ce dont vous bénéficiez aujourd’hui c’est en droite ligne le résultat de mai 68 mais c’est vrai qu’aujourd’hui c’est controversé, on dit que les enfants d’aujourd’hui tout leur est permis, qu’il y a des dérives et que les dérives auxquelles on assiste aujourd’hui c’est le résultat de mai 68. Moi je dis que ce n’est pas vrai, mais bon. Moi je pense que si il a des choses qui sont positives aujourd’hui c’est ça, c’est l’esprit citoyen, c’est la liberté d’expression, c’est la conscience que l’on a de nos droits mais aussi de nos devoirs, on le doit à mai 68 parce-que je dirai que ça a libéré la parole. Les cours auxquels j’assistais avant et ceux auxquels j’ai assisté après et même pendant parce qu’on a eu des profs avec qui on n’avait pas du tout de dialogue et pendant on a pu parler avec eux et leur dire ce que l’on ressentait et c’était vraiment super parce qu’on a découvert aussi qu’on avait des profs géniaux et c’était bien d’avoir cet échange et de ne pas mettre le prof sur un piédestal et le petit élève qui avait le droit de rien dire. On les respectait beaucoup mais on n’avait pas le droit de s’exprimer.

En fait, il y a eu un changement de société entre avant et après. Absolument, moi je le pense comme ça. Et penser qu’il y a des dérives et que les dérives sont le résultat de mai 68, je ne suis pas d’accord avec ça et je pense que heureusement qu’il a eu ce changement parce que si il y a plus de liberté aujourd’hui c’est grâce à ça.

Quelles conclusions tirez-vous de mai 68 ? Est-ce que ça vous a apporté des choses ? Pour moi, personnellement, une prise de conscience. Je pense que si il n’y avait pas eu mai 68, je serais restée une petite fille sage chez mes parents, j’aurais bien travaillé alors que j’ai un fond très rebelle, moi ça m’a bien convenu. Mais je n’aurais pas l’épanouissement que j’ai eu par la suite et je n’aurais pas pu le transmettre à mes filles et mes petits-enfants, voilà.

Et si c’était à refaire, vous l’auriez refait ? Et comment ! (rire) et comment ! Et comment ! Mais je me serai peut-être encore plus impliquée mais en prenant plus… parce-que pour moi ce n’était presque pas un jeu mais on s’amusait bien quoi. J’ai pas pris toujours tout au sérieux mais je pense que si c’était à refaire je prendrais un engagement politique, je serais encore plus politisée et je prendrais des responsabilités, je me syndiquerais et je choisirais un parti politique, peu importe, moi je ne dis pas forcément tel ou tel, je prendrais des responsabilités. Page 24


Et est-ce que vous auriez aimé encore plus de changements ou vous aviez tout ce que vouliez ? Ce n’était pas mûr, ce n’était pas mûr. Je pense que déjà les changements… je pense que si il y avait plus de changements, on aurait eu un contrecoup encore plus brutal parce qu’à un moment quand le général de Gaulle a dit stop, on a eu peur qu’il y ait un retour en arrière, que ce soit, bon, ça n’a pas été le cas mais ça n’a pas été le cas parce, que ce n’est pas allé trop loin. La suite, il y a eu des troubles dans les usines et il y a eu un jeune militant qui a été tué quand même mais ça n’a pas été trop loin, et il ne fallait pas que ça aille trop loin quand il y a des changements il faut que ce soit progressif. Quand c’est trop brutal, l’arrêt peut-être aussi brutal et on peut revenir en arrière et avoir du mal à progresser pendant longtemps, ça peut être bouclé pendant longtemps donc non ça été bien.

Et vous en avez parlé longtemps après avec les professeurs ou les gens de votre entourage ? Avec les professeurs, non, on n’en parlait plus, on n’en parlait plus parce que c’était mai et les copains qui étaient en terminale ont passé le bac dans des conditions où on leur a donné, quoi. Tous ceux qui étaient en terminale ont eu leur bac donc quelque part ça a délégitimé le diplôme en luimême donc il fallait qu’ils continuent les études pour que ça ait de la valeur. Et après donc ça été en juin et donc après ça été les vacances et quand on est revenu l’année d’après c’était terminé mais on sentait que les choses avaient changé pas seulement dans les tenues vestimentaires mais dans l’état d’esprit c’est vrai que par la suite on parlait plus de mai 68 mais le dialogue avec les profs avaient changé, c’était plus facile par exemple en philo, on pouvait plus discuter, échanger, donner nos opinions, on sentait que quelque chose avait changé, c’était plus pareil.

Et pourquoi vous avez accepté de témoigner ? Parce-que je pense que c’est important, je pense… je vais dire pourquoi pas, je pense que c’est important de transmettre. Moi je suis beaucoup pour la transmission, j’en parle beaucoup avec mes enfants, ça peut-être intéressant et pour un élève ou un étudiant, d’avoir un avis de quelqu’un qui a vécu la période, d’avoir l’opinion sur ce que la personne a ressenti de la période, comment c’était.

Et vous pensez que ça peut nous apporté un bonus, enfin de la culture ? Je pense que oui parce-que je pense que ce que ça peut apporter aux générations d’aujourd’hui c’est que quand on a des convictions il faut les porter, bien sûr on n’est pas obligé d’aller dans des mouvements de cette portée, de cette nature. Il faut croire, il faut croire enfin croire, quand on a des convictions, il faut aller au bout de ses convictions et ne pas hésiter à les défendre, quand on a des valeurs, c’est pareil donc c’est pour ça que j’ai accepté de témoigner, de transmettre et je pense que y’a beaucoup de chose qui se font aujourd’hui et qui sont issues de mai 68 et ça il faut en avoir conscience. Ça été un combat quand même, c’est pas tombé comme ça tout cuit, il a fallu qu’on se batte pour ça et il faut être vigilant pour essayer que ça ne revienne pas en arrière parce qu’il y a parfois des régressions qui font un petit peu peur autant sur la liberté d’opinion, sur la liberté d’être ensemble, sur la liberté de parole, il y a des retours ou des tentatives qui font peur.

En quelque sorte vous voulez faire perdurer… …l’esprit, l’esprit de mai 68. L’esprit parce que c’est un esprit… je pense qu’à un moment il y avait trop d’interdits, il y avait trop d’interdits et je pense que quand il y a des interdits et comme ça qui empêchent une société d’avancer. Il faut avoir en mémoire aussi bien pour les gens qui se sont battus pendant la guerre, il faut conserver les libertés mais là c’est sûr pas de même nature, c’était moins grave mais l’esprit de révolte il faut toujours l’avoir en soi.

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Je me souviens de la guerre 39-45...

Je me souviens du début de la guerre. J’avais alors 5 ans, c’était au mois de septembre et le soleil brillait encore de mille feux. Toute la famille était réunie dans la pièce d’en bas. J’ai vu papa et maman pleurer parce que c’était la guerre. Je savais que quelque chose de grave était arrivé mais j’avais à peine 5 ans et je ne savais pas ce qui se passait. Beaucoup de gens disaient que ça n’allait pas durer mais... En 1944, j’avais 10 ans, j’étais une petite fille. Mes souvenirs sont un peu loin maintenant, très loin même. Je me rappelle que c’était la guerre. Est-ce que moi j’en ai souffert, pas tellement parce que papa et maman avaient une petite ferme. Même s’il n’y avait pas de sucre, de chocolat ou de choses comme ça, je n’ai jamais eu vraiment faim. Il fallait faire avec et c’était le système «débrouille». Il fallait tout acheter avec des points que ce soit le sucre, le pain, le chocolat. Il y avait des cartes de pain mais maman en fabriquait au moulin de Bénavent. Papa emmenait du blé et en échange on nous donnait de la farine puis on faisait du pain dans le four, qui tenait au corps. Et quand on le mangeait le soir et qu’il y avait quelqu’un qui venait, c’est moi qui avait le droit de l’avoir sur les genoux avec ma serviette dessus. On n’avait pas le droit de manger du pain blanc alors on se cachait. On se cachait pour beaucoup de choses. Ton papi a souffert de la faim pendant la guerre, moi non. Maman faisait du sucre avec des betteraves et du café avec de l’orge et des glands, c’était bon. Je me souviens aussi qu’on n’avait pas de beaux vêtements et que le tissu se faisait rare alors quand les Américains ont débarqué en parachute, maman nous a fait des chemises et des culottes en toile de parachute jaune. Elle avait également des petites chaussures noires à talons qu’elle ne mettait plus, elle a donc coupé les talons pour que je les mette mais je n’étais pas très à l’aise dedans. A l’école, je me souviens qu’on chantait la chanson «Maréchal, nous voilà» tous les matins. J’ai d’ailleurs reçu une lettre du maréchal Pétain. On devait lui écrire une lettre. Mes parents étant résistants, je n’avais pas été très aidée et j’avais écrit à peine 4 lignes très médiocres. A l’inverse, une autre petite fille dans ma classe dont les parents étaient collaborateurs, avait réalisé une magnifique lettre destinée au Maréchal. Malheureusement, elle était incapable de la recopier au propre sans tâche ni faute. Alors, la maîtresse m’avait demandé de la recopier car j’étais très appliquée. J’avais donc réécrit cette lettre de ma plus belle écriture et signé de mon nom. Le Maréchal m’avait envoyé ses compliments et quand maman résistante comme elle était avait reçu la lettre, elle l’avait Page 26


immédiatement brûlée dans la cheminée. Par rapport à la guerre, je me rappelle que les Allemands patrouillaient dans le village. On les entendait marcher la nuit, le bruit des bottes ( imitation). Je les entends encore. Alors, on éteignait les lumières et on se faisait le plus discret possible. En haut de l’école, les Allemands faisaient des manœuvres. Il y avait les troupes allemandes et les chefs montés à cheval. Je te prie de croire que quand on rentrait de l’école, on se tenait bien près les uns des autres parce qu’on avait très peur. Mais ils ne nous ont jamais rien fait, jamais rien dit, ça ne fait aucun doute. Et on entendait dire à cette époque, je l’ai appris à l’école, qu’il y avait eu le massacre d’Oradour sur Glane mais c’était une chose inimaginable. C’était raconté par d’autres filles qui en avaient entendu parlé par leur parents et ça faisait très peur. Mais quand on a dix ans, on ne sait pas ce que ça représente. Je me rappelle avoir été en ville avec maman, la caserne était occupée par les Allemands et il y avait un drapeau avec la croix gammée. A cette époque, on entendait dire que les Allemands faisaient passer les soldats Indiens devant la caserne pour violer les femmes. C’est arrivé à plusieurs endroits. Au moulin où papa et maman faisaient le pain, il y avait des prisonniers allemands. Le meunier leur donnait des coups quand il ne travaillaient pas. L’un d’eux s’appelait Otto. Il était très gentil et tout le village l’avait accepté. Par contre, il y en avait d’autres qui ne travaillaient pas et on en avait peur lorsqu’on passait à côté d’eux. Mais tu sais à 10 ans, on a peur de tout. Juste avant le débarquement, je m’étais fait opérer de l’appendice, je suis revenue juste un jour avant que les Anglais et les Américains débarquent. Papa et Maman étaient en train de cueillir des cerises dans un verger que l’on appelait les petites Varennes quand une dame est venue me prévenir que les Anglais avaient débarqué. Alors moi, je m’imaginais quelque chose de fantastique. Malheureusement, la guerre n’était pas finie et c’est après que les représailles allemandes ont été terribles. A la Libération, en 1945, je revenais de l’école à bicyclette et quand je suis entrée dans le village de Bénavent, il y avait des drapeaux partout. On a vu une dame qui s’appelait Babette et qui nous a dit: «ça y est les enfants, la guerre est finie» et elle nous a embrassés. Maman avait fabriqué un drapeau avec la croix de Lorraine à l’aide de torchons et de ce qu’elle avait trouvé. C’était la Libération et c’est là que le maquis s’en est pris aux collaborateurs. Je me souviens aussi que mon frère et mon beau-frère étaient dans le maquis et que papa et maman écoutaient la radio de Londres: na na na na na, la petite musique. Ils n’avaient pas le droit bien sûr et il y avait une voisine qui venait écouter au volet mais heureusement, on a jamais eu d’histoires. Mon beau-frère Eugène était dans le maquis en face de Bénavent à Rochefort et Henri, mon frère je ne sais pas trop. Je sais juste qu’il devait aller à Londres. Il devait prendre l’avion à Argenton ou Châteauroux, je ne sais plus. A son arrivée en Angleterre, il devait envoyer un message à la radio qui disait: 99 moutons et le Berrichon font cent bêtes , quelque chose comme ça. Malheureusement ils ont été dénoncés et ne sont jamais allés en Angleterre. Il est revenu à la maison à pied puis avec une bicyclette volée à Bénavent dans le but de nous prévenir. En le voyant arriver papa fut très surpris. Je

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le vois encore revenir. Il nous a raconté qu’il n’avait pas embarqué et qu’il s’était sauvé depuis deux jours. Je me souviens également, qu’il y avait une lame de parquet, à côté de la petite chambre, que l’on pouvait soulever et dans laquelle papa cachait des armes illicites : une mitraillette ou encore un revolver. Je ne sais pas à qui cela appartenait. Papa signait de fausses cartes de ravitaillement avec la signature du maire de l’époque, un certain commandant Chabot, plutôt collaborateur. Il faisait ça devant moi, imagine qu’on m’interroge.

Je me souviens aussi que les réfugiés passaient sur la route en charrette avec tous leurs animaux. C’était incroyable. Tout un convoi. Je ne sais pas où ils allaient , d’où ils venaient et ce qu’ils sont devenus. Je ne sais pas. Je me rappelle aussi avoir vu une armée de Sénégalais traverser le village. Maman leur avait mis un seau de lait avec une louche et quand ils passaient, ils buvaient du lait. C’était amusant. Chacun aidait comme il le pouvait. Pendant la guerre, maman a accueilli une petite fille juive parisienne. Je me souviens qu’un jour alors qu’on entendait les bombardements, la petite était sur les genoux de maman et elle pleurait de peur. Il y en avait beaucoup dans le village des enfants comme elle. On a aussi accueilli pendant la guerre, un couple de réfugiés avec leur fils qui sont restés plusieurs mois dans la chambre. Et quand le garçon est retourné chez lui, il m’a envoyé une carte en me faisant voir l’endroit où la paix avait été signée: Reims. Depuis, on n’a jamais eu d’autres nouvelles. On connaissait également pendant la guerre un Mr Preux et sa femme qui était anglaise. Lui aussi était anglais, son vrai nom était Newman. Est-ce qu’il travaillait dans les renseignements, je ne sais pas. A l’école, il y avait quelques enfants juifs qui avaient été accueillis dans des familles françaises. L’une d’elle s’appelait Laure Bronovsky. Elle ne portait pas l’étoile jaune. Mais tu sais, à 10 ans, juif ou pas juif, on était tous pareil, on ne savait pas et on ne faisait pas la différence. Je n’ai jamais entendu parler des camps de concentration. On a su seulement bien après avec les images dans les livres et la télévision. Je ne peux pas vraiment dire si cet événement est un souvenir facile ou difficile à raconter. J’avais 10 ans et à 10 ans, on a peur de tout et on n’a pas une vision très élargie du monde. On n’a pas conscience de tous les problèmes qui peuvent exister et de toute l’horreur de la guerre. Ça n’a pas eu d’impact direct sur ma personnalité. Si j’avais eu cinq ou six ans de plus, ça aurait été sûrement différent. Néanmoins, je n’ai pas souffert contrairement à d’autres personnes... J’ai parfois raconté à d’autres membres de la famille ces souvenirs lointains mais c’est la première fois que je fais l’effort de me rappeler intégralement des souvenirs que j’ai de cette guerre et d’explorer

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tous les recoins de ma mémoire et je trouve cela plutôt bien. En effet, il faut entretenir la mémoire des gens en particulier en ce qui concerne la seconde guerre mondiale. Il faut absolument se rappeler de tout, du génocide des juifs, des morts à la guerre... afin que la mémoire se perpétue et qu’on n’oublie pas ce que les hommes ont pu faire aussi bien du côté allemand que du côté français. Et la seule chose que j’espère, c’est que tout ça ne recommencera pas mais quand on voit encore aujourd’hui aux informations qu’il y a des gens qui dégradent des cimetières juifs ou encore tous les problèmes d’antisémitisme, de xénophobie, on se rend compte que l’espèce humaine peut parfois faire preuve d’une extrême sauvagerie.

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La révolution malgache

Les évènenements de 1947 • Michou Ça a commencé en 46. Les Malgaches se sont plus ou moins révoltés. D’abord sous le … je ne dirai pas l’incitation, mais sous l’impulsion des députés malgaches : Raseta, Ravoahangy et Rabemananjara. C’était des députés français, des députés de Madagascar. Et après tous les intellectuels les ont suivis, et puis ensuite tout le peuple malgache, mais alors de tout Madagascar. Eux, c’était politique, ils ont fait un machin politique…les députés. Les Malgaches n’avaient pas d’armes du tout, parce que, c’était politique, c’était… Mais la France a fait une répression terrible. C’est à dire qu’ils ont arrêté beaucoup de monde, j’ai dit parmi les intellectuels, et dans toutes les familles malgaches. Tu sais à un moment j’étais…j’avais 12 ans, et j’étais à Tana [Tananarive, la capitale de Madagascar] et donc dans toutes les familles, partout, il y avait au moins 1, 2 ou 3 personnes qui étaient emprisonnées, ou alors qui étaient tuées. Alors, ils emprisonnaient les gens et quelquefois ils faisaient une tuerie en masse. Et c’est ainsi qu’on a trouvé, aux environs des grandes villes, des charniers! C’est comme ça qu’on appelle ça. Là, ils font faire des trous, de grands machins comme ça… C’est grand, hein! Oui, des fosses communes, faite par les prisonniers, qui sont arrêtés, donc, ces gens qui n’avaient rien, et ils les mettaient tous dedans: tchac, tchac , tchac, tchac![bruit d’armes à feu] Et puis après, ils n’ont plus…pas voulu, enfin… Ils voulaient économiser leurs balles. Ce n’était pas bien pour les Malgaches encore les balles. Alors ils les ont menés à Moramanga [prononcer «Mouramangue»] Moramanga, c’est une ville, parce que… Les wagons de Moramanga, tout le monde les sait. C’est classique. A Moramanga, ils les ont entassés dans les wagons, et puis, parce qu’il y a une pente… Moramanga, à Madagascar, c’est, tu sais, 1500m d’altitude… A Moramanga, c’est là qu’il y a la fissure, pour descendre. Et ils ont donc fait basculer les wagons sur toute la hauteur de… du truc là. Pour les tuer. Et, ils ont donc tué comme ça beaucoup de monde. Et après ça, tout le monde s’est révolté. • Sophia : Mais, au départ, pourquoi se sont-ils révoltés? Qu’est ce qu’ils demandaient? • Michou : L’indépendance! Les Malgaches ont fait la guerre en 44-45! Oui, ils ont fait la guerre; nous, on a fait la guerre! Tu vois, on ne mangeait pas : ils ont tout emporté, tout enlevé, le riz, la viande, même les petits poulets. Tu vois, on avait dans notre poulailler des petits poulets, et ils ont tout, tout, tout raflé, les œufs et tout. Et pendant un an, on a mangé, nous, que du manioc. Tu connais le manioc? Le Page 30


manioc, c’est un féculent. Il n’y a rien dedans, ce n’est même pas comme le blé ou… C’est une céréale et il n’y a rien dedans. Au contraire, si on en mange trop, c’est du poison. Et on avait plus que ça, parce que ça, ils n’aimaient pas, donc ils ne l’ont pas pris. Donc les gens ne mangeaient que ça. Mon père était médecin donc on était quand même très à l’aise, mais n’empêche, on n’avait rien. Maman avait fait un stock de manioc, et c’est ce qu’on mangeait, 2 fois par jour. Et, on était 10 gosses, et moi j’étais la quatrième et j’avais…j’étais née en 34 donc en 45, parce que ça a commencé en 45, j’avais 11 ans. Et puis, mon père, qui était médecin, il n’avait pas le droit de soigner les Malgaches. Quand c’était cette fameuse guerre, ils l’ont réquisitionné pour soigner tout simplement les Français, mais pas les Malgaches. Alors, il n’a pas voulu, il n’a pas accepté, et ils l’ont mis en prison, mais comme il était le seul médecin, ils ont été obligés de marcher avec lui. Il a fait ça pour protéger sa famille, parce que lui il n’avait pas voulu : «Si je ne peux pas soigner les Malgaches, je ne soigne personne». Les Malgaches n’avaient pas d’armes, ils n’avaient que les sagaies, des espèces de lances. Et pour se donner du courage, il y avait les gris-gris, paraît-il, enfin, il n’y avait que ça. Et on disait qu’il fallait crier : «rano, rano»[prononcer»rane»], c’est à dire «eau, eau», comme ça, les balles deviendront de l’eau et ne vont pas les atteindre. Et ils fonçaient donc en criant «rano, rano» alors que, en face, les militaires, ils avaient des fusils. Et c’est pour ça qu’il y avait beaucoup de morts. Ca a duré en 46, 47. Et en 47, les Malgaches n’avaient plus rien : les hommes en prison, les femmes et les enfants n’avaient rien à manger, et donc, c’était pas la capitulation mais ça s’est arrêté. Ils ont déporté les députés en France. On ne pouvait plus rien dire. On ne devait pas parler des «vahaza»[bancs]. Les «vahaza», c’était les Français. On devait se plier. Ils vous prenaient votre terre, il fallait accepter, ne rien dire, autrement on vous arrêtait. Ils prennent les femmes… Surtout dans les petites villes et à la campagne, mais dans les grandes villes, ils n’ont pas osé. Ils arrêtaient simplement les meneurs, les intellectuels, les gens qui avaient un peu d’éducation. Après ces événements -on les appelle les événements de 47, en fait- nous sommes partis en vacances à Mananjary[prononcer «Mananzari»]. Mananjary, c’est une ville côtière. • Sophia : Et au départ, vous habitiez où? • Michou : Ambositra [prononcer»Ambousht»], puis à Tana. Ambositra, c’est sur le haut plateau de Madagascar. Puis on est descendu à Mananjary. Moi, je suis née à Mananjary. La famille de Papa était à Mananjary. Et, quand on est arrivé là-bas –nous avons une maison, une villa- et donc il y avait un quartier qui était pour les gens aisés, avec des tas de villas. Et quand on est arrivé, toutes les villas étaient fermées. Les personnes ont été déportées –les adultes- et ils ne sont plus jamais revenus. • Sophia : Et pour quelle raison? • Michou : Ils ont été tués quelque part. On n’a jamais retrouvé leurs cadavres. Et beaucoup de gens comme ça ont été arrêtés un jour et ils ne sont plus jamais revenus. Et on ne doit pas parler de ça. On ne Page 31


doit pas demander où ils sont. Et même maintenant, on n’a pas le droit. Ça doit sortir déjà, tu vois. Parce qu’il y a un délai pour ces choses là. Il y a quand même des documents quelque part. Après un certain temps, on sort tous les documents officiels. Mais sur Madagascar, c’est interdit. On ne doit pas parce que il y a beaucoup d’intérêts en jeu. Parce qu’ils ont pris les terres des autres, les terres des Malgaches. Les Malgaches avaient beaucoup d’or, surtout à Ambositra. On avait une maison, un peu en hauteur, et un peu en dessous, il y avait une autre maison, qui était habitée par des français. Et il y avait un jeune homme qui était militaire. Quand il revenait de ses missions, on le voyait : il lavait des bijoux en or, des trucs en or, parce que c’était plein de sang. Donc on le voyait, il était en bas. Il prenait les choses des gens, et il les tuait. Et ce n’était pas seulement lui, il y avait aussi le commissaire. Le commissaire, dont j’ai oublié le nom, qui était très connu, enfin, tu ne diras pas ça ! Mais il y avait donc même toute l’administration. C’était une colonie, donc les colonisateurs avaient tous les droits. Et c’est donc pour ça que, après la grande guerre 39-45, les Malgaches étaient pour. On était français, donc il y a beaucoup de Malgaches qui sont partis en France pour faire la guerre. Il y en a qui sont revenus, mais beaucoup ne sont pas revenus, comme c’est à la guerre! Il y avait un film qui a été fait il n’y a pas longtemps, mais eux, ils ont parlé surtout de l’Afrique du Sud et de l’Afrique du Nord. Mais beaucoup de Malgaches sont partis aussi et ne sont jamais revenus. Et ceux qui sont revenus ont dit que on les a envoyés au front au premier plan, pour servir de chair à canon. Mais malgré ça, les Malgaches étaient quand même français. Et après ça, les parents peut-être ont réfléchi : quand c’est pour se faire tuer, les Malgaches sont des français, mais après, on nous fait ça! «On est des indigènes, on est des moins que rien», et c’est comme ça qu’ils ont pris conscience. Et c’est pour ça qu’il y a eu d’abord les intellectuels, mais après tout le monde a suivi. Ils disent dans les livres, dans les choses qu’on écrit, que c’était seulement une partie des Malgaches. Ce n’est pas vrai : c’était tout Madagascar! Du Nord, au Sud, au Centre, partout! Maintenant, à la sortie de plusieurs villes, on trouve des grands charniers, de quand on a tué des Malgaches en masse; on a mis du ciment dessus. • Sophia : Et vous, personnellement, quels étaient vos sentiments à l’époque? Vous étiez consciente de ça? • Michou : Pas tout à fait. On n’était peut-être pas tout à fait conscients. Au début, j’avais 12 ans; on est partis ensuite et je devais aller au lycée, à Tana, et je n’étais pas consciente de ça. J’étais consciente que je devais aller au lycée et tout. Mais même au lycée, c’était les Malgaches et les Français. On était ensemble, mais il y avait toujours cette discrimination qui méprise les Malgaches! Il y avait toujours ça. Par exemple, on nous mettait dans le fond de la classe. On nous disait : «On va vous faire faire un cours de français, parce que vous ne savez pas le français». Alors que nous, on parlait et on écrivait couramment le français; on était dans une école européenne. Mon Papa, après son problème de «soigner forcé», il a eu la nationalité française, ils lui ont donné. Et malgré ça, on avait des cours où on nous disait : «Vous savez rien, pour tenir les bureaux, on a besoin que vous parliez le français donc on va vous apprendre…». En fait, on allait au lycée pour être ensuite des scribouillards, des sous-fifres. Quelques temps après, donc, tous ceux qui étaient les meilleurs de la classe, on les a convoqués : « On va vous envoyer en France, vous allez être sagesfemmes, vous allez être institutrices, on va vous envoyer parce que vous êtes les bons éléments ». Et ben moi, je n’ai pas voulu. J’ai dit : « moi, je veux être médecin ». Je n’ai pas voulu, y’a eu des conseils de classe, et touti, touta, tout un tas de problèmes. Mais ils ne pouvaient pas me renvoyer parce que j’étais dans les premières de la classe. Et alors après, qu’est que c’était ! C’était toujours, quand tu lèves la main –parce qu’on levait la main, à cette époque, même au lycée- on t’interrogeait pas, et tout ! Et ça a continué, comme ça. Ça restait quand même chez les Malgaches, bien qu’ils aient essayé de nous… Là, on s’est rendu compte, je commençais, donc, à grandir. J’avais quinze, quatorze, quinze, seize ans. C’est vraiment l’âge où on n’accepte pas. Et ça quand on sait que l’oncle ceci n’est pas revenu de la guerre… Tu vois, quoi ! Après tout ça, on n’accepte pas ça. Mais on ne pouvait rien dire. Page 32


Les événements de 1972

• Sophia : Et est-ce que ça s’est arrangé progressivement ? • Michou : Après, on nous a donné l’indépendance en 60. Toujours sous l’impulsion des trois députés, avec De Gaulle. Donc ils ont donné l’indépendance, mais une indépendance entre parenthèses. Donc Madagascar était devenu indépendant, était maître de soi et tout. En ce moment-là, les Malgaches avaient beaucoup évolué du point de vue, comment dirais-je, il y en a beaucoup qui sont venus en France pour faire des études, il commençait à y avoir une université à Madagascar, le Bac, beaucoup de monde l’avait comme ici, on parlait français couramment et tout, on a compris. Et malgré ça, avec les diplômes qu’on avait et tout, et bien il y avait, chaque fois qu’il y avait un service : un chef de service malgache et à côté, on mettait un Français. Et en général, le Français n’avait même pas la qualification, mais c’est lui qui décidait de tout. Et un certain hôpital (moi, je suis médecin, mais dans le mien, il n’y a rien eu) il y avait un médecin malgache, compétent et tout, qui venait de France (moi, j’ai fait mes études en France) et il y avait une dame, qui était infirmière en chef, et française, et c’est elle qui commandait aux médecins et à tout le monde. Et donc tout ça, ça a couvé chez les Malgaches. Nous les « vieux », on ne trouvait rien à faire. Et ce sont les jeunes qui se sont révoltés, les élèves. Ça a commencé par les étudiants en médecine. En mars 72, le président venait d’être élu à 80%, donc ils en voulaient. Et au mois de mai, les élèves se sont révoltés, les lycéens, les collégiens, les étudiants… • Sophia : Qu’est-ce qu’ils réclamaient, vu qu’ils venaient d’élire un président qui leur plaisait ? • Michou : En fait, le président, c’était un président fantoche. Il était là parce qu’on voulait le mettre là. La France, on dit que c’est un grand pays, mais quand ils parlent maintenant de ce qu’ont fait les Allemands, je trouve que les Français en ont fait autant chez nous. Là, c’est eux qui disaient au président : « vous faites ceci, vous faites cela ». Le président était là pour la galerie. Les élèves, tous, tous, tous, tous se sont révoltés. Ils n’avaient pas d’armes. Ils se sont réunis sur la place de l’Hôtel de ville, à Tananarive. Les militaires, les gardes présidentiels, les CRS, sont venus pour les disperser. J’ai assisté personnellement à ça, parce que mes enfants étaient grands, déjà. Ils étaient au lycée. Donc, mes enfants étaient là, parmi les manifestants! Pas vraiment une manifestation, c’était plutôt une marche. C’était un samedi, et j’étais allée à l’hôpital. Je savais que mes enfants étaient là-bas, on leur avait donné du pain, de l’eau, parce qu’ils allaient faire la marche. Et puis j’entends des coups de fusils. Page 33


Alors j’ai pris la voiture, et je suis allée voir. Par- terre, devant l’hôtel de ville, il y avait des tas d’étudiants , de morts, de blessés. Ils tiraient, les étudiant reculaient, et les blessés restaient là. Et moi je suis venue, avec ma voiture, et des étudiants m’ont aidée à ramasser des blessés. Les étudiants n’avaient même pas des pierres (pas comme en France en Mai 68). Ils voulaient juste manifester pour crier « à bas Tsiranana » [c’est le nom du président]. Ils n’avaient même pas pensé à utiliser la force. Mais quand on leur a tiré dessus, ils se sont retirés et après ils se sont revenus. Plus on tirait, et plus les gens accouraient. Les travailleurs aussi venaient, tout le monde. C’est devenu une foule très compacte. Il a eu peur, le président. Il appelait ses généraux, il disait « Venez, tirez, tirez, tirez ! ». Lui n’a pas voulu tirer, mais il était affolé. Il y avait plein de morts, de blessés. Des étudiants ont brûlé la voiture des CRS. Les CRS étaient obligés de s’enfuir. Ils ont arrêté tous les meneurs étudiants, ils les ont déportés dans une île, une île prison. Le président Tsiranana s’est retiré et il a donné le pouvoir à un militaire : le général Ramanantsoa. Et c’est comme ça que ça s’est arrêté. Mais il y a toujours un mais. Des politiciens ont pris pour eux le mouvement des étudiants, le mouvement pour libérer de tous les Français qui en profitaient, et surtout contre le président qui acceptait ça. Ils ont pris ça pour eux, ils ont dit que c’était eux qui avaient fait la révolution. Alors que, en mai 72, ça n’a jamais été anti-français. Moi, j’ai vu beaucoup de Français qui étaient dans la rue avec les étudiants, pendant la manifestation. Peut-être qu’ils ne manifestaient pas, mais peut-être que si. Parce que tu sais, il y en a qui sont quand même conscients de l’injustice. Mais personne ne s’en prenait à eux. Moi j’étais là, j’étais avec les étudiants, et ce n’était pas un mouvement anti-français. C’était plutôt un mouvement contre cette façon de mettre tout sur nous [les Malgaches], de mettre la mainmise sur tout et surtout sur les richesses. Les politiciens, eux, voulaient que les Français partent, ils disaient que les Français étaient en cause. Et les Français ont eu peur, c’était la débandade, ils sont tous partis en disant que les Malgaches étaient anti-français, et tout. La révolution a été mal interprétée, à cause de ce parti politique qui en a profité pour imposer ses idées. Alors qu’au début, il n’y avait pas de parti politique dans tout ça, c’était juste la volonté de la masse populaire. Mais ces politiciens, c’était des gens mauvais. Ils voulaient la malgachisation, par exemple, la malgachisation à outrance : ils ne voulaient plus du tout de français [la langue] à l’école, l’université en malgache, le lycée en malgache, le Bac en malgache, tout en malgache. Mais on était contre ça, nous, on ne voulait pas ça. Là où ils en ont profité, aussi, c’est qu’ils ont pris les terres des Français qui s’étaient enfuis. Par exemple, il y avait une grande firme qui fabriquait du café : des hectares et des hectares de café, à perte de vue. Et bien ils l’ont pris. C’était le parti des petits, mené par un certain Manandafi. Après, ils voulaient aller à l’université, alors qu’ils savaient à peine lire. Alors ils ont envahi l’université, ils ont tout bousillé! Mais personne n’était avec eux. C’était un parti qui végétait, qui n’avait rien et qui voulait tout prendre, profiter de l’occasion. Et ça a fait beaucoup, beaucoup de mal aux Malgaches.

Les événements de 1975 En 75 aussi, il y a eu une autre révolte. Mais c›était contre le président Ratsïraka. Lui, il était beaucoup avec les étrangers, pas seulement les Français. C›était «je te donne ça, et tu me donnes ça à MOI». Alors, on devait lui donner plein de sous à lui, et puis n’importe quoi : les mines, le commerce du riz, et puis tout, tout. Et il donnait tous les avantages aux étrangers, en moyennant finances : c’est lui qui a l’argent. Donc on s’est révolté contre ça aussi, pour le déboulonner de là, et il y a eu des morts et … Je trouve, et c›est malheureux à dire, que jusque là, tous les présidents qu›on a eus vendaient proprement leur pays. Peut-être qu›ils étaient tellement pauvres que, avec tout l›argent qu›on leur proposait, l›appât du gain était trop fort. Les gens étaient pauvres, pauvres, pauvres. La banque mondiale fait une classification des pays. Et bien nous, on descendait, on descendait, on descendait, et finalement on était avant-dernier. Alors que Madagascar a tout! On a de l›or, des diamants, des Page 34


pierres précieuses, même du pétrole. Mais tout ça, c›était aux mains des étrangers. Mais cette fois, pas seulement des Français : des Chinois, des Indiens, des Américains surtout. Ils exploitent ça à très grande échelle. Et donc nous on était contre ça, comme tout intellectuel. Moi, j›étais médecin, mais on n›avait rien. Dans les hôpitaux, on n’avait rien. J›étais chef de service, et pour le ménage de mon service, il fallait que j›achète moi-même l›eau de javel, le savon etc. parce qu›il n›y avait pas d›argent. Pour les paperasseries, le personnel de secrétariat devait acheter des cahiers qu›on coupait pour faire du papier.

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11 septembre 2001

• Pourquoi est-ce que tu étais sur les lieux de l’attentat ce jour là, à Manhattan ? Bon, comme tu le sais, je travaille à Manhattan et comme j’habite où je vis je suis obligée de sortir très tôt parce que pour arriver au travail à l’ONU ça me prend presque 2h de temps donc je pars très tôt de la maison. Tu étais là-bas vers quelle heure ? Bon, je suis partie ce jour là comme d’habitude vers 7h du matin et j’ai pris mon autobus et je suis arrivée un peu en retard je dois l’avouer et quand je suis arrivée, bon j’ai vu que dans les rues il y avait vraiment une atmosphère pas normale. L’atmosphère était vraiment...les gens étaient … avaient l’air très inquiets, les gens avaient l’air vraiment, vraiment à se hâter dans les rues. Je me suis dis « mais qu’est-ce qui se passe ? Je ne sais pas ! » Et j’ai passé la barrière de l’ONU et quand je suis rentrée, tu sais qu’il y a un poste de télévision au rez-de-chaussée à l’ONU et tout de suite j’ai vu qu’il se passait quelque chose de pas normal. • T’as tout de suite senti que quelque chose de pas normal se passait ? Oui, j’ai vu tout de suite qu’il y avait quelque chose de pas normal. Des visages par exemple… les gens avaient l’air vraiment, vraiment inquiet. • Et finalement, tu as regardé la télé ? Finalement j’ai regardé et j’ai demandé autour de moi aussi… • D’accord, quelles ont été tes réactions quand quand t’as appris ? Bon une réaction vraiment de choc pour me dire comment une chose pareille peut se passer dans ce monde et je voulais vraiment savoir les détails : qu’est-ce qui était arrivé ? Comment ça c’est passé ? Et bon à la télé déjà on donnait des détails.

• Et à ce moment là, tu étais à l’ONU c’est ça ? Page 36


Oui j’étais à l’intérieur de l’ONU [d’accord] au rez-de-chaussée et à ce moment là, quand j’ai eu appris les nouvelles à la télé maintenant j’ai voulu rencontrer les gens que je connaissais à l’ONU le groupe de travail avec lequel je travaille et j’ai pas pu les trouver parce que on ne nous permettait plus de prendre l’ascenseur • Donc on vous demandait de faire quoi alors ? De sortir ? Pas de sortir au contraire on nous demandait de rester à l’intérieur et de nous mettre au sous-sol, au sous-sol de l’ONU parce que je ne sais pas si tu le sais il y a des sorties de secours au sous-sol de l’ONU, que nous traversons, on nous a fait répéter ça plusieurs fois. On peut traverser tout le soussol de l’ONU et ressortir dans les rues à peu près 2 ou 3 blocs plus loin.

• Donc on t’a fait sortir par le sous-sol ? Avec tous, non seulement ils voulaient que nous soyons au sous-sol mais sans sortir, y rester et moi ça, ça m’a pas plu beaucoup cette idée ne me plaisait pas, alors j’ai décidé de rentrer je voulais rentrer chez moi [hum hum] et je suis repartie et ce qui m’a vraiment inquiétée c’est quand je suis ressortie j’ai rencontré un policier, c’était une jeune femme très jeune et je lui ai demandé « dites moi ce qu’il se passe » et elle m’a encore donné des détails et à ce moment là, elle m’a dit « madame si vous pouvez rentrer chez vous, il faut le faire » et elle avait les larmes aux yeux… • D’accord et donc t’as vu toutes les réactions des gens comme ça et tout c’est heu … Bon dans les rues maintenant les gens se hâtaient comme moi • Ils voulaient tous rentrer ? Ils voulaient rentrer [ok] des masses des masses des masses...les autobus étaient remplis on ne pouvait plus trouver de places dans les autobus alors j’ai marché, j’ai marché jusqu’à la station de train d’abord qui était fermée, ensuite à la station d’autobus fermée alors j’ai marché je me suis dit : « mince il faut que je trouve faut que je trouve quelqu’un ». • Mais c’était la panique ? Nan ? C’était la grande panique les gens étaient carrément assis dans les rues à attendre ici de trouver un moyen de transport et à ce moment les autorités avaient vraiment fermé la ville. On pouvait plus ni entrer ni en sortir • Et en plus c’est loin la banlieue donc on ne peut pas rentrer à pied on est obligé de prendre un transport … Oui bien sûr donc il y avait plus...il y avait plus moyen de sortir de Manhattan... plus moyen d’en sortir et nous étions tous, tout le monde dans la rue à part les gens qui vivaient à Manhattan... tout le monde dans la rue essayait de faire pareil : de rentrer chez soi. • Et comment t’en es tu sortie finalement ? Bon, finalement, j’ai décidé de rester à Manhattan je me suis dis - comme je peux pas rentrer il me faut rester- j’ai pensé à aller à l’hôtel et j’ai pensé à appeler une ou deux personne que je connais et finalement j’ai pensé à mon neveu qui habite dans..hum...à ce moment là, j’étais au niveau de la 8ème avenue, je sais pas si tu peux te faire une idée de l’endroit où j’ étais, j’étais au niveau de la 8ème avenue Page 37


et de la 42ème rue j’avais marché d’abord jusqu’à la 34ème parce que la 34ème c’est la grande station de train et là aussi c’était fermé donc à partir de la 34ème je me suis décidée à aller trouver mon neveu et lui était au niveau où Amsterdam avenue qui est... je sais pas comment t’expliquer ...bon en disant les numéros j’étais au niveau de la 34ème et lui, il était à la 118ème • Donc c’était très loin ? C’était vraiment très loin et je ne trouvais pas de moyens de transports, les taxis étaient remplis, les autobus étaient remplis alors j’ai marché. • Et les gens ils étaient paniqués, ils étaient comment ? Les gens étaient paniqués au début et c’est ça qui m’a vraiment étonnée parce que tu sais comment les gens de New-York sont pressés, tout le monde a son propre travail, sa propre petite vie enfermé en soi-même … en temps normal [ouais] et ce jour-là, tout le monde se tournait vers les autres. Ce parcours que j’ai fait entre la 34ème et la 118ème j’ai parlé à plus de gens dans les rues que je peux te dire depuis des années … et tout le monde s’ouvrait à vous, tout le monde parlait, j’ai rencontré une jeune fille qui venait elle, elle me dit qu’elle était à l’école enfin dans le quartier ou on avait mis la bombe et elle était tellement choquée et elle me dit « bon maintenant je vais plus désobéir à ma mère, je vais faire ce que ma mère me dit, elle veut que j’aille à l’école, je vais y aller » Le genre de choses qu’on a trouvé, c’est des découvertes que j’ai faites sur le champ de Manhattan, les gens s’entraidaient les uns les autres, tu vois donc ça m’a vraiment étonnée, c’est une découverte que j’ai faite ce jour-là. • D’accord, t’as rencontré des gens qui étaient sur le lien vraiment de l’attentat parce que toi t’y était pas ? - Oui, cette jeune fille dont je te parle elle y revenait, elle y revenait parce qu’elle me dit qu’elle allait à l’école dans ce quartier elle essayait de rentrer chez elle. Elle m’a dit que vraiment c’était affreux, affreux, affreux à voir...

• Tu as su pour les autres attentats pour la Maison Blanche et tout ? Mais non, à ce moment là, je ne savais pas et comme je te dis la ville de New-York, les habitants ils ont dit toutes choses, à la disposition des gens. Dans la rue par exemple les restaurants mettaient leurs tables à l’extérieur, offraient de l’eau, offraient à manger, mettaient un poste de télévision alors de temps en temps je m’arrêtais et je regardais et c’est là que je me suis rendue compte qu’il y avait eu d’autres attentats et j’ai été vraiment inquiète parce que tu dois savoir que avec ses bombes on n’avait plus de contacts par téléphone. Le cellulaire ça n’a plus marché et je ne pouvais plus, j’étais coupée entièrement de ma famille tu vois et ça ! m’inquiétait beaucoup • T’avais peur que dans les villes où ils habitaient il y avait aussi des attentats ? Voilà, parce que je savais que quand j’ai découvert qu’il y en avait eu à Washington par exemple, je savais que mon fils devait aller travailler non loin de là toujours là [ok] et on m’a dit aussi que peut-être il y en aurait eu sur l’hôtel où ma fille habite donc vraiment j’ai été vraiment inquiète à ce moment là, et je pouvais plus du tout du tout entrer en contact avec eux je me suis mise en file, en ligne en ligne pour faire un appel téléphonique à partir d’une cabine publique c’était im-po-ssi-ble ! • Il y avait de longs temps d’attente pour heu… ? De longues files d’attente plusieurs personnes essayaient...et tu dois savoir aussi que ce jour là c’est l’anniversaire de mon deuxième fils Christian c’est son anniversaire tu vois ? Et je me suis dis : « mais mon dieu je voudrais bien lui souhaiter un bon, bon anniversaire comment vais-je faire ? » et tout ça, ça passait par ma tête et je parlais aux gens et les gens me disaient « ah moi j’ai telle situation, ma mère est à l’hôpital » il y a un homme lui, il disait « pas moi, je reste parce que j’ai personne, j’ai personne Page 38


à la maison qui m’attend » c’était une situation non seulement inquiétante mais j’ai découvert que les gens vraiment pensèrent autour, se tournèrent vers les autres dans des situations pareilles tu vois c’est ce qui m’a vraiment... j’ai découvert ça. • D’accord, et pendant tout ce temps là t’allais vers la 118ème ? Ouais, je marchais, marchais, finalement au niveau de la , je peux pas me rappeler en réalité on mais j’avais déjà fait la moitié du chemin je peux te dire et j’ai trouvé un autobus qui avait de la place mais rempli c’était vraiment rempli donc j’étais debout, j’étais debout et c’était si serré, on était comme des sardines et voilà que depuis le matin j’essayais d’appeler, mon téléphone s’est mis à sonner et mon sac était à mes pieds alors, j’ai dis « attendez il faut que je prenne cet appel, il faut que je prenne cet appel parce que mon téléphone n’a pas sonné de toute la journée » ah ! et il s’est dit : « attendez, attendez, madame a cet appel » et ils m’ont tous tenus le bras pour que je ne tombe pas, que je ne perde pas l’équilibre parce que l’autobus marchait, j’ai pu prendre mon téléphone et alors j’ai découvert que c’était mon fils Christian qui m’appelait parce que tous, eux aussi étaient inquiets de moi ouais, donc voila c’est comme ça que j’ai pu, j’ai été moins inquiète parce que tout le monde était bien, tout le monde était bien et puis, j’ai à ce moment là, j’ai dit « mais je te souhaite bon anniversaire malgré tout! et puis les autres ont entendu je disais ça et se sont tous mis à chanter « happy birthday to you ! » donc vraiment c’était...c’était le soulagement, une atmosphère vraiment chaleureuse surtout que tout chacun avait ses propres problèmes mais ils mettaient tout à côté parce que ils avaient tous la même inquiétude • Ouais, donc là, c’était le soulagement alors ? Ouais, c’est ça • T’avais un autobus, tu pouvais rentrer et tout ? Ouais • Finalement, ils avaient rouvert l’île ? Ouais, j’ai pu rentrer jusque chez mon neveu et puis j’ai passé la soirée et la nuit avec lui • Parce que l’île était toujours fermée ? Oui, on a fermé c’est jusqu’au lendemain que j’ai pu rentrer [d’accord] ouais, j’ai pu rentrer • Et heu, t’as pas vu l’attentat lui-même ? Toi, tu es arrivée après ? Vraiment j’ai jamais vu, jamais vu parce que l’attentat était du coté de Wall Street tu vois au bas de la ville … tu vois donc … pour te donner une idée … je peux dire de métro j’étais à peut-être à une demi-heure ouais et ça a été vraiment une expérience pour moi, une expérience pour moi, découvrir tout ça… dans une situation si, si inquiétante … voir comment les gens s’entraidaient l’un l’autre pas d’une façon, parce que on pouvait vraiment rien faire mais juste le fait de parler l’un à l’autre de s’écouter l’un l’autre, tu vois, ça réconfortait, voilà. • Bah merci beaucoup ! Il n’y a pas de quoi.

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Les évènements de mai 1958 par Maëlle Pluyaud • Bonjour ! Robert :

Bonjour mademoiselle !

• Alors, tout d’abord, quel événement allez-vous raconter dans cette interview? Robert:

En fait C’est plus une série d’évènements qu’un évènement. C’est une série d’évènements qui est partie d’Algérie qui était française à l’époque et qui a abouti à la fin de la Quatrième République et à la constitution de la Cinquième République avec l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir

• C’était quand ? Robert:

Cela s’est déroulé dans le courant du mois de mai 1958.

• 51 ans. Robert:

Cela fait déjà 51 ans.

• Quel âge aviez-vous à l’époque ? Monique :

Robert:

Moi à l’époque j’avais 19 ans. Et j’avais passé mon bac ; j’étais à Paris depuis un an seulement. J’étais à Paris comme étudiante en classe préparatoire, dans un lycée qui était vers la Place Clichy et j’habitais dans un foyer d’étudiante qui était dans le 16ème arrondissement, et j’avais un long trajet en métro il fallait que je change deux fois, une fois à étoile et une fois à Trocadéro, voilà. Et ben moi j’étais beaucoup plus jeune, j’avais que 15 ans et demi et j’étais en troisième au lycée de Guéret, comme interne. Donc les évènements, on en a pris connaissance petit à petit parce que Page 40


l’internat à l’époque, cela n’était pas très ouvert, seuls les plus grands avaient le droit d’écouter la radio et de sortir librement. Les journaux n’avait pas le droit de rentrer dans le lycée sinon il aurait fallu tous les admettre pour ménager toutes les opinions donc le plus simple était d’en admettre aucun. On était au courant parce que les externes, les élèves qui rentraient chez eux même à midi, pour manger, ou le soir, pour dormir, nous racontaient, ou alors les plus grands qui écoutaient la radio au foyer. Donc on a su petit à petit ce qui se passait, on savait... la guerre d’Algérie... on savait qu’il y avait ce qu’on appelait les évènements... la guerre d’Algérie, même si le gouvernement ne voulait pas parler d’une guerre parce qu’on avait tous quelqu’un de son village, ou parfois un parent, quelqu’un d’un peu plus âgé qui était en Algérie, qui faisait son service et parfois cela durait un peu plus longtemps le service au lieu de durer un an et demi ça durait deux ans et demi. Parfois ils en revenaient en ayant vu des choses pas très agréables. Bon c’était une vraie guerre pas très longtemps après la guerre de 1939-1945. Mais on ne la vivait pas directement, on était quand même très très loin. Monique :

Et moi à Paris j’entendais parler bien sûr de cela dans le foyer des lycéennes il y avait une télévision mais comme j’avais beaucoup de travail je n’y allais pas très souvent. Et il y avait ce que papy disait ; on sentait que c’était tendu. Mais surtout donc un jour, on était au lycée, j’étais dans le lycée normalement, on travaillait. J’étais en cours et au milieu d’un cours, en début d’après midi, tout d’un coup la surveillante générale arrive et dit : « Mesdemoiselles, le lycée va fermer, les cours sont suspendus, sont arrêtés, et il faut absolument que vous rentriez chez vous ! » Et pour nous les internes du foyer des lycéennes ils nous ont conseillées, ils nous ont dit, il faut prendre tel ou tel itinéraire où il n’y a pas de risque, parce que l’armée est dans Paris, les paras risquent de tomber sur Paris. Et rien que le mot paras, nous, cela nous faisait trembler parce que on se disait : Qu’est ce que cela représente exactement ? Et donc on disait les généraux putschistes vont s’emparer du pouvoir donc nous on se représentait des choses terribles, et donc ils nous ont dit : « Il faut repartir dans votre foyer en ne passant surtout pas à la Place de l’Etoile ça c’est interdit, parce qu’il y a trop d’armée, et c’est dangereux, il risque d’y avoir des émeutes, des échauffourées, et il faut que vous rentriez directement. Alors avec des copines (on était 5 ou 6), on a bien fait ce que la surveillante nous avait dit au début, et puis quand on est arrivées, on devait descendre une station avant la Place de l’Etoile, et bien d’accord, on est descendues, mais à pied, on est allées presque jusqu’à la Place de l’Etoile. Pas complètement, c’était impossible tellement il y avait de voitures militaires et tout. Mais on s’est dit il faut quand même qu’on aille voir à quoi ça ressemble parce que plus tard, c’est un évènement historique, il faudra que l’on puisse le raconter à nos petits enfants.

• Et il y avait beaucoup de monde autour ? Monique :

Et ben là tu sais, petit à petit on a commencé à avoir un petit peu peur. Il y avait beaucoup de monde, il n’y avait pas de passants mais il y avait tellement de militaires qui étaient harnachés de façon terrible, vraiment on a eu froid dans le dos.

• C’était les mots qui se mettaient ... Monique :

Robert:

Ah ça nous a fait peur tu sais. Alors on s›est avancées un peu mais on a vite repris après des rues adjacentes pour reprendre la ligne que l›on devait prendre normalement parce que c›était - et je crois qu›il faut bien se représenter à l›époque- ce que pouvait provoquer l›idée de putsch, de dictature. De dictature militaire. Page 41


Monique :

Robert:

Parce qu’il avait eu en Hongrie une révolte qui avait été matée dans le sang, on avait vu des photos de chars, des chars russes et des photos d’étudiants face aux chars russes et ça nous avait beaucoup impressionnés ça. Je crois c’était deux ans avant, donc on avait tout de même ces idées en tête, il faut bien voir aussi que dans beaucoup de pays environnants, par exemple en Espagne, au Portugal, c’était des dictatures, les gens partaient du pays parce que s’ils n’étaient pas d’accord avec le gouvernement, on ne pouvait pas dire ce que l’on voulait, lire les livres que l’on voulait , c’était .... Oui il n’y avait pas d’élections libres.

Monique :

Robert:

Il n’y avait pas d’élections libres, et pour nous pour qui la guerre et le nazisme et tout ça représentait encore quelque chose de très concret, c’était encore plus important ça, il faut bien voir que ... donc en fait on avait à la fois : cela nous avait un peu émoustillées et en même temps on avait la trouille. On avait la trouille qu’il y ait une dictature qui s’installe en France et beaucoup, beaucoup de gens ont eu peur aussi. Oui ben, nous on le vivait moins parce qu’on était plus loin, mais il y avait quand même des copains, des internes, parfois du même âge, parfois un peu plus âgés, qui étaient très engagés surtout à gauche. Il y en avait quelques- uns, ceux qui étaient vraiment de droite d’extrême- droite bon il en a un ou deux qui sont devenus entre guillemets fascistes, après c’est-à-dire qu’ils se sont engagés dans l’OAS qui était à 100 % pour l’Algérie Française. Il y en avait plus qui étaient communistes et qui étaient... comment dire, contre l’Algérie, ou contre en tout cas la dictature militaire. Pour eux c’était inimaginable ! Et comme en Creuse, il y avait eu beaucoup de maquis pendant la guerre, la notion de maquis, de résistance, c’était très très ancré, donc il y avait des garçons qui commençaient déjà à organiser des caches d’armes, qui cachaient des armes, qui organisaient les maquis pour le cas où les paras sauteraient vraiment sur Paris et tenteraient de prendre le pouvoir. Donc en somme il se serait produit une sorte de guerre civile, comme il s’en était produit une en Espagne en 1936, entre les partisans de la dictature militaire et les opposants. Donc pour nous il y avait quand même une petite peur quoi, on ne savait pas ce qui allait se passer.

Monique :

Et mais on aurait peut-être dû préciser le mot para qui pour nous correspond à quelque chose mais pour les enfants de l’âge de Maëlle cela ne doit pas vouloir dire grand chose hein ? Para. Hein ? Tu sais ce que c’est qu’un para ?

• Les parachutes. Robert:

Oui, les parachutistes c’était les troupes de chocs.

Monique : Ce n’est pas des gens qui s’amusent à sauter... Robert:

En Algérie, c’était les plus féroces dans la répression de la rébellion algérienne. En plus c’était sans doute les militaires les plus expérimentés donc c’est toujours impressionnant, en plus souvent des Page 42


militaires de carrière. Donc c’est vrai que cela faisait quand même un peu peur. Monique :

Voilà

• Maëlle : Et vous vous sentiez impliqués dans les événements ? Robert:

Monique :

Impliqué oui et non, c’est à dire que moi je ne les ai pas vécus directement, il y a un moment où il fallait prendre hein quand il y avait des copains qui disaient qu’il faut de l’ordre qu’il faut garder l’Algérie Française et puis d’autres qui disaient : « On ne peut laisser faire ça, c’est notre liberté qu’on défend, il y a un moment où il faut que ton cœur penche à droite ou à gauche ». On se sent quand même impliqué.

Nous, on n’était pas tellement impliquées car, il faut voir que jusqu’en terminale, moi j’étais en terminale, on avait, comme disait papy aucun journal, donc on n’était au courant de l’actualité mais on ne pouvait pas être engagées dans un mouvement ni politique ni autre. Et en classe préparatoire on avait beaucoup de travail. Donc on n’avait pas l’impression de pouvoir agir sur les évènements mais on...

• Oui, mais les évènements pouvaient changer quelque chose Monique : Robert:

Monique :

On savait ce que les évènements pouvaient changer pour nous, et ça on en a eu peur. Oui on se sentait quand même concernés, on savait que cela pouvait basculer et que l’on serait bien amenés à un moment à un autre... amenés à choisir, on ne pouvait pas rester passif Oui, et après on écoutait les informations, on s’est documentés, tout le monde était accroché à son poste.

• Cet évènement a-t-il eu des répercussions sur votre vie, votre façon de penser ? Robert:

Indirectement, oui ça en a eu oui, c’est ce qui a débouché sur la constitution de la 5ème République, et à la fin d’une autre façon de gouverner. Et pendant assez longtemps, il y a eu en France la peur de l’arrivée d’une dictature militaire même après l’arrivée du général de Gaulle, il s’est trouvé des gens pour craindre que le général lui-même n’institue une sorte de dictature militaire. Bon, ce n’a pas été le cas, il y a toujours eu des élections libres, même si... bon... on peut discuter de l’attitude de tel groupuscule de droite, d’extrême-droite ou parfois d’extrême-gauche... bon... mais ça a été le principal changement que ces évènements ont apportés. Un changement complet de façon de gouverner. Avant 1958, sous la 4ème République, un gouvernement quand il avait duré un an, c’était absolument extraordinaire. La plupart du temps, le gouvernement était souvent renversé une fois tous les six mois. Mais à partir de 1958, il y a eu un seul vote d’une motion de censure, c’était en 1962 quand Page 43


le général de Gaulle a demandé que l’élection du président de la République ne se fasse plus par le congrès comme cela était le cas avant ; mais par le suffrage universel : par l’ensemble de la population. Donc les groupes qui étaient contre ont voté une motion de censure, l’assemblée a été dissoute, il est revenu une assemblée complètement différente et favorable à 100% au général de Gaulle et depuis il n’y plus jamais eu de motion de censure votée à l’Assemblée Nationale. Donc depuis 1962, cela fait 47 ans, il n’y a pas eu une seule motion de censure votée, cela a été un changement radical dans le gouvernement, il y une stabilité de gouvernement que l’on n’avait jamais connu avant. • En fait vous vous aviez peur que ça mène sur une dictature et heureusement cela a mené sur quelque chose. Robert:

Une grande stabilité.

• Quelque chose de meilleur. Robert :

Voilà oui oui, bon après, on peut discuter sur les bienfaits de la 5ème République, il y a de bons côtés, de mauvais, mais ça, c’est un autre débat, ce qui c’est passé après, et qui ne dépend pas directement des évènements de 1958.

• Et vous étiez au courant quand le général de Gaulle est arrivé ... Robert:

Au bien oui, oui ça a été même, c’est pour ça que l’on parle autant du 13 mai parce que... il avait eu des évènements, des journées sans doute plus angoissantes pour la population quand les paras ont sauté sur la Corse, ont pris le pouvoir en Corse par exemple, c’était vraiment du concret et pourtant ce n’est pas les dates que l’on a retenues. Cela devait être le 26 ou le 27 mai, je ne me rappelle plus, ce n’est pas les dates que l’on a retenues.

• Est-ce que c’était un soulagement quand de Gaulle est arrivé. Monique : Robert:

Monique :

Ah oui ! Pour certaines gens, ça été une source d’inquiétude, pour ceux qui ont craint que de Gaulle en tant que militaire n’instaure une espèce de dictature militaire, comme Franco l’avait fait en Espagne et Salazar au Portugal. Mais je crois quand même que pour beaucoup de gens ça a été un soulagement. « Ça va, il va mettre de l’ordre. » Oui et pour beaucoup de gens aussi, de Gaulle c’était l’homme de la résistance face aux allemands, face aux nazis, donc c’était quand même, ...

Robert: Page 44


Il avait une stature. Monique : Robert: Monique :

Robert: Monique : Robert:

Donc il avait non seulement la carrure physique mais... Il avait du prestige. Pour beaucoup de gens même s’ils ne partageaient pas toutes ses idées, il était très rassurant, on avait l’impression que c’était quelqu’un qui s’imposait, qui pouvait s’imposer et qui ne se laisserait pas mener par les généraux qui auraient voulu prendre le pouvoir, et.... Mais pour notre vie, personnellement cela n’a pas changé, cela aurait pu changer dans l’autre sens. Oui parce que cela s’est bien terminé Oui, cela s’est bien terminé. Oui en quelque sorte

• Si cela s’était mal terminé, cela aurait pu... Monique : Robert:

Monique :

Cela aurait été terrible Ça a changé pour les gens qui étaient directement en contact avec le pouvoir politique, que ce soit à l’Assemblée... Mais pour le commun des mortels, je crois que cela a amené plutôt une certaine tranquillité, cela a rassuré. Hum...

• Oui, parce que les gens, ils n’auraient pas supporté une dictature après tout ce qui s’était passé : les deux guerres mondiales... Robert: Monique :

Robert:

Je crois qu’il y aurait eu une guerre civile. Oui justement, ça c’était quelque chose qui était à craindre, que cela débouche sur une guerre civile aussi qui ensuite aurait été matée par l’armée Oui enfin matée, il aurait eu des tentatives.

Monique : Page 45


Oui c’est ça. Robert:

Cela n’aurait pas forcément réussi.

Monique : Robert:

Oui. Tous les militaires n’étaient pas d’accord avec les paras. Par exemple la plupart des appelés n’étaient pas ..., la guerre d’Algérie, ils n’y étaient pas tellement favorables, ils la faisaient, ils savaient bien ce qui s’y passait et ils auraient préféré ne pas avoir à la faire, donc ils n’auraient pas marché dans une dictature militaire, ça c’est sûr et certain...

Monique :

Robert:

Et je pense que c’est arrivé aussi à un moment où les gens ne pouvaient plus supporter que les libertés et les lois faites, enfin la liberté et tout ça soit remises en cause. Ils voulaient quelque chose de stable justement Oui, mais la Quatrième République, il y avait une instabilité complète des gouvernements, mais il n’y avait pas d’instabilité de la façon de gouverner, parce qu’il y avait la haute administration qui ne changeait pas, donc il y avait des hauts fonctionnaires souvent issus de la Résistance qui étaient très très compétents et qui en fait gouvernaient le pays à la place des ministres. On parle souvent de Monnet qui est le père de l’Europe, de Pierre Laroque, père de la Sécurité Sociale, il y avait beaucoup de gens comme ça, des gens très très compétents et qui en fait gouvernaient le pays à la place des ministres.

Monique :

Et qui ont recréé le pays après la guerre, qui ont recréé les institutions.

Robert: On en avait assez de l’instabilité politique, heureusement il n’y avait pas d’instabilité administrative, ce n’était pas le chaos. Le pays était quand même gouverné. Monique :

Oui

• Cela ne pouvait pas durer plus longtemps

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Robert:

Ça n’aurait pas pu durer tellement tellement longtemps, ça c’est sûr. On avait l’impression que les gens ne savaient pas où ils allaient, les forces politiques ne savaient pas où elles allaient, que ce soit pour l’Algérie, pour ce qui s’était passé en Indochine, on avait fait la guerre, trois années de guerre en Indochine, on avait perdu des milliers d’hommes, tout ça pour déboucher sur une défaite honteuse à Dien Bien Phu, heureusement il y avait eu quelques hommes politiques visionnaires comme Pierre Mendès France qui avait fait la paix, avait su faire la paix aussi avec la Tunisie, et puis avec d’autres anciennes colonies française. Pour la plupart des gens, on ne savait pas où ils nous emmenaient, on ne savait pas du tout s’ils étaient pour, s’ils étaient contre ce qu’ils allaient faire pour le pays, ils n’avaient pas de vision, ils ne pouvaient pas d’ailleurs avoir une vision à long terme. Ils étaient sur place pour parfois trois mois, six mois.

• Après ça c’est vraiment rééquilibré. Robert: Monique : Robert:

Après avec le général de Gaulle, il avait une grande stabilité gouvernementale. Oui, pour le gouvernement. On avait l’impression que le gouvernement savait où il allait, ce qu’il voulait, bon après on est pour on est contre mais...

• Maëlle : Pourquoi avez-vous accepté de faire ce témoignage ? Monique :

Robert:

Ah ben moi comme je t’ai dis, quand on a été en fanfaronnade qu’on voulait braver l’ennemi alors qu’on est allées dans les rues où il ne fallait pas qu’on sorte en principe et que l’on a dit mais bon sang ça on pourra le racontez à nos petits enfants , ben tu vois j’ai eu l’occasion de raconter à mes petits enfants, donc c’est parfait ! Et puis aussi je pense que c’est des moments où on a eu l’impression de frôler la guerre civile et la dictature, et qu’on mettra jamais assez les gens en garde contre les risques de dictature, et pour moi qui ai fait des études d’allemand, qui ai enseigné l’allemand, j’ai passé mon temps aussi à essayer d’expliquer ça, voilà. Et pour moi pourquoi, parce que les événements historiques, j’en ai pas vécu énormément, hein, mai 1968 on peut toujours dire que c’était un événement historique, mais enfin on en a tellement tellement parlé, que je me suis dit il n’y a pas seulement mai 1968 il y a aussi mai 1958. Et puis petit à petit les souvenirs sont remontés et j’ai revu mes copains quand ils commençaient à organiser les caches d’armes tout ça, tiens c’est marrant cela pourrait être intéressant pour quelqu’un de plus jeune, voilà.

• C’est la transmission de savoir. Robert :

Bah un petit peu, parce qu’on a tendance... Page 47


• Il y a pas seulement l’histoire, il y aussi le fait de vivre des évènements. Robert:

Oui voilà, dire il s’est vraiment passé quelque chose, et puis c’est des choses que la plupart des gens ignorent complètement, bon si si on lit les journaux de l’époque, notamment les journaux de gauche, l’humanité et tout ça on voit bien que les communistes étaient prêts à prendre les armes contre une éventuelle dictature militaire, mais, bon, petit à petit les gens qui vont savoir ça ce seront les historiens, ceux qui vont se plonger....

• Oui je pense que cet événement il est très peu connu. Robert:

Oui, oui,

• On en parle peu, alors que c’est très important. Robert:

Oui bien sûr, c’est un peu pour ça que j’ai voulu en parler

• Et sinon le rôle, si vous voulez rajouter quelque chose... Monique :

Le rôle de quoi

• Ben je ne sais pas, pour vous est-ce que cela vous apporte quelque chose de raconter ? Est-ce que cela vous libère de quelque chose ?... Monique :

Robert:

Non, c’est important de transmettre à nos enfants, nos petits enfants ce que l’on a vécu, de même que.... Et je trouve que nos grand-parents ne nous ont pas assez parlé de la guerre de 14, donc c’est dommage, mais ils ne pouvaient pas le faire, je pense, mais nous si on a l’occasion de le faire, bien sûr il faut le faire, et c’est intéressant de transmettre ce que l’on a vécu, bien sûr. Oui, ce que l’on a vécu ou ce que l’on a connu, parce...

Monique :

...ce que l’on a connu...

Robert: On ne l’a pas vécu vraiment, bon on espère que tu vas pouvoir en tirer un petit quelque chose. • Merci Page 48


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