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Colombie : Un tournant politique face aux défis macro et socio-économiques

Floriane Vallée – valleef@afd.fr

Le « supercycle » des matières premières (pétrole et charbon) de 2004-2014 et le développement des services ont assuré à la Colombie le statut de « pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure » (PRITS) depuis 2008. Mais la primarisation de l’économie depuis l’ouverture du secteur pétrolier aux investisseurs étrangers en 2007 et le déclin relatif du secteur manufacturier ont fragilisé son modèle économique et les fondamentaux macroéconomiques depuis le choc pétrolier de 2014. Malgré un cadre de politique économique orthodoxe, salué de longue date par le FMI, et un rebond économique post-pandémie vigoureux, la Colombie fait face à une érosion de la confiance des investisseurs, illustrée par la perte du statut Investment Grade en 2021, et un mécontentement croissant de la population. Issu d’une alternance politique historique en mai 2022, le nouveau gouvernement de gauche doit ainsi s’atteler à des défis majeurs pour la stabilité économique et socio-politique du pays dans un contexte international dégradé.

Les violentes manifestations de mai-juin 2021 ont exprimé un besoin croissant de justice sociale au sein de la population qui réclame en particulier une amélioration des conditions de vie et un renforcement de la lutte contre les violences policières et la corruption, tout en dénonçant la « déconnexion » des élites. Combinées à la hausse de l’inflation depuis 2021, qui mine les progrès en matière de réduction des inégalités (Gini à 54,2), ces préoccupations sociales furent au centre de la campagne présidentielle de mai 2022. Cette dernière a abouti à la victoire de Gustavo Petro de la coalition gauche radicale de Pacto Histórico, une situation inédite dans l’histoire de la Colombie. Les principales priorités de l’administration, qui se veut plus interventionniste, sont la consolidation de la paix, la justice sociale et environnementale et l’avancée des droits des femmes. La mise en œuvre de l’accord de paix avec les FARC (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia, organisation principale de la guérilla) et l’intégration des réfugiés vénézuéliens, se déroulent relativement bien mais représentent des sources d’instabilité.

assez rigoureux ont permis à l’économie de croître sans interruption depuis la récession de 1999, malgré un ralentissement tendanciel depuis le choc pétrolier de 2014. En 2020, l’économie a enregistré la récession la plus forte de son histoire contemporaine (-7 %), en ligne avec la moyenne de la zone Amérique latine et Caraïbes. Elle s’est redressée vigoureusement en 2021 (10,7 %), soutenue par

Graphique 17 – Principaux agrégats macroéconomiques (Colombie)

La Colombie présente une tradition de prudence en matière de gestion macroéconomique et budgétaire. Un régime de ciblage de l’inflation, un taux de change flexible et un cadre budgétaire

Croissance du PIB réel (%)

Solde budgétaire global (% du PIB)

Solde du compte courant (% du PIB)

Inflation (%, moy. annuelle)

Taux de change COP/USD (moy. annuelle, éch. D) une reprise post-pandémie de la consommation (ménages et gouvernement) et de l’investissement. En dépit des émeutes, la croissance est estimée, selon le FMI, à 7,6 % en 2022 (en baisse au troisième trimestre à cause de l’inflation), au-dessus de son potentiel (3,5 %), grâce à la consommation des ménages et les exportations d’hydrocarbures et de mines (+76 % en g.a. en janvier-octobre 2022). Ces deux années de rebond n’ont cependant pas permis de réduire le taux de pauvreté, avec une tendance baissière du PIB/tête en USD courants en raison d’un effet de change qui persiste depuis 2014.

Source : FMI (WEO), Macrobond.

…désormais bridée par l’inflation et la dépréciation du peso…

La croissance devrait ralentir nettement à 2,2 % en 2023 selon le FMI. L’inflation, engendrée par les contraintes d’offres provoquées par la guerre en Ukraine, et les pressions à la hausse sur le cours des matières premières (aliments et énergie), pèsent sur la demande interne. Dans le contexte de resserrement des politiques monétaires dans les pays développés, États-Unis en tête, la fuite des capitaux (-8 Mds USD d’investissements de portefeuille et de prêts en janvier-octobre 2022) a résulté en l’annonce par le président Petro, le 7 octobre 2022, de l’instauration possible d’une taxe temporaire sur les revenus spéculatifs. Cela a suscité l’inquiétude chez les investisseurs internationaux maintenant le peso sous pression par rapport au dollar (-16 % en g.a. en décembre 2022). Supérieure à la cible de 3 % (+/- 1pp) depuis mi-2021, l’inflation a atteint 10 % en moyenne en 2022, conduisant la Banque centrale à rehausser drastiquement son taux directeur à 12 % en décembre 2022 (+ 1 025 pb depuis septembre 2021).

…qui freinent la consolidation budgétaire…

Depuis 2014, la déviation quasi-systématique de la règle budgétaire de 2011 (déficit public à 1 % du PIB d’ici 2022) avec un creusement tendanciel du déficit budgétaire a entamé la crédibilité des autorités à maintenir une gestion prudente des finances publiques. Avec la mise en sommeil de cette règle pendant la pandémie de Covid-19, le déficit s’est creusé à un niveau élevé de 6,9 % du PIB en moyenne sur 2020-2021. Afin d’y remédier, le gouvernement prévoyait une reprise de la consolidation budgétaire, mais la réforme fiscale présentée en avril 2021 a déclenché une vague de contestations sociales. Le 3 novembre 2022, le gouvernement a approuvé une version édulcorée du projet qui devrait générer 1,3 % du PIB de recettes budgétaires supplémentaires. Une surtaxe permanente d’impôt sur le revenu et la non-déductibilité des redevances aux industries des hydrocarbures permettront de financer des dépenses sociales accrues (subventions, salaires, réforme des retraites) plutôt que l’assainissement budgétaire, qui lui attendra probablement 2024. L’effet bénéfique de cette réforme dépendra si les recettes fiscales générées compenseront la baisse de compétitivité induite par la hausse des taxes. Le FMI prévoit pour l’instant une réduction du déficit budgétaire à 2,9 % du PIB en 2023 (après 6,4 % du PIB en 2022).

Dans le cadre des déficits jumeaux, les comptes externes ont bénéficié partiellement de la hausse des prix du pétrole et du charbon (50 % des exportations totales), avec une légère réduction du déficit courant en 2022 (5,1 % du PIB selon le FMI après 5,7 % du PIB en 2021). Cette tendance pourrait se poursuivre en 2023 malgré l’incertitude quant aux cours des matières premières et la dynamique des importations. Le déficit du compte courant resterait à moyen terme proche de sa moyenne de la décennie pré-crise sanitaire, soit environ 4 % du PIB.

…et sèment l’incertitude quant à la trajectoire de la

Dette

Malgré les vents contraires à court terme, le ratio dette publique/PIB passerait, selon le FMI, de 61,1 % du PIB en 2022 à 55,9 % du PIB en 2027 compte tenu de la règle budgétaire qui prévoit une amélioration nette du solde primaire de 1,1 % du PIB, en moyenne, à partir de 2023. La dette publique totale était jugée soutenable à moyen terme par le FMI en 2022 en raison notamment de sa maturité moyenne relativement longue. La dépréciation du peso alourdit mécaniquement le coût de la dette libellée en devises (50 % de la dette publique totale), détenue à 30 % par les bailleurs multilatéraux, 5 % par les bailleurs bilatéraux, et 65 % par les créanciers privés (essentiellement des eurobonds). La confiance des marchés dans la capacité du nouveau gouvernement à respecter ses objectifs sera clé. Les spreads souverains atteignaient un niveau raisonnable de 370 pbs fin 2022 après un pic à 520 pbs en octobre. La couverture du déficit courant reste assurée par les IDE (9,5 Mds USD à fin octobre 2022 dont 72 % vers le secteur pétrolier et minier) et l’endettement externe. La liquidité en devises s’amenuise mais reste à un niveau confortable (8 mois d’importations). Le renouvellement, en avril 2022, de la ligne de crédit modulable du FMI, bien que réduite de 17,2 Mds USD à 9,8 Mds USD, constitue un élément de confort supplémentaire, et le soutien des bailleurs multilatéraux sera crucial.

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