Auteur Bastien Bedossa
Macroéconomie et développement
OCTOBRE 2023 । N° 51
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Table des matières
Résumé
p. 3
Introduction
p. 5
1. Contexte et définitions
p. 6
2. Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité p. 8
Conclusion
p. 19
Annexe 1 – Méthodologie de mesure de la vulnérabilité climatique
p. 20
Annexe 2 - Revue des instruments financiers
p. 21
Bibliographie
p. 24
Liste des acronymes
p. 25
3. Quelles stratégies financières pour faire face a une situation de double vulnérabilité ? p. 15
1
2
Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Résumé La présente étude propose de construire une approche
systématique pour détecter et caractériser les situations de
double vulnérabilité. La notion de double vulnérabilité fait référence à une situation dans laquelle un pays combine des vulnérabilités climatiques et macrofinancières. Elle se définit
comme une situation dans laquelle le changement climatique
(qu’il se manifeste sous la forme de chocs occasionnels ou d’une dégradation chronique des conditions climatiques) est susceptible d’avoir des impacts multidimensionnels sur les popula-
tions, les écosystèmes et l’activité économique, entraînant une augmentation des déséquilibres budgétaires et des ratios
d’endettement public à court et moyen terme. Réciproquement, cette dynamique défavorable limite la capacité du gouverne-
ment à faire face efficacement aux conséquences du change-
ment climatique, et en particulier à soutenir les segments les plus
vulnérables de la population. Nous appelons ce cercle vicieux une « spirale dette-climat ».
Pour les deux dimensions climatique et macrofinancière,
nous construisons des indices de vulnérabilité pour un échantil-
lon comprenant tous les pays. En croisant ces deux dimensions,
l’étude identifie différents groupes de pays confrontés à une situation de double vulnérabilité à des degrés divers. En ce qui
concerne la vulnérabilité aux phénomènes climatiques extrêmes, de nombreuses îles du Pacifique, de l’océan Indien et des Caraïbes
se trouvent effectivement dans une situation de double vulnéra-
bilité. En outre, certains pays côtiers d’Amérique latine, deux pays d’Afrique et deux pays d’Asie du Sud-Est ressortent comme étant
particulièrement vulnérables. En termes de vulnérabilité à une dégradation chronique des conditions climatiques, les pays des
régions de la Méditerranée, du golfe d’Aden et du Moyen-Orient, ainsi que la plupart des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, sont identifiés comme des pays particulièrement vulnérables.
3
À partir de cette analyse, l’étude identifie un certain nombre
de stratégies empiriques et instruments financiers susceptibles d’atténuer les principales conséquences du changement
climatique sur la dynamique des finances publiques pour les
groupes de pays identifiés. Ces stratégies tentent de concilier des efforts visant à réduire (ou à partager) les coûts croissants et
imprévisibles des chocs climatiques à court terme, et à maintenir une marge de manœuvre budgétaire suffisante pour soutenir
des stratégies ambitieuses d’investissement dans l’adaptation
au changement climatique, afin d’atténuer les coûts des chocs
climatiques à moyen et long terme. La question de savoir si de telles stratégies peuvent briser la dynamique du « spirale dette-climat » reste une question ouverte pour des travaux ultérieurs.
4
Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Introduction Le sixième rapport d’évaluation (AR6) du Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en mars 2023 souligne que les efforts d’atténuation engagés à ce jour sont insuffisants pour limiter le réchauffement climatique à
1,5 °C par rapport au niveau de l’ère préindustrielle. Le plafond de 2°Celsius, convenu en 2015 dans le cadre de l’Accord de
Paris, pourrait également être dépassé. Les conséquences de cette augmentation de la température sur les écosystèmes
et la vie humaine ne sont pas encore entièrement connues.
Cette augmentation de la température pourrait notamment conduire à un dépassement de points de bascule géoclima-
tiques, induisant une dynamique d’aggravation rapide et non linéaire des conditions climatiques.
Le think tank Climate Policy Initiative estime le montant des
investissements de finance climat [1] à environ 850-940 milliards de dollars en 2021 (CPI, 2022). Selon cette institution, le montant
des investissements nécessaires pour limiter l’augmentation
des températures à 1,5 °C et éviter les conséquences critiques
du changement climatique est d’environ 4 300 milliards USD d’ici 2030. Diverses études confirment également que le coût
global de la transition bas carbone, bien que particulièrement
élevé dans les années à venir, ne ferait qu’augmenter si ces investissements étaient reportés.
Par ailleurs, dans un contexte financier international
incertain, les pays les plus endettés subissent de fortes pressions
sur les finances publiques, en particulier sur le rembourse-
ment de la dette publique. La combinaison de la vulnérabilité au changement climatique et d’une pression accrue sur les
finances publiques est susceptible de conduire à des trajectoires d’insoutenabilité de la dette publique (FMI, 2022c).
1 Il s’agit de l’ensemble des flux nationaux et nationaux pour financer les investissements climatiques.
5
1. Contexte et définitions
6
Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
La question de la double vulnérabilité se pose dans un contexte politique propice à l’évolution de l’architecture financière internationale pour le climat. En effet, la vulnérabilité climatique a alimenté de nombreuses discussions lors de la COP 26 à Glasgow, lors des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) en octobre 2022 et lors de la COP 27 à Charm el-Cheikh.
La vulnérabilité macrofinancière e s t définie comme la capacité (ou l’incapacité) du gouvernement à mobiliser, lorsque cela est nécessaire, des ressources financières nationales ou internationales suffisantes pour éviter une dégradation excessive de l’exécution budgétaire annuelle ou de la capacité de remboursement de la dette publique.
Pour ne citer que deux exemples, le lancement de l’initiative de Bridgetown lors de la COP 26 et l’accord conclu pour la création d’un fonds Pertes et Dommages lors de la COP 27 ont confirmé la nécessité d’apprécier conjointement la vulnérabilité au changement climatique et la vulnérabilité macrofinancière. En particulier, l’Initiative de Bridgetown appelle à accélérer le processus de restructuration de la dette publique des pays les plus vulnérables [2]. L’Initiative appelle également à financer les besoins massifs d’investissement dans l’adaptation au moyen de différents types de ressources, notamment une nouvelle émission de Droits de Tirage Spéciaux (DTS). En juin 2023, le Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier a également appelé à une meilleure définition des vulnérabilités climatiques et financières. Ce cadre conceptuel renouvelé pourrait conduire à adapter les critères d’attribution de l’aide publique au développement. Dans cette étude, une situation de vulnérabilité climatique est définie comme une situation dans laquelle un pays (i) est fortement exposé à des événements climatiques extrêmes ou à une dégradation chronique des conditions climatiques (ii) et est relativement plus sensible que d’autres pays à la matérialisation de ces chocs. L’exposition est comprise comme la probabilité d’occurrence de chocs climatiques ou d’une dégradation chronique des conditions climatiques, tandis que la notion de sensibilité est comprise comme les dommages physiques potentiels causés par de tels phénomènes (qu’ils soient occasionnels ou chroniques). À cet égard, cette étude adopte une définition largement utilisée dans la littérature sur la vulnérabilité aux chocs exogènes, quelle que soit leur nature. Ces définitions sont également cohérentes avec la définition de la vulnérabilité climatique proposée par le GIEC (GIEC, 2022). [3] 3 Le GIEC définit la vulnérabilité de manière relativement générique et admet que la notion puisse avoir un sens large selon le contexte : « Propension
2 Pour une description du mécanisme de l’ISSD, voir ici. Pour une description du Cadre commun pour le traitement de la dette, voir ici.
Contexte et définitions
ou prédisposition à subir des dommages. Cela englobe divers concepts,
notamment les notions de sensibilité ou de fragilité et l’incapacité de faire face et de s’adapter. (GIEC 2022)
7
2. Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
8
Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Tels que définis dans la section précédente, les pays en situation de double vulnérabilité sont confrontés à des évènements climatiques intenses ou sont particulièrement vulnérables à une dégradation chronique des conditions climatiques. En outre, le coût de ces événements climatiques met régulièrement en péril l’équilibre budgétaire et génère une pression sur le remboursement de la dette publique, en particulier sur la dette libellée en devises. Réciproquement, cette dynamique défavorable limite la capacité du gouvernement à faire face efficacement aux conséquences du changement climatique, et en particulier à soutenir les plus vulnérables. Nous supposons qu’un tel cercle vicieux peut permettre de caractériser un phénomène de « spirale dette-climat ». [4] Afin d’identifier les pays en situation de double vulnérabilité, l’étude construit pour chaque type de vulnérabilité des indicateurs qui, lorsqu’on les combine, permettent d’estimer l’ampleur de la double vulnérabilité à laquelle est confronté chaque pays [5]. Pour estimer la vulnérabilité climatique, l’étude s’appuie sur une base de données propriétaire de l’AFD qui présente les caractéristiques suivantes : Pour chaque pays, la vulnérabilité climatique est évaluée de manière distincte selon que l’aléa climatique correspond à un choc climatique occasionnel (un cyclone ou une inondation par exemple) ou à une dégradation chronique des conditions climatiques (par exemple, l’élévation du niveau de la mer) ; L’Indice de Vulnérabilité Climatique (voir annexe 1) reflète à la fois l’exposition du pays à ces chocs et sa sensibilité (risque de pénurie d’eau, nombre d’habitants exposés à la montée des eaux, etc.) ; Dans la mesure du possible, les indices sont basés sur des scénarios de projection des conditions climatiques (scénarios du GIEC en particulier) ; Ces indices sont disponibles pour plus de 160 pays. Pour les pays non couverts, il est proposé d’extrapoler les données disponibles à partir du pays le plus proche ayant des caractéristiques climatiques similaires ;
•
• •
Pour évaluer la vulnérabilité macrofinancière, nous utilisons les notations de risque souverain produites par les agences de notation. Malgré leurs limites [6] , ces notes présentent les caractéristiques suivantes, qui sont utiles pour notre étude : Les notations souveraines reflètent une estimation de la probabilité de défaut sur la dette publique, en particulier sur la dette libellée en devises ; Elles couvrent un large champ géographique, facilitant ainsi la comparabilité entre pays ;
• •
Lorsqu’elles sont disponibles, nous utilisons les notations produites par les trois principales agences de notation (Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch) parmi lesquelles nous sélectionnons la plus basse des deux meilleures notes [7]. Pour les pays non notés, une notation CCC est appliquée lorsque le pays présente un risque élevé de surendettement ou est effectivement en situation de défaut, tel que défini par le FMI [8]. Pour les quelques pays restants, nous utilisons notre connaissance de la situation économique de ces pays. À partir de ces éléments, nous identifions les pays les plus vulnérables à l’aide d’une représentation graphique simple qui croise l’Indice de Vulnérabilité Climatique avec le niveau de vulnérabilité macrofinancière tel que défini dans la section précédente. Nous présentons deux graphiques qui correspondent aux deux types de vulnérabilité climatique que nous avons distinguées (vulnérabilité aux chocs occasionnels ou dégradation chronique des conditions climatiques, voir ci-dessous). Le croisement de la vulnérabilité aux phénomènes climatiques extrêmes et de la vulnérabilité macrofinancière révèle trois groupes de pays.
•
6 L’une de ces limites est l’horizon temporel limité pour l’estimation de la probabilité de défaut (souvent moins de 5 ans).
7 Dans les sections suivantes, nous considérons que les pays ayant une note de 15 ou plus (équivalent à B pour Standard & Poor’s et Fitch, et B2 pour
4 D’autres travaux seraient nécessaires pour caractériser formellement un tel phénomène et le décrire théoriquement. Ce travail dépasse le cadre de la présente étude.
5 Il est à noter que cette étude n’établit pas de lien de causalité entre les deux
dimensions. D’autres travaux seraient nécessaires pour établir formellement un tel lien.
Moody’s) se trouvent dans une situation de vulnérabilité macrofinancière. 8 L’analyse de soutenabilité de la dette publique est conduite par le FMI et la
Banque mondiale selon un cadre défini, avec une distinction entre les pays à faible revenu (LIC-DSA, plus de détails ici) et les pays à revenu plus élevé ayant la capacité d’emprunter sur les marchés financiers internationaux (MAC-DSA, plus de détails ici).
Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
9
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
3,5
4
4,5
0
Allemagne
Australie
Danemark
Emirats Arabes Unis
Estonie
Quatar
5
Koweït
Israël Portugal Botswana
Chili
Azerbaïdjan
Serbie
Italie
10
Chypre
Pérou
Oman
Bhoutan
Equateur
Bahreïn
Egypte
Turkménistan
Jordanie
15
Kyrgyzstan Algérie
Irak
Mongolie
Bélize
Tonga
Somoa
Iles Salomon Sierra Léone
RCA
Tchad
Pakistan Malawi Zimbabwe Surinam Afghanistan
Burundi
Sao Tomé et Principe
Micronésie
Laos
Dominique
Haïti
Comores
Grenade
Iles Marshall
Tuvalu
Libye
Terr. Pal.
Soudan
Syrie
Angola
Yemen
Gambie Erythrée
Cap vert Iran
Cuba
Ukraine
20
Djibouti
Tunisie
Soudan du Sud
Ethiopie Mali Congo Tadjikistan Burkina Faso Somalie Guinée-Bissau Argentine Russie
Bolivie Nigéria
Kosovo Macédoine
Gabon
Guinée Equatoriale
Népal
Libéria
Salvador Mozambique
Kiribati
Vanuatu
Maldives
Mauritanie
Moldavie
Turquie Niger Togo Lesotho Timor oriental
Cambodge Guyana RDC Bénin Eswatini Bahamas Guinée Albanie
Rwanda
MontenegroBosnie
Namibie
Sénégal
Maroc
Kenya
Cameroun
Antigua et Barbuda
Ouganda Corée du Nord Costa Rica
Arménie Ouzbékistan Tanzanie
Afrique du Sud
Paraguay
Grèce
Brésil
Côte D'Ivoire
San Marin Géorgie
Macédoine du Nord
Uruguay
Roumanie
Bulgarie
Trinidad et Tobago
Seychelles
Honduras Fidji
Iles Cook Jamaïque
Bangladesh
Sainte Lucie
Myanmar
Nauru
Madagascar
Barbade
Nicaragua
Palau
Saint Kitts & Nevis
Vulnérabilité macrofinancière (0-très faible/21-très élevée)
Kazakstan
Croatie
Andorre
Pologne
Mexique
Panama
Guatemala
République Dominicaine
Inde
Vietnam
Colombie
Maurice Indonésie
Hongrie
Thaïlande
Bruneï
Malaysie
Lettonie
Espagne
Malte
Lithuanie
Slovaquie
Islande
Slovénie
Arabie Saoudite
Belgique
Nouvelle-Zélande France
République Tchèque
Royaume-Uni
Irlande
Corée du Sud
Autriche Finlande
Pays-Bas
Norvège
Suède
Canada
Liechtenstein
Luxembourg
Singapour
Suisse
Etats-Unis d'Amérique
Chine
Japon
Philippines
Papouasie Nouvelle-Guinée
Saint Vincent et Grenadines
Liban
Ghana
Vénézuela
Zambie
Biélorussie
Sri Lanka
Figure 1 a : Pays en situation de double vulnérabilité : vulnérabilité aux phénomènes climatiques occasionnels et extrêmes, et vulnérabilité macrofinancière
Vulnérabilité climatique (phénomènes clim. occasionels et extrêmes, 0-très faible/4-très élevée)
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Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Tableau 1.a : Pays en situation de double vulnérabilité (vulnérabilité aux phénomènes climatiques extrêmes et vulnérabilité macrofinancière)
VULNÉRABILITÉ MACRO
VULNÉRABILITÉ AUX PHÉNOMÈNES CLIMATIQUES EXTRÊMES CATÉGORIE
PAYS
O++
Caraïbes : Antigua et Barbuda, Barbade, Cuba, Dominique, Grenade, Haïti, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines. Océan Pacifique : Nauru, Palaos, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Samoa, Îles Salomon, Tonga, Tuvalu, Vanuatu, Kiribati, Micronésie, Îles Marshall Océan Indien : Comores, Madagascar, Maldives, Sri Lanka Pays côtiers d’Amérique latine : Belize, Salvador, Nicaragua Afrique : Cameroun, Mozambique Asie du Sud-Est : Laos, Myanmar
O+
Jamaïque, Îles Cook, Fidji, Honduras, Bangladesh, République dominicaine, Seychelles
O
Colombie, Vietnam, Guatemala
Le premier groupe de pays (rectangle gris, O++) comprend des pays présentant une vulnérabilité macrofinancière élevée, en raison notamment d’un niveau d’endettement public particulièrement important. En raison de leur situation géographique, ces pays sont également parmi les plus vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes. Cette catégorie comprend de nombreuses îles des Caraïbes, du Pacifique et de l’océan Indien. En raison de leur taille, ces p ays di s pos e n t p a r a i l l eu r s d ’ u n e marge de manœuvre budgétaire limitée pour faire face aux chocs ainsi que d’une capacité d’investissement elle aussi limitée. De la même manière, un certain nombre de pays côtiers d’Amérique centrale sont vulnérables aux phénomènes climatiques intenses et présentent également une situation macrofinancière fragile liée principalement à des facteurs structurels (dette publique structurellement élevée, positionnement dans le commerce international, diversification insuffisante de la base productive, etc.). Deux pays africains font également partie de cette catégorie (le Cameroun et le Mozambique) parce qu’ils sont vulnérables aux précipitations extrêmes (Cameroun) ou à la pénétration des cyclones (Mozambique), tandis qu’ils présentent également une vulnérabilité macrofinancière multifactorielle. Ces pays sont les plus susceptibles de supporter des coûts élevés pour financer la reconstruction et le soutien à la reprise économique à la suite de phénomènes climatiques extrêmes. Dans ce cas, l’enjeu est d’éviter que ces dépenses supplémentaires n’évincent les dépenses priori-
taires pour le développement à long terme d’une part, et conduisent à une dynamique d’endettement insoutenable d’autre part. Il est essentiel de limiter l’impact défavorable de ces coûts supplémentaires, imprévisibles pour la plupart, afin d’éviter d’accroître la vulnérabilité macrofinancière de ces pays (voir section 3). Le deuxième groupe de pays (ovale rose, O+) comprend des pays dont la vulnérabilité macrofinancière est plus faible mais qui restent très vulnérables aux phénomènes climatiques. Ces pays présentent également au moins un facteur de fragilité macrofinancière important (un déséquilibre budgétaire ou de la balance des paiements par exemple) qu’un choc climatique de forte intensité ou une répétition de chocs à bref intervalle pourrait renforcer de manière significative. Le dernier groupe de pays (ovale jaune, O) est intéressant au regard du rôle que ces pays jouent dans la dynamique de la croissance mondiale. Ces pays présentent des fondamentaux macrofinanciers plus solides mais ils restent très vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes. La Colombie et le Vietnam entrent dans cette catégorie. Dès lors que ces économies jouent un rôle de premier plan dans la dynamique de croissance régionale, un ralentissement économique durable dans ces pays pourrait avoir des conséquences à long terme pour la région. Dans le même temps, le croisement de la vulnérabilité à une dégradation chronique des conditions climatiques et de la vulnérabilité macrofinancière révèle les trois groupes de pays suivants.
Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
11
0,0
0,5
1,0
1,5
2,0
2,5
3,0
3,5
4,0
0
Australie
Danemark
Luxembourg
Suisse
Israël
Autriche
France
Islande
5
Slovaquie
Slovénie
Bruneï Espagne
Malaysie
Malte
Indonésie
Philippines
Italie
Andorre
Botswana
Bangladesh Namibie Côte D'Ivoire Serbie Guatemala
10
Bosnie
Kenya
Bénin
Palau
Equateur Nauru
Costa Rica
Irak
15
Burkina Faso
Ethiopie
Tchad
Bhoutan
Timor oriental
Zimbabwe
Soudan du Sud
Soudan
20
Kyrgyzstan
Libéria
Zambie
Ghana
Liban
Biélorussie
Afghanistan Argentine Laos
Tadjikistan
Corée du Nord
Macédoine
Cuba
Sri Lanka
Ukraine Mali Micronésie Somalie
Comores
Burundi
Sierra Léone
Sao Tomé et Principe Djibouti Vénézuela
Guinée-Bissau
Tonga Tunisie Surinam
Pakistan
Iles Marshall Myanmar Iles Salomon Vanuatu Salvador Congo Mozambique RCA
Tuvalu RDC Mauritanie Syrie Eswatini
Somoa IranKiribati
Guyana Madagascar
Maldives Yemen
Gambie Haïti
Dominique
Grenade
Terr. Pal.
Saint Vincent et Grenadines
Saint Kitts & Nevis Cap vert
Niger Malawi Moldavie Gabon Cameroun Russie Bolivie
Togo
Kosovo Lesotho Guinée Equatoriale
Mongolie
Népal Montenegro Nigéria
Ouganda
Iles Cook
Brésil
Tanzanie Cambodge
Turkménistan Jordanie Fidji
Rwanda
Turquie
Libye Algérie Papouasie Nouvelle-Guinée Angola Arménie
Macédoine du Nord Afrique du Sud
Uruguay Paraguay
Chypre
Erythrée
Barbade
Sainte Lucie
Antigua et Barbuda
Egypte Sénégal Bélize Nicaragua Seychelles Jamaïque Guinée Ouzbékistan
Albanie
Bahamas
Bahreïn
Vulnérabilité macrofinancière (0-très faible/21-très élevée)
Kazakstan
Hongrie
Thaïlande
Bulgarie
Panama
San Marin
Vietnam Maurice Géorgie Azerbaïdjan Colombie Inde Pérou
Mexique
Maroc
Oman
Honduras
République Dominicaine Grèce
Roumanie
Trinidad et Tobago
Portugal Pologne Croatie Lettonie Lithuanie Chine
Belgique
Japon
Chili
Koweït
République Tchèque
Irlande Estonie
Corée du Sud
Finlande Liechtenstein Norvège
Canada
Suède
Nouvelle-Zélande
Quatar
Arabie Saoudite
Royaume-Uni
Pays-Bas
Etats-Unis d'Amérique
Allemagne
Singapour
Emirats Arabes Unis
Figure 1 b : Pays en situation de double vulnérabilité : vulnérabilité à une dégradation chronique des conditions climatiques et vulnérabilité macrofinancière
Vulnérabilité climatique (dégradation chronique des conditions clim., 0-très faible/4-très élevée)
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Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Tableau 1.b : Pays en situation de double vulnérabilité (vulnérabilité à une dégradation chronique des conditions climatiques et vulnérabilité macrofinancière
VULNÉRABILITÉ MACRO
VULNÉRABILITÉ À UNE DÉGRADATION CHRONIQUE DES CONDITIONS CLIMATIQUES CATÉGORIE
PAYS
C++
Caraïbes : Antigua et Barbuda, Barbade, Dominique, Grenade, Haïti, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Cuba. Océan Indien : Comores, Madagascar, Maldives, Sri Lanka. Pays côtiers d’Amérique latine : Belize, Venezuela, Nicaragua, Guyana, Suriname. Région méditerranéenne : Égypte, Liban, Palestine, Tunisie, Turquie Golfe d’Aden et Moyen-Orient : Yémen, Djibouti, Érythrée, Iran, Irak Pays côtiers d’Afrique de l’Ouest : Cap Vert, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Mauritanie, Sierra Leone + São Tomé-et-Príncipe Afrique de l’Est : Burundi Asie du Sud : Pakistan Europe centrale : Ukraine
C+
Albanie, Bahamas, Bahreïn, République dominicaine, Honduras, Sénégal, Jamaïque, Rwanda
C
Seychelles, Ouzbékistan, Vietnam, Oman
Le premier groupe de pays (rectangle jaune, C++) comprend les pays les plus vulnérables à une dégradation chronique des conditions climatiques (élévation du niveau de la mer, stress hydrique et thermique), ainsi que les pays qui présentent un niveau élevé de vulnérabilité macrofinancière. Il s’agit notamment de certains pays insulaires des Caraïbes et de l’océan Indien qui sont vulnérables non seulement à l’élévation du niveau de la mer, mais aussi à une forte augmentation des températures. Cette catégorie comprend également certains pays côtiers d’Amérique latine, où l’activité économique et l’habitat sont parfois concentrés dans les zones côtières. Ces pays sont exposés à l’élévation du niveau de la mer et à la hausse des températures, générant des interactions particulièrement défavorables entre les conditions climatiques et l’activité humaine. Cette catégorie comprend également un certain nombre de pays de la région méditerranéenne qui sont particulièrement exposés à la hausse des températures et à la raréfaction des ressources en eau. La combinaison de ces deux facteurs peut avoir des conséquences importantes sur le secteur agricole par exemple (Égypte, Tunisie). Elle comprend également des pays de la zone côtière ouest-africaine exposés à l’élévation du niveau de la mer. L’activité économique et l’habitat étant largement concentrés dans la zone côtière dans ces pays, les conséquences de l’élévation du niveau de la mer seront particulièrement critiques dans cette région. Enfin, cette catégorie comprend certains pays du golfe d’Aden et du Moyen-Orient, où la hausse des températures pourrait dépasser
le seuil critique d’habitabilité. Dans certains pays de cette catégorie, une dégradation chronique des conditions climatiques peut aussi se traduire par des épisodes aigus (inondations, sécheresses, etc.) qui menacent la viabilité de certaines régions (Pakistan, Burundi, etc.). Pour les pays de cette catégorie, l’un des enjeux serait d’organiser la reconfiguration spatiale de l’habitat et de l’activité économique. Il s’agirait également d’investir dans des processus de production moins consommateurs de ressources en eau ou d’adapter les systèmes de production à l’évolution des conditions climatiques par exemple. Cependant, la vulnérabilité macrofinancière de la plupart de ces pays limite leur capacité d’investissement. Le deuxième groupe de pays (ovale orange, C+) comprend des pays présentant au moins un facteur de vulnérabilité macrofinancière important. De plus, ces pays sont structurellement vulnérables à une dégradation des conditions climatiques en raison de leur situation géographique (Bahamas, République dominicaine, Jamaïque, Honduras, Sénégal par exemple) ou de leur accès limité aux ressources en eau (Bahreïn). Pour ces pays, une accélération de la dégradation des conditions climatiques pourrait générer des pressions insoutenables sur les finances publiques à moyen terme. Le dernier groupe de pays (ovale violet, C) comprend des pays dont les fondamentaux macrofinanciers sont plus solides, mais qui restent
Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
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très vulnérables à une dégradation des conditions climatiques. Il est important de surveiller la trajectoire d’adaptation de l’Ouzbékistan et du Vietnam par exemple, car ces économies jouent un rôle important dans la dynamique économique régionale. De plus, ces pays ont pris des engagements ambitieux en matière d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Les marges de manœuvre budgétaires et la capacité d’investissement de ces pays devront être répartis entre des efforts d’adaptation et les investissements nécessaires à l’atteinte de leurs objectifs d’atténuation.
Le tableau ci-dessous synthétise les groupes de pays identifiés ci-dessus, en ajoutant les critères suivants qui permettent de proposer une vue d’ensemble des enjeux [9] : Les PMA et les PEID sont marqués en vert. Les pays à revenu intermédiaire (PRI) qui n’appartiennent pas au groupe des petits États insulaires en développement (PEID) sont indiqués en bleu. Les pays à haut risque de surendettement ou en situation de défaut selon le FMI sont soulignés.
• • •
Tableau 1.c : Tableau récapitulatif VULNÉRABILITÉ CLIMATIQUE (PHÉNOMÈNES CLIMATIQUES EXTRÊMES)
VULNÉRABILITÉ MACROFINANCIÈRE
CATÉGORIE
PAYS
VULNÉRABILITÉ CLIMATIQUE (DÉGRADATION CHRONIQUE DES CONDITIONS CLIMATIQUES) CATÉGORIE
PAYS
O++
Caraïbes : Antigua-et-Barbuda, Barbade, Cuba, Dominique, Grenade, Haïti, Saint-Kittset-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines Océan Pacifique : Nauru, Palaos, Papouasie-NouvelleGuinée, Samoa, Îles Salomon, Tonga, Tuvalu, Vanuatu, Kiribati, Micronésie, Îles Marshall Océan Indien : Comores, Madagascar, Maldives, Sri Lanka Pays côtiers d’Amérique latine : Belize, El Salvador, Nicaragua Afrique : Cameroun, Mozambique Asie du Sud-Est : Laos, Myanmar
C++
Caraïbes : Antigua-et-Barbuda, Barbade, Dominique, Grenade, Haïti, Saint-Kitts-etNevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Cuba. Océan Indien : Comores, Madagascar, Maldives, Sri Lanka. Pays côtiers d’Amérique latine : Belize, Venezuela, Nicaragua, Guyana, Suriname. Région méditerranéenne : Égypte, Liban, Palestine, Tunisie, Turquie Golfe d’Aden et Moyen-Orient : Yémen, Djibouti, Érythrée, Iran, Irak Pays côtiers d’Afrique de l’Ouest : Cap Vert, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Mauritanie, Sierra Leone + São Tomé-et-Principe Afrique de l’Est : Burundi Asie du Sud : Pakistan - Europe centrale : Ukraine
O+
Jamaïque, Îles Cook, Fidji, Honduras, Bangladesh, République dominicaine, Seychelles
C+
Albanie, Bahamas, Bahreïn, République dominicaine, Honduras, Sénégal, Jamaïque, Rwanda
O
Colombie, Vietnam, Guatemala
C
Seychelles, Ouzbékistan, Vietnam, Oman
Il convient de mentionner que certains pays qui présentent une forte vulnérabilité macrofinancière sont également vulnérables à la fois à des phénomènes climatiques extrêmes ainsi qu’à une dégradation chronique des conditions climatiques. Un certain nombre d’îles des Caraïbes et de l’océan Indien (Antigua-et-Barbuda, Barbade, Dominique, Cuba, Grenade, Haïti, Saint-Kittset-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-
Grenadines, Comores, Madagascar, Maldives et Sri Lanka), ainsi que certains pays côtiers d’Amérique latine (Belize, Nicaragua) entrent dans cette catégorie. Ces pays peuvent être soumis à une pression particulièrement forte pour faire face aux menaces climatiques multifactorielles, tout en ayant une capacité d’investissement limitée pour atténuer leurs impacts (voir la section 3).
9 Ce classement est en date d’août 2023.
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Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
3. Quelles stratégies financières pour faire face à une situation de double vulnérabilité ?
Quelles stratégies financières pour faire face à une situation de double vulnérabilité ?
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Les pays identifiés à la section 2 sont susceptibles de se trouver dans une situation de double vulnérabilité. Ils sont particulièrement vulnérables aux chocs climatiques, lesquels seront plus fréquents et plus intenses, ou sont exposés à une dégradation chronique des conditions climatiques. Certains sont vulnérables aux deux phénomènes. Le changement climatique peut avoir des conséquences majeures sur les populations, les écosystèmes et l’activité économique. Pour faire face à ces situations, la mobilisation d’importantes ressources publiques est souvent nécessaire pour absorber les coûts sociaux occasionnés par les chocs climatiques et soutenir la reprise économique. Dans les pays vulnérables sur le plan macrofinancier, les dépenses publiques engagées à l’occasion d’un choc climatique peuvent peser sur l’équilibre budgétaire et accélérer la dynamique d’endettement. Réciproquement, cette dynamique défavorable peut réduire considérablement la capacité d’investissement à long terme du gouvernement. Pourtant, les investissements d’adaptation au changement climatique sont essentiels pour atténuer l’impact des chocs climatiques futurs. Nous appelons ce cercle vicieux une « spirale dette-climat ». Ce terme définit une situation dans laquelle les pays les plus vulnérables ne sont pas en mesure d’investir pour réduire l’impact des chocs climatiques futurs en raison de l’augmentation rapide des coûts générés par les chocs climatiques actuels. Nous émettons l’hypothèse que deux stratégies financières complémentaires peuvent contribuer à enrayer ce cercle vicieux : (i) à court terme, réduire (ou partager) le coût des chocs climatiques, et (ii) à moyen et long terme, conserver une marge de manœuvre budgétaire suffisante pour soutenir des stratégies ambitieuses d’investissement dans l’adaptation, afin d’atténuer les coûts des chocs climatiques futurs. La présente section propose d’adapter ces deux stratégies financières complémentaires aux caractéristiques des six groupes de pays identifiés dans la section précédente. En effet, les niveaux de vulnérabilité climatique et macrofinancière déterminent en grande partie les priorités et la capacité des pays à faire face aux conséquences du changement climatique.
Pour les pays les plus vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes et qui présentent par ailleurs une forte vulnérabilité macrofinancière (groupe O++), deux priorités pourraient se dégager : (i) éviter une situation de tension marquée sur les finances publiques, voire d’augmentation non soutenable de la dette publique, après chaque choc climatique (atténuer le « risque de liquidité ») ; (ii) conserver une marge de manœuvre budgétaire suffisante pour mettre en place des instruments macroéconomiques destinés à atténuer les effets des chocs climatiques à moyen et long terme (atténuer le « risque de solvabilité »). Les instruments susceptibles de soutenir ces deux priorités sont les instruments de soutien à la rétention[10] du risque, couplés à des mécanismes de transfert de risque. En effet, ce groupe de pays comprend de nombreux pays dont les finances publiques ne sont pas en mesure de prendre en charge le coût de chocs climatiques fréquents et intenses. Le renforcement de la capacité de rétention du risque par le biais de clauses de « résilience climatique » (Climate Resilient Debt Clause) ou de prêts de contingence peut s’avérer insuffisant, voire contrindiqué, pour les pays dont la capacité de remboursement de la dette publique à moyen terme est particulièrement fragile. Les instruments de partage de risque, s’ils s’accompagnent d’un mécanisme de redistribution international (assurance internationale publique par exemple), peuvent permettre d’absorber le coût des chocs climatiques tout en évitant une dynamique non soutenable des finances publiques. [11]
10 La rétention du risque fait référence à une situation dans laquelle le
gouvernement, les institutions financières, les entreprises ou d’autres
agents économiques conservent le risque dans leur propre bilan et en
assument directement les conséquences si ce risque se matérialise. Ce
concept est défini par opposition au transfert de risque, qui fait référence à une situation dans laquelle un agent économique propose à un autre
agent de supporter ce risque (au moins ses conséquences financières). Les prêts de contingence ou les clauses de « résilience climatique » sont assimilés à des instruments de rétention du risque car ils permettent
de dégager des ressources budgétaires complémentaires afin que le
gouvernement puisse supporter le coût d’un choc climatique. Dans ce cas, il n’y a pas de transfert formel de responsabilité en cas d’indemnisation. À
l’inverse, les mécanismes de partage de risque (y compris les instruments
d’assurance) sont assimilés à des mécanismes de transfert de risque, car le gouvernement transfert formellement la responsabilité d’absorber les coûts liés à la matérialisation du risque à un autre agent économique.
11 Une revue détaillée des instruments financiers mentionnés dans cette section est proposée en Annexe 2.
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Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Pour les pays très vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes mais qui présentent une vulnérabilité macrofinancière modérée (O+), la stratégie viserait à : (i) Renforcer la capacité d’absorption des risques de l’État en réduisant le coût pour les finances publiques ; (ii) M aintenir l’accès aux marchés internationaux en dépit de la survenance d’un choc ; (iii) F aciliter la reconstruction et accélérer la reprise économique. Pour ce groupe de pays, le coût des phénomènes climatiques extrêmes pour les ménages et les entreprises peut être partiellement atténué grâce à des mécanismes d’assurance publics ou privés déployés à grande échelle [12] . Bien entendu, de tels mécanismes d’assurance doivent être développés dans un cadre financier et juridique équitable (la question de la régulation de ce marché est ici essentielle) [13]. En outre, les instruments financiers prénégociés, notamment les prêts de contingence, peuvent fournir des ressources supplémentaires pour renforcer la capacité de rétention du risque du gouvernement en cas de choc, tout en maintenant l’accès aux marchés internationaux. Concrètement, la mise en place d’instruments macroéconomiques destinés à indemniser automatiquement les ménages et les entreprises (déclaration de catastrophe naturelle) et à soutenir une reprise économique rapide (facilités de liquidité pour les entreprises, restructuration automatique des prêts bancaires, différés d’imposition, etc.) sont des éléments importants d’une telle stratégie.
12 Bien que ce ne soit pas l’objet de cette étude, voir par exemple Jain, Chida, Pathak et al., 2022 pour un examen des enjeux liés à la mise en place d’instruments d’assurance dans le contexte des PEID du Pacifique.
13 Le cas échéant, les cat bonds peuvent également contribuer à fournir des prix abordables pour les instruments d’assurance. Ces instruments sont
basés sur un modèle sous-jacent de transfert des risques aux investisseurs institutionnels, qui peuvent mutualiser les risques au niveau régional ou international.
Pour les pays très vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes mais qui présentent une certaine solidité macrofinancière (catégorie O), la stratégie pourrait se concentrer sur : (i) la mise en place d’instruments macroéconomiques destinés à absorber rapidement les chocs ; (ii) l ’élargissement du champ des risques couverts par les mécanismes d’assurance de marché ; (iii) l ’inclusion des populations les plus vulnérables dans les mécanismes de soutien à la reprise économique. Des mécanismes de transfert de risque, y compris des instruments d’assurance, existent souvent dans les pays qui appartiennent à ce groupe. L’enjeu pourrait être d’étendre la couverture sectorielle de ces instruments aux secteurs jugés les plus vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes (agriculture et logement par exemple) et aux groupes de population plus vulnérables tels que les jeunes travailleurs, les femmes ou encore les personnes vivant dans des zones reculées, etc. L’objectif global de cette stratégie serait d’éviter d’accroître les inégalités socio-économiques causées par une compensation inéquitable des dommages causés par un soutien insuffisant dans la phase de reprise. La solidité macrofinancière de ces pays est également un atout pour investir massivement dans l’adaptation afin de réduire le coût des événements climatiques extrêmes à moyen et long terme, en particulier pour les populations les plus vulnérables. Pour les pays vulnérables à une dégradation chronique des conditions climatiques et qui présentent une vulnérabilité macrofinancière élevée (catégorie C++), la stratégie se concentrerait en priorité sur la reconstitution d’une marge de manœuvre budgétaire à court terme pour soutenir les efforts d’adaptation. Contrairement aux pays vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes, il n’apparaît pas nécessairement pertinent d’adopter une stratégie de couverture des risques car les conséquences d’une dégradation chronique des conditions climatiques sont beaucoup plus systémiques. L’impact sur la population, les écosystèmes et l’activité économique sont multifactoriels et nécessitent des changements structurels plutôt qu’une approche visant simplement à couvrir le risque. Le coût global des conséquences d’une dégradation chronique des conditions climatiques deviendrait progressivement insoutenable pour les ménages, les entreprises et, finalement, pour les
Quelles stratégies financières pour faire face à une situation de double vulnérabilité ?
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finances publiques. Dans ce contexte, les priorités pourraient être les suivantes : (i) Réduire le poids du service de la dette afin d’éviter une dynamique d’insolvabilité à court terme ; (i) Développer des stratégies d’adaptation dans les secteurs les plus vulnérables et mobiliser des ressources financières pour atténuer la vulnérabilité climatique multifactorielle. Pour les pays de cette catégorie dont le niveau d’endettement est particulièrement élevé, un processus concerté de restructuration de la dette peut parfois être le seul moyen de retrouver une dynamique soutenable de la dette publique dans le contexte financier international actuel. Certains pays, qui présentent une vulnérabilité macrofinancière moins marquée, mais qui présentent néanmoins une capacité d’endettement supplémentaire très limitée, ont également procédé à des échanges dette-climat (debt-climate swap, voir annexe 2). Les pays les moins vulnérables sur le plan macrofinancier ont également eu recours à des Sustainability-linked Bonds (SLB), dont certains sont associées à des incitations financières en échange de la réalisation d’objectifs climat prédéfinis. Pour les pays fortement vulnérables à une dégradation chronique des conditions climatiques mais dont la vulnérabilité macrofinancière est modérée (catégorie C+), la stratégie viserait à : (i) éviter une dégradation des conditions de refinancement international et les signaux défavorables qui y sont associés ; (ii) investir massivement dans une trajectoire d’adaptation au changement climatique ; (iii) mettre en place des instruments macroéconomiques de gestion de crise pour faire face à l’occurrence d’épisodes critiques (sécheresse, inondations, etc.) Divers instruments financiers peuvent permettre de financer des investissements publics de long terme pour l’adaptation. Toutefois, pour les pays de ce groupe, qui sont principalement des pays à revenu intermédiaire, l’un des défis est sans doute d’accéder à des ressources financières internationales concessionnelles. En effet, au regard des caractéristiques des investissements d’adaptation, faire appel à des sources de financement internationales concessionnelles, en complément des ressources nationales, peut s’avérer indispensable
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pour financer ces investissements à des conditions financières viables. Des instruments tels que les SLB ou les financements directs de bailleurs de fonds (y compris le récent Resilience and Sustainability Trust du FMI) présentent l’avantage d’offrir des conditions financières adaptées au financement d’investissements d’adaptation. Dans un certain nombre de pays du groupe C+, le développement de mécanismes d’assurance privée, soutenus ou non par les pouvoirs publics, pourrait également contribuer à soutenir des secteurs stratégiques tels que l’agriculture ou le tourisme. Pour les pays très vulnérables à une dégradation chronique des conditions climatiques mais qui disposent d’une certaine solidité macrofinancière (catégorie C), la stratégie viserait à : (i) étendre les mécanismes de soutien à une reprise économique rapide aux segments les plus vulnérables de la population ; (ii) investir massivement dans l’adaptation au changement climatique ; (iii) Réduire le risque d’arbitrage entre le soutien à l’adaptation et le financement des efforts d’atténuation. Il existe généralement dans ces pays des systèmes d’indemnisation en cas de catastrophe et des mécanismes de soutien à la reprise économique. Comme mentionné précédemment, le renforcement de l’inclusivité de ces mécanismes permet d’écarter le risque d’exacerbation des inégalités liées aux effets du changement climatique. Un certain nombre de pays de ce groupe sont également très actifs sur le marché international de la dette. Il peut être utile de mentionner ici que les obligations vertes peuvent être structurées pour financer simultanément les stratégies d’atténuation et d’adaptation. En effet, l’un des défis pour les pays de ce groupe est d’investir dans l’adaptation au changement climatique tout en finançant les efforts d’atténuation indispensables à l’atteinte de leurs propres objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Le développement des marchés du carbone peut également réduire ce risque d’arbitrage, dès lors que la vente de crédits carbone génère des recettes fiscales supplémentaires qui peuvent être réaffectées à des investissements d’atténuation ou d’adaptation, ou aux deux.
Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Conclusion L’amélioration de la qualité et de la disponibilité des
données climatiques depuis les premiers travaux du GIEC a permis de mieux comprendre la complexité des impacts du
changement climatique sur les systèmes naturels, économiques et sociaux.
Cette étude propose de définir une situation de double
vulnérabilité comme la situation d’un pays vulnérable aux conséquences du changement climatique d’une part, et à la dégradation de son profil macrofinancier d’autre part. Lorsque
le coût des phénomènes climatiques aggrave les déséqui-
libres budgétaires et affecte la capacité de remboursement de la dette publique, le gouvernement peut voir sa capacité d’investissement pour atténuer le coût des chocs climatiques
futurs fortement réduite. Nous qualifions un tel cercle vicieux de « spirale dette-climat ».
Nous identifions différents groupes de pays exposés à
cette interaction défavorable entre les effets du changement climatique et la dégradation de leur solidité macrofinancière. D’autres travaux pourraient utilement être menés pour
caractériser théoriquement ces interactions défavorables et les simuler dans des contextes réels.
Sur la base des situations de double vulnérabilité identi-
fiées, cette étude répertorie différentes stratégies financières susceptibles de réduire le coût des chocs climatiques à court terme et de conserver une marge de manœuvre indispensable
pour soutenir des stratégies d’investissement ambitieuses en matière d’adaptation au changement climatique.
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Annexe 1 – Méthodologie de mesure de la vulnérabilité climatique L’Indice de Vulnérabilité Climatique (IVC) que nous utilisons fournit des scores pour cinq sous-critères qui permettent de distinguer entre la vulnérabilité aux phénomènes climatiques extrêmes et la vulnérabilité à une dégradation chronique des conditions
climatiques. Les cinq sous-critères sont le niveau de stress hydrique, le niveau de stress thermique, l’exposition à des précipitations extrêmes, l’exposition à l’élévation du niveau de la mer et l’exposition aux cyclones. Leur périmètre est précisé ci-dessous :
Tableau 2 : Sous-critères de l'Indice de Vulnérabilité Climatique STRESS HYDRIQUE
L’indicateur de stress hydrique mesure l’évolution de la fréquence et de l’intensité des pénuries d’eau.
L’indicateur de stress hydrique est construit à partir de projections climatiques, de données sur les pénuries d’eau actuelles et de projections sur l’évolution de la demande en eau sur un territoire donné. Cet indicateur mesure le risque d’augmentation de la fréquence et de l’intensité des pénuries d’eau. L’indicateur comprend des paramètres de variation absolue et relative de la ressource et de la demande en eau entre aujourd’hui et 2040. Les pénuries d’eau sont causées par les activités humaines (augmentation de la demande) et/ou les tendances climatiques (réduction de l’approvisionnement naturel en eau) Source : World Resources Institute
STRESS L’indicateur de THERMIQUE stress thermique mesure le changement de fréquence et d’intensité des vagues de chaleur.
L’indicateur de stress thermique mesure l’évolution relative de la fréquence et de la gravité des journées chaudes, ainsi que l’évolution des températures maximales annuelles, entre les projections climatiques (2030-2040) et les données historiques (1975-2005). Il ne capture pas les territoires les plus chauds mais les territoires qui connaîtront une hausse significative et inhabituelle des températures. En effet, c’est dans ces territoires que la chaleur aura les impacts les plus forts sur la santé des habitants, sur la performance des réseaux d’infrastructures et sur la demande et le coût de l’énergie. Source: Coupled Model Intercomparison Project (CMIP) 5, IPPC
PRÉCIPITATIONS EXTRÊMES
Les précipitations extrêmes mesurent le changement de fréquence et d’intensité des épisodes de fortes pluies.
L’indicateur de précipitations extrêmes mesure l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des précipitations extrêmes et intègre un sous-indicateur de données historiques sur le nombre d’inondations enregistrées entre 1985 et 2011. Les précipitations extrêmes peuvent avoir des conséquences dramatiques en termes de santé publique et de mortalité et peuvent endommager les bâtiments et les infrastructures. Source: CMIP5, IPPC
ÉLÉVATION DU NIVEAU DE LA MER
L’indicateur d’élévation du niveau de la mer mesure la proportion de terres côtières qui seront affectées d’ici la fin du siècle.
Le score d’élévation du niveau de la mer reflète la proportion de terres côtières qui seront affectées par les effets de l’élévation du niveau de la mer et des tempêtes côtières à la fin du siècle. Source: Notre Dame Global Adaptation Initiative (ND-GAIN)
CYCLONES
L’indicateur « Cyclones » mesure l’exposition historique aux cyclones, ouragans et typhons.
L’indicateur « Cyclones » mesure l’exposition historique aux cyclones, aux ouragans et aux tempêtes entre 1980 et 2016. L’indicateur étudie à la fois la gravité et la fréquence des cyclones à l’aide de données sur la vitesse du vent. Les cyclones sont mesurés sur la base de données historiques, en raison de l’incapacité des modèles climatiques actuels à prévoir les événements individuels. Étant donné que les cyclones se produiront très probablement dans les mêmes zones géographiques avec une intensité plus élevée, et peut-être une fréquence plus élevée, cette méthode permet une bonne évaluation des risques compte tenu de l’état actuel de la science. Source: International Best Track Archive for Climate Stewardship (IBTrACS) version 3
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Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Chaque sous-critère est noté sur une échelle absolue de 0 à 100 avant d’être projeté sur une échelle de 1 à 4 en fonction du score du pays par rapport à l’échantillon. La répartition est telle que décrite dans le tableau ci-dessous. Tableau 3 : Estimation de l’Indice de Vulnérabilité Climatique NIVEAU DE VULNÉRABILITÉ
SCORE
CATÉGORIE
Bas
1
0 - 25e percentile
Moyen
2
25 - 75e percentile
Élevé
3
75 - 95e percentile
Très Élevé
4
>95e percentile
À partir de la notation de chacun de ces sous-critères, deux scores de vulnérabilité climatique sont calculés : Un score de « vulnérabilité aux événements climatiques extrêmes » est obtenu en calculant la moyenne entre les scores obtenus pour les sous-critères « Précipitations extrêmes » et « Cyclones ». Un score de « vulnérabilité à une dégradation chronique des conditions climatiques » est obtenu en calculant la moyenne entre les scores obtenus pour les sous-critères « Stress hydrique », « Stress thermique » et « Élévation du niveau de la mer ».
• •
Ces deux scores de vulnérabilité climatique sont ensuite comparés à la vulnérabilité macrofinancière telle qu’elle est représentée dans les graphiques de la section 2. Un pays est considéré comme vulnérable aux phénomènes climatiques si au moins un des deux scores de vulnérabilité climatique est strictement supérieur à 2.
Annexe 2 - Revue des instruments financiers Cette annexe passe en revue les différents types d’instruments financiers innovants que la littérature économique a identifiés pour répondre aux enjeux du financement de la transition bas carbone. Nous nous appuyons notamment sur des études récentes pour construire une liste (non exhaustive) d’instruments financiers adaptés aux situations de double vulnérabilité telle qu’elle est définie dans notre étude (Bolton, P. et coll., 2022 ; FMI, 2022).
• Instruments de transfert de risque :
Nous considérons les groupes d’instruments financiers suivants : Instruments de dette : obligations vertes et Sustainability-linked Bonds ; Mécanismes de restructuration, d’annulation ou de rachat de dette Mécanismes de soutien à la rétention du risque : − Ajustements des dispositions juridiques existantes dans les contrats de dette (telles que la clause « résilience climatique ») ; − Financement prénégocié (prêt de contingence par exemple)
Cette revue non exhaustive se concentre sur les stratégies de financement public et n’inclut pas les instruments dédiés au secteur privé, dont l’objectif n’est pas d’atténuer la situation de double vulnérabilité que nous considérons dans notre étude. De même, certains instruments de transfert de risques tels que les dérivés climatiques, utilisés uniquement par les acteurs de marché, ne sont pas inclus dans cette revue
• • •
•
− Mécanismes assurantiels ; − Obligations catastrophe ; Marchés du carbone volontaires ou obligatoires
Le tableau ci-dessous passe en revue ces instruments, présente leurs avantages et leurs limites et identifie les conditions favorables (mais non obligatoires) à leur utilisation.
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Tableau 4 : Revue des instruments financiers pour la transition
INSTRUMENT
DÉFINITION
VALEUR AJOUTÉE
Obligations vertes
Obligations adossées à des actifs climatiques sous-jacents
• S imple et relativement facile à structurer. • I l existe des normes internationales et des systèmes de certification pour ce produit. • Introduit des exigences et des bonnes pratiques en matière de suivi des impacts d’un portefeuille d’actifs.
Sustainability[14] linked Bonds
Fin an ce m e nt o b lig ataire b asé sur d es indicateurs de per formance « durable » ou « climat » de l’émetteur.
• P eut cibler différents politiques et outils climat (politiques sectorielles, système de suivi, outils et performances de l’émetteur, etc.) et être structuré sur-mesure.
Annulation/ restructuration inconditionnelle de la dette
U n o u p l u s i e u r s c ré a n c i e r s re n o n c e nt te m p o ra i re m e nt o u d é f i n i t i ve m e nt a u remboursement du ser vice de la det te qui a été contractuellement défini avec le débiteur
• L i b è r e i m m é d i a t e m e n t u n e m a r g e d e m a n œ u v r e budgétaire pour d’autres dépenses publiques. • L o r s q u e p l u s i e u r s c r é a n c i e r s s o n t i m p l i q u é s , p e u t permettre de rétablir la stabilité macroéconomique et financière à moyen et long terme. • D ans le cas d’une négociation avec plusieurs créanciers, limite les comportements indésirables (rachat de la dette résiduelle, etc.).
Échange dette-climat (debt-climate swap)
Il existe deux types d’opérations : (i) la conversion de dette, par laquelle un ou plusieurs créanciers (souvent publics) renoncent à des remboursements définis contractuellement en contrepartie d’investissements dans l’adaptation ou l’atténuation ou (ii) un rachat de dette (généralement des obligations souveraines) par l’émetteur, à un prix réduit. La différence entre les flux de trésorerie attendus avant et après le rachat est ensuite allouée (partiellement ou totalement) aux investissements d’adaptation ou d’atténuation.
• P eut avoir lieu avant un défaut de paiement , car les créanciers peuvent être plus incités à structurer une telle opération par rapport à une restructuration inconditionnelle. • L’engagement à financer des dépenses climat avec les ressources dégagées réduit l’incitation à utiliser celles-ci pour rembourser d’autres créanciers. • N e signale pas nécessairement un défaut lorsqu’il est négocié sur une base volontaire : l’ef fet négatif sur la réputation du débiteur est plus faible. • P eut-être combiné avec d’autres instruments (avec SLB notamment).
Moratoire sur la dette en cas d’évènement climatique extrême (clause de « résilience climatique »)
Le c ré a n ci e r re n o n c e te m p o ra i re m e nt au paiement des intérêts (et par fois du principal) d’un prêt en cas d’événement climatique extrême. Un moratoire définit la période et les conditions dans lesquelles le remboursement est rééchelonné.
• F ournit une marge de manœuvre budgétaire supplémentaire (négociée ex ante) en cas de besoin. • N e constitue pas un défaut de paiement, il n’envoie donc pas de signal négatif aux créanciers. • S ’il s’applique à une partie importante de la dette publique, i l p e ut l i b é re r u n e m a rg e d e m a n œ u v re b u d g éta i re importante au moment du choc.
Systèmes publics d’assurance (avec mécanisme de solidarité internationale)
Fonds public d’assurance internationale c o u p l é à u n m é c a n i s m e d e s o l i d a r i té internationale
• U n tel instrument n’existe pas actuellement au niveau mondial. Néanmoins, il existe des mécanismes de ce type au niveau régional. • P ermet de construire des portefeuilles d’actifs diversifiés et de mutualiser les risques à différents niveaux.
Financement Prêt dont le(s) décaissement(s) est/sont prénégociés déclenché(s) par la survenance d’un choc (notamment prêts climatique de contingence)
• Fournit des ressources publiques supplémentaires lorsque le choc se produit (conditions prénégociés).
Catastrophe Bond
• E n cas de choc, le capital est versé par les investisseurs à l’émetteur et le remboursement peut être différé. • C et instrument est intéressant pour les investisseurs car le rendement est élevé pour des maturités généralement courtes (3 à 5 ans).
Mécanisme de transfert de risque permettant à une compagnie d’assurance de lever des fonds décaissés uniquement en cas de survenance d’un événement prédéfini.
14 Le marché des SLB connaît une croissance rapide, le volume de financement levé grâce à ces instruments atteignait 100 milliards de dollars en 2021 (Source : International Finance
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Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
LIMITES
CONDITIONS D’UTILISATION FAVORABLES
• N écessite une taille critique de portefeuille. Plus adapté pour financer l’atténuation que l’adaptation.
• S olidité macrofinancière (capacité d’endettement supplémentaire) • P lus approprié p our soutenir des straté gies d ’at ténuation ambitieuses
• A bsence de normes internationales communes. • L orsqu ’elles existent , les incitations financières pour atteindre les objectifs peuvent être difficiles à calibrer et sont souvent insuffisantes.
• Solidité macrofinancière (capacité d’endettement supplémentaire) • A pproprié pour soutenir des stratégies d’adaptation globales ou sectorielles (peut également couvrir des stratégies d’atténuation, même si les obligations vertes sont souvent préférées dans ce cas car moins coûteuses à mettre en œuvre)
• Se produit souvent juste avant ou après que le débiteur soit déclaré en défaut de paiement (les créanciers sont peu incités à entamer un processus de restructuration dans le cas contraire). • N égociations longues • L es marges de manœuvre budgétaires libérées ne sont pas nécessairement allouées aux investissements climat. • L e défaut de paiement est un signal négatif important : il entrave l’accès aux ressources financières internationales pour une longue durée.
• Forte vulnérabilité macrofinancière (dynamique non soutenable de la dette publique) • L e pays doit engager des investissements urgents et importants en matière d’adaptation
• L a négociation d ’indicateurs de per formance liés au climat peut être longue et coûteuse. • L e montant limité des échanges dette-climat est insuffisant dans la plupart des cas pour rétablir la viabilité de la dette publique à long terme. • L’engagement climat n’est pas toujours senior par rapport à l’engagement de remboursement de la dette résiduelle • R i s q u e d e s u b v e n t i o n n e r i n d i r e c t e m e n t d ’a u t r e s créanciers
• V ulnérabilité macrofinancière modérée • N ’est possible que lorsque la base des créanciers permet de telles négociations entre les créanciers
• L es conditions de restructuration automatique (allongement de la maturité du prêt, VAN non affectée, etc.) ne sont actuellement pas uniformes et peuvent entraîner des coûts supplémentaires importants pour l’emprunteur. • L’instrument n’est efficace que s’il est mis en place de manière standardisée par les principaux créanciers du pays.
• V ulnérabilité macrofinancière modérée • L orsque la capacité de rétention du risque est modérée (c’est-àdire lorsque le gouvernement ne peut pas supporter seul le coût des catastrophes climatiques et a besoin d’un soutien pour ce faire) • P ays vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes
• Le coût des primes de risque reste un enjeu majeur pour les pays qui présentent une forte vulnérabilité macrofinancière et doit être partiellement couvert par la solidarité internationale. Dans le cas contraire, la participation est insuffisante pour assurer une mutualisation efficace des risques. • L’enjeu réside également dans la définition précise de la subsidiarité de ces mécanismes, dont le rôle est de ne couvrir que les risques dits « non assurables ».
• C apacité de rétention du risque faible ou nulle à l ’échelle nationale. • V ulnérabilité aux phénomènes climatiques extrêmes.
• L a négociation de ce type de prêt peut être relativement longue et sa tarification peut paraître peu attractive. • P e ut c o n d u i re à u n e a u g m e ntati o n ra p i d e d u rati o d’endettement public en cas de choc climatique.
• V ulnérabilité macrofinancière modérée • L a capacité de rétention du risque est modérée • P ays vulnérables aux phénomènes climatiques extrêmes
• D isponible pour les assureurs ou les réassureurs qui ont déjà constitué des portefeuilles d’actifs importants. • N écessite un marché de la réassurance actif et une forte solvabilité de tous les acteurs de la chaîne financière.
• V ulnérabilité macrofinancière limitée et existence d’un marché de l’assurance dynamique. • R isques assurables par le secteur privé.
e Corporation).
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IMF, Global Financial Stability Report-Navigating the High-Inflation Environment, Washington, DC, October 2022.
World Bank, Treasury, Product Note, IDA Catastrophe Deferred Drawdown (Cat DDO), 2018
World Bank Group, The Big Push for Transformation through Climate and DevelopmentRecommendations of the High-Level Advisory Group on Sustainable and Inclusive Recovery and Growth, 2023, Washington, DC
IMF (2022c), Debt for climate swaps: Analysis, design and implementation, IMF Working Papers, No. WP/2022/162, August.
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Macroéconomie et développement – Novembre 2023
Spirale dette-climat : Une approche empirique pour détecter les situations de double vulnérabilité
Liste des acronymes AFD : Agence française de développement CAD : Comité d’aide au développement de l’OCDE CCNUCC : Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques COP : Conférence des Parties ISSD : Initiative de suspension du service de la dette BCE : Banque centrale européenne GFSR : Global Financial Stability Report GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat FMI : Fonds monétaire international OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques PFR : Pays à faible revenu PIB : Produit intérieur brut PMA : Pays les moins avancés PRI : Pays à revenu intermédiaire DTS : Droits de tirage spéciaux PEID : Petits États insulaires en développement SLB : Sustainability-linked Bonds USD : Dollar américain V20 : The Vulnerable Twenty Group
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Agence française de développement 5, rue Roland Barthes 75012 Paris l France www.afd.fr
Les Éditions Agence française de développement (AFD) publient des travaux d’évaluation et de recherche sur le développement durable. Réalisées avec de nombreux partenaires du Nord et du Sud, ces études contribuent à l’analyse des défis auxquels la planète est confrontée, afin de mieux comprendre, prévoir et agir, en faveur des Objectifs de développement durable (ODD). Avec un catalogue de plus de 1 000 titres, et 80 nouvelles œuvres publiées en moyenne chaque année, les Éditions Agence française de développement favorisent la diffusion des savoirs et des expertises, à travers leurs collections propres et des partenariats phares. Retrouvezles toutes en libre accès sur editions.afd.fr. Pour un monde en commun. Avertissement Les analyses et conclusions de ce document sont formulées sous la responsabilité de leur(s) auteur(s). Elles ne reflètent pas nécessairement le point de vue officiel de l’Agence française de développement ou des institutions partenaires. Directeur de publication Rémy Rioux Directeur de la rédaction Thomas Mélonio Création graphique MeMo, Juliegilles, D. Cazeils Conception et réalisation Luciole
Date de fin de rédaction : 18/09/23 Crédits et autorisations License Creative Commons
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Dépôt légal 4e trimestre 2023 ISSN 2116-4363 Imprimé par le service de reprographie de l’AFD Pour consulter les autres publications de la collection MacroDev : https://www.afd.fr/collection/macrodev