SP D
SEPTEMBRE 2017
L A R E V U E D E P R O PA R C O
SECTEUR PRIVÉ ET INNOVATIONS NUMÉRIQUES :
ACCÉLÉRATEURS DE DÉVELOPPEMENT Internet - Fracture numérique - Téléphonie mobile Mobile banking - Smart cities
HORS-SÉRIE
Directeur de Publication Grégory Clemente Fondateur et rédacteur en chef Julien Lefilleur Directrice de la rédaction Anne-Gaël Chapuis Rédacteur en chef exécutif Romain De Oliveira Assistante éditoriale Véronique Lefebvre Comité éditorial Christel Bourbon-Seclet, Myriam Brigui, Marianne Cessac, Jérémie Ceyrac, Fariza Chalal, Anne-Gaël Chapuis, Johan Choux, Odile Conchou, Nicolas Courtin, Clara Dufresne, Claire Gillot, Peter Glause, Julien Lefilleur, Olivier Luc, Elodie Martinez, Gonzague Monreal, Amaury Mulliez, Véronique Pescatori, Gregor Quiniou, Julia Richard de Chicourt, Françoise Rivière, Tom Rostand, Hélène Templier, Nicolas Vincent
Advisory board Jean-Claude Berthélemy, Paul Collier, Kemal Dervis, Mohamed Ibrahim, Pierre Jacquet, Michael Klein, Nanno Kleiterp, Ngozi Okonjo-Iweala, Jean-Michel Severino, Bruno Wenn, Michel Wormser Conception et réalisation LUCIOLE Traduction Neil O’Brien/Nollez Ink Warren O’Connell
Secrétariat de rédaction ( : ? ! ; ) D O U B L E P O N C T U A T I O N, www.doubleponctuation.com, Animal Pensant
Crédit photo (couverture) iStock / Getty Images Impression sur papier recyclé Pure Impression ISSN 2273 7375 Dépôt légal 23 juin 2009
SOMMAIRE
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT est une publication de Proparco, Groupe Agence Française de Développement, société au capital de 693 079 200 €, 151 rue Saint-Honoré, 75001 Paris - France Tél. (+33) 1 53 44 31 07 Courriel : revue_spd@afd.fr Site web : www.proparco.fr Blog : blog.secteur-prive-developpement.fr
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LES CONTRIBUTEURS
CADRAGE
Quel rôle pour le secteur privé dans l’essor du numérique dans les pays en développement ? Par Jean-Michel Huet
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ÉTUDE DE CAS
Pour les petits planteurs, une assurance contre les risques naturels Par Pierre Casal Ribeiro et Jean-Luc Perron
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CHIFFRES CLÉS
OPINION
L’éducation numérique en Afrique : passons à l’échelle supérieure Par Erwan Le Quentrec
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FOCUS
Couverture vaccinale : innover autrement avec le secteur privé Par Seth Berkley
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ANALYSE
Révolution(s) numérique(s) : les villes en première ligne Par Pierre-Arnaud Barthel et Gwenael Prié
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FOCUS
Accès universel à Internet : quel rôle pour les géants du Web ? Par la rédaction d’ID4D
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LES ENSEIGNEMENTS DU NUMÉRO
ÉDITO
L’innovation numérique au service du développement
L Jérôme Grüber Directeur du numérique de l’AFD
Anne-Sophie Rakoutz Responsable de la division Fonds propres et participations de Proparco
es innovations numériques et les bouleversements qu’elles entraînent ont des impacts importants dans toutes les sociétés, du Nord au Sud. Outil d’innovation et de partage du savoir, le numérique permet de fournir des solutions pour accélérer l’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD) : amélioration de l’inclusion financière par le mobile money ; autonomisation et émancipation de la jeunesse par les solutions d’e-éducation ; protection de l’environnement et accompagnement de la transition écologique et énergétique par une gestion optimisée des ressources et des usages (smart grids, e-agriculture) ; amélioration de l’accès aux soins par la télémédecine et des diagnostics médicaux via des smartphones. L’innovation numérique foisonnante dans les pays en développement permet un saut technologique, le leapfrog, et favorise l’émergence de ces pays. Cela peut nous inspirer en France et en Europe : nous avons beaucoup à apprendre de la fertilisation croisée des expériences de développement. La dynamique d’innovation est rendue possible grâce, notamment, aux progrès établis en matière d’accès à la connectivité des populations. Ainsi, près de 3,7 milliards de personnes dans le monde disposent d’un accès à Internet. En Afrique, on dénombre près de 600 millions d’utilisateurs de téléphonie mobile et plus de 250 millions d’internautes. Dans certains pays, les ménages ont d’ailleurs plus facilement accès à un téléphone mobile qu’aux besoins de base comme l’électricité ou l’eau courante. Malgré une augmentation fulgurante des usages numériques en peu de temps, la pénétration du numérique sur le continent africain doit être renforcée par l’extension des réseaux vers les zones non couvertes, l’augmentation des débits, et une meilleure inclusion numérique des catégories défavorisées. Le continent africain a vu de belles success stories : M-Pesa (mobile banking) ou M-Kopa Solar (pay as you go solaire), au Kenya. Mais ces réussites masquent certaines difficultés en matière d’accompagnement et de financement. Il est impératif d’accompagner cette transition digitale pour accélérer sa diffusion et la rendre plus inclusive et équitable. Et il va sans dire que le Groupe AFD dans son ensemble s’investit largement dans cette voie, à plusieurs niveaux. L’AFD a par exemple financé plusieurs actions de promotion de l’innovation numérique, à travers le réseau d’incubateurs Afric’Innov ou le concours Digital Africa. Nous appuyons aussi de nombreux opérateurs et acteurs pour le développement de solutions numériques dans différents secteurs (mobile banking, transformation numérique des administrations, e-éducation, infrastructures haut débit, etc.). Tout comme Proparco qui, depuis deux ans, a investi dans différents projets de capital-risque, dont trois opérations avec un modèle économique fondé sur le développement d’une technologie numérique. Nos grandes orientations en la matière sont claires : garantir à chacun un accès sûr, neutre et abordable à Internet ; accélérer l’atteinte des ODD à travers l’intégration des usages numériques dans tous les secteurs ; promouvoir l’innovation numérique par un soutien à l’ensemble des acteurs de la filière : acteurs privés, incubateurs, startups et leurs écosystèmes dans les pays du Sud. Les bailleurs ont ainsi un rôle central à jouer pour accompagner ces transitions, maximiser l’impact de ces dynamiques d’innovations, maîtriser les risques associés à la digitalisation de nos sociétés, et favoriser les échanges et les bonnes pratiques entre nord et sud. 3
LES CONTRIBUTEURS
Pierre-Arnaud Barthel,
Seth Berkley,
Chef de projet, AFD
Président-directeur général de Gavi, l’Alliance du vaccin
Pierre-Arnaud Barthel est chef de projet au sein de la division collectivités locales et développement urbain de l’Agence Française de Développement (AFD). Il est notamment en charge des questions numériques en milieu urbain. Ancien maître de conférences en urbanisme à l’Institut français d’Urbanisme (Université de Paris-Est), il a écrit plusieurs articles et participé à des publications collectives consacrées aux pays arabes méditerranéens, notamment : « Expérimenter la "ville durable" au Sud de la Méditerranée » et « Villes arabes, villes durables ? ».
Médecin et épidémiologiste, le Dr Seth Berkley a rejoint en août 2011 Gavi, l’Alliance du Vaccin comme PDG pour devenir le fer de lance de l’organisation dans sa mission de protéger les enfants des pays les plus pauvres en améliorant leur accès aux nouveaux vaccins et à ceux qui sont sous-utilisés. Avant de rejoindre Gavi, le Dr Seth Berkley a fondé l’Initiative pour un vaccin contre le sida (IAVI), premier partenariat public-privé destiné à développer un vaccin contre le sida où il a été président et PDG pendant 15 ans.
Erwan Le Quentrec,
Jean-Luc Perron,
Manager, Laboratoire économie et sociologie des usages (SENSE), Orange Labs
Ex-délégué général de la Fondation Grameen Crédit Agricole, conseiller Yunus Centre
Erwan Le Quentrec anime une équipe de chercheurs spécialisés sur la place et les impacts des TIC dans différents domaines : éducation et formation professionnelle, travail, santé, gestion de la relation client. Outre ses activités de management, il pilote l’innovation collaborative dans le secteur éducatif pour la région Afrique, Moyen-Orient (AMEA). Il est titulaire d’un doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Bourgogne.
4 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Après avoir été conseiller financier auprès du ministre français de l’Agriculture, Jean-Luc Perron entre au Crédit Agricole en 1985, où il occupe différents postes de direction. Il joue un rôle moteur dans la création de la Fondation Grameen Crédit Agricole ; dès sa création en 2008, il en prend la direction en tant que délégué général. Il est aujourd’hui conseiller au Yunus Centre. Ancien élève de l’École Nationale d’Administration, il est par ailleurs diplômé du Stanford Executive Program.
Pierre Casal Ribeiro,
Jean-Michel Huet,
Chargé de mission, Fondation Grameen Crédit Agricole
Associé, BearingPoint
Pierre Casal Ribeiro a rejoint Pacifica et la Fondation Grameen Crédit Agricole en octobre 2014 en tant que chargé de mission assurance agricole, dans le cadre de son doctorat en sciences de gestion à l’Université Paris Ouest - Nanterre La Défense. Sa recherche porte sur les modèles économiques de l’assurance agricole et les partenariats public-privé. Précédemment, Pierre a travaillé dans le conseil en développement durable et pour plusieurs ONG. Il a notamment travaillé pour l’IMF Fondesurco au Pérou, et pour PlaNet Finance à Paris et à Dakar. Pierre est diplômé de l’ESCP Europe et du European Microfinance Programme de la Solvay Business School à Bruxelles.
Associé chez BearingPoint, Jean-Michel Huet est en charge des pays émergents. Il a travaillé pour différentes institutions et conduit des missions liées au développement international, essentiellement en Afrique. Auteur notamment de « Et si les télécoms n’existaient pas ? » (Pearson, 2010) et « Le digital en Afrique » (Michel Lafon, 2017), il a aussi publié de nombreux articles, notamment sur les stratégies d’entrées, le management et la convergence.
Chef de projet, AFD
Le blog ID4D s’adresse à tous les acteurs du développement, du Nord comme du Sud, et plus largement au public intéressé par les enjeux de développement. L’enjeu d’ID4D, lieu d’échange par excellence, est de favoriser le débat d’idées dans un esprit constructif. Les contributeurs du blog sont des experts de l’AFD et d’autres institutions (instituts de recherche, universités, ONG, institutions internationales, Ministères, etc.).
Gwenael Prié est chef de projet numérique au sein de la direction des opérations de l’AFD. Diplômé de l’école d’ingénieurs Télécom ParisTech, il a débuté sa carrière en tant que consultant en télécommunications et systèmes d’information avant de lancer une activité indépendante visant à promouvoir l’usage du numérique pour le développement et à aider les ONG dans leur adoption de solutions mobiles en Afrique. Il est également co-fondateur du collectif d’entrepreneurs « Start-Up Africa Paris » et co-auteur de l’ouvrage « Les voyageurs de l’eau », récompensé par le Prix Jean Rostand 2010.
Depuis 2009, Proparco anime l’initiative Secteur Privé & Développement (SP&D) qui traite du rôle du secteur privé dans le développement des pays du Sud. Déclinée sous forme d’une revue trimestrielle et d’un blog dédié, l’initiative SP&D vise à diffuser les idées et les expériences tant des chercheurs que des acteurs du secteur privé qui apportent une réelle valeur ajoutée dans le développement des pays du Sud.
Gwenael Prié,
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CADRAGE
Quel rôle pour le secteur privé dans l’essor du numérique dans les pays en développement ? J ean-Michel Huet, associé, BearingPoint
Le développement du numérique a été l’une des réussites les plus éclatantes de l’Afrique au cours des quinze dernières années. Si les institutions publiques ont contribué à l’effort (financement des câbles sous-marins par les bailleurs de fonds, développement de services de e-gouvernement) force est de constater que le rôle des acteurs du secteur privé a été déterminant pour ce décollage africain. Mais c’est une histoire qui, avec le développement de l’économie des plateformes, va bien au-delà de l’Afrique.
Cet article a initialement été publié le 26 juin 2017, dans une version raccourcie, sur le blog Secteur Privé & Développement.
S
e lancer dans le numérique nécessite d’abord des réseaux de télécommunication fonctionnels. Le développement de la téléphonie mobile, depuis la fin des années 90, a engendré un changement fondamental. Avec près des deux tiers des Africains dispo-
Avec près des deux tiers des Africains disposant d’une ligne téléphonique et d’un accès à Internet par mobile, les populations africaines sont de moins en moins enclavées.
sant d’une ligne téléphonique1 et d’un accès à Internet par mobile, les populations africaines sont de moins en moins enclavées. Ce succès est en grande partie lié aux actions des opérateurs de télécommunications et notamment des acteurs privés (MTN, Vodafone, Orange, etc.), qui dominent largement le marché africain. Maroc Télécom, avec le soutien de son actionnaire émirati Etisalat, étant le seul opérateur historique à avoir un succès panafricain. En développant un large réseau de distribution indirect, en proposant des offres prépayées, les opérateurs ont ainsi mis en œuvre des solutions qui ont permis de faire décoller les télécommunications comme jamais auparavant dans le continent africain.
1 I l faut se méfier des chiffres officiels, et certains taux de pénétration du mobile supérieur à 100 %, qui ne tiennent pas compte de l’effet « multisim », c’est-à-dire le fait d’avoir plusieurs téléphones pour une même personne.
6 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
LA RÉVOLUTION DU « MOBILE PAYMENT » L’une des autres grandes révolutions numériques est matérialisée par l’apparition du paiement mobile (m-paiement), ou mobile payment. Là encore, ce sont des acteurs du secteur privé qui ont lancé cette offre – Safaricom au Kenya avec M-Pesa, MTN en Côte d’Ivoire ou encore Orange en Afrique de l’Ouest – mais aussi des acteurs bancaires qui ont développé des offres similaires. Une part importante du développement du numérique est aussi portée par quelques grands groupes internationaux qui ont mis en place des services en Amérique du Nord ou en Europe, et qui proposent désormais leurs services en Afrique : la société Uber, bien connue pour son service de véhicules avec chauffeur, est ainsi présente dans une quinzaine de pays en Afrique ; Facebook y propose également ses services, y compris en mode allégé (par le biais de SMS, par exemple). Un domaine semblait jusqu’à présent échapper à la règle : celui du commerce en ligne. Si le géant Amazon est encore peu présent sur le continent, l’arrivée d’acteurs comme Jumia ou Afrimarket permet au e-commerce « à l’africaine » de prendre son essor. À une autre échelle, les start-ups du numérique sont aussi présentes.
L’impact de cette révolution africaine dépasse le continent. En effet, les pays développés regardent de plus en plus le modèle du m-payment africain et se demandent s’il n’est pas applicable chez eux. Le numérique est, avec l’énergie et les fintechs, le secteur clé des start-up africaines. Certaines se développent même dans la production industrielle de terminaux (tablette, smartphone, etc.). Elles sont un souffle nouveau pour le continent. Mais l’impact de cette révolution africaine dépasse le continent. En effet, les pays développés regardent de plus en plus le modèle du m-payment africain et se demandent s’il n’est pas applicable chez eux. Certaines banques centrales ont même annoncé la possible disparition de la monnaie fiduciaire au bénéfice de la monnaie électronique, d’ici 15 ans. Avant cette étape, plusieurs pays (le Pakistan, la Tanzanie ou encore le Maroc) s’engagent déjà dans la construction de plateformes nationales de paiement mobile.
REPÈRES BEARINGPOINT BearingPoint, société européenne basée aux Pays-Bas, est spécialisée dans le conseil en management et en technologie. Couvrant plus de 70 pays, forte de 160 associés, de 4 500 consultants et bénéficiant d’un réseau international de partenaires, BearingPoint est bien implantée en France où elle est un des principaux acteurs sur le marché du conseil opérationnel. La société compte parmi ses clients des entreprises cotées au CAC 40 et les grandes administrations depuis plus de 15 ans.
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QU E L R ÔL E POUR L E SEC TEUR P RIVÉ DA NS L’ E S SOR DU NUM ÉR I QUE DA NS L E S PAYS EN DÉVELOPPEME N T ?
DE L’IMPORTANCE DES PARTENARIATS PUBLIC-PRIVÉ Ces exemples illustrent bien le rôle important du secteur privé dans le développement du numérique. Il ne faut cependant pas croire que cela se fait sans l’intervention du secteur public, généralement dans une phase de régulation ou, dans de rares cas, pour mettre en place l’interopérabilité de services (en Tanzanie ou au Maroc, par exemple). Pour reprendre l’exemple des start-ups, les pouvoirs publics peuvent également être parties prenantes de cette transformation, en favorisant les incubateurs (à Dakar, à Brazzaville) ou en aidant des secteurs spécifiques (l’éducation ou la santé, par exemple). Les investissements publics dans le
L’Afrique numérique n’échappe pas non plus aux partenariats publics-privés (PPP), qui représentent des mécanismes importants de financement de projets.
e-gouvernement (l’administration électronique) sont un exemple marquant du rôle des pouvoirs publics dans le numérique. L’Afrique numérique n’échappe pas non plus aux partenariats publics-privés (PPP), qui représentent des mécanismes importants de financement de projets. Ainsi, les grands projets de transformation de la gouvernance des Etats s’inscrivent souvent dans cette approche : l’utilisation, par exemple, des technologies numériques et biométriques pour la mise en place des états civils et de l’ensemble des documents administratifs (carte d’identité, passeport, etc.). Dans le domaine du numérique, cela revient concrètement à mettre en place une logique d’économie des plateformes, si l’on reprend la définition proposée dans l’ouvrage Platform Revolution2 : « C’est une activité fondée sur la capacité des interactions créatrices de valeurs entre des producteurs et des consommateurs externes. La plateforme fournit une infrastructure ouverte et participative pour ces interactions et fournit aussi les conditions de gouvernance pour celles-ci. »
2 G eoffrey G. Parker, Marshall W. Van Alstyne, Sangeet Paul Choudary, Platform Revolution: How Networked Markets Are Transforming the Economy–And How to Make Them Work for You, New York, W.W.Norton & company, 336 pages, 2016. Pas encore traduit en français la traduction est donc la nôtre. 3 La « National Rural Electric Cooperative Association » a été créée en 1942 et réunit 900 coopératives électriques dans 47 États ruraux. Elle alimente près de 50 millions d’Américains et est historiquement non viable économiquement, avec des impacts négatifs sur le développement des zones rurales américaines.
8 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
UN NÉCESSAIRE TRAVAIL EN COMMUN Le développement en Afrique, qui nécessite de faire travailler acteurs du privé et du public, s’inscrit typiquement dans cette logique de plateforme où il s’agit de fédérer différents apports, provenant à la fois d’acteurs publics et privés, d’institutions établies comme start-ups, afin de proposer des services à différents types de clients/usagers/ citoyens. Les modèles en cours de structuration en lien avec les smart cities, où il s’agit de mettre autour de nouveaux services différents acteurs publics ou privés (transport, énergie, eau, technologie, services de santé, de sécurité, services publics, etc.), sont au cœur de ces exemples d’approche par plateforme. L’étape suivante du développement du numérique en Afrique passe donc par un travail en commun de ces différents acteurs autour des plateformes numériques. Le cas des plateformes numériques, illustration de nouveaux modèles économiques et de ces actions communes privées et publiques, s’illustre aussi hors d’Afrique y compris dans les pays développés. Ainsi l’opérateur britannique BT, privé depuis 33 ans, a proposé d’être la plateforme de monétisation des services de plusieurs smart cities européennes (MK Smart City en Grande Bretagne, Dublin en Irlande). Plus intéressant encore, sa solution est suffisamment performante pour agir dans les zones et secteurs en développement de pays développés. Ainsi BT propose de refondre le modèle économique de la fédération des producteurs d’électricité des zones rurales américaines3, chroniquement déficitaire, en lui permettant une diversification des revenus. Tous ces exemples illustrent une belle entente entre acteurs publics et privés en faveur du développement, en se servant des outils digitaux.
Pour avoir des modèles de développement pérennes, la capacité des acteurs publics comme privés de monétiser de nouveaux services et l’ensemble des données collectées est structurante. [...] La coordination entre acteurs publics et privés sera l’un des éléments clé. L’exemple de la formation illustre aussi ce tournant. La plateforme de contenu éducatif et de micro-master, Edx.org, initiée par Harvard et le MIT et financée essentiellement par des fonds privés, s’exporte depuis cette année en Amérique Latine, au Moyen Orient et en Asie (en Inde et en Chine, notamment). Les applications concrètes qui vont en découler sont nombreuses. Notamment la question fondamentale de la monétisation des données. En effet, pour avoir des modèles de développement pérennes, la capacité des acteurs publics comme privés de monétiser de nouveaux services et l’ensemble des données collectées est structurante. Là encore, la coordination entre acteurs publics et privés sera l’un des éléments clé. La pérennité sera amenée par la capacité d’avoir des modèles de monétisation de ces données (dans un cadre réglementaire défini) et donc de déployer des plateformes permettant de jongler entre des services relevant du service public et d’autres de la sphère privée. Le numérique permet aujourd’hui de rendre les deux compatibles et facilement modifiables, selon le niveau de maturité et de développement.
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ÉTUDE DE CAS
Pour les petits planteurs, une assurance contre les risques naturels P ar Jean-Luc Perron, ex-délégué général de la Fondation Grameen Crédit Agricole, conseiller Yunus Centre Pierre Casal Ribeiro, chargé de mission, Pacifica et Fondation Grameen Crédit Agricole
L’assurance fondée sur des indices de rendement ou météorologiques permet de protéger les petits exploitants agricoles. Cette innovation contribue à améliorer leurs conditions de vie, la sécurité alimentaire et l’adaptation au changement climatique. Mais sa généralisation implique une coopération étroite et à long terme entre les secteurs public et privé.
Cet article a initialement été publié dans le numéro 25 de la revue Secteur Privé & Développement
L
es pays en développement comptent environ 430 millions d’exploitations agricoles de moins de deux hectares. Dans leur immense majorité, elles ne bénéficient d’aucun dispositif d’assurance agricole privée et n’ont pas non plus la possibilité d’avoir recours à des systèmes publics d’indemnisation des calamités agricoles. Pour réduire leur exposition aux risques naturels, ces producteurs s’appuient sur la solidarité communautaire, sur l’épargne de précaution, la diversification des cultures et des sources de revenus. Mais ces pratiques ne les protègent que très partiellement. Elles ont aussi un coût implicite, sous forme de sous-investissement et de moindre rendement.
L’assurance indicielle liée à la pluviométrie Indemnisation Plafond
Lorsque la pluviométrie est inférieure à un certain seuil, l’assuré touche une indemnisation, proportionnelle au déficit pluviométrique, jusqu’à un certain plafond (capital assuré).
Pluviométrie Source : auteurs
10 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Jusqu’à une date récente, ces agriculteurs étaient considérés comme non assurables : les sommes à couvrir étaient trop faibles et les coûts d’administration, de commercialisation et d’expertise trop élevés. Le développement récent (encadré ci-contre) de l’assurance indicielle change la donne. Contrairement à l’assurance traditionnelle, qui fait appel à un expert in situ pour évaluer la perte économique lors d’un sinistre, l’assurance indicielle s’appuie sur des données biométriques (fournies par l’imagerie satellitaire ou par des stations météo de surface) ou sur des données de rendement moyen pour modéliser la perte liée par exemple à une pluviométrie insuffisante (schéma ci-dessous). En supprimant les coûts d’expertise et en réduisant les coûts d’administration, de distribution et de transaction, cette approche innovante met l’assurance agricole à la portée des petites exploitations des pays en développement.
ATOUTS DE L’ASSURANCE AGRICOLE INDICIELLE L’assurance indicielle évite les problèmes d’anti-sélection1 et d’aléa moral2 inhérents à l’assurance traditionnelle. Un agriculteur assuré n’a pas d’influence sur l’indice, qui repose sur des données objectives. Grâce à la réduction des coûts opérationnels, il est possible d’assurer des montants minimes pour de très petites exploitations et d’indemniser rapidement les bénéficiaires. De plus, l’agriculteur est incité à obtenir la meilleure production possible et à mettre en place des mesures de prévention, car son indemnisation ne repose pas sur sa situation individuelle, mais sur l’indice. En prenant en charge une partie des risques, l’assurance permet de déverrouiller la capacité d’investissement des petits producteurs qui pourront opter pour des stratégies plus
Jusqu’à une date récente, les agriculteurs des pays en développement étaient considérés comme non assurables. Le développement de l’assurance indicielle change la donne. rentables et obtenir plus facilement un prêt de récolte. Elle est ainsi un vecteur de développement et de modernisation des exploitations. De plus, lorsque l’assurance est liée au crédit, le capital emprunté est remboursé directement à l’institution financière en cas de sinistre. Ainsi l’emprunteur reste solvable pour la campagne suivante et le risque de défaut de l’agriculteur diminue sensiblement.
Histoire de l’assurance indicielle Le concept d’assurance indicielle, basée sur un indice de rendement, a été théorisé par les économistes Halcrow (1948) et Dandekar (1977). 1993 : les États-Unis introduisent le premier pilote d’assurance indicielle. 1999 : après plusieurs années d’expérimentation avec des indices de rendement, l’Inde déploie le National Agricultural Insurance Program. 2003 : entrée d’assureurs privés sur le marché indien de l’assurance agricole, et premier produit indiciel climatique proposé par ICICI Lombard. Années 2000 : multiplication des projets pilotes à travers le monde. 2009 : création d’un fonds multi-donneurs Global Index Insurance Facility géré par le groupe Banque mondiale et destiné à appuyer le développement du marché de l’assurance indicielle. 2015 : première conférence mondiale de l’assurance indicielle à Paris.
REPÈRES FONDATION GRAMEEN CRÉDIT AGRICOLE La Fondation Grameen Crédit Agricole est née en 2008 à l’initiative du Crédit Agricole et en partenariat avec le Professeur Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix en 2006 et fondateur de Grameen Bank au Bangladesh. Dotée de 50 millions d’euros par le Crédit Agricole, la Fondation intervient en prêts, participations en fonds propres et en assistance technique auprès de 47 institutions de microfinance et de 13 entreprises de social business dans 27 pays en développement, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.
1 Q uand un assureur est incapable de sélectionner les bénéficiaires selon leur niveau de risque, il pratiquera les mêmes conditions tarifaires (prime, indemnisation) pour tout le monde. 2 L’aléa moral désigne les pratiques opportunistes des individus qui, se sachant assurés, limitent leurs efforts de prévention et accroissent leur exposition au risque.
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POU R L ES PETI TS PL ANTE U RS , U N E ASSUR ANC E C ONTRE L E S R I SQUES NATUR EL S
Une chaîne complexe d’acteurs Opérateurs techniques
Assureurs et réassureurs
• Collectent les données • Conçoivent les indices et les polices d’assurance
• Supportent le risque
• Assurent le marketing et le courtage
Canaux de distribution (entreprises agro-industrielles, IMF, banques, coopératives…)
• Distribuent les polices •P articipent aux activités de marketing et d’éducation financière
Agriculteurs • Souscrivent à l’assurance
Source : auteurs
RÉFÉRENCES De Bock, O. et Ontiveros, D., « Literature review on the impact of microinsurance », Microinsurance Innovation Facility, Research Paper, n° 35, 2013. « Make it Rain », Policy Bulletin, Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab, Center for Effective Global Action et Agricultural Technology Adoption Initiative, février 2016. Hazell, P., Anderson, J., Balzer, N., Hastrup Clemmensen, A., Hess, U., et Rispoli, F., « L’assurance basée sur un indice climatique : potentiel d’expansion et de durabilité pour l’agriculture et les moyens de subsistance en milieu rural », Fonds international de développement agricole et Programme alimentaire mondial, Rome, 2010. Mahul, O. et Stutley, C., « Government support to agricultural insurance challenges and options for developing countries », Banque mondiale, Washington, 2010. Sandmark, T., Debar, J. C. et Tatin-Jaleran, C., « Genèse et essor de la microassurance agricole », Document de réflexion, Microinsurance Network, Luxembourg, 2013.
UNE MODÉLISATION DU RISQUE ENCORE DIFFICILE La diffusion de ce nouveau type de produits peut rencontrer quelques obstacles. L’assurance indicielle a besoin de données fiables sur un historique suffisant. Puisque le travail de tarification s’appuie sur une modélisation du risque à assurer, la finesse de la tarification dépend de la qualité des données collectées. Dans de nombreux pays, ces données font défaut, notamment à cause d’un trop faible maillage du territoire en stations météo. Le risque de base – l’écart éventuel entre le dommage estimé par l’indice et la perte réelle subie par l’agriculteur – constitue le principal défi posé par l’assurance indicielle. Cet écart peut être lié à une erreur de calibration de l’indice, à une qualité insuffisante des données ou à la topographie. En outre, l’assurance indicielle agricole nécessite l’implication d’une chaîne complexe d’acteurs (schéma ci-dessus). La création de ce type de produit fait en effet
appel à de nombreuses compétences (climatologues, agronomes, actuaires3). Cette complexité nécessite l’intervention d’opérateurs spécialisés (encadré ci-contre), qui jouent à la fois un rôle de bureau d’étude et d’agent d’assurance. L’assurance indicielle n’est pas adaptée pour gérer certains types de risques, comme le risque de prix. Elle vient compléter d’autres outils, qu’ils soient financiers (notamment des produits d’épargne adaptés) ou agronomiques (semences résistantes à la sécheresse, amélioration des techniques culturales, etc.). Enfin, malgré des coûts d’administration et de distribution faibles, son prix peut constituer une barrière, d’autant plus forte que le concept même d’assurance est souvent inconnu des petits agriculteurs, ou leur inspire une grande méfiance. Par ailleurs, les assureurs locaux doivent trouver auprès des grands réassureurs mondiaux des capacités de réassurance suffisantes à un coût acceptable.
UN MÉCANISME PROMETTEUR À CONDITION DE POLITIQUES VOLONTAIRES L’arrivée de stations météorologiques autonomes à bas coût va améliorer la qualité, la régularité et la granularité4 des données collectées, et les innovations technologiques vont certainement permettre de réduire le risque de base.
Néanmoins, une généralisation de l’assurance indicielle nécessite un soutien fort et durable des États ou des institutions financières de développement, et une coopération étroite entre les grands acteurs publics et privés.
3 U n actuaire est un spécialiste de l’application du calcul des probabilités et de la statistique aux questions d’assurances, de finance et de prévoyance sociale. 4 Qui fait référence au niveau de précision des données.
12 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Dans plusieurs grands pays (Inde, Chine, Mexique), il existe des politiques publiques très volontaristes de soutien à l’assurance indicielle. L’Inde a annoncé, en janvier 2016, sa volonté de porter à plus d’un milliard de dollars annuel le budget public dédié à l’assurance récolte, avec pour objectif de couvrir 50 % des surfaces cultivées (contre 23 % aujourd’hui). Le soutien public peut porter sur le subventionnement des primes d’assurance, mais aussi sur l’investissement dans les biens publics nécessaires au développement de l’assurance indicielle (infrastructures météorologiques, données, recherche et développement), voire sur des capacités additionnelles de réassurance ou de titrisation au niveau mondial. L’intervention financière des pouvoirs publics ne manquera pas de soulever des débats. Mais faut-il rappeler que l’assurance récolte est massivement subventionnée dans la plupart des pays développés, à hauteur de 5,6 milliards de dollars par an depuis 2007 aux États-Unis, par exemple ? Le soutien financier public remplira d’autant mieux ses objectifs qu’il obéira à des règles du jeu stables et prévisibles sur la longue durée, incitant les acteurs privés à s’engager eux aussi résolument dans le développement d’un marché prometteur. Dans d’autres pays, le développement de produits d’assurance indicielle et la création d’opérateurs spécialisés sont soutenus par les organisations internationales. C’est le cas en particulier de la Société financière internationale (SFI), qui gère un fonds fiduciaire dédié : la Global IndexInsurance Facility.
Une généralisation de l’assurance indicielle nécessite un soutien fort et durable des États ou des institutions financières de développement, et une coopération étroite entre les grands acteurs publics et privés. Grâce à l’innovation technologique et à une coopération étroite et de long terme entre le secteur public et le secteur privé, c’est un marché de 430 millions d’exploitations agricoles qui s’ouvre au secteur de l’assurance, avec d’importants effets induits en termes de sécurité alimentaire. Les études d’impact menées dans plusieurs pays (Chine, Inde, Ghana, Malawi, Éthiopie) ont montré les effets positifs de l’assurance agricole pour les agriculteurs : augmentation des surfaces cultivées, de la demande de crédit, de l’investissement et des revenus (De Bock et Ontiveros, 2013 ; J-PAL et coll., 2016). Les gouvernements, les organisations internationales et les acteurs privés ont l’opportunité d’utiliser l’assurance agricole comme un levier pour lutter contre la pauvreté et renforcer la sécurité alimentaire. Elle est aussi un outil prometteur d’adaptation au changement climatique, comme reconnu lors de la COP21. En raison de ses bénéfices économiques et sociaux, l’assurance agricole est d’ailleurs, dans les pays en développement, un excellent « candidat » au financement du Fonds vert pour le climat.
Garantie « semis », l’exemple d’ACRE-Africa Créée en 2014 au Kenya à l’initiative de la Fondation Syngenta, ACRE-Africa a mis au point avec les semenciers une garantie de « re-semis ». La prime d’assurance est intégrée au prix du sac de semences, qui contient une carte avec un code. L’agriculteur active sa couverture en envoyant ce code par SMS. Cela déclenche la géolocalisation de son exploitation et ouvre une période de semis et de germination de trois semaines. Si, au cours de ces trois semaines, les indices révèlent un manque de pluie ayant entraîné l’échec de la germination, l’agriculteur est indemnisé du coût du sac de semences ou reçoit un bon pour obtenir un nouveau sac de semences et replanter au cours de la même saison.
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CHIFFRES CLÉS
Internet dans le monde : où en est-on ? Des utilisateurs en constante augmentation Près de 3,7 milliards de personnes dans le monde disposent d’un accès à Internet en 2017. L’Asie, région du monde la plus connectée, compte 1,8 milliard d’Internautes. En comparaison, le continent africain moins bien connecté compte environ 353 millions d’utilisateurs.
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d’utilisateurs dans le monde en 2017
Source : Internet World Stats, http://www.internetworldstats.com/
Nombre d’individus sans accès ou n’utilisant pas Internet Fin 2016, près de 3,9 milliards de personnes dans le monde n’utilisaient pas Internet. En Afrique, 75 % de la population n’avait pas accès ou n’utilisait pas Internet. 0 à 25 % 26 à 50 % 51 à 75 % 76 à 100 %
33,4 %
Communauté des états indépendants
20,9 % en Europe
58,1 % en Asie et au Pacifique
35 %
en Amériques (nord & sud)
74,9 % en Afrique
58,4 %
au Moyen-Orient
Source : International Telecommunication Union (ITU), « ICT Facts and Figures 2016 », 2016 http://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Documents/facts/ICTFactsFigures2016.pdf
14 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Téléphonie mobile : les pays en développement de plus en plus branchés Forte augmentation du nombre d’utilisateurs de téléphonie mobile De 4,8 milliards en 2016, le nombre d’utilisateurs mobiles dans le monde devrait atteindre 5,7 milliards d’ici 2020. Soit une augmentation de 4,2 % par an durant cette période.
En Afrique, des utilisateurs mobiles de plus en plus nombreux Ils étaient près de 557 millions en 2015 et devraient être 725 millions d’ici 2020, selon les estimations. Sur la même période, l’utilisation de l’Internet mobile en Afrique devrait plus que doubler, passant de 23 % en 2015 à environ 57 %. Pourcentage d’utilisateurs d’internet mobile
Afrique
Monde
60
4,8 MILLIARDS
D’UTILISATEURS
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MILLIARDS
D’UTILISATEURS
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Nombre d’utilisateurs de mobile 557 millions
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589 millions 630 millions
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725 millions
2020
7,9 milliards de cartes SIM étaient activées dans le monde, en 2016. En 2020, il devrait y en avoir 9,7 milliards. C’est plus que la population mondiale !
2019
Source : GSMA Intelligence / The Atlas
Source : GSMA Intelligence / The Atlas
L’Internet mobile contribue au développement socio-économique En 2017, 277 services d’argent mobiles (mobile banking ou mobile payment) étaient disponibles dans 92 pays à travers le monde. L’Afrique subsaharienne en compte à elle seule 144 dans 39 pays. Ils permettent ainsi aux populations non-bancarisées d’avoir accès aux services bancaires.
MILLIARDS DE CARTES SIM CONNECTÉES
MILLIARDS DE CARTES SIM CONNECTÉES
2020
2016
+4 %
augmentation/an sur cette période Source : GSMA, The Mobile Economy 2017
277 SERVICES D’ARGENT MOBILES dans
92 pays dans le monde
Source : GSMA Intelligence
dont
144 SERVICES D’ARGENT MOBILES dans
39 pays
d’Afrique subsaharienne
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OPINION
L’éducation numérique en Afrique : passons à l’échelle supérieure P ar Erwan Le Quentrec, manager, Laboratoire économie et sociologie des usages (SENSE), Orange Labs
Les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) alimentent de nombreux espoirs quant aux nombreux défis que rencontrent les systèmes éducatifs en Afrique. Quelles sont les conditions pour faciliter le changement d’échelle des nombreuses initiatives prometteuses ?
Cet article a initialement été publié le 29 octobre 2015 sur le blog ideas4development.org
E
n 2015, le taux de pénétration du mobile en Afrique est de l’ordre de 80 % et son taux de souscripteur unique est de plus de 40 %. En 2017, près de 350 millions de smartphones devraient être connectés. Un dynamisme profitable à tous les secteurs d’activité : l’agriculture, la santé, la finance ou encore l’éducation en sont déjà impactées. Des centres d’appels prodiguant des conseils aux agriculteurs, des remontées d’informations médicales par SMS, des solutions de paiement mobile changent significativement la vie des utilisateurs. Dans le domaine de l’enseignement, de réelles perspectives se profilent également : mise à disposition de contenus de qualité adaptés aux publics cibles, amélioration de la formation des enseignants, promotion d’une pédagogie centrée sur l’apprenant, facilitation des évaluations et des feed-back ou encore collecte de
16 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
données pour la gestion du système éducatif. D’ici 2020, le marché de la mobile-éducation devrait connaître une croissance annuelle de plus de 50 % en Afrique. Face aux retours d’expériences et aux évaluations encourageantes, les bailleurs de fonds et les gouvernements appuient désormais cette dynamique. Par exemple, l’initiative francophone de formation à distance des maîtres (IFADEM) menée à Madagascar entre 2012 et 2013 et coordonnée par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) a été réalisée en partenariat avec l’Institut national malgache de formation professionnelle (INFP), Orange et l’Agence Française de Développement (AFD). Cet appui gouvernemental et financier est capital pour que les nombreuses initiatives menées au cours des cinq dernières années changent d’échelle. Cependant, il n’est pas suffisant.
FAVORISER L’ACCÈS À L’ÉNERGIE En Afrique subsaharienne, près de 500 millions de personnes (sur un milliard d’habitants) n’ont pas accès à l’électricité. Miser sur les TICE exige donc de répondre à cette exigence énergétique, notamment pour alimenter les smartphones et tablettes plus exigeantes que les mobiles de base. L’équation économique de plus en plus favorable à l’énergie solaire est encourageante. Alors qu’il était d’environ 4 dollars par watt au début des années 2000, entre 2007 à 2014, le prix d’un panneau solaire a chuté à 50 cents par watt. Ce besoin criant d’énergie sera très probablement comblé par un mixage de différentes sources de production électrique (fossile, solaire et hydraulique) et par une extension de sites de production en réseau et hors réseau. Le développement de petits réseaux décentralisés basés sur des
Le développement de petits réseaux décentralisés basés sur des énergies renouvelables sera particulièrement adapté en Afrique subsaharienne, vu les vastes étendues à couvrir. énergies renouvelables sera particulièrement adapté en Afrique subsaharienne, vu les vastes étendues à couvrir. Cet investissement dans l’accès à l’énergie devra s’accompagner d’un renforcement des capacités de maintenance. Faute d’entretien et de formation de techniciens locaux, ces mini-réseaux électriques ne perdureront pas.
METTRE EN PLACE DES SAV Beaucoup d’expériences menées dans les années 2000 ont échoué par manque d’entretien des matériels. La mise en place des services de maintenance du matériel est donc un facteur clé de réussite. Le SAV de ces nouveaux terminaux – d’une plus grande technicité – exige des compétences plus pointues par rapport à
celles mobilisées pour l’entretien des mobiles basiques. Mettre en place ces SAV constitue ainsi une réelle opportunité de création d’emplois qualifiés à valeur ajoutée pour les jeunes, de plus en plus nombreux à suivre une éducation secondaire.
REPÈRES ORANGE LABS Les travaux des chercheurs d’Orange Labs visent à identifier comment les technologies de communication modifient, à court et à long terme, de façon progressive ou radicale, les activités sociales et les marchés. Ces recherches contribuent à orienter le groupe Orange dans la conception de services numériques innovants et répondant aux attentes sociales.
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L’ É D UCATI ON NUM ÉR I QUE E N AFRIQUE : PAS SONS À L’ÉC HEL L E SUP É RIE U RE
INNOVER DANS LES MODES DE FINANCEMENT Le caractère nomade des nouveaux outils (tablettes, ordinateurs portables, connectivité 3G, etc.) et le fait que les familles en sont très largement équipées – ou en cours – bouleversent la pertinence de leur schéma classique de financement, d’équipement et d’usage (définition des besoins en TICE en amont, passation de marchés publics cantonnement de l’usage de ces matériels au sein des institutions d’enseignement). Ne serait-il pas, dorénavant, souhaitable d’inciter au partage (BYOD/apporter vos appareils personnels) de ces équipements entre les familles et
Le mobile learning a d’ores et déjà initié des changements notables et le potentiel des TICE semble immense. Le défi est désormais d’initier des changements de postures.
les institutions scolaires ? Cette interpénétration des usages aura des conséquences sur le partage des coûts entre les collectivités publiques, les familles et les entreprises. Du côté des supports numériques, là aussi, il convient de réfléchir à de nouveaux modèles d’affaires. L’exemple des livres scolaires en illustre la nécessité. L’essentiel des coûts pour les produire en format numérique est supporté lors de la phase initiale de conception. La dématérialisation permettant une reproduction à un coût quasiment nul, on ne pourra plus produire ni facturer ces ressources pédagogiques de la même manière. Cette numérisation oblige aussi à repenser les instruments d’intervention publique (production publique, appel au marché au travers de partenariats public/privé et la stimulation de la dynamique communautaire de création de ressources libres). Il faudra trouver le juste équilibre entre ces trois instruments.
ACCOMPAGNER LES ENSEIGNANTS ET LES CHEFS D’ÉTABLISSEMENTS Les technologies ne sauraient constituer à elles seules une solution miracle. L’analyse de la déjà longue histoire de dispositifs pédagogiques les sollicitant – on pense à la radio ou encore la TV –, rappelle que les possibilités pédagogiques avec les apprenants sont multipliées par la diversité des outils multimédia. Pour autant, l’intégration des TICE ne dépend pas tant des avancées technologiques que de leur appropriation pédagogique.
18 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Cela nécessite de promouvoir non seulement la formation à des contenus techniques mais aussi le développement de ce qu’on pourrait appeler une culture numérique. Le mobile learning a d’ores et déjà initié des changements notables et le potentiel des TICE semble immense. Le défi est désormais d’initier des changements de postures et des coalitions innovantes d’acteurs d’horizon divers.
FOCUS
Couverture vaccinale : innover autrement avec le secteur privé P ar Seth Berkley, président-directeur général de Gavi, l’Alliance du vaccin
Livrer des vaccins par drone dans les zones isolées, planifier leur approvisionnement grâce au mobile et au satellite… Le secteur privé propose des solutions innovantes pour étendre la couverture vaccinale dans les pays en développement.
L
e secteur privé joue un rôle primordial dans le développement des pays les plus pauvres. Générateur d’innovations, d’emploi et de croissance, il est dans bien des cas un partenaire indispensable pour les organisations internationales, les ONG et les institutions publiques qui œuvrent sur le terrain. Dans le secteur de la santé par exemple, et plus particulièrement de la vaccination, le secteur privé est un acteur clé pour développer des solutions innovantes permettant d’atteindre les enfants exclus des vaccins essentiels pour des raisons géographiques ou sociales. Car beaucoup de progrès restent à faire en matière de vaccination. La mortalité infantile a diminué de moitié depuis 1990, et les taux de vaccination atteignent aujourd’hui des chiffres records dans les pays à faible revenu – la couverture vaccinale s’établit dans ces pays, cibles prioritaires de Gavi, autour de 82 %. Mais malgré ces progrès, 1,5 million d’enfants de moins de cinq ans meurent toujours chaque année dans le monde de maladies comme la diphtérie, la coqueluche, les pneumonies à pneumocoque
ou les diarrhées à rotavirus. Des maladies que l’on peut éviter par la vaccination. Rien que la rougeole, qui sévit actuellement en Europe, fait près de 135 000 morts chaque année dans le monde, principalement chez les moins de cinq ans.
Cet article a initialement été publié le 27 avril 2017 sur le blog ideas4development.org
Aujourd’hui, nous ne parvenons donc toujours pas à atteindre avec les vaccins de base le « cinquième enfant », celui qui demeure hors des circuits de santé. Les enfants non protégés par les vaccins voient leur avenir détruit par ces maladies, qui grèvent le budget familial et donc plus largement l’économie des pays concernés. Pour atteindre ces enfants, toutes les solutions sont donc bonnes, et c’est là que l’expertise, notamment technologique et digitale, du secteur privé est cruciale.
Dans le secteur de la santé par exemple, et plus particulièrement de la vaccination, le secteur privé est un acteur clé pour développer des solutions innovantes.
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C O U VERTUR E VAC C I NALE : I NNOVER AUTR EM ENT AVE C LE S E CT E UR P RIVÉ
LIVRER LES VACCINS PAR DRONES DANS LES ZONES DIFFICILES D’ACCÈS
La technologie des drones est pour l’instant utilisée dans les situations d’urgence, mais pourrait être bientôt testée à plus large échelle.
REPÈRES GAVI, L’ALLIANCE DU VACCIN Gavi, l’Alliance du Vaccin, est un partenariat public-privé qui a pour mission de sauver la vie des enfants et de protéger la santé des populations en élargissant l’accès à la vaccination dans les pays pauvres. L’Alliance réunit les gouvernements de pays donateurs et de pays en développement, l’Organisation mondiale de la Santé, l’UNICEF, la Banque mondiale, l’industrie pharmaceutique, des instituts techniques et de recherche, des organisations de la société civile, la Fondation Bill & Melinda Gates ainsi que d’autres partenaires du secteur privé. Gavi a mis en œuvre un certain nombre de mécanismes innovants, dont le cofinancement par les pays bénéficiaires, afin de garantir un financement durable et un approvisionnement adéquat en vaccins de qualité.
Pour arriver à atteindre ce « cinquième enfant » et optimiser, par exemple, la livraison de vaccins dans les endroits les plus reculés de certains pays, les drones peuvent être une solution. Alors que leur usage commercial fait encore débat dans les pays développés, le Rwanda, en partenariat avec l’entreprise américaine Zipline International et le soutien financier de l’entreprise de livraison UPS et de Gavi, a lancé l’année dernière un service d’acheminement d’urgence de matériel médical par drones. Des poches de sang pour répondre à des besoins de transfusions sont ainsi transportées de la capitale Kigali jusqu’aux zones les plus isolées nichées au cœur des montagnes rwandaises. Bientôt ce seront des vaccins contre la rage qui seront livrés, car ce vaccin doit être injecté rapidement en cas de morsure par un animal infecté. Cette technologie est pour
l’instant utilisée dans les situations d’urgence, mais pourrait être bientôt testée à plus large échelle, notamment dans le cadre de l’objectif de vaccination systématique qui est poursuivi par le ministère de la Santé rwandais. Autre exemple d’innovation en matière d’acheminement au Kenya, où un partenariat entre le groupe de logistique DHL et le ministère kenyan de la Santé a été mis en place pour améliorer la fourniture des vaccins dans le pays. L’expertise de la société DHL va permettre d’identifier et de faire disparaître les goulets d’étranglement qui perturbent la chaîne du froid durant l’acheminement des vaccins. En effet, un vaccin efficace est celui qui a été conservé, de la production à l’injection, à une température constante, souvent aux environs de 5 degrés. C’est l’un des défis les plus importants de la vaccination dans les pays en voie de développement. La connaissance de DHL en matière de livraisons express bénéficiera au système sanitaire kenyan et évitera que les efforts fournis pour garantir la disponibilité des vaccins ne soient anéantis sur les derniers kilomètres d’acheminement. Un partenariat qui sera étendu à d’autres pays soutenus par Gavi selon les résultats au cours des trois prochaines années.
ÉTENDRE LA COUVERTURE VACCINALE GRÂCE AU TÉLÉPHONE ET AU SATELLITE Gérer efficacement les stocks de vaccins et améliorer la chaîne du froid sont deux points critiques dans les programmes de vaccination pour lesquels l’expertise du privé est fondamentale. Avec 850 millions d’utilisateurs et un taux de pénétration de 74 % en Afrique, où se situe l’immense majorité des enfants qui échappent à la vaccination, le téléphone mobile est un outil clé pour agir sur ces deux points. En permettant, par exemple, aux parents de déclarer la nais-
20 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
sance de leur enfant, ils donnent la possibilité aux responsables de la vaccination de mieux planifier leur calendrier d’approvisionnement et leur stock de vaccins. Des données envoyées en temps réel sont ainsi collectées et garantissent qu’il n’y ait pas de pénurie dans les centres de santé. Le téléphone facilite aussi la transmission d’information comme des données épidémiologiques ou des informations sur les causes de mortalité ou les taux de vaccination.
Au Pakistan, dans la province du Pendjab, plus de 3 700 personnels de santé en charge de la vaccination ont été équipés pendant plusieurs mois de téléphones appelés E-vacc. Ils ont ainsi pu collecter des informations sur l’âge des enfants, le type de vaccin utilisé ou le taux de couverture vaccinale. Cette technologie leur a également permis, grâce à un système d’imagerie satellite dont sont équipés les téléphones, d’identifier les zones exactes où résidaient les enfants non vaccinés et de diriger les campagnes de vaccination sur ses zones. Le programme de vaccination a ainsi pu atteindre 500 000 enfants
Cette technologie leur a également permis, grâce à un système d’imagerie satellite dont sont équipés les téléphones, d’identifier les zones exactes où résidaient les enfants non vaccinés. supplémentaires en un an. Un succès imputable à la technologie mobile mais aussi aux entreprises privées qui l’ont mis à la disposition du gouvernement du Pendjab.
INFUSE : LA PLATEFORME AU SERVICE DES ENTREPRISES Pour amener l’expertise et les technologies du secteur privé sur le terrain, il faut cependant les connaître et les financer. En 2016 a été lancé au Forum économique mondial de Davos l’initiative « Innovations en faveur de l’utilisation, de l’expansion et de l’équité de la vaccination (INFUSE) ». INFUSE est une plateforme qui met en réseau innovateurs et financeurs, afin d’identifier des solutions pour réduire les iniquités en matière d’accès aux vaccins, et de permettre aux innovateurs de développer ces solutions grâce à la mobilisation de financements privés additionnels. Nexleaf Analytics, l’un des projets phares sélectionnés l’année dernière par INFUSE, a ainsi reçu de l’aide via la plateforme pour nouer un partenariat avec Google.org. L’innovation : un système d’alerte de température sans fil pour les réfrigérateurs à vaccins afin de garantir qu’ils
n’ont pas été exposés à la chaleur et sont donc de qualité et efficaces. Google.org va contribuer à hauteur de 2 millions de dollars au projet (soutien technique et financier). Nexleaf et Google travaillent désormais de concert sur cette technologie qui pourrait avoir un effet majeur sur les taux de couverture vaccinale dans les pays les plus pauvres. Fort du succès de l’année 2016, INFUSE a lancé début 2017 son deuxième appel à candidatures pour recueillir des projets innovants capables d’améliorer les services de santé dans les pays en développement.
INFUSE est une plateforme qui met en réseau innovateurs et financeurs, afin d’identifier des solutions pour réduire les iniquités en matière d’accès aux vaccins.
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A N A LY S E
Révolution(s) numérique(s) : les villes en première ligne P ar Pierre-Arnaud Barthel, chef de projet, AFD Gwenael Prié, chef de projet, AFD
Les données numériques deviennent une ressource essentielle pour bâtir des villes intelligentes et durables, et tous les acteurs urbains doivent en tenir compte. Les acteurs du développement, eux, doivent redoubler d’efforts pour intégrer ce nouveau paradigme et engager des partenariats efficaces et inclusifs autour des données urbaines.
REPÈRES AFD L’AFD est la banque française de développement. Publique et solidaire, elle s’engage sur des projets qui améliorent concrètement le quotidien des populations, dans les pays en développement, émergents et l’Outre-mer. Intervenant dans de nombreux secteurs – énergie, santé, biodiversité, eau, numérique, formation –, l’AFD accompagne la transition vers un monde plus sûr, plus juste et plus durable, un monde en commun. Son action s’inscrit pleinement dans le cadre des objectifs de développement durable (ODD). Présente dans 108 pays via un réseau de 85 agences, l’AFD finance, suit et accompagne aujourd’hui plus de 2 500 projets de développement. En 2016, l’AFD a consacré 9,4 milliards d’euros au financement de projets dans les pays en développement et en faveur des Outre-mer.
Cet article a initialement été publié le 7 mars 2017 sur le blog ideas4development.org
L
a propagation rapide des technologies et services numériques provoque depuis plusieurs années d’importants bouleversements dans toutes les sphères de l’économie et de la société. C’est une véritable révolution qui entraîne la production d’une quantité exponentielle de données par toutes sortes d’objets connectés et par les systèmes d’information auxquels ils sont reliés. Au premier rang de ces objets, on trouve le téléphone portable. En 2000, moins d’un milliard de personnes utilisaient un téléphone portable dans le monde, contre près de cinq milliards aujourd’hui, principalement dans les pays en développement. Jamais une technologie n’a atteint autant de monde en si peu de temps. Jamais une technologie n’a eu un tel impact sur autant de secteurs à la fois. Et avec l’adoption massive des smartphones,
les applications numériques s’invitent de plus en plus dans de nombreux aspects de nos vies. Les villes sont à l’avant-garde de la révolution numérique : elles offrent les meilleures connexions, hébergent les innovateurs publics et privés et leurs premiers usagers – par exemple les citoyens utilisant des applications mobiles pour accéder à leurs comptes bancaires ou pour faire des achats en ligne. Par ailleurs, les équipements et réseaux urbains rejoignent de plus en plus le monde connecté. C’est dans ce contexte que l’utilisation du terme « ville intelligente » s’est répandue comme une traînée de poudre ces dernières années. Si la définition du terme ne fait pas consensus, il existe toutefois un dénominateur commun aux différentes acceptions : la « ville intelligente » est une « ville pilotée par les données ».
DONNÉES NUMÉRIQUES URBAINES, RESSOURCE CLÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE Pour les acteurs du développement, il n’est pas envisageable de conserver nos méthodes de travail traditionnelles face à cette révolution numérique. Nous devons tirer profit de ces données urbaines qui peuvent nous permettre d’avoir une connaissance beaucoup plus fine et détaillée de la ville et de ses habitants, par exemple en matière de mobilité, d’indicateurs socio-économiques ou d’analyse de la pauvreté. L’utilisation de ce nouveau type de données devrait nous permettre d’améliorer les diagnos-
22 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
tics de terrain préalables à l’instruction de nos projets, de concevoir et structurer ensuite des projets urbains plus inclusifs et plus durables et enfin de mieux les suivre et les évaluer. Pour s’adapter à ce nouveau contexte et accompagner cette transition, nous devons également nous engager dans deux voies. Premièrement, il faut encourager la production de données numériques urbaines – par les villes ellesmêmes, mais aussi par les entreprises locales, les associations et les citoyens. Deuxièmement,
il convient de renforcer leur utilisation à des fins très diverses : optimisation de la collecte des taxes, accès libre aux documents administratifs municipaux, réactions en temps réels aux pics de pollution ou de trafic, etc. Prenons un exemple. Dans la ville d’Accra, au Ghana, comme dans la plupart des villes africaines, le transport est l’affaire de minibus qui répondent au nom de « trotros ». Des dizaines de milliers d’entre eux sillonnent la ville chaque jour. Et pourtant, jusqu’à récemment, il n’existait aucune carte de ces lignes de trotros. En 2015, l’Agence Française de Développement (AFD) a décidé d’aider la municipalité d’Accra à mieux connaître ce réseau en finançant une collecte de données géolocalisées recueillies par un groupe
Nous devons tirer profit des données urbaines qui peuvent nous permettre d’avoir une connaissance beaucoup plus fine et détaillée de la ville et de ses habitants. d’enquêteurs équipés de simples smartphones. Grâce aux données collectées, la municipalité a pu produire et partager la toute première carte du réseau de trotros. Et pour aller jusqu’au bout de la logique, les données collectées ont été mises à la disposition d’étudiants et d’entrepreneurs ghanéens qui ont alors pu proposer le développement de nouvelles applications au service de la mobilité dans leur ville.
EXPLOITATION DES DONNÉES : LA NÉCESSITÉ DE NOUVEAUX PARTENARIATS ET D’UNE GOUVERNANCE FORTE Les opportunités de la transition numérique ne doivent pas faire oublier les nouveaux défis et risques associés aux données. Il s’agit bien évidemment de protéger la confidentialité des données à caractère personnel, mais aussi de veiller à l’inclusion de toutes les parties prenantes dans les projets axés sur ces données. Personne ne doit être exclu des nouveaux services faute d’accès à la connectivité ou tenu à l’écart des discussions par manque de compétences numériques. Alors que les données sont de plus en plus présentes dans les conversations sur le développement urbain, tous les acteurs doivent pouvoir faire l’apprentissage de ce nouveau langage. Cela concerne tout particulièrement la sphère publique : alors que les acteurs privés, tels que des plateformes numériques, produisent et traitent une quantité croissante de données, nous devons veiller à ce que les acteurs publics ne soient pas marginalisés dans les mécanismes de plus en plus numériques de fabrication de la ville. Notre principal objectif est de rassembler les acteurs privés et publics autour des données, par exemple au travers de plateformes ouvertes, de clauses d’ouverture des données dans la passation de marchés publics, ou de partenariats favorisant l’utilisation des données du secteur privé dans l’intérêt public. Le Projet OPAL (Open Algorithms) est l’une de ces initiatives : il vise à instaurer une collaboration entre opérateurs de télécommunication, instituts de statistiques et
chercheurs, en vue de l’élaboration de nouveaux indicateurs de développement au Sénégal et en Colombie. Ainsi, en tant que bailleur de fonds, nous devons nous assurer que les autorités publiques nationales et les collectivités locales ont la possibilité et la volonté de jouer un rôle central dans ces discussions autour des données urbaines et de leur utilisation. Nous devons non seulement renforcer les capacités de ces acteurs, mais également les aider à engager et mener des débats sur ces sujets, qui sont essentiels tant pour la compréhension que pour la conception de villes durables.
Alors que les acteurs privés, tels que des plateformes numériques, produisent et traitent une quantité croissante de données, nous devons veiller à ce que les acteurs publics ne soient pas marginalisés dans les mécanismes de plus en plus numériques de fabrication de la ville.
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FOCUS
Accès universel à Internet : quel rôle pour les géants du Web ? P ar la rédaction ID4D
Engagés en faveur d’un accès universel à Internet, Facebook et Google rivalisent d’ingéniosité pour réduire la fracture numérique. Ils se positionnent ainsi comme des acteurs du développement. Mais ces nouvelles ambitions suscitent des inquiétudes.
Cet article a initialement été publié le 25 avril 2017 sur le blog ideas4development.org
I
nternet et les technologies qui y sont associées sont des outils majeurs de développement économique et humain. Ils permettent de travailler plus efficacement, d’apprendre, de chercher un emploi, d’être soigné à distance grâce à la télémédecine… Pour les deux tiers de
la population mondiale qui n’en bénéficient pas, un accès universel à Internet est plus que jamais une attente forte. Facebook et Google cherchent aujourd’hui à répondre à ce besoin. Mais les stratégies qu’ils déploient pourraient remettre en question le principe de la neutralité du Net.
AQUILA, FREE BASICS, LOON : VERS LA FIN DE LA FRACTURE NUMÉRIQUE ? En février 2017, le laboratoire X, détenu par Google via sa maison mère Alphabet, présentait les dernières avancées de son mystérieux projet « Loon ». Révélé en 2013, ce projet entend fournir Internet aux populations rurales les plus isolées grâce à des ballons relais propulsés par le vent à haute altitude. Les premiers tests ont été effectués en 2013 en Nouvelle-Zélande. Depuis, le laboratoire a annoncé avoir signé des partenariats avec l’Australie, le Brésil, l’Indonésie et le Sri Lanka.
L’initiative Internet.org [...] ambitionne de « connecter le monde » grâce à plusieurs outils.
24 SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Facebook n’est pas en reste. L’initiative Internet.org, que le réseau social a lancée en 2013, ambitionne de « connecter le monde » grâce à plusieurs outils. Facebook développe notamment une classe de drones solaires, censés relayer Internet dans les régions reculées. Baptisés « Aquila », ces appareils sont encore en phase d’expérimentation. L’entreprise californienne développe également l’application mobile Free Basics, qui permet aux plus pauvres d’accéder gratuitement à une sélection de sites web de base : cette sélection inclut Facebook, mais pas Google. Pour étoffer son offre, la société tisse des partenariats pays par pays avec des opérateurs locaux de téléphonie mobile.
Ces derniers fournissent de la bande passante et misent sur le fait qu’un accès bridé incitera les utilisateurs à évoluer vers un forfait payant. Free Basics est déjà disponible dans une cinquantaine de pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique latine et d’Asie.
On peut s’interroger en effet sur les enjeux d’une certaine privatisation du Web.
RÉVOLUTION DU DÉVELOPPEMENT OU VASTE PLAN MARKETING ? Les ambitions de Facebook et Google rencontrent toutefois de nombreuses réticences. On peut s’interroger en effet sur les enjeux d’une certaine privatisation du Web où les géants de la Silicon Valley, à la fois fournisseurs d’accès, de services et de contenus, s’arrogeraient une maîtrise sans précédent de l’ensemble de l’information échangée sur Internet. Fin 2015, par exemple, l’Inde a rejeté la proposition de Facebook de l’aider gratuitement à étendre son réseau internet avec Free Basics. S’inquiétant de l’avènement d’un accès à Internet prétendument universel mais en réalité restreint et contrôlé par le réseau social, l’Autorité indienne de régulation des télécoms a jugé le projet irrecevable, soulignant la nécessité de protéger la neutralité du Net pour que les internautes ne
voient pas le monde par le prisme des intérêts commerciaux d’une seule entreprise. Le précédent indien n’a toutefois pas empêché Facebook de s’implanter dans d’autres pays, notamment au Nigeria où Free Basics a été lancé en mai 2016. De leur côté, les solutions aériennes développées par Google et Facebook sont encore loin d’être au point : faible autonomie, navigation imprécise… Lors du point presse de février 2017, le laboratoire X de Google n’a pas voulu préciser quand ses ballons stratosphériques seraient testés par de véritables utilisateurs. Quant à Facebook, il lui a fallu plusieurs mois pour admettre que l’Aquila s’était crashé lors de son premier vol test en juin 2015. L’entreprise avait initialement présenté ce baptême de l’air comme un succès aux médias du monde entier.
REPÈRES ID4D Le blog ID4D s’adresse à tous les acteurs du développement, du Nord comme du Sud, et plus largement au public intéressé par les enjeux de développement. L’enjeu d’ID4D, lieu d’échange par excellence, est de favoriser le débat d’idées dans un esprit constructif. Les contributeurs du blog sont des experts de l’AFD et d’autres institutions (instituts de recherche, universités, ONG, institutions internationales, Ministères, etc.).
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LES ENSEIGNEMENTS DU NUMÉRO
P ar Romain De Oliveira, rédacteur en chef exécutif de Secteur Privé & Développement Payer avec son smartphone ; délivrer des vaccins ou approvisionner en médicaments des zones reculées grâce à des drones ; surfer sur Internet par le biais de son téléphone portable… Ces innovations, bien souvent créées « sur mesure » pour répondre à des besoins particuliers, connaissent un véritable essor dans les pays en voie de développement, aidées par un secteur privé aux allures de partenaire indispensable.
Ces innovations numériques sont une révolution pour les pays du Nord mais peut-être plus encore pour les pays du Sud. Pour ces derniers, elles représentent un véritable levier de développement. Dans ce domaine, le continent africain fait indéniablement figure de moteur. Fin 2016, quand les États-Unis comptaient près de 300 millions d’utilisateurs uniques de téléphones mobiles, l’Afrique subsaharienne dans son ensemble affichait, quant à elle, pas moins de 572 millions d’abonnés. Le signe d’une dynamique au sein même du continent et la démonstration que ces innovations pensées par et pour les pays du Nord ont montré leur efficacité dans les pays les plus pauvres. Preuve en est dans le domaine bancaire, avec la révolution du mobile banking ou mobile payment : le continent africain est aujourd’hui l’un des leaders dans ce domaine et fait même figure de pionnier avec M-Pesa, au Kenya. En 2017, soit 10 ans après le lancement de ce service par l’opérateur télécom kényan Safaricom, près de 70 % de la population adulte du pays sont des utilisateurs réguliers de cette plateforme de paiement mobile.
Ce dynamisme, nous le voyons au travers des différents articles de ce numéro, est profitable à de multiples secteurs d’activité. Dans le domaine agricole, par exemple, un nouveau type d’assurance indicielle (pages 10-13) a vu le jour : basée à la fois sur des indices de rendement et sur des données météorologiques brutes, elle met l’assurance agricole à la portée des petites exploitations des pays en développement, qui en étaient jusqu’ici éloignées. Ces innovations numériques trouvent également un écho dans le domaine de l’enseignement, notamment par la mise à disposition de contenus éducatifs sur Internet. Comme le rappelle Erwan Le Quentrec dans son article (pages 16-18), d’ici 2020 le marché de la « mobile-éducation » en Afrique devrait fortement progresser, affichant une croissance annuelle de plus de 50 % selon les prévisions. Dans le domaine de la santé aussi les innovations technologiques portées par les acteurs du secteur privé laissent présager d’énormes espoirs pour les pays en développement : le Dr Seth Berkley, directeur général de Gavi, l’Alliance du vaccin, témoigne ainsi (pages 19-21) que l’amélioration de la couverture vaccinale grâce aux drones, à la téléphonie mobile et aux satellites n’est plus un futur inaccessible pour la province du Pendjab, au Pakistan. Ces innovations numériques sont une révolution pour les pays du Nord mais peut-être plus encore pour les pays du Sud. Pour ces derniers, elles représentent un véritable levier de développement. Il est fondamentale d’aider ces innovations à voir le jour, et de permettre aux populations et aux institutions de s’en emparer. L’amélioration, voire tout simplement la construction des infrastructures de télécommunications nécessaires pour l’accès à Internet est l’un des axes fondamentaux pour y arriver. Les géants de la
1 Banque mondiale, « Rapport sur le développement dans le monde 2016 : Les dividendes du numérique », 2016
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Silicon Valley que sont Google et Facebook l’ont bien compris : depuis plusieurs années déjà, les deux mastodontes multiplient les projets pour tenter de réduire à la fracture numérique. En effet, selon un rapport de la Banque mondiale1, près de quatre milliards de personnes dans le monde ne bénéficiaient toujours pas d’un accès à Internet en 2016.
Pour que le numérique et les innovations qui en découlent bénéficient au plus grand nombre dans les pays en développement, il est sans doute nécessaire que se développe un environnement propice aux nouvelles technologies : des réglementations adaptées grâce auxquelles un secteur privé dynamique et fort peut jouer un rôle moteur, en étroite collaboration avec les institutions et les pouvoirs publics.
SP D Depuis 2009, Proparco anime l’initiative Secteur Privé & Développement (SP&D) qui traite du rôle du secteur privé dans le développement des pays du Sud. Déclinée sous forme d’une revue trimestrielle et d’un blog dédié, l’initiative SP&D vise à diffuser les idées et les expériences tant des chercheurs que des acteurs du secteur privé qui apportent une réelle valeur ajoutée dans le développement des pays du Sud.
Les cinq derniers numéros de la revue Numéro 27 Vulnérabilités et crises : quels rôles pour les entreprises ? Numéro 26 Le secteur portuaire en Afrique : plein cap sur le développement Hors-série Les producteurs privés d’électricité : une solution pour l’Afrique ? Numéro 25 L’assurance en Afrique : un futur à construire Numéro 24 Le transport aérien au cœur des enjeux africains
Des contributions récentes du blog Quel rôle pour le secteur privé dans le développement du numérique en Afrique ? Jean-Michel Huet, associé chez BearingPoint
Pour sauver le Gange, l’indispensable transformation des modèles institutionnels et économiques Jérôme Bossuet, ingénieur agronome
La production privée d’énergie renouvelable en Afrique : une alternative crédible aux projets classiques ? - Hugues de La Forge, associé du cabinet Holman Fenwick Willan Le développement hôtelier en Afrique : un formidable potentiel de rendement pour les investisseurs - David Harper, associé fondateur Hotel Partners Africa
Accord de Kigali : avancée concrète pour le Climat et opportunité pour le secteur privé Laura Verdier, ingénieur-conseil indépendant, LVR Consulting
Vidéo
Reportage chez Cobra, la plus grande ferme éolienne du Pérou BLOG.SECTEUR-PRIVE-DEVELOPPEMENT.FR
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SP D
SEPTEMBRE 2017
Secteur Privé & Développement (SP&D) est une revue trimestrielle destinée à analyser les mécanismes par lesquels le secteur privé peut contribuer au développement des pays du Sud. SP&D confronte, à chaque numéro, les idées d’auteurs aux horizons variés provenant du secteur privé, du monde de la recherche, d’institutions de développement ou de la société civile. Un blog a été lancé dans la continuité de la revue afin d’offrir un espace de réflexion et de débats plus large sur le secteur privé et sur le développement.
blog.secteur-prive-developpement.fr