COVER SIPA PRESS
Trimestriel QUARTERLY WITH ENGLISH TEXTS
SOME THING WE AFRI CANS #1
2017
Fr 25 € FCFA 25 000
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Emeka Ogboh NIGÉRIA FOOD IS R€ADY, 2015/2016, Neon LE JOUR QUI VIENT
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founder & art director picture editor & layout editor in chief
anna-alix koffi rédaction en chef editor in chief direction du dossier Algérie " Algeria " conducted by
seloua luste boulbina secrétariat de rédaction subediting
claire le breton conception graphique graphic design
arnaud maillard version anglaise english text
melissa thackway inka ernst coordinatrice coordinator
pauline noguès web
pierre-mohamed pettit
guest picture editor
stef yamb
editor at large
olivia marsaud
contributeurs contributors Olivia Marsaud, Victor Coutard, Stef Yamb, Jareh Das, Eva Barois De Caevel, Bado Ndoye, Virginie Ehonian, Yves Chatap, Ana Welter, Mélody Thomas, Daniel Dunson, Joseph Gergel, Séverine KodjoGrandvaux, Marie-Ann Yemsi, Françoise Vergès publicité advertising reclame@somethingweafricansgot.com contact & subscriptions hello@somethingweafricansgot.com instagram somethingweafricansgot_arts facebook something we Africans got web somethingweafricansgot.com bureau Paris office +33 9 73 65 95 50 bureau Abidjan office abidjan@somethingweafricansgot.com something we Africans got est une publication trimestrielle de OFF the wall (OFF society) – 33, rue Hauteville, Paris 10, SAS au capital de 1 000 euros - RCS Paris 798 661 054 ISSN en cours
MBAYE BABACAR DIOUF SÉNÉGAL L'ARBRE GÉNÉALOGIQUE,2016 GALERIE ATISS ART PARIS ART FAIR
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sommaire content we are 54 Algeria
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& the Nether lands cultural bonds hollandaise at raw material company wax, wax, wax angèle etoundi essamba the imagery of viviane sassen
Imane Farès, Alicia Knock, Simon Njami, Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, Sindika Dokolo, Fanny Viguier, Louis Philippe de Gagoue / Kader Attia, Louisa Barbari, Katia Kameli, Ammar Bourras, Gilles Fuchs, Selma Hellal, Alice Cherki, Yassine Qnia & Soufiane Adel, Sofia Djema, Rémi Astruc, Olivier Hadouchi, Nadira Laggoune-Aklouche, Collective 220, Ferhat Bouda, Camille Millerand, Bruno Hadjih, Mohamed Rouani, Nadia Meflah, Habdenour Hocine, Samia Zennadi, Mustapha Benfodil, Marc Riboud, Samir Toumi, Yacine Teguia, Hellal Zoubir, Saïd Aït-Hatrit / Angèle Etoundi Essamba, Angela Tellier, Dagmar Van Weeghel Chacune des œuvres publiées dans ce numéro est strictement soumise aux droits d’auteur et et de la propriété intellectuelle ne saurait être reproduite, même partiellement, sans l’autorisation de son auteur ou représentant. Each photograph or art piece published in this issue is subject to copyright and shall not be reproduced, even partly, without its author’s (or representative’s) consent.
nelson mandela SIPA PRESS
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FRANÇOIS-XAVIER GBRÉ CÔTE D'IVOIRE WO SHI FEIZHOU - JE SUIS AFRICAIN, 2016 GALERIE CÉCILE FAKHOURY AFRIQUES CAPITALES
ED VAN DER ELSKER NIGERIA, 1959 JEU DE PAUME
soly cissé SENEGAL FONDATION DONWAHI ART PARIS ART FAIR
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LOUIS PHILIPPE DE GAGOUE CÔTE D'IVOIRE - CAMEROUN
youcef krache 20 CENTS ALGERIE
collectionneur d’art contemporain sindika dokolo
L’Afrique n’est-elle qu’une tendance ? On « redécouvre » l’Afrique régulièrement… comme s’il n’y avait jamais rien eu avant ! Il y a clairement un effet de mode si on regarde l’impact du marché de l’art. On a assiste à l’émergence de nouveaux consultants spécialisés. Le marché est toujours à la recherche du « nouveau truc » qui marche. Il y a eu les phénomènes de l’art russe, puis chinois. C’était une stratégie délibérée des marchands qui ont essayé de créer l’appétit et la curiosité pour faire monter les cotes des marchés émergents. C’est une immense opportunité pour les artistes qui n’ont pas accès aux grandes biennales et galeries, mais ça peut vite tourner au feu de paille. Une fois qu’on a ouvert le potentiel d’un marché, il sèche sur pied… On observe des cycles de trois à cinq ans dans ce genre de mode. Tout dépend des collectionneurs nationaux, qui sont ou non capables de prendre le relai. C’est ce qui s’est passé en Chine. Les collectionneurs locaux ont acheté, ce qui a permis d’asseoir les cotes et de donner plus de visibilité à certains artistes. Ce sera l’un des secteurs déterminants du marché africain de l’art contemporain. Est-ce que l’intérêt international actuel va réussir à susciter celui des Africains ? La demande locale va-t-elle prendre le relais ? Je ne suis pas sûr que les raisons sur lesquelles se fonde cet engouement soient des facteurs de qualité. Ce qui me dérange, c’est d’abord qu’il y a toujours ce penchant pour l’exotisme. Dans l’art contemporain venu d’Afrique, on recherche encore une certaine idée de l’exotisme, du « bon sauvage », de l’artiste autodidacte et analphabète qui ne connaît pas l’histoire de l’art, qui n’est pas encore touché par la culture globale. C’est rafraîchissant, mais à ce moment-là, autant collectionner les timbres. La deuxième chose qui me dérange, c’est qu’investir dans ces artistes est encore considéré comme un risque car les artistes africains ne sont pas capables d’exprimer ce qui les rend uniques, importants, précieux, ni de mettre en avant leur valeur intrinsèque. Résultat : ce sont eux qui mettent en place les bases de cet exotisme.
National Portrait Gallery 23/6 - 30/9 Samuel Fosso PREMIÈRE PRÉSENTATION PARTIELLE DE ( SÉRIE SIXSIXSIX, 666 AUTOPORTRAITS EN FILM INSTANTANÉ (PO(ROÏD)
La question de l’art « africain » est devenue un piège. Dans son essai Léopold Sédar Senghor : L’art africain comme philosophie, Souleymane Bachir Diagne cite Picasso qui raconte sa première rencontre avec l’art classique africain sur l’esplanade du Musée de l’Homme. Il dit qu’en voyant la statuaire africaine, il a compris la puissance de l’art d’exorcisme. Et que Les Demoiselles d’Avignon est sa première œuvre d’exorcisme. On a oublié à quel point les sociétés africaines sont celles qui, dans le monde, entretiennent le lien le plus poussé, le plus complexe et le plus subtil avec l’art parce que l’artiste avait la prétention de donner une forme à un esprit, à une force. C’est ce qui me fascine dans l’art classique. Je possède certaines pièces tellement puissantes que votre vie émotionnelle n’est plus la même après les avoir vues. Le jour où les artistes contemporains se réapproprieront
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cet art d’exorcisme, ils gagneront en qualité et on sera bien loin de l’art anecdotique qui peut encore exister. Dans cette optique, je prépare une exposition à Luanda qui mélangera œuvres classiques et contemporaines pour la fin de cette année. J’en suis le co-commissaire avec l’artiste sud-africain Kendell Geers et l’artiste angolais Fernando Alvim. La clé transversale sera le puissant art de l’exorcisme. Je veux que ce soit une expérience initiatique et un parcours émotionnel. Ce n’est pas de l’art de présentation, d’exposition, mais de l’art de communion basé sur la performance et l’expérience. Le masque devient œuvre d’art dès lors qu’il est porté et utilisé pendant une cérémonie. C’est le moment où l’esprit habite le masque. J’ai envie de revenir aux sources, de récupérer cet héritage. Ça participe au débat sur la place de l’art dans nos sociétés. Avec la Triennale d’art contemporain de Luanda, nous touchons entre 50 000 et 70 000 scolaires. Malgré des infrastructures limitées, nous touchons un large public. Alors que dans une ville comme Paris, avec une densité folle de propositions artistiques et de lieux, l’art ne touche pas nécessairement autant les populations. Ce n’est pas étranger à notre tradition de relation à l’art… Je pense que les artistes africains doivent transcender la mode actuelle, la marque de fabrique « made in Africa ». Ils doivent continuer à s’affranchir de l’approche occidentale de l’art qui est, selon moi, une émasculation de notre potentiel artistique. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’eunuques artistiques… Il faut arrêter de vouloir faire du concept à tout prix, de chercher à se rassurer dans les yeux des autres. Nous devons entretenir un rapport plus pur, plus décomplexé et plus vrai à la création. Faire de l’art avec ses tripes et pas seulement du bout des doigts. Que les artistes profitent de cette mode pour se remettre en cause ! Sinon, elle n’aura aucun intérêt, ni pour eux ni pour les collectionneurs. Propos recueills par Olivia Marsaud Texte publié dans Arles paper OFF the wall pour les Rencontres d'Arles 2016
Olivia Marsaud, France. Journaliste de formation et spécialiste de l'Afrique et du monde arabe, elle est désormais responsable de la production et conseillère artistique du Centre Culturel Franco-Nigérien Jean Rouch à Niamey
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un printemps africain ? eva barois de caevel Paris 2017 : à marcher dans les rues et à arpenter les couloirs du métro, à ouvrir les journaux et les revues, à visiter musées et centres d’art, ou simplement à travailler, impossible d’échapper à l’annonce de son arrivée imminente. Le « printemps africain ». Il se profile dans la capitale, accompagné d’articles, d’affiches, de programmations et de brouhaha médiatique. Bien sûr, je suis la première à me montrer curieuse et enthousiaste : le plaisir de retrouver les œuvres d’artistes que j’aime, de partager ce plaisir avec des ami.e.s et collègues, le plaisir de participer (et pour être tout à fait honnête, ce printemps africain, telle une hirondelle précoce, m’a même déjà fait gagner quelques sous). Et pourtant, aussi, à son approche : tristesse et perplexité. Pour commencer, je reste contrariée par l’utilisation de l’expression « art africain », un débat que je ne parviens pas à juger superflu ou dépassé. Je lui accorderais de l’être si l’expression ne me semblait pas un outil manipulable à loisir, et de manipulation, le plus souvent aux dépens des principaux/ales intéressé.e.s. Car l’art africain est-il l’art fait par des Africain.e.s ? Fait en Afrique ? Fait par des Caribéen. ne.s aussi ? Fait par des artistes issu.e.s de la diaspora africaine ? Ou l’art fait par des noir.e.s, des métisses et des arabes ? C’est bien souvent comme ça arrange le mieux les blanc.he.s. Soit. Peutêtre que la question qui me tracasse le plus, en fait, est surtout la suivante : pourquoi a-t-on encore besoin de regrouper des œuvres, et donc des individus, sous un label géographique lorsqu’il s’agit d’Afrique ? On a fait des expositions d’Américain.e.s, mais il fallait qu’ils et elles soient expressionnistes ; des expositions de Russes, mais il fallait qu’ils et elles nous viennent des avant-gardes. Pourtant, le mot « Afrique » parade dans nos institutions doté d’une telle aura qu’il lui suffit d’être présent dans un titre ou un soustitre d’exposition pour faire apparemment sens, ou simplement pour titiller un imaginaire bien français (ce mois-ci à Paris plus ou moins attifé, accolé à d’autres mots ou expressions, ou encore au pluriel). Car c’est une longue tradition ici, comme on aime l’AOP, que de ranger les racisé-e-s, ceux et celles de l’ailleurs, sous de jolis titres qui sentent le terroir (et parfois la banlieue). C’est aussi un coup classique de l’empire, ça claque au vent comme le nom des pavillons des expositions coloniales, c’est clair et on a la main sur la situation ; et ça attire les foules. Donc, pour ce printemps africain 2017, on pourra allègrement courir, encore, de pavillon en pavillon. Et à l’intérieur, chacun se défendra d’essentialiser et haussera les épaules. Vision bien sombre soudain. Et si ces quelques signes avant-coureurs de mon malaise étaient les symptômes de quelque chose de bien plus grave ? Nous réjouirions-nous, en réalité, de l’approche d’un printemps impérial ? Les artefacts des ex-colonisé.e.s seront dans Paris, pour la joie des foules et des connoisseurs, et on se gardera bien de faire la différence entre des artistes qui existent sur la scène internationale de l’art presque que comme n’importe quel.le.s autres (je veux dire par-là qu’ils ou elles sont passé.e.s par les instances de légitimation dominantes, maîtrisent les codes de l’exposition et du discours sur l’art selon ces instances, sont conscient.e.s de leur place au sein d’un marché international
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comme des enjeux de ce même marché), et des artistes qui sont avant tout des représentant.e.s de ce que l’Occident a défini comme « art brut » (pas seulement des autodidactes, mais des artistes auxquel.le.s on pouvait réserver un traitement différent : paternalisme, chaperonnage, chantage à la production, rapport maître/élève et bienfaiteur/trice/assisté.e). Dans les deux cas, les dominé.e.s n’échapperont pas à l’impérialisme. Dans les deux cas, les chasseur.se.s de têtes, les missionnaires culturel.le.s d’aujourd’hui auront bien fait leur travail. Qu’ils/elles soient parti.e.s à l’aventure dans quelque trépidante et dangereuse capitale africaine – voire dans la brousse – ou en hélicoptère à Johannesburg, maintenant, on met les moyens. La chair fraîche africaine rapporte encore. Ce printemps sera celui où l’homme et la femme blanc. he.s, fatigué.e.s après plusieurs années à arpenter des expositions où se développaient les récits d’une seule et unique épistémologie (que l’Occidental-e connaît bien, qu’il/elle a créée et imposée au reste du monde, quelque chose comme « l’art pour l’art »), où ils/ elles devaient tourner autour de deux bouteilles de bière posées au sol, d’un fil d’acier tendu au plafond et de trois blocs de béton dans lesquels ils/elles s’étaient cogné.e.s (ils/elles étaient en train de regarder le plafond), pourront s’ébaubir et se griser de formes et de couleurs, d’une incroyable créativité, ou d’une somptueuse réinterprétation contemporaine de l’artisanat ; et le tout sans mauvaise conscience (après tout, ces gens-là n’en sont pas exactement au même point que nous). Pour les plus audacieux-euses, il y aura la satisfaction concomitante de savoir qu’il existe des évolué.e.s, comme au bon temps des plantations : ceux et celles-là qui font des vidéos, des performances, comme des Occidentaux-ales. À l’aise dans le « cube blanc » (ont-ils/elles eu le choix ?), ils nous rassurent : pas d’essentialisme, le monde est bien mondialisé, le global est bien globalisé. Quant à moi, je pose vraiment des questions gênantes et déplacées en insinuant qu’on puisse se délecter, dans le même temps, de l’idée que le bon sauvage soit à la fois encore un peu à la ramasse et capable de nous singer. Paris 2017 : un printemps où la bienséante bienveillance fera loi, et où on ne pourra que dire que tout cela est excellent. Excellent pour le marché de l’art africain (mais qui le contrôle et à qui rapporte-til ?), excellent pour tou/te.s ces artistes (vraiment ?), et excellent pour tous ceux et celles qui capitalisent dans l’affaire (qui ?). Je n’ai plus vraiment le cœur à la plaisanterie, alors que je termine ce paragraphe car tout cela fait signe vers une implacable idéologie à laquelle, encore une fois, on n’échappera pas : celle-là même qui consiste à penser et/ou à faire croire que le développement et la diffusion de l’art africain sont quelque chose de fondamentalement et de nécessairement bénéfique aux Africain-e-s (cela s’accompagnant d’un certain nombre de tours de passe-passe, par exemple l’idée selon laquelle ce développement et cette diffusion sont mis en œuvre de manière pleine et indépendante par des Africain-e-s eux/elles-mêmes, participant ainsi à les priver de la possibilité même de formuler une quelconque forme de réclamation). Notre « printemps africain » est fait, lui qui se présente sous son meilleur jour, de cette idéologie imposée par ceux et celles qui ont toujours été à même d’exercer une domination et le droit autoproclamé au pouvoir sur la vie d’autrui, construite par les mêmes qui ont systématiquement détruit les cultures et les univers concrets de groupes d’individus. Pendant la colonisation, le talent et la force de travail des dominé.e.s ont été employés à la construction de mondes dont ils ne pouvaient espérer tirer ni bénéfice ni reconnaissance. Dans tous les systèmes impériaux, des hommes et des femmes se sont ainsi trouvé.e.s dépouillé.e.s d’une place au monde, dépouillé.e.s également d’un monde où ils/elles pourraient avoir leur place, garantie, parmi des objets et des gens qu’ils/elles pouvaient reconnaître et qui pouvaient les reconnaître comme n’étant pas seulement la propriété d’un tiers, une unité de main-d’œuvre ou une source de revenu fiscal. Le premier dénomi-
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artiste, légende
Mohssin Harraki CASAB'NCA, 2009 COURTESY DE L'ARTISTE ET GALERIE IMANE FARÈS UNTITLED 2 , 2014
galerie imane farès Elle est passée devant cette vitrine de la rue Mazarine pendant des années. Et pendant des années, elle s’est imaginée, là, exposant des artistes. Le jour où elle a vu la pancarte « À louer » sur la devanture, c’était parti. Elle pouvait ouvrir sa galerie. Elle achète les murs en 2008 et se lance en 2010. Il est des personnes qui forcent leur destin et Imane Farès appartient à cette catégorie car rien ne la prédestinait à devenir galeriste. Elle ne vient pas du sérail : née à Dakar au sein d’une famille libanaise installée depuis plusieurs générations au Sénégal, élevée au Plateau, diplômée d’une maîtrise en Business Administration, elle est d’abord devenue femme d’affaires. À la tête de sa société d’import-export de matières premières, et plus habituée à négocier la tonne d’acier que la cote d’un artiste, elle a pourtant commencé à collectionner. Dans son appartement parisien,
première antichambre de sa passion pour l’art, les murs parlent d’eux-mêmes : toiles, encres, sculptures… Ses coups de cœur ne se sont jamais cachés. Réconciliant sa double culture – africaine et orientale – avec bonheur, sa galerie est aujourd’hui le seul espace parisien dédié à la scène artistique contemporaine issue d’Afrique et du Moyen-Orient. On y trouve notamment le Libanais Ali Cherri, un artiste qu’Imane accompagne depuis l’ouverture de la galerie. Né en 1976 à Beyrouth, il utilise la vidéo et les installations. Sa deuxième exposition personnelle à la galerie en janvier 2014, On Things that Move, était un subtil mélange d’analyse géopolitique et de poésie… Ce dernier dit d’Imane qu’elle est « perfectionniste et qu’elle travaille par amour. C’est aussi ce qui fonde ses rapports avec nous. Nous ne sommes pas dans une relation Basma Alsharif UNTITLED, 2014 COURTESY DE L'ARTISTE ET GALERIE IMANE FARÈS
afriques capitales écrire des histoires
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simon njami Métropolis, du 29 mars au 28 mai 2017 à La Villette à Paris, rassemble plus de dix productions spécialement réalisées pour l’exposition, dont plusieurs œuvres monumentales et une soixantaine d’artistes, toutes générations confondues : Pascale Marthine Tayou, William Kentridge, Akinbode Akinbiyi, James Webb, Leïla Alaoui, Mimi Cherono Ng’ok, Lavar Munroe, Hassan Hajjaj, Abdoulaye Konaté… Parmi eux, nombreux seront exposés pour la première fois en France. Vers le cap de Bonne-Espérance s’écrit à la gare Saint-Sauveur de Lille du 6 avril au 3 septembre 2017 dans le cadre du « Printemps 2017 » avec lille3000. Les artistes : Kwame Akoto, Leïla Alaoui, Heba Amin, El Anatsui, Joël Andrianomearisoa, Nicola Lo Calzo, Mimi Cherono Ng’ok, Theo Eshetu, Gopal Dagnogo, Modupeola Fadugba, Meschac Gaba, Jellel Gasteli, Pélagie Gbaguidi, Kendell Geers, Hassan Hajjaj, Nicholas Hlobo,Délio Jasse, Katia Kameli, Kiluanji Kia Henda, Abdoulaye Konaté, Moshekwa Langa, Michèle Magema, Fatima Mazmouz, Emo de Medeiros, Hassan Musa, Paul Alden Mvoutoukoulou, Mwangi Hutter, Moataz Nasr, Cheikh Ndiaye, Aimé Ntakiyica, Pumé, Émilie Régnier, Andrew Tshabangu, Freddy Tsimba et Amina Zoubir.
PAUL ALDEN MVOUTOUKOULOU CONGO MEDECINE BLUES, 2017 AFRIQUES CAPITALES
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JOËL ANDRIANOMEARISOA MADAGASCAR - FRANCE THE (BYRINTH OF PASSIONS, 2015 INSTAL(TION MIX MEDIA - PAPER COL(GE ON CANVAS COURTESY JOËL ANDRIANOMEARISOA & SABRINA AMRANI GALLERY MADRID AFRIQUES CAPITALES
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constellation(s) africaine(s) sous le ciel de paris Ce printemps a lieu à Paris une extraordinaire conjonction de trois événements majeurs ayant pour vecteurs l’art et l’Afrique. C’est une traversée inouïe de par sa diversité et la profusion de la création artistique africaine qui nous est offerte. Au Parc de La Villette au nord de Paris, une soixantaine d’artistes s’exposent à travers différents médias : peintures, photos, installations, vidéos, sculptures et créations sonores dans l’exposition Afriques Capitales dédiée aux métropoles africaines. Elle est produite dans le cadre du Festival 100 % Afrique de La Villette, qui comprend également de la musique, de la danse et du théâtre, ainsi que des ateliers et activités pour le jeune public. Au Grand Palais, l’Art Paris Art Fair 2017 a pour intitulé Africa Guest of Honour à travers la sélection de galeries et d’artistes issus du continent africain et des diasporas. Un symposium, un projet vidéo et une exposition hors-les-murs complètent cette exploration pour offrir d’autres perspectives sur l’énergie et la fertilité créative du continent. À la Fondation Vuitton, Art/Afrique, le nouvel atelier se déploie en trois volets : un choix d’œuvres de la collection d’art africain de Jean Pigozzi, la scène sud-africaine à travers plusieurs générations d’artistes (dont un catalogue sera publié), et pour le troisième volet, la présentation d’œuvres de la collection de la Fondation liée à l’Afrique ainsi qu’à sa diaspora. D’Accra à Nairobi, de Lagos à Jobourg, de Dakar à Tanger, l’art nous permet de saisir le pouls des sociétés. Il dessine des mouvements de fond qui traversent et nourrissent la complexité ainsi que la pluralité des sociétés africaines. « L’artiste est antenne et catalyseur… Il cristallise des visions, des idées et des expériences latentes et les manifestent », disait récemment Emo de Medeiros, qui sera présent à La Villette. Il s’apparente à une investigation de l’existence humaine individuelle et collective. Dans notre relation au monde, l’art est ce qui relate, puis ce qui relie. Notre monde contemporain est une interpénétration des cultures et des imaginaires, une coprésence. Il ne serait ici question de cartographier la création contemporaine africaine, même si des axes forts apparaissent. Nous en évoquerons furtivement quelques-uns à travers des artistes présents à l’un de ces trois événements. Des circulations s’opèrent entre ces différentes aires ou modulations.
GODFRIED DONKOR GHANA THE HARDER THEY COME AFRIQUES CAPITALES
UNBELIEVABLE II
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NAMSA LEUBA GAMBIE - SUISSE GALERIE IN CAMERA MOIS DE ( PHORTO DU GRAND PARIS
L’un de ces axes est la « rencontre des mondes », ou « spirits in the wind » pour reprendre le titre d’une expo de Soly Cissé, qui viendra lui aussi à Paris ce printemps avec une exposition personnelle intitulée Les Mutants au musée Dapper. Elle montre l’humain inscrit dans une cosmogonie. Elle peint la trace de l’invisible. Un espace où, chez de nombreux artistes, les signes de la mondialisation dialoguent avec des symboles et référents issus du religieux africain. De Ouattara Watts à Soly Cissé en passant par Emo de Medeiros, qui déploie ce dialogue à travers différents médias incluant les nouvelles technologies, ce carrefour des mondes a eu de fructueux prolongements dans la production artistique africaine. Les studios photo ont été le centre névralgique d’une écriture visuelle africaine. Les figures tutélaires, de Malick Sidibé à J. D. ‘Okhai Ojeikere, continuent à exercer une influence considérable sur le travail des jeunes générations. Ils sont les archives et les sismographes de leurs époques, l’inspiration des générations suivantes. Le textile et les tentures représentent aussi un aspect incontournable de la production africaine. D’Igshaan Adams à Abdoulaye Konaté, nous aurons la chance de pouvoir découvrir certaines
pièces de visu. En Afrique, l’art de la tenture connaît son prolongement dans les agencements monumentaux d’El Anatsui et plus récemment d’Ibrahim Mahama. Une grande part de la peinture produite en Afrique, dont Chéri Samba est peut être le représentant le plus connu, est faite à partir de scènes figuratives du quotidien creusant des enjeux existentiels. Billie Zangewa prolonge ce courant à travers la tapisserie et les soies brodées. À propos de son travail, la galerie Imane Farès a écrit : « Billie Zangewa s’intéresse aux relations humaines émancipées et à l’urbanité. Son matériau de prédilection est le textile. Elle recycle les chutes de soie pour créer des œuvres cousues et brodées de l’ordre de la tapisserie contemporaine. Ses récits quasi cinématographiques sont figuratifs, et inspirés des domaines de la mode et du graphisme. Tels des épisodes d’un journal intime d’une grande immédiateté, des fragments de textes manuscrits sont tissés sur ces surfaces asymétriques. Elle plaide pour la liberté d’action et de pensée. »
BILLIE ZANGEWA AFRIQUE DU SUD ŒUVRE UNIQUE AFRONOVA ART PARIS ART FAIR
art paris art fair horizons africains
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marie-ann yemsi
franck abd-bakar fanny CÔTE D'IVOIRE ANOTHER DAY WITHOUT YOU, 3 ART PARIS ART FAIR
Au moment où l’édition d’Art Paris Art Fair se tient sous la verrière du Grand Palais, c’est une capitale tout entière qui met l’Afrique à l’honneur, à l’unisson du focus thématique de la foire. Un foisonnement de projets et d’expositions vient témoigner de la richesse de la création artistique contemporaine issue d’un continent qui s’affirme inventif, novateur et fécond. Cet investissement inédit des institutions parisiennes marque un tournant important en France. Cependant, cet engouement récent, qu’il soit celui du marché, des institutions ou du grand public, révèle un certain retard du regard sur la création africaine contemporaine dans l’Hexagone. Que sait-on vraiment de l’art de ce continent et de son histoire, dont les représentants des périodes modernes et contemporaines ont été très peu montrés ? À l’heure où vont s’engager tant de rencontres avec des artistes contemporains africains et des diasporas, il nous a semblé pertinent de livrer quelques éclairages et des pistes de réflexion permettant d’ouvrir d’autres perspectives sur la création artistique actuelle de ce continent.
fondation Louis Vuitton
Art Afrique, le nouvel atelier
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chéri samba RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO LITTLE KADOGO – I AM FOR PEACE, THAT IS WHY I LIKE WEAPONS, 2004
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NOLWAZI II, NUORO, ITALY, 2015, SÉRIE SOMNYAMA NGONYAMA COLLECTION FONDATION LOUIS VUITTON
ZANELE MUHOLI AFRIQUE DU SUD ZODWA I, AMSTERDAM, 2015, SÉRIE SOMNYAMA NGONYAMA COLLECTION FONDATION LOUIS VUITTON
the possibility of understanding orality
documenta 14
bonaventure soh bejeng ndikung Installé à Berlin depuis 1997, Bonaventure Soh Bejeng Ndikung (Cameroun) a créé S A V V Y contemporary en 2009, un laboratoire d’idées à la fois lieu d’exposition, bibliothèque et espace de rencontres devenu une véritable institution. Il est cette année commissaire de la documenta 14 à Athènes (du 8 avril au 16 juillet 2017) et à Kassel (du 10 juin au 17 septembre 2017). Seloua Luste Boulbina : Nous sommes plus nombreux aujourd’hui à pouvoir exprimer notre point de vue à partir de lieux multiples et à regarder le monde autrement que dans une optique européo-centrée ou « occidentale ». C’est ce que j’appelle la désorientation de la raison et, nécessairement, de la sensibilité. Je crois en effet salutaire de déconstruire théoriquement et pratiquement, intellectuellement et artistiquement, les normes charriées par une histoire culturelle et politique qui est à la nôtre tout en portant l’empreinte coloniale de l’autre. Comment, pour ta part, envisages-tu cette désorientation dans la perspective de la documenta 14 qui se tiendra et à Kassel et à Athènes ? Bonaventure Soh Bejeng Ndikung : It is said that sea turtles, after hatching on a specific beach location and then engaging in an epic sea migrating, still have the capability of returning after many years to their point of origin to lay eggs, in what is scientifically known as natal philopatry. It is believed that these turtles are guided by some kind of invisible geomagnetic and olfactory cues that enable them to return to that particular location of birth. I would like to use this as a metaphor to reflect on your statement, or question without a question mark, about what we Africans got. Amongst many other things that we’ve got, we have that capability, that capacity, that urge, that need to vortex either physically, spiritually, conceptually, or philosophically towards the African continent. Whether born there or in the diaspora, there are many factors that guide us towards reflecting and acting within or regarding the continent. One of those factors would be sonority. In his seminal publication “The Philosophy of the Sea”, Esiaba Irobi harshly accused G.W.F. Hegel and Edmund Husserl of never really fully understanding what phenomenology really means or how it functions as an act of community and a tool for social, spi-
ritual and political engineering of diverse peoples of the world. Irobi used Maurice Merleau-Ponty’s concept to redefine phenomenology from an African and African diasporic epistemic and performative perspective, and show that it could be understood through the experiential, physical dimension of embodied performance as practiced in many African and African diasporic communities. Irobi expatiated on how the body in African and African diasporic cultures “functions as a somatogenic instrument as well as a site of multiple discourses which absorbs and replays, like music recorded on vinyl, epistemologies of faith and power grooved into it by history.”1 The analogy of music on vinyl here is in no way accidental, as the expression of any auditory phenomena gets encrypted not only in memory but also in the body, and through reiterations in performances of the quotidien, in dance and other rituals, the past is conveyed to the present and catapulted to the future. The transition and interconnection between the vocal utterances, speeches, sounds and music to performativity and an embodied experience within space and place is the core of this project. So while Irobi proposes that “… the Africans who were translocated to the new world lost their names, their languages, their geographies and original communities but they still replicated syncretized versions of indigenous African performance forms such as Abakua, Candomble, Lucumi, Bembe and Carnival based on African theories of festivity and ritual performance,”2 it is worth considering that most of these rituals are framed and modeled, motivated and driven, enlivened and animated by auditory phenomena like vocal utterances, speeches, sounds and music, i.e. sonority in general. One of the projects I am proposing for documenta 14 is an exploration of this sonority or these sonic aspects of an African being that constantly vortex us towards the continent, like the sea turtles to their places of birth. The project with the title Every Time A Ear di Soun is accompanied by live acts in which issues on the phenomenology of the sonorous, the sonic as medium for historical narration, Frantz Fanon’s concept of radio as medium of resistance as described in This is the voice of Algeria, Rudolf Arnheim’s Imagery of the Ear in Radio and many others will be tackled in and through speech, sound and music. The project takes its cue from the privileging of visual culture to auditory knowledge in most Western cultures. Especially Greek philosophical thought often reduced the idea of experience mainly to the visual, building its epistemology of historiography mainly on the act of visual witnessing (autopsia) and considering the act of seeing as the principal source of knowing (the present of the verb ‘to see’ and ‘to appear’ in ancient Greek language, eidomai, in its past oida translates in ‘I know’, properly meaning ‘I saw’.) In cultures with a so-called ‘oral tradition’3, histories transmitted through narration freely assume the forms of identifiable or non-identifiable vocal utterances, speech, sound and music, including instrumentation. Hereby, sonority is fundamental and functions outside of a visual and written logic, goes beyond it, and can neither be grasped by nor fully understood through it. When auditory experiences are shared, histories too are shared, not only from mouth to ear, but are completely perceived by and encoded in the body through the physicality of sound waves, and passed on from one generation to the other. Because, as Jean-Luc Nancy pointed out, if the visual is generally mimetic, the sonorous is tendencially methexic, that is, has to do with participation, sharing, or contagion4. It is this ability for auditory phenomena to instigate participatory moments and create spaces of exchange, and their ability to infect others that makes the medium especially appropriate for a transmission of histories beyond words. With the concept of ‘contagion’ Nancy ventures into the phenomenology of sonority by further describing the sonorous as something that outweighs form by enlarging it, by
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OUTTARA WATTS CÔTE D'IVOIRE ARTISTE PRÉSENTÉ À DOCUMENTA 11 (2002) AFRIQUES CAPITALES
giving it an amplitude, a density, as well as a vibration or undulation. The sonorous must find its way in space before reaching the body that serves as a receiver. The sonorous thus leaves marks as its waves meander through spaces in their becoming and in places as they metamorphose. Every Time A Ear di Soun also explores the possibility of understanding orality and embodiment through auditory phenomena as a means of sharing knowledge and archiving memory in/on a moving and vulnerable body that exists within a specific time and spatial context. The project aims at deliberating on the embodiment of sound, as well as how sound creates and accommodates psychic and physical spaces, but also how through sound a synchronicity emerges and reigns between bodies, places, spaces, and histories. At the same time, it attempts to give space to alternative narrations, out of the necessity, as James Baldwin stated, not only “to redeem a history unwritten and despised, but to checkmate the European notion of the world. For until
this hour, when we speak of history, we are speaking only of how Europe saw – and sees – the world.”5 For this project eight radio stations from around the world will broadcast with news, weather, and also reflect on Acts of ear-magination, Rummaging the archive, Lessons of indiscipline, The right to have rights, Embodying Sound, Earwitnessing, etc.
Esiaba Irobi, The Philosophy of the Sea: History, Economics, and Reason in the Caribbean Basin 2 Ibid. 3 No culture is entirely oral. Every society has its form of writing specific to its needs and information transmitted. 4 Listening. By Jean-Luc Nancy, trans. by Charlotte Mandell. pp. xiv + 85 (Fordham University Press, New York, 2007, p. 10) 5 James Baldwin (1979) “Of the Sorrow Songs: The Cross of Redemption”, in: The Cross of Redemption: Uncollected Writings, Vintage, 2011 1
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les cures merveilleuses du docteur popotame léopold chauveau Les éditions MeMo ressortent Les Cures merveilleuses du Docteur Popotame de Léopold Chauveau soixante-cinq ans après la mort de cet homme qui, dévasté par les horreurs de la guerre, aura échangé sa blouse de chirurgien contre les pinceaux d’un artiste original et troqué ses bistouris contre les idées les plus progressistes de son temps.
Précurseur d’un courant anticolonialiste, Les Cures merveilleuses du Docteur Popotame est un récit très engagé et le plus important d’un recueil paru en 1927. Le texte est découpé en chapitres, autant d’histoires courtes illustrées de dessins à l’encre noire. C’est presque toujours le même schéma : le Docteur Popotame est convaincu de la suprématie de la science. Pour lui, il n’existe pas de frontières entre le possible et l’impossible, et tout est bon pour le prouver : scies, manivelles, « popotacolle » ou « popotapompe ». En fin connaisseur de la psychologie enfantine, le docteur Chauveau a glissé dans son récit de multiples allusions au quotidien de l’époque. Pour preuve, ce fait divers survenu en 1903 au Jardin des Plantes, quand l’hippopotame Kako avait subitement retrouvé ses instincts sauvages et tué le gardien qui le nourrissait depuis son plus jeune âge ! C’est aussi par le récit, et en suivant le raisonnement ingénu de « l’enfant d’éléphant », que Chauveau prend le contrepoint des valeurs racistes de cette période : au pays des éléphants, la transformation magique des Blancs en Noirs leur permet de savourer à nouveau la paix et de vivre en harmonie ! En lien avec le récit, les différentes facettes du langage ali-
livres books mentent une source de jeux de mots, mots-valises, humour pince-sans-rire et loufoqueries. Attention toutefois : c’est un livre écrit dans les années 20 et certaines expressions choqueront. À cette époque, on pouvait être humaniste et progressiste tout en appelant un Noir un nègre, mais la maison d’édition MeMo a décidé de rester fidèle au texte d’origine et c’est tout à son honneur. En effet, l’auteur a eu un parcours atypique. Contraint par son père, le célèbre physiologiste Auguste Chauveau, à faire des études de médecine, le jeune Léopold est devenu chirurgien. Quand la guerre éclate en 1914, il est d’abord affecté dans un hôpital de l’arrière-garde, mais à mesure que les combats avancent, il doit se rapprocher du front et finit dans un poste de secours en première ligne. Il sera témoin des atrocités de la Grande Guerre et ne se pardonnera jamais d’avoir été absent lors du décès de sa femme et de deux de ses fils. Cette expérience jouera un rôle déterminant dans sa reconversion. En 1918, il rend sa blouse et décide de consacrer sa vie à l’art. Il entreprend une œuvre composée de peintures et de sculptures représentant des monstres fantastiques et des créatures hypothétiques. Très vite, il s’attelle à l’écriture de contes pour enfant. Les Histoires du petit Renaud sont mêmes illustrées par le peintre Pierre Bonnard. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Léopold Chauveau organise un centre d’accueil dans l’Eure pour les réfugiés de la débâcle. Il meurt la veille de l’armistice chez son grand ami Roger Martin du Gard, prix Nobel de littérature. Moins connu que ses amis, Léopold Chauveau aura lui aussi marqué son temps et c’est un vrai bonheur que de découvrir son travail. Outre les aventures du Docteur Popotame, notons également que trois histoires originales tout aussi drôles complètent l’album publié par MeMo : Le Petit Phoque, qui rêve d’être l’ami de l’ours et finit dans son estomac, Le Boa et le Tapir, qui, avalé par le serpent, n’a pas dit son dernier mot, et L’Histoire de l’ogre. Alors que les événements politiques récents marquent le retour en force des États-nations et l’accession aux postes de gouvernance de leaders populistes aux discours sécuritaires, il y a comme un faux-air d’entre-deux-guerres. Il est donc bon de se rappeler que certains ont déjà répondu avec humour et talent à la folie politique, et cherché à préparer les jeunes consciences aux intolérances de leurs aînés. Léopold Chauveau était de ceux-là.
une littérature des ruines tram 83 fiston mwanza mujila L’écrivain congolais Fiston Mwanza Mujila consacre sa ville natale, Lubumbashi, cœur vibrant d’une Afrique qui danse la rumba.
Tram 83 est un livre qui n’aura pas reçu tous les éloges qu’il mérite. Publié en 2014 aux éditions Métailié, c’est un roman rare, empli d’une musicalité inouïe et d’un style nouveau. L’histoire se déroule autour du Tram 83, « l’un des restaurants et bars à traînées les plus achalandés » d’une ville-pays qui ne dort jamais. Tout le monde s’y retrouve et veut s’y retrouver, prêt à en découdre sur un air de rumba : les étudiants en grève et les mineurs en mal de sexe, les canetons aguicheurs, les biscottes, les demoiselles d’Avignon et la diva des chemins de fer. Plus précisément, on y rencontre Lucien, un écrivain arrivé à maturité après un parcours semé d’embûches, un survivant, un vieux de la vieille : avec lui, c’est la littérature à l’ancienne qui tente de survivre au quotidien, celle où la poésie règne en maîtresse et fait chanter la langue. Avec son verbe haut et ses histoires venues de l’arrière-pays, Lucien émeut les filles et s’attire des ennuis. Quant à son grand ami Requiem, c’est un magouilleur de première, un apprenti michetonneur et un affreux capitaliste. D’ailleurs, il est aussi éditeur à ses heures perdues. L’auteur, le vrai, Fiston Mwanza Mujila, est né en République démocratique du Congo en 1981. Tram 83 est son premier roman. Il dit écrire « dans la promiscuité, la douleur, la pourriture, le doute, la boulimie, le bonheur… », et ne pouvoir que se « réjouir du parcours de ce roman » déjà traduit en une dizaine de langues. Quand on lui demande s’il se retrouve dans le personnage de Lucien, il répond que celui-ci n’est qu’un prétexte qui lui sert à « énoncer une réflexion quant au rôle de l’intellectuel ou de l’écrivain dans un pays en panne d’essence ». Parfois, Fiston Mwanza Mujila compare le Congo contemporain à l’Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : « Comme dans cette Allemagne meurtrie, saccagée, anéantie au propre et au figuré, nous nous trouvons dans un Congo démangé par les différents conflits armés. En Allemagne, les écrivains, notamment ceux du Groupe 47 et de la Trümmerliteratur (la littérature des ruines), ont trouvé dans l’écriture une possibilité de repenser la langue et le pays. » Dans ce contexte, Lucien pourrait être le prototype de l’écrivain congolais dont le projet serait de créer une mémoire fictive ou artificielle en marge d’un « pays qui n’existe plus ». Tram 83 est un roman truculent, fourmillant. De la narration se dégagent une énergie folle empruntée à la langue française, et une musicalité virtuose inspirée de la rumba congolaise. C’est un tourbillon halluciné, drôle et cruel sur le monde de la nuit à Lubumbashi où chaque phrase claque en tête avec une furieuse envie d’exister.
93 L’histoire de la rumba congolaise pourrait être celle du livre : un curieux aller-retour où se mélangent les cultures. Il y a cinq siècles, les esclaves africains débarquent aux Antilles et laissent la nkumba en héritage. Cette danse du nombril originaire du royaume de Kongo, les colons espagnols vont en raffoler au point de vouloir se l’approprier. Pour ce faire, ils vont supprimer l’africanisme de cette expression culturelle et la rebaptiser rumba. De retour au pays dans les années 30, la rumba se transforme peu à peu et s’imprègne des nouvelles références congolaises. Commence alors un âge d’or qui va durer jusque dans les années 70 et verra l’éclosion de stars comme Le Grand Kallé, Tshala Muana ou Félix Wazekwa. Cette musique, ce swing chaloupé, festif et entêtant, imprègne la lecture de Tram 83 comme un fond sonore. Quand bien même le lecteur n’y entendrait rien ou n’aurait jamais eu l’occasion de danser sur un air de rumba, il sera happé malgré lui et conduit jusqu’au bout de la nuit par les mots de Fiston Mwanza Mujila, pour qui « la rumba fait partie de l’écosystème congolais au même titre que le fleuve, les montagnes du Kivu ou les mines de cuivre du Katanga ». Toujours à propos de rumba, il ajoute à l’adresse des Congolais : « Nous y naissons, nous y pataugeons, y gardons les pieds, le ventre et la tête. Elle est le baromètre de la société… » Tram 83, c’est la rencontre entre cette musique qui représente la culture congolaise et la littérature francophone dans sa diversité. Un poème plein de vie et d’amour qui prend le lecteur aux tripes, l’invite à danser et finit par le laisser seul et exsangue au bout de deux cents pages seulement. Un grand plaisir de lecture !
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l’afrique entre faux retards et vrais défis felwine sarr Felwine Sarr est économiste et enseigne à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal). Il a co-fondé les éditions Jimsaan. Il a publié romans et essais : Dahij (2009) ; 105 rue Carnot (2011) ; Méditations africaines (2012) et Afrotopia (2016).
Bado Ndoye : En 2016, tu as publié un premier essai, Afrotopia, chez Philippe Rey, qui a eu tout de suite un énorme succès aussi bien sur le continent qu’en France. Comment expliques-tu ce phénomène ? Ne peut-on pas dire que ce livre répondait à un besoin, comme si, d’une certaine manière il était venu occuper une place vide ? Felwine Sarr : C’est vrai qu’il arrive parfois que dans le champ littéraire et discursif en général, certains textes viennent répondre à des questions restées pendantes. Je crois qu’il y avait fondamentalement un réel besoin de renouveler les discours, de les approfondir et de les élargir. Ce qui a suscité un intérêt, c’est certainement le fait que les gens avaient envie de sortir des analyses tronquées et partielles souvent utilisées pour expliquer les dynamiques fondées sur une conception linéaire du développement et du progrès. On ne peut pas résumer tout un continent à sa pauvreté et s’en limiter là. Généralement l’on croit que l’on a tout dit lorsqu’on a donné son taux de crois-
sance et un certain nombre de statistiques qui prétendent mesurer on ne sait trop quoi. Un continent comme le nôtre qui a une longue histoire et où de nouvelles dynamiques sont en cours, de nouvelles expériences en gestation, mérite que l’on tente de le dire dans une approche un peu moins schématique, dans un discours beaucoup plus fin et c’est ce que nous avons tenté dans ce livre. BN : Une thèse qui résume un certain nombre d’idées développées dans cet ouvrage, est celle qui consiste à dire que la question du développement ne devrait plus être posée en termes de retard, parce que l’Afrique n’a personne à rattraper… FS : Oui, parce que l’on a voulu depuis toujours analyser les questions relatives au continent selon les termes de la comparaison. Ce comparatisme-là a consisté à ne jamais percevoir le continent en lui-même, parce qu’on l’a toujours rapporté à des formes sociétales que l’on a voulu poser comme des formes idéales. Or lorsque vous faites cela, vous ne comprenez pas ce qui est en cours, parce que vous passez votre temps à vous référer à ce qui se passe ailleurs, comme si les dynamiques sociales étaient comparables. Elles ne sont pas comparables, elles sont singulières. Elles n’ont pas le même point de départ, ni la même histoire parce qu’elles sont issues de dynamiques différentes. Elles sont incommensurables et donc, on ne peut leur appliquer les mêmes catégories conceptuelles. Et c’était cela le grand problème, parce que lorsqu’un pays comme la Tanzanie double son revenu par habitant en dix ans, au lieu de s’interroger sur les dynamiques qui y sont en cours en se demandant quelles sont les transformations structurelles qui ont mené à ce résultat, qu’est-ce qu’on fait ? Et bien on la compare au Japon qui a un revenu dix fois plus élevé, dans le seul but de dénigrer et d’indiquer par-là que ces sociétés sont en retard, ont un retard à rattraper. L’idée de comparer les civilisations qui a été au principe des missions civilisatrices et qui a été discréditée et rejetée après la Deuxième Guerre mondiale et les camps de concentration revient donc là sous un vocable beaucoup plus neutre, sous des dehors apparemment plus scientifiques et tente de penser les nations selon une échelle normée, une échelle où certaines sont en tête et d’autres à la queue. Et donc les nations « retardataires » doivent rattraper le retard accusé sur les autres. En faisant cela, on institue un ordre où les sociétés développées, en l’occurrence la société américaine, deviennent des références absolues, et toute l’aventure sociétale des autres n’est lue qu’à l’aune de leur ressemblance à ces sociétés-là. Donc la diversité et la pluralité des réponses que ces sociétés apportent sont niées. Je crois qu’il faudrait que l’on accepte que toutes les sociétés sont tenues de répondre à des besoins fondamentaux
des hommes, besoins économiques et culturels etc., mais les modalités de réponse que l’histoire a livrées ne sont pas et ne peuvent pas être les mêmes. Elles sont multiples et diverses, et on devrait enfin comprendre que le développement à l’occidentale n’est qu’une forme spécifique de réponse. Ce n’est pas LA réponse à reproduire en tout temps et en tout lieu. Lorsque je dis que le continent n’a personne à rattraper, je ne dis pas qu’il n’a pas de défis à relever. Il a des défis à relever et on les connaît. Mais il me semble que son urgence, c’est d’être à la hauteur de ses potentialités, c’est-à-dire de réaliser ses potentialités au plus haut niveau et de manière optimale. Dans cette entreprise, il n’est pas question de ressembler à la société anglaise ou suédoise, ou de se comparer à elles, mais plutôt de voir quelles sont les potentialités dont on est porteur, quels sont les horizons que nous pouvons nous fixer, et quelle est la manière de faire advenir ces potentialités et de les réaliser au mieux. C’est tourner le regard vers l’intérieur, ce qui revient à se demander comment on se réalise soi-même, de façon propre, en prenant en compte son histoire, sa singularité et ne pas être dans l’objectif de ressembler aux autres comme si nous étions dans une course, parce ça, c’est puéril et enfantin si on y réfléchit. BN : On peut dire alors que ce qui s’exprime là, c’est la nécessité de contextualiser la question du développement en recentrant l’effort sur les logiques endogènes. Est-ce qu’on ne pourrait pas aller plus loin et dire que ce qui est requis ici, c’est l’invention ou la réinvention d’une modernité qui soit proprement africaine ? FS : C’est non seulement l’invention de sa propre modernité mais surtout le fait de réinterroger les concepts téléologiques que sont le développement et la modernité. Aimé Césaire disait que rien ne vaut si ce n’est repris, pensé et réinterrogé par nous-mêmes. Les concepts ne prennent pas les avions, et ils n’arrivent pas les mains dans les poches comme ça ! Nous devons les réinterroger si tant est qu’on les garde. On doit les investir d’un contenu qui nous est propre. Si on prend le concept de développement d’un point de vue étymologique, il signifie dérouler, déployer, faire croître quelque chose qui est déjà là, un potentiel en latence. On ne développe pas des choses qui nous viennent d’ailleurs, on développe ce que nous avons en propre, sinon c’est de l’enveloppement. Le développement a été fait et pensé comme un prêt-à-porter sociétal. On a demandé à des sociétés de revêtir des formes produites ailleurs, et de reproduire une histoire qu’elles n’avaient pas vécue ellesmêmes. C’est pour cela que ça ne fonctionne pas. Au lieu de voir quels sont les éléments endogènes dynamiques et porteurs sur lesquels on pourrait bâtir, au lieu de construire des économies sur ce que nous avons, sur nos propres réalités, on a passé notre temps à être des économies du manque, à voir ce qui nous manque et que les autres ont. Et le concept de modernité, si on l’interroge d’un point de vue philosophique, on voit tout de suite qu’on n’est pas obligé de reprendre ses présupposés philosophiques et théoriques dans leur occurrence occidentale comme par exemple l’apologie du neuf, la rupture avec la tradition, la Raison comme principe fondamental d’organisation, une raison raisonnante et mécanicienne qui écarte toutes les autres formes d’appréhension du réel et de la sensibilité humaine. Bien entendu, la modernité occidentale a produit des choses intéressantes, il ne faut pas l’oublier, mais le rapport à la tradition par exemple, à mon avis, il faut le repenser. On n’est pas obligé d’être en rupture avec le passé. Nous pouvons remobiliser un capital symbolique aujourd’hui nécessaire.
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Une civilisation, c’est ce qu’elle transmet de sa matrice culturelle dans le long terme. On peut voir dans nos traditions ce qui est fécond et vivifiant, remobiliser ce capital symbolique et le réinvestir dans la construction d’un autre futur. On n’est pas obligé d’être dans la dichotomie pour reprendre les catégories de la modernité occidentale. Les Indiens produisent leur modernité, les Africains doivent produire la leur, ce qui veut dire qu’il faudrait que l’on sache travailler avec notre propre contemporanéité. BN : Si l’on maintient cette vision large des choses ,ne pourrait-on pas dire que la crise du projet développementaliste est quelque part le reflet de la crise de l’économie comme discipline ? Tout se passe comme si l’économie s’était réduite à une approche purement quantitative et avait laissé de côté tout ce qui n’était pas mesurable, ce qui revient à oublier des dimensions de la réalité sociale qui sont capitales dans la vie des gens. FS : En réalité, il y a deux crises. Il y a la crise de la discipline elle-même, qui s’est pensée sur le modèle des sciences expérimentales et des mathématiques. Elle a voulu être une discipline scientifique et acquérir les galons d’une science dure. Elle a oublié son côté philosophique et moral, anthropologique et sociologique, au profit d’une extrême formalisation, en faisant comme si ce qui est important c’est juste ce qui est quantifiable. On a ainsi oublié que l’acte économique est un échange d’ordre sociétal, et qu’il est enchâssé dans un tissu socioculturel. La seconde crise que je vois est une crise des différents ordres. L’ordre économique est devenu absolument dominant et hégémonique, alors que c’est un ordre du savoir-faire qui explore ce qui peut être fait, comme par exemple, comment peuton allouer les ressources optimales dans un monde de rareté. Quand un ordre qui explore ce qui peut être fait prend la place de l’ordre qui explore et indique les finalités, on est dans une crise des ordres. Les ordres politique et éthique doivent dire ce que l’on doit faire. Ce ne sont pas les ordres techniques qui doivent indiquer la voie. Nous sommes dans un monde où c’est l’économie qui indique la voie. D’ailleurs, ses méthodes et son langage ont envahi tout le corps social et ont imposé une vision mercantiliste des rapports sociétaux. L’économie doit retrouver sa place de moyen. Lorsque vous avez ces deux crises-là, vous avez la situation dans laquelle on est actuellement. L’économie est devenue l’étalon universel et cet étalon s’est coupé de ses sources dans les sciences humaines parce qu’elle a cru qu’elle était une science exacte, ce qu’elle n’est pas. BN : Donc il faudrait penser à réarticuler l’économie avec ses origines philosophiques, parce que tout se passe comme si elle était devenue oublieuse de sa provenance… FS : Absolument ! Si on fait l’archéologie de la discipline, elle est née au XVIIIe siècle. On pense qu’Adam Smith est le père de l’économie moderne. Elle est née en Angleterre dans les facultés de philosophie morale en tant que discipline dont les précurseurs sont Stuart Mill et David Hume, et la question que ces gens-là se posaient était de savoir comment accroître le bienêtre du plus grand nombre. Cette question, pour eux, n’est pas une question purement quantitative. Elle embrasse plusieurs dimensions de la vie en société et de la vie des individus. Bien entendu la dimension économique est importante, mais elle n’est pas la seule. Et quand l’économie a oublié qu’elle n’était
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LOUIS PHILIPPE DE GAGOUE Il est le photographe africain dont les clichés stimulent un nouvel imaginaire luxe et moderne sur le continent. En moins d’un an, Louis Philippe de Gagoue s’est fait remarquer dans la mode internationale, du puissant Vogue Italia au tout jeune Vogue Belgique (on lui doit la couverture du troisième numéro), et a déjà décroché des parutions dans de nombreux magazines saluant son travail photographique. Il nous parle de ses débuts dans l’industrie de la mode, ainsi que de son intention de présenter l’Afrique dans sa beauté et sa complexité.
IN CAMEROUN MODZIK MAGAZINE, FRANCE
IN IVORY COAST
IN NIGERIA
algérie
Barois
de
Caevel
UN COLLECTIONNEUR ENGAGÉ gilles
FUCHS
MIRACLE DE # RÉPARATION MON DROIT À L’OPACITÉ
art contemporain
Photo MARC RIBOUD seloua luste boulbina AUTOUR DES CINÉMAS ALGÉRIENS olivier Hadouchi CETTE VACHE QUI NE ME FAIT PAS RIRE
littérature QU’EST-IL ARRIVÉ À CETTE PART
sport
« # RÉVOLUTION ÉGYPTIENNE N’AURAIT PAS EU LIEU SI LES PHARAONS L’AVAIENT EMPORTÉ CE SOIR-LÀ » SAÏD AÏD-HATRIT
D’ALICE CHERKI Alice Cherki DÉCOLONISER L’ÉDITION : POUR QUE LIVRE RIME AVEC LIBRE Samia Zennadi
D’UN REPORTER ALGÉRIEN EN AGIT-AUTEUR ANARTISTE mustapha benfodil (entretien) L’ANACHRONIQUE MÉMOIRE
DU MONDE, À SES JOURS, À SES NUITS ? Selma Hellal UNE DISPARITION POSTCOLONIALE rémi astruc PORTRAIT
RENCONTRES CINÉMATOGRAPHIQUES À BÉJAÏA abdenour hocine
RÉVOLTÉE ET EN LUTTE SOFIA DJEMA LE CINÉMA ALGÉRIEN, UNE ALTÉRITÉ DE # BORDURE nadia meflah
samia charkioui « ATTENDS, MON FILS, ON VA ÉCOUTER LES PAROLES DE TON PÈRE » yassine qnia / soufiane adel
cinéma
UN COLLECTIF DE PHOTOGRAPHES À LA CONQUÊTE DES IMAGES : LE COLLECTIVE 220 FERHAT BOUDA
Samir Toumi EMBARQUÉ DANS « LE SOUS-MARIN »yacine teguia
ATOMIQUES Ammar Bouras SOUS LE SOLEIL DU SAHARA mohamed rouani DANS « # BAIGNOIRE EXPÉRIENCE »
PARIS Louisa Babari WORK IN PROGRESS : STREAM OF STORIES Katia Kameli AMMAR BOURAS ET LES CHAMPIGNONS
DU RÉEL nadira laggoune-aklouche L’AFRIQUE DU NORD, L’AUTRE AFRIQUE DU DESIGN Hellal Zoubir MOSCOU-ALGER-
kader attia DE #NGUE À TERRE, DE MÈRE À PÈRE, DE SOI À SOI zineb sedira L’ART CONTEMPORAIN EN ALGÉRIE : UN ART
Eva
# COLONIE DE KADER ATTIA seloua luste boulbina*
L’Algérie est à la fois un pays réel pour ceux qui y vivent et un pays imaginaire pour ceux qui n’y habitent pas. Elle a ses – nombreux – émigrés et descendants d’émigrés pour lesquels les liens (notamment familiaux) se maintiennent par-delà le temps et l’espace. Des entre-mondes se créent ainsi, espaces de circulation, de mélange, quelquefois de confusion, entre continents (Europe, Afrique), entre régions (Machrek, Maghreb), entre langues (arabe, kabyle, français). Le cinéma d’entre deux rives en offre une illustration remarquable. L’Algérie a aussi ses immigrés d’Asie (Chine) ou d’Afrique (Niger, Cameroun), réguliers ou « clandestins ». Elle est un carrefour. Vue de loin (ou vue « d’ici »), elle est monolithique (régime politique, religion). De près, sa polyphonie éclate, sa diversité explose. L’Algérie – on l’oublie trop souvent – est un pays marqué par la guerre. La « décennie noire », avec la peur, les exactions, les morts et son cortège d’atrocités, a laissé des traces profondes dans la population. Une guerre civile s’accompagne de blessures qui ne cicatrisent pas aisément. Les Algériens sont parvenus à se relever et, peu à peu, à recouvrer une liberté mise en danger par l’insécurité. Les intellectuels avaient été décimés. Comment reprendre pied dans la vie intellectuelle, littéraire et artistique ? Il faut du temps.Aujourd’hui, une espèce de movida se fait sentir, une sorte de renaissance due au dynamisme et au courage de toutes celles et ceux qui, par leur travail singulier, ont participé à un véritable rétablissement du pays. Souvent discrets, ils ne sont pas tous également connus à l’étranger et ce n’est pas leur ambition. Pour autant, leur action a produit des résultats tangibles. À Alger, de nouveaux espaces deviennent de véritables lieux de rencontre (Les Ateliers Sauvages, le Sous-marin, l’Espaco ou La Baignoire, pour n’en citer que quelques-uns). Les maisons d’édition (barzakh et Apic, par exemple) donnent la parole à de nombreux auteurs algériens et étrangers. Des artistes, de commissaires d’exposition ont maintenu le cap coûte que coûte. something we Africans got entend restituer un peu du goût et de la saveur culturelle de l’Algérie d’ici et d’ailleurs, des uns et des autres. Seloua Luste Boulbina
sous la direction de seloua luste boulbina
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art contemporain
kader attia
Comment l’art peut-il rapprocher ce que l’on perçoit d’habitude comme étant éloigné ? Pourquoi la raison cartésienne estelle battue en brèche ? L’artiste Kader Attia entend répondre à ces questions en retravaillant le tissu historique, la trame et la métabolisation de la culture. Sa recherche se veut révélatrice des cicatrices de l’Histoire, et son acte créateur espère nous faire entrer dans la voie de la réparation par la réappropriation. Seloua Luste Boulbina : Vous apparaissez dans les foires et biennales internationales avec la mention « France-Algérie ». Selon vous, qu’est-ce qu’être artiste franco-algérien ? Kader Attia : Le fait d’être un artiste franco-algérien ne signifie rien pour moi. Je passe mon temps à rayer les choses dans lesquelles on veut m’inclure car la question de l’identité vient du pouvoir. Cette question n’est pas subjective puisqu’on ne laisse pas à l’individu la possibilité de choisir, l’identité en société étant définie par le pouvoir. Il est temps de critiquer ce concept d’« identité » imposé par le pouvoir. Il est temps de balayer cette question d’un revers car, aujourd’hui, nous sommes passés du statut de « travailleur ou ouvrier immigré » des années 80-90 à celui de « musulman » sans que personne ne s’en aperçoive ! Le pouvoir a accentué la connotation de l’identité des personnes au statut religieux.
On ne lutte pas pour gagner, mais on lutte. L’artiste développe avant tout un projet individuel. Le projet individuel est l’antithèse de la flatterie. C’est par exemple la petite mamie de banlieue qui collectionne des petites cuillères, ou encore le professeur qui collectionne des instruments de musique dans un petit village du Malawi. Ainsi, le prix Marcel-Duchamp est le choix d’un jury à un moment donné, mais ne signifie aucunement que les autres artistes seraient moins bons.
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SLB : Dans votre travail, quel rapport entretenez-vous avec l’Afrique ? KA : Je respire l’Afrique. Dès que l’avion atterrit sur le continent, je me sens comme à la maison. Ce sentiment d’être « chez soi » se manifeste par exemple à travers la cuisine et la musique locales. Je me souviens qu’un jour, un homme de l’administration congolaise m’a interpelé et m’a demandé mon nom. Quand je lui ai répondu « Attia », il a réagi de la façon suivante : « Mais c’est un nom de chez nous, c’est un nom africain. » L’Afrique, je la vis de près comme de loin. J’ai la chance d’avoir grandi entre deux mondes, ce qui m’a donné une forte porosité. L’Afrique possède ceci de particulier – c’est une partie de ce qu’elle est – d’avoir échappé à la modernité. On parle alors des « oxymores de la raison ». Un psychanalyste découvre un jour que l’Africain et l’Occidental ne fonctionnent pas de la même façon. Leur différence se situe dans l’espoir, une pensée mystique qu’il va comparer à la maladie de la croyance. Cette raison de se convaincre soi-même est rare en Occident, où l’on a du mal à se détacher du savoir et de la raison. De manière générale, je suis intéressé par ce que les gens disent. Il faut contrer la colonisation de la pensée ; il faut chercher à annihiler la forme ; il faut insister sur la notion de concept plus que de forme. Je termine notre conversation sur ces paroles d’Édouard Glissant : « On naît dans une culture, on vit dans une deuxième et on mourra dans un troisième monde, celui de la créolité. Un jour, j’irai à l’ONU revendiquer mon droit à l’opacité. » Kader Attia artiste plasticien, vit et travaille entre Berlin et Paris. Prix Marcel-Duchamp 2016, il oriente ses recherches autour du thème de la réparation depuis une quinzaine d’années.
SLB : Que représente pour vous le prix Marcel-Duchamp que vous avez obtenu en 2016 ? Trois autres artistes étaient en lice : Yto Barrada, Barthélémy Toguo et Ulla von Brandenburg. KA : Le prix Marcel-Duchamp est important car il couronne le résultat de plusieurs années de travail. Depuis le 11 Septembre, le public a porté un regard sur les artistes non occidentaux, mais aussi sur ceux de la diaspora. Avant le 11 Septembre, la production des artistes non occidentaux existait à peine dans le regard du public et n’a commencé à révéler des choses qu’à partir de là. Il y a donc eu un revirement normal et une place leur a été attribuée par culpabilité postcoloniale. La génération d’artistes dont je fais partie a entamé une réappropriation – pertinente – des grands pères tels Marcel Duchamp, mais également son émancipation. L’art contemporain est devenu intéressant quand on a commencé à penser l’artiste en tant qu’individu. C’est la partie visible de l’iceberg.
Kader Attia J'ACCUSE, 2016 WOODEN SCULPTURES ON METALLIC PLINTHS, DIGITAL VIDEO, PROJECTION, COLOUR, SOUND (DETAIL) COURTESY OF THE ARTIST & GALERIE NAGEL DRAXLER, BERLIN/COLOGNE © THE ARTIST PHOTOGRAPH: AXEL SCHNEIDER
l’anachronique mémoire d’alice cherki alice cherki Alice Cherki est psychanalyste. Elle a notamment publié Frantz Fanon, Portrait (2000), La Frontière invisible (2009) et Mémoire anachronique (2016).
littérature
Seloua Luste Boulbina : Vous êtes algéroise, vous êtes psychanalyste, vous vous êtes engagée dans le FLN. Comment voyez-vous aujourd’hui les conséquences de votre travail et de votre engagement ? Vous n’êtes pas qu’une ancienne moudjahidate, mais aussi, encore et toujours, une femme engagée. Alice Cherki : L’engagement pour l’indépendance de l’Algérie était indispensable. Certes, on pourrait critiquer la façon dont la gouvernance du pays a été instaurée dès la proclamation de l’indépendance. Quoi qu’on en dise, l’Algérie indépendante est un pays vivant qui avance contre vents et marées, avec les empêchements et les progrès d’une société civile qui existe. La guerre civile a laissé des traces et des silences. Il y a beaucoup de nuages, notamment un conformisme de religiosité qui n’était pas vraiment inscrit dans le devenir de l’Algérie. Toutefois, à chacun de mes séjours, je croise de jeunes créateurs dans tous les domaines, des hommes et des femmes qui ont du talent. Cette société bouge malgré de nombreux obstacles, les « petits arrangements entre amis » et le creusement des inégalités. SLB : Vous avez fait découvrir Frantz Fanon en France et vous êtes très souvent sollicitée à son sujet. Du reste, vous l’avez connu, côtoyé, et vous avez travaillé avec lui en psychiatrie. Depuis votre livre, que pensez-vous de l’intérêt suscité en France par l’œuvre de Fanon ? Et quel est votre regard sur l’intérêt que les Algériens lui portent ? AC : L’intérêt pour Frantz Fanon en France, mais aussi dans certains pays européens comme l’Italie, est lié à l’actualité de sa pensée dans un monde où tente de s’imposer une idéologie dans laquelle le sujet disparaît au profit de « l’avoir » et où la personne devient un « objet ». Un monde dans lequel se multiplient les relégations des « sans », condamnés à « une mort à bout touchant » selon l’expression de Fanon. Un exemple en est la régression actuelle de la conception psychiatrique du traitement des aliénés par rapport à celle de Fanon. En Algérie, malgré de nombreux colloques et un groupe de recherches d’études fanoniennes, la pensée de Fanon a peu d’influence.
SLB : Vous faites de nombreux allers-retours entre ces deux pays où vous avez des amis proches. Vous êtes liée à des psychanalystes algérien(ne)s. Comment voyez-vous les choses ? Considérez-vous que la situation y est spécifique, et si oui, en quoi ? AC : Il y a en Algérie quelques psychanalystes – et j’en suis assez fière – et des pédopsychiatres formés à la psychanalyse qui travaillent, soignent, réfléchissent sur leur pratique. Ce n’est pas toujours facile, et ce au moins pour deux raisons. L’argument que la psychanalyse est incompatible avec la religion d’État est instrumentalisé, car l’expérience psychanalytique met effectivement la personne au cœur de l’élaboration de sa liberté de sujet, et par conséquence de citoyen. La seconde raison, du moins d’après mon expérience algéroise, est qu’il y a à ce jour un problème de temporalité qui infiltre les individus : les choses sont intensément vécues dans l’instant mais ne s’inscrivent pas, comme si elles ne pouvaient pas laisser de traces, comme si construire un passé, un présent et un devenir était difficile, voire impossible. SLB : Vous publiez Mémoire anachronique, Lettres à moi-même à la fois aux éditions de l’Aube pour l’Europe et chez barzakh en Algérie. Qu’entendez-vous par « anachronique ». Qu’aimeriez-vous transmettre ? AC : Par anachronique, j’entends sortir de la chronicité d’un récit événementiel « plein ». Faire plutôt le chemin inverse. À partir d’évènements du présent, faire ressurgir des images, des souvenirs, des situations d’aujourd’hui ou du passé, mais avec les sensations et les perceptions. De façon fragmentaire mais nécessaire pour rencontrer l’autre lecteur dans sa subjectivité. Pour moi, c’est ainsi que s’opère une transmission : elle s’adresse à un autre dans sa singularité. Propos recueillis par Seloua Luste Boulbina
décoloniser l’édition : pour que livre rime avec libre samia zennadi La maison d’édition Apic possède une vision d’ouverture et de construction de perspectives de collaboration panafricaine. Nous travaillons pour que notre ligne éditoriale réponde à une « orientation sud » porteuse de projets, promotrice d’idées et génératrice de débats. Avec le livre comme vecteur d’émancipation et de sortie de toute forme de domination culturelle, nous avons la prétention de continuer à travailler pour que le mot livre trouve sa véritable résonnance avec le mot libre. Malgré l’absence d’un réseau de distribution panafricain, nous essayons de faire circuler nos livres sur le continent. Pour l’instant, nous pallions ce manque de structuration en participant aux événements littéraires qui se déroulent en Afrique (Mali, Burkina Faso, Sénégal, Cameroun, Niger). Nous savons que ces petites actions ne résolvent pas la question de la circulation des textes entre les pays africains, mais cela nous permet de tisser des liens avec d’autres éditeurs qui, comme nous, travaillent pour changer la réalité morose du secteur éditorial dans leurs pays respectifs. Nous savons pertinemment que les textes africains s’expatrient pour plusieurs raisons que l’on peut identifier facilement (le manque de structures, d’imprimeries, de maisons d’édition, de librairies, la censure…), outre le fait que les capitales du nord continuent de fonctionner comme des « banques centrales » qui habilitent et consacrent non seulement les auteurs, mais aussi les maisons d’édition. Nous sommes animés par une grande volonté de faire changer les choses pour prendre un nouveau départ. Je pense que la résidence d’écriture Ancrage Africain que nous avions organisée pendant le 2ème Festival Panafricain à Alger en juillet 2009 a été une bonne occasion pour nous de proposer et de travailler afin qu’un espace dédié à l’édition africaine, Esprit Panaf, voie le jour au sein du Salon International du Livre d’Alger. Chargée de cet espace en 2010, j’avais tenté de mobiliser les éditeurs algériens pour les inciter à contribuer au programme. Malheureusement, une seule réponse m’est parvenue, faute de temps peut-être, mais Esprit Panaf a malgré tout réalisé une belle revue : L’Afrique parle livres. À ma demande, des auteurs invités ont accepté de rédiger chacun un texte en hommage à un écrivain ayant à ses yeux l’image ou le statut d’un aîné. Cette démarche devait nous permettre, à long terme, de donner à voir et à lire la trame qui s’est tissée au cours du 20e siècle entre les auteurs et les lecteurs, entre les fondateurs et ceux qui les ont lus et sont devenus eux-mêmes des écrivains reconnus. L’Afrique parle livres n’a connu qu’un seul numéro. Deux ans plus tard (2013, 2014 et 2015), l’espace Panaf, grâce à l’approche constructive de Karim Chikh, a offert aux éditeurs du continent la possibilité de participer au Salon avec leurs auteurs, et a pris selon moi une dimension intéressante. Tout ce que nous pouvons souhaiter, c’est que ce lieu permette la
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naissance de projets de livres et d’événements culturels, de coopération entre éditeurs et de promotion pour les auteurs invités… En effet, nous aidons aussi nos confrères africains, maliens, congolais et béninois à réaliser des livres en Algérie que nous exportons dans les conditions difficiles qui sont celles de l’export. Hélas, notre ambition de sortir de la domination culturelle n’est pas toujours partagée par les responsables du ministère de la Culture en charge des manifestations littéraires. Nous savons qu’elle ne se concrétisera pas à coup de colloques et de déclarations politiques creuses, mais bien en essayant de perturber concrètement les règles de l’espace littéraire international. Aussi, en septembre 2013, nous avons réuni à Alger des penseurs engagés connus pour leurs publications et leur rôle d’animateurs de centres de recherche influents. Sous la forme novatrice d’une résidence d’intellectuels, la rencontre intitulée « Le Sud, quelles alternatives ? » se voulait le prolongement de l’événement Esprit Frantz Fanon que nous avions organisé en partenariat avec l’AARC (Alger, juillet 2012) : il s’agissait d’une première expérience conçue sous la forme originale d’une résidence d’écriture combinant divers genres et disciplines d’expression. Cette conception répondait à notre besoin « sud » de nous saisir dans notre totalité et dans notre complexité pour échapper aux enfermements fragmentaires dans lesquels nous ont dispersés les modèles dominants de pensée et de classification du nord. Plus d’un demi-siècle après les indépendances, nous nous trouvons face à des défis théoriques intimement liés à ceux de la première vague d’émancipation. La rencontre « Le Sud, quelles alternatives ? » que nous avons organisée en collaboration avec le Forum Mondial des Alternatives (FMA) et le Forum du Tiers-Monde (FTM) avait pour ambition de retrouver l’impulsion de nos aînés dans cette autre façon de voir et de comprendre la culture, dans les connexions et les jointures de nos activités. Samia Zennadi
Archéologue de formation, Samia Zennadi a cofondé les éditions Apic à Alger. La Camerounaise Léonora Miano, le Togolais Sami Tchak, le Guinéen Tierno Monénembo, l’Ivoirienne Tanella Boni, le Congolais Patrice Nganang, le Malien Yambo Ouologem et le Haïtien Louis-Philippe Dalembert ont ceci de commun qu’ils ont tous été publiés aux éditions algériennes Apic. Madame l’Afrique d’Eugène Ébodé (prix Yambo Ouologem 2012) y côtoie La Morsure du coquelicot de Sarah Haidar ou encore Cendres froides de Youcef Tounsi.
« la révolution égyptienne n’aurait pas eu lieu si les pharaons l’avaient emporté ce soir-là » saïd aït-hatrit
sport
Beau jeu, joie de masse, violence… Tout cela caractérise le foot algérien, comme c’est encore le cas dans de nombreux pays du monde. L’Algérie y ajoute une particularité : la participation de la puissance publique à l’excès, comme le montre cette histoire. Comment Hamid, un jeune habitant d’Aïn Benian, cité côtière située à une dizaine de kilomètres à l’ouest d’Alger, s’est-il retrouvé à Khartoum au Soudan un soir de novembre 2009 alors qu’il était sorti la veille au matin dans le seul but d’acheter du pain ? La réponse a trait à deux choses qui peuvent caractériser l’Algérie : le football et la déraison (un peu la politique aussi). Le 14 novembre 2009, l’Algérie est presque qualifiée au Mondial de football sud-africain qui doit se tenir en 2010. L’équipe nationale peut même se permettre de s’incliner d’un but au Caire contre son ennemi footballistique préféré, l’Égypte, dans le tout dernier match de poule des éliminatoires africains. Le score est justement de 1 à 0, près de quatre minutes après la fin du temps réglementaire, quand les Pharaons décident de briser le rêve de leur adversaire en marquant une seconde fois. La douche est glaciale pour des millions d’Algériens. Tout est remis en cause, et au coup de sifflet final, tout un pays cesse de vivre – de travailler en tout cas – en attendant le match de barrage qui doit déterminer quatre jours plus tard qui ira en Afrique du Sud. Ce match ne se jouera ni à Alger, où les Fennecs l’avaient emporté 3 à 1 en juin à Blida, ni au Caire, où le bus des Algériens avait été caillassé le soir du 13 novembre, provoquant la blessure de plusieurs joueurs, mais à Khartoum, ou plus précisément dans la ville voisine d’Omdurman, en terrain neutre. Ces violences cairotes y sont pour beaucoup dans la suite de l’histoire de Hamid. Après des discussions au sommet entre les deux pays, les autorités algériennes avaient accepté de ne pas rapatrier avant le match des joueurs qui ont fini par jouer pansés, parfois la peur au ventre. Elle avait appelé au calme ses citoyens sortis détruire des biens appartenant à des Égyptiens alors que des supporters algériens présents au Caire avaient eux-mêmes été agressés. Exemplaire diplomatiquement, Alger n’en prépare pas moins un plan. Les autorités se sont-elles senties trahies par le
non-respect des garanties de sécurité promises en Égypte ? Le fait est que le président Bouteflika en personne prend alors les choses en main. Il demande l’organisation d’un véritable pont aérien vers Omdurman, sans doute l’un des plus grands jamais organisés en Afrique. L’Algérie doit jouer à domicile au Soudan et garnir le stade Al Merreikh qui peut accueillir 40 000 supporters. Hamid est loin de pouvoir se payer un billet d’avion pour le Soudan, mais Air Algérie, compagnie publique dont les agences restent exceptionnellement ouvertes tard dans la nuit, cède les places à 15 000 dinars, une centaine d’euros de l’époque, un prix encore plus bas pour de nombreux employés dont les entreprises mettent la main à la poche. Le jeune homme en route pour la boulangerie croise un ami qui lui dresse le topo… et lui avance la somme nécessaire pour vite faire les démarches, car si les places sont peu chères, il faut jouer des coudes dans les agences de la compagnie pour obtenir le précieux sésame. En 2006, tout comme il subventionne l’huile, le sucre ou le lait, l’État avait déjà subventionné l’achat des cartes d’accès à la chaîne à péage étrangère ART qui diffusait la Coupe du Monde, mais avec laquelle la télé publique n’avait pas pu s’entendre pour acheter des matchs. Au final, plus de soixante vols sont programmés du 16 au 18 novembre, transportant une dizaine de milliers de supporters, sans compter les milliers d’Algériens venus du monde entier par des vols réguliers. Des images diffusées dans le journal télévisé de la chaîne publique algérienne montrent même des supporters qui atterrissent au Soudan et sont convoyés gratuitement dans des avions de l’armée. « Il faut se méfier d’un pays qui est capable de transporter autant de monde en trois jours », commentera d’ailleurs le Jerusalem Post au sujet d’un pays qui ne reconnaît pas l’existence d’Israël. Sur la pelouse, les Algériens oublient le plaisir du beau jeu qui définit leur football. Ne dit-on pas sur les terrains de quartier qu’un petit pont compte pour deux buts ? Le spectacle se joue plutôt dans les gradins, où des fumigènes facilement introduits sont craqués et des supporters algériens grimpent au sommet des pylônes d’éclairage. Sur le terrain, seul le résultat compte, et c’est d’une frappe surpuissante du défenseur Antar Yahia, exécutée comme si sa vie en dépendait, que l’Algérie marque le seul but de la rencontre avant de barricader derrière. Si le spectacle était dans les gradins, il faut aussi retenir la voix tremblotante du journaliste du Monde qui commentait oralement l’avant-match sur le site du quotidien, évoquant les jeunes gueules cassées des quartiers populaires algérois entrées dans le stade avec tournevis, couteaux et sabres. C’est ainsi. En Algérie, la violence côtoie encore de trop près la joie. Pour autant, de nombreuses femmes racontent encore aujourd’hui la fête qui s’en est suivie à la tombée de la nuit dans les rues du pays, exceptionnellement mixtes et noires de monde, alors qu’elles ne s’animent habituellement que durant le mois lunaire du ramadan. Une soirée qui a rappelé à Zinédine Zidane celle du 12 juillet 1998 en France. Aujourd’hui, certains Algériens l’assurent le ton posé mais ferme : « La révolution égyptienne n’aurait pas eu lieu si les Pharaons l’avaient emporté ce soir-là… ! » Saïd Aït-Hatrit
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Journaliste entre la France et l'Algérie, Saïd Aït-Hatrit voyage sur le continent. Il collabore régulièrement avec des titres allant de El Watan à So Foot.
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ferhat bouda camille millerand bruno hadjih collective 220 Ferhat Bouda, photographe multi primé, s’inscrit clairement dans une tradition de la photographie documentaire, de la narration, de l’essai et de l’engagement. Témoigner, donner à voir, de préférence en noir et blanc, pactiser avec le temps pour aller au-delà des apparences, se faire accepter pour à la fois respecter ceux qu’il représente et livrer des clés au delà de l’anecdote, telles sont les bases de ses enquêtes au long cours. Chez lui, en Kabylie, tout comme auprès des militants de l’Azawad avec lesquels il entretient d’abord une proximité culturelle ou en Allemagne où il est basé, il s’attache aux gens, au regards, aux attitudes. Il tente de décrypter les situations et de nous partager avec nous ces univers complexes souvent difficiles à approcher ou, trop souvent, dissimulés par des clichés et des stéréotypes. Il vit entre Paris et Frankfort. Agence VU, Paris
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camille millerand
camille millerand
un collectif de photographes à la conquête des images
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collective 220 Yassine Belahsène, Houari Bouchenak, Awel Haouati, Youcef Krache, Sonia Merabet, Fethi Sahraoui et Abdo Shanan : Collective 220 est né en 2016 de la rencontre de ces sept jeunes photographes aux sensibilités et aux regards différents, soucieux de confronter leur expérience de la photographie et d’explorer de nouvelles perspectives autour de l’Algérie et au-delà.
Seloua Luste Boulbina : Vous vous êtes constitués en collectif et vous êtes nommés « 220 ». Pourquoi un collectif ? Pourquoi ce nom ? Pouvez-vous nous parler de votre projet et de vos aspirations ? Collective 220 : Le nom 220 vient du numéro de la chambre d’hôtel à Alger où se sont réunis quelques-uns des membres fondateurs du collectif alors qu’ils participaient au même événement (le Festival de la photographie d’Alger). Le collectif a vu le jour grâce à cette rencontre fortuite, et l’appellation 220 est née de cette réunion improvisée et des connexions qui en sont sorties. Le désir de créer ce groupe est lié au fait que nous tenions à créer un espace d’échange, de réflexion et de travail commun dans un environnement où ce genre d’expériences collectives existe très peu. Nous sommes nombreux à constater que les créateurs (artistes plasticiens, cinéastes, photographes ou danseurs) travaillent souvent de façon individuelle et sont éparpillés à travers le territoire, et à regretter le manque d’espaces de rencontre. Nous-mêmes connaissions et suivions le travail des uns et des autres sur les réseaux sociaux, et souhaitions nous rencontrer pour confronter nos approches et nos regards, voir ce qui pourrait naître de cet échange. Nos démarches et nos styles sont certes différents, mais nous avons la même volonté de photographier notre environnement de vie de façon personnelle, subjective, et d’apporter ainsi un regard différent sur ce qui fait l’Algérie d’aujourd’hui. Une photographie davantage ancrée HOUARI BOUCHENAK
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something we africans got bonds
with the netherlands
cultural bonds hollandaise at raw material company wax, wax, wax angèle etoundi essamba the imagery of viviane sassen angèle etoundi essamba FRONTIÈRES
angèle etoundi essamba
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« Ma photographie s’insurge et contredit tous ces stéréotypes à travers des œuvres présentant des femmes combattives, déterminées, accomplies, blessées et fragiles aussi, car humaines, mais par-dessus tout fortes et fières. Je crois en la femme, c’est elle qui écrira la nouvelle histoire de l’Afrique. »
& the netherlands
Ana Welter : Pourquoi vous être installée aux PaysBas ? Angèle Etoundi Essamba : La Hollande, c’est l’histoire d’une rencontre, d’une passion, d’un coup de cœur. Je suis arrivée à Amsterdam par amour il y a trente-cinq ans et j’y suis restée. C’est mon pays d’adoption, celui qui a vu naître mes trois enfants et cela créé forcément un attachement fort. J’aime le rythme de cette petite ville vibrante et cosmopolite. En trente-cinq ans, les choses ont changé, certes, mais Amsterdam reste un lieu de rencontres, d’échanges et d’acceptation où il fait bon vivre. J’ai pu m’y épanouir, me construire en toute liberté, et bien sûr matérialiser ma passion pour la photographie. AW : Selon votre perception, que reste-t-il de l’héritage culturel africain dans ce pays ? AEE : Parler de la scène artistique africaine aux Pays-Bas, et particulièrement dans une ville multiculturelle comme Amsterdam, ne se résume paradoxalement qu’en quelques mots. Hormis les festivals de musique, peu d’évènements d’envergure célèbrent l’art africain aux Pays-Bas, et ces présentations se limitent souvent à des circuits alternatifs. Africa in the Picture, le très prisé festival du film africain, a disparu de la scène artistique par manque de soutien financier. C’était une plateforme indépendante pour la promotion du cinéma d’Afrique et de sa diaspora ; d’autres évènements sont ainsi voués à s'éteindre. Toutefois, en matière d’art africain contemporain, quelques incontournables méritent d’être salués : la fondation Prince Claus qui célèbre et soutient depuis une vingtaine d’années des artistes du monde entier, parmi lesquels des artistes africains contemporains, et la fondation Thami Mnyele qui offre des résidences aux artistes du continent. Des artistes établis comme Rehema Chachage, Zanele Muholi et Guy Wouete sont passés par-là. La Galerie 23, active aussi depuis 2005, est spécialisée dans l’art africain contemporain et expose régulièrement les artistes émergents ou établis. Parmi les institutions, la Rijksakademie van Beeldende Kunst (académie nationale des beaux-arts) constitue un vivier où de nombreux
angèle etoundi essamba FRONTIÈRES
l’invention d’un tissu africain françoise vergès « Mais les objets avaient voyagé, apportés par d’innombrables trocs, et une infinité de traversées. Ils étaient là, énigmatiques et solennels, dans tout le système de leur facture. » Alejo Carpenter, Le Siècle des Lumières, 1975 :327. L’éducation culturelle que j’ai reçue dans une famille du « Sud » impliquée dans les luttes anticoloniales m’a amenée à m’intéresser aux cartographies et histoires retraçant les routes complexes des échanges sud-sud. J’ai étudié les routes millénaires Sud-Sud à l’intérieur du continent africain, dans l’Océan Indien et l’Asie, les routes Nord-Sud pendant la période de l’esclavage et de l’impérialisme, les routes Sud-Sud de la décolonisation et les nouvelles routes de l’ère contemporaine. J’ai fait miennes des cartes qui ne sont pas celles de l’école française ni celle du capital mais celles des « anonymes », celles des échanges et des rencontres qui échappent à l’hégémonie de la carte Nord/Sud. Les cartes tracent nos frontières mentales et donc, nos cartes politiques et historiques. Avec le wax africain, c’est une cartographie alternative qui émerge, la cartographie d’itinéraires, d’appropriations et d’inattendus. Les itinéraires du wax mettent à jour l’histoire millénaire des échanges, une histoire coloniale, et l’histoire de conséquences imprévisibles. C’est l’histoire d’un imprimé inventé et produit dans une partie du monde (Java), intégré aux routes du commerce colonial (Hollande), puis qui voyage et acquiert une nouvelle identité dans une autre partie du monde (l’Afrique de l’Ouest). En faisant leur le tissu imprimé appelé « wax » (dont les Hollandais avaient volé la technique aux Indonésiens), les Africains ont questionné la notion de tradition comme un lien inaltérable entre culture et authenticité, identité et territoire, mais aussi cette opposition entre modernité et tradition qui renvoie l’Europe à la modernité et le « reste du monde » à la tradition. Les historiens du « sud » ont montré qu’en associant de manière exclusive la notion de « modernité » à l’Europe, cette dernière a opéré un « vol de l’histoire »1. S’il ne faut pas enlever à l’Europe sa singularité, il faut aussi reconnaître qu’il y eu des modernités et que l’Europe s’est faite dans ses relations avec d’autres mondes. L’histoire de l’impérialisme a généralement été écrite comme l’histoire du Nord régnant sur le monde. Pourtant, sans sous-estimer la violence et la brutalité de cette économie prédatrice qui a voulu imposer un ordre binaire « (l’Occident et le Reste du monde »), on ne doit pas non plus ignorer les façons dont les pratiques de circulation, d’échange, et d’appropriation ont mis en échec l’ordre colonial. Il est donc important de souligner la capacité d’influence et d’affirmation des Africains, qui ont transformé un bien colonial – le wax hollandais – en un tissu africain. Le wax africain c’est l’histoire de l’approriation culturelle, et donc de l’inattendu et de l’imprévu, inséparables de l’histoire de la traite négrière, de l’esclavage, de l’impérialisme et du post-colonialisme. En effet, personne n’aurait pu prévoir qu’un motif inventé par le
peuple indonésien, vendu par les Hollandais aux Africains, deviendrait si populaire qu’il en serait durablement associé à l’esthétique africaine. L’itinéraire du wax africain trace une route sud-sud sur laquelle l’acteur du Nord dominant, ironiquement, finit par être un simple intermédiaire, tenu de se plier aux dernières tendances. Petite histoire du wax, une brève histoire d’un processus d’appropriation « Le wax Africain » n’est pas originaire d’Afrique. Au début, il y eu un jeune homme, Pieter Fentener van Vlissingen, fils d’un riche marchand d’Amsterdam dont l’oncle, banquier, habitait à Batavia (Jakarta aujourd’hui), la capitale de la colonie hollandaise de Java. L’oncle envoya à son neveu des échantillons de batik javanais. Ce dernier décida de lancer la production de batik aux Pays-Bas. En 1846, la famille installa la société Pieter Fentener van Vlissingen & Co (Vlisco) à Helmond, une petite ville du sud de la Hollande, pour produire et vendre des tissus imprimés à la main sur place et à l’étranger. L’entreprise vendit bientôt ses batiks imprimés main en Indonésie, c’est-à-dire que les Hollandais revendaient aux Indonésiens quelque chose qui était originaire de leur pays. En 1876, Vlisco commença à expédier ses produits en Afrique. Nous y apprenons que des soldats africains furent envoyés en Indonésie et y restèrent de nombreuses années (1837-1872). A leur retour en Afrique, ils se sont installés essentiellement au Ghana, rapportant le batik d’Indonésie (dès lors ce n’est peut-être pas une surprise que l’industrie wax ait été la plus développée au Ghana). C’est un chapitre fascinant et à peine connu des échanges Sud-Sud entrainés par l’impérialisme européen. Ineke van Kessel nous dit que dans les années 1830, les hollandais recrutèrent « des jeunes hommes de la ‘Côte d’Or’ pour l’Armée Royale des Indes néerlandaises. Ils passèrent un contrat avec le roi de l’Ashanti à Kumasi pour qu’il fournisse des recrues et achetèrent eux-mêmes des esclaves sur le marché de l’esclavage. Une fois enrôlés dans l’armée, les prisonniers de guerre et les esclaves pouvaient racheter leur liberté avec une avance sur leur salaire mensuel. Les soldats africains étaient envoyés de la cité côtière d’Elmina à la Batavie, sur l’île de Java. Leurs noms africains avaient été changés en des patronymes aux sonorités hollandaises comme Land, Recht, Klink, boom, Wit, Hek et … Molemans. » Parmi les 3 000 recrues envoyées en République Batave, quelques centaines seulement revinrent à Elmina, Ghana. En Indonésie, les « Belanda Hitam », le nom malais qu’on leur avait donné, formaient avec leurs femmes javanaises et leurs enfants, une « communauté petite mais très vivante dans les villes de garnison de Java. » « However, colonial policies changed and might work against private economic interests. ». Ainsi, en 1900, le pouvoir colonial néerlandais en Indonésie a cherché à protéger la production locale et c’est alors que Vlisco investit pleinement dans le marché africain. Les designs ont ainsi été adaptés pour plaire au goût africain, et dès 1954, Vlisco exportait 50% de sa production totale en Afrique. En 1981, Vlisco cessa d’imprimer des tissus pour les marchés européens et se consacra entièrement à l’Afrique. Aujourd’hui, Vlisco appartient au groupe Actis, un fonds privé d’investissement dont le siège est à Londres, avec un portefeuille d’investissements qui va de l’énergie à l’immobilier aux services financiers au développement industriel, des investissements dans le Centre Commercial d’Accra et le complexe « One Airport City », également à Accra. Vlisco a son propre musée, offert en 1960 par Jan Gentener van Vlissingen. Sa collection de plus de 13 000 objets, « échantillons de tissus, livres, vêtement, patrons imprimés à la main, archives et autres pièces liés à la production de tissus imprimés », couvrant une « période allant du milieu du 17e siècle au milieu du 20e siècle ». Le wax africain c’est l’histoire d’un style africain qui, loin d’être uniforme, est dynamique et diasporic.
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zied ben romdhane TUNISIE CAP PRIZRE WINNER, 2015
guillaume Bonn FRANCE - KENYA MOSQUITO A GALERIE ART PARIS ART FAIR CAP PRIZRE WINNER, 2012
the politics of the image: mirroring black bodies in works of viviane sassen
& the netherlands
jareh das Dutch photographer Viviane Sassen creates works that straddle the categories of fashion and contemporary art. She is known for her experimental approach to image-making often incorporating engaging installation elements – mirrors and projections, to create a dynamic display environment where shapes are continually shifting and an attempt to disrupt the viewer’s preconception about what the photographic image actually is. Although Sassen’s images are informed by their locations, even when they are shot in the studio, elements of the natural world are visible. Sassen’s interchangeable use of media is admirable, and her works have manifested as artist’s books, fashion photographs and largescale installations. She is able to seamlessly move between different media creating high fashion campaigns for brands including Stella McCartney, Adidas, Carven, Miu Miu and M Missoni and also in more underground publications. For UMBRA, an exhibition first shown at the Nederlands Fotomusuem Rotterdam in 2014, Sassen took the viewer on a journey into the concept of ‘shadow as metaphor’ to explore interplays of light and shadow which now form a strong aesthetic in her works. UMBRA presents Sassen’s autonomous work in a kaleidoscopic exhibition where shadow is often a metaphor for the human psyche. Anxiety and desire, and also imagination, illusion, and intrigue stimulate the spectator. The experience is reinforced by the creation of light-dark contrasts in space, where she makes use of video projections and mirrors to generate effects similar to those in her photos. This unique photographic language Sassen has now developed began with what she describes as a way of seeing ‘another’ in a world far away from her Dutch roots that began with a brief childhood experience of living in Kenya. Sassen describes her works as a blueprint for her early years and a deep longing to connect with someone else. She also refers to this time as one that was filled with vivid colors and strong contrasts between light and dark. These early experiences led to her experimentations with mirroring and shadowing techniques but there is no escaping the how’s and why’s of the black bodies used to convey some of this now signatory visual language. A politics of imagery emerges and raises important questions about representation – who is being represented and what do these images convey? The shadow was one of the metaphors used by the Greeks for the psyche or the soul. A dead person’s soul was compared to a shadow, and Hades, the land of shadows was the land of death. In Plato’s tale about prisoners in the cave of the same name, one had to escape from the shadows and into light in order to be enlightened, you had to renounce the dark in order to accede to true understanding. Greek mythology aside, any photography of the body (in this case the black body) and its representation traverse histories, politics and discourses that cannot be ignored or justified as being wholly aesthetic. Besides, the indexical relationship of the shadow’s referent, as writer Christina P. Washington identifies in her thesis Shadow, Skin, and Surface;
Examining the Work of Viviane Sassen: “the photograph is the cultural and social sign, whose iconic and symbolic tensions address the cultural shadow that photography cannot evade.”1 There is no denying that Sassen’s works are undeniably beautiful and technically masterful. The criticism often directed at her works rightly highlights the ways such representation renders the black bodies in them invisible. The use of the body as a silhouette in this case and others, opens up what Washington sees as “a separation in the visual field that makes apparent that seeing is always in conjunction with what we know; although the subject appears visible as a silhouette, the viewer cannot see the features of his/her face.” The face is thus left in the shadow, and dark skin is rendered as the color ‘black’ making the subject void of their personal characteristics but strongly confirming an African identity. One can observe this in series including Pikin Slee. An image from the series, Almando Blue (2013) depicts an unnamed black male figure gazing directly at the viewer between and beneath a vivid, mostly powdery blue background. Part of his face is masked by this bright color and whilst we make out his bold fixed gaze directed at the viewer, the contrast between body and background is juxtaposed in such a way that we can’t fully individualize him from our attention centered on the contrast between light (color) and dark (skin). Sassen’s nostalgia for her childhood experiences after her first visit in thirty years is not one for critique, neither are her intentions to present through her photographs, new ways of looking or re-seeing these spaces that clearly had a lasting impact on her view of the world. The photographic image, however, is never ambiguous and these representations of black bodies cannot just exist as images for easy consumption for the photographer, viewer and indeed subjects immortalized through being captured in this way. The photographer always occupies an active role by taking the photograph and engaging with space of alterity. In his book, The Right to Look: A Counterhistory of Visuality, Nicholas Mirzoeff examines the dynamic and very fragile relations between the “right to look” (the colonized) and the “power to look” (the colonizer). If we apply Mirzoeff’s thinking to the works of Sassen, this presents a mediation of looking and seeing, and in this case, the bodies we see are a representation of the real that has the potential to reinforce stereotypes of black bodies. Admirable as talent might be here, one cannot escape from the representation of black bodies in the works of Sassen regardless of an artist’s intentionality, and as the cultural critic, Stuart Hall reminds us, this leads to a stereotyping which “receives a few simple easily recognizable characteristic of a person that either exaggerates or simplifies him… After that, the stereotype deploys a ‘splitting’, that divides the normal form abnormal, able to exclude everything that does not fit and is different.”2 Sassen, similar in aesthetics to South African photographers Koto Bolofo and Pieter Hugo one can argue, seeks to represent a time past presented through a contemporary lens. It is admirable to present images that walk the tight-rope between a balance of old ideas representing black bodies and a drive to capture a certain atmosphere of timelessness, in a quest for connecting with another. This might allow an engagement with wider issues of the photographic medium and how images influence the ways in which we view each other. Jareh Das Jareh Das (Nigeria-UK) is a curator/writer/doctoral researcher currently based in Rotterdam. She has worked on a variety of curatorial projects encompassing exhibitions, art fairs, consultation, sales and public programming (talks, events and education) in international cities including Berlin, London, Dubai, Hong Kong, Mexico City and Tehran.
1 Washington, Christina P., Shadow, Skin, and Surface; Examining the Work of Viviane Sassen, thesis, Georgia State University, 2014. http://scholarworks.gsu.edu/art_design_ theses/159. 2 Stuart Hall, Representation: Cultural Representations and Signifying Practices (London: Sage in Association with the Open University, 1997), 257-260
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Mario Macilau MOZAMBIQUE STAIRS OF SHADOWS - GROWING IN DARKNESS SERIES, 2012-15, COURTESY ED CROSS FINE ART ART PARIS ART FAIR
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