(in)décision assistée par ordinateur

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INDÉCISION assistée par ordinateur

O P H É LI E B AT TAGLI A



INDÉCISION assistée par ordinateur

mémoire présenté par Ophélie Battaglia

Année 2013-2014 Pôle Supérieur de Design de Villefontaine Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués option design interactif



REMERCIEMENTS Je souhaite remercier les personnes suivantes pour m’avoir aidé à prendre des décisions au cours de mon mémoire :

Guillaume Giroud, France Corbel, Jean-Baptiste Joatton, Sandrine Chatagnon, le centre Erasme, Laure Lou Battaglia,

Annick Paquelier, Jean‑Louis Battaglia et Sylvie Tartarin.

Merci à mes collègues de promotion, en particulier Claire Franqueville, Lauriane Dugit-Gros, Damien Faivre,

Mégane Rousselet, Barbara Chabriw, Hugo Di Stefano,

Jonathan Hamot, Zoé Pellini ainsi que mes cobayes Adeline Plu et Camille Bonnevial.

Enfin j’exprime toute ma reconnaissance à l’administration et à l’ensemble du corps enseignant du Pôle Supérieur de Design de Villefontaine pour leurs efforts à nous

garantir la continuité et l’aboutissement de ce programme de DSAA.



TABLE DES MATIÈRES 11

Préface

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Chapitre 1 La quête de la rationalité et le processus décisionnel

PREMIÈRE PARTIE : THÉORIE 15 Introduction 13

19 19 20

21 22 22 23 24 24

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QU’EST CE QUE PRENDRE UNE DÉCISION La prise de décision La décision, le cœur de l’action et de l’existence humaine La volonté et le libre-arbitre LA QUÊTE DE LA RATIONALITÉ Le rationnel l’homo œconomicus Le designer et les décisions rationnelles Et l’intuition ? Chapitre 2

L’irrationalité de l’homme et son état d’indécision

POURQUOI EST-CE DIFFICILE DE PRENDRE UNE DÉCISION ? 31 L’indécision : une non-décision ? 32 L’indécision : un modèle négatif pour l’action ? 32 Pourquoi la décision est-elle parfois compliquée à prendre ? 34 LA CHUTE DE L’HOMME RATIONNEL 34 L’irrationalité 35 La rationalité biaisée 7


39

41

41 42 43 47 47 48

51

53

53 54 55 59 59

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Chapitre 3 Le hasard comme moyen de déléguer la décision

DES DÉCISIONS NON MAITRISÉES : LE RECOURS AU HASARD L’origine du recours au hasard

Pourquoi s’en remettre au hasard Jouer avec le hasard VERS UN HASARD CALCULÉ La rencontre du hasard et des mathématiques L’aléatoire en informatique : simuler le hasard Chapitre 4 Des décisions externalisées : sommes-nous vraiment maître de nos décisions ?

PRENDRE DES DÉCISIONS « LIBRES » DANS UN MONDE QUI NOUS CONDITIONNE Notre conditionnement Manipulés en permanence Le choix par défaut UN MONDE SOUS L’EMPRISE NUMÉRIQUE La place des algorithmes dans nos décisions : une délégation pour le meilleur … et pour le pire

64 Conclusion

8


67

SECONDE PARTIE : PRATIQUE

73

Chapitre 5 L’indécision comme décision

69 Introduction

75

Les Stéréodécisions 81 Blouge 82 Amalgam 85 Perhaps, le GPS incertain 86 Typopasûre 89

91 97 98

103

105

Chapitre 6 La décision hasardeuse

Les dé-cisions Shuffle Decision Lab Le Musée Dont Je Suis Le Héros Chapitre 7 La décision des autres

107 Apriori 111

Les indécis, le réseau social

115

RÉFÉRENCES

112 Conclusion

122

Index 126 Résumé

9


10


PRÉFACE Les études en design m’ont toujours donné un certain appétit à faire de la veille, c’est à dire à collecter de l’information sur des thématiques particulières. Le nombre de

sujets de recherche en design peut vite être gigantesque… Très vite passionnée, je peux passer des journées à appro-

fondir mes connaissances sur des thèmes différents… et lorsqu’il est le moment de choisir un sujet d’étude pour mon année, la décision est compliquée. Pas seulement

parce que j’ai l’embarras du choix, mais peut-être aussi parce que je ne sais pas ce que je veux ou que j’ai peur

de m’engager sur un sujet… Eternelle indécise dans mon

quotidien et dans mon travail, je perds souvent mon temps à comparer des produits pour être sûre de mon achat, à

tester tous les nuanciers et toutes les typographies avant

d’arrêter mon choix, à demander conseil à mon réseau et souvent à repousser le plus loin possible le dur moment de

la décision. Je sais que je ne suis pas seule, et d’ailleurs je pense être comme la plupart : il suffit de taper le hashtag décision ou indécision sur le réseau social Twitter pour observer tous les internautes en pleine hésitation ; et des

hésitations souvent mineures : « est-ce que je me coupe les cheveux ? Jupe ou pantalon ? ». Arrivons-nous à un stade

où même la plus petite décision est difficile à prendre ?

Pourquoi ai-je choisi cette typographie ? Pour une lecture plus fluide ? Ou bien parce que j’ai pour habitude de l’utiliser ? Ou alors parce que c’est celle par défaut ? Ce cheminement de questions m’a fait vite comprendre que j’avais inconsciemment déjà choisi mon sujet d’étude : choisir, la

difficulté de prendre des décisions. En tant que designer,

je n’ai pas la prétention de résoudre l’indécision, mais je présente dans cette étude les enjeux de celle-ci. 11


12


PREMIÈRE PARTIE THÉORIE

13


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INTRODUCTION Confrontés chaque jour à une multitude de décisions à prendre, nous rencontrons souvent l’indécision. Au-

jourd’hui, nous avons de plus en plus de possibilités, dans

nos consommations, dans nos choix de vies, d’études, de carrières, de mariages… Mais paradoxalement, nous

avons également de moins en moins le choix : le confor-

misme et la technologie semblent limiter nos décisions ou bien les effectuer à notre place. Il en est de même dans le processus de création pour un designer. D’un côté, les

possibilités se multiplient : de nouveaux procédés de fabrication, de nouvelles innovations technologiques... mais

d’un autre côté, les choix sont restreints par l’influence des mouvements et styles du moment ou encore limités par les fonctions proposées par le logiciel.

On désire et on s’efforce de résoudre chaque situation de la meilleure façon possible, on cherche la bonne recette

pour prendre la bonne décision. On stagne dans un mo-

ment flou, rempli de doutes, de « et si... », en espérant s’en sortir le plus rapidement et simplement possible en vue

d’être plus apaisé, heureux. Comment prenons-nous nos décisions ? Sont-elles prises de façon à ce qu’elles soient

les meilleures, autrement dit, sont-elles maîtrisées ? À

l’heure où le numérique prend une place importante dans la prise de décision et limite de plus en plus notre liberté de choisir, nous avons le sentiment que nos choix sont

impersonnels, délégués ou manipulés, qu’ils sont externalisés. Nos décisions sont et seront-elles vraiment toujours les nôtres ? L’ensemble de ces interrogations nous

amènent à la question principale : la prise de décision nous échappe-t-elle ?

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L’aliénation est la dépossession de l’individu et la perte de maîtrise de ses forces propres au profit d’un autre. Je parle ici de la décision transférée à un autre agent.

Pour étudier cette possible aliénation

de la décision,

j’expose dans le premier chapitre le processus de prise de décision ainsi que la recette pour prendre une déci-

sion idéale. Dans le second chapitre, je démontre qu’une telle démarche est belle et bien utopique et explique la difficulté de l’utiliser. Dans le troisième chapitre, j’étudie

le hasard, un moyen de déléguer la décision, un recours qu’utilisent les indécis et qui n’est parfois pas si immaîtrisé que nous le pensons. Enfin dans le dernier chapitre

de cette première partie, je poursuis sur les décisions externalisées et plus précisément sur celles qui ne sont

pas vraiment les nôtres : j’interroge notre conditionne-

ment, dans un monde où nous sommes influencés par tout et notamment par la machine. Dans ce mémoire je

m’intéresse aux décisions personnelles en général, celles de notre quotidien, mais plus particulièrement celles du designer dans le processus de création.

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CHAPITRE 1 LA QUÊTE DE LA RATIONALITÉ ET LE PROCESSUS DÉCISIONNEL

ou (Vouloir) maîtriser la décision 
 ou Prendre la bonne décision dans un monde idéal ou J’ai choisi une typographie à empattement pour une lecture plus fluide 17


Pour commencer, il est nécessaire de comprendre qu’est ce que décider, quel trajet nous faisons lorsque nous prenons une décision. La définition paraît simple : la décision est le fait d’un acteur qui effectue un choix entre plusieurs solutions susceptibles de résoudre le problème ou la situation à laquelle il est confronté.

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QU’EST CE QUE PRENDRE UNE DÉCISION ? la prise de décision

Décider, c’est une action d’arbitrage. Cette activité recouvre un éventail très large de situations allant du choix

simple et rapide d’aller à gauche ou à droite, de choisir un croissant ou un pain au chocolat, jusqu’au choix fati-

dique d’accepter ou de refuser une offre d’emploi. Nous remarquons ainsi que nos vies et la qualité de nos vies

dépendent des décisions que nous prenons au quotidien. Décision, prise de décision et processus de prise de décision sont des mots et expressions qui seront souvent cités

dans cette recherche ; en voici la distinction. La décision est un choix entre plusieurs alternatives, c’est le résultat

d’une démarche cognitive que l’on appelle prise de déci-

sion. Cette démarche comporte un ensemble de processus cognitifs permettant de choisir une option ou une action

à faire parmi des choix qui se présentent. La prise de dé-

cision est un processus qui consiste à élaborer diverses solutions possibles, à les analyser et à n’en retenir qu’une

seule. Le processus de prise de décisions tient compte de la démarche mentale. Celle-ci porte un regard sur la prise

de décision et une prise de conscience de ce processus, c’est à dire des doutes, des aller-retours entre la situation et les choix possibles de décision, des ajustements en cours de réflexion… On peut relier ces trois concepts à

problème, résolution de problème et processus de résolution de problème. La décision amènera l’individu à passer

à l’acte. Ainsi elle est une étape cruciale du processus de l’action.

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la décision, le cœur de l’action et de l’existence humaine

ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Livre III,4

Pour comprendre la décision, on peut remonter jusqu’à Aristote . Ce dernier analyse la structure de l’action en la

décomposant en trois séquences. Le premier moment est

celui de la délibération. C’est un moment théorique qui fait intervenir la connaissance et le jugement, moment où l’esprit pèse et évalue, où s’affrontent le pour et le contre. Il s’agit de faire l’inventaire des données du problème,

d’analyser et d’examiner les objectifs et les différentes solutions possibles. Si la délibération est un acte cognitif, la décision, qui constitue le deuxième moment de l’action,

est un acte volitif (expliqué par la suite). Les représenta-

tions en effet ne suffisent pas pour agir. La décision est alors le moment où s’effectue le choix, où l’esprit tranche

entre les partis opposés qui s’offrent à lui. Le troisième moment, celui de l’exécution, est un moment pratique : la décision se transforme en action. Le sujet accomplit

ce qu’il a décidé. Le temps de la décision apparaît donc comme un moment clairement identifiable de l’activité

humaine. La décision est au centre de l’action, entre la délibération et l’exécution. L’existence humaine est choix

en ce que, à partir du principe de la liberté, elle peut être

conçue comme auto-accomplissement, autodétermina-

tion du sujet. D’une telle autodétermination, l’animal est idem, « En effet, la décision n’est pas une chose qu’ont également en partage les êtres sans raison ».

incapable, c’est pourquoi il reste étranger à la catégorie de la décision. Pas plus qu’il n’agit, l’animal ne décide d’agir ou de ne pas agir, ce que soulignait Aristote

. Ses diffé-

rents actes et mouvements ne sont pas le fait d’un choix libre, car l’animal est programmé par l’instinct.

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la volonté et le libre-arbitre

La décision est un acte volitif. La volition est un acte par lequel la volonté se détermine à quelque chose. La

volonté est la faculté qu’a la raison de déterminer une action d’après des « normes » ou des principes. En cela,

elle s’oppose à la spontanéité du désir, ou aux « instincts

naturels », dont la réalisation ne fait appel à aucune délibération. L’acte volontaire suppose une délibération pen-

dant laquelle la conscience évalue la décision à prendre ainsi que ses conséquences, en même temps qu’elle prépare les moyens afin de réaliser l’objet de la volonté. Un

acte volontaire implique donc la liberté dans la mesure où

c’est elle qui le rend possible. Sans liberté, il n’y a plus de

volonté mais des penchants irrépressibles, des instincts, des pulsions. La volonté est ainsi l’expression de la liberté

de l’arbitre chez un sujet, par exemple entre ses désirs actuels et ses souhaits futurs. Le libre-arbitre est la capacité qu’aurait l’être humain de se déterminer librement et

par lui seul, à agir et à penser, par opposition au déter-

minisme ou au fatalisme, qui affirment que la volonté est déterminée dans chacun de ses actes par des « forces » qui la contraignent.

Pour résumer, prendre une décision c’est arrêter son choix

parmi plusieurs alternatives. La prise de décision est indispensable pour agir. Sans décision il n’y pas d’action, et

nous serions dans un stade d’inertie. La décision est un acte dépendant de la volonté et donc du libre-arbitre.

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LA QUÊTE DE LA RATIONALITÉ De ces définitions précédentes, nous constatons que prendre une décision, c’est faire appel à la raison, c’est pouvoir juger, peser le pour et le contre. Prendre une

bonne décision, c’est peut-être faire un choix réfléchi, un choix argumenté, qui découle d’une démarche logique,

cohérente. Ainsi, il est question de rationalité. Si j’ai choisi cette typographie, c’est parce qu’elle comporte des empattements. Elle favorise la lecture en permettant à l’œil de lier plus facilement les caractères entre eux grâce aux sérifs. Mon choix est tout à fait justifié, rationnel… le rationnel

… Qu’est ce que la rationalité ? Cette notion vient du mot

latin ratio, qui avait le sens de « calcul », mais aussi de « mise en ordre », d’« organisation ». L’illustration la plus claire du concept de rationalité est sans doute le calcul

mathématique. Il existe manifestement un lien très fort

entre la rationalité et la logique. Or, quel est le trait caractéristique de la logique ? C’est le fait que la pensée y obéit

à des règles strictes garantissant la validité des conclusions auxquelles elle arrive. Cela renvoie à l’activité de

réfléchir avant d’agir, c’est-à-dire d’analyser une situation

et de l’examiner avec soin en vue de prendre une décision raisonnée, soit fondée sur de bonnes raisons. Quand nous

procédons ainsi, nous avons une vision claire des motifs de notre décision et nous pouvons ensuite l’expliquer ou la justifier. Procéder d’une manière ordonnée, cohérente peut aussi vouloir dire procéder avec méthode, en suivant

un plan, une stratégie. La rationalité est la caractéris-

tique d’une pensée qui enchaîne ses idées d’une manière 22


consciente, ordonnée et contrôlée pour atteindre un but

déterminé, en s’appuyant sur un raisonnement, ce que défend la pensée cartésienne .

DESCARTES René, Discours de la méthode

l’homo œconomicus

Faire un choix rationnel semble être à la portée de tous. Utiliser la raison, le bon sens est une capacité humaine. On peut donc supposer que l’homme est rationnel. Il existe cette idée de l’homo œconomicus. La rationalité,

constitue le fondement des théories, prédictions et re-

commandations économiques. L’homo œconomicus c’est

l’idée simple et fascinante selon laquelle nous sommes tous capables de prendre des décisions qui nous pro-

fitent, fondées sur un calcul d’intérêt. Se considérer comme tel, c’est supposer que nos capacités de raisonnement sont parfaites. Pour prendre une bonne

décision, il faut être suffisamment informé. C’est l’information qui va nous diriger vers la meilleure solution à prendre. L’idée de l’homo œconomicus est

peut-être celle aussi que l’homme dispose de toutes les informations, qu’il a une vue omnisciente et qu’il est donc capable de faire le bon choix. Il existe des outils d’aide à la prise de décision

permettant de mettre à

plat l’information, comme les techniques de marketing SWOT

, ou notamment la data visualisation, la repré-

sentation graphique de données. Tel un résumé visuel,

elle permet en un seul coup d’œil d’en saisir la tendance générale. Le travail du graphiste est ici de synthétiser de manière visuelle des données, trier l’information et de l’éclairer.

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voir visuel page suivante SWOT : Strengths (forces), Weaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités), Threats (menaces), c’est un outil d’analyse interne et externe d’une entreprise.


le designer et les décisions rationnelles

Inversement, David Carson rend illisible ses mises en page pour le magasine BEACH lorsqu’il juge le texte inutile. La composition graphique prime sur le contenu.

ROSS CHARCHAR Alexander, The Secret Law of Page Harmony

KAHNEMAN Daniel, Thinking, Fast and Slow. Il explique que nous avons deux façons de prendre une décision : « Le premier système, appelé heuristique, simplifie le processus. C’est un outil cognitif qui nous permet d’aller plus vite, en se fiant à notre intuition. Le deuxième système, lui, nécessite du temps et de la concentration, mais évite les erreurs du premier système. »

la page de droite : So You Need A Typeface Cette data visualisation en arborescence aide étape par étape à choisir une typographie. On répond oui ou non à différentes questions concernant le type de projet dans lequel est intégrée la police de caractères. Ces questions nous renvoie à d’autres questions ou bien à un nom de typographie. Cette infographie réalisée en poster par Julian Hansen en 2010 est aussi disponible en version numérique par Ian Li sur http://ianli.com/synat/

À la suite de cette réflexion sur le processus de prise de décision et sur la rationalité, je m’interroge sur comment prendre « la bonne décision » dans un projet design. Dans

nos études, on nous encourage à prendre des décisions ra-

tionnelles. Si l’on peut justifier un concept graphique, si on peut le défendre, le projet fonctionne. Prendre de bonnes

décisions en tant que designer, c’est peut-être aussi avoir cette capacité d’empathie, de se mettre à la place de l’utili-

sateur pour voir si nos choix sont justifiables. Si j’ai choisi cette typographie, c’est parce que je me suis mise à la

place du lecteur, et qu’il m’a semblé logique, étant donné la longueur du texte, que celui-ci se devait d’être fluide .

La décision semble bonne si celle-ci est justifiée. Justifier par la théorie, c’est également ce que les études m’ont ap-

pris : utiliser le nombre d’or, connaître le bagage culturel des typographies, la connotation des couleurs, utiliser les règles de mise en pages dans le but d’avoir une composition harmonieuse

… Pour prendre de bonnes décisions,

faut-il être un bon étudiant qui apprend et applique ses

leçons ? Le graphisme et le design en général, n’est-ce pas aussi une question de ressenti ? Des décisions au feeling ? et l’intuition

?

Lorsque nous nous retrouvons face à une décision à prendre, deux approches

nous sont possibles : la

première est d’analyser consciemment et de manière car-

tésienne (comme démontré précédemment) les effets en valorisant les apports de notre action. La seconde relève

plutôt de l’inconscience, de manière primitive on établit

une action sans passer de temps à mesurer les incidences 24


25


26


de notre acte. Il s’agit de l’intuition, soit une pensée qui surgit dans l’esprit de façon immédiate et spontanée. La

pensée intuitive se distingue ainsi de la pensée ration-

nelle, qui nécessite temps, effort et méthode pour élaborer ses contenus. L’intuition est un phénomène constitutif de

la pratique créative. Immédiatement et inconsciemment,

notre cerveau va collecter, interpréter et évaluer des in-

formations. L’intuition est une manière de solutionner une interrogation, et par la suite prendre une décision.

La notion d’intuition peut alors être considérée comme le lien entre le conscient et l’inconscient, le rationnel et

l’irrationnel. On pourrait penser à la suite de ce premier chapitre que le processus de prise de décision est un mo-

ment simple et logique où il suffit juste de classer dans un tableau le pour et le contre. Si, en théorie, on peut facilement dessiner la recette vers la bonne décision, la déci-

sion rationnelle, alors pourquoi en pratique est-ce parfois si compliqué ?

27


28


CHAPITRE 2 L’IRRATIONALITÉ DE L’HOMME ET SON ÉTAT D’INDÉCISION

ou La difficulté de choisir ou Pourquoi faire le « bon choix » est une recette difficilement applicable ou Je n’arrive pas à choisir une typographie 29


Si la décision apparait comme une étape cruciale dans l’action, c’est aussi parce qu’elle est un instant critique, une forme de crise. Elle suscite souvent l’inquiétude et la souffrance. L’étymologie peut ici nous guider. Le verbe décider vient du latin « caedere » qui dénote l’action de couper, trancher ou fendre. La décision, c’est donc d’abord ce qui coupe et qui sépare. Choisir, c’est préférer, donc exclure.

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POURQUOI EST-CE DIFFICILE DE PRENDRE UNE DÉCISION ? l’indécision

: une non-décision ?

L’indécision, c’est le moment où l’esprit stagne, se floute, le moment du je ne sais pas. Ce mot se compose du pré-

fixe privatif « in », l’absence d’une décision. Si nous nous référons au schéma classique de l’action et à sa division

en trois étapes : délibérer, décider, exécuter, l’indécis de-

meure en amont de l’action. Il se trouve dans l’incapacité d’agir, tout en ayant tout ce qu’il faut pour agir. L’indécis procrastine : le moment du choix est sans cesse reporté à plus tard , parce que l’indécis n’en finit pas de délibérer,

trouvant toujours de bonnes raisons de ne pas préférer

un parti à un autre. Il ne faut pas confondre l’indécision à la non-décision. Ce n’est pas binaire, la non-décision n’est pas le contraire de la décision. La non-décision est

une décision. Du point de vue fonctionnel, ne pas décider vise par opposition à la décision, à éviter le changement, à assurer la stabilité, à conserver ou même à contester. Par exemple, la dissuasion nucléaire

est fondée sur

la non-décision, car elle laisse entendre, en permanence, « que ce n’est pas non, et que ce peut devenir oui »

.

La non-décision apparaît ainsi comme porteuse d’une inhibition de l’autre : on ne bouge pas, pour que l’autre ne

bouge pas. La non-décision n’est pas une indécision, mais un processus volontaire, visant le but et employant des moyens précis.

31

DESCARTES René, Les Passions de l’âme, article CLXX. Il donne de l’indécision la définition suivante : « une espèce de crainte qui, retenant l’âme comme en balance entre plusieurs actions qu’elle peut faire, est cause qu’elle n’en exécute aucune, et ainsi qu’elle a du temps pour choisir avant de se déterminer ».

La dissuasion nucléaire est une stratégie militaire adoptée durant la guerre froide. Ce n’est pas une décision de non-emploi, sinon l’arme perdrait toute crédibilité. C’est une non-décision visant la stabilité de la situation par l’inhibition de l’autre, pour éviter une catastrophe. C’est un moyen de pression, pour dissuader l’autre d’attaquer. NAEGEL Paul, Face à la non-décision que faire ?


l’indécision

: un modèle négatif pour l’action ?

L’Europe chrétienne a longtemps dénoncé l’indécision

comme un vice découlant de ce péché majeur qu’est l’acédie (aujourd’hui appelé paresse). De nombreuses analyses littéraires ou philosophiques viennent conforter cette DESCARTES René, Les Passions de l’âme, article XLVIII. Il assimile l’indécision à l’âme faible, celle qui « se laissant continuellement emporter aux passions présentes, lesquelles étant souvent contraires les unes aux autres, la tirent tour à tour à leur parti» se trouve ainsi conduite à «un état déplorable ». DESCARTES René, Les Passions de l’âme, article CLXX, « d’un trop grand désir de bien faire ». RICŒUR Paul, Le volontaire et l’involontaire. Il donne un tableau convaincant de la psychologie de l’indécis. « Il est des âmes partagées que les énigmes et les conflits de l’action trouvent désemparées : ce sont les scrupuleux (...) Ce sont pour une part des cérébraux qui raffinent sans fin les raisons et ne peuvent réussir cette conversion qui conduit la conscience à l’anticipation de l’action, de la multiplicité des raisons à la simplicité du projet ».

vision négative de l’indécision. Descartes assimile l’indécision à l’âme faible . L’indécision est souvent la conséquence d’un excès de perfectionnisme

. Si l’indécision

est dénoncée comme faiblesse, voire comme vice, la capacité à prendre des décisions est généralement considérée

comme une qualité, une marque de force d’âme. L’indécis est peut-être un intellectuel trop scrupuleux

? Ce

serait l’excès de scrupules propre à celui qui « pense trop » qui condamnerait l’indécis à l’impuissance, en rendant

toute décision impossible. Les scrupules de l’indécis auraient pourtant le mérite de nous mettre en garde contre

le danger de l’action impulsive. L’exemple de l’indécis qui se donne tout ce qu’il faut pour réfléchir et veut faire une

analyse exhaustive de la situation avant d’agir, serait alors une alternative salutaire à la précipitation.

pourquoi la décision est-elle parfois compliquée à prendre

?

L’indécision s’installe souvent car l’exercice de prise de

décision est trop complexe et implique plusieurs autres moments. Tout d’abord au présent, il faut savoir analyser une situation, cela implique d’avoir un maximum d’informations pour avoir une vision globale et objective sur le

problème. Or, notre vision n’est pas du tout omnisciente, elle est parcellaire. Nous sommes souvent indécis parce 32


que l’information nous manque, tous les éléments ne sont pas présents, comme si on manquait d’indices pour résoudre une enquête. Il y a également le futur qui est pris

en compte. Pour considérer des solutions, il faut réussir ce dur exercice mental qu’est de se projeter dans différents futurs. Face à plusieurs alternatives, on les teste une par une mentalement en s’imaginant ce que serait

notre vie, que deviendrait la situation si je faisais ce choix. Prendre une décision implique de s’engager dans une di-

rection. C’est aussi cette peur de l’engagement qui rend la tâche particulièrement difficile : on a peur, une fois la décision prise, de regretter le passé. On peut dire que le

choix rend malheureux car il est synonyme de frustration

et de regret. Le choix est générateur de dissonance , dans

la mesure où il implique un renoncement aux avantages offerts par l’alternative non retenue. La réduction de la

dissonance se traduira par une tendance à justifier a posteriori le choix opéré en maximisant ses attraits et en mi-

nimisant ceux des alternatives rejetées. Avant la décision

on s’efforce à recueillir et à traiter objectivement toute l’information, et après on tente d’éviter toute information

qui risquerait de remettre en question le bien fondé de notre choix. Parce qu’on a peur d’avoir pris la mauvaise décision…

33

POITOU Jean-Pierre, Dissonance cognitive


LA CHUTE DE L’HOMME RATIONNEL Prendre de « mauvaises décisions » serait-ce prendre des

décisions injustifiées ? L’homme parfait, l’homme rationnel, l’homo œconomicus, c’est l’homme en théorie. Selon

Jon Elster, l’hypothèse de la rationalité semble « promettre la réalisation de l’idéal scientifique de la prédiction

ELSTER Jon, Le désintéressement, Traité critique de l’homme économique

unique » . Nous prenons des (bonnes ou mauvaises) déci-

sions pas forcément sur le mode de causalité. En vérité, je ne suis pas sûre de savoir pourquoi j’ai choisi cette typographie. l’irrationalité

On emploie le mot irrationnel pour désigner ce dont on ne saurait rendre raison, ce qui par définition ne saurait être formalisable ou déductible. C’est donc ce qui est inacces-

sible par nature à l’intellect, l’injustifiable, le contraire d’un système déductif. Une pensée irrationnelle est une

pensée indéfendable. L’irrationnel se caractérise comme une infraction aux règles de la rationalité. Un compor-

tement est caractérisé comme étant irrationnel quand

on y constate un désaccord avec soi-même ou quand on agit contre ses propres principes, ou encore, quand on croit à la fois une chose et son contraire. On peut notamARISTOTE, l’Ethique à Nicomaque, livre VII

ment se référer à l’intempérance, l’acrasia

dont nous

parle Aristote. L’individu sait dans ce cas où est le meilleur pour lui, mais agit contre ce principe : par exemple,

il sait que manger trop de gâteaux est dangereux pour la

santé, et il est tout à fait d’accord avec ce principe, qu’il veut prendre comme principe de sa conduite ; pourtant il se met à tous les manger. Une décision irrationnelle

n’est pas obligatoirement synonyme de décision absurde. 34


Une décision rationnelle peut l’être également (comme par exemple les sophismes ).

la rationalité biaisée

La prise de décision est souvent étudiée par les économistes ou scientifiques sans prendre en considération

l’implication de l’émotion dans l’élaboration d’une déci-

sion. La décision telle qu’elle est vécue dans le quotidien, est souvent déterminée par nos expériences et nos états émotionnels

. Les émotions ont des effets puissants

sur les choix. En effet nos états de joie, de tristesse et de colère colorent et forment nos décisions. Nos sentiments

imaginés de la culpabilité, de l’exaltation, ou du regret influencent l’élaboration de nos décisions. Le temps est également un élément à prendre en compte dans la décision.

Par manque de temps, le décideur peut avoir tendance

à prendre une décision sans avoir obtenu, au préalable,

toutes les informations utiles. Il existe aussi plusieurs violations courantes des normes de rationalité qu’on appelle « biais cognitifs

». Ce sont des automatismes, des

erreurs systématiques que les hommes commettent dans leurs jugements ou dans leurs décisions pratiques.

35

Un sophisme est un raisonnement qui cherche à apparaître comme rigoureux mais qui en réalité n’est pas valide au sens de la logique. Les sophismes prennent l’apparence d’un syllogisme : « Dans l’emmental, il y a des trous. Plus il y a d’emmental, plus il y a de trous. Plus il y a de trous, moins il y a d’emmental. Donc plus il y a d’emmental, moins il y a d’emmental. » MASMOUDI Slim, NACEUR Abdelmajid, Du percept à la décision : intégration de la cognition, l’émotion et la motivation. On se forge naturellement une opinion ou on porte un jugement très rapidement, à partir de ce qui se présente en premier lieu à notre esprit ou de ce qui nous revient en premier en mémoire. C’est le « biais de primauté ou de récence ». On accorde souvent plus de crédibilité à ce qui retient immédiatement et fortement notre attention, comme une expérience personnelle, la une d’un journal, une image spectaculaire ou une anecdote savoureuse, qu’à une enquête scientifique sérieuse. C’est le « biais de disponibilité ». On accorde beaucoup plus de crédibilité aux données qui confirment notre opinion qu’à celles qui la contredisent. C’est le « biais de confirmation ». Nous avons tendance à rester fidèles à notre première impression, au lieu de la réviser en fonction des nouvelles informations qui nous parviennent. C’est le « biais d’ancrage mental ». La théorie de l’homme rationnel est difficilement une vision réaliste car elle fait abstraction de tous ces éléments qui sont pourtant présents dans la prise de décision.


La difficulté de la décision et l’irrationalité de l’homme

nous amènent déjà à supposer que maîtriser une décision est complexe. L’indécision est souvent un moment

douloureux qui consomme énormément de notre temps et nous souhaitons en sortir, être soulagé, le plus rapidement possible. Un moyen de vivre plus simplement est

peut-être d’abandonner la décision ? La déléguer ? Lais-

ser quelqu’un ou quelque chose d’autre la prendre à notre place ? Et si prendre une décision en lançant un dé n’était pas plus simple ?

la page de droite : Le quotidien d’information économique français Les Echos a fait appel à l’agence BDDP Unlimited pour la réalisation sa campagne publicitaire de fin 2012. Les Échos se revendiquant comme outil primordial des décideurs d’entreprises. Ces visuels affichent le côté négatif et ridicule de l’indécision. Le « Yes We Can » de la campagne présidentielle américaine de Barack Obama devient alors « Maybe We Could ». la page suivante : Le « J’accuse ! » d’Emile Zola devient « J’accuse... Enfin je crois » et le « Je pense donc Je suis » de René Descartes se transforme en « Je pense donc je suis, à moins que ce soit l’inverse...»

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37


38


CHAPITRE 3 LE HASARD COMME MOYEN DE DÉLÉGUER LA DÉCISION

ou Les dé-cisions ou Alea Jacta Est ou J’ai choisi une typographie au hasard 39


Pour choisir cette typographie, j’aurais pu fermer les yeux et cliquer au hasard sur la liste des polices ; mon hésitation aurait été moins longue... Dans ce chapitre, je parle du hasard comme moyen d’externaliser, de déléguer la décision. Décider de s’en remettre au hasard, ou refuser de décider : la maîtrise de la décision devient plus floue. Qu’est ce que le hasard ? Pourquoi s’en remettre à lui ? Et lorsque le hasard rencontre les mathématiques, est-ce que la décision est toujours non maîtrisée ?

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DES DÉCISIONS NON MAÎTRISÉES : LE RECOURS AU HASARD l’origine du recours au hasard

Le mot « hasard » (dont la racine latine se rapporte à la chute des dés) peut signifier que la cause ou le système

de causes responsable d’un effet donné est inconnu ou

inattendu ou, du moins, que nous sommes incapables de complètement le spécifier. Le hasard, selon Cournot , est la rencontre de deux séries causales indépendantes. C’est l’événement dont on ne peut expliquer l’apparition,

et que l’on ne peut prévoir. Dans l’Antiquité, le hasard est

instrument de divination, de prévision et de décision. L’examen des entrailles et du vol d’oiseaux révèle le fu-

tur. « Le Hasard est peut être la marque de Dieu lorsqu’il

ne veut pas signer de son nom » (Anatole France). Ainsi dans cette démarche, on assimilait le hasard à la logique de Dieu (la Providence

). On parle alors de destin

, une

volonté qui décide des fins de notre existence. Pour passer de l’incertain au hasard, il faut que le regard se fixe, que des individus soient surpris d’une rareté excessive ou

COURNOT Antoine-Augustin, Essai sur les fondements de nos Connaissances et sur les caractères de la Critique Philosophique Origines stoïciennes du concept de Providence : soit l’action du Créateur sur le monde en tant que volonté conduisant les évènements à des fins. Dieu est défini comme étant un être rationnel dont la raison s’exerce providentiellement dans le monde Le destin désigne, au moment présent, l’histoire future d’un être humain ou d’une société telle qu’elle est prédéfinie par une instance qui est considérée comme supérieure aux hommes.

d’une fréquence étonnante. Sous le hasard se glisse toujours plus ou moins confusément une idée de quantitatif,

la recherche de représentations et de rationalités commu-

nicables : le hasard n’est pas seulement l’incertain. Il n’y a pas de hasard en dehors des réalités vécues par des indi-

vidus, des groupes ou des sociétés. On peut parler aussi de synchronicité (développée par le psychiatre Carl Gustav

Jung), soit l’occurrence simultanée d’au moins deux événements qui ne présentent pas de lien de causalité, mais

dont l’association prend un sens pour la personne qui les perçoit

.

41

JUNG Carl Gustav, Les Racines de la conscience, p. 528 : « Une synchronicité apparaît lorsque notre psychisme se focalise sur une image archétypale dans l’univers extérieur, lequel comme un miroir nous renvoie une sorte de reflet de nos soucis sous la forme d’un événement marqué de symboles afin que nous puissions les utiliser. Nous nous trouvons face à un ‘hasard’ signifiant et créateur. »


pourquoi s’en remettre au hasard

Avoir recours au hasard pour prendre une décision, c’est

peut-être d’abord pour se déresponsabiliser. Si la décision prise s’avère mauvaise par la suite, ce n’est pas de ma

faute, ce n’est pas une erreur de jugement, c’est le hasard qui en a décidé ainsi. Dans d’autres cas, prendre une décision au hasard c’est par fainéantise. Autre que la paresse, on a recours au hasard pour se surprendre : comme par

exemple cliquer sur Article au Hasard dans Wikipedia, et

aller de sujet en sujet. C’est un peu le principe de la sérendipité, faire une découverte par hasard. Utiliser le hasard

c’est aussi pour éviter ce long moment d’indécision, c’est un moyen pour décider rapidement. Cependant, pour pouvoir remettre sa décision à une pièce ou un dé, il faut

d’abord passer par une phase analytique : définir le problème et les solutions qui peuvent y répondre. La méthode nécessite donc une réflexion en amont. Enfin, utiliser ELSTER Jon, L’irrationalité

DICK Philip K., Solar Lottery. Au XXIIIe siècle, n’importe qui peut accéder au pouvoir. Le dirigeant du monde, ou meneur de jeu, est désigné par tirage au sort. Et comme dans toute société ludique, ce sont les règles qui régissent la vie, le hasard venant régulièrement en remettre en cause le déroulement. ARISTOTE, La Politique,

le tirage au sort, peut-être un moyen « équitable ». Jon

Elster propose de s’en remettre au hasard dans le cadre

de la garde de l’enfant suite à un divorce , quand les deux parents souhaitent l’obtenir. Si l’idée semble à première vue absurde, il y a néanmoins au moins deux avantages.

Le premier est la rapidité de ce mode de décision, et

donc réduire la période d’instabilité reconnue semble-t-

il comme néfaste pour l’enfant. Le second est d’éviter, au

parent qui ne recevra pas la garde, l’humiliation d’avoir été jugé comme incompétent. Il n’y a donc pas de per-

dant. Et si la loterie était un moyen plus équitable que des élections, comme le propose Philip K.Dick dans la Loterie Solaire

ou Aristote dans La Politique

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?


jouer avec le hasard

Impossible de parler de hasard sans penser au jeu. La plupart des jeux comportent une partie plus où moins importante de hasard : le dé, la distribution de cartes... Il y a dans le hasard une part d’amusement, de magie, d’inattendu

qui nous rend curieux, qui nous attire. Vivre en jouant avec le hasard, apparaît, dans certains cas, comme étant une

philosophie de vie. C’est le cas de Luke Rhinhart dans

l’Homme-dé . Ce dernier, pour casser sa routine, décide de prendre toutes ses décisions au lancé de dé. Tirer à pile ou face une décision arbitraire apparait comme étant

une manière ludique de régir tous ces petits dilemmes du

quotidien. Le hasard est un réel procédé créatif. Toutes

sortes de techniques utilisant le hasard ont été employées dans la création de poèmes, de récits, de musique, de dessin, et ce, pour de nombreux motifs. Hasard et inconscient, adoption de techniques combinatoires comme le collage et l’assemblage sont les moteurs premiers de la

création artistique des Dadaïstes dans les années 20. Le jeu du cadavre exquis a été créé par les surréalistes au

début du XXe siècle. C’est un générateur de texte aléatoire. Ce jeu consiste à composer des poèmes à plusieurs, chacun inscrivant un mot sur un papier en ignorant ce que les autres ont écrit. Les œuvres ainsi obtenues présentent des rapprochements inattendus, comme par exemple la

phrase « le cadavre exquis boira le vin nouveau », à laquelle

le jeu doit son nom. Jouer avec le hasard, c’est aussi jouer avec des règles du jeu, comme le faisait l’Oulipo

, par

exemple avec l’ouvrage La Disparition de George Perec, ne comportant pas une seule fois la lettre e. La synchronicité, même si la plupart n’y croit pas, est souvent un jeu, un petit

défi que l’on lance à l’Univers pour prendre une décision. 43

RHINHART Luke, L’Homme-Dé. Le personnage principal, Luke Rhinhart, est un psychologue new-yorkais ennuyé, blasé par sa vie. Alors qu’il cherchait un dé, une illumination lui traverse l’esprit : « Si c’est un as, je vais violer Arlène ». Sa vie bascule, il donne le plein pouvoir aux dé-cisions. On peut mettre en parallèle cette manière de déterminer ses actions à la locution latine Alea Jacta Est prononcée par Jules César. Cette expression illustre un basculement : la décision est prise, advienne que pourra. Il associe une action à un chiffre du dé. Deux principes, deux règles du jeu instaurées : ne jamais inscrire une option que l’on n’a pas envie de faire et exécuter les dé-cisions sans réfléchir. Remettre toutes ses décisions à un dé interroge la notion de libre-arbitre. Le personnage principal devient l’objet de son dé, tout son avenir est déterminé par ce paramètre extérieur. L’OuLiPo est un groupe d’écrivains qui fut fondé en France, en 1960. Son nom est l’acronyme d’Ouvroir de littérature potentielle. Unissant à l’origine écrivains et mathématiciens, poètes et logiciens, l’Oulipo vise à assembler et à réassembler les lettres et les mots, à la manière des images recomposées, selon des formes, des structures, des contraintes nouvelles afin de produire des œuvres originales. voir le visuel du bas de la page suivante


Puissance imaginaire à laquelle est prêtée le pouvoir de présider au destin des hommes et de déterminer le déroulement de leur vie lorsque certains événements semblent dus au hasard la page de droite : le visuel du haut - La Magic 8 Ball est un jouet produit par Mattel créé en 1946 par Abe Bookman de The Alabe Toy Company. Elle est censée prédire l’avenir et répondre aux questions oui-non. La Magic 8 Ball a la forme d’une boule de billard noire. La boule contient un icosaèdre, un solide à 20 faces, flottant dans un liquide bleu foncé. Chaque face propose une réponse visible par une fenêtre transparente. Ses réponses sont les suivantes : It is decidedly so, Without a doubt, Yes definitely, As I see it, yes, Most likely, Outlook good, Yes, Ask again later, Better not tell you now, Cannot predict now, Don’t count on it, My sources say no, Outlook not so good, Very doubtful...

« Si un avion passe, j’irai lui parler. Si la première personne qui sort de ce magasin à un manteau rouge j’accepte le job ». On joue avec « l’Univers » et l’on attend un signe de sa part, qui nous montre la bonne direction. On s’en remet au sort , à une force supérieure.

S’en remettre au hasard, c’est une façon créative d’avancer dans l’inconnu, se laisser surprendre, s’en remettre à

une force qui nous dépasse. Le hasard est une construction culturelle, et il a du sens pour la personne qui le perçoit. Progressivement le hasard se détachera du destin et

du divin, au fur et à mesure que l’homme cherchera à le maîtriser. Cette évolution proviendra en grande partie de la possibilité offerte à l’homme de répéter les expériences dans lesquelles le hasard intervient.

le visuel du bas - QUENEAU Raymond, Cent mille milliards de poèmes, Gallimard, 1961. Le livre est composé de dix feuilles, chacune séparée en quatorze bandes horizontales, chaque bande portant sur son recto un vers. Le lecteur peut donc, en tournant les bandes horizontales comme des pages, choisir pour chaque vers une des dix versions proposées par Queneau. Les dix versions de chaque vers ont la même scansion et la même rime, ce qui assure que chaque sonnet ainsi assemblé est régulier dans sa forme. Il y a donc 1014 soit cent mille millards poèmes potentiels.

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VERS UN HASARD CALCULÉ la rencontre du hasard et des mathématiques

Dans l’Antiquité, le lancer d’osselets ou de dés n’a pas

éveillé, à cette époque, la prise de conscience de la régularité des fréquences (on a découvert en Egypte des dés truqués, désymétrisés, on savait donc que l’on pouvait tricher avec le hasard) nul ne s’est interrogé sur le mécanisme du

hasard, sur l’absence de causes perceptibles, aucun calcul n’a jamais été entrepris. Pourquoi calculer des probabilités

puisque le résultat est inéluctablement fixé par l’interven-

tion des dieux ? À la fin du Moyen-Age, on s’interroge sur le degré de certitude d’une proposition. Au XVIIe siècle émerge l’idée de probabilité à partir des travaux de Blaise

Pascal. La théorie des probabilités est l’étude mathématique des phénomènes caractérisés par le hasard et l’in-

certitude. Elle forme avec la statistique les deux sciences du hasard qui sont partie intégrante des mathématiques.

Les probabilités et statistiques sont là pour tenter d’expli-

quer le passé et prévoir l’avenir, mesurer les risques. Les probabilités ne s’appliquent pas qu’aux mathématiques, on connaît également la théorie des jeux

: celle-ci se

propose d’étudier des situations (appelées « jeux ») où

des individus (les « joueurs ») prennent des décisions, chacun étant conscient que le résultat de son propre choix (ses « gains ») dépend de celui des autres. Les décisions ayant pour but un gain maximum, elles relèvent d’un comportement rationnel, elles peuvent se prêter au

traitement mathématique, calcul d’extremums, approche probabiliste. Pour donner à la science du hasard toute sa dimension, il faut en faire une autre lecture. Celle qui oppose incertitude et information.

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Développée principalement par John Von Neumann la page de droite : 10,000 Digital Paintings réalisé par l’agence anglaise Field en 2011. Dans ce projet pour la brochure GF Smith, les livres sont imprimés numériquement et chaque couverture est unique. Les visuels sont issus d’une figure hypercomplexe générée par un processus couplant programmation et création graphique aléatoire. Cette association permet de tirer 10 000 créations digitales différentes.


La théorie de l’information regarde le monde des possibles comme un monde de symboles, lettres ou simplement suites de 0 et de 1. Elle permet de définir la quantité

d’information apportée par la réalisation d’un évènement

et celle à attendre d’une expérience. Cette quantité d’information est en fait une quantité de hasard. Dès lors, il

devient possible de se demander par exemple, si une suite La théorie de la complexité est un domaine des mathématiques, et plus précisément de l’informatique théorique, qui étudie formellement la quantité de ressources (en temps et en espace) nécessaire pour la résolution de problèmes au moyen de l’exécution d’un algorithme. Il s’agit donc d’étudier la difficulté intrinsèque de problèmes posés mathématiquement.

de chiffres a été fabriquée « au hasard ». Cette question

passe par l’idée de complexité . Cette notion est liée dans

le cas de la suite de 0 et de 1 à la fois à son caractère aléatoire et à la longueur minimale d’un programme d’ordina-

teur nécessaire à sa fabrication. Un pont surprenant mais très important est ainsi fait entre la théorie des probabilités et les mathématiques qui servent à fonder l’informatique. l’aléatoire en informatique

: simuler le hasard

« Si vous entendez recourir à l’aléatoire, vous devriez au MAEDA Jon, Design By Numbers

moins en connaître l’origine »

. Si on veut travailler avec

l’aléatoire, il faut être conscient que l’aléatoire, la fonction

random, produit par un ordinateur n’est pas de l’aléatoire véritable. Nous ne savons pas fabriquer le hasard pur, le

bruit, ou une suite de pile ou face parfaitement indépendants. On pourrait penser à transférer du bruit physique,

mais ce transfert ne pourrait se faire qu’à travers un ap-

pareil, un capteur ayant une certaine inertie puisque tout système physique a une inertie, si petite soit-elle. Nous avons pourtant besoin d’imiter ce hasard pour appliquer

cette technique puissante qu’est la simulation. Il ne nous reste qu’à fabriquer des générateurs de quelque chose qui

ressemble au hasard. Le développement des ordinateurs et celui du calcul des probabilités a permis l’émergence 48


des techniques de simulation. Pour faire une simulation,

on traduit, quitte à simplifier, le modèle physique, tech-

nologique, biologique, sociologique étudié. Le modèle est ensuite « implanté », c’est à dire transposé dans un

ordinateur en utilisant un langage adéquat. Ce modèle comporte un moyen de tirer au sort certaines valeurs de

variables ou des paramètres du modèle, en imitant le ha-

sard à l’aide de générateur de nombre aléatoire. Quand on

parle d’hasard en informatique, on veut surtout parler de génération de nombres pseudo-aléatoires. Pour générer ces nombres aléatoires, qui s’utilisent dans de nom-

breuses applications, les ordinateurs se basent sur des algorithmes complexes, qui tentent de simuler un tirage

au hasard. « Un algorithme est une formule mathématique

composée de plusieurs opérations à exécuter dans un ordre précis et permet d’arriver à un résultat final déterminé » .

Un algorithme, comme une recette de cuisine qui com-

CHEVALIER Miguel, L’algorithme pixélisé.

porterait des variantes, énumère la suite des opérations

simples à effectuer pour résoudre un problème, sous réserve qu’il y ait une solution. L’art génératif

est une

forme artistique (généralement numérique) se basant sur

les algorithmes pour concevoir des œuvres se générant d’elles-mêmes et/ou non déterminées à l’avance.

Ce chapitre montre que le hasard est un moyen de prendre des décisions, pour fuir les responsabilités, éviter

les regrets, s’en remettre au Destin, mais aussi un moyen créatif engendrant la surprise et l’originalité… Mais si le hasard n’est pas si hasardeux, si celui ci est calculé et même simulé, ces décisions déléguées au hasard/à l’infini

sont peut-être alors plutôt enfermées, restreintes… mani-

pulées ? Quelle est la place de la technologie dans cette manipulation ?

49

voir le visuel page précédente


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CHAPITRE 4 DES DÉCISIONS EXTERNALISÉES : SOMMES-NOUS VRAIMENT MAÎTRE DE NOS DÉCISIONS ?

ou Quand nos décisions sont influencées, manipulées ou Quand la société et le numérique décident à notre place ou Je n’ai pas choisi la typographie, c’est la typographie par défaut de Word. 51


Si dans le premier chapitre j’explique l’implication du librearbitre dans la prise de décision, toutes nos décisions cependant ne sont pas des décisions libres. Je cherche à savoir ici si nos décisions sont vraiment personnelles, si elles résultent de notre propre délibération. Nous verrons que le cadre de la société nous imposent des directions, que nous sommes régulièrement influencés dans notre quotidien et que bien souvent, la décision découle d’une stratégie d’autrui ou d’autre chose.

52


PRENDRE DES DÉCISIONS « LIBRES » DANS UN MONDE QUI NOUS CONDITIONNE notre conditionnement

Nous sommes influencés par tout : par notre éducation, culture, religion... La société nous oriente et nous façonne.

Si nous remontons à la source de nos décisions prises, on

observe que la grande majorité d’entre elles sont ainsi car nous nous conformons aux normes. Le conformisme est

l’attitude sociale qui consiste à se soumettre aux opinions, règles et modèles qui représentent la mentalité collective

ou le système des valeurs du groupe auquel on a adhéré, et à se les réapproprier. Ce processus est autrement dit

celui de l’influence des opinions, comportements, perceptions, d’une majorité sur une minorité. On dit d’une attitude, comme par exemple « suivre la mode », qu’elle

est conformiste lorsqu’elle va dans le sens général. C’est l’ambivalence de l’intégration sociale : faire comme les

autres, être comme les autres, ne pas se distinguer des autres. Il faut se fondre dans la masse car la marginalité est mal vue. La pression des pairs et le désir de ne pas être

l’objet de désapprobation du groupe sont présents lors de

la prise de décision. On prend nos décisions en fonction

des autres. Comment serais-je perçue si je prends cette décision ? On imite les autres en pensant de façon délibérée ou automatique. Nous nous plions aux normes, aux

modes, à l’autorité. Il y a une soumission , un refus d’engagement

car tout semble inévitable. La plupart

des actions de la vie quotidienne sont le fruit de décisions qui sont effectuées de façon réflexe, un peu comme si nous

répondions à une suggestion reçue dans un état d’hypnotisme.

53

LA BOETIE Etienne, Discours de la servitude volontaire BESNIER Jean-Michel, l’Homme Simplifié, page 129


Les routines psychologiques ou les habitudes sociales BERGSON Henri, L’essai sur les données immédiates de la conscience.

décident en quelque sorte à notre place. Ainsi « le matin,

quand sonne l’heure où j’ai coutume de me lever » , je me contente de me laisser guider par une idée pour ainsi dire

solidifiée à la surface de ma conscience. En fait, « je suis ici un automate conscient, et je le suis parce que j’ai tout

BERGSON Henri, idem

avantage à l’être »

. Même dans des circonstances plus

graves, il nous arrive, par inertie ou mollesse, de nous laisser porter dans notre décision.

manipulés en permanence

Nous sommes des individus très occupés, faisant de notre mieux pour s’en sortir dans un monde complexe

où nous n’avons pas le temps de réfléchir profondément chaque fois que nous devons prendre une décision. Dans

ces conditions, nous nous appuyons sur des règles empi-

riques bien commodes, mais qui nous conduisent parfois à nous fourvoyer. Comme nous sommes débordés et que notre attention est limitée, nous prenons les questions telles que l’on nous les pose, sans se demander si nous répondrions autrement si elles étaient formulées différem-

ment. Nous sommes facilement manipulables. Quand on

parle de manipulation, il faut s’intéresser au concept de dispositif. Agamben « appelle dispositif tout ce qui a, d’une

manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et AGAMBEN Giorgio, Qu’est ce qu’un dispositif ?

d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants »

. Ainsi l’école ou même une

cigarette est dispositif. Agamben dénonce la dimension manipulatrice des dispositifs. Si il y a d’un côté les êtres vivants et de l’autre les dispositifs, alors beaucoup de

choses sont des dispositifs. La manipulation est donc 54


partout. Toute communication est une forme de manipulation. Lorsque le designer crée une affiche, une interface,

il conçoit un dispositif. Il va composer sa création de façon

à orienter le regard de l’usager, le diriger dans sa navigation. La communication et plus précisément la publicité comporte de nombreuses techniques de manipulation

comme le storytelling . Il faut inciter le consommateur à aller dans une direction, il faut l’amener à prendre une

décision. Le visuel a le rôle principal dans la communication. Nos rues, nos écrans, nos journaux sont envahis d’images où couleurs, typographies et compositions sont

entièrement pensées pour nous séduire et nous pousser à consommer

.

Le storytelling est une méthode utilisée en communication basée sur une structure narrative du discours qui s’apparente à celle des contes, des récits. Il consiste à essayer de faire émerger au sein du public une ou plusieurs histoires à fort pouvoir de séduction et de conviction. Ces histoires, qui peuvent être réduites à des anecdotes ou étendues à des discours entiers, servent de vecteurs pour faire passer des messages plus complexes, qui sont ainsi transmis avec plus d’efficacité, selon le principe que pour parler à la tête, il faut souvent d’abord toucher le cœur. L’émotion rend plus réceptif ; le spectateur est ainsi plus apte à recevoir un message. Autrement dit il faut passer par l’émotion pour atteindre la raison. voir le visuel à la page suivante

le choix par défaut

Il nous arrive de choisir passivement, ou plutôt de ne pas décider. C’est prendre le choix par défaut. De nombreuses personnes choisissent l’option qui suppose le

moindre effort, la voie de la moindre résistance. « Comme vous voulez, je m’en fiche ». C’est un non-engagement. Les options par défaut sont les choix de l’indifférence, mais

aussi un moyen de contourner l’indécision. A l’installation d’un logiciel, voulez vous installer la version normale

ou personnalisée ? L’une des cases est déjà précochée, ce qui indique que l’option est déjà par défaut. Soit on

souhaite nous rendre service, soit l’éditeur privilégie ses

propres intérêts. Toutes les options par défaut ne visent pas expressément à rendre plus facile ou meilleure la vie

de la personne qui choisit. Si la personne censée prendre la décision ne fait rien, pour éviter qu’il ne se passe rien, un

choix se présente à lui. C’est parfois une meilleure décision. 55


la page de droite : le visuel du haut - campagne publicitaire 2013 (affiche et presse) pour McDonald’s réalisée par TBWA Paris. Ni accroche, ni logo, on reconnait sans difficulté l’annonceur, ancré dans la culture populaire. L’affiche est uniquement composée d’une image centrale au cadrage, lumière, couleurs stratégiquement réfléchis. La composition finement élaborée et mesurée propose un visuel percutant. L’affiche donne l’apétit et l’envie de consommer ce produit dans un restaurant McDonald’s. Le pouvoir de l’image montre ici l’impact, la manipulation exercée sur le consommateur. TENAZAS Lucille, propos extraits de « La copie originale » Étape graphique (Pyramyd, n°177, février 2010), « Il faudra se battre contre les designs par défaut, les gabarits, car ils ne contiennent plus d’esprit, mais signalent une aveugle soumission, automatique, et sans imagination.». Ainsi, lorsqu’on ouvre un nouveau document sur Adobe InDesign, le paramétrage par défaut correspond à : un format A4 avec un système de page en vis-à-vis, une colonne, et des marges de grand fond, petit fond, de tête et de pied de 12,7 mm, des gouttières, paramétrées à 4,233 mm de largeur, la police de caractère sera une Times ou une Arial avec un corps standard de 12 points et un interlignage de 120 % du corps et d’une couleur convenable : le noir. voir le visuel du bas de la page de droite

Dans l’exemple des logiciels, il est réellement utile de savoir quels sont les paramètres recommandés. Quand le choix

est compliqué et difficile, il y a toutes les chances pour que les usagers apprécient grandement une option par défaut intelligemment conçue. Mais le par défaut n’est-il pas une facilité réductrice pour la créativité

? Les logiciels de

la suite Adobe ont été conçus dans le but d’être utilisés par

le plus grand nombre de créateurs. Cependant, la conséquence est que la marge de manœuvre laissée à l’utilisateur se voit réduite de par le paramétrage par défaut des outils virtuels

, en vue d’une plus grande facilité d’accès

pour les utilisateurs. Le par défaut facilite certaines tâches

pour le graphiste mais il est légitime de se demander s’il

n’est pas réducteur en terme d’exigence et de qualité graphique. Ces réglages programmés n’influencent-ils pas, ne

limitent-ils pas nos choix, si l’on oublie de les modifier ?

Le logiciel détermine les décisions de son opérateur par la conception-même de son interface et de sa logique in-

terne. La suite Adobe amène une certaine uniformisation graphique. L’utilisation de ces logiciels développe chez le graphiste une forme de réflexe qui le pousse à se tourner vers les outils qu’il a l’habitude d’utiliser, bridant ainsi lui-

même sa créativité. Le graphiste doit-il se forcer à ne pas

se limiter à une utilisation trop restreinte d’outils technologiques ?

Vivants parmi des dispositifs, nos décisions sont orientées et manipulées continuellement. Nous acceptons passivement, sciemment ou de façon inconsciente les « possibilités » qui nous sont présentées. Nous faisons nos choix

en fonction des autres, de notre société, pour rester dans la norme.

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58


UN MONDE SOUS L’EMPRISE NUMÉRIQUE Si la décision peut être considérée comme révélatrice de la condition humaine, il convient de s’interroger sur une

conception purement technicienne du processus déci-

sionnel qui semble s’imposer depuis quelques années. S’appuyant sur le progrès des outils informatiques et sur les travaux récents autour de l’intelligence artificielle, elle

la page de droite : Ce visuel présente Siri, un assistant personnel intelligent pour iOS sorti en octobre 2011. Il permet par exemple de répondre à des indécisions en proposant une réponse via des recherches internet.

vise à modéliser et à mécaniser intégralement le processus de la décision, le réduisant à une suite d’opérations strictement réglées. La décision deviendrait ainsi l’objet

d’un simple calcul, qui pourrait être effectué par une ma-

chine ou un logiciel. De telles tentatives ne risquent-elles pas de dessaisir en quelque sorte le sujet de son pouvoir

d’autonomie, faisant de lui un robot ou un automate spirituel ?

la place des algorithmes dans nos décisions

:

une délégation pour le meilleur

Nous déléguons de plus en plus notre pouvoir de décider aux machines, à l’heure de « l’administration numérique du monde » . Pourquoi cette aliénation

de la décision ?

Les machines ont la faculté de traiter à flux tendu, un nombre astronomique de données via les algorithmes.

La machine réagit plus massivement, plus rapidement, et surtout plus rationnellement. Rationalité ? C’est bien ce que l’homme cherche et peine à établir. La machine a

toutes les informations (organisées de plus) pour prendre la bonne décision (tel un homo œconomicus). Il est ainsi normal que l’homme ait une meilleure confiance en la machine qu’en lui même, car celle-ci est plus fiable. 59

SADIN Eric, L’Humanité Augmentée, L’administration numérique du monde. L’aliénation est la dépossession de l’individu et la perte de maîtrise de ses forces propres au profit d’un autre. Je parle ici de la décision transférée à un autre agent.


« Protocoles indéfiniment fragmentés, appelés à repousser l’incertitude de la décision jusque-là impartie à la responsabilité humaine, pour la transférer, la déléguer peu à peu à l’intelligence fiable des processeurs. C’est cette faculté de jugement et d’initiative computationnels qui caractérise la singularité quasi futuriste de la condition actuelle et en devenir des procédés électroniques, en parties capables de SADIN Eric, L’Humanité Augmentée, L’administration numérique du monde.

se prononcer « en conscience » et à notre place » . L’ex-

trême puissance et vitesse de traitement des informations dépasse largement les capacités d’analyse de l’homme. L’ordinateur ne doute pas, il ne vacille pas contrairement

à nous. Trancher pour lui n’engendre aucune frustration.

Dans un monde de 0 et de 1, l’indécision n’existe pas. Les algorithmes assistent, accompagnent, secondent

l’homme partout et tout le temps dans son quotidien, notamment avec les smartphones. « La décision est déléguée à l’intelligence fiable des machines. Les Smartphones pour nous assister en continu grâce à un savoir dynamique SADIN Eric, idem

entretenu par une constellation de serveurs »

. En affi-

chant et en exploitant des données sur nous, il nous dirige vers de meilleurs décisions. Lorsque l’application Nike af-

fiche les différents temps de courses possibles pour perdre voir le visuel à la page précédente

tant ou tant de calories, elle informe et aide pour réaliser le footing le plus optimal. L’utilisation de Siri

, l’assistant

personnel intelligent pour iOS, dans la prise de décision est très fréquente, comme si la technologie était la nouvelle

divinité, la voix qu’il faut suivre. La machine prend les initiatives et nous libère intellectuellement, nous débarrasse du souci de réfléchir. Elle simplifie notre existence.

L’homme se met en mode pilotage automatique et se laisse guider par la machine, qui effectue les ordres à sa place. Cette délégation est plus ou moins consciente et transparente : la technologie étant partout, elle devient invisible. 60


… et pour le pire La machine est un dispositif. Si certes elle nous libère de l’indécision, elle nous emprisonne également. L’exemple

du choix par défaut cité précédemment montre bien les

limites que nous impose l’ordinateur. Les algorithmes nous simplifient la vie, mais la contraignent également. L’algorithme PageRank

de Google par exemple : les recherches

nous enferment dans notre sphère avec la personnalisation des résultats qui fait disparaître les résultats standards.

Impossible de s’ouvrir, la sérendipité se voit limitée. Et l’on se contente de ce que l’on nous propose contrôlé et tout nous contrôle

. Tout est

. L’homme a t-il un réel

pouvoir dans la Bourse ? Que serait-elle sans les HFT (trading à haute fréquence) ? Le trading algorithmique est

une « pratique qui repose sur des machines capables d’exécuter des ordres à toute vitesse et de tirer ainsi profit des écarts

de prix minimes sur les valeurs. Ces outils d’un nouveau genre arbitrent, fractionnent, achètent et vendent. L’échelle de temps

est le millième de seconde et les moyens reposent sur des for-

Un algorithme d’analyse des liens concourant au système de classement des pages Web utilisé par le moteur de recherche Google. Il mesure quantitativement la popularité d’une page web. BESNIER Jean-Michel, l’Homme Simplifié, p 31, « Cédant à la simplicité du procédé, l’internaute prend vite pour agent comptant les premières réponses issues de la classification algorithmique, de sorte qu’il apparaît comme l’otage d’un format d’information qu’il n’a pas choisi mais qui va conditionner, en retour, le regard qu’il portera à l’avenir sur ses objets de recherche»

. Tout est mâché par

BESNIER Jean-Michel, idem : « L’homme devient sans responsabilité, ni culpabilité puisqu’il ne contrôle plus rien. »

la présence humaine, c’est le drone qui décide de tirer.

PFLIMLIN Edouard, Trading algorithmique : mobilisation contre la «menace» des ordinateurs boursiers, Le Monde, mai 2013

mules mathématiques complexes »

la machine, l’homme ne décide en rien des reventes. Et il

y a pire : un drone armé. Détectant les mouvements et Le droit de vie ou de mort est délégué à la machine. Et

si toutes nos décisions étaient prises par les machines,

notre vie ne serait-elle pas dénuée de sens ? Nos décisions font ce que nous sommes ; ne sommes-nous pas entrain de nous laisser façonner par la technologie ? Même si nous sommes conscients de sa rationalité, de sa rapidité, la machine est-elle vraiment fiable ? Créé par l’humain,

ne peut-elle pas elle aussi commettre des erreurs ? On

connaît certaines erreurs algorithmiques dues à une 61


mauvaise programmation : « Le compte principal de l’agence Associated Press (AP) sur Twitter a été piraté par une mystérieuse « Armée électronique syrienne ». Près de 2 millions d’abonnés avaient reçu un message annonçant un attentat à la Maison Blanche. Or les tweets sont surveillés par des outils informatiques algorithmiques qui réagissent à des mots-clefs. La combinaison de mots « explosions », « Obama » et « Maison Blanche » a été perçue comme pouvant avoir « un impact significatif » sur la place financière. Des milliards d’ordres ont PFLIMLIN Edouard, Trading algorithmique : mobilisation contre la «menace» des ordinateurs boursiers, Le Monde, mai 2013

BADIOU Alain, Matrix, machine philosophique

été retirés des marchés en quelques secondes » . Le robot est-il si clairvoyant ?

La question maintenant est : pilule bleue ou pilule rouge ?

Accepter la déportation du pouvoir de décision à la ma-

chine, vivre dans l’illusion d’être au commande de sa vie, ou reprendre le contrôle et reconquérir notre indépendance ?

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CONCLUSION Irrationnel, mais en quête de rationalité, l’homme délègue

de plus en plus la prise de décision, souvent dans le but

que celle-ci soit meilleure ou bien pour se déresponsabiliser. L’homme doute de lui, il cherche un agent qui décidera

à sa place et qui lui évitera de stagner dans l’indécision.

Le hasard est pour lui un moyen de se débarrasser de

tout sentiment de responsabilité, d’éviter ces réflexions intellectuelles qui le tourmentent. Il délègue la décision au hasard en admettant, sur un ton plus ou moins sérieux,

que ce dernier est quelque chose de plus grand ; il s’en remet au sort, advienne que pourra. Il tente pourtant de maitriser ce hasard, de le calculer (un moyen de se réapproprier la décision ?) et va même jusqu’à le recréer sur

ses machines via des algorithmes. Les algorithmes… déjà que l’homme est quelque peu limité dans ses choix car il

se conforme, suit le mouvement, accepte sans broncher,

se fait influencé, manipulé, la technologie vient en plus in-

terférer dans ses décisions. Sa vie devient algorithmique, assistée par la machine. Il y a bien sûr des avantages : son quotidien est en quelque sorte simplifié. Cette quête de la

rationalité plus ou moins difficile à lui seul, devient pos-

sible. Les algorithmes, ces agents intelligents, secondent l’homme, ou même prennent les décisions à sa place, des décisions rationnelles puisqu’issues de calculs précis et rapidement exécutés.

Si déléguer la décision est un moyen de quitter

La seconde partie de mon étude poursuit ma

rapidement le douloureux moment de l’indécision, celleci confirme notre perte de contrôle.

réflexion via des expérimentations dans le domaine du design. Est-ce que le design peut être un moyen pour se 64


réapproprier nos décisions ? Comment le design peut

venir assister, aider, simplifier le moment de la prise de décision ? M’orienter dans cette direction me semble utopique. Je ne souhaite pas que mon projet aide à prendre

la meilleure décision, je désire approfondir le thème de

la délégation, cette aliénation de la décision démontrée dans mon mémoire. Qu’importe la finalité de la décision, qu’elle soit bonne ou mauvaise, la décision externalisée semble être un moyen efficace d’échapper à l’indécision

que l’on redoute. Faire de « mauvaises » décisions dans un projet design impliquerait-il un mauvais design au final ? Par « mauvaises » décisions, j’entends celles qui ne sont

pas prises dans le schéma théorique que j’ai exposé dans

mon premier chapitre, celles qui ne sont pas forcément réfléchies pour nous être profitables. Il s’agit de travailler sur des moyens de délégation, mais aussi sur ses effets

inverses. Je ne cherche pas forcément à solutionner l’indécision, mais à l’exploiter. Si le numérique nous assiste au-

jourd’hui, nous aide à prendre des décisions (bonnes ou

mauvaises), peut-il faire l’opposé, multiplier nos doutes ? Si on peut prendre des décisions assistées par ordinateurs, le concept d’indécision assistée par ordinateur serait lui aussi intéressant.

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SECONDE PARTIE PRATIQUE

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EXPÉRIMENTATIONS AUTOUR DE L’(IN)DÉCISION

Au cours de la partie théorique de ce mémoire, j’ai ex-

posé différentes thématiques touchant la délégation

de la décision. Les expérimentations qui vont suivre, mettent en pratique ou illustrent certains points étu-

diés précédemment. La majorité de cette sélection d’expériences concerne des outils, des moyens d’externaliser la prise de décision. Comme expliqué en fin

de première partie, je ne souhaite pas m’attarder sur la nature de la décision finale (« bonne » ou « mau-

vaise », une décision qui nous profite ou non) même si celle-ci sera analysée lorsqu’elle paraîtra importante dans l’expérimentation.

Pour comprendre ma méthodologie , ma démarche

a été de « m’immerger » dans les catégories dessinées dans la partie théorique (l’idéal/rationnel,

l’indécision/l’irrationnel, le hasard et la manipula-

tion) et de produire des mini projets pour chacune.

Les différents projets menés au cours de cette étude répètent donc la structure précédente et sont regroupés de la manière suivante : l’indécision comme déci-

sion (reprenant principalement le chapitre deux), la décision hasardeuse (s’appuyant sur le chapitre trois), la décision des autres (d’après le chapitre quatre). Malgré cette organisation, il est évident que les limites

sont beaucoup plus perméables : il y a parfois une part d’hésitation, d’irrationnel, de hasard et de manipulation dans nos décisions.

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Pour réaliser mes expérimentations, j’ai mis au point une méthodologie pour structurer mes expériences et prendre efficacement des décisions. Une fiche est établie pour chaque projet. Cette méthode a pour première fonction celle du brainstorming. Elle me force à sortir des idées, des premières intuitions, structurées de manière à pouvoir être réalisées avec efficacité par la suite. C’est également un support pour échanger avec les différents intervenants. voir les visuels page suivante


la page de droite : Mes fiches d’expérimentations sont composées de différentes zones à remplir en amont de la réalisation : le titre (provisoire, il donne le ton directeur de l’expérience), la catégorie, la problématique, la forme (une installation, une application, un service, un évènement, une vidéo, un objet, un imprimé...), le descriptif, les mots-clefs (pour identifier facilement les différentes notions abordées dans l’expérience et pouvoir faire des rapprochements avec d’autres projets), une zone de croquis et de mock-up, une zone d’inspiration, un nuancier et une zone de planning.

Dans certaines expérimentations c’est le designer indécis qui est concerné, dans d’autres c’est l’indécis du quotidien. Dans tous les cas il s’agit toujours

de décisions personnelles et non collectives, bien que l’influence du collectif sur la prise de décision individuelle soit prise en considération.

la page suivante : planches tendances, veille graphique sur les différentes catégories de mon mémoire.

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CHAPITRE 5 L’INDÉCISION COMME DÉCISION

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C’est le constat de mon introduction générale : ce qui

rend notre vie compliquée, c’est le nombre croissant de possibilités. Comment consommer aujourd’hui, comment

être satisfait de nos choix de consommation lorsque les linéaires de magasin se multiplient ? Trop de choix tue le

choix. Et si nous refusions de choisir ? Et si au lieu d’hésiter longuement sur quelle pizza prendre, on pouvait

prendre toutes les variétés, ou même « zapper » entre

elles ? Le mot décision, ainsi que toute sa complexité, disparaîtraient. Les expérimentations suivantes traitent du

refus de choisir, du multi-choix, de changer d’avis à tout moment, d’hésiter à l’infini.

les stéréodécisions

Cette première recherche plastique évoque la superposition de décisions. L’utilisateur est face à un dilemme : le choix rouge et le choix bleu. Ces deux choix illustrés sont

superposés. À l’œil nu il est difficile de discerner un choix ou l’autre. J’ai cherché ici des systèmes de double lecture.

Cette expérience utilise le principe d’anaglyphe, principe utilisé dans le cinéma en relief. Il s’agit d’une image im-

primée pour être vue en relief, à l’aide de deux filtres de couleurs différentes (lunettes 3D) disposés devant chacun des yeux de l’observateur. Ce principe est fondé sur la

notion de stéréoscopie qui permet à notre cerveau d’utiliser le décalage entre nos deux yeux pour percevoir le relief. Ici il ne s’agit pas de voir une perspective en décalant

deux images identiques, mais de fusionner deux images,

de choix différents. Ainsi lorsque l’utilisateur regarde le visuel à travers ses lunettes, il est face à trois scenarios : soit il ouvre l’œil filtré par le bleu et ne voit que l’image rouge, soit il ouvre l’œil filtré par le rouge et ne voit que 75


l’image bleue ou encore il garde les deux yeux ouverts et

voit le mélange des images. J’ai réalisé une série de visuels où deux activités se superposent, c’est l’utilisateur qui va

choisir quelle image il désire regarder. Avec les lunettes il peut ainsi jongler entre les décisions et ne pas s’arrêter sur un choix en particulier : il prend des décisions éphé-

mères, ce qui revient à ne pas choisir. Ce jonglage traduit

la capacité de pouvoir changer simplement une décision et donc d’ôter son côté irrévocable. Au cours des tests, les utilisateurs et moi-même sommes rendus compte de la

difficulté de regarder l’image avec les deux yeux ouverts : le cerveau lutte entre les deux couleurs, certains per-

sonnes parlaient « d’un clignotement infini, telle une crise d’épilepsie », « ça rend malade ». Selon moi, ces remarques

illustrent bien l’idée que l’on se fait de l’état d’indécision.

la page de droite : un visuel de Stéréodécisions vidéoprojeté. Un choix en rouge et un choix en cyan sont superposés. la double-page suivante : trois visuels de Stéréodécisions vidéoprojetés, avec les lunettes stéréoscopiques filtrant les choix

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blouge

Blouge (soit bleu plus rouge) est la suite de Stéréodécisions. C’est l’idée d’une application qui permet de super-

poser des choix, toujours sur le principe de l’anaglyphe, et donc de ne pas vraiment choisir. L’utilisateur va sélec-

tionner ce qu’il souhaite faire apparaître dans le bleu et dans le rouge. Par exemple s’il hésite entre deux films

ou deux livres, il peut combiner les deux et les visionner en même temps. Les deux films vont être alors filtrés en

rouge ou bleu, puis superposés. Le son quant à lui est divisé en deux pistes, une pour l’oreille gauche l’autre

pour la droite. Une fois le double film lancé, l’utilisateur n’a plus qu’à jongler entre les deux films. Ce dispositif n’a pas pour finalité d’être « utile », il est même contre-utile,

car au final, l’indécis naviguant entre deux films n’en aura

vu aucun des deux. Blouge, bien qu’étant une solution à

l’indécision, critique et ridiculise cette dernière : en voulant tout choisir, on ne choisit rien.

la page de gauche : l’image du haut - sur cet écran, l’utilisateur choisit le média rouge et le média bleu (deux films par exemple). Il fusionne ensuite les deux films en appuyant sur le bouton « Blouger ». l’image du bas - c’est sur cet écran que l’utilisateur visionne les deux films fusionnés à l’aide des lunettes stéréoscopiques. L’interface comporte des boutons rouges et des boutons bleus. Lorsqu’on cligne d’un oeil, seuls les boutons liés au films non-filtrés sont visibles. http://petitlien.fr/blouge

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amalgam

Il est bien rare que nous soyons limités à deux choix

comme nous le propose Blouge. Amalgam est une application permettant de composer un film à partir de plusieurs. L’utilisateur fait sa sélection, l’application fractionne les films en plusieurs séquences et monte une

compilation. Ce mashup final n’a aucun sens, ou parfois en

a un nouveau (lorsque par hasard les répliques entre différents films se répondent), mais le résultat est le même

que Blouge : certes l’utilisateur n’affronte pas l’indécision, mais il ne peut pas être satisfait pour autant.

la page de droite : Amalgam - sur cet écran l’utilisateur sélectionne dans sa bibliothèque les différents films qu’il souhaite visionner et donc amalgamer.

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« Au rond-point, prendre la troisième sortie sur D352. Refaites le tour du rond-point le temps que je réfléchisse. Encore un tour. Je ne sais plus. Peut-être la troisième sortie... »

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Ces expérimentations reprennent beaucoup la notion de zapping , quelque chose de très présent dans notre

société : l’incapacité de choisir, la paresse, la consommation jetable. Ces expérimentations expriment également

une continuelle hésitation. Les projets suivant restent sur cette notion d’incertitude, d’oscillation et de retour en arrière.

Le zapping est, dans le langage familier, une manière de regarder la télévision consistant à changer régulièrement de chaîne, et le plus souvent à une fréquence élevée, dans le but de trouver un programme que le spectateur jugera satisfaisant à regarder.

perhaps, le gps incertain

Pour se repérer, s’orienter, nous faisons (aveuglement)

confiance au GPS (« Global Positioning System », soit un appareil permettant d’être géolocalisé). Comme démontré dans le chapitre quatre, les décisions de la machine

semblent être plus rationnelles, mieux calculées que celles que prend l’homme, c’est pourquoi il accorde une plus grande confiance au numérique qu’à lui-même. Et si ce n’était pas le cas ? Et si le GPS commençait à douter ? Cet outil devient indispensable au conducteur qui doit choisir rapidement sur la route entre tel ou tel itinéraire.

Que se passerait-il si à un croisement les algorithmes man-

quaient d’assurance ? En recréant une voix électronique

la page de gauche :

et en utilisant le vocabulaire du GPS habituel, j’ai imaginé

le visuel du haut - Le GPS Perhaps est ici utilisé au cours d’un trajet. La bande son est écoutable sur http://petitlien.fr/perhaps

par l’hésitation de l’appareil. Quelle serait notre société

le visuel du bas - L’interface de Perhaps n’indique que le lieu où l’on est, le reste de la carte devient plus ou moins flou selon le degré de certitude du GPS.

une mise en scène où à certains moments le conducteur se voit obligé de se ranger sur la voie d’urgence, perturbé

si durant quelques secondes toutes nos machines devenaient indécises ?

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typopasûre

la page de droite : « (Maybe) the quick brown fox (could) jump over the lazy dog » montre les différents comportements des caractères lorsque l’auteur est hésitant.

la page suivante : l’image du haut - un exemple de Typopasûre sur un texte parsemé de doutes. l’image du bas - un visuel montrant le logiciel de traitement de texte vacillant : les différents mots de la phrase changent constamment en d’autres mots synonymes.

Comment retranscrire notre indécision à l’écrit ? En plus des « peut-être », « et si », « ou bien », ou tous les adjec-

tifs de nuances parsemés dans un discours hésitant, on pourrait ajouter une ponctuation ou une typographie

spécifique à l’indécision. Typopasûre est une police de

caractère qui réagit selon l’hésitation de l’utilisateur. Plus ce dernier va mettre du temps à écrire, ou bien plus il va

effacer ou réécrire un mot, plus la police va se modifier : certains caractères vont se flouter plus ou moins forte-

ment ou bien réduire leur graisse. Ainsi le message peut devenir illisible si l’auteur est trop hésitant.

Par la suite, j’ai imaginé un logiciel de traitement de texte

lui-même hésitant. Ce n’est pas sur le dessin du mot que l’incertitude s’affiche mais sur le mot lui même. Ainsi lorsqu’un mot est tapé, il clignote parmi tous ses synonymes.

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CHAPITRE 6 LA DÉCISION HASARDEUSE

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Les projets suivants concernent la délégation de la décision au hasard.

les dé-cisions

Les dé-cisions sont une série de dés en bois permettant au

graphiste indécis, de réaliser une mise en page aléatoire.

Le graphiste délègue la décision aux dés et exécute sans

passer de longues heures à réfléchir à sa composition. Le processus de création devient un moment ludique et

le résultat final immaitrisé est inattendu. Pour tester ces

dés, j’ai réalisé une expérience aux consignes précises : plusieurs designers devaient mettre en page une étude

d’Hamlet, le personnage indécis de Shakespeare, à l’aide

des dés. Six images étaient proposées, l’utilisateur lançait alors un dé numéroté de un à six pour savoir laquelle

serait présente dans la composition. Il enchainait ensuite une série de questions adressées aux dés pour composer sa page « Quel format ? Quelle typographie pour le

titre ? Quelle justification... » Sur quinze compositions, les dés ont été lancés dix-neuf fois en moyenne, soient deux

cents soixante-six lancés. L’utilisateur exprimait parfois des indécisions qui ne pouvaient pas être solutionnées directement par les dés, il détournait ou interprétait alors

la réponse « Si le dé affiche un nombre impair cela veut

dire non ». J’ai remarqué que les compositions qui res-

taient lisibles étaient celles où le nombre de dé-cisions était le plus petit ou encore quand celles-ci étaient le plus

refusées. Car l’utilisateur avait bien sûr la possibilité de

refuser la dé-cision lorsqu’il la jugeait trop illisible ou non harmonieuse. Dans beaucoup de cas l’utilisateur faisait preuve de « bon sens » face aux choix aléatoires incompa-

tibles. Les dé-cisions ont été refusés cinquante et une fois. 91


la page de droite : Plusieurs exemples de dé-cisions pour réaliser une mise en page. http://petitlien.fr/de-cisions la double-page suivante : Les différentes compositions réalisées durant le test sur l’essai d’Hamlet de Shakespeare. http://petitlien.fr/hamlet

Parfois l’utilisateur avait déjà en tête la facette du dé qu’il aimerait voir apparaître et donc relançait plusieurs fois

le dé jusqu’à l’obtenir. C’est un peu le même sentiment que lorsque nous lançons une playlist musicale aléatoire.

La plupart du temps nous savons déjà quelle musique nous aimerions écouter, et nous zappons dans l’aléatoire

jusqu’à que celle-ci apparaisse. L’aléatoire devient alors inutile puisque l’utilisateur n’est pas dans un stade d’in-

décision. J’estime alors, à la suite de cette expérience, que lancer les dés peut être utile lorsque le designer hésite

ou n’a pas d’idée et non pas tout au long du processus de création. À la fin de l’expérience, le designer devait

signaler s’il était satisfait ou non de sa composition. 74 % Cette expérience rappelle alors le projet de Yannick Mathey, Protoyp-0, un générateur de typographie permettant de jouer, d’expérimenter de nouveaux dessins de caractères. http://www.prototypo.io/ Les dé-cisions se distinguent de ce projet dans la mesure où ce n’est pas le tatonnement à l’aide d’un curseur qui est mise en avant. En effet les dés ne proposent pas une infinité de choix, ils en proposent six chacun. J’ai au préalable listé les choix graphiques standards que nous prenons en matière de mise en page. Les décisions sont au final à mi-chemin entre le hasard et la manipulation.

l’étaient. Les utilisateurs ont trouvé dans la composition aléatoire des idées auxquelles ils n’auraient jamais pen-

sées et qu’ils pensaient réutiliser . Ce procédé, en plus de solutionner l’indécision, est un moyen créatif pour se sur-

prendre et créer de nouvelles combinaisons graphiques. Le fait que ces dés soient tangibles et non pas un générateur numérique a également son importance. Ce qui moti-

vait les designers testés, c’était de lancer un dé en bois, plus ou moins fort, essayant encore une fois de maitriser le hasard.

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À la suite des dé-cisions, j’ai imaginé un plug-in, un nouveau bouton dans différentes interfaces et objets : intégrer

directement la fonction aléatoire sur InDesign (obtenir une mise en page aléatoire), un navigateur (obtenir une

page internet au hasard), les réseaux sociaux (discuter avec une personne au hasard, sur le même principe que

Chatroulette), la télécommande (une chaine au hasard), le

gps (obtenir une dé-stination)… cette fonction peut-être au final déployée sur de nombreux éléments comportant des choix multiples. Le projet peut alors basculer vers

du design fiction, et si toutes les décisions étaient prises au hasard ? Le résultat serait aussi illisible que certaines

compositions graphiques réalisées pendant les tests des Dé-cisions ?

shuffle

Dans le but de rendre la prise de décision plus ludique, j’ai

pensé l’application Shuffle. Dans la même lignée que les créations de l’Oulipo, Shuffle donne une règle du jeu invitant l’utilisateur à prendre une décision de manière créative (et irrationnelle). En secouant l’écran de son smart-

phone (comme secouer la Magic 8 ball prédisant l’avenir), une couleur ou une lettre apparaît. Shuffle génère au hasard une indication, c’est à l’utilisateur de l’interpréter. Ainsi, si

je me trouve dans un supermarché et ne sais quoi acheter, je secoue mon écran de smartphone et obtiens par exemple

l’indice « rouge » : je remplis alors mon chariot de produits dont les couleurs du packaging ont une dominance rouge.

Si j’obtiens « A », j’achète les produits dont la marque commence par un A.

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la page de gauche : le visuel du haut - Sur cette interface d’Adobe InDesign est intégré la fonction hasard. En cliquant sur cet outil, une mise en page est générée automatiquement avec du texte de substitution. le visuel du bas - L’application Shuffle indique ici l’indice rouge. Mes achats sont donc des produits au packaging rouge.


decision lab

J’ai créé ici un kit pour prendre des décisions, toujours dans la lignée du jeu. Ce kit comporte plusieurs accessoires, utilisables indépendamment les uns des autres : un jeu de fléchettes dont la cible est une trame de oui et de non, une

roue et plusieurs disques, une pièce à double face, des

blocs notes pour noter puis piocher des décisions… Tous ces moyens ludiques de prendre une décision emploient le hasard, même le jeu de fléchettes, car à moins d’avoir une dextérité exceptionnelle, la trame de la cible est beaucoup

trop serrée pour pouvoir viser une réponse. Le graphisme

des objets, assez sombre, en niveaux de gris, ainsi que le

logotype rappelant des formes de symboles ésotériques, donnent une dimension très mystique au kit, et laisse imaginer une force « divinatoire » derrière le hasard de ces différents jeux.

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le musée dont je suis le héros

Le Musée Dont Je Suis Le Héros est un dispositif de signalétique interactive dans le musée Dauphinois de Grenoble. Cette borne a pour but d’orienter le visiteur selon

ses envies. Le visiteur obtient un badge RFID à l’entrée du musée. Sur celui-ci il peut composer sa visite en sélec-

tionnant dans l’ordre qu’il le souhaite les expositions qui l’intéressent. Plusieurs bornes interactives sont placées

à différents points stratégiques du musée. En présentant son badge, la borne oriente vers la direction correspondant au parcours programmé. Jusqu’ici, le visiteur est

maître de sa visite, mais comme dans les livres-jeux, il y a également une part de hasard existante : le lancé de dé. En

cliquant sur le dé de l’interface, le visiteur peut à tout moment demander une direction au hasard et entreprendre ainsi une visite aléatoire. Ce dispositif a été conçu et créé par mon équipe

lors de l’événement Museomix 2013. Il

a ensuite été testé par le public. La plupart des visiteurs

du musée sont de réels aventuriers : la fonction aléatoire plait, le visiteur préfère se laisser porter par le hasard que de suivre un trajet prédéfini.

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Mon équipe était composée de : Stéphane Kyles (code), Jennifer Liaut (contenu), Stéphane Mor (fabrication), Guillaume Reymond (communication), Laurent Rizzo (musée), Damien Huyghe (facilitateur). http://petitlien.fr/museeheros


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CHAPITRE 7 LA DÉCISION DES AUTRES

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Les expérimentations et projets qui suivent ont pour focus l’influence des autres sur nos décisions. a priori

En juin 2013, le centre Erasme, living lab du département

du Rhône, a organisé un workshop avec des équipes pluridisciplinaires sur le thème du handicap, un vecteur d’innovation pour tous. Chacune des équipes

était constituée

d’un développeur ou maker, d’artistes (danseur, plasticien,

jongleur, sound et game designer), d’un designer d’interaction du DSAA et d’une personne portant un handicap.

C’est à partir de l’expérience de Jean-Baptiste Hibon que

l’application A priori a été conçue. Porteur d’un handicap visible, il est régulièrement confronté aux préjugés des

autres. L’application a pour but de nous mettre face à nos a priori , lorsque nous jugeons trop vite une situation sans en connaître la totalité. A priori prend la forme d’un quiz.

Une image énigmatique (un détail, un élément sans son

contexte) apparait ainsi que quatre pictogrammes. L’utilisateur doit associer l’image à l’un des quatre univers représentés en misant à l’aide d’une série de jetons. N’ayant qu’une vision parcellaire, il doit interpréter la réponse et

donc user de stéréotypes et autres préjugés. À la moitié du temps, les réponses des autres joueurs apparaissent et

l’utilisateur a possibilité de changer sa mise selon l’avis des autres. En fin de jeu s’affichent les statistiques : quelles

ont été les bonnes et mauvaises réponses influencées par les autres joueurs ? L’application nous confronte à nos

préjugés : sur leur construction basée sur des clichés et

sur le manque d’information d’une situation, mais aussi

sur la manière dont les autres influencent, façonnent et modifient notre vision. Au final, A priori se rapproche 107

Mon équipe était composée de : Jean-Baptiste Hibon (fondateur du Réseau Humain), Franck Weber (designer sonore) et Mathieu Virbel (developpeur). http://petitlien.fr/apriori


Vidéo de l’expérience d’Asch : http://petitlien.fr/asch

des expériences menées par le psychologue Solomon

Asch. L’expérience de Asch , démontre le pouvoir du conformisme sur les décisions d’un individu au sein d’un

groupe. En 1951, Solomon Asch invita un groupe d’étudiants à participer à un prétendu examen de vision. Celui-

ci avait été testé auparavant par des sujets témoins qui

n’eurent aucun mal à donner toujours la bonne réponse. Tous les participants étaient complices avec l’expérimentateur, sauf un. L’expérience avait pour objet d’observer

comment cet étudiant (le sujet « naïf ») allait réagir au comportement des autres. Avant que l’expérience ne commence, l’expérimentateur avait donné des instructions à

ses complices. Au début, ils donnaient la bonne réponse, mais lors du troisième essai, ils donnèrent unanimement

la même fausse réponse. Le sujet « naïf » était l’avant-dernier à répondre. Asch mit en avant que celui-ci fut surpris des réponses énoncées par ses acolytes. Au fur et à

mesure des essais, il devint de plus en plus hésitant quant

à ses propres réponses. Les résultats de cette expérience ont montré que la plupart des sujets répondaient correc-

tement, mais qu’un grand nombre (36,8 %), perturbés, finissait par se conformer aux mauvaises réponses soutenues à l’unanimité par les complices.

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les indécis, le réseau social

J’ai imaginé ici, un lieu en ligne où l’indécision serait le

cœur des échanges sociaux. Comme vu dans la partie théorique de ce mémoire, nous prenons souvent nos déci-

sions en fonction des autres. Comment serais-je perçue en faisant tel choix ? Les indécis est un réseau social pour

partager ses indécisions et choisir avec ses amis « la meil-

leure » solution. L’utilisateur expose son indécision (une question) et propose plusieurs possibilités. Il ouvre la

question aux internautes qu’il souhaite. Chaque personne de sa communauté vote pour la proposition qui lui semble

être la plus adéquate, en ayant la possibilité d’argumen-

ter (pour mieux manipuler ?). L’utilisateur indique par la suite quelle est la décision finale. Comme sur Twitter où il existe des « followers », il y aurait ici tout un sys-

tème de gamification avec des titres de « influenceurs », « décideur irrationnel » etc. et la possibilité de monter des niveaux, du petit hésitant, au grand indécis. Chaque utili-

sateur aurait son propre journal de bord de l’indécision,

une timeline retraçant toutes les hésitations qu’il a eues

dans son quotidien depuis son inscription. Cette idée de réseau valoriserait l’indécision et nous dévoilerait nos principaux influenceurs : qui dans notre entourage réel et numérique agit sur nos décisions ?

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CONCLUSION Ces expérimentations dans les différentes catégories présentées dans mon mémoire expriment bien mon

indécision ou non-décision vis à vis de la direction à prendre pour le macro projet. Plusieurs de ces créations peuvent néanmoins basculer vers des projets de design fiction communs.

VAN DORMAEL Jaco, Mr Nobody, 2010. Dans une gare, Nemo Nobody, un jeune garçon doit choisir entre sa mère et son père : plusieurs vies très différentes en découlent. Nemo Nobody se remémore à travers différents flashbacks ses différentes vies dans des espacestemps différents. Il imagine alors douze vies parallèles dont chacune est caractérisée par une épouse différente. Les variations de cette arborescence s’en tiennent parfois à très peu de choses, soit une illustration de l’effet papillon. BRESS Eric, The Butterfly Effect, 2004. Une théorie prétend que si l’on pouvait retourner dans le passé et changer quelques détails de notre vie, tout ce qui en découle serait modifié. On appelle cela «l’effet papillon». Evan Treborn a cette faculté. Il peut repartir dans le passé et changer des situations de ceux dont les vies ont été brisées dans leur enfance. Mais Evan va découvrir que ce pouvoir est aussi puissant qu’incontrôlable. Il va s’apercevoir que s’il change la moindre chose, il change tout. En intervenant sur le passé, il modifie le présent et se voit de plus en plus souvent obligé de réparer les effets indésirables de ses corrections.

Les expériences du chapitre cinq (Blouge, Perhaps le GPS incertain, Typopasûre…) peuvent être combinées

pour penser une société basée sur l’indécision, des machines hésitantes, comme par exemple un nouveau système d’exploitation vacillant. Il y a également dans

certains de ces projets autour de l’hésitation, l’idée que la décision n’est pas définitive, et qu’on peut la

changer à tout moment. Et si un objet, toujours en design fiction, permettait de faire « cmd-Z, édition Annu-

ler » et de retourner modifier une décision de notre vie ? Que se passerait-il si je modifie mon choix fait en

2009 sur le site admission-postbac m’orientant vers les arts appliqués ? Tel le film Mr Nobody Papillon

ou l’Effet

, on pourrait naviguer dans différents uni-

vers parallèles qui se créent quand une nouvelle décision est prise.

Les expériences réalisées dans le chapitre six (les dé-cisions, Shuffle, Decision Lab…) peuvent elles aus-

si être associées pour créer une nouvelle société où l’aléatoire deviendrait un principe de vie.

Enfin les derniers projets du chapitre sept (traitant de

l’influence et du conformisme) peuvent être exagérés 112


pour créer un monde ou chaque décision n’est plus

personnelle. Et si c’était mon voisin qui choisissait mon lieu de vacances ? Et si c’était le boulanger qui devait condamner ou non l’accusé ?

Monde d’indécis, multivers , société aléatoire et uni-

vers où les décisions des uns seraient prises par les

autres, sont différentes pistes possibles pour mon macro-projet.

113

Le terme de multivers désigne l’ensemble de tous les univers possibles, parmi lesquels figure notre univers observable.


114


RÉFÉRENCES DU MÉMOIRE

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116


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WEBOGRAPHIE

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Essai sur les fondements de nos Connaissances et sur les caractères de la Critique Philosophique http://philia.online.fr/txt/cour_003.php

Cube #4 : Après l’humain

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Aléas du hasard informatique http://www2.lifl.fr/~delahaye/HECI/AleasDuHasasrdInfo.pdf

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Discours de la servitude volontaire http://www.singulier.eu/textes/reference/texte/pdf/servitude.pdf

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Définitions : CNTRL, Wikipedia

120


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The Butterfly Effect, 2004 VAN DORMAEL Jaco, Mr Nobody, 2010

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Soyez un numéro deux : pourquoi les premiers de la classe sont-ils les cancres de l’innovation ? Le 21 novembre 2013, Pôle Supérieur de Design de Villefontaine AMEISEN Jean-Claude, KLEIN Etienne,

L’incertitude : une autre manière de savoir ? Le 24 novembre 2013, Festival Mode d’Emploi, Villa-Gillet

LUDOGRAPHIE BRADLEY Milton

The Game of Life (Destins), version 1992, MB Les Échecs

BOOKMAN Abe

Magic 8 Ball, 1946, Mattel

121


INDEX A

E

absurde 34

émotions 35

aléatoire 48, 91, 103

exécution 20

acrasia 34 action 20

algorithmes 49, 59, 61 aliénation 59 arbitrage 19

empathie 24

engagement 33, 53

F

art génératif 49

fainéantise 42

B

G

autodétermination 20

frustration 33

biais cognitifs 35

générateur 48, 49, 97

complexité 48

hasard 41, 42, 43, 47, 49,

D

59

C

conformisme 53, 108

data visualisation 23 dé 43, 91, 97, 103

H

91, 97, 98, 103

homo œconomicus 23, 34,

I

délibération 20, 21, 52

incertain 41, 85

dispositif 54

82, 86, 111

se déresponsabiliser 42 destin 41

divination 41, 98 122

inconscience 24

indécision 31, 60, 76, 81, indéfendable 34

influence 53, 107, 111


information 23, 48, 107 injustifiable 34

R

instinct 20

raison 22

J

risques 47

intuition 24

irrationalité 34

jeu 43, 91, 97, 98, 103, 107 justifier 22

L

libre-arbitre 21 logique 22

M

manipulation 54, 92, 108, 111

N

non-décision 31

P

rationalité 22, 24, 35, 59 regretter 33

S

sérendipité 42

se surprendre 42 simulation 48

soumission 53 statistique 47

storytelling 55 stratégie 22

synchronicité 41, 43

T

théorie des jeux 47

V

volonté 21

par défaut 55

probabilité 47, 48 Providence 41

123


124


125


RÉSUMÉ Ne sachant pas choisir parmi plusieurs sujets qui me tenaient à cœur pour mon macro-projet, j’ai vite compris que mon étude était déjà en cours et que j’en étais le propre cobaye : l’indécision. La décision est un terrain très vaste, touchant la philosophie, les sciences cognitives, le marketing et d’autres domaines. J’ai restreint mon champ d’étude aux décisions individuelles. Dans ce mémoire je m’intéresse à la difficulté de prendre une décision, dans la vie quotidienne mais aussi dans un projet design. Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de possibilités mais paradoxalement, nous avons également de moins en moins le choix : le conformisme et la technologie semblent limiter nos décisions ou bien les effectuer à notre place. Ma question principale est de savoir si la prise de décision nous échappe. Pour étudier cette possible aliénation de la décision, j’explique le processus de prise de décision ainsi que notre quête de rationalité (j’ai choisi une typographie à empattement pour une lecture plus fluide du texte). Or nous sommes des individus irrationnels : lorsque nous prenons une décision, l’émotion et d’autres biais cognitifs viennent court-circuiter notre jugement (je ne suis pas sûre de savoir pourquoi j’ai choisi cette typographie). J’ai alors étudié le hasard : celui-ci est un moyen de se déresponsabiliser et de se décider rapidement de façon plus ludique (en fait, j’ai choisi cette typographie au hasard). En étudiant le hasard, j’ai vite basculé dans le domaine de la manipulation : le conformisme et les algorithmes nous influencent ou prennent les décisions à notre place (cette typographie est le choix par défaut du logiciel de traitement de texte). Dans ma seconde partie pratique, je présente des minis-projets design interrogeant la délégation de l’(in)décision selon les grandes parties dégagées de mon étude théorique. Différents univers fictifs commencent alors à prendre forme.

MOTS-CLEFS :

délégation, hasard, indécision, irrationalité, manipulation 126


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Ce mémoire a été tiré à six exemplaires en mars 2014. Mes choix graphiques :

Le texte a été composé avec de la Cambria créé par les typographes hollandais Jelle Bosma, Steve Matteson et Robin Nicholas en 2004.

Cette typographie est conçue pour la lecture à l’écran

et pour garder la bonne intégrité des caractères de petite taille lors de l’impression.

C’est aussi la typographie par défaut du logiciel de trai-

tement de texte Word de la suite Microsoft Office 2011 pour Mac.

Le document a été imprimé en laser et jet d’encre.

L’impression a été réalisée sur différents papiers 100%

recyclés, réalisés artisanalement par l’atelier Maki Nature,

à partir de matières premières répondant aux normes écologiques européennes :

couverture : papier cartonné Natural Beige 325gr intercalaires : papier recyclé Brun 175gr

pages intérieures : papier recyclé avec fibres Blanc 100gr planches illustrées : papier couché 135gr www.opheliebattaglia.com

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130



Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de possibilités, dans nos consommations, dans nos choix de vies, d’études, de carrières... Mais paradoxalement, nous avons également de moins en moins le choix : le conformisme et la technologie semblent limiter nos décisions ou bien les effectuer à notre place. Il en est de même dans le processus de création pour un designer. À l’heure où le numérique prend une place importante dans la prise de décision et limite de plus en plus notre liberté de choisir, nous avons le sentiment que nos choix sont impersonnels, délégués ou manipulés. La prise de décision nous échappe-t-elle ? Dans mes recherches j’étudie, entre autres, les décisions rationnelles, l’hésitation, le hasard et la manipulation.


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