Master 2 «Urbanisme Habitat et Coopération Internationale»
Les impacts des espaces publics dans la ville durable
Mémoire présenté par Préscilia Langevin Sous la direction de Marcus Zpef
Institut d’Urbanisme de Grenoble Table de concertation solidarité Mercier-EsT
Septembre 2010
Notice Analytique
Master 2 «Urbanisme Habitat et Coopération Internationale»
Les impacts des espaces publics dans la ville durable
Source: Roger Stirk Harbour & Partners, Grand Paris
Mémoire présenté par Préscilia Langevin Sous la direction de Marcus Zpef
Institut d’Urbanisme de Grenoble Table de concertation solidarité Mercier-EsT
Septembre 2010
Remerciements
Ce mémoire aurait été bien différent, si le stage n’avait pas était celui chez Solidarité Mercier Est. Je remercie donc en premier lieu Carlos Martinez, coordinateur de la démarche de Revitalisation Urbaine Intégrée et encadrant de stage, ainsi que toute l’équipe : Fabienne Audette, Bianca Boudreau, Élisabeth Caron, Nadya Toupin et Émilie Guérin. J’ai passé auprès d’eux quatre mois enrichissants tant sur le plan professionnel que personnel.
Je remercie aussi Marcus Zepf pour avoir encadrer ce mémoire et Charles Ambrosino pour avoir accepté de le lire. Un mémoire qui signe certes la fin d’une expérience professionnelle, mais c’est aussi le point final de ma vie à l’IUG. Je remercie donc l’ensemble de l’équipe enseignante et administrative pour leur encadrement durant ces deux années. Je tiens également à remercier et féliciter l’ensemble de la promotion UHCI 2009/2011 avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à traverser les ateliers Fontaine, Bratislava et Lisbonne et l’ensemble moments partagés. Un merci particulier à Débora Pignier, découverte grâce à l’atelier Fontaine 2040, pour sa bonne humeur communicative tout au long de ces deux années (nous aurons bel et bien vaincu les franchissements!), à Camille Foppolo pour cet humour si particulier; à Maxime Dorville pour m’avoir accompagnée jusqu’à Montréal. Un grand merci et bravo à Marion Zankowitch pour sa collaboration dans l’aventure URBACOM (et, quelle aventure!). Enfin, un dernier mot pour le Sud et ceux qui m’auront supporté durant l’écriture, merci à mes parents sans qui tout cela n’aurait pas été possible, et à ceux qui ont accepté la mission de relecture.
Tout mon soutien à Marie-Anne, une énorme pensée pour Anaël, parti trop tôt. 5
Sommaire
Introduction
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Chapitre 1 : Le concept de développement durable.
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1.1. Qu’est-ce que le développement durable ?
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1.2. Les grands principes
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1.3. Construire une ville durable.
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Chapitre 2 : Espaces publics et Ville durable.
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2.1. Éléments de compréhension.
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2.2. Espaces publics et ville durable.
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2.3. Les enjeux des espaces publics dans une ville durable.
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Chapitre 3 : New York City une ville durable ?
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3.1. The New-York City High Line
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3.2. La High Line, élément d’une ville durable ?
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3.3. New York City, une ville en pleine reconversion.
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Conclusion
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Bibliographie
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Table des matières
103
Table des illustrations
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Introduction « C’est la crise ! » , quelle soit alimentaire, financière, énergétique, pétrolière, climatique, urbaine ou encore sociale, la crise est partout. Envolée des prix du pétrole et épuisement des ressources, changements climatiques, course vers l’eau potable (devenue l’or bleue), krachs boursiers, montée du chômage, affaiblissement des liens sociaux… Les maux de nos sociétés paraissent sans fin. L’origine de cette décadence ? Notre consommation de masse et notre développement trop longtemps non maîtrisé sont très souvent montrés du doigt. Une solution ? Peut-être ! Un nouveau concept fait depuis quelques années couler beaucoup d’encre : le développement durable. La réelle innovation dans ce concept est la notion de durabilité. Aux problèmes pétroliers et à l’étalement urbain qui grignote petit à petit nos espaces, nous répondons mobilité et ville durables. A la crise financière et la montée du chômage, nous opposons croissance durable ou croissance verte. Aux changements climatiques, à la crise alimentaire ou celle liées à l’eau nous proposons la gestion durable des ressources. Le portrait est certes caricaturé, mais les contours sont pourtant bien réels. C’est tout une transformation de nos modes de vie qui est en train de s’opérer et ce sont nos villes qui en sont la preuve. Depuis peu, on cherche à réconcilier les entités ville et nature, longtemps opposées, le premier pas fut celui des bâtiments à Haute Qualité Environnementale (HQE). En plus de s’intégrer dans le paysage, le bâti s’insère aujourd’hui au maximum dans l’environnement. Et les villes ne s’arrêtent pas là, les éco-quartiers commencent à sortir de terre, sur le modèle de la Caserne de Bonne à Grenoble qui a reçu le prix européen éco-quartier en 2009. De fil en aiguille, on commence à penser la ville autrement, en se penchant sur le quartier on s’aperçoit que l’équilibre social, économique et culturel n’est pas toujours respecté, et c’est ce qui encouragerait l’étalement urbain. On parle alors de mixité sociale mais aussi fonctionnelle, de densité du bâti. On pense la ville de jour, mais on réfléchit aussi à la vie la nuit, les activités professionnelles et de loisirs sont aujourd’hui appelées à cohabiter. C’est en suivant ce raisonnement que le concept de ville durable fait son apparition. En réorganisant la ville on réorganise aussi les modes de vie, les façons d’habiter la ville, les manières de se déplacer… On prend conscience qu’une ville durable c’est une ville qui s’adapte aux habitudes mais aussi aux envies de ceux qui vivent la ville. La concertation devient alors un nouvel outil, faisant émerger de nouveaux acteurs. Car la ville est un théâtre dans lequel se jouent les scènes de la vie quotidienne des citoyens. Des scènes qui se jouent à la vue de tous dans les espaces publics. Et nous y voilà, après le bâtiment, le quartier, ce sont aujourd’hui les espaces publics qui semblent se placer au centre des réflexions de ville durable. Comment alors, les espaces publics peuvent-ils être penser et aménager de façon à favoriser un développement durable de nos villes ? Quels en sont les enjeux dans les villes de demain? Pour répondre à cette problématique, nous partons des hypothèses selon lesquelles les espaces publics seraient aujourd’hui encore la colonne vertébrale des villes. Seuls éléments ouverts et accessibles à tous, ils seraient un lieu stratégique où intégrer les différents principes du développement durable. Nous pensons également que par l’avènement de la concertation, 9
les espaces publics sont aujourd’hui au plus proche des volontés des usagers et citoyens qui contribuent à les transformer à l’image des transformations de nos sociétés. Mais nous émettons aussi l’hypothèse que les espaces publics peuvent contribuer à l’évolution des changements des modes de vie des populations. Nous construirons donc une réflexion sur le développement et la ville durable d’une part, puis sur les espaces publics de demain d’autre part. Une fois les fondements théoriques établis, nous partirons à New York, destination choisie pour notre étude de cas. Pourquoi New York ? D’abord parce que les cinq mois de stage passés à Montréal cette année nous ont fortement ouvert les yeux sur l’actualité nord-américaine en matière de développement durable et d’aménagement. Mais également parce que la ville de New York est une ville dynamique et surprenante tant sur le plan culturel qu’urbain. Symbole de développement économique, immense forêt minérale constituée de building toujours plus haut, qui contrastent avec le gigantesque parc urbain de central parc, la « grosse pomme » inaugure ces dernières années des projets innovants s’inscrivant parfaitement dans notre analyse. Le dernier projet en date est déjà un succès international, il s’agit de la reconversion de la High Line dans le Meatpacking district. Cette opération de recyclage urbain n’est même pas encore terminée qu’elle est déjà citée en exemple. On connait le projet pour son caractère écologique affirmé et pour les impacts économiques qu’il propage dans les quartiers alentours. Mais les origines du projet sont moins médiatisées. C’est pourtant ce qui nous intéresse ici, de voir comment ce projet est en grande parti porté par une association de résidents et de commerçants qui, bénéficiant du support de la ville, ont mené d’une main de maître d’œuvre les différentes étapes du processus. Implication citoyenne, développement local et impact écologique voici les trois éléments que nous retrouvons donc dans ce projet urbain, ce qui en fait notre étude de cas idéale. D’un point de vue méthodologique, ce travail s’appuie sur des recherches qui ont été menées tout au long du stage effectué dans la Table de concertation de Solidarité Mercier-Est à Montréal. Nous nous sommes inspirés des divers colloques et journées de formation, sur des thèmes connexes à la ville durable, auxquels nous avons pu participer. Durant la période d’écriture, notre raisonnement s’est construit avec l’appui de divers livres et documents PDF procurés tout au long de nos recherches. Des sites Internet nous ont également servi de support d’informations, notamment pour notre étude de cas. Pour répondre à notre problématique et vérifier nos hypothèses nous avons élaboré une réflexion se structurant en trois chapitres. Dans un premier temps, nous tenterons de comprendre ce qui relève du développement durable, quelle en est sa définition et comment ce concept mondialement reconnu s’est fait une place sur la scène. Nous développerons ensuite les grands principes portés par le développement durable. Dans le même temps, nous essaierons de comprendre comment il s’est associé à la ville pour créer la notion de ville durable et chercherons les premiers moyens
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d’action déjà mis en œuvre. Dans le deuxième chapitre de notre analyse, nous nous intéresserons plus précisément aux espaces publics. Après l’avoir préalablement défini, nous dresserons un portrait des fonctions actuelles ainsi que des acteurs en jeu dans leur conception. Nous verrons ensuite, à travers des exemples concrets, comment les principes de développement durable peuvent-ils s’insérer dans ses espaces. Enfin, nous nous interrogerons sur les transformations actuelles et futures mais aussi sur la place et les enjeux des espaces publics de demain. Pour finir, notre réflexion nous amènera au cœur de la ville de New York, où nous nous pencherons sur les projets remarquables qui font actuellement l’actualité de la ville. Après une étude du projet de reconversion d’une voie ferrée suspendue abandonnée depuis près de 30 ans en parc urbain, nous mettrons un coup de projecteur sur la piétonisation aujourd’hui permanente de Broadway mais également sur la nouvelle ceinture verte de Manhattan qui fait des jaloux à Brooklyn.
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Chapitre 1
Le DĂŠveloppement durable
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Avant de commencer toutes réflexions, interrogations ou remises en question, il est important de définir ce concept. Nous l’avons vu en introduction, le développement durable est parfois une notion un peu fourre-tout. Elle est aussi un véritable caméléon puisqu’elle s’associe à de nombreux domaines : économique, environnemental, social… Pour savoir ce que cache cette nouvelle étiquette verte, il apparait indispensable de partir de la base, et de définir en premier lieu ce qu’est le développement pour ensuite déterminer ce que l’adjectif durable apporte comme complément. Nous verrons également comment le développement durable est devenu un concept clé sur la scène internationale et si sa définition. Enfin, nous nous intéresserons à l’émergence de la ville durable et tenterons de déterminer quels sont les enjeux qu’il implique pour la ville.
1.1. Qu’est-ce que le développement durable ?
Le développement durable est partout. Tout le monde en parle, tout le monde en
veut. Mais qui peut réellement définir ce concept ? Pour le saisir dans son ensemble nous commencerons par la définition de ce qui constitue le point de départ du développement durable : le développement. Nous verrons ensuite ce que l’adjectif « durable » lui apporte pour ensuite comprendre ce que cela implique pour nous, acteurs de la Ville, par l’appréhension du développement urbain durable. Enfin, nous ferons un retour historique et porterons attention à l’évolution du concept dans sa dimension internationale.
1.1.1. La base du développement durable, le développement.
Dans développement durable, il y a développement. Un terme aujourd’hui courant dans notre vocabulaire quotidien et fréquemment utilisé, mais sait-on réellement ce qu’il renferme ? L’amalgame entre développement et croissance économique est relativement fréquent, pourtant nous sommes là devant deux notions différentes. Il est difficile, voire impossible, de donner une définition exhaustive et précise du développement. Parmi toutes celles sont données de croiser au cours d’un cursus en sociologie, nous retiendrons celle du sociologue Jean-Pierre Olivier de Sardan qui définit le développement comme : « L’ensemble des processus sociaux de transformations d’un milieu social, entreprises par le biais d’institutions ou d’acteurs extérieurs à ce milieu mais cherchant à mobiliser ce milieu, et reposant sur une tentative de greffe de techniques et/ou de ressources et/ou de savoirs »1. 1 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, 1995, Karthala. (Page 7) 15
Il y a plusieurs choses intéressantes dans cette définition. Tout d’abord, le développement n’est pas une finalité, c’est un processus. Qui plus est, c’est un processus qui vient de l’extérieur et qui s’installe dans notre société. Nous pouvons par exemple voir notre société comme une éponge qui absorbe continuellement de nouvelles technologies, de nouveaux savoirs ou même de nouveaux langages. En se nourrissant de tous ces flux, elle se transforme. Ensuite, il est également intéressant de constater que la notion de développement inclue l’idée de progrès, de modernité. Mais d’où vient ce terme développement ?
Les origines du développement Il fait sa première apparition sur la scène internationale le 20 janvier 1949, c’est le président Truman qui sera le premier à le prononcer. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans un contexte de compétition militaire et de création d’alliances, une nouvelle frontière vient scinder le monde en deux : « Je crois que nous devrions mettre à la disposition des peuples pacifiques les avantages de notre réserve de connaissances techniques afin de les aider à réaliser la vie meilleure à laquelle ils aspirent. Et, en collaboration avec d’autres nations, nous devrions encourager l’investissement de capitaux dans les régions où le développement fait défaut.2 » Depuis ce jour, même si la limite tend à devenir de plus en plus floue, nous sommes face à un monde bipolaire partagé entre les pays développés et les pays en développement3. Ce discours nous montre que quelle que soit la définition retenue, dès son origine le développement vise une amélioration des conditions de vie. Mais qui fixe les critères d’une vie agréable, qui décide de ce que représentent de bonnes conditions de vie ? Dans nos sociétés capitalistes, la croissance économique se confond souvent avec le développement. Et si nous regardons de plus près le modèle de l’économiste Rostow, nous pouvons constater que les deux dernières étapes de cette croissance économique sont « le progrès vers la modernité » et l’ultime étape celle de la « consommation de masse4 ». Il est alors évident que depuis des années, le modèle occidental, et particulièrement le modèle états-unien, s’impose au monde comme étant le modèle à suivre, le palier à atteindre, et que la totalité des pays se sont transformés, « développés », dans cette voie. Tous ont cherché le développement par la croissance économique c’est à dire un accroissement, sur une longue période, des quantités de biens et de services produits dans un pays, dont le
2 Point IV du discours d’investiture du président américain Truman le 20 janvier 1949, http://www.decroissance.info/Le-Point-IV-du-President-Truman-l. 3 Nous entendons ici par pays en développement l’ensemble des pays dits des Suds qui aspirent à une amélioration des conditions de vie des leurs habitants. Pour ne pas trop nous étendre sur le sujet, les pays sous-développés, les nouveaux pays industrialisés, les pays maldéveloppés ainsi que les pays émergents sont ici représentés. 4 ROSTOW, W.W., Les étapes de la croissance économique, chapitre 2, 1963, Paris : Seuil (Pp 13-32) 16
taux est calculé par le produit intérieur brut (PIB). En théorie cet accroissement des richesses permet un plus important de niveau de revenu pour les habitants et donc une amélioration de leurs conditions de vie. En ce sens, elle est facteur de développement, mais elle ne lui suffit pas. Dans un monde parfait, plus la croissance économique mondiale augmente, plus les inégalités diminuent et les conditions de vie s’améliorent pour tous. Pourtant, « depuis quarante ans, malgré l’accroissement de la richesse produite dans le monde, les inégalités ont explosé : l’écart entre les 20% les plus pauvres et les 20% les plus riches était de 1 à 30 en 1960, il est aujourd’hui de 1 à 80 5». La croissance économique est donc bien un enjeu dans la course au développement, en particulier pour les pays du Sud, mais la sphère économique seule ne peut rendre compte de l’avancé de ce développement.
La dimension sociale du développement Car finalement, le développement a surtout une finalité sociale. La dimension humaine du développement a été longtemps mise de côté. C’est pourquoi nous nous intéressons aujourd’hui de plus en plus au cadre de vie des populations lorsqu’on parle de développement : « Le développement a pour objectif fondamental de créer un environnement qui offre aux populations la possibilité de vivre longtemps, en bonne santé. 6» Avec ce nouvel éclairage, nous ne parlons plus seulement de niveau de vie, mais aussi de mode de vie, de la façon dont les individus utilisent les nouvelles capacités produites dans la sphère économique. C’est en poursuivant ce raisonnement que nous pouvons voir la place de l’urbain dans toute la machine développement. En effet, depuis 2008, pour la première fois dans l’histoire, plus d’un homme sur deux vit en milieu urbain, le mode de vie choisi par les individu est aujourd’hui un mode de vie urbain.
1.1.2. La notion de durabilité.
Mais voilà, depuis quelques années, nous parlons encore et toujours de croissance économique, mais le terme développement s’est marié au qualificatif « durable » dont il semble aujourd’hui inséparable. Une nouvelle idéologie qui ne date pourtant pas d’hier puisqu’elle apparait pour la première fois dans le rapport rédigé par la ministre norvégienne Gro Harlem Brundtland, à la demande de l’Assemblée générale des Nations-Unies, en 1987. Dans ce rapport, la distinction entre croissance économique et développement est explicite et l’adjectif « durable » donne au mot qu’il accompagne une plus grande dimension :
5 HARRIBEY, J.M, Développement ne rime pas forcément avec croissance, in Le Monde diplomatique, 2004 6 PNUD, Définir et mesurer le développement humain » in Rapport mondial sur le développement humain, 1990 (Pp 9-17) 17
« Nous ne l’envisageons (le développement) plus dans son contexte le plus étroit, qui est celui de la croissance économique dans les pays en développement, nous avons compris qu’une nouvelle voie s’imposait qui permettrait le progrès non plus dans quelques endroits privilégiés pendant quelques années, mais pour la planète entière et à longue échéance »7 Nous y voilà, la notion de durabilité, en plus d’ajouter une idée de longévité, donne au développement une touche d’universalité. Tous les pays sont concernés. Il n’y a plus de pays développés et des pays en retard, tous doivent faire des efforts et repenser leur organisation. Le développement n’est plus un stade acquis par certains et s’inscrit dans la continuité. Il induit un nouveau débat sur nos modes d’agencement économique, politique et social. Mais finalement comment est-il définit ? Pour notre ministre, il s’agit de : « Répondre aux besoins présents sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leur […] Le développement durable signifie la satisfaction des besoins élémentaires de tous et pour chacun, la possibilité d’aspirer à une vie meilleure. 8» En plus de devoir rééquilibrer la répartition des richesses, les préoccupations se tournent maintenant vers les générations futures. Difficile d’y croire lorsqu’on voit les chiffres de plus en plus alarmants concernant la faim dans le monde et l’accès à l’eau potable aujourd’hui. Mais dans un monde qui visiblement étouffe, la durabilité permet également d’apporter un espoir de changement. Une « illusion » pour certains qui « rassure la conscience du citoyen9 ». Pourtant, de plus en plus de mesures de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, le gaspillage, l’utilisation de pesticides dans l’agriculture… entrent petit à petit dans nos habitudes de vie, sous le couvert du développement durable. De manière générale, nous pouvons dire qu’un plus grand nombre d’individus aspirent à un mode de vie plus sain, à une qualité de vie qui ne se mesure pas qu’en nombre de produits électro-ménagers. Le cadre de vie prend de l’importance et en ce sens nous pouvons dire que le développement durable transforme doucement nos sociétés et nos manières de vivre.
Le développement urbain durable Et c’est justement ce cadre de vie qui intéresse les urbanistes. Nous l’avons dit, plus de 50% de la population est aujourd’hui urbaine, et nous pouvons parier sans risque que ces chiffres vont continuer d’augmenter. C’est donc en ville, que nos nouvelles sociétés se forment ; c’est en ville que les comportements sociaux se transforment. L’urbain est aujourd’hui un réel défi et n’échappe pas à la crise. Pourtant, les inquiétudes liées à l’urbanisation ne datent pas 7 Commission mondiale sur l’environnement et de développement de l’ONU, «Notre avenir à tous», Rapport Brantland, P.10 8 Op. Cit. P.14 9 LLENA C., « Le développement peut-il être durable ? », in Education relative à l’environnement, vol.7, Centre régional de documentation pédagogique de l’Académie de Montpellier, 2008 18
d’aujourd’hui, le rapport Brundtland leur consacrait tout un chapitre. De premières suggestions sont alignées en 1987 : « Les gouvernements devront élaborer des stratégies précises d’occupation du sol pour gérer le processus d’urbanisation […] aménager des villes et villages plus petits, lesquels seront plus étroitement intégré à leur arrière-pays rural.10» La cohabitation entre la Ville et la Nature, les centralités, le retour aux échelles plus locales, sont autant de questions actuelles en matière d’aménagement qui visiblement découlent du concept de développement durable. Il existe un deuxième exemple comme celui-ci ; un deuxième outil très prisé aujourd’hui lorsqu’on parle d’urbanisme et qui trouve ses fondations dans le principe de développement durable tel que décrit par madame Brundtland : la concertation. « Le développement durable des villes dépendra d’une coopération plus étroite avec les citadins les plus pauvres, qui forment la majorité et qui sont les vrais bâtisseurs de la ville. On mobilise ainsi les compétences, les forces et ressources des groupements citoyens… »11 Le citoyen comme nouvel acteur, comme nouveau bâtisseur de la ville, voici une idée qui en plus de 20 ans a fait du chemin et qui s’inscrit parfaitement dans le schéma actuel de la fabrication de la ville. Nous constatons ici que, lorsqu’on se place dans le domaine de l’urbanisme, la notion de durabilité a également permis d’introduire un trait de diversification, de multiplicité et complémentarité des acteurs.
1.1.3. L’émergence du développement durable
Maintenant que le concept est défini, nous pouvons nous interroger sur son histoire. Nous tentons de comprendre comment il s’est fait une place sur la scène internationale et comment la ville se place au cœur des préoccupations.
Des premières inquiétudes au sommet de Rio Dans le milieu des années 1970, le monde fait le constat de son explosion démographique. « La Bombe P. » a éclaté, les pays en développement voient leur évolution démographique grimper bien plus vite que prévue, les ressources naturelles que l’on pensait alors illimitées commencent à préoccuper. Mais les véritables prémices du développement durable apparaissent dès 1968 lors de la conférence de l’UNESCO baptisée « biosphère » et qui s’est déroulée à 10 Commission mondiale sur l’environnement et de développement de l’ONU, «Notre avenir à tous», Rapport Brantland, P 23 11 Op. Cit. P 22 19
Paris. L’idée de « développement écologiquement viable » est avancée. Dans le même temps le mouvement hippie fait son apparition partout dans le monde et l’ONG environnementale Greenpeace voit le jour en 1971. Mais vite catalogués comme marginaux, leurs revendications ne sont à cette heure pas vraiment étendues. En 1972, le ton commence à monter avec le rapport Meadow « The limits to Growth » publié par des chercheurs du M.I.T à la demande du club de Rome12. Publié en 30 langues, « Halte à la croissance en français », le groupe s’appuie sur cinq paramètres : croissance de la population, utilisation des ressources naturelles non renouvelables, industrialisation, production alimentaire et pollution, pour dresser un portrait plutôt pessimiste de l’avenir du monde : « Dans un monde aux ressources naturelles limitées, un modèle économique fondé sur une croissance illimitée conduira à un effondrement des sociétés telles que nous les connaissons avant 2100 13» Un mois plus tard, la première conférence des nations Unies se tient à Stockholm, sous le libellé « une seule terre », voit naître le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) et le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) sont créés à la suite de la conférence. En 1974, au lendemain du premier choc pétrolier, les pays en développement osent pour la première fois s’exprimer sur la scène internationale lors de la conférence des Nations-Unis pour le commerce et le développement. Ils réclament l’adoption d’un Nouvel Ordre Economique International. Les bases géographiques du développement durable sont posées, mais c’est plus de dix en plus tard, en 1987, que le rapport Brundtland voit le jour comme évoqué plus haut dans notre travail. Les théories se fondent, l’urgence d’agir devient de plus en plus pressante, mais il faudra attendre le premier sommet de la Terre en 1992 pour que le développement durable et ses enjeux entrent dans l’agenda politique et que des promesses d’action soient formulées. Pour ce premier rassemblement planétaire, la ville de Rio au Brésil est choisie. Ce choix fut édicté non pas en raison de ses plages ou de son célèbre carnaval mais bel et bien parce que Rio de Janeiro incarne alors à la perfection les maux dont il est question (forte croissance économique mais insécurité, pauvreté, bidonvilles, déforestation…). Ce « sacre du développement durable 14» redonne un second souffle au concept qui est alors « officiellement adopté comme le fondement de la coopération internationale »15. Les ONG sont alors en pleine expansion et prennent du pouvoir. Elles sont les nouveaux acteurs internationaux qui se positionnent sur un 12 Le Club de Rome est un groupe de réflexion réunissant des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 53 pays, préoccupés des problèmes complexes auxquels doivent faire face toutes les sociétés, tant industrialisées qu'en développement. http://fr.wikipedia.org/wiki/Club_de_Rome 13 Historique du développement durable, in Encyclopédie du développement durable, Verdura 2008-2010, http://www.vedura.fr consulté le 28 juillet 2011.
14 P.49 15 20
BRUNEL S., « Le développement durable », Collection Que sais-je ?, PUF, 2010, op. cit.
meilleur développement et la lutte contre la pauvreté. C’est lors de ce sommet que sont créés les Agenda 21. Ces plans d’actions dressent une série d’objectifs pour le XXIème siècle et se déclinent au niveau international mais aussi local, à l’échelle de la ville par exemple. Lors de ce sommet, des principes sont couchés sur papier comme par exemple le principe 2 qui identifie la politique comme un outil de régulation, il est explicitement établi que chaque pays doit disposer aujourd’hui d’une politique en matière d’environnement : « Conformément à la Charte des Nations-Unie et aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur politique d’environnement et de développement, et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne posent pas de dommages à l’environnement dans d’autres Etats ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale.16 »
Émergence de la ville durable Ce sommet de Rio est donc une date charnière pour le développement durable, mais il constitue également une date clé pour les professionnels de la ville. En effet, c’est à l’occasion de la préparation ce sommet mondial que les villes font leur apparition dans les problématiques de développement durable. Jusqu’ici, lorsque l’on évoquait les villes, les réflexions étaient surtout orientées vers des thèmes centraux comme le transport par exemple, mais au début des années 1990, les Nations-Unis prennent conscience de l’entité de la ville et commencent à voir le territoire dans son ensemble. On réalise également que les actions locales peuvent se montrer très efficaces sur un plan global, d’où l’importance accordée à la réalisation d’Agendas 21 locaux. Les Nations-Unies créent l’International Council for Local Environnement Initiative (ICLEI) et mettent ainsi en place un premier réseau de villes œuvrant pour le développement durable. D’autre part, parallèlement au sommet de Rio, la Conférence de Curitiba est organisée la même année. Elle se soldera par un engagement formel de la part des villes présentes de s’investir dans le développement durable. De son côté, l’OCDE commence des études visant à déterminer comment les villes pourraient contribuer au développement durable. Le début des années 1990 marque donc l’entrée de l’aménagement urbain dans les préoccupations environnementales. Sur le vieux continent, la Commission européenne publie à Bruxelles son premier « Livre vert sur l’environnement urbain » en 1990. Celui-ci vise un double objectif : l’amélioration des conditions de vie dans les villes européennes mais aussi la réflexion sur des mesures locales qui pourraient agir globalement sur l’environnement. La mixité sociale et spatiale fait sa première apparition, et un groupe d’experts européen sur l’environnement est créé par la Commission. La porte d’entrée du développement durable est donc bien celle de l’urbain. 16 Assemblée générale des Nations-Unis, « Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement », 12 Août 1992 21
Dans le cinquième programme communautaire, « vers un développement soutenable », lancé en 1993, les préoccupations environnementales sont intégrées dans les politiques européennes avec l’obligation d’évaluer les impacts que les plans et programmes mis en place pourraient avoir sur l’environnement. Parmi les principes qui constituent ce programme, nous retiendrons celui de : « Favoriser les changements de comportements dans la société par un engagement de tous les acteurs concernés (pouvoirs publics, citoyens, consommateurs, entreprises …) 17» qui nous montre que le développement durable ne se résume pas à des mesures politiques mais vise de réelles transformations dans nos sociétés. En 1996 a lieu la conférence sur les villes durables européennes à Lisbonne. A travers l’Europe, nous voyons que les villes sont au cœur des préoccupations concernant le durabilité du développement, nombreux sont les experts qui ont compris que les enjeux d’un développement urbain durable sont aussi importants que ceux concernant l’économie et la croissance. La convention d’Aarhus en 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel, et à l’accès à la justice en matière d’environnement, fait un peu plus évoluer les pensées puisqu’elle allie démocratie, gouvernance et environnement. Elle s’aligne sur le concept au niveau mondial en concrétisant le principe 10 de la déclaration de Rio affirmant que pour garantir le traitement des questions d’environnement le meilleur moyen est « d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient18 ». Le principe de transparence en matière d’environnement devient une obligation et l’accent est mis sur la coopération entre les acteurs publics et les citoyens.
Elaborer une stratégie concrète Mais c’est au début des années 2000 que l’Europe élabore une réelle stratégie politique à travers les conseils européens de Lisbonne en 2000 et celui de Göteborg en 2001 qui tentent de faire de l’Europe la zone de connaissances la plus compétitive au monde en matière de développement durable. S’appuyant sur trois principes clés : la compétitivité; l’emploi et l’inclusion sociale ; l’environnement et la prévention du risque, cette Stratégie européenne de Développement Durable (SDD) est devenue la ligne directrice des politiques au sein de l’Union Européenne. Le maître mot est celui de la cohérence. Dès 2001, les états sont invités à se doter de leur propre politique de développement durable. La lutte contre la pauvreté, le vieillissement de la population, les modes de transports respectueux de l’environnement, la santé publique et la gestion responsable des ressources sont ainsi intégrés aux politiques nationales. En 2005, une première évaluation est menée. Elle aboutit en 2006 à une deuxième SDD qui fait du développement durable un des principes directeurs des politiques communautaires pour la 17
« Cinquième programme communautaire d'action pour l'environnement: vers un développement soutenable », synthèses de la législation de l’UE, site europa : http://europa.eu/legislation_summaries/other/l28062_ fr.htm consulté le 30 juillet 2011 18 Assemblée générale des Nations-Unies, « Rapport de la conférence des nations unies sur l’environnement et le développement », Rio de Janeiro, 12 Août 1992 http://www.un.org/documents/ga/conf151/french/ aconf15126-1annex1f.htm, consulté le 27 Juillet 2011.
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période 2007-2013. Les politiques nationales devront s’aligner sur les politiques européennes afin de relever les deux nouveaux défis : modifier nos modes de consommation et de production d’une part, changer notre manière d’élaborer les politiques communautaires jugée trop sectorielle d’autre part. Pour la première fois en 2006, l’accent est mis sur la nécessité d’agir maintenant, le long terme est toujours important mais relégué au second plan. Enfin, la promotion du développement durable à travers le monde devient un enjeu majeur en à l’échelle européenne, agir maintenant et ici en pensant aux impacts là-bas. Les politiques nationales et européennes doivent se faire en parfaite cohérence avec l’objectif mondial d’éradication de la pauvreté.
Nous avons fait le tour des définitions qui permettent de saisir le développement durable dans son ensemble et de comprendre comment cette idée s’est propagée à travers le monde et s’est concrétisée en Europe. Pendant longtemps, aucun plan d’action concret ne sera vraiment mis en action à l’échelle internationale, pas d’objectif précis fixé. Le PNUD publiera en 2002 les Objectifs du millénaire dont l’échéance est prévue pour 2015 et peu d’objectifs semblent aujourd’hui atteignables. La même année, le sommet de Johannesburg voit l’entrée en scène d’un nouvel acteur, celui des entreprises privées qui ont bien saisi le filon vert. Ce sommet tant attendu après celui de Rio qui avait fait naitre tant d’espoir, s’avère au final être un échec. « Un sommet pour rien19 », les ONG insistent sur la cause environnementale tandis que les entreprises cherchent toujours la croissance économique. La décennie 90 s’achève donc sans grand progrès en matière de développement durable et du mode de croissance économique. Au niveau du développement urbain, la nouvelle façon de voir la ville se propage peu à peu, on cherche à intégrer les principes du développement durable dans le bâti, le quartier… C’est principes véhiculés par le développement durable et qui influencent nos modes de vie et nos villes, il nous faut les définir.
1.2. Les grands principes Il nous faut rester encore un peu dans le général, dans le théorique pour pouvoir comprendre comment finalement concrétiser ce phénomène de développement durable. Il ne suffit pas de dire que le bien être des générations futures doit être assuré. Nous l’avons dit, le développement, qu’il soit durable ou non, amène un changement dans notre société. Ces changements semblent aujourd’hui être orientés par la vague durable du développement. Mais concrètement, quels en sont les grands principes ? Sur quoi repose ce concept ? Comment se traduit-il sur la ville ? Quels enjeux pour les urbanistes ? Pour porter une telle pensée il ne faut pas moins de trois grands piliers : l’économie, 19 HERVIEU B. « Retour de et sur Johannesburg », Cahiers Agricultures. Volume 11, Numéro 5, 309-11, Septembre - Octobre 2002, Editorial 23
le social et l’environnement. Après un séjour de près de cinq mois au Canada où de réels efforts en matière de développement durable sont faits, nous proposons de nous appuyer sur les travaux du docteur canadien Trevor Hancock pour définir ces trois grands principes. Il est l’un des premiers personnages politiques à placer la santé au cœur des réflexions en ce qui concernent le développement urbain. Inspiré par sa pensée, la Ville de Montréal met au point en 2005 son premier plan stratégique de développement durable de la collectivité montréalaise qu’elle définit comme : « Un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.20 » A partir de cette définition, nous pouvons dessiner le schéma suivant : Figure 1.1. Les trois piliers du développement durable
Source: Ville de Montréal
1.2.1. L’économie. Même à l’époque du développement durable, la recherche de croissance n’est pas, en soi, totalement remise en cause. La pauvreté est un phénomène mondial de société et ne cesse, malheureusement, de s’étendre. L’économie renferme l’ensemble des richesses produites à travers la fabrication, la répartition, la consommation et l’échange de biens et de services.
Economie d’énergie. Mais que serait une économie efficace ? Et bien pour qu’on puisse parler d’efficacité, il faut que cette production de richesse se fasse dans un souci d’équité, de durabilité et de protection de l’environnement. Autrement dit, pour produire un bien ou un service, il nous faut 20 Ville de Montréal, Plan stratégique de développement durable de la collectivité montréalaise, 2005 24
des ressources, qu’elles soient naturelles, humaines ou financières, qui soient inépuisables ou du moins renouvelables. Si on se réfère à la définition du développement durable citée plus haut, ses ressources doivent être utilisées seulement si la certitude de leur renouvellement ait été établie. C’est par exemple ainsi que de plus en plus de producteurs de papier utilisent des arbres provenant de forêts artificielles ‘’cultivées’’ exprès pour cet emploi. Le maître mot est donc aujourd’hui la gestion optimale des ressources. Et la crise financière que nous vivons aujourd’hui ne fait que confirmer cette position. Prenons par exemple le pétrole, les experts sont unanimes, à 95 millions de barils par jours, nous pouvons espérer ne pas voir de pénurie avant … 2015, autrement dire demain. A notre époque où des pays comme l’Inde et la Chine se montrent gourmands en énergie pour rattraper nos modes de vie occidentaux, nous savons aujourd’hui que l’énergie fossile va devenir très rare. Et en économie, ce qui est rare est cher. Dans l’aire du développement durable, les chefs d’entreprises travaillent donc dur pour faire la différence par la performance énergétique. Les bâtiments à Haute Qualité Environnementale (HQE) ou à énergie positive sont les façades de cette recherche d’un nouveau développement. La révolution industrielle est définitivement révolue, dans ce domaine on cherche désormais l’innovation, le secteur automobile en premier. Le développement durable pousse vers la recherche de voitures électriques ou sans émission de CO2. Nous le comprenons, c’est dans la préservation de l’environnement que le pilier économique doit aujourd’hui prendre racine. Notons toutefois que le principe lui reste le même, il est toujours guidé par la recherche d’un maximum de profit, c’est peut-être là que réside le vrai paradoxe du développement durable. Pourtant, l’empreinte écologique permet aujourd’hui de mesurer les conséquences de modes de vie sur l’environnement, ce nouvel outil met bel et bien en valeur la nécessité de changer de point de vue sur notre mode de croissance.
Villes économiques Et nos villes dans tout ça ? L’histoire l’a montré, les villes sont le bassin de l’essor économique, à tel point qu’elles ont parfois plus de poids que l’Etat lui-même. Il n’y a qu’à voir Hong Kong ou Singapour qui sont deux villes devenues Etats indépendants. L’effondrement de la bourse de New York et ses conséquences, ainsi que l’importance de celles de Paris, Londres ou Tokyo témoignent également de la puissance économique des grandes villes. En Allemagne, ce sont les chefs lieu des landërs qui font leur force économique et financière. « Le cœur de la puissance économique bat toujours dans les grandes métropoles 21», les infrastructures jouant le rôle du système sanguin irriguant la matière grise constituée par l’ensemble des chercheurs penchés sur leurs travaux d’innovations. La ville est donc un véritable laboratoire de recherche, et face à la compétitivité croissante des villes, les projets d’aménagement et architecturaux se doivent eux aussi d’être innovants. Or, l’innovation aujourd’hui est indissociable de la performance énergétique et de la préservation de l’environnement. Mais nous nous en doutons, 21 CUISINIER J.P., MAUGARD A., « Regard sur la ville durable : vers de nouveaux modes de vie », Editions CSTB, Février 2010, P. 36 25
des bâtiments HQE ou des éco-quartier demandent un investissement important. Un des défis pour nos villes demain, c’est donc de trouver de nouvelles sources de financement. C’est pourquoi de nouveaux outils se mettent en place. La taxe carbone en est un des premiers, abandonné en France depuis 2010, ce prélèvement sur les émissions de CO2 et sur la consommation d’électricité serait pourtant un moyen de sensibiliser le public sur sa consommation, de fournir du financement et même de contribuer à lutter contre la pauvreté. En effet, beaucoup de pays qui l’ont mise en place redistribuent les ressources aux familles les plus démunies. Le péage urbain peut être une deuxième source de financement éco-responsable. Sur le principe du pollueur-payeur, elle pénalise les personnes choisissant la voiture pour se rendre en centre-ville. Expérimentée à Londres, le péage urbain ne fait pas encore l’unanimité en France. Enfin, une troisième option serait à étudier, celle de la rente foncière. On ne peut pas le nier, mettre en place de nouveaux aménagements, de nouvelles infrastructures augmente systématiquement la valeur foncière des terrains aux alentour. C’est le cas par exemple des terrains et des biens immobiliers aux abords d’une ligne de tramway ou dans une ville accueillant une nouvelle gare TGV. Pourquoi alors ne pas envisager une taxe sur cette plus-value ? Quel que soit la solution choisie, nous le voyons, les solutions pour de nouveaux financements locaux ne manquent pas, mais dans ce pilier économique, la balle est dans le camp du politique. Pour un financement ‘’éco-responsable’’ l’idéal serait de donner aux collectivités locales une plus grande autonomie sur leurs méthodes d’imposition. Nous pourrions par exemple imaginer un système qui récompenserait les citoyens ‘’responsables’’ par un bonus sur leurs impôts locaux et qui, à contrario, punirait ceux qui montrent moins de volonté. Attention, ce genre de système doit être bien étudié, il ne s’agit pas de pénaliser encore plus les personnes en difficultés. En ce qui concerne les conséquences du développement durable sur l’économie et sur le travail de l’urbaniste, ce dernier a un rôle à jouer à l’échelle d’un territoire comme celui d’une agglomération. Son action se positionne d’ailleurs déjà au cœur des enjeux du développement durable puisqu’il permet la maîtrise du foncier. Il développe également une réflexion sur le devenir des zones d’activités commerciales. Enfin, à travers son objectif de contrôler l’étalement urbain par, entre autre, la densification, l’urbaniste influence l’utilisation du sol et préserve ainsi au maximum les zones naturelles. En rassemblant et en mixant les différentes activités et les différents usages présents en ville, l’urbaniste se fait sculpteur de l’économie en milieu urbain. Enfin, en tant que conseiller auprès des élus, il peut orienter ces derniers vers des politiques économiques plus durables, en encourageant par exemple l’utilisation des outils que nous venons de citer.
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1.2.2. L’environnement Le développement durable n’a évidemment pas lieu d’être sans une dimension environnementale. Ce deuxième pilier vise nécessairement la préservation, la valorisation et l’amélioration de l’environnement. Environnement qui se définit comme suit : « L’ensemble de la biodiversité terrestre et maritime, c’est-à-dire toutes les espèces animales et végétales ainsi que les écosystèmes dans lesquels elles évoluent.22 » Le rythme infernale imposé par la division internationale du travail a trop longtemps encouragé la déforestation, le temps de l’industrie et l’essor de l’automobile ont contribué à une forte pollution de l’air mais aussi des eaux, l’émission de gaz à effet de serre pose aujourd’hui les problèmes climatiques que nous constatons chaque jour. Ce sont sans doute ces constats qui nous ont poussés à réfléchir, à ouvrir le débat sur un développement moins destructeur. Nous ne pouvons aujourd’hui plus rester dans le même schéma. La consommation des ressources naturelles est plus rapide que leur régénérescence. Les modes de vie occidentaux ont fait en sorte que « de nombreux pays ne répondent plus à leurs besoins que par l’importation de ressources 23», comme si produire soit même était devenu impossible, ou trop difficile (parce que trop cher). Et les conséquences sur l’environnement se sont nos villes qui les paieront. Prenons par exemple l’épuisement du pétrole, quels résultats pour les modes de vie urbains ? Tout d’abord, l’isolement des centres commerciaux qui sont bien trop souvent accessibles qu’en voiture. Ensuite, une rupture entre les logements situés dans le péri-urbain et les bassins d’emplois. Nous voyons ici le besoin de repenser nos villes, de revoir leur articulation. Et au sein de ce pilier, le rôle de l’urbaniste ne s’arrête pas là. La ville est par nature un antonyme de l’environnement auquel elle s’oppose en tout ou presque. La porosité du bâti contraste avec le minéral des espaces vert, la chaleur est bien plus importante en milieu urbain qu’en milieu rural, la ville est aussi un véritable réservoir à pollution… Bref, dans ce domaine le besoin d’innovation ne manque pas. Les professionnels de l’urbanisme ont vu leurs réflexions s’orienter vers des problématiques telles que la lutte aux îlots de chaleur, la gestion des ressources ou encore la réduction des gaz à effet de serre (GES) par la diminution de la place de la voiture en ville. Réintroduire la nature en ville, voilà donc le défi environnemental pour la ville durable. Et pour rapprocher la campagne de l’urbain, quelle solution plus efficaces que celle de faire des citoyens de nouveaux fermiers urbains ?! L’agriculture urbaine est un concept qui se propage de plus en plus. A l’image des « urban farmers 24» dans le Michigan aux Etats-Unis, qui se sont lancés dans la culture des friches industrielles laissées à la l’abandon par la crise. Cette reconversion n’a visiblement que des effets positifs. En plus de réintroduire la nature dans des lieux qui ne sont 22 http://www.vedura.fr/environnement/, consulté le 25 juillet 2010 23 CUISINIER J.P., MAUGARD A., « Regard sur la ville durable : vers de nouveaux modes de vie », Editions CSTB, Février 2010, P. 45 24 http://www.urbanfarming.org/, consulté le 20 Août 2011 27
plus utilisés, elle permet de renforcer la solidarité. Ces jardins communautaires qui commencent à fleurir dans les différents quartiers des villes du monde, participent à améliorer l’accessibilité des plus démunis à des produits frais et sains devenus hors de prix dans nos supermarchés. « Cultiver en ville aide à se réapproprier un sol déconnecté de la nature 25», et lorsque ces jardins viennent se placer sur les toits, ils permettent également la lutte contre les îlots de chaleur. Mais le retour de la nature en ville ne s’arrête pas à l’agriculture, l’apiculture urbaine rencontre aussi un franc succès. Le toit de l’Institut d’Urbanisme de Grenoble n’y a d’ailleurs pas échappé. Les ruches nichées sur les toits permettent de réintroduire les abeilles dans la biodiversité urbaine et régalent les propriétaires d’un miel fabriqué loin des pesticides utilisés dans les campagnes. Nous voyons ici que la nature est une entrée intéressante pouvant jouer sur de nombreux tableaux. Ecologique elle permet de sauvegarder la biodiversité, économique elle permet de réduire les dépenses en alimentation, socialement elle renforce la solidarité et le sentiment d’appartenance. La voie environnementale du développement durable semble encore possible à condition d’intégrer à nos pratiques quotidiennes la chasse au gaspillage, la lutte contre la pollution ainsi que recherche d’économie des ressources. La créativité, l’inventivité mais aussi l’audace seront les caractéristiques indispensables pour la concrétisation de ce principe
1.2.3. Le social Le pilier social est peut-être le pilier porteur du développement durable. Il renferme à lui seul un bon nombre de thématiques et d’enjeux. Dans un monde où le matériel et la consommation de masse sont devenus incontournables, on s’intéresse de plus en plus au bienêtre social. La recherche de l’épanouissement personnel reflète la montée de l’individualisme, et la quête d’une meilleure qualité de vie modèle nos pensées de villes et les modes de vie. Mais l’équité sociale, le niveau collectif donc, est loin d’être en reste. Un développement durable est un développement socialement équitable, c’est à dire qu’il suppose des conditions de vie acceptables par tous, justes pour tous et qui garantissent l’accès aux besoins fondamentaux (se nourrir, boire, se loger, se soigner, s’éduquer, travailler…). Et les critères de ces besoins, de cette qualité de vie, ne sont pas fixés au hasard, ils découlent des droits de l’Homme et reprennent les principes de libertés individuelles. Ils sont évidemment aussi largement inspirés des modes de vie occidentaux qui se sont imposés au fil du temps comme un idéal. Le volet social du développement durable prône la solidarité entre les pays mais aussi entre les générations, entre les jeunes et les moins jeunes d’aujourd’hui mais aussi, et surtout, entre les générations actuelles et futures. Il met également l’accent sur la diversité culturelle, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Et ce sont ces points qui nous intéressent ici.
25 CUISINIER J.P., MAUGARD A., « Regard sur la ville durable : vers de nouveaux modes de vie », Editions CSTB, Février 2010, P. 140 28
Réduire les tensions. La ville a depuis bien longtemps tenter de faire cohabiter les différences. Les professionnels se sont aperçus que le développement de la ville tel qu’il s’est amorcé dans les années 70 ne prenait visiblement pas la bonne direction. Les crises structurelles des banlieues en sont un indicateur. Défrayant la chronique, les banlieues sont la preuve que jusqu’ici, la mixité sociale est un échec. « La ville nous rend solitaire et anonyme26 », paradoxalement, l’Homme ne peut vivre seul mais il aspire à un mode de vie dans lequel il pourra s’épanouir comme bon lui semble sans avoir à s’occuper de son voisin. Logiquement, plus les villes se peuplent, plus les tensions grimpent. Dans ce contexte, les concepteurs de la ville peuvent agir. L’urbanisme est, ne l’oublions pas, une science sociale. La dimension sociale du développement durable est certainement celle qui a le plus d’impact sur l’urbain et donc sur la pensée de l’urbaniste. En effet, la santé, la sécurité, le handicap, le logement social sont des thématiques qui touchent directement à la morphologie et à l’organisation de l’urbain. En témoignent les mesures d’accès à la propriété ou les mesures visant l’insertion de logements sociaux dans le tissus résidentiel ; la récente loi sur l’accessibilité des bâtiments publics pour les personnes à mobilité réduites ; ainsi que la multiplication des aménagements ou des mesures visant la réduction de la voiture en ville et donc une meilleure qualité de l’air et une plus grande sécurité pour les citadins. Mais la dimension sociale du développement durable passe aussi par l’intégration des citoyens dans les processus de conception. Un des défis à relever est celui de la démotivation du public, l’impression des usagers de n’avoir aucun poids, aucun pouvoir sur l’aménagement de la ville qui constitue pourtant leur lieu de vie. Une ville durable est donc une ville concertée, dans laquelle élus, concepteurs et usagers s’assoient ensemble pour bâtir au mieux la vi(ll)e de demain.
Ville et culture Une ville qui dure, c’est aussi une ville qui vit, qui s’anime. Les individus ne font pas que dormir, manger et travailler, ils ont aussi besoin de s’épanouir, de se divertir, de découvrir. Et la ville telle qu’elle s’organise aujourd’hui permet certes de répondre à tous ces besoins mais en des lieux séparés, première cause de l’effilement urbain. Dans le centre des affaires, les tours sont constituées de bureaux et rien d’autre, qui se balade à la Défense à Paris le soir, les weekends et les jours fériés ? Quoi de plus désert qu’un parking de supermarché la nuit ? La ville de demain est une ville aux places polyfonctionnelles, riche en diversité, qui cultive la proximité et qui favorise les rencontres et le maintien du lien social. Une ville on l’on observe « une cohabitation permanente entre des gens de toutes origines et d’activités différentes 27», mais aussi qui témoigne du temps passé. Car avec le développement durable, nous parlons surtout du futur, mais il n’est pas question de raser le passé, l’histoire de nos sociétés et de nos villes. Toutes ces choses montrent ici les limites du pilier social, il y a comme un manque. Ce 26 27
Op. Cit. P. 42 Op. Cit. P.106 29
manque, c’est celui de la culture. En observant l’effervescence artistique au cœur des villes, l’énergie déployée pour leur animation, l’importance du patrimoine culturel, nous pourrions penser que l’on n’accorde pas à la culture la place qu’elle mérite. La culture ne constitue pas (encore) un pilier à part entière du développement durable, mais elle reste un élément essentiel à intégrer dans les réflexions sur la ville durable. Nous avons donc fait le tour des trois grands piliers qui soutiennent le développement durable. Nous pouvons constater que chacun d’entre eux a une influence sur le travail de l’urbaniste, sur la pensée de la ville de demain. Nous pouvons aussi remarquer que le politique quant à lui ne forme pas un pilier en soit. La sphère politique serait-elle exclue du jeu? Elle est en réalité sous-jacente à chacun des composants du développement durable. Sans une régulation politique l’environnement ne peut prétendre se conserver. En ce qui concerne le volet social, des politiques efficaces de lutte contre la pauvreté et à l’exclusion sociales sont indispensables pour atteindre l’objectif d’équité et de solidarité sociale. Relevant de l’économie, les états doivent se doter d’une réelle stratégie politique pour trouver de nouveaux financements. Mais nous avons aussi pu remarquer que ces fondements théoriques, ces grands principes du développement durable ne sont pas totalement coulés dans le béton. Ils sont appelés à évoluer. Le système économique libéral que nous suivons aujourd’hui n’est pas explicitement remis en cause, pourtant il parait difficile que sur le long terme il puisse réellement se marier avec la préservation de l’environnement. La culture est elle aussi appelée à être renforcée, ne serait-ce que pour servir l’attractivité des villes de demain.
1.3. Construire une ville durable. Nous avons jusqu’à présent défini le développement durable, ses grands principes. Nous avons commencé à établir les grandes lignes sur le lien entre le développement durable et celui de nos villes. Nous avons raconté brièvement l’histoire, l’évolution du développement durable, quand n’est-il de celle de nos villes ? Comment se sont-elles lentement transformées, adaptées sans réel contrôle ou du moins sans aucune conscience écologique ? Quels sont aujourd’hui les moyens d’actions que nous avons à l’échelle de la ville ? C’est ce que nous allons voir maintenant. Mais avant cela, un dernier détour nous permettra de comprendre, comment et pourquoi nous en sommes arrivée là aujourd’hui. Pourquoi le développement durable prend-il une si grande ampleur aujourd’hui, alors que certains en parlent depuis des années ?
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1.3.1. L’avènement du développement durable.
Le contexte historique. On reproche bien souvent au développement durable d’être finalement qu’une illusion, qu’un nouveau concept ‘’qui fait bien’’. Le bio est aujourd’hui à la mode, même la célèbre chaîne de restaurant McDonald’s se met au vert28. Nous l’avons vu précédemment, c’est un concept qui n’est pas tout jeune et pour comprendre pourquoi le développement durable n’a pas retenu l’attention de l’ordre mondial dès les premières inquiétudes des spécialistes il faut s’intéresser au contexte géopolitique de l’époque. Nous avons précisé que le tout premier rapport faisant état de l’environnement datait de 1951. A ce moment-là, le monde est en pleine croissance. La deuxième guerre mondiale, bien que terminée depuis six ans, a laissé une bonne partie du monde à reconstruire. Les pays du Nord sont en période de plein emploi, la plupart des pays du Sud sont colonisés. Les ressources semblent inépuisables et pendant ces trente glorieuses années qui ont suivi la capitulation allemande personne ne s’en préoccupe vraiment. C’est dans ce même contexte que se déroule la conférence de l’UNESCO où on citera le développement durable pour la première fois. Lorsqu’en le MIT publie le rapport Meadow, là encore le Monde a d’autres préoccupations. La croissance est en train de ralentir et les gouvernements cherchent surtout un moyen pour lutter contre le chômage qui commence à s’installer en occident. Le processus de décolonisation est déjà bien avancé pour les Empires européens qui doivent maintenant réfléchir à un nouvel approvisionnement en matières premières. Le choc pétrolier de 1974 n’arrangera rien et le Nouvel Ordre mondial prôné par les pays du Sud passe à la trappe. Le rapport Brundtland en 1987 est un peu plus entendu, mais le monde est à ce moment coupé en deux, la guerre froide et son équilibre de la terreur sont alors des enjeux plus importants que le sauvetage d’une planète qui pourrait de toute façon exploser à tout moment sous les bombes nucléaires qui se multiplient. La chute du mur en 1989 dégage un peu la vue sur le problème pour les pays du Nord, comme en témoigne le premier sommet de la Terre en 1992. Mais c’est cette fois ci, la vision des pays pauvres qui entrave un peu les prises de position : « Les pays pauvres, qui protestent contre ce qu’ils considèrent comme un frein au rattrapage de leur retard par un processus d’industrialisation accéléré29 ». Les villes durables commencent à faire parler d’elle mais nous sommes dans un contexte où l’industrie automobile est en plein essor, la voiture est ancrée dans nos modes de vie et il faudra beaucoup de temps avant que le tout-voiture soit réellement remis en question.
28 Le célèbre logo du fast food s’est refait une beauté, le fond est aujourd’hui couleur verte, plus nature. 29 BRUNEL S., « Le développement durable », Collection Que sais-je ?, PUF, 2010, P.28
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La mise en lumière par les médias Dans les années 90 l’émergence des ONG permet de mettre en lumière le développement durable, de le faire connaitre au grand public qui s’y intéresse de plus en plus. Au lendemain de Rio, les Agendas 21 formulent de nombreuses promesses, le développement durable devient une vitrine qui attire la sympathie, mais aussi, et surtout, les investissements. La « croissance verte » prend racine, tout le monde semble y trouver son compte : « Certains pays du Sud y voient la possibilité de capter des financements internationaux […]. Et pour les pays du Nord, elle représente un gisement d’emplois potentiel à l’heure de la crise financière et économique mondiale.30» Mais ce qui permet l’explosion de la popularité du développement durable c’est sa combinaison avec un outil de communication qui se perfectionne de plus en plus : les médias. Et cet outil, les ONG environnementales apprennent à le manipuler. Les défenseurs du développement durable ont également pris conscience que pour toucher les populations, le bon filon est de jouer la carte du catastrophisme. Dans un contexte où les catastrophes naturelles semblent s’enchainer et plus médiatisées (Tchernobyl, marée noire…) il n’y a rien à inventer pour que de les populations réagissent, il suffit d’exposer.
Un oxymore ? Mais aujourd’hui encore le développement durable a tendance à n’être finalement qu’un écran de fumée, on ne regarde pas vraiment ce qu’il cache. On parle de biocarburant alors que la faim dans le monde est de plus en plus inquiétante et que certains d’entre eux menace l’agriculture, on prône l’éolienne alors qu’elle est encombrante, bruyante et son efficacité aléatoire, on revient au chauffage à bois qui pourtant pollue et peut être toxique… En regardant de plus près la demande des consommateurs, on s’aperçoit qu’en se couvrant sous le rideau « développement durable » les individus d’aujourd’hui souhaitent surtout adopter un mode de vie en meilleur harmonie avec leur environnement. Et c’est l’une des problématiques urbaines actuelles qui en est la preuve : l’étalement urbain. Le citadin est maintenant celui qui ne vit plus en ville, du moins pas en son centre. Chacun aspire à la maison individuelle avec son petit carrée vert, pas trop loin de son lieu de travail mais surtout pas trop près de la ville! Les industries automobiles ont fait des progrès techniques étonnants, notamment en matière de vitesse, pourtant alors que l’on se déplace plus vite, le temps passer en voiture quotidiennement reste stable. On se déplace donc plus vite, mais on part habiter plus loin. Et le zonage des villes n’a fait qu’amplifier le phénomène, en voulant s’adapter et compartimenter la ville, les planificateurs urbains ont placé les zones résidentielles en bordures des villes tandis que les zones d’activités se situent au cœur (exception faite de l’activité commerciale). La ville apparait donc comme le théâtre où se joue l’évolution des comportements des sociétés. A l’heure de 30 32
Op. Cit., P. 57
la consommation de masse, la ville s’est étalée, les places de stationnement multipliées, les tramways abandonnés. Maintenant que nous entrons dans une aire durable de développement, comment la ville doit-elle s’adapter ? Avant de parler d’adaptation et d’action, voyons comme cette ville a, elle aussi, évolué tout au long de l’actualité que nous avons exposée.
1.3.2. La morphologie urbaine : de la ville écartée à la ville durable. Nous avons beaucoup parlé de l’actualité du développement durable, nous constatons un peu plus chaque jour les transformations en cours dans nos modes de vie et surtout dans le domaine de l’innovation. Nous avons aussi prêté attention à l’émergence et l’évolution du concept mais aussi au contexte dans lequel elle s’est déroulée. Mais ce qui nous intéresse ici c’est l’évolution des villes et leur adaptation au cours des différentes époques que nous avons évoqué. Car il ne faut pas oublier que : « La ville a une forme. Elle s’étale, se disperse, coule le long des lignes du relief, devient archipel. Son aspect varie selon sa situation, ses activités, ses bâtisseurs et les hommes qui la peuplent 31»
Les origines Les origines de la ville remontent à loin, au temps où les hommes ont ressenti le besoin de se rassembler, de s’installer, d’échanger et de se défendre. La ville est née avec le commerce, elles se sont établies et densifiées d’abord autour des ports, comme Lisbonne par exemple. La révolution urbaine commence avec l’intensification des échanges, elle se propage au fil des routes commerciales qui se construisent petit à petit. Les ports sont à l’origine des villes commerciales, mais les églises et les châteaux sont les points de départs des villes non côtières. Peu à peu, les villes se structurent autour des repères politiques et religieux. Le commerce, l’Etat et la religion sont les trois éléments fondateurs de la morphologie urbaine. La Renaissance apportera la touche culturelle et artistique, fondant les lettres de noblesse de l’architecture. La façade devient un signe extérieur de richesse, la ville se doit alors d’être belle pour symboliser son dynamisme commercial. Plus tard, la révolution industrielle marquera une réelle rupture dans la morphologie urbaine. Alors qu’autrefois les habitations se concentraient atour des palais, des lieux de culte et des activités portuaires, les cités minières font leur apparition. Dans le domaine de l’industrie, il est nécessaire que les ouvriers vivent sur leur site de travail. Déconnectées du centre-ville, les villages ouvriers se multiplient. Autre symbole de l’ère industrielle : l’automobile va radicalement changer l’organisation de nos villes
31 CUISINIER J.P., MAUGARD A., « Regard sur la ville durable : vers de nouveaux modes de vie », Editions CSTB, Février 2010, P.53 33
La ville de l’automobile « Il faut adapter la ville à l’automobile », déclarait Georges Pompidou en 1971. En voilà une idée qui semble bonne à l’époque de la consommation de masse et à laquelle Henry Ford révolutionne nos modes de vie. A l’heure de la modernité et du progrès technique, quelques vieux quartiers seront sacrifiés pour laisser leur place aux voies express et autres autoroutes. La proximité est bannie, nous sommes en pleine montée de l’individualisme, les quartiers ne sont plus ce qu’ils étaient, on aspire à plus de tranquillité et plus d’espace aussi. C’est l’avènement des banlieues résidentielles, attention rien à voir avec les ghettos qui se cachent aujourd’hui derrière ce terme, il s’agit du périurbain d’aujourd’hui. La voiture devient signe d’ascension sociale et tout un mode de consommation ostentatoire l’accompagne. Il en est de même pour le logement qui s’éloigne du centre-ville au fur et à mesure que le bitume coule. L’heure du tout pétrole à sonner, la morphologie des villes se structure autour des grands axes de circulation. Les Trente glorieuses voient donc la ville s’étendre, les rocades permettant le lien entre la ville et sa banlieue. La mondialisation commence par l’importation des modes de vie américains. Les grands centres commerciaux s’implantent en bordure des villes, au temps de la consommation de masse, l’automobile ne fait qu’une bouchée du territoire qu’elle grignote et sectorise. Toute grande ville digne de ce nom se dote d’un centre des affaires où se concentrent finances, services et pouvoir de décision, mais aucune habitation. La ville de l’automobile c’est la ville dispersée, hétérogène et linéaire
La ville et le développement durable Dans les années 90, alors que la ville s’est totalement adaptée à l’automobile et aux modes de vie qui l’accompagnent, le développement durable fait son entrée aux portes de la cité. On se rend alors compte que la voiture et les activités économiques qui se concentrent un peu partout représentent un réel danger pour l’environnement. On s’inquiète de la consommation d’énergie et on commence à compter celle imputable à la ville. Le bilan est quelque peu alarmant. D’après l’UNEP (United Nations Environnement Program), 48% de l’énergie totale dans le monde est consommée par les bâtiments, 27% par les transports et 25% par les industries. Ramenés à l’échelle de la ville, ces chiffres démontrent que 100% de l’énergie consommés par les bâtiments est directement liée à la ville, 4/5 des transports se font en aire urbaine et ¼ de l’industrie sert au fonctionnement de la ville32. Au total, les villes consomment les ¾ de l’énergie globale et sont la cause des 2/3 des rejets de CO2. Les architectes et urbanistes ont alors depuis quelques années retroussé leurs manches et redoublé d’efforts pour tenter de faire la ville autrement. Les bâtiments HQE, les éco-quartiers, la mobilité durable font maintenant partie de leur vocabulaire et du paysage urbain.
Masdar, la ville de demain ?
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Pour aller encore plus loin dans l’innovation, un groupe d’ingénieurs, urbanistes et
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Op. Cit., P. 66
architectes se sont lancés dans un projet colossal pesant pas moins de 15 milliards de dollars. Située à Abou-Dabi, cette petite ville de 6 km2 ouvrera ses portes en 2016. Véritable laboratoire urbain, cette éco-ville se lance le défi du zéro carbone. 50 000 habitants et 1 500 entreprises devraient prendre place au sein de cette ville du futur. L’énergie solaire est absorbée et réutilisée par les panneaux photovoltaïques situés tout autour. Aucune voiture ne pourra accéder au site, les vélos et la marche seront compléter par un tramway 100% écologique et un système de transport en commun totalement électrique digne d’un film de science-fiction. Tous les 200 mètres, les habitants auront accès aux commerces et services de proximité limitant les déplacements, et les eaux usées seront recyclées et réutilisées au maximum. Ce projet s’inscrit donc comme une vitrine de la ville durable, il est toutefois à admirer avec modération. Certes, sur le plan énergétique tout a été pensé. Mais qu’en est-il des conséquences sociales ? Quelles mesurent ont été prises pour favoriser la mixité sociale ? La lutte contre la pauvreté est-elle aussi incluse dans le projet ? Il y a fort à parier que non. Figure 1.2. Projet Masdar
Source: Foster + Partenaire
1.3.3. Quelles actions pour une ville durable ? Nous venons donc de montrer que les villes se sont déjà engagées sur la voie du développement durable, quelles sont les actions ou les réflexions en cours que nous pouvons alors déjà observer ?
Le retour à la proximité Nous avons vu que les années 1970 avaient apporté les hypermarchés et avec eux un mode de vie intégrant la consommation de masse et l’ère de la grande distribution. Ces centres commerciaux ont pris leur place en dehors des villes, installé leurs grands parkings et se sont rendu dépendants de l’automobile. Le commerce de proximité a été relégué au rang de dépanneur (c’est d’ailleurs leur nom au Québec) et étiqueté comme plus cher et offrant un choix moins large que les grandes enseignes. Toujours du côté de l’alimentation, le simple marché
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du matin perd lui aussi un peu de valeur. Même si ce système traverse l’histoire et conserve la sympathie du public, il tend aujourd’hui à se déconnecter des modes de vie actuels. Exception faite des marchés du weekend, les étalages du matin sont aujourd’hui moins fréquentés car en inadéquation avec l’évolution de la société. Les femmes sont aujourd’hui salariées, entre course vers le bureau et arrêts matinaux à l’école des chers bambins, les parents n’ont plus de temps à accorder aux producteurs locaux. Ils en ont en plus moins la nécessité, les supermarchés leur permettent de subvenir aux besoins de la famille pour la semaine entière. Il est donc temps de penser adaptation. On pourrait par exemple imaginer changer les heures de marchés, les étalés le soir plutôt que le matin, redonner aux générations actives l’occasion de profiter eux aussi des opportunités sociales que créent les places de marché. Ce besoin de nouvelle proximité, la grande distribution l’a également remarqué, en témoignent les nouveaux ‘’super petits marchés’’ qui s’invitent dans nos quartiers, comme par exemple le Simply ou le Carrefour market.
A la frontière entre réel et virtuel
Internet, l’invention majeure du siècle dernier, est certainement le plus important moteur
des transformations dans nos modes de vie de ces dernières années. En attendant que les marchés traditionnels se mettent en ligne (idée à creuser ceci dit, les jeunes actifs commanderaient en ligne depuis leur bureau le panier de leur choix qu’ils passeraient prendre sur la place du marché en rentrant le soir), le e-commerce s’inscrit dans le durable. Pour les jeunes entrepreneurs, Internet devient la boutique la moins chère du marché, elle permet un premier test en ligne avant de s’installer physiquement dans les magasins. Notons par exemple la boutique en ligne 100% virtuelle de parapluies originaux dandyfrog33. Pas de magasin signifie pas de loyer ce qui est toujours un poids en moins dans le budget, mais également pas d’approvisionnement ce qui est un bon point pour le trafic. Du côté de la grande distribution, augmenter les livraisons à domicile et les courses sur Internet permettrait de réduire les parkings ainsi que la dépendance à la voiture. Internet représente également une opportunité non négligeable pour les villes de s’adapter à la société actuelle. L’innovation technologique en est la preuve, tout va aujourd’hui plus vite. Il nous faut maintenant avoir accès à tout et tout le temps, le commerce en ligne permet aux magasins de rester accessibles 24h/24h. Mais Internet ne constitue pas à lui seul la ville de demain, même si il a tendance à se substituer aux mairies, postes et préfectures grâce à la simplification des démarches en ligne, il ne pourra jamais remplacer les cafés et autres lieux de rencontre. C’est ici que la ville doit s’adapter en densifiant mais surtout en intensifiant son offre de services de loisirs à proximité des lieux de vie et des lieux d’emplois. L’heure est à la poly-fonctionnalité, on revient doucement, mais sûrement, la vie de quartier.
Les éco-quartiers Le quartier devient donc une échelle d’action pertinente pour la ville durable. De plus en plus d’urbains, de plus en plus de ville à construire dans les Suds et donc de nouveaux quartiers. Une occasion d’un meilleur développement est ici à saisir. Les quartiers écologiques sont des 33 36
http://dandyfrog.com/
expériences qui permettent d’intégrer de nouvelles technologies, de nouveaux savoir-faire la ville. A travers les allers-venues et la publicité, ils permettent de créer un véritable débat public faisant avancer la quête du quartier idéal écologiquement, économiquement et socialement. Ils ont une vitrine du changement combinant services publics, commerces, transports, culture, sports et loisirs. Une action qui reste locale certes, mais devant le poids des réseaux de diffusion des opinions, leur impact peut vite devenir global (discussions entre amis, présentations publiques des projets…). Mais la ville reste loin de se définir comme une somme de quartiers, aussi écologiques soient-ils. Tout comme le bâtiment HQE, l’éco-quartier reste un élément de la ville, qui est à repenser dans son intégralité. Nous voyons ici que nos villes sont loin d’être condamnées à être détruites pour être reconstruites sur le modèle de Masdar. Elles peuvent facilement s’adapter, la nature et les usages cohabitent finalement selon le bon vouloir (et le bon sens) des urbanistes qui doivent composer avec les innovations qui transforment nos modes de vie, mais il ne faut pas craindre de bousculer légèrement nos vieilles habitudes. Nous clôturons ici notre premier chapitre. Les bases d’appréhension du développement durable sont maintenant posées. Le rôle de la ville dans ce concept est maintenant indéniable. Mais lorsque l’on parle de développement durable, il est important de ne pas rester en surface. Ce concept est un concept large, et ce à tous les niveaux. Il concerne l’intégralité de la planète, mais il est aussi très vaste car il s’associe à l’ensemble des composantes qui constituent notre système (économie, politique, sociale, environnementale…). Il a attrait à nos modes de production, de consommation, nos comportements. Il ne s’agit plus seulement de Nature, nos conditions de vie, de travail sont également comprises dans le développement durable. La santé fait partie des indicateurs, l’éducation des outils. Bref, le développement durable est partout. Et c’est parce que le concept est trop grand que nous sommes resté longtemps dans la réflexion sans passer à l’action. Comment finalement établir des règles à l’échelle mondiale ? Qui jouera l’arbitre ? Qui pourra sanctionner puisque tout le monde est concerné ? C’est pourquoi de plus en plus on en revient à des échelles plus petites. Et c’est ce qui se cache finalement derrière le développement durable : la complexité mais la nécessaire articulation du global et du local. Penser globalement, agir localement, ce jeu d’échelle est aussi vrai lorsqu’on parle d’urbanisme. Agir à l’échelle d’un quartier pour agir sur l’ensemble de la ville, tel est un peu le défi de la ville durable. Mais il ne s’agit finalement pas simplement de la morphologie de la ville. A l’image des éco-quartiers, c’est surtout la façon de vivre la ville qui est importante. La ville n’est pas une simple entité, c’est un corps vivant, il ne suffit pas d’agir sur le bâtiment, de le rendre HQE, c’est le métabolisme de la ville qui nous intéresse. La ville ne doit pas s’adapter au concept du développement durable mais aux modes de vie des individus, et ce sont les modes de vie des individus qui doivent d’adapter au développement durable. Nous sommes ici devant un cercle vertueux du développement durable des villes de demain. Ces modes de vie au cœur de la ville, c’est dans les espaces publics qu’ils sont le plus aisément observables, c’est pourquoi ils constituent le support de notre deuxième partie. 37
Chapitre 2
Espaces Publics et Ville Durable
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Maintenant que nous avons en main toutes les clés pour saisir les différents enjeux du développement durable et les conséquences pour la ville de demain, voyons comment les espaces publics peuvent contribuer à relever ces défis et quelles en sont les conséquences sur la société. Pourquoi les espaces publics pour parler de ville durable ? Parce que ce sont eux qui articulent la ville, ils sont à son image et se transforment avec elle. Ils sont également une fenêtre ouverte sur notre société, sur nos modes de vie, nos comportements. Or en abordant le développement durable nous abordons le processus de transformation de nos sociétés, et en abordant la ville nous avons précisé que c’était son métabolisme qui nous intéressait particulièrement. Qu’est-ce que représentent vraiment les espaces publics ? De quoi, de qui parle-t-on ? Comment peuvent-ils s’insérer dans une démarche de ville durable ? Quels sont les enjeux, les défis pour les espaces publics de demain ? Leur évolution a-t-elle une influence sur notre société ? C’est à cet ensemble de questions que nous allons tenter de répondre.
2.1. Éléments de compréhension. Avant de se lancer dans les questions pratiques, il nous faut saisir ce que sont les espaces publics aujourd’hui. Nous ne parlerons que brièvement de leur évolution, l’idée ici est de commenter la photographie des espaces publics que nous pourrions prendre aujourd’hui. Les espaces publics ne sont pas de simples espaces ouverts à tous, alors que sont-ils ? A quoi servent-ils ? Les espaces publics ne sortent évidemment pas de terre seuls, quels sont les acteurs qui fabriquent ce décor, quel est le rôle est la place de chacun ?
2.1.1. Espace public et espaces publics. L’espace public est un terme à double sens. Alors qu’au singulier il désigne la figure du débat publique, son pluriel lui est plus urbain et renvoie aux lieux accessibles aux populations. Nous allons partir de cette distinction pour tenter de donner une brève définition des espaces publics dans nos villes d’aujourd’hui.
L’espace public C’est le philosophe allemand Jürgen Habermas qui posera les bases de la réflexion sur l’espace public à travers sa thèse en science politique : Strukturwandel der Öffentlichkeit publiée en 1962. Elle sera traduite en français quinze ans plus tard comme : L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise1. L’auteur y démontre que la bourgeoisie, en multipliant les réunions de salons et dans les cafés s’adonnait
1 HABERMAS J., « L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise », Paris, Payot, 1988 41
de plus en plus à des discussions aux allures de débats publics. Ces discours relayés par la presse écrite, en pleine expansion à l’époque, ont donné lieu à la création d’une sphère publique où l’opinion des citoyens, autrement dit du public de l’État, pouvait être exprimée. Toujours en philosophie, Kant, quand à lui, voit l’espace public comme le lieu abstrait où émerge la raison. Dans les deux cas, il s’agit d’une nouvelle sphère qui vient faire le lien entre l’État et le citoyen, où chacune des parties vient rendre public son opinion privée. L’oeuvre germanique de Habermas sera longuement critiquée, rééditée, ce qui aura permis la construction de la pensée philosophique sur la sphère publique et la publicité. Mais ceci n’est pas l’objet qui nous intéresse aujourd’hui. Nous retiendrons que l’espace public singulier n’est pas un espace géographique, il est le lieu figuré du débat public, de la confrontation, du partage et de l’échange des idées. C’est une forme de circulation de points de vue, dont les médias sont les moyens de transport. Il peut être assimilé à la notion du marché en économie. Or, tout comme le marché peut également renvoyer à quelque chose de physique, il en est de même pour les espaces publics.
Les espaces publics Les urbanistes et architectes commencent à leur tour à parler d’espaces publics en référence aux lieux physiques qui sont accessibles à tous. Au XIXème siècle, ces espaces publics représentaient surtout le réseau viaire, la rue était alors un lien de communication mais aussi, et surtout, un lieu de vie. On prend peu à peu conscience que le confort de vivre en ville passe par des espaces publics adaptés et de qualité, la morphologie urbaine se transforme: « L’application de l’haussmannisme, tant dans les villes de provinces qu’à l’étranger, se traduit avant tout par la totale réorganisation du réseau viaire, l’élargissement des voies, l’alignement des façades, la création de squares et de parcs, l’implantation de fontaines, d’urinoirs et de kiosques… 2» On désignera par la suite les espaces publics comme étant des « espaces libres », c’est-à-dire « tout ce qui n’est pas construit ou clôturé à des fins purement privées 3». La dichotomie comme définition, ce qui n’est pas privé est public. Mais la frontière entre le privé et le public devient avec le temps de plus en plus floue. Ce brouillage est dû d’une part à des raisons juridiques avec l’apparition de lieux privés mais qui restent ouverts au public comme par exemple les centres commerciaux ou les souterrains de métro. Mais c’est aussi la société qui change. En effet, même si les logements tendent à devenir de plus en plus intimes, que le lieu de vie s’isole du lieu de travail, marquant ainsi la distinction entre vie privée et vie publique, nous assistons d’un autre côté à une repousse des limites du privé. Les tabous sur la sexualité tombent avec notamment l’accessibilité à la contraception, le droit à l’avortement ou encore l’acceptation de l’homosexualité (ou du moins sa médiatisation). C’est dans ce contexte qu’une nouvelle discipline vient s’intéresser de près aux espaces publics : la sociologie. Mais ce qui intéresse 2 3 42
PAQUOT T., « L’espace public », collection repère, décembre 2009, P.80. Op. cit. P. 86
le sociologue ce n’est pas tant la forme urbaine des espaces publics que ce qu’il s’y passe. Les rues, parcs, jardins… sont des lieux d’échanges et d’interactions entre les individus. On s’aperçoit que le privé s’introduit dans le public, que des actions intimes peuvent se produire dans un lieu public. C’est le cas par exemple d’un couple s’embrassant sur un banc public. Même si la forme urbaine reste importante lorsqu’on parle d’espaces publics, les usages en sont aujourd’hui un autre paramètre tout aussi important. Les espaces publics deviennent des lieux de rencontre, d’échanges, de confrontations, d’évitement ou encore d’indifférence. Toutefois, même si l’interaction est présente quel que soit l’endroit ou la condition de l’individu (en voiture, à pied, en vélo, derrière son étalage de fruits et légume…) elle ne peut être de la même intensité selon que l’on se trouve sur une place de marché ou sur une route nationale. Ainsi, alors qu’avant espaces publics désignaient le réseau viaire et ses à-côtés, se distinguant de l’espace public plus métaphorique, aujourd’hui le pluriel du terme trouve finalement tout son sens. En effet, il semble de plus en plus difficile d’inclure la rue, la route, la place ou encore le parc sous un seul et même terme. C’est d’ailleurs pour cette raison que le sociologue belge Jean Rémy propose le terme d’« espace urbain4 ». Cet espace urbain serait le point de rencontre entre la sociologie et l’urbanisme et engloberait les formes mais aussi les usages de ces espaces ouverts à tous et appropriés par tous : « Ce n’est pas le seul régime juridique de la propriété du sol qui décide de la destination d’un terrain, mais les pratiques, usages et représentation qu’il assure. 5» Nous voyons ici que l’espace public prend différentes définition selon la discipline qui l’appréhende. Alors que la philosophie s’attarde sur l’espace public comme un lieu moral ou se forge la raison et l’opinion collective, les espaces publics sont pour les urbanistes et les architectes le réseau qui articule la ville et met en valeur les bâtiments tandis que le sociologue y voit des lieux d’échanges et d’interactions. Mais tous ont en commun la notion de partage, de relation et de communication, de leur côté urbanistes et sociologues semblent adopter aujourd’hui une définition conjointe. Pour la suite, nous nous intéresserons donc aux espaces publics pluriels dans le sens où ils représentent des espaces urbains accessibles à tous, utilisés simultanément par plusieurs individus et pensés pour bâtir l’articulation de la ville.
2.1.2. Les usages et les fonctions Les espaces publics sont pensés à destination des personnes qui vont utiliser ces espaces : les usagers. Les professionnels vont bâtir ces espaces par rapport aux besoins et demandes récoltés auprès des populations. Chaque espace remplit donc une fonction, un rôle qui lui a été 4 REMY J., « Multiplicité des lieux et sociabilité englobante », Les Cahiers de la sociologie de la famille, n°1, 1994 5 Op. Cit. P.91. 43
attribué par les acteurs de la conception. Cette fonction sera ensuite appropriée par les usagers qui adapteront leur façon d’agir selon le lieu et surtout suivant leur perception de ce que peut être le rôle de ce lieu. Ainsi, usages et fonctions ne sont pas toujours jumeaux car ils sont déterminés par plusieurs facteurs.
Les fonctions La temporalité est un des premiers facteurs jouant un rôle sur la fonction. En effet, il existe des fonctions permanentes pour les espaces publics. Quel que soit le moyen de déplacement, une rue servira toujours à circuler. Toutefois, certaines activités peuvent être organisées et changer, ou ajouter, temporairement une nouvelle fonction. Lors de la nuit blanche à Montréal par exemple, certaines rues et places publiques deviennent un endroit de détente, de tourisme et d’activités économiques et culturelles. A cette occasion, certaines associations sortent dans les rues pour exposer leurs activités et les faire découvrir au grand public. En ce qui concerne les usages, le mobilier urbain est un des éléments clés. Nous trouverons les usages qui ont été attendus par les professionnels, puisque ce sont ceux qui correspondent à la fonction du lieu. Mais il arrive que certains individus s’approprient l’espace d’une manière imprévue. Si nous prenons le cas d’une place publique sur laquelle des bancs ont été installés, on s’attend évidemment à ce que les usagers s’assoient ou se couchent sur ces bancs. Qu’ils s’y reposent, qu’ils s’y détendent, y discutent observent… Mais lorsqu’un jeune sortira sa planche de skate et se servira des bancs et de la place comme un véritable skatepark, notre aire de détente se transforme en aire de jeu, ce qui n’était pas prévu au départ. Qu’ils soient permanents ou non, prévus ou pas, les espaces publics renferment donc un certain nombre d’usages et de fonctions. Ces fonctions peuvent être commerciales comme c’est le cas sur les places de marché. La fonction de mobilité, sous toutes ses formes, est la fonction première de la rue. Mais lorsque des expositions sont organisées dans celle-ci, elle devient un espace culturel et artistique (cf figure 2.1.a). Les espaces publics peuvent également être des espaces de loisirs ou de détente, dans les parcs aménagés par exemple. Les terrasses de café débordent souvent sur la voie publique ce qui en fait un lieu de consommation (cf fugure 2.1.b). Les places publiques sont aussi pour certains un lieu de travail, c’est le cas des artistes de rue. Enfin, certains espaces publiques peuvent également abriter un lieu de vie pour les itinérants ou les personnes sans domicile fixe.
Les déterminants Mais qu’est-ce qui détermine les fonctions et les usages ? L’aménagement, l’ambiance et le cadre sont principalement les clés des fonctions et des usages. Le sens commun est également un des déterminants. Nous apprenons tous qu’une rue est un lieu de passage, il est rare de voir quelqu’un s’installer au milieu d’un trottoir pour boire son café. L’aménagement n’est d’ailleurs pas prévu pour ça. L’animation est une des choses qui détermine l’ambiance d’un espace. Elle peut être artificielle : diffusion de musique, jeu de lumières ou se résumer au cadre, aux flux de
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passants, de voitures, la présence de restaurant ou de mobilier urbain… L’aménagement joue également sur l’ambiance et la perception du lieu et donc sur son usage. On se sentira plus en sécurité dans un parc éclairé, qui deviendra alors un lieu de balade nocturne par exemple. A contrario, on ne s’éternisera pas sur une place non aménagée de façon à réduire le bruit de la circulation ou les courants d’air. Nous avons ici fait le tour des usages que nous observons tous les jours dans les espaces publics. Certains collent à la fonction du lieu, d’autres sont un peu plus surprenants. Nous retiendrons cependant qu’un lieu ne correspond pas à une fonction et/ou un usage. Ils se superposent, se complètent ou parfois de substituent. Les espaces publics sont donc la scène de pratiques sociales diverses et variées qui impliquent un certains nombres d’acteurs.
Figure 2.1.a. Exposition dans une rue de Montréal Figure 2.1.b. Activités commerciales sur l’espace public (L’île Rousse)
Source: P. L
2.1.3. Les acteurs des espaces publics.
Dans notre premier chapitre, nous disions que depuis quelques années l’avènement du développement durable avait apporté son lot de précautions environnementales mais également de nouvelles manières de voir et de construire la ville. La concertation est aujourd’hui un outil indispensable en matière d’urbanisme (obligatoire pour les projets de grandes envergure) et particulièrement lorsqu’il s’agit d’aménager des espaces destinés à être utilisés par l’ensemble des habitants, usagers, citoyens… C’est pourquoi ces derniers font actuellement partie des différentes catégories d’acteurs, ce qui leur permet de se rapprocher de politiques :
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« La métropolisation donnerait une occasion de revitaliser le rôle du politique, en recréant une sorte de lien civique par le processus de définition collective du « projet »6 ». Nous pouvons donc dire que les espaces publics se créent dans l’espace public. Sphère politique et population se retrouvent autour d’un même projet et partagent leurs idées, leurs envies et leurs moyens. Mais quels sont ces acteurs dont-on parle tant ? Ils peuvent être les individus, mais aussi les décideurs politiques, les groupes d’expert, ou encore les organisations qui sont à l’origine du projet et qui l’influencent tout au long de son élaboration. Chacun intervient à une étape du projet en fonction de sa qualification et de son expérience.
Les décideurs A l’origine du projet, nous retrouvons les acteurs économiques. Les propriétaires d’abord, car chaque partie de la ville appartient à une ou plusieurs personnes. Dans le cas d’espace public, le terrain initial appartiendra le plus souvent à un propriétaire public ou semi public. Parmi les acteurs économiques, nous trouvons les entreprises également initiatrices de projets urbains car ce sont souvent eux qui ont les moyens financiers de les réaliser. Comme son nom l’indique, un projet d’espace public implique également des décideurs politiques. Nous trouvons dans cette catégorie deux types de décideurs : les maires et élus locaux d’une part, et les administrations d’autre part. En France, la décentralisation en 1982 remet entre les mains des premiers le pouvoir de décision en matière d’aménagement. Ce sont eux qui contestent ou approuvent en dernier recours le projet. Pour prendre leur décision, ils s’appuient sur le deuxième acteur des pouvoirs publics : les administrations. Elles gèrent l’aspect législatif et vont s’assurer que le projet est conforme aux lois et décrets. Les décideurs interviennent donc tout au long du projet. Ils donnent le feu vert pour monter la planification, engage la mise en œuvre en approuvant les plans et peuvent à tout moment donner de nouvelles orientations. Dans le cas des espaces publics, ils sont aussi souvent financeurs.
Les bâtisseurs. Nous avons ensuite la catégorie des acteurs « bâtisseurs ». Elle regroupe l’ensemble des professionnels de l’espace qu’elle divise en maîtres d’ouvrage ou maîtres d’œuvre. La maîtrise d’ouvrage concernera les acteurs qui prennent la responsabilité opérationnelle, intellectuelle et financière du projet. Pour ce qui concerne les projets d’espaces publics, il s’agit généralement des sociétés d’économie mixte, ou la ville elle-même. Dans le premier cas, les risques financiers occasionnés sont partagés entre la SEM et la collectivité tandis que dans le deuxième cas, la collectivité prend tous les risques à sa charge. La maîtrise d’œuvre regroupe quant à elle l’ensemble des professionnels dont les savoir-faire sont indispensables à la bonne conduite du projet. Ce sont « les hommes de l’art ou les prestataires de 6 ZEPF M., AMPHOUX P., Collectif, « Concerter, gouverner et concevoir les espaces publics », PPUR presses polytechniques, 2004 46
services que le maître d’ouvrage va choisir pour étudier et participer à la réalisation du projet d’aménagement. 7» L’urbaniste en fait évidemment partie. Son rôle est de définir les grandes orientations urbaines et d’étudier les relations entre le micro projet et les quartiers environnants ou l’intégration du projet d’aménagement dans son ensemble. Cette catégorie est au centre du processus car les acteurs qui y sont présents assurent aussi la concertation autour du projet. Elle est le lien entre décideurs, initiateurs et destinataires du projet. Les bâtisseurs interviennent une fois l’accord donné par les décideurs, leur rôle est le montage de projet et le suivi des travaux.
Les habitants, usagers, citoyens Enfin, nous l’avons dit, les espaces publics s’adressent à une grande diversité de destinataires. Cette dernière catégorie renferme les consommateurs du projet, elle est complexe car hétéroclite. On y retrouve les habitants du quartier, les usagers des espaces et les citoyens de la municipalité. Grâce à la concertation qui s’intensifie, cette catégorie longtemps passive est devenue active dans le processus de conception. L’expérience, la perception de l’espace et les habitudes des individus viennent aujourd’hui compléter l’expertise technique des bâtisseurs. Leur degré d’implication dépend du degré de concertation voulu par les initiateurs du projet. Généralement, les individus sont appelés à participer à l’élaboration du plan d’action, ils interviennent donc en amont de la mise en œuvre. Cette multitude de personnes impliquées dans le projet laisse place à un jeu d’acteurs complexe. Il n’est pas toujours évident de coordonner la vision pragmatique du politique avec la vision plus artistique du maître d’œuvre. D’autre part, décideurs et maîtrise d’ouvrage peuvent être le même groupe de personnes, et c’est d’ailleurs souvent le cas lorsqu’on parle d’espaces publics, ce qui altère parfois les rôles et l’objectivité. Enfin, la vision pratique et les attentes des consommateurs ne sont pas toujours en harmonie avec la volonté politique ou le montant de capitaux engagé dans le projet. Le système de gouvernance, c’est-à-dire le mouvement de réflexion et de prise de décision, n’a finalement jamais été aussi compliqué que depuis la montée en puissance de la ville durable. Chacun doit être impliqué dans le processus et libre de s’exprimer, pourtant, c’est inévitablement le décideur politique qui tranche. Comment être sûr alors de la cohérence entre attentes des consommateurs et volontés des décideurs ? Nous avons donc donné une brève définition de ce que pouvaient être les espaces publics aujourd’hui et tenter un tour d’horizon de tous les acteurs touchés de près ou de loin par sa conception. Nous l’avons évoqué, le développement durable et la conception de la ville durable ont apporté une plus grande place aux habitants, usagers et citoyens, notamment à travers la concertation. Nous avons également dit que le développement durable s’accompagnait d’une transformation de nos sociétés et des pratiques sociales tandis que la ville durable, de son côté, apporte son lot de nouveaux regards sur la ville. Enfin, nous avons montré que les espaces 7 REYSSET P., « Aménager la ville », collection écologie urbaine, sang de la Terre, décembre 2008, P. 31. 47
publics sont aujourd’hui le théâtre de ces pratiques sociales. Comment les bouleversements amorcés par la conception durable de la ville se traduisent-ils dans la forme de ces nouveaux espaces urbains ?
2.2. Espaces publics et ville durable.
Il est temps de passer à un aspect plus pratique en abordant plusieurs exemples de réalisations. Nous verrons comment l’intégration des ressources naturelles, le partage de l’espace public et la mise en valeur de l’aspect culturel sont possibles et contribuent à la fabrication de la ville durable.
2.2.1. Espaces publics et utilisation de ressources naturelles.
Lorsqu’on parle d’espaces publics intégrés dans une ville durable, nous pensons en premier lieu aux espaces verts et à l’intégration de la nature en ville, mais dans le pilier environnemental c’est également de la gestion des ressources, comme l’eau, dont il est question.
Ville Vs Nature C’est aujourd’hui prouvé, la cohabitation ville/nature est incontestablement bénéfique. L’absorption des gaz carboniques par les arbres et plantes vertes est scientifiquement prouvée, toute comme leurs effets sur la qualité de l’air : « The trees of the Chicago region have been estimated to remove some 5500 t of air pollutants, providing more than US$9 million of air quality during 1 year. 8» La verdure est également réputée pour atténuer l’effet d’îlot de chaleur urbain créé par nos villes minérales, elle agit ainsi comme un régulateur sur le micro climat. Car la température en ville est nettement plus élevée qu’à la campagne ce qui s’explique par la capacité de nos bâtiments et de nos sols bétonnés ou goudronnés à capter la chaleur et à la conserver. Il est alors de plus en plus encourager de penser à des aménagements qui laisseraient une plus grande place aux espaces verts ou autres composants. C’est le cas par exemple de la place Nicaragua à Barcelone pour laquelle l’utilisation du gazon et du sable a été privilégiée comme traitement du sol (cf Figure 2.2.). Les parkings sont également pris pour cible, le concept n’est pas encore largement diffusé, mais des places vertes de stationnement commencent à apparaître. Ce procédé à le double avantage d’atténuer la température qui monte facilement sur les parkings et d’absorber les eaux pluviales. La ville durable enfile donc son manteau vert comme en témoignent les façades et toitures végétalisées qui fleurissent un peu partout, laissant même parfois place à des ‘’champs’’ d’agriculture urbaine sur les toits d’immeubles en plein centre-ville. La présence 8 BOLUND P., HUNHAMMAR S., 1999, « Ecosystem services in urban areas », Ecological Economics n°29, 1999, P. 296 48
de plates-bandes permet aussi l’absorption des eaux pluviales, l’eau étant le deuxième élément naturel que nous pouvons ‘’exploiter ‘’ pour nos espaces publics durables. Figure 2.2 Place Nicaragua, Barcelone
a. La place ne laisse aucune place au béton, seuls le sable et le gazon sont admis
b. Les jeux pour enfants convergent vers le centre, espace de socialisation.
c. Intégration dans le quartier
c. Un espace public 100% piéton Crédits photos: Alex Garcia, Adria Goula
Utilisation et gestion de l’eau Pour radoucir la température en ville, quoi de plus efficace que l’eau ? Nous ne parlons pas ici de simples fontaines présentes dans certainement toutes les grandes places publiques européennes. Car l’eau est de nos jours un élément essentiel en matière d’aménagement. Parce qu’elle apporte animation, calme et fraîcheur d’une part mais aussi parce que sa gestion et son traitement font parties des priorités en matière de développement durable. Et pour jouer avec l’eau, il existe plusieurs techniques et plusieurs objectifs. Un de ceux-ci est celui de l’esthétique par exemple et la mise en valeur du patrimoine, comme pour la place de la Bourse à Bordeaux (cf figure 2.3). Ici l’eau vient faire écho à la rivière située à proximité. La place fait aussi référence à une époque où les eaux des canaux se déversaient dans les espaces publics. Les architectes ont donc choisi de recréer une sorte de marée au centre de l’un de ces espaces. L’eau de pluie est récupérée puis stockée dans un « dépôt de la taille d’une piscine olympique […] le fonctionnement est effectué en circuit fermé à partir des bombes de surfaces qui aspirent le dépôt.9 » Par cycle 9
KOTTAS D., « Places et espaces publics contemporains », links books, 2007, P. 36 49
variables, la place s’inonde pour la plus grande joie des piétons qui peuvent se rafraichir les doigts de pied. Les bâtiments qui s’y reflètent donnent alors une nouvelle dimension à cet espace. Après trois minutes, l’eau disparaît mystérieusement ; le sol ainsi rafraîchi permet de conserver un peu de fraîcheur. La qualité de l’eau est régulièrement contrôlée, pour la garantir elle est traitée et filtrée par un dispositif située sous la place publique. Les autoroutes aussi se sont mises au traitement de l’eau de pluie, nous sommes ici dans un objectif simplement environnemental. Le groupe Vinci a ainsi mis au point un dispositif de récupération des eaux pluviales. Entraînant avec elles huiles de moteurs et autres polluant, non traitées avant d’être rejetées dans la nature elles deviennent un danger pour les écosystèmes environnants. C’est pourquoi il est prévu de construire des bassins le long des autoroutes existantes et à venir. C’est ce que le groupe à appeler son « paquet vert autoroutier ». En plus des bassins, des passages destinés aux animaux seront aménagés et les arrêts aux péages seront diminués pour réduire le rejet de CO2 plus important lorsqu’une voiture démarre10. Figure 2.3 Place de la Bourse, Bordeaux.
Crédits photos: Stéphane Llorca
Les effets économiques et sociaux Nous pouvons donc constater que le pilier environnemental du développement est largement applicable à l’échelle des espaces publics contemporains. Mais l’utilisation et la gestion de ressources naturelles peut aussi servir des objectifs économiques et sociaux. Économiques pour deux raisons. Traiter les eaux pluviales à proximité des espaces publics permet de réaliser des économies d’acheminement de ces eaux vers des centrales plus éloignées. Certes l’investissement est important, mais sur le long terme, les économies sont bien réelles. Dans des espaces publics plus restreints, l’absorption de l’eau par les plantations permet tout simplement de faire l’économie d’un système de récolte et de traitement. (Pour se passer d’un tel dispositif il faut évidemment que l’eau ne ruisselle pas sur une trop longue distance avant d’être absorbée). Enfin, nous avons vu que les toits des bâtiments, tout comme certains espaces urbains, peuvent servir de terrain à l’agriculture urbaine. L’impact économique n’est bien sûr 10 VINCI Autoroutes, dossier de presse « "Paquet vert autoroutier",VINCI Autoroutes s’engage », Janvier 2009 50
pas d’une très grande intensité, mais ces jardins sont généralement gérés par des associations et prioritairement destinés aux populations les plus démunies. Ce qui nous amène au volet social de la nature en ville. Verdir nos espaces est aussi bénéfique pour la qualité des espaces qui se retrouvent considérablement améliorée ce qui accroît sa côte de popularité et favorise son appropriation par les populations. Les endroits les plus fréquentés en ville sont les espaces où l’on trouve des espaces verts, c’est aussi dans ces lieux que le contexte pour échanger, se rencontrer, tisser des liens sociaux est le plus favorable. Certaines études ont même montré un lien entre la nature et la criminalité. A Chicago et à New-York par exemple, la criminalité serait plus élevée autour des grandes tours de bureaux car l’absence de ‘’haltes vertes’’ empêche les travailleurs et les habitants de se rencontrer, se connaître et développer un sentiment d’appartenance.11 En 2001, une enquête réalisée à Chicago a révélé que dans les lieux entourés d’arbres et/ou d’espaces verts on constatait une baisse de près de 56% de crimes violents par rapport à un espace public sans verdure12. Ce constat s’explique par les vertus apaisantes des plantes mais également par le fait que des espaces aménagés et intégrant la nature incitent les gens à se rencontrer à l’extérieur ce qui permet d’augmenter la surveillance des lieux. D’autres part, sans parler de grande criminalité, l’esthétique et le respect que dégagent les arbres et plantes encouragent les usagers à contribuer à l’entretien et on observe moins de déchets dans les espaces publics contenant des espaces verts que dans ceux complètement minéraux. Nous voyons ici comment l’intégration d’espaces naturels au sein des espaces publics s’inscrit dans une vision durable de la ville puisqu’elle permet d’agir sur les trois piliers du développement durable explicités en première partie. L’aspect environnemental est évident, mais nous constatons de plus en plus que, grâce à l’agriculture urbaine, nous pouvons réinstaller une plus grande équité sociale par l’accès des populations plus défavorisées à des produits de qualité dont la production est sans conséquence sur l’environnement. Enfin, l’amélioration des conditions de vie passe également par l’accroissement de la sécurité pour les habitants, usagers et citoyens. Or nous venons de démontrer la corrélation entre le cadre paysager et la criminalité.
2.2.2. Des espaces publics partagés
Il ne suffit cependant pas de planter quelques arbres et d’aménager quelques parterres de fleurs pour qu’on puisse parler d’espaces publics durables. Car, comme nous le savons, la 11 Lewis CA., “Effects of plants and gardening in creating interpersonal and community well-being.” In: Relf D, ed. “The role of horticulture in human well-being and social development: a national symposium,” Timber Press, 1992 12 KUO F.E., SULLIVAN W.C., “Environment and crime in the inner city : does vegetation reduce crime ?”, Human-Environment Research Laboratory University of Illinois, Urbana-Champaign, 2001.
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pollution de l’air en ville est particulièrement due à la voiture. Or, même si les arbres permettent de réduire la présence de gaz à effet de serre (GES), nous avons vu dans le premier chapitre que les espaces publics en ville sont majoritairement constitués par le réseau viaire et, il n’est pas évident de circuler en ville sur de la pelouse. Même si la recherche en matériaux plus naturels pour recouvrir le sol de nos routes est en cours, cette mesure reste excessivement chère. Mais l’Europe a, depuis quelques années, innové dans les aménagements liés à la réduction de la place de la voiture en centre-ville et donc de la pollution.
Le code de la rue. C’est la rue qui est aujourd’hui dans la ligne de mire des urbanistes, sociologues et écologistes. En effet, avec la montée de l’importance accordée aux usages dans les espaces publics, on s’est aperçu que la rue avait perdu sa fonction de lieu de vie. On s’est aussi rendu compte que la ville s’est progressivement adaptée à la voiture, ce qui cause de graves problèmes écologiques mais aussi de santé et de sécurité. C’est pour cela qu’une nouvelle façon de voir la rue s’est développée : la rue partagée. Les urbanistes nous parlent aujourd’hui régulièrement de zones 30, de zones de rencontres ou du partage de la rue, tous ces termes renvoient à la même idée ; une idée qui s’exporte d’ailleurs outre atlantique. On cherche, par l’ensemble de ces mesures, à réduire la place accordée à la voiture pour privilégier les autres usagers comme les piétons, les cyclistes ou encore les utilisateurs de transport en commun ; santé, sécurité et accessibilité sont les maîtres mots d’une rue en ville durable. C’est dans ce contexte que le code de la rue fait peu à peu son apparition. Même s’il n’est pas encore réglementaire, le principe tend à s’appliquer dans un bon nombre de villes européennes. La signalisation y est simplifiée pour éviter les confusions mais aussi pour produire ce que l’agence d’urbanisme atlantique et Pyrénées appelle le « chaos productif » : « Passer d’une apparence de sécurité à une insécurité perçue pour créer les conditions d’une sécurité vécue13 » (cf Figure 2.4). Les voies destinées aux voitures sont rétrécies, la vitesse ralentie ce qui augmente le champ de vision. On accorde une meilleure place aux cyclistes par l’intégration de pistes cyclables que l’on choisira parfois de mettre en sens inverse des voitures pour une meilleure visibilité des deux usagers. L’idée est de dé-compartimenter la rue, de miser sur une approche sociale plus que technique. En faisant cohabiter les usagers sur un même espace ils sont plus vigilants. Les trottoirs quant à eux sont réaménagés, plus larges mais aussi plus verts quand c’est possible. On privilégiera également des traverses en continuité du trottoir. Car après tout, pourquoi risquer la chute d’une personne âgée ou durcir la traversée d’une personne en fauteuil roulant par la descente et la montée d’un trottoir quand les voitures, elles, ne craignent pas ce genre d’obstacles.
13 Agence d’urbanisme atlantique et Pyrénées « La cohabitation dans les espaces publics : une approche durable », Fiche 12, Conférence du 29 novembre 2010 52
Figure 2.4. Exemple de partage de la rue
Sécurisation des modes de déplacement, New-York, Etats-Unis.
Zone de renontre, Maienz, Allemagne. Source: P.L
La convivialité
Pour le sociologue, ces nouvelles mesures permettent de redonner de la convivialité et
de la promiscuité entre les individus. Ces derniers sont plus facilement amenés à se rencontrer, à échanger mais aussi à faire plus attention à l’environnement qui les entoure (qu’il soit naturel ou social). D’un point de vue de l’équité sociale, le partage de la rue est synonyme d’accessibilité. En prenant en compte l’ensemble des usagers, on se préoccupe des voitures et de cyclistes mais également des personnes âgées et des personnes à mobilité réduite. C’est l’ensemble de l’aménagement qui est à repenser pour nos routes. Des signaux sonores, ou l’utilisation du relief au sol pour les personnes mal voyantes, le respect d’un couloir libre sur les trottoirs pour les personnes en fauteuil roulant ou les parents avec des poussettes, la signalisation attirant l’attention sur les écoles pour la sécurité des enfants… C’est particulièrement dans cette démarche que nous nous rendons compte de l’importance de la concertation et de la prise en considération de l’ensemble des destinataires des espaces publics. L’enjeu du partage de l’espace est donc de diminuer les tensions qui peuvent exister entre les différents usagers et de faire cohabiter au mieux les différents usages qui peuvent exister dans ces lieux de vie. Au niveau économique, l’impact pour la ville est moindre. A l’échelle individuelle la réduction de la voiture permet une baisse de la consommation d’essence, économie non négligeable à l’heure actuelle. Pour la municipalité, en raisonnant sur le long terme on pourrait prévoir qu’en augmentant la qualité et l’accessibilité des transports en commun, on en augmenterait son rendement. Enfin, la baisse de la vitesse et la plus grande place accordée aux piétons permettent un plus grand achalandage dans les rues commerçantes ce qui est un avantage certains pour les commerces de proximité.
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2.2.3. Espaces publics et Culture Nous l’avons dit dans le premier chapitre, le pilier social du développement durable est certainement celui qui a le plus gros impact, en termes de volet d’actions, sur le travail des urbanistes et sur la façon de concevoir la ville durable. Nous avons également parlé de l’évincement de la culture dans les préoccupations du développement durable. Pourtant, depuis 2004, Agenda 21 culture tend à lui accorder toute son importance. Nous ne nous nous attardons que sur les engagements 26 et 27 de cet Agenda, à partir desquels nous pouvons confirmer que les enjeux culturels ont une place dans les réflexions de ville durable : « Prendre en compte les paramètres culturels dans les schémas d’aménagement urbain et dans toute planification territoriale et urbaine, en établissant les lois, normes et règlements nécessaires à la protection du patrimoine culturel local et de l’héritage laissé par les générations précédentes14 » Préserver le patrimoine de nos ancêtres et garantir son accès aux générations futures, voilà un enjeu qui s’aligne parfaitement sur la définition du développement durable donnée dans le rapport Brundtland. Et l’espace public n’est pas exclu du dernier né des agendas 21, c’est d’ailleurs l’engagement 27 qui nous intéresse particulièrement : « Promouvoir l’aménagement d’espaces publics dans les villes et encourager leur utilisation en tant que lieux culturels de relation et de cohabitation. Promouvoir le souci de l’esthétique des espaces publics et des équipements collectifs15. » Les espaces publics, en plus d’être des lieux de vie et d’interactions sociales, sont également des loupes sur nos pratiques, dont la culture fait partie. D’autre part, l’animation des espaces publics, qu’elle soit permanente ou éphémère, permet de créer des moments publics qui se partagent. Même si dans sa définition, la culture renferme l’ensemble des compétences techniques et intellectuelles, les idéologies et les phénomènes artistiques d’une société, nous nous consacrerons à l’art comme expression culturelle pour notre réflexion sur les espaces publics et la ville durable. Ce choix a été fait à partir des constats selon lesquels la présence de l’art, sous toutes ses formes, dans les espaces publics respecte le principe d’équité sociale, contribue à accroître la compétitivité des villes, à valoriser les ressources naturelles et à favoriser la prise de conscience des populations envers le développement durable.
14 Cités et Gouvernements Locaux Unis – Commission de culture, « Agenda 21 de la culture », janvier 2008. 15 Cités et Gouvernements Locaux Unis – Commission de culture, « Agenda 21 de la culture », janvier 2008. 54
L’art dans la ville, une utilité sociale. D’un point de vue social, nous pouvons lier l’expression artistique et la notion d’esthétisme présente dans l’engagement 27 de l’Agenda 21 culture, particulièrement lorsque la première est inscrite de façon permanente dans un espace public. Chaque ville trouve une part de son identité dans les œuvres artistiques qui y sont implantées, même si celles-ci ne sont pas internationalement connues. Il suffit de les avoir croisées une fois au détour d’une promenade touristique (ou autre) pour qu’à partir du moment de cette rencontre ‘’l’objet’’ artistique et ville soient connectée. Ceci est rendu possible par l’accessibilité à l’art dans les espaces publics. Quoi de plus équitable qu’une œuvre d’art exposée à la vue de tous, quel que soit l’âge, le sexe ou l’origine sociale ? Évidemment dans les faits, ce rapport n’est pas tout à fait vrai car la localisation de l’œuvre aura comme conséquence indirecte la filtration du public. Si elle se trouve dans un quartier riche du centre-ville par exemple, la probabilité pour que les habitants pauvres des périphéries y accèdent à cause des difficultés liées notamment à la mobilité, qui est un facteur important d’inégalités. Mais en isolant les autres facteurs, théoriquement, l’art dans les espaces publics reste accessible à tous. Il en est de même pour les manifestations éphémères comme les festivals par exemple. La saison estivale est propice pour la ville à l’organisation de concerts ou spectacles dans les espaces publics. De par leur localisation l’accès à ces ‘’services’’ est donc libre, tout le monde peut y participer. La Ville de Montréal compose par exemple chaque année, avec de nombreux partenaires, plusieurs festivals dont un festival de Jazz. Pendant près de deux semaines, plusieurs concerts sont programmés sur les scènes aménagées pour l’occasion sur la place des arts. Même si un contrôle de sécurité se fait à l’entrée, l’accès au site des spectacles se fait sans restriction. Les concerts payants se tiennent eux dans des lieux privés et intérieurs. Par ces manifestations, l’art permet de créer de l’animation génératrice de liens sociaux. Certains usagers se retrouvent dans un lieu où ils n’ont pas pour habitude de se rendre, se mêlant ainsi aux habitants, usagers et citoyens habituels du site. Tout le monde est ainsi confrontés à une forme culturelle qu’il ne connaît peut être pas à cause justement des barrières sociales qui peuvent exister16. Enfin, l’art en ville peut également être un moyen de démocratiser l’art contemporain et de mettre en valeur les espaces publics. La fête des Lumières à Lyon permet aux habitants et touristes de déambuler au gré des attractions proposées dans le réseau des espaces publics qui articule la ville. Le tracé du tramway à Nice a été pensé de façon à intégrer un parcours artistique et culturel dans la ville : le tramway traverse diverses manifestations artistiques sélectionnées par la ville et c’est l’artiste Ben17 qui en a personnalisé les arrêts (cf figure 2.5). Pour les habitants, c’est un moyen de s’approprier sa ville, son quartier, son environnement grâce à ces points de repère. Pour la ville, c’est une occasion de faire connaître aux touristes et aux citoyens ses recoins et d’exposer son patrimoine. 16 Nous faisons ici référence à l’habitus de Bourdieu qui montre la corrélation qui peut exister entre art et catégorie sociale 17 Artiste français d'origine suisse, né le 18 juillet 1935 à Naples en Italie. Il vit et travaille à Nice. Il de-
vient connu du grand public à partir des années 1960, à travers notamment ses « écritures » déclinées sous divers supports et diverses formes. (source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Benjamin_Vautier consulté le 12 Août 2011) 55
Figure 2.5. Un tramway nommé culture, Nice.
La Place Masséna est semée de scribes haut perchés. Cette oeuvre, Conversation à Nice, est signée Jaume Plensa
Arrêt de tramway personnalisé par l’artiste Ben en provencal. Source:Communauté Urbaine Nice Côte d’Azur
Bienfaits économiques Cette attractivité liée à l’art urbain nous amène à l’angle économique de notre réflexion. Car, même si l’art et la culture en général entrent dans la sphère sociale, ce sont les impacts économiques que sa présence dans les espaces publics rend les plus visibles. Nous venons d’en parler, l’art urbain donne une identité à la ville où il s’implante et peut aider à favoriser le tourisme (source de revenus) par des croyances collectives qui s’exportent à travers le monde. Par exemple à Boston les visiteurs se pressent d’aller frotter le pied gauche de la statue de John Harvard, action qui parait-il apporterait chance et réussite. Si nous revenons aux festivals organisés par les villes, nous avons dit que ceux-ci pouvaient amener de nouvelles personnes sur le site. Or, qui dit nouvelles personnes ou, d’une manière générale, plus de personnes dans un espace public dit également plus de consommateurs pour les commerçants situés autour de l’espace. Mais l’impact économique de l’intégration de l’art dans la ville n’est pas simplement commercial, il concerne aussi le domaine de l’emploi. En effet, dans le débat actuel de ville durable, de nouveaux métiers s’inventent chaque jour. Et l’émergence des discussions autour de la culture dans les espaces publics fait apparaître de nouveaux besoins en termes de compétences notamment dans le développement culturel durable des territoires ou le conseil en politiques urbaines et culturelles18. Les nouvelles formes de gouvernance et la plus grande importance accordée à la participation citoyenne font aussi émerger une nouvelle catégorie d’acteurs : celle des médiateurs. Interface entre aménageurs, politiques, artistes et populations, ils constituent certainement l’une des pièces maîtresses dans la fabrication des espaces publics dans la ville durable de demain.
18 pOlau, « L’art et la ville nouvelle génération / Démarche HQAC – Haute Qualité Artistique et Culturelle » 2009. 56
L’art au service de l’environnement Enfin, la composante artistique dans les espaces publics peut s’appliquer au service du pilier environnement. Soit parce qu’elle utilise et valorise les ressources naturelles comme l’eau, soit parce qu’elle permet de passer un message de sensibilisation à l’environnement ou de conscientisation aux bonnes pratiques pour le développement durable, le recyclage par exemple. En effet, de plus en plus d’artistes utilisent les emballages de nos produits de consommation quotidiens pour sculpter leurs œuvres. C’est le cas de cette œuvre exposée dans un centre commercial montréalais mettant en scène un étang, ses nénuphars et ses libellules (cf figure 2.6). Bouteilles en plastique, cintres, films plastiques… tous les éléments qui la composent sont domestiques et font partie de notre vie de tous les jours. Certes l’art n’agit pas directement sur les dépenses énergétiques, la consommation de carburant ou la préservation de la biodiversité, mais à travers sa capacité à toucher les populations à différent niveau il est une forme de communication et d’information efficace. Et un public informé, c’est une première étape vers le développement durable. L’animation des espaces publics par l’art et la culture est donc un autre élément qui compose la ville durable. L’identité qu’elle attribue aux lieux permet de renforcer le sentiment d’appartenance des populations, mais elle est aussi synonyme de repère. Les usagers qui s’orientent plus facilement en ville auront plus de plaisir à se déplacer (de préférence en transports actifs ou en commun !) et participent donc plus activement à la vie publique de la ville. L’intensification des échanges qu’elle produit aide à renforcer le lien social tandis que sa faculté communicative permet la diffusion d’un modèle à suivre, d’une prise de conscience collective. « La dynamique du développement durable ne peut se concevoir sans protection active, constructive et créative des spécificités culturelles locales, ni sans moyens d’accéder aux différentes formes d’expressions 19». Il ne serait alors pas étonnant qu’un quatrième pilier ne vienne en renfort dans le déploiement du concept du développement durable. Figure 2.6. Recyclage artistique
Exposition temporaire, Centre Eaton de Montréal, 2011.
Source: P.L
19 Commission française du développement durable : AVIS n° 2002-07 sur la culture et le développement durable, avril 2002. 57
2.3. Les enjeux des espaces publics dans une ville durable. Toutes ces nouvelles formes urbaines intégrant de nouveaux principes se répercutent directement sur les usages des espaces publics, ce qui entraîne de nouveaux enjeux. Finalement, ne seraient-ce pas les espaces publics qui influenceraient la société ?
2.3.1. Les nouvelles formes de mobilités. Est-il nécessaire de rappeler que les espaces publics sont majoritairement constitués de routes, de rue, de trottoir… ? Il apparaît donc logique qu’une des principales fonctions des espaces publics est celle de permettre aux usagers de se déplacer. Même un parc ou une place peuvent parfois servir de raccourcis. Or la mobilité est actuellement en pleine mutation. Le terme même de mobilité est une nouveauté : « Il y a quinze ans, on utilisait les termes « transports », « circulation », « trafic », «déplacement ». Or cette constellation de langage relève de l’ancien paradigme, quand le nouveau se reconnaît dans la mobilité 20» La mobilité a de particulier qu’elle replace l’individu au cœur de l’action, on ne se préoccupe plus que des flux, du transit, on s’interroge sur comment l’individu en tant que personne se déplace, et pourquoi il se déplace. La mobilité est devenue un droit, on parle beaucoup d’accessibilité, elle est aussi un critère exclusion sociale. Dans un contexte où la voiture est persécutée, l’individu lui se doit d’être « auto-mobile », de pouvoir gérer sa mobilité. Les espaces publics étant la scène des pratiques sociales, cette nouvelle acquisition d’une certaine autonomie nous intéresse particulièrement puisqu’elle contribue à l’émergence de nouveaux rapports entre l’individu et le temps d’une part, son corps, sa santé, son bien être d’autre part ainsi qu’un nouveau rapport aux autres. Ces nouveautés, c’est dans les espaces publics qu’elles ont lieu, nous avons précisé la transformation le partage de nos rues entre les différents modes de transport. Mais afin de tenter d’anticiper ce que pourraient être les besoins de demain en matière d’infrastructures liées à la mobilité, faisons un tour d’horizon des pratiques innovantes en matière de déplacement.
La mobilité dans le temps Nous parlons d’un nouveau rapport au temps, cette phrase peut être prise à deux niveaux. Par rapport à la vitesse d’abord, que ce soit en voiture, en train ou en avion, les avancées technologiques font que nous nous déplaçons plus loin plus facilement. Mais c’est aussi au temps, que l’on peut qualifier d’historique, que nous pouvons subtilement faire allusion. En effet, en matière de transports en commun, on ne peut pas réellement parler d’innovations mais plutôt de renouveau. Les plus grandes villes de France et du monde se penchent, si ce 20 AMAR G., « Innover pour une mobilité urbaine durable » intervention lors du colloque « Mobilité en ville : changeons ! » les 2,3 et 4 avril 2008 à Londres organisé par La Fabrique de la vité. 58
n’est déjà fait, sur la réintégration du tramway dans les centres villes. C’est le cas par exemple de Grenoble, une des premières villes françaises à avoir réinstauré le tram, ou Nice qui ayant inauguré le sien en 2007 travaille actuellement sur l’axe Est-Ouest. Certes des améliorations majeures ont été apportées pour moderniser les infrastructures et le matériel roulant, il n’en reste pas moins que nous parlons d’une invention datant de 1832 (le premier à rouler fut celui de New-York). Très efficace dans les centres villes qui concentrent une densité suffisante, ce n’est pas la solution favorite des villes à centralité plus diffuse qui demanderait un long tracé et coûterait donc trop cher. C’est le cas par exemple de la ville de Toulon qui a officiellement abandonné son projet de tramway. Pour le remplacer, deux propositions sont à l’étude. Celle du trolleybus d’abord, nous sommes ici face à un moyen de transport en commun qui date également du XIXème siècle mais qui s’accorde encore parfaitement dans certaines villes du monde, comme Bratislava. Suivant le principe électrique du tramway il se distingue par son absence de rails car il se déplace sur roues. Même si les trolleys d’aujourd’hui n’égalent pas le confort et le renouveau du tramway, nous pouvons tout de même voir que dans un monde où l’innovation technologique croît à une vitesse vertigineuse, pour les transports en commun, la recette du succès semble être celle de la modernisation. (Après tout grand-mère dit toujours que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures). La RATP réfléchit de son côté à la réinvention du métro. Et c’est d’ailleurs le métro qui a inspiré la deuxième solution étudiée dans l’aire toulonnaise : le Bus à Haut Niveau de Service (le BHNS). Ce dernier moyen de transport en commun a vu le jour dans la ville brésilienne de Curitiba qui s’est lancé dans le mélange des modes, mariant bus et métro. L’élément important étant l’arrêt de bus, aménagé de sorte à ce que l’usager se trouve à mi-chemin entre une station de métro et un arrêt de bus (cf figure 2.7.b). Pour que le service soit à son maximum, l’engin se voit attribuer son couloir de circulation lui permettant de gagner du temps lors des embouteillages. Nous avons donc fait le tour des différents modes de transport en commun classiques que nous risquons de croiser dans nos espaces publics de demain. Qu’ils soient sur rails ou sur roues, tous ont une conséquence sur l’aménagement puisqu’une voie de circulation spécifique doit leur être réservée. Pour les usagers, le succès de ce renouvellement des formes de mobilité, montre que les attentes en termes de transport en commun sont en lien avec une concurrence efficace à la voiture. En effet, c’est la critique récurrente qui est faite aux transports en commun, les individus, en plus de ne pas être autonomes du point de vue des horaires et du temps déplacement ont le sentiment de perdre du temps. Toutefois, d’un point de vue social, même si nous avons souvent l’impression que cachés derrière un livre ou distraits par la musique, les usagers se coupent de toutes formes de socialisation, c’est pourtant dans un bus, un métro ou un wagon de tramway que les interactions sont les plus nombreuses, mais aussi les plus infimes, « le métro est un lieu de sociabilité beaucoup plus intense que l’on croyait, mais ’infra-échanges, de tout petits échanges21 »
21
Op. Cit
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Mobilité, corps et santé Le rapport au corps et la santé est le deuxième élément qui influence les nouvelles formes de mobilité. Ceci s’observe clairement dans la montée en puissance des systèmes de vélos partagés. Vélib’ à Paris, les Vélove à Lyon ou encore les bixi à Montréal, le succès de vélo en ville n’est plus à prouver. Les usagers prennent conscience que se déplacer n’est plus forcément une fin en soit, la pratique peut devenir un plaisir ou une opportunité de prendre soin de soi, soin de son corps. Dans nos sociétés où tout bouge à toute vitesse, l’objectif est de joindre l’utile à l’agréable, de trouver des moyens efficaces pour faire deux choses à la fois. C’est probablement ce qui explique l’engouement de certains pour l’intégration du vélo, mais aussi pourquoi, pas du roller ou de la trottinette, dans les déplacements quotidiens. La conséquence pour les espaces publics est évidemment la multiplication des pistes cyclables sécurisées. En la matière, la ville de Grenoble est une experte. Mais le vélo n’est pas le seul moyen de transport actif, la marche est aussi de plus en plus valorisée et de plus en plus utilisée. Et ce sont les tous petits qui sont visés par cette nouvelle mobilité. Les études sur l’obésité chez les enfants sont alarmantes, et les associations de parents d’élèves font preuve de créativité pour encourager les enfants à bouger plus. C’est ainsi qu’est né le « pédibus », une nouvelle forme de mobilité à mi-chemin entre le bus et la marche pour amener les enfants à l’école en toute sécurité et activité. A Montréal, l’opération « mon école à pied à vélo » remporte par exemple un franc succès. Le principe est simple, après une enquête de localisation des lieux de résidence des écoliers, des arrêts et des horaires de bus sont déterminés. A la tête du pédibus un parent d’élève, ou un(e) intervenant(e) communautaire, dirige les enfants à pied le long du trajet qui mène à l’école. Les enfants peuvent rejoindre le bus seuls, ou accompagnés de leur(s) parent(s). Ce moment matinal permet aux plus jeunes de prendre des bonnes habitudes pour les déplacements de courte durée et leur permet de tisser des liens avec d’autres enfants. Accroitre les moments partagés avec ses parents, faire de nouvelles rencontres ou consolider les liens avec ses copains d’école, telles sont les opportunités offertes par ce nouveau moyen de locomotion. C’est également ce qui nous amène à une autre forme de mobilité actuelle : le covoiturage. Figure 2.7. La mobilité dans le temps
a. A Lisbonne, le tramway des temps modernes se fait encore parfois doublé par le tramway de la vieille école.
Source: P.L
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b. Arrêt de bus futuriste à Curitiba Source: blog www.projetdeville.com
Un nouveau rapport à l’autre Le covoiturage apporte une nouvelle façon d’utiliser l’automobile et de percevoir le déplacement. Alors que pour beaucoup la voiture est vue comme pratique et intime, certains individus commencent à percevoir les avantages de partager son véhicule. Parce que c’est plus économique et écologique d’une part, mais aussi parce que cela permet de renforcer les liens avec ses collègues de bureau ou de faire de nouvelles rencontres. Pour des trajets occasionnels, tout se passe sur la toile. L’usager n’a qu’à rechercher un site qui lui semble convenir, il remplit les informations selon s’il cherche ou propose une voiture, son point de départ, son arrivée et bien sûr la date du trajet. Les personnes intéressées se fixent alors rendez-vous par téléphone puis partagent ensuite route, voiture et frais. Il existe également un autre système qui réinvente le rapport ville/voiture/usager, sur le principe des vélos libre-service, certaines sociétés de voitures libre-service tentent de s’implanter. Nous pouvons par exemple citer « communauto » sur le sol québéquois. Pour bénéficier de ce service, l’usager s’inscrit, en agence ou pas Internet, il choisit le forfait le plus adapté à son besoin et à son budget. Une fois inscrit, il peut à tout moment réserver la voiture de son choix pour la durée qui lui convient. Par cette mesure, l’objectif est de permettre aux personnes vivant en centre-ville de pouvoir bénéficier des avantages de posséder une voiture (long déplacement, destination non accessible en transport en commun…) sans les désagréments quotidiens, comme le stationnement ou le trafic aux sorties de bureaux. Ce nouveau système permet de sensibiliser les individus sur l’usage de la voiture, de réfléchir à leurs réels besoins, il permet d’encourager ceux pour qui la voiture au quotidien est un luxe dont ils pourraient se passer sans en faire une privation absolue. Ces formes de mobilité ne sont pas les seuls que nous pouvons croiser, nous pourrions également citer les vélos taxi, même le pousse-pousse se modernise. Mais nous voyons ici que la façon de se déplacer se diversifie et avec elle les envies, les regards sur la mobilité. Le trajet pour aller travailler n’est plus seulement une obligation pour se rendre sur son lieu de travail, il devient une opportunité de découvrir la ville et de prendre soin de soi. Aussi bénéfique que soit cette diversité, elle représente un réel enjeu pour la ville durable et ses espaces publics, celui de pouvoir faire cohabiter tous ces modes de déplacement en minimisant les conflits ou les tensions qu’ils pourraient provoquer. Ces nouvelles mobilités ont aussi de particulier qu’elles amènent avec elles de nouveaux acteurs dans la gestion de la mobilité et l’aménagement des infrastructures. Le groupe VINCI par exemple, spécialisé dans le parking, donc dans l’immobilité, est aujourd’hui aménageur et gestionnaire d’autoroutes. Cette multiplicité d’acteurs et ses paradoxes dans la fabrication et la gestion des espaces montrent ici l’intérêt d’une plus grande coopération et d’une plus étroite collaboration entre les représentants.
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2.3.2. La multiplicité des échanges entre les différents acteurs Une des nouvelles fonctions des espaces publics réside dans l’envers du décor, dans ‘’l’avant-projet’’, dans la conception et la fabrication de ces espaces. Nous avons vu en début de chapitre que les espaces publics d’aujourd’hui impliquaient un grand nombre d’acteurs et que la place des habitants, usagers et citoyens est de plus en plus importante. Ces nouveaux acteurs ont laissé place à un nouveau processus de concertation et d’intégration de la population dans l’élaboration du projet, celui de la démarche participative. Ce nouvel élément a pour objectif premier d’optimiser le succès du projet d’espaces publics grâce à une appropriation plus rapide par les usagers. Mais c’est aussi un moyen détourné d’intensifier les échanges entre politiques et citoyens, et cet aspect à toute sa place dans notre réflexion puisque nous avons montré que dans une ville durable la sphère politique avait une certaine importance. C’est entre autres par la volonté politique que peuvent finalement se concrétiser les valeurs du développement durable. La démarche participative joue alors un double jeu. En rapprochant politiques et citoyens, elle permet aux élus d’assoir leur stratégie électorale, mais elle donne la possibilité aux citoyens de s’impliquer dans la fabrication de leur ville, d’apporter leurs compétences sur les perceptions du vécu des différents espaces, une démarche qui s’inscrit parfaitement dans la définition du développement durable donner par le rapport Brundtland22. Figure 2.8. Les transports actifs: Nouveaux rapports entre mobilité et santé .
a. Bixis à Montréal
Source: P.L
b. Pédibus à Niort.
Source: www.maif.fr
Les objectifs de la concertation En France, c’est la décentralisation qui ouvre la voie vers la démarche participative. La démarche participative pourrait être définie comme un partage de pouvoir, une recherche d’opinion commune, même si la décision finale en revient toujours aux élus et vise en réalité cinq objectifs. Le premier est celui d’enrichir le processus décisionnel, de valoriser l’action publique et de redonner une crédibilité aux projets locaux en s’adaptant au contexte local. Le 22 62
Cf. Chapitre 1
second objectif est celui de faciliter le vivre-ensemble en ville et d’encourager la démarche citoyenne. La démarche participative vise aussi à ce que la parole de tous soit exprimée afin de pouvoir mieux cerner les besoins et les attentes. Cet objectif est complété par celui de la valorisation et la mise en confiance de tous, il est important que la boulangère ou la mère au foyer se sentent en confiance et aient conscience que leur avis, leur expérience sont tout aussi importants que le patron du restaurant ou le cadre supérieur vivant dans le quartier. Enfin, la démarche vise l’équité et l’écoute réciproque, les règles sont les mêmes pour tout le monde. Aujourd’hui une telle étape dans un projet d’espaces communs semble inévitable « Aujourd’hui, tout chantier n’est plus, au départ, comme il l’était il y a dix ans. Il n’y a pas une opération d’urbanisme ou d’aménagement urbain qui ne peut pas être précédée d’une concertation très forte des habitants. Surtout, maintenant, plus aucune opération ne ressort indemne de cette concertation. On ne définit jamais un projet initial qui est celui qui sera mis en œuvre après la concertation. Il y a toujours des modifications. C’est impossible autrement parce que le monde a changé et la relation entre l’élu et l’administré a changé profondément en dix ans. Ce n’est pas très vieux, mais cela s’amplifie de jour en jour. Cette concertation est indispensable23 » C’est donc un réel débat public qui s’organise autour de la conception des espaces publics de demain. Mais la question se pose alors de savoir jusqu’où peut aller la prise en compte des résultats de ce débat dans l’élaboration du projet. Il paraît évident que même si les espaces publics sont destinés à l’ensemble des populations, les idées de tout le monde ne pourront cohabiter dans un même lieu, il est important de pouvoir faire des consensus, « gérer les dissensus 24» entre l’élu et les habitants mais pas seulement. Car tous les acteurs que nous avons cités en début de chapitre entre en scène à un moment ou à un autre dans le processus de concertation. Il est donc nécessaire de bien définir en amont du projet, mais également de recentrer tout au long de son élaboration, les rôles de chacun en fonction de ses compétences. L’exemple de Marseille sur ce sujet est intéressant. Renaud Muselier, député des Bouches-du-Rhône et vice-président de la communauté d’agglomération Marseille Provence Alpes Métropole, nous fait part de son expérience lors du colloque organisé cette année à Barcelone sur la place des espaces publics dans la ville de demain. Il nous explique, d’une part que les projets relatifs à la candidature de Marseille pour être la capitale européenne de la culture en 2013 ont été pris en charge par des professionnels de la culture pour une meilleure cohérence. D’autre part, dans le cadre de la 23 Intervention de Charles-Eric Lemagnen lors du colloque « Quelles places pour les espaces publics de demain » sur le thème : Les frontières entre public et privé pour la construction des territoires urbains, mai 2011 24 LINOSSIER R., JATON V., « Les récitants du projet urbain : territoires et temporalités » in Concerter, gouverner et concevoir les espaces publics urbains, sous la direction de M. ZEPF, presses polythechniques et universitaires romandes, 2004 63
mise en place du tramway, la concertation a bien entendu été utilisée pour mettre tout le monde d’accord sur le tracé le plus adapté au contexte local. Dans cette phase, l’expertise citoyenne est importante, elle a d’ailleurs été utilisée à bon escient et tous sont tombés d’accord sur le tracé. Pourtant, lorsque la phase des travaux a commencé, le mécontentement des usagers et des commerçants a progressivement monté. Il n’était évidemment pas question d’arrêter les travaux et les élus ont dû gérer le conflit jusqu’à la livraison du tramway. « Globalement, nous avons tué 25 % des commerces en deux ans, mais ceux qui sont morts seraient morts en cinq ans [… ] Pendant six mois, les habitants ont réalisé ce qui se passait. Il y avait le flux des gens qui traversaient leur quartier, mais qui n’étaient pas enterrés. Les habitants récupéraient un espace dans lequel des arbres étaient plantés, des oiseaux chantaient, les voitures étaient enterrées et dans lequel ils pouvaient faire du vélo sur les pistes cyclables aménagées. Une ville apaisée. Cela dit, auparavant, le combat politique n’était pas apaisé. » Une fois la phase des travaux amorcés, l’opinion citoyenne n’est pas dénuée d’intérêt mais, dans ce cas, celle des spécialistes économiques a permis d’anticiper les conséquences d’une telle opération sur la vie commerciale des zones concernées. Notre élu poursuit sa présentation en mettant l’accent sur l’importance de transparence du projet mais aussi sur le fait que pour qu’un projet réussisse il faut qu’il soit compris par les destinataires.
Le brouillage de la frontière public/privé Mais la complexité du jeu d’acteurs ne se résume pas aux élus, techniciens et citoyens, de nouveaux partenariats viennent eux aussi intensifier les échanges autour des projets d’espaces publics, celui de la collaboration publique/privée. C’est le cas par exemple du projet d’aménagement de halte répit dans un quartier de Montréal. En effet, la Table de concertation de Solidarité Mercier-Est s’est lancée depuis quelques années dans une démarche de revitalisation urbaine intégrée (RUI) qui s’efforce à redynamiser l’artère commerciale du quartier Mercier-Est par divers projets. Un des derniers projets est celui de l’aménagement de deux petites places publiques sur l’avenue Hochelaga. Mais ce projet est particulier et illustre bien la complexité de faire collaborer des acteurs de niveaux et d’horizons différents. Les deux places se situent sur des terrains privés, la première à l’avant de la Maison de jeunes du quartier, le deuxième sur le côté d’un opticien et commerçant en lunettes. La Table de concertation joue elle le rôle de maître d’œuvre, c’est elle qui a pensé le projet, trouver les propriétaires, obtenu les accords de la Ville de Montréal et de l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, développer le mobilier avec une entreprise privée puis passer un accord sur les espaces verts avec l’association spécialisée dans le quartier. Au final, à travers divers accords et contrats, nous obtenons deux places publiques sur des terrains appartenant à des propriétaires privés, qui ont en charge l’entretien du mobilier tandis que l’association YQQ s’engage à entretenir les arbres et plantes pour une durée de deux ans, passant ensuite le relai aux propriétaires.
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Chaque acteur s’est donc vu attribuer un rôle particulier qu’il s’est engagé à tenir pour une durée indéterminée. Si toutefois le propriétaire souhaite se désengager, il a la possibilité de le faire, sa seule obligation est de laisser la possibilité à la Table de concertation de racheter le mobilier pour la somme symbolique de 1$. Nous sommes ici dans un cas particulier à la Ville de Montréal qui n’est pas encore visible en France où un propriétaire privé, commerçant ou acteur de la vie communautaire du quartier, devient seul gestionnaire d’un espace public. La frontière entre public et privé n’a jamais été aussi floue que dans ce cas, et pourtant le citoyen n’a jamais été aussi impliqué dans le processus de conception. L’avenir nous dira si cet exemple est à suivre ou pas.
2.3.3. Les espaces publics comme support des transformations. Dans le premier chapitre nous disions que le développement durable était avant tout un processus, qu’il s’accompagne nécessairement d’une transformation progressive mais profonde des sociétés actuelles et du comportement des individus. Nous avons également vu que les espaces publics sont le lieu privilégié où s’expriment les différents comportements individuels et collectifs. Comment ces espaces publics peuvent-ils se faire le support de ces transformations ? Comment cela se traduit-il ? C’est à travers les nouvelles fonctions des espaces publics de demain que nous pourrons expliciter l’interrelation entre les formes des espaces publics et les transformations sociétales.
Le cercle vertueux du changement. Nous avons exposé diverses fonctions des espaces publics contemporains (mobilité, renforcement du lien social, support culturel…) mais il existe également des fonctions moins physiques, plus implicites. Par son adaptation aux changements sociaux, les espaces publics participent à les renforcer. Nous avons parlé des modes de déplacement et des nouvelles formes de mobilité. Celles-ci influencent le processus de fabrication des espaces publics ce qui contribue à leur donner de nouvelles formes. Mais ces nouvelles formes encouragent à leur tour le développement de nouveaux comportements par un plus grand nombre d’individus. Ainsi, l’amélioration et la multiplication des pistes cyclables entraineront un accroissement du nombre de cyclistes qu’il est important d’anticiper pour répondre au mieux aux besoins en termes de qualité et de quantité d’infrastructures. Nous voyons ici que finalement, pour penser les espaces publics de demain il ne suffit pas de se baser sur l’état actuel de la situation, l’enjeu est de pouvoir prévoir ce que sera la situation après demain. D’autre part, les espaces publics se font aujourd’hui amplificateur des changements de modes de vie et des progrès techniques. L’avènement de l’Internet entraîne par exemple les villes à se doter de bornes Wifi dans leurs espaces extérieurs. Pourtant, si on considère les espaces publics comme des lieux favorisant le lien social, mettre en place un dispositif permettant à
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l’usager de s’enfermer dans sa bulle derrière Internet peut paraître paradoxal. L’accentuation des transformations sociales des espaces publics s’observe très bien si nous regardons les nouveaux comportements sous l’angle de la santé. Nous avons déjà parlé du nouveau rapport au corps avec l’émergence du pédibus et la réapparition en force du vélo en ville. Mais la santé est devenue un enjeu majeur pour penser la ville de demain. A travers le partage de la rue, les démarches d’agriculture urbaine, la plus grande place accordée aux produits biologiques dans les marchés et supermarchés (que nous considérerons ici comme un espace public particulier), les espaces publics deviennent des supports de communication véhiculant les bonnes pratiques pour vivre mieux. Les saines habitudes de vie s’installent peu à peu dans le quotidien d’un nombre croissant d’individus. Utiliser son vélo pour aller travailler s’accompagne maintenant d’un mode de vie basé sur l’exercice physique et une meilleure attention portée sur son alimentation ce qui crée de nouveaux besoins en terme d’aménagement et accessibilité à des infrastructures récréo-sportives et des jardins collectifs.
Changer les pratiques de conception Nous avons enfin beaucoup parlé des nouveaux processus de fabrication des espaces publics et de la prise en compte de la multiplicité d’usages plus importante. Il est intéressant de présenter la vision de la Ville de Paris sur ce sujet à travers l’expérience de Paris plage. Les acteurs ont ici choisi de procéder à l’inverse en créant un espace entièrement dédié aux piétons, ouvert à toutes propositions d’animation de la part d’acteurs publics ou privés : « Prendre le lieu tel qu’il sera une fois que l’on aura enlevé les voitures et petit à petit, ce sera l’événementiel qui fera projet, au fur et à mesure des années, et qui en construira les usages.25 » L’avantage de cette démarche est que l’on est sûr de n’exclure personne, en tout cas au départ. Mais le risque est de voir apparaître une cacophonie d’usagers et de groupes sociaux qui entrainerait finalement un rejet de l’espace par les usagers. A l’inverse, le contrôle nécessaire à une telle ouverture d’espace (et d’esprit) peut mener à une idée trop particulière de la part des concepteurs qui refuseraient alors certains projets, ce qui nuirait au principe de base de diversité d’usage dans un espace donné. Mais le concept mérite peut être réflexion et de mûrir un peu. Nous sommes dans une société en constantes mutations, créer les espaces publics par l’événementiel, laisser dans un premier temps aux usagers et aux acteurs culturels la possibilité de s’approprier l’espace, de lui donner une identité pour ensuite la renforcer par un aménagement adéquat pourrait s’avérer efficace.
25 ROL-TANGUY F., intervention sur le thème « Quelle gouvernance des espaces publics ? » lors du colloque « Quelle place pour les espaces publics de demain ? », organisé par la Fabrique de la cité en mai 2011 à Barcelone. 66
C’est ici que nous concluons ce deuxième chapitre. Notre analyse montre qu’aujourd’hui les espaces publics sont les lieux physiques de l’Espace public métaphorique. La récente actualité sur les pique-niques organisés via Facebook dans de grandes villes en France, en est un parfait exemple. Les habitants d’une même ville sont reliés de manière virtuelle à travers Internet où ils communiquent. C’est sur la toile que la date et le lieu de rendez-vous est fixé, mais ce rendez-vous lui a lieu dans un endroit bien réel. Nous ne reviendrons pas sur les débordements qui ont fait la une des journaux, mais nous retiendrons que malgré la montée en puissance des réseaux sociaux sur Internet, les espaces publics auront toujours lieu d’exister. Simplement, ils se transforment, s’adaptent à tous les niveaux. Aujourd’hui plus que jamais les individus font la ville, d’une part parce que ce sont eux qui utilisent les espaces, les équipements, les infrastructures mais également parce qu’avec l’avènement de la gouvernance participative ils se placent au cœur du processus de fabrication. Mais ils ne sont pas les seuls nouveaux acteurs, les associations, les artistes, les médiateurs… font eux aussi partie de l’équipe. Une équipe qui en grandissant montre bien les diversités et toute la complexité d’espaces, qui à l’échelle de la ville, ne sont pourtant pas si grands. Leur adaptation passe également par l’intégration des principes du développement durable. Nos espaces publics seront maintenant plus verts, plus naturels dans le sens où nous utiliserons au maximum l’eau et les énergies renouvelables. Ils seront aussi partagés entre les usagers favorisant équité et accessibilité sociale. Les nouveaux enjeux seront donc directement liés aux transformations de la société à travers les nouvelles mobilités qu’il faudra faire cohabiter. De nouvelles mobilités qui traduisent aussi un nouveau rapport à la ville puisque les motifs de déplacement sont en pleine mutation, la part des destinations liées aux loisirs augmentant progressivement. La concertation et le brouillage entre le public et le privé entrainent de nouveaux enjeux dans le faire-ensemble. Les gares et les centre commerciaux sont par exemples des espaces qui attirent de plus en plus l’attention. Propriétés privées en continuité de la ville et des espaces publics, ils se doivent de s’adapter tout autant que ces derniers dans leur offre de service alors que celle-ci émane d’acteurs privés. C’est finalement l’interrelation entre ville et société qui est mise en lumière par l’avènement de la ville durable. A l’image de la poule et de l’œuf nous sommes en droit de nous demander qui de la société ou des espaces publics influence l’autre. La réponse la plus juste en réalité réside dans la compréhension du processus selon lequel la forme, les fonctions et les enjeux de l’espace public sont influencés par les usages et les mutations de nos sociétés, mais ces transformations globales étant également véhiculées par les espaces publics elles se répercutent sur les comportements sociaux en les amplifiant. Ainsi à travers les progrès techniques et technologiques, la diversification des moyens de communication, la conjoncture économique, les préoccupations écologiques, de nouveaux besoins se formulent qui créent une certaine demande en termes d’espaces, de services et de qualité, et l’offre répondant à cette demande contribue à accroître les besoins et en faire apparaître de nouveau
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Chapitre 3
New York City, une ville durable?
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Considérée comme la capitale du monde par Saskia Sassen1, nous connaissons la ville de New-York pour ses taxis jaunes s’agglutinant dans les embouteillages, Times Square donnant l’impression d’une ville qui ne dort jamais ou encore central parc, certainement l’un des plus grands parcs artificiels au monde. A première vue, New-York n’a rien de durable, elle est loin de s’intégrer dans le calme et le respect de l’environnement que nous venons de décrire. Et pourtant, ville en continuelle transformation, l’administration Bloomberg vient d’inaugurer un des projets les plus innovants de ces dernières années, celui de la reconversion d’une ligne de chemin de fer abandonnée en promenade urbaine suspendue. La High Line que nous allons découvrir n’est pas le seul projet ‘’vert’’ entrepris par la ville de New York, nous parlerons également du projet de « Greenway » en cours de réalisation, ou du « Greenlight for Midtown Project » qui fait déjà le bonheur des new yorkais.
3.1. The New-York City High Line
Située sur la côte est des Etats-Unis dans l’Etat de New York, la ville est composée
de cinq arrondissements : Manhattan qui contient le centre des affaires dans le comté de New-York ; Brooklyn, célèbre pour le Brooklyn Bridge dans le comté du Kings ; le Queens qui abrite l’aéroport JFK dans le comté du même nom ; le Bronx où l’on trouve le Yankee stadium dans le comté du Bronx, et enfin l’arrondissement Staten Island, île appartenant au comté de Richmond. Les comtés de la ville de New York sont particuliers car ils sont directement dépendants de l’autorité municipale, contrairement aux autres états où les comtés sont indépendants. Même si elle n’est plus depuis longtemps la capitale des Etats-Unis, New York en reste la ville la plus peuplée, au dernier recensement de 2010 elle comptait 8 175 133 habitants tandis que son aire urbaine recense 22 232 494 habitants en 2011, la plaçant au 4ème rang mondial2. La superficie totale de la ville de New York est de 1 214 km2 mais seulement 785 km2 sont des terres émergées, le reste représente les eaux qui entourent les différents arrondissements. C’est Michael Rubens Bloomberg qui est aujourd’hui, et depuis 2002, à la tête de la ‘’Big Apple’’. Ses ambitions environnementales sont à la hauteur de la métropole. A travers le Department of Environnement (DEP), la ville s’est fixée pour objectif de réduire de près de 30% ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030. Notons à ce sujet qu’alors qu’elle est la ville la plus peuplée des Etats-Unis, elle ne représente que 1% du rejet de GES des américains. Phénomène qui s’explique par le fait que les new-yorkais sont de grands utilisateurs de transports en commun, près de la moitié d’entre eux ne possèdent pas de voitures. New York est également connu pour les attentats du 11 septembre 2001 qui aura détruit les tours les plus hautes du monde. Le mémorial en construction témoigne du souci
1 SASSEN S., « New York reste la capitale du monde », Alternatives internationales, n° 4, sept-oct 2002. 2 http://www.populationdata.net/index2.php?option=palmares&rid=4&nom=grandes-villes, consulté le 15 Août 2011.
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constant d’évolution que montre la ville puisqu’il est prévu que près de 20% de son énergie soit produite par éoliennes. Il n’est finalement pas étonnant de voir que l’un des projets les plus novateurs en matière de développement urbain durable ait pris place au cœur de Manhattan. Figure 3.1: Carte de New York
Source: Américan number plates
3.1.1. Le site. Comme son nom l’indique, le site de ce parc urbain est quelque peu atypique puisqu’il s’agit d’une ligne aérienne de voie ferrée. Construite dans les années 1930 par la New York Central Railroad, les trains qui s’y sont succédés ont eu diverses fonctions. A l’origine, elle fut pensée pour limiter la congestion urbaine en retirant des routes de Manhattan le transport des marchandises dangereuses. Plus tard, ce sont les trains d’approvisionnement en produits frais (lait, viande…) qui circulaient le long de la voie pour réapprovisionner les entrepôts frigorifiques des usines qui se trouvaient alors surélevés. En 1980, les trains cessent de circuler et la voie est laissée à l’abandon, les plantes et herbes sauvages l’envahissent progressivement. Longue de 2,3 km, la High Line traverse aujourd’hui vingt-deux îlots répartis sur trois quartiers chics de l’Ouest de Manhattan localisés dans un secteur anciennement à vocation industrielle. Son départ se situe sur Gansevoort Street dans le Meatpacking district, quartier résidentiel aux allures bohèmes de New York. Elle traverse ensuite le quartier de Chelsea, en pleine restructuration aujourd’hui. Historiquement il abritait un bon nombre des abattoirs de la ville ce qui lui donnait une mauvaise image. Mais depuis les années 1990, ceux-ci sont rachetés et remplacés par des galeries d’art contemporain faisant de Chelsea un des nouveaux quartiers à la mode sur l’île de Manhattan. Le dernier tronçon de la High Line (pas encore réaménagé) fini sa course dans le quartier de Clinton Hell’s Kitchen qui se trouve être un des quartiers préférés des New Yorkais et des touristes, et où l’on trouve de nombreux studios de télévision ou d’enregistrement (CBS
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Broadcast Center, les Sony Music Studios…). Nous comprenons ici aisément que cette vieille infrastructure abandonnée se laissant envahir par une végétation non structurée n’était plus vraiment la bienvenue dans le paysage. Malgré quelques propositions de projets architecturaux, l’ancien maire de la ville, Rudolph Giuliani avait affirmé sa volonté de la détruire. Mais dans ce coin de la ville où résident beaucoup d’artistes et où règne une ambiance bohème, habitants, commerçants, politiciens et membres de groupes communautaires et culturels se sont rassemblés en 1999 autour de l’association « Friends of the High Line » (FHL) pour s’opposer à sa démolition. Ils proposent à la place sa reconversion, mettant en valeur le fait que le site offre un point de vue unique sur l’Hudson River, les différents quartiers qu’ils traversent et les entrepôts. Pour eux,la High Line représente un élément du patrimoine culturel dont ils ne souhaitent pas se séparer. Cette infrastructure faite d’acier et de béton armé s’étend sur une superficie totale d’environ 23 000 m2 à aménager, sa largeur varie entre 9 et 18 mètres pour une hauteur allant de 5,5 à 9 mètres. Elle constitue pour certains une barrière urbaine d’un point de vue paysager, et un obstacle au développement des quartiers qu’elle franchit ne pouvant accueillir guère autre chose que ce que l’on trouve déjà en dessous à savoir des stationnements, des ateliers de réparation de voitures ou des entreprises de redistribution alimentaire. C’est pourtant la voix de la conservation du patrimoine industriel qui sera entendue puisqu’en 2004, l’administration Bloomerg, actuel maire de New York, annoncera officiellement le projet de réaménagement de la High Line. Cette nouvelle promenade urbaine au-dessus de la ville de New York est aujourd’hui un des nouveaux sites touristiques privilégiés par les visiteurs. Figure 3.2: Localisation de la High Line
Source: www.thehighline.org
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3.1.2. Les acteurs du projet. La première partie de la High Line a été inaugurée en 2009, le deuxième tiers à ouvert en juin 2011, la troisième portion n’est même pas encore commencée. Pourtant ce parc suspendu au-dessus de New York est déjà un succès international. Qui se cache derrière un tel phénomène ? C’est ce que nous allons voir maintenant. Au plus haut de l’échelle des acteurs nous retrouvons, conformément à ce que nous avons vu dans le chapitre précédent, un décideur : la ville de New York. Aux Etats-Unis, la ville de New York bénéficie d’une grande autonomie, le conseil municipal édicte les lois et les règlements locaux. Le maire et son administration dirigent, entre autre, tout ce qui a attrait aux services de la ville, aux propriétés et organismes publics, aux exploitations et au développement économique et reconstruction. Depuis 2002, c’est l’homme d’affaire Michael Rubens Bloomberg qui est donc à la tête de la ville. D’abord démocrate, c’est en tant que républicain qu’il est élu pour la première fois, avant d’être choisi à nouveau sans étiquette politique en 2007. Ce personnage haut en couleurs n’a donc pas hésité devant le potentiel du projet présenté par les résidents. Dès la première année de son élection il apporte son soutien au projet de réutilisation de la ligne suspendue. En 2005, la compagnie de chemin de fer new yorkaise cède à la ville les deux premières portions de la High Line, la troisième est en cours d’achat. Au total la ville a pour l’instant investi près de 43,5 millions de dollars dans le projet dont le budget total est estimé à 60 à 100 millions de dollars. C’est donc la ville qui a pris la décision de reconvertir plutôt que démolir l’infrastructure, elle soutient financièrement et juridiquement le projet, mais c’est un réel partenariat avec l’association Friends of the High Line qui s’est mis en place. En 1999, les rumeurs de démolitions se font de plus en plus fortes, des partisans se sont rassemblés, la High Line est pointée du doigt comme un obstacle au développement des quartiers traversés qui s’embourgeoisent. Cette infrastructure à l’abandon fait un peu tâche dans le paysage. Deux résidents, Joshua David et Robert Hammond, décident alors de monter une association pour la préservation de cette infrastructure qu’ils considèrent comme un élément historique de leur quartier et pour laquelle ils visent le renouvellement plutôt que l’effacement. Ils sont rapidement rejoints par les résidents, les commerçants, certains professionnels et politiques ainsi que quelques groupes communautaires et culturels, tous souhaitant ne pas voir disparaitre la ligne de chemin de fer qu’ils voient comme appartenant à l’histoire des environs. En 2001 et 2002, ces Friends of the High Line vont travailler en collaboration avec l’association Design Trust of Public Space. Cette dernière offrira une bourse à l’architecte Casey Jones pour travailler à la conception du projet de parc public aérien et mener des opérations de sensibilisation dans le quartier. Les deux associations mèneront conjointement des études de planification qui conduiront à un cadre de conception du projet. Parallèlement à cela, les Friends of the High Line démontreront que les recettes fiscales potentiellement générées par un tel projet en font une ambition économiquement rationnelle. Aujourd’hui, l’association a gagné la première bataille, celle de reconvertir la voie de chemin de fer en un parc urbain innovant 74
et attrayant. Mais le combat n’est pas terminé les quelques 70 membres de l’association sont maintenant en charge du maintien de la qualité du site et de sa durabilité. Elle a donc en charge la sensibilisation, l’animation mais aussi une partie de l’entretien du site. Enfin, c’est également elle qui œuvre à l’organisation de levées de fonds et contribue ainsi à financer près de 70% du budget annuel pour l’entretien de l’espace vert. Mais le parc de la High Line reste un espace public, une association sans but lucratif ne peut assurer seule son entretien, c’est pourquoi dans cette activité elle est appuyée par le New York City Department of Parks and Recreation. Le département des parcs et loisirs est rattaché à la ville mais il représente bel et bien un acteur à lui seul. Quelques 14% de la surface de New York est dédiée aux parcs et loisirs et le département est le principal fournisseur en termes d’installations récréatives et sportives. C’est également lui qui est en charge des animations par l’organisation de festivals, de concerts gratuits ou encore d’évènements sportifs internationaux. Organisée en plusieurs divisions, cette unité est sur tous les fronts. Le département gère notamment l’immobilisation des parcs existants en recherchant constamment leur amélioration et si besoin leur refonte et reconstruction. Il aide également à l’implantation de commerces ou entreprises, les recettes générées dans les parcs publics sont d’ailleurs considérées comme des concessions. C’est aussi lui qui vise à encourager la participation citoyenne et la revitalisation des quartiers par la création et la gestion de jardins communautaires dispersés dans les différents quartiers de la ville. Défenseur de l’Histoire de New York, l’une des divisions est consacrée à la supervision des lieux historiques comme par exemple les musées. Engagé dans le développement durable, un groupe de ressources naturelles veille à leur implantation au développement de programme de gestion pour leur protection. Enfin, le service des parcs urbains s’occupe de la réglementation, de l’éducation, de la conservation et de la sécurisation des espaces verts3. Nous pouvons donc voir ici que le département des parcs et loisirs de la ville de New York est un appui certain pour la survie du parc, l’équipe qu’il forme avec les Friends of the High Line est certainement l’une des clés du succès si rapide que connait le parc aujourd’hui.
Mais il nous reste une dernière catégorie d’acteurs à aborder, celle des bâtisseurs. Car même si l’association réunit un bon nombre de personnes sans qui le projet n’aurait pu voir le jour, c’est aussi grâce aux architectes et paysagistes qui ont planché sur le sujet qu’il a la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. Pour concevoir le projet de transformations de la High Line, ‘’ses amis’’, en collaboration avec la ville, ont organisé un concours de design international. Le défi lancé était le suivant : « Nous mettons au défi les concurrents de créer des visions fascinantes pour un nouvel espace public urbain sur 1,5 miles de l’infrastructure existante de New York. L’initiative est de mettre en valeur la High Line face aux obstacles politiques, juridiques et financiers. 3
Pour plus d’informations : http://www.nycgovparks.org/index.php, consulté le 17 août 2011
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Les concurrents peuvent jouer un rôle essentiel pour surmonter ces obstacles en proposant conceptions captivantes qui feront avancer le processus et sensibiliseront le public sur le potentiel unique de la High Line. Ces visions novatrices démontreront comment la ligne peut être transformée en profondeur, au profit de New York et les générations futures.4 » Ce concours organisé en 2003 a été remporté par l’équipe d’opération James Field Coin et le bureau Dillier Scofido + Renfo qui se voient offrir le mandat du projet en 2004. L’architecte paysager et designer urbain James Field est sorti chef de projet de ce concours. A la tête de son équipe, il a conduit le projet de la conception à l’agencement en passant par la gestion, la coordination et l’administration de la construction. Fondateur de la James Fiel Coin, composée d’une trentaine de professionnels de l’urbain, il est également professeur d’architecture paysagère à l’université de Pennsylvanie. Son travail a été récompensé tout au long de sa carrière, il a notamment reçu l’award d’excellence en design de la commission des arts de New York City en 2005 et le Dimler-Crysler award in design innovation en 20005. Pour le projet de la High Line il a travaillé en collaboration avec le groupe Diller Scofido + Renfro6, un studio interdisciplinaire de design qui travaille en architecture, en arts visuels et permanents. Cette équipe compte 70 architectes, artistes et administratifs et se trouve à New York. Ainsi, tandis que la première équipe s’est appropriée le projet sous un angle plus technique, ce seconde groupe est venu le renforcer en y apportant des touches plus artistiques. Nous sommes donc devant un projet intéressant tant sur le point historique, visuel, urbanistique que sur son élaboration. Ce projet se démarque sur bien des points, son côté audacieux d’une part, car si on s’inspire facilement d’éléments d’époque révolue, il est plus difficile de les accepter dans toute leur matérialité. Mais c’est aussi son aspect bottom-up qui fait la différence, il reste relativement rare que des projets d’une telle envergure soient à la base portés par une association de résidants et de commerçants.
3.1.3. Histoire et mise en œuvre de la High Line. Nous l’avons saisi, l’histoire de la High Line, du moins de sa reconversion, commence dès 1980 lorsque le trafic de train cesse de fonctionner. La création de l’association Friends of the High Line en 1999 aura atteint son objectif de sauvegarde de cette infrastructure considérée par beaucoup comme faisant partie du patrimoine. Elle échappe en 2002 à la démolition grâce à l’appui du maire pour cette cause. Le concours international organisé en 2003 sera finalement remporté par deux firmes new-yorkaises, cette fois le projet est bel et bien sur les rails. En 2005, la ville se voit nouvelle propriétaire de l’infrastructure mais elle s’engage auprès de la CSX transporation à conserver le caractère linéaire de l’infrastructure, en cas d’une possible reprise de l’activité. 4
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Designing the High Line, the challenge on http://www.thehighline.org/competition/original/index. html#ov1, consulté le 17 Août 2011. 5 Informations recueillies sur le site : http://www.fieldoperations.net/, consulté le 17 août 2011 6 Pour plus d’informations sur l’association: http://www.dsrny.com/, consulté le 17 Août 2011
Figure 3.3: Histoire de la High Line
Avant la High Line
Construction
En opération
En 1994
Source: www.thehighline.org
C’est en 2006 que l’aventure commence physiquement, inspirés par Paris et sa coulée verte, les architectes ont travaillé dur à l’intégration de ce parc linéaire suspendu dans le paysage new yorkais. Le départ du premier tronçon commence sur Gransevoort streets et s’arrête audessus de la 20ème street. Pendant près de deux ans, des sections de rails seront enlevées et stockée, le sol recouvert de planches de bois, la végétation réaménagée, le mobilier discret, en prolongement du sol, sera installé et l’éclairage réglé (cf figure 3.2). La première partie du parc est ouverte au public depuis le 9 juin 2009. Le travail a continué sur la deuxième partie conservant le même cadre de planification, les mêmes caractéristiques architecturales et végétales pour une meilleure cohérence. Le deuxième tiers est accessible au public seulement depuis le 8 juin 2011, mais déjà touristes et new yorkais attendent avec impatience le levé de rideau sur la partie finale dont la date d’achèvement n’est pas encore communiquée. « Keep it simple, keep it wild, keep it quiet, keep it slow 7», tels sont les principes du projet. Le trajet reste « simple » par l’utilisation d’un mobilier discret, qui se fond dans le sol et qui utilise des matériaux naturels, un mobilier sans extravagance mais qui offre simplement aux promeneurs diverses opportunités de s’asseoir et d’observer. L’observation peut se faire vers la High Line elle-même, mais le piéton est aussi spectateur de ce qui se passe en dessous et autour de lui. L’éclairage des portions couvertes a lui aussi été pensé en toute simplicité, même si les architectes se sont octroyés le droit à la couleur, ce sont des néons bleus et jaunes qui offrent un éclairage respectueux de l’environnement et une lumière douce. Une promenade « sauvage » car ce qui caractérise ce projet de High Line c’est le souhait des architectes de conserver la végétation qui s’était emparée du site. Elle a certes été maîtrisée pour laisser place aux promenades, mais c’est le côté mélancolique des plantes sauvages qui avaient inspiré les architectes paysagistes qui ont décidé de les conserver et même de les renforcer avec la plantation de plantes aborigènes. Un côté sauvage apporté également par la présence de l’eau dans la deuxième partie du site, sur quelques mètres le promeneur est amené à retirer ses chaussures pour se rafraîchir jusqu’aux orteils. Cette « agri-tecture » contribue à transformer cette infrastructure industrielle en instrument de loisir moderne, en y intégrant tous les éléments de la nature. 7 BIRKS K., “The High Line: Heightening the Senses”, for D-Crit course Architecture and Urban Design Criticism, 2009. 77
Garder un endroit calme au-dessus du chao de la ville de New York, voici un autre objectif qu’ont tenté d’atteindre nos bâtisseurs. Par sa position surélevée et la densité de sa végétation, les bruits de la ville sont atténués, les piétons bénéficient ainsi d’un réel oasis de fraicheur en échappant aux contraintes du centre-ville, tout en restant pourtant au cœur de celui-ci. Un calme possible également dans les recoins de la balade offerts par l’aménagement d’endroits plus intimes, en retrait derrière bosquets et tonnelles fleuries. Un calme qui va d’ailleurs de pair avec la lenteur voulue sur le site. La High Line n’est accessible qu’aux piétons, plusieurs accès sont aménagés par des escaliers ou des ascenseurs pour les personnes à mobilité réduite. Le parcours est étroit, il n’y a pas de place pour les gens pressés. Une lenteur qui contraste parfaitement avec les courants de l’Hudson et la frénésie des voitures sous la voie. Voici donc les caractéristiques de ce site peu banal. Herbes sauvages, reliefs, terrasses, recoins, rien n’est laissé au hasard chaque mètre carré a été pensé pour donner une expérience toujours nouvelle aux promeneurs. Parfois spectateur du flot de voitures circulant sous ses pieds, parfois caché derrière la végétation ou en tête à tête avec l’ Hudson River, le promeneur ne ressort certainement pas déçu. C’est un nouveau regard sur la ville de New York et ses quartiers qui sont offerts et une place de premier choix au spectacle de son évolution. La chorégraphie des « espaces paysagers en accord avec chaque tronçon de la ville traversé 8» permet de marier nature, culture, intime et social dans un seul et même lieu. Ce projet illustre donc bien l’évolution de la notion de patrimoine, mais aussi de culture dont nous parlions dans les chapitres précédents. La notion de culture s’élargit, faisant place aux phénomènes plus récents dans notre société comme celui de la désindustrialisation, qui laisse pourtant de nombreuses friches industrielles offrant un réel potentiel de renouvellement. Cette réhabilitation fonctionnelle remplit deux objectifs : celui de mettre en avant le patrimoine culturel de l’Ouest de New York et de lui donner une nouvelle fonction sociale, contribuant en plus, à offrir une nouvelle identité culturelle en adéquation avec les mutations actuelles dont nous avons déjà parlé (embourgeoisement…).
Figure 3.4: La construction du parc de la High Line
Source: www.thehighline.org
8 VIEIRA E., “La magie des paysages new-yorkais », article publié dans Le Devoir, le 5 Juin 2010 78
3.2. La High Line, élément d’une ville durable ? Un projet jeune de deux ans et déjà un succès internationalement reconnu et cité comme l’un des projets de parcs « le plus passionnant depuis des générations 9». A l’heure de la ville durable, un projet d’espace vert aussi grandiose que celui-ci, qui plus est dans une ville américaine, ne peut qu’être considéré comme l’exemple parfait du développement durable. Mais quels en sont les réels impacts sur l’environnement, le social et l’économique ? Certes, le projet n’est pas encore achevé, il est donc difficile de le mesurer mais à travers les premiers constats, nous pouvons tirer de premières conclusions.
3.2.1. Les impacts environnementaux. Nous sommes ici face à ce qu’on appelle aujourd’hui une infrastructure verte. Elle s’insère dans un nouveau réseau vert alliant nature au sol, comme central parc, et technologie de végétalisation comme les toits et façades de la ville minérale. Le besoin croissant (et criant) d’insérer la biodiversité dans nos milieux urbains place les infrastructures vertes au cœur de problématiques de planification. La High Line de New York s’inscrit dans la durabilité aussi bien au niveau de sa conception que celui de son entretien. Ses concepteurs l’ont pensée comme un modèle, un exemple pour les villes du monde, d’interpénétration entre la ville et la nature.
Un projet à la pointe de la technologie. Dans sa conception, rien n’a été laissé au hasard pour faire de cette promenade un véritable laboratoire urbain pour la biodiversité. « Nous aimons penser la High Line comme un projet de recyclage sur 2,3 km » nous confient les membres de Friends of the High Line sur leur site dédié au projet10. Le recyclage est bien la base du concept puisqu’ils ont recyclé une voie ferrée en jardin suspendu. La végétation ayant pris le pouvoir durant toutes ces années d’abandon, c’est elle qui a inspiré le design du projet. Les caractéristiques du site ont été conservées au maximum, une étude poussée des formes urbaines a préalablement montré que des microclimats s’étaient formés en fonction de l’environnement urbain. Là où le bâti environnant est assez haut et dense pour protéger du vent, la végétation est laissée plus étoffée et l’eau insérée. Dans les zones plus exposées, les plantes résistant à la sécheresse sont implantés et la place au mobilier et planches de bois est plus importante. Ainsi, tout au long des étapes de construction, les acteurs ont tenté de faire les choix les plus durables possibles. Merveille de technologie, la High Line a été pensée sur les mêmes principes qu’un toit vert, c’est un toit vivant qui surplombe aujourd’hui le Meatpacking district de la ville de New York. Les matériaux ont été choisis de façon à limiter les coûts d’entretien mais aussi pour leur durabilité,
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Citation de M. BLOOMBERG utilisée et traduite dans l’article: “NEW YORK : NOUVEAU PARC HIGH LINE” pour http://newyorkcity.blogs.sudouest.fr, consulté le 17 Août 2011 10 http://www.thehighline.org/, consulté en Août 2011 79
l’acier et le béton ont donc été privilégiés. Le bois utilisé pour les planches de la promenade provient d’une forêt aménagée, dont la durée de vie est estimée à 100 ans, et gérée spécialement pour la construction. Un système de drainage sous le plancher permet de récupérer les eaux pluviales qui ne sont pas absorbées par la végétation, et les conduit directement dans le système des égouts de la ville, limitant ainsi leur écoulement et leur pollution. Le sol incorpore aussi un système de régulateur de vitesse pour l’écoulement des eaux afin de maitriser plus facilement leur déversement. Pour l’éclairage, l’efficacité énergétique est de mise, la technologie LED (Light Emitting Diode) est utilisée réduisant ainsi la hausse de température sur le site. L’eau utilisée pour animer, rafraichir et embellir le site est gérée en circuit fermée, toujours dans une logique de recyclage.
Un entretien durable. Mais cette infrastructure verte s’inscrit surtout dans la durabilité de par son intégration dans le quartier et surtout à travers son entretien. Ici aussi tout, ou presque, a été pensé. Pour limiter les coûts d’importation et de remplacement mais aussi pour favoriser la production locale, l’ensemble des arbres et des plantes utilisées proviennent de producteurs locaux. La stratégie est de miser sur des plantes cultivées localement qui seront logiquement plus aptes à s’implanter ensuite sur la High Line qui sera un environnement familier. Dans l’ensemble, les matériaux utilisés pour l’aménagement du site proviennent autant que possible de producteurs situés dans un rayon de 160 km. Ce choix permet de faciliter l’entretien et de s’inscrire plus profondément dans une action locale. Pour l’entretien, les options considérées comme les plus durables et les plus respectueuses de l’environnement ont été choisies. Ainsi, pour l’arrosage, le système s’adapte au cas par cas. Pour les zones densément végétalisées, l’arrosage au goute à goute vient compléter le ruissellement des eaux de pluie. Dans les zones plus arides, l’arrosage à la main est privilégié dans les périodes de fortes chaleurs durant lesquels les épisodes pluvieux ne suffisent pas. Ce sont donc les jardiniers qui, en fonctions de leurs connaissances sur les plantes et du climat, jugent de l’arrosage nécessaire, le gaspillage d’eau est ainsi évité. L’utilisation de pesticides est prohibé autant que possible, les méthodes d’horticultures sont utilisées pour lutter contre les maladies et des pesticides naturels sont exploités si besoin est. En ce qui concerne le déneigement, compte tenu de la configuration du site, les machines de déneigement sont bien entendu exclues. L’association en charge du site a également choisi de bannir toute solution chimique contre la neige. Le déneigement se fait donc à la main par les bénévoles, et en cas de gros épisodes neigeux, un produit naturel de déglaçage est prévu. Nous voyons ici que rien a été laissé au hasard pour faire de ce site une réelle expérience écologique tant dans sa conception que dans son entretien. Mais il reste un dernier objectif durable visé par le projet, celui de la sensibilisation. Elle passe notamment à travers les diverses activités qui sont proposées par les membres (visites guidées, cours sur la biodiversité…). Mais les entreprises autour sont également invitées à changer
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progressivement quelques-unes de leurs habitudes en rejoignant les amis de la High Line sur quelques comportements. C’est le cas à travers le compostage. Pour entretenir les plantes de manière la plus naturelle possible, les jardiniers fabriquent du compost avec les déchets du site. Cette démarche encore en cours d’élaboration vise également à inclure les entreprises locales dans le processus. Une étude est en marche pour tenter de voir comment les déchets organiques des firmes pourraient être réutilisés pour l’entretien de la High Line. D’un point de vue environnemental, la High Line semble donc bien s’inscrire comme un réel succès grâce notamment à l’utilisation de nouvelles méthodes de construction et des nouvelles technologies vertes. C’est un véritable poumon vert qui s’est créé dans le quartier, encourageant la lutte contre les îlots de chaleur et introduisant brillamment le végétal dans le minéral. Un projet de recyclage réussi mais qui reste tout de même une goutte d’eau dans l’océan minéral que représente la ville de New York. Nous pouvons quand même supposer que si une telle opération est reproduite dans plusieurs secteurs de la ville, New York pourra rapidement prétendre devenir une ville durable. Mais peut-on réellement parler de développement durable sous l’angle des deux autres piliers explicités dans le premier chapitre ?
3.2.2. Les effets socio-culturels L’aménagement de la High Line est encore un peu trop récent pour que nous puissions en mesurer les réels impacts sociaux. Toutefois, au vus des expériences de promenades urbaines qui ont été faites dans d’autres ville du monde (Copenhague, Paris, Toronto …) et de l’effervescence déjà palpable à New York, nous pouvons déjà attirer l’attention sur quelques effets socio-culturels.
Aspect social. Des projets d’habitats à loyers modérés sont prévus aux alentours du site, pour permettre une certaine mixité sociale de perdurer dans le quartier qui prend évidemment beaucoup de valeur, nous y reviendrons. Pour les usagers directs de l’infrastructure ce parc urbain suspendu est un lieu exceptionnel de convivialité. Les piétons, seuls usagers de ce jardin, sont placés au-dessus de la ville comme pour rappeler que dans la cité de demain, c’est lui qui en devient le centre d’attention. Tout est aménagé pour lui donner le goût de se promener mais aussi de s’asseoir, se détendre, s’arrêter, observer… Cette promenade offre une vraie rupture avec le trajet minéral qu’il effectuait sous la High Line. Le mobilier urbain est implanté de façon à favoriser les échanges et les interactions sociales, la végétation et l’altitude font de la promenade une expérience sensorielle unique offrant des points de vue inaccessibles ailleurs dans la ville. Ce projet est une nouvelle occasion de sensibiliser la population aux transports actifs. En effet, les plus courageux et les plus curieux auront au terme de leur marche parcouru 2,3 km à pied. Le caractère suspendu et aéré de la marche la rend plus agréable, encourageant les gens à prendre
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la High Line à pied plutôt que de se perdre dans les embouteillages en voiture ou en taxi. En terme d’accessibilité, neuf escaliers permettent aux usagers de rejoindre la voie tout au long de son trajet, quatre ascenseurs ont eux aussi étaient pensés pour les personnes à mobilité réduite, les personnes âgées ou encore les familles avec des enfants en bas âge. L’accès est bien entendu gratuit et une équipe d’accueil est mise en place pour répondre au mieux aux besoins de chacun C’est aussi une (re)découverte de sa propre ville qui est permise par cette opération. Ce parc urbain s’inscrit dans une logique de ville durable parce qu’il contribue à concilier biodiversité et urbanité. Un nouveau regard est posé sur les quartiers ouest de Chelsea, les particularités du secteur sont mises en valeur. Les usagers s’offrent un point de vue insolite sur une infrastructure obsolète, mais constituant un élément indéniable du patrimoine culturel, et sur l’environnement bâti qui l’entoure. Cette singularité favorise l’appropriation et renforce le sentiment d’appartenance aux quartiers de la part des habitants. Un sentiment rendu plus fort par le processus lui-même de création du jardin. Même si la concertation n’a pas eu lieu dans l’élaboration de la stratégie de planification, l’idée de l’opération vient directement d’une association d’habitants et de commerçants des quartiers qui est venue chercher l’appui des pouvoirs publics avec qui elle a co-construit le projet. La mobilisation citoyenne autour du projet est donc bien présente, rappelant l’une des caractéristiques du développement de la ville durable citées précédemment. C’est également les membres des Friends of the High line qui sont en partie en charge de la gestion du site. Nous sommes donc devant une appropriation collective où la mobilisation de la communauté vise à favoriser l’expression identitaire du quartier. Sa réalisation a mobilisé un grand nombre d’acteurs locaux qui ont uni leurs connaissances du terrain pour se doter d’une nouvelle infrastructure mais aussi d’une nouvelle identité. La multiplicité de ce genre d’initiative à l’échelle de la ville permettrait de former un réseau d’espaces publics communautaires exprimant l’impact global d’initiatives locales.
Une forte considération culturelle. En plus d’accroitre le sentiment d’appartenance et la mobilisation citoyenne, le High Line New York City project a également un fort impact culturel. Nous l’avons dit, choisir de ne pas démolir cette infrastructure datant des années 1930 contribue à faire rentrer l’époque industrielle dans le patrimoine culturel. C’est également une nouvelle façon de voir et de faire la ville. Au lieu de détruire pour éventuellement reconstruire ou du moins construire ailleurs, c’est la voie de la reconversion qui a été choisie. Faire du nouveau avec du vieux, voilà une nouvelle façon de voir l’urbain qui pourrait facilement trouver sa place dans une logique de ville durable. Nous pensons notamment aux infrastructures de même type que la High Line mais également à la reconversion de bâtisses comme les églises qui posent aujourd’hui quelques problèmes. L’impact culturel de la High Line se mesure également par son animation. Des visites guidées sont organisées toutes l’année permettant aux visiteurs de se familiariser avec le lieu et ses alentours mais aussi avec les différentes étapes du projet et les différents éléments qui le composent. Des activités familiales ont lieu tous les mercredis d’été encourageant ainsi
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parents et enfants à passer du temps en famille à la découverte de la biodiversité qui peuple invisiblement la High Line. Pour ne pas laisser le parc sans vie la nuit, les jeudis soirs d’été sont consacrés à l’observation du ciel étoilé. En plus d’acticités régulières, la belle saison est rythmée par des concerts gratuits. L’animation culturelle est donc bien là, donnant vit au projet, contribuant à son succès et favorisant l’appropriation de cet espace public peu commun. L’art urbain n’est par ailleurs pas en reste dans ce projet. L’association FHL a également prévu des animations artistiques sur et autour du site. Des œuvres d’art sont ainsi temporairement exposées aux regards des touristes mais aussi des habitants du quartier. De nichoirs pour oiseaux à de faux supports publicitaires vides, rappelant l’ancien caractère abandonné du quartier, en passant par des messages sonores dans les toilettes du site, tous les sens sont sollicités (cf figure 3.3). Ces manifestations collent parfaitement aux quartiers environnants qui font peau neuve, en témoigne les galeries d’art qui se multiplient aux pieds de l’ancienne voie ferrée. La High Line et son nouveau quartier deviennent donc un support à la nouvelle tendance de l’art urbain, redorant l’image bohème effacée par l’ère industrielle puis l’exposition de cette infrastructure rouillée. Les tendances socio-culturelles ne sont donc pas réellement d’ordre de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, mais la High Line s’inscrit comme un exemple de premier choix dans la mobilisation citoyenne prouvant que les projets les plus grandioses peuvent aussi venir des usagers eux même, ce qui vient appuyer l’utilité de la concertation. La culture est ici largement mise en avant, prouvant que finalement l’urbain est un éternellement recommencement et qu’on en revient souvent au caractère identitaire et historique des origines.
Figure 3.5.: Public Art
«Still life with landscape» Sarah Sze
«Sapce avaible», Kim Beck
«The river that flows both way», Spencer Frinch
«Digital Empathy», Julianne Swartz
Source: www.thehighline.org
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3.2.3. Développement économique. Les effets les plus flagrants de la High Line sont d’ordre économique. Notons tout d’abord que la structure de base a été exceptionnellement bien conservée par la végétation. Ce phénomène a permis de limiter les coûts de transformation du site en parc public, même si des réparations et un rafraichissement ont été inévitables. Le succès économique de la High Line réside d’une part dans le fait qu’elle est devenue l’une des étapes incontournables pour les touristes en visite à New York qui consomment alors dans les divers snacks et restaurants qui ont été aménagés le long de la voie piétonne. Les amis de la High Line ont également installé quelques kiosques d’information où ils peuvent vendre des livres sur l’histoire du projet, générant ainsi des fonds investis dans l’entretien du parc. Mais cette opération urbaine a surtout été l’un des moteurs du renouvellement urbain des quartiers qu’elle traverse. Pour Monsieur Bloomberg le projet « permet la création d’emplois durables et de retombées économiques pour notre ville » et à en croire ce qu’il se passe autour, il visait juste. Depuis 2006, pas moins de 29 nouveaux projets architecturaux ont vu le jour ou sont en train de naître. Les hôtels de luxe sortent de terre, mais aussi des logements à loyers modérés, des commerces et des bureaux. La High Line devient un parfait argument appuyant la théorie selon laquelle l’investissement public attire l’investissement privé. Pour les ‘’quelques’’ millions de dollars investis par la ville, ce sont 2 milliards de dollars d’investissements privés dont on parle aujourd’hui dans ce nouveau quartier de la High Line. Des architectes de renom comme Renzo Piano ou Jean Novel viennent signer les différents projets. L’architecte français a inauguré en 2010 un nouvel immeuble de 70 logements au croisement de la West Side Highway et de la 19th street. Au total, en plus des 8 000 emplois créés pour la seule construction, on parle de 12 000 nouveaux emplois pérennes et 2 558 nouveaux résidents. La reconversion de la High Line est aujourd’hui considérée comme une planification intelligente11. Même si ce projet a donc été bénéfique pour l’économie locale, nous pouvons tout de même craindre une envolée des prix du foncier qui conduira probablement à une gentrification de ces quartiers qui avait déjà été amorcée. Robert Hammond, l’un des co-fondateurs de l’association Friends of the High Line, confie d’ailleurs au New York Times le paradoxe des prix depuis l’ouverture de la High Line : « Normally, the farther you get from the subway the less expensive the housing is […]. But the closer you are to the High Line, the farther you are from the subway, and still, the closer the apartments are to the High Line, the more expensive they get. 12» 11
DUNE J., « The High Line : Smart Urban Planning », in http://commercialgrade.millercicero. com/?p=1162 consulté le 18 Août 2011 12 McGEEHAN P., « The High Line Isn’t Just a Sight to See; It’s Also an Economic Dynamo”, Article publié le 5 juin 2011 in http://www.nytimes.com, consulté le 18 Août 2011
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Cette ancienne infrastructure de transport contribue donc largement à une forte montée des prix. Un constat qui nous rappelle l’un des outils évoqués dans le premier chapitre, à savoir la rente foncière. Malgré la présence de projet de logements à loyer modéré, nous pouvons imaginer qu’un projet connaissant un tel succès, s’il n’est pas contrôlé, pourra conduire à sortir les populations les moins favorisées des quartiers concernés, favorisant ainsi l’exclusion sociale et la concentration de pauvreté dans certains secteurs de la ville. C’est ce constat qui constitue une des limites du projet. Nous retiendrons cependant que la reconversion d’une telle infrastructure est une première mondiale qui est devenue une source d’inspiration pour un bon nombre d’urbanistes. Ce projet se distingue par son effet plus que rapide sur l’environnement local, il est aujourd’hui difficile de croire qu’il y a encore une trentaine d’année nous étions dans un quartier marqué par la fin de l’industrialisation et une activité économique peu florissante. Mais l’aspect innovant de ce nouveau parc suspendu ne se résume pas à sa singularité architecturale, c’est un espace public dans l’air du temps. En plus de remettre au goût du jour une voie ferrée, symbole de l’époque industrielle révolue, un site internet retraçant toute l’histoire du projet, permettant aux internautes de faire des dons, de trouver des renseignements sur l’animation ou les horaires d’ouverture du parc et même de s’exprimer sur leurs impressions ou échanger avec le personnel a été mis en ligne. Même une fois sorti de cet espace public au grand air, il reste virtuellement accessible, le visiteur peut même acheter en ligne livres, t-shirts ou cartes. La High Line se singularise donc par son aspect physique mais aussi virtuel, certainement l’une des clés d’un succès économique si rapide.
Malgré quelques limites, nous pouvons accorder au projet de New York le fait qu’il répond relativement bien aux problématiques actuelles en matière de ville durable. Il est encore tôt pour tirer des conclusions et parler de résultats concrets mais on peut d’ores et déjà mettre l’accent sur les préoccupations environnementales qui ont guidé le projet de son imagination à sa conception jusque dans son entretien. Véritable modèle international il ouvre la voie du « recyclage » urbain, démontrant qu’exception faite des raisons de sécurité, il existe aujourd’hui peut d’infrastructures obsolètes ne méritant pas une seconde vie. Les effets sociaux sont certes minimes et laissent même craindre une exclusion sociale pour les plus défavorisés, mais il est aussi vrai de dire que d’un point de vue culturel, le projet est une réussite car il a permis au quartier de redorer son image et regagner son identité originelle. Les retombées économiques quant à elles ne se sont pas faites attendre, un point positif si on considère qu’à l’avenir les politiques se montreront certainement plus ouverts à ce genre d’initiatives locales.
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Figure 3.6: Vues de la High Line, 2011
a. Aire de détente
b. Le spectacle de la circulation
d. «Keep it wild»
d. Promenade sur pelouse
e. Eclairage L.E.D
f. Pause fraîcheur
Source: P. L
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3.3. New York City, une ville en pleine reconversion. Le projet de la High Line est certes le projet le plus spectaculaire dans l’actualité urbaine de New York, mais les actions locales de lutte contre le réchauffement climatique et pour la réduction des gaz à effet de serre se multiplient. Nous proposons donc de terminer ce devoir en donnant un coup de projecteur sur deux autres projets : le « Greenlight for Midtown Project » et le projet de promenade urbaine autour de Manhattan, le « Greenway ».
3.3.1. La piétonisation de Broadway. Broadway, peut être l’une des rues les plus célèbres au monde, réputée pour l’effervescence des grands magasins, les prestigieuses salles de spectacle, Times Square et ses lumières qui ne s’éteignent jamais, ses embouteillages… Car oui, l’avenue Broadway est aussi l’une des plus embouteillées du monde. Ou plutôt était, car depuis 2009 des aménagements poussent le long de l’avenue dans le Midtown chassant les voitures pour le plus grand bonheur des piétons. En Février 2009, le maire Bloomberg annonce une série d’aménagements visant la piétonisation temporaire de Times Squares et de Herald Square, sous le nom de « Greenlight for Midtown ». Avec la collaboration du ministère des transports de la ville de New York (DOT) et sous le regard bienveillant des associations de résidents et de commerçants, la ville inaugure à la fin du mois de mai 2009 les deux nouveaux croisements. Les véhiculent relégués sur les 6th et 7th avenues laissent place à des trottoirs élargis de près de 54%, des terres pleins aménagés en terrasses pour se reposer ou consommer amènant un peu de tranquillité sur cette folle avenue. Les touristes peuvent aujourd’hui admirer en toute sécurité le spectacle offert par l’abondance et la créative publicité défilant sur les nombreux panneaux lumineux de Times Square. Broadway devient entièrement piéton entre les 42th et 44th Streets, la circulation reprend ensuite mais sur deux voies seulement les deux autres étant consacrées aux piétons et aux cyclistes. Au croisement proche de Herald Square, les voitures sont également interdites d’accès, remplacées par des tables et des parasols. Et les aménagements ne peuvent vraiment pas passer inaperçus. Pour le traitement du sol des couloirs piétonniers ce sont des couleurs vives comme le rouge ou le vert, contrastant avec le bitume gris et les terre-pleins centraux couleur sable, qui invitent à une halte repos bien méritée. Des études comparatives menées avant et après l’opération ont démontré un certain succès. En voiture, la vitesse de déplacement a été améliorée de 8 à 17% pour les déplacements vers le Nord et a aussi augmenter vers les autres directions. Côté sécurité, on dénombre près de 35% en moins de piétons blessés et une baisse de 63% du nombre de blessés dans des accidents de voitures. Le nombre de piétons sur Times Square a évolué de 11% et on observe 8% de touristes en plus pour Herald square en 2009. Devant un tel succès, le maire de New York écoutant les 74% de new yorkais estimant que le quartier de Times Square s’améliore considérablement depuis quelques années, a décidé de pérenniser ces installations et même de les multiplier. Après huit mois d’essais, le maire prend la décision d’investir dans l’aménagement définitif, une décision qui fait griner les dents des 87
automobilistes. Car en effet, les chiffres donnés par la ville restent inaccessibles au public et aux journalistes, et certains les contestent. Mais le maire a le pouvoir et l’utilise, ne voyant que la satisfaction des touristes et des usagers, il renouvelle le projet. Ainsi, en septembre 2010, le coin de Union Square a été inauguré en tant que dernier né des actions dans le cadre du projet « Greenlight for Midtown ». Petit à petit, les îles piétonnes présentes sur Broadway se relient, formant une continuité dans le circuit piétonnier et de pistes cyclables. Pour ce dernier, près de 500 000$ d’aménagements ont été installés entre Madisson square et Union Square. Le nombre de voies dédiées aux voitures a été considérablement réduit, pour certaines intersections l’interdiction de tourner a été donnée aux véhicules pour assurer la sécurité des usagers et les pistes cyclables ont vu leur place augmenter. Les principes des deux premières places sont appliqués : moins de voitures, plus de place aux piétons et aux cyclistes mais également à l’art public. Pour Times square, un concours de design a été organisé pour décider d’un traitement de sol original, visible et le plus en adéquation avec le lieu. Paradoxalement, c’est une véritable coulée bleue qui a été choisi et qui devrait trouver sa place l’été prochain. New York est donc officiellement entré en guerre contre les gaz à effet de serre et les voitures ou taxis n’ont plus leur place aux intersections les plus fréquentées par les piétons. Ces aménagements ont la particularité de placer ce dernier au centre des préoccupations d’aménagemen,t aussi bien dans l’idée du projet que dans sa concrétisation. En effet, les trottoirs ont été élargis et les voitures interdites, mais les espaces dédiés aux terrasses, tables et chaises sont placés au centre de la rue, entre les trottoirs et les pistes cyclables. Les intersections sont choisies avec soin, ces aménagements permettent également la mise en valeur des différents bâtiments célèbres comme le Fulton Building. Cependant, même si ce projet et très bien accueilli par les résidents et les commerçants, qu’il se montre efficace pour la sécurité routière, nous pouvons émettre des doutes sur son efficacité contre l’émission de gaz à effet de serre puisque les voitures continuent de circuler. D’autre part, ces projets hauts en couleurs manquent peut être aussi d’un peu de verdure.
Figure 3.7.: Piétonisation Time Square
a. Avant
b. Après
Source: New York City Department of Transportation 88
Figure 3.8: Piétonisation de Herald Square
a. Avant
c. Avant
b. Après
d. Après Source: New York City Department of Transportation
3.3.2. New York City Greenway. Mais le manque de verdure remarqué dans la piétonisation de certaines intersections du centre-ville est quelque peu rattrapé sur les bords des fleuves. A la suite de Montréal ou de Toronto, la ville de New York s’attaque en effet à l’aménagement de ses waterfronts. Depuis quelques années, un imposant projet de Greenway (promenade verte) est élaboré. Sur l’île de Manhattan, la boucle est presque bouclée et c’est aujourd’hui le quartier de Brooklyn qui se lance dans le projet.
La ceinture verte de Manhattan Sur l’île de Manhattan, tout commence en 1993 lorsque le ministère de l’urbanisme publie un plan de promenades vertes. En 1997, il s’allie au département des transports pour élaborer un plan directeur de pistes cyclables sur les berges de Manhattan. Il faudra attendre 2003 pour voir une réelle mise en œuvre du projet. Un ajout de 4,5 millions de dollars au budget annuel d’immobilisations a permis aux différents acteurs de démarrer les aménagements de pistes cyclables, promenades piétonnes ainsi que les opérations de verdissement. La particularité du projet est qu’il combine des pistes cyclables permanentes mais aussi des pistes cyclables temporaires, une singularité typique des villes nord-américaines qui doivent faire face aux rigueurs de l’hiver et prioriser leurs axes d’intervention pour le déneigement. Derrière ce vaste projet, nous retrouvons le ministère de l’urbanisme, les départements de transports de l’état et de la ville de New York, le département des parcs et loisirs (co-gestionnaire de la High Line), l’administration du maire ainsi que le département de développement économique
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de la ville de New York. Nous voyons donc ici que ce projet s’est fait sans l’aide ou l’avis d’associations de résidents ou de commerçant, aucune phase de concertation n’a d’ailleurs été prévue. Pourtant, ce détail n’enlève, a priori, rien au projet si on en croit l’exemple de la West Street. Cette ancienne autoroute fut d’abord convertie en boulevard urbain avant de devenir le parc linéaire le plus visité de New York (du moins avant l’inauguration de la High Line) devenant ainsi la colonne vertébrale du développement économique des quartiers ouest. En reliant les différents parcs et points d’intérêt du quartier, cette promenade verte de près de 51 km a permis de redonner aux new yorkais l’accès au littoral. Principalement constituée de pistes cyclables et de voies piétonnes hors rue, la greenway permet aux touristes et résidents de profiter d’une escapade verte et bleue en toute sécurité. Soucieux du bienêtre de ses citoyens, des études sont régulièrement menées permettant le réajustement des aménagements en cas de besoin. De nouveaux parcs ou améliorations de pistes cyclables sont d’ailleurs déjà prévus pour 2018 et quelques chainons manquant pour totalement fermer le circuit sont à l’étude pour le futur (cf figure 3.9). L’île de Manhattan a donc enfilé sa ceinture verte, les new yorkais s’en disent pour l’instant satisfaits. Dans un contexte de ville durable, cette initiative ne peut être que saluée, même si beaucoup d’efforts restent à faire, comme par exemple relever le défis de la pollution de l’Hudson. Redonner l’accès aux berges est une première étape, reste à savoir si suivant l’exemple de Montréal, New York pourra offrir à ses citoyens des points de baignade qui permettraient de profiter pleinement des fleuves qui occupent une grande place autour des quartiers de la ville.
Figure 3.9: Waterfront de Manhattan
a. Pistes cyclables:
b. La place des berges autour de l’île
En rose les chaînons manquants, en pointillés les temporaires. Source: New York City Department of Transportation
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Le waterfront de Brooklyn. Mais l’heure n’est pour l’instant pas à la baignade mais plutôt à l’élargissement du projet. Maintenant que la ceinture de Manhattan est presque bouclée, c’est au tour de Brooklyn de parler de Greenway. La promenade et le parc de La battery sont encore tout frais que déjà des rumeurs d’aménagement de greenway reliant Brooklyn à Manhattan circulent. L’ensemble du waterfront de Brooklyn est en restructuration, même si des parcs ont déjà été réaménagés, nous sommes pour l’instant encore à l’étape de la planification. Pour ce projet, deux acteurs se sont associés. La Brooklyn Greenway Initiative (BGI) d’abord, fondée en 2004, cette association a pour but de soutenir les partenariats politiques, publics, et gouvernementaux indispensables au projet. A ses côtés, la Regional Plan Association, un organisme à but non lucratif actif dans l’ensemble des comtés l’Etat de New York dont elle appuie l’amélioration de la qualité de vie et la compétitivité économique. Ensemble, ils ont présenté un plan d’action pour le « New York State Department of State Local Waterfront Revitalization Program » qui est l’un des principaux outils de la ville en matière de gestion des zones côtières. L’origine du projet est la même que pour Manhattan, le « Greenway plan for New York » en 1993. A la suite de cette publication, résidents, élus et défenseurs de la promenade pour Brooklyn ont unis leurs efforts pour réaliser une proposition d’environ 22 km de trame verte le long du waterfront. Les principes de ce projet sont relativement simples13 . Créer un espace vert favorable pour la santé et la sécurité des usagers ouvert sur les waterfronts par l’installation d’équipements publics permettant la restauration et le renforcement des fonctions écologiques habituelles d’un littoral. Créer une connexion entre les parcs existants, les centralités historiques mais aussi avec le reste des quartiers de la ville. Conserver la singularité cultuelle et historique de Brooklyn par la mise en valeur du paysage urbain et industriel, faire en sorte que les résidents puissent se réapproprier et accepter cette spécificité industrielle. Enfin, mettre en avant les fenêtres ouvertes sur la nature, la culture, l’art et l’industrie que propose le site. Pour atteindre ces objectifs, différents paramètres ont été établis : les bandes cyclables et piétonnes seront isolées des voies dédiées aux voitures, la végétation sera intégrés au maximum tout au long du parcours notamment à travers l’aménagement de haltes vertes permettant aux usagers de se reposer tout en profitant d’un environnement vert. Pour gérer au mieux les flux les pistes aménagées devront être d’au moins 9 mètres de large, enfin la continuité devra être respectée pour que les usagers puissent rejoindre la destination de leur choix sans rupture. L’idée est donc de redonner aux habitants l’accès au fleuve mais aussi à l’histoire de Brooklyn. Nous avons compris que ce quartier se distingue par sa fonction industrielle que les acteurs souhaitent intégrer au paysage et tentent de faire accepter. A travers l’animation des parcs déjà active (concerts, cinéma en plein air…) Brooklyn essaie d’attirer de nouvelles populations et casser l’image populaire qu’elle véhicule à New York. A travers ce projet, le district de Brooklyn
13 Regional Plan Association, Brooklyn Greenway Initiative, “BROOKLYN WATERFRONT GREENWAY a plan for community”, boards 2 & 6 Summer 2005 (PDF) 91
tente de se donner une identité, pour la signalisation par exemple, la Brooklyn Green Initiative préconise le développement d’une signalétique informant les usagers qu’ils sont une Greenway d’une part, mais surtout qu’ils sont sur la Greenway de Brooklyn14. Nous ne savons pas encore la date à laquelle se projet pourra être inauguré, mais les premiers aménagements de promenade effectués sur les berges à Brooklyn promettent que les objectifs en terme de verdissement et d’ouverture culturelle seront tenus. Figure 3.10: Waterfront deBrooklyn, planification.
Source: Brooklyn Waterfront Greenway plan for community
Figure 3.11: Coupe prévue pour la Greenway
Source: Brooklyn Waterfront Greenway Design principles
14 Regional Plan Association, Brooklyn Greenway Initiative, “Brooklyn waterfront Greenway”, design principe Fall 2008 (PDF) 92
Ces projets récents ou en cours de planification que sont la High Line, la piétonisation ou la Greenway, démontrent l’engagement de la ville New York pour déminéraliser la forêt de building qu’elle constitue aujourd’hui. Ils montrent également la diversité des moyens d’action qui peuvent être utilisés. Alors que certains dénoncent un manque de concertation de la part du maire et de son administration concernant la piétonisation, la High Line et le waterfront de Brooklyn montrent que parfois les idées peuvent aussi venir d’une coopération entre un service de la ville et les résidents. Toutefois, peut-on vraiment parler de ville durable au regard des projets en cours. Ces projets font parler d’eux, à Montréal, la piétonisation est un enjeu qui fait grand bruit et New York est souvent cité en exemple. Mais, exception faite de la High Line, il aura été difficile au cours de nos recherches de trouver des objectifs environnementaux. Même pour la fermeture des rues aux voitures le long de Broadway, l’argument de réduction des gaz à effet de serre n’est pas ou peu évoqué, on parle même d’objectif (non atteint) d’augmenter la vitesse pour les voitures dans les rues voisines. C’est finalement l’image, la renommée de la ville qui semble l’emporter pour les décideurs politiques qui paraissent viser des objectifs surtout esthétiques. Nous retiendrons toutefois que c’est bel et bien un réseau vert qui est en train de se créer à l’échelle de la ville, que consciemment ou non, la ville se dote de poches de verdure amélirant considérablement la qualité de vie mais aussi la qualité de la biodiversité. Mais c’est encore l’angle économique qui est le plus regardé à l’heure des résultats et lorsque l’on souhaite parler de succès. Le développement durable est aujourd’hui ancré dans les nouvelles façons de faire de la ville, New York en est une preuve, mais tout le monde n’en a peut-être pas les mêmes conceptions et ne l’utilise pas pour les mêmes raisons. Nous nous heurtons ici à la difficile application concrète d’un principe théorique complexe par sa diversité de perceptions, d’interprétations et d’applications.
93
Conclusion
C’est ici que se conclut notre analyse. Que retenir, quel bilan faire ? Nous retiendrons d’abord que le développement durable est un développement qui permet de répondre aux besoins actuels sans compromettre ceux des générations futures. Pour se faire, il s’appuie sur trois principes fondamentaux que sont l’environnement, le social et l’économie mais également sur la culture qui prend de plus en plus de poids. Le défi à relever lorsqu’on parle de durabilité c’est d’arriver à concilier ces systèmes, de trouver le bon équilibre permettant à chacune des trois sphères d’évoluer sans jamais nuire aux deux autres. Ensuite, nous n’oublierons pas que le développement, durable ou non, est un processus, qu’il implique des transformations profondes dans nos sociétés. Et nos sociétés, c’est en ville qu’elles grandissent, sur les 6,7 milliards de Terriens, 3,3 vivent aujourd’hui en ville, demain (en 2030) les citadins seront au nombre avoisinant les 5 milliards. Les villes doivent donc aujourd’hui faire face à une population croissante et en profonde transformations, elles se doivent de combiner modernité, urbanité et durabilité. Avec le temps, nous nous sommes aperçu que la ville n’est pas simplement une somme de bâtiments, de routes et de parcs, c’est aussi et surtout un lieu de vie. C’est un territoire social au sein duquel les individus cherchent à vivre leur vie, ils y travaillent, y habitent, s’y divertissent… La ville, « c’est un ensemble de modes de vie en effervescence permanente 1» qu’il faut faire cohabiter. « L’espace public est par excellence le lieu où vit la cité 2». Pour notre analyse, nous avons donc choisi de nous concentrer sur les espaces publics et de comprendre en quoi ils pourraient servir le concept de développement durable. En conclusion, nous pouvons répondre que les espaces publics peuvent contribuer au développement durable des villes, s’ils intègrent les trois principes évoqués. Les matériaux de construction et la gestion des ressources (eau et éclairage) doivent être pensés dans la protection de l’environnement (préservation des ressources naturelles, économie d’énergie, traitement des eaux…). Les lieux publics doivent favoriser la convivialité, la sécurité mais aussi l’interaction sociale. Par des espaces publics de qualité, nous pouvons renforcer le sentiment d’appartenance des individus qui prennent alors soin de leur ville, ou du moins de espace de vie. Enfin, les villes doivent aujourd’hui trouver de nouvelles sources de financement pour les espaces publics, des espaces qui se font par ailleurs de plus en plus en partenariat public/privé. D’autre part, en favorisant la mixité fonctionnelle, nous pouvons dynamiser les activités économiques dans, et autour, des espaces publics. Nous nous posions également la question des enjeux pour ces espaces publics au sein d’une ville durable. Au terme de notre réflexion, nous pouvons dire que ces enjeux sont surtout liés à l’adaptation des villes aux sociétés et aux nouveaux modes de vie. Jusqu’à présent, la ville s’est adaptée au moment présent, sa morphologie a évolué avec les divers bouleversements 1 CUISINIER J.P, MAUGARD A., « Regard sur la ville durable : vers de nouveaux modes de vie », Edition CSTB, févreier 2010, P.35 2 CERTU, « Espace public : enjeux pour la ville. », article publié le 5 novembre 2011. 95
socio-économiques. L’enjeu premier pour les espaces publics de demain, est toujours de se modeler au fil des modes de vie, mais également d’anticiper le changement. Nous l’avons vu avec la mobilité, les espaces publics doivent prendre une longueur d’avance. Le deuxième enjeu est celui de la diversité, nous l’avons dit, la ville linéaire et sectorisée touche à sa fin. La ville de demain est la ville de la proximité, de la poly-fonctionnalité. Sur le modèle de Paris plage ou du stade de France, les espaces publics doivent jouer le jeu du caméléon. Plage l’été, voies de circulation le reste de l’année ; lieux de rencontres sportives un soir, salle de concert le soir d’après, l’espace public se monte et se démonte au gré des événements. Enfin, le troisième enjeu des espaces publics dans la ville durable que nous avons pu évoquer est celui de l’éducation. Nous l’avons dit, nous sommes aujourd’hui dans un cercle vertueux du changement (cf figure x). La société change, elle influence les modes de vie qui influence la ville qui a à son tour des répercussions sur les modes de vie qui font eux aussi changer la société. Les nouvelles configurations des espaces publics permettent aux individus de changer leurs habitudes, comme nous avons pu le voir avec le pédibus par exemple. Dans les espaces publics, nous pouvons ‘’éduquer’’ les plus jeunes, informer et sensibiliser les plus âgés.
Figure C.1. Cercle du changement
Source: P. Langevin
Nous avons vérifié l’hypothèse selon laquelle les espaces publics constituent encore la colonne vertébrale de la ville, ils en sont le réseau, les lieux de diffusion et de communication et assurent la continuité de la ville. Mais c’est aujourd’hui une continuité piétonne qui est privilégiés. La piétonisation de Broadway prouve que même les plus grandes villes du monde se pensent aujourd’hui leur organisation à taille humaine. Nous avons également démontrés que les espaces publics sont des lieux stratégiques pour le développement durable, si les trois principes y cohabitent.
96
Nous pouvons toutefois montrer une première limite. Les espaces publics ne résument pas la ville, il ne suffit pas des faires des espaces écologiques pour parler de ville durable. Tout comme une série de petites actions individuelles (tri des déchets, compost…) n’est pas vraiment efficace sans une grande action collective, des espaces publics durables ne servent le concept que si la ville dans son ensemble participe. Nous nous sommes aussi demandé si grâce à la concertation, les espaces publics d’aujourd’hui répondent mieux aux volontés des usagers, et si par cet outil, l’individu pouvait être plus engagé. Le découragement citoyen est un réel défi, la concertation permet en effet de le relever. Par la concertation, les techniciens disposent aujourd’hui de compléter les compétences par une analyse plus sensible par l’avis et l’expérience des usagers. Mais nous pouvons nous demander quelles sont les limites d’un tel procédé ? Jusqu’à quel point le citoyen peut-il être écouté, quelle est sa légitimité ? Enfin, nous émettions l’hypothèse que les espaces publics contribuent aux changements des modes de vie. Nous avons déjà confirmé ce questionnement. En ouvrant les opportunités pour de nouveaux comportements, les espaces publics contribuent aux changements, le partage de la rue en est l’exemple le plus flagrant. Il nous semble donc que la ville et durabilité ne soient finalement pas si antonymes que cela. « La nature et l’usage coexistent avec la volonté des urbanistes3 ». Nous parlons beaucoup de densité, la ville de demain doit être concentrée. Mais il ne faudrait pas tomber dans le piège de l’hyper densité et observer un développement en tâches d’huile. Pour être efficace, la densité doit être mesurée, le plus important reste finalement l’intensité. Ce n’est pas la densité du bâti qui compte mais l’intensité des activités, des interactions qui sont rendues possibles par l’organisation de la ville. D’autre part, il est important de souligner qu’il semble encore aujourd’hui difficile de pouvoir respecter l’équilibre entre l’environnement, le social et l’économie. Alors que l’environnement s’impose dans les manières de faire la ville et cohabite avec les deux autres sphères, il apparait qu’entre le social et l’économie les choses ne soient pas aussi faciles. Le développement durable reste aujourd’hui un argument au service de l’image de la ville, dans un contexte de compétitivité comme le nôtre, les villes ne sont pas épargnées. Ce qui semble primer, c’est l’attractivité. Or, l’étiquette verte se montre comme le nouveau sésame pour les investissements. Mais nous l’avons vu avec l’exemple de la High Line, l’amélioration de la qualité de vie augmente considérablement la valeur d’un quartier, ce qui est une excellente chose pour l’attraction des villes des leurs investissements. Mais ce phénomène peut avoir d’importantes répercussions pour les populations les moins favorisées. Après l’or noir et l’or bleu, nous commençons aujourd’hui à parler d’or vert. Amélioration rime souvent avec gentification. Comment alors les villes de demain pourront faire en sorte que la qualité de vie urbaine ne soit pas synonyme d’exclusion sociale ?
3 CUISINIER J.P., MAUGARD A., « Regard sur la ville durable : vers de nouveaux modes de vie », CSTB, 2010, P. 53. 97
Bibliographie Livres : BRUNEL S., « Le développement durable », Collection Que sais-je ?, PUF, 2010. CUISINIER J.P., MAUGARD A., « Regard sur la ville durable : vers de nouveaux modes de vie », Editions CSTB, Février 2010. HABERMAS J., « L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise », Paris, Payot, 1988. KOTTAS D., « Places et espaces publics contemporains », links books, 2007. KUO F.E., SULLIVAN W.C., “Environment and crime in the inner city : does vegetation reduce crime ?”, Human-Environment Research Laboratory University of Illinois, UrbanaChampaign, 2001. LEWIS CA., “Effects of plants and gardening in creating interpersonal and community wellbeing.” In: Relf D, ed. “The role of horticulture in human well-being and social development: a national symposium,” Timber Press, 1992 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, Anthropologie et développement. Essai en socioanthropologie du changement social, 1995, Karthala. PAQUOT T., « L’espace public », collection repère, décembre 2009. REYSSET P., « Aménager la ville », collection écologie urbaine, sang de la Terre, décembre 2008. ROSTOW, W.W., Les étapes de la croissance économique, chapitre 2, 1963, Paris : Seuil. ZEPF M., AMPHOUX P., Collectif, « Concerter, gouverner et concevoir les espaces publics », PPUR presses polytechniques, 2004
Articles : BIRKS K., “The High Line: Heightening the Senses”, for D-Crit course Architecture and Urban Design Criticism, BOLUND P., HUNHAMMAR S., 1999, « Ecosystem services in urban areas », Ecological Economics HARRIBEY, J.M, « Développement ne rime pas forcément avec croissance », in Le Monde diplomatique, 2004 HERVIEU B. « Retour de et sur Johannesburg », Cahiers Agricultures. Volume 11, Numéro 5, 309-11, Septembre - Octobre 2002, Editorial n°29, 1999,
99
LLENA C., « Le développement peut-il être durable ? », in Education relative à l’environnement, vol.7, Centre régional de documentation pédagogique de l’Académie de Montpellier, 2008 REMY J., « Multiplicité des lieux et sociabilité englobante », Les Cahiers de la sociologie de la famille, n°1, 1994 VIEIRA E., “La magie des paysages new-yorkais », article publié dans Le Devoir, le 5 Juin 2010
Articles en ligne:
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Rapports : Assemblée générale des Nations-Unis, « Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement », 12 Août 1992 Cités et Gouvernements Locaux Unis – Commission de culture, « Agenda 21 de la culture », janvier 2008. PNUD, « Définir et mesurer le développement humain » in Rapport mondial sur le développement humain, 1990 (Pp 9-17) Commission française du développement durable : AVIS n° 2002-07 sur la culture et le développement, Avril 2009 Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, « Notre avenir à tous », Rapport Brantland, 1987 Ville de Montréal, « Plan stratégique de développement durable de la collectivité montréalaise », 2005
Autres : Agence d’urbanisme atlantique et Pyrénées « La cohabitation dans les espaces publics : une approche durable », Fiche 12, Conférence du 29 novembre 2010 AMAR G., « Innover pour une mobilité urbaine durable » intervention lors du colloque « Mobilité en ville : changeons ! » les 2,3 et 4 avril 2008 à Londres organisé par La Fabrique de la vité. LEMAGNEN C.E., Intervention lors du colloque « Quelles places pour les espaces publics de demain » sur le thème : Les frontières entre public et privé pour la construction des territoires 100
urbains, mai 2011 pOlau, « L’art et la ville nouvelle génération / Démarche HQAC – Haute Qualité Artistique et Culturelle » 2009. (publication power-point) Regional Plan Association, Brooklyn Greenway Initiative, “BROOKLYN WATERFRONT GREENWAY a plan for community”, boards 2 & 6 Summer 2005 Regional Plan Association, Brooklyn Greenway Initiative, “Brooklyn waterfront Greenway”, design principe Fall 2008 ROL-TANGUY F., intervention sur le thème « Quelle gouvernance des espaces publics ? » lors du colloque « Quelle place pour les espaces publics de demain ? », organisé par la Fabrique de la cité en mai 2011 à Barcelone VINCI Autoroutes, dossier de presse « «Paquet vert autoroutier»,VINCI Autoroutes s’engage », Janvier 2009
Sites Internets : http://www.decroissance.info/Le-Point-IV-du-President-Truman-l. http://www.vedura.fr consulté le 28 juillet 2011. http://www.urbanfarming.org/, consulté le 20 Août 2011 http://www.fieldoperations.net/, consulté le 17 août 2011 http://www.dsrny.com/, consulté le 17 Août 2011 http://www.nycgovparks.org/index.php, consulté le 17 août 2011 http://newyorkcity.blogs.sudouest.fr, consulté le 17 Août 2011 http://www.thehighline.org/, consulté en Août 2011
101
Table des matières Remerciements
5
Sommaire
7
Introduction
9
Chapitre 1: Le concept de développement durable.
13
1.1. Qu’est-ce que le développement durable ?
15
1.1.1. La base du développement durable, le développement. Les origines du développement La dimension sociale du développement
15
1.1.2. La notion de durabilité. Le développement urbain durable
17
1.1.3. L’émergence du développement durable. Des premières inquiétudes au sommet de Rio Émergence de la ville durable Elaborer une stratégie concrète
19
1.2. Les grands principes.
1.2.1 L’économie. Economie d’énergie. Villes économiques
24
1.2.2. L’environnement.
27
1.2.3. Le social. Réduire les tensions Ville et culture
28
1.3. Construire une ville durable.
23
30
1.3.1. L’avènement du de la ville durable. Le contexte historique Un oxymore ? La mise en lumière par les médias
31
1.3.2. La morphologie urbaine : de la ville écartée à la ville durable. Les origines La ville de l’automobile La ville et le développement durable
33
1.3.3. Quelles actions pour une ville durable ? Le retour à la proximité A la frontière entre réel et virtuel Les éco-quartiers
35
103
Chapitre 2 : Espaces publics et Ville durable
39
40
2.1. Éléments de compréhension.
2.1.1. Espace public et espaces publics. L’espace public Les espaces publics
41
2.1.2. Les usages et les fonctions. Les fonctions Les déterminants
43
45
2.1.3. Les acteurs des espaces publics. Les décideurs Les bâtisseurs. Les habitants, usagers, citoyens
2.2. Espaces publics et ville durable.
48
2.2.1. Espaces publics et utilisation de ressources naturelles. Ville Vs Nature Utilisation et gestion de l’eau Des effets économiques et sociaux
41
2.2.2. Des espaces publics partagés. Le code de la rue. La convivialité
43
2.2.3. Espaces publics et Culture. L’art dans la ville, une utilité sociale. Bienfaits économiques L’art au service de l’environnement
45
2.3. Les enjeux des espaces publics dans une ville durable.
2.3.1. Les nouvelles formes de mobilités. La mobilité dans le temps Mobilité, corps et santé Un nouveau rapport à l’autre
58 58
2.3.2. La multiplicité des échanges entre les différents acteurs. Les objectifs de la concertation Le brouillage de la frontière public/privé
62
65
2.3.3. Les espaces publics comme support des transformations de nos sociétés. Le cercle vertueux du changement. Changer les pratiques de conception
104
Chapitre 3: New York City une ville durable ?
69
71
3.1. The New-York City High Line.
3.1.1. Le site. 3.1.2. Les acteurs du projet.
72
3.1.3. Histoire et mise en œuvre de la High Line.
76
3.2. La High Line, élément d’une ville durable ?
74
79
3.2.1. Les impacts environnementaux. Un projet à la pointe de la technologie Une forte considération culturelle Un entretien durable
79
3.2.2. Les effets socio-culturels. Aspect social.
81
3.2.3. Développement économique.
85
3.3. New York City, une ville en pleine reconversion.
87
3.3.1. La piétonisation de Broadway.
87
3.3.2. New York City Greenway. La ceinture verte de Manhattan Le waterfront de Brooklyn
89
Conclusion
95
Bibliographie
99
Table des matières
103
Table des illustrations
107 105
Table des illustrations Figure 1.1 - Les trois piliers du développement durable, Ville de Montréal
24
Figure 1.2 - Le projet Masdar, Foster + Partenaire
35
Figure 2.1 - a. Exposition temporaire dans une rue de Montréal, P. Langevin b. Activités commerciales sur un espaces public, P. Langevin
45
Figure 2.2 - Place Nicagarua à Barcelone, Alex Garcia et Adria Goula
49
Figure 2.3 - Place de la Bourse à Bordeaux, Stéphane Llorca
50
Figure 2.4 - Exemple de partage de la rue New York City, Maienz, P. Langevin
53
Figure 2.5 - Un tramway nommé culture, Nice, Communauté Urbaine Nice Côte d’Azur
56
Figure 2.6 - Recyclage artistique, Montréal, P. Langevin
57
Figure 2.7 - La mobilité dans le temps a. Lisbonne, P. Langevin b. Curitiba, www.projetdeville.com
60
Figure 2.8 - Transports actifs, nouveaux rapports entre mobilité et santé a. Montréal, P. Langevin b. Niort, www.maif.fr
62
Figure 3.1- Carte de New York, American number plates
72
Figure 3.2 - Le tracé de la High Line, www.thehighline.org
73
Figure 3.3 - Histoire de la High Line, www.thehighline.org
77
107
Figure 3.4 Construction du parc de la High Line, wwww.thehighline.org
79
Figure 3.5 - Public art, www.thehighline.org
83
Figure 3.6 - Vues de la High Line en 2011, P. Langevin
86
Figure 3.7 - La piétonisation de Times Square, DOT
88
Figure 3.8 - La piétonisation de Herald Square, DOT
89
Figure 3.9 - Waterfront de Manhattan, DOT
90
Figure 3.10 - Waterfront de Brooklyn, Brooklyne Waterfront Greenway for community
92
Figure 3.11 -
90
Coupe prévue pour une Greenway, Brooklyn Waterfront Grennway design principles
Figure C.1- Cercle vertueux du changement, P. Langevin
96
108