Ce texte est tiré d’une conférence donnée par Julie Bawin le 23 avril 2010 aux Ateliers d’Art Contemporains à Liège
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L’ART CONTEMPORAIN EN QUELQUES NOTIONS Orientation bibliographique (ouvrages ayant servi de base pour l’écriture de cet exposé): ̳̳
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Paul Ardenne, Art. l’âge contemporain. Une histoire des arts plastiques à la fin du XXe siècle, Paris, Editions du Regard, 1997. Paul Ardenne, Art, le Présent La création plasticienne au tournant du XXIe siècle, Paris, Editions du Regard, 2009. Philippe Dagen, L’art français. Le XXe siècle, tome VI, Paris, Flammarion, 1998 Nathalie Heinich, L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, 2005, p. 286-290 Bernard Marcadé, Marcel Duchamp. La vie à crédit, Paris, Flammarion, 2007 Marcel Duchamp, Dossier pédagogique du Centre Georges Pompidou (http://www.centrepompidou.fr/educa-
tion/ressources/ens-duchamp/ens-duchamp.htm)
Partant des idées reçues sur l’art contemporain (un art nul, vaniteux, surestimé par le marché, élitiste), ce texte a pour objectif de contextualiser les pratiques artistiques actuelles au regard des profondes transformations que le monde de l’art a connu depuis le début du XXe siècle. Il s’agit donc d’analyser les fondements historiques de l’art contemporain en partant de quatre œuvres « exemplaires » : Fountain de Marcel Duchamp (1917), Carré noir sur fond blanc de Malevith (1915), Sculpture vivante de Piero Manzoni (1960 ca) et, enfin, Made in Heaven de Jeff Koons (1991).
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"L’URINOIR DE MARCEL DUCHAMP" (FOUNTAIN, 1917)
Titre attribué : Urinoir L’original, perdu, a été réalisé à New York en 1917. La réplique a été réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz, Milan et constitue la 3e version. Faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture 63 x 48 x 35 cm Collection privée © Succession Marcel Duchamp, Villiers-sous-Grez, France
Nu descendant un escalier 1912 - Huile sur toile -146 cm × 89 cm Localisation : Philadelphia Museum of Art
L’urinoir fait partie d’une série d’autres objets que Duchamp a baptisé « readymade », des objets que l’artiste a trouvés « already-made », c’est-à-dire déjà tout faits – par des machines ou des mains aidées de machines – et qu’il a choisi. La notion de choix est très importante. Nous y reviendrons. Mais avant, il semble intéressant de se reporter au contexte dans lequel Duchamp décide de présenter cet urinoir. Nous sommes en 1917. Duchamp vit alors à New York depuis deux ans. Fréquentant le microcosme artistique new yorkais, il décide de participer à une grande exposition organisée par la Société des Artistes Indépendants. Pour témoigner de l’esprit d’ouverture de la Société, les organisateurs de l’exposition s’étaient engagés à exposer n’importe quelle œuvre dès lors que les artistes participaient aux frais de production. Faisant lui-même partie de la Société des artistes indépendants, Duchamp décida de tester la générosité de ce principe en envoyant un urinoir au comité, un urinoir signé du nom de R. Mutt – le nom de l’entreprise sanitaire où il avait acquis l’objet – et ayant un titre : « Fountain ».
S’AGISSAITIL D’UNE SIMPLE PLAISANTERIE ? Une manière pour Duchamp de se moquer du principe de liberté prôné par le Salon des Indépendants ? Il y avait certes une forme d’ironie dans cette proposition, une façon d’introduire un peu d’humour dans monde très sérieux de l’art. Rien que le choix de l’urinoir laisse en effet supposer que Duchamp voulait délibérément porter atteinte au « bon goût » de l’art. Mais là ne figurent pas les seuls objectifs de l’artiste. L’urinoir est en réalité le résultat d’un long processus de réflexion qui commence en 1912, lorsque Duchamp, qui vit alors à Paris, se voit refuser
l’exposition son Nu descendant un escalier. A l’époque où Duchamp réalise ce tableau, il fait alors partie du groupe de Puteaux, un groupe de peintres d’inspiration cubiste. Lorsque Duchamp propose cette toile pour le Salon des Indépendants de Paris en 1912, il se le voit refusé. Les cubistes de Puteaux, dont font partie ses deux frères aînés, considèrent sa toile comme ne se situant pas assez dans la lignée du cubisme. Cet épisode du refus du Nu descendant un escalier, que l’on pourrait croire anecdotique, aura pourtant des répercussions importantes sur l’avenir artistique de Duchamp. Profondément déçu du cubisme, qu’il croyait être révolutionnaire, il décide de suivre une autre voie et de se mettre désormais à l’écart de tout groupe artistique. Il dira d’ailleurs , lors d’un entretien accordé à James Johnson Sweeney, qu’il y a pour lui deux sortes d’artistes : « les peintres professionnels qui travaillant avec la société, ne peuvent éviter de s’y intégrer ; et les autres, les francs-tireurs, libres d’obligations et d’entraves »1 Pour développer son projet personnel et couper avec la tradition, Duchamp voyage, fréquente Picabia, Brancusi et Apollinaire, travaille aussi un temps à la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris et mène ses premières recherches sur le Grand Verre. Duchamp est à cette époque fasciné par le principe du mouvement dans l’art et, plus particulièrement, de sa décomposition. Son « Nu descendant un escalier » en était d’ailleurs le témoignage. C’est en 1914 que l’idée du ready-made lui vient. Convaincu qu’il faut rompre avec la tradition esthétique et qu’il faut se dégager des dictatures rétiniennes de la peinture, il émet la réflexion selon laquelle l’art est avant tout un choix mental. Duchamp impose l’idée selon laquelle n’importe quel objet peut accéder au statut d’œuvre d’art, du moment qu’il en ait été décidé ainsi par celui qui s’en empare. Ce qui est tout à fait intéressant, c’est que Duchamp déplace le lieu de la création. Le lieu de la création n’est plus dans la matérialité de l’objet fabriqué par l’artiste, mais dans l’immatérialité du geste par lequel l’artiste parvient à ériger en œuvre ce
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qui n’avait pas été conçu pour en être une. Marcel Duchamp met donc davantage l’accent sur « l’intellect » que sur le savoir-faire. Alors, question : quelles furent les réactions des contemporains de Duchamp face à l’urinoir ? Les membres de la société des Indépendants de New York considérèrent l’urinoir comme une intrusion inadmissible dans le champ des beaux-arts et refusèrent son exposition. Duchamp décida alors de démissionner de la Société et fit publier dans une revue une photographie d’Alfred Stieglitz, accompagnée d’un texte où cette célèbre phrase sera écrite : « Que Monsieur Mutt ait fait ou non la fontaine de ses mains n’a aucune importance, il l’a choisie. Et par le biais d’un nouveau titre et d’un nouveau point de vue, il a crée une nouvelle idée de ce objet ». L’urinoir sera ensuite exposé (comme une sculpture sur son socle) dans la galerie que tenait alors Stieglitz à New York.
nouvelle génération d’artistes qui, voulant se défaire de la suprématie de la peinture abstraite, entend baser l’art sur l’imagerie du quotidien. Cette nouvelle génération d’artiste, incarnée par le néo-dadaïsme puis par le Pop Art, reprendra le projet formulé dans les années dix par Duchamp. Andy Warhol, en particulier, se situe de plainpied dans la démarche amorcée avec Duchamp cinquante ans plus tôt, en montrant notamment que « ce qui fait l’œuvre, ce n’est pas la nature du geste accomplit par l’artiste, mais la dimension conceptuelle que l’artiste donne à son propos »3.
Les ready-made de Duchamp ne seront admis comme « œuvre d’art » que par une très faible quantité de personnes. Mais là n’est pas l’enjeu. Après le coup d’éclat de 1917, Duchamp incarnera l’excentricité artistique. Son attitude, sa nonchalance, son dandysme feront de lui une œuvre vivante, un artiste à propos duquel on ne cessera de raconter les frasques et les fantaisies. Pour éclairer ce propos, voici ce qu’écrira le critique d’art Henri-Pierre Roché : « Quand j’ai rencontré Marcel Duchamp à New York en 1916, écrit-il, il m’est apparu avec une auréole. De quoi étaitelle faite ? De limpidité, d’aisance, de rapidité, de spontanéité, d’audace. Sa présence était une grâce et un cadeau. Il créait une légende, comme un jeune prophète, qui n’écrit guère de textes, mais dont toutes les bouches répètent les paroles. Et les anecdotes de sa vie courante deviennent des miracles »2.
1. MARCARDE, Barnard, p. 524. 2. Henri-Pierre Roché, cité par HEINICH, Nathalie, p. 286. 3. LAOUREUX, Denis, p. 165.
C’est pourtant seulement la fin des années cinquante que ses travaux, et ses ready-made en particulier, connaîtront une véritable reconnaissance. C’est à cette époque en effet qu’est redécouvert le moment Dada et que surgit une
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LE CARRÉ NOIR SUR FOND BLANC DE MALEVITCH (QUADRANGLE, 1915)
Carré noir sur fond blanc 1913, Huile sur toile, 106.2 x 106.5 cm; Musée National d’Art Russe, St. Pétersbourg Image : catalogue collection permanente – Musée National d’Art russe
4. LAOUREUX, 58-59.
Denis,
p.
Pourquoi cette œuvre est-elle considérée comme exemplaire ? Qu’a-t-elle bouleversé ? Pour répondre à cette question, il faut à nouveau se référer au contexte artistique dans lequel cette peinture a été produite, un contexte qui est, en somme, assez proche de celui que nous avons évoqué avec Duchamp. Quand Malevitch peint ce carré noir sur fond blanc, nous sommes en 1915. La modernité, dans le sens d’une rupture avec la tradition, bat son plein et les artistes sont de plus en plus nombreux à briser les codes et les règles de représentation qui jusqu’alors régissaient l’œuvre d’art. Les raisons qui expliquent ces transgressions plastiques sont nombreuses, mais s’il fallait en épingler deux, on retiendrait, d’une part, l’émancipation prise par l’artiste à compter de la seconde moitié du XIXe siècle et, d’autre part, l’invention, vers 1850, de la photographie. Sans reprendre le détail des multiples luttes menées par les peintres et les sculpteurs du XIXe siècle pour accéder à leur indépendance, on retiendra que ce sont bien les exigences de reforme et le désir d’autonomie qui aura permis à l’artiste de la fin du XIXe siècle de s’émanciper et d’acquérir ainsi plus de liberté par rapport aux codes de la représentation traditionnelle de la peinture. Le deuxième facteur important qui permet d’expliquer la rupture avec la représentation de la réalité : l’invention de la photographie. Avec elle, la peinture (qui jusqu’alors était le support de l’art par excellence) se voit totalement remise en cause. Pourquoi ? Et bien parce qu’il existe désormais un autre médium assurant parfaitement la première intention de la peinture, à savoir la reproduction les êtres et les choses qui nous entourent avec plus ou moins de précision. C’est donc dans ce contexte, grossièrement décrit ici, que l’abstraction se développe. L’abstraction est donc le résultat d’un processus de déconstruction qui commence au XIXe siècle, un processus tout à fait radical, car c’est la première fois dans l’histoire de l’art que des peintres décident de faire l’économie totale d’une relation au réel en promouvant une peinture composée de ses éléments intrinsèques, c’est-à-dire : la forme, la couleur, la
matière et la ligne. En peignant un carré noir sur un fond blanc,
MALEVITCH VA JUSQU’AU BOUT DE CE PRINCIPE D’ABSTRACTION EN METTANT EN SCÈNE LA PEINTURE ELLEMÊME et en tentant de représenter, de manière métaphysique, l’absence. L’artiste passe donc à la supression de la réalité, en sous-entendant que répéter le monde sur la toile ne sert plus à rien. En fait, à la lecture des nombreux textes écrits par Malevitch, on s’aperçoit que le suprématisme renvoie à un projet plus philosophique qu’esthétique. Un projet nihiliste en somme, puisque l’artiste donne une valeur au rien. On retrouvera ce projet radical dans une autre toile ultra-célèbre de l’artiste, son fameux Carré blanc sur fond blanc de 1918. A la lecture du titre, on semble averti : on ne devrait rien voir. Pourtant, il y a des nuances. Il ne s’agit pas d’un réel monochrome puisque la forme du carré émerge. En fait, avec cette toile, Malevitch donne une fonction plastique incroyable au blanc. Le blanc sur blanc se présente en effet comme un phénomène lumineux absolu. Cela n’a l’air de rien, ou de pas grand chose. Pourtant, les expériences de Malevitch sont tout sauf gratuites. Le peintre russe mène en effet une réflexion analogue à celle de Duchamp, à ceci près que Malevitch rejette la tradition, mais en continuant
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LES SCULPTURE VIVANTES DE MANZONI (VERS 1960)
Images : Fondation Opera Piero Manzoni Onlus, Milan (Italie)
5 BROODTHAERS, Marcel et et HAKKENS, Anna, Marcel Broodthaers par lui-même, Paris-Gand, 1998, p. 24.
Si les sculptures vivantes de Piero Manzoni prêtent à sourire, elles ne relèvent pas de la simple plaisanterie. Par le ses actions, Manzoni a effet remis en cause de nombreux paramètres et critères propres à la création artistique. Première remise en cause avec ses culptuires vivantes : le support. En signant le corps d’une femme, Manzoni fait du corps le support même de l’œuvre. Il s’en prend donc à la conception traditionnelle de la création, qui veut que l’art soit matériel. Il y a donc ici une atteinte à la matérialité de l’art, puisque ses sculptures vivantes ne donnent naissance à aucun objet matériel exposable ou collectionnable. L’intervention de Manzoni est donc totalement éphémère et elle fait d’ailleurs sugir une préocuppation propre à de nombreux artistes de l’époque : produire un art en se dégageant des lieux consacrés que sont l’atelier, la galerie, la musée et le marché de l’art. Outre cette dimension éphémère donnée à l’art, Manzoni se joue aussi des critères d’authenticité qui sont généralement associés à l’œuvre conservée dans un musée ou achetée par un collectionneur. En décrétant que le corps signé est une œuvre d’art authentique, Manzoni nous dit que ce qu’il y a de plus unique et d’authentique au monde, c’est le corps humain. Et ce n’est pas tout, car en y apposant sa signature, comme s’il s’agissait d’une statue, il parodie et ironise un élément fondamental de la création artistique : la signature comme gage d’authenticité. La signature ne se trouvait d’ailleurs pas seulement sur le corps de ses modèles. Manzoni délivrait en effet aux personnes signées des certificats d’authenticité, attestant que la personne signée par l’artiste était, jusque sa mort, une œuvre d’art. Parmi les individus célèbres qui seront décrétés « Œuvre d’art authentique et véritable », on retrouve l’artiste belge Marcel Broodthaers qui, en 1962, sera signé par l’artiste italien. Sur le certificat délivré à Broodthaers, on pouvait y lire : « Par la présente, je déclare que Marcel Broodthaers a été signé par moi et peut donc être considéré à tous points de vue comme une œuvre d’art authentique et ce à partir de la date ci-dessous »5.
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2011 - HTTP://RIA-NETWORK.ORG HISTOIRE DE L’ART 6/7 MADE IN HEAVEN DE JEFF KOONS (1991) lithographie sur papier sur toile - 318 x 691 cm Site : www.jeffkoons.com/ site/index.html
PLUS QUE LA SÉRIE MADE IN HEAVEN ELLE-MÊME, C’EST LA PLACE QUE JEFF KOONS OCCUPE DANS LE MONDE DE L’ART QUI DOIT ICI RETENIR NOTRE ATTENTION. Jeff Koons est en effet l’un des artistes vivants les plus chers au monde ; un artiste qui, en 1991, a battu tous les records en vendant une sculpture représentant Michael Jackson et son chimpanzé pour 5,6 millions de dollars. Adulé par ceux qu’on appelle les méga-collectionneurs d’art contemporain, Jeff Koons se présente comme un homme d’affaire, mais aussi comme un chef d’atelier pour qui travaille, dans le quartier de Chelsea à NY, une centaine d’assistants.
6. SAUZEDDE, Stéphane, Blockbuster art, dans BAWIN, Julie (dir.), L’art vivant et ses institutions, Art&fact, 2007, p. 61.
Cette figure de l’artiste-entrepreneur, de l’artiste manager, n’est bien sûr pas sans provoquer aujourd’hui une certaine forme d’agacement. Elle ne correspond en effet nullement à l’image que l’on se fait de l’artiste, souvent perçu comme une personnalité lunaire, solitaire, généralement sans le sou et créant des œuvres pour elles-mêmes sans véritable souci de profit économique. Jeff Koons irrite donc, car il est riche, décomplexé par rapport à sa fortune, et du reste, il ne fabrique pas lui-même ses œuvres,
mais les fait faire par des assistants, selon des frais de production qui dépassent l’entendement. Comme l’écrit très justement Stéphane Sauzedde, « de nombreuses œuvres possèdent aujourd’hui les caractéristiques des blockbusters, et comme Pirates des Caraïbes, Harry Potter ou Spiderman, dans le champ du cinéma, elles s’imposent comme incontournables dans le champ de l’art : à cause de leur esthétique de la quantité et du superlatif, à cause de leur écho médiatique aussi, elles apparaissent littéralement inévitables, campées au beau milieu de l’art contemporain international »6. Les œuvres de Jeff Koons, comme celles de Damien Hirst, de Maurizio Catellan ou de Wim Delvoye, mettent en jeu des quantités imposantes, que ce soit au niveau des formats, des coûts de production, mais aussi des prix de vente. La question que l’on se pose est évidemment la suivante : est-ce que Jeff Koons symbolise une règle ou traduit-il un phénomène relativement isolé ? En fait, Jeff Koons, comme Andy Warhol en son temps, est un plasticien médiatisé. Il n’est certes pas un « people », comme l’est une star du cinéma ou de la chanson. Mais il passe suffisamment dans les médias – surtout au temps de son mariage avec la Cicciolina – pour incarner auprès du public la « personnalité type » de l’art contemporain. Ainsi, dans beaucoup d’esprits, l’artiste contemporain est à peu près comme Jeff Koons : un artiste « star » pour lequel on dépense des millions et qui luimême dépense des millions. D’ailleurs, quand on parle d’art contemporain, on parle soit d’incompréhension (parfois de nullité), soit d’argent. Dans un dîner, on aura en effet toujours une anecdote à raconter sur tel ou tel artiste qui a vendu telle œuvre pour tel montant. Il y a donc aussi cette idée largement répandue selon laquelle le marché de l’art surestime l’art contemporain. Combien de fois n’ai-je pas entendu : « Mais enfin, c’est tout de même incroyable qu’une œuvre d’un artiste contemporain, dont on ne sait s’il restera dans l’histoire, se vende plus chère qu’un Monet ou un Picasso ?! ».
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2011 - HTTP://RIA-NETWORK.ORG HISTOIRE DE L’ART 7/7
Cette idée reçue selon laquelle l’artiste contemporain est riche et surestimé par le marché de l’art est, comme toute idée reçue, un peu caricaturale. Certes, l’artiste contemporain est devenu, depuis les années 80, une sorte de valeur ajoutée, mais ce phénomène ne concerne évidemment pas tous les artistes de notre temps, lesquels sont majoritairement dans des situations précaires et lesquels sont bien plus nombreux à déplorer leur statut incertain et le manque de soutien des autorités publiques qu’à se féliciter d’un engouement pour l’art contemporain. C’est important de le préciser, car on s’aperçoit que la situation que vivent la plupart des artistes actuels est parfois occultée par ce phénomène de mode que constituent le vedettariat et les record de ventes de certaines œuvres. Pourtant, on ne peut ignorer que, dans l’histoire de l’art du XXe siècle, c’est la première fois que l’art contemporain – entendons par là l’art actuel – est aussi largement représenté dans les musées, les galeries, les foires, l’espace public, etc. Jusque dans les années 60-70, l’art le plus contemporain qui était représenté dans les musées concernait, sans trop exagérer, des œuvres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il n’existait d’ailleurs que très peu de musées tournés vers l’art vivant. Dans les années 80, à suite au redressement de l’économie mondiale après le second choc pétrolier, le marché de l’art devient relativement puissant. Il y a donc une reprise du marché des bien esthétiques qui va bien évidemment agir sur l’essor d’un marché d’art contemporain et donc sur la naissance de nouveaux collectionneurs et de nouveaux marchands organisant toujours plus de foires et de biennales. Les musées emboiteront le pas, faisant d’ailleurs parfois de l’art contemporain une image de marque.
numental, toujours plus couteux, mais aussi plus ludique pour les spectateurs, qu’on a vu se construire des musées d’art contemporain à l’image aéroports, pouvant accueillir ces œuvres toujours plus monumentales et coûteuses. Le Musée Guggenheim de Bilbao inauguré en 1997 a été pionnier en ce domaine. Tantôt transgressif, tantôt a-politique, l’art contemporain ne fait finalement que de révéler les nombreux paradoxes d’une société à la fois touchée par la mondialisation et le pluralisme culturel, avec les risques d’éclatement et de confusion que cette situation comporte. C’est pourquoi il n’existe pas de style contemporain ou de médiums contemporains. Il y a une multiplicité qui, depuis plusieurs décennies, fait figure de loi fondamentale. Et c’est évidemment ici que réside la difficulté pour l’analyste en quête de typologies : non réductible à des définitions qui seraient collectivement partagées, l’art contemporain demande à celui qui a la charge de le désigner et de l’expliquer une double compétence : interpréter le présent dans son immédiateté et sa permanente réévaluation tout en s’essayant à la mise en perspective d’une histoire de l’histoire de l’art.
Cette situation a eu évidemment de nombreuses répercussions sur l’organisation du monde de l’art, et c’est bien elle qui a donné naissance à ce que Stéphane Sauzedde appelle le « Blockbuster art », un type d’art dont l’œuvre de Koons est emblématique. Et c’est à l’image de cet art toujours plus mo-
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