Une grande partie de la prise en charge du soutien et des soins prodigués aux personnes à mobilité réduite se fait encore silencieusement, dans l’intimité des foyers, par les proches. Le manque de visibilité de leur travail est un fait, disons-le. Mettant sa focale sur la personne dépendante, et non sur les prestations de soutien fournies par les aidants familiaux, la politique a tendance à occulter ces « petites mains au sein du cocon familial » qui pourtant déchargent notre système de santé. Ces soins « informels » majoritairement assumés par les femmes sont estimés à près de 3,5 milliards de francs par an, selon les expert-es de la Confédération. Une simple question d’organisation La jeune femme de 29 ans, employée au service d’aide et de soins à domicile, savait ce qu’elle faisait quand elle a commencé à sortir avec cet homme sympathique qui lui passera l’alliance au doigt six ans plus tard. Antonio, 42 ans, est tétraplégique. Mais Rahel Ufenast, pressentant que ce n’est pas qu’une romance, se fiche du qu’en-dirat-on. De leur amour naissent Zoé en mars 2016 et Mia en novembre 2019. En piochant dans ses souvenirs, Rahel avoue qu’à l’époque, d’aucuns dans son entourage n’ont pas été tendres avec elle. « On m’a dit : tu es sûre, tu te rends compte ? Qu’est-ce que tu veux faire avec un homme en fauteuil roulant ? » À en juger par la façon dont ils gèrent les soins dont Antonio a besoin, autant dire que les Ufenast s’y prennent bien. La petite famille dont le domicile se trouve à Allschwil (BL) a délégué toilette du matin, pour laquelle il faut compter environ deux heures et demie, et transfert dans le fauteuil roulant à des aidant-es professionnel-les. Quand elle rentre du travail tard, à une heure et demie du matin, Rahel transfère son mari pour la nuit. Sinon, Antonio est bien arrimé dans son fauteuil roulant afin d’éviter qu’il n’en tombe. « Je garde les enfants quand Rahel est sortie », dit-il en ajoutant : « Ce serait indélicat d’être déjà couché quand elle part travailler. » Pour plus autonome qu’il soit, grâce à la fonction instrumentale de ses deux mains qui lui permet d’avoir une certaine indépendance, Antonio ne peut effectuer ses transferts.
Antonio Ufenast en train de faire un puzzle avec Zoé, son aînée.
Aussi est-ce pratique pour tous les deux que ce soit Rahel qui met Antonio au lit car ils n’ont pas besoin de surveiller leur montre lorsqu’ils sont de sortie. « Quand on a recours aux aidant-es professionnel-les, il faut être rentrés pour 22 heures. Cela bride, surtout l’été, » précise-t-elle, pleine de gaieté. De l’énergie, Rahel en a rudement besoin
« On m’a dit : tu te rends compte ? Que veux-tu faire avec un homme en fauteuil roulant ? » Rahel Ufenast pour mener de front travail, enfants, ménage et vie sentimentale. « Quand les bouts de chou sont au lit et que je suis bien installée sur le canapé, ça ne loupe pas, Antonio a besoin d’un truc ... » Antonio aimerait bien s’occuper plus de tâches domestiques pour aider Rahel. L’ancien chauffagiste dont l’accident de moto remonte à 2003, et qui a passé neuf mois en rééducation à Nottwil, s’occupe de leur fille aînée, de tout ce qui est technique, il aide à la cuisine, etc. « Tout ce que je peux faire, je le fais, mais j’ai perdu l’usage de mes doigts, alors il y a pas mal de choses que je ne peux plus faire », résume-t-il. Les rôles à l’intérieur de leur couple, ils les ont délimités autant que possible. « Je suis sa femme, pas son infirmière », dit Rahel qui répond toujours présente quand un ou une auxiliaire manque à l’appel. Mais elle se garde bien de se surinvestir. C’est important d’un point de vue psychologique et pour leur couple. Elle sait bien, elle qui est ellemême aidante professionnelle, que quiconque exerce cette profession a besoin d’avoir du temps pour soi : promenade, sport, sortie entre amies.
Proches aidants
72 %
sont de sexe féminin.
84 %
vivent au sein du même foyer. Source : Recherche suisse pour paraplégiques
Paraplégie, juin 2020 9