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L a révi s i o n d e l a l o i b i o ét hi q u e Rapport a u Bure au Nation al
Ce document de travail, en l’état, n’engage pas le Parti socialiste
Rapporteurs : Najat VALLAUD BELKACEM, Secrétaire nationale aux Questions de société et Bertrand MONTHUBERT, Secrétaire national à l’Enseignement supérieur et à la Recherche Document de travail
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SOMMAIRE ... Document de travail n’engageant pas le Parti socialiste Avant-propos p.4 Introduction p.7
1ère Partie Bioéthique et médecine procréative : l’Assistance Médicale à la Procréation p.9 I. Ouvrir l’accès à l’Assistance Médicale à la Procréation p.10
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Parentalités : une réalité plurielle p.11 Homoparentalité : un mode commun de parentalité p.12 L'intérêt supérieur de l'enfant p.13 Un projet parental construit p.14 Ouvrir le droit à la parentalité p.14 Abandonner la condition de durée de vie commune qui s’impose aujourd’hui aux couples non mariés p.16 Élargir l'AMP aux femmes célibataires p.16 Autoriser la poursuite du projet d’AMP après le décès du conjoint/compagnon p.17 Maintenir une limite d'âge pour l'AMP p.18
II. Questions éthiques liées au don de gamètes p.19
L'indemnisation du don de gamètes p.19 • Pénurie des dons d'ovocytes p.19 • Comparaisons internationales : indemnisation v/ marchandisation p.20 Maintenir l'anonymat des dons de gamètes p.22 Maintenir et simplifier le don des embryons « surnuméraires » p.25
2ème Partie Les évolutions de la médecine : prévoir – guérir – améliorer p.27 I. Problèmes éthiques de la médecine prédictive p.28
•
L'information génétique
p.28
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L’information de la parentèle en cas de détection d’une maladie génétique p.29 Problèmes éthiques de la médecine prédictive associée à la médecine procréative p.30 L’utilisation des données génétiques en dehors des domaines de la recherche et de la médecine. Libertés publiques et protection des données. p.31
II. Médecine réparatrice : la force du don p.33
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Qui peut donner ? p. 33 Développer le don à partir de donneur décédé p.34 Le don à partir de donneurs vivants p.36 Le don et la greffe de sang de cordon (ou sang placentaire) p.38
III. De la médecine thérapeutique à la médecine améliorative : perspectives p.39
3ème Partie Enjeux de la recherche p.42 I. La recherche en Neurosciences p.43 II. La recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires humaines p.46
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Utilisation des embryons « surnuméraires » issus de l’AMP p.46 Limiter le nombre d’embryons surnuméraires ? p.47 La recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires : un système dérogatoire hypocrite et difficilement applicable p.48 Sortir de l’hypocrisie : autoriser la recherche sur les embryons et les cellules embryonnaires p.50
III. En guise de conclusion : la recherche, condition du progrès p.51
Sources p.53
Document de travail
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AVANT PROPOS ...
L
a loi de bioéthique du 6 août 2004 prévoyait sa révision dans un délai de cinq ans, elle sera fnalement soumise à l'examen du Parlement à l’automne 2010 au terme d'une série de consultations ou d'évaluations (Conseil d'État, Offce parlementaire d'évaluation des choix scientifques et technologiques, Agence de biomédecine, Comité consultatif national d'éthique, mission parlementaire sur la révision des lois bioéthiques, etc.) ayant donné lieu à plusieurs dizaines d'auditions des meilleurs spécialistes de ces questions : chercheurs, médecins, associations, philosophes, juristes, etc.. En outre, la révision de la loi aura été précédée par l'organisation d'états généraux de la bioéthique 1. Intéressants dans leur principe, ces états généraux n'ont pas été à la hauteur des enjeux dans leur mise en œuvre : le large débat public annoncé n'a pas eu lieu, le panel de citoyens était trop limité (une centaine de personnes) et pas assez représentatif. De l'avis d'un certain nombre de participants, le débat a été assez largement confsqué par ses organisateurs, la réfexion a été orientée et tous les points de vue n'ont pas eu les mêmes possibilités d'expression.
Le groupe de travail bioéthique du Secrétariat national du Parti socialiste a été constitué en juin 2009. Sous la responsabilité de Najat Vallaud-Belkacem (SN Questions de société) et de Bertrand Monthubert (SN Enseignement supérieur, Recherche), il réunit Gaëlle Lenfant (SN Droits des Femmes), Pouria Amirshahi (SN Droits de l’Homme), Charlotte Brun (SN Handicap, dépendance), Marisol Touraine (SN Santé, Sécurité sociale), Claire Edey-Gamassou (déléguée Citoyenneté, Libertés, Ethique et sciences, auprès du SN des Droits de l’homme), Jean-Patrick Gille (SN Famille), Sibeth Ndiaye (SN Petite Enfance). Plusieurs députés et sénateurs ont été ponctuellement associés aux travaux. Enfin, Hervé Chneiweiss (ancien délégué PS bioéthique) a étroitement collaboré à la rédaction de ce rapport. Le groupe de travail a établi une méthode, un calendrier de travail et a engagé ses recherches documentaires et bibliographiques en septembre 2009. Proposition a été faite à tous les premiers secrétaires fédéraux d'organiser des conférences et des auditions sur ces sujets sur tout le territoire. Le groupe de travail a procédé à plusieurs auditions en complément des comptes rendus disponibles auprès du Parlement. Au terme de ce travail, des fiches de synthèse ont été proposées par les rapporteurs à l'arbitrage du groupe de travail en formation plénière, avant proposition du présent rapport d'ensemble soumis au Bureau national. Les principaux sujets soumis au débat concernent : La médecine procréative : l'assistance médicale à la procréation (AMP) est devenue pour les
couples infertiles le moyen d'échapper à la fatalité et d'avoir un enfant. Depuis la naissance d'Amandine, 10 000 enfants naissent chaque année d'une fécondation in vitro en France. C'est dire 1 Damien Philippot, Quand la droite chasse sur les terres de la gauche, états généraux de la bioéthique et démocratie participative, Note de la Fondation Jean Jaurès, mars 2010
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si l'AMP est désormais une pratique commune. Les questions aujourd'hui soumises au débat résultent des progrès accomplis en matière biomédicale, mais aussi de l'évolution des modèles familiaux : familles mono-parentales, coparentalité, ménages sans famille, réseaux familiaux, etc. Il s'agit dans le cadre de la révision de la loi bioéthique de se prononcer sur les conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation : conditions d'âge (faut-il autoriser la grossesse de femmes ménopausées ?), conditions tenant à la situation des personnes (ancienneté et stabilité du couple, insémination po st m orte m, célibat), conditions de sexe (couples homosexuels). Ce dernier sujet est particulièrement important puisqu'il s'agit de savoir si l'AMP doit être ouverte aux couples de même sexe et, du même coup, si le recours à l'AMP doit rester un acte strictement médical ou s’il peut être considéré comme une méthode de procréation à part entière. L'AMP interroge dès lors les pratiques sociales et les modèles de parentalité (parent célibataire, couple homosexuel...) et pose la question de l'intérêt de l'enfant. Autant de sujets faisant désormais l'objet d'une littérature abondante et de qualité permettant de prendre objectivement position. L’aide médicale à la procréation pose également la problématique des dons de gamètes aujourd'hui régis par le triptyque gratuité, anonymat, consentement. Les situations peuvent être multiples selon qu'il s'agit d'un don de sperme, d'ovocytes ou même d'embryon. Le don d'ovocytes mérite une attention particulière puisqu'il y a pénurie de donneuses en France compte tenu du caractère particulièrement contraignant de la mise en œuvre du don. Cet état de fait pose la question de l'indemnisation des dons d'ovocytes et avec elle, celle de la frontière entre indemnisation et marchandisation. La question de l'anonymat des donneurs occupe une place importante dans le débat. D'abord parce que l'accès aux origines est une revendication forte de certains enfants nés d'une AMP avec tiers donneurs, ensuite parce que la levée de l'anonymat pourrait réduire les dons de sperme. La tendance européenne est à la levée de l'anonymat dans l'intérêt de l'enfant, avec parfois des systèmes de double guichet. La levée de l'anonymat interroge en outre nos modèles de fliation et la place des personnes parties prenantes d'une AMP. La médecine prédictive : derrière cet espoir de pouvoir prédire, prévenir et traiter des maladies
auxquels nos gènes nous prédisposeraient, émergent nombre de craintes et d'interrogations éthiques. La première des questions soulevées concerne l'accès et l'exploitation de l'information génétique en particulier avec l'acquisition de plus en plus aisée sur Internet, et sans contrôle, de divers tests génétiques allant de simples tests de paternité à l'examen des prédispositions à certaines maladies génétiques ou à composantes génétiques (comme le diabète, l'obésité ou certains cancers). Ce qui est en cause, c'est le caractère douteux de l'utilité clinique de ces autotests autant que la confidentialité ou l'usage abusif et attentatoire aux libertés individuelles qui pourrait être fait de ces données génétiques. La médecine prédictive a pour corollaire la pratique du diagnostic préimplantatoire (DPI) qui, comme le diagnostic prénatal (DPN), offre désormais la possibilité de connaître certaines caractéristiques d'un enfant non encore né. Il permet de diagnostiquer une anomalie génétique ou chromosomique suspectée. Le DPI correspond à une médecine d'évitement qui ne traite pas la Document de travail
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maladie mais permet, dans le choix de l'embryon implanté, de s'assurer que l'enfant à naître ne développera pas la pathologie recherchée. Cette pratique pose la question de ses modalités (systématique en cas de FIV ou seulement sur la base d'un faisceau d'indices de risques ?) et des maladies recherchées selon leur degré de gravité et d'irréversibilité. Question est également posée d'une mise en balance DPI/DPN pouvant déboucher sur une interruption médicale de grossesse s'agissant notamment du diagnostic de la trisomie 21. Les principales craintes portent sur le développement d'un eugénisme libéral dont serait porteuse cette sélection des embryons. Quelles limites fixer à la recherche d'un enfant en bonne santé ? Ressurgit par ailleurs, à la faveur de ce débat, la question du statut de l'embryon et la dénonciation de sa réification. Cet argument trouve un terrain fertile lorsque se trouve évoqué le cas particulier des « bébés médicaments ». Au delà, la question de l'accès à l'information génétique présente le risque d'un dévoiement des techniques biomédicales au profit de la recherche de « l'enfant parfait ». S'il est déjà possible dans certains pays de choisir le sexe de son enfant, l'ingénierie génétique de l'homme reste encore largement une hypothèse d'école qui n'interdit cependant pas la réflexion sur les perspectives d'une médecine performative. La médecine réparatrice, rendue possible notamment grâce au don de tissus et d’organes
soulève de nombreuses questions sensibles. Considérée comme une pratique transgressive, puisque très liée à la vie et à la mort, elle rend indispensables des garanties importantes afin de donner à tous les citoyens, confiance en cette médecine basée sur le don et la solidarité. Grâce aux avancées des recherches sur les cellules souches, des éléments, comme le sang de cordon ombilical pourraient se révéler très importants pour la médecine. Le développement de pratiques telles que la conservation de ces éléments, par des individus questionne et amène à réaffirmer le principe de solidarité, devant mener à une conservation publique et collective des éléments du corps humain. Les évolutions de la médecine prédictive et réparatrice, imposent également de s’interroger sur les enjeux, les finalités, les impacts et les dégâts d’une médecine améliorative, destinée à modifier l’être humain. Les neurosciences sont un exemple des possibilités qui sont déjà offertes aux individus de modifier leurs capacités et leurs comportements. La recherche sur les cellules souches et sur l'embryon est
aujourd'hui interdite mais peut cependant, faire l'objet de dérogations attribuées par l'agence de biomédecine. La recherche sur les embryons, porteuse d'immenses espoirs, soulève plusieurs questions relatives, en particulier, à l'usage des embryons surnuméraires et à la question du clonage. En outre, la révision de la loi bioéthique pose la question d'un élargissement ou non des conditions strictes encadrant aujourd'hui les recherches. Enfin, il convient de trancher entre le maintien d'une interdiction de principe ou l'autorisation explicite de la recherche sur l'embryon. Tels sont les enjeux de la révision de la loi bioéthique auxquels le présent rapport entend apporter un éclairage permettant au Parti socialiste de prendre position dans le cadre des débats parlementaires à venir. 6
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Document de travail
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INTRODUCTION … Pour les socialistes, le rapport à la science, au progrès technologique, aux évolutions de notre société, est fondamental. Contrairement aux conservateurs, nous souhaitons que notre société change. Changer la vie n'est pas qu'un vieux slogan, c'est l'objectif que s'assigne chacun des socialistes. Et la science, assurément, y contribue. Elle nous permet de repousser sans cesse les limites de notre ignorance sur le monde qui nous entoure, et elle a des retombées technologiques qui constituent autant de révolutions de notre mode de vie, de notre existence comme en témoigne l'allongement extraordinaire de notre espérance de vie. Pour autant, l'insouciance n'est pas de mise. L'instrumentalisation de certaines évolutions technologiques conduit à de véritables régressions pour la société. Un exemple frappant est celui de l'usage des tests génétiques pour prouver les liens de parenté des immigrants et non pour diagnostiquer et prévenir des maladies d'une particulière gravité. D'autres évolutions potentielles conduisent à s'interroger sur les frontières entre l'humain et la machine, avec la mise au point d'un "Homme augmenté", dopé, surproductif: au profit de qui? Dès lors, il est indispensable de poser des règles aux applications sociales de la science, tout particulièrement dans le domaine du vivant, comme le font les lois de bioéthique. Une loi qui permette aux citoyens de définir ce qui est souhaitable et ce qui ne l'est pas, pour être acteur de l'évolution scientifique et technologique plutôt que de la subir, voici l'objectif. Mais sur un tel terrain, qui touche à la vie, à la mort, à la maladie, à la reproduction, il faut se donner quelques principes directeurs, sans quoi les considérations philosophiques personnelles prennent le dessus, ce qui est trop souvent le cas. Il faut également choisir une méthode. Enfin, il faut se doter des structures qui permettent de garantir aux citoyens le respect de ces principes et de cette méthode. Notre réflexion a donc été guidée par le respect de plusieurs principes. En premier lieu, la laïcité. Par essence, tout débat concernant l'éthique des sciences du vivant renvoie aux questions fondamentales qui entourent la vie et la mort. Les religions sont donc très impliquées dans ces débats. Lors des auditions que nous avons faites, de nombreux participants se sont montrés préoccupés par la place importante parfois accordée aux représentants des religions. En particulier, l'organisation des Etats-Généraux de la bioéthique leur a laissé une place sans doute trop importante. Pour le Parti Socialiste, la réflexion se tient naturellement à l'écart de tout dogme transcendantal. En second lieu, nous avons tenté d'éclairer notre réflexion par la prise en compte de l'état de la connaissance en matière de vivant. Trop souvent, des positions sont développées qui s'appuient sur une compréhension erronée de faits scientifiques. Tout particulièrement, la génétique est à l'origine de nombreux fantasmes. Nous avons pris soin d'écarter toute vision d'un déterminisme génétique, qui se caractériserait par l'idée que l'essentiel du devenir de notre corps serait déterminé par notre patrimoine génétique.
En troisième lieu, l'égalité est un principe premier du socialisme. Il n'appartient pas au politique d'établir de discriminations entre les différentes possibilités de choix de vie, tant qu'elles sont respectueuses d'autrui. Cela s'applique naturellement aux orientations sexuelles. Nous avons opté pour une reconnaissance du fait homo-parental. La seule objection qui pourrait être posée contre cette reconnaissance serait l'intérêt de l'enfant, sa structuration psychologique. Mais les travaux conduits par les psychologues sur cette question montrent pour la plupart d'entre eux que cette crainte n'est pas fondée. Nous l'avons donc écartée. La solidarité entre les citoyen-ne-s est enfin une valeur qui doit être réaffirmée par la loi de bioéthique. La solidarité nationale doit s’exprimer notamment à travers un système public, financé collectivement, garantissant l’accès aux soins, ou encore la promotion de la recherche comme condition du progrès pour notre société et les générations futures. Le don anonyme et gratuit, permettant d’aider d’autres citoyen-ne-s à guérir ou à accéder à la parentalité, est aussi un ciment de la solidarité, un modèle d’entraide à promouvoir. Au-delà de ces principes qui ont guidé notre réflexion, se pose la question de la méthode d'élaboration de la loi. Il a été prévu par le législateur que la loi de bioéthique soit révisée tous les cinq ans, afin notamment de prendre en compte les évolutions du contexte scientifique et technologique. De fait, la loi perd son caractère fondamental, et devient trop liée aux circonstances. Par ailleurs, ce processus de révision est très lourd, d'autant qu'il est suivi de la publication de décrets qui eux-mêmes peuvent être retardés, voire ne jamais voir le jour. Nous proposons de transformer la loi de bioéthique en une loi qui indique les valeurs fondamentales, ce qui est essentiel pour l’humanité, ce qui vaut la peine d’être protégé et ce qui peut être mis en cause par une technique dérivée d’un savoir. Il reviendrait alors aux institutions telles que l'Agence de biomédecine et l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques d'autoriser ou interdire des pratiques particulières relevant de la bioéthique, en se fondant sur les principes énoncés dans la loi. Cette dernière pourrait être révisée lorsque l'OPECST le jugerait indispensable.
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Partie 1 BIOETHIQUE ET MEDECINE PROCREATIVE : L’ASSISTANCE MEDICALE A LA PROCREATION …
I. OUVRIR L'ACCES A L’ASSISTANCE MEDICALE A LA PROCREATION ...
S
i la pratique de l'assistance médicale à la procréation est aujourd'hui devenue banale avec la naissance chaque année de plus de 10.000 bébés issus d'une fécondation in vitro, la révision de la loi bioéthique intervient cependant dans un contexte radicalement nouveau dans lequel la question du désir d'enfant devient une question sociale à part entière.
Chiffres clés sur l’AMP en France en 2006 :
- 15 à 20 % des couples ont consulté un médecin pour des difficultés à avoir un enfant ; - 6 % de couples sont infertiles ; - 20 042 enfants sont nés après une AMP, soit 2,4% de la totalité des naissances ; - 1 228 enfants ont été conçus avec un don de gamètes ; - 17% de réussite des tentatives d’AMP (20 042 enfants nés vivants pour 119 649 tentatives) - 54 179 inséminations artificielles ; - 65 413 cycles de fécondation in vitro (FIV, ICSI et TEC) ; - 9,5 % des inséminations artificielles sont réalisées avec les gamètes d’un donneur ; - 3 % des fécondations in vitro sont réalisées avec les gamètes d’un donneur.
La législation française mise en place en 1994 2, qui n'a pratiquement pas été remise en question lors de la révision de 2004, encadre très strictement l'assistance à la procréation, destinée, selon les termes de la loi, à répondre à la demande parentale d'un couple infertile pour des raisons pathologiques ou à éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité. En outre, l'assistance médicale à la procréation est réservée aux couples hétérosexuels stables3 , en vie et en âge de procréer. Enfin, la conception in vitro d'un embryon doit être réalisée avec les gamètes d'au moins l'un des deux membres du couple, le donneur étant anonyme. La loi française apparaît ainsi, à la veille de sa révision, très nettement limitative ; plus en tous les cas que ne l'est, par exemple, la législation américaine beaucoup plus attachée au primat de la liberté individuelle puisque l’AMP est ouverte aussi bien aux couples hétérosexuels qu'à ceux de même sexe ou encore aux célibataires. En outre, le double don de gamètes est autorisé comme les implantations d'embryon à des femmes ménopausées. Cette valeur suprême accordée, parfois à l'excès, aux libertés individuelles, qui interdit quasiment à la société le droit de fixer des limites, n'est évidemment pas sans poser des difficultés, mais il n'est pas certain pour autant qu'une législation trop étriquée ne soit pas pareillement source d'inconvénients et porteuse 2 Loi n°94-654 du 29 juillet 1994 relative à l'utilisation des éléments du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal
3 C'est à dire marié ou apportant la preuve d'une vie commune depuis au moins deux ans.
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d'inégalités entre les citoyens. Force est de constater, en tous cas, que la législation française se fonde sur un modèle familial dominant, ignorant assez largement les évolutions à l'œuvre dans la société française. Les rapporteurs constatent en particulier qu'elle ne laisse aucune place à d'autres modes de parentalité, or, celles-ci se conjuguent désormais au pluriel.
→ Parentalités : une réalité plurielle « Mon corps e st à m oi », derrière ce slogan du féminisme, il y a plus qu'une revendication, un véritable mouvement d'émancipation, des femmes bien sûr, mais au-delà de la société toute entière. Une révolution dans les mentalités, engoncées dans des codes sociaux séculaires. Des suffragettes à aujourd'hui, les féministes ont été utiles, à la cause des femmes certes, mais elles l'ont été tout aussi sûrement à l'évolution des mœurs. Sans le féminisme, il n'y aurait pas de liberté de la conception, c'est-à-dire de liberté pour les femmes de décider (grâce à la contraception et à l'IVG) du moment d'avoir un enfant ou de ne pas en avoir. Or « beaucoup de fe m m e s, b eaucoup de couples au s si, n'ont pu prendre conscience de leur dé sir d'avoir un enfant qu'une fois écarté le risque d'avoir un enfant san s l'avoir dé siré », écrivent Monique Canto-Sperber et René Frydman. Le féminisme est progressiste par nature. Pour les rapporteurs, le combat pour l'élargissement des conditions d'accès à l’AMP s'inscrit sans ambiguïté dans l'histoire des mouvements d'émancipation des individus et nécessite donc de considérer, sans arrière pensée ni jugement de valeur, les évolutions de notre société. Le modèle traditionnel de la famille nucléaire a volé en éclat sous les coups de boutoir de la critique idéologique, politique et sociale. Les pratiques sociales ont largement évolué avec la dédramatisation du divorce, la multiplication des unions libres et des naissances hors mariage, l'accroissement du taux d'activité des femmes, le succès formidable du PACS... Il y a une banalisation aujourd'hui de modes de vie qui semblaient déviants il y a seulement deux générations. Les recompositions familiales sont légions : familles mono-parentales, coparentalité, ménages sans famille, réseaux familiaux... l'institution familiale a désormais plusieurs visages et les trajectoires de vie prennent des formes de plus en plus variées en alternant des séquences de vie en couple et des séquences de célibat, sans pour autant renoncer à un autre trait de la modernité familiale: l'attention portée à l'enfant avec l'amour parental comme pierre angulaire. « Qu'est-ce qu'être parent aujourd'hui ? Celui qui a donné naissance et reconnu s on enfant ? Celui qui a une o bligation d'entretien à s on égard ? Celui qui trans m et s on no m et s e s biens ? Celui qu e la s ociété a défini co m m e tel par un acte juridique ? Celui qui élève, aim e et prodigue les s oins? » s'interroge Agnès Fine4. La réponse ne va plus de soi. Parents biologiques, génétiques, juridiques, de droit, de fait ou d'amour...
4 « Uniformisation ou double filiation dans l'adoption française ? », Anthropologie et Société, vol 24, N°3
Faut-il voir dans l'abandon du modèle familial traditionnel ou dans le pluralisme des situations familiales une crise de la famille ? Une démission parentale, une décadence sociale et morale ? Ou au contraire, une libération des mœurs avec ce que cela implique de supplément d'autonomie et de liberté individuelle ? Les rapporteurs s'inscrivent résolument dans cette dernière option. Cette ambivalence face à l'appréhension de ces mutations sociales traverse la société française au moment même où de nouvelles demandes sociales se font jour : mariage de couples de même sexe, homoparentalité, aide médicale à la procréation ... Pour les rapporteurs ces questions se heurtent au même mur de conservatisme et d'incompréhension que les mouvements féministes dans les années 1970. Tous les arguments y passent, indignité humaine, immoralité, union contre nature... On en appelle, tous azimuts, au secours de la religion, de la morale, de l'ordre public, des droits de l'Homme, à l'intérêt de l'enfant, à l'envers, à l'endroit, selon ce qu'on invoque, avec des arguments plus ou moins convaincants quand ils ne sont pas carrément fallacieux. Pour les rapporteurs, c'est oublier que le monde change, que les cadres juridiques sont souvent en décalage avec les pratiques sociales, que les progrès de la science offrent des perspectives nouvelles. Nous avons majoritairement admis, depuis 40 ans, qu'il puisse y avoir un découplage entre sexualité et procréation, il nous faut désormais admettre qu'il puisse y avoir découplage entre sexualité et procréation par l'entremise de la médecine ou d'un tiers consentant, entre conjugalité et filiation, entre parentalité et famille (ce qu'Irène Théry appelle le « dé mariage »). Les rapporteurs considèrent qu'il est aujourd'hui de la responsabilité du législateur de prendre en compte ces évolutions majeures et qu'il n'est plus possible de maintenir une législation si ostensiblement sourde aux évolutions de la société. L’AMP doit s'ouvrir à d'autres formes de parentalité auxquelles les pratiques sociales actuelles ont d'ores et déjà donné une réalité tangible : homo-parentalité, parent célibataire.
→ Homoparentalité : un mode commun de parentalité Le débat sur l'accès à l’AMP et plus largement à la parentalité, doit être conduit de bonne foi et dans le silence des passions d'où qu'elles s'expriment. Dans ce débat, il ne saurait y avoir de place pour les considérations naturalistes conduisant à des jugements d'ordre moral et subjectif. En matière d'AMP, l'argument de la nature désigne, le plus souvent, le « bon comportement » pour celui qui l'invoque, le contre-nature désignant le comportement déviant, celui qui va contre la perpétuation de la société dans ses formes traditionnelles 5 . Nous rejetons donc l'argument d'autorité selon lequel l'homoparentalité ne serait pas naturelle. Si pendant longtemps, la majorité des grandes figures homosexuelles étaient mariées et parents, l'homoparentalité, résultant de recompositions familiales ou d'authentiques projets parentaux, n'est plus un objet social non identifié. L'INED estime ainsi, qu'en 2005, entre 24.000 et 5 Pour ses détracteurs, l'homoparentalité apparaît comme le lieu de télescopage entre la parentalité comme idéal d'accomplissement moral, et l'homosexualité comme anormalité contre nature.
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40.000 enfants vivaient dans des couples de même sexe, tandis que l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens les évalue pour sa part à près de 200.000 aujourd'hui 6. C'est dire si considérer le statu quo législatif comme le moyen, revendiqué par Christine Boutin par exemple, d'empêcher les couples homosexuels d’être parents est largement illusoire. Cela montre aussi que le débat a largement dépassé la seule question du droit, le PACS ayant permis à de nombreux couples de sortir de la marginalité, pour se poser en véritable question de société.
Les formes volontaires d'homoparentalité (source : APFPG) Modalités de conception
1997
2001
2005
IAD
38 %
51 %
71 %
Coparentalité ou donneur connu
39 %
35 %
21 %
Adoption
13 %
12 %
8%
Les rapporteurs souhaitent plus particulièrement porter leur analyse sur la question de l'homoparentalité au cœur des débats actuels, en considérant principalement deux points : l'intérêt de l'enfant d'une part, la consistance du projet parental de l'autre. Ces deux considérations autoriseront des extrapolations à d'autres situations de parentalité.
→ L'intérêt supérieur de l'enfant Il est, en effet, légitime et nécessaire de se poser la question des éventuelles conséquences psychologiques, affectives et sociales pour un enfant de naître dans des conditions particulières ou de grandir dans une famille dont la configuration serait éloignée des normes sociales majoritaires. La préoccupation des rapporteurs, qui est d'ailleurs celle des Conseils généraux chargés de délivrer les agréments aux familles adoptantes, est que soit garanti à l'enfant un environnement affectif stable et de qualité permettant son épanouissement personnel. Le plus important doit être la capacité de la famille à rendre heureux l'enfant qu'elle accueille et à le mener à l'âge adulte 6 Les estimations sont toujours délicates et dès lors souvent imprécises : aux États-Unis on estime que 2 à 8 millions de parents gays ou lesbiens élèveraient 3 à 14 millions d’enfants. Pour l'Allemagne, on évalue à 650 000 le nombre d'enfants concernés.
dans les meilleures conditions. L'expérience désormais acquise de ce que d'aucuns appellent le « gayb y b o o m », comme la littérature abondante7 parue depuis plus de trente ans (en particulier en Grande Bretagne et aux États-Unis), permettent de porter un jugement éclairé sur les conséquences de l'homoparentalité pour un enfant. Les recherches réalisées8 aux États-Unis et en Europe du Nord, montrent assez clairement qu’il n’y a pas d’impact majeur de l’homoparentalité sur le bien-être et le devenir psychologique des enfants9. Cette absence avérée de danger pour l'enfant explique aussi qu'il n'y ait pas de cas en France dans lesquels ce motif aurait conduit au placement d'un enfant par les services sociaux. Pour être plus précis, puisque c'est la crainte parfois invoquée, l’homosexualité des parents ne cause ni troubles psychologiques, ni incitation particulière à une sexualité plutôt qu’une autre pour les enfants concernés. Ces études viennent donc lever les préjugés et les craintes formulées à l'endroit de l'homoparentalité et témoigner du fait que les familles homoparentales sont à la fois des familles hors norme et des familles ordinaires. Sans que l'ensemble des études conduites ne vienne le confirmer de façon déterminante, il ressort néanmoins de plusieurs enquêtes la crainte des enfants de couple homosexuel, d'une stigmatisation de leur situation familiale par leurs pairs, laquelle n'est malheureusement que le reflet des préjugés véhiculés par les adultes eux-mêmes. De l'avis des rapporteurs, il semble que l'on puisse dire, sans être injuste ou inexact, que les motifs qui excluent aujourd'hui les couples de même sexe du droit d'être parent sont moins fondés sur des raisons objectives que sur des préjugés sociaux. On pourra opposer que les couples de même sexe n'ont pas de motifs médicaux à faire valoir à l'appui de leur demande, les associations homosexuelles répondent par l'argument de la « stérilité sociale ». Les rapporteurs font leur cette expression.
→ Un projet parental construit L'argument selon lequel il ne saurait exister de « droit à l'enfant » sert bien souvent à écarter toute velléité d'ouvrir les portes de la parentalité et de l’AMP, en particulier, aux couples de même sexe, comme si le désir d'enfant était réductible à un mouvement d'humeur. Les opposants à l'élargissement des conditions d'accès à l'AMP considèrent parfois, en effet, ce projet parental comme un acte égoïste, voire comme un caprice auquel la société aurait le devoir de ne pas répondre. C'est parfois de façon parfaitement explicite que certains refusent de 7 Vecho O. et Schneider B., Homoparentalité et développement de l’enfant : bilan de trente ans de publications, Lapsychiatrie de l'enfant 2005/1, 481, p. 271-328.
8 Celles-ci portent comparent la situation des enfants de couples homosexuels aux enfants de couples hétérosexuels. Les
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principaux thèmes retenus sont : l'orientation sexuelle, l'identité et comportements sexués, les problèmes psychologiques et comportementaux,les relations sociales,les relations intrafamiliales,la perception et l'estime de soi,l'intelligence, les sévices... Nadaud S, Approche psychologique et comportementale des enfants vivant en milieu homoparental, thèse de médecine, 1999
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consentir à ce qu'ils tiennent pour des revendications minoritaires, voire communautaires. Les rapporteurs ont eu l'occasion plus souvent qu'à leur tour d'entendre dire qu'il ne fallait pas céder au « lobby » gay. Les arguments opposés sont un peu courts pour fonder une inégalité devant la loi. Comment justifier le renvoi de ces candidats réfléchis à la parentalité à leurs souffrances ? Comment légitimer cette inégalité dans l'exercice d'une faculté fondée sur le hasard ou sur la malchance ? Sur quel principe moral, déontologique ou éthique, qui ne soit pas péremptoire, fonder le refus d'élargir l'AMP ? C'est d'une manière générale bien mal connaître le parcours du combattant de l'AMP comme de l'adoption. Toutes les situations d'aide à la procréation ou d'adoption ont en commun un solide projet parental, bien souvent plus abouti que dans des couples classiques dans lesquels l'heureux événement n'est pas toujours un événement attendu. Avoir un enfant est pour beaucoup de ces couples infertiles un parcours difficile, une somme de souffrance, physique et psychologique, parfois très grande. La durée moyenne d'une démarche d'AMP est aujourd'hui de trois ans, un délai durant lequel les parents d'intention ont largement le temps de prendre la mesure de leur choix et des responsabilités qu'il implique. « Il ne suff it pa s d'avoir un enfant, ni po ur être fe m m e ni p our être m ère ; la m aternité s e con struit affective m ent, intellectuelle m ent, cognitive m ent 10 » écrit Françoise Héritier. Les rapporteurs peuvent présumer, sans grand risque de se tromper, qu'un projet parental construit, mûri, préparé de longue date est un moyen sûr de construire son projet parental et d'accueillir un enfant dans de bonnes conditions.
→ Ouvrir le droit à la parentalité S'il n'existe pas de « droit à l'enfant », expression en elle-même porteuse d'une condamnable réification, il ne fait aucun doute qu'il existe cependant la liberté de facto d'avoir un enfant, car, ainsi que le souligne Élisabeth Badinter, « personne n'aurait l'idée d'interdire à une fe m m e droguée, grave m e nt atteinte d'un point de vue p sychologique, de faire un enfant. Alors qu'on sait très bien qu e l'enfant à naître aura une vie ab o minable. Personne ne s e per m et de l'interdire car la crainte de l'eugénis m e e st permanente ». S'il n'existe pas de droit à l'enfant, mais qu'il existe cependant la liberté d'en avoir, les rapporteurs considèrent qu'il devrait exister aussi un droit à la parentalité reconnu comme tel, c'est-à-dire un droit à construire un projet parental et à y être aidé en particulier médicalement. Il ne s'agirait certes pas d'un droit opposable conduisant à une obligation de résultat à la charge de la société, mais pour le moins d'une obligation de moyens, une obligation d'accompagnement à la procréation et à la parentalité dans un cadre régulé et réglementé qui ne distinguerait pas les demandes selon les orientations sexuelles des parents d'intention. Le Parti socialiste s'honorerait de défendre un droit à la parentalité.
10 Entretien avec Françoise Héritier, L'Express, 25 février 2010
Si la législation en vigueur reste restrictive, l'opinion elle gagne en compréhension et en tolérance. Un sondage réalisé en novembre 2009 par l'institut BVA pour La Matinale de Canal + révèle ainsi que 64% des Français sont favorables au mariage homosexuel, avec deux clivages nets : 70% des femmes y sont favorables (contre 56% des hommes) et 77% des 15-24 ans (contre 53% des plus de 50 ans). A propos du droit à l'adoption, 57 % des Français s'y déclarent favorables avec dans ce cas un clivage droite-gauche très prononcé puisque 62% des sympathisants de droite sont opposés à l'adoption par des couples homosexuels quand 71% des sympathisants de gauche l'approuvent.
Statut légal de l'adoption homoparentale en Amérique du Nord et en Europe
Adoption homoparentale légale Inconnu/Ambiguë Adoption des enfants du conjoint légale Adoption homoparentale illégale
Les rapporteurs rappellent que le Parti socialiste a eu l'occasion à plusieurs reprises de s'exprimer favorablement sur ces deux sujets qui devront être au programme du candidat en 2012, en veillant à ne pas réserver à leur mise en œuvre le même sort que celui fait jusqu'à ce jour au droit de vote des étrangers aux élections locales. À force de ne pas être suffisamment à l'écoute de la société, où à courir derrière des revendications anciennes portées par d'autres, la gauche prend le risque de se faire, avec la droite, le refuge des valeurs traditionnelles dominantes.
RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs soulignent la nécessité de prendre en compte les évolutions des modèles familiaux dans la société et de ne pas maintenir une législation confortant un modèle familial dominant au détriment des autres sur lesquels pèseraient des préjugés entretenus, de fait, par la loi.
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Soucieux de l'égalité des citoyens devant la loi, les rapporteurs sont favorables à un élargissement aux couples de même sexe de l'accès à la parentalité, donc à l'assistance médicale à la procréation et à l'adoption.
→ Abandonner la condition de durée de vie commune qui s’impose aujourd’hui aux couples non mariés
La loi prévoit, entre autres conditions restrictives d'accès à l’AMP, des conditions tenant à la stabilité du couple puisqu'il est requis un concubinage établi d'au moins 2 ans. Cette condition de durée doit permettre de s'assurer de la solidité du couple et de sa volonté réelle de construire un projet parental dans un contexte qui peut éprouver la solidité du couple. En outre, ce critère de stabilité du couple irait dans le sens de l'intérêt de l'enfant. Dernier argument, cette exigence est aussi parfois considérée sous un angle médical puisque l’impossibilité d’avoir des enfants naturellement pendant cette durée suggère une cause médicale d’infertilité. L'évolution des mœurs et des mentalités rend de fait cette condition largement caduque, elle introduit en outre une inégalité puisque cette condition n'est pas requise des couples mariés ; elle peut même conduire les candidats à l'AMP à contracter un mariage qu'ils n'auraient peut-être pas souhaité. Enfin, il convient de relever que cette durée imposée de deux ans peut être un handicap majeur pour les femmes à partir d'un certain âge, voire présenter pour elle un danger.
RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs considèrent qu'il n'appartient pas au législateur de défnir et encore moins de juger de la solidité d'un couple. En conséquence, ils proposent d'abandonner cette condition de durée.
→Élargir l’AMP aux femmes célibataires En France, l'AMP est aujourd'hui réservée aux seuls couples, à la différence de ce que d'autres pays autorisent comme le Portugal, la Grèce ou encore la Grande Bretagne et l'Espagne. Ces législations admettent le plus souvent que l'AMP puisse avoir d'autres motifs qu'un strict problème médical. Si la loi autorise néanmoins l'adoption par une personne célibataire, c'est par ce qu'il y aurait dans l'adoption une logique de réparation, dans l'intérêt de l'enfant, d’un accident de la vie, qui rendrait impossible la comparaison avec l'AMP. De plus, selon les opposants à l'élargissement
de l'AMP aux célibataires, cette libéralisation risquerait d'ouvrir la voie à des AMP « de convenance » visant à répondre à toute forme de désir d’enfant. Enfin, il convient également de lire en filigrane dans cette argumentation que si l’on rendait accessible l'AMP aux femmes, les hommes célibataires ou les couples gays pourraient revendiquer une égalité de traitement passant nécessairement par une GPA. Cependant, une telle position conduit, selon les rapporteurs, à conforter une vision normée de la parentalité, centrée autour du couple et d'une sacro-sainte famille nucléaire. De plus, cette différence de traitement entre l'AMP et l'adoption est infondée. RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs recommandent d'autoriser l'AMP aux femmes célibataires.
→ Autoriser la poursuite du projet d’AMP après le décès du conjoint/compagnon La cour de cassation dans l’arrêt Pires en 1996 a estimé que l’AMP ne pouvait avoir pour but légitime que de donner naissance à un enfant au sein d’une famille constituée. Plus récemment, la Cour d'appel de Rennes a confirmé que le décès d'un membre du couple « fait obstacle à l'insémination ou au transfert d'embryons11 ». L'Allemagne, le Danemark, l’Italie et la Suisse prohibent explicitement l’insémination et le transfert d’embryons po st m orte m , tandis que la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas et le RoyaumeUni admettent ces pratiques. Les arguments pour maintenir l'interdiction d'une AMP po st m orte m portent principalement sur la question de l'intérêt de l'enfant. L'absence de père, eu égard aux circonstances de sa naissance, peut être de nature à créer des troubles psychologiques importants pour cet enfant né d'un deuil. En outre, il peut peser un doute sur le consentement du défunt qui ne pourrait se présumer. De plus, les opposants à cette pratique redoutent que la femme puisse être l'objet de pressions notamment de la part de la famille du défunt. Enfin, dernier argument à charge, en cas d'échec de l'AMP, le deuil n'en serait que plus difficile à faire pour la veuve. A contrario, les arguments retenus pour autoriser une AMP po st m orte m se fondent sur l'évocation d'un éventuel projet parental ayant précédé la mort du père ; et qu’il n’appartient pas au législateur de l’empêcher sur l’homme avait donné son consentement. En outre, les rapporteurs voient mal quelle autorité supérieure à celle de la femme à l'origine de la conception faire valoir sur ces embryons, pouvant les détruire, les donner, mais ne pouvant pas les porter.
11 CA Rennes, aff. Justel, 22.06.2010
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RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs proposent d’autoriser les inséminations post mortem et les transferts d'embryons après décès du père. Il serait en revanche nécessaire de prouver que le décès du partenaire a interrompu un projet parental en cours. Un délai de 6 mois serait nécessaire avant de mettre en œuvre cette AMP. Ils suggèrent en outre, que le consentement soit systématiquement recueilli auprès du conjoint au commencement des procédures d'AMP.
→ Maintenir une limite d'âge pour l'AMP L'âge moyen de la ménopause est de 49 ans, tandis qu'à partir de 42 ans, les taux de grossesses s'effondrent et les risques de complications augmentent. Les progrès de la médecine s'affichent à la une des médias avec des grossesses de plus en plus tardives dans certains pays qui ne fixent pas de limites d'âge pour bénéficier d'une AMP au point que certaines femmes deviennent mère à l'âge d'être grand mère. En France, c'est l'Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) et non la loi qui fixe une limite d'âge de fait en ne prenant plus en charge les fécondations in vitro (FIV) au 43ème anniversaire ni celles qui résultent d'une 4ème tentative. Cette limite d'âge qui correspond au moment où les risques de fausse couche et l'occurrence d'anomalie génétique augmentent, parait pleinement justifiée. Les rapporteurs ne souhaitent pas rentrer dans le débat contingent et inutilement normatif de la différence d'âge de l'enfant qui pourrait conduire ce dernier à être orphelin jeune. Trop d'enfants ont été ou sont élevés par leurs grands parents dans de parfaites conditions d'épanouissement pour en tirer des arguments définitifs.
RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs ne sont pas favorables à une extension de la limite d'âge au delà des pratiques actuelles. Ils suggèrent une appréciation des situations au cas par cas sur la base de motifs médicaux en informant les familles des risques encourus.
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II. QUESTIONS ETHIQUES LIEES AU DON DE GAMETES ... Indemnisation des dons de gamètes
L
e principe de la gratuité des dons de produits du corps humain est un principe éthique fondamental, il est le corollaire du principe d'indisponibilité. La question de la gratuité des dons émerge dans le débat sur la révision des lois bioéthiques à propos de la possibilité d'une indemnisation des dons de gamètes et plus spécifquement des dons d'ovocytes. Avec elle se pose la question des risques de marchandisation.
La gratuité est aujourd'hui, avec le consentement et l'anonymat, l'un des principes fondamentaux régissant le don de produits du corps humain. L'article 16-1 du code civil précise : « Le corps hu m ain, s e s élé m ents et s e s produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial » (article 161). La gratuité est destinée à faciliter la circulation des produits du corps humain et à faire obstacle aux trafics. Ce principe est en outre conforme à l'idée que le don est un acte de générosité désintéressé. Ainsi, le don de gamètes ne peut en aucun cas faire l'objet d'un paiement. La loi prévoit cependant la prise en charge des frais engagés par le donneur ou la donneuse. L’article L. 1244-7 du code de la santé publique dispose, en effet, que « la donneu s e d’ovocytes b én éficie du re m b o urse m e nt de s frais engagé s pour le don », une disposition analogue n’étant pas prévue pour les dons de sperme. Le décret du 24 février 2009, relatif au remboursement des frais engagés à l’occasion du prélèvement d’éléments ou de la collecte de produits du corps humain à des fins thérapeutiques, a permis d’améliorer ce dispositif en prévoyant l’exonération du ticket modérateur pour les frais afférents aux examens, traitements, hospitalisations, soins et suivi des soins liés au prélèvement. Il autorise également les établissements de santé à adresser aux caisses d’assurance maladie les demandes de prise en charge.
→ Pénurie des dons d'ovocytes La question de l'indemnisation du don de gamète surgit avec le constat d'une pénurie des donneurs en particulier des donneuses d'ovocytes. Le don d'ovocytes est, en effet, dans une situation différente du don de sperme car le prélèvement apporte peu de gamètes et est très contraignant pour la donneuse astreinte à une stimulation ovarienne par traitement et un prélèvement opératoire avec anesthésie. Aujourd'hui, on estime à environ 2000 le nombre des dons d'ovocytes qui seraient nécessaires pour répondre aux demandes des couples concernés. Les délais d'attente peuvent aller jusqu'à plusieurs années. Cette situation conduit dès lors de nombreux couples à se rendre à l'étranger, en particulier en Espagne, en République tchèque ou en Grèce, mais aussi dans des
pays aux principes éthiques moins établis. Ce tourisme procréatif expose les couples français à des carences dans la prise en charge médicale. A ce risque s'ajoutent ceux liés à des règles très variables de filiation ou d'indemnisation, s'apparentant dans ce dernier cas à de la marchandisation. Plusieurs pays proposent, en effet, l'achat de gamètes sur catalogue à des prix qui sont fonction du pedigree des donneuses. État des dons en France (source Agence de Biomédecine, rapport d'activité 2008) Dons de spermatozoïdes
Donneurs Donneurs acceptés dont le sperme a été congelé dans l'année
232
Paillettes congelées dans l'année issues des donneurs acceptés dans l'année
13345
Nombre de paillettes congelées/donneur
57,5
Paillettes utilisées dans l'année
10230
Paillettes en stock au 31 décembre de l'année
49480
Couples receveurs Demandes d'AMP avec spermatozoïdes de donneurs dans l'année Nombre de demandes d'AMP dans l'année/donneur accepté dans l'année Couples ayant effectués au moins une tentative d'AMP avec les spermatozoïdes d'un donneur dans l'année
2113 9 2913
Dons d'ovocytes
Donneu se s
247
Dons exclusifs
236
Dons au cours d'une FIV/ICSI
10
Non renseigné
1
Receveuse s Nouvelles demandes acceptées
556
Receveuses ayant bénéficié d'un don d'ovocyte
453
Receveuses en attente d'un don d'ovocytes au 31 déce mbre de l'année
1296
→ Comparaisons internationales : indemnisation v/ marchandisation Il convient de distinguer deux catégories de pratiques à l'étranger : les premières relèvent du commerce de gamètes, les secondes d'une indemnisation des dons entourée de précautions destinées à les promouvoir. Les pays qui ne retiennent ni l'anonymat ni la gratuité comme principes éthiques régissant le don de gamètes font figures d'eldorado pour l'AMP sur catalogue. Aux États-Unis, au Danemark, en Suède, en Grande Bretagne ou encore aux Pays Bas, il est possible d'avoir accès non seulement à l'identité, mais également aux caractéristiques des donneurs : origines ethniques, poids, taille, couleur des yeux, niveau d'étude, confession... La société Cryos, la plus grande banque de sperme d'Europe, offre un service direct aux particuliers dans près de 60 pays en donnant le choix entre plus de 250 donneurs ; d'un clic sur Internet, avec un simple certificat médical, il est possible de recevoir les précieuses paillettes 23
congelées pour un coût variant entre 500 et 2000 €. Côté ovocyte, du fait des contraintes de la stimulation ovarienne, les prix pratiqués, aux États-Unis par exemple, varient de 2000 à 30.000 € en moyenne, chez Eg Donation Inc (Californie), certaines transactions pouvant atteindre jusqu'à 100.000 €. D'autres États, comme l'Espagne, ont cherché à répondre à la singularité des dons d'ovocytes et à leur rareté par la mise en place d'une indemnisation d'environ 900 euros, assortie de limites quant au nombre de fois où la femme peut donner. Cette solution permet, selon le législateur espagnol, de ne pas remettre fondamentalement en question les principes de gratuité et d'indisponibilité car cette indemnisation n'est pas à proprement parler une rémunération et le don d'ovocyte une possibilité d'enrichissement pour la donneuse. Plusieurs arguments bien connus plaident contre l'indemnisation. Elle serait une atteinte au principe intangible de gratuité et introduirait une dimension marchande dans le don auquel il faudrait dès lors donner une valeur monétaire. Autre argument, l’indemnisation pourrait être de nature à altérer le consentement libre et éclairé de la donneuse, alors même que le don d’ovocytes n’est pas sans risque. Enfin, comment justifier que d’autres dons à l’avenir (don du sang …) demeurent non indemnisés ? À l’inverse, les partisans de l'indemnisation avancent plusieurs arguments solides. Ils considèrent ainsi, que les gamètes doivent être considérés de façon distincte des autres produits ou éléments du corps humain car ils disposent d’une fonction bien spécifique. Ces dons ne visent pas à restaurer une fonction biologique d’autrui, mais à engendrer un être humain au bénéfice d’autrui. Pour ceux-ci, l’indemnisation n’est pas une rémunération mais une juste compensation. En outre elle peut être assortie de garanties pour éviter les dérives marchandes. Dernier élément versé au débat, l’indemnisation pourrait être une incitation au don sans devenir pour autant une pratique rémunératrice. A contrario, la pénurie d’ovocytes peut favoriser le risque d’une rémunération occulte du don ou encourager le tourisme procréatif. Pour les rapporteurs, il paraît possible de trouver un point d'équilibre entre ces positions. Ils se déclarent favorables à une meilleure compensation des frais engagés par les donneurs. RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs considèrent qu’il y a lieu de réaffrmer le principe de gratuité comme principe central du don de produits du corps humain, mais ils estiment qu’il est possible de distinguer indemnisation et rémunération. La préoccupation principale doit être la promotion des dons d’ovocytes dont la carence est avérée et en elle-même source de diffcultés (trafc ou tourisme procréatif). Les rapporteurs proposent une indemnisation du don d’ovocyte. Ce montant, qui devra être destiné à couvrir l’ensemble des frais engagés par la donneuse d’ovocyte, sera laissé à l’appréciation de l’Assurance maladie sur avis de l’Agence de biomédecine. Les rapporteurs reprennent également à leur compte la proposition de l’OPECST consistant à ouvrir
aux donneuses d’ovocytes salariées le droit à une autorisation d’absence ou à un congé spécifque pour se rendre aux examens et consultations nécessaires pour le don. Les rapporteurs suggèrent enfn d’améliorer l’accès aux centres agréés pratiquant les dons d’ovocyte en augmentant leur nombre aujourd’hui de seulement 24 pour toute la France. Les rapporteurs suggèrent de lever l’obligation d’avoir déjà eut un enfant afn de pouvoir donner. L’âge moyen du premier enfant étant de plus en plus élevé, les dons d’ovocyte sont d’autant plus rares et potentiellement de moins bonne qualité. De plus, cela empêche les personnes ne désirant pas avoir d’enfant de donner.
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Maintenir l’anonymat des dons de gamètes Le conflit ne date pas d'hier entre vérité biologique et apparence sociale. Longtemps, la vérité sociale, c'est-à-dire les apparences, ont prévalu sur la vérité biologique, en particulier lorsqu'il s'agissait d'établir la filiation paternelle a priori moins certaine que celle de la mère. Le lien du mariage tenait dès lors lieu de substitut symbolique au lien du sang. Le droit de la filiation était d'abord un droit protecteur de l'ordre social, le père dans le mariage bénéficiant d'une présomption de paternité. La vérité biologique semble, en effet, moins importante que les apparences lorsqu'il s'agit de préserver la paix ou les intérêts des familles, de les garder du déshonneur social ou de la réprobation morale d'une filiation illégitime. Malgré la reconnaissance progressive de la filiation hors mariage par la reconnaissance de paternité, demeure, en France comme dans de nombreux pays d'Europe (Espagne, Italie) cette primauté de la vérité sociale et cette valeur seconde de la vérité biologique au nom de la stabilité des relations familiales et de la préservation des intérêts de l'enfant. Depuis 1972 et la création des CECOS, l'anonymat 12 [1] du donneur a été conçu, dans le corpus juridique français, comme un principe éthique autant qu'un moyen d'assurer l'acceptabilité sociale et morale de la pratique de l'insémination artificielle avec donneur. Ce principe s’accompagne le plus souvent des principes de gratuité et de consentement. Anonymat, gratuité, consentement, triptyque destiné à faciliter la circulation des produits du corps humain et à les soustraire aux lois du marché. À l’origine largement partagé par les États européens, l'anonymat est aujourd'hui contesté par des associations d'enfants issus de don de gamètes. Devenus adultes, certains vivent comme une souffrance ce silence sur leur identité et revendiquent le droit d'accéder à leurs origines. Nombre de pays sont ainsi progressivement revenus sur ce principe de l'anonymat des donneurs. C'est en particulier le cas de la Suisse dont la législation prévoit que « toute personne a accès aux données relatives à son ascendance », il en est de même en Suède, en Autriche ou en Norvège. D'autres pays ont instauré le système dit du « double guichet » qui permet une levée partielle de l'anonymat dès lors que les donneurs acceptent que leur identité soit communiquée à l'enfant. C'est la situation de l'Islande, mais aussi de la Grande Bretagne ou de la Belgique 13. Dans la plupart des situations, la levée de l'anonymat n'a néanmoins aucunement signifié le libre choix du donneur, l'accès aux origines n'étant en principe possible qu'à la majorité ou au plus tôt à 16 ans. En outre, connaître l'identité du donneur n’est jamais conçu comme une obligation, les enfants concernés peuvent tout aussi bien préférer ignorer leurs origines. Comme le relèvent diverses études, dès lors qu'ils ont connaissance du mode de procréation, seule une minorité d'enfants sont désireux de lever l'anonymat du donneur. 12 Art 16-8 Code civil : « Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur. En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l’identification de ceux-ci. 13 « L'anonymat des dons de gamètes », Étude de législation comparée, Sénat, 2008
La question de la levée de l’anonymat a fait l’objet de longs et difficiles débats au sein du groupe de travail. Difficile en outre d’aborder cette question sans concevoir l'idée qu'avec les progrès de la médecine, la procréation n'est plus une partie qui se joue à deux, mais potentiellement à trois, à quatre et même à cinq 14. Les progrès de la médecine sont allés plus vite que nos pratiques sociales et elles-mêmes sont en avance sur la façon dont notre corpus juridique appréhende les dimensions tout à la fois biologique, psychique, sociale, culturelle et spirituelle de l'acte d'engendrement. Les rapporteurs ont souhaité considérer de bonne foi et dans le détail les arguments en présence. Les opposants à la levée de l’anonymat voient dans cette revendication une dangereuse confu-
sion entre parentalité et origine biologique, discutable sur le plan idéologique, capable de remettre gravement en question les conventions sociales admises comme règles de filiation. Pour ceux-ci, le donneur n'est pas un parent et n'a donc pas sa place dans la famille. Ce n'est pas la biologie qui détermine les origines et la levée de l'anonymat brouillerait la lisibilité de la filiation. L'identité est narrative, elle n'est pas biologique. Les opposants à la levée de l'anonymat craignent en outre que l'abandon de ce principe cardinal ne fragilise les règles censées régir la circulation des produits du corps humain, règles mises en place pour faire obstacle à leur marchandisation. Enfin, dernier argument sérieux, les expériences menées à l’étranger auraient conduit à une chute drastique des dons de sperme. Il est évoqué non seulement une baisse du nombre des donneurs mais également du nombre des couples souhaitant bénéficier d'une AMP avec tiers donneur. En France, selon les sondages effectués pas l'Agence de la biomédecine, 50% des donneurs de sperme ne donneraient pas si l'anonymat n'était pas garanti, tandis que, selon une enquête réalisée par la Fédération nationale des CECOS en 2006, 25% des couples renonceraient à une procréation par don de sperme. L'expérience suédoise, rapportée par l'Agence de biomédecine, est notable à cet égard puisque la levée de l'anonymat en vigueur depuis 1985 a conduit à une diminution des demandes d'AMP, dont le nombre est en proportion quatre fois inférieur à celui de la France. On relève en outre que nombre de Suédoises préfèrent avoir recours à une insémination au Danemark où le principe de l'anonymat est garanti. Enfin dernier élément, sur une cohorte de 300 enfants nés d'une AMP avec tiers donneurs entre 1985 et 1993, aucun n'a demandé à connaître l'identité des donneurs. Le motif avancé est que les parents n'ont pas informé les enfants du mode de leur conception, ce qui fait dire aux défenseurs de l'anonymat que la levée de ce principe, loin de favoriser la transparence a, au contraire, favorisé le secret et l'appréhension des parents. Du côté des partisans de la levée de l’anonymat, le débat est porté par des associations
d'enfants issus d'un don de gamètes devenus adultes, comme l'association Procréation médicalement anonyme (PMA), dont le porte-parole, Arthur Kermlavezen auditionné par le groupe 14 A cinq, dans le cas d'une gestation pour autrui résultant d'une FIV de deux donneurs de gamètes.
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de travail, a livré un intéressant témoignage dans un ouvrage très personnel paru en 2008, Né de spermatozoïde inconnu. Il y livre son expérience faite d'interrogations, d'incompréhension devant les silences qui accompagnent son existence, de colère aussi et de souffrance devant l'impossibilité de construire ce qu'Irène Théry, après Paul Ricoeur, appelle son « identité narrative ». Nulle recherche d'un nouveau père ou d'une nouvelle mère dans cette quête des origines, pas d'opposition caricaturale entre vrais et faux parents, pas de rejet ou de transfert affectif à l'horizon, mais un besoin de se construire, de s'épanouir et d'assumer le moment venu à leur tour paternité ou maternité. Il ne s'agit pas d'une quête de filiation. Le don d'engendrement se distingue nettement de la parentalité. Le donneur ne prend aucune responsabilité de parent. « Ce que l'on nomme le droit aux origines est d'abord le droit pour l'enfant de ne pas être mis à l'écart de l'humanité commune en étant transformé symboliquement en origine de soi-même »15 . Parce qu’il n'entre pas en compétition avec les parents d'intention, le donneur doit cesser d'être rejeté dans l'ombre, mais reconnu en tant que personne consciente de l'importance du don auquel il consent. Cela signifie que le donneur doit avoir plus de place que le don lui-même, parce que le donneur est plus qu'un amas de cellules. Il n'est pas dans l'esprit des enfants nés d'un don de gamètes de sonner un jour à la porte de leur donneur en l'appelant « papa », mais de reconstruire le puzzle de leur identité. « Les enfant nés par IAD, loin de chercher un père dans le donneur, semblent surtout curieux de lui (demande de photo, de situations de famille, d'existence d'enfant), cette demande constituant pour eux, témoigne Geneviève Delaisi de Perseval, également auditionnée, un moyen de mieux se comprendre et d'étayer leur sentiment d'identité de façon plus stable» 16. Pour eux, c’est justement en rejetant dans l'anonymat le lien biologique, qu’on finit par lui donner une importance au fond plus considérable que l'amour des parents sociaux. 17 La « vénération de l’anonymat » fait peser bien fortement l'ombre géante du donneur sur l'existence de ces enfants comme sur celle des parents : « dans certains cas malheureux, les intéressés, parfois le père lui-même, finissent par penser que le donneur est le vrai père et que c'est pour cette raison que son identité est cachée » témoigne encore Geneviève Delaisi de Perseval. Au final, rien ne permet de dire que le maintien de l’anonymat soit la meilleure garantie contre une surqualification du lien biologique. C’est aussi rester enfermé dans des schémas qui ne correspondent plus à la réalité des pratiques médicales mais aussi sociales. La procréation médicalement assistée n'est plus un secret de famille, ce que vient confirmer une étude effectuée en 2006 auprès de 1 068 hommes et femmes ayant sollicité l’aide d’un Cecos. Celle-ci montre, en effet, que moins d’un quart d'entre eux envisage de ne pas informer leur enfant des modalités de leur conception. Les rapporteurs, à l’écoute de tous les arguments, souhaitent réaffrmer avec force le caractère second du biologique dans la construction des modèles familiaux. Ils refusent de s’en remettre à la
« vérité des gènes » et à la dictature des origines et du déterminisme génétique. Ils rappellent que les gamètes ne sont porteurs que d'un capital génétique, et pas d'une histoire familiale. Un spermatozoïde ne transporte pas avec lui un album de famille. Les expériences 15 « Anonymat et don d'engendrement », Irène Théry, in Défis contemporains de la parentalité, Enric Porqueres i Gené (Dir.) 16 Auditions publiques, 10 juin 2008, Office parlementaire d''évaluation des choix scientifiques et technologiques. 17 « L’anonymat fait du don procréatif une conspiration du silence, une transaction secrète, indirecte et non marchande mais qui ressemble à un « marché » occulte », affirme à juste titre la philosophe Sylviane Agacinski.
conduites en génétique, notamment avec le clonage animal, montrent bien à quel point la part du génétique dans l'évolution physiologique n'est que relative. Au moment même où ils souhaitent voir élargies les conditions d’accès à l’AMP, et reconnue la diversité des modes de parentalité, ils souhaitent insister sur la primauté des dimensions affectives et éducatives dans la construction de la cellule familiale. Or ils n'écartent pas totalement l’hypothèse selon laquelle la demande de levée de l’anonymat serait animée chez certains par la conviction d’un primat du biologique sur le social. Sans sous-estimer la souffrance exprimée par certains de ces enfants du don, les rapporteurs éprouvent de sérieux doutes devant le « remède » et le bénéfice psychologique pour un enfant ainsi conçu de connaître ses origines, voire de se laisser offrir cette possibilité, ce qui introduit pour lui une décision difficile à prendre et à assumer. Il pourrait au contraire s'en trouver déstabilisé et en souffrance bien plus que du fait de la méconnaissance de son donneur. Ils rappellent à cet égard, qu’aucun enfant conçu « naturellement » n’est jamais assuré non plus de connaître la vérité exacte de sa conception : Son père est-il le véritable père biologique ? A-t-il été un enfant désiré ? etc… Il existe un irréductible du mystère des origines qu’il faut, nous semble t’il, accepter, en considérant que ces origines, avant d’être l’histoire des enfants, sont celles des parents. Enfin, les rapporteurs sont sensibles au risque de voir les dons de gamètes diminuer, et les parents d'intention dissuadés de recourir à une AMP avec tiers donneurs. Ces risques sont réels et vérifiés par la pratique de plusieurs pays d'Europe. Entre le mensonge sur l’origine « transformant le secret en tabou, pris en charge par les parents » et le droit de l’enfant à connaître l'identité du donateur en dépit du « risque de se retrouver devant un père qui n’en est pas un »18, il y a sans aucun doute la place pour des relations plus saines et moins empreintes de culpabilité, des enfants comme des parents écrasés par le poids du secret, ou de la stigmatisation sociale. Un accompagnement psychologique systématique incitant les parents à dévoiler les conditions de conception aux enfants plutôt que de les laisser découvrir par eux-mêmes ce « lourd secret » serait d’une grande utilité ; Par ailleurs, la dualité de la filiation biologique et de la filiation sociale restera difficile à vivre psychologiquement tant qu'elle continuera d'être tenue pour socialement hors norme. L’ouverture préconisée des conditions d’accès à l’AMP devrait remédier à cette « stigmatisation » sociale. S’agissant des accouchements sous X à plus forte raison, une levée de l'anonymat, qui viendrait en opposition frontale avec ce principe protecteur de la vie privée des femmes concernées, aurait des conséquences dramatiques et risquerait de multiplier les situations d'abandon sauvage19.
18 D. Folcheid, J-J. Wunenburger, « La vie commençante », in D. Folcheid, B. Feuillet Le Mintier, J-F. Mattéi, Philosophie, éthique et droit de la médecine, PUF, 1997. 19 Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) prévoit d'ores et déjà la possibilité pour la mère biologique de laisser des informations identifiantes ou non identifiantes, mais aussi de laisser une page blanche sur les origines de son enfant.
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RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs réaffrment la primauté de la dimension sociale de la parentalité. Ils préconisent de réaffrmer le principe de l’anonymat des dons de gamètes.
Maintenir et simplifer les dons d'embryons surnuméraires Depuis 1994, les couples dont les embryons surnuméraires ont été conservés, peuvent consentir à ce qu'ils soient accueillis par un autre couple. Du fait de la publication tardive du décret d’application en 1999, la naissance du premier enfant après accueil d’embryon a eu lieu en 2004. Ce don ne concerne qu’un nombre limité de couples (28 enfants sont nés en 2007, pour 124 transferts d’embryons congelés réalisés). Si la pratique apparaît somme toute marginale, elle n'en soulève pas moins des oppositions fortes au regard notamment des revendications émergentes d'un droit d'accès aux origines. Ce « double anonymat » conduirait, d'une certaine manière, à approfondir la souffrance des enfants issus de ces dons d'embryon, puisqu'ils se trouvent n'avoir aucun lien génétique avec les parents d'accueil. Ce type de don conduirait en outre les parents à cacher aux enfants les conditions de leur conception. Sans sous-estimer l'impact psychologique de ce mode de conception pour les enfants, les psychologues rappellent le caractère prépondérant du lien social dans la construction de la parentalité et soulignent dès lors les avantages considérables du don d'embryon dans les cas de double infertilité. Le double don de gamètes étant en effet interdit, le don d'embryon fait figure de dérogation autorisée par le juge20. Cette dérogation est d'autant plus légitime que les embryons n'ont d'autres fins que la destruction alors même qu'ils peuvent nourrir un nouveau projet parental. La procédure administrative et juridique d'accueil d'embryon est assez lourde, les donneurs doivent exprimer leur accord formel à trois reprises. Le régime juridique de l’accueil d’embryon s’apparente à celui de l’AMP avec tiers donneur mais nécessite également une décision judiciaire qui le rapproche de l’adoption. La révision de la loi bioéthique pose dès lors la question de la simplification éventuelle des modalités du don et de l’accueil d’embryon en cessant d'en faire un régime juridique spécial. Pourrait ainsi être simplifiés la procédure actuelle qui allonge les délais pour les parents d'intention et dont la complexité décourage les parents donneurs. La procédure d’accueil d’embryon est une technique d’AMP et à ce titre peut être simplifiée plutôt que d'en faire une procédure proche de l’adoption. Enfin, considérant la rareté de cette procédure, les juges apparaissent peu formés et parfois peu impliqués dans l’enquête concernant les conditions d’accueil offertes par les parents d’intention. 20 Aux termes des articles L. 2141-6 du code de la santé publique et suivants, le don d'embryon est subordonné à une décision de l’autorité judiciaire après réception du consentement écrit du couple demandeur. Le juge doit s’assurer que le couple remplit toutes les conditions légales et fait procéder à une enquête permettant d’apprécier les conditions d’accueil de l’enfant sur les plans familial, éducatif et psychologique. Cette procédure s’inspire de l’enquête qui conditionne la délivrance de l’agrément pour l’adoption. Le consentement peut être révoqué par écrit par l’un ou l’autre membre du couple.
RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs recommandent le maintien du don d'embryon compte tenu de leur nombre et au regard des situations de double infertilité. Ils suggèrent en outre de simplifer les procédures en vigueur et de sortir le don d'embryon de ce régime d'exception qui en freine le développement.
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Partie 2 LES EVOLUTIONS DE LA MEDECINE : PREVOIR – GUERIR – AMELIORER …
I. PROBLEMES ETHIQUES DE LA MEDECINE PREDICTIVE …
L
a loi du 6 août 2004 sur la bioéthique a établi des règles strictes en matière de recours à
l'information génétique en en limitant l'usage à des fns médicales ou judiciaires 21. Ces précautions sont justifées par les utilisations potentiellement discriminatoires, stigmatisantes ou attentatoires à la vie privée qui pourraient être faites de ces informations. Les droits de la personne font dès lors l'objet d'une protection particulière fondée sur le principe du consentement exprès, libre et éclairé ainsi que sur le droit à une information sur les résultats obtenus et sur le secret des données relevant de la vie privée. Ces principes font aujourd'hui l'objet d'un large consensus international22.
→ L’information génétique Il n'en reste pas moins que le contexte a aujourd'hui largement changé. Les tests de paternité23 disponibles sur Internet ne sont que la partie émergée de l'iceberg d'une société de l'information génétique en plein boom. La toile est devenue en quelques années, sans aucune régulation, le supermarché des tests génétiques en libre accès : tests de paternité, de filiation ou d'appartenance à un groupe ethnique, tests concernant des maladies génétiques (par l'identification d'une mutation d'un gène) ou à composante génétique 24 (comme le diabète, l'obésité ou certains cancers) ou de prédisposition morbide (comme par exemple la sensibilité à la nicotine). Ce qui n'est pas disponible en ligne l'est en revanche dans certains pays très libéraux sur ces sujets qui autorisent de très larges tests destinés à choisir le sexe fœtal25, quant il ne s'agit pas de la couleur des yeux de l'enfant à naître... Outre les incertitudes qui planent sur la confidentialité ou l'usage abusif et attentatoire aux libertés individuelles qui pourrait être fait de ces données génétiques à la disposition des compagnies qui commercialisent aujourd'hui ces tests et pourraient demain faire commerce de ces informations personnelles26, c'est l'interprétation des résultats de ces tests qui pose aujourd'hui difficulté ainsi que leur utilité clinique, le plus souvent discutable. Quand bien même ces tests génétiques identifient-ils, en effet, un gène problématique, ils ne peuvent prédire le degré de gravité de l'affection liée à ce gène pour la personne qui le porte, ni son caractère certain. En outre, la pratique des auto-tests, en dehors de tout cadre médical, n'offre aucune garantie de bonne compréhension des résultats alors que ceux-ci peuvent avoir des conséquences graves. Une information éclairée est seule gage du droit à l'information garanti par la convention d'Oviédo de 2002 sur les droits de l'Homme et la biomédecine. Ainsi que le 21 Art. 16-10 et suivants du code civil, art. L. 1131-1 et suivants du code de la santé publique, art. 225-5 et suivants du code pénal.
22 Déclaration universelle de l'UNESCO sur le génome humain et les droits de l'homme du 11 novembre 1997, Convention d'Oviédo sur les droits de l'homme et la biomédecine du 4 avril 1997, Déclaration sur les données génétiques humaines adoptée le 16 octobre 2003... 23 Leur nombre est évalué à 10.000 par an envoyés depuis la France à des laboratoires étrangers. 24 C'est-à-dire des maladies multifactorielles à la fois génétiques et environnementales 25 A travers le monde, plus de 65 cliniques permettent moyennant un chèque de 3300 € à 7000 € de choisir entre un petit garçon et une petite fille. 26 Le Time Magazine récompensait en 2008 le site internet créé par l’épouse du fondateur de google. « 23andMe » qui propose pour 400$ de décoder votre génome et de vous dire si vous êtes éligibles à l’une des 116 maladies testées. En outre, il ouvre le droit de prendre part à un réseau social peu ordinaire où chacun peut sélectionner ses amis selon leurs caractéristiques génétiques.
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soulignait déjà le Conseil national consultatif d'éthique dans son avis n°86 de novembre 2004, la pratique des auto-tests « paraît de nature à générer de faux e sp oirs ou de fauss e s inquiétudes, à donner accès à de s informations inutiles au plan clinique o u pour éclairer de s choix de m o de de vie. Ils risquent au contraire de conforter l'idée d'un déterminis m e génétique ou au contraire de l'abs ence de risque pour certaines pathologies qui entraînerait plus de confusion que d'éclairag e ». Face à la multiplication de ces tests, les professionnels de la génétique, les experts, ainsi que différentes instances consultatives d'éthique ont demandé plus de régulation. L'Agence nationale de biomédecine, par exemple, souligne « l'urgence d'une concertation internationale s ur les tests génétiques propo s é s en libre accè s s ur Internet » qui prolifèrent en dehors de tout cadre éthique, de toute règle clinique ou déontologique.
RECOMMANDATIONS : Trois principes d'action, que les rapporteurs font pleinement leurs, doivent réglementer l'usage de l'information génétique : « le test génétique doit rester un acte de biologie médicale réalisé dans le cadre d'une approche intégrée ; l'utilité de chaque test doit être évaluée ; le statut et la place des tests génomiques doivent être discutés avec les patients et les personnes concernées ». C'est un déf majeur que de réussir cette régulation de l'information génétique, c'est aussi le plus sûr moyen de ne pas réduire l'humanité à ses gènes et de réaffrmer certaines valeurs fondamentales de notre société comme les principes de non discrimination et de protection des données personnelles.
→ L’information de la parentèle en cas de détection d’une maladie génétique L’examen des caractéristiques génétiques d’une personne permet de renseigner non seulement sur son état de santé mais aussi sur celui de toute sa parentèle. En cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave, si des mesures de prévention ou de soins peuvent être proposées, le médecin informe la personne des risques que son silence ferait courir aux membres de sa famille potentiellement concernés. Mais il faut noter que les dispositions législatives portant spécifiquement sur l’information de la parentèle n’ont pas été appliquées. Le décret qui devait préciser les modalités de recueil, de transmission, de conservation et d’accès de ces informations n’ayant pas été publié, cette procédure d’information médicale n’a pas, à ce jour, été mise en œuvre.
RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs proposent de garantir une voie indirecte d’information dans les cas où une anomalie génétique grave, susceptible de mesures de prévention ou de soins est détectée. La personne concernée, ne désirant pas porter directement la nouvelle à sa famille, peut habiliter le médecin à le faire, ce qui permet de lever partiellement le secret médical tout en
garantissant l’anonymat du patient. Il est proposé d’envoyer une lettre à la parentèle dont le patient aura donné les adresses, les invitant à procéder à une consultation génétique.
→ Problèmes éthiques de la médecine prédictive associée à la médecine procréative Derrière cet espoir de pouvoir prédire, prévenir et traiter des maladies auxquels nos gènes nous prédisposeraient émergent nombre d'interrogations éthiques et la crainte d'un eugénisme consensuel. Le diagnostic pré-implantatoire27 (DPI), est au premier rang de ces questionnements qui, comme le diagnostic prénatal, offre désormais la possibilité de connaître les caractéristiques génétiques d'un enfant non encore né. Il permet, en utilisant les méthodes de l'AMP et en particulier la fécondation in vitro, de diagnostiquer une anomalie génétique ou chromosomique suspectée et de s'assurer par la sélection d'un embryon de la naissance d'un enfant indemne de la pathologie recherchée. En France, la pratique du diagnostic pré-implantatoire a été autorisée par la loi du 29 juillet 1994, mais ce n'est qu'en 2000 avec la naissance de Valentin, que la pratique est véritablement inaugurée. Il aura fallu surmonter bien des réserves, des réticences éthiques portant sur la nature de l'embryon autant que sur la crainte d'un eugénisme rampant, pour permettre aux parents de ce petit garçon, qui avaient déjà perdu deux bébés, de voir vivre et grandir leur enfant en bonne santé. Réserves des milieux religieux, du Conseil consultatif national d'éthique, de certains scientifiques, mais aussi de politiques. Hervé Gaymard, ministre de la Santé, ne favorisant pas la prise des décrets d'application de la loi, il faudra attendre le retour au ministère de la Santé de Bernard Kouchner en 1998 et les premières autorisations en 1999 pour que la loi puisse enfin être appliquée. La pratique reste strictement encadrée par la loi et l'Agence de biomédecine qui délivre les agréments aux équipes et aux établissements de santé. La loi de 2004 qui avait étendu les possibilités de recours au DPI aux situations dans lesquelles une anomalie est repérée non seulement chez les parents mais encore « chez l'un de ses ascendants immédiats, dans le cas d'une maladie gravement invalidante, à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le diagnostic vital » ainsi qu'au DPN, s'est cependant refusée à établir une liste des maladies concernées. Le législateur a préféré prendre en compte les situations propres à chaque famille et le caractère de particulière gravité des cas rencontrés. Le DPI correspond à une médecine d'évitement qui ne traite pas la maladie mais permet dans le choix de l'embryon implanté de s'assurer que l'enfant à naître ne développera pas la pathologie. Cette pratique pose la question de ses modalités (systématique en cas de FIV ou seulement sur la base d'un faisceau d'indices de risques comme c'est aujourd'hui le cas ?) et des maladies recherchées selon leur degré de gravité et d'irréversibilité. Question est également posée d'une mise en balance DPI/DPN, ce second diagnostic pendant la grossesse pouvant déboucher sur une interruption médicale de grossesse (IMG) s'agissant notamment du diagnostic de la trisomie 21. Les principales craintes portent sur le développement d'un eugénisme libéral dont serait porteuse cette sélection des embryons. Quelles limites, en effet, fixer à la recherche d'un enfant en bonne 27 Article R 131-1 et suivants du code de la santé publique
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santé, lorsque l'on sait que certains centres de fécondation in vitro nord-américains proposent déjà des DPI de « convenance » portant sur une cinquantaine d’anomalies génétiques ainsi que sur des prédispositions au diabète, à l’hypertension artérielle ou au cancer du sein ? « Ce n’est plu s un e alternative co m pas sionnelle à l’euthana sie fœtale , s’insurge le professeur Jacques Milliez, m ais un pre mier pa s dans la quête de l’enfant parfait. ». La problématique du diagnostic anténatal pose par nature des questions éthiques graves dès lors qu'il s'agit de décider de donner ou non naissance à un être humain. Le questionnement prend une dimension inédite avec l'identification de nouveaux gènes et la mobilisation de progrès scientifiques et techniques permettant des diagnostics plus larges et plus précoces. Le risque d'un élargissement des pathologies recherchées non plus seulement sur la base du caractère certain de leur développement mais désormais de leur seul caractère probable présente un risque réel de dérive, car les prédispositions génétiques apparaissent potentiellement infinies. En outre,les rapporteurs partagent cette inquiétude exprimée par de nombreux praticiens et chercheurs, liée à la façon dont la société perçoit et accueille les handicapés. Le DPI et le DPN ne doivent en aucun cas devenir un substitut ou une alternative à la prise en charge du handicap par la société. RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs considèrent que c'est à bon droit que la loi a prévu un encadrement strict du recours au DPI et au DPN dont le bien-fondé n'est pas discuté dès lors que ces pratiques se fondent sur une information intelligible et transparente des parents leur permettant de prendre une décision libre et qu'elles concernent des pathologies dont la gravité et le caractère incurable sont précisément attestés. Ils suggèrent le développement des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal et en particulier des conseillers en génétique qui leur sont attachés dont l'utilité et l'effcacité sont aujourd'hui unanimement reconnues, mais dont les moyens apparaissent aussi insuffsants. Les rapporteurs proposent qu'il soit confé le soin à l'Agence de biomédecine d'établir une liste indicative de maladies d'une particulière gravité, n'excluant pas l'examen des situations au cas par cas, afn de prévenir d’éventuelles dérives vers des dépistages systématiques et de convenance conduisant à un eugénisme progressif. Les rapporteurs recommandent de lever l’interdiction de procéder à la détection d’une trisomie 21 avant de transférer les embryons, afn d’éviter le risque d’une trisomie révélée au cours de la grossesse.
→ L’utilisation des données génétiques en dehors des domaines de la recherche et de la médecine. Libertés publiques et protection des données.
L’utilisation des données génétiques pour une finalité autre que médicale ou de recherche scientifique est autorisée par la loi comme moyen de preuve dans le cadre de certaines actions judiciaires. Aujourd’hui, le fichier national automatisé des empreintes
génétiques (FNAEG) sert à faciliter l’identification des auteurs d’infractions à l’aide de leur profil génétique et la recherche de personnes disparues à l’aide du profil génétique de leurs apparentés. Au 1er octobre 2008 le FNAEG comprenait plus de 800 000 profils génétiques d’individus (400 000 analyses génétiques sont effectuées annuellement dans ce cadre). Créé en 1998 pour les seuls délinquants sexuels, il contiendrait aujourd’hui 615 600 fiches nominatives selon la CNIL et la liste des infractions justifiant un enregistrement au FNAEG a été considérablement allongée par les réformes successives. À l’occasion d’un amendement au projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile (loi n°2007-1631 du 20 novembre 2007), le CCNE avait exprimé de fortes réserves concernant l’utilisation de tests génétiques, dans son avis n°100 du 9 octobre 2007 « Migration, filiation et identification par empreintes génétiques ». La polémique récente soulevée par le fichier EDVIGE incite également à une réflexion sur les fichiers contenant des données personnelles. L'enregistrement et la conservation des empreintes génétiques dans un fichier peuvent susciter des craintes pour les libertés publiques. Il serait dangereux que des dérives conduisent à généraliser les identifications génétiques, pratique attentatoire aux libertés individuelles. L’identification génétique ne saurait être banalisée.
RECOMMANDATIONS : Il convient de s’interroger sur la capacité matérielle dont dispose la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour contrôler un fchier recueillant autant d’information sur les profls génétiques. Les rapporteurs soulignent la nécessité de protéger les données concernant les caractéristiques génétiques pour préserver le secret des informations recueillies et exclure que ces informations puissent être sources de discrimination, utilisées par des assureurs ou des employeurs potentiels.
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II. MEDECINE REPARATRICE : LA FORCE DU DON ...
I
l y a quelques mois, la presse couvrait largement l'exploit médical que constituait une greffe complète de visage pour un patient souffrant d'une maladie génétique grave. On effectue des greffes depuis très longtemps, pourtant cet acte continue de poser des questions éthiques tant pour le donneur que pour le receveur.
En premier lieu, la question est posée pour le receveur : il n'est pas anodin de remplacer une partie de son corps par celle d'un autre, pour des fonctions vitales (cœur, rein...) ou non. Dans le cas de la greffe de visage, la question est posée de l'identité du receveur, celle-ci étant liée à l'image de soi. Mais le point le plus sensible est en fait celui du type de don d'organe et de l’état du donneur. On peut en effet, suivant l'organe, effectuer une greffe provenant d'un donneur vivant, ou décédé. Et dans ce dernier cas, deux situations différentes sont présentes : la mort encéphalique, ou bien la mort par arrêt cardiaque. La greffe provenant d'un donneur vivant est essentiellement pratiquée dans le cas des reins. Toutefois, elle est très limitée numériquement : 2 826 greffes rénales ont été réalisées en 2009, dont seulement 223 (moins de 8%) provenaient d'un donneur vivant. La question du risque encouru par le donneur est au centre des réflexions. Ce risque n'est pas nul, mais il reste très faible dans le cas du rein. La question qui se pose est donc de savoir s'il faut maintenir, voire s’il faut encourager, la possibilité d'effectuer des greffes à partir de donneurs vivants. Pour l'évaluer correctement, il convient de rappeler quelques faits. En 2009, 13 698 personnes ont eu besoin d’une greffe. Près de 11 000 d’entre eux attendaient un rein. Dans le même temps, les chiffres du prélèvement d'organes ont diminué (1 481 donneurs décédés en mort encéphalique ont été prélevés contre 1 563 en 2008). L'enjeu est énorme pour le patient : sans greffe de rein, il doit subir des dialyses plusieurs fois par semaine, ce qui entraîne de fortes perturbations de sa vie, et a par ailleurs un coût important. D'un point de vue financier le traitement par dialyse coûte très cher, et la greffe est largement moins coûteuse. Rappelons que la prise en charge de l’insuffisance rénale terminale en France représente actuellement un coût d’environ 4 milliards d’euros par an pour l’Assurance Maladie, soit près de 3% de son objectif national de dépenses. Le coût moyen remboursé chaque année pour un patient en hémodialyse s’élève à environ 80 k€, il est donc 4 fois supérieur à celui d’un patient transplanté au-delà de la première année. La réalisation de 3 000 greffes de rein correspond à une économie de 90 millions d’euros chaque année, soit en cumulant sur 10 ans près de 1,7 milliards d’euros ! Chaque tranche de 500 greffes supplémentaires génère une économie de 15 millions d’euros pas an.
→ Qui peut donner ? Le don d’organes n’est possible que dans les cas de décès bien particuliers, consécutifs à des traumatismes crâniens ou à des accidents cardio-vasculaires par exemple. La mort encéphalique correspond à la destruction totale et irréversible des fonctions de l’encéphale, à savoir l’ensemble formé par le cerveau, le cervelet et le tronc cérébral. Le constat de mort repose sur trois observations cliniques : l’absence totale de conscience et de mouvements, la disparition totale des réflexes du tronc cérébral, l’absence de respiration spontanée. Comme cela a été montré très récemment, elle ne concerne chaque année en France qu’environ 4 000 donneurs potentiels, soit 2 000 donneurs prélevables (pour lesquels la famille ne s’est pas opposé). Depuis quelques années, le prélèvement sur des personnes décédées suite à un arrêt cardiaque persistant est également pratiqué en France, mais ne représente à l’heure actuelle que quelques dizaines de cas par an.
→ Développer le don à partir de donneur décédé À partir des années 1980, les prélèvements d'organes sur des personnes décédées d'un arrêt cardiaque, ont cessés et l’on s'est limité aux prélèvements sur morts encéphaliques, ces derniers représentant une faible part des décès. Depuis 2005, un protocole a été mis en place afin de pratiquer à nouveau ce type de prélèvements. Le protocole vise à s'assurer que tous les moyens de réanimation de la personne décédée ont été mis en place. Les décès de ce type (cœur arrêté) sont répartis suivant une classification internationale, dite de Maastricht : - Catégorie I : personnes victimes d’un arrêt cardiaque en dehors de tout contexte de prise en charge médicale. Le prélèvement d'organes ne peut être envisagé que si des gestes de réanimation ont pu être effectués moins de 30 minutes après la survenue de l'arrêt cardiaque. - Catégorie II : personnes victimes d’un arrêt cardiaque en présence de secours qualifiés, aptes à réaliser une réanimation cardiorespiratoire efficace, mais qui ne permettra pas de récupération hémodynamique. - Catégorie III : personnes victimes d’un arrêt cardiaque après qu’une décision d’arrêt des thérapeutiques actives en réanimation ait été prise en raison d’un pronostic particulièrement défavorable. - Catégorie IV : personnes décédées en état de mort encéphalique et qui sont victimes d’un arrêt cardiaque irréversible au cours de leur prise en charge en réanimation. Cette dernière catégorie ne présente pas de différence significative par rapport à la prise en charge habituelle des patients en mort encéphalique pour lesquels le prélèvement est davantage accepté socialement. Les prélèvements ne peuvent avoir lieu que sur des personnes relevant des catégories I, II et IV, afin d'éviter toute suspicion sur les motivations réelles de la décision 39
d'arrêter les soins. Le cadre réglementaire semble aujourd'hui tout à fait pertinent. Pourtant, il semble que de nombreuses équipes médicales en restent à la situation prévalant avant 2005, et de fait, n'effectuent pas des prélèvements qui auraient pu être autorisés. Un autre aspect limitant le don d'organe est la procédure suivie pour effectuer les prélèvements. Le cadre législatif régissant le don d'organe date de 1976, avec la loi Cavaillet. Celle-ci met en place un régime dit de consentement implicite au don d'organe : toute personne est considérée comme consentante au don d‘éléments de son corps en vue de greffe si elle n’a pas manifesté d’opposition de son vivant. Pour exprimer cette opposition, il est possible à tout moment de s'inscrire au registre national des refus au prélèvement. Toutefois, selon le code de la santé publique, reprenant la loi de bioéthique de 2004 : « si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir auprès de ses proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen ». Quand l’équipe médicale identifie un défunt qui peut être prélevé et qui n’est pas inscrit sur le registre national des refus, elle doit donc interroger les proches pour vérifier que le défunt n’était pas opposé au don, avant d’envisager tout prélèvement. Comme il n'existe pas de registre officiel de consentement au don (la carte de donneur n'a aucune valeur légale, mais peut servir dans le dialogue avec la famille), la seule possibilité qu’ait un individu d'exprimer positivement son souhait de donner est d’en parler à ses proches. Les différentes campagnes institutionnelles encouragent du reste cette démarche. La législation s'apparente donc à celle du consentement présumé faible, la famille pouvant s'opposer à la volonté du défunt dans le cas où il aurait voulu être donneur, contrairement au consentement présumé fort, où la famille ne peut s'opposer à cette volonté (c'est le cas en Autriche). Certaines associations militent pour une évolution réglementaire pour passer à un régime de consentement explicite : le don ne serait possible que dans le cas où le donneur a exprimé sa volonté sur un registre national. Certains arguments pèsent dans ce sens. En particulier, l'absence d'un tel registre empêche un donneur d'exprimer sa volonté. Par ailleurs, la situation actuelle -caractérisé par un dialogue noué avec la famille dans des conditions particulièrement pénibles, puisque la décision de transplantation doit être prise dans les heures qui suivent une mort encéphalique, donc subite et le plus souvent accidentelle- peut engendrer des souffrances supplémentaires. Cependant, rappelons que tous les pays qui ont choisi d’appuyer leur législation sur le consentement explicite affichent des taux de prélèvement sensiblement inférieurs. Pour leur part, les rapporteurs souhaitent mettre en avant, à nouveau, la valeur de solidarité qui est à la base de l'idée du consentement présumé. Nous sommes tous des donneurs potentiels, mais aussi probablement des receveurs potentiels. Si je veux avoir la possibilité de recevoir, je dois être prêt à donner. S'il est essentiel de laisser chaque individu libre du devenir de son corps après sa mort, il semble primordial d'encourager chacun à faire preuve de solidarité à l'égard de tous ceux qu'un don d'organe pourra sauver. En dépit de ses difficultés d’application, nous restons extrêmement attachés au maintien et au renforce-
ment du consentement présumé, qui témoigne d’un véritable choix de notre société en faveur de la greffe. Le don participe d’une forme de contrat social reposant sur la notion de réciprocité. Il doit être une des valeurs de notre société, un devoir de solidarité en faveur de la greffe. Si la notion d’obligation individuelle peut sembler se heurter au principe d’autonomie et de liberté, le don en tant qu’acte collectif devient un devoir citoyen, qui marque l’apparte nance à notre société. Le protocole de lien avec les familles d'un donneur potentiel décédé doit être réexprimé dans le code de la santé, la formulation actuelle pouvant laisser la place à une interprétation limitant la portée du consentement présumé. Il convient de protéger les équipes médicales qui ne doivent pas pouvoir être attaquées en cas de prélèvement sur une personne décédée ne s'étant pas inscrite sur le registre des refus. Les modalités de sollicitation des familles pour recueillir des éléments supplémentaires quant aux intentions de la personne décédée doivent être laissée à leur appréciation en fonction du contexte à chaque fois particulier. Afin de favoriser la discussion sur le don, une information pourrait être délivrée durant la scolarité, dans le cadre de l'Education Nationale, à l’occasion de la délivrance de documents administratifs, de « rendez-vous » citoyens (établissement des documents d’identité, examens universitaires, permis de conduire, élections…), etc. Cette information devrait non seulement rappeler les faits concernant le don d'organes, comme les besoins de greffons, les conditions dans lesquels il est effectué, mais aussi insister sur le principe du consentement présumé et sur la possibilité de s'opposer au prélèvement. Cette sensibilisation devra également laisser une part importante à l’information sur les prélèvements sur cœur arrêté afin de lever les angoisses qui pourraient peser au sein des familles
RECOMMANDATIONS :
Le consentement présumé doit être réaffirmé pleinement. Pour que ce principe puisse prendre pleinement sa place et qu’il soit plus facile à mettre en œuvre, il importe que l’information le concernant soit généralisée Nous proposons donc de renforcer l'information sur le don d'organes et la greffe, afin que chacun, au cours de sa vie, ait de multiples occasions de la recevoir, et de manifester son refus éventuel de donner ses organes. Une sensibilisation doit être faite aux équipes médicales afin de les inciter à utiliser les possibilités que leur confère la réglementation en matière de prélèvement sur donneur à coeur arrêté, et pour améliorer le recensement des donneurs potentiels, et ainsi augmenter le nombre de prélèvements.
→ Le don à partir de donneur vivant
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Une personne vivante peut aussi donner certains organes, principalement le rein. Il convient de considérer le risque de décès (0,03% des prélèvements effectués) en regard du bénéfice pour le receveur, pour le donneur, et pour la société. La France est dans une situation singulière, puisque moins de 8% des greffes de rein sont effectuées à partir de donneur vivant. Un pourcentage très faible au regard de ceux de nos voisins européens comme les Pays Bas (417, soit 52% des greffes rénales), le Royaume-Uni (962, 40%) ou l’Allemagne (600, 22%). Or les greffes à partir de donneurs décédés sont actuellement très insuffisantes par rapport aux besoins. Certains souhaiteraient limiter le don à partir de donneur vivant en raison du risque, même très faible, de décès du donneur. D'un point de vue éthique, l'argument repose sur le fait que la médecine intervient sur le donneur non pas pour le soigner, mais pour soigner autrui au détriment de l'avenir du donneur. Cependant, le don à partir de donneur vivant s'effectue au sein de l’entourage proche. Il concerne donc des personnes directement affectées par les difficultés de santé du malade : dialyse plusieurs fois par semaine, qualité de vie très altérée, durée de vie fortement réduite. Dès lors, le fait d'effectuer une greffe permet non seulement de soigner le malade, mais de soulager son entourage. Le malade peut espérer vivre en moyenne trois fois plus longtemps, mais aussi retrouver une vie normale, ce qui profite aussi à son entourage. Il convient aussi de rappeler que pour les patients, la greffe rénale à partir d’un donneur vivant présente des avantages très importants : ce sont les greffes qui fonctionnent le mieux et le plus longtemps, et celles qui permettent la plus longue espérance de vie pour le receveur. Leurs résultats sont sensiblement meilleurs que ceux des greffes réalisées à partir de donneurs décédés. Il s’agit d’un critère de décision fort pour l’entourage de ces patients : en donnant un rein, un proche lui offre les meilleures chances possibles. Au-delà du risque de décès du donneur, une objection parfois faite à ce type de greffe est la difficulté à évaluer la réalité du consentement du donneur. Le soupçon que celui-ci puisse faire l'objet de pressions familiales, implicites ou explicites, voire sociales, est fort. Pour cette raison un dispositif spécifique a été mis en œuvre. L’encadrement très important dont fait l’objet cette activité en France (vigilance conjointe des équipes médicales, du Comité donneurs vivants, du magistrat du TGI), apporte en effet des garanties importantes. Cela étant, il semble difficile voir impossible, d'isoler, dans la réflexion que conduit un donneur potentiel quant à sa décision de donner effectivement, ce qui relèverait d'une pression extérieure de ce qui relèverait de son propre choix. Le fait de vivre avec un proche malade est en soi une confrontation à une double douleur : pour le malade en premier lieu, mais aussi pour soi. Voir une personne qu'on aime souffrir, subir des traitements lourds, avec la mort pour horizon si aucune greffe n'intervient à temps, est une situation éprouvante. La restriction actuelle du cercle des donneurs potentiels au cadre familial (rendant par exemple impossible le don à un ami proche ou même à une belle sœur…) apparaît difficile-
ment justifiable. Le risque éventuel de pressions financières qui a été avancé comme le motif principal de cette limitation existe en effet dans tous les cas, y compris au sein même de la famille proche, mais ne doit pas empêcher l’entre aide. Notre vision de la société place la solidarité comme un principe fondateur. C’est sous cet angle que nous abordons donc la question du don à partir de donneur vivant : une démarche altruiste, généreuse et solidaire. Il apparaît donc indispensable de continuer et de développer les greffes à partir de donneur vivant pour les types de greffes présentant des risques très limités pour la survie du donneur, comme le rein. RECOMMANDATIONS :
Tout d’abord, puisque les évolutions de la loi doivent prendre en compte les avancées scientifiques, il semble important que l’efficacité de la greffe à partir de donneur vivant soit affirmée. Une telle proposition pourrait contribuer à une meilleure information des patients comme du public, dont on sait qu’elle est à l’heure actuelle défaillante. Dans le cas où un individu désirerait donner un organe pour un proche sans cependant être compatible, nous recommandons de permettre le don croisé entre donneurs vivants. Les rapporteurs proposent une nouvelle définition du cercle des donneurs, permettant à toute personne ayant une « relation étroite et stable » avec le receveur de se porter candidate au don. A minima, une procédure dérogatoire devrait donner cette possibilité à tout individu « affectivement apparenté » au receveur, sous réserve de justifier de la sincérité de sa démarche et de la réalité de son consentement. Ils proposent également un certain nombre d’aménagements, en particulier en ce qui concerne la prise en charge des donneurs vivants, qui se doit d’être exemplaire. La notion de neutralité financière du don doit être renforcée et mieux garantie, sans limitation de durée et sans condition d’adhésion à l’Assurance Maladie. Elle doit couvrir toutes les dépenses inhérentes au don, sans exception et sans plafond, sur justificatifs (pertes de salaires, transports, gardes d’enfants, etc.). Les démarches administratives incombant aux donneurs pour obtenir cette prise en charge doivent être simplifiées au maximum et un dispositif de subrogations, associé à un délai maximal de remboursement, doit être prévu. Enfin, de manière symbolique, chaque donneur vivant pourrait se voir garantir qu’en cas de besoin, une priorité d’accès à la greffe de rein lui sera réservée. S’il est heureusement très peu probable qu’une telle situation se présente, une telle mesure représenterait un engagement fort de la société mais aussi une reconnaissance du geste accompli.
→ Le don et la greffe de sang de cordon (ou sang placentaire) Le sang placentaire est prélevé au niveau du cordon ombilical (d’où l’appellation également rencontrée « sang de cordon »), immédiatement après la naissance de l’enfant. Il a la caractéristique d’être riche en cellules souches hématopoïétiques (qui donnent naissance aux cellules du sang), que l’on trouve également dans la moelle osseuse. Ce
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sang peut devenir un greffon de cellules souches hématopoïétiques, destiné à soigner des patients atteints de maladies graves du sang. Chaque greffon est prélevé, congelé et conservé dans une banque de sang de cordon publique autorisée. En 2008, les greffes de sang de cordon ont représenté 22,5% de l’ensemble des greffes de cellules souches hématopoïétiques réalisées en France. Comme le don de sang ou d'organes, le don de cordon est bénévole, anonyme et gratuit. Les greffons stockés sont inscrits dans le registre national France Greffe de Moelle, géré par l'Agence de la biomédecine. Le sang placentaire récolté et conservé dans des établissements publics est mis à la disposition de la collectivité en vue de greffes pour soigner d’autres patients, de façon anonyme et gratuite. Le réseau français de sang placentaire comprend actuellement, environ 6 000 unités de sang placentaire. Il en faudrait 50 000 pour couvrir les besoins. De ce fait, la France est régulièrement obligée d'importer des greffons à un prix unitaire variant entre 15 000 et 25 000 €. Autre problème, certaines sociétés privées étrangères proposent à des parents dans des maternités françaises de conserver le sang placentaire de leur enfant, dans la perspective d’une éventuelle utilisation future. Or, le bénéfice pour l’enfant d’un recours à ce type de greffe n’est pas avéré scientifiquement : aucune étude ne prouve qu’il est utile de conserver le sang de cordon de son enfant dans une perspective de médecine régénérative, pour le soigner avec ses propres cellules. Une conservation de sang placentaire à des fins personnelles manque de pertinence scientifique et médicale, et expose à des risques de dévoiement commercial. Par ailleurs, une telle pratique heurte l’exigence de solidarité sur laquelle est fondé notre système de santé. RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs recommandent de ne pas autoriser la conservation de sang de cordon destinée à une administration autologue (pour soi). Ils soulignent qu’il n’est pas envisageable d’autoriser la création de banques commerciales privées dont l’objet est de stocker le sang de cordon pour une utilisation à des fns privées, sans enfreindre les principes de solidarité et ceux qui régissent le don. Enfn les rapporteurs proposent d’accroître le nombre de maternités habilitées à collecter le sang de cordon, le nombre de banques de sang et de mener une campagne d’information afn de promouvoir les dons.
III. DE LA MEDECINE THERAPEUTIQUE A LA MEDECINE
AMELIORATIVE : PERSPECTIVES … L a révision de la loi bioéthique ne porte pas, à proprement parler, sur la question des manipulations génétiques à des fns d'amélioration de l'espèce humaine. Le débat pourtant est ancien, il anticipe les progrès scientifques et techniques pour nourrir la réfexion éthique quand il ne donne pas naissance à une abondante littérature aux frontières de la science-fction et de la critique politique. Les rapporteurs ont souhaité consacrer quelques lignes à ce débat plus théorique que pratique pour le moment en précisant d'emblée leur très grande réserve à l'endroit d'une médecine améliorative.
Le rapport à une médecine capable non seulement de soigner, ou de prévenir des maladies mais aussi d'améliorer nos capacités cognitives et physiques paraît assez culturellement et philosophiquement clivé entre une tradition nord-américaine fondée sur le primat des libertés individuelles et sur la propriété privée du corps qui en découle et une tradition européenne fondée sur la dignité humaine et la responsabilité sociale, donc collective, d'en assurer la sauvegarde. La frontière n'est cependant pas hermétique, le philosophe français Ruwen Ogien28, s'inscrivant, par exemple, pour sa part plutôt dans la tradition libérale lockienne et tirant ainsi des conclusions assez ouvertes en matière de gestation pour autrui, de l’AMP, de prostitution ou d'euthanasie. A l'inverse, Francis Fukuyama ou Léon Kass, tous deux membres du Council of bioethics, ont exprimés de fortes réserves à l'égard de la médecine d'amélioration sur le fondement précisément de la dignité humaine. Du même coup, selon les points de vue, le rapport à l’évolution technologique s'en trouve changé, optimiste d'un côté, sceptique de l'autre29. Quelle que soit la perspective, semble émerger la certitude qu'arrivera un moment où l'Homme se posera immanquablement la question de transcender ses propres frontières biologiques. « Je crois en la po s sibilité, écrivait en 1993 le généticien français Daniel Cohen, d'une nouvelle évolution biologique hu m aine, con sciente et provoqu ée, car je vois m al l'ho m o sa piens, cet être pre s s é et jaloux, attendre patie m m e nt et m o de ste m e nt l'é m ergence d'une nouvelle e s pèc e hu maine par les voies anachronique s de la s élection naturelle 30». C'est, en effet, d'abord sur le terrain de l'inéluctabilité de la recomposition génétique que se place le débat, la question étant dès lors de savoir si celle-ci résultera d'un acte transgressif, dans la semi-clandestinité de laboratoires douteux, dans un « paradis génétique », comme il existe des paradis fiscaux, ou d'une acceptation sociale progressive, les derniers tabous tombant les uns après les autres au rythme des avancées scientifiques, elles-mêmes probablement aussi poussées par les perspectives de juteux profits 31 : fécondation in vitro, thérapie génique somatique, expérimentation d'insertion de 28 R. Ogien, La vie, la mort, l'Etat, Grasset, 2009 29 cf. J. Habermas, L'avenir de la nature humaine, 30 Daniel Cohen, Les gènes de l'espoir, Laffont, 1993 (si le livre apparaît quelque peu daté sur un plan scientifique, l'extrait ici présenté conserve sa pertinence).
31 Lerey Hood, par exemple, pionnier du projet de décryptage du génome humain et titulaire de la chaire financée par Bill Gates avec qui il est associé dans une entreprise de biotechnologie, affirmait, dans The village voice en 1998, n’avoir « aucun scrupule face à tout ce qui peut améliorer le patrimoine génétique humain ». Il attendait ainsi avec impatience, que soient connus « quinze à vingt gènes permettant aux êtres humains d’améliorer leur intelligence [pour] les donner à nos enfants ».
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chromosomes artificiels... Quel qu'en soit l'horizon, c'est bien la loi de Gabor et la crédibilité croissante de ces évolutions qui amènent les comités et conseils d'éthique à prendre position dès à présent. De nombreux scientifiques, mais aussi des philosophes, pensent qu'il sera difficile de contenir la demande des parents dès lors que leur sera offerte la possibilité d'améliorer les capacités physiques et intellectuelles de leurs enfants. On peut ajouter que la pression sera d'autant plus forte qu'elle se nourrira de la recherche de profits nouveaux par les entreprises de biomédecine. Face à ce que d'aucuns considèrent donc comme une « pente fatale », les objections aux manipulations génétiques de l'être humain se centrent principalement sur cinq points. Le premier argument, le plus répandu mais pas forcément le plus convaincant d'un point de vue rationnel, porte sur le caractère moralement et éthiquement inadmissible de l'intrusion de l'artificiel dans l'ordre naturel des gènes. Le rôle de grand architecte n'appartiendrait à personne d'autre qu'à la Nature elle-même, sinon à Dieu. Or vouloir « jouer à Dieu », ce serait s'arroger une sagesse que l’être humain ne possède pas. L'hostilité à l'égard des manipulations génétiques relève en l'espèce moins d'une argumentation rationnelle que d'une réaction émotionnelle commandée en partie par la peur. Une éthique dictée par le dégoût, la révulsion, le rejet viscéral de pratiques perçues et vécues comme inhumaines. Une éthique de la conviction plutôt que de la raison. Le second argument paraît plus intéressant, il consiste à souligner les risques inhérents à une technologie immature : rien ne nous permet aujourd'hui de dire avec assurance ce qui résulterait de bricolages génomiques et nous ne serions pas à l'abri de créer artificiellement des « êtres désastreux » bien loin des objectifs positifs que l'on pourrait assigner à la génétique si nous devions nous engager dans le grand chantier de l'ingénierie génétique de l'Homme. C'est là un argument bien connu, celui de l'Homme dépassé par son propre génie, encore que certains scientifiques considèrent, comme Haldane par exemple, qui avait en partie inspiré Aldous Huxley et son Meilleur des Monde s , que la transgression et le tragique précède nécessairement le progrès moral. L'histoire nous enseigne où peut conduire cette « optimisme tragique » pour reprendre les termes d'Henri Atlan. Le troisième argument porte sur les injustices sociales dont seraient porteuses les manipulations génétiques creusant l'écart entre favorisés et défavorisés d'un ordre social génétique, donnant naissance à ce que Leon Kass appelle une « aristocratie biotechnologiquement améliorée »32. Il y aurait nécessairement une discrimination dans l'accès aux diagnostics préimplantatoires et aux recombinaisons génétiques. Quatrième argument, la question ici posée est celle de la compatibilité entre l'avènement d'un « post-humain » ou « néo-humain » et notre corpus éthique fondé notamment sur la dignité de l'Homme. Au doute radical de Leon Kass répond l'optimisme aveugle de généticiens technophiles qui renouent avec la dimension utopique de la génétique, John Harris donnant ainsi la réplique 80 ans plus tard à un autre John, Haldane 32 « Biotechnologically improved aristocraty », in Beyond Therapy ; Biotechnology and the Pursuit of Happiness, Council on Bioethic, Regan Books, 2003
qui en 1923 s'était livré à l'exercice périlleux de la génétique fiction. Haldane, scientifique proche des communistes, croyait alors sincèrement aux bienfaits de la génétique comme moyen d'améliorer l'espèce humaine à une époque où l'idéologie eugénisme était porteuse de progrès humain, c'est-à-dire de l'espérance d'un surcroît de progrès médical, social et moral. On sait aujourd'hui les idéologies destructrices et racistes qui s'en sont nourries pour donner le pire de ce que la conscience humaine peut imaginer. On peut dès lors craindre avec Kass que cette ingénierie génétique ne donne un crédit nouveau aux idéologies racistes trop contentes de pouvoir donner corps à « l'Homme nouveau ». Le dernier argument concerne les menaces que les biotechnologies feraient porter sur les libertés individuelles en accroissant le contrôle politique et social sur les individus tenus à un ordre génétique de plus en plus contraint. Il y aurait un risque de perdre la diversité naturelle et de stigmatiser les « déviants génétiques ». Le philosophe Ronald Dworkin, avec d'autres, réfute avec une intelligence certaine plusieurs de ces réserves, sans renoncer, bien au contraire, à l'idée de dignité humaine qu'il tient pour un principe puissant33. Il argue d'abord qu'il est tout à fait possible de réguler les expérimentations et d'empêcher les dérives en respectant un certain nombre de règles déontologiques qui gouvernent d'ailleurs depuis longtemps la recherche scientifique. Au risque d'injustices sociales, il répond par la redistribution qui permettrait d'assurer à tous un égal accès aux bienfaits des améliorations génétiques, enfin, il voit dans l'ingénierie génétique plus de possibilités de diversifier le profil de l'Homme que de le réduire à un modèle unique. Dworkin préfère l'équité génétique à la loterie génétique. L'idée est intéressante, elle n'en paraît pas moins à rebours de la réalité, car aujourd'hui force est de constater que le hasard est bien souvent porteur de plus de justice et d'équité que d’autres systèmes. Les perspectives d'une médecine améliorative, qui aujourd'hui nous inquiètent voire nous révulsent, seront peut-être demain socialement acceptées parce que nous aurons été capables de repenser le rapport de l'Homme à la nature, le rapport de l'Homme à lui même. Les choix face auxquels nous serons, nous obligeront, d'une certaine manière, à trouver un équilibre entre la fatalité du destin d'un côté, la liberté et ses vertiges de l'autre. Ce choix est difficile car il est porteur d'un surcroît de responsabilité individuelle et collective dont on mesure mal le poids. Paradoxe de l'Homme qui ne veut pas être l'objet du destin et qui pourtant n'est pas certain d'être moralement à la hauteur d'un jeu dont il aurait à lui seul toutes les cartes. N'est-ce pas la crainte de devoir affronter les conséquences politiques, morales et sociales de nos choix qui pourrait en définitive nous pousser à l'abstention ? Dworkin nous invite à ne pas fuir cette révolution dans l'histoire de l'humanité. Il suggère que la responsabilité de ne pas modifier le génome de nos enfants sera d'une responsabilité tout aussi grande que celle de le modifier. La grande question politique et éthique consistera dès lors à réguler ces choix, à les encadrer et à déterminer les contours de cette « évolution volontaire », bref à demeurer moralement à la hauteur des progrès scientifiques. Une réflexion à poursuivre...
33 Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, Cambridge, Harvard University Press, 1977
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Partie 3 ENJEUX DE LA RECHERCHE …
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I. LA RECHERCHE EN NEUROSCIENCES … L es rapporteurs tiennent à rappeler les immenses besoins en matière de santé : les maladies psychiatriques et les maladies neurologiques représentent un tiers des dépenses de santé. Dans le domaine de la psychiatrie, ce sont des maladies liées au développement, comme l’autisme ou la schizophrénie, et des pathologies très liées aux interactions sociales comme les addictions aux drogues ou la dépression. Dans le domaine de la neurologie, ce sont des maladies neurodégénératives, liés au vieillissement de la population, comme les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson. Les accidents vasculaires cérébraux, qui constituent la deuxième cause de mortalité, sont des accidents qui frappent le système nerveux. Chez les jeunes, la sclérose en plaques est la première cause d’invalidité. La migraine ou l’épilepsie sont extrêmement fréquentes et nous sommes loin d’avoir trouvé de bons remèdes.
Frontière de la connaissance, le système nerveux est aussi un problème de santé énorme qui reste largement à résoudre.
En quoi les questions éthiques liées aux neurosciences concernent-elles la révision des lois de bioéthique et sont-elles différentes de celles déjà traitées, en particulier pour la génétique des individus ? Par bien des égards, il convient d’appliquer aux neurosciences et à leur usage la plupart des principes établis à partir des réflexions sur la génétique, et protéger les caractéristiques neurales autant que les caractéristiques génétiques - c’est notamment pour cela que les lois de bioéthique devraient rester sur les principes généraux de protection de l’individu. Il existe par ailleurs, au moins deux domaines spécifiques aux neurosciences : celui de la conscience et celui de la pensée. Les possibilités d’intervention sur le cerveau sont aujourd’hui multiples, qu’elles interviennent grâce à des molécules chimiques ou à des procédés plus ou moins invasifs (imagerie cérébrale, stimulation magnétique transcranienne, implant/neuroprothèse). Ces interventions surviennent dans un contexte médical, (maladie de Parkinson par exemple), ou extra-médical, (usage très large des psychostimulants). Il est clair que les possibilités nouvelles de modification des comportements, qu’ils soient végétatifs comme l’appétit, le sommeil ou la sexualité, ou cognitifs comme l’humeur ou la mémoire, nécessitent une réflexion approfondie car ces possibilités d’interventions ne sont pas explicitement couvertes par la législation en vigueur, notamment en ce qui concerne le respect de la vie privée et la protection des données. Il existe de plus un mouvement montant en faveur du dopage intellectuel, ouvertement soutenu, par exemple en fin 2008, dans les colonnes de la prestigieuse revue Nature par un groupe de scientifiques34. Mais augmenter quoi, par qui, par quoi, et surtout pourquoi ? Nous sommes dans des sociétés de la performance et de la compétition qui prônent 34 Greely H et al. Towards resp on sible us e of cognitive enhace m ent in the health y. Nature, 7 décembre 2008
de façon implicite les principes du libéralisme légal 35, où chacun serait libre d’utiliser ou de refuser la drogue ou le dispositif de son choix à partir du moment où cela ne nuit pas à autrui. Il va de soi que le consentement éclairé pour un traitement, chimique ou par implant cérébral, par exemple, est un pré-requis nécessaire mais ce consentement éclairé n’est nullement suffisant compte tenu des pressions sociales (par exemple l’usage de drogues d’éveil pour travailler plus longtemps). La puissance publique doit être garante des principes d’intégrité et d’inviolabilité du corps humain. Dans son avis n°20 portant sur les implants et tout particulièrement les neuroprothèses, le Groupe Européen d’Ethique soulignait l’existence de risques d’atteinte à la dignité humaine, évidemment pour des dispositifs implantés à but professionnels ou d’amélioration de la performance (militaires par exemple), mais également pour les dispositifs à but médicaux (questions des implants cochléaires uni ou bilatéraux chez les enfants sourds). Le GEE propose d’interdire les implants cérébraux qui pourraient être utilisés « comme fondement d’un cyber-racisme ; pour modifier l’identité, la mémoire, la perception de soi et la perception d’autrui ; pour améliorer la capacité fonctionnelle à des fins de domination ; pour exercer une coercition sur les personnes qui n’en sont pas dotées ». Cette notion devrait être étendue à toute drogue ou procédé ayant les mêmes objectifs ou effets. L’amélioration de la performance ne semble pas condamnable si elle a pour objet d’aider l’autonomie et le bonheur de l’individu (faire voir les aveugles, marcher les paralytiques) sans en faire payer le prix aux autres. Mais il importe de se questionner sur le prix « social » de l’amélioration de la performance. Il faudrait de plus évaluer les conséquences en terme de pouvoir, que l’amélioration de l’un peut donner sur les conditions de vie de l’autre : avancement scolaire, promotion hiérarchique, pouvoir de subordination intellectuelle… son corollaire est l’obligation subliminaire du « tous dopés » pour survivre. C’est le problème des 3,5 millions d’enfants traités par le méthyl phénidate aux USA, en grande partie destiné à obtenir des classes calmes dans les quartiers aisés. En conséquence un second aspect du coût social est du registre de la discrimination. Pour opérer dans un réel environnement de libéralisme cognitif, il faut transformer le procédé d’amélioration en bien public, accessible à tous, dont personne ne puisse être privé et dont l’usage n’épuise en rien la ressource. Notre activité cérébrale n’est pas seulement la synthèse de l’activité de nos gènes et de la coordination de nos réseaux neuraux sculptés par notre histoire personnelle. Notre activité cérébrale se développe dans une anticipation des évènements de notre environnement, dans une projection anthropologique et socialisée de notre monde. Nous anticipons l’action de l’autre et la figure de l’autre agit sur notre activité neurale. Dès lors, quelles que soient les contraintes physiques et biologiques bien réelles dans lesquelles se 35 basé sur deux grands axiomes : 1- les individus devraient êtres libres d’utiliser, ou de refuser l’obligation de prendre, toute drogue, matériel ou technique de leur choix à partir du moment où leur comportement ne met pas en danger celui des autres. 2- A partir du moment où cela ne nuit pas à autrui, les individus devraient être autorisés à utiliser les drogues ou techniques permettant une amélioration de leurs capacités intellectuelles.
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déroulent nos pensées, nous devons prendre en considération la plasticité de notre système nerveux, sa capacité sans cesse à évoluer et admettre que la liberté de pensée est nécessaire à notre capacité de survie en individu social. Nous devons exister avec les autres et nous existons par les autres.
RECOMMANDATIONS : Une société de l’information et de la communication est forcément une société où le cerveau de chaque individu doit être protégé de l’instrumentalisation. Les molécules et procédés issus des connaissances en neurosciences doivent être mises au service de la restauration des fonctions perdues et de l’accroissement des libertés d’agir, et non permettre l’assujettissement à une norme sociale ou engendrer des discriminations. D’une façon générale il conviendrait d’établir un dispositif d’autorisation de mise sur le marché assorti d’évaluation ad hoc pour tout procédé ayant comme objectif ou conséquence d’agir sur les capacités cognitives des individus. L’exemple des neurosciences a été développé dans ce rapport, mais les avancées scientifques en matière de nanosciences sont également en plein essor et l’objet de progrès très rapides. Elles impliquent de prévoir et d’être attentifs aux risques de dérives, notamment en matière de toxicité de ces particules, de menaces sur la vie privée, tout en encourageant la recherche dans ce domaine très prometteur.
II. LA RECHERCHE SUR LES EMBRYONS ET LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES HUMAINES …
L
orsqu'un couple a recours à une fécondation in vitro dans le cadre d'une AMP, des embryons se trouvent constitués qui peuvent faire l'objet d'une conservation par congélation. Il y a plus d’embryons constitués que d’embryons transférés. Compte tenu du caractère douloureux et potentiellement dangereux pour la santé des femmes de la stimulation ovarienne, et de l’implantation multiple d’embryons, il n'est pas rare que les couples choisissent de conserver les embryons surnuméraires pour les utiliser en cas d'échec de l'AMP ou dans la perspective d'un autre enfant.
→ Utilisation des embryons « surnuméraires » issus de l’AMP Au 31 décembre 2007, environ 155 000 embryons étaient conservés par les centres d’AMP, pour environ 43 000 couples en France. Si le couple n’a plus de projet parental, ou en cas de décès de l’un de ses membres, trois solutions sont alors ouvertes : 1/ Donner les embryons à un couple qui ne peut pas avoir d’enfant autrement (c'est ce que l'on appelle l'accueil d’embryon). Ce don est subordonné à une décision de l’autorité judiciaire ; 2/ Consentir à ce que les embryons fassent l’objet d’une recherche sous le strict encadrement de la loi ; 3/ Mettre fin à la conservation des embryons, c'est-à-dire consentir à leur destruction.
Embryon et Fœtus (sources : La Croix)
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Limiter le nombre d’embryons surnuméraires ?
À la faveur de la révision de la loi bioéthique, la situation de ces embryons surnuméraires soulève plusieurs questions et d'abord celle de leur nombre. L’arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’AMP, recommande une limitation du nombre d’embryons constitués à la suite de tentatives de FIV. Certains pays, comme l’Allemagne, ont adopté à cet égard une législation stricte tendant à établir une équivalence entre le nombre d’embryons obtenus par FIV et le nombre d’embryons transférés in utero. Ce dispositif empêche la constitution d’embryons surnuméraires. Cette question de la conservation d'embryons surnuméraires et in fine de leur devenir est étroitement liée au débat récurrent, difficile, ontologique par nature, et souvent équivoque, sur le statut de l'embryon qui s'est ouvert dans les années 1970 en France à la faveur de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse. « L’em bryon, selon le biologiste François Jacob, s erait le dernier refuge du sacré ». La question du statut de l'embryon apparaît bien souvent plus relever de la conviction personnelle, philosophique ou religieuse que d'une réponse scientifique établie. De ce point de vue là et sans aller plus avant dans la discussion, les rapporteurs font leur l'analyse d'Axel Kahn qui considère l'embryon humain dans sa singularité, à la fois plus qu'un amas de cellules (ce qui justifie que son utilisation soit soumise à un questionnement éthique) sans qu'il ne s'agisse pour autant d'une personne. Le Conseil consultatif national d'éthique a lui retenu la notion de « personne humaine potentielle ». Les rapporteurs considèrent, dès lors qu'il n'y a pas d'antinomie intrinsèque entre recherche sur l'embryon surnuméraire et respect de l’être humain. C'est d'ailleurs là l'état du droit français qui ne reconnaît que deux catégories juridiques, les choses (objets de droit) et les personnes (sujets de droit). En droit français 36, l'embryon n'est pas considéré comme une personne, sans pour autant être conçu comme une chose. Une personne doit être, selon les termes du code civil « née vivante et viable », c'est ainsi que la Cour de cassation a considéré qu'il ne pouvait y avoir d'homicide involontaire de fœtus37 celui-ci ne devenant une personne qu'à sa naissance. La loi bioéthique actuelle limite la constitution d’embryons surnuméraires38. La conception et l’utilisation d’un embryon « à des fins commerciales ou industrielles », ainsi que la conception d’embryons à des fin de recherche. L'état du droit ne fait pas pour autant, loin s'en faut, l'unanimité et les tentatives de donner à l'embryon un statut comparable à celui des personnes, quand il ne s'agit pas même d'en faire une personne dès la conception sont récurrentes39. Dans le cadre de la révision de 36 La Grande Bretagne a adopté la notion libérale de « pré-embryon ». Il s'agit d'embryons de moins de 14 jours, ce seuil correspondant à l’apparition de la « ligne primitive », première ébauche de système nerveux central. Avant ce stade, l’immaturité du système nerveux de l'embryon fait qu'il ne ressent pas la douleur et peut être dès lors être utilisé pour la recherche sans que cela pose trop de problèmes éthiques. C’est également le moment à partir duquel l’embryon ne peut plus se diviser pour donner des jumeaux, autrement dit, où il acquiert son individualité. 37 Arrêt n° 3559 du 25 juin 2002, Cour de cassation (Chambre crim.), Procureur de Versailles et Patrick M. 38 Il est ainsi prévu qu'aucune nouvelle tentative de fécondation in vitro ne peut être entreprise tant que le couple a encore des embryons conservés, sauf si « un problème de qualité affecte ses embryons ». 39 On pense, par exemple, à l'Assemblée nationale à l'amendement Garraud qui était destiné en 2003 à créer une
la loi bioéthique, des voix s'élèvent ainsi pour réclamer une limitation du nombre d’embryons autorisé pouvant être constitués par tentative de FIV. Pour certains, la création de milliers d’embryons surnuméraire poserait d’importants problèmes éthiques et moraux, en particulier pour les familles engagées dans l'AMP. Pour autant, ces embryons surnuméraires justifieraient en eux-mêmes la recherche sur l'embryon puisque ceux-ci sont de toute façon destinés à être détruits. L'une des façons les plus sûres de faire obstacle à la recherche sur l'embryon serait dès lors de limiter leur disponibilité. Les objections conduisent parfois à réclamer une limitation très stricte du nombre des fécondations d'ovocytes et l'interdiction de leur congélation. A contrario, les arguments en faveur du maintien des règles actuelles se fondent d'abord sur des motifs médicaux. Ils écartent en particulier la législation en vigueur en Italie consistant à limiter à trois, c'est-à-dire, très strictement le nombre des embryons et à prohiber leur cryoconservation. Si cela évite de constituer des stocks d'embryons surnuméraires, cela a aussi contribué à accroître le nombre des grossesses multiples, par nature à risque, car tous les ovocytes fécondés sont implantés. Il apparaît dès lors plus raisonnable de maintenir les possibilités de congélation et de s'en remettre aux pratiques des centres d'AMP au cas par cas. On peut néanmoins souligner la nécessité de mieux informer les parents, en amont des FIV, des conditions de conservation des embryons et des perspectives de leur destruction, afin d'accompagner psychologiquement les familles et de faciliter leurs choix40. RECOMMANDATIONS : Concernant les embryons surnuméraires, et la limitation de leur nombre, les rapporteurs estiment que les précautions contenues dans l'arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation sont suffsantes.
→ La recherche sur les embryons et cellules souches embryonnaires : un système dérogatoire hypocrite et diffcilement applicable
Dans quelles conditions un embryon issu de la fécondation in vitro mais ne faisant plus l’objet d’un projet parental, donc n’ayant plus aucune possibilité de devenir une personne humaine, même potentielle, peut-il rester dans le contexte social humain et aider la recherche scientifique ? Entre la nécessité de développer de nouvelles connaissances et de nouvelles stratégies thérapeutiques face au grand nombre de pathologies invalidantes et incurables ; de permettre l’accès de tous à la connaissance et de tous les malades qui le nécessitent à ces traitements ; et enfin de respecter les bases fondamentales de notre culture et de sa conception de la personne humaine, la recherche sur embryons et cellules souches pose de véritables tensions éthiques. Actuellement, les recherches sur l’embryon humain sont soumises à un régime d’interdiction de principe. Les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines infraction d'interruption involontaire de grossesse qui menaçait en tant que tel l'IVG. On peut aussi mentionner l'ouvrage de Christine Boutin, L'embryon citoyen, Sarment, 2001ou encore la contribution du député UMP Jean Frédéric Poisson au rapport d'information sur la révision des lois bioéthiques de l'Assemblée nationale. 40 Décider de la destruction des embryons revient parfois pour les couples à renoncer à un projet parental, la décision est souvent douloureuse.
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(CSEH), qui peuvent être prélevées sur les embryons entiers, non sans dommage, aux stades précoces de leur développement sont ainsi, par voie de conséquence soumises au même régime. Une dérogation au principe général à titre exceptionnel peut être délivrée, pour 5 ans et sous sept conditions. Limitée à une période de 5 ans, cette dérogation « à titre exceptionnel » autorise les recherches sur les embryons et les CSEH sous sept conditions : 1/ Les recherches doivent être susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs ; 2/ il n’existe pas de méthode alternative d’efficacité comparable ; 3/ elles ne portent que sur des embryons conçus in vitro dans le cadre de l’AMP ; 4/ ces embryons ne font plus partie d’un projet parental ; 5/ le couple a exprimé son consentement éclairé ; 6/ Le protocole de recherche est autorisé par l’Agence de la Biomédecine ; 7/ le transfert in utero à des fins de gestation des embryons utilisés pour la recherche est interdit. Comme l’ont souligné plusieurs membres de la Mission Parlementaire d’Information et le rapport de l’OPECST, la formule « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » a deux conséquences principales. Tout d’abord, seules les recherches aux potentialités thérapeutiques à court terme semblent être concernées. Ensuite cette formulation ignore la longueur du processus de recherche fondamentale qui précède la possibilité d’application, même si le but thérapeutique existe, bien qu’il puisse être lointain. De plus, elle semble légitimer a priori non seulement la recherche, mais aussi, dans un second temps, toutes ses applications thérapeutiques potentielles. Les citoyens du panel des Etats Généraux de la Bioéthique ont suggéré qu’il serait nécessaire d’autoriser les recherches « scientifiques ou médicales» sur les embryons voués à la destruction, sans nécessairement faire référence à leurs finalités thérapeutiques envisagées. Et d’autre part, leurs applications thérapeutiques, lorsqu’elles peuvent être envisagées, devraient être évaluées et encadrées strictement. Le Conseil d’orientation (CO) de l’Agence de la Biomédecine a, lui, suggéré de remplacer le terme « visée thérapeutique » par « motif scientifique ou médical ». Le CO a souligné les nombreuses difficultés pour évaluer et suivre les projets de recherche selon les critères définis par la loi et a proposé la formulation suivante « il revient à l’Agence de la biomédecine de 1) garantir l’origine de ces éléments de recherche comme provenant bien d’embryons surnuméraires et ne faisant plus l’objet d’un projet parental ; 2) étudier les possibilités de progrès médical induits par cette recherche (et non pas « garantir» puisqu’on ne saurait « garantir » les conséquences futures d’une recherche) ». Pour les rapporteurs, l’objectif doit être de concilier la protection de l’embryon avec l’autorisation et le contrôle des recherches effectuées sur celui-ci et les CSEH qui en sont issues. Un des éléments majeurs qui ressort de l’ensemble des propositions est de mettre en place un régime juridique distinct en fonction des éléments faisant l’objet de la recherche (cellules ou embryon entier) et du stade de développement au moment de l’obtention des cellules. Ceci va dans le sens de la jurisprudence qui s’est déjà prononcée sur cette question en 2003 par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris qui affirme que les cellules
souches pluripotentes prélevées sur des embryons humains au stade du blastocyste ne constituent pas l'embryon et ne sont pas susceptibles de permettre le développement d'un embryon.
RECOMMANDATIONS : Toutes les instances consultées s’accordent sur la nécessité de modifer les termes de la loi. Un consensus unanime porte sur la suppression du délai de 5 ans pour la période dérogatoire. Les rapporteurs proposent une révision beaucoup plus profonde et préconisent le passage à un régime d’autorisation contrôlée des recherches. Enfn, la formulation des conditions d’autorisation des recherches doit être modifée.
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Sortir de l’hypocrisie : autoriser la recherche sur les embryons et les cellules embryonnaires
Excepté ceux qui sont sélectionnés pour êtres implantés après une FIV pour AMP, les embryons humains entiers ne peuvent en aucun cas être implantés après avoir fait l’objet de recherches, quelle que soit la nature de la manipulation à laquelle ils ont été exposés. Ainsi même si certaines recherches sur les embryons sont autorisées par dérogation, l’embryon entier est de fait écarté de la recherche clinique. Les rapporteurs proposent de débattre de l’interdiction systématique d’implantation de ces embryons qui limite les recherches notamment sur le développement embryonnaire ou l’amélioration des techniques de FIV. Si la loi est modifiée sur ce point la recherche sur embryons entiers pourrait être considérée comme un cas particulier de recherche dans le cadre des essais cliniques, et bénéficier ainsi d’un statut protecteur clairement établi par l'ensemble des textes régulant la conduite des essais cliniques. L’Agence de la Biomédecine souligne également que la destruction systématique des embryons entrés dans un processus de recherche, imposée par la loi, est non seulement un obstacle technique à certaines recherches, mais un obstacle éthique notable. Elle suggère de distinguer les embryons produits par fécondation in vitro de ceux générés par transfert nucléaire (le fameux clonage thérapeutique aujourd’hui interdit), fusion ou parthénogenèse. En effet, les seconds n’ayant pas été obtenus dans le cadre d’un projet parental par fusion de gamètes, une recherche effectuée sur ceux-ci et leur éventuelle destruction pourrait être envisagée sans nécessairement remettre en cause le principe de respect de la dignité humaine.
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Ceci conduit les rapporteurs à souligner qu’il n’existe pas de technique alternative crédible à la « création » d’embryon à visée de recherche par fusion de gamètes pour obtenir des entités embryonnaires ou des cellules embryonnaires en dehors du cadre d’un projet parental initial. Faire des recherches sur la fécondation permettrait d’améliorer nos connaissances sur ce moment de la vie, et notamment de réduire les taux d’échec de l’AMP et d’accéder à de nouvelles connaissances. Les citoyens consultés lors des états généraux de la bioéthique ont proposé d’affirmer explicitement une différence statutaire entre deux types d’embryons : d’une part, les embryons « destinés à naître », qui bénéficieraient d’un statut extrêmement protecteur, interdisant toute manipulation ; d’autre part, les embryons « voués à la destruction en l’absence de projet parental » qui pourraient faire l’objet d’expérimentations sous certaines conditions strictes ; donnant ainsi au projet parental, le rôle majeur dans la définition d’un statut de l’embryon.
RECOMMANDATIONS : Les rapporteurs souhaitent que la loi puisse ouvrir la possibilité de recherches encadrées sur l’embryon lui-même au bénéfce des connaissances sur le développement humain précoce et l’amélioration des techniques d’AMP. Ils estiment par ailleurs utile d’autoriser la création d’ entités embryonnaires ou de cellules embryonnaires en dehors d’un projet parental afn qu’il soit possible de mener des recherches sur ce moment de la vie.
III. EN GUISE DE CONCLUSION : LA RECHERCHE, CONDITION DU PROGRES … Toute cette réflexion et cette réglementation sur la bioéthique n'a de sens que dans une société qui se donne les moyens de les faire respecter. Or les pressions sont fortes, de la part de ceux qui visent à faire du profit à partir de la détresse ou des fantasmes d'une partie de la population. Nous voulons réaffirmer que le service public est le meilleur garant du respect des règles éthiques adoptées par la représentation nationale. En ce qui concerne la recherche, mère de toutes les potentialités que nous avons étudiées, plusieurs enjeux sont présents. Premier enjeu, doit-on poser une limite aux sujets sur lesquels la science travaille ? Et doit-on poser une limite aux outils dont la recherche se dote pour travailler ? Le débat est ancien. Il n'y a pas si longtemps, la science n'avait pas droit de cité sur les thèmes dont les religions avaient le monopole. En particulier, la question de l'univers, de l'humain et de son origine, a longtemps été réservée aux religieux. Si la situation a heureusement beaucoup changé, il n'en reste pas moins que certains voient d'un mauvais oeil les progrès de la science dans son explication du monde qui nous entoure. La question de l'embryon et des cellules souches est ainsi le lieu d'un rapport de force permanent et stérilisant. En voulant doter les embryons d'un statut voisin de celui des personnes humaines, certains représentants religieux bloquent les progrès de la science, avec pour conséquence la souffrance prolongée de nombreux êtres humains. Pour des socialistes, la science ne doit pas être limitée dans ses questionnements. Tous les moyens ne sont pas bons pour conduire les travaux de recherche, et des règles éthiques doivent être imposées aux chercheurs, ce qui est pour partie l'objet de la loi de bioéthique. Mais toute question scientifique doit pouvoir être posée et étudiée. Or aujourd'hui, nous vivons une montée en puissance du contrôle politique sur les thèmes de recherche. Le financement devenant de plus en plus fondé sur des appels d'offres thématiques, il devient difficile pour un chercheur de se lancer dans des sujets qui sortent des sentiers battus de la glose gouvernementale. En ce qui concerne le domaine du vivant, cela se caractérise par une focalisation sur les travaux qui ont une dimension thérapeutique. Cette situation est absurde. Bien entendu, l'objectif de soigner est primordial. Mais la médecine dépend fortement de l'ensemble des autres sciences. Nous venons ainsi de fêter les 50 ans du laser, qui est un pur produit de la recherche fondamentale, dont les visées initiales étaient totalement dépourvues d'applications. Aujourd'hui, le laser est un outil de base dans les services hospitaliers. Sur beaucoup de sujets, la médecine est bloquée par un manque de connaissances fondamentales. Ce n'est pas seulement en améliorant les techniques actuelles que nous pourrons vaincre des maladies aussi terribles que le cancer ou la maladie d'Alzheimer, ou que nous pourrons résoudre les cas d'infertilité. C'est en franchissant des caps fondamentaux dans notre compréhension du vivant. Pour cela, la 59
recherche française a besoin de liberté d'initiative, ce dont elle est de plus en plus privée, (par exemple l'autorisation de travailler sur les embryons surnuméraires et les cellules souches). Second enjeu, la confiance vis-à-vis des chercheurs. Nous souhaitons attirer l'attention sur les risques majeurs que font peser les liens de dépendance financière entre le public et le privé sur la confiance des citoyens envers la recherche. Il y a quelques mois, l'actualité a été dominée par la grippe A. Les recommandations des experts de l'OMS, qui préconisaient un plan de vaccination massive, plan que notre gouvernement a tenté de mettre en place de manière zélée pour le plus grand bénéfice des entreprises pharmaceutiques, n'ont pas été suivies par la population. Le doute s'est instillé sur les motivations réelles des experts, et sur leur indépendance. La question financière a été posée : ont-ils été rémunérés par des laboratoires pharmaceutiques, leurs laboratoires de recherche ont-ils été ainsi financés ? Or la politique du gouvernement est de mélanger en permanence les rôles. Celui d'un chercheur public est d'offrir à l'ensemble des citoyens le produit de son travail, celui d'un laboratoire privé est de contribuer à mettre des produits sur le marché. Les rôles sont complémentaires, et des collaborations sont utiles et fructueuses. Mais en aucun cas un laboratoire public ne doit dépendre d'un financement privé : la coopération ne doit pas devenir subordination. En aucun cas un chercheur ne doit toucher de subsides personnels d'un laboratoire privé, a fortiori quand il a un rôle d'expert. C'est pourtant ce que le gouvernement met en place, en intéressant financièrement les chercheurs aux contrats qu'ils pourraient nouer avec des entreprises. C'est tout l'édifice fragile de la confiance des citoyens envers les chercheurs qui va en être affecté. Enfin, les problèmes éthiques soulevés par l’application des règles de la propriété intellectuelle dans le champ du vivant ne sont pas des moindres. La marchandisation du corps humain ou de ses parties transformées en produit fait peser le risque d’une nouvelle forme d’asservissement des personnes pourvoyeuses de cellules ou d’organes. Comment interdire la marchandisation du corps humain, tout en ayant accès à des ovules pour les travaux sur le transfert de noyau et la reprogrammation des gènes ? Comment limiter la privatisation du vivant qui est aujourd’hui à l’œuvre par une extension incontrôlée du champ des brevets au risque de bloquer tout progrès de la connaissance et des soins lorsque l’on touche aux cellules souches ? Accepter un monopole de produit sur les cellules souches, ce n’est pas seulement exclure un grand nombre de patients de l’accès aux soins, ce n’est pas seulement stériliser l’accès à la connaissance sur un grand nombre de potentialités et d’applications encore inconnues de ces cellules, c’est refuser la dimension probabiliste liée à l’histoire particulière du corps qui va instruire la cellule souche en vue de sa propre réparation. C’est franchir une nouvelle étape de l’appropriation du monde naturel en brevetant cette fois l’ignorance. Les scientifiques sont les premiers à souhaiter un débat clair et un encadrement responsable seuls garants de la démarche rationnelle au service de l’Homme et à l’abri des idéologies. Pour les socialistes, les questions d'éthique ne se limitent pas aux contours d’un projet de loi. Au delà des divers sujets de bioéthique, c'est toute une manière d'organiser la société qui est en jeu.
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SOURCES … Ouvrages, articles, rapports, avis, auditions
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