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Changer le travail, changer la vie Groupe de travail animé par Pascal Brice Rapporteurs : Ismael Emelien & Lucie Goubert Date : juillet 2011 Ont participé aux travaux : Robert Castel, Régis Juanico, Claude Katz, Xavier Lacoste, Delphine Mayrargue, Jérôme Nanty, Stéphanie Oro, Christian Paul, Christian Petit, Théodore Rochas, Corinne Rouxel Ont été auditionnés : Philippe Askenazy, Maya Bacache-Beauvallet, Jean-François Collin, Michel Lallement, Sophie Pène Les rapports établis par les groupes de réflexion du Lab sont des contributions libres aux débats et réflexions politiques du Parti socialiste.

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Introduction

Le malaise au travail, qui s’ajoute aux inquiétudes pour l’emploi et les salaires, est une préoccupation majeure dans notre pays. Les transformations du travail depuis quelques décennies ne sont pas toutes négatives. Elles ne concernent pas tous les salariés. Elles n’empêchent pas le travail de rester central dans la vie des Français. Mais la moitié des salariés connaissent à un titre ou à un autre des difficultés au travail et près de 20 % d’entre eux en sont concernés par les formes les plus pénibles. Les évolutions de l’organisation du travail sont en effet porteuses d’exigences de plus en plus lourdes ; l’individualisation se fait au détriment du collectif de travail ; les promesses d’autonomie ne sont pas toujours tenues. Ces transformations, qui concernent aussi bien le secteur privé que le secteur public, concernent au premier chef les ouvriers et les employés - mais aussi les cadres, les femmes, les jeunes, les seniors. Un mal français apparaît qui privilégie les formes d’organisation du travail les plus préjudiciables aux salariés, qui reposent largement sur une défiance à leur égard. La lutte contre la « souffrance au travail » ne suffit pas et est inefficace si elle ne prend pas en considération l’organisation du travail comme la Droite et une partie du patronat en ont la tentation, exonérant les entreprises et le secteur public de leurs responsabilités en termes d’organisation du travail. C’est cela que nous voulons changer. Prendre en compte la place centrale du travail dans la vie des Français ce n’est pas refaire un nouveau débat sur une « valeur travail » qui simplifie à l’extrême la réalité, composite, du travail. Il s’agit de construire, avec les salariés et leurs organisations syndicales, les leviers d’une transformation de l’organisation du travail et de la place qu’y occupent des salariés qui aspirent à la reconnaissance de leur dignité.

grands champs de réformes : l’édification d’une sécurité des parcours professionnels ; une politique féministe du travail ; des moyens pour peser sur l’organisation du travail ; un renforcement de l’effectivité des droits des travailleurs. Nous préconisons de profonds changements dans la politique du travail, par rapport aux politiques conduites par la droite qui depuis 2007 accentuent la précarité, mais aussi par rapport à celles mises en place dans le passé par la gauche : - Notre conviction est que l’action est possible pour changer le travail dans les entreprises et les services publics. Nous ne devons pas nous limiter à la souffrance au travail et à une approche psychologique. Nous ne devons pas nous contenter de dénoncer le capitalisme financier et le poids des actionnaires. La priorité doit être donnée, dans cette phase marquée par la déconstruction des droits et l’extension des différentes formes d’instabilité et de précarité, à la mise à disposition d’outils d’intervention nouveaux pour les salariés et leurs organisations syndicales, mais aussi pour les entreprises qui seront prêtes à faire le pari d’une croissance sociale et écologique, afin de peser sur l’organisation et les conditions de travail ; - Notre démarche est volontaire et réaliste. Elle part d’une analyse aussi réelle que possible de ce qui se vit au travail, dans sa grande diversité et partant de l’attachement profond des Français au travail. Elle repose sur une méthode déterminée à peser sur l’organisation du travail, ciblée sur celles et ceux qui sont les plus fragilisés et qui touchent de plus en plus au cœur du salariat et progressive pour construire de nouveaux droits et la démocratie sociale dans notre pays.

Au « travailler tous » par les politiques de l’emploi, nous proposons d’ajouter des politiques du travail pour « travailler mieux pour vivre mieux » à travers quatre

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Pour cela nous proposons principalement :

1. de

lancer en 2012, au titre des grandes priorités d’une nouvelle majorité de gauche et progressiste, l’édification de la sécurité des parcours professionnels, sur la base d’une loi fixant pour un ou deux quinquennats les principes, la méthode, les modalités, les priorités et le calendrier de cette grande innovation sociale ;

2.

de mettre en place les éléments d’une politique féministe du travail axée sur l’égalité professionnelle réelle entre hommes et femmes ;

3.

de relancer la démocratie sociale par de nouveaux droits pour les salariés dans l’entreprise ;

4.

d’impulser un accord interprofessionnel et/ou une grande loi « pour la qualité de vie au travail » fixant les principes et les outils pour peser sur la transformation de l’organisation et des conditions de travail ;

5.

de mettre en place un dispositif national d’appui et une nouvelle gouvernance des entreprises en faveur de la transformation de l’organisation et des conditions de travail ;

6.

de favoriser la dimension collective du travail ;

7.

de répondre au malaise du travail dans la fonction publique ;

8.

de sanctuariser par la loi les avancées de la jurisprudence en faveur des droits des salariés et en réformant la justice prud’homale ;

9.

de redonner des armes à l’inspection du travail ;

10.

de créer un droit à la protection de la santé mentale pour les salariés, défendu par des conseillers en prévention.

Le malaise au travail devient une préoccupation majeure dans notre pays. Il s’ajoute au mécontentement et à l’inquiétude que suscitent le chômage, les inégalités de salaires et une répartition de la richesse qui désavantage toujours plus le travail. Nous entendons porter ces inquiétudes et leur apporter des réponses durables en vue de la confrontation de 2012. Il faut pour cela prendre la juste mesure de ce qui est à l’œuvre dans le monde du travail depuis un certain nombre d’années. Les salariés ne sont pas tous concernés de la même manière. Les situations les plus difficiles, les plus pénibles, concernent près de 20 % des salariés. Toutes les évolutions « du » et « au » travail ne sont pas négatives. Les travaux les plus dangereux et pénibles dans l’industrie manufacturière déclinent, les formes les plus arbitraires et pesantes de la hiérarchie régressent, des salariés gagnent en liberté et en autonomie. Mais près de la moitié des salariés, tant dans le public que dans le privé, connaissent des situations difficiles au travail (travaux pénibles, conditions de travail dégradées, mauvaises relations avec les collègues, parcours descendants en termes de responsabilités et de qualifications, précarité...). Cette dégradation des conditions de travail concerne un nombre grandissant de travailleurs et tout particulièrement les femmes, les jeunes et les seniors. Elle touche au cœur du salariat, affecte d’abord les ouvriers et les employés, mais concerne aussi de plus en plus les cadres. Alors que ces évolutions concernent tous les pays développés, apparait une spécificité française qui inquiète. Dans notre pays où la défiance est une réalité sociale ancienne et profonde, notamment à l’égard des responsables politiques, l’organisation du travail est largement marquée par un manque de confiance à l’égard des salariés. Il nous faudra dans ce combat éviter les pièges à nouveau tendus par la droite française. La dernière confrontation présidentielle a été un rendez-vous

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manqué. La droite a tenté, et un temps réussi, une confiscation de la question du travail sur le mode du « travailler plus pour gagner plus ». Quatre ans après, l’échec est complet. La crise est passée par là. Mais elle n’est pas seule en cause. Ce sont des évolutions de plus long terme qui se prolongent, s’aggravent, s’étendent et apparaissent au premier rang des préoccupations des Français. La droite française revient vers le travail en dénonçant « la souffrance au travail ». Elle retrouve ainsi les accents victimaires qui l’inspirent depuis plus de dix ans et qui placent toujours plus les citoyens de notre pays sur le terrain des peurs, de ce qu’ils subissent plutôt que sur celui de la construction de réponses sociales et politiques, individuelles et collectives. Elle cantonne le malaise du travail à une approche sanitaire et psychologique, qui doit faire l’objet de réponses sérieuses – le Parti socialiste y apporte sa contribution avec des propositions1 - mais qui n’épuisent pas, loin de là, la question du travail. Il faut mettre en question l’organisation du travail, revoir la conception de la performance, dans les entreprises privées comme dans la fonction publique. C’est parce que nous croyons au travail, à sa place centrale dans la société française, qu’il est impératif de le changer profondément. Nous proposons pour cela de faire de la négociation des conditions de travail le levier d’une transformation des organisations, entreprises et secteur public, d’une transformation de la vie au travail afin de « travailler mieux pour vivre mieux ». Ce projet est indissociable du bien-être au travail : le travail doit être conçu comme source d’épanouissement, de valorisation, de reconnaissance. Cela nous parait indispensable pour répondre aux attentes des salariés, mais aussi pour contribuer à la plus grande efficacité de notre économie, à la cohésion sociale, à la recherche d’une croissance sociale et écologique. Car notre conviction est que la compétitivité de notre économie, les chemins d’une 1. note sur la souffrance au travail.

nouvelle croissance, résident aussi dans la capacité des entreprises et des salariés à améliorer leurs performances par des formes nouvelles d’organisation du travail qui contribueront à sa qualité et au bien-être des salariés. La même logique doit prévaloir dans le secteur public. La tentation existe de revivre une énième confrontation sur la « valeur travail ». Cette confrontation a déjà eu lieu. Elle est stérile. Elle autorise toutes les démagogies, toutes les « triangulations » et tous les faux-semblants de la part de la droite. Elle ravive à l’infini les querelles de sensibilités à gauche entre les tenants du travail qui émancipe et ceux du travail qui aliène – quand la réalité au travail est composite. La droite a tout à gagner de ces querelles qui lui permettent d’éviter de toucher à l’organisation du travail dans les entreprises et les services publics et à ce que vivent les salariés. C’est pourquoi nous avons d’abord voulu établir un diagnostic sur ce que vivent aujourd’hui les salariés au travail, afin d’en tirer une approche politique pertinente et cohérente et de faire des propositions pour changer le travail. Rien ne se fera sans une relance de la négociation entre les partenaires sociaux sur l’organisation du travail. Il s’agit pour nous d’une exigence de fond et de méthode. Mais la majorité de gauche qui serait issue des élections de 2012 devra prendre ses responsabilités en demandant aux partenaires sociaux d’entamer la négociation d’un accord interprofessionnel sur « la qualité de vie au travail » et, en cas d’échec, en légiférant tout en lançant un ambitieux chantier de sécurisation des parcours au travail inspiré notamment par le respect du droit à la dignité des citoyens. Notre volonté est de peser ainsi sur l’organisation du travail et de garantir l’effectivité des droits, existants et à créer, des droits des salariés. Ces avancées devront tout particulièrement contribuer à faire avancer les droits des femmes, particulièrement touchées par les transformations en cours du travail. C’est ainsi que nous entendons contribuer, dans les entreprises et dans le secteur public, à la construction de l’alternative en 2012.

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Sommaire

I- Les préalables à toute réforme

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Un haut niveau d’exigences au travail La relation directe avec les clients et les usagers constitue désormais une norme particulièrement exigeante Ces exigences résultent notamment d’un processus d’individualisation du travail Le collectif au travail recule Les phénomènes d’individualisation sont encouragés Les nouvelles technologies de l’information et de la communication contribuent également à ces exigences nouvelles Les promesses de l’autonomie ne sont pas toujours tenues

II- Un mal français: une organisation du travail largement fondée sur la méfiance à l’égard des salariés

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En France prédominent les modes d’organisation du travail les plus préjudiciables aux salariés Les salariés du public sont désormais confrontés aux mêmes évolutions que ceux du privé Les conditions de travail à l’hôpital se dégradent Les manifestations du malaise au travail sont nombreuses dans notre pays La précarisation du travail touche désormais au cœur du salariat Le malaise du travail se féminise L’angoisse des jeunes face au travail s’étend L’exclusion des seniors persiste

III - Tandis que la droite et le patronat réduisent le malaise du travail à la « souffrance au travail », nous entendons contribuer au « travailler mieux pour vivre mieux » 16 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

A droite et dans une partie du patronat, la tentation de réduire le malaise du travail à la « souffrance au travail » « Travailler mieux pour vivre mieux » Le travail est une exigence sociale, mais aussi éthique Changer le travail, une nouvelle responsabilité citoyenne Donner la priorité aux changements dans l’organisation du travail

IV - Un dispositif universel pour sécuriser les parcours au travail

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Un enjeu de premier rang pour 2012 et les prochaines législatures Dans les transitions, reconnaître un statut pour le travailleur mobile Lancer en 2012 la construction du nouvel édifice de la sécurité des parcours du travail Changer le travail, changer la vie / Le Laboratoire des idées du Parti socialiste / juillet 2011

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V - Pour une politique féministe du travail

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Favoriser une égalité professionnelle réelle Favoriser une meilleure articulation entre les choix privés et professionnels Renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel Adapter la mesure de la pénibilité du travail à la situation des femmes

VI - Une politique du travail négociée avec les partenaires sociaux 25 pour peser sur l’organisation du travail en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Peser sur l’organisation du travail par la relance de la démocratie sociale… …dans les très petites entreprises …par le développement du droit à l’expression des salariés …par le renforcement du rôle des syndicats dans les entreprises Nous proposons aux partenaires sociaux de négocier un accord-cadre interprofessionnel sur « la qualité de vie au travail » Une nouvelle gouvernance entre CE et CHSCT Il faut favoriser la dimension collective du travail Répondre au malaise du travail dans la fonction publique

VII - Pour une politique féministe du travail

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Nous voulons préserver par la loi les avancées de la jurisprudence protectrices des salariés au travail Redonner des armes et des objectifs à l’inspection du travail Créer un droit à la protection de la santé mentale pour les salariés au travail Réformer la justice prud’homale

Propositions

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Un dispositif universel pour sécuriser les parcours au travail Une politique féministe du travail Une politique du travail négociée avec les partenaires sociaux pour peser sur l’organisation du travail en France Garantir le respect effectif des droits des salariés.

Références bibliographiques

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I - Les transformations du travail font peser des exigences de plus en plus lourdes sur les salariés Un haut niveau d’exigences au travail L’une des caractéristiques essentielles du travail contemporain réside dans son haut niveau d’exigence à l’égard des salariés, par la combinaison de deux aspects. D’une part, celle ou celui qui s’acquitte d’un travail se voit constamment demander, d’agir, d’être présent, de ne pas être en position d’attente. D’autre part, le sentiment se développe pour les salariés, qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur, pas le droit de « se rater ». Le travail devient plus intéressant mais parallèlement, toute une série de conditions de réalisation complique la tâche jusqu’à faire douter du sens de celle-ci. De tout cela, naissent des contradictions dans la vie de travail des salariés. On leur demande de s’investir plus activement dans la vie de l’entreprise, mais en assurant moins leur sécurité d’emploi. On leur confie des responsabilités croissantes, mais cette autonomie est limitée par des contrôles plus serrés sur les résultats de leur travail. Ces évolutions correspondent au succès de quelques principes directeurs au sein des entreprises, de leur organisation du travail et de leur management : réactivité, flexibilité, diversification de la production, innovation rapide, effectifs « au plus juste ». En matière d’intensité du travail, on assiste, de façon de plus en plus répandue, au télescopage de contraintes « industrielles », « marchandes » et « domestiques » qui caractérisent cette exigence du travail contemporain. Ces trois types de contraintes existent de longue date dans le monde du travail. Il n’est pas nouveau, pour une ouvrière de l’industrie mécanique,

de respecter une cadence obligée ; ni, pour un chauffeur, d’assurer une livraison sans retard ; ni encore, pour un employé administratif, de dépasser ses horaires parce qu’un cadre lui demande – comme un service personnel – de faire une recherche documentaire de dernière minute. Ce qui semble nouveau, c’est l’enchevêtrement de ces contraintes et un accroissement fréquent de la charge mentale qui en résulte. Ces obligations sont parfois inconciliables, et la hiérarchie ne peut les maîtriser correctement. La gestion des contradictions est alors décentralisée, directement sur le poste de travail, quelle que soit la qualification de celui ou celle qui l’occupe.

La relation directe avec les clients et les usagers constitue désormais une norme particulièrement exigeante Il faut insister sur une évolution tout à fait fondamentale dans ce qui se vit au travail, indissociable de la tertiarisation de l’économie : désormais, trois salariés sur quatre sont en contact avec le client, avec le public. Ce contact peut être physique ou simplement téléphonique ou par internet. Il se multiplie, source de satisfactions mais aussi et surtout d’exigences et de contraintes nouvelles. Les relations de services ne se jouent donc plus seulement à deux, entre l’employeur ou ses représentants et le salarié, mais à trois avec le client ou l’usager. La co-production se développe. Il y a là un changement radical par rapport à des situations où le plus souvent l’entreprise isolait, et à certains égards protégeait, les salariés du client ou de l’usager. Ce sont alors des injonctions contradictoires qui peuvent s’exprimer et que les salariés ont

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parfois du mal à vivre. Ce contact direct avec le client est à certains égards enrichissant et positif au regard de l’enfermement qui se vivait dans certaines entreprises. Il est de ce fait souvent vécu positivement par les salariés. Mais il faut tout à la fois satisfaire le client et atteindre les objectifs de performance fixés par l’entreprise. Et c’est désormais au salarié de gérer directement et personnellement cette tension. Cette tension est d’autant plus forte qu’à tout moment le salarié redevient un consommateur – exigeant à l’égard des autres salariés... La qualité du management est, dans ces moments, déterminante. C’est elle qui peut utiliser le contact direct avec le client pour accentuer la pression sur le salarié. C’est lui qui peut à l’inverse introduire une certaine « latitude opérationnelle » en faveur du salarié.

Ces exigences résultent notamment d’un processus d’individualisation du travail Les salariés sont de plus en plus seuls face à l’exercice de leurs responsabilités professionnelles. Les modes de management imposent des systèmes fondés sur des exigences individuelles, d’individualisation de la performance et des rémunérations. Tout s’individualise de manière exacerbée : le contrat de travail, les performances, les contraintes, la rémunération. À cet égard, le travail est pris dans le courant d’individualisation qui marque nos sociétés.

Le collectif au travail recule Dans ce contexte, ce qui tient aux collectifs de travail tend à régresser, alors même que la dimension collective est essentielle dans la vie et pour l’efficacité des entreprises et des services publics. Les salariés sont mis en concurrence, non seulement entre chômeurs et salariés dans l’emploi, mais aussi entre salariés dans l’emploi à travers l’individualisation des performances et des rémunérations. Les temps de pause, qui contribuent

à forger le collectif, se réduisent, y compris sous l’effet de certains accords de passage aux 35 heures. Plusieurs évolutions récentes expliquent le recul de la dimension collective du travail : l’impact des nouvelles formes d’organisation des entreprises caractérisées par un éclatement juridique et géographique ; l’organisation juridique des grands groupes est de plus en plus décentralisée, pour des raisons opérationnelles mais aussi juridiques et financières ; les centres de direction, y compris pour la gestion du personnel, sont de plus en plus éloignés des centres de production et des unités de travail. La distance est de plus en plus grande entre le salarié et la management, ainsi qu’entre l’actionnaire et le dirigeant d’entreprise, posant un problème d’effectivité des droits des salariés. La dimension collective du travail a dès lors tendance à progressivement s’effacer derrière sa dimension individuelle, avec deux conséquences principales : le recul des communautés de travail, ce qui ne permet plus à ce dernier de jouer de la même manière son rôle de socialisation, auquel les Français sont particulièrement attachés (plus que dans d’autres pays) ; la destruction des solidarités internes et propres au travail qui se traduit par le développement de situations de solitude et d’isolement, problème humain, social et facteur d’inefficacité du processus productif.

Les phénomènes d’individualisation sont encouragés Or, dans le même temps, les nouvelles formes de management ont encouragé des phénomènes d’individualisation. Les exigences croissantes de performance et de productivité se sont traduites par le raccourcissement des chaînes hiérarchiques, lié à la nécessité d’améliorer la productivité et de réduire les lourdeurs procédurales, par plus d’autonomie de chacun à son niveau mais aussi par un sentiment d’isolement face à une tâche plus lourde et plus complexe. L’introduction de nouvelles formes d’organisation du travail et de méthodes de management

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nouvelles, souvent inspirées de modèles anglosaxons, a souvent conduit à l’individualisation des objectifs, des évaluations et des rémunérations et à un mode de management qui privilégie le contact bilatéral sur la réunion à plusieurs.

de travail, bien au contraire : le téléphone avait substitué le contact oral au contact physique, l’usage de la messagerie a renforcé ce phénomène, accentuant le sentiment d’éloignement entre les salariés et leur hiérarchie.

Les nouvelles formes d’organisation de la réduction du temps de travail ont également favorisé un certain éclatement de la communauté de travail :

L’aboutissement en est le développement du télétravail dont les avantages en terme d’équilibre de vie sont évidents mais qui, s’il n’est pas maîtrisé, viendra renforcer ce sentiment d’éloignement et donc d’isolement du salarié. De la même manière, l’organisation de réunions virtuelles sur le net ou par vidéo, si elle permet de réunir des gens géographiquement éloignés, ne doit pas conduire à faire disparaître la réunion physique et le contact direct entre les gens, avec tout ce qu’ils offrent comme opportunité d’échanges directs, y compris informels.

- l’attribution d’un nombre plus important de jours de congés, au choix du salarié, réduit le nombre de jours passés en commun sur le lieu de travail ; - le développement des horaires variables a pour conséquence des horaires d’arrivée et de départ différents pour chaque salarié, alors même que l’entrée le matin, la pause déjeuner et la sortie le soir étaient traditionnellement des moments de convivialité ; - le développement du temps partiel volontaire ou subi limite également le temps de présence commun dans la communauté de travail ; - la suppression des temps de pause en cours de journée, ou leur exclusion du temps de travail effectif, qui a contribué à diminuer les occasions de convivialité et d’échange au travail.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication contribuent également à ces exigences nouvelles Les NTIC (téléphone portable, internet, messagerie) ont eu des effets contradictoires dans le temps et dans l’espace. L’apparition du téléphone portable a facilité dans un premier temps les contacts internes à l’entreprise, en donnant notamment aux salariés itinérants la possibilité de joindre et d’être joints à tout moment. De la même manière, l’introduction de la messagerie électronique s’est traduite par une multiplication très importante du nombre et de la fréquence des contacts. Il n’est pas démontré pour autant que cela se soit accompagné d’un renforcement de la communauté

La généralisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication produit d’autres transformations2. C’est tout particulièrement le cas de la messagerie électronique dans les rapports de travail. Cette évolution est très caractéristique du double effet de la plupart des transformations récentes du travail. Elle apporte indéniablement un souffle d’air dans de nombreuses entreprises et services publics en facilitant la communication, en desserrant l’étau de hiérarchies pesantes, en ouvrant des espaces d’autonomie et de libertés. Mais elle produit dans le même temps une accentuation des contraintes, y compris à domicile, de la masse globale de travail, une perte de collectif lorsque l'email remplace la délibération orale collective et une source de stress lorsque le contenu ou le ton des informations y contribue.

Les promesses de l’autonomie ne sont pas toujours tenues Certaines de ces évolutions ouvrent dans le même temps de nouveaux espaces d’autonomie et de libertés, dont bénéficient certains salariés. La maîtrise de son temps, des modalités d’exercice des tâches assignées, sont plus grandes. Mais encore faut-il être en situation, principalement par le niveau de formation et de maîtrise de l’outil comme de l’environnement de travail, de tirer avantage 2. note du groupe du Laboratoire des idées « civilisation numérique ».

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de cette autonomie. Ces réalités dessinent de nouveaux clivages entre salariés. Il nous revient de penser la relation entre le travail et l’autonomie alors que nous avons de plus en plus l’habitude d’associer le travail à l’exploitation, à la souffrance, aux inégalités de salaire, aux contraintes et l’autonomie au bonheur privé, à l’épanouissement individuel que permettent, par exemple, le temps libre, les loisirs et la culture. L’épanouissement des potentialités humaines se fait dans la sphère horstravail mais, à l’âge néolibéral du tout marchand, il serait temps de revaloriser l’individu dans le travail, de trouver des politiques qui, au moins, lui permettent de se réaliser subjectivement, de déployer des micro-inventions dans ce qui peut constituer la routine, la répétition des règles, etc. Il faut aussi prendre garde à ce que l’autonomie au travail ne devienne pas une injonction, une norme. Elle ne doit pas alimenter le durcissement psychologique du travail. Car ces nouveaux espaces d'autonomie s’accompagnent d’exigences, de contraintes et d’injonctions nouvelles, souvent contradictoires, qui suscitent de fortes tensions. La promesse des nouvelles technologies et des nouvelles formes d’organisation du travail tient à la rémunération au mérite alliée à la responsabilité et à l’autonomie du salarié. Mais bien souvent elles ne sont pas au rendez-vous. De plus, ces incitations à la performance sont rarement accompagnées d’une réelle participation à la définition de la stratégie de l’entreprise. Ces tensions sont aussi particulièrement fortes pour les salariés exerçant des fonctions d’encadrement. Ils doivent en effet tout à la fois ouvrir des espaces d’autonomie plus grands, être en situation d’accompagner les autres salariés dans ces évolutions, notamment lorsque les choses se passent mal, et gérer leurs propres objectifs individuels de plus en plus contraignants. Confrontés à ces injonctions multiples, les cadres ont de plus en plus de mal à exercer leurs missions, sont de plus en plus nombreux à vivre mal au travail et peuvent alors contribuer au mal-être des salariés dont ils ont la responsabilité. Changer le travail, changer la vie / Le Laboratoire des idées du Parti socialiste / juillet 2011

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II - Un mal français: une organisation du travail largement fondée sur la méfiance à l’égard des salariés En France prédominent les modes d’organisation du travail les plus préjudiciables aux salariés La France est, après le Royaume-Uni, le pays qui présente le plus d’entreprises organisées selon le modèle Lean production (34 %). Si l’on compare la France avec l’Allemagne, les contrastes sont frappants et sont en partie liés à la présence syndicale dans les entreprises. En Allemagne, 19 % des entreprises sont organisées selon le modèle « Lean », mais 44 % selon le modèle de l’organisation « apprenante », contre 38 % en France. L’une des raisons sociologiques majeure de ce choix est le manque de confiance – spécificité ancienne et croissante de la société française - et l’absence de culture de négociation des changements. Cela se traduit par un rôle important donné aux ingénieurs de conception dans le « design » des organisations et par un déni de réalité face aux difficultés du travail, particulièrement dans les services. C’est en partie en raison de ce type de management que la transformation de FranceTélécom a dramatiquement échoué. Les risques pour la santé et la sécurité au travail sont moins prononcés dans les organisations « apprenantes » ou dans les organisations « simples » que dans les organisations « tayloriennes » ou en « lean production ». En moyenne, près de 58 % des salariés déclarent que le travail affecte négativement leur santé. Cette proportion est plus élevée dans les organisations en « lean production » (66 %) ou tayloriennes (63 %) et plus faible dans les organisations « apprenantes » (53 %) ou de structure simple (51 %). Cette préférence française pour des organisations rigides et peu négociées constitue un lourd

handicap pour porter une économie du savoir, de la connaissance et de l’innovation. On ne modifiera pas cette culture de commandement traditionnel, même repeinte aux couleurs de la modernité, par la multiplication de lois, de décrets ou de contrôles. Les changements réels passent par une sensibilisation des décideurs, une formation au management négociée dans les écoles d’ingénieurs, un débat public sur les formes d’organisation du travail les plus pertinentes. À cet égard, le choix des pays nordiques pour des organisations « apprenantes » fondées sur le triptyque « travail en équipe- autonomie- confiance » est un gage de progrès et permet notamment de faire face au vieillissement de la population, comme on le constate en Finlande. Le refus du patronat de débattre sur l'organisation du travail conduit à accentuer un malaise très profond parmi les salariés.

Les salariés du public sont désormais confrontés aux mêmes évolutions que ceux du privé Les transformations du travail brouillent les frontières à commencer par celles qui séparent les entreprises privées du secteur public dans sa propre diversité (30 % du salariat). La contrainte budgétaire qui s’exerce sur les services publics, la généralisation de certains modes de gestion des ressources humaines et d’organisation du travail, le tout accéléré et amplifié par la RGPP, contribuent à la manifestation des mêmes évolutions dans le secteur public. Il n’y a pas ou plus en France à cet égard de spécificité du secteur public. Confronté aux mêmes évolutions que le secteur privé, avec quelques facteurs aggravants, il connaît désormais un malaise profond. L’exigence accrue de performance et de productivité dont la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) est l’élément le plus visible, s’est traduite

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par une demande accrue de résultats avec moins de moyens et une perte profonde de sens pour l’action publique. Une telle démarche n’a de sens que si elle s’accompagne d’une véritable réflexion sur les missions, l’organisation et les processus, ce qui n’a pas été le cas. À défaut, elle entraîne chez les agents publics un sentiment de décalage entre la charge de travail et les moyens disponibles pour l’assumer (matériels, humains et en temps), tandis que s’estompe le sens de l’intervention publique. Cette intensification du travail et le sentiment croissant de « ne pas pouvoir y arriver » entraîne notamment une démotivation, une montée du stress et des risques psychosociaux. Ces phénomènes sont désormais communs aux secteurs privés et publics. Du fait des coups de boutoir subis depuis 2007, dans une logique qui fait des fonctionnaires les boucs émissaires de la France « qui se lève tôt » et qui appartient – forcément – au privé, la remise en cause de la légitimité du travail est extrêmement forte dans le secteur public, conduisant à une profonde stigmatisation et à la déstabilisation de certains salariés. La spécialisation des fonctions à travers les dispositifs de rationalisation, de création de centres de services partagés, d’élimination des faibles qualifications, dans les grandes entreprises comme dans le secteur public, donne le sentiment aux salariés d’un passage de la polyvalence à la monoactivité, alimentant une sensation d’intensification et d’appauvrissement du travail. Parallèlement, les services publics passent d’une logique « usager » à une logique « client ». Le contenu des missions des agents publics évolue. Ils sont de plus en plus conduits à être en contact avec les usagers, devenus des clients, dont les exigences sont croissantes (en terme de réactivité, de qualité, d’individualisation du service rendu). Il faut aussi prendre la mesure du malaise dans la fonction publique des agents de catégorie B, largement comparable à celui de l’encadrement moyen dans les entreprises privées. Ils sont de mieux en mieux formés car issus de la démocratisation du système scolaire, mais confrontés à de faibles perspectives professionnelles, aux exigences

nouvelles de l’individualisation, à celles du public et aux exigences de l’encadrement d’agents eux mêmes souvent en situations difficiles. Ce sont alors les usagers, confrontés à des agents désabusés et parfois enfermés dans leurs maigres pouvoirs, qui en paient les conséquences. Le passage à la rémunération au mérite individuel accentue aussi la pression sur les agents du secteur public. Elle porte atteinte aux collectifs de travail, développe la concurrence entre les agents et met les agents d’encadrement dans une situation d’autant plus difficile que les équilibres de la fonction publique reposent largement sur une culture égalitariste. Des formes nouvelles d’emplois précaires se développent à la marge du statut (vacataires, contractuels, etc…), contribuant au développement d’un sentiment de malaise et d’insécurité. À tout cela s’ajoute que l’une des contraintes particulières du secteur public et singulièrement de la fonction publique est l’impossibilité des sorties, contrepartie d’une plus grande stabilité, qui aggrave de plus en plus les situations de blocage, de démotivation et de manque de perspectives en empêchant les salariés de changer de travail. Dans un contexte et sous des formes qui sont très différentes, la fonction publique n’échappe donc pas aux problématiques qui se posent aux entreprises privées en matière d’organisation, de valorisation et de satisfaction au travail.

Les conditions de travail à l’hôpital se dégradent Cette situation est la conséquence de réformes aux effets paradoxaux : - le poids grandissant des normes dans l’organisation du travail et de la mise en œuvre de la T2A : les premières demandent qu’on passe plus de temps à la réalisation des tâches et à leur surveillance, la seconde exigeant elle-même que le personnel médical et paramédical y consacre énormément de temps dit administratif au détriment du temps à consacrer aux malades ; – la Réduction du Temps de Travail (RTT) et la

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recherche d’économies : il avait été décidé de créer 40 000 postes pour compenser la réduction du temps de travail alors que dans le même temps on demandait aux hôpitaux d’augmenter leur productivité. Les établissements ont préféré réduire les embauches et ce sont au maximum 30 000 postes qui ont été créés ; – la recherche d’économies a été couplée à la recherche de recettes : le personnel médical et paramédical doit garantir que les personnes qui sont admises seront solvables, ce qui le met en contradiction avec la déontologie de la profession. Il doit également développer les recettes supplémentaires à travers notamment les consultations, ce qui multiplie encore les tâches à exécuter ; – la planification et la tarification à l’activité : on demande aux établissements de respecter tout à la fois des plans d’ensemble sur le développement de l’offre de soins et la réponse aux besoins mais de développer l’activité définie comme rentable au regard de la T2A ; – l’adoption comme modèle de développement de celui des cliniques privées à but lucratif, alors même que l’engagement dans le service public est d’un tout autre ordre. Ces contraintes ont été d’autant plus vivement ressenties que le management et la gestion des ressources humaines ont été relativement immobilistes. En dépit de la mise en place des pôles, l’organisation maintient un très fort cloisonnement au sein des établissements entre les équipes soignantes et les services administratifs ainsi qu’une très forte segmentation entre professionnels empêchant le développement de la coopération entre équipes et secteurs. Enfin, l’impossibilité d’accompagner et de reconnaitre la mobilité et les développements de compétences, notamment pour les jeunes professionnels sur lesquels se concentrent un maximum de contraintes, amène ces derniers à désespérer du service public et à quitter massivement l’ hôpital public.

Les manifestations du malaise au travail sont nombreuses dans notre pays Le malaise du travail, le mal-être au travail s’étendent ainsi sous des formes diverses : précarité, pression excessive, injonctions contradictoires, démotivation, perte de sens, découragement, non reconnaissance, insécurité, absence de perspectives, isolement et solitude, souffrance, problèmes de santé, atteintes à la dignité des salariés dans leur capacité à peser sur leur destin personnel, familial et collectif. Les enquêtes sur les parcours professionnels, prenant notamment en compte la qualité du travail, les conditions de travail et la santé des salariés, sont éclairantes. Ainsi, plus de 50 % des salariés connaissent des réalités difficiles au travail : 15 % ont des parcours stationnaires peu qualifiés avec des conditions de travail dégradées et de mauvaises relations avec les collègues (beaucoup d’ouvriers, notamment du bâtiment) ; 12 % ont des parcours pénibles et hachés (changements d’emploi fréquents, chômage de courte durée, conditions de travail moins favorables qu’en moyenne) ; 8 % ont des parcours descendants (dont 60 % de femmes) ; 10 % ont des parcours pénibles et précaires (trajectoires stationnaires peu qualifiées, chômage de longue durée souvent avant 40 ans, conditions de travail dégradées ; 15 à 20 % ont des métiers liés à des services aux particuliers). Le risque de se déclarer en mauvaise santé, et notamment en « épisode dépressif majeur », est particulièrement élevé pour ces salariés. S’il n’existe pas de causalité établie entre ces parcours et les problèmes de santé, c’est bien le cumul de difficultés qui marque la vie au travail de ces salariés. La pression s’exerce de plus en plus fort sur les salariés les moins formés, de plus en plus au cœur du salariat, de plus en plus aussi sur l’encadrement, dessinant à rebours la perspective, à travers de nouvelles réalités sociales partagées, de nouveaux intérêts et combats en commun. Face à ces évolutions, c’est aussi la perspective de la reconstitution d’une majorité sociologique qui s’ouvre pour la gauche.

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La précarisation du travail touche désormais au cœur du salariat La précarité s‘est étendue. Elle devient, depuis plus d’une décennie, avec le chômage, une caractéristique majeure et préoccupante du monde du travail dans notre pays. Longtemps confinée aux marges du salariat, elle l’atteint en son cœur et est présente tout au long d’un continuum qui va de l’artisan totalement indépendant au salarié en passant par les auto-entrepreneurs. La situation qui voyait un bloc de précaires face à un continent de stables, est désormais dépassée. En dix ans, la moitié des salariés ont connu soit des périodes de travail hachées avec des enchaînements de CDD, soit des arrêts de travail très longs, soit un déclin de leur statut professionnel. La grande majorité des embauches se fait aujourd’hui en CDD, entraînant pour la première fois une réduction significative du « stock » d’emplois en CDI (90 % en 2005). Et lorsque, comme dans la grande distribution, elle se fait essentiellement en CDI, elle n’empêche pas la précarité. En s’étendant, la précarité devient un processus de déconstruction du statut de l’emploi, dessinant une société de pleine activité qui ne serait pas une société de plein emploi, très largement sur des modes non pas voulus mais subis par les salariés, à commencer par les plus fragiles. Le statut de l’emploi se fissure pour un nombre croissant de personnes. En progressant vers le cœur du salariat, la précarité se distingue ainsi de la pauvreté, tout en conservant un lien étroit avec elle, contribuant au nombre croissant des travailleurs pauvres dans notre pays. Car la montée des travailleurs pauvres est l’une des nouveautés des dernières décennies. Ce sont 15 % des travailleurs qui seraient aujourd’hui pauvres. Le temps partiel y contribue largement.

Les ouvriers et les employés sont en première ligne Les ouvriers et les employés restent les plus exposés à cette dégradation de la qualité du travail, en même

temps qu’ils sont le plus touchés par la précarité, le chômage et l’insuffisance des salaires. Ainsi, le travail à la chaîne progresse pour les ouvriers (10 % en 1998, 11 % en 2005). Les enquêtes soulignent l’augmentation des contraintes liées à l’utilisation des machines pour les ouvriers du magasinage ou de la manutention. Plus de 50 % des ouvriers non qualifiés (près de 600 000 personnes en 2005) étaient touchés par les contraintes liées aux machines ou au travail à la chaîne. Quatre ouvriers sur dix (un salarié sur quatre) signalaient en 2005 que leur rythme de travail était imposé par des normes de production ou des délais à respecter en une heure ou plus. 50 % des ouvriers qualifiés et 54 % des ouvriers non qualifiés indiquent subir quatre pénibilités physiques ou plus. Les employés (notamment dans les hôpitaux) sont par exemple les plus exposés au travail posté.

Le malaise du travail se féminise Les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler, modifiant le visage du monde du travail (les taux d’activité sont passés de 40 % dans les années 60 à 80 %). Lorsqu’elles ont un enfant, les Françaises, contrairement aux Allemandes, ne se retirent pas du marché du travail. Les repères anciens évoluent mais bon nombre des stéréotypes qui enferment les femmes dans certains métiers subsistent. Les femmes sont celles qui sont le plus confrontées à la sous qualification, au chômage, à la précarité, aux problèmes de santé. Elles sont notamment très nombreuses à travailler à temps partiel, dessinant l’une des particularités du monde du travail en France. La conciliation entre vie professionnelle et familiale est une question majeure, mais aussi celle, largement inexplorée, du travail domestique. Car si le temps consacré aux enfants se rééquilibre vers les hommes, la répartition du travail domestique ne bouge pas (80 % pris en charge par les femmes), laissant perdurer une source de profondes inégalités jamais prise en compte. Le dernier rapport du « World Economic Forum » sur l’égalité des chances situe la France au 127e rang

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mondial sur 134 États pour les écarts salariaux entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, selon une étude de l’A.P.E.C., les écarts de niveaux de responsabilité et salariales s’accentuent durant le parcours, et notamment après 35 ans.

L’angoisse des jeunes face au travail s’étend Le chômage et ce qui se passe au travail est devenu une profonde source d’inquiétude pour les jeunes, très préoccupés par l’instabilité du monde du travail. Cette inquiétude les conduit à une nette préférence pour les concours de la fonction publique et à des attitudes perçues comme un retrait et un manque de motivation par les employeurs. Même si la suppression des IUFM a entraîné une chute brutale des candidatures aux concours de l’enseignement, conséquence directe du choix de la droite de faire des économies sur la formation des enseignants et de prendre le risque de placer devant une classe des jeunes enseignants sans formation pédagogique. Les jeunes, instruits par les désillusions de leurs parents au travail, savent fort bien ce qu’il peut leur apporter… et ce qu’il ne peut pas leur apporter.

L’exclusion des seniors persiste Les seniors sont quant à eux confrontés à l’une des aberrations les plus évidentes du système économique et social dans lequel nous vivons. Alors même que le temps de présence au travail s’allonge, y compris lorsque la droite porte atteinte aux retraites, les taux d’activité des seniors restent faibles. La question du travail est d’autant plus centrale que l’on demande aux gens, indépendamment même des décisions récentes concernant les retraites, de travailler plus longtemps. Tout cela provoque pour les seniors une pression au travail et une profonde dé-légitimation de leur présence au travail, étant en moyenne moins formés que ne le sont les jeunes.

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III - Tandis que la droite et le patronat réduisent le malaise du travail à la « souffrance au travail », nous entendons contribuer au « travailler mieux pour vivre mieux » À droite et dans une partie du patronat, la tentation de réduire le malaise du travail à la « souffrance au travail » Le risque est grand de limiter le malaise du travail à la seule question – lourde au demeurant - de la souffrance au travail et d’en déduire, comme la droite et le patronat en ont la tentation, la mise en place d’une véritable police sanitaire. Le rapport final de la « commission de réflexion sur la souffrance au travail » de l’UMP fait écho à cette approche. Il suggère de privilégier la « gestion humaine des ressources » plutôt que la gestion des ressources humaines. Les individus doivent mieux comprendre les objectifs de l’entreprise et les managers ont un rôle central. Il est question de management visuel (référence à un principe du « lean »), d’une « dérive des comportements », du « retraitement des déchets subjectifs du travail »… Cette approche devra être combattue comme un recul pour les salariés, mais aussi pour l’efficacité de nos entreprises et pour la qualité de vie dans notre pays. Les problèmes de la santé au travail, et plus encore du malaise du travail, ne peuvent pas être réglés ainsi. Il faut aller voir le travail, son organisation, revoir la conception de la performance. À l’inverse, il convient de signaler par exemple le rapport « bien-être et efficacité dans le travail » (Lachmann, Penicaud, Larose, Moleux) qui estime que la question de la santé au travail n’est pas un problème de ressources humaines, de médecine du travail, mais un problème de direction, de conception de la performance. Car la performance n’est pas qu’économique, elle est aussi sociale. C’est cette

seconde approche qui peut nous permettre, comme au mouvement syndical, de nouer des compromis utiles avec les entreprises.

« Travailler mieux pour vivre mieux » L’attachement des salariés au travail est profond et dessine une société où le travail restera central. Il reste la clé de l’intégration sociale et de l’épanouissement personnel et familial, même si la contradiction entre ce que les salariés attendent du travail et ce que de nombreux employeurs sont prêts à y mettre s’accentue. Il reste qu’en dépit des transformations récentes du système capitaliste et de ses effets sur les relations salariales, le travail occupe toujours une place primordiale dans la production des sociétés contemporaines. Même si les frontières avec le non travail, la vie privée ou le bénévolat deviennent de plus en plus ténues. Ce sont aussi les frontières entre le salariat et le non salariat qui deviennent plus floues. Le régime salarial reste très largement dominant mais d’autres rapports au travail apparaissent et se développent. L’auto-entrepreneur est une figure nouvelle et se développe dans certains secteurs sous diverses formes (communication, médias, immobilier,…). Ces évolutions sont caractéristiques des promesses des évolutions du monde du travail, notamment du point de vue de l’autonomie. Elles peuvent être accompagnées dès lors qu’elles ne visent pas à fragiliser un peu plus le statut de l’emploi. Reconnaître le travail, c’est agir profondément pour changer le travail, le réformer, car la société

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capitaliste, et en particulier la société française a perdu ses repères. C’est parce que nous croyons au travail, à sa place centrale dans la société française, qu’il est impératif de le changer profondément. C’est aussi en cela que la gauche se démarque de la perspective profondément conservatrice de la « valeur travail » portée par la droite.

Au-delà de la « valeur travail », il faut contrecarrer la dégradation de certains rapports sociaux au temps du capitalisme financier globalisé Le travail ne peut pas être sacralisé sous une forme abstraite qui masque la violence croissante de certains rapports sociaux au travail. Ce malaise croissant est indissociable des formes nouvelles du capitalisme financier mondialisé. La conjonction de la mondialisation des marchés, des rapports de production et de leur propriété, de la financiarisation de l‘économie, de l’exacerbation de la concurrence internationale, de la tertiarisation des économies développées, de la pression qui s‘exerce sur la rémunération du travail, de la généralisation de nouveaux modes de gestion des entreprises, et des nouvelles technologies, dessine un contexte tout à fait nouveau, qui depuis une vingtaine d’années imprime de plus en plus sa marque sur ce que les salariés vivent au travail. Une bonne partie des ces évolutions tiennent à des choix politiques. D’autres choix sont possibles et nous nous attacherons ici à ceux qui doivent nous permettre de changer le travail. Il ne nous revient pas ici d’approfondir les conditions par lesquelles cette pression-là, fondamentale, s’exerce sur les entreprises et leurs salariés, et de plus en plus sur les salariés du secteur public. Cela relève plus largement, avec ambition et réalisme, de la construction de l’alternative politique pour 2012. On ne traitera ici que de ce qui relève directement du changement au travail et de ce qui est dans ce champ directement à la portée des acteurs : salariés, syndicats, citoyens en général, législateur,… Le rapport au travail est ambivalent. Source d’épanouissement et d’intégration sociale, il est

aussi et de plus en plus une source d’exclusion, de précarité, d’insatisfaction, de souffrance. Plutôt qu’une valeur, le travail est une réalité, un rapport social, qui se définit par ce qu’il est et apporte.

Le travail est une exigence sociale, mais aussi éthique La question du travail n’est pas derrière nous mais devant nous si l’on prend en compte non seulement l’évolution des conditions de travail, mais aussi les nouvelles inégalités du travail dont l’explosion des hauts revenus des vingt dernières années est l’illustration. L’évolution économique récente est marquée par un fonctionnement absurde, inefficace et injuste. Les débats sur les rémunérations des traders et des grands patrons en sont les exemples les plus parlants. De 1 à 20 en 1980, l’écart entre les rémunérations moyennes des ouvriers et celles des patrons les mieux payés est passé aux États-Unis de 1 à 85 en 1990 et 1 à 531 en 2000. Rappelons que JP Morgan estimait qu’un ratio de 20 devait être préservé tandis qu’Henry Ford optait pour un ratio de 40. Les revendications en faveur d’une rémunération maximale pour le travail et la réaffirmation du rôle de l’impôt progressif ainsi que de la taxation des successions, s’inscrivent dans cette perspective. Il y a dans tout cela une dimension économique et une dimension éthique qu’il convient d’assumer tant elle est en prise avec la demande sociale : la demande d’indignation de Stéphane Hessel ou l’interpellation des sociologues Pinçon-Charlot s’appuient de manière assumée sur cette posture morale qui est aussi politique. L’affirmation de la valeur sociale, individuelle et collective du travail mérite qu’on mobilise aussi des ressorts éthiques, moraux, c’est-à-dire normatifs. Nous devons croire à nouveau dans notre capacité à peser sur les pratiques, comportements et préférences collectifs pour proposer aux Français de refonder des normes sociales plus justes. Dans ces normes sociales du travail, au-delà de la dimension monétaire, plusieurs composantes sont décisives parmi lesquelles une réflexion nouvelle sur le travail manuel est nécessaire. Il ne s’agit pas de faire du populisme anti-intellectuel, mais de

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reconnaître que si le travail routinier (manuel comme intellectuel) est appelé à décliner encore à l’avenir, le travail manuel non routinier n’est pas condamné. En effet, de nombreux experts plaident pour les possibilités d’autonomie et d’épanouissement du travail manuel. C’est aussi une manière de reconnaître l’utilité du travail domestique, invisible, de la cuisine au bricolage.

Changer le travail, une nouvelle responsabilité citoyenne Changer le travail doit bien être un projet collectif qui suppose la responsabilité de chaque citoyen de notre pays. Ce n’est pas seulement l’affaire des syndicats ou des partis. À l’image de la réflexion sur le commerce équitable ou sur les produits bio, encore marginaux, il s’agit de dire aux consommateurs qu’ils doivent penser à la qualité sociale des produits et services qu’ils achètent. Cela pose la question de la labellisation, des circuits de distribution et d’une réflexion plus globale sur les pouvoirs des consommateurs. Il est certain qu’en temps de crise cela peut souvent sembler du luxe. Mais c’est aussi le moyen de construire les cibles les plus efficaces pour les interventions des pouvoirs publics. Il ne faut pas sous-estimer les capacités des consommateurs à évoluer rapidement. Surtout si une réforme progressiste de l’État met au premier rang de ses missions la capacité à venir en appui aux groupes sociaux en économie de marché. L’appui aux organisations de consommateurs, comme aux syndicats, pour faire évoluer le travail dans notre pays, devient alors un objectif majeur d’un État réformé et pleinement à la disposition des intérêts les plus progressistes. La question posée, avec celle de l’accès à l’emploi alors que le chômage reste élevé et du niveau des salaires, est donc celle du « bon travail », des conditions dans lesquelles les salariés exercent leur activité. C’est cela qu’il convient de prendre en compte, pour en décrire les réalités et pour construire une dynamique de changement.

Donner la priorité aux changements dans l’organisation du travail

de larges convergences d’intérêt qu’il convient de traduire politiquement à la fois entre salariés non cadres et cadres, entre salariés faiblement qualifiés confrontés à des travaux pénibles et salariés dans des emplois sans pénibilité mais avec des difficultés dans l’exercice du travail, et entre salariés du privé et du public. Il y a là place pour une approche qui unisse, apaise, fédère, adoucisse les rapports sociaux sur la base de préoccupations communes, tournant le dos au discours de la droite fondée sur l’exacerbation de la concurrence entre salariés et de la dureté des rapports sociaux. Il ne s’agit pas de nier la réalité des rapports sociaux comme de l’intensité de la concurrence internationale et des exigences de compétitivité, mais de faire prévaloir une conception des rapports sociaux et humains qui contribue non seulement au bien être des salariés mais aussi à l’efficacité des entreprises et des services publics, à leur compétitivité globale et à la croissance du pays. Cette approche doit viser à la fois à favoriser un meilleur accès à l’emploi, c’est l’objet de la politique de l’emploi, mais aussi désormais à améliorer la situation des salariés au travail en les réarmant par le dialogue social ou par l’intervention de la loi, afin de favoriser une culture d’entreprise respectueuse des droits des salariés et valorisant les relations entre ces salariés aux dépens d’une culture d’affrontement, l’obligation de compétitivité ne devant pas annihiler l’obligation de civilité dans les rapports au travail. Nos propositions mettent l’accent sur l’amélioration des conditions de travail, de l’organisation du travail et de la sécurisation des parcours. Ces trois dimensions sont liées car ce qui fait l’impact négatif des conditions de travail sur la santé des salariés c’est souvent la mauvaise organisation du travail. Et c’est l’impossibilité de se sortir de ces mauvais emplois qui engendre des cumuls de pénibilités irréversibles, là où hier la mobilité interne pouvait permettre les changements de postes. Il faut rendre possible et favoriser les changements de postes et de métiers mais de manière à ces que ces mobilités professionnelles soient davantage choisies et ascendantes qu’aujourd’hui.

C’est sur la vie au travail des salariés de ce pays que nous voulons peser. Les évolutions au travail dessinent Changer le travail, changer la vie / Le Laboratoire des idées du Parti socialiste / juillet 2011

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IV - Un dispositif universel pour sécuriser les parcours au travail Un enjeu de premier rang pour 2012 et les prochaines législatures La sécurisation des parcours professionnels (la « sécurisation des trajectoires professionnelles » pour la CFDT ou la « sécurité sociale professionnelle » pour la CGT) doit être l’un des grands chantiers des prochaines années. Il devra constituer l’un des principaux aspects du Projet socialiste et de l’ensemble de la gauche pour 2012. Face aux transformations du travail, la plus grande priorité doit être donnée aux dispositifs permettant aux salariés de prendre en main leur destin professionnel et de maîtriser l’évolution de leur vie au travail. C’est une question de dignité pour les salariés et d’efficacité pour notre économie. La notion de sécurité sociale professionnelle traduit une exigence : constituer un nouvel état professionnel des travailleurs qui assure leur protection dans un contexte de mobilité et de discontinuité des situations professionnelles, de chômage de masse et de développement de la précarité. Le Parti socialiste a engagé une large réflexion sur ces enjeux3, notamment dans le cadre de la convention sur « l’égalité réelle ». Nous ne revenons pas ici sur les dispositions qui devront être mises en œuvre, mais principalement sur les enjeux politiques de cette démarche.

Dans les transitions, reconnaître un statut pour le travailleur mobile

Il y a nécessité de « donner un statut au travailleur mobile ». Désormais on ne peut plus rattacher l'essentiel des protections du travail au statut de

l'emploi lui-même. Il faut de plus en plus changer d'emploi, passer par des périodes d'alternance entre emploi et non emploi, se recycler pour être apte à occuper un nouvel emploi et ne pas être déclaré inemployable, etc. La réponse consisterait à redéployer les droits attachés à l'emploi sur la personne du travailleur lui-même. Ce serait effectivement la manière de rendre compatible l'exigence de mobilité (que l'on peut nommer la flexibilité interne et externe) et l'exigence de sécuriser le monde du travail. C’est ce que l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 a tenté de mettre en place, mais d’une façon trop restrictive, avec le droit au DIF et à la prévoyance. Il s’agit de refonder le compromis social qui avait marqué la fin du capitalisme industriel et qui s'était cristallisé autour du statut de l'emploi comme un socle stable de droits capable de concilier les intérêts du marché et ceux des travailleurs. Il y a là une réponse au défi auquel est aujourd'hui confrontée la gauche : prendre en compte ce nouveau régime du capitalisme en l'équilibrant par des droits rattachés au statut professionnel des personnes plutôt qu'au statut de l'emploi. C'est une manière de "domestiquer le marché". Une concertation approfondie avec les partenaires sociaux devra être conduite sur notamment deux aspects. En premier lieu, ce redéploiement doit-il concerner l'ensemble des emplois ou être cantonné aux secteurs marqués ou menacés par la précarité (« les zones grises de l'emploi ») ? Si l'idée de refonder l'ensemble des droits attachés au travail est séduisante, n'y a-t-il pas le risque de lâcher la proie pour l'ombre en remettant en question le statut de certaines catégories d'emplois qui restent forts

3. Travaux sur la sécurité sociale professionnelle conduits par Pascale Gérard.

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comme, mais pas exclusivement, les CDI ou le statut des fonctionnaires ? En second lieu, comment mettre en œuvre ces préconisations ? Alain Supiot proposait dans un rapport à la Commission européenne, il y a déjà douze ans, de développer des « droits de tirage sociaux » qui seraient mis à la disposition des travailleurs, du type de ceux qui existent déjà sous une forme embryonnaire comme les crédits formation ou les droits à des congés spéciaux dans certaines circonstances particulières. Mais on voit bien que ces réalisations sont sans commune mesure avec des droits qui assureraient la protection des personnes dans des conditions aussi nombreuses, diverses et lourdes que le chômage, le recyclage ou la reconversion. Qui imposerait ces droits, comment seraient-ils financés, gérés et mis en œuvre, par qui ? La réponse à ces questions relève à la fois de la volonté politique et de la négociation collective.

Lancer en 2012 la construction du nouvel édifice de la sécurité des parcours du travail La sécurisation des parcours professionnels consisterait en une réorientation en profondeur des politiques publiques de l’emploi et du travail. À l’image de la sécurité sociale en 1945, il s’agira de fixer dès 2012 les principes et les objectifs de cette nouvelle approche des politiques de l’emploi et du travail. L’édifice devra être progressivement mis en place au cours de la première législature et probablement de la suivante. Ce choix est stratégique pour porter une orientation de gauche fondée sur la dignité des salariés face aux politiques actuellement menées en matière de travail et d'emploi qui se caractérisent par une acceptation de la montée de l'insécurité professionnelle et sociale et du développement de la précarité. Il s’agit au sens le plus fort d’une promesse, d’une promesse en actes. Les pouvoirs publics (collectivités territoriales comprises) et les partenaires sociaux s’engageront à tout faire pour permettre à chaque travailleur de faire face aux évolutions d’un marché du travail plus volatil, incertain et flexible. Il s’agit de couvrir les risques de perte d’emploi, d’obsolescence des qualifications, de pénibilités

et de cumuls des pénibilités et de favoriser les possibilités de progression de carrière et de mobilités professionnelles ascendantes. Cette promesse repose sur une stratégie à la fois décidée et progressive, avec la société civile et les acteurs sociaux, pour assembler les différentes briques de ces protections. Il n’est pas seulement question d’offrir des droits nouveaux ou de réformer ceux qui existent, mais d’assurer l’effectivité des droits et de permettre à chacun, en particulier les salariés les moins qualifiés et les plus fragilisés, de pouvoir mobiliser un ensemble de ressources et d’outils quand il en aura le désir et le besoin. La continuité des parcours professionnels se joue non seulement dans les transitions entre deux emplois mais aussi et peut-être surtout dans l’emploi : - la formation devra jouer un rôle central, à partir de l’élément fondamental de la formation initiale dans le système éducatif, tant la formation pour faciliter l'accès ou le retour à l'emploi que la formation continue au cours de la vie professionnelle. Elle est essentielle pour assurer une mobilité sécurisée. Les salariés doivent pouvoir devenir propriétaires de leurs compétences, rendues opposables aux tiers. L'état actuel de notre système de formation est très en deçà de ces exigences ; - il sera beaucoup demandé aux entreprises pour qu'elles prennent au sérieux les questions du maintien de l'employabilité et du recyclage des compétences de leurs salariés. Si cette stabilité n'est plus donnée comme elle l'était par le statut de l'emploi, elle doit être construite au niveau de l'entreprise elle-même. Si l'entreprise n'est plus un marché interne garantissant l'emploi à vie, elle doit travailler sur l'employabilité de ses employés pour entretenir et améliorer leurs compétences. Cela met l'accent sur la formation, sur l'exigence de bilans de compétences périodiques pour détecter en amont les risques d'inemployabilité, maintenir et améliorer la compétence des employés pour qu'ils puissent la transposer ailleurs et la rendre opposable aux tiers. Ces exigences ne vont pas dans le sens de la recherche de la compétitivité et de la rentabilité immédiate qui inspire la plupart des chefs d'entreprise et le MEDEF. C’est donc une véritable révolution culturelle du capitalisme dans notre pays qu’il faut susciter et accompagner ;

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- La question du chômage doit être envisagée comme la gestion des situations de hors travail pour permettre l'accès ou le retour à l'emploi. Comment traiter le chômage comme une période de transition vers l'emploi ? Un chômeur n'est pas quelqu'un qui "attend un emploi", il doit être formé et accompagné à la fois à l'emploi et à la recherche d'emploi. Il faut envisager le chômage comme une transition active et se donner les moyens de le « réussir ». « Pôle Emploi » devrait être mis en situation de venir en appui aux salariés en activité, tout comme l’ensemble du système français de formation ; - La réflexion doit progresser sur l'articulation entre le monde de l'entreprise, le secteur de l'éducation, l'univers familial et l'environnement local, pour associer réellement mobilité et sécurité ; - Il faut aussi assurer la sortie du travail après une vie de travail. C'est la question de la retraite, qui n'est pas réglée, d'autant qu'elle est associée à la question de la dernière période de la vie professionnelle, celle de l'amélioration des conditions de travail des « seniors » qui pose elle aussi des problèmes irrésolus. Il conviendra de fixer dès 2012 un calendrier et une méthode de mise en œuvre à partir des différentes briques de l’édifice qui devra être construit : la formation tout au long de la vie, l’épargne-temps, l’assurance contre la perte d’emploi, la prévention de la pénibilité… La gouvernance de ces politiques devra associer étroitement l’État, les régions et les partenaires sociaux (branches professionnelles et niveau interprofessionnel). Les outils devront être construits étape par étape, en élargissant les dispositifs déjà existants : le droit individuel à la formation devrait être élargi ; le compte épargne temps pourrait devenir un compte pour temps tout au long de la vie ; la validation des acquis de l’expérience doit progresser. Les secteurs et les salariés les plus fragiles, mais aussi les petites entreprises, devraient faire l’objet d’une mobilisation particulière.

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V - Pour une politique féministe du travail

La mobilisation sociale de l’automne 2010 contre la remise en cause des retraites, soutenue par une large majorité de Français, a notamment permis de mettre une nouvelle fois en lumière les disparités dont souffrent les femmes au travail. On a vu combien la transformation du travail pesait tout particulièrement sur les femmes, de plus en plus nombreuses sur le marché du travail. Parti féministe, le Parti socialiste aspire à favoriser l’égalité réelle entre femmes et hommes au travail. Celle-ci suppose notamment de lutter contre les formes de précarité et d’organisation du travail qui affectent particulièrement les femmes, notamment dans les services, mais aussi de construire une dynamique nouvelle, reposant sur des parcours professionnels viables, compatibles avec les choix de vie privée. Des réflexions complémentaires devront être conduites sur la prise en compte du travail domestique. Car si le temps passé auprès des enfants connaît un rééquilibrage entre hommes et femmes, le travail domestique reste une réalité qui pèse massivement sur les femmes, sans que les choses n’évoluent de manière sensible au cours du temps. Si les forces progressistes ne peuvent se rallier à des formes de salaire maternel qui ont avant tout vocation de retirer les femmes du marché du travail lors de la maternité, elles ne peuvent ignorer cette réalité sociale, le préjudice qu’elle cause aux femmes et la nécessité de faire évoluer les comportements.

Favoriser une égalité professionnelle réelle Favoriser une égalité professionnelle réelle tout au long du parcours suppose tout d’abord un recul de la précarité qui frappe largement les femmes.

Il importe de permettre un accès pour tous à un temps de travail suffisant (et plus particulièrement aux femmes occupées à des emplois à temps partiel non choisis) et de prévoir, pour cela, des accords multi-employeurs autorisant l’accumulation de temps de travail ou de temps de travail et de formation. Pour faire reculer le temps partiel subi qui touche très majoritairement les femmes, nous proposons d’encadrer plus strictement le recrutement en temps partiel. Celui-ci doit devenir un vrai choix, non contraint, des salariés. Les femmes doivent aussi bénéficier d’une autre gestion de leurs carrières. Afin de créer les conditions favorables à la construction d’un parcours professionnel individuel pour les hommes comme pour les femmes, il convient, également, de garantir l’effectivité d’une gestion prévisionnelle des métiers, des emplois et des carrières, dans les secteurs privés et publics et d’accroître, pour cela, l’implication des entreprises dans une gestion juste et équilibrée, égalitaire, des ressources humaines, et, notamment, qu’elles s’assurent que les délais d’obtention d’une promotion, à chaque niveau de responsabilités, soit de même ordre chez les femmes et chez les hommes. Il pourrait être prescrit également aux organisations de diffuser, dans un souci de transparence, une information auprès des salariés (visant ainsi également une réappropriation des termes du débat par les salariés) et des représentants du personnel, sur la répartition des postes selon le niveau de responsabilité et le genre, en instaurant une obligation permanente d’afficher et de communiquer un bilan actualisé trimestriel ou semestriel sur la situation de l’organisation, qui pourrait être assorti d’une obligation de réaliser un calendrier prévisionnel de

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résorption des déséquilibres. Un bilan actualisé sur les formations, selon la qualification, le niveau de responsabilité et le genre, pourrait faire, de même, l’objet de diffusions régulières. Enfin, un rééquilibrage de cette nature et de cette envergure gagnerait à s’appuyer sur une campagne de sensibilisation aux stéréotypes sur le genre, qui sont un frein à la promotion et à la diversification des postes confiés aux femmes dans les entreprises et les institutions publiques. La diffusion d’un outil, qui soit à la fois un baromètre et un moyen de suivi (inspiré, par exemple, des enquêtes auprès des salariées, conduites, via internet, pour mesurer la dimension « favorable aux femmes » des organisations et plus généralement, la persistance de discriminations) serait utile quelques mois après la mise en œuvre des nouveaux dispositifs. Les bilans, centralisés par les branches professionnelles, collectivités territoriales, etc., globaux ou détaillés, en seraient transmis aux partenaires sociaux.

Favoriser une meilleure articulation entre les choix privés et professionnels Une meilleure articulation entre les sphères privées et professionnelles, bénéficiant à tous, reste un impératif. C’est d’abord le cas pour les personnes se trouvant dans un emploi stable. Toute action visant à favoriser l’articulation, pour les femmes comme pour les hommes, entre vie privée et parcours professionnel, sans peser sur la cohérence du parcours et les chances de promotion, pourrait contribuer à une égalité réelle de carrière. Elle nécessite par exemple d’anticiper la rupture professionnelle induite par le congé parental en garantissant, en amont de l’interruption, la constitution d’un dossier faisant un état précis des compétences et responsabilités de la personne et, au retour, en cas de litiges, la possibilité de négocier (entre l’employeur, le salarié et les représentants du personnel) sur des questions relatives au contenu du poste, au niveau de responsabilité du salarié qui revient dans l’entreprise et de s’assurer du maintien du niveau de qualification des femmes et des hommes.

Plus largement, pour toute rupture nécessitant une phase de réintégration (maternité, congés parentaux, accident du travail, maladie…), il conviendrait de prévoir des formations et informations sur le poste à occuper, sur les évolutions du métier et des partenariats, qui sont nécessaires à la prise ou reprise en main du poste. Pour les personnes se trouvant dans un emploi instable ou précaire, lorsqu’il n’existe pas de possibilité de négocier dans l’entreprise ou l’institution publique avant une rupture de parcours (parce que le contrat est de courte durée et qu’il touche à sa fin ou encore parce que la personne souhaite changer d’activité), la mise en place d’une réglementation adaptée, associée aux embauches, qui favorise, outre un accès à un temps de travail suffisant et un salaire décent, un accès à la formation professionnelle continue, dès la première année de travail, aiderait les actifs à se saisir à nouveau de leur parcours professionnel.

Renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel En France, les définitions du harcèlement sexuel sont imprécises, revêtent un caractère restrictif et n’ont pas été codifiées. Il est nécessaire de procéder à une harmonisation de la législation en matière de harcèlement sexuel sur la base des Directives européennes, tant au plan civil que pénal et en codifiant la loi du 27 mai 2008.

Adapter la mesure de la pénibilité du travail à la situation des femmes Le Rapport du Conseil Economique et Social portant sur « la santé des femmes en France » en date du 27 septembre 2010 rappelle que la définition de la pénibilité d’un geste professionnel est établie à ce jour exclusivement en fonction de critères masculins. Les conséquences des conditions de travail sur la santé des femmes restent donc peu visibles, entraînant une méconnaissance ou une sous-estimation et, en tout état de cause, une plus faible prise en charge que pour les salariés de sexe masculin. Si les études sur la pénibilité, les accidents du travail et les maladies professionnelles sont nombreuses

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dans les secteurs très « masculins » (BTP, Industrie, etc.), elles sont relativement rares pour les emplois occupés majoritairement par des femmes, alors que l’enquête SUMER a démontré que ce sont les femmes qui sont en majorité victimes de traumatismes musculo-squelettiques (TMS) (58 %, soit 22 % de plus que les travailleurs de sexe masculin) et qu’elles sont plus stressées au travail (28 %) que leurs collègues masculins (20 %). Le Rapport du Conseil Economique et Social préconise, dès lors que les tâches à effectuer et l’organisation du travail sont le plus souvent différentes pour les hommes que pour les femmes, une analyse différenciée du travail selon le genre, privilégiant les secteurs concentrant le plus de femmes (commerce, entretien et nettoyage, services à la personne…), ciblant les facteurs de risques auxquels les femmes sont les plus exposées, publiant des résultats sexués. Plus généralement, le Rapport du Conseil Economique et Social, soulignant que les normes et modes opératoires sont le plus souvent établis en référence à « l’homme moyen », suggère de changer de méthodologie, comme cela a d’ailleurs déjà été préconisé par l’ANACT. Le Rapport du Conseil Economique et Social préconise également que le Document Unique d’Evaluation des Risques (DUER) mentionne le genre afin de pouvoir prendre en compte les risques spécifiques auxquels sont exposées les salariées. Enfin, le Conseil Economique et Social propose que le Rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes, qui doit être établi chaque année dans les entreprises de 300 salariés et plus, comporte des indicateurs sexués pour examiner les conditions de travail, l’exposition aux risques et à la pénibilité, les accidents du travail ou de trajet ou l’absentéisme.

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VI - Une politique du travail négociée avec les partenaires sociaux pour peser sur l’organisation du travail en France Peser sur l’organisation du travail par la relance de la démocratie sociale… Peser sur l’organisation du travail est indissociable de la relance de la démocratie sociale et du dialogue social. Nous ne sous-estimons pas les difficultés : un patronat pour l’essentiel éloigné de ces préoccupations ; des syndicats pour lesquels ces questions ne sont pas toujours simples à appréhender ; la tentation politique d’agir plus vite par la loi. Mais le travail ne changera pas sans une prise en main de leur destin par les salariés, directement et principalement à travers leurs organisations syndicales, même si la gauche politique ne peut pas s’interdire d’intervenir par la loi là où les besoins des salariés ne seraient pas pris en compte. La démocratie sociale suppose tout d’abord de permettre à tous les travailleurs de bénéficier d’une représentation collective pour défendre leurs intérêts. Elle nécessite aussi que chacun puisse s’exprimer non seulement sur son travail mais aussi sur l’organisation du travail et sur ses contreparties dans son entreprise.

…dans les très petites entreprises... Il convient d’étendre, à travers un accord interprofessionnel ou une loi sur « la qualité de vie au travail », le champ de la représentation collective des salariés en créant des instances territoriales mutualisées pour les plus petites d’entre elles. Dans les petites entreprises et plus particulièrement dans celles de moins de onze salariés (TPE) où les salariés n’ont aucune représentation collective, une action doit être menée.

La CGT et la CFDT souhaitaient que la loi sur le dialogue social dans les TPE, adoptée à l’automne 2010, permette la création de commissions paritaires territoriales pour ces très petites entreprises (dont le nombre ne fait que croître). Ces commissions paritaires devaient constituer des instances de dialogue sur les conditions de travail, les parcours professionnels des salariés et d’autres thématiques spécifiques aux très petites entreprises. Il s’agissait également de permettre aux salariés des TPE d’élire leurs représentants par un vote sur des listes présentées par les organisations syndicales afin de mesurer la représentativité de ces organisations dans ces entreprises. L’opposition de la CGPME et du MEDEF, relayée par l’UMP, à la représentation syndicale des salariés des TPE, a abouti à ce que la loi attribue aux commissions paritaires territoriales compétentes en matière de formation professionnelle, et qui n’ont jamais fonctionné, cette compétence de dialogue social pour les TPE. Par ailleurs, le gouvernement a imposé un scrutin sur sigle, les salariés devront voter pour un syndicat et non pour des personnes sur une liste présentée par un syndicat. Cela pour éviter, à la demande expresse du Medef et de la CGPME, la création d’un lien direct entre les salariés des TPE et les élus de listes syndicales. Le dispositif adopté ne permettra donc pas d’atteindre l’objectif visé par les syndicats et peu de progrès est à attendre pour les salariés des TPE. Nous devrons revenir sur ces dispositions pour permettre d’une part la création d’un dialogue social territorial au bénéfice des salariés des TPE, faire que la représentativité syndicale puisse également être effectivement mesurée dans ces entreprises et qu’un lien s’établisse entre les salariés et les représentants syndicaux qu’ils auront choisis.

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Ce dialogue social territorial structuré est particulièrement nécessaire pour donner un contenu concret au développement des parcours professionnels que nous voulons favoriser et à leur sécurisation. Pour les salariés des TPE, cela passe nécessairement par une approche inter-entreprises dans un territoire donné. En effet, si dans une grande entreprise, évolution de carrière et sécurisation du parcours peuvent se construire en partie au sein de l’entreprise, il ne peut en être de même dans une entreprise de moins de 11 salariés. Ce n’est que dans un même bassin d’emploi, entre plusieurs entreprises qui peuvent appartenir à plusieurs branches professionnelles, qu’une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences peut être construite. Un dispositif adapté de négociation doit donc être conçu pour atteindre cet objectif.

…par le développement du droit à l’expression des salariés… Il faut aussi développer le droit à l’expression des salariés. La loi « Auroux » du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise a institué pour tous les salariés un « droit à l’expression directe et collective sur le contenu et l’organisation de leur travail ainsi que sur la définition et la mise en œuvre d’actions destinées à améliorer les conditions de travail dans l’entreprise ». Près de trente ans plus tard, force est de constater que ce droit individuel à l’expression directe n’a pas trouvé de véritable cadre d’exercice et demeure, en fait, lettre morte. L’intensification du travail, la variabilité des horaires, la dislocation de collectifs de travail, la spécialisation des fonctions, la réduction du nombre de niveaux hiérarchiques constituent autant d’évolutions qui pèsent sur les salariés alors que dans le même temps leur point de vue est rarement sollicité sur les organisations et conditions générales dans lesquelles ils effectuent leur travail. La montée des problématiques sur le stress et les risques psychosociaux est en grande partie liée à ces évolutions.

Il nous appartient de prendre en compte prioritairement le concept de bien-être au travail, source d’épanouissement, de valorisation au travail. Progresser en matière de mieux-être au travail pour tendre vers le bien-être au travail, améliorer la qualité du travail lui-même passent par l’octroi d’un véritable droit à la parole des salariés. Plusieurs enquêtes et études ont montré que la perte de vision du sens du travail de chacun dans une organisation globale et de sa contribution à la production collective était source de souffrance. Il en est de même de l’absence de marge d’autonomie dans l’exercice de son travail, renvoyant à la différence entre travail prescrit et travail réel. L’idée de la citoyenneté sociale portée notamment par la CFDT dans les années 70 et le PS au début des années 80 a été peu à peu abandonnée même si par ailleurs, un important courant jurisprudentiel depuis les années 2000, privilégie la protection d’un droit aux libertés fondamentales individuelles et personnelles. Il convient de faire revivre cette notion de citoyenneté sociale, en rappelant que le salarié ne troque pas ses habits de citoyen en pénétrant dans l’entreprise contre « son bleu de travail », mais conserve les attributs de sa citoyenneté dans l’exercice de sa fonction, afin de permettre à chaque salarié de contribuer par son expression individuelle non seulement à l’amélioration de sa situation individuelle mais aussi à celle d’un meilleur fonctionnement des collectifs de production et donc des entreprises. Cette problématique doit valoir aussi dans la fonction publique. Le malaise créé chez beaucoup de fonctionnaires par les réorganisations menées dans le cadre de la RGPP montrent les effets négatifs de l’absence d’association des intéressés aux réorganisations du travail qui les impactent. Comment organiser cette expression directe ? Il conviendra de discuter avec les partenaires sociaux de la possibilité de négocier au niveau interprofessionnel les modalités opérationnelles de sa mise en œuvre : fréquence, temps consacré, hors temps de travail ou sur le temps de travail ? formalisation, cadrage, inscription ou non dans le règlement intérieur…

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Il ne s’agit surtout pas à travers cette expression directe de construire une concurrence avec la démocratie représentative sociale telle qu’elle fonctionne dans les entreprises mais bien plutôt de la soutenir et de la compléter. La soutenir en permettant aux élus et aux délégués syndicaux d’avoir connaissance des demandes et préoccupations des salariés pour les domaines qui relèvent de la compétence des IRP ou de la négociation collective, et ainsi de mieux prendre en compte les attentes collectives dans l’exercice de leur mandat. La compléter en ce qui relève du local, de la relation professionnelle de proximité, de l’organisation des équipes et des postes de travail, problématiques qui par leur dimension micro échappent le plus souvent aux formes institutionnelles de relations sociales dans l’entreprise et pour lesquelles seule l’expression des intéressés est susceptible non seulement de mettre en évidence des dysfonctionnements mais aussi de leur apporter des réponses. Pour améliorer le travail et l’efficacité du travail, le droit à l’expression individuelle sur son travail et son organisation doit devenir un droit réel pour tous les travailleurs qu’ils soient dans le secteur privé ou dans le secteur public.

…par le renforcement du rôle des syndicats dans les entreprises Le moment nous semble être venu de renforcer la capacité des salariés, directement et par l’intermédiaire de leurs syndicats, à peser sur la gestion et sur le fonctionnement de l’entreprise. À cet égard, la « co-détermination » (terme plus adapté que celui, connoté, de « cogestion ») en place dans les grandes entreprises allemandes, même si elle souffre d’insuffisances et est indissociable de la puissance de la négociation de branches, nous parait riche d’enseignements. La CFDT et la CGT ont fait part de leur intérêt pour un tel système. Nous souhaitons qu’il fasse rapidement l’objet d’une concertation intense avec les organisations syndicales.

De même, d’autres voies devraient être explorées comme l’évolution des missions des syndicats dans les entreprises voire, comme cela est le cas dans d’autres pays, la possibilité de réserver le bénéfice de tout ou partie des accords signés aux membres des syndicats signataires. Au moment où les droits des salariés sont affaiblis, la question peut être posée de la proposition systématique d’adhésion à une organisation syndicale lors de la signature de tout contrat de travail. Cette obligation pourrait s’accompagner d’une possibilité pour les salariés qui ne voudraient pas se syndiquer d’y renoncer de manière explicite et écrite, permettant à l’inspection du travail d’identifier les entreprises où ces renonciations à la syndicalisation seraient nombreuses et d’enquêter sur leur véritable origine, volonté des salariés ou pression patronale. Sur ces aspects tout particulièrement, rien ne pourra être fait sans une concertation préalable avec les organisations syndicales représentatives.

Nous proposons aux partenaires sociaux de négocier un accord-cadre interprofessionnel sur « la qualité de vie au travail» Nous préconisons une politique du travail incitative et coordonnée, fondée sur l’autonomie des partenaires sociaux. Le champs des conditions de travail est actuellement couvert sur de nombreux aspects par des accords interprofessionnels, de branches ou d’entreprises : accord Seniors, harcèlement moral, télé-travail, temps de travail, équilibre vie professionnelle / vie privée, égalité professionnelle, pénibilité. Une politique progressiste consiste d’abord à nommer les choses et à ne pas séparer les sphères d’action. Pour agir sur le travail, il est nécessaire de s’intéresser à la performance des organisations. La crise du travail taylorien a en partie été dépassée à la fin des années 70 par le triptyque nouvelles institutions, nouvelles négociations, nouvelles

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organisations fondé sur la polyvalence et l’autonomie. La création de la section syndicale d’entreprise en 1968, l’accord interprofessionnel de 1975, puis les lois Auroux ont construit un ensemble cohérent qui a permis de moderniser les entreprises et d’améliorer les conditions de travail. Il nous faut retrouver cet élan réformiste, pour changer la vie au travail de millions de salariés. Du point de vue de la santé, toutes les organisations ne se valent pas. Les organisations dites apprenantes sont les plus favorables pour les conditions de travail et la performance. Comment inciter les entreprises à évoluer vers ces modèles, alors que le néo-taylorisme et le « lean management » apparaissent dans notre pays comme les modes dominants d’organisation ? La préparation d’un accord-cadre interprofessionnel sur « la qualité de vie au travail » devrait figurer au premier plan de l’agenda d’une majorité progressiste en 2012. Cet accord-cadre prendra en compte l’accord européen contre le stress au travail signé en date du 8 octobre 2004 et décliné en France sous forme d’un accord interprofessionnel en date du 2 juillet 2008, ainsi que l’accord-cadre autonome européen sur le harcèlement et la violence au travail en date du 15 décembre 2006, base en France de l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010. Le temps devra être laissé aux partenaires sociaux de négocier. À défaut, le Parlement devra prendre ses responsabilités. Ces dispositions devront permettre de fixer un calendrier, des objectifs, une évaluation, des expérimentations de grande ampleur sur le champ des organisations de travail et de leurs conséquences pour la vie des salariés au travail et la performance des entreprises et des services publics. L’enjeu est de réintroduire un savoir-faire « socio-technique » en France dans la conduite du changement, adapté aux organisations de service et à un rythme d’innovation intensif. Cet accord devrait ensuite être décliné dans les branches professionnelles. La question des lieux de débat et d’expression autour du travail devra

notamment figurer explicitement dans ces accords. Les entreprises ou les branches les plus innovantes socialement devraient être encouragées selon des mécanismes à définir.

Un dispositif national pour le diagnostic et l’appui aux changements de l’organisation du travail L’État intervient sur les questions d’organisation et surtout de conditions de travail à travers le financement d’institutions spécialisées comme l’ANACT ou l’INRS qui produisent des études, des recommandations, des guides pour l’action. Des groupements d’intérêt scientifique, du type du GISEvrest (évaluation des relations en Santé/ travail) établissent des données et des comparaisons entre entreprises. La Dares conduit notamment une enquête portant spécifiquement sur les conditions de travail. Cet ensemble est actuellement peu coordonné, faiblement articulé, peu efficace pour traiter des changements du travail. Nous ne manquons pas de données, mais d’acteurs sociaux capables de se saisir des problèmes pour construire le changement. De ce point de vue, l’État, comme en matière de politique industrielle, a un rôle majeur à jouer. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un dispositif cohérent et efficace de nature à encourager et pousser les entreprises et les services publics à progresser dans le champ de l’organisation du travail. Le champ statistique est bien couvert sur les conditions de travail. Mais ce dont notre pays a besoin c’est d’un diagnostic partagé sur l’organisation du travail, d’une connaissance plus approfondie, de dispositifs pour faire changer les choses. Depuis les lois de réduction du temps de travail, les entreprises n’ont plus réfléchi, pour la plupart d’entre elles, sur l’organisation du travail. Nous proposons la création d’un lieu de diagnostic partagé et de dispositifs d’appui pour le changement en la matière, sur le modèle de l’appui conseil à la réduction du temps de travail.

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Une nouvelle gouvernance entre CE et CHSCT

par tout projet affectant l’organisation du travail, et cela afin de les traiter et d’y répondre par les mesures adéquates.

Dans les grandes entreprises, les délégués du personnel et les membres des comités d’entreprise sont élus par les salariés, ceux des CHSCT le sont indirectement. Les délégués syndicaux défendent les intérêts collectifs des salariés, négocient les accords et fondent désormais, depuis la réforme de la représentativité, la légitimité de leur action sur le soutien effectif des salariés exprimé par leur vote. Il y a une réflexion à mener avec les organisations syndicales sur l’adaptation aujourd’hui aux enjeux du travail et aux besoins des salariés du fonctionnement et du rôle de ces instances. Dans l’entreprise, les conditions de travail bénéficient des interventions spécialisées du CHSCT, consulté sur le règlement intérieur, sur le programme de prévention des risques professionnels que l’employeur doit lui soumettre chaque année, ainsi que le rapport annuel qui fait le bilan de la situation générale de l’hygiène et de la sécurité. Il procède à des inspections et lorsqu’il constate un risque grave ou imminent peut faire appel à un expert aux frais de l’employeur. Il en va de même lorsqu’un projet important modifie les conditions d’hygiène, de sécurité ou les conditions de travail dans l’entreprise. En cas de désaccord, il appartient à l’employeur de saisir le président du TGI, qui statue en urgence. Le CHSCT, en vertu de plusieurs arrêts rendus par la Cour de Cassation, voit son champs de compétences et d’intervention élargi au plan de l’organisation du travail, dès lors que les décisions prises par l’employeur en cas de projets importants sont susceptibles de modifier les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, lesquelles ne se limitent plus exclusivement aux conditions matérielles techniques de l’exécution du travail, mais s’entendent également des conditions affectant la santé mentale du salarié. Le CHSCT pourra ainsi user de son droit de recourir à une mesure d’expertise, s’inscrivant dans une démarche d’information et de prévention des risques psychosociaux dans l’entreprise afin d’évaluer la réalité des risques susceptibles d’être engendrés

Cette compétence du CHSCT s’entend également, pour la Cour de Cassation, aux entretiens annuels d’évaluation des salariés, souvent porteurs de risques psychosociaux en raison de leur mode opératoire et de leur importance sur la carrière du salarié concerné. Toutefois, cet élargissement jurisprudentiel des compétences du CHSCT intervenant de plus en plus souvent sur un terrain occupé traditionnellement par le Comité d’Entreprise, pose la question de l’articulation et de la juxtaposition de son champ d’intervention avec le Comité d’Entreprise. La nécessaire réforme du CHSCT afin de lui conférer la légitimité adéquate à l’extension de ses compétences en matière notamment de protection de la santé mentale au travail (mode d’élections, moyens financiers) devra obligatoirement être conçue en référence à l’organisation et au fonctionnement du Comité d’Entreprise.

Il faut favoriser la dimension collective du travail Il est indispensable de mettre en place des mécanismes qui permettent de recréer des solidarités et de la convivialité au sein des entreprises et d’améliorer les fonctionnements collectifs, avec un double objectif : - permettre à l’entreprise de jouer à nouveau son rôle de socialisation et lutter contre les situations de solitude et d’isolement génératrices d’insatisfaction au travail ; - améliorer l’efficacité du travail : les études récentes ont mis en évidence le lien entre la performance et la qualité de vie au travail ainsi que l’effet de levier attaché à l’intelligence collective (vs l’intelligence individuelle). Plusieurs pistes sont envisageables : - réintroduire des moments d’échange et de dialogue au sein de l’entreprise, pas seulement institutionnels par le biais des organisations syndicales, ni seulement

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entre l’employeur et le responsable hiérarchique (comme dans le cas des lois Auroux), mais aussi et surtout entre les salariés directement pour leur permettre de trouver auprès de leurs collègues une aide dans la résolution de leurs difficultés éventuelles. Dans le cadre d’une loi sur la qualité de vie au travail, des dispositions devront être prévues sur le droit d’expression, le dialogue et l’échange dans l’entreprise, tout en relançant les dispositifs Auroux souvent tombés en désuétude, avec un temps obligatoire pour cette nouvelle forme de démocratie sociale ; - rendre obligatoire au niveau de chaque entreprise une négociation triennale sur les modalités de fixation des objectifs individuels et collectifs, les règles d’évaluation et la structure des rémunérations (rapport entre la part fixe et la part variable, part du collectif dans les rémunérations variables). Un dispositif interprofessionnel ou de branche devrait être mis en place afin de couvrir les PME/TPE dans lesquelles une telle négociation ne pourrait pas se tenir ; - mettre en place des structures de dialogue social et de gestion des activités sociales et culturelles adaptées aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, en organisant le dialogue social et en encourageant le développement des activités sociales et culturelles dans les groupes décentralisés, en y associant les entreprises sous-traitantes, et en reconnaissant l’existence et organiser la communauté de travail à l’échelon territorial en dépassant le seul cadre de l’entreprise.

largement et plus en amont les partenaires sociaux, en systématisant le recours aux enquêtes de climat social qualitatives et quantitatives, en mettant en place des dispositifs d’expression, d’écoute, d’échange, en s’assurant en permanence de l’adhésion du corps social et de sa bonne compréhension des évolutions attendues ; - engager un travail sur la reconnaissance des fonctionnaires, aussi bien en matière de perspectives de carrière et de progression (de ce point de vue, l’allongement consécutif à la réforme des retraites va entraîner des « plafonnements » sur des durées encore plus longues qui sont un facteur de démotivation) que de rémunération (y compris le cas échéant au travers d’une rémunération au mérite qui permette une plus juste reconnaissance des efforts collectifs et individuels) ; - porter une attention particulière aux conditions matérielles de travail, trop souvent inférieures à ce qu’elles sont en entreprise, contribuant ainsi au sentiment de dévalorisation ; - mettre en place un dispositif de formation et d’accompagnement des cadres de la fonction publique qui leur permette d’être des acteurs des changements en cours plutôt que de les subir et qui leur donne les moyens de mieux reconnaître les efforts des agents dont ils ont la responsabilité ; - permettre des transitions entre la fonction publique, les associations et les entreprises privées, en préservant les acquis du public.

Répondre au malaise du travail dans la fonction publique Pour revaloriser le travail dans la fonction publique, c’est toute la réforme de l’État qui devra être repensée. Elle devra notamment comporter comme objectif de contribuer à la solution des problèmes du travail. De ce point de vue en particulier, l’État devra être exemplaire, en pointe plutôt qu’en suiveur, dans la recherche de solutions : - mieux communiquer sur les nécessaires transformations, donner du sens, en y associant plus

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VII - Garantir le respect effectif des droits des salariés Nous voulons préserver par la loi les avancées de la jurisprudence protectrices des salariés au travail Après l’élection en 2012 d’un Président de la République et d’une majorité progressiste au Parlement, un accord interprofessionnel ou une loi sur la « qualité de vie au travail » devra notamment garantir les avancées les plus récentes et les plus protectrices pour les salariés au regard des conséquences de l’organisation du travail dans les entreprises. En vertu du précepte selon lequel « l’organisation du travail ne peut nuire à la santé », la Cour de Cassation a développé une jurisprudence limitant le pouvoir d’organisation de l’employeur par le juge autorisé à suspendre la mise en œuvre d’une nouvelle organisation du travail, sur le fondement de l’obligation de sécurité de résultat. Cette obligation de sécurité de résultat devient ainsi une obligation collective et plus seulement individuelle. Par ailleurs, la protection de la santé mentale du salarié en France a pour pierre angulaire la loi codifiée par l’article L 4121-1 du Code du Travail, énonçant que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs» et l’article L 4121-2-4e mettant en exergue le principe général consistant à « adapter le travail à l’homme ». Le caractère impératif de l’application de ces dispositions est posé par la jurisprudence considérant que l’employeur a une obligation de résultat de mise en œuvre des mesures de protection du salarié. Ainsi, la jurisprudence a jugé que la responsabilité de l’employeur est engagée même si celui-ci a pris des mesures pour faire cesser ces agissements, et cela alors que la santé du salarié s’est dégradée. Plusieurs mises en œuvre de mesures ne suffisent donc pas, dès lors que la santé du salarié persiste à se dégrader.

Au niveau plus spécifiquement du harcèlement moral, seul risque psychosocial codifié, le droit prétorien s’est avéré également très protecteur au plan de l’application des dispositions du Code du Travail. Au plan du régime de la preuve, la preuve des faits de harcèlement moral n’incombe pas plus spécifiquement au salarié, lequel doit simplement établir des faits qui permettent de présumer de l’existence d’un harcèlement. Il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de faits de harcèlement moral et que la décision de l’employeur était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. L’absence de caractère intentionnel, en matière de harcèlement moral, n’est pas exigée par la jurisprudence : l’intention de nuire n’est pas une condition nécessaire au niveau prud’homal afin de démontrer la réalité des faits de harcèlement moral à la différence du délit pénal. La jurisprudence a également considéré qu’au regard de la rupture du contrat de travail consécutive à des faits de harcèlement moral, un salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou solliciter la résiliation judiciaire de ce contrat aux torts exclusifs de l’employeur devant une juridiction, continuant dans cette hypothèse à être inscrit aux effectifs de l’entreprise et obtenant la résiliation judiciaire de son contrat s’il établit l’existence de faits de harcèlement moral. La jurisprudence a en outre considéré comme nul et de nul effet le licenciement consécutif à une inaptitude physique dès lors que le salarié déclaré inapte démontre que cette inaptitude est la conséquence de faits de harcèlement moral. Enfin, la Cour de Cassation a consacré la notion de harcèlement professionnel ou stratégique résultant

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d’une politique collective délibérée de harcèlement managérial : selon cette juridiction, des méthodes de gestion, générant pour des salariés des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail, susceptibles de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel, caractérisent le harcèlement moral. Cette reconnaissance du harcèlement managérial par la jurisprudence démontre là encore l’importance attachée à l’organisation du travail comme fait générateur des risques psychosociaux. Ces avancées jurisprudentielles incontestables, mais non irréversibles, au plan de la protection des salariés en matière de risques psychosociaux, devraient être reprises et ainsi garanties au niveau législatif.

Redonner des armes et des objectifs à l’inspection du travail L’inspection du travail est aujourd’hui sinistrée. Ses effectifs sont insuffisants. Ses pouvoirs et compétences déclinent et ses missions sont mal définies. Le soutien dont elle dispose de la part du gouvernement est faible. Il en résulte des pratiques très hétérogènes qui relèvent parfois davantage de la guérilla que du conseil et de l’action en faveur de l’amélioration des conditions de travail et du respect du droit. Or, les évolutions du travail rendent plus que jamais nécessaires non seulement le contrôle du respect des droits des salariés mais aussi l’action, y compris pédagogique, dans les entreprises en faveur de l’amélioration des conditions de travail. Rien ne pourra être entrepris pour améliorer la vie des français au travail sans la mise en place d’une inspection du travail à la hauteur de l’enjeu. Il conviendra notamment d’engager une réflexion de fond sur les moyens d’action de l’inspection du travail, notamment sur l’accent qui doit être mis sur les sections thématiques, ou territoriales. L’inspection du travail devrait constituer, dans le cadre d’un projet progressiste de réforme de l’État, l’une

des missions prioritaires afin d’aider principalement les salariés, mais aussi les employeurs qui en ont besoin à faire face aux mutations du travail.

Créer un droit à la santé mentale pour les salariés au travail Les exigences particulières de compétitivité inhérentes au capitalisme financier sont en grande partie relayées et supportées par l’ensemble de la hiérarchie et des salariés au sein de l’entreprise. Les risques physiques ont incontestablement diminués, mais les risques pour la santé mentale des travailleurs n’ont cessé d’augmenter. Dans cette perspective, un droit à la protection de la santé mentale au travail, droit fondamental consacré par plusieurs instruments nationaux, internationaux et supranationaux, doit être ouvert pour les salariés. Le droit doit agir comme une forteresse de manière à contenir et à éliminer les effets pathogènes de cette évolution en termes d’atteinte à la santé mentale. La question de la santé mentale au travail doit être traitée sous une forme préventive. Le passage d’un régime fondé sur la réparation des atteintes vers un régime de gestion préventive des risques psychosociaux est nécessaire afin de mettre en œuvre le droit à la protection de la santé mentale au travail. Dans cette perspective d’action préventive est proposée l’instauration d’un Conseiller en prévention. Il devra avoir acquis une formation et une expérience dans le domaine des risques psychosociaux du travail. Il serait désigné par le CHSCT et bénéficierait d’une protection équivalente à celle des salariés représentants du personnel. Si l’entreprise compte moins de 50 salariés, l’employeur ferait appel à un Conseiller en prévention d’une Association interentreprises pour la médecine du travail. Dans ce cas, un salarié serait désigné au sein de l’entreprise comme interlocuteur du Conseiller en prévention, et cela avec pour objectif de faire sortir les maltraitances psychosociales des petites entreprises pour les confier à une personne indépendante. Ce Conseiller en prévention, indépendant du Médecin du Travail, serait chargé d’examiner les plaintes des salariés. Il serait ainsi facilement identifiable et

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accessible à tous les salariés, afin d’être à leur écoute. Il aurait pour fonction de proposer à l’employeur des mesures adéquates pour mettre fin aux actes générateurs de risques psychosociaux (violences, harcèlement moral ou harcèlement sexuel ou toute situation engendrant le stress au travail), ces mesures pouvant se rapporter à tel ou tel segment de l’organisation du travail au sein de l’entreprise. Le Conseiller en prévention aura l’obligation de faire appel à l’Inspection du Travail avec l’accord de la victime si la situation génératrice du risque psychosocial persiste et l’Inspection du Travail pourra alors dresser un procès-verbal transmis au Parquet. L’objectif de la mise en place de Conseillers en prévention consiste à privilégier les procédures internes au détriment des procédures judiciaires dont on constate le caractère sans cesse croissant devant les juridictions prud’homales, et à s’inscrire dans une démarche tendant à sensibiliser l’employeur et à informer toutes les parties concernées en matière de prévention des risques psychosociaux. L’instauration de ces Conseillers en prévention a démontré son efficacité en Belgique ou au Canada. Ces dispositifs pourraient être associés à ceux qui, comme aux États-Unis, permettent aux salariés de déposer des plaintes de manière anonyme par le biais d’internet.

Réformer la justice prud’homale L’effectivité des droits protecteurs des salariés et leur respect nécessitent le fonctionnement d’une justice prud’homale efficace et rapide. Cependant, cet impératif d’efficacité et de rapidité est largement remis en cause par la fermeture consécutive à la réforme de la carte judiciaire de 2008, de 62 Conseils de Prud’hommes en France. La question de l’accessibilité à la justice est ainsi posée dans de nombreuses villes où les tribunaux les plus proches se situent désormais à plusieurs dizaines de kilomètres des justiciables, mais également les délais de procédure. Or, parallèlement, le contentieux prud’homal est en forte hausse depuis 2007, notamment en matière de

procédures en lien avec les risques psychosociaux : entre 2007 et 2009, on relève une hausse de 18,1 % de l’ensemble du nombre d’affaires nouvelles (224 791 en 2009 contre 190 200 en 2007). Si la durée moyenne des traitements de litiges a connu une diminution en 2009, se situant à 9,9 mois contre 10,5 mois en 2007, il subsiste toutefois des Conseils de Prud’hommes où la durée de traitement des affaires varie entre 12 et 18 mois. Certaines juridictions demeurent particulièrement sinistrées et, à titre d’exemple, suite à un jugement de départage prononcé par le Conseil de Prud’hommes de Bobigny, l’audience du Juge Départiteur nécessite un délai d’environ 30 mois d’attente ; à Meaux et à Melun, un délai de 12 à 15 mois sépare l’audience du Bureau de Conciliation à l’audience du Bureau de Jugement. En outre, la justice prud’homale souffre d’un manque évident de Greffiers et de Magistrats départiteurs, remettant en cause le droit fondamental pour tout justiciable de voir sa réclamation examinée dans un délai raisonnable tel que garanti par la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme. Il est donc nécessaire de réexaminer plus généralement la réforme de la carte judiciaire mise en place par l’ancienne Garde des Sceaux Rachida Dati, et plus particulièrement d’envisager dans quelles conditions certains Conseils de Prud’hommes pourraient être rétablis, mais aussi de procéder rapidement à une nomination de Greffiers et de Magistrats départiteurs dans nombre de Conseils de Prud’hommes. On constate par ailleurs, en rapport avec le délai d’allongement des procédures, que certains Avocats Conseils des employeurs multiplient les renvois dilatoires en communiquant tardivement leurs pièces et conclusions. Sans remettre en cause le principe d’oralité de la procédure, principe il convient de le souligner, qui doit être préservé, il est souhaitable de multiplier les contrats de procédure déjà instaurés devant plusieurs juridictions prud’homales en France, permettant aux Conseils de Prud’hommes de contrôler le respect par les parties des dates de communication de pièces et conclusions afin de mettre un terme à ces renvois dilatoires contraires aux intérêts du justiciable non seulement salarié, mais parfois aussi de l’employeur. La juridiction prud’homale souffre également d’un déficit de légitimité et traverse une crise

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de confiance au regard du déclin progressif du taux de participation des salariés aux élections prud’homales, le niveau le plus bas ayant été atteint en 2008 (74,5 % d’abstention pour le collège salarié et 68,82 % pour le collège employeur), mais aussi, compte tenu du pourcentage très élevé des appels interjetés contre les jugements prud’homaux. La suppression de 62 Conseils de Prud’hommes ne peut qu’entretenir la dégradation de l’image de l’institution prud’homale auprès des justiciables, lesquels attendent légitimement d’une décision de justice qu’elle tranche le litige conformément aux règles du droit positif, avec une motivation suffisante et dans un délai raisonnable. Il est donc indispensable de modifier le mode de scrutin des élections des Conseillers prud’homaux afin de mettre un terme au déclin progressif du taux de participation ci-dessus rappelé, en facilitant lors de l’élection prud’homale le vote des salariés, notamment dans les petites entreprises sur leur lieu de travail, mais aussi en donnant à la campagne électorale préparatoire aux élections, la publicité nécessaire notamment au plan de l’information et des médias, permettant de conférer à cette élection prud’homale le caractère d’un temps fort de la démocratie sociale. Enfin, il est nécessaire d’accorder davantage d’intérêt au statut du Juge prud’homal et de prévoir une formation juridique de qualité. Les Conseillers prud’homaux bénéficient, au cours de leurs mandats de cinq ans, d’un congé de formation de six semaines et la durée totale d’absence d’un Conseiller prud’homal salarié au titre de sa formation ne peut pas dépasser au cours d’une même année civile deux semaines. En outre, aucune disposition ne rend cette formation obligatoire. Ce dispositif est largement insuffisant pour permettre à l’institution de produire un travail de qualité, alors que le droit du travail est devenu particulièrement complexe. Une formation plus substantielle des Conseillers prud’homaux, notamment salariés, combinant formation initiale et formation continue, nous paraît indispensable à prévoir, comme l’a rappelé sur ce point l’avis N° 4 du Conseil consultatif des juges européens à l’attention des comités des ministres du Conseil de l’Europe, suggérant une formation initiale essentielle car elle aurait pour but de préparer les nouveaux élus, juges du travail, à l’activité judiciaire.

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Propositions

Les femmes et les hommes constituent la richesse principale de l’entreprise, laquelle est une construction sociale à moteur économique et non une construction économique à moteur social. La richesse financière de l’entreprise ne doit pas être une fin en soi. La finalité de l’entreprise est de produire des biens et des services en participant au bien-être social, en contribuant au bienêtre de tous. Le salarié ne doit pas être conçu comme une variable d’ajustement des coûts. Il faut remettre les hommes et les femmes au centre de la production. Créer du lien pour renforcer la cohésion sociale, créer les conditions d’un destin partagé nourri par des valeurs communes, par un sentiment de fierté et d’appartenance, tels doivent être les principes guidant l’organisation du travail. Les entreprises doivent prendre conscience que la performance ne pourra être atteinte qu’à partir de la satisfaction et du bien-être des salariés, et les fonds consacrés à l’amélioration des conditions de travail représentent l’un des meilleurs investissements qu’une entreprise puisse réaliser. Une telle démarche implique la restauration d’un dialogue social afin de partager des valeurs de compréhension et d’adhésion à une stratégie de l’entreprise et à son implication dans les différents services et entités de l’entreprise. Chacun des salariés pourra alors retrouver le sens des efforts sollicités et ainsi légitimés.

I- Un dispositif universel pour sécuriser les parcours au travail : Un enjeu majeur pour 2012 et les prochaines législatures - sur la base d’une exigence : constituer un nouvel état professionnel des travailleurs qui assure leur protection face à la mobilité, à la discontinuité des situations professionnelles, au chômage de masse et au développement de la précarité. - Lancement dès 2012 de la construction du nouvel édifice de la sécurité des parcours du travail : l Réorientation en profondeur des politiques publiques de l’emploi et du travail actuelles. À l’image de la sécurité sociale en 1945, fixer dès 2012 les principes et les objectifs de cette nouvelle approche des politiques de l’emploi et du travail. l L’édifice devra être progressivement mis en place au cours de la première législature et probablement de la suivante ; les pouvoirs publics (collectivités territoriales comprises) et les partenaires sociaux devront s’engager à permettre progressivement à chaque travailleur de faire face aux évolutions d’un marché du travail plus volatil, incertain et flexible. l Un programme fixera le calendrier et la méthode, identifiant les dispositifs et les priorités, pour mettre progressivement en place à partir de 2012 l’ensemble du dispositif. - Avec comme perspectives de : l garantir la continuité des parcours au travail lors des transitions mais aussi et d’abord dans l’emploi, en préservant et développant l’employabilité de chacun ; l couvrir les risques de perte d’emploi, d’obsolescence des qualifications, de pénibilité et de cumul des pénibilités, et de favoriser les

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possibilités de progression de carrière et de mobilités professionnelles ascendantes ; l coordonner les différents niveaux d’assurance liés aux risques du parcours (assembler les différentes briques de ces protections). Il n’est pas seulement question d’offrir des droits nouveaux ou de réformer ceux qui existent, mais d’assurer l’effectivité des droits et de permettre à chacun, en particulier les salariés les moins qualifiés et les plus fragilisés, de pouvoir mobiliser un ensemble de ressources et d’outils quand ils en auraient le désir et le besoin.

II– Une politique féministe du travail - Parti féministe, le Parti socialiste aspire à favoriser l’égalité réelle entre femmes et hommes au travail. - Mener des réflexions complémentaires sur la prise en compte du travail domestique qui continue de pénaliser massivement les femmes. - Favoriser une égalité professionnelle réelle : l permettre un accès pour tous à un temps de travail suffisant par des accords multi-employeurs autorisant l’accumulation de temps de travail ou de temps de travail et de formation ; l encadrer plus strictement le recrutement en temps partiel ; l s’assurer notamment que les délais d’obtention d’une promotion, à chaque niveau de responsabilités, soit de même ordre chez les femmes et chez les hommes ; l prescrire aux organisations, dans un souci de transparence, la diffusion d'une information auprès des salariés et des représentants du personnel, sur la répartition des postes selon le niveau de responsabilité et le genre, en instaurant une obligation permanente d’afficher et de communiquer un bilan actualisé trimestriel ou semestriel sur la situation de l’organisation, qui pourrait se voir assortir d’une obligation de réaliser un calendrier prévisionnel de résorption des déséquilibres. Un bilan actualisé sur les formations, selon la qualification, le niveau de

responsabilité et le genre, pourrait faire, de même, l’objet de diffusions régulières ; un rééquilibrage de cette nature et de cette envergure gagnerait à s’appuyer sur une campagne de sensibilisation aux stéréotypes sur le genre, qui sont un frein à la promotion et à la diversification des postes confiés aux femmes. - Favoriser une meilleure articulation entre les choix privés et professionnels : l anticiper la rupture professionnelle induite par le congé parental en garantissant, en amont de l’interruption, la constitution d’un dossier faisant un état précis des compétences et responsabilités de la personne et, au retour, en cas de litiges, la possibilité de négocier (entre l’employeur, le salarié et les représentants du personnel) sur des questions relatives au contenu du poste et au niveau de responsabilité du salarié qui revient dans l’entreprise ; l pour toute rupture nécessitant une phase de réintégration (maternité, congés parentaux, accident du travail, maladie, etc.), prévoir des formations et informations sur le poste à occuper et sur les évolutions du métier et des partenariats, amener le maintien du niveau de qualification des femmes et des hommes et le bon respect du rythme des promotions, dans ces périodes charnières du parcours ; l mettre en place une réglementation adaptée, associée aux reprises d’emploi, qui favorise, outre un accès à un temps de travail suffisant et un salaire décent, un accès à la formation professionnelle continue, dès la première année de travail et qui permette aux actifs de se saisir à nouveau de leur parcours professionnel. - Renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel : harmonisation de la législation en matière de harcèlement sexuel sur la base des Directives européennes, tant au plan civil que pénal et en codifiant la loi du 27 mai 2008. - Adapter la mesure de la pénibilité du travail à la situation des femmes.

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III - Une politique du travail négociée avec les partenaires sociaux pour peser sur l’organisation du travail en France - Peser sur l’organisation du travail par la relance de la démocratie sociale l étendre, le champ de la représentation collective des salariés en créant des instances territoriales mutualisées pour les plus petites d’entre elles. l créer un dialogue social territorial au bénéfice des salariés des TPE, faire que la représentativité syndicale puisse également être effectivement mesurée dans ces entreprises et qu’un lien s’établisse entre les salariés et les représentants syndicaux qu’ils auront choisis. l développer le droit à l’expression des salariés pour faire revivre la notion de citoyenneté sociale. Discuter avec les partenaires sociaux de la possibilité de négocier au niveau interprofessionnel les modalités opérationnelles de sa mise en œuvre : fréquence, temps consacré, hors temps de travail ou sur le temps de travail, formalisation, cadrage, inscription ou non dans le règlement intérieur… l renforcer la capacité des salariés, directement et par l’intermédiaire de leurs syndicats, à peser sur la gestion et sur le fonctionnement de l’entreprise : mettre en débat la « codétermination » en place dans les grandes entreprises allemandes, l’évolution des missions des syndicats dans les entreprises, l’extension des accords signés aux membres des syndicats signataires, la syndicalisation obligatoire des salariés. - Négocier un accord-cadre interprofessionnel pour « la qualité de vie au travail » : une politique du travail incitative et coordonnée, fondée sur l’autonomie des partenaires sociaux l préparer un accord-cadre interprofessionnel pour « la qualité de vie au travail » au premier plan de l’agenda d’une majorité progressiste en 2012 ; l laisser aux partenaires sociaux le soin de négocier. À défaut, le Parlement devra prendre ses responsabilités. Ces dispositions devront permettre de fixer un calendrier, des objectifs,

une évaluation, des expérimentations de grande ampleur sur le champ des organisations de travail et de leurs conséquences pour la vie des salariés au travail et la performance des entreprises et des services publics ; l décliner l’accord dans les branches professionnelles. La question des lieux de débat et d’expression autour du travail devra notamment figurer explicitement dans ces accords. Les entreprises ou les branches les plus innovantes socialement devraient être encouragées selon des mécanismes à définir. - Mettre en place un dispositif national pour le diagnostic et l’appui au changement de l’organisation du travail - Une nouvelle gouvernance de l’organisation du travail entre CE et CHSCT : la nécessaire réforme du CHSCT afin de lui conférer la légitimité adéquate à l’extension de ses compétences en matière notamment de protection de la santé mentale au travail (mode d’élections, moyens financiers) devra obligatoirement être conçue en référence à l’organisation et au fonctionnement du Comité d’Entreprise. - Favoriser la dimension collective du travail l réintroduire des moments d’échange et de dialogue au sein de l’entreprise entre les salariés directement pour leur permettre de trouver auprès de leurs collègues une aide dans la résolution de leurs difficultés éventuelles ; l rendre obligatoire au niveau de chaque entreprise une négociation triennale sur les modalités de fixation des objectifs individuels et collectifs, les règles d’évaluation et la structure des rémunérations (rapport entre la part fixe et la part variable, part du collectif dans les rémunérations variables). Un dispositif interprofessionnel ou de branche devrait être mis en place afin de couvrir les PME/TPE dans lesquelles une telle négociation ne pourrait pas se tenir ; l mettre en place des structures de dialogue social et de gestion des activités sociales et culturelles adaptées aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, en organisant le dialogue social et en encourageant le développement des activités sociales et culturelles dans les groupes

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décentralisés, en y associant les entreprises sous-traitantes et en reconnaissant l’existence, et organiser la communauté de travail à l’échelon territorial en dépassant le seul cadre de l’entreprise. - Répondre au malaise du travail dans la fonction publique l repenser toute la réforme de l’État. Elle devra notamment comporter comme objectif de contribuer à la solution des problèmes du travail ; l l’État devra être exemplaire ; l mieux communiquer sur les nécessaires transformations, donner du sens, en y associant plus largement et plus en amont les partenaires sociaux, en systématisant le recours aux enquêtes de climat social qualitatives et quantitatives, en mettant en place des dispositifs d’expression, d’écoute, d’échange, en s’assurant en permanence de l’adhésion du corps social et de sa bonne compréhension des évolutions attendues ; l engager un travail sur la reconnaissance des fonctionnaires, aussi bien en matière de perspectives de carrière et de progression (de ce point de vue, l’allongement consécutif à la réforme des retraites va entraîner des « plafonnements » sur des durées encore plus longues qui sont un facteur de démotivation) que de rémunération (y compris le cas échéant au travers d’une rémunération au mérite qui permette une plus juste reconnaissance des efforts collectifs et individuels) ; l porter une attention particulière aux conditions matérielles de travail, trop souvent inférieures à ce qu’elles sont en entreprise, contribuant ainsi au sentiment de dévalorisation ; l mettre en place un dispositif de formation et d’accompagnement des cadres de la fonction publique qui leur permette d’être des acteurs des changements en cours plutôt que de les subir et qui leur donne les moyens de mieux reconnaître les efforts des agents dont ils ont la responsabilité ; l permettre des transitions entre la fonction publique, les associations et les entreprises privées, en préservant les acquis du public.

IV- Garantir le respect effectif des droits des salariés - Préserver par la loi les avancées de la jurisprudence protectrices des salariés au travail l dans le cadre de la loi pour la « qualité de vie au travail », pour garantir les avancées les plus récentes et les plus protectrices pour les salariés au regard des conséquences de l’organisation du travail dans les entreprises ; l Sanctuariser les évolutions jurisprudentielles favorables aux salariés : limiter le pouvoir d’organisation de l’employeur par le juge autorisé à suspendre la mise en œuvre d’une nouvelle organisation du travail, sur le fondement de l’obligation de sécurité de résultat. Cette obligation de sécurité de résultat devient ainsi une obligation collective et plus seulement individuelle ; caractère impératif du principe selon lequel l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; harcèlement moral (la preuve des faits de harcèlement moral n’incombe pas plus spécifiquement au salarié) ; notion de harcèlement professionnel ou stratégique résultant d’une politique collective délibérée de harcèlement managérial. - Redonner des objectifs des armes à l’inspection du travail l rien ne pourra être entrepris pour améliorer la vie des Français au travail sans la mise en place d’une inspection du travail à la hauteur de l’enjeu ; l l’inspection du travail devrait constituer, dans le cadre d’un projet progressiste de réforme de l’État, l’une des missions prioritaires afin d’aider principalement les salariés, mais aussi les employeurs qui en ont besoin à faire face aux mutations du travail ; l engager une réflexion de fond sur les moyens d’action de l’inspection du travail, notamment sur l’accent qui doit être mis sur les sections thématiques, ou territoriales. - Créer un droit à la santé mentale pour les salariés au travail l un droit à la protection de la santé mentale au travail, droit fondamental consacré par plusieurs instruments nationaux, internationaux et supranationaux, doit être ouvert pour les salariés ;

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l instaurer

un Conseiller en prévention : éradiquer les risques psychosociaux dans une perspective d’action préventive nécessite non pas des actions ponctuelles, mais une présence permanente en la personne d’un ou plusieurs Conseillers en prévention. Celui-ci devra avoir acquis une formation et une expérience dans le domaine des risques psychosociaux du travail. Ce Conseiller en prévention, indépendant du Médecin du Travail, serait chargé d’examiner les plaintes des salariés. Il sera visible, facilement identifiable, disponible et accessible à tous les salariés, afin d’être à leur écoute. Il aura pour fonction de proposer à l’employeur des mesures adéquates pour mettre fin aux actes générateurs de risques psychosociaux (violences, harcèlement moral ou harcèlement sexuel ou toute situation engendrant le stress au travail), ces mesures pouvant se rapporter à tel ou tel segment de l’organisation du travail au sein de l’entreprise. Le Conseiller en prévention aura l’obligation de faire appel à l’Inspection du Travail avec l’accord de la victime si la situation génératrice du risque psychosocial persiste et l’Inspection du Travail pourra alors dresser un procès-verbal transmis au Parquet.

dans quelles conditions certains Conseils de Prud’hommes pourraient être rétablis, mais procéder aussi rapidement à une nomination de Greffiers et de Magistrats départiteurs dans nombre de Conseils de Prud’hommes ; l multiplier les contrats de procédure déjà instaurés devant plusieurs juridictions prud’homales en France, permettant aux Conseils de Prud’hommes de contrôler le respect par les parties des dates de communication de pièces et conclusions afin de mettre un terme à ces renvois dilatoires contraires aux intérêts du justiciable non seulement salarié, mais parfois aussi de l’employeur ; l modifier le mode de scrutin des élections des Conseillers prud’homaux, en facilitant lors de l’élection prud’homale le vote des salariés, notamment dans les petites entreprises sur leur lieu de travail, mais aussi en donnant à la campagne électorale préparatoire aux élections, la publicité nécessaire notamment au plan de l’information et des médias, permettant de conférer à cette élection prud’homale le caractère d’un temps fort de la démocratie sociale ; l accorder davantage d’intérêt au statut du Juge prud’homal et prévoir une formation juridique de qualité.

L’objectif de la mise en place de Conseillers en prévention consiste à privilégier les procédures internes au détriment des procédures judiciaires dont on constate le caractère sans cesse croissant devant les juridictions prud’homales, et à s’inscrire dans une démarche tendant à sensibiliser l’employeur et à informer toutes les parties concernées en matière de prévention des risques psychosociaux. L’instauration de ces Conseillers en prévention a démontré son efficacité en Belgique ou au Canada. l Ces

dispositifs pourraient être associés à ceux qui, comme aux États-Unis, permettent aux salariés de déposer des plaintes de manière anonyme par le biais d’internet.

- Réformer la justice prud’homale l l’effectivité des droits protecteurs des salariés et leur respect nécessitent le fonctionnement d’une justice prud’homale efficace et rapide ; l réexaminer plus généralement la réforme de la carte judiciaire et plus particulièrement envisager

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Références bibliographiques

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