Compte rendu – GT Eau : les bonnes pratiques Réunion du 11 janvier 2010
Audition de Bernard Rousseau, ancien président de France Nature Environnement, administrateur responsable du pôle eau Lab - Marc Laimé : La gestion de l’eau en France affronte depuis plusieurs années de considérables défis environnementaux, techniques, organisationnels et financiers. Cela fait 40 ans que vous suivez ces questions : où en sommes-nous aujourd’hui avec les obligations et les contraintes ? Comment analysez-vous la situation de la qualité de la ressource ? Les manques, les failles en matière législative et réglementaire ? Qu’est-il impératif de faire pour être à la hauteur des enjeux ? Qu’est-il indispensable de corriger, promouvoir dans les années qui viennent pour éviter la catastrophe écologique majeure qui s’annonce ? Bernard Rousseau : Pour éviter la catastrophe majeure qui s’annonce dans le domaine de l’eau, existe-t-il une solution proprement liée à l’eau ? Dans un contexte économique mondialisé, est-ce que l’on peut trouver des solutions seulement nationales ? Il y a quinze, vingt ans, j’aurais dit oui. Aujourd’hui, je ne pense pas que l’on puisse générer une solution sans procéder à la mise en cause d’un certain nombre de politiques économiques et de pratiques qui concernent la question agricole notamment, et ceci pour les raisons suivantes. L’activité agricole impacte 60% du territoire national et donc, au travers de ses pratiques, influence fortement le cycle de l’eau et les milieux aquatiques. Avec les traitements chimiques, la surface agricole est devenue le réceptacle de la chimie industrielle. Les pollutions sont diffuses, donc impossibles à contenir, les prélèvements d’eau sont considérables, ils impactent fortement les milieux dans les périodes de fragilité. Dans la lutte contre les pollutions urbaines et industrielles, la situation générale est bien plus satisfaisante, mais ce problème est plus facile à traiter car les causes de la dégradation de la qualité de l’eau sont ponctuelles. L’évolution de la qualité de l’eau brute, celle qui est présente dans les milieux naturels aquatiques ou dans les nappes souterraines, peut s’apprécier de différentes manières : -> En suivant les indicateurs de potabilisation de l’eau brute, on constate que le niveau de sophistication des traitements augmente toujours, ou encore que le nombre de captages abandonnés pour cause de trop fortes pollutions, augmente lui aussi. -> En observant l’évolution des indicateurs biologiques qui traduisent l’état du milieu, on constate la chute de la biodiversité dans tous les milieux aquatiques. Il y a peu d’exemples d’endroits où l’on ait inversé cette tendance. Le lac d’Annecy est souvent cité en exemple. Vers
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1960 on avait constaté que le lac perdait sa transparence du fait de l’eutrophisation de ses eaux, enrichies en éléments nutritifs. Sous l’effet de cette pollution, les populations d’ombles chevaliers et de lavarets, espèces emblématiques des lacs glaciaires, se sont raréfiées au profit d’espèces moins exigeantes, comme la truite dans un premier temps, puis le brochet, puis la carpe…Pour inverser cette tendance, différentes mesures ont été mises en œuvre. • Autour du lac un collecteur d’eaux usées a été construit, après traitement, cette eau a été renvoyée dans la rivière le Fier qui lui évidemment a été affecté. • Sur les flancs d’alimentation du lac, les habitants ont été encouragés à réduire ou à supprimer l’utilisation des engrais dans les jardins, même chose pour les agriculteurs et les éleveurs. Un travail très pédagogique s’est développé sur 40 ans, conduisant à la mise en place d’une véritable politique de bassin versant. En agissant de la sorte, on a réussi à faire régresser l’eutrophisation des eaux du lac, les ombles chevaliers et les lavarets sont revenus….mais les pêcheurs de carpes et de brochets en ont été frustrés. C’est à peu près le seul exemple de grande ampleur où l’on voit une reconquête du milieu par des actions concertées impliquant les habitants. Mais ce bon état n’a duré qu’un temps car, en 2002, les 1 100 millions de m3 du lac, volume considérable, ont été vidangés pour l’assainir, et on a ainsi récupéré des montagnes d’ordures de toutes sortes ce qui n’a pas empêché que du PCB soit détecté en 2008 dans les poissons les rendant impropres à la consommation. Leçon de cette histoire : dans un contexte de dégradation généralisé, il est bien difficile de maintenir un îlot de bonne qualité, surtout quand la loi du business domine tout. Indépendamment de ce cas particulier, dans de très nombreux endroits, les indicateurs physico-chimiques, chimiques, physiques indiquent que la qualité de l’eau se dégrade. Globalement la qualité de l’eau est soumise à deux tendances. - D’un côté les pollutions urbaines et industrielles régressent. A cela, plusieurs raisons : o au niveau urbain, les progrès sont très importants : les stations d’épuration des eaux usées ont des rendements épuratoires qui peuvent atteindre 90 % sur tous les paramètres classiques. La police des réseaux s’organise, on les modernise, on retraite de mieux en mieux et les directives européennes (ERU) nous y contraignent même encore plus si nous agissons avec retard. o au niveau industriel, les technologies de production progressent : les processus ont très souvent été modifiés en amont, de manière à réduire les rejets, des progrès ont été faits aussi au niveau des traitements curatifs. Evidemment il existe des contreexemples. En plus certaines industries se sont délocalisées dans d’autres pays : on va polluer plus loin. - Toutes ces actions concourent à réduire les pollutions ponctuelles, mais ce mieux, qui apparaît à travers un certain nombre d’indicateurs, est neutralisé et dégradé, par l’activité agricole. Les
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engrais sont utilisés en grande quantité pour prévenir les aléas climatiques et assurer des rendements élevés. L’utilisation des nitrates est massive, étant fortement solubles, ils se retrouvent dans les eaux à des concentrations importantes. Ils sont responsables des marées vertes en Bretagne, ils contaminent la nappe de Beauce à des niveaux élevés et les rivières qui la vidangent transportent des taux qui peuvent être supérieurs à 100mg/l de nitrates. Il faut savoir qu’une rivière en bon état, non perturbée par l’action humaine, génère une eau de qualité, acceptable pour la vie humaine et aquatique, ne contenant pas plus d’une dizaine de milligrammes de nitrates par litre. Dans les eaux de nappe, on ne devrait pas dépasser quelques mg/l. Les nitrates augmentent, les phosphates semblent se stabiliser, mais les quantités accumulées dans les sédiments et les sols sont tellement importantes que l’eutrophisation reste forte. Les phytosanitaires et les transformations physiques complètent la dégradation générale des eaux d’où l’appauvrissement biologique des milieux. Même dans le Massif Central, ou le plateau de Langres, pourtant réputés pour la pureté de leurs eaux, la qualité biologique régresse, ce que l’on peut observer quand on connaît ces lieux depuis longtemps, mais ce sera difficile à faire par les plus jeunes qui manquent souvent de point de référence scientifique par rapport à l’état initial des milieux. Cette difficulté est d’autant plus grande à surmonter que les sciences de la nature ont été assez sinistrées, notamment dans le domaine de l’eau et des milieux aquatiques. Aujourd’hui les spécialistes de l’eau, capables de porter un diagnostic solide, sont très peu nombreux. Depuis longtemps, on sait que les parties des fleuves qui correspondent aux zones sédimentaires sont fortement impactées par les pollutions, la traduction biologique de cet état est la raréfaction du brochet, espèce exigeante et emblématique de ces zones. Mais l’on observe maintenant, que les parties supérieures des bassins se dégradent à leur tour, certaines comme les Alpes dans une moindre mesure pour l’instant. La rivière le Bès, qui coule à la limite Cantal-Lozère entre 1 200/1 000 mètres d’altitude, est maintenant dans les périodes estivales une rivière eutrophisée, ce qui était inenvisageable, ne serait-ce qu’au cours des 20 années précédentes. On reste perplexe en cherchant les causes d’une telle situation car cette zone est très peu peuplée. Mais il suffit qu’une activité se développe, élevage hors sol notamment, avec épandages de lisier, pour que le milieu évolue défavorablement et perde une bonne partie de ses indicateurs de bonne qualité comme la truite fario par exemple : ce que l’on observe en effet. Dans le Massif Central, sur la Margeride ou l’Aubrac, on constate, et c’est nouveau, que les hauts plateaux sont cultivés selon des méthodes qui ressemblent fortement à celles qui ont été développées en Beauce : cultures céréalières adaptées à la montagne par sélection des espèces, fortes densités des semis, pailles courtes, pas d’herbes indésirables qui indique l’usage des phytosanitaires dans une recherche de rendements élevés incompatibles avec la préservation de la qualité de l’eau. Cela va même plus loin, la prairie est aujourd’hui source de pollution : oubliée la prairie « naturelle de montagne », voici la prairie cultivée. On cultive de l’herbe comme on cultive du blé, on injecte beaucoup d’énergie dans les sols et dans le machinisme qui permet de récupérer les végétaux. On essaie d’augmenter le nombre des récoltes dans des endroits qui ne
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sont pas très favorables, comme l’Aubrac ou le plateau de la Colagne où l’on peut rencontrer des engins et des tracteurs énormes qui viennent récupérer, non pas du foin, mais de l’herbe broyée qui sera mise en ensilage. Tout cela crée une généralisation de pratiques qui ailleurs ont contribué très fortement à dégrader la qualité de l’eau. On peut craindre qu’il en sera de même dans ces zones : on en voit déjà les prémices. Tout ceci concourt à dégrader tout le système biologique dont on ne connaît pas toutes les subtilités d’un point de vue scientifique. Nous sommes dans la contradiction entre la volonté de productivité et les exigences de préservation des qualités de l’eau. Mais il faut nourrir les hommes. Comment faire ? Cette politique agricole qui dégrade la qualité de l’eau est souvent justifiée par la nécessité de nourrir….le monde ! Ambition à relativiser fortement car la SAU nationale représente moins de 1% de la SAU mondiale. Nourrir le monde pose le problème du type d’agriculture qu’il faudrait promouvoir pour atteindre cet objectif. Il n’est pas sûr que la finalité du système agricole actuel soit celui-là. L’agriculture est gouvernée par les rapports nord-sud, où le prix des céréales est fixé par Chicago et où les pays pauvres sont souvent privés de leurs ressources vivrières : on est dans une logique de l’exploitation des pays pauvres. On est également confronté à une autre logique plus interne : le jeu des coopératives dans la vente, le business des engrais ou des produits phytosanitaires. Toute une chaîne d’intérêts, en France et au niveau de l’Europe, est alimentée par les subventions de la PAC, ce qui permet aussi de faire fonctionner les entreprises de production, chimie, recherche, machinisme agricole agroalimentaire. Il fallait 1 milliard de francs pour fabriquer une nouvelle molécule par exemple. Cet argent injecté dans ce secteur permet d’alimenter toute une chaîne d’acteurs économiques : les VRP des entreprises, les VRP des coopératives qui n’encouragent pas à l’utilisation parcimonieuse des intrants. Pour augmenter les bénéfices, tout acte qui peut conduire à une réduction des quantités utilisées, n’est pas souhaitable économiquement et mérite d’être combattu. Et puis il y a tous les relais des chambres d’agriculture avec le poids de la culture productiviste : comme faire partie du club des plus de 100 quintaux à l’hectare ! Dans les orientations de la politique agricole, il faut aussi prendre en considération que les moyens financiers de la PAC, à peu près 80 %, vont à 20 % des agriculteurs en France, et c’est sans doute aussi vrai ailleurs en Europe. Avec la nouvelle PAC, la donne pourrait changer mais le syndicat des céréaliers pourrait ne pas l’entendre de cette oreille. Il existe un noyau dur qui a des moyens et un intérêt très fort. Ils sont capables de générer une idéologie productiviste, de combattre toutes les agricultures de réduction des intrants, style agriculture biologique, ce noyau dur défend les intérêts de la chaine de ses intérêts.
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Quand on dit que l’on va essayer de résoudre les problèmes de l’eau, on se retrouve confronté à un problème beaucoup plus vaste qui concerne notre modèle économique, notre mode de vie et ses finalités : c’est donc un problème de société, éminemment politique. Le problème à résoudre peut se résumer de la sorte : comment effectuer la transition d’un système qui a complètement dérivé, vers un système moins catastrophique pour l’eau, la santé, et qui génère des emplois ? L’exemple de la nappe de la Beauce est parlant : 10 milliards de mètres cubes d’eau aux portes de Paris, même plus. La nappe c’est 9 000 km2, un aquifère de 120 mètres de hauteur, avec un taux de porosité de 10 à 15 % en surface, de 3 à 4 % en profondeur… On a un taux de 100 à 130 mg de nitrates/litre et plus on est proche de la surface, plus c’est élevé. On y abandonne des captages d’eau potable trop pollués. Quant aux sources périphériques qui vidangent cette nappe, on retrouve des 80 ou 90 jusqu’à 120 mg de nitrates. En plaine de Beauce, les taux de nitrates ne cessent d’augmenter régulièrement depuis 50 ans. On identifiait déjà 1 mg/l d’augmentation par an dans les années 1970, cela n’a pas changé, alors que l’on est en zone vulnérable et que des programmes d’action anti nitrates devraient être mis en oeuvre…réellement. On calcule que les différents estuaires des fleuves de France transportent vers les mers un excédent de nitrates de 700 à 800 000 tonnes par an, dont 75 % à responsabilité agricole ; les 25% restants étant à répartir entre les industries et les urbains, il faut savoir que les stations d’épuration ont des taux d’épuration de 90 % sur l’azote. Ce que l’on peut voir également, ce sont les pollutions historiques : Pour apprécier l’état des milieux, il faut aussi tenir compte de tout ce qui a été rejeté auparavant, qui n’était pas obligatoirement soluble dans l’eau et qui s’est stocké dans les sédiments : PCB, mercure, éléments métalliques…et que l’on trouve dans les boues, les vases de barrage (ex. barrage de Villerest, fleuron du bassin de la Loire, contaminé au PCB relativement récemment), ou encore le lac d’Annecy déjà évoqué, ou bien le Léman ou encore le Rhône.… On va découvrir de nombreux éléments chimiques de cette nature, dans les estuaires notamment, et donc des contaminations touchant les moules, les huîtres, les anguilles, les poissons (poissons, indicateur fort de la directive cadre sur l’eau). Dans la baie de Seine, nous savons que les moules sont fortement contaminées. Lab - Jérôme Royer : Quelles solutions acceptables par tous ? Quelles propositions feriez-vous pour aider les élus locaux à avoir les armes ? B.R. - Vous voulez dire : est-ce que je peux trouver des solutions à ma portée, localement, donc pas trop compliquées, qui permettent de résoudre les problèmes évoqués. Supposons que vous soyez élu d’un village situé en Beauce par exemple, et que vous distribuez une eau qui n’est pas conforme car contaminée par des nitrates et des pesticides (ces deux polluants étant souvent présents ensemble). Vous cherchez alors une solution concrète d’application rapide :
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vous envisagez d’approfondir votre captage car vous savez que l’eau est moins polluée en profondeur. Mais vous êtes déjà au fond de la nappe, donc vous cherchez une autre solution. ‐ vous tentez d’interconnecter votre forage avec un forage voisin moins pollué, mais les autres captages en proximité sont aussi pollués que le votre. Alors vous abandonnez votre captage, première perte financière. Ensuite il vous faudra trouver un captage ailleurs, bien plus loin, puis tirer des kms de canalisation, les financer alors que dans le milieu rural les finances publiques ne sont guère florissantes. Deuxième perte financière, et investissements qui conduisent à l’augmentation des impôts locaux : à la prochaine élection vous ne serez pas réélu ! Scénario catastrophe. Vous ne trouvez pas de captage de remplacement, vous distribuez quand même une eau non potable, vous êtes passible de la loi, le préfet fait pression sur vous, et les associations de consommateurs s’occupent de votre cas. A l’inverse du territoire rural, la gestion de l’eau dans une grande ville prend une dimension différente car les moyens financiers agglomérés sont bien plus importants et permettent d’agir plus facilement. Exemple : l’approvisionnement en eau de l’agglomération d’Orléans. Les captages principaux sont principalement alimentés par les pertes de la Loire à l’amont d’Orléans. L’eau pénètre dans le réseau karstique par l’intermédiaire de gouffres qui se forment dans le lit de la Loire, elle est pompée à une quinzaine de mètres de profondeur et grossièrement filtrée par les sables et les graviers. Cette eau brute contient des contaminants et en particulier des produits phytosanitaires dont les concentrations augmentent. Un débat important s’est développé : faut-il aller chercher l’eau sous la forêt d’Orléans où elle est de bonne qualité, ou bien augmenter les traitements de l’eau qui provient de la Loire ? Sous la forêt d’Orléans, se trouve aussi la nappe de Beauce, mais elle est protégée par la forêt et par une importante épaisseur d’argile. C’est pour l’instant une eau de bonne qualité qui nécessite des traitements légers, dont la composition est stable, il s’agissait alors de tirer un gros tuyau de 30 km de long pour amener l’eau à Orléans : facile à dire, plus compliqué à faire ! En fin de compte, c’est la solution traitement de l’eau de la Loire qui a été retenue. Pour un investissement supplémentaire de 10,8 millions d’euros, l’ancienne usine de traitement a été modernisée : grande augmentation des lits de charbon actif, renforcement de l’ozonisation, équipement d’une filtration par micro tubes biologiques développée par Lyonnaise des eaux … C’est une démarche curative, coûteuse, aidée par l’Agence de l’eau, certainement efficace à ce détail près : que fera t- on si les concentrations en pesticides dans l’eau brute augmentent au-delà des normes de potabilisation de l’eau ? Pour éviter d’en arriver là, il faudrait réduire les quantités de produits phytosanitaires utilisés par les différents acteurs : agriculteurs, villes, entreprises, jardiniers du dimanche… etc. Mais cet exercice dépasse le cadre local : c’est un exercice qu’il faudrait conduire sur les milliers de km2
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du bassin de la Loire ! Eventualité qui n’est envisageable que dans le cadre d’une réforme de la politique agricole européenne, ce qui n’est pas à la portée de la volonté et des possibilités d’action d’un élu local seul, mais du niveau de responsabilité des gouvernements. Le plan Ecophyto 2018 pourrait y contribuer ! Dans une ville riche, avec des moyens techniques, il est possible de faire du curatif, et si besoin est de tirer une canalisation sous la forêt d’Orléans. Dans des petites villes ou des villages des opérations de même nature sont pratiquement impossibles et les habitants des zones rurales en sont souvent réduits à consommer parfois des eaux hors normes. Enfin si la qualité de l’eau brute continue à se dégrader, il n’y aura plus de solution curative pour personne, les dernières réserves d’eau de bonne qualité seront de plus en plus convoitées : d’ailleurs ce mécanisme est déjà enclenché sous la forêt d’Orléans. La fourniture d’eau potable est une préoccupation forte des élus, leur responsabilité est engagée, c’est pourquoi ils sont souvent très attentifs à cette question, mais la politique de l’eau ne se réduit pas seulement à la fourniture d’eau potable : elle est beaucoup plus vaste, la DCE en trace les contours. C’est pour cela que je disais tout à l’heure : il n’y a pas de solution exclusivement « eau » aux problèmes de l’eau. Cela nous force à sortir des logiques exclusivement curatives pour nous confronter aux causes de la crise de l’eau en portant notre regard sur notre mode de vie, sur l’organisation de la société, sur notre mode de consommation, sur les finalités de production, sur notre relation au travail. Ces questions interpellent l’ultra-libéralisme tel qu’il impose son mode de pensée, dans ses objectifs et ses outrances. C’est un projet politique qu’il faudrait construire à l’échelle de l’Europe… à l’échelle de la planète ! En matière de politique de l’eau, nous ne sommes pas inactifs, nous sommes dotés d’outils publics qui permettent d’agir, mais dans un cadre au contour fixé. Un dispositif domine tous les autres, l’organisation en bassins hydrographiques où agissent les agences de l’eau, établissements publics de l’État. Instaurées par la loi sur l’eau de 1964, 6 agences de l’eau ont été créées en France métropolitaine, et depuis 2000 – 2003, quatre nouveaux établissements ont été installés dans les TOM. Typiquement, une agence de l’eau peut regrouper environ 500 agents comme en SeineNormandie ou 300 comme en Loire Bretagne. Certains bassins sont plus petits comme ArtoisPicardie. L’Agence de l’Eau, c’est l’outil opérationnel à l’échelle d’un bassin avec des techniciens, des ingénieurs, agents de l’état fonctionnaires et surtout contractuels. Le directeur de l’agence est nommé (et en règle générale n’échappe pas à la coloration politique du pays au moment de sa nomination). Le conseil d’administration est doté d’un président, lui-même nommé par le gouvernement.
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Le Comité de Bassin, organe qui oriente la politique de l’eau et sur lequel s’appuie l’agence, comprend les représentants de 3 catégories d’acteurs sur le bassin : ‐ d’une part, les élus : ils ont un rôle important puisqu’ils représentent 40 % des membres du Comité de bassin (nouvelle loi sur l’eau de décembre 2006) ‐ d’autre part les représentants du monde économique qui utilisent de l’eau, industries de toute spécialité, agriculture et représentants de la société civile (associations) là aussi 40 % du CB. Les associations ne représentent qu’une faible proportion de ce pourcentage. ‐ enfin les représentants de l’État, 20 %. CB, CA et commissions, forment les instances de bassin. C’est à partir des CB que sont constitués les CA. Pour info, le CB de Loire Bretagne est constitué de 190 membres. Aspect démocratique - information fiable et aspect lobbying Il faut recaler la politique de l’eau dans ses priorités. Que l’on soit en gestion privée, ou en gestion publique : vous devez faire face à la dégradation de l’eau brute, et vous devez dans tous les cas, la rendre potable, donc la dépolluer, donc mettre en place des outils de dépollution dans une démarche curative certes, mais surtout préventive, pour que la qualité de l’eau brute soit améliorée. C’est dans cette démarche que je situe mon action. Si l‘on prend le problème de l’eau seulement par l’entrée : prix de l’eau potable, on se prive de beaucoup d’éléments de compréhension. Le débat gestion publique gestion privée recouvre une réalité complexe qui renvoie à la responsabilité des élus et à leur aptitude à faire appliquer le juste prix. Sur les questions de démocratie, il faut se reporter au fonctionnement des Comités de Bassin. Si les Agences de l’Eau jouent un rôle majeur, c’est qu’elles sont les chefs d’orchestre de la politique de l’eau sur un bassin donné avec un argument puissant : l’aide financière. C’est pourquoi les Comités de Bassin constitués par les élus et les représentants du monde économique et par le représentant de l’État jouent un rôle déterminant. Ce dispositif est complexe et subtil car les Agences de l’Eau, sont des établissements publics de l’État, ce sont des structures bicéphales : - le président du CA, le directeur de l’Agence, sont nommés par l’État, et sous tutelle du ministère de l’Environnement, ce dernier animant la politique de l’eau fortement orientée par l’Europe. C’est un premier lieu de pouvoir. - à côté de l’Agence le Comité de Bassin, qui est un organe démocratique, élit un président, c’est un autre lieu de pouvoir. On a pu voir lorsque Dominique Voynet était ministre de l’environnement la traduction politique de l’opposition droite/gauche entre le pouvoir qui donnait des orientations aux Agences de l’Eau et les présidents de Comité de Bassin qui étaient tous d’une coloration politique différente. La loi sur l’eau de Dominique Voynet a capoté lorsqu’il y a eu changement de majorité.
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Par rapport à la volonté d’indépendance d’un Comité de Bassin, il y a toujours les forces de rappel de l’Etat, le ministère de tutelle imposant aux agents de l’État une discipline de vote. Dans le collège des élus, il y a un panachage de représentation entre la droite et la gauche, cela aussi oriente les votes, tout comme la profession. Dans le collège des usagers, les acteurs du secteur économique savent très bien où se situent leurs intérêts, ils savent passer et négocier des accords de vote avec certains membres du collège des élus. En résumé, des Comités de Bassin émane une attitude plutôt conservatrice et c’est probablement un miracle quand, dans le Comité de Bassin de l’Agence de l’eau Haute-Garonne, c’est un socialiste qui peut être élu ! M.L. - Tout le monde sait qu’il y a un problème de gouvernance, un problème de représentation dans les comités de bassin. Certains suggèrent de mettre 30 % d’usagers lambda pour mettre les pieds dans le plat ! B.R. - On est bien conscient qu’il faudrait changer la composition des CB pour qu’une meilleure gouvernance s’installe. Nous avons déjà développé cette idée dans différents textes notamment dans la « lettre eau » une publication du réseau eau de FNE. La loi sur l’eau de 2006 n’a pas changé réellement les règles de représentation de la société civile, (analyse dans la lettre eau N° 42). Le problème de la composition des CB est très compliqué. On ne va pas mettre 30 % de représentants de la société civile. D’ailleurs aurions-nous suffisamment de militants chevronnés pour occuper ces postes ? La société française ne favorise pas l’engagement des citoyens dans la société civile, nombreux sont les responsables politiques qui s’accommodent très bien de cette situation. D’autres peuvent redouter ces militants qui ne sont pas sous contrôle et qui viennent troubler le jeu politique habituel en popularisant des idées différentes. On se souviendra de ce qui était dit des écologistes avant que ne se précisent les contours de la crise écologique, environnementale, énergétique, sociale,…etc. Lab - Séverine Tessier : Ce ne doit pas être un problème de militant chevronné mais une question accessible à tous. C’est souvent par une technostructure et la complexité des choses que l’on ne fait pas la transparence sur l’essentiel qui concerne les gens. L’enjeu pour nous et les associations, c’est de démocratiser l’information. Ne pourrait-il y avoir une infime partie de l’énorme mobilisation financière en jeu consacrée à la formation ? Tant des usagers que des élus ? B.R. - La gauche s’en est occupée dans une grande manifestation publique en 2001, c’était l’anniversaire de la loi sur les associations de 1901. Plusieurs Ministres s’étaient succédés à la tribune dans des envolées toutes plus ou moins lyriques, ils n’avaient pas changé le monde de la vie associative. Certes, le problème des associations avait été bien identifié et les militants désintéressés montrés en exemple… comme d’habitude !
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L’autre question peut se résumer à : comment faire évoluer le couple Agence de l’Eau et Comité de Bassin ? C’est un système intéressant qui permet le brassage des sensibilités et des intérêts contradictoires, il permet un exercice démocratique, avec cette réserve : les règles de composition pénalisent ceux qui défendent des valeurs non économiques. Selon leur compétence et leur charisme, les militants associatifs peuvent émettre des idées, faire évoluer les débats, mais en fin de compte on reviendra au vote dont on dira qu’il fait consensus. Quant à la complexité des dossiers et la technostructure, on pourrait certainement simplifier ce type d’organisation, mais il faut aussi prendre en considération qu’un administrateur va se trouver confronté au travail permanent de centaines d’agents à plein temps qui en plus jargonnent comme jargonnent les lois que nous tous utilisons. Faire évoluer ce système, nécessité de le remettre à plat : faire une RGPP des agences de l’eau ? L’autre idée à développer, c’est l’organisation de la formation des administrateurs. Des formations sont déjà organisées, mais elles trouvent très vite leurs limites, complexité de la gestion de l’eau, volume considérable de données de toute nature : économiques, financières, techniques, scientifiques, administratives, législatives, etc. Mais aussi sujets que l’on ne peut pas aborder dans leur grande complexité dans une formation organisée par une agence, par exemple : l’application du principe pollueur-payeur ! Prendre aussi en compte un autre élément limitant pour les élus et les associatifs : leur disponibilité. De plus, que les élus et les associatifs ne soient pas au top niveau, n’est certainement pas pour déplaire à certains acteurs influents, autre élément à prendre en compte ! Le problème des redevances et la mise en œuvre du principe pollueur-payeur sont des sujets difficiles où la non transparence était de règle. Les choses ont changé, mais le PPP n’est toujours pas appliqué. Nous avions publié il y a quelques années une analyse du système des redevances pour faire comprendre comment elles étaient calculées et où se situaient les règles arbitraires. Nous venons de faire un travail partiel sur certaines redevances à la suite de la mise en application de la loi sur l’eau de 2006. On peut constater le façon dont le législateur a encadré les redevances et comment les Comités de Bassin fixent les taux par le vote (Lettre eau 49). Retour sur la composition des Comités de Bassin : comment la changer ? C’est la loi sur l’eau qui fixe leur composition. La priorité est donnée aux élus. Le collège des élus représente 40% du CB, il est formé par un représentant par département, un par région, et majoritairement par les représentants des communes ou de leurs groupements compétents dans le domaine de l’eau. En Loire Bretagne, 29 au titre des conseils généraux, 8 des régions, soit 37 représentants des collectivités, deux sièges en plus pour les villes soit 39, au total pour les élus 76 sièges. Le collège des usagers 76 sièges également et pour le collège de l’Etat 38 sièges au total 190 membres pour ce CB. Les associations sont dans le collège des usagers, 7 environnementalistes, 6 consommateurs, 4 pêcheurs amateurs. Le CA est formé à partir du CB, la loi sur l’eau de 2006 n’a pas modifié les règles de composition. En Loire Bretagne, le collège des usagers du CA est formé de 11 membres. Les APNE ont un siège, les pêcheurs aussi, ainsi
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que les consommateurs. Le secteur économique a donc 9 sièges, en fait 10, car le représentant des consommateurs est un agriculteur élu contre l’avis de « que Choisir », de la CLCV, et des associations de famille. Et vive la démocratie….selon les industriels alliés aux agriculteurs. M.L. - Communication officielle les industriels paieront plus qu’avant. Or aujourd’hui les industriels paient moins. Ne pourrait-on pas faire la proposition d’un véritable audit, radiographie sur le problème de la démocratie, de la gouvernance de la prise en compte de l’ensemble des différents enjeux ? Que pourrait-on faire pour que la globalité des enjeux politiques (sociétaux, évolution des territoires, cohésion territoriale, transversalité), soit prise en compte dans le fonctionnement routinier des comités de bassin ? Qu’est-ce qui pourrait faire évoluer cela positivement ? B.R. - Faire des audits. Des audits sont réalisés par la cour des comptes, mais jamais les fondamentaux ne sont visités car relevant du domaine de la politique et de la loi. Si les agriculteurs ne paient pas de redevances sur les nitrates et les phosphates, c’est tout simplement parce que la loi ne le prévoit pas. Ce n’est évidemment pas sous l’effet du hasard, la redevance nitrates a été supprimée sous la pression des coopératives et des producteurs. La fonction d’administrateur conduit à embrasser les problèmes à l’échelle du bassin, territoire énorme où se déroulent une multitude d’actions qui relèvent de la gestion de l’eau. C’est pourquoi un dossier de conseil d’administration est énorme, toutes les opérations y sont consignées. Ne pas s’en occuper reviendrait à laisser l’agence décider de tout. Dangereux car l’influence des acteurs puissants rode toujours dans les couloirs. En plus que ferait-on alors ? Donc quand on est administrateur il faut assumer tout en étant critique, ou démissionner. Le fonctionnement des Agences est gouverné par un ensemble de règles de financement qui sont votés dans chaque instance de bassin. Sont prises en compte les règles définies par la loi eau pour les redevances et de toutes les lois et décrets qui concernent l’eau et les milieux aquatiques. Tout cela vaut instruction pour les services. Un problème difficile à résoudre pour un administrateur c’est le déséquilibre très important entre lui et les services puisqu’un dossier peut être travaillé par 30 personnes qui sont dans leur monde professionnel. Souvent les administrateurs ne regardent que les documents qui les intéressent et qui concernent leur catégorie professionnelle, ou leurs préoccupations communales. Là où les choses importantes se passent, c’est quand les débats portent sur les règles qui fixent les redevances et les aides, ainsi que les actions prélèvement de l’eau par exemple. Mais les règles en question sont toujours conformes à la loi…et la loi est bien douce à qui sait l’apprivoiser dans sa période de jeunesse. Ensuite sur le terrain, il reste à la faire respecter, mais les services de police de l’eau ont bien peu de pouvoir. Comment faire évoluer ces règlements, et ces règles de composition des Comités de Bassin ? Cela nécessite une réflexion difficile et approfondie sur : quel rôle pour le comité de bassin ?
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Actuellement le secteur économique est dominant, son influence est renforcée par de nombreux élus qui tous ne sont pas agriculteurs ou conservateurs. Faut t-il réduire ce poids au profit de la société civile en mettant des garde-fous. Il faudrait aussi ménager des temps de débats où le poids de la structure Agence soit moins prégnant. Renforcer la culture technique, scientifique, financière des administrateurs, leur inventer du temps libre pour qu’ils puissent être aussi disponibles que les représentants du secteur économique : payés par leurs organisations ou leurs entreprises pour être administrateurs. Et l’on se souviendra que, pour l’industriel, moins il paie de redevance, mieux il se porte, et plus il oriente l’utilisation de toutes les redevances vers les secteurs des activités industrielles, plus il pense que l’impôt est utile. Comment renforcer la représentation de la société civile, étant entendu que cette orientation sera combattue par le secteur économique ? Une seule solution : la loi. Il faudra donc une majorité acquise à ces idées.
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