http://www.parti-socialiste.fr/static/9014/forum-des-idees-la-ville-du-xxie-siecle-41-propositions-p

Page 1

Pour une nouvelle société urbaine

Rapport au forum des idées Lille - 6 novembre 2010


Ce texte a été rédigé sous l’égide du comité scientifique « ville » du Forum des idées Sous la présidence de : René Vandierendonck, maire de Roubaix, président du comité scientifique, et Djamel Klouche, architecte-urbaniste et sous la direction de Frédéric Gilli, urbaniste, économiste et géographe ont participé aux rencontres du comité scientifique chargé de l’élaboration du texte d’orientation : Fabien Ansel, secrétaire fédéral chargé de Paris Métropole à la Fédération de Paris, conseiller technique au cabinet d’Anne Hidalgo Ariane Azéma, conseillère au cabinet du conseil régional d’Ile de France Pierre Cohen, député-maire de Toulouse Michel Corajoud, paysagiste Francis Cuillier, urbaniste, Grand prix de l’urbanisme 2006 Sophie Donzel, maire-adjointe au développement économique, à l’emploi au commerce et à l’artisanat, ville de Nanterre Claire Dagnogo, collaboratrice du groupe socialiste au Sénat sur l’aménagement du territoire et la ville Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, président de Ville et Banlieue Daniel Goldberg, député de Seine-Saint-Denis, conseiller municipal de La Courneuve Adeline Hazan, maire de Reims, présidente de l’agglomération rémoise Anne Hidalgo, Première adjointe au maire de Paris chargée de l’urbanisme et de l’architecture Marc-Antoine Jamet, maire de Val de Reuil Jean-Yves Le Bouillonnec, député-maire de Cachan, co-président du groupe d’étude parlementaire construction et logement Marianne Louis, maire-adjointe à Évry en charge de l’urbanisme, Secrétaire nationale du PS chargée de la politique de la ville Olivier Mongin, directeur de la revue Esprit Nicolas Nahum, architecte Olivier Noblecourt, maire-adjoint à Grenoble, en charge des Affaires sociales Philippe Panerai, architecte-urbaniste, Grand prix de l’urbanisme 1999 Dominique Perrault, architecte-urbaniste, Grand prix national d’architecture Christian Paul, député, président du Laboratoire des idées Nathalie Perrin-Gilbert, maire du 1er arrondissement de Lyon, Secrétaire nationale du PS chargée du Logement Thierry Repentin, Sénateur de Savoie, président de l’Union sociale pour l’habitat Laurence Rossignol, vice-présidente du conseil régional de Picardie, Secrétaire nationale du PS chargée de l’environnement Philippe Simay, philosophe, enseignant à l’école d’architecture de Saint-Etienne Jean Viard, directeur de recherches CNRS au CEVIPOF Philippe Vignaud, architecte-urbaniste Ce texte d’orientation prend appui sur un premier travail effectué dans le cadre du Laboratoire des idées et le rapport d’étape « Les villes : un projet global pour la société de demain » auquel ont également apporté leur contribution aux débats : Farid Bounouar, conseiller municipal à Gennevilliers Jean-Claude Driant, professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris Alexandre Fabry, chargé de mission à la Région Rhône-Alpes Bruno Marot, urbaniste Fabrice Peigney, secrétaire général du comité d’évaluation de l’ANRU Christophe Robert, sociologue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre Jean-Alain Steinfeld, directeur général de l’Office public de l’habitat interdépartemental 91, 95, 78 Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

2


(En)vie de villes | Vers une nouvelle société urbaine Depuis plus d’un demi siècle, notre pays est très majoritairement urbain. C’est aujourd’hui le cadre de vie de plus de 80 % de nos concitoyens, le principal lieu de vie économique, associative et culturelle, le lieu des échanges et des rencontres. Cette réalité est souvent occultée au profit de l’image d’une France ancrée dans ses terres. Ce déni s’explique : signe de la crise profonde de notre pacte social, beaucoup fuient ce que les villes représentent de promiscuité sociale et de contraintes. Alors qu’au siècle dernier, la ville émancipait, désormais elle oppresse. Le repli sur soi derrière les murs des lotissements, l’enfermement dans les quartiers, l’étalement des zones d’activité ou des pavillons, l’enlaidissement croissant de nos villages et de nos entrées de villes, voilà ce que sont devenues nos villes pour bon nombre de nos concitoyens. Extension des agglomérations, éparpillement des pavillons transformant des villages autrefois ruraux en zones résidentielles sans charme, développement de zones commerciales aux enseignes standardisées le long d’axes urbains devenus des autoroutes, ségrégation sociale, quartiers et banlieues populaires devenus des ghettos ethniques... Les villes sont comme sorties d’elles-mêmes pour englober les campagnes et les villages environnants dans de grandes aires urbaines. Les citadins passent de plus en plus de temps dans leur voiture, pour aller au travail, pour accompagner les enfants, pour faire les courses, etc. Le temps disponible se réduit, le loyer ou les remboursements des crédits sont chers et la facture d’essence augmente. Les villes concentrent l’insécurité, le manque de logements accessibles, le chômage, les jeunes en rupture, les quartiers en grande difficulté sociale. Les habitants des quartiers les plus défavorisés de nos villes et de nos banlieues en sont aujourd’hui les premières victimes. Mais ces problèmes concernent aussi très directement les habitants des banlieues pavillonnaires, menacés de chômage alors qu’ils sont endettés sur de longues périodes pour l’achat ou la réhabilitation de leur maison.

Aujourd’hui dans notre pays, on ne choisit plus où l’on va habiter et chacun développe des stratégies pour éviter les quartiers difficiles. Conséquence directe, la relégation dans les quartiers d’habitat social est de plus en plus nette. Partout en ville, les humiliations continuent pour les jeunes, les femmes se sentent de moins en moins en sécurité. Dans les cités, les conflits avec les forces de l’ordre et tout ce qui représente l’autorité sont permanents. La défiance envers l’école et la République devient le mode d’appropriation normal de la vie ensemble pour toute une génération d’enfants et d’adolescents. Nos villes sont le reflet d’un modèle qui tend à exclure, séparer, différencier et spécialiser les personnes comme les lieux. La progression des inégalités aux échelles les plus fines (communes, quartiers, etc.), la dépendance aux énergies fossiles (automobiles, chauffage, etc.) et la consommation des terres agricoles, la difficulté à permettre l’épanouissement de projets économiques, ou encore la montée des extrémismes politiques et religieux soulignent la défaillance de ce système. Le président de la République nous avait promis un new deal, un plan d’urgence, une réelle mobilisation : en fait de mobilisation, nous avons assisté à la fin de la police de proximité, aux coupes sombres dans les crédits consacrés aux associations d’animation et au démantèlement du service public de l’emploi. Pour toute politique dans les banlieues, la droite propose des démolitions d’immeubles avec leurs lots de pertes de repères, d’éviction des familles parfois les mieux intégrées dans le quartier, et de stigmatisation. Certes, la politique de la ville telle que la gauche l’avait inventée avait fini par montrer des signes d’essoufflement, mais elle avait pour mérite d’atténuer considérablement les tensions et les drames quotidiens que vivent certains habitants. Plutôt que de restaurer l’image de ces quartiers, la droite les a encore dégradés, au point que les tensions se livrent en spectacle sous forme d’émeutes, encore sporadiques, mais qui ne sont pas sans rappeler les heurts de 2005. Pour réconcilier les Français avec leurs villes, à l’exemple de ce que font aujourd’hui de nombreuses municipalités, il nous faut réinvestir l’espace urbain. Nous devons agir pour changer nos villes afin d’en faire des lieux humains, intenses et tranquilles. Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

3


Ce n’est pas seulement en rétablissant des crédits d’intervention – nécessaires – dans les quartiers que l’on réglera les problèmes. La politique de la ville d’hier n’est plus suffisante. Il est temps de penser globalement la ville du XXIe siècle. Il est temps d’intervenir massivement dans nos villes et nos territoires. La nouvelle ville sera une ville mixte. Le double défi écologique et social, et plus largement l’aspiration à l’amélioration de la qualité de vie, nous imposent de repenser les schémas de développement. Désormais, nous devrons systématiquement penser global : l’habitat (vivre), l’économie (travailler) et les transports (se déplacer) devront être planifiés de manière complémentaire et totalement cohérente. Désormais, nous devrons penser économe : économie d’espace, en évitant l’étalement urbain, économie de ressources en optimisant et rentabilisant mieux le bâti et nos réseaux (routes, réseaux d’assainissement, d’énergie, de chauffage, de transport en commun). En un mot, il faudra assurer la mixité des fonctions (logement, commerces, services, entreprises) et la mixité sociale dans un même mouvement : construire une ville habitée, intense et solidaire. Mais personne n’invente de ville idéale : on bâtit les villes petit à petit, projet par projet, collectivement. Sans solutions techniques, nous ne pourrons pas mettre en œuvre le changement. Mais les solutions ne sont pas seulement techniques. Sans projets collectifs auxquels tout le monde s’identifie, nous ne pourrons pas même penser un quelconque changement. Impossible en effet de ne pas voir les contradictions qui traversent les discours et actions engagées depuis des années. Collectivement, nous refusons de voir nos campagnes défigurées par de nouveaux lotissements qui détruisent les paysages et les équilibres écologiques. Pourtant, chacun à son tour, il est difficile de résister à l’appel de la maison entourée d’un jardin individuel et nous contribuons tous à détruire le bien commun auquel nous sommes attachés. Collectivement, nous sommes attachés à la diversité et à la mixité sociale et ethnique qui caractérise le vivre ensemble dans nos sociétés. Pourtant, il semble légitime à chacun de vouloir offrir les meilleures chances à ses enfants en demandant une dérogation pour lui éviter un collège difficile. Dans ce cas, comme dans les multiples petites discriminations quotidiennes, nous cassons chaque jour un peu plus les liens de solidarité qui font le vivre ensemble de nos sociétés.

Il nous faut dépasser ces contradictions. Forger une conviction et un discours sur la transformation de nos villes pour faire face aux défis majeurs que représentent les différentes crises socio-économique, démocratique et écologique de ce début de XXIe siècle.

Bâtir des villes intenses La ville est le lieu de formation de l’esprit d’une société. Dans la confrontation des différences, se forge la capacité à reconnaître et accepter la diversité des individus autant que l’aptitude à résoudre ensemble les problèmes en construisant le sens de l’intérêt général. Les Français vivent aujourd’hui un paradoxe : le pays n’a jamais autant regorgé de potentialités et pourtant chacun se heurte dans sa vie quotidienne à d’innombrables barrières. Les citadins doivent renouer avec le plaisir de vivre en ville. Nous voulons des villes intenses, qui proposent des emplois en nombre et de qualité, des logements, des espaces de divertissement, de connaissance, des commerces et des espaces plus calmes, moins denses, banals. Nos villes intenses sont traversées par toutes sortes de mobilités, qu’il s’agisse de transports, d’idées échangées, de fibres numériques, et de lieux où l’on peut prendre son temps. En ville, toutes les vitesses cohabitent, le fast-food et le slow-food, le TGV et la marche à pied. Mobilité et densité sont les clefs de cette intensité. C’est dans leur articulation que la ville de demain se construira, en sachant préserver des lieux de faible densité qui ne soient pas des lieux réservés ou marginalisés, en sachant réinventer le rapport entre les logements et les espaces publics alentours, entre les quartiers d’une même agglomération comme entre la ville et les espaces agricoles et naturels.

|F aire des espaces publics un lieu

d’épanouissement et d’évasion

Les pelouses et grandes places ont été construites comme des espaces publics : elles deviennent souvent des espaces déserts et parfois même menaçants. Cela pointe l’écart qu’il y a entre la construction des lieux et leurs usages. De fait, les règles qui régissent Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

4


les espaces sont inhérentes au cadre dans lequel le lieu a été originellement conçu : cela pose la question de la mutabilité des espaces et de leurs usages, qu’il s’agisse de lieux publics, de bâtiments ou d’espaces privés. La capacité à redonner une nouvelle vie à une forme urbaine pour de nouvelles utilisations dans les décennies à venir est une des garanties de la durabilité de nos villes. La capacité à animer ces lieux afin de diminuer l’impression d’insécurité est aussi un enjeu. Les politiques culturelles et leur mise en relation avec l’évolution des usages sont directement en question : il faut dépasser l’implantation des œuvres et faire vivre les artistes dans la ville pour investir et s’approprier ces espaces, ne serait-ce que ponctuellement. La modularité des usages est une condition sine qua non de la vie des espaces publics. Elle est fondamentale à l’échelle d’une année, via la mobilisation de ces espaces au service de fonctions d’agora ou de forums urbains (art, éducation, économie, etc.). Elle est aussi fondamentale à l’échelle d’une journée : la ville fonctionne de manière de plus en plus spécialisée par tranches horaires et l’utilisation des espaces publics comme lieux de vie collective permettra aussi de pouvoir faire s’y rencontrer des personnes fréquentant le lieu à des horaires différents. Les jours de la semaine, les villes doivent s’adapter aux temps souvent contraints des salariés et vivre sur des périodes de temps allongées. Que les services publics soient accessibles et ouverts y compris pour ceux qui vivent en horaires décalés est essentiel pour ne pas enfermer quiconque dans une ville subie. Aménager les horaires, c’est aussi permettre une plus grande expression de la liberté de bouger, de rêver, de vivre, de partir, pour mieux revenir. Cette intensité ne doit pas se faire aux dépens des plus fragiles : la ville intense peut et doit être respectueuse des autres. Le bruit, par exemple, est une des pollutions les plus nocives en milieu urbain : le bruit diminue la qualité du sommeil, augmente le stress, l’énervement et le sentiment d’insécurité des habitants. Il ne faut pas confondre intensité et nervosité ambiante ! Dans la ville intense, les circulations doivent se faire moins sonores, les différents bâtiments doivent intégrer des normes équivalentes aux régulations thermiques pour offrir des chez-soi tranquilles,

préservés de l’agression extérieure que représente le bruit.

|L a ville, lieu de ressources

et de services

Les magazines regorgent de palmarès sur les villes agréables à vivre qui font ressortir systématiquement la qualité des hôpitaux, des écoles, des transports en commun et des équipements sportifs et culturels. Les statistiques régulièrement produites sur l’équipement des quartiers défavorisés montrent pourtant que la juxtaposition d’équipements ne suffit pas à faire ville. L’accessibilité aux commerces comme des lieux de divertissement doit être repensée. Tant d’un point de vue pratique, économique qu’écologique, les villes se doivent d’être denses, fonctionnellement mixtes et capables d’accueillir des flux importants. Générant de nouvelles pratiques et de nouveaux besoins, les villes sont des réserves d’emplois (nouveaux services urbains, économies « vertes ») : l’exemple des vélos en partage (Vélib, Vélov, etc.) et des emplois associés à l’entretien d’un réseau de vélos est anecdotique mais éclairant. Il est fondamental de veiller à ce que ces nouveaux besoins – aides au maintien à domicile, services à la personne - ne génèrent pas de nouvelles barrières et de nouvelles frustrations, mais suscitent au contraire de nouvelles innovations. La ville offre de nombreuses opportunités de création d’activités et d’entreprises qu’il s’agit d’accompagner par des dispositifs de qualification et de certification réactifs et respectueux de leurs spécificités. La mobilisation des nouvelles technologies est fondamentale pour la réinvention des usages dans les villes du XXIe siècle. La généralisation des systèmes de communication mobile (internet, téléphonie) risque de créer des nouveaux espaces privés partout, par petites bulles. Les villes offrent aussi des possibilités d’usages nouveaux : services de transports modulables à la demande, médiathèques devenant à la fois des lieux de consommation de la culture mais aussi des lieux de production collective de connaissance (formation aux outils numériques, blogs collectifs, ateliers de coécriture de wikipedia, etc.). Tous les habitants doivent accéder à ces facilités. Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

5


|G arantir l’accessibilité aux emplois

|A ssurer une mobilité efficace

La précarité des emplois entraîne une fragilisation importante de la vie économique de chacun, à commencer par la faculté à avoir et à garder un logement. Changer de maison ou d’appartement étant difficile, la capacité à se déplacer est devenue une donnée fondamentale. Or, on est d’autant plus alerte dans sa vie quotidienne, et en particulier ouvert aux autres et aux opportunités qu’offre la ville, si l’on est sécurisé dans sa vie sociale et économique.

Dans un souci de rééquilibrage des territoires et d’une véritable intermodalité, une politique cohérente et globale, une coordination effective et systématique des transports est indispensable. Cette capacité à se déplacer ne peut être garantie par un seul mode de transport. Elle demande au contraire que marche à pied, vélo, voiture, bus, métro ou train soient constamment combinés. Il faut faciliter la multimodalité de tous : transports collectifs ne signifie pas nécessairement transports en commun, mais demande une approche collective des différents modes de transport, qu’ils soient individuels (voiture, vélo) ou en commun (bus, trams, trains). Des tarifs modulés doivent être proposés pour garantir l’accès des plus modestes aux transports collectifs.

et aux services

Ce besoin de mobilité ne peut être simplement assuré par des lignes de bus. Il faut agir sur la localisation des activités et des commerces, de manière à ce qu’aucun territoire ne soit exclu des circuits économiques et sociaux qui font la ville. En plus de faciliter la circulation dans et hors des différents lieux de la ville, il faut veiller à mettre en place des programmes d’échange et des sorties éducatives et culturelles afin de réduire les différences entre ceux qui se déplacent beaucoup et ceux qui sont limités dans leurs déplacements pour des raisons sociales, culturelles ou économiques. Il faut mettre fin à l’assignation à résidence dans les quartiers de relégation. Qu’il s’agisse de la mobilité entre les quartiers, de la périphérie vers la ville ou du rural vers la ville, la capacité à se déplacer est primordiale pour les gens et pour la qualité de fonctionnement de nos villes. Le bilan énergétique de nos espaces ne dépend pas seulement de la contribution des bâtiments, elle dépend aussi de notre capacité à répartir plus justement les différentes fonctions de la ville. Dans les agglomérations et les métropoles, se pose la question de la proximité et de l’accessibilité des emplois, des services et des services publics. Pour chaque type de besoin, garantir que les temps de déplacement ne soient pas rédhibitoires est une des conditions de l’émancipation des citoyens, en particulier des jeunes. Vingt minutes : c’est le temps maximal que l’on devrait consacrer à atteindre les services de base. La proximité est fondamentale pour baliser la vie quotidienne. Cette approche en bassins, qui ne recoupe pas nécessairement les contours administratifs classiques, est indispensable pour éviter de reproduire les erreurs du passé.

pour tous

Pour optimiser l’utilisation des transports en commun, un coefficient minimum d’occupation des sols doit être imposé autour des gares et, à l’inverse, des règles spécifiques d’urbanisation devront être fixées dans les PLU au-delà d’une certaine distance des transports en commun propres. L’interopérabilité des services de location de vélo dans les agglomérations, la généralisation des systèmes d’autopartage ou de covoiturage, la possibilité d’accéder également aux vélos, aux bus ou aux trains régionaux avec les mêmes cartes de transport sont autant d’actions à entreprendre pour lever les barrières érigées dans nos villes. La régulation des transports est une partie essentielle de la régulation de l’économie. Nous devons continuer de promouvoir, avec l’État et les territoires concernés, les dessertes transversales indispensables à l’équilibre de notre territoire comme les réponses aux besoins présents et à venir au sein des bassins de vie. Le rail est prometteur. Les collectivités doivent se regrouper pour optimiser leurs achats de matériels. Plus généralement, les mécanismes de transports collectifs doivent faire l’objet d’un traitement privilégié, la priorité étant à porter sur les territoires les plus en difficulté. Le maintien et le renforcement d’une cohérence des territoires doivent reposer tout à la fois sur une redéfinition du cadre règlementaire par l’État et la définition des priorités en rapport avec les besoins par les collectivités locales : Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

6


la création d’instances régionales de régulation garantissant l’interopérabilité des systèmes de transport est un gage de réussite.

souvent des qualifications professionnelles spécifiques pour les artisans, elles sont autant de nouveaux débouchés pour les métiers de la ville.

La concertation avec les usagers doit être améliorée. Même si d’importants progrès ont été faits ces dernières années, notamment dans les collectivités de gauche, les décisions prises en matière de transports apparaissent, souvent, encore trop lointaines pour les usagers. Les objectifs en matière de services doivent, par exemple, être définis collectivement et adaptés aux besoins des salariés et des entreprises.

Econome et protectrice de la ressource, la ville intense doit placer au cœur de son organisation la question des déchets. Les déchets ménagers quotidiens sont concernés, mais aussi et surtout les déchets industriels et ceux issus du bâtiment. La fabrique des villes est en effet l’une des premières sources de matériaux non recyclés. Lieux de consommation et d’accumulation, les villes sont aujourd’hui les plus gros gisements de matières premières transformées (papier, plastique, bois, etc.) et de métaux rares. Leur meilleure exploitation est stratégique. Par exemple, la structure de tous nos bâtiments (poids et matériaux utilisés) est connue lors de leur conception : dans le cadre des nouveaux systèmes d’information communaux, les plans cadastraux numérisés seront progressivement enrichis des spécificités techniques de chaque bâtiment et permettront de gérer de manière optimisée et anticipée l’entretien et le recyclage des différents éléments de la structure tout au long de la vie du bâtiment. Des filières entières d’une nouvelle ingénierie urbaine sont à créer.

|R epenser la relation

entre ville et nature

Les villes offrent un cadre d’intervention particulièrement adapté pour agir sur les désordres environnementaux. La ville et l’environnement ont une relation à double sens. Sur la question du changement climatique, les villes sont les principales responsables des émissions de gaz à effets de serre (75 % des émissions mondiales) et elles représentent un potentiel de réduction tout aussi important. Elles sont donc une partie du problème et de sa solution. Certaines ont déjà compris l’importance de réorganiser l’espace, pour réduire les dépenses d’énergie et favoriser la relocalisation des activités en faveur de nouveaux modes d’échanges (activités agricoles, de production et de commerce). Par ailleurs, la ville, longtemps considérée comme antithétique à la nature, est désormais un lieu où peut s’épanouir la biodiversité. En témoigne, par exemple, la « délocalisation » des ruches, décimées par les pesticides à la campagne, qui s’installent aujourd’hui sur les toits des villes. Du rapport à « l’espace vert », on est arrivé à l’idée que la biodiversité est une composante de la ville, et que celle-ci a un rôle dans la protection de la biodiversité. Les villes détiennent une partie des clés pour la transition environnementale ; c’est là que gisent les marges les plus simples à réaliser ; c’est le lieu le plus propice à l’évolution des comportements individuels, notamment de consommation. Une gestion plus efficace et préventive, mais aussi plus parcimonieuse de la ressource en eau et en énergie, est possible. De nouvelles installations sont possibles : doubles circuits d’eau, gestion intégrée des déchets, etc… Et si elles complexifient l’entretien et demandent

Afin de ne plus générer d’externalités environnementales négatives, la « ville durable » devra capitaliser et mutualiser les expériences, les connaissances, afin d’identifier ce qui peut et ce qui ne peut pas être transféré entre villes, bâtir une vision collective et réaliste de l’avenir et élaborer des programmes de généralisation efficaces. Il y a un fort enjeu social dans cette démarche car les plus démunis sont les premières victimes de la mal consommation et écopent d’une triple peine : leurs choix de consommation leur reviennent plus chers, les fragilisent (y compris sur le plan de la santé) et génèrent, à fonctionnalité équivalente, des impacts environnementaux plus forts. Nous généraliserons le principe de la compensation écologique : chaque hectare artificialisé devra être compensé à l’échelle de l’intercommunalité par un hectare renaturalisé.

|C onstruire une société

urbaine durable

Nous ne sommes pas par principe opposés aux lotissements, mais nous considérons Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

7


que l’urbanisation de nouvelles parcelles, en particulier celles prises sur les espaces naturels ou agricoles, ne peut se faire que dans des conditions préservant la durabilité de notre société, c’est-à-dire sous condition de desserte par des lignes de transport ou par des infrastructures de services publics (eau, électricité, ordures ménagères, etc.), de mutabilité du bâti produit (qu’il puisse par exemple être transformé en atelier, en commerce ou en bureau sans être détruit entièrement, ou que l’on puisse y ajouter une pièce), etc. Ces exigences trouveront à s’appliquer à la construction de la ville mais aussi à ses usages. Il en va ainsi, par exemple, de l’articulation entre les politiques économiques locales et les autres politiques publiques entreprises à l’échelle de la ville. Le cas des zones franches urbaines est emblématique de cela : en partie efficaces quand elles sont adossées à des politiques urbaines et éducatives dans le cadre d’un projet urbain, les aides se transforment en pure aubaine quand elles sont seulement distribuées aux entreprises en dehors de tout cadre. La capacité de la ville à se construire en anticipant en amont l’ensemble des problèmes susceptibles d’affecter le territoire et ses habitants est déterminante dès lors que l’on ambitionne de créer une société durable. Cela suppose que les différentes échelles territoriales soient prises en compte lors de chaque intervention ou projet urbain. On ne peut lotir intelligemment une parcelle si on ne considère pas la façon dont les parcelles voisines sont aménagées, ni si on n’intègre pas les besoins de l’agglomération et du quartier environnant, qu’il s’agisse de mixité sociale de l’habitat, de la diversité des commerces ou des types d’emplois et d’activités économiques présents. Ces servitudes paysagères, économiques ou sociales s’imposent à chacun. On ne peut non plus apprécier et gérer correctement les risques naturels ou industriels auxquels s’expose la population locale sans réguler l’implantation des activités et des logements, à la fois fermement mais en tenant compte de la diversité des situations locales. Redonner aux citadins les moyens de vivre leurs projets près de chez eux est la meilleure des manières de leur permettre d’en sortir et de se sentir libres.

|C oopérer et entreprendre ensemble

dans les territoires

Des développements précédents, il ressort à chaque fois que le territoire est à la fois un support pour le déploiement d’activités, une ressource en même temps qu’un vecteur pour l’émergence de nouveaux projets. Dans un monde où les communautés de savoir et d’innovation sont de plus en plus cloisonnées (à l’intérieur des entreprises ou dans les différentes disciplines ou communautés d’usagers) le territoire est l’un des derniers endroits où la contingence des présences et le hasard des rencontres ont leur place. L’innovation sociale est aussi importante dans la création de valeur que l’innovation industrielle ou technologique. Elle naît au contact direct des besoins des citadins, faisant de la capacité des idées à naître et se réaliser sur le terrain l’une des principales richesses d’un territoire. Longtemps, l’aménagement du territoire a consisté à gérer l’implantation territoriale de sites industriels. Il s’agit aujourd’hui de mettre les territoires en mouvement de manière à faciliter les échanges en leur sein, dynamiser les capacités d’innovation, soutenir et accompagner les porteurs de projets (industriels, associatifs, sociaux, etc.). Citoyens avertis, consommateurs actifs et réactifs, artisans sensibilisés, secteur de l’économie sociale et solidaire : la population locale est une ressource fondamentale pour porter et faire éclore les projets sans lesquels le socle économique du pays ne pourra pas se renouveler. Par exemple, la demande de la population française pour les constructions alternatives (bâtiments à énergie positive, nouveaux matériaux, maisons intelligentes, etc.) butte souvent sur le déficit de qualification des artisans locaux, insuffisamment formés pour assurer la construction et l’entretien de ces nouvelles constructions. Pourtant, s’ils avaient connaissance du marché potentiel à portée de leur main, les artisans se formeraient évidemment aux techniques permettant de répondre à cette nouvelle demande. La mobilisation des acteurs locaux vise à réunir toutes les ressources et tous les réseaux des acteurs locaux pour les mettre en commun et permettre à tout un chacun et à tout projet de s’épanouir et sortir hors des frontières locales. Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

8


Les territoires ne sont pas des îles. Ils doivent assumer cette interdépendance croissante et développer des projets et des échanges avec leurs lointaines périphéries, avec les espaces ruraux qui les entourent comme avec l’ensemble de l’Europe ou le reste de la planète. Au-delà de la seule croissance économique (qui apporte des emplois et des revenus), l’enjeu du développement local pour les habitants est aussi cette ouverture au monde et à d’autres horizons.

Inventer des villes solidaires La ville est un lieu de production et d’accumulation de richesses, elle doit aussi être le lieu de l’invention de nouvelles solidarités, de mutualisation quand les systèmes sociaux légués par le vingtième siècle connaissent de profondes mutations. Cela amène à réfléchir à l’articulation entre espaces publics et espaces privés, aux types de services publics offerts, et renvoie en dernier ressort aux systèmes juridiques et économiques sur lesquels nos villes sont construites. Pour que la ville soit un lieu d’épanouissement et d’invention d’une nouvelle société, il faut restaurer l’importance de l’attention à l’autre. Si l’air de la ville peut rendre libre, il peut aussi enfermer les habitants dans des ghettos ou des identités refermées sur ellesmêmes. L’objectif de nos villes est précisément d’éviter ces enfermements et de préserver la possibilité pour chacun de bénéficier des relations de solidarité, entre individus comme entre groupes. Le rôle des pouvoirs publics est essentiel pour garantir un socle de droits, de devoirs et de pouvoirs et permettre l’émergence de nouvelles logiques mutualistes et associatives qui ne reposent pas sur des critères d’origine, de langue ou de religion. Il s’agit de faire de la ville le lieu de construction d’une égalité réelle plutôt qu’un espace d’expression des discriminations.

|M ettre fin à la ghettoïsation Il faut mettre fin à la ghettoïsation de notre pays. Cela exige des moyens exceptionnels et nouveaux, tant sur la rénovation urbaine que sur les politiques sociales et économiques. La ville est un tout, nous affirmons notre volonté de travailler à sa cohésion et au droit de chacun à vivre heureux en ville. L’accumulation de la richesse et de bien vivre pour certains quartiers se construit au détriment d’autres, confinés dans la

pauvreté, l’isolement et les nuisances du quotidien. Lorsque tous les phénomènes négatifs se mettent en mouvement en même temps (spéculation, ségrégation, isolement, désertion de l’État, appauvrissement des habitants et du territoire...) le gouffre des ghettos apparaît. Notre but est clair : corriger ces écarts insupportables qui mettent durablement en péril l’unité républicaine dans les quartiers, enrayer la machine infernale. Parce que, depuis des années, ceux qui sont le plus présents dans les territoires les plus décrochés sont les nôtres : élus et militants associatifs, du monde HLM, nous faisons le choix de la lucidité et de l’ouverture aux expérimentations locales, pour construire une politique de la ville globale au service d’une ambition de justice territoriale, pour rompre avec la politique de la ville « blingbling » de ces dernières années. Nous avons une conviction très forte : on ne réglera définitivement la question des banlieues et des quartiers populaires que si nous sommes capables d’en faire des villes ou des morceaux de ville à part entière. Cela suppose un urbanisme réinventé. Beaucoup de quartiers populaire et de banlieues sont nés, de façon schématique, de la construction massive de logements sociaux à partir des années 1950-1960. Mais ceux-ci ont été posés sur des terrains vagues et l’on a oublié de faire la ville autour. Il faut inverser cette logique historique, en construisant des villes avec des îlots, des rues, des places, des espaces de qualité, afin de réaliser la mixité sociale. Mais cela passe aussi par des politiques et des dispositifs spécifiques et puissants, maintenus aussi longtemps que nécessaire, qui favorisent le développement économique et commercial, la réussite éducative, la tranquillité publique, le vivre ensemble et l’animation culturelle et sportive de la ville. Nous plaidons pour la finalisation rapide des opérations ANRU en cours avec la mobilisation effective des crédits contractualisés par l’État. Renouveler l’urbain est une nécessité, mais nous savons pourtant que demain les ghettos et l’injustice sociale qui touchent la banlieue n’auront pas disparu par miracle. Nous proposerons aux collectivités, aux bailleurs, aux représentants de l’État de mobiliser toutes leurs énergies dans un Contrat unique de développement humain et de renouvellement urbain. Nous voulons un contrat à deux volets : urbain (logement, équipements publics, cadre de vie, transports, Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

9


réseaux numériques, accueil des activités économiques, etc.) et humain (emploi, réussite éducative, égalité femmes-hommes, santé). Au-delà de la concertation permanente des habitants, nous leur ouvrirons la possibilité de l’évaluation. La ville solidaire doit ouvrir à toutes et à tous l’accès à la réussite scolaire, à la citoyenneté et à l’effectivité des droits. La ségrégation spatiale se construit d’abord autour du logement. L’effort national de construction des logements sociaux accessibles aux ménages les plus modestes devra être réalisé ailleurs que dans les quartiers en difficulté ; à l’inverse, des logements à prix modéré, tournés vers les classes moyennes, seront construits dans ces quartiers. Des contrats de diversité sociale Ville/État/Bailleurs sociaux seront signés pour garantir la diversité sociale du peuplement et interdire les relogements au titre du Droit au logement dans les quartiers en zone urbaine sensible. Des « maisons de santé » seront établies dans les quartiers victimes de la « désertification médicale » en partenariat avec les Régions, les communes et les praticiens qui seront incités à exercer dans des zones peu médicalisées. Avec un taux de chômage deux fois plus élevé que la moyenne nationale et un taux de chômage des jeunes supérieur à 40 %, l’emploi doit être une priorité. La situation actuelle est d’autant plus inacceptable que de nombreuses entreprises s’installent dans les quartiers difficiles (la Seine-Saint-Denis est un des départements les productifs de France), mais que leurs habitants n’en bénéficient que très peu. Il faut que les emplois créés dans les quartiers ou dans leur voisinage immédiat bénéficient aux habitants des quartiers. Plutôt que de faire des cadeaux fiscaux à des entreprises qui s’installent en zone franche urbaine mais ne créent pas d’emploi au profit des habitants, nous soutiendrons financièrement les agglomérations qui développeront en banlieue, dans les zones de fort chômage des zones d’activités rendues attractives par la mutualisation de services (crèches, restaurants interentreprises, etc.) accessibles et ouvertes aux activités économiques génératrices d’emplois adaptés aux compétences locales. Les entreprises qui s’y installeront et embaucheront véritablement dans les quartiers les plus touchés par le chômage bénéficieront des clauses d’exonération.

|P révenir les égoïsmes locaux Aujourd’hui, le territoire urbain est à la fois le producteur et le produit de logiques tendant à éloigner les populations les unes des autres. Il est le résultat de logiques du marché qui autorisent ou non l’accès à certains quartiers ou certains logements en fonction des niveaux de richesse ou des statuts. La marchandisation généralisée des biens fonciers et immobiliers a conduit à une ville fragmentée où les quartiers et leurs habitants ne se parlent plus et d’où disparaît l’esprit du bien commun. Ce mouvement alimente les logiques de séparation sociale et de creusement des inégalités. Du fait de la spécialisation territoriale, des réseaux sociaux, des difficultés accrues d’accès aux emplois pour les plus fragiles, les problèmes créés par une mauvaise mobilité ou les conditions de vie quotidienne dégradées se cumulent et s’aggravent. Certaines solidarités et défenses d’intérêts strictement locaux ont des effets désastreux sur le sort des voisins. En témoignent le mouvement de sécession municipale aux Etats-Unis, la séparation de la région de Milan en trois sous-régions ou les tentations de partition en Belgique. En témoignent, chez nous, les réticences de certaines communes, plus riches, à rejoindre des intercommunalités où elles devraient partager une partie de leurs ressources, ou encore les obstacles mis par d’autres à ce que des bus ou des tramways passent sur leur sol alors que ces transports sont vitaux pour la mobilité de quartiers enclavés voisins. En tant qu’espace public, la ville est menacée d’implosion par l’expression des logiques individuelles. Le dépassement des intérêts particuliers est une question clef de notre projet. Les projets urbains ne seront plus la simple superposition de demandes individuelles et, pour cela, ils seront conduits à la bonne échelle. Il est difficile de mettre en marche des projets collectifs capables de se prémunir, dès le début, contre l’appropriation de la ville par quelques uns. En même temps, nos quartiers et nos villes sont un levier tout naturel pour impliquer et concerner chacun dans la construction de projets communs. Les villes ne se font pas toutes seules : elles sont le produit de nos attentes et notre modèle social. C’est dans la ville que nous réinventerons les nouvelles formes d’implication citoyenne. Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

10


|L a régulation des rentes foncières Le développement économique est une des clefs de ce renversement dans la mesure où il est la traduction matérielle des projets nés et portés localement, quels que soient les débouchés marchands ou non marchands de ceux-ci. La ville a longtemps été le cadre où logeaient les salariés, l’usine étant le lieu de production. Aujourd’hui, la ville est devenue elle-même le lieu de production. Elle fait partie intégrante des processus de création et de fabrication, elle améliore ou pas la productivité des individus et des entreprises, associations ou administrations. Les territoires assument les conséquences sociales des règles de gestion du système capitaliste et participent pleinement à l’efficacité économique des acteurs qui vivent et travaillent. En ville, le réseau de relations qui composent le territoire fait le capital social (somme des savoir-faire locaux, des diplômes, de l’entrepreneuriat, etc.) qui est le terreau sur lequel pourront s’épanouir les innovations sociales et économiques de demain. Les entreprises l’ont compris qui s’installent en général en ville pour bénéficier de ce qu’elle apporte de meilleur. La conséquence, c’est que ces villes sont le lieu privilégié de l’accumulation de patrimoine, la rente foncière et immobilière accroît et fige les inégalités. Elles contribuent grandement au développement d’une économie de plus en plus patrimoniale où les revenus permettent de moins en moins de vivre dignement. Les villes seront demain le lieu où ce rapport entre le travail et la rente s’inversera. Dans de nombreux pays, il existe des taxes spéciales sur les plus values indues. C’est le cas aux Etats-Unis lorsque la collectivité investit beaucoup dans les transports afin d’éviter que les retombées des investissements sur la valeur des biens ne soient entièrement au profit des propriétaires. Des systèmes de récupération à terme des valeurs foncières existent aussi dans certaines démocraties occidentales comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. La France fait exception. La question des modalités d’exercice des droits attachés à la propriété privée, comme celle de l’appropriation des plus-values urbaines collectives, seront revues. De nouveaux outils d’intervention permettant cette redistribution sont à inventer.

La collectivisation complète des sols ou des immeubles n’est pas une solution : on ne saurait construire une ville 100 % publique. Une part de la diversité et de la richesse de la ville vient précisément de la rencontre physique entre la multitude des envies individuelles. Mais cela suppose que, lorsque la collectivité publique investit dans les infrastructures ou dans la pacification d’un territoire, elle bénéficie d’une forme de retour sur les investissements qu’elle supporte. Elle ne doit pas réaliser toutes les dépenses et laisser l’ensemble des profits au privé, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers.

|U ne citoyenneté urbaine

émancipatrice

Le dépassement de l’intérêt individuel doit permettre la construction d’un nouvel intérêt général contre la logique de la représentation d’intérêts catégoriels visant la défense des intérêts d’un groupe particulier. Dans une société qui oppresse, les logiques communautaires sont complexes : d’un côté, elles offrent un espace de reconnaissance pour des personnes autrement exclues ou discriminées par la société, d’un autre elles enferment les gens dans une identité unique et finit par les exclure du reste de la société. Les identités et les solidarités qu’elles peuvent créer ne doivent donc pas être niées dans la ville. Mais elles doivent pouvoir être dépassées. Communautés locales, communautés numériques, communautés de pratiques musicales, etc., leurs logiques sont très diverses et elles offrent souvent des espaces où chacun peut constituer une part de son identité. La ville doit être un lieu dans lequel les relations doivent être facilitées entre des personnes se connaissant peu, ayant des liens faibles : c’est la garantie que les réseaux sociaux et économiques locaux seront efficaces à la construction du tissu de relations économiques (nouveau modèle de développement), de liens mutualistes entre collectivités comme entre individus ou entreprises (nouveau modèle de solidarité locale) et de sollicitude envers les autres (care). La ville doit aussi être un lieu de liens forts, un lieu dans lequel chacun peut trouver sur qui compter en cas de grande difficulté personnelle. La solidarité nationale doit pourvoir à l’essentiel des besoins quotidiens, mais elle peut difficilement fournir le soutien moral ou sentimental. Ces relations avec Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

11


les proches, amis, familles, groupes, la ville doit permettre qu’elles ne soient pas prédéterminées par le lieu de naissance ou l’origine des parents, voire des grands-parents. Par l’ouverture des quartiers, par des politiques de peuplement refondées, par un ré-investissement des espaces publics, la ville sera le lieu où les différentes identités s’ouvrent aux autres. Du point de vue de chaque individu, la ville doit savoir abriter toutes les diversités. Par exemple, les différents âges doivent pouvoir cohabiter dans la ville, au delà de l’accessibilité des logements : le véritable enjeu est l’accès des différents services de proximité offerts par la ville aux handicapés, aux personnes dépendantes, aux personnes âgées, etc. Les exclusions et les discriminations doivent être prévenues, qu’il s’agisse d’accès à l’emploi ou aux transports, mais aussi d’égalité d’accès aux systèmes d’orientation scolaire afin de ne pas accepter l’idée d’une société à deux vitesses. La ville pour tous, enfin, c’est une ville qui offre à tous la possibilité d’accéder aux ressources de la ville, de contribuer à créer cet espace commun que ce soit par l’investissement dans la vie associative, par la création d’entreprises ou par la participation aux projets urbains locaux : cela suppose un investissement massif dans l’éducation, la culture, la qualité de l’espace public.

|R éduire les ségrégations

et prévenir les assignations

Aujourd’hui, les individualismes autant que les tendances au communautarisme se lisent concrètement dans l’espace public : la répartition des services publics dans la ville n’est pas équilibrée. Les politiques d’éducation sont de ce point de vue exemplaire de nos manières de penser la ville, normée, unidimensionnelle et sans durée. L’orientation scolaire est défaillante et contribue à reproduire les inégalités de réussite scolaire entre les jeunes des différents quartiers. La carte scolaire, et sa suppression, montrent aussi à quel point les politiques publiques ont négligé les capacités des individus à prendre en main leur destinée. Il faudra rétablir une carte scolaire, mais sous une forme différente garantissant l’égalité réelle. C’est également le cas des politiques d’attribution de logements : pendant des années, la concentration dans les mêmes barres de logement, voire les mêmes cages d’escalier, d’habitants venant des mêmes

pays ou des mêmes régions a débouché sur la constitution de mini ghettos. Il est fondamental de prévenir l’enfermement des personnes dans des quartiers dessinés selon une logique communautaire en favorisant la mixité dans les logements sociaux. De la même manière, il est fondamental que l’application du droit au logement opposable ne se traduise pas par la concentration de tous les bénéficiaires de la loi dans les mêmes immeubles. Depuis la loi SRU, un travail est entrepris pour améliorer la mixité dans les quartiers qui concentraient les populations en grande difficulté sociale : il faut éviter de précariser le parc social. Là encore, il est évident que l’échelle à laquelle doivent être décidées les politiques urbaines est celle de l’agglomération. Dans certains quartiers désormais, c’est tout le tissu commercial qui semble se teinter d’une dimension communautaire, à la mesure de la ségrégation à l’œuvre dans le territoire. Il faut s’opposer à cette tendance à la communautarisation des commerces et services. Pour cela, il est nécessaire que les élus reprennent la main sur l’urbanisme commercial, autant pour préserver les centres villes que pour assurer une mixité des enseignes sur leurs territoires. Les services publics doivent assumer leur statut symbolique sans pour autant se construire comme des forteresses assiégées. Ils doivent s’ouvrir sur la ville, qu’il s’agisse des services publics traditionnels, des centres culturels, des espaces commerciaux. Cela signifie que l’architecture des bâtiments publics doit marquer dans l’espace le fait que les services ne se réfugient pas derrières les portes et les guichets. Cela signifie aussi que leur façon de fonctionner doit s’adapter aux besoins et usages des populations locales via une écoute attentive et une co-définition des politiques et des horaires adaptés.

|B ouclier local : les services publics

essentiels à la vie en ville

Les modalités d’articulation de tous ces services dans chaque territoire sont aussi cruciales que la question de leur personnalisation et de leurs modalités d’accès pour chacun (présence, accessibilité, ouverture). Les travaux sur les quartiers en difficulté soulignent qu’une partie des problèmes vient non de l’absence des services publics mais de l’accumulation de leurs dysfonctionnements partiels. Au-delà du Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

12


logement, avoir accès à l’eau, l’électricité, le gaz, les transports, l’école, la sécurité, les systèmes de communication numériques sont aujourd’hui des aménités sans lesquelles la vie est semée d’embuches ; loin de faciliter le rebond et l’insertion des plus pauvres, la ville contribue alors à les maintenir dans une forme de citoyenneté de seconde zone. Pour les services qui conditionnent la participation des habitants à la vie en ville (école, sécurité, emploi, etc.), il faut avant toute chose rétablir l’égalité de prestation entre les quartiers et les centres-villes. Par ailleurs, il faut revoir le statut et les fonctions des services de proximité. Ils animent la vie dans les quartiers. Qu’ils contribuent à la vie locale (associations, commerces, etc.) ou qu’ils pallient certaines défaillances des services publics (aide scolaire locale, taxis collectifs, etc.), ils nécessitent une attention particulière. Ils doivent accueillir des évènements et des usages différents, donner une image de services adaptés, véritablement au service de la population. L’implantation de certains services et commerces doit faire l’objet d’une régulation spécifique, dans l’esprit d’un bouclier local garantissant à tout habitant l’accès à un minimum de services essentiels (quantité d’eau et d’électricité, débit internet et téléphone, nombre de voyages sur le réseau de transport local, etc.). La mise en œuvre d’un tel « bouclier local » pourrait faire l’objet d’une expérimentation qui permettrait de combiner le repérage des situations de détresse, l’ouverture de droits d’accès minimaux (notamment aux tarifs sociaux progressifs) et l’orientation vers les services compétents.

|D es quartiers ne font pas une ville :

renforcer les liens et la mutualisation

L’accroissement des mobilités a transformé l’alchimie des territoires urbains. De mécanique, la ville s’est faite plus organique, plus vivante, plus complexe. Il ne s’agit plus de spécialiser chaque fonction vitale du territoire à un endroit mais de permettre au mieux les échanges et respirations entre les lieux, entre les personnes, entre les projets. L’hyper mobilité ne débouche plus sur une hyperspécialisation mais sur un besoin d’hybridation et de contacts. La ville y retrouve sa fonction originelle de creuset social.

Reste que la redistribution entre riches et pauvres est essentielle pour atténuer les écarts. Il faut repenser la politique de solidarité et les péréquations nationales sous peine de s’exposer à l’embrasement des banlieues. Il faut donc réaffirmer et renforcer la redistribution entre communes d’une même intercommunalité, entre les intercommunalités d’une même région et à l’échelle nationale. Il est également fondamental de mutualiser les moyens d’intervention en amont des réalisations, dès les crédits d’investissement. Nécessaire, la seule redistribution n’est pas suffisante à recréer des conditions égalitaires entre les territoires. Elle ne permet pas de rendre les marges de manœuvre nécessaires aux communes les plus pauvres qui auraient besoin d’un accès garanti aux budgets d’investissement des collectivités locales les plus riches. L’impératif de mutualisation passe par la participation des plus riches au financement des investissements dans les quartiers ou communes plus pauvres de l’agglomération. Naturellement, les communes co-investisseurs seraient associées aux résultats économiques de ces opérations (plus values immobilières, attribution de logement, etc.). Ce doublement des solidarités réparatrices par des logiques de mutualisation des investissements suppose la mobilisation d’outils institutionnels originaux comme, par exemple, la création de sociétés publiques locales.

|U ne mixité réinventée Les contraintes sociales imposées au cœur des quartiers les plus riches peuvent contribuer à réduire en partie les effets ségrégatifs du marché immobilier et l’absence de mixité dans les quartiers les plus aisés. De ce point de vue, augmenter les pénalités et les contraintes associées à la loi SRU à l’obligation d’avoir 25 % de logements sociaux dans chaque commune et y inclure des spécifications sur les types de logements (très sociaux, étudiants, personnes âgées, etc.) sera un passage obligé. Reste qu’il n’est plus possible d’occulter l’échec de cette politique pour parvenir à une pleine mixité. Dans ces lieux, l’invocation de la mixité sans ressorts ni ressources a confiné les populations locales dans des situations de détresse. La cohésion sociale est, en de multiples points, rompue entre les classes populaires les plus défavorisées et les classes moyennes ou modestes. Comble de Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

13


l’ironie : l’incapacité de l’État à faire respecter la loi a conduit à faire de l’objectif de mixité une série de contraintes imposées aux seules populations des quartiers en grande difficulté. Il ne s’agit pas de renoncer à l’objectif de faire de nos villes des territoires dans lesquels les gens se croisent et vivent ensemble quels que soient leurs revenus, leur appartenance sociale ou leur origine. En revanche, les moyens par lesquels cet objectif se traduit dans l’espace doivent être complétés et repensés pour ne pas aller contre la qualité de vie mais au contraire contribuer à améliorer la vie de chacun au quotidien. La loi SRU a imposé des quotas de logements sociaux par commune. Pourquoi ne pas introduire de tels critères en matière d’implantation des entreprises : il s’agirait, dans chaque quartier, de réserver une part des mètres carrés à vocation économique aux petites entreprises industrielles (artisanat, start-up, etc.), aux commerces de proximité et aux entreprises de l’économie sociale et solidaire. La mixité a longtemps été pensée exclusivement sur une base résidentielle alors que nos agglomérations sont aussi en grande partie le produit des choix d’implantation des entreprises. Il faudra enfin compléter les règles actuelles par des dispositifs favorisant l’émancipation, en particulier des jeunes : il est important de leur permettre de s’intégrer dans la vie active et de quitter leurs parents. Il est également important que les personnes âgées puissent être accompagnées afin que leur vieillissement et la dépendance ne se traduisent pas par une marginalisation.

Reconstruire des villes habitées La ville agréable à vivre est celle où on a le sentiment d’être chez soi, à la fois tranquille et stimulé. Habiter, ce n’est pas seulement se loger, même si avoir un toit est fondamental. Le choix d’un logement et le sentiment de bien y vivre sont extrêmement dépendants de ce qui se passe au delà du palier : qualité des services publics, commerces, usage de l’espace public, etc. Il est nécessaire d’inventer une nouvelle façon de construire nos villes. Un même pôle d’activité doit pouvoir à la fois héberger des bureaux, une gare ou un centre de bus, offrir des commerces et accueillir des logements. Les

espaces publics doivent donner à chacun le sentiment d’être à sa place, d’habiter sa ville et d’en être fier. Il est fondamental de réinventer la façon de faire vivre au quotidien les espaces publics, le parc de logement et les bâtiments publics existants. Place, centre administratif, lieu de culte, centre commercial, ces lieux de mélange jouent un rôle public et ils doivent, en tant que tels, s’ouvrir et s’offrir à tous. Il est important à la fois d’en garantir l’accès et l’utilisation et de se prémunir contre un usage envahissant ou exclusif. C’est par cette mutation de l’existant, portée par une démocratie locale refondée, plus participative, que nous transformerons nos villes pour en faire des lieux agréables et accueillants.

|R épondre à la crise du logement Habiter dans une ville ne devrait pas se résoudre à chercher et obtenir un logement. Il faut aimer sa ville, déménager au gré des besoins de la famille et accéder à tous les services nécessaires à l’épanouissement de tous. La crise du logement rend cette mobilité résidentielle quasi-impossible. Le logement est aujourd’hui, et plus que jamais, au cœur des inégalités et des exclusions dans notre pays. Il est même devenu un facteur aggravant : les dépenses incontournables du logement (loyer ou remboursement d’emprunt + charges + énergie) sont d’autant plus lourdes que le ménage a des ressources modestes ou moyennes. Des formes de régulation du marché, un secteur privé non spéculatif du logement, un secteur social renforcé, de nouveaux outils d’anticipation des besoins à trente ans, des nouveaux modèles de production, doivent être mis en œuvre ou même inventés. Une vraie politique foncière et fiscale alliant stratégie à long terme et outils de planification et d’encadrement est nécessaire, assortie d’une réflexion en profondeur sur les servitudes associées aux urgences locales, qu’elles soient économiques ou sociales. Il faut réorienter l’allocation des ressources publiques, mettre un terme aux politiques de défiscalisation sans contrepartie sociale, pour la remplacer par le soutien à la construction de logements privés par la mobilisation de l’épargne solidaire. Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

14


Le secteur du logement social est essentiel, il faut le préserver et en renouveler le fonctionnement pour en faire un sas d’émancipation comme un gage de sécurisation des ménages. Les bailleurs sociaux devront consentir à certains changements de pratiques : modifier les modalités d’entretien du bâti ou des espaces publics, leurs politiques de peuplement, accepter une régulation et une organisation adaptée aux territoires sur lesquels ils interviennent. Les locataires du parc HLM doivent se sentir aussi libres que n’importe quels locataires et pouvoir bouger au sein de ce parc en fonction des aléas et évolutions de leur vie professionnelle et familiale. Des obligations nouvelles seront imposées notamment en matière de qualité de service : gardiens plus nombreux, jardins partagés, soutien aux initiatives d’associations de locataires. Nous sommes enfin évidemment devant l’impérieuse nécessité de construire, plus et moins cher. Mais pas seulement. Il s’agit de répondre au besoin de logement à tous les âges de la vie, ce qui suppose à la fois des logements adaptés aux ressources et aux besoins de chaque âge mais aussi une attention aux parcours résidentiels, éventuellement accompagnés. Il s’agit aussi de ne pas répondre à cette crise en construisant n’importe où et n’importe comment : la pénurie est avérée mais il faudra construire principalement en ville car c’est là qu’il y a de l’emploi. Il faudra construire vite, pas cher, beau, confortable, dans des quartiers agréables à vivre et avec des bâtiments qui intègrent l’évolution des usages : il nous faudra changer la façon de vivre et fonctionner de nos espaces urbains et de nos habitations.

|D u logement à l’habitat Mais habiter c’est plus que se loger… La question du logement est certes une question urbaine, mais il est fondamental de prendre en compte les questions urbaines dans les questions de logement. Nous avons pendant longtemps considéré les villes comme une juxtaposition de problèmes techniques et sociaux à résoudre. On a cherché à produire des logements, des canalisations, des transports. Dépasser cet âge technique des villes est une nécessité humaine. L’état de désolation et d’abandon des espaces publics, témoigne d’un oubli fondamental : nos villes sont souvent devenues des prouesses techniques grossièrement inhabitables.

C’est aussi une nécessité économique et politique. La construction et la rénovation de nos villes de sorte qu’elles préservent l’environnement et les générations futures sont une chance formidable pour notre planète. C’est aussi un coût démesuré du point de vue de chaque corps technique. Construire un logement selon les normes des Bâtiments Basse Consommation coûte cher et on ne saura résoudre les problèmes posés par chaque contrainte supplémentaire qu’en les compensant par un travail global sur l’organisation des quartiers et des villes dans lesquelles ils s’inscrivent. Dans le cas contraire, la ville creusera les inégalités déjà criantes. Certains promoteurs commencent déjà à rabaisser les objectifs de confort et de consommation énergétique pour les logements les plus sociaux : il faut stopper cette tendance. Les coûts économiques et sociaux imputés par la localisation du logement ou le mode de vie associé sont trop souvent oubliés des bilans écologiques. Or, l’explosion de la mobilité individuelle a conduit à la multiplication des maisons ou des lotissements de plus en plus loin des villes, dans des villages qui forment autant de territoires peu armés techniquement pour répondre aux besoins de leurs habitants (coût des réseaux, absence d’économies d’échelle, etc.). Dans le même temps, les territoires continuent de se spécialiser. Les logements sont certes moins chers en grande banlieue, mais le budget transport auquel les ménages doivent faire face annule la baisse des prix du logement. Ils se trouvent ainsi captifs d’une résidence et dépendants de leur voiture alors que le prix du pétrole est voué à augmenter fortement. De plus, les espaces périurbains, moins denses, sont moins bien couverts par les services publics (crèches, etc.) ou par les services sociaux. Ce sont aussi les lieux dans lesquels la fragilisation sociale fait le plus de dégâts dans la classe moyenne. Le coût de la ville doit être mesuré à long terme dans les coûts de mutation, de gestion ou de reconstruction des bâtiments, mais aussi dans les marges de manœuvre laissées aux générations futures pour s’approprier des morceaux d’espace : produire tout en laissant la place pour les générations d’après suppose la mutabilité des bâtiments mais également des vides qu’elles pourront s’approprier. Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

15


|C onstruire une ville confortable

et bon marché

Construire massivement sans construire des barres de béton en paquets est possible. Il faut pour cela une meilleure organisation tout à la fois des politiques de construction, des appels d’offre et de la filière BTP dans son ensemble. Des concours globaux, visant à construire une très grande quantité de logement à l’échelle d’un grand territoire, permettront de construire une ville durable, habitable par tous et qui ne soit pas une ville à deux conforts ou à deux vitesses. Cela suppose que les promoteurs soient concernés par les coûts de fonctionnement et de gestion des bâtiments (et tenus par le cycle de vie du bâtiment et pas uniquement par une garantie décennale). Cela nécessite qu’ils soient concernés par l’aménagement urbain et plus uniquement par la construction des bâtiments (en particulier pour ce qui est des services associés à un îlot plus qu’à un bâtiment, comme les parkings, et qui conduisent à augmenter significativement le coût des logements quand ils sont programmés immeuble par immeuble plutôt que de façon concertée entre les promoteurs en amont). Cela suppose enfin qu’ils soient aussi concernés par la qualité de l’espace public induit par leurs bâtiments, en gommant en partie la dissociation entre infrastructures et bâti dans la façon dont est gérée la séparation des coûts et des étapes d’aménagement entre le terrain vierge et le terrain viabilisé. Ces logiques de mutualisation des servitudes ou d’intéressement à l’économie d’ensemble du réseau ne sont aujourd’hui pratiquées qu’exceptionnellement, dans le cas de projets urbains portés sur moyen–long terme. Une réforme de l’urbanisme permettant de décloisonner les pratiques est nécessaire pour généraliser ces pratiques. Rompre le saucissonnage des projets entre le pouvoir de l’élu, les compétences des techniciens, les décisions des financeurs, les dessins des architectes et les choix des utilisateurs suppose de revenir sur la façon de monter les projets en intégrant les chaînes de décisions : que les auteurs des plans d’urbanisme, les aménageurs, les promoteurs, les architectes, les clients et les usagers soient tous ensemble autour de la table lors des différentes étapes de la définition des projets permettrait d’anticiper la mutabilité et les fonctionnalités multiples des équipements. Un bâtiment est soit une maison de retraite,

soit une crèche, soit un centre de loisir, soit un supermarché, soit un logement mais ne répond que rarement à plusieurs besoins à la fois... Quand il est construit, il est plus difficile de l’adapter à de nouveaux usages. Il peut s’avérer utile de penser ces changements d’usage en amont. Enfin, l’acceptation et le financement d’aménagements publics controversés seraient facilités en instituant des mécanismes de péréquation entre parcelles (aménagement à l’îlot voire au quartier plutôt que lopin par lopin – sans forcément généraliser le statut de ZAC, mais en forçant à l’intégration de la chaîne de production à l’échelle de la ville et non des opérations) et en montant les opérations sur un mode concerté en amont des projets (en particulier dans le cas de quartiers anciens). Nous sommes convaincus qu’une partie de la réponse au problème de logement viendra d’une vaste campagne d’expérimentations locales, par exemple en demandant à chaque agglomération d’ouvrir à l’expérimentation 5 % du territoire urbanisable de chacune des communes qui la composent. Sans revenir sur les objectifs assignés aux politiques urbaines (en particulier les objectifs du Grenelle), il s’agirait de permettre de remplacer l’accumulation de normes, parfois contradictoires entre elles, par des approches pragmatiques et contextualisées, différentes en fonction du climat ou de l’hygrométrie locale. Le cadre légal actuel conduit à construire les immeubles moins en fonction du confort des habitants ou des salariés qu’en fonction des règles de calculs permettant de maximiser le respect des normes. Une alternative pourrait être trouvée sur la base d’objectifs globaux de performance que devraient respecter les projets concrets, en fonction de leur prise en compte des grilles d’objectifs métropolitains (qualité d’accessibilité, compacité du projet, insertion dans le paysage urbain, etc.) et d’objectifs précis sur le bâtiment concerné (confort thermique et sonore, loyer et charges modérés, accessibilité, etc.). Les territoires ne sont pas indépendants. Les choix de site et d’aménagement doivent s’inscrire dans une vision globale métropolitaine (qu’elle soit définie à l’échelle intercommunale ou encadrée par des règlements régionaux contraignants comme nous le souhaitons). Cette politique de long terme suppose une capacité d’anticipation et de réserves foncières. Reste que des règles Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

16


européennes encadrent de plus en plus le droit de l’urbanisme français en imposant des cadres très contraignants pour les collectivités volontaires qui pratiquent une politique active, notamment en matière de maîtrise foncière. Il est fondamental de réaffirmer chaque fois que possible la nécessité pour une collectivité locale de pouvoir contrôler et encadrer les prix (des loyers ou du foncier) dès lors que l’utilité publique est reconnue. La question de l’outillage stratégique, démocratique et technique des élus est également essentielle : l’absence d’équipes d’urbanisme dans les petites collectivités est par exemple un problème.

|U ne ville pacifiée À force de parler de police et de sécurité, on aurait presque fini par oublier que l’objectif premier n’était pas de réprimer, mais d’apporter la tranquillité dans nos territoires. Les brigades anti-criminalité ont ainsi remplacé les gardiens de la paix. Sans angélisme, il faut veiller à ce que les villes ne soient pas un lieu qui accroît les logiques d’affrontement mais qu’elles contribuent par leur organisation et leur fonctionnement à une meilleure régulation des inévitables conflits et embrouilles qui émaillent la vie de tout groupe humain. La sécurisation et la fermeture des espaces urbains ont été les principales caractéristiques des politiques menées ces trente dernières années. Privatisation et ville sécuritaire se sont imposées comme les deux faces d’un même mouvement de repli sur soi de la ville et ses habitants. La privatisation des espaces urbains a pris de multiples facettes : centres commerciaux à l’accès contrôlé, résidentialisation des immeubles, privatisation de certaines parties des cités dont l’accès est impossible, même aux habitants, etc. Ce mouvement s’est accompagné d’une augmentation des politiques sécuritaires et du contrôle social auxquelles ont été associées de multiples initiatives (caméras, couvre-feux, etc.) dont tout prouve que si elles peuvent être ponctuellement utiles, elles ne sont en aucun cas une réponse durable à la pacification durable de nos villes. Il faut préserver les lieux publics de toute appropriation indue et des atteintes potentielles à la liberté par les systèmes de surveillance ou de contrôle. La séparation entre les lieux publics et les lieux privés est en

grande partie factice dans la mesure où, dans les usages comme dans le statut des différents lieux, il existe de très nombreux degrés à cette articulation : les jardins collectifs, les espaces publics laissés à l’entretien et à la disposition des riverains, les services partagés dans les résidences (laveries, gardiennage, jardins), etc. Un des enjeux d’aujourd’hui est de trouver les moyens de faciliter l’émergence de ces lieux intermédiaires et des espaces partagés. Cela nécessite de questionner la résidentialisation des pieds d’immeuble et de la privatisation/fermeture induite de la rue : non qu’il faille systématiquement refuser cette résidentialisation, mais il s’agit de trouver une façon de gérer l’insertion de ces espaces résidentialisés dans la ville de sorte que cette pratique ne soit pas simplement une façon de déplacer les tensions hors des grilles. Cette question rejoint celle de la gestion des rez-de-chaussée et des pieds d’immeubles. De même que les coopératives d’usagers peuvent permettre la co-production d’immeubles ou de résidences expérimentales en co-propriété, elles offrent une opportunité pour mutualiser les loyers et les contraintes (durée de bail, etc.) associées à l’occupation d’un espace pour permettre l’investissement de grandes surfaces par de petits utilisateurs (artistes, start-up, etc.) ; elles offrent des moyens pour développer des espaces mixtes publics et privés là où, alternativement, il n’y aurait de place que pour des utilisateurs standardisés (locataires de grands espaces de bureau ou commerces monotypiques). En ville, tout est affaire d’interprétation. Les caméras de vidéo surveillance sont loin d’être suffisantes pour assurer cette pacification : l’humain est déterminant pour construire une ville qui vive et s’adapte en douceur à toutes les tensions qui la traversent et la traverseront toujours. Il faut développer les équipes mobiles de prévention et d’animation, y compris la nuit.

| Ré-humaniser la vie en ville Revendiquer un taux de propriétaires plus ou moins élevé n’a jamais fait une politique de l’habitat, encore moins un projet de ville. Au-delà du seul statut des logements, il faut s’interroger sur la façon dont les différentes composantes de la ville sont articulées pour produire ou renouveler le cadre et la qualité de vie des habitants, à la fois dans le temps (les projets doivent à la fois répondre Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

17


aux urgences des situations personnelles et au cadre de vie espéré par tous à moyen terme) et dans l’espace (quartiers populaires, quartiers résidentiels, quartiers chics, centres commerciaux, zones industrielles, etc.). Les politiques publiques actuelles sont toutes construites pour répondre aux besoins quantitatifs : la transformation des modes de vie rend ceux-ci potentiellement infinis. Par exemple, la diminution constante de la taille des ménages a fait exploser la demande de logements. Elle se double aujourd’hui d’un nombre croissant de personnes travaillant à plusieurs endroits et ayant besoin de deux voire trois résidences. Cela doit nous inviter à réfléchir à de nouveaux usages de nos bâtiments, plus flexibles. La question des espaces publics est centrale et concerne tout à la fois leur production, leur gestion, leur occupation et la séparation public-privé dans laquelle ils s’inscrivent. Un espace public doit pouvoir être appropriable pour des occasions particulières du moment, et ne pas se traduire par sa fermeture mais par une invitation à la ville. Les institutions doivent participer de cette évolution et s’ouvrir sur les usagers mais aussi permettre les détournements d’usage ponctuels. Une des conditions de l’appropriation de la ville par ses habitants est qu’ils puissent occuper des lieux occasionnellement en les faisant leurs, loin de leurs destinations habituelles. Cela peut être une école utilisée le week-end comme terrain de sport, une médiathèque qui sert de salle de concert ou pour une danse de rue, ou un théâtre qui se fait ponctuellement cinéma ou café-débat (détournement d’usage). Accompagner la vie en ville suppose aussi une présence humaine renforcée (médiateurs dans les transports, jardiniers dans les rues, personnel dans les écoles et les centres de petite enfance, etc.). Les jardins partagés, les communs partagés, les cours communes, les espaces publics pouvant servir à différents usages et différents utilisateurs selon l’heure ou le jour, sont autant de solutions que nos villes connaissent mal et qui font pourtant des lieux de sociabilité intéressants ailleurs dans le monde. Concevoir autrement la ville pour concevoir autrement l’habitation ou concevoir autrement le logement pour habiter autrement en ville : les deux exigences doivent être conduites de concert, sans quoi le mouvement auquel nous assistons aujourd’hui s’accentuera.

Nos villes doivent concilier leur caractère métropolitain et la nécessaire délicatesse sans laquelle personne n’est disponible pour l’ouverture que propose la métropole. Nous avons besoin de repères : la ville doit fournir des cadres pour aider les gens à vivre et non leur compliquer la tâche et leur rendre la vie plus difficile. Elle doit être d’autant plus délicate qu’elle est complexe. Nous devons construire des villes 100 % métropolitaines, 100 % délicates.

|E xpérimenter, levier de la

performance urbaine

Répondre à cet enjeu suppose de se saisir très en amont des problèmes urbains, de manière globale, et de viser un urbanisme de projet, dans le cadre duquel les pouvoirs publics et les promoteurs s’accordent sur de grands objectifs à l’échelle de tout un quartier. On ne peut continuer à bâtir les villes en suivant uniquement des logiques financières, en confiant leur avenir aux seuls promoteurs spécialisés dans la construction de logements, alors que leur raison d’être est de servir de produits de défiscalisation et non de répondre aux besoins des habitants. Si l’on reste dans le face-à-face promoteur/ investisseur, la logique de marché s’imposera toujours. Cette construction des villes à l’envi, en fonction des seules opportunités spéculatives du moment, n’est pas durable écologiquement. Elle conduit à construire des bâtiments pour les seuls besoins d’un utilisateur de court terme, bâtiments qui ne pourront pas répondre aux besoins des utilisateurs de demain (impossible de transformer en logement un bureau construit dans les trente dernières années). Elle n’est pas durable socialement car elle conduit à une spécialisation des territoires en fonction des opportunités de loyer et nourrit ainsi une séparation des populations, à la fois sur leurs lieux de résidence et sur leurs lieux de travail. De plus, elle est périlleuse économiquement car elle conduit à des villes qui seront extrêmement coûteuses à adapter à de nouveaux enjeux. On ne connaît presque rien du monde auquel nous aurons à faire dans vingt ans : quel équilibre entre les systèmes automobiles de masse électriques et les systèmes de télécommunication ultra- performants ? Dans ce contexte, construire une ville plus apte à changer de forme et de fonctions peut être plus coûteux à court terme mais ouvre sur des gains importants à long terme. Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

18


Il faut inscrire davantage d’évolutivité et de réversibilité dans les modes de pensée et de production de la ville. Libérer la créativité nécessaire à l’émergence de nouvelles solutions, permettre aux régions d’adapter les normes aux réalités locales. À condition de remplir des objectifs très élevés en matière de production de logements, l’excellence environnementale peut passer par une adaptation de ses normes, aujourd’hui excessivement contraignantes. Cela suppose d’accepter une véritable liberté d’expérimentation locale à la frontière des règles et du droit commun. Cela va de la nécessité d’adapter les règles nationales pour décliner les normes (environnementales ou autres) de manière différenciée dans le Nord ou le Midi, jusqu’à la possibilité pour chacun de modifier sa maison en dépit des plans locaux d’urbanisme dès lors que d’autres objectifs d’utilité publique sont poursuivis. Reconnaître ce pouvoir local suppose de revoir certaines pratiques opérationnelles. Refondre les règles d’appel d’offre et de marchés publics sera nécessaire pour les ouvrir à l’innovation et l’inventivité (en veillant à ne pas transiger pour autant avec la justice et la morale publique). Il s’agit aussi de prévenir les déconvenues d’une déconnection entre les coûts d’investissement et les coûts de gestion. Les expériences sont nombreuses de services aux habitants très dégradés à moyen terme dès lors que l’accent a été mis sur la gestion au quotidien au détriment de l’investissement ; ou, à l’inverse, quand l’investissement a été confié à des acteurs qui n’ont pas ensuite à assumer les coûts de gestion et de portage quotidien des infrastructures qu’ils ont créées.

|L a vie en ville, un enjeu

de démocratie

La contestation croissante des projets urbains, particulièrement des logements sociaux ou des résidences spécialisées, interpelle quant à la capacité de notre société à se mettre en mouvement. L’alternative est alors claire : organiser le passage en force en supprimant les oppositions ou organiser la concertation pour permettre des débats fructueux plutôt que bloqués. Dans ce dernier cas, la capacité à favoriser l’émergence d’un projet politique (non nécessairement partisan) est fondamentale pour la légitimation de la décision publique. Chaque ville, chaque quartier présente des problèmes et des atouts spécifiques : les

normes et règles, qui permettent de prévenir les dérapages, finissent par empêcher de construire les villes pour leurs habitants : les projets sont stéréotypés, renchéris. Les projets urbains, souvent évoqués comme un levier pour transformer les quartiers, supposent toutefois une capacité de portage des dossiers pendant longtemps. Il faut améliorer la mobilisation des élus, des habitants et des services pour que perdure l’impulsion initiale : cela pose la question de l’appropriation des projets par la population. L’éclosion de ces projets politiques dans les villes butte sur la spécialisation des approches urbaines entre, d’un côté les problèmes de logement, de l’autre les problèmes de transports, de plan climat, d’accessibilité aux handicapés, etc. Une meilleure association des citoyens aux perspectives opérationnelles pourrait passer par la rupture du séquençage des projets entre PLU-aménageurs-promoteurs-architectesclients et usagers ainsi que par la discussion entre tous ces acteurs. La concertation en amont améliorerait alors la production d’équipements et de logements dans les centres-villes, de même que l’acceptation et le financement de logements sociaux ou très sociaux par les populations indirectement concernées. La concertation ne doit pas se faire uniquement en amont mais tout au long du projet : il s’agit en définitive de rompre avec une logique séquentielle de la démocratie urbaine qui nierait aux acteurs locaux tout rôle dans la définition et l’évaluation des projets entre les mandats. En particulier, dans le cadre de relations de plus en plus compliquées entre les élus locaux et l’État, il s’agit de permettre l’organisation et l’expression de ces échanges entre élus et acteurs locaux (habitants, syndicats, commerçants, associations, etc.). Comment relayer l’opinion publique sans l’étouffer par des considérations technocratiques, ni la rendre prisonnière de quelques porte-parole parfois communautaires ou aux vues partiales ? Surtout, la question est d’éviter de cloisonner et compartimenter la démocratie en n’organisant des consultations et des débats publics que de manière ponctuelle sur des sujets techniques. La tenue régulière d’assises, d’ateliers ou de rencontres est fondamentale pour que les habitants soient de véritables acteurs des choix politiques qu’engage nécessairement la fabrique d’un territoire. La ville est le Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

19


lieu d’invention d’une nouvelle forme de relation entre la démocratie représentative et des expressions plus libres, une démocratie qui soit à la fois réactive et institutionnelle (Conseils de développement élargis au format de Conseils économiques et sociaux locaux ?). Positives comme négatives, les expériences menées dans le cadre de la « politique de la ville » peuvent être pertinentes à mobiliser : peut-on imaginer une politique de la ville renouvelée dans laquelle les opérations seraient évaluées par une commission tripartite ANRU-élus locaux-associations de quartier ? Si l’on ne se voile pas la face sur les problèmes de captation du débat public dès lors que s’installent des «associations autorisées», ce débat renvoie directement au rôle des grands réseaux associatifs susceptibles de donner cadres et outils d’expression à la population sans pour autant sombrer dans des réflexes communautaristes (du style « pas de ça chez moi », etc.). Autre écueil, la démocratie locale participative ne doit pas conduire à considérer que les habitants sont des experts par principe. Ils sont, certes, les meilleurs connaisseurs des pratiques et valeurs du quartier, qu’il s’agisse de la relation entre école et marché du travail, de la mixité dans les projets urbains ou de développement économique. Mais ils doivent contribuer, sans nécessairement imposer un choix aux élus : le traitement de certaines questions urbaines complexes, comme par exemple l’imperméabilisation dans les bassins versants, passe par plus d’éducation, au sens large, aux mécanismes territoriaux (enjeux et conséquences dans l’espace et dans le temps). C’est en habituant les habitants à s’exprimer et à participer aux choix publics, plutôt qu’en les instruisant des données et contraintes à résoudre à l’occasion d’un problème ponctuel, que l’on permet la formation d’un intérêt général. L’implication des habitants sur des sujets politiques à déclinaison locale leur permet d’exprimer et de confronter les valeurs auxquelles ils se réfèrent. Cela suppose une démarche inscrite dans la durée, dans l’esprit des conseils de développement ou des conférences d’habitants menées sur le long terme.

|D es identités ouvertes :

une ville de projets

Des modes de gouvernement renouvelés sont nécessaires pour rendre sa force à

l’action politique et sa vitalité à la vie locale. Loin d’être une contrainte, l’association des populations à la définition des projets est le plus souvent analysée, après coup, comme ayant permis de faire naître des idées plus adaptées aux attentes des habitants. Ces évolutions ouvrent des perspectives pour une démocratie beaucoup plus large que les modes de décision actuels et modifiera profondément le rôle des élus. En même temps, cela soulève de très nombreuses questions quant à la formation des citoyens aux enjeux urbains et à l’articulation des échelles territoriales. En impliquant les personnes et institutions dans des relations partenariales et des projets partagés de moyen terme, en mettant en place des projets économiques ou des projets urbains, les territoires se retrouvent en situation pour mobiliser dans la durée des investissements et des acteurs. À charge pour eux de savoir concrétiser ces projets inscrits dans le moyen terme pour y accrocher le plus grand nombre de personnes et forger les conditions de nouveaux projets susceptibles de relayer ces initiatives. La ville peut tout à fait devenir le creuset dans lequel, projet après projet, les moins mobiles et les plus mobiles trouvent des raisons de travailler ensemble et éprouvent la richesse que représente le collectif correctement mobilisé. Cela vaut pour les projets économiques, cela vaut également pour les projets urbains. Que les habitants deviennent acteurs de leur territoire signifie que, au delà de chaque réalisation (bâtiment, place, quartier vert, etc.) il y ait un travail de co-élaboration des projets avec les futurs usagers : population locale, salariés, commerçants, visiteurs occasionnels. Être acteur permet non seulement une meilleure adéquation entre l’espace urbain et les usages, mais aussi une appropriation de leur territoire par les populations locales. On est plus responsable et plus fier d’un lieu que l’on a créé ou contribué à créer, on le respecte plus, aussi.

|R ègles du vivre ensemble Cette prise de responsabilité des populations ne viendra pas diminuer le pouvoir des élus, au contraire. Alors que les élus sont confrontés aux contraintes économiques ou juridiques, l’implication de la population dans les projets d’intérêt général permet de débloquer ce pouvoir d’action et rend à l’élu sa position de décideur stratégique. Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

20


À condition de transformer nos façons d’élaborer les projets urbains, la ville est un lieu d’éducation au civisme. La participation de chacun selon ses compétences appelle la définition de nouveaux droits et devoirs du citadin. Cette éducation par la ville et pour la ville suppose un investissement spécifique dans l’animation de la vie locale qui mobilise les associations et les citoyens.

Les interdépendances entre territoires voisins, entre les quartiers d’une ville et les villages qui l’entourent, compliquent forcément les décisions politiques : plus personne ne peut raisonnablement prendre de décisions tout seul puisque les conséquences bénéficieront ou impacteront de nombreux autres quartiers ou bourgs voisins. Cette situation est aujourd’hui facteur de blocage.

Lieu d’événements et de culture, la ville est aussi le creuset du métissage de la société française. Notre diversité est une chance, il faut faire de nos villes les lieux où se préparent les rencontres avec d’autres façons de voir le monde, où s’exprime l’ouverture à d’autres cultures, où s’écrivent et s’inscrivent les rêves de chacun. Nos politiques urbaines ne doivent pas uniquement concerner la façon dont les villes sont construites et dont elles fonctionnent au quotidien, mais aussi la façon dont elles s’animent ponctuellement. La vie en groupe a besoin de rites, de rythmes, de moments de partage et d’échange. La mise en valeur du patrimoine local, la réinvention d’un récit collectif se réappropriant l’histoire d’un territoire et d’un groupe pour le projeter vers d’autres avenirs, sont des clefs de la création d’identités locales ouvertes et non repliées sur le passé. La culture est un élément clef pour cela dans la mesure où les événements musicaux, artistiques, sportifs créent des opportunités de rencontres et d’échanges.

Pourtant, l’ouverture au monde peut venir de ses voisins d’appartement ou de bureau. L’émergence de villes-mobiles modifie la relation des différents pouvoirs locaux à leurs territoires. Les gares, par exemple, voient quotidiennement passer un grand nombre d’utilisateurs n’habitant pas sur la commune d’implantation du bâtiment : comment décider des aménagements qui sont réalisés à leurs abords ? Imaginer une gestion démocratique des lieux de la mobilité pose de fait la question du mode de gouvernement des villes où la population est en petite partie seulement résidente.

À l’heure des blogs, des réseaux sociaux et des WebTV, la ville pose la question centrale du rôle des médias et des récits locaux dans la structuration de l’expression citoyenne. Elle invite également à accorder un rôle central à la vie culturelle dans la capacité d’un territoire à se mettre en mouvement autour d’un projet partagé. La ville est autant faite de bâtiments que d’événements et ces derniers sont des éléments clefs dans la constitution d’une identité collective locale ouverte sur les autres, sur l’ensemble des communautés participant de cet espace collectif et sur les autres territoires.

La gouvernance des territoires, un enjeu démocratique La construction d’une nouvelle société urbaine renvoie à un véritable enjeu démocratique. Sont en question l’efficacité de nos gouvernements et la responsabilité de chacun à les faire bien fonctionner.

Cette disjonction entre les gens qui vivent sur un territoire (salariés, habitants, commerçants, touristes) et les instances de gestion démocratique doit conduire à améliorer la manière dont les différentes collectivités locales sont élues et interviennent sur le territoire. C’est le sens de nombreuses propositions faites par les socialistes au cours du débat sur la réforme territoriale, malheureusement négligées par le gouvernement. Il est important de hiérarchiser les échelles d’intervention et de rendre contraignantes les priorités définies à l’échelle des agglomérations ou des régions sur les collectivités locales de proximité. Les politiques publiques d’aménagement doivent être cohérentes à l’échelle des régions, ne pas se contredire d’une ville à l’autre, et ne pas se concurrencer. Pour cela, il faudra mettre en place un système de régulation et de péréquation régionale.

|D es collectivités locales retrouvées De cette complexité peut naître la nouveauté et la création. Il est acquis que de nombreuses innovations urbaines sont le fait de grandes agglomérations qui ont dû rechercher des solutions nouvelles aux problèmes posés par l’évolution de la société. La réforme des collectivités préparée par la droite n’a pas su tirer parti des forces vives locales. Elle a voulu les contraindre, elle a stigmatisé les élus locaux et sous couvert Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

21


de simplification, elle opère un formidable mouvement de reconcentration, au détriment des citoyens. Nous devons réaffirmer les missions des collectivités en faveur notamment des services publics locaux. Pour cela, il faut d’abord admettre qu’une organisation pyramidale est possible, acceptable et nécessaire, dans le cadre de la République décentralisée. Cette philosophie avait présidé à l’élaboration d’un cadre d’action clair entre 1998 et 2000 : les lois d’aménagement et d’intercommunalité allaient dans le bon sens. Il faut désormais – et avant que la droite ne casse définitivement tout l’édifice – retrouver cette logique. Cela veut dire notamment rendre les documents opposables les uns aux autres (les plans locaux d’urbanisme doivent être conformes aux schémas de cohérence territoriale, eux-mêmes conformes aux schémas régionaux d’aménagement et aux différentes prescriptions, notamment environnementales) et confier des responsabilités de chefs de file à toutes les collectivités sur les compétences qu’elles exercent le mieux les unes et les autres. Plus que des simples délégations de gestion, les régions doivent se voir transmettre des pouvoirs permettant d’adapter certaines règles aux contextes locaux afin de favoriser la naissance de nouvelles filières industrielles, la création de logements, les contenus de formation des jeunes. Les départements et les agglomérations s’inscrivant dans ces dynamiques seront d’autant plus efficaces pour développer les services adaptés aux populations et aux entreprises. Il n’est pas utile que toutes les villes de France aménagent des zones logistiques, en revanche, il est important que toutes les villes se préoccupent du problème que posent les livraisons. Dans chaque région, des conférences des exécutifs réunissant toutes les collectivités doivent pouvoir proposer des orientations générales à respecter. Ainsi, les agglomérations disposeraient d’une feuille de route : à elles de créer les conditions de la création de nouveaux logements, d’accueillir les entreprises, de développer les services de proximité, en cela, soutenues par les services que rendent le département et la région aux populations sur les territoires. Pour que cette organisation soit efficace, il est nécessaire de renforcer la concertation et la participation des citoyens à la vie de

la cité. Les conseils économiques et sociaux régionaux doivent être ouverts et les conseils de développement dynamisés, au besoin au moyen de crédits leur permettant de développer des projets d’intérêt local. À titre d’exemple, les territoires sont une des bases sur lesquelles organiser la mutualisation des richesses, ressources et projets, inhérente à la nouvelle société urbaine que nous ambitionnons. Pour cela, les réseaux et acteurs de l’économie sociale et solidaire sont non seulement un vivier d’emplois et d’initiatives formidables, ils représentent aussi un des partenaires évidents avec lequel construire les villes de demain.

|R epenser et responsabiliser l’État Cela suppose aussi que les règles d’intervention de la puissance publique soient réaffirmées. En matière de maîtrise d’ouvrage, de délégations de services publics ou de politiques du logement, la ville ne saurait être construite par les seuls intérêts privés, incités par des exonérations fiscales ou encadrés de loin par des partenariats flous. Les habitants, les élus, mais aussi les acteurs privés (promoteurs, architectes, etc.) ont besoin d’une maîtrise publique sûre d’ellemême. Cela passe par une réaffirmation du rôle politique des services publics (quel que soit leur mode de gestion), mais aussi par un cadre légal au service de l’intérêt général. En matière foncière, par exemple, il serait souhaitable de renforcer la maîtrise publique de l’usage et de la destination des sols. Cela passe aussi par un lien enrichi à la population. Les services publics doivent s’incarner dans des femmes et des hommes qui évoluent dans la ville, au quotidien. Qu’il s’agisse de la police de proximité, des animateurs, des services de nuit, des équipes doivent exister en ville. Alors que l’initiative aurait pu être riche de projets novateurs, l’échec de l’ANRU1 vient essentiellement de ce que les habitants et les besoins humains ont très rapidement été évincés du champ des interventions. A cela s’ajoute l’incapacité de l’État à respecter ses engagements politiques et économiques. De plus en plus, les collectivités locales sont laissées face à des situations humaines ou sociales très difficiles du fait du désengagement massif des finances publiques. Les exemples du défaut généralisé de l’État sont malheureusement très nombreux. Les opérations de renouvellement urbain ne sont plus financées par le budget 1. ANRU : Agence nationale pour la rénovation urbaine Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

22


de l’État mais par les loyers des locataires, symboles d’une solidarité entre la population et les plus pauvres, mais dont les plus riches sont exonérés. Dans tous les domaines, l’État se défausse sur les collectivités : service d’accueil en cas de grève dans l’Éducation nationale, RSA, aides à la construction, ou encore investissements par les PPP2 - le crédit revolving des collectivités - au profit exclusif des grands groupes. D’autres preuves d’irresponsabilité et d’inconséquence pourraient être énumérées. Nous estimons qu’avant d’inventer des politiques spécifiques, il s’agit de mobiliser correctement ce qui existe. Expérimenter de nouvelles politiques éducatives ou de sécurité ne doit pas s’accompagner d’une réduction des financements accordés à ces quartiers. Il ne s’agit pas d’exiger une envolée des dépenses publiques : dans le cas du logement, de la politique de la ville ou de la solidarité entre les collectivités, les mêmes crédits seraient mieux alloués s’ils bénéficiaient moins aux lobbies du BTP et des bancassureurs mais plus à des projets de logement et d’équipement publics profitant à toute la population. Au-delà du respect de ses engagements budgétaires, le rôle de l’État doit ainsi être repensé. D’une part, l’exécutif doit veiller à l’application des lois votées : loi SRU3 , droit au logement opposable, notamment. D’autre part, le droit de l’urbanisme doit s’assouplir et énoncer des objectifs de performance, alors qu’il n’est aujourd’hui qu’un recueil d’interdictions. La ville doit être faite par des projets collectifs, co-produits par la population et portés par les politiques plutôt qu’arrangée par les promoteurs. Si nous revendiquons les possibilités d’expérimentation et la créativité dans les politiques urbaines, nous réaffirmons que cela ne saurait signifier une liberté d’action complète pour les promoteurs. Cela signifie que les contraintes doivent évoluer pour encadrer les objectifs (confort, prix, empreinte environnementale, insertion dans l’espace public, contribution à la mixité sociale et fonctionnelle, etc.) et les cadres d’élaboration des projets (co-production, respect des équilibres et orientations inscrits aux documents intercommunaux et régionaux, etc.).

De la vie dans nos villes Les villes sont au cœur de la construction de cette nouvelle société urbaine. Il est naturel de trouver des conséquences de ce projet global dans la forme urbaine, dans les façons de produire et de répartir la richesse comme dans les façons de bâtir ces territoires dans lesquels nos vies vont s’inscrire. Nous considérons que les villes sont un outil de transformation de la société et pas seulement un contre-pouvoir ou un palliatif face aux défaillances du niveau national. Elles contribuent, avec l’ensemble des cadres sociaux, à construire la société dans laquelle nous vivrons. La reconstruction d’un projet doit partir des besoins des habitants considérés comme des sujets et pas seulement comme les objets de politiques publiques : - vivre en sécurité (dans les quartiers, dans les parcours de vie, etc.) - se déplacer (changer physiquement de lieu mais aussi pouvoir changer de vie ou s’évader dans la tête) - jouir d’une identité (et de lieux d’appartenance variés) - accéder aux services (la ville dense est aussi une ville de services) C’est l’équivalent d’un New Deal urbain, d’un projet progressiste sur la ville et ses territoires que nous devons élaborer afin de penser et préparer un avenir incertain. Remettre l’homme au centre de la ville, en tant que fin et moyen, et promouvoir le bien-vivre urbain au lieu du bien-être, pour reformuler un projet de société urbaine plus juste et plus écologique, pour réhumaniser la ville.

2. PPP : Partenariat Public Privé 3. Loi SRU : loi de décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains Forum des !dées - Pour une nouvelle société urbaine

23


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.