Les services publics personnalisés Transformer l’action publique, vers l’égalité réelle
Avril 2011
Les rapports établis par les groupes de réflexion du Lab sont des contributions libres aux débats et réflexions politiques du Parti socialiste. www .laboratoire-des-idees .fr
Introduction
Les services publics sont au XXIe siècle, comme ils l’étaient à l’aube de la IIIe République, un enjeu fondamental de démocratie et d’égalité réelle. Aujourd’hui comme hier, les Français attendent de leurs services publics qu’ils répondent à des besoins élémentaires, qu’ils contribuent à l’éducation et à l’émancipation des citoyens, qu’ils assurent la cohésion territoriale et la sécurité, qu’ils cimentent la société, bref qu’ils soient les rouages à la fois concrets et symboliques de l’intérêt général et du pacte républicain.
plus en plus formatés a priori par des programmes, règles et dispositifs1 ». Or la prestation de masse, la codification uniforme, la segmentation des publics selon de mauvais critères, la qualité de service évaluée par sondages ne constituent pas une modernisation des services publics. C’est une quête absurde de fausse performance, qui supprime des emplois, aggrave les inégalités entre les personnes et entre les territoires, génère du mal-être au travail et des tensions2.
Force est de constater l’écart qui se creuse entre ces attentes et la réalité. Les services publics sont abimés dans leur capacité à répondre aux besoins et dans leur organisation territoriale. Ils souffrent d’un déficit de considération, de vision, de projets, d’innovation, voire de légitimité — fruit fatal d’une « modernisation » décidée d’en haut, dont nos concitoyens et les agents qui leur font face au quotidien ont été mis à l’écart. A contrario, il faut repartir de ce quotidien pour reconstruire l’action publique — et son efficacité — dans notre pays.
Cette forme de « modernisation », présentée comme la réponse « évidente », « de bon sens », et finalement « unique », à l’exigence légitime d’efficacité de la dépense publique, est souvent contreproductive et coûteuse. Accroître anarchiquement les investissements informatiques, généraliser les « guichets uniques » sans modifier en conséquence les « tuyauteries » internes, prétendre moderniser les administrations et services publics par morceaux sans les décloisonner, afficher une « qualité de service » mesurée par des standards, des ratios moyens et de coûteux sondages d’opinion, cela ne fait pas une politique d’ensemble des services publics.
L’obsession comptable, les politiques du chiffre, et les dogmes libéraux (le fameux new public management !) sont en cause. Le coût réel des réformes mal conduites par la droite sera à inventorier ! Réduire le périmètre et les ressources des services publics, prêter aux agents des motivations purement monétaires et aux usagers des comportements de simples clients face à des « fournisseurs », c’est à la fois offenser le professionnalisme et l’engagement des agents publics, méconnaître les besoins des usagers, agir à rebours des attentes des citoyens et spolier le contribuable des mécanismes de solidarité et de la cohésion sociale auxquels il pense contribuer. L’exercice de réforme actuel revient à imposer aux usagers des services individualisés de masse et aux agents publics « des actes professionnels de
D’autant plus que pendant ce temps, les besoins collectifs s’intensifient et se diversifient avec les mutations que connaît notre pays. L’accroissement de l’activité des femmes, l’allongement de la durée de la vie, les bouleversements dans les modes de vie amènent à reconsidérer les frontières entre la sphère familiale et la sphère publique. Les services publics étaient conçus comme « impersonnels », la relation de service devant rester « anonyme ». Des relations à la fois interpersonnelles et professionnelles sont à organiser pour recréer la confiance, qui est au Francis Ginsbourger, « Des services publics face aux violences, concevoir des organisations source de civilité », éditions de l’Anact, avril 2008
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Tensions entre les usagers, tensions entre les usagers et les agents
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fondement des besoins émergents. Les citoyens-usagers expriment une demande de services publics qui ne se satisfait plus des réponses standardisées ou des traitements anonymes : ils attendent de « leurs » services publics une proximité effective. Ces exigences de proximité et de prise en compte de l’autonomie des personnes, ainsi que la diversité croissante des publics — selon les territoires, les âges et les générations, selon les modes de vie et de sociabilité — dynamitent l’approche traditionnelle des services publics. L’idée selon laquelle « ce qui est bon pour l’usager » pourrait être défini de manière uniforme à l’échelle du pays, ou même d’un territoire, a vécu. Les élus politiques ou les administrations sont garants de l’intérêt général, mais n’ont pas le monopole de sa définition. Nos concitoyens attendent des services publics qu’ils apportent des réponses à tous, mais aussi des réponses appropriées à chacun. De plus en plus, ils souhaitent également participer à la conception des services publics. Une politique progressiste des services publics doit concilier trois ambitions : un souci premier d’égalité du citoyen, les exigences légitimes du contribuable, les besoins singuliers de chaque usager. Dans une période où s’affirme une tendance lourde à la personnalisation et à la diversification des usages, il importe de concilier ces finalités sans les confondre. Une politique progressiste des services publics personnalisés doit s’assigner trois objectifs : • Combiner « prestations standardisées », qui restent inévitables pour des raisons pratiques et pour la bonne productivité de l’argent public, et « ajustements mutuels », qui requièrent expérience, professionnalisme et métier des agents, • régler au plus fin la relation de service, en tenant compte de la spécificité des publics, en adaptant les modes de délivrance des services aux territoires, • viser la qualité effective de la relation à la collectivité qu’est la relation de service public
Aux services individualisés de masse, nous voulons substituer des services collectifs personnalisés. Face à l’impasse actuelle, nous ouvrons la perspective d’une transformation des services publics pour et avec les usagers, faisant de l’expression de leurs besoins et attentes le moteur du changement, et d’une efficacité sociétale, évaluée et mesurée à plusieurs niveaux complémentaires, la finalité réaliste de profonds changements. Les services publics personnalisés représentent en ce sens un formidable défi démocratique. Coconcevoir et co-construire des services publics avec les usagers, les agents, les élus et les opérateurs, c’est faire à nouveau des services publics des biens communs dont chacun a le souci mais dont personne n’a le monopole. Cela implique la mise en place de formes d’expression conduisant à la formulation d’une idée commune de ce que doit être le service, la valorisation des connaissances de proximité des acteurs et une utilisation pertinente des apports du numérique. L’ampleur de cette transformation doit être accompagnée d’une valorisation forte du rôle des agents publics, mieux formés, motivés, réellement reconnus. Cette nouvelle ambition pour les services publics tourne sans équivoque le dos à des années de dévalorisation des agents publics et de leur mission. C’est une révolution pour les services publics, aux antipodes de la contre-réforme néolibérale qui guide les différentes vagues de « modernisation de l’état » depuis les années 1970 et applique mécaniquement la logique marchande à l’action publique. Cette révolution ne se contente plus de l’égalité formelle. Elle se donne l’égalité réelle pour ligne de mire, dans une société du bien-être qu’un état prévoyant ne doit pas seulement tenter de réparer, mais contribuer à préparer. Elle implique de bâtir, depuis le niveau le plus microlocal jusqu’à la comptabilité nationale, des critères et des indicateurs d’efficacité sociétale qui compléteront et se substitueront à la comptabilisation budgétaire et productiviste des dépenses publiques.
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Sans aucun doute, on opposera à ce projet la situation des finances publiques qui tétaniserait toute volonté de transformation. Pourtant, dans la crise, l’innovation n’est plus simplement désirable, mais indispensable. Et seule une transformation partagée, échappant aux logiques bureaucratiques, permettra à l’avenir, le bon — le meilleur ? — usage de l’argent public.
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Sommaire
Introduction
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I- Réforme de l’État et transformation des services publics : occasions manquées, destructions programmées… et raisons d’espérer
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Un souffle à retrouver La perversion de la réforme Des embryons de transformation utile… à protéger et développer
II- égalité réelle, autonomie, co-production : les fondements des services publics personnalisés
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Dépasser les paradoxes Des personnes au cœur des relations de service Autonomie et capacité de chacun à exprimer ce qu’il juge bon pour lui-même Co-concevoir et co-produire : organisation des relations de service public et intérêt général
III- Nouvelle donne, nouvelle organisation : pour une utopie de gestion
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Favoriser et organiser l’expression des besoins de l’usager réel « équiper » les agents des services publics La personnalisation des services publics à l’âge numérique Un horizon de maîtrise des coûts
IV- Les services publics personnalisés peuvent changer la vie des Français
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Exemples de transformation de la relation de service public
Conclusion
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Réinventer l’action publique
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I- Réforme de l’État et transformation des services publics : occasions manquées, destructions programmées…et raisons d’espérer Un souffle à retrouver
La perversion de la réforme
Depuis les lois de décentralisation de 1982, aucun programme politique d’envergure n’a porté une vision globale de la transformation de la puissance publique, au service à la fois des usagers (en organisant l’expression — micro-locale — des besoins et en lui répondant par de nouveaux espaces démocratiques), des citoyens (en assurant l’égalité et l’impartialité des services publics) et des contribuables (en maîtrisant les coûts). Tout s’est passé depuis lors comme si la réforme de l’état, et plus largement des trois fonctions publiques, ne faisait pas partie des sujets « politiques », au sens d’un débat ambitieux faisant ressortir et se confronter plusieurs visions différentes de l’avenir de notre société. Pourtant, de telles visions différentes existent aujourd’hui, sans doute plus que jamais depuis l’avènement de la Ve République.
Faute d’une vision ambitieuse et générale, les tentatives les plus récentes de « réforme » de l’état — au premier rang desquelles la RGPP — se sont inspirées du « new public management », avatar public des vieilles méthodes du management privé (que les entreprises abandonnent d’ailleurs largement), privilégiant le quantitatif sur le qualitatif, les chiffres et les indicateurs absurdes plutôt que les compétences réelles des agents, et abimant leur capacité à co-produire des biens communs avec les usagers.
Vingt ans après la loi Deferre, porteuse d’une plus grande proximité dans la relation entre services publics et usagers, l’acte 2 de la décentralisation de 2003-2004 s’est traduit par un transfert brutal de compétences de l’état aux collectivités territoriales, sans le transfert complet des moyens financiers correspondants. Les « Stratégies ministérielles de réforme » lancées en 2003, les « Audits de modernisation de l’état » en 2005 et enfin la Révision générale des politiques publiques (RGPP) en 2007 sont restés des exercices technocratiques et comptables, aux effets principalement négatifs3, y compris pour le contribuable (des « économies ruineuses » qui plombent l’avenir). Un véritable esprit de recentralisation s’est emparé du pouvoir après 2007. Il a tétanisé l’action publique.
Le thatchérisme en Grande-Bretagne avait pourtant montré les ravages engendrés par la confusion entre modernisation et réduction des services publics. En France, les transformations portées par la RGPP se résument souvent à des fusions de services de l’état, certes spectaculaires et faciles à afficher politiquement, mais sans réel impact financier immédiat, voire carrément avec un impact négatif à long terme (affaiblissement de la capacité publique d’expertise, sous-investissement dans l’éducation ou la santé, etc.). La RGPP n’a pas donné lieu à une évaluation fine des besoins et attentes des Français au XXIe siècle, ni à une réflexion sur les processus de productions administratifs, ni à une réorganisation des équipes à un niveau fin, ni à des pratiques négociées de changement d’organisation. Pourtant, seul un tel exercice englobant pourrait être véritablement porteur d’économies et d’amélioration des services publics. Les coûteuses consultations de cabinets privés, sans écoute des usagers ni des agents — qui, pourtant, sont au cœur de l’expérience de service public ! — semblent avoir 3 La RGPP s’est essentiellement traduite par la suppression indistincte de dizaines de milliers de postes de fonctionnaires, même ses conséquences budgétaires, en termes d’économie pour l’état, sont ridicules — surtout en regard du désordre et de l’appauvrissement collectif générés.
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eu pour seule fonction la justification à tout prix du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Les vrais sujets de la modernisation, comme la désegmentation des administrations (pour en finir avec les « silos » qui multiplient les interlocuteurs et les « comptes » d’un seul et même usager), l’évaluation des besoins ou l’association des usagers-citoyens à la prescription de service public, sont totalement absents du radar de la RGPP. Concernant la présence des services publics sur le territoire, la « réforme » ainsi conduite mène à une nette dégradation de la qualité des services rendus, dont l’expression la plus douloureuse est la « SaintBarthélémy » des services publics de proximité (réduction des sites sur les cartes judiciaire, scolaire, hospitalière…). Un des fondements du service public, l’accès égal à la prestation, a été compromis, avec la multiplication de « zones blanches » dans les territoires de marge, en banlieue ou dans les zones rurales. L’absence de réflexion sociétale a eu pour corollaire, comme si cela allait de soi, une réforme envisagée sous l’angle exclusif de la productivité et des « économies » budgétaires. Un simple exemple parmi tant d’autres : la carte Vitale, dont l’intérêt pour les finances publiques n’est pas douteux (le traitement informatisé permettant des économies par rapport au traitement des « feuilles de sécu ») mais qui pourrait rendre beaucoup plus de service à l’usager : on aurait pu imaginer, par exemple, qu’elle joue un rôle de « carnet de santé électronique », fournissant des informations sur la consommation de médicaments, les échéances de vaccination, etc. Un tel tropisme comptable traduit une conception du service public comme coût, charge, et non comme investissement ou lieu de création de valeur. C’est faire l’impasse sur le citoyen, dans ses exigences les plus pointues en matière de démocratie et de transparence, de même que sur l’usager, dans ses besoins des plus généraux au plus intimes. Une autre manière de penser et d’agir s’impose dès lors qu’un pan entier des services jusque là exercés par l’entourage familial — on pense notamment à la prise en charge de la dépendance — basculent dans le champ public. Cette mutation majeure impose, parmi d’autres tendances sociétales lourdes, une réflexion approfondie sur la personnalisation.
Il faut évoquer également des entreprises publiques qui, plutôt que de profiter d’une certaine autonomie et souplesse d’organisation pour engager un travail de personnalisation utile, se sont engagées dans un processus de « segmentation » du public selon des critères technocratiques, prédéfinissant une offre standardisée par « type » de clientèle, sans vraiment tenir compte des « usages » réels (et donc des besoins) des personnes qui utilisent le service (EDF, SNCF, La Poste,…). L’exemple de La Poste est édifiant, l’entreprise mettant en place des « formats » d’offre selon une typologie élaborée avec le croisement des statistiques nationales (Insee, …) et de données émanant de ses systèmes d’information (fréquentations, chiffre d’affaires, surface du bureau de poste…).
Des embryons de transformation utile… à protéger et développer Des initiatives existent, à plus ou moins grande échelle, qui ouvrent des chemins innovants vers une transformation des services publics adaptée à la nouvelle donne sociétale. Si ces progrès de la personnalisation, bien réels, sont souvent entravés par le manque de moyens (et surtout, l’incapacité d’un redéploiement en profondeur des objectifs et des ressources), il est flagrant que la personnalisation reste utopique dans une gestion centralisée, hyperhiérachisée et réticente à l’innovation. L’instauration de l’APA, à l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin, a montré voie. Depuis 2002, les personnes âgées bénéficient d’une allocation personnalisée pour l’autonomie, dont l’objectif est de leur laisser le libre choix de leur mode de vie. Le maintien à domicile avec une aide est proposé au même titre qu’une place en établissement spécialisé. Ce début de personnalisation permet le versement d’une allocation différenciée selon le mode de prise en charge et le niveau de dépendance. La loi portée par Paulette Guinchard-Kunstler prévoyait que la personnalisation soit facilitée par une nouvelle structure : le centre de liaison et d’information communaux (CLIC). Mais, faute de budget et
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d’ambition, cette démarche est souvent restée embryonnaire dans les départements4. Les personnes handicapées, avec la loi de 2002 réhabilitant les cadres de l’action sociale et médicosociale, ont désormais le choix de leur projet de vie, qu’elles définissent en lien avec leur famille et leurs accompagnants selon leurs capacités. Mais, alors que les maisons départementales sont asphyxiées sur fond de désengagement de l’état, un projet de loi envisage de remettre en cause le projet personnalisé de compensation. La prise en charge du handicap reste inégale selon l’origine sociale et selon l’âge. Après 60 ans, l’incapacité survenue n’est plus considérée comme un handicap. L’accompagnement des enfants en situation de handicap, à la crèche, à l’école, dans leurs loisirs, demanderait bien d’autres ressources que celles qui y sont affectées. On est terriblement loin de la personnalisation… Les demandeurs d’emplois, notamment les cadres, peuvent bénéficier d’un Programme personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE), fondé sur une analyse approfondie des compétences et des besoins de chacun, et débouchant sur un plan d’action à mettre en œuvre. Mais là où le principe semble porteur, le manque d’effectifs mis à la disposition des structures d’accompagnement, est source d’un cadrage bureaucratique qui fait peser le doute sur l’efficacité et la viabilité du projet. La petite enfance constitue un terrain privilégié pour le déploiement de solutions personnalisées : gardes itinérantes, horaires étendus, flexibilité de prise en charge, co-gestion… L’offre de services personnalisés reste néanmoins encore peu développée et résulte plutôt d’expérimentations ponctuelles, émanant d’initiatives locales de la société civile sans cadre public permettant de garantir l’égalité en la matière. Alors la personnalisation finit par n’être plus accessible qu’aux plus aisés, cependant que la prestation de masse s’impose à la plupart. Localement, les points d’information médiation multiservices (PIMMS) remplissent des missions de médiations dans les quartiers sensibles. Leur création en 1995 à Lyon sous forme associative a
été initiée en réponse aux problèmes de sécurité, par des professionnels liés à la politique de la ville : éducateurs, travailleurs sociaux et missions locales notamment. Les associations du quartier comme l’Union des habitants et l’Union des commerçants ont été très présentes. La souplesse d’organisation des PIMMS leur a permis de prendre en compte de nouveaux besoins, et de mettre en place de nouveaux services : lectures et accompagnement de personnes âgées ou malvoyantes pour retirer de l’argent ; pédagogie sur les comptes bancaires ; aide aux personnes ayant des difficultés de compréhension (étrangères par exemple) ; rédaction de curriculum vitae, de contrats, de feuilles d’impôts ; interface avec d’autres services publics comme les Caisses d’allocations familiales, etc. L’offre varie en fonction des besoins de telle sorte que les services rendus par les PIMMS varient d’un lieu à l’autre. On a là typiquement un mode d’exercice de la relation de service public qui fait émerger des besoins et apporte des réponses appropriées.
4 Hors de France, en matière de compensation de la dépendance, l’exemple britannique est intéressant. Le programme InControl permet à une personne âgée de décider, dans un cadre défini, des modalités d’intervention des « aidants » — professionnels, proches, etc. Même si, avec un recul de quelques années, il apparaît que le programme InControl demeure trop « top-down », avec l’imposition d’un mode de co-production et d’autonomie imposée qui ont effrayé une partie des bénéficiaires potentiels. D’où l’importance de laisser l’usager formuler ses besoins, et de porter un soin très important à la communication autour du/des services.
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II- égalité réelle, autonomie, co-production : les fondements des services publics personnalisés La personnalisation peut devenir l’un des fils conducteurs d’une réforme en profondeur des services publics. Elle exige une façon nouvelle d’écrire la loi commune dans notre République, en donnant au droit suffisamment de souplesse pour prendre en compte les vies et les situations réelles. Mais la personnalisation ne se limite pas à la compréhension des différences quant on écrit la loi ou quand on élabore des politiques publiques. Elle doit mobiliser des principes d’action nouveaux, qui tranchent avec les systèmes verticaux qui ont marqué notre histoire.
Dépasser les paradoxes Les Français sont attachés aux services publics, au nom des valeurs de justice et d’égalité. Ces valeurs demandent à être ressourcées à la lumière de deux préoccupations majeures : • comment maintenir le caractère public du service dans une « société d’individus » exprimant des besoins et attentes diversifiés, tout en disposant de ressources inégales pour répondre à ces besoins et attentes ? • comment les services publics peuventils échapper à une vision strictement budgétaire et à des méthodes de gestion mécaniquement transposées du secteur marchand, sans perdre de vue des exigences d’efficacité ? Pour aller vers davantage d’égalité réelle, la puissance publique — au sens large6 — doit non seulement diversifier ses réponses, mais considérer, plus fondamentalement, que la relation de service public ne fonctionne pas sur un mode « questionréponse », pas plus d’ailleurs que sur un mode « offre-demande ».
Deux postulats erronés, l’un de tradition étatiste et l’autre de tradition néo-libérale, nous ont conduits à la situation actuelle. Le postulat bureaucratique consiste à considérer que seuls les élus politiques et les agents publics sont habilités à définir l’offre de services publics, c’est à dire à définir « ce qui est bon pour » des « administrés ». Le postulat marchand prétend renverser le premier : les services publics devraient se borner à « répondre » aux demandes de leurs « clients » et à les satisfaire. Pour sortir de cette impasse, il y a lieu de considérer que l’expression par chacun de ses besoins et attentes est un moment essentiel de la relation de service7, qui engage simultanément les usagers et les agents. En favorisant l’expression et la co-production de réponses différenciées à des situations différentes, la lutte contre les inégalités pourra acquérir une nouvelle efficacité.
Des personnes au cœur des relations de service La référence à la personne, qu’elle soit usager ou agent, permet d’enraciner les politiques publiques dans un ensemble de pratiques professionnelles variables, attentionnées, différenciées. La personnalisation implique des règles visant à organiser les relations de service. Il faut notamment protéger les agents dont le métier (par définition collectif) doit être renforcé pour faire face à l’expression de chacun et la susciter, sans trop « prendre sur eux » — comme c’est trop souvent le cas actuellement. La personnalisation se distingue
Non seulement l’état, mais aussi les collectivités locales, les organismes sociaux ou les grandes entreprises publiques.
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7 Ce que les chercheurs en gestion du CGS-Mines ParisTech, Armand HATCHUEL et Frédérique PALLEZ, appellent prescription.
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ainsi de « l’individualisation » anarchique, qui génère des demandes contradictoires, et une nouvelle forme de subordination des agents publics qui s’apparenterait à de la servilité.
qui installe des personnes dans la dépendance, ni avec des injonctions culpabilisantes à l’autonomie, qui présument une indépendance inaccessible en réalité.
En rupture avec l’individualisation qui reste prise dans une conception « industrialiste », la prise en compte des personnes concerne tout autant : • des agents, qui, à force de trop prendre sur eux du fait du « débordement du social », se sentent usés et adoptent des comportements de retrait ; • des usagers, qui, partant du sentiment que leur situation singulière n’est pas prise en compte et qu’ils ne sont que des numéros de dossier, en arrivent à se montrer consuméristes et parfois agressifs, à considérer que les services publics ne leur « appartiennent » plus. Dès lors, ils « exigent leur dû », tout simplement…sans se sentir nullement engagés en tant que citoyens.
La personnalisation reconnaît le caractère complexe de l’autonomie, apprentissage au long cours qui implique la construction de capacités d’émancipation, et antidote à des processus de fragilisation, de marginalisation et d’exclusion. Elle permet, en créant les conditions pour que chacun puisse s’exprimer, de sortir d’une notion de « prise en charge » qui contribue parfois à fabriquer des « bénéficiaires » passifs.
Les effets pervers et les surcoûts induits par cette perversion du caractère public du service, pour chacun et pour la collectivité, sont trop graves aujourd’hui pour qu’on n’en recherche pas les fondements. Les services publics ne doivent plus être vécus comme fournissant des prestations, mais comme le lieu de relations à la collectivité. Ces relations doivent être empreintes à nouveau de réciprocité, de solidarité, de civilité ; elles doivent traduire une volonté de faire participer les acteurs de la cité à la vie collective, une volonté de renforcement de la cohésion sociale par de nouvelles formes d’échange social.
Autonomie et capacité de chacun à exprimer ce qu’il juge bon pour lui-même Avancer sur le chemin d’une égalité réelle, c’est apporter des ressources d’expression à ceux qui en sont aujourd’hui les plus dépourvus. Cela n’a rien à voir, ni avec une posture charitable
De façon plus large, la personnalisation des services publics permet de penser les pratiques professionnelles d’aide à la personne ainsi que l’exercice des métiers liés à ce qu’il est convenu d’appeler la « dépendance ». Dans cette matière, la relation de service public doit se penser à la fois du côté de l’usager qui ne doit pas être traité en individu anonyme, ni en objet de compassion, et du côté des agents et de leurs métiers. Mais la personnalisation, loin de se limiter à la santé, et au travail du soin en général, permet un champ d’application beaucoup plus vaste : l’éducation, la sécurité, l’emploi…
Co-concevoir, co-produire : organisation des relations de service public et intérêt général La conception bureaucratique de l’organisation des services publics, sans étude préalable des besoins de la population ni prise en compte des retours d’expérience avec les usagers, justifiait la fourniture de prestations de masse standardisées et, dans bien des cas, la concentration géographique des services. L’uniformité de traitement remplaçait l’égalité de traitement. L’usager cédait la place à un « bénéficiaire » placé dans une situation passive où des agents prescrivent ce qui est bon pour lui. Les marges de manœuvre « informelles » des uns et des autres se sont réduites à mesure que des modes opératoires et des indicateurs ont « formaté » les relations.
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C’est dans ces conditions, comme le reconnaissait le Conseil d’état dans son rapport annuel de 1996, que « l’égalité des droits peut aller de pair avec l’inégalité de fait ». Se focaliser sur le caractère égalitaire de la prestation délivrée sans se soucier ni de l’inégalité de situation originelle ou finale dans laquelle se trouvent les usagers ni des ressources et des possibles qu’ouvre (ou que ferme) le service public à chacun, constitue une dérive manifeste. Dès lors, le service public tend à se réduire à un ensemble de prestations sur la qualité desquelles on demande à l’usager de se prononcer (la fameuse « évaluation de la qualité de service »), mais sans le rendre acteur. Il nous faut entendre ce que dit Amartya Sen : « Se focaliser sur les vies réelles dans l’évaluation de la justice a des conséquences nombreuses et importantes pour la nature et la portée de l’idée de justice »8. Si l’on parle ici de rendre les services publics aux usagers en personne, ce n’est pas seulement dans l’idée de les « associer », de les faire « participer », ou de les rendre « évaluateurs » de quelque chose qui serait défini a priori et en dehors d’eux. C’est de façon générale, considérer que la parole « profane » de chaque usager doit pouvoir interroger et interpeller la parole « experte » de l’élu, du technicien ou de l’agent de base. C’est rendre l’usager « partie prenante » de la conception, de la mise en œuvre et de l’évaluation des services publics, prescripteur et non simple utilisateur. Les services publics regagneront en légitimité aux yeux de la population, qui, plutôt que de s’en servir comme des machines, se les appropriera comme des biens communs.
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Amartya Sen, L’idée de justice, Flammarion, 2010
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III- Nouvelle donne, nouvelle organisation : pour une utopie de gestion Favoriser et organiser l’expression des besoins de l’usager réel La personnalisation des services publics appelle des ressources dédiées à la professionnalisation de l’écoute des usagers, à l’organisation de la « remontée » de l’expression de l’usager réel dans le fonctionnement des organisations, à la traduction des nouveaux besoins dans la conception des choix d’organisation et dans une évolution continue de cette organisation. Cette démocratie du quotidien réclame de nouveaux espaces, une définition claire des sphères de légitimité de chacune des « parties prenantes » au service public, et ne doit pas, bien au contraire, s’abstraire de considérations d’efficacité. Par définition, la personnalisation ne peut pas être décrétée « d’en haut ». La personnalisation, par la co-production des services publics avec les usagers et leur inclusion comme « prescripteurs », doit devenir un principe de gestion. Cette nouvelle donne s’intègre dans un ensemble déjà constitué de règles, et amène à reconsidérer cet ensemble. C’est une révolution, en ce sens que les services publics personnalisés repositionnent les services publics dans une « société des individus ». Mais c’est d’abord une « utopie réaliste », d’autant plus que cette vision des services publics personnalisés prolonge des manières de penser et d’agir qui sont déjà à l’œuvre, ou l’ont déjà été, de façon ponctuelle ou expérimentale ; on pense aux expériences initiées par Bertrand Schwartz dans les années 80, ou encore aux nouvelles formes de « dialogue sociétal », telles que les Bureaux des Temps dans des grandes villes françaises. Cette utopie réaliste est une grille de lecture qui permet de rendre compte de ce qui se joue chaque
jour lorsque, tout simplement, des administrations et des services publics offrent aux agents des ressources organisationnelles — compétences, formations, temps d’échanges, espaces de travail, agencements informatiques… — favorables à l’aménagement des relations avec les usagers. Les enseignants, les puéricultrices, les personnels soignants, les « travailleurs sur autrui » — selon l’expression de François Dubet — n’ont pas attendu une « théorie » pour concilier les besoins de tous et les attentes de chacun — même si les attaques à répétition menées ces dernières années contre la formation de ces agents et les coupes dans les effectifs mettent en danger, là aussi, les marges de manœuvre. Des arbitrages de tous les instants sont, de même, le lot quotidien du machiniste de bus et du gardien de prison. Ces professionnels de la relation de service doivent en permanence arbitrer entre logique de production (technique, règlements), logique de performance (résultats attendus) et logique civile (relation de service avec les usagers sur un espace public) ; concilier des attentes (parfois contradictoires entre elles), bref jongler avec de nombreux paramètres. Ils doivent pour ce faire composer avec des moyens (effectifs), des ressources (limitées), des impératifs d’efficacité (rentabilité, productivité…) ou des exigences politiques (lorsque par exemple l’efficacité des politiques est censée se refléter dans quelques chiffres). Le problème survient lorsque certaines logiques en écrasent d’autres et les empêchent de s’exprimer. C’est actuellement le cas : les logiques de production et de performance écrasent la logique civile, dans une période où, précisément, il faudrait repartir de là pour apprendre à recomposer l’ensemble, en
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misant sur la conscience professionnelle des agents publics et leur expérience, et en les adaptant à la nouvelle donne sociétale. La relation de service public ne se satisfait plus d’une conception a priori de l’offre, de connaissances statistiques des besoins (marketing) ou des jugements a posteriori (évaluation par sondage) des usagers, d’une hiérarchie qui dicte les consignes, bref d’un système qui descend du haut vers le bas, « topdown ». Mais il ne suffit pas de lui substituer, par une simple inversion, un système « bottom-up », qui fonctionnerait par la démocratie participative, par le contrôle citoyen sur les experts, bref une inversion telle que le management de proximité n’aurait plus lieu d’être, remplacé par des agents de première ligne faisant remonter les attentes des usagers… Ni « top-down », ni simplement « bottom-up », une politique de personnalisation des services publics est plutôt celle qui suit un mouvement d’aller et retour, où les connaissances élaborées à tous les niveaux descendent et remontent. Il s’agit d’encourager l’expression des utilisateurs par de multiples moyens (qui peuvent être très simples : boîtes à idées, cahiers d’expression, lieux pour recevoir suggestions et plaintes, etc. avec engagements de suivis.) et, sur ces bases, d’organiser des échanges et des débats ouverts et non formalisés. Si des commissions de consultation des usagers existent aujourd’hui parfois, elles n’ont en général aucun pouvoir réel. Pour aller vers une véritable expression des besoins, il est indispensable de doter les structures de participation des usagers de réels pouvoirs (au moins de suspension de certaines décisions, d’obligation des réponses des responsables, voire même de véto suspensif sur certains enjeux) et de favoriser l’élection comme mode de désignation de leurs membres (comme dans les Conseils d’école).
« Équiper » les agents de services publics Les services publics personnalisés sont aussi l’occasion de promouvoir l’idée d’un dialogue social amélioré dans les services publics, et d’en finir avec le sentiment d’une confrontation entre des agents
harassés et des usagers qui se plaignent d’être trop souvent pris en otage. Pour cela, la personnalisation suppose que collectivement, les agents aient les ressources adéquates et suffisantes pour « adapter la relation de service » au plus fin, en fonction de l’autonomie de l’usager. élaborer la « bonne distance », ne pas trop prendre sur soi est la marque du professionnel de métier. Ce qui vaut de façon aigüe pour des situations de dépendance (vieillesse, handicap, maladie, dépression, etc.) ou de fragilité sociale (précarité, pauvreté et exclusion) a valeur plus générale pour les relations de service public : il faut aussi apprendre la « distance » dans les métiers de la petite enfance, de la sécurité, etc. C’est ce le chemin étroit qui évite de verser d’un côté dans l’individualisation anarchique ou de l’autre dans la routine impersonnelle. La relation ainsi construite devient une relation d’assistanat, si elle ne contribue pas à renforcer les capacités de l’individu, à le constituer comme sujet de son destin. Exercer dans la durée une telle responsabilité implique de repenser le travail des agents, en y faisant une place fondamentale pour le partage d’expérience et de bonnes pratiques entre pairs, la capitalisation des connaissances des besoins et des attentes des usagers, l’élaboration collective et l’écoute mutuelle. La formation initiale et continue des agents doit tenir compte d’exigences nouvelles, notamment des nécessaires compétences d’écoute induites par la personnalisation. à l’inverse d’une main d’œuvre interchangeable et précaire, des services publics personnalisés nécessitent de véritables professionnels et donc une reconstruction des métiers publics.
La personnalisation des services publics à l’âge numérique De plus en plus, sans que ce soit a priori positif ou négatif, le premier point de contact de l’usager avec les services publics est un écran. L’âge numérique est aujourd’hui bien réel, et l’enjeu est d’en faire une opportunité pour les citoyens et la sphère publique, alors qu’il est jusqu’à maintenant largement capté
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par l’économie privée ou dévoyé dans la sphère publique11. Internet a aussi habitué de nombreux Français à obtenir du marché la plupart des biens et des services sur mesure, dans des délais plus courts. À la consommation de masse succède une consommation de plus en plus personnalisée. C’est pour les services publics un défi majeur. Mieux utiliser les technologies de l’information et de la communication peut aider les administrations à changer de culture et à penser en termes de personnalisation. Paradoxalement, les technologies permettent la construction d’une relation plus complète de l’usager aux services publics. En premier lieu, la personnalisation des services publics en ligne, prise à son niveau le plus radical, réclame la disparition des « sites web » traditionnels et souvent obsolètes de l’administration électronique, et leur remplacement par les outils qui permettent d’insérer au maximum la démarche administrative dans le « moment de vie » qu’elle vient servir : fournir des éléments d’information, des services de validation, de production de document, des informations sur les accès faits aux données administratives qui nous concernent, des liens avec ceux qui peuvent nous aider dans une passe difficile, un projet complexe, une aventure collective. Prenons l’exemple du site impots.gouv.fr . Ses évolutions annuelles ne remettent jamais en cause le postulat (déclinaison du principe « do it yourself » ) selon lequel il revient au contribuable de passer du temps à chercher de l’information, à remplir une déclaration, à risquer de se tromper, etc. Pourtant, on pourrait imaginer une autre conception de la relation de service : considérer la déclaration d’un élément de revenu ou de dépense comme un service devant être rendu automatiquement — de manière sûre, garantie, explicite et confidentielle — par l’employeur, la banque, l’association à laquelle on cotise, garantir ainsi la fiabilité des informations données, ainsi que l’impossibilité de se tromper par incompréhension12. En deuxième lieu, il importe de souligner que
l’administration électronique ne se réduit pas aux démarches auprès des administrations. Bien plus souvent, l’administration réglemente la manière dont les acteurs économiques ou sociaux doivent interagir — en s’acquittant de la TVA sur les transactions entre eux, en obligeant à une information loyale sur les produits échangés ou sur la compétence de ceux qui rendent un service (médical, par exemple). Là aussi, le recours aux outils numériques permet de transformer le service public : le respect de la règle peut être grandement simplifié par la fourniture aux acteurs de plateformes de scripts de transactions leur garantissant le respect des règles en vigueur — ce qui n’est en rien contradictoire avec l’intervention des agents publics mais permet à cette dernière de se concentrer sur leur valeur propre : informer, expliciter, conseiller, assister. De telles plateformes pourraient supprimer les « détours administratifs » dans des domaines aussi variés que les transactions immobilières (notaires), l’assistance juridique (avocats), et nombre de professions réglementées. Encore faut-il que cet « encodage juridique » ne se fasse pas au service d’une vision statique de la société : les services publics en ligne, au service de la société connectée et numérisée qui émerge en France comme ailleurs, ont un devoir d’innovation, d’invention, pour dépister les nouveaux usages, et garantir en ligne les droits fondamentaux à la liberté (et donc à la confidentialité), à l’égalité (et donc à l’accès) et à la fraternité : c’est ainsi que le dynamisme des réseaux sociaux en ligne est une nouvelle dimension de la sociabilité que les services publics ont pour devoir de servir et de faciliter, plutôt que de la combattre. Inventer les droits en ligne suppose une expérimentation exigeante et incessante, à rebours du discours plat qui confond les outils et leurs usages sociétaux.
11 Voir la position du médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, sur les « dérives de a e-administration » : http://www.lalettredusecteurpublic.fr/page2.asp?ref_arbo=1271&ref_ page=4843 12 Si nul n’est censé ignorer la loi, la loi — quant à elle — elle ne devrait pas ignorer le devoir de simplicité des règles collectives
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Un horizon de maîtrise des coûts des services publics
par la trop grande spécialisation et la rigidité de dispositifs qui ne sont plus perçus comme sources de valeur.
La révolution de la personnalisation des services publics intervient dans un cadre budgétaire contraint, conséquence brutale de la politique économique et budgétaire irresponsable du gouvernement actuel et de la crise que nous traversons. Si de prime abord, la personnalisation peut apparaître comme génératrice de coûts supplémentaires par rapport à des prestations de masse, elle est au contraire, à bien des égards, source de responsabilité et de richesses sociétales. Tout d’abord, nous tenons à réaffirmer une conception des services publics — a fortiori personnalisés — comme biens communs, investissement d’avenir et lieux de création de valeur, et non comme de simples charges. Cela n’empêche pas — au contraire — l’exigence fondamentale d’efficacité de l’action publique. Ensuite, la personnalisation des services publics est un formidable levier de redistribution de l’investissement public vers ceux qui en ont le plus besoin du fait du moment de vie qu’ils traversent, de leur position géographique, ou de leur situation socio-économique. Par ailleurs, la mutualisation intelligemment conduite des services publics peut permettre de dégager de nouvelles marges de manœuvre. Il n’est pas question ici de la mutualisation au sens de la RGPP, c’est à dire la course à des économies d’échelle productivistes, la centralisation (souvent préalable à l’externalisation coûteuse) des organismes de service public et la standardisation des possibilités offertes par le service public. La mutualisation que nous souhaitons promouvoir relève davantage du mode de fonctionnement des mutuelles, qui contient les notions de réciprocité et de péréquation. Au lieu de faire « maigrir » les services publics, il s’agit de les rendre plus polyvalents13, à l’instar des dispositifs PIMMS (voir supra) : des services plus faciles d’accès, variables parce que co-élaborés avec les usagers, et dont les coûts seront mieux admis par les contribuables que ceux entraînés
Dans le cadre de missions clairement définies et acceptées par toutes les parties
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IV- Les services publics personnalisés peuvent changer la vie des Français Des exemples pour incarner le projet des services publics personnalisés.
L’éducation, chantier essentiel de la personnalisation L’éducation est un des chantiers majeurs de la personnalisation, tant les personnes en construction que sont les enfants ont des besoins différenciés et singuliers. Les difficultés et les points forts ne sont pas les mêmes pour tous, et les temps d’apprentissages non plus. Il faut recréer la relation de service public à l’école, en prenant en considération l’ensemble des prescripteurs : les enseignants — ainsi que les autres agents —, les élèves, leurs parents et les élus locaux. La personnalisation est une condition majeure pour retrouver la capacité des adultes d’avoir un regard précis sur chacun des enfants — aujourd’hui impossible à force de réduction des moyens et de désorganisation de l’ensemble du système.
Des rythmes adaptés à chaque enfant L’organisation de l’offre éducative à tous les âges de la vie scolaire est déterminante dans la réussite et le bien-être des enfants. La concentration des écoles maternelles et primaires dans le cadre des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), au motif de réduction des coûts et de rassemblement des élèves par tranche scolaire, conduit, dès le plus jeune âge, à des temps de transports importants et à l’éparpillement des enfants en dehors du temps scolaire, sans que l’impact sur la vie et les apprentissages de l’enfant ne soit étudié. Un plafond de temps de déplacement doit être instauré. D’une plus grande proximité, il découlera aussi l’implication des parents dans la vie des entités scolaires et dans les activités péri et extra-scolaires.
Pour le secondaire (collège, lycée), la densité du réseau des établissements est importante même si, là encore, des temps très significatifs de trajets sont constatés. La modification des rythmes scolaires (après–midi consacrés plutôt à des activités culturelles ou sportives) ouvre la porte à une plus grande participation des parents.
L’accès à un apprentissage progressif de savoir-faire Le soutien aux élèves est une forme importante de personnalisation. Il peut être assuré soit dans l’établissement en dehors des heures scolaires (avec la participation des parents qui le souhaitent ou de « tuteurs » en post-bac dans le cadre de vacationssoutien, différentes des contrats de surveillance), soit hors établissement, en « e-soutien » ou en intervention des enseignants dans des lieux public de proximité. Le temps de travail des enseignants ne doit plus être seulement mesuré en temps devant les classes ni même en temps passé à enseigner (y compris à distance), mais aussi en temps d’interactions entre collègues, avec les élèves et avec leurs parents.
âge : prendre en compte la diversité des situations de perte d’autonomie Au-delà de l’APA Les services offerts aux personnes âgées ne prennent pas suffisamment en compte la diversité des situations de perte d’autonomie, des solidarités familiales et les désirs de chacun dans le choix de son parcours. Pour réussir la révolution de l’âge, la personnalisation doit progresser. On l’a dit plus haut, l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie fournit une aide financière en fonction du degré de dépendance, mais les usagers conservent un reste à
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charge trop important et dans leur vie quotidienne, et manquent souvent de solutions concrètes et locales répondant à leurs besoins. C’est pourquoi un nouveau droit universel à la compensation de la perte de l’autonomie tout au long de la vie doit être reconnu par la société. Ce droit de protection sociale doit garantir un « panier de soins et de services » conséquent, et adapté aux besoins de chacun. Il doit intégrer le rôle des aidants familiaux. La personnalisation des services publics offerts aux personnes âgées dépendantes doit permettre d’améliorer leur bien-être grâce à des services adaptés, plus à leur écoute, un personnel plus nombreux et mieux formé. Au-delà de l’objectif de coordination de proximité des nombreux acteurs de l’âge et de mutualisation des moyens, des maisons départementales de l’Autonomie pourront servir de guichet unique : on pourra y trouver l’information, l’écoute sans avoir à multiplier les démarches, des conseils et des aides pour adapter son logement, des actions de prévention (pratique sportive notamment), un « café des âges » associant les ainés à la définition de la politique intergénérationnelle.
Diversifier l’offre de logement et d’équipement des logements Une véritable politique de soutien passe également par une diversification des offres de logement, car une personne de grand âge ou en situation de handicap est dans une situation d’autonomie différente selon l’aménagement de son logement et l’insertion de celui-ci dans son environnement. La société française oppose souvent le « maintien à domicile » et le « placement en établissement », les deux expressions confinant la personne âgée dans une posture passive. Pourtant chacun aspire à davantage de souplesse, pour pouvoir, au gré des besoins, faire évoluer son mode d’hébergement. La ville du XXIe siècle doit être une ville adaptée à la fluidité des parcours de vie des seniors : logement adaptable, collocation (intergénérationnelle ou non), résidences collectives, habitat intergénérationnel, habitat avec services partagés ou mutualisés, établissement inséré dans la ville dans lesquels des lieux de vie (restaurant, salon de coiffure, boutiques, salles de théâtre) sont partagés avec l’ensemble de la cité, accueil de jour en établissement, ” baluchonnage ” permettant de suppléer les aidants familiaux.
Condition du bien-être des plus âgés et condition de vie en société — auxquelles s’oppose une relégation des anciens considérés comme une « charge » — la mixité générationnelle dans la cité doit être conçue comme un enjeu de santé et d’enrichissement personnel des anciens et, à travers eux, d’enrichissement personnel pour tous.
Santé : tendre, sur les territoires, vers l’égalité réelle dans l’offre de soin personnalisée Savoir évaluer et répondre aux besoins territoriaux Les Français attendent un mix efficace et souple entre proximité et expertise. Les stratégies de maîtrise des coûts par hyperconcentration des services sont inadaptées aux nouvelles occupations des territoires (réappropriation des zones rurales délaissées au cours du XXe siècle dans une sorte « d’exode urbain » lent) par des publics très exigeants en matière de couverture sanitaire, et confrontés massivement au vieillissement. Les besoins sont connus : pouvoir être soigné en grande proximité pour les premières urgences ou le quotidien, pouvoir être transporté facilement pour la proximité ou plus loin pour la prise en charge spécialisée, être accompagné à domicile pour le post-opératoire ambulatoire, les affections longues durées et les conséquences médicales du vieillissement. La bonne réponse en termes de service public doit comprendre une action sur l’installation médicale et para-médicale (réouverture du numérus clausus, fin de la totale liberté d’installation, contractualisation entre CNAM et médecin avec bonus pour installation en zone déficitaire) et une action sur la mobilisation des solidarités locales (professions paramédicales, ambulanciers, taxis, secteur associatif) pour produire le service de la permanence sanitaire et sociale. Un statut spécifique pourrait être créé, au-delà des maisons médicales, pour des groupements de permanence médicale et paramédicale pouvant regrouper professionnels de la santé, du transport
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(y compris non médicalisé) et les associations intervenant à domicile. Le coût de telles initiatives pourrait notamment être solvabilisé par une prestation individualisée « prévention/proximité » mobilisable par chaque ayant droit par la CNAM (ce qui pourrait d’ailleurs conduire à deux filières assurance maladie : une pour prévention/proximité, une pour spécialisation).
Retraites : un système universel et personnalisé Le projet de réforme des retraites proposé par le Parti socialiste en 2010 vise à permettre davantage de choix individuels dans le cadre de garanties collectives. D’une part, des garanties collectives, qui sont des protections pour tous les Français : le maintien de l’âge légal de départ en retraite à 60 ans, à la fois liberté de choix et facteur de justice, et la prise en compte des périodes de travail pénible (de nuit, à la chaîne, port de charges lourdes, dans le bâtiment…), qui doivent permettre de bénéficier d’une majoration des annuités permettant de partir plus tôt à la retraite. D’autre part, davantage de liberté laissée aux travailleurs. Ceux qui le peuvent et le souhaitent doivent être incités à travailler plus longtemps. La mise en place d’un compte-temps permettrait de décloisonner les trois temps de la vie — formation, travail, retraite — voire intégrerait la possibilité de prendre une année sabbatique, de reprendre ses études grâce à un droit de tirage accordé à la sortie du système scolaire, ou de réduire progressivement son temps de travail.
Emploi : redonner de l’efficacité au service public de l’emploi en personnalisant effectivement l’accompagnement
pour remplir leurs missions et tendre vers une authentique personnalisation de la relation de service. Avec actuellement une moyenne de plus de 100 demandeurs d’emploi dans leur portefeuille et la prise en charge de l’indemnisation depuis la fusion au sein de Pôle emploi de l’Unédic et de l’ANPE, ils ne peuvent pas se consacrer suffisamment à la prospective des débouchés ni au développement des capacités professionnelles des demandeurs d’emploi. Dans ce contexte, la personnalisation du service public de l’emploi ne peut se limiter à une simple baisse du nombre moyen de demandeurs d’emploi par portefeuille, à un allongement de la durée des entretiens, voire à leur multiplication. Si une avancée dans ce sens est souhaitable, elle ne saurait être la réponse univoque aux difficultés de ce service public. La personnalisation nécessite un aiguillage fin des demandes d’information et un meilleur ciblage des propositions d’emploi. Un agent qui serait responsable d’une nouvelle stratégie, plus dynamique, pourrait être désigné, libéré, en partie tout au moins, de la gestion quotidienne des dossiers. La désignation d’un référent unique ou conseiller unique, si elle ne s’accompagne pas d’une réorganisation des flux de demandes d’informations et des actes administratifs, ne sera pas en mesure d’apporter une réelle amélioration. La possibilité pour un conseiller de cibler un demandeur ou un groupe de demandeurs en fonction des opportunités d’embauches dans un domaine d’activité à un moment donné nécessite une réorganisation de sa charge de travail. Le traitement rapide des questions récurrentes et des besoins prévisibles des demandeurs d’emploi doit faire l’objet d’une hiérarchisation. Toute réorganisation du travail des agents, donc de la relation de service, doit être négociée, lisible pour les agents et appropriable par eux. Ce sont des conditions sine qua non pour tendre vers une offre effectivement personnalisée et placer le demandeur d’emploi au cœur des priorités.
Améliorer l’efficacité du service public de l’emploi nécessite de reconsidérer radicalement les ressources mises à la disposition des conseillers
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Petite enfance : vers un service public universel et personnalisé Outil majeur de l’émancipation féminine, le service public de la petite enfance permet également de construire l’égalité de demain. La politique familiale actuelle est construite autour du concept fallacieux de « libre choix » qui masque en fait une forte détermination sociale : les dispositifs incitent les femmes à revenus modestes à sortir de façon prolongée du monde du travail et rendent très difficile un retour dans la vie active. Les structures d’accueil pour la petite enfance et les gardes à domicile bénéficient à des ménages plus aisés.
Concernant les modalités concrètes de mise en place d’un tel service public de la petite enfance, il y a beaucoup à apprendre de l’expérience parisienne des bureaux des temps.
La mise en place d’un véritable service public de la petite enfance, universel et personnalisé, est donc urgente. Les caractéristiques pourraient en être les suivantes : • Des modes de garde adaptés aux besoins des familles, en fonction de leur activité professionnelle (en termes de coût, de proximité, de disponibilité horaire et journalière, le week-end par exemple, etc.) et le droit à la scolarisation dès deux ans. • Des lieux de soutiens à la parentalité, indispensables notamment pour les familles qui cumulent les difficultés • Un financement de l’intégralité de la politique familiale par l’impôt, la fusion des allocations familiales et du quotient familial pour permettre une allocation plus juste • Une réforme du complément de libre choix d’activité : le congé parental doit être modifié (mieux rémunéré, plus court pour ne pas freiner le retour à l’emploi et pris obligatoirement par les deux parents sur des durées différentes, pour renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes • Une prolongation de quatre semaines du congé maternité, la sanctuarisation du congé prénatal • Au-delà, le droit pour chaque enfant à des activités extrascolaires et des aides aux devoirs
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Conclusion
Réinventer l’action publique La transformation des services publics sera probablement l’une des controverses majeures de 2012. Deux visions s’affronteront, à propos des services publics. Il importe, au-delà des mots, de les clarifier et de les assumer : La première, à droite, est fondée d’abord sur la « réduction des volumes », fruit de l’idéologie néolibérale et de la crise des finances publiques, au prix de multiples régressions d’égalité, de qualité, de proximité et d’impartialité. Très probablement, pour habiller ces évolutions que le pays accepte mal, plusieurs slogans seront inlassablement répétés: refus des hausses d’impôts, « mieux d’état plutôt que plus d’état », ou l’évident mais cynique : « le service public n’est pas qu’une affaire de moyens »… S’y joindront quelques innovations cosmétiques importées, comme la Big society de Cameron (le bénévolat remplace l’état), ou plus brutales (élections des juges ou des commissaires de police…). La tentation existera de préempter la personnalisation, tout en pratiquant des coupes irréversibles (cette imposture s’illustre déjà dans l’Education à l’occasion de la suppression des réseaux d’aide pour élèves en difficulté — les Rased) La seconde vision, à gauche, est en priorité sensible à l’accroissement des inégalités. Les services publics ne sont pas seulement des prestataires. Ils doivent être des réducteurs d’inégalités, ou au moins, ne pas devenir des créateurs ou des amplificateurs d’inégalités. La gauche devra donc rechercher le bon équilibre entre des services qui doivent relever de règles universelles (« accès égal pour tous) et des budgets sous tension. Mais elle devra affronter un deuxième
défi : la demande de services publics est de plus en plus personnalisée. L’usager ne se satisfait plus de l’offre standardisée. Et de plus en plus, il souhaite participer à la conception du service public. Bien comprises, ces nouvelles attentes peuvent permettre de revitaliser les services publics, y compris dans des domaines essentiels dont la réforme reste dans l’impasse, éducation, santé, sécurité… Ces deux projets désignent en apparence un terrain d’entente : la société, les citoyens, le peuple ont un avis à donner sur les services publics, qui ne répondent qu’imparfaitement à leurs attentes, et aux missions que leur donne la loi républicaine. Mais dans le premier cas, il s’agit de compenser un désengagement, ou de relégitimer des politiques en impuissance chronique (comme la politique de sécurité purement répressive, qui arrive dans une impasse faute de résultat). Dans le second, il s’agit pour nous de repenser des relations avec les citoyens et des solidarités que la puissance publique « verticale » peine à exercer seule. La « politique du care » appliquée à l’éducation et au soin illustre cette nécessité d’un service public de proximité, où la relation humaine est essentielle. Pour autant, ces innovations ne rendent pas moins nécessaire de réarmer la puissance publique, et de donner un nouveau sens à son action dans une République aujourd’hui abimée, dont les valeurs devront être restaurées. Dans le premier modèle, il y a substitution, souvent à l’aveugle, du privé au public. Nicolas Sarkozy a fait dépérir et régresser l’état, Cameron veut le rétrécir. Pour le modèle que nous défendons, nous affirmons possibles la complémentarité entre le rôle de l’état
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et la participation de la société, la réhumanisation de la relation entre les agents publics et les usagers et, ainsi, la revitalisation des services publics. Le succès de la révolution des services publics personnalisés se jouera à différents niveaux, si nous savons réinventer l’action publique et donner un nouveau souffle à la démocratie, autour de plusieurs pierres angulaires :
• Le maintien d’un cadre de référence cohérent, global et universel, encadré par la loi, rompant avec les risques que court la démocratie quand les services publics sont vécus comme des fournisseurs de marchandises à consommer et leurs agents comme des prestataires. C’est la condition élémentaire de services publics universels et personnalisés.
• La coopération entre les élus politiques ayant autorité sur les institutions garantes des finalités des services publics, les organisations chargées de leur mise en œuvre, les agents et les usagers, ainsi que leurs représentants. Cette coopération s’entend également des institutions et des organisations entre elles, afin de tendre vers des formes appropriées de mutualisation des services publics.
• La capacité de ces différents acteurs à installer dans la société de nouvelles formes de dialogue, pour des services publics plus réactifs et créatifs, dont la vocation même est d’être en constante évolution, à travers des dispositifs fondés sur l’expression des besoins, les capacités des agents à y répondre, les ressources offertes par les organisations.
à ce prix s’éloignera le danger d’une extinction de la démocratie14.
14 Wendy Brown, Les habits neufs de la politique mondiale, Les Prairies ordinaires, 2007.
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