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La culture, outil de développement social et humain Françoise Vergès Écrivain, politologue. 27 avril 2011 Dernière parution, L’Homme prédateur. Ce que nous ensiegne l’esclavage sur notre temps (Albin Michel, 2011° En 1800, à l’aube du 19è siècle, dans une Europe confrontée à de profonds bouleversements, le poète allemand Hölderlin, posait la question : « À quoi bon des poètes en temps de détresse? »

Aujourd’hui, confrontés à de nouveaux bouleversements, nous pouvons reformuler la question ainsi : « À quoi bon la culture en temps de détresse ? » Cela peut sembler particulièrement vrai dans les outre-mers où l’on insiste toujours sur les « retards », sur le rattrapage à effectuer. Mais ne devonsnous pas déjà questionner cette notion même de rattrapage ?

Rattraper quoi, comment, et pourquoi ? Depuis 1946, la politique assimilationniste de tous les gouvernements, comme de la majorité des partis politiques locaux, a présenté cette demande comme une demande légitime. La « métropole » était le modèle à rattraper. Mais la « métropole » est un espace fictif, qui n’a aucune réalité culturelle, sociale, politique. Car si nous connaissons la culture, la littérature, la philosophie

française, celles de la « métropole » n’existent pas. De plus, dans l’hexagone, le « modèle » à rattraper est remis en question, c’est un modèle productiviste qui a montré ses limites, les tensions sont fortes comme l’est le sentiment d’impuissance face à des forces qui semblent hégémoniques. La peur de l’avenir mène à des politiques de repli. Dans les outre-mers, le modèle à imiter est en fait celui des classes moyennes aisées de l’hexagone, or il ne concerne que peu de monde et s’effectue au prix de l’exploitation de groupes et d’individus. Si nous pouvons donc comprendre le désir de vivre comme cette classe moyenne, il est évident qu’il est urgent de rétablir une

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éthique de la solidarité et surtout, il n’en reste pas moins que la question demeure : le copier-coller est-il une politique ? La culture du copier-coller peut-elle produire de la solidarité et de la singularité ? Nous pouvons cependant comprendre le désir d’imiter, car nous pouvons comprendre la peur des difficultés à affronter. Mais la peur n’est pas la meilleure conseillère en politique. Nous savons qu’il est urgent d’inventer, d’innover et que (partout) la question du rattrapage doit être abordée comme une question culturelle, c’est-à-dire comme une question qui nous ramène à l’essentiel : « comment désirons-nous vivre dans dix, quinze, vingt ans ? quelle civilisation voulons-nous construire ? » Diversité des outre-mers Les outre-mers sont extrêmement divers, on ne le dira jamais assez. Qu’y a-t-il de commun entre Mayotte et Tahiti ? Entre la Guyane et La Réunion ? La Martinique et Saint-Pierre et Miquelon ?

Cependant, nous pouvons dégager des points communs : • Un passé colonial en partage • Des sociétés plurilingues • Des sociétés pluri-religieuses : l’Islam est présent dans les outre-mers français de l’Océan Indien dès le 18ème siècle, il s’y inscrit de manière permanente au 19ème siècle (Mayotte, La Réunion), sans compter, les religions autochtones, l’hindouisme, le Bouddhisme, les rites afromalgaches, afro-comoriens, les rites amérindiens, les cosmologies du Pacifique… • Des sociétés hybrides, métisses, intra-culturelles • L’impossibilité de vivre enfermés sur nos territoires ou enfermés dans l’axe hexagone/outre-mer. Nous devons nous ancrer dans des régions qui connaissent de profondes mutations, région Pacifique, Antilles, Amérique du nord, Amérique du sud, Océan Indien. 2


• La nécessité d’inventer des formes de développement économique, social et culturel qui tiennent compte des mutations locales, nationales et régionales, sans jamais oublier un des termes. Certaines de nos sociétés vieillissent (ce qui pose la question de leur devenir culturel et social : la Martinique sera dans les prochaines années une société de « seniors » comme le sera la Guadeloupe peu après), d’autres sont plus menacées par les changements climatiques, par les mutations démographiques, par les mutations régionales, mais toutes requièrent cette révolution copernicienne des mentalités dont parlait Aimé Césaire en 1956.

Cette révolution copernicienne des mentalités concerne l’hexagone, toujours en prise avec un passé colonial esclavagiste et post-esclavagiste qui ne passe pas. Elle concerne tout autant les sociétés des outre-mers, elles aussi menacées par le repli, la peur de « l’abandon », la peur de l’Autre.

Cette révolution signifie que s’opère une remise en cause d’une perspective strictement économiste qui domine actuellement et où le bien commun disparaît. La culture est alors un des champs de la consommation, un outil de gratification, un outil de promotion touristique, un loisir. Le vrai comme le factice est accessible. L’exotique est une marchandise. Elle concerne ensuite la création de nouvelles cartographies : nous pensons le monde à partir de cartes, nos cartes géographiques sont des cartes mentales. L’histoire de France continue d’être celle d’une géographie, l’histoire de l’hexagone. Finalement, au-delà du discours aujourd’hui lénifiant de la « richesse que les outre-mers apportent à la France », il nous faut repartir des réalités concrètes de sociétés différemment fragilisées, situées dans des régions différentes du monde, soumises à des dynamiques régionales et mondiales, aux cosmologies et cultures singulières mais qui toutes ont été nourries des idéaux républicains français.

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En ce temps où les inégalités augmentent (et les chiffres des outre-mers sont éloquents : augmentation de l’endettement des ménages, chômage, consumérisme, vie chère..), en ces temps de calcul égoïste, est-il pertinent d’investir dans la culture ? La priorité n’est-elle pas de répondre, en urgence, aux besoins matériels, aux difficultés sociales ? Le reste ne peut-il attendre quand le chômage augmente et les difficultés s’accroissent ? Mais réduire l’être humain à la dimension d’objet soumis à ses besoins les plus basiques — se loger, se nourrir — ne revient-il pas à voir la société comme une pure gestion d’individus n’ayant rien à faire ensemble ? N’est-ce pas ce que Margaret Thatcher avait exprimé dans sa fameuse déclaration : « Il n’y a pas de société. Il n’y a que des individus. » ? Ce credo de la gestion néo-libérale a pourtant montré l’étendue de sa cruauté. En laissant libre cours à l’égoïsme le plus froid, l’intérêt général a été déconsidéré.

L’investissement dans la culture se situe à l’opposé de cette posture. Une société émancipée de cet économisme froid et cruel convient qu’il est nécessaire de dépenser pour l’intérêt général, pour le présent et le futur. Elle investit dans ce qui n’est pas simplement des temples à la consommation, mais des lieux de vie, d’échange, et de rencontre.

Il est urgent d’investir dans la culture car précisément la détresse, l’inquiétude ne sont pas simplement causées par le manque matériel. Parce que, justement, la

marchandise ne répond pas à toutes nos aspirations. La

culture peut être un lieu de résistance, un espace où la citoyenneté, la solidarité, le sentiment du bien commun peuvent se construire. La culture constitue un bien commun. C’est un bien qui se transmet, qui se partage. Elle n’est pas quantifiable, c’est un investissement collectif pour vivre ensemble. En temps de crise, la culture est une source d’idées, de références, de rêves, de construction d’un vivre ensemble.

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La culture est un outil de développement social et humain dans lequel il faut repenser la place de l’immatériel, qui n’est pas seulement l’abstraction de la finance, mais ce qui fonde l’échange. La vie sociale, écrit le philosophe François Flahault, constitue « l’habitat vital de l’être humain ». La conversation, la joie d’être avec des amis, le bonheur que l’on ressent en écoutant de la musique, le plaisir de lire, de voir un beau film, l’émotion devant la beauté, les fêtes autour d’une naissance, le recueillement collectif de la veillée mortuaire, le sentiment amoureux, la joie de cuisiner ensemble, de partager un repas, tout cela constitue un réseau social qui nous fait vivre. Dans ces moments, il nous faut à la fois renoncer au plaisir égoïste et s’investir de manière personnelle car nous tirons notre joie (personnelle) de ce moment collectif. La culture nous rappelle à l’interdépendance humaine.

La diversité des sociétés des outre-mers est reconnue, comme la richesse de leurs expressions culturelles. Mais permettez-moi d’amender l’image de sociétés harmonieuses, sur lesquelles on applique de manière creuse les termes de tradition et de modernité. Ce sont des sociétés qui connaissent aussi des tensions sociales fortes, qui ne sont pas à l’abri de tentations de repli, ce sont des sociétés aussi complexes qu’ailleurs. Elles

sont

très

consuméristes,

avec

une

pauvreté

de

l’offre

cinématographique et du livre, où le kitsch côtoie le dernier outil technologique, où la réinvention de la tradition efface le vernaculaire. Le centre commercial est devenu le lieu de rencontres ; la marchandise, le signe du statut social. L’accès à la culture – qu’elle soit de masse (multiplexes…) ou pas-- n’est pas facilitée : pas de transport en commun après 18, 19h, seule la voiture vous donne accès à la culture. Pour les familles modestes, les personnes âgées, les jeunes, il reste les « animations » qui passent pour la culture. Les loisirs se sont pourtant multipliés : voyages, télévision, spectacles vivants, festivals... Mais ils coûtent. Les outils technologiques sont très inégalement répartis : l’accès à l’Internet demeure coûteux et très lent. Les 5


quelques (rares) études sur les « loisirs » montrent que la télévision vient en tête, puis les moments familiaux, mais les jeunes parlent d’ennui, et partout, les jeunes demandent des lieux où se rencontrer, où monter leurs projets. L’hégémonie du social pèse sur la culture, qui devient parent pauvre du développement, ou bien espace rétréci où l’identité devient valeur abstraite, fondement total de son moi. Or, la notion d’identité doit régulièrement être interrogée, remise en cause, sinon elle devient prison. Ces dernières décennies, nous avons vu émerger un besoin de remémoration, mais il faut encourager la mémoire comme pratique sociale, comme espace où le passé est revisité, réinterprété, et l’héritage est soumis à une approche critique : que faut-il oublier ? que faut-il préserver ? Tout cela advient dans un contexte, en France, de réduction des crédits à la culture et d’un défaut de pensée sur son passé colonial, esclavagiste et post-

dans le monde, de révision des grands récits historiographiques avec l’émergence, passionnante, de récits croisés de l’histoire, des migrations, des échanges, des conflits, des circulations d’idées où l’Europe est un acteur parmi d’autres. esclavagiste ;

et

Ce dernier point est très important. Il résulte de la disparition du bipolarisme (Ouest/Est) et de l’émergence de mémoires et de récits des subalternes, d’une nouvelle multipolarité du monde. Cette mutation ne signifie pas qu’il faille attribuer une plus grande importance au monde extra-européen mais qu’il est urgent de changer de perspective, de croiser les points d’observation, et de s’imaginer, ne serait-ce qu’un moment, à la place d’un acteur qui perçoit un événement (1848, le 8 mai 1945, 1946, 1989…) à partir d’un monde où cet événement renvoie à d’autres souvenirs, d’autres faits, d’autres mémoires. La mémoire est polysémique, il faut entendre la diversité de ses voix. Il ne s’agit pas non plus de juxtaposer les récits nationaux mais de regarder le passé comme un ensemble d’interactions, de transferts linguistiques, de méditer sur le rôle des migrations, des diasporas, des exils dans les

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processus économiques, culturels et politiques, dans l’élaboration des idées, dans l’invention des pratiques culturelles. Ainsi, qui peut nier l’apport des esclaves à l’universalité des droits humains, à l’idéal d’Égalité, de Liberté et de Fraternité ? Qui peut oublier en entendant de la salsa, du tango, du blues, du maloya, du jazz, l’apport de la présence africaine au monde ? La révolution à laquelle nous invite Césaire signifie alors s’affranchir d’un récit enfermé dans le cadre étroit des frontières hexagonales, comme dans l’axe étroit « métropole/outre-mer » et resituer clairement l’hexagone et les outremers dans des réseaux dynamiques de signification et d’interaction. La révolution à laquelle nous invite Césaire requiert une nouvelle méthodologie, un débat clair et rigoureux où interdépendances des économies, mutations démographiques, technologies, intégrations ou désintégrations régionales, constituent des indicateurs pour faire émerger des visions du futur, parmi lesquelles choisir, à partir d’un principe : celui du bien commun. Cette nouvelle méthodologie repose sur une remise en cause de l’eurocentrisme comme de toute pensée fermée sur elle-même. Ainsi, Françoise Choay a montré combien la notion de patrimoine est eurocentrée. Nous le constatons dans les outre-mers, où, malgré des progrès ces dernières années, l’archéologie, la valorisation des patrimoines immatériels, l’architecture, la production et la diffusion des biens culturels, sont encore pensés à partir de l’Europe (et ce tout autant chez des acteurs locaux). Le rapport Collardelle sur les outre-mers de 2010 a apporté des pistes dans le sens d’une reconfiguration de la méthodologie, il faut les poursuivre. Permettez-moi d’illustrer rapidement ce dernier aspect : 1. Dans les territoires qui ont connu l’esclavage, à cause du point aveugle sur ce que constituent les patrimoines de l’esclavage, les quelques vestiges matériels de la période esclavagiste et post-esclavagiste se ont longtemps été négligés. Ce patrimoine est par nature, polysémique. Il

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faut l’identifier, l’évaluer, arbitrer les conflits, hiérarchiser les valeurs après consultation (la rénovation du Lazaret à La Réunion est un exemple de rénovation mal pensée et peu valorisée). 2. Le projet de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, qui a été arrêté par l’actuelle mandature au Conseil Régional de La Réunion, insistait sur une temporalité et un espace où inscrire La Réunion, qui n’étaient pas le temps de la colonisation française et l’espace de l’histoire de France, mais son milieu géographique, culturel et historique, l’Océan Indien, où la France est un des acteurs. Le projet reposait sur la valorisation du vernaculaire, imaginait un « musée sans objets », insistait sur la culture immatérielle, et l’échange qui est au cœur de la culture. Je pense que cette approche doit se poursuivre.

En résumé, la culture est un tout : il faut transport, médiation, attractivité. Décentrer le regard, s’inscrire dans la complexité, favoriser les petites initiatives, valoriser les pratiques vernaculaires, mettre en lumière les histoires croisées et non se soumettre à un récit hégémonique, faciliter les échanges à l’intérieur du territoire, sans fétichisme de la « mobilité », faciliter l’accès du savoir au plus grand nombre, s’inspirer d’expériences concrètes, insister sur le fait que le savoir est un bien commun, pouvoir habiter sa culture, construire la culture comme une maison aux fenêtres et aux portes ouvertes, qui se reconstruit librement selon les nouveaux besoins. Concrètement, je souhaite vous soumettre quelques propositions, où encore une fois, c’est la méthode qui importe. Mais avant toute décision, il nous faut des enquêtes très précises sur les activités, la fréquentation des lieux culturels, un audit sur les équipes qui travaillent, des « ateliers d’imaginaire » comme l’a proposé Patrick Chamoiseau, et je dirai des ateliers pluridisciplinaires et à l’écoute des publics, des « ateliers de nouveaux mondes ». Il faut aussi penser la culture comme un outil de développement durable, c’està-dire que tout projet culturel se construit sur du concret, sur une étude des 8


besoins des publics, des formations à mettre en œuvre comme de l’accompagnement requis.

1. Une politique culturelle réellement ancrée dans le territoire et la région (Pacifique, Caraïbes-Amériques, Océan Indien): pour cela revoir le feuilleté des compétences avec DRAC/Région/ Département/Communautés de ville... donc alléger les niveaux administratifs. Les écoles régionales culturelles (musique, danse, théâtre...) doivent réellement refléter une politique régionale. Pour la France, c’est une politique culturelle aux 4 coins du monde, mais pour cela il faut choisir des personnes ayant une véritable connaissance des enjeux et du territoire, et non étant sur des postes d'attente, de tremplin ou de punition. Finalement, il faut encourager une mutualisation des ressources et des offres ;

2. Soutenir les projets de musées dans les outre-mers dans une vraie approche innovante : des musées vivants, inventifs, pas de la technologie pour la technologie mais du sens. Revenir au projet des révolutionnaires français, celui de musée citoyen. Il faut imposer une équité de l'accès à la culture, faciliter le prêt d'oeuvres, faire que chaque région possède un centre de conservation digne de ce nom qui permettent la constitution de collections, avoir les conditions qui permettent d'accueillir des oeuvres importantes, et des institutions à l'échelle et correspondant aux besoins locaux, développer l'apprentissage de l'histoire de l'art et des civilisations ;

3. Mettre en oeuvre une réelle formation au niveau national (hexagone + outre-mers) des enseignants à l’histoire coloniale et post-coloniale et aux cultures des outre-mers. Tous les enseignants concernés le disent: ils manquent de formation et manque d’outils éducatifs. Encourager au plus haut niveau la recherche trans-disciplinaire: à quoi sert d’étudier les maladies

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tropicales dans les outre-mers sans sociologie et anthropologie? Le climat sans la démographie et la consommation?

4. Créer une chaire tournante pluri-disciplinaire en sciences sociales et humaines dans les universités régionales, ou une Maison des sciences de l’homme ;

5. Mettre en place une formation aux métiers de la culture dans une perspective de développement économique micro et macro (tourisme culturel, tourisme mémoriel, tourisme environnemental,

entreprenariat

culturel): formation aux langues, histoire, culture, environnement, pour former de vrais guides culturels, de vrais animateurs, de vrais entrepreneurs de la culture. Une étude récente de l’IEDOM (avril 2011) montre que le micro-crédit marche dans les outre-mers : un taux plus élevé de création d’entreprises et un taux plus élevé de pérennité et un taux d’impayés plus faible qu’en hexagone, beaucoup d’auto entrepreneurs qui sont plus jeunes et plus féminins. Pourquoi ne pas encourager la micro entreprise culturelle avec un accompagnement adéquat (l’accompagnement est ce qui fait actuellement défaut) ? La création de filières professionnelles autour des métiers de la culture : Bac Pro « patrimoine »... Une formation continue pour les équipes en place, valorisation des profils intéressants et originaux, et ne pas se focaliser sur les concours, parce que du coup ces profils sont obligés de partir à l'étranger et les compétences et l'énergie sont perdues ;

6. Encourager le développement d’une architecture adaptée au climat et au développement durable avec une étude sur les traditions architecturales, trop vites abandonnées, et une réflexion sur le patrimoine architectural, dans le cadre de la rénovation urbaine notamment pour éviter des

villes

nouvelles sans âme avec les obligatoires rues piétonnières, l’air conditionné et

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la lumière artificielle dans tous les bâtiments alors que ce sont des pays où des solutions durables sont possibles, des villes vides et mortes le soir;

7. Développer des programmes Erasmus régionaux ;

8. RĂ©aliser

l’inventaire

commenté

des

patrimoines

(matériel

et

immatériel) (très demandé aux EGOM, surtout Guyane, Mayotte) : savoirs médicaux, contes, mythes... Valoriser la sauvegarde de la mémoire orale et audiovisuelle. Pourquoi ne pas développer une branche du service civique autour de cette collecte ? Cela développerait le lien intergénérationnel, valorise le vernaculaire, renforce auprès de jeunes le respect pour leur culture, sauvegarde des richesses culturelles.

9.

Engager l’INA dans un plan de restauration et de sauvegarde des

archives audiovisuelles liées à l’Outre-mer : la situation est assez terrible, projets commencés, avortés, arrêtés, pas finis...

10. Soutenir les projets de conventions entre musées nationaux et musées outre-mer: expositions itinérantes, prêts d’objets, formation, constitution d'un réseau de d’expérience partagée ;

11. Renforcer dans les ministères concernés (EN, Recherche, Culture et Communication) les services dédiés aux mondes des outre-mers ;

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12. Développer une vraie politique des publics adaptée aux situations locales : on a très peu d’informations sur les pratiques des publics et leurs besoins, or situation spécifique-- illettrisme, pauvreté. Une muséologie participative. Finalement, pour dépasser au niveau national une « guerre des mémoires », il faut créer une Fondation des mémoires coloniales et postcoloniales, dont la mission serait : a. De mettre en place une sorte de Commission Vérité et

Réconciliation (sur le modèle des commissions en Amérique du sud et en Afrique du sud) chargée de faire la lumière, de manière rigoureuse, sur des événements qui ont laissé de profondes traces traumatiques dans les populations d’outre-mer : Guadeloupe 1967, Ordonnance Debré, utilisation de pesticides connus pour être dangereux pour la santé, essais nucléaires… Elle écouterait tous les acteurs, respecterait leurs témoignages, consulterait des scientifiques, pour définir des actions de réconciliation publique (ce qu’ont fait Marie-Claude Tjibaou et les Kanaks après l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou est un modèle). Des demandes similaires ont été exprimées lors des EGOM de 2009 ; b. De travailler à la préfiguration d’un Historial/Mémorial sur les mondes coloniaux et post-coloniaux : i. l’histoire de la France s’en trouverait enrichie, ii. les routes d’échanges, de conflits, de rencontres, seraient mises en lumière iii. les créations contemporaines seraient valorisées. Connaître l’histoire coloniale est un acte citoyen, qui fait réfléchir sur l’exploitation, la servitude, la déshumanisation, et la résistance à l’oppression. Il ne s’agit ni de repentance, ni de procès révisionniste mais d’inscrire ces siècles d’histoire dans une approche croisée.

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Ainsi, l’esclavage colonial serait resitué dans son temps, contemporain de la modernité, c’est-à-dire de la transformation de l’Europe : déclaration des droits de l’Homme, fin de la monarchie, révolutions des Lumières… Comment ignorer que les traites et l’esclavage ont profondément transformé la cartographie du monde, qu’ils ont globalisé des économies, affecté le droit, la philosophie, les arts et mis en contact des cultures, des langues, des savoirs et des croyances. Il est inconcevable que les apports des esclaves et de leurs descendants soient ignorés ou marginalisés. Il est inacceptable que des siècles qui ont vu des êtres humains mis en esclavage, privés de droits civiques, de patrimoine, et de patronyme, soumis au fouet et aux fers, et qui ont contribué à la richesse économique de la France, soient oubliés.

Les héritages de l’esclavage sont complexes et multiples : expérience de l’exil et de la déportation, création de nouvelles cultures, croyances et savoirs, les sociétés et cultures créoles en sont des témoins,. La lutte incessante des esclaves pour leur liberté a contribué à l’extension des idéaux de la démocratie, à l’universalité des droits humains et le mouvement antiesclavagiste fut l’un des premiers grands mouvements internationaux pour les droits humains.

Cet Historial/Mémorial s’ouvrirait au temps post-esclavagiste et à ses héritages dans une approche croisée qui fait place à la polysémie des récits, sans tomber dans un relativisme abstrait. Chaque fois, l’intérêt général est rappelé, comme la nécessité pour préserver cet intérêt de savoir renoncer à des privilèges. L’éthique de la solidarité serait au cœur d’une telle institution.

En mettant en œuvre cette double action, en la soutenant financièrement et administrativement,

l’État

accompagnerait

une

action

profondément

citoyenne, renforcerait la solidarité nationale, et jouerait son rôle de 13


conciliateur. Il mettrait fin aux perceptions de mensonge, de choses cachées, qui conduisent à la méfiance, au désintérêt du citoyen pour la chose publique. En conclusion, il faut faire confiance à l’énergie, le dynamisme, ne pas étouffer l’initiative, abandonner le formalisme et le conformisme, s’affranchir des castes en place, s’inspirer des pratiques d’une économie de bricolage, de

montage, c’est-à-dire qui s’appuie sur l’inventivité humaine. Je le répète, la culture constitue un bien commun. En temps de crise, la culture est une source d’idées, de références, de rêves, de construction d’un vivre ensemble, dans ce Tout-Monde dont nous parlait avec talent Edouard Glissant.

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