Les travailleurs non salariés Créer les conditions de l’activité indépendante
Groupe de travail animé par Jean Mallot, député de l’Allier Avec Alain Vidalies, député des Landes et les avis précieux de Marylise Lebranchu, députée du Finistère, et François Brottes, député de l’Isère
date : décembre 2010
Les rapports établis par les groupes de réflexion du Lab sont des contributions libres aux débats et réflexions politiques du Parti socialiste. www.laboratoire-des-idees.fr
Sommaire
Avant propos Introduction
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I- Hors du salariat, le constat d’une grande diversité de statuts
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Temps de travail, temps de vie, temps de l’entreprise La pluri-activité Le piège de l’auto-entrepreneur Responsabiliser et accompagner
II- Vers la création d’un nouveau statut
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Faciliter et simplifier la création de très petites entreprises ainsi que l’accès à la formation des créateurs Assurer la continuité de l’activité Organiser une protection contre le chômage Le statut de conjoint collaborateur
III- Créer un environnement favorable et dynamique
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Le rôle des collectivités locales Les petites entreprises innovantes L’innovation sociale La puissance publique en soutien à l’activité L’amélioration des relations de sous-traitance et de partenariat Faciliter les coopérations dans chaque bassin d’emploi
Conclusion
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Avant propos
Les échanges intervenus lors du « Tour de France du Projet » entrepris par Martine Aubry en 2009-2010 ont mis en évidence, entre autres, la façon dont les acteurs économiques, quel que soit leur statut, vivent et perçoivent les conséquences de la mondialisation, de la crise économique et des mutations de l’appareil productif français. Les couches moyennes se sentent menacées, les catégories populaires se considèrent comme laissées pour compte et exclues du débat. La rencontre se fait entre les salariés, les artisans, les petits commerçants, les petits producteurs, les chefs de très petites entreprises… tous ayant le sentiment que, dans la tourmente et la spirale de la précarisation, dans la dictature du court terme et de la rentabilité immédiate, « on ne s’occupe pas d’eux ». Tous expriment la quête d’une société où le travail des uns et des autres serait reconnu, qui permettrait à ceux qui ont des idées et de l’énergie de les mettre en action, qui donnerait un avenir à ses jeunes, porteurs de créativité, d’innovation, de liberté, de passions. Parmi eux, les travailleurs non salariés et entrepreneurs indépendants expriment des aspirations et des revendications qui appellent des réponses spécifiques de la part des responsables politiques. Il s’agit de les sortir de leur isolement, qui bien souvent rime avec précarité et angoisse, en leur garantissant des protections (chômage, sécurité sociale, vis-àvis des donneurs d’ordre, etc), en leur offrant des formations utiles (gestion, etc) et en reconnaissant leur rôle potentiel dans la vitalité économique d’une région ou d’un secteur (innovation, emploi, etc). Ce sont les conditions pour que 7 % de la population active aient droit, eux-aussi, au progrès social. C’est aussi une formidable opportunité pour l’économie toute entière.
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Introduction
Une population qui a sa place dans un nouveau modèle économique En frappant lourdement l’économie française, la crise a révélé la fragilité de notre tissu économique et social : des formes d’activité dont les pouvoirs publics se préoccupaient relativement peu ont davantage besoin de leur soutien. En choisissant de se mettre à disposition des grands groupes, la droite a abandonné l’ensemble des artisans, commerçants, patrons de Très Petites Entreprises (TPE), en somme les 1 900 000 travailleurs non salariés qui représentent 7% de la population active en France, ainsi d’ailleurs que leurs salariés.
Ce deuxième point est important dans la philosophie du projet socialiste des prochaines années, qui affirme la nécessité d’un nouveau modèle de développement. En particulier, ce modèle reconnaît la force du tissu économique local dans la construction du lien social. La reconstruction des circuits de production, la réactivité et la créativité des très petites entreprises, la refonte des politiques territoriales, l’action déterminante des unités de production de petite taille dans la localisation pérenne des activités conduisent à revenir à une stratégie de protection de ces systèmes. Une économie relocalisée peut garantir des emplois pérennes à condition d’être soutenue sur le territoire par des politiques publiques adaptées.
Or nous sommes, pour cette population, entrés dans une période d’urgence sociale. La fragilisation – si ce n’est pas la précarisation – de leur situation exige de la part du pouvoir politique non seulement une attention accrue mais leur prise en compte dans un nouveau modèle économique et social. Les très petites entreprises ne veulent pas être considérées comme une partie marginale, voire « résiduelle », de l’économie, encore moins comme de simples soustraitants d’entreprises plus importantes. Il est vrai qu’historiquement le Parti socialiste n’a pas dirigé en priorité son discours vers les travailleurs non salariés même s’il a toujours veillé à ce que la marche vers l’égalité se poursuive en France. C’est pourquoi, aujourd’hui, il faut affirmer leur place dans le projet socialiste, à deux titres au moins : • parce que, ne possédant pas les caractéristiques du salariat, ils ne bénéficient pas des protections correspondantes et vivent des situations professionnelles souvent précaires ; • parce qu’ils sont porteurs d’une forme spécifique de l’économie, inscrite dans le tissu économique et social français.
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I- Hors du salariat, le constat d’une grande diversité de statuts Rassembler sous une même appellation de « travailleurs non salariés » une population par essence très hétérogène n’est pas une tâche aisée. Sous ce terme, nous entendons, comme le fait l’INSEE, l’ensemble des travailleurs indépendants, entrepreneurs, artisans, commerçants, petites coopératives de production, professions libérales, mais sans inclure les agriculteurs, porteurs d’enjeux réclamant une attention particulière. En revanche, contrairement à l’INSEE, notre réflexion se porte aussi sur les aides familiaux, travailleurs qui aident un membre de leur famille dans son emploi, sans toutefois bénéficier du statut de salarié. Elle prend aussi en considération les intermittents du spectacle ainsi que les travailleurs saisonniers qui, bien que salariés, connaissent des situations proches de celles des non salariés.
d’abord comme particularité de ne pas distinguer nettement vie professionnelle et vie personnelle. Cette confusion entre temps de travail et temps de vie (le lieu de travail se confond parfois aussi avec le lieu de vie) complique l’émergence d’un statut et l’application de droits sociaux. Par ailleurs, cette particularité recouvre aussi le travail quotidien d’individus généralement appelés « aides familiaux » : conjoints d’artisans ou de commerçants, apportant une aide parfois supplétive, parfois systématique (comptabilité par exemple), famille proche, etc. C’est ainsi que 31% des conjoints du chef d’entreprise sont sans statut, 39% sont salariés.
Un dénominateur commun des travailleurs non salariés motive également notre volonté de mettre en chantier des réformes : ces personnes sont pour la plupart mal prises en compte par notre système de protection sociale. Or beaucoup d’entre-elles perçoivent des revenus modestes, parfois proches du bas de l’échelle des salaires. Peu ou pas de filet de sécurité pour l’entreprise ou pour eux-mêmes, pas de droit au chômage, peu de structures de formation, peu de soutien face aux complexités administratives : tout cela a pour résultat de les soumettre directement aux aléas conjoncturels et, surtout, à la crise du système que nous traversons. Le fait est qu’il s’agit d’une population très diversifiée, répartie en de multiples secteurs d’activité sans forcément de lien entre eux, et donc difficilement saisissable.
Une seconde difficulté est liée au phénomène de pluri-activité : cumul d’emplois, parfois salariés, parfois non, dans une même période, ou sur une trajectoire de vie (carrières en morceaux). Le taux de disparition égal à 50% sur 5 ans des entreprises créées ou reprises souligne à quel point cette population est en butte à une forte instabilité.
Temps de travail, temps de vie, temps de l’entreprise La population des travailleurs non salariés a tout
La pluri-activité
Le piège de l’auto-entrepreneur Depuis 2007, avec la création du statut d’autoentrepreneur, la droite a institutionnalisé et renforcé la précarité des indépendants. Ce « statut » auquel il est possible d’accéder en trois minutes, faute d’être limité dans le temps et par les situations qu’il autorise, est la porte ouverte à toutes les dérives. En l’inventant, la droite veut faire croire que tout un chacun pourrait devenir son propre employeur sans prendre de risques. En fait, ces entreprises « kleenex », déresponsabilisantes pour le nouveau
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« chef d’entreprise » qui souvent n’a pas d’autre choix, servent souvent à compléter les faibles revenus des salariés, retraités ou chômeurs, cette troisième catégorie représentant plus de 50% des auto-entrepreneurs actuellement. De même, des observateurs ont fait remarquer l’instrumentalisation de ce dispositif par des employeurs peu scrupuleux : en proposant à leurs salariés de devenir auto-entrepreneurs ou en les y contraignant, sous la menace d’un licenciement afin de réduire leurs charges patronales et faire miroiter un supplément de revenu aux travailleurs, ces employeurs organisent un salariat déguisé qui laisse les employés sans protection. Alors que des efforts devraient être faits pour améliorer encore la formation et la qualification des petits entrepreneurs, afin d’assurer leur compétitivité, leur compétence et la longévité de leur activité, ce nouveau statut prend le chemin inverse. Les entreprises créées sous ce statut, loin de correspondre à de véritables projets économiques, ne sont qu’un substitut à la faiblesse des salaires et des retraites en complétant une situation précaire par une autre.
le but de cette création est de limiter au maximum par une forme subtile d’externalisation, le travail salarié protégé par la loi. Face à cela, il est nécessaire que nous, socialistes, repensions la place des travailleurs non salariés dans le projet de société que nous proposons, dans une attitude qui respecte leur volonté d’indépendance et de responsabilité tout en leur donnant le cadre et les moyens de leurs ambitions. La démarche d’accompagnement que le Parti socialiste doit initier ne peut se limiter à proposer une aide à la création ou à la reprise d’entreprises qui laisserait ensuite sans soutien les travailleurs non-salariés. Elle doit aussi se focaliser sur la pérennité de ces entreprises dans le temps dans la perspective du renforcement de l’économie de proximité.
Surtout, ce statut va avoir pour effet de dérégler à moyen terme le tissu entrepreneurial français, formé essentiellement de TPE et PME, qui subiront de plein fouet une forte concurrence déloyale. Leurs exigences plus fortes en matière de formation, d’agrément et de compétence sont essentielles à la qualité du lien entre un client et un entrepreneur, mais elles ne feront pas long feu face à des autoentrepreneurs en mesure de casser les prix. En tout état de cause, et a minima, le statut d’auto entrepreneur ne devrait avoir qu’une durée très courte et ne pas pouvoir se cumuler avec un statut de salarié ou de retraité.
Responsabiliser et accompagner Cette politique de la droite n’est pas de nature à soutenir la création de nouvelles entreprises, à assurer leur pérennité, à les aider dans une démarche d’innovation et de création d’emplois. Nous savons que
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II- Vers la création d’un nouveau statut
Faciliter et simplifier la création de très petites entreprises ainsi que l’accès à la formation des créateurs Les procédures administratives de création d’entreprise peuvent et doivent être radicalement simplifiées. Le recours à l’internet, par exemple, doit permettre enfin de conjuguer rapidité, réactivité, unicité de guichet pour le demandeur et rigueur dans le respect des normes. C’est dans la première année qui suit leur création qu’un grand nombre d’entreprises dépose le bilan. Les causes de ces échecs sont connues : difficultés de financement, difficultés d’accès aux marchés, méconnaissance des débouchés, découragement face à la jungle administrative… autant de facteurs qui ne mettent pas toujours en cause la pertinence du projet d’entreprise. C’est pourquoi une formation initiale, telle qu’elle est mise actuellement en œuvre dans certaines collectivités territoriales, pourrait être dispensée aux futurs entrepreneurs, porteurs d’un projet mais en cruel manque de savoirfaire. Cette formation se couplerait avec un suivi personnalisé, sur une année ou plus, afin de procurer à l’entrepreneur une assistance par des experts, ou une forme de « coaching » par une entreprise partenaire ou un autre acteur économique. Les effets positifs d’un tel investissement des pouvoirs publics sont avérés : moins de destruction d’emplois, des entreprises plus stables sur le long terme, et donc plus aptes à se développer. Outre un soutien dans l’élan de la création d’entreprise, il existe une demande de formation permanente de la part des travailleurs non salariés, demande qui pourrait être institutionnalisée et facilitée (crédit d’impôt…) en vue de favoriser notamment les possibilités de reprise d’emploi ou
de transmission/reprise d’entreprise le cas échéant. Il est par ailleurs essentiel, en parallèle du système des entretiens réguliers dans le cadre du DIF1, d’aider à la construction de bilans prospectifs des entreprises pour encourager une vision de plus long terme : mutations de la branche d’activité, veille technologique et économique, etc. Dans leurs attributions les missions locales devraient également favoriser la création de TPE par les jeunes et les orienter de telle sorte qu’ils bénéficient notamment de bourses pour leurs projets. Enfin, si l’aide publique vient souvent en appui d’un investissement dit « productif », l’investissement humain par la création d’emploi et l’embauche doit aussi être pris en compte fiscalement.
Assurer la continuité de l’activité La nécessité d’un environnement stable est le prélude à l’émergence d’un statut plus protecteur pour les travailleurs non salariés. Champ de réflexion jusqu’alors porté sur les seuls salariés, la sécurisation des parcours professionnels peut s’adapter aux travailleurs non salariés. En effet, pour ces derniers, de nouveaux risques sociaux se sont amplifiés ces dernières années, que ce soit en matière de financements ou d’évolutions technologiques. Si les travailleurs non salariés tirent leur adaptabilité de la taille modeste de leur activité, cet atout est cependant un facteur de fragilité en période de conjoncture difficile : la crise que nous vivons actuellement doit conduire les pouvoirs publics à favoriser le maintien de l’activité. De même, les nouveaux modes de production induisent une évolution rapide des qualifications, qui, à défaut d’être prise en compte, peut aussi conduire à des cessassions d’activité. Le droit individuel à la formation (DIF) a pour objectif de permettre à tout salarié de se constituer un crédit d’heures de formation de 20 heures par an.
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Il faut articuler la sécurisation des parcours avec la liberté souhaitée par les travailleurs non salariés : il ne s’agit pas de soutenir artificiellement une activité mais d’accompagner un investissement personnel. Le cadre adapté à une telle politique est une approche territoriale/régionale, qui se déclinerait par bassins d’emplois. Ce que souhaitent surtout ces travailleurs non salariés, c’est avoir les moyens de construire leur projet dans la durée. Il s’agit de leur assurer un filet de sécurité suffisant qui s’inscrirait avant tout dans l’optique de la continuité de leur activité professionnelle.
Organiser une protection contre le chômage De fait, l’absence d’une couverture efficace face au chômage est un facteur de risque extrêmement important. Cela condamne les travailleurs non salariés à contracter une assurance chômage privée ou à prendre le risque de tomber dans une grande précarité en cas d’échec. Or la survenance du risque a des conséquences pour les personnes, mais aussi des conséquences sociales globales : la collectivité détient donc une part de responsabilité dans la prévention des risques.
Il ne s’agit pas ici d’obliger ces travailleurs non salariés, quel que soit le type d’activité qu’ils exercent ou les revenus qui sont les leurs, à contracter une assurance chômage. La diversité des situations interdit toute solution globale et imposée. Il s’agit plutôt, dans le respect de la liberté d’exercice qui caractérise ces professions, de leur proposer d’accéder à des droits comparables à ceux des salariés en matière de chômage.
Le statut de conjoint collaborateur Depuis le 1er janvier 2007, les personnes mariées ou pacsées avec un chef de TPE ont l’obligation de se déclarer comme conjoint collaborateur si elles travaillent de manière régulière et avérée au sein de l’entreprise. Nous pourrions proposer d’étendre le statut de conjoint collaborateur pour toutes les formes juridiques du couple et d’améliorer les droits liés à ce statut, notamment en matière de protection contre le chômage.
Dans cette perspective, la puissance publique peut jouer un rôle régulateur important, au lieu de laisser faire la jungle économique. La mise en place d’une caisse de mutualisation publique, qui serait gérée par l’UNEDIC sur la base de cotisations volontaires, pourrait répondre à une demande qui est actuellement satisfaite par des caisses privées qui font payer le prix fort. Afin d’éviter toute dérive, le fait générateur du versement d’allocations serait le constat objectif de l’échec (qui pourrait prendre, comme forme juridique, un dépôt de bilan). Cette « allocation-rebond » permettrait aux travailleurs non salariés d’avoir en quelque sorte droit à l’échec ; elle pourrait être remise en parallèle du suivi d’une formation (cf. supra). L’autre volet de cette caisse serait de gérer en toute transparence l’attribution d’indemnités journalières pour pallier le risque maladie.
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III- Créer un environnement favorable et dynamique Le rôle des collectivités locales De nombreuses collectivités locales, essentiellement les conseils généraux et régionaux, ont créé et soutiennent des dispositifs à destination des TPE. Ceux-ci sont chargés d’aider les entreprises ou les futurs créateurs d’entreprises à mettre en place leurs projets, améliorer l’attractivité économique des territoires et accompagner leurs mutations, participer au maintien et à la création d’emplois, favoriser l’innovation et le développement. De tailles très diverses, ces dispositifs sont indispensables à la mise en place d’une véritable politique tournée vers les entreprises et les indépendants à l’échelle des territoires. Ces « agences » ou plates-formes doivent être encouragées et leurs missions élargies en direction des travailleurs non-salariés en général. Elles peuvent notamment jouer un rôle important en matière de formation et faire le lien avec les dispositifs aujourd’hui réservés aux salariés.
Les petites entreprises innovantes L’existence de nouveaux métiers à la pointe de l’innovation, comme dans le secteur de l’internet, dans celui de l’eco-construction ou du développement soutenable, suppose de prendre en compte les besoins spécifiques de certaines petites entreprises, question liée directement à celle du financement : la politique classique d’une TPE aboutit à écarter les projets d’investissement dont on ne voit pas directement la rentabilité, à cause d’un horizon trop court. Or c’est dans ces projets innovants que se trouve souvent la clé de leur développement et de leur réussite.
dynamiser la compétitivité des TPE et PME réunissant quelques salariés via un transfert efficace de savoir-faire et de technologie ou via l’incitation à entreprendre dans des secteurs innovants. Comment encourager le partenariat entre les pôles de recherche et d’enseignement et les tissus économiques locaux ? Cela peut passer par la stimulation des instituts Carnot (dédiés à la recherche en sciences appliquées et à la recherche partenariale pour les entreprises pour des projets d’innovation), ou par la réunion de « chefs d’entreprise, universitaires, chercheurs et représentants des salariés au sein d’un Comité prospectif, qui aurait vocation à être permanent et élaborerait une stratégie permettant d’éclairer les choix pour les vingt prochaines années »2. De même, il faut réformer le crédit impôt recherche, qui, malgré son utilité, déçoit sous sa forme actuelle et n’est pas suffisamment employé par les petites entreprises. Par ailleurs, pour les entreprises vivant de la soustraitance de spécialité3 (une compétence de pointe et un développement important de l’innovation), il est important d’encadrer juridiquement la protection de la propriété industrielle : protection de la propriété intellectuelle en cas de rupture du contrat par le donneur d’ordre (clause de confidentialité), information et sensibilisation aux aides publiques (INPI notamment). Enfin, en matière d’aide à l’export, des aides pour les TPE innovantes existent déjà, dont certaines sont récentes. Il faut aller plus loin et mettre en place des structures capables d’aider ces entreprises à négocier et finaliser des contrats en lien avec l’étranger. Texte de la Convention nationale du PS pour un nouveau modèle de développement. On distingue généralement la sous-traitance de spécialité (achat de compétences) de la sous-traitance de capacité (liée à des problèmes de taille). 2
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Il faut donc trouver de nouvelles réponses pour
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L’innovation sociale Les progrès récents de l’économie sociale et solidaire montrent qu’au niveau d’une TPE ou d’une PME réunissant quelques salariés, d’autres objectifs que la maximisation de la rémunération du capital peuvent voir le jour : prise en compte de l’intérêt des salariés grâce à la démocratie sociale, aides à l’insertion et nouvelle approche de l’« employabilité », qui ne se mesure plus seulement à la productivité et à la rentabilité des individus. Il faut distinguer la représentation des travailleurs non-salariés eux-mêmes de celle de leurs salariés. Dans le cas des premiers, l’hétérogénéité des situations et des professions rend difficile une véritable présence syndicale. En ce qui concerne les TPE, une représentation territoriale et par branches permettrait l’émergence d’une défense organisée de leurs intérêts tant au niveau local que national, l’existence d’un interlocuteur utile pour les pouvoirs publics et une mesure sincère de la représentativité des organisations patronales. En ce qui concerne les salariés des TPE, l’existence d’une représentation syndicale permettrait de fluidifier les relations sociales dans des entreprises qui génèrent aujourd’hui 80% du contentieux prud’homal. Malheureusement, les réformes pour organiser et développer le dialogue social dans les TPE ont été très insuffisantes, et les relations entre employeurs de petites entreprises et leurs salariés sont les oubliées du droit du travail. En ce sens, notre projet pour les travailleurs non salariés est aussi une réponse aux manquements des récentes dispositions législatives sur la démocratie sociale. La soumission de la droite aux injonctions du MEDEF et de la CGPME en matière de démocratie sociale dans les petites entreprises, alors même que l’Union Professionnelle Artisanale (UPA) avait trouvé un accord avec les syndicats de salariés, a fait apparaître son néo-conservatisme social. Nous pensons au contraire qu’aucun travailleur ne doit se voir dénier le droit d’être représenté. C’est pourquoi nous proposons, dans le respect des accords entre les partenaires sociaux, l’élection de délégués par bassins d’emploi.
La puissance publique en soutien à l’activité La question du financement est primordiale, surtout dans le contexte de crise, révélateur des difficultés des entreprises à pouvoir se financer, même pour des sommes modiques ou pour pallier des besoins de trésorerie. En ce sens, nos propositions peuvent s’orienter dans trois directions : l’intervention des collectivités territoriales (à travers des mesures simples comme l’octroi de prêts à taux 0, ou le cautionnement pour des opérations de crédit), la responsabilisation des banques au niveau des territoires, la création d’un fond de capital-risque public. Il s’agirait donc de contrebalancer la frilosité des banques vis-à-vis des TPE, qui limite fortement leur capacité d’investissement globale ou l’émergence de nouveaux projets. Ainsi, afin de ne pas exonérer les banques de leur responsabilité sur les territoires, celles-ci devraient y réinvestir obligatoirement un pourcentage de l’épargne qu’elles y collectent. Dans le même ordre d’idées, nous proposons d’aider à la constitution de banques régionales sous forme coopérative et en partenariat avec les collectivités locales. Ces établissements pourraient ainsi répondre aux besoins de financements des petits entrepreneurs et non-salariés et leur éviter une trop grande vulnérabilité dans les périodes de conjonctures difficiles. En effet, à la faveur de la crise, ce sont aujourd’hui plus de 50% des chefs de TPE qui se plaignent d’un durcissement des conditions d’accès au crédit, ce qui justifie une intervention de la puissance publique.
L’amélioration des relations de sous-traitance et de partenariat Ce point comporte deux volets : l’accès aux marchés publics pour les entreprises de taille modeste, et les relations entre donneurs d’ordre privés (grands groupes) et leur sous traitants. Dans le premier cas, il faut inventer une garantie d’accès aux marchés publics (GAMP), sorte de Small Business Act (SBA)4 à la française, afin de favoriser les entreprises socialement responsables. La solution
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n’est pas une politique de quotas, tant du point de vue technique qu’économique. En revanche, on peut considérer la possibilité d’allier SBA et Small Business Administration, i.e. une administration qui pourrait notamment intermédier entre TPE ou groupements de TPE et donneurs d’ordres publics sur appels d’offres. Un tel service d’assistance permettrait de conseiller les chefs d’entreprise et de faciliter les démarches administratives complexes pour accéder à un appel d’offres. Le texte de la Convention nationale du Parti Socialiste sur le modèle de développement appelle à engager des réformes dans cette voie, notamment via l’instauration d’un guichet unique5. En amont, des dispositions peuvent être prises pour réduire les exigences administratives ex ante : création d’un label TPE par exemple et reconnaissance de leur statut par la loi. Enfin, un champ d’action possible de ce SBA à la française serait de faire en sorte que l’allotissement des marchés publics soit systématique6, quitte à créer un service technique d’aide à l’allotissement et mettre en place des procédures de contrôle ainsi qu’un système de sanction pour lutter contre les manquements. Pour le second volet, les PME et TPE réunissant quelques salariés dépendent souvent des commandes de grands groupes à la recherche de sous-traitants. L’objectif d’accompagnement et de sécurisation des trajets des petites entreprises passe aussi par la réduction de la précarité de ces relations de sous-traitance : le rapport de forces imposé par les grands groupes conduit souvent les petites entreprises à être prises en otage. L’urgence réside dans la formalisation d’un cadre juridique des contrats de sous-traitance (en imposant par exemple un préavis de rupture anticipée du contrat). De même, des actions de régulation peuvent être mises en place afin d’améliorer de manière ciblée les conditions de travail de travailleurs non-salariés dépendants d’entreprises plus importantes. La régulation du coût de location des voitures par les conducteurs de taxi aux compagnies de taxi est un exemple de mesure ciblée à même d’amener les non-salariés de ce secteur à travailler moins de 10 heures par jour, 6 jours sur 7, comme c’est bien souvent le cas.
Faciliter les coopérations dans chaque bassin d’emploi Les TPE ou les travailleurs indépendants sont souvent contraints de refuser ou d’abandonner certains projets ou contrats faute de pouvoir y répondre seuls. La solution qu’ont les travailleurs indépendants de s’associer au sein de TPE temporaires pour faire face à ce type de situation implique une complexité administrative souvent décourageante. En effet, les possibilités existantes sont insuffisantes et les entreprises n’y recourent pas assez malgré leur attrait théorique. Il est donc indispensable de faciliter et promouvoir la création du lien entre différents acteurs d’un même secteur ou entreprises complémentaires. Dans le cadre de partenariats plus ou moins poussés, ils doivent pouvoir facilement échanger des moyens logistiques, élaborer des projets communs ou répondre à des appels d’offres en commun. Cela permettrait aux donneurs d’ordres, publics ou privés, de faire plus aisément confiance aux indépendants qui auraient alors, dans le cadre de ces partenariats, la taille critique nécessaire pour les rassurer. Le rôle des collectivités territoriales dans l’élaboration de ces partenariats locaux semble indispensable, tant dans le rôle de commanditaire (elles sont devenues le premier investisseur public) que dans la mise en place de structures publiques facilitant ces coopérations (coopératives par bassin d’emploi,...). De manière analogue, à l’image des solutions employées par le monde agricole, des services de remplacement pourraient être mis en place par branche afin d’assurer, là où c’est nécessaire, la continuité de l’activité. Enfin, il faut réfléchir à des solutions, peutêtre par des groupements d’entreprises, pour favoriser les mutualisations, le partage, et la prise de risque en commun, afin de permettre la naissance de véritables projets de proximité à l’échelle territoriale. 4 Le Small Business Act est une initiative des pouvoirs publics américains datant des années 1950, qui vise à encourager l’aide, le conseil, l’assistance et la protection des intérêts des petites entreprises. Il s’est accompagné de la création d’une agence fédérale indépendante devant remplir ces missions, la Small Business Administration. 5 1) A. p. 5 de la convention nationale pour un nouveau modèle de développement. 6 à noter que l’accès préférentiel des TPE-PME en ce domaine est déjà érigé en principe par l’article 45 du code des marchés publics, mais que les donneurs d’ordres ne le respectent pas toujours.
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Conclusion
Aux dernières élections régionales, cette population des non salariés et entrepreneurs indépendants, pourtant généralement civiquement responsable, s’est fortement abstenue. On peut attribuer ce signe d’une crise de confiance envers l’action gouvernementale au maintien d’une jungle administrative et juridique, et d’une situation statutaire qui conduit les nonsalariés et entrepreneurs indépendants à ne pas pouvoir bénéficier des avantages auxquels ils devraient avoir droit. La crise de confiance est aussi une crise de communication et d’information. Elle est largement le résultat d’une politique inappropriée. Toutes les mesures présentées ici pourraient permettre à cette population de retrouver confiance dans une puissance publique qui n’entend pas brider la volonté d’entreprendre mais la protéger, qui a compris la force et l’intérêt pour toute la société de celles et ceux qui, souvent passionnés par leur travail et leur entreprise, lui apportent leur énergie et leur créativité.
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